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paroles ferrat

Jean Ferrat
Nuit et brouillard

Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers,


Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés,
Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants,
Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent.
Ils se croyaient des hommes, n'étaient plus que des nombres :
Depuis longtemps leurs dés avaient été jetés.
Dès que la main retombe il ne reste qu'une ombre,
Ils ne devaient jamais plus revoir un été

La fuite monotone et sans hâte du temps,


Survivre encore un jour, une heure, obstinément
Combien de tours de roues, d'arrêts et de départs
Qui n'en finissent pas de distiller l'espoir.
Ils s'appelaient Jean-Pierre, Natacha ou Samuel,
Certains priaient Jésus, Jéhovah ou Vichnou,
D'autres ne priaient pas, mais qu'importe le ciel,
Ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux.
Ils n'arrivaient pas tous à la fin du voyage;
Ceux qui sont revenus peuvent-ils être heureux ?
Ils essaient d'oublier, étonnés qu'à leur âge
Les veines de leurs bras soient devenus si bleues.
Les Allemands guettaient du haut des miradors,
La lune se taisait comme vous vous taisiez,
En regardant au loin, en regardant dehors,
Votre chair était tendre à leurs chiens policiers.

On me dit à présent que ces mots n'ont plus cours,


Qu'il vaut mieux ne chanter que des chansons d'amour,
Que le sang sèche vite en entrant dans l'histoire,
Et qu'il ne sert à rien de prendre une guitare.
Mais qui donc est de taille à pouvoir m'arrêter ?
L'ombre s'est faite humaine, aujourd'hui c'est l'été,
Je twisterais les mots s'il fallait les twister,
Pour qu'un jour les enfants sachent qui vous étiez.

Vous étiez vingt et cent, vous étiez des milliers,


Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés,
Qui déchiriez la nuit de vos ongles battants,
Vous étiez des milliers, vous étiez vingt et cent.

Le sabre et le goupillon
Paroles et musique : Jean Ferrat

Comme cul et chemise comme larrons en foire


J'ai vu se constituer tant d'associations
Mais il n'en reste qu'une au travers de l'histoire
Qui ait su nous donner toute satisfaction

Le sabre et le goupillon
L'un brandissant le glaive et l'autre le ciboire
Les peuples n'avaient plus à s'poser de questions
Et quand ils s'en posaient c'était déjà trop tard
On se sert aussi bien pour tondre le mouton
Du sabre et du goupillon
Quand un abbé de cour poussait une bergère
Vers des chemins tremblants d'ardente déraison
La belle ne savait pas quand elle se laissait faire
Qu'ils condamnaient l'usage de la contraception
Le sabre et le goupillon
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Et maintes éminences et maints beaux capitaines
Reposaient le guerrier de la même façon
Dans le salon chinois où Madame Germaine
Grâce à ses pensionnaires réalisait l'union
Du sabre et du goupillon

C'était le temps rêvé de tous les militaires


On leur offrait des guerres et des expéditions
Que de manants joyeux sont partis chez Saint-Pierre
Le coeur plein de mitraille et de bénédictions
Du sabre et du goupillon

Quand ils s'en revenaient et d'Asie et d'Afrique


Ils faisaient régner l'ordre au sein de la nation
Les uns possédaient l'art d'utiliser la trique
Les autres sans le dire pensaient qu'elle a du bon

Le sabre et le goupillon
On n'sait plus aujourd'hui à qui faire la guerre
Ça brise le moral de la génération
C'est pourquoi les crédits que la paix nous libère
Il est juste qu'il aillent comme consolation

Au sabre et au goupillon

L'un jouant du clairon l'autre de l'harmonium


Ils instruiront ainsi selon la tradition
Des cracks en Sambre et Meuse des forts en Te Deum
Qui nous donneront encore bien des satisfactions

Du sabre et du goupillon

LA PAIX SUR TERRE


Paroles et musique Jean Ferrat

Nous ne voulons plus de guerre


Nous ne voulons plus de sang
Halte aux armes nucléaires
Halte à la course au néant
Devant tous les peuples frères
Qui s'en porteront garants
Déclarons la paix sur terre
Unilatéralement
La force de la France c'est l'esprit des Lumières
Cette petite flamme au coeur du monde entier
Qui éclaire toujours les peuples en colère
En quête de justice et de la liberté
Nous ne voulons plus de guerre
Nous ne voulons plus de sang
Halte aux armes nucléaires
Halte à la course au néant
Devant tous les peuples frères
Qui s'en porteront garants
Déclarons la paix sur terre
Unilatéralement
Parce qu'ils ont un jour atteint l'Universel
Dans ce qu'ils ont écrit cherché sculpté ou peint
La force de la France c'est Cézanne et Ravel
C'est Voltaire et Pasteur c'est Verlaine et Rodin

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Nous ne voulons plus de guerre
Nous ne voulons plus de sang
Halte aux armes nucléaires
Halte à la course au néant
Devant tous les peuples frères
Qui s'en porteront garants
Déclarons la paix sur terre
Unilatéralement

La force de la France elle est dans ses poètes


Qui taillent l'avenir au mois de mai des mots
Couvrez leurs yeux de cendre tranchez leur gorge ouverte
Vous n'étoufferez pas le chant du renouveau

Nous ne voulons plus de guerre


Nous ne voulons plus de sang
Halte aux armes nucléaires
Halte à la course au néant
Devant tous les peuples frères
Qui s'en porteront garants
Déclarons la paix sur terre
Unilatéralement

La force de la France elle sera immense


Défiant à jamais et l'espace et le temps
Le jour où j'entendrai reprendre ma romance
Dans la réalité de la foule chantant
Nous ne voulons plus de guerre
Nous ne voulons plus de sang
Halte aux armes nucléaires
Halte à la course au néant
Devant tous les peuples frères
Qui s'en porteront garants
Déclarons la paix sur terre
Unilatéralement

Jean Ferrat
DIX-SEPT ANS

Je l'ai vue je l'ai vue je vous jure un matin


Arrivant en avion de son pays lointain
Aussi fraîche aussi tendre aussi gaie qu'un printemps
Et s'arrêta le temps
Elle avait le teint mat des yeux croissant de lune
Sur ses reins qui dansaient deux longues tresses brunes
Donnaient à sa jeunesse un éclat triomphant
Sous le soleil levant
Elle était à la fois timide et sûre d'elle
Par sa voix ses propos sa grâce naturelle
Rien ne la distinguait des filles de ce temps
Elle avait dix-sept ans
Nulle ombre ne voilait son regard enfantin
Nul regret ne faisait palpiter sa poitrine
Elle avait au combat de sa main douce et fine
Tué dix américains

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Jean Ferrat
À BRASSENS

Est-ce un reflet de ta moustache


Ou bien tes cris de "Mort aux vaches!"
Qui les séduit
De tes grosses mains maladroites
Quand tu leur mets dessus la patte
C'est du tout cuit
Les filles de joie, les filles de peine
Les Margotons et les Germaines
Riches de toi
Comme dans les histoires anciennes
Deviennent vierges et souveraines
Entre tes doigts

Entre tes dents juste un brin d'herbe


La magie du mot et du verbe
Pour tout décor
Même quand tu parles de fesses
Et qu'elles riment avec confesse
Ou pire encore
Bardot peut aligner les siennes
Cette façon de montrer les tiennes
Ne me déplaît pas
Et puisque les dames en raffolent
On ne peut pas dire qu'elles soient folles
Deo gratias
Toi dont tous les marchands honnêtes
N'auraient pas de tes chansonnettes
Donné deux sous
Voilà que pour leur déconfiture
Elles resteront dans la nature
Bien après nous

Alors qu'avec tes pâquerettes


Tendres à mon coeur, fraîches à ma tête
Jusqu'au trépas
Si je ne suis qu'un mauvais drôle
Tu joues toujours pour moi le rôle
De l'Auvergnat

Jean Ferrat
À L'ÉTÉ DE LA SAINT-MARTIN
Paroles et musique: Jean Ferrat

Était-ce soir ou bien matin


Comme à l'arbre une fleur se penche
Elle était lundi et dimanche
A l'été de la Saint-Martin
Le soleil n'avait pas atteint
Sa peau de porcelaine blanche
Et son frémissement des hanches
Vous aurait fait chanter latin
À l'été
À l'été
À l'été de la Saint-Martin

Quand le ciel était incertain


Nous faisions feu de quatre planches
L'amour l'été bleu pervenche
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A l'été de la Saint-Martin
Le vin chantait dans les étains
Elle se pendait à ma manche
Et nous roulions en avalanche
De la table au lit de satin
À l'été
À l'été
À l'été de la Saint-Martin

C'étaient mémorables festins


C'étaient délectables nuits blanches
Je priais que mon coeur ne flanche
À l'été de la Saint-Martin
L'amour avait l'odeur du thym
Et dans ses draps en ville franche
Ses jambes fuyaient comme tanche
Dont j'étais le menu fretin
À l'été
À l'été
À l'été de la Saint-Martin
Sonnez sonnez vieux sacristains
Si le temps n'est plus aux pervenches
Amour n'est pas soif qui s'étanche
À l'été de la Saint-Martin
Sonnez sonnez vieux sacristains
Et que vos cloches se déclenchent
Si tous mes souvenirs s'épanchent
Notre amour tient bon ce qu'il tint
À l'été
À l'été
À l'été de la Saint-Martin

Jean Ferrat
À L'OMBRE BLEUE DU FIGUIER
Paroles: Michelle Senlis

À l'ombre bleue du figuier


Passent passent les étés
À l'ombre bleu du figuier
Passent passent ils sont passés

J'étais comme les bergers


Un chien fou sur les talons
J'étais comme les bergers
Moitié blé moitié chardon
Voyant se lever le jour
J'y croyais à chaque fois
L'amour appelle l'amour
J'étais prince je suis roi
À l'ombre bleue du figuier
Passent passent les étés
À l'ombre bleu du figuier
Passent passent ils sont passés
Ivre comme les oiseaux
J'étais poussé par le vent
Ivre comme les oiseaux
Je me suis cogné souvent
J'allais cherchant dans la brume
Une lampe ou un drapeau
J'y ai laissé quelques plumes
Mais j'ai gardé mon chapeau

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À l'ombre bleue du figuier
Passent passent les étés
À l'ombre bleu du figuier
Passent passent ils sont passés

À la bouche une chanson


Dans mon coeur un amour fou
À la bouche une chanson
J'ai rêvé que jusqu'au bout
On dira qui était-il
Me jetant des roses-thé
Moi je dormirai tranquille
Heureux d'avoir pu chanter

À l'ombre bleue du figuier


Passent passent les étés
À l'ombre bleu du figuier
Passent passent ils sont passés

Jean Ferrat
À LA UNE
Paroles et musique: Jean Ferrat

C'est une émission formidable


Sur les problèmes de société
Où des héros et des minables
Vous parlent en toute liberté
Sont-ils victimes sont-ils coupables
Ce soir voici pour commencer
Quelques racketteurs redoutables
Qui font la sortie des lycées
Ils vont pour vous se mettre à table
À condition d'être masqués
Un témoignage inoubliable
Un grand moment de vérité

Ce soir ce soir
Après la roue de la fortune
Les racketteurs les racketteurs
Sont à la une
C'est une émission fantastique
Où vous avez un rôle à jouer
Un rôle moral un rôle civique
Pour nous aider à retrouver
Tous ceux dont on est sans nouvelles
Disparus volatilisés
Ce soir je vous lance un appel
Vous seuls pouvez nous renseigner
Dans quels bas-fonds la malheureuse
A-t-elle un jour pu s'égarer
A quelles manoeuvres très douteuses
A-t-elle fini par se livrer

Ce soir ce soir
Après la roue de la fortune
La main de ma soeur la main de ma soeur
Est à la une

C'est une émission fracassante


Sur les tréfonds de la société
Une tranche de vie saignante
Que vous ne pouvez pas manquer
Un homme qui a payé sa dette
Vingt ans de prison mérités
Reconstituera en direct
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Le crime qu'il a perpétré
Tout ce qui se passait dans sa tête
Combien de fric il a touché
En appuyant sur la gâchette
Pour refroidir un député
Ce soir ce soir
Après la roue de la fortune
Les assassins les assassins
Sont à la une
C'est une série faramineuse
De grands débats télévisés
De controverses fabuleuses
De face à face sans pitié
Entre qui saigne et qui charcute
Entre bourreaux et torturés
Entre un ripoux et une pute
Un délateur un dénoncé
Entre un para et un fellouze
Entre un violeur et des violées
Et puis comme une apothéose
Entre SS et déportés

Ce soir ce soir
Après la roue de la fortune
Un PAF obscène un PAF obscène
Est à la une

Jean Ferrat
À MOI L'AFRIQUE
Paroles: Michelle Senlis

Rouge et jaune coloriée


Par la main d'un écolier
En madras, en tablier
À moi, à moi, à moi l'Afrique

Les seins lourds de tes nourrices


Nous rappellent les délices
D'une enfance qui résiste
À moi, à moi, à moi l'Afrique

Mangeant des noix de cajou


Flirtant le soir à genoux
Comme la liane enroulée
Avec le singe des blés
À moi, à moi, à moi l'Afrique

Tapant des mains et des pieds


Au rythme fou des sorciers
Sous des rubans de papier
À moi, à moi, à moi l'Afrique

Mon enfance retrouvée


Tu te reprends à rêver
Tous tes livres, ils étaient vrais
À moi, à moi, à moi l'Afrique
Voilà les fruits et les fleurs
Les sources bleues, les couleurs
Les pagnes et les colliers
Au pas lent des chameliers
À moi, à moi, à moi l'Afrique
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Serpent de lune et parfum
L'odeur du thé au jasmin
Monte à portée de la main
À moi, à moi, à moi l'Afrique
Les faces aux teintes rayées
En plein désert appuyées
J'ai le coeur débarbouillé
À moi, à moi, à moi l'Afrique
Tout redevient neuf et beau
Mon âme marche en sabots
Mes bras s'ouvriront demain
L'avenir n'est pas si loin
À moi, à moi, à moi l'Afrique

Jean Ferrat
À SANTIAGO

À Santiago de Cuba
À Santiago de Cuba
Le carnaval nous entraîne
Quatre nuits sans perdre haleine
L'ordre oriental se déchaîne
Et moi qui danse comme un troène

À Santiago de Cuba

Le rhum qui coule du tonnerre


La serviette en bandoulière
J'avais l'air de quoi ma mère
Moi, moi qui danse comme une soupière

C'était dur
À Santiago de Cuba

Un sombrero fantastique
Un cigare astronomique
La musique, la musique
Et moi qui danse comme une barrique

C'était très dur


À Santiago de Cuba

Les petits seins des métisses


Du miel et du pain d'épices
Je côtoie des précipices
Et moi qui danse comme une saucisse
Allez mon vieux, faut tenir, hein
À Santiago de Cuba

Jean Ferrat
AIMER À PERDRE LA RAISON
Paroles: Louis Aragon, musique: Jean Ferrat

Aimer à perdre la raison


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Aimer à n'en savoir que dire
À n'avoir que toi d'horizon
Et ne connaître de saisons
Que par la douleur de partir
Aimer à perdre la raison.
Ah, c'est toujours toi que l'on blesse
C'est toujours ton miroir brisé,
Mon pauvre bonheur ma faiblesse
Toi qu'on insulte et qu'on délaisse
Dans toute chair martyrisée.

Aimer à perdre la raison


Aimer à n'en savoir que dire
À n'avoir que toi d'horizon
Et ne connaître de saisons
Que par la douleur de partir
Aimer à perdre la raison.
La faim la fatigue et le froid,
Toutes les misères du monde,
C'est par mon amour que j'y crois
En elles je porte ma croix
Et de leurs nuits ma nuit se fonde.
Aimer à perdre la raison
Aimer à n'en savoir que dire
À n'avoir que toi d'horizon
Et ne connaître de saisons
Que par la douleur de partir
Aimer à perdre la raison.

Jean Ferrat
ALLÉLUIA
Paroles et musique: Jean Ferrat

Ils ont déjà mis leur costume


Et leurs plus beaux souliers cirés
Quand selon les us et coutumes
Les cloches se mettent à sonner
Chacun procède à sa manière
Pour faire son vin ou ses enfants
Mais c'est une toute autre affaire
De réussir un enterrement
Alléluia alléluia alléluia alléluia
Il faut savoir devant l'église
Battre en retraite prudemment
En direction de Marie-Louise
Qui vous démarre au petit blanc
Voilà Pierrot et l'oncle Eugène
La casquette comme étendard
Le petit blanc devient douzaine
Avec Léon Jules et Gaspard
Alléluia alléluia alléluia alléluia
Pour peu que le De Profondis
Arrive un quart d'heure en retard
On est au huitième pastis
A la sortie du corbillard
Et sur la route cahoteuse
Comme il n'est pas loin de midi
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On se sent bientôt la dent creuse
La mort vous met en appétit

Alléluia alléluia alléluia alléluia

Les saucissons fondent à vue d'oeil


Les langues claquent avec entrain
Souviens-toi du bois du cercueil
Du frère de la tante au cousin
Souviens toi des temps mémorables
Qu'on n'a jamais pu égaler
Où l'on resta trois jours a table
A cause de trois macchabées

Alléluia alléluia alléluia alléluia


Mais dans ce monde de misère Le bonheur est vite enterré

Il faut regagner sa chaumière


Retrouver sa femme atterrée
En voyant l'état du costume
Et du bonhomme et des souliers
A la maison comme de coutume
Les cloches se mettent à voler
Alléluia alléluia alléluia alléluia

Jean Ferrat
ARIANE
Paroles: Maurice Bourdet

Toutes les portes se ressemblent


Quelque part dans ce grand ensemble
Ariane, Ariane m'attend
Maudite soit ma maladresse
J'ai perdu sa nouvelle adresse
Ariane, Ariane m'attend

Toutes les portes se ressemblent


Les escaliers montent ou descendent
Selon le sens où on les prend
Les judas me font la grimace
Je vais, je cours, les heures passent
Au fil du temps l'amour se casse
Ariane, Ariane m'attend

Toutes les portes se ressemblent


Mais à tant crier il me semble
Qu'Ariane, qu'Ariane m'entend
Escalier cent-soixante-quatre
Mon coeur va-t-il cesser de battre
Ariane, Ariane m'attend

Ariane, vois ma triste posture


Devant ces portes d'imposture
Ariane, ouvre-moi, je t'entends
Mais luit où tant je tambourine
J'entrouvre et soudain je devine
Ce n'est qu'une télé-speakerine
Qui parle, qui parle du temps

Je veux hurler mais ma voix tremble


Je pleure et je ris tout ensemble
Ariane, Ariane m'attend
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Devant ces mille et une portes
Je sens que la colère m'emporte
Ariane, Ariane m'attend
Ariane, tu ne peux pas paraître
Il me reste un moyen peut-être
Nous verrons bien si cela prend
Par l'allumette que j'enflamme
J'en fonds cet ensemble sans âme
Le feu fera surgir la femme
Ariane, Ariane, Ariane, Ariane
Ariane, Ariane, Ariane...

Jean Ferrat
AU BOUT DE MON ÂGE
Poème d'Aragon

Au bout de mon âge


Qu'aurais-je trouvé
Vivre est un village
Où j'ai mal rêvé
Je me sens pareil
Au premier lourdeau
Qu'encore émerveille
Le chant des oiseaux
Les gens de ma sorte
Il en est beaucoup
Savent-ils qu'ils portent
Une pierre au cou

Au bout de mon âge


Qu'aurais-je trouvé
Vivre est un village
Où j'ai mal rêvé

Pour eux les miroirs


C'est le plus souvent
Sans même s'y voir
Qu'ils passent devant
Ils n'ont pas le sens
De ce qu'est leur vie
C'est une innocence
Que je leur envie

Au bout de mon âge


Qu'aurais-je trouvé
Vivre est un village
Où j'ai mal rêvé
Tant pour le plaisir
Que la poésie
Je croyais choisir
Et j'étais choisi
Je me croyais libre
Sur un fil d'acier
Quand tout équilibre
Vient du balancier

Au bout de mon âge


Qu'aurais-je trouvé
Vivre est un village
Où j'ai mal rêvé
Il m'a fallu naître
Et mourir s'en suit
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J'étais fait pour n'être
Que ce que je suis
Une saison d'homme
Entre deux marées
Quelque chose comme
Un chant égaré
Au bout de mon âge
Qu'aurais-je trouvé
Vivre est un village
Où j'ai mal rêvé

Jean Ferrat
AU POINT DU JOUR
Paroles: Henri Gougaud

Encore un jour qui vient au monde


Dans le premier moteur qui gronde
Dans le premier enfant qui pleure
J'écoute monter la rumeur
Du point du jour
Quelqu'un efface la buée
Sur la vitre du boulanger
Les arbres sont tout détrempés
Déjà fument les cheminées
Au point du jour
Je vois ma rose s'éveiller
Ses yeux s'ouvrent sur l'oreiller
Ils regardent la fin d'un rêve
Et puis ma rose, elle se lève
Au point du jour

Elle jette bas sa chemise


Elle est nue comme une cerise
Un rayon de soleil l'inonde
Elle est la plus belle du monde
Au point du jour
La radio donne des nouvelles
Quelque part la vie n'est pas belle
Des bombes crient dans le lointain
Défense de voir le matin
Au point du jour
Mon bonheur me fait un peu honte
Tandis que dans ma chambre monte
La bonne odeur de café noir
Encore un jour, la vie, l'espoir
Le point du jour

Jean Ferrat
AU PRINTEMPS DE QUOI RÊVAIS-TU?

Au printemps de quoi rêvais-tu?


Vieux monde clos comme une orange
Faites que quelque chose change
Et l'on croisait des inconnus
Riant aux anges
Au printemps de quoi rêvais-tu?
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Au printemps de quoi riais-tu?
Jeune homme bleu de l'innocence
Tout a couleur de l'espérance
Que l'on se batte dans la rue
Ou qu'on y danse
Au printemps de quoi riais-tu?

Au printemps de quoi rêvais-tu?


Poing levé des vieilles batailles
Et qui sait pour quelles semailles
Quand la grève épousant la rue
Bat la muraille
Au printemps de quoi rêvais-tu?

Au printemps de quoi doutais-tu?


Mon amour que rien ne rassure
Il est victoire qui ne dure
Que le temps d'un ave pas plus
Ou d'un parjure
Au printemps de quoi doutais-tu?
Au printemps de quoi rêvais-tu?
D'une autre fin à la romance
Au bout du temps qui se balance
Un chant à peine interrompu
D'autres s'élancent
Au printemps de quoi rêvais-tu?

D'un printemps ininterrompu

Jean Ferrat
AUTANT D'AMOURS AUTANT DE FLEURS
Paroles: Henri Bassis

Il y a dans Harlem
A se manger des yeux
Un couple d'amoureux
Qui dansent et quand ils s'aiment
La nuit moule leurs corps
Leurs gestes et leurs phrases
Et leur rire est sonore
Comme un sanglot de jazz

Autant d'amour autant de fleurs


Y'en a de toutes les couleurs
De flamme ou d'ombre, de neige ou miel
Toutes les roses se confondent
Tous les amours qui sont au monde
Font comme une arche d'arc-en-ciel
Il y a dans mon coeur
Un cocktail d'amoureux
J'invente les aveux
Je mêle les liqueurs
Il est noir, elle est blanche
Elle est jeune, il est beau
La main le long des hanches
Glisse comme un oiseau

Autant d'amour autant de fleurs


Y'en a de toutes les couleurs
De flamme ou d'ombre, de neige ou miel
Toutes les roses se confondent
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Tous les amours qui sont au monde
Font comme une arche d'arc-en-ciel

Qu'importent le long des rues


Les regards qui s'attardent
Qu'importent les échardes
Aux amours défendues
Il y a dans mon coeur
Libres comme les dieux
Un couple d'amoureux
Qui croise ses couleurs

Autant d'amour autant de fleurs


Y'en a de toutes les couleurs
De flamme ou d'ombre, de neige ou miel
Toutes les roses se confondent
Tous les amours qui sont au monde
Font comme une arche d'arc-en-ciel

Jean Ferrat
BERCEUSE

Dors, petit homme, dors, petit frère


La nuit, à Bahia de tous les saints
Bruisse de papier d'étain
D'ombres dures et familières
La nuit, tu t'endors le long des quais
Près des fûts abandonnés
Poings fermés dans la poussière

Dors, petit homme, dors, petit frère


La faim met sa robe d'apparat
C'est l'heure où l'on voit les rats
Regagner les grands navires
C'est l'heure où des financiers au bras
Les putains ouvrent leurs draps
En forme de tirelire

Dors, petit homme, dors, petit frère


Parfois, tu écoutes les Indiens
Parler de mal et de bien
Sur leur siècle de misère
Tu vois, le diable n'est qu'un pantin
Qui s'évanouit au matin
Quand tu lèves la paupière

Dors, petit homme, dors, petit frère


Hier, sur les toits jaune orangé
L'oiseau qui te fait rêver
A survolé la frontière

Jean Ferrat
BERCEUSE POUR UN PETIT LOUPIOT
Paroles: Guy Thomas

Mon marmouset mon nouveau-né


Tu mériterais qu'on te gronde
Tu brailles comme un forcené
T'as pas l'air content d'être au monde
T'as le minois tout chiffonné
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Pourtant tu devrais rire aux anges
Avec ton lange enfariné
Pour engraisser Monsieur Morhange
Fais dodo Colas mon petit frère
Fais dodo mon petit loupiot
Si tu savais combien que c'est doux
De vivre et pi comment que c'est rose
Tu boirais ton biberon d'un coup
Pour engraisser Monsieur Guigoz
Car si tu bois bien ton lolo
Si tu veux la mettre en sourdine
On te paiera bientôt des petits pots
Pour engraisser Monsieur Blédine
Fais dodo Colas mon petit frère
Fais dodo mon petit loupiot
On fera ton éducation
Ça m'étonnerait pas qu'on t'achète
Les mémoires du roi des cons
Pour engraisser Monsieur Hachette
T'auras pas le phylloxéra
Grâce aux vaccins systématiques
Pour engraisser des scélérats
De l'industrie pharmaceutique
Fais dodo Colas mon petit frère
Fais dodo mon petit loupiot

T'auras plus tard ta limousine


Pour engraisser Monsieur Peugeot
Alors t'achèteras de la benzine
Pour engraisser Monsieur Esso
T'auras ton coin de serpolet
On t'y permettra des culbutes
Avec ta tente et ton duvet
Pour engraisser Monsieur la Hutte

Fais dodo Colas mon petit frère


Fais dodo mon petit loupiot

T'auras beau crier les fachos


Et les canons c'est dégueulasse
Un jour c'est pas du gibier d'eau
Qu'on te dira de prendre en chasse
Tu feras la guerre à ceux d'en face
Vous vous offrirez des pruneaux
Pour engraisser Monsieur Douglas
Pour engraisser Monsieur Dassault
Fais dodo Colas mon petit frère
Fais dodo mon petit loupiot

Jean Ferrat
BICENTENAIRE
Paroles et musique Jean Ferrat, 1989

J'ai vu des ducs j'ai vu des princes


Des barons des comtes des rois
Des marquises à la taille mince
Qui dansaient au son des hautbois
Dans des châteaux pleins de lumière
Où les fêtes resplendissaient
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Où l'on chantait "il pleut bergère"
Dans le velours et dans la soie

Mais dans sa chaumière


Mais dans sa chaumière
Je n'ai pas vu pauvre Martin
Pauvre Martin pauvre misère
Avec sa femme et ses gamins

J'ai tremblé devant la colère


Des va-nu-pieds des paysans
Renversant l'ordre millénaire
Dans la fureur et dans le sang
J'ai vu la terreur apparaître
Les châteaux partir en fumée
Les délateurs régner en maîtres
Dans une France sans pitié

Mais dans sa chaumière


Mais dans sa chaumière
Je n'ai pas vu pauvre Martin
Pauvre Martin pauvre misère
Tremblant de froid mourant de faim

J'ai frémi pour ces grandes dames


Ces beaux seigneurs si émouvants
Qui montraient tant de grandeur d'âme
De noblesse de sentiments
Avant que leurs têtes grimacent
Au bout des piques acérées
Agitées par la populace
Des sans-culottes avinés

Mais dans sa chaumière


Mais dans sa chaumière
Je n'ai pas vu pauvre Martin
Pauvre Martin pauvre misère
Creusant la terre de ses mains

Deux siècles après quatre-vingt-neuf


Il fallait oser l'inventer
A la télé on fait du neuf
En acquittant la royauté
Deux siècles après quatre-vingt-neuf
D'autres seigneurs veillent au grain
Et toi qui vivais comme un boeuf
Ce sont tes maîtres que l'on plaint

A six pieds sous terre


Ton bicentenaire
Ils l'ont enterré bel et bien
Pauvre Martin pauvre misère
C'est toujours le peuple qu'on craint
Pauvre Martin pauvre misère
C'est toujours le peuple qu'on craint

Jean Ferrat
C'EST BEAU LA VIE
Paroles: Claude Delecluse, Michelle Senlis, musique: Jean Ferrat

Le vent dans tes cheveux blonds


Le soleil à l'horizon
Quelques mots d'une chanson
Que c'est beau, c'est beau la vie
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paroles ferrat
Un oiseau qui fait la roue
Sur un arbre déjà roux
Et son cri par-dessus tout
Que c'est beau, c'est beau la vie
Tout ce qui tremble et palpite
Tout ce qui lutte et se bat
Tout ce que j'ai cru trop vite
À jamais perdu pour moi
Pouvoir encore regarder
Pouvoir encore écouter
Et surtout pouvoir chanter
Que c'est beau, c'est beau la vie
Le jazz ouvert dans la nuit
Sa trompette qui nous suit
Dans une rue de Paris
Que c'est beau, c'est beau la vie
La rouge fleur éclatée
D'un néon qui fait trembler
Nos deux ombres étonnées
Que c'est beau, c'est beau la vie
Tout ce que j'ai failli perdre
Tout ce qui m'est redonné
Aujourd'hui me monte aux lèvres
En cette fin de journée

Pouvoir encore partager


Ma jeunesse, mes idées
Avec l'amour retrouvé
Que c'est beau, c'est beau la vie

Pouvoir encore te parler


Pouvoir encore t'embrasser
Te le dire et le chanter
Oui c'est beau, c'est beau la vie

Jean Ferrat
C'EST SI PEU DIRE QUE JE T'AIME
Poème d'Aragon, musique: Jean Ferrat

Comme une étoffe déchirée


On vit ensemble séparés
Dans mes bras je te tiens absente
Et la blessure de durer
Faut-il si profond qu'on la sente
Quand le ciel nous est mesure

C'est si peu dire que je t'aime

Cette existence est un adieu


Et tous les deux nous n'avons d'yeux
Que pour la lumière qui baisse
Chausser des bottes de sept lieues
En se disant que rien ne presse
Voilà ce que c'est qu'être vieux

C'est si peu dire que je t'aime


C'est comme si jamais jamais
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paroles ferrat
Je n'avais dit que je t'aimais
Si je craignais que me surprenne
La nuit sur ma gorge qui met
Ses doigts gantés de souveraine
Quand plus jamais ce n'est le mai
C'est si peu dire que je t'aime

Lorsque les choses plus ne sont


Qu'un souvenir de leur frisson
Un écho des musiques mortes
Demeure la douleur du son
Qui plus s'éteint plus devient forte
C'est peu des mots pour la chanson

C'est si peu dire que je t'aime


Et je n'aurai dit que je t'aime

Jean Ferrat
C'EST TOUJOURS LA PREMIÈRE FOIS
Paroles et musique: Jean Ferrat

Enfin enfin je te retrouve


Toi qui n'avais jamais été
Qu'absente comme jeune louve
Ou l'eau dormante au fond des douves
S'échappant au soleil d'été

Tu peux m'ouvrir cent fois les bras


C'est toujours la première fois

Absente comme souveraine


Qu'on voit entre deux haies passer
O toi si proche et si lointaine
Dès que l'amour file sa laine
Entre nos doigts désaccordés
Tu peux m'ouvrir cent fois les bras
C'est toujours la première fois

La faim de toi qui me dévore


Me fait plier genoux et bras
Je n'aurais pas assez d'amphore
Ni de mots encore et encore
Pour y mettre son terme bas

Tu peux m'ouvrir cent fois les bras


C'est toujours la première fois

La soif de toi par quoi je tremble


Ma lèvre à jamais desséchée
Mon amour qu'est-ce qu'il t'en semble
Est-ce de vivre ou non ensemble
Qui pourra m'en désaltérer
Tu peux m'ouvrir cent fois les bras
C'est toujours la première fois
L'amour de toi par quoi j'existe
N'a pas d'autre réalité
Je ne suis qu'un nom de ta liste
Un pas que le vent sur la piste
Efface avant d'avoir été

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paroles ferrat
Tu peux m'ouvrir cent fois les bras
C'est toujours la première fois

Jean Ferrat
CAMARADE
Paroles et musique: Jean Ferrat, 1968

C'est un joli nom, camarade


C'est un joli nom, tu sais
Qui marie cerise et grenade
Aux cent fleurs du mois de mai
Pendant des années, camarade
Pendant des années, tu sais
Avec ton seul nom comme aubade
Les lèvres s'épanouissaient
Camarade, camarade
C'est un nom terrible, camarade
C'est un nom terrible à dire
Quand, le temps d'une mascarade,
Il ne fait plus que frémir
Que venez-vous faire, camarade
Que venez-vous faire ici
Ce fut à cinq heures dans Prague
Que le mois d'août s'obscurcit
Camarade, camarade
C'est un joli nom, camarade
C'est un joli nom, tu sais
Dans mon coeur battant la chamade
Pour qu'il revive à jamais
Se marient cerise et grenade
Aux cent fleurs du mois de mai

Jean Ferrat
CARCO
Poème d'Aragon

Dis qu'as-tu fait des jours enfuis


De ta jeunesse et de toi-même
De tes mains pleines de poèmes
Qui tremblaient au bout de ta nuit
Il avait toujours dans la tête
Le manège d'anciens tourments
De la fenêtre par moment
Parvenaient des bouffées de fête

Où sont les lumières lointaines


Voici fermés les yeux éteints
Ce chant des lilas au matin
De Montmartre à Mortefontaine
Dis qu'as-tu fait des jours enfuis
De ta jeunesse et de toi-même
De tes mains pleines de poèmes
Qui tremblaient au bout de ta nuit
Tu meurs sans avoir vu le drame
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paroles ferrat
Carco qui ne sus que chanter
Te souviens-tu de cet été
De Nice où nous nous rencontrâmes
On faisait semblant d'être heureux
Le ciel ressemblait à la mer
Même l'aurore était amère
C'était en l'an quarante-deux

Dis qu'as-tu fait des jours enfuis


De ta jeunesse et de toi-même
De tes mains pleines de poèmes
Qui tremblaient au bout de ta nuit

Excuse-moi que je le dise


Dans ce Paris où tu n'es plus
Comme Guillaume l'a voulu
Qu'un nom qui se mélancolise
Que l'avenir du moins n'oublie
Ce qui fut le charme de l'air
Le bonheur d'être et le vin clair
La Seine douce dans son lit

Dis qu'as-tu fait des jours enfuis


De ta jeunesse et de toi-même
De tes mains pleines de poèmes
Qui tremblaient au bout de ta nuit

Ce coeur que l'homme avec lui porte


Ne change pas avec le vent
Nous mettrons demain comme avant
Des coquelicots à nos portes

Les mots que nous avons cueillis


Les voici pour celui qui meurt
Passent les gens et tu demeures
O poète de mon pays

Dis qu'as-tu fait des jours enfuis


De ta jeunesse et de toi-même
De tes mains pleines de poèmes
Qui tremblaient au bout de ta nuit

Jean Ferrat
CASERNE
Paroles: Guy Thomas

Blanchis les troncs des marronniers


Tous au carré bien alignés
Rouges les toits rouges les briques
Bleu le ciment patriotique
Et pas une herbe dans la cour
Pour nous passer le mal d'amour
Ici tout est réglementaire
Pas un caillou n'est de travers
Murs en béton chevaux de frise
Y'a que les barbelés qui frisent
En rang par trois pas cadencé
Sous l'oeil attendri des bouchers
On maquignonne il faudrait voir
Pour les augustes abattoirs
Ici le monde est chamboulé
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paroles ferrat
Les assassins sont galonnés
Partout la crasse et la bêtise
Ces deux vertus de l'entreprise
Partout la raison du plus fort
Sous le badigeon tricolore
Je reste à toi ma solitude
Dans le troupeau des habitudes
Et jusque dans le désarroi
Quand le poète est aux abois
Pour tous les moutons qui consentent
Je suis la rage impénitente
Seul au milieu de la débine
C'est à moi seul que je jaspine
Holà de la philanthropille
Y'a des consciences qui roupillent

Blanchis les troncs des marronniers


Tous au carré bien alignés
Rouges les toits rouges les briques
Bleu le ciment patriotique
Et pas une herbe dans la cour
Pour nous passer le mal d'amour...

Jean Ferrat
CE QU'ON EST BIEN MON AMOUR

Deux branches de tilleul entrent par la fenêtre


Le ciel cligne des yeux entre les feuilles vertes
Ce qu'on est bien

Quatre papillons blancs dansent la passacaille


Un lézard se hasarde au-delà des rocailles
Ce qu'on est bien

Dans ce pays de vent, de genêts, de bruyères


Dans ce pays brûlant de tendresse et colère
Ce qu'on est bien
Seul le bruit du torrent déchire le silence
Et tu dis mon amour, nous avons trop de chance
Dans un rai de soleil la fumée qui pirouette
Au bout de tes longs doigts meurt une cigarette
Ce qu'on est bien

Et moi le saltimbanque, et moi qui fais des signes


A tes bras, à ta bouche, à tes jambes, ma vigne
Ce qu'on est bien
Dans ce pays si riche, dans ce pays si pauvre
Qu'on apprend chaque jour à devenir plus nôtre
Ce qu'on est bien

Arbre parmi les arbres de la forêt qui vibre


Et tu dis mon amour, nous sommes seuls et libres

Jean Ferrat
CHAGALL
Poème d'Aragon
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paroles ferrat

Tous les animaux et les candélabres


Le violon-coq et le bouc-bouquet
Sont du mariage
L'ange à la fenêtre où sèche le linge
Derrière la vitre installe un pays
Dans le paysage
Mon peintre amer odeur d'amandes

Les danseurs ont bu le grand soleil rouge


Qui se fera lune avant bien longtemps
Sur les marécages
Et le cheval-chèvre assis dans la neige
Aimerait parler avec les poissons
Qui sont trop sauvages

Mon peintre amer odeur d'amandes


Le peintre est assis quelque part dans l'ombre
A quoi rêve-t-il sinon des amants
Sur leur beau nuage
Au-dessus des toits à l'horizontale
Dans leurs habits neufs avant d'être nus
Comme leurs visages

Mon peintre amer odeur d'amandes


Marchez sur les mains perdez votre tête
Le ciel est un cirque où tout est jonglé
Et le vent voyage

Tous les animaux et les candélabres


Le violon-coq et le bouc-bouquet
Sont du mariage

Mon peintre amer odeur d'amandes

Jean Ferrat
CHAMBRES D'UN MOMENT
Poème d'Aragon

Sur de blancs canots


Suivant les canaux
Ombreux et tranquilles
Les touristes font
Les chemins profonds
Qui baguent la ville

Les bars qu'on entend


Les cafés-chantants
Les marins y régnent
Et la rue a des
Sourires fardés
Ses enseignes saignent

Chambres d'un moment


Qu'importe comment
On se déshabille
Tout est comédie
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paroles ferrat
Hormis ce qu'on dit
Dans les bras des filles

Traîne sur les quais


L'enfance manquée
Des gamins étranges
Qui parlent entre eux
Qui sait de quel jeu
Peu fait pour les anges
Et dans ce quartier
Où le monde entier
Cherche l'aventure
Celui qu'on y joue
Montre ses bijoux
A la devanture

Chambres d'un moment


Qu'importe comment
On se déshabille
Tout est comédie
Hormis ce qu'on dit
Dans les bras des filles

Femmes-diamant
Qui patiemment
Attendent preneur
Pour la somme due
Qui débitent du
Rapide bonheur

Beaux monstres assis


Tout le jour ainsi
Près de leur fenêtre
Vivre ici les voue
Aux faux rendez-vous
D'où rien ne peut naître

Chambres d'un moment


Qu'importe comment
On se déshabille
Tout est comédie
Hormis ce qu'on dit
Dans les bras des filles

La main le rideau
Le petit cadeau
Mets-toi là qu'on s'aime
Leurs habits ôtés
Ce que les beautés
Au fond sont les mêmes
Souvenirs brisés
Baisers ô baisers
Amours sans amour
Une fois de plus
A Honolulu
Comme à Singapour

Chambres d'un moment


Qu'importe comment
On se déshabille
Tout est comédie
Hormis ce qu'on dit
Dans les bras des filles

Les matelas crient


La même tuerie
A d'autres oreilles
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paroles ferrat
Et les matelots
Ont même sanglot
A moment pareil
Tous les hommes sont
La même chanson
Quand c'est à voix basse
Et leur coeur secret
Bat tant qu'on dirait
Qu'il manque de place
Chambres d'un moment
Qu'importe comment
On se déshabille
Tout est comédie
Hormis ce qu'on dit
Dans les bras des filles

Jean Ferrat
CHANSON POUR TOI
Paroles: Michelle Senlis, musique: Jean Ferrat

Quand l'aube se prend pour Matisse


Quand les papillons se déplissent
Comme la fleur de grenadier
Quand le premier soleil fragile
Frappe aux volets clos de la ville
Un à un pour les réveiller
Quand le premier cheval qui trotte
A de la fumée sous les bottes
De la terre sous les souliers
J'ouvre les yeux et je te vois
J'ouvre les yeux et je te crois
J'ouvre les yeux et c'est pour toi
Que je veux vivre mon amour
Quand midi se prend pour Cézanne
Qu'il met du vent dans les platanes
Et du bleu dans les oliviers
Quand tous les troupeaux s'effarouchent
Que la chaleur les prend les couche
A l'ombre maigre d'un figuier
Quand toutes les rues sont désertes
Que nul n'offre une place verte
Un refuge une ombre un sentier
J'ouvre les yeux et je te vois
J'ouvre les yeux et je te crois
J'ouvre les yeux et c'est pour toi
Que je veux vivre mon amour

Quand le soir bleuit ses falaises


Comme une estampe japonaise
Comme un Renoir comme un Manet
Quand le soleil ivre chavire
Dans l'océan et qu'il s'étire
Comme un éventail déplié
Lorsque tout se métamorphose
Et que seul le parfum des roses
Continue de s'exaspérer
J'ouvre les yeux et je te vois
J'ouvre les yeux je tends les bras
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paroles ferrat
J'ouvre les yeux et c'est pour toi
Que je veux vivre mon amour
Mon amour

Jean Ferrat
CHANTE L'AMOUR
Paroles et musique: Jean Ferrat

Enfin le calme le silence


La nuit se glisse à mes genoux
Est-ce la chouette ou le hibou
Ce cri tendu de fer de lance
Plus rien ne se métamorphose
Ma vie se fige tout à coup
On dirait lorsque je compose
Que je joue mon dernier atout
Chante chante chante
Chante chante chante
Chante chante
Chante l'amour à haute voix
Un papillon cogne à la vitre
Avec une ardeur obstinée
Une lumière sous le nez
Et nous voilà faisant le pitre
A chacun sa lampe sa source
A chacun son maître à danser
Emmène-moi sur ta Grande Ourse
Ô mon amour dont je suis né

Chante chante chante


Chante chante chante
Chante chante
Chante l'amour à haute voix

Au loin les lumières s'allument


Ce papier qui me tend les bras
Chaque fois que je prends la plume
Je tremble de peur et de froid
Je vais j'hésite et je recule
Qui veut se délivrer de moi
Quel est donc ce feu qui me brûle
Qui sonne l'heure à ce beffroi

Chante chante chante


Chante chante chante
Chante chante
Chante l'amour à haute voix

Le temps s'égrène sous a treille


Le crayon me glisse des doigts
Quand ta robe en passant m'éveille
L'amour est comme de la soie
Enfants jouez à la marelle
Dehors la pluie claque des doigts
Tes lèvres passent en bruit d'ailes
Je n'ai jamais aimé que toi
Chante chante chante
Chante chante chante
Chante chante
Chante l'amour à haute voix

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paroles ferrat

Jean Ferrat
CHANTER

Ils m'addressent leurs chansonnettes


Avec au coeur un fol espoir
Comme si j'avais le pouvoir
De faire d'eux une vedette
De notre métier à facettes
On ne leur montre évidemment
Que le bon côté des paillettes
Sous les projecteurs éclatants

On se couche quand ils se lèvent


Le monde est beau et souriant
Et notre vie n'est plus qu'un rêve
Dans leurs têtes d'adolescents
L'argent l'amour les grands voyages
La gloire acquise à bon marché
Toute la panoplie d'usage
Que dément la réalité
Chanter
Ce n'est pas ce qu'on vous proclame
Chanter
Il faut s'y jeter à tue-tête
A bras le coeur à fendre l'âme
Avec un seul point au programme
Celui de n'être sûr de rien
Celui de n'être sûr de rien

Avoir une santé de fer


De la chance avec le talent
Et cette faculté de faire
Un sourire en serrant les dents
En écoutant claquer les portes
Sur votre nez à deux battants
Penser le diable les emporte
Croire en hiver à son printemps
Pour une vedette miracle
J'en ai tant vu depuis dix ans
Depuis vingt ans encore qui raclent
Leur guitare dans les beuglants
Leur vie passe par des lueurs
D'espoir et de reconcement
On les voit marcher lentement
Un ver qui leur ronge le coeur
Chanter
Ce n'est pas ce qu'on vous proclame
Chanter
Il faut s'y jeter à tue-tête
A bras le coeur à fendre l'âme
Avec un seul point au programme
Celui de n'être sûr de rien
Celui de n'être sûr de rien

Mais si ces propos vous irritent


Dans leur sombre réalité
Vous allez les jeter bien vite
Et n'en faire qu'à votre idée
Si vous sentez du fond de l'âme
Et du ventre jusqu'à vos mains
Brûler cette petite flamme
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paroles ferrat
Contre laquelle on ne peut rien

Dans l'allégresse ou la démence


Vous partirez un beau matin
En suivant le chemin d'errance
Des saltimbanques musiciens
Que vous soit belle la bohême
Que soit clément votre destin
Il faut vivre ce que l'on aime
En payant le prix qui convient
Chanter
Ce n'est pas ce qu'on vous proclame
Chanter
Il faut s'y jeter à tue-tête
A bras le coeur à fendre l'âme
Avec un seul point au programme
Celui de n'être sûr de rien
Celui de n'être sûr de rien

Jean Ferrat
COMPLAINTE DE PABLO NERUDA
Poème d'Aragon

Je vais dire la légende


De celui qui s'est enfui
Et fait les oiseaux des Andes
Se taire au coeur de la nuit

Le ciel était de velours


Incompréhensiblement
Le soir tombe et les beaux jours
Meurent on ne sait comment

Comment croire comment croire


Au pas pesant des soldats
Quand j'entends la chanson noire
De Don Pablo Neruda
Lorsque la musique est belle
Tous les hommes sont égaux
Et l'injustice rebelle
Paris ou Santiago

Nous parlons même langage


Et le même chant nous lie
Une cage est une cage
En France comme au Chili

Comment croire comment croire


Au pas pesant des soldats
Quand j'entends la chanson noire
De Don Pablo Neruda

Sous le fouet de la famine


Terre terre des volcans
Le gendarme te domine
Mon vieux pays araucan
Pays double où peuvent vivre
Des lièvres et des pumas
Triste et beau comme le cuivre
Au désert d'Atacama

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paroles ferrat
Comment croire comment croire
Au pas pesant des soldats
Quand j'entends la chanson noire
De Don Pablo Neruda

Avec tes forêts de hêtres


Tes myrtes méridionaux
Ô mon pays de salpêtre
D'arsenic et de guano
Mon pays contradictoire
Jamais libre ni conquis
Verras-tu sur ton histoire
Planer l'aigle des Yankees

Comment croire comment croire


Au pas pesant des soldats
Quand j'entends la chanson noire
De Don Pablo Neruda

Absent et présent ensemble


Invisible mais trahi
Neruda que tu ressembles
À ton malheureux pays
Ta résidence est la terre
Et le ciel en même temps
Silencieux solitaire
Et dans la foule chantant

Comment croire comment croire


Au pas pesant des soldats
Quand j'entends la chanson noire
De Don Pablo Neruda

Jean Ferrat
COMPRENDRE

Je t'apprendrai l'eau, la lumière


L'arbre, la source, le torrent
Le secret des vignes et des pierres
Le bruit du vent
Toi tu m'apprendras la panthère
Le chat, le renard et l'oiseau
Le cri blessé du solitaire
Loin du troupeau
Nous apprendrons à voir les choses
Et leur pourquoi et leur comment
J'aurai l'innocence des roses
Toi des enfants

Comprendre la fleur et le fruit


Comprendre le monde aujourd'hui
Tu m'apprendras tes yeux de fleurs
Tes bras colliers, tes hanches flammes
Ton rêve abeille et crève-coeur
Ton rire femme

Je serai l'ombre qui te suit


Cette part toujours en nous-mêmes
Qui se dérobe à l'autre et fuit
Ce que l'on aime
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paroles ferrat
Nous apprendrons à nous connaître
En jetant bas les interdits
Je serai la fenêtre ouverte
Et toi la nuit
Comprendre la fleur et le fruit
Comprendre ce qui nous unit

Nous conjuguerons l'avenir


A chaque instant présent dans toi
En partageant le vin, le rire
Avec ceux-là

Qui vivent plus haut que leurs songes


Qui haïssent la solitude
Qui chassent l'ombre et le mensonge
Des habitudes
Nous apprendrons à voir le monde
Avec ces hommes d'aujourd'hui
Dont les rêves aux nôtres se fondent
A l'infini

Comprendre la fleur et le fruit


Comprendre l'homme d'aujourd'hui

Jean Ferrat
COMPTINE POUR CLÉMENTINE
Paroles: Guy Thomas

Qui frappe à coups redoublés


A ta porte verrouillée
Sans s'occuper des voisins
Qu'aiment pas le tambourin
C'est le méchant loup ma mie
C'est le méchant loup
C'est le méchant loup ma mie
C'est le méchant loup

La clé fait deux petits tours


Entrez monsieur mon amour
Entrez mon printemps joli
Mon oiseau de paradis
Voilà le muguet ma mie
Voilà le muguet
Voilà le muguet ma mie
Voilà le muguet

Pour ta si cruelle absence


Faudra faire pénitence
Un pater c'est bien le moins
Et trois ave sur mon sein
A ta volonté ma mie
A ta volonté
A ta volonté ma mie
A ta volonté
Dieu nous donne le charbon
Au diable tous tes jupons
Accroche au clou tes dentelles
Et cisaille tes ficelles
Tirons le rideau ma mie
Tirons le rideau
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Tirons le rideau ma mie
Tirons le rideau

Oublions les hypocrites


Les fabricants d'eau bénite
Voilà le premier baiser
Que tu dois apprivoiser
Comme un papillon ma mie
Comme un papillon
Comme un papillon ma mie
Comme un papillon

Il n'y a pas de morale


Dans ma chanson de cigale
Il n'y a c'est instinctif
Qu'un petit cri subversif
Merde à la fourmi ma mie
Merde à la fourmi
Merde à la fourmi ma mie
Merde à la fourmi

Jean Ferrat
CONCESSIONS
Paroles: Guy Thomas

Avant que je vous fréquente


Je vivais dans un taudis
Une espèce de soupente
Où j'entassais mon fourbi
Je veux bien ma chère Estelle
Résider dans vos maisons
Vivre dans vos grands hôtels
Ou vos manoirs à la con

Mais pas dans un' forteresse


Pour décrocher tes caresses
Avant que je sois sinoque
Affolé par vos appâts
Je vous aurais dit ton vioc
Au lieu de votre papa
Je veux bien pour vous complaire
Apprendre votre jargon
Dire Monsieur votre Père
Est bête au lieu d'un peu con

Mais je dirai pas mes hommages


En dégrafant ton corsage

Avant que je m'amourache


De votre petit chignon
Je vivais comme un apache
Je bouffais comme un cochon
Je veux bien bergeronnette
Vous faire une concession
Me servir dans une assiette
Sur une nappe à la con
Mais je prendrai pas des pincettes
Pour enlever ta jupette

Avant que je me dévoue


Aux travaux de Cupidon
Je menais je vous l'avoue
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Une vie de patachon
Je veux bien mon églantine
Changer mes fréquentations
Mais j'userai pas mes bottines
Dans tes cocktails à la con
Je mettrai pas de jaquette
Pour soulever ta liquette

Avant que je vous connaisse


Je chopinais du rouquin
Vous buviez du vin de messe
Ou du Vichy Celestins
Je veux bien ma chère amie
Sacrifier quelques canons
Mais je veux pas d'eau rougie
Ni de tisane à la con

Je ne boirai pas de la flotte


Pour enlever ta culotte

Jean Ferrat
CUBA SI
Paroles: Henri Gougaud

La nuit quand je m'en vais à rêves découverts


Quand j'ouvre mon écluse à toutes les dérives
Cuba, dans un remous de crocodiles verts
Cuba, c'est chez toi que j'arrive

Je rencontre un vieux nègre aux yeux de bois brûlant


Assis devant la mer, grain de café torride
Le front dans le soleil il me montre en riant
Là-bas, les côtes de Floride

Cuba, Cuba, Cuba sí


Cuba, Cuba sí
Cuba, Cuba, Cuba sí
Cuba, Cuba... sí

Il dit j'ai vu Harlem, il dit j'ai vu New York


Et noir, j'avais si peur devant les "Chien, sale nègre!"
Que j'aurais préféré la peau rose d'un porc
Collée sur ma poitrine nègre
Et maintenant Cuba, pauvre comme Cuba
Je suis libre, et ma femme a la couleur du sable
S'il n'y a rien à manger, on danse la conga
Mais les chiens restent sous la table
Cuba, Cuba, Cuba sí
Cuba, Cuba sí
Cuba, Cuba, Cuba sí
Cuba, Cuba... sí
Adieu Cuba, adieu mon rêve à la peau brune
Mes éperons d'argent sonnent sur tes galets
Et mon cheval rêvé qui renifle la lune
Piétine déjà l'eau salée

Que je devienne un jour un vieux singe ridé


Que le ciel de Cuba se brise comme verre
Je sais que l'on peut vivre ici pour une idée
Mais ceci est une autre affaire
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paroles ferrat
Cuba, Cuba, Cuba sí
Cuba, Cuba sí
Cuba, Cuba, Cuba sí
Cuba, Cuba... sí

Jean Ferrat
D'OÙ QUE VIENNE L'ACCORDÉON
Paroles: Claude Delecluse

D'où que vienne l'accordéon


D'Amsterdam ou de la Baltique
Il connaît toutes les musiques
Il connaît toutes les chansons
Il a l'âme sentimentale
Mais le coeur international
L'accordéon des vieux faubourgs
Qui joue la peine et puis l'amour
Il a chanté à Varsovie
En Ukraine et en Roumanie
Il a bercé la vieille Europe
Devant un verre ou une chope
Il dit encore il dit quand même
Que le sang qui bat dans nos veines
Que le sang qui bat dans nos coeurs
A partout la même couleur
D'où que vienne l'accordéon
D'Amsterdam ou de la Baltique
Il connaît toutes les musiques
Il connaît toutes les chansons
Lui qui sait combien de drapeaux
Se sont couchés à Waterloo
Et que la chanson des soldats
Finit souvent la tête en bas
Il sait tout ça et plus encore
Et c'est pour ça qu'il crie si fort
Que rien n'est plus beau que l'amour
Et qu'il faudra bien un beau jour
Que tous les gens de la planète
Qu'ils soient de Chine ou de perpette
Reprennent en choeur la chanson
Que chantent les accordéons
D'où que vienne l'accordéon
D'Amsterdam ou de la Baltique
Il connaît toutes les musiques
Il connaît toutes les chansons

Jean Ferrat
DANS LA JUNGLE OU DANS LE ZOO
Paroles et musique: Jean Ferrat

Ainsi donc ainsi donc


Il n'y aurait plus rien à faire
Qu'à mettre la clé sous la porte
De ce château sombre et désert
Où gisent nos illusions mortes
Ainsi donc ainsi donc
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paroles ferrat
Vite fait serait l'inventaire
De ces chambres abandonnées
Aux lits recouverts de poussière
Aux parquets noirs de sang séché
Et sur les carreaux des fenêtres
On pourrait écrire à la craie:
"Tout demain devra disparaître
Des choses que l'on a cru vraies"
Et dans ce monde à la dérive
Pareils aux autres animaux
Nous n'aurions d'autre choix pour vivre
Que dans la jungle ou dans le zoo
Nous n'aurions d'autre choix pour vivre
Que dans la jungle ou dans le zoo

Ainsi donc ainsi donc


Il n'y aurait plus rien à voir
Circulez mais circulez donc
Ainsi finirait notre histoire
Sous le poids des malédictions
Ainsi donc ainsi donc
Faudrait faire amende honorable
Raser les murs courber le dos
Se résigner au pitoyable
Errer de goulags en ghettos
Tout ne serait que simulacre
Toute espérance sans lendemain
Rien ne servirait de se battre
Pour un monde à visage humain
Il faudrait brûler tous les livres
Redevenir des animaux
Sans avoir d'autre choix pour vivre
Que dans la jungle ou dans le zoo
Sans avoir d'autre choix pour vivre
Que dans la jungle ou dans le zoo

Ainsi donc ainsi donc


Contre la faim contre la haine
Contre le froid la cruauté
De la longue quête incertaine
Pour affirmer sa dignité
Ainsi donc ainsi donc
Il nous faudrait tout renier
De la bataille surhumaine
Que depuis l'âge des cavernes
L'homme à lui-même s'est livré
Ne tirez pas sur le pianiste
Qui joue d'un seul doigt de la main
Vous avez déchiffré trop vite
"La musique de l'être humain"
Et dans ce monde à la dérive
Son chant demeure et dit tout haut
Qu'il y a d'autres choix pour vivre
Que dans la jungle ou dans le zoo
Qu'il y aura d'autres choix pour vivre
Que dans la jungle ou dans le zoo
Que dans la jungle ou dans le zoo
Que dans la jungle ou dans le zoo

Jean Ferrat
DANS LE SILENCE DE LA VILLE
Poème d'Aragon

La la la...

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paroles ferrat
Derrière les murs dans la rue
Que se passe-t-il quel vacarme
Quels travaux quels cris quelles larmes
Ou rien la vie un linge écru

Sèche au jardin sur une corde


C'est le soir cela sent le thym
Un bruit de charrette s'éteint
Une guitare au loin s'accorde
La la la...

Il fait jour longtemps dans la nuit


Un zeste de lune un nuage
Que l'arbre salue au passage
Et le coeur n'entend plus que lui

Ne bouge pas c'est si fragile


Si précaire si hasardeux
Cet instant d'ombre pour nous deux
Dans le silence de la ville
La la la...

Jean Ferrat
DE NOGENT JUSQU'À LA MER
Paroles: Albert Gardy

Y'a de la brume dans tes yeux gris


De Nogent jusqu'à Paris
Lentement va mon chaland
De Paris jusqu'à Rouen
Y'a du rêve dans tes yeux verts
De Rouen jusqu'à la mer
La mer où les grands bateaux
Peuvent s'en aller
Du Havre vers le monde entier

Tu t'éveilles et tu souris
De Nogent jusqu'à Paris
Je t'enlace doucement
De Paris jusqu'à Rouen
C'est l'amour qui nous est offert
De Rouen jusqu'à la mer
La mer où les amoureux
Peuvent s'embarquer
Du Havre vers le monde entier
Y'a de l'ennui dans tes yeux gris
De Nogent jusqu'à Paris
Et plus rien n'est comme avant
De Paris jusqu'à Rouen
On s'est dit tant de mots amers
De Rouen jusqu'à la mer
La mer où tant d'inconnus
Peuvent t'emmener
Du Havre vers le monde entier
Dans la brume y'a tes yeux gris
Qui s'estompent doucement
Et je rentre tristement
De la mer jusqu'à Nogent

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paroles ferrat

Jean Ferrat
DEUX ENFANTS AU SOLEIL

La mer sans arrêt roulait ses galères


Les cheveux défaits, ils se regardaient
Dans l'odeur des pins, du sable et du thym
Qui baignaient la plage
Ils se regardaient tous deux sans parler
Comme s'ils buvaient l'eau de leur visage
Et c'était comme si tout recommençait
La même innocence les faisait trembler
Devant le merveilleux, le miraculeux voyage de l'Amour
Dehors, ils ont passé la nuit
L'un contre l'autre ils ont dormi
La mer longtemps les a bercés
Et quand ils se sont éveillés
C'était comme s'ils venaient au monde
Dans le premier matin du monde
La mer sans arrêt roulait ses galères
Quand ils ont couru dans l'eau les pieds nus
À l'ombre des pins se sont pris la main
Et sans se défendre sont tombés dans l'eau
Comme deux oiseaux
Sous le baiser chaud de leurs bouches tendres
Et c'était comme si tout recommençait

La Vie, l'Espérance et la Liberté


Avec le merveilleux, le miraculeux voyage de l'Amour.

Jean Ferrat
DEVINE
Poème d'Aragon

Un grand champ de lin bleu parmi les raisins noirs


Lorsque vers moi le vent l'incline frémissant
Un grand champ de lin bleu qui fait au ciel miroir
Et c'est moi qui frémis jusqu'au fond de mon sang
Devine
Un grand champ de lin bleu dans le jour revenu
Longtemps y traîne encore une brume des songes
Et j'ai peur d'y lever des oiseaux inconnus
Dont au loin l'ombre ailée obscurément s'allonge

Devine

Un grand champ de lin bleu de la couleur des larmes


Ouvert sur un pays que seul l'amour connaît
Où tout a des parfums le pouvoir et le charme
Comme si des baisers toujours s'y promenaient
Devine

Un grand champ de lin bleu dont c'est l'étonnement


Toujours à découvrir une eau pure et profonde
De son manteau couvrant miraculeusement
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paroles ferrat
Est-ce un lac ou la mer les épaules du monde

Devine
Un grand champ de lin bleu qui parle rit et pleure
Je m'y plonge et m'y perds dis-moi devines-tu
Quelle semaille y fit la joie et la douleur
Et pourquoi de l'aimer vous enivre et vous tue

Devine

Jean Ferrat
DINGUE
Paroles et musique: Jean Ferrat

Pour faire ma pube


Descends ton slip
Je te ferai un tube
Avec mon clip
Image de fesse
A bout portant
Il pleut à verse
Sur mon écran
Ouvre les cuisses
Que je te mate
Mon audimat
Est au beau fixe
Les idées-chocs
Le poids du fric
Je baisse mon froc
Sur cette éthique
La vie débloque à tout berzingue
Dans mon époque je deviens dingue

Au faire savoir
Succède le voir
A défaut d'être
Il faut paraître
J'ai la moutarde
Qui me monte au nez
Passe la rhubarbe
Voila le séné
A toi l'Oscar
A moi le Sept d'or
A toi le César
A nous le veau d'or
Tu seras au Hit
Je serai au Top
Je te félicite
Bravo mon pote

La vie débloque à tout berzingue


Dans mon époque je deviens dingue
Faut des gagneurs
Faut des perdants
Mort aux losers
Place aux battants
Vole une pomme
Et tu es cuit
Descends un homme
T'as du sursis
Un flic tabasse
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paroles ferrat
Un jeune en loques
Ça laisse pas de traces
Justice en toc
Un flic qui casse
Comme un canaque
Putain de ta race
Un beur qui claque

La vie débloque à tout berzingue


Dans mon époque je deviens dingue
La France qui gagne
Les petits boulots
Les années bagne
Métro dodo
La France qui trinque
Dans les banlieues
Passe-moi la seringue
A être heureux
Si t'as des fois
Mal aux magouilles
L'état de droit
Qui part en couilles
Si ça te ronge
Aux entournures
Prends donc l'éponge
Aux fausses factures
La vie débloque à tout berzingue
Dans mon époque je deviens dingue

T'as pas 100 balles


Pour le cancer
T'as pas 100 balles
Pour le sida
T'as pas 100 balles
Pour la misère
T'as pas 100 balles
Pendant ce temps-là
500 milliards
Partent en fumée
500 milliards
Partent en fusées
500 milliards
Aux militaires
500 milliards
Foutus en l'air

La vie débloque à tout berzingue


Dans mon époque je deviens dingue

Maman bobo
J'ai mal au coeur
Papa Rambo
Fait un malheur
Avec sa guerre
En vidéo
Qui rassérène
Le populo
Avec ses bombes
Aseptisées
Ses hécatombes
Banalisées
Il fait la retape
Au consensus
Sa force de frappe
Je l'ai dans l'anus
La vie débloque à tout berzingue
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paroles ferrat
Dans mon époque je deviens dingue

Jean Ferrat
EH L'AMOUR

Eh l'amour tes gigolos ont su trouver le filon


Qu'ils fassent la rue ou qu'ils fassent des chansons
Depuis le temps qu'ils s'occupent de croquer tes millions
Eh l'amour t'as mauvaise mine tu sais dans tes romans
Et dans ces films où tu parais tout le temps
Entre une voiture de sport et deux téléphones blancs
Eh l'amour si tu veux bien ce soir
Oublie donc tes trottoirs
Tes pin-ups tes dollars
Eh l'amour et reviens-moi tout nu sur tes ergots
Comme je t'ai connu quand on était jeunot
Et qu'on n'avait rien sur le dos

Eh l'amour oui te voilà t'es bien toujours pareil


T'as pas changé t'es comme cendre et soleil
Tout gris quand tu t'endors et bleu à ton réveil
Eh l'amour comme un grand frère viens t'asseoir à mes genoux
Tu sais très bien que je ne serai pas jaloux
De tes bonheurs d'un jour de tes mômes à deux sous
Eh l'amour quand tu défais leur lit
Si tu vois le paradis
Tu pourrais me faire des prix
Eh l'amour avant de courir vers d'autres rendez-vous
Mets tes dentelles et rejoue moi frou frou
Attention au voisin d'en dessous
Eh l'amour pardonne-nous tous nos accordéons
Pardonne-nous ces vers de mirliton
Qu'on chante à ton baptême ou pour ton oraison
Eh l'amour depuis le temps que tu rimes avec toujours
Si ça t'ennuie d'écouter nos discours
On pourrait tous les deux s'en aller faire un tour
Eh l'amour tu sais bien qu'avec moi
Tu feras ce que tu voudras
Qu'importe où l'on ira
Eh l'amour déploie tes ailes comme un vrai chérubin
On arrivera sans doute un beau matin
Au septième ciel et même un peu plus loin

Jean Ferrat
ELLE
Poème d'Aragon

Elle seule elle a le ciel


Que vous ne pouvez lui prendre
Elle seule elle a mon coeur
Qu'on l'ose arracher ou fendre
Elle seule atteint les songes
Qui mettent mes nuits en cendres
Elle seule échappe aux flammes
Comme fait la salamandre
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paroles ferrat
Elle seule ouvre mon âme
A ce qui ne peut s'entendre

Elle seule et qui sait d'où


Vient l'oiseau vers le temps doux
Elle seule qu'elle parle
C'est comme faire un voyage
Elle seule et son silence
A la beauté des ombrages
Elle seule et tout l'amour
Me sont un même visage
Elle seule et les merveilles
S'étonnent de son passage
Elle seule et le soleil
A peine y peut faire image

Elle seule et qui sait d'où


Vient l'oiseau vers le temps doux

Elle seule et tout le reste


S'en aille au diable vauvert
Elle seule et j'ai pour elle
Seule ainsi vécu souffert
Elle seule ô ma romance
Mon sang mes veines mes vers
Elle seule et qu'elle sorte
Je demeure dans l'enfer
Elle seule et que m'importent
Cette vie et l'univers

Elle seule et je sais d'où


L'oiseau chante le temps doux

Jean Ferrat
EN GROUPE EN LIGUE EN PROCESSION
Paroles et musique: Jean Ferrat

En groupe en ligue en procession


En bannière en slip en veston
Il est temps que je le confesse
A pied à cheval et en voiture
Avec des gros des petits des durs
Je suis de ceux qui manifestent
Avec leurs gueules de travers
Leurs fins de mois qui sonnent clair
Les uns me trouvent tous les vices
Avec leur teint calamiteux
Leurs fins de mois qui sonnent creux
D'autres trouvent que c'est justice

Je suis de ceux que l'on fait taire


Au nom des libertés dans l'air
Une sorte d'amoraliste
Le fossoyeur de nos affaires
Le Déroulède de l'arrière
Le plus complet des défaitistes
L'empêcheur de tuer en rond
Perdant avec satisfaction
Vingt ans de guerres colonialistes
La petite voix qui dit non
Dès qu'on lui pose une question
Quand elle vient d'un parachutiste
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paroles ferrat
En groupe en ligue en procession
Depuis deux cents générations
Si j'ai souvent commis des fautes
Qu'on me donne tort ou raison
De grèves en révolutions
Je n'ai fait que penser aux autres
Pareil à tous ces compagnons
Qui de Charonne à la Nation
En ont vu défiler parole
Des pèlerines et des bâtons
Sans jamais rater l'occasion
De se faire casser la gueule

En groupe en ligue en procession


Et puis tout seul à l'occasion
J'en ferai la preuve par quatre
S'il m'arrive Marie-Jésus
D'en avoir vraiment plein le cul
Je continuerai de me battre
On peut me dire sans rémission
Qu'en groupe en ligue en procession
On a l'intelligence bête
Je n'ai qu'une consolation
C'est qu'on peut être seul et con
Et que dans ce cas on le reste

Jean Ferrat
ÉPILOGUE
Poème d'Aragon

La vie aura passé comme un grand château triste que tous les vents traversent
Les courants d'air claquent les portes et pourtant aucune chambre n'est fermée
Il s'y assied des inconnus pauvres et las qui sait pourquoi certains armés
Les herbes ont poussé dans les fossés si bien qu'on n'en peut plus baisser la
herse

Quand j'étais jeune on me racontait que bientôt viendrait la victoire des anges
Ah comme j'y ai cru comme j'y ai cru puis voilà que je suis devenu vieux
Le temps des jeunes gens leur est une mèche toujours retombant dans les yeux
Et ce qu'il en reste aux vieillards est trop lourd et trop court que pour eux le
vent change

J'écrirai ces vers à bras grands ouverts qu'on sente mon coeur quatre fois y
battre
Quitte à en mourir je dépasserai ma gorge et ma voix mon souffle et mon chant
Je suis le faucheur ivre de faucher qu'on voit dévaster sa vie et son champ
Et tout haletant du temps qu'il y perd qui bat et rebat sa faux comme plâtre
Je vois tout ce que vous avez devant vous de malheur de sang de lassitude
Vous n'aurez rien appris de nos illusions rien de nos faux pas compris
Nous ne vous aurons à rien servi vous devrez à votre tour payer le prix
Je vois se plier votre épaule A votre front je vois le pli des habitudes
Bien sûr bien sûr vous me direz que c'est toujours comme cela mais justement
Songez à tous ceux qui mirent leurs doigts vivants leurs mains de chair dans
l'engrenage
Pour que cela change et songez à ceux qui ne discutaient même pas leur cage
Est-ce qu'on peut avoir le droit au désespoir le droit de s'arrêter un moment

J'écrirai ces vers à bras grands ouverts qu'on sente mon coeur quatre fois y
battre
Quitte à en mourir je dépasserai ma gorge et ma voix mon souffle et mon chant
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paroles ferrat
Je suis le faucheur ivre de faucher qu'on voit dévaster sa vie et son champ
Et tout haletant du temps qu'il y perd qui bat et rebat sa faux comme plâtre

Songez qu'on arrête jamais de se battre et qu'avoir vaincu n'est trois fois rien
Et que tout est remis en cause du moment que l'homme de l'homme est comptable
Nous avons vu faire de grandes choses mais il y en eut d'épouvantables
Car il n'est pas toujours facile de savoir où est le mal où est le bien

Et vienne un jour quand vous aurez sur vous le soleil insensé de la victoire
Rappelez-vous que nous avons aussi connu cela que d'autres sont montés
Arracher le drapeau de servitude à l'Acropole et qu'on les a jetés
Eux et leur gloire encore haletants dans la fosse commune de l'histoire
J'écrirai ces vers à bras grands ouverts qu'on sente mon coeur quatre fois y
battre
Quitte à en mourir je dépasserai ma gorge et ma voix mon souffle et mon chant
Je suis le faucheur ivre de faucher qu'on voit dévaster sa vie et son champ
Et tout haletant du temps qu'il y perd qui bat et rebat sa faux comme plâtre
Je ne dis pas cela pour démoraliser Il faut regarder le néant
En face pour savoir en triompher Le chant n'est pas moins beau quand il décline
Il faut savoir ailleurs l'entendre qui renaît comme l'écho dans les collines
Nous ne sommes pas seuls au monde à chanter et le drame est l'ensemble des
chants
Le drame il faut savoir y tenir sa partie et même qu'une voix se taise
Sachez-le toujours le choeur profond reprend la phrase interrompue
Du moment que jusqu'au bout de lui-même Le chanteur a fait ce qu'il a pu
Qu'importe si chemin faisant vous allez m'abandonner comme une hypothèse

J'écrirai ces vers à bras grands ouverts qu'on sente mon coeur quatre fois y
battre
Quitte à en mourir je dépasserai ma gorge et ma voix mon souffle et mon chant
Je suis le faucheur ivre de faucher qu'on voit dévaster sa vie et son champ
Et tout haletant du temps qu'il y perd qui bat et rebat sa faux comme plâtre

Jean Ferrat
ET POUR L'EXEMPLE
Paroles: Philippe Pauletto

On l'a cloué
Et sa misère
Sur un mur blanc
Au grand soleil
Un clou au coeur
Et pour l'exemple
Il a saigné
Sur le soleil
Dans le ciel blanc
Les oiseaux noirs
Chantent sa mort

On l'a cloué
Et son espoir
Sur le silence
Des grands étés
Un clou au coeur
Et pour l'exemple
Il s'est fané
Un jour d'été
Dans le silence
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paroles ferrat
Les mouches noires
Dansent sa mort

Gens qui passez


Vous ne voyez
Ni mort ni sang
Sur le soleil
Ni oiseaux noirs
Dans le ciel blanc
Ni mouches noires
Entre ses dents

Vous ne voyez
Que son espoir
Sur le soleil
Que votre espoir
Au grand soleil

Jean Ferrat
ÉTAT D'ÂME

L'aube se lève grise et sale


Sur la sinistre cour pavée
J'entends résonner sur les dalles
Les bidons tristes du laitier
C'est toujours quand 5 heures sonnent
Qu'on réveille les condamnés
Les feuilles des arbres frissonnent
Il va bien falloir y aller

Hay, hay, hay


A l'heure où les croissants sont chauds
Je n'ai pas l'âme d'un bourreau
De travail

A l'idée de l'exécuter
J'ai le moral en marmelade
Si le travail c'est la santé
Tous mes copains en sont malades
Faites-le mettre à la torture
Par ceux qui en font leur régal
Bien au chaud sous mes couvertures
Je ne le toucherai pas d'un poil

Hay, hay, hay


A l'heure où l'on boit l'apéro
Je n'ai toujours pas l'âme d'un bourreau
De travail

Si je dois l'abattre sans pitié


Avant d'abandonner mon lit
Je voudrais bien voir changer la vie
Dans la nouvelle société
Je voudrais voir les flics au boulot
Les tenants du grand capital
Les PDG, les généraux
Goûter aux cadences infernales
Hay, hay, hay
Ce n'est sans doute pas de sitôt
Que j'aurai l'âme d'un bourreau
De travail

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paroles ferrat

Jean Ferrat
EXCUSEZ-MOI

Excusez-moi

De ne pas être plus habile


De ne pas danser sur un fil
De ne pas me tenir très droit
Je ne ferai pas de claquettes
Ni de culbutes sur la tête
Je ne sais quoi faire de mes bras de mes bras
Excusez-moi

Si je n'arrive pas à dire


Tout ce que je voudrais vous dire
A belle à claire à haute voix
Louer le ciel la nuit le jour
Et l'évidence de l'amour
Simplement comme je le dois je le dois
Excusez-moi

Quand ma chanson deviendra triste


C'est que j'ai sous les yeux la liste
Des hommes partout mis en croix
Je ne manque pas de courage
Mais nous vivons au moyen-âge
Les bras m'en tombent quelquefois quelquefois

Excusez-moi

Je rêve de chansons trempées


Tranchantes comme un fil d'épée
Et ne manie qu'un sabre en bois
Un jour j'en ris l'autre j'en pleure
Et qu'importe si c'est un leurre
Je pourrai dire que j'y crois que j'y crois

Excusez-moi

Quand ma chanson deviendra folle


Je n'y aurai pas d'autre rôle
Que de vous chanter qu'à Cuba
On prend l'argent pour seule cible
On dit que rien n'est impossible
Et que l'homme seul comptera comptera
Excusez-moi

De ne pas être plus habile


De ne pas danser sur un fil
De ne pas me tenir très droit
Je ne courberai pas la tête
A la fin de mes chansonnettes
Je préfère vous regarder droit vous regarder droit

Jean Ferrat
FEDERICO GARCÍA LORCA

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paroles ferrat
Les guitares jouent des sérénades
Que j'entends sonner comme un tocsin
Mais jamais je n'atteindrai Grenade
"Bien que j'en sache le chemin"

Dans ta voix
Galopaient les cavaliers
Et les gitans étonnés
Levaient leurs yeux de bronze et d'or
Si ta voix se brisa
Voilà plus de vingt ans qu'elle résonne encore
Federico García
Voilà plus de vingt ans, camarades
Que la nuit règne sur Grenade
Il n'y a plus de prince dans la ville
Pour rêver tout haut
Depuis le jour où la guardia civil
T'a mis au cachot
Et ton sang tiède en quête de l'aurore
S'apprête déjà
J'entends monter par de longs corridors
Le bruit de leurs pas
Et voici la porte grande ouverte
On t'entraîne par les rues désertées
Ah! Laissez-moi le temps de connaître
Ce que ma mère m'a donné

Mais déjà
Face au mur blanc de la nuit
Tes yeux voient dans un éclair
Les champs d'oliviers endormis
Et ne se ferment pas
Devant l'acre lueur éclatant des fusils
Federico García

Les lauriers ont pâli, camarades


Le jour se lève sur Grenade
Dure est la pierre et froide la campagne
Garde les yeux clos
De noirs taureaux font mugir la montagne
Garde les yeux clos
Et vous Gitans, serrez bien vos compagnes
Au creux des lits chauds
Ton sang inonde la terre d'Espagne
O Federico
Les guitares jouent des sérénades
Dont les voix se brisent au matin
Non, jamais je n'atteindrai Grenade
"Bien que j'en sache le chemin"

Jean Ferrat
FRÉDO LA NATURE
Favre - Ferrat

En poussant comme un pauvre gosse


Sur un tas de cailloux
On a des idées précoces
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paroles ferrat
Et comme les voyous
Tu passais devant l'école
La fleur à la main
D'Attila moi je m'en colle
Je reviendrai de main
Mais il y a eu des demain
À n'en plus finir
Tu fréquentas les chemins
Où fleurit le plaisir
À seize ans tu cueilles une rosé
Déjà bien fanée
Tu apprends toutes les choses
De l'amour damné

REFRAIN:
Dis-moi Fredo la nature
Qu'as-tu fait de ta vie
C'est l'heure de payer la facture
On fait plus crédit

De l'amour ton seul domaine


Tu devins l'expert
Mais tu n'avais qu'une rengaine
"Je veux me mettre au vert
Jardinier pendant que ces dames
En toutes saisons
Arpentaient le macadam
Tu coupais le gazon
Mais il a fallu qu'un pote
Sans ta permission
Vienne un jour fourrer ses bottes
Dans tes plantations
D'un coup de sécateur rapide
Tu lui as coupé
Un petit morceau de carotide
C'était régulier
REFRAIN

Assez joué mon petit bonhomme


Réglons l'addition
Un coup de parabellum
Voilà ta ration
T'auras droit à toute la clique
Êtes cérémonies
Des couronnés de la musique
Et tous les amis
En écoutant l'harmonium
Penseront souvent
À toi sous les géraniums
Tu les aimais tant
Tu nous quittes sans manière
Et ces dames en pleurs
Feront graver sur la pierre
Au milieu des fleurs
Fredo aimait la nature
Le voilà servi
Couché parmi la nature
II finit sa vie.

Jean Ferrat
HEUREUX CELUI QUI MEURT D'AIMER
Poème d'Aragon

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paroles ferrat
O mon jardin d'eau fraîche et d'ombre
Ma danse d'être mon coeur sombre
Mon ciel des étoiles sans nombre
Ma barque au loin douce à ramer
Heureux celui qui devient sourd
Au chant s'il n'est de son amour
Aveugle au jour d'après son jour
Ses yeux sur toi seule fermés
Heureux celui qui meurt d'aimer
Heureux celui qui meurt d'aimer
D'aimer si fort ses lèvres closes
Qu'il n'ait besoin de nulle chose
Hormis le souvenir des roses
A jamais de toi parfumées
Celui qui meurt même à douleur
A qui sans toi le monde est leurre
Et n'en retient que tes couleurs
Il lui suffit qu'il t'ait nommée
Heureux celui qui meurt d'aimer
Heureux celui qui meurt d'aimer
Mon enfant dit-il ma chère âme
Le temps de te connaître ô femme
L'éternité n'est qu'une pâme
Au feu dont je suis consumé
Il a dit ô femme et qu'il taise
Le nom qui ressemble à la braise
A la bouche rouge à la fraise
A jamais dans ses dents formée

Heureux celui qui meurt d'aimer


Heureux celui qui meurt d'aimer
Il a dit ô femme et s'achève
Ainsi la vie, ainsi le rêve
Et soit sur la place de grève
Ou dans le lit accoutumé
Jeunes amants vous dont c'est l'âge
Entre la ronde et le voyage
Fou s'épargnant qui se croit sage
Criez à qui vous veut blâmer

Heureux celui qui meurt d'aimer


Heureux celui qui meurt d'aimer

Jean Ferrat
HOP-LÀ NOUS VIVONS
Paroles: Henri Gougaud

Avec nos dents nickelées


Et nos coeurs battant la fête
L'oiseau rouge dans la tête
Les cheveux mal ficelés
Hop-là hop-là hop-là nous vivons
Hop-là hop-là hop-là nous vivons
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paroles ferrat
Avec nos rires barbares
Comme des couteaux jetés
Dans le soleil qui nous fait
La peau couleur de guitare
Hop-là hop-là hop-là nous vivons
Hop-là hop-là hop-là nous vivons

Sous les buildings de Paris


On chante comme l'orage
Et la liberté fait rage
Dans nos coeurs mal équarris

Hop-là hop-là hop-là nous vivons


Hop-là hop-là hop-là nous vivons

Nous sommes quelques millions


Pour qui la vie se dévore
En rêves multicolores
A belles dents de lion
Hop-là hop-là hop-là nous vivons
Hop-là hop-là hop-là nous vivons
Nous habitons sur les routes
Qui mènent à l'amour fou
Nous marcherons jusqu'au bout
Jusqu'à en crever sans doute

Hop-là hop-là hop-là nous vivons


Hop-là hop-là hop-là nous vivons

Et nous serons tous pareils


Au bout de l'heure dernière
Nous chanterons pour nos frères
Pour un éternel soleil

Hop-là hop-là hop-là nous vivons


Hop-là hop-là hop-là nous vivons

Jean Ferrat
HORIZONTALEMENT
Paroles: Roland Valade

Verticalement
Tu n'es pas une affaire
Je sais bien
Mais horizontalement
C'est toi que je préfère
Et de loin

Je me sens le plus triste


Des cruciverbistes
Car je suis
Derrière une grille
Seul où toi ma fille
Tu m'as mis
Pour trouver ta définition
Je n'ai pas trente-six solutions
Belle comme l'amour futée comme un balai
Tu es la source de tous mes mots croisés
Verticalement
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paroles ferrat
Tu n'es pas une affaire
Je sais bien
Mais horizontalement
C'est toi que je préfère
Et de loin
Après les extases
Tu as quelques cases
Mal remplies
En libertinage
Tu as pour ton âge
Du génie
En cinq lettres sur mon journal
On demande au trois vertical
Un mal qui peut se dissiper la nuit
En pensant à toi j'ai trouvé l'ennui

Verticalement
Tu n'es pas une affaire
Je sais bien
Mais horizontalement
C'est toi que je préfère
Et de loin

Pourquoi dans nos phrases


Tous nos mots se croisent
Pleins d'aigreur
Idiots que nous sommes
Puisque la nuit gomme
Nos erreurs
Au fond de notre carrée noire
M'arrive une lueur d'espoir
Alors j'oublie ce qui m'obsède chez toi
Qui n'as pas inventé l'eau tiède crois-moi

Verticalement
Tu n'es pas une affaire
Je sais bien
Mais horizontalement
C'est toi que je préfère
Et de loin
Mais horizontalement
C'est toi que je préfère
Et de loin

Mais horizontalement
C'est toi que je préfère
Et de loin

Jean Ferrat
HOSPITALITÉ
Paroles: Guy Thomas

Quand vous viendrez chez moi n'aura pas à s'en faire


La porte s'ouvrira n'aura le corridor
Et vous serez chez vous souris dans un gruyère
Les volets seront mis pour oublier dehors

Je vous verrai venir ô ma moitié d'orange


Je vous attends depuis si longtemps souffle court
Je serai tout à coup saisi d'un mal étrange
Je serai sans parler je serai sans bonjour
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paroles ferrat
Mais vous aurez déjà posé votre mantille
Vous m'aurez rapporté de la tarte aux copeaux
De la glace aux genêts du pâté de jonquilles
Vous saurez tout déjà vous serez du bateau
Vous serez au courant vous serez affranchie
Vous prendrez votre assiette au fond du poussiéreux
Et je vous couperai le quignon d'anarchie
Dans la miche du pauvre avec un couteau feu
Le chien n'est pas méchant qui grogne à tous les diables
Qui m'aide à renvoyer proprement les salauds
Il viendra simplement se coucher sous la table
Et donner de la gueule aux coups de godillots
O ma cruelle amante, ô ma fragile épaule
Ma nudité ma blonde ô mon secret miroir
Vous viendrez sur mon lit vous viendrez dans ma geôle
Et vous approcherez doucement l'éteignoir
Quand vous viendrez chez moi n'aura pas à s'en faire
La porte s'ouvrira n'aura le corridor
Et vous serez chez vous souris dans un gruyère
Les volets seront mis pour oublier dehors

Jean Ferrat
HOU HOU MÉFIONS-NOUS

On s'était connus à Pigalle


Chez la femme d'un député
Chez la femme d'un député
Qui avait le goût du scandale
Étant de la majorité
Étant de la majorité
Avec sa barbe et son teint pâle
Ses cheveux pendant sur le cou
Ses cheveux pendant sur le cou
Son vieux blue jean et ses sandales
Il paraissait vraiment dans le coup
Il paraissait vraiment dans le coup

Hou hou méfions-nous


Les flics sont partout
Hou hou méfions-nous
Les flics sont partout
Il m'entraîna tout feu tout flamme
A une grande manifestation
A une grande manifestation
De celles qui rassemblent à Paname
La fine fleur de la nation
La fine fleur de la nation
"Allons faire la révolution"
S'écrie mon étrange quidam
S'écrie mon étrange quidam
"Foutons les banquiers au violon
Foutons le feu à Notre-Dame
Foutons le feu à Notre-Dame"

Hou hou méfions-nous


Les flics sont partout
Hou hou méfions-nous
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paroles ferrat
Les flics sont partout

"On va faire chanter le plastic


Aux oreilles du grand patron
Aux oreilles du grand patron"
Rugit mon barbu frénétique
En fouillant dans son pantalon
En fouillant dans son pantalon
Devant le peuple médusé
Il n'en sortit qu'un étendard
Il n'en sortit qu'un étendard
On rigolait à l'Elysée
C'était râpé pour le grand Soir
C'était râpé pour le grand Soir

Hou hou méfions-nous


Les flics sont partout
Hou hou méfions-nous
Les flics sont partout

Voyant sa tactique faillir


Voilà qu'il m'invite à boire un coup
Voilà qu'il m'invite à boire un coup
Dans sa chambre pour mieux saisir
La pensée de Mao Tsé-Toung
Dieu seul sait quel fut mon supplice
Quand je lui grimpais sur le dos
Quand je lui grimpais sur le dos
Mais pour une fois que la police
On peut la baiser comme il faut
On peut la baiser comme il faut
Hou hou méfions-nous
Les flics sont partout
Hou hou méfions-nous
Les flics sont partout
L'assaut fut sans doute si rude
Qu'il partit les jambes à son cou
Qu'il partit les jambes à son cou
En qualifiant mon attitude
De trop avant-garde à son goût
De trop avant-garde à son goût
Depuis qu'on sait son aventure
Jusqu'au revers de la médaille
Jusqu'au revers de la médaille
Il paraît qu'à la préfecture
Y'a des volontaires en pagaille
Y'a des volontaires en pagaille
Hou hou méfions-nous
Les flics sont partout
Hou hou méfions-nous
Les flics sont partout...

Jean Ferrat
HOURRAH

On a les yeux de toutes les couleurs


Le rire aux lèvres et la colère au coeur
Et des milliers de chansons dans la voix
Vous mes amis que je ne connais pas

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paroles ferrat
Je ne vous connais pas
Mais je vous imagine
Rien d'autre comme en moi
Qu'un rêve qui s'obstine
Hourrah!
On a le front mouillé de tous les ciels
On a l'amour aux rythmes essentiels
Des rivages d'étoiles sous nos pas
Vous mes amis que je ne connais pas
Je ne vous connais pas
Mais je sais qui vous êtes
De grands poissons lilas
Dansent dans votre tête
Hourrah!

Depuis le temps qu'on joue les mêmes billes


Que le temps passe au bras des mêmes filles
Et qu'à la source on boit le même vin
Vous mes amis je vous connais si bien
Et le temps d'un refrain
Et l'espace d'un cri
Et le temps d'un refrain
C'est pour vous que je crie
Hourrah!
Pour chaque fruit mûrit une saison
C'est en été que tombent les prisons
Grenade un jour aura brisé ses liens
Vous mes amis que je connais si bien

L'avenir, l'avenir
Ouvre ses jambes bleues
Faudra-t-il en mourir
Ou bien n'est-ce qu'un jeu?
Hourrah!

Paris s'endort à l'heure où le matin


Un autre monde est à moitié chemin
En nous aidant le Ciel nous aidera
Vous mes amis que je ne connais pas
En nous aidant le Ciel nous aidera
Vous mes amis que je ne connais pas
Hourrah!

Jean Ferrat
ILS VOLENT VOLENT VOLENT

Ils volent volent volent


Ils volent volent les ballons
Des petits joueurs de football
Qui savent que leur monde est rond
Ils volent volent volent
Ils volent volent dans les rues
Les petits joueurs de football
De l'Amérique aux pieds nus

Pour sortir de la favela


Il faut devenir champion
La faim leur donne des ailes
C'est la seule chance qu'ils ont
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paroles ferrat
Leurs yeux jettent des éclairs
Le vent brûle leurs poumons
Courez courez, la misère
Vous grignote les talons

Ils volent volent volent


Ils volent volent les dix doigts
Des petits joueurs de guitare
Couleur de bossa-nova
Ils volent volent volent
Ils volent volent dans les rues
Les petits joueurs de guitare
De l'Amérique aux mains nues

Et leurs mains sont des oiseaux


Rafraîchissant de leurs ailes
L'ombre chaude des ruelles
De l'Amérique en ponchos
Et leur voix devient tonnerre
Et leur chant devient frisson
Jouez jouez, la misère
Court derrière vos chansons

Ils volent volent volent


Ils volent volent les espoirs
Des petits joueurs de football
Des petits joueurs de guitare
Ils volent volent volent
Ils volent volent dans les rues
En incarnant les symboles
De l'Amérique aux pieds nus
De l'Amérique aux mains nues...

Jean Ferrat
INDIEN

Pauvre pauvre pauvre Indien


Plante un à un
Plante plante un à un
Le maïs en grains
Dure est la terre
Que l'on arrache à la forêt
Dure est la terre
Où il vivra jusqu'à l'été
Solitaire
La faim au ventre
Il attendra de voir monter
La faim au ventre
Les maigres tiges à récolter
Entre les pierres

Pauvre pauvre pauvre Indien


Plante un à un
Plante plante un à un
Le maïs en grains
Dans son village
Il a laissé femme et enfants
Dans son village
Qui l'attendent depuis longtemps
Sans colère
La terre est rouge
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paroles ferrat
Rouges ses mains rouge son coeur
La terre est rouge
Frère sa peau a la couleur
Qui nous est chère

Pauvre pauvre pauvre Indien


Plante un à un
Plante plante un à un
Le maïs en grains

Jean Ferrat
INTOX

Quand je me sens mal


Dans ma peau
Je peux faire la malle
Illico
Dès que la speakerine
Ouvre son tiroir
J'ai mon héroïne
Avec télé-soir
Je vois des chauve-souris roses
Je suis sûr d'avoir ma dose
Intox intox intoxiqué
Opium opium télévisé

Si je n'ai pas de veine


J'ai du pif
Quand je change de chaîne
C'est du kif
Je me fais des piqûres
Fort économiques
Avec leurs figures
De barbituriques
Je vois les chauve-souris roses
Je sens que j'ai déjà la dose
Intox intox intoxiqué
Opium opium télévisé
Quand ma virago
Fait des drames
En tournant le dos
A mon âme
Avec leur programme
Pas besoin de femmes
C'est un C.D.R.
Qui m'envoie en l'air
Je suis une chauve-souris rose
Je sens que j'ai la super dose
Intox intox intoxiqué
Opium opium télévisé
Mais j'arrive au bout
De mon rouleau
Quand y'a le présidou
Au micro
Je suis plus dans la course
Sur mon canapé
Je me le tape en douce
Comme du L.S.D.
Page 53
paroles ferrat
Je vois même la vie en rose
J'ai dû dépasser la dose
Intox intox intoxiqué
Je suis fou je suis fou je suis fou à lier...

Jean Ferrat
J'AI FROID

Le vent du midi s'abat en rafales


Sur la vallée noire où les arbres ploient
Leurs bras désolés fument des gitanes
J'ai froid
Une fois de plus tous les droits de l'homme
Sont foulés aux pieds sont jetés à bas
Les maîtres sanglés dans leurs uniformes
J'ai froid
Une fois de plus la grande injustice
La force imbécile triomphe du droit
Quand la liberté tombe sa pelisse
J'ai froid
Encore une fois les lettres anonymes
La bêtise épaisse en guise de loi
La salve éclatant au milieu de l'hymne
J'ai froid

Si la bête immonde sort de sa tanière


Nous retrouverons le chemin des bois
Mets dans ma valise un gros pull-over
J'ai froid
Dans tes yeux soudain ivres de colère
La révolte éclaire un grand feu de bois
Quand fera-t-il donc le tour de la terre
J'ai froid

Quand fera-t-il donc le tour de la terre


J'ai froid

Jean Ferrat
J'ARRIVE OÙ JE SUIS ÉTRANGER
Poème d'Aragon

Rien n'est précaire comme vivre


Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre comme le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger

Un jour tu passes la frontière


D'où viens-tu mais où vas-tu donc
Demain qu'importe et qu'importe hier
Le coeur change avec le chardon
Tout est sans rime ni pardon

Passe ton doigt là sur ta tempe


Touche l'enfance de tes yeux
Mieux vaut laisser basses les lampes
La nuit plus longtemps nous va mieux
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paroles ferrat
C'est le grand jour qui se fait vieux

Les arbres sont beaux en automne


Mais l'enfant qu'est-il devenu
Je me regarde et je m'étonne
De ce voyageur inconnu
De son visage et ses pieds nus

Peu à peu tu te fais silence


Mais pas assez vite pourtant
Pour ne sentir ta dissemblance
Et sur le toi-même d'antan
Tomber la poussière du temps

C'est long vieillir au bout du compte


Le sable en fuit entre nos doigts
C'est comme une eau froide qui monte
C'est comme une honte qui croît
Un cuir à crier qu'on corroie

C'est long d'être un homme une chose


C'est long de renoncer à tout
Et sens-tu les métamorphoses
Qui se font au-dedans de nous
Lentement plier nos genoux
O mer amère, ô mer profonde
Quelle est l'heure de tes marées
Combien faut-il d'années-secondes
A l'homme pour l'homme abjurer
Pourquoi pourquoi ces simagrées
Rien n'est précaire comme vivre
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre comme le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger

Jean Ferrat
J'AURAIS SEULEMENT VOULU

Qu'aurais-je été qu'aurais-je été


Si ce n'est au violon ce qu'est la chanterelle
Cette corde que fait chanter
Vivaldi au printemps couleur de tourterelle
J'aurais simplement voulu être heureux
J'aurais simplement voulu
La la la la la la la la
J'aurais seulement voulu

Qu'aurais-je été qu'aurais-je été


S'il ne montait ce chant au travers de ma gorge
Témoin de la réalité
Du monde de malheur que les hommes se forgent

J'aurais simplement voulu être heureux


J'aurais simplement voulu
La la la la la la la la
J'aurais seulement voulu
Qu'aurais-je été qu'aurais-je été
Sinon cet inconnu qui croit qu'on lui pardonne
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paroles ferrat
Pour son accent de vérité
De ravir au passant la chanson qu'il fredonne

J'aurais simplement voulu être heureux


J'aurais simplement voulu
La la la la la la la la
J'aurais seulement voulu

Qu'aurais-je été qu'aurais-je été


Sinon cette vallée que tous les vents traversent
Mes certitudes ballottées
Ces mots à peine éclos à mes lèvres qui gercent
J'aurais tant voulu vivre un monde heureux
J'aurais seulement voulu
La la la la la la la la
J'aurais seulement voulu

Jean Ferrat
J'ENTENDS J'ENTENDS
Poème d'Aragon
J'en ai tant vu qui s'en allèrent
Ils ne demandaient que du feu
Ils se contentaient de si peu
Ils avaient si peu de colère

J'entends leurs pas j'entends leurs voix


Qui disent des choses banales
Comme on en lit sur le journal
Comme on en dit le soir chez soi

Ce qu'on fait de vous hommes femmes


O pierre tendre tôt usée
Et vos apparences brisées
Vous regarder m'arrache l'âme

Les choses vont comme elles vont


De temps en temps la terre tremble
Le malheur au malheur ressemble
Il est profond profond profond

Vous voudriez au ciel bleu croire


Je le connais ce sentiment
J'y crois aussi moi par moments
Comme l'alouette au miroir
J'y crois parfois je vous l'avoue
A n'en pas croire mes oreilles
Ah je suis bien votre pareil
Ah je suis bien pareil à vous

A vous comme les grains de sable


Comme le sang toujours versé
Comme les doigts toujours blessés
Ah je suis bien votre semblable
J'aurais tant voulu vous aider
Vous qui semblez autres moi-même
Mais les mots qu'au vent noir je sème
Qui sait si vous les entendez
Tout se perd et rien ne vous touche
Page 56
paroles ferrat
Ni mes paroles ni mes mains
Et vous passez votre chemin
Sans savoir que ce que dit ma bouche
Votre enfer est pourtant le mien
Nous vivons sous le même règne
Et lorsque vous saignez je saigne
Et je meurs dans vos mêmes liens

Quelle heure est-il quel temps fait-il


J'aurais tant aimé cependant
Gagner pour vous pour moi perdant
Avoir été peut-être utile

C'est un rêve modeste et fou


Il aurait mieux valu le taire
Vous me mettrez avec en terre
Comme une étoile au fond d'un trou

Jean Ferrat
J'IMAGINE
Paroles: Henri Gougaud

J'imagine
La révolte prêchée par quelques douces femmes
Deux mille ans de prisons dévorés par les flammes
J'imagine
L'amour faisant l'amour, la vie faisant le reste
Une révolution sans un mot, sans un geste

Et la grande liberté au poing la rose


Et la grande liberté la rose au poing
Et la grande liberté la rose au poing

J'imagine
Un peuple dynamite et pourtant sans défense
Tout en lui ne serait qu'amour et transparence
J'imagine
Un hiver tout de neige et fleurissant quand même
Pour des femmes chansons, pour des hommes poèmes
Et la grande liberté au poing la rose
Et la grande liberté la rose au poing
Et la grande liberté la rose au poing

J'imagine
L'Occident sans ghettos, le Brésil sans torture
Et l'Afrique riant comme source d'eau pure
J'imagine
Le soleil se levant sur l'Asie douce et libre
La vie enfin, la vie comme il faudra la vivre

Et la grande liberté au poing la rose


Et la grande liberté la rose au poing
Et la grande liberté la rose au poing

Jean Ferrat
JE MEURS
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paroles ferrat
Paroles: Pierre Grosz

Je meurs d'une petite fièvre


Avec un prénom sur mes lèvres
Et quelques souvenirs heureux
Quelque part au fond de mes yeux

Je vois la chose comme un acteur


Que ses amis trouvent menteur
Quand son coeur à son dernier bond
Le fait grimacer pour de bon
Alors moi je ris doucement
Comme on rit aux enterrements
En me disant qu'au fond mourir
C'est ne plus s'arrêter de rire

Je meurs d'une petite fièvre


Avec un prénom sur mes lèvres
Et quelques souvenirs heureux
Quelque part au fond de mes yeux

Je m'en vais comme je suis venu


Un peu plus calme un peu moins nu
Je pars en voyage vers la terre
Qui peut m'expliquer ce mystère
A moins peut-être qu'un de ces quatre
J'entende enfin au transistor
Des nouvelles du vaccin-miracle
Qui guérira l'homme de la mort

Je meurs d'une petite fièvre


Avec un prénom sur mes lèvres
Et quelques souvenirs heureux
Quelque part au fond de mes yeux

Jean Ferrat
JE NE CHANTE PAS POUR PASSER LE TEMPS
Paroles et musique: Jean Ferrat

Il se peut que je vous déplaise


En peignant la réalité
Mais si j'en prends trop à mon aise
Je n'ai pas à m'en excuser
Le monde ouvert à ma fenêtre
Que je referme ou non l'auvent
S'il continue de m'apparaître
Comment puis-je faire autrement

Je ne chante pas pour passer le temps

Le monde ouvert à ma fenêtre


Comme l'eau claire le torrent
Comme au ventre l'enfant à naître
Et neige la fleur au printemps
Le monde ouvert à ma fenêtre
Avec sa dulie ses horreurs
Avec ses armes et ses reîtres
Avec son bruit et sa fureur
Je ne chante pas pour passer le temps
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paroles ferrat
Mon Dieu mon Dieu tout assumer
L'odeur du pain et de la rose
Le poids de ta main qui se pose
Comme un témoin du mal d'aimer
Le cri qui gonfle la poitrine
De Lorca à Maiakowski
Des Poètes qu'on assassine
Ou qui se tuent pourquoi pour qui
Je ne chante pas pour passer le temps

Le monde ouvert a ma fenêtre


Et que je brise ou non la glace
S'il continue à m'apparaître
Que voulez-vous donc que j'y fasse
Mon coeur mon coeur si tu t'arrêtes
Comme un piano qu'on désaccorde
Qu'il me reste une seule corde
Et qu'à la fin mon chant répète
Je ne chante pas pour passer le temps

Jean Ferrat
JE NE PUIS VIVRE QUE DE TOI

Comme à l'amour est l'eau fraîche


Quand tu me dis bois
Comme le sont à l'Ardèche
Ses landes ses bois
Comme Marie dans la crèche
Attendait les rois
Je ne puis vivre
Je ne puis vivre que de toi

Je passais sans t'apercevoir


Comme le vent dans les lilas
Comme les peuples dans l'histoire
Mais il fallait que je te voie

Le torrent laisse sa trace


Au flanc du rocher
Si demain le temps efface
Ce que j'ai été
Qu'il me laisse au moins ma place
En tes bras creusée
Où j'ai pu vivre
Où j'ai pu vivre et t'aimer
Mon amour ma cartomancienne
L'avenir point entre tes bras
Comme l'aube entre les persiennes
Il sera ce qu'on veut qu'il soit
Comme à l'amour est l'eau fraîche
Quand tu me dis bois
Comme le sont à l'Ardèche
Ses landes ses bois
Comme Marie dans la crèche
Attendait les rois
Je ne puis vivre
Je ne puis vivre que de toi
Je ne puis vivre
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paroles ferrat
Je ne puis vivre que de toi

Jean Ferrat
JE NE SUIS QU'UN CRI
Paroles: Guy Thomas

Je ne suis pas littérature


Je ne suis pas photographie
Ni décoration ni peinture
Ni traité de philosophie

Je ne suis pas ce qu'on murmure


Aux enfants de la bourgeoisie
Je ne suis pas saine lecture
Ni sirupeuse poésie
Je ne suis qu'un cri

Non je n'ai rien de littéraire


Je ne suis pas morceaux choisis
Je serais plutôt le contraire
De ce qu'on trouve en librairie

Je ne suis pas livre ou bréviaire


Ni baratin ni théorie
Qu'on range entre deux dictionnaires
Ou sur une table de nuit

Je ne suis qu'un cri

Je n'ai pas de fil à la patte


Je ne viens pas d'une écurie
Non je ne suis pas diplomate
Je n'ai ni drapeau ni patrie

Je ne suis pas rouge écarlate


Ni bleu ni blanc ni cramoisi
Je suis d'abord un cri pirate
De ces cris-là qu'on interdit

Je ne suis qu'un cri

Je ne suis pas cri de plaisance


Ni gueulante de comédie
Le cri qu'on pousse en apparence
Pour épater la compagnie
Moi si j'ai rompu le silence
C'est pour éviter l'asphyxie
Oui je suis un cri de défense
Un cri qu'on pousse à la folie

Je ne suis qu'un cri


Pardonnez si je vous dérange
Je voudrais être un autre bruit
Être le cri de la mésange
N'être qu'un simple gazouillis

Tomber comme un flocon de neige


Être le doux bruit de la pluie
Moi je suis un cri qu'on abrège
Je suis la détresse infinie
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paroles ferrat
Je ne suis qu'un cri

Jean Ferrat
JE VOUS AIME

Pour ce rien, cet impondérable


Qui fait qu'on croit à l'incroyable
Au premier regard échangé
Pour cet instant de trouble étrange
Où l'on entend rire les anges
Avant même de se toucher
Pour cette robe que l'on frôle
Ce châle qui tend vos épaules
En haut des marches d'escalier
Je vous aime
Je vous aime
Pour la lampe déjà éteinte
Et la première de vos plaintes
La porte à peine refermée
Pour vos dessous qui s'éparpillent
Comme des grappes de jonquilles
Aux quatre coins du lit semées
Pour vos yeux de vague mourante
Et ce désir qui s'impatiente
Aux pointes de vos seins levées
Je vous aime
Je vous aime
Pour vos toisons de ronces douces
Qui me retiennent, me repoussent
Quand mes lèvres vont s'y noyer
Pour vos paroles, démesures
La source, le chant, la blessure
De votre corps écartelé
Pour vos reins de houle profonde
Pour ce plaisir qui vous inonde
En long sanglots inachevés
Je vous aime
Je vous aime

Jean Ferrat
L'ADRESSE DU BONHEUR
Paroles: Henri Gougaud

Le jour où un oeil froid, un arbre échevelé


Émerge de la brume en ébrouant ses branches
Les trottoirs de Paris rechaussent leurs souliers
On rêve encore un peu d'une aube toute blanche
Les gares grises s'ouvrent aux regards exilés

Dis-moi l'adresse du bonheur


Je sors les yeux gonflés d'un rêve éblouissant
Sur la rumeur du monde à peine je surnage
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paroles ferrat
J'étais dans les nuées, je descends, je descends
Un transistor me crache une bordée d'orages
Dans mon regard se noient des millions de passants
Dis-moi l'adresse du bonheur
J'aimerais me saouler d'une goulée d'air pur
Droit sous des palmeraies que le soleil parfume
Boire loin de Paris l'alcool de l'aventure
Là-bas dans l'or du sable et l'argent de l'écume
Là-bas tellement loin qu'on dirait le futur

Dis-moi l'adresse du bonheur

Je marche malgré l'ordre et le poids du travail


Et jeudi midi sonne aux clochers des usines
Hors des chemins battus je cherche mon bercail
L'enfant Fraternité dans les rues sans vitrines
Pour tout illuminer d'un rire de corail

Dis-moi l'adresse du bonheur, enfant


Dis-moi l'adresse du bonheur

Jean Ferrat
L'AMOUR EST CERISE

Rebelle et soumise
Paupières baissées
Quitte ta chemise
Belle fiancée
L'amour est cerise
Et le temps pressé
C'est partie remise
Pour aller danser
Autant qu'il nous semble
Raisonnable et fou
Nous irons ensemble
Au-delà de tout
Prête-moi ta bouche
Pour t'aimer un peu
Ouvre-moi ta couche
Pour l'amour de Dieu

Laisse-moi sans crainte


Venir à genoux
Goûter ton absinthe
Boire ton vin doux
O rires et plaintes
O mots insensés
La folle complainte
S'est vite élancée
Défions le monde
Et ses interdits
Ton plaisir inonde
Ma bouche ravie
Vertu ou licence
Par Dieu je m'en fous
Je perds ma semence
Dans ton sexe roux

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paroles ferrat
O Pierrot de lune
O monts et merveilles
Voilà que ma plume
Tombe de sommeil
Et comme une louve
Aux enfants frileux
La nuit nous recouvre
De son manteau bleu

Rebelle et soumise
Paupières lassées
Remets ta chemise
Belle fiancée
L'amour est cerise
Et le temps passé
C'est partie remise
Pour aller danser

Jean Ferrat
L'ÂNE
Paroles: Guy Thomas

Il est au milieu de la route


Le stupide aliboron
Il est là qui nous écoute
Avec sa tête de cochon
Il poussera pas sa barbaque
Il est guère accommodant
Ah vraiment la tête à claques
Ah l'âne de Buridan

Il obstrue la voie publique


Avec son vieux char-à-bancs
Il comprend pas nos mimiques
Nos solides arguments
Il a rien dans la caboche
Le baudet récalcitrant
Il mériterait des taloches
Il est pas intelligent
Il aurait pu l'imbécile
Provoquer des accidents
Froisser nos automobiles
Déranger les occupants
Allons viens vite hue cocotte
Par ici t'auras du son
Il comprend pas la carotte
Il comprend pas le bâton
Surtout faut pas qu'on y touche
Il a des plaies sur la peau
Avec du sang pour les mouches
Du pus pour les asticots
Il manquerait plus qu'il s'affale
Ce serait pas rigolo
Le stupide onocéphale
Ah le maudit bourricot

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paroles ferrat
Jean Ferrat
L'ÉLOGE DU CÉLIBAT
Paroles: Pierre Frachet

La fille que j'aurai un jour


Dans la peau
Je crois bien qu'elle est toujours
Au berceau
Je ne brûle jamais à ma flamme
Le même bois
Je suis de ceux qui n'aiment qu'une femme
A la fois
Comme dit le proverbe normand
Familier
Faut pas mettre tous ses oeufs dans
Le même panier
Je suis pas le client de monsieur le maire
Dieu merci
Je suis un célibataire
Endurci

Tous les deux ou trois dimanche


En dansant
Je me cueille par les hanches
Une enfant
Je l'effeuille sans préludes
Et pardi
Je la renvoie à ses études
Le lundi
Je mène ainsi bien à l'aise
Grâce au ciel
Dans mon année douze ou treize
Lunes de miel
J'ai pas l'occasion de m'en faire
Dieu merci
Je suis un célibataire
Endurci

Tu raisonnes de la sorte
Jusqu'au jour
Où le petit Jésus t'apporte
Un amour
Une môme ni plus ni moins belle
Que beaucoup
Mais qui mettra la ficelle
A ton cou
On a soudain moins envie
De changer
Elle est si blonde qu'on oublie
Le danger
Et un beau soir on enterre
Entre amis
Sa vie de célibataire
Endurci

Quand la morale d'une histoire


Est tirée
Comme dit l'autre il faut la boire
De bon gré
A ma chanson y en a une
Que voici
Elle me vaudra des rancunes
Mais tant pis
Dans le célibat on se ménage
Du bon temps
Mais son plus bel avantage
Cependant
Page 64
paroles ferrat
Ma femme dira pas le contraire
Je parie
C'est quand un célibataire
Se marie

Jean Ferrat
L'EMBELLIE

Écris quelque chose de joli


Des vers peut-être ou de la prose
Un instant de rêve et de pause
Dans le tumulte de la vie
Écris quelque chose de joli
Quelques mots de bleu et de rose
Un moment de métamorphose
Que tu nommerais l'embellie

L'embellie l'embellie
L'embellie l'embellie

Verse un peu de joie dans nos coeurs


Avec des riens qui vous délivrent
Un peu d'espoir et de douceur
On en a tant besoin pour vivre
Écris quelque chose de joli
L'odeur des lilas et des roses
Chante-nous la beauté des choses
Dans les yeux de l'homme ébloui
Écris quelque chose de joli
L'aube entre nos bras qui repose
La seconde où lèvres mi-closes
Le plaisir vient comme la pluie

L'embellie l'embellie
L'embellie l'embellie
Ces mots à peine murmurés
Dans la tendresse qu'on devine
Baigné de musique angevine
Le temps sur nous s'est refermé

Je l'aurais voulu si joli


Ce poème en bleu et en rose
Cet instant de rêve et de pause
Dans le tumulte de la vie
Je l'aurais voulu si joli
Mon amour en qui tout repose
Et que nul ne puisse ni n'ose
Douter que tu es dans ma vie

L'embellie l'embellie
L'embellie l'embellie

Jean Ferrat
L'HOMME À L'OREILLE COUPÉE
Page 65
paroles ferrat
Paroles: Claude Delecluse et Michelle Senlis

Ce qui poussait toujours Vincent


A peindre ces incandescents
Soleils jaunes et tournoyants
Tout ce qui a fait de Lautrec
Cet oiseau noir claquant du bec
Aux carreaux des bistrots du Tertre
Et ce qui en poussa bien d'autres
Gueules d'archange, gueules d'apôtre
A se fuir dans tous les miroirs
C'était le même désespoir

Et l'homme à l'oreille coupée


Me traînait toujours à ses pieds
Comme la terre à ses souliers

Ce qui chassait toujours Vincent


Du chemin des honnêtes gens
Jusque dans sa chambre aux murs blancs
Tout ce qui a fait grimacer
Toulouse durant des années
Du même rire désespéré
Et ce qui en chassa bien d'autres
Gueules d'archange, gueules d'apôtre
De l'aube grise jusqu'au soir
C'était le même désespoir

Et l'homme à l'oreille coupée


Me traînait toujours à ses pieds
Comme la terre à ses souliers

Ce qui a crucifié Vincent


Sur sa toile durant trente ans
Un pinceau bleu entre les dents
Et ce qui épingla Lautrec
Sous les lampes comme un insecte
Du Moulin Rouge à la rue Berthe
Oui, ces deux-là et tous les autres
Gueules d'archange, gueules d'apôtre
Ont-ils enfin trouvé l'espoir
De l'autre côté du miroir

Jean Ferrat
L'HOMME SANDWICH

L'homme sandwich a de la peine


Il voudrait bien aller flâner
Avec les gens qui se promènent
Sous le soleil des beaux quartiers
L'homme sandwich traîne la semelle
Sa silhouette sur le boulevard
Prend des allures de caravelle
Battu par les vents du hasard

Il y a la mer immense
Et des visages qui défilent devant lui
Il y a Paris qui mène le tapage
Et qui roule comme la vie
Il cueille le soleil
Les rires des enfants
Et des morceaux de ciel
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paroles ferrat
Dans les yeux des amants
Des feuilles et des papiers multicolores
Qu'il remet à tous les passants
S'envolent pour le suivre longtemps encore
En tourbillonnant dans le vent
Et les mains dans les poches
Il s'éloigne en rêvant
Tandis que deux gavroches
Les ramassent en riant
L'homme sandwich a de la peine
Il voudrait bien aller flâner
Avec les gens qui se promènent
Sous les soleils des beaux quartiers

Il voit mille étalages la lumière


Ruisselant au nez des badauds
Il voit blotti sous les porte cochère
L'amour éclater en sanglots
Tandis que par leurs cris
De bar les camelots
Essaient de faire la pige
Aux marchands de journaux
Sortie des magasins et des usines
Tout s'embrouille dans son esprit
Taxi métro vélo les gens piétinent
En se bousculant dans la nuit
Et chipant au passage
Ce dont il a envie
Il cueille des images
Dans le coeur de Paris

L'homme sandwich traîne la semelle


En croisant la foule du soir
Oui mais la foule comme la Seine
S'écoule en lui disant bonsoir

Jean Ferrat
L'IDOLE À PAPA

Il y avait deux clans dans la famille


Du temps où j'étais un mouflet
Tino Rossi faisait pâmer les filles
Et tous les garçons rigolaient
Et je me dis qu'aujourd'hui même
C'est peut-être pareil pour moi
Les unes rêvent en murmurant "Je t'aime"
Les autres ricanent tout bas
Tu peux m'ouvrir cent fois les bras
C'est toujours la première fois
Tu peux m'ouvrir cent fois les bras
C'est toujours la première fois
Évidemment, après trente ans passés
A écouter "Marinella"
Même en ayant de la suite dans les idées
On ne se bat plus comme chien et chat
On dit plutôt dans un sourire
"Il était pas si mal que ça
Depuis le temps que nous entendons pire"
En sera-t-il pareil pour moi?
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paroles ferrat
Pourtant, que la montagne est belle
Comment peut-on s'imaginer
En voyant un vol d'hirondelles
Que l'automne vient d'arriver?
Oui dans trente ans du train où vont les choses
Dieu sait ce qu'il adviendra de moi
Mais s'il me reste à la bouche une rose
Qui jette encore un peu d'éclat
Quand de jeunes contestataires
Mettront leurs grands pieds dans mon plat
Je leur dirai "Tino, que je suis fier
D'être encore l'idole à Papa"

Faut-il pleurer, faut-il en rire


Fait-il envie ou bien pitié
Je n'ai pas le coeur à le dire
On ne voit pas le temps passer

Jean Ferrat
LA BOLDOCHÉVIQUE

Si les paysans bretons


Si les paysans bretons
Vous font pousser des boutons
Vous font pousser des boutons
Si vous avez des vapeurs
Devant les viticulteurs
Si les cris des commerçants
Si les cris des commerçants
Ramollissent vos tympans
Ramollissent vos tympans
Si devant les ouvriers
Vous vous sentez des nausées
Ne soyez donc plus si morose
Un petit régime s'impose
La boldochévique la boldochévique
La bonne tisane du bourgeois
La boldochévique la boldochévique
La bonne tisane du bourgeois

Si devant les fonctionnaires


Si devant les fonctionnaires
Vous durcissez des artères
Vous durcissez des artères
Si devant les étudiants
Vous avez très mal aux dents
Si devant les professeurs
Si devant les professeurs
Vous éprouvez tant d'aigreurs
Vous éprouvez tant d'aigreurs
Si même vos policiers
Arrivent à vous constiper
Ne vous rongez plus la cervelle
Vous retournerez à la selle
La boldochévique la boldochévique
La bonne tisane du bourgeois
La boldochévique la boldochévique
La bonne tisane du bourgeois

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paroles ferrat
Si ces sacrés syndicats
Si ces sacrés syndicats
Vous démolissent le foie
Vous démolissent le foie
Si devant les grandes grèves
Votre estomac se soulève
Si les manifestations
Si les manifestations
Font sauter votre tension
Font sauter votre tension
Si devant l'unité d'action
Vous frisez la congestion
Votre régime en est la cause
Un petit changement s'impose

La boldochévique la boldochévique
La bonne tisane du bourgeois
La boldochévique la boldochévique
La boldochévique vous guérira

Jean Ferrat
LA BOURRÉE DES TROIS CÉLIBATAIRES

Avec le commodore et avec l'ami Pierre


Ce qu'on va s'en payer mes petits rigolos
En dansant la bourrée des trois célibataires
Nos femmes ont fait la malle avec leur libido

La belle Ginette
Qui faisait la fête
Plus qu'il n'eût fallu
Aujourd'hui pauvrette
Voilà qu'elle regrette
Ses moeurs dissolues
C'est dans une secte
En mal de prophète
Qu'elle prêche à gogo
Parait que c'est une phase
Pour être en extase
Avec son égo
Avec le commodore et avec l'ami Pierre
Ce qu'on va s'en payer mes petits rigolos
En dansant la bourrée des trois célibataires
Nos femmes ont fait la malle avec leur libido
La grande Gertrude
Qui jouait les prudes
Avec son mari
Le nez long d'un mètre
Ne passait pas pour être
Une affaire au lit
Voilà qu'à son âge
Changement d'herbage
Réjouit les veaux
C'est trois fois dans l'heure
Qu'elle fait le bonheur
De son gigolo

Avec le commodore et avec l'ami Pierre


Ce qu'on va s'en payer mes petits rigolos
En dansant la bourrée des trois célibataires
Nos femmes ont fait la malle avec leur libido
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paroles ferrat
Quant à la Germaine
Avec ses migraines
A longueur d'année
Les jours de reproche
Ses yeux dans les poches
Me faisaient loucher
Plus je voyais double
Plus j'avais des troubles
Inconsidérés
C'est d'une overdose
De sa ménopause
Que j'ai succombé

Avec le commodore et avec l'ami Pierre


Ce qu'on va s'en payer mes petits rigolos
En dansant la bourrée des trois célibataires
Nos femmes ont fait la malle avec leur libido
A vivre en ménage
Tout trois sans nuage
On est décidé
Du côté cuisine
Sans être misogyne
On sait se débrouiller
Pour la bagatelle
On verra lequel
Sera désigné
C'est pas dans les livres
Qu'on apprend à vivre
En communauté
Avec le commodore et avec l'ami Pierre
Ce qu'on va s'en payer mes petits rigolos
En dansant la bourrée des trois célibataires
Nos femmes ont fait la malle avec leur libido

Jean Ferrat
LA CAVALE

Vingt ans au bagne ou à perpette


Les gaffes collés sur les arêtes
Comme des empreintes digitales
Malgré les chaînes et les boulets
Vissés dans l'âme et dans les pieds
Les assassins et les pédales
Elle reste nichée dans ta tête
Avec des couleurs de pâquerette
De petite fleur qui met les voiles
La cavale, la cavale

Avec ces amours qui s'arrêtent


Pas plutôt dites qu'aussitôt faites
Pour devenir loi conjugale
Trois mômes et la vie à perpette
Avec une femme qui te débecte
Comme un paquet de linge sale
Elle est nichée dans ta cervelle
Avec des allures de pucelle
Qu'on finit pas d'ôter ses voiles
La cavale, la cavale
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paroles ferrat
Malgré l'avenir qu'on projette
Sur tes vingt ans comme une arête
Ou tu t'étrangles ou tu l'avales
Avoir à l'âge de la retraite
Quatre poireaux en vinaigrette
Pour satisfaire ta fringale
Elle te fait sortir dans la rue
En levant tes deux poings aux nues
Pour tenter d'atteindre une étoile
La cavale, la cavale
Avec pour couronner la fête
Ce régime sur les arêtes
Qu'en finit pas de faire la malle
Avec ses requins ses poulets
Avec ses banquiers ses valets
Et leurs discours sur la morale
Elle reste nichée dans ta tête
Avec des couleurs de pâquerette
De petite fleur qui met les voiles

La cavale, la cavale...

Jean Ferrat
LA COMMUNE
Paroles: Georges Coulonges

Il y a cent ans commun commune


Comme un espoir mis en chantier
Ils se levèrent pour la Commune
En écoutant chanter Potier
Il y a cent ans commun commune
Comme une étoile au firmament
Ils faisaient vivre la Commune
En écoutant chanter Clément

C'étaient des ferronniers


Aux enseignes fragiles
C'étaient des menuisiers
Aux cent coups de rabots
Pour défendre Paris
Ils se firent mobiles
C'étaient des forgerons
Devenus des meublots

Il y a cent ans commun commune


Comme artisans et ouvriers
Ils se battaient pour la Commune
En écoutant chanter Potier
Il y a cent ans commun commune
Comme ouvriers et artisans
Ils se battaient pour la Commune
En écoutant chanter Clément
Devenus des soldats
Aux consciences civiles
C'étaient des fédérés
Qui plantaient un drapeau
Disputant l'avenir
Aux pavés de la ville
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paroles ferrat
C'étaient des forgerons
Devenus des héros

Il y a cent ans commun commune


Comme un espoir mis au charnier
Ils voyaient mourir la Commune
Ah! Laissez-moi chanter Potier
Il y a cent ans commun commune
Comme une étoile au firmament
Ils s'éteignaient pour la Commune
Écoute bien chanter Clément

Jean Ferrat
LA JEUNESSE
Paroles: Georges Coulonges

Quand tu applaudiras sur la cendre du stade


Les garçons de l'été au torse de couleur
Lorsque tu les verras vibrer devant l'estrade
Où Vilard et Blanchon se firent bateleurs
Lorsque tu les verras sur les neiges en pente
Écrire en noir et blanc et le risque et l'effort
Quand les filles riront avec leur peau brûlante
Et la mer qui ruisselle attachée à leur corps

Alors tu comprendras, alors tu aimeras


La jeunesse, la jeunesse, la jeunesse

Quand ils t'agaceront, ces sourires futiles


Ces vacarmes du soir, ces indécents chahuts
Quand tu t'affligeras du juke-box imbécile
Et des danses nouvelles que tu ne danses plus
Quand le monôme idiot te barrera la route
Revient donc sur tes pas, ils mènent au printemps
Et tu murmureras pour celle qui t'écoute
"Lorsque je faisais ça, moi j'avais dix-sept ans"
Alors tu comprendras, alors tu aimeras
La jeunesse, la jeunesse, la jeunesse

Quand tu seras ému devant leur joie de vivre


Devant leur soif d'amour quand tu auras pleuré
Pour un Alain-Fournier vivant le temps d'un livre
Ou bien pour Guy Moquet mourant au temps d'aimer
Le temps d'aimer se perd, le temps est ce qui passe
Le temps est ce qui meurt, l'espoir est ce qui naît
Regarde ces garçons, ces filles qui s'embrassent
Il va naître pour eux le temps que tu voulais

Alors tu aimeras, alors tu salueras


La jeunesse, la jeunesse, la jeunesse

Jean Ferrat et Christine Sèvres


LA MATINÉE

La matinée se lève
Toi debout, il est temps

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paroles ferrat
Attends encore, attends
J'ai pas fini mon rêve

Le soleil nous inonde


Regarde-moi ce bleu
Attends encore un peu
Je refaisais le monde

Lève-toi donc, respire


Quel printemps nous avons

J'efface mille avions


Une guerre, un empire

Faut labourer la terre


Et tirer l'eau du puits

Changer la vie et puis


Abolir la misère
Regarde l'alouette
Il est midi sonné

Le monde abandonné
Je le donne au poète

Allons, viens dans la vigne


Le soleil est très haut

Le monde sera beau


Je l'affirme, je signe

Le monde sera beau


Je l'affirme, je signe

Jean Ferrat
LA MONTAGNE

Ils quittent un à un le pays


Pour s'en aller gagner leur vie
Loin de la terre où ils sont nés
Depuis longtemps ils en rêvaient
De la ville et de ses secrets
Du formica et du ciné
Les vieux, ça n'était pas original
Quand ils s'essuyaient machinal
D'un revers de manche les lèvres
Mais ils savaient tous à propos
Tuer la caille ou le perdreau
Et manger la tome de chèvre

Pourtant que la montagne est belle


Comment peut-on s'imaginer
En voyant un vol d'hirondelles
Que l'automne vient d'arriver?
Avec leurs mains dessus leurs têtes
Ils avaient monté des murettes
Jusqu'au sommet de la colline
Qu'importent les jours, les années
Ils avaient tous l'âme bien née
Noueuse comme un pied de vigne
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paroles ferrat
Les vignes, elles courent dans la forêt
Le vin ne sera plus tiré
C'était une horrible piquette
Mais il faisait des centenaires
A ne plus savoir qu'en faire
S'il ne vous tournait pas la tête
Pourtant que la montagne est belle
Comment peut-on s'imaginer
En voyant un vol d'hirondelles
Que l'automne vient d'arriver?

Deux chèvres et puis quelques moutons


Une année bonne et l'autre non
Et sans vacances et sans sorties
Les filles veulent aller au bal
Il n'y a rien de plus normal
Que de vouloir vivre sa vie
Leur vie, ils seront flics ou fonctionnaires
De quoi attendre sans s'en faire
Que l'heure de la retraite sonne
Il faut savoir ce que l'on aime
Et rentrer dans son H.L.M.
Manger du poulet aux hormones
Pourtant que la montagne est belle
Comment peut-on s'imaginer
En voyant un vol d'hirondelles
Que l'automne vient d'arriver?

Jean Ferrat
LA FEMME EST L'AVENIR DE L'HOMME

Le poète a toujours raison


Qui voit plus haut que l'horizon
Et le futur est son royaume
Face à notre génération
Je déclare avec Aragon
La femme est l'avenir de l'homme

Entre l'ancien et le nouveau


Votre lutte à tous les niveaux
De la nôtre est indivisible
Dans les hommes qui font les lois
Si les uns chantent par ma voix
D'autres décrètent par la bible
Le poète a toujours raison
Qui détruit l'ancienne oraison
L'image d'Eve et de la pomme
Face aux vieilles malédictions
Je déclare avec Aragon
La femme est l'avenir de l'homme
Pour accoucher sans la souffrance
Pour le contrôle des naissances
Il a fallu des millénaires
Si nous sortons du moyen âge
Vos siècles d'infini servage
Pèsent encore lourd sur la terre
Le poète a toujours raison
Qui annonce la floraison
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paroles ferrat
D'autres amours en son royaume
Remet à l'endroit la chanson
Et déclare avec Aragon
La femme est l'avenir de l'homme

Il faudra réapprendre à vivre


Ensemble écrire un nouveau livre
Redécouvrir tous les possibles
Chaque chose enfin partagée
Tout dans le couple va changer
D'une manière irréversible

Le poète a toujours raison


Qui voit plus haut que l'horizon
Et le futur est son royaume
Face aux autres générations
Je déclare avec Aragon
La femme est l'avenir de l'homme

Jean Ferrat
LA FÊTE AUX COPAINS
Paroles: Georges Coulonges

C'est la fête aux copains


C'est la fête à Pantin
C'est la fête à Paname
C'est la fête aux Lilas
La fête ici et là
C'est la fête à mon âme

Il y a du défilé
Du bal dans les quartiers
Des mouflets que l'on gronde
C'est la fête aux barbus
C'est la fête aux cocus
C'est la fête à tout le monde

Quatorze, c'est fou ce que t'es triste


Quand sur un édifice
T'es suivi de dix-huit
Quatorze, c'est fou ce que t'es gai
Quand au calendrier
T'es suivi de Juillet
C'est la fête aux copains
C'est la fête aux trottins
Qui suivent la musique
C'est la fête aux marins
Qui montrent dans un coin
Comme on danse en Afrique

C'est la fête à Taupin


Le vieux républicain
Qui règle les sous-tasses
C'est la fête aux tambours
C'est la fête à l'amour
Où tout le monde s'embrasse
Allez, allez, allez, viens...

C'est la fête à Meudon


C'est la fête aux lampions
C'est la fête aux étoiles
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paroles ferrat
C'est la fête en plein air
Il y a de la joie dans l'air
Et du vent dans les voiles
C'est la fête à la rue
Où tous ces inconnus
Vont ranimer leur flamme
C'est la fête où l'on rit
En voyant que Paris
Sera toujours Paname
Allez, allez, allez, viens...
C'est la fête à nous deux
Si tu me pousse un peu
Je t'ai dit "je t'adore"
Quand tu m'as répondu
Ma parole t'as foutu
Mon coeur en tricolore

Et c'est la fête à toi


Et c'est la fête à moi
C'est la fête aux bêtises
Dans une rue perdue
Quand je te dis "veux-tu?"
Je vois tes yeux qui disent...

Ah, ça ira, ça ira, ça ira...


Ah, ça ira, ça ira, ça ira...
Ah, ça ira, ça ira, ça ira...

Jean Ferrat
LA LEÇON BUISSONNIÈRE
Paroles: Guy Thomas

C'est au numéro trente-deux


De l'avenue de la République
Que j'enseigne aux petits merdeux
Les théories philosophiques

Que je traduis le De Bello


Que je trahis les Phillipiques
Pour aider les petits salauds
Les premiers prix de gymnastique

Je reçois la progéniture
Du brasseur du primeur en gros
Je suis le marchand de culture
L'empêcheur de petits zéros
Je suis le bon dieu des rombières
L'ange du baccalauréat
Le petit besogneux pas cher
Le pédago petit format
Pendant que le petit crapaud
Apprend Caesar pontem fecit
Qu'il cherche l'ablatif en o
Qu'il bafouille le prétérit

J'ai le front contre mon carreau


Je rêve au loin j'hélicoptère
J'écoute siffler les bateaux
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paroles ferrat
Je fais la leçon buissonnière

C'est au numéro trente-deux


De l'avenue de la République
Au-dessus du Café des Flots Bleus
Que je cingle vers les tropiques
Et que je deviens vieillard hideux
Batelier de la rhétorique
En aidant les petits merdeux
A rester des enfants de bourriques

Jean Ferrat
LA LIBERTÉ EST EN VOYAGE
Paroles et musique: Jean Ferrat

Avec des plumes bleues


Des poissons dans son lit
Et le canard boiteux
Qui me tient compagnie
Avec un bout de zan
Deux mètres de ficelle
Un coup de ran plan plan
Un zeste de ma belle

Fermez vos grilles fermez vos cages


La liberté est en voyage

Sur l'aile des casquettes


Et des trains de banlieue
Le temps d'une risette
Où tu veux quand tu veux
Avec une musette
Un souffle de vin blanc
Avec l'escarpolette
Ah jetez-moi dedans

Fermez vos grilles fermez vos cages


La liberté est en voyage

Avec l'étouffe crasse


Le pauvre Harry Cow
L'inutile grandasse
Et ses cocoricos
Avec le corniflard
Les écrase-torchons
Les oncles grésillards
Et les petits Ducon
Fermez vos grilles fermez vos cages
La liberté est en voyage

Avec le pingouin mauve


Qui mange les méchants
Les penseurs aux yeux chauves
Les Ma Soeur bien pensant
Avec un crocodile
Oui berce les enfants
Avec indélébile
Qui marque jusqu'au sang
Fermez vos grilles fermez vos cages
La liberté est en voyage
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paroles ferrat
Avec zouli zoulis
Tes profonds reindibus
Tes palmes lapidus
Et ton joli zizi
Avec ta flamme brune
Et la source au milieu
Avec je te prie Dieu
Et ta main dans ma hune
Fermez vos grilles fermez vos cages
La liberté est en voyage
Avec le beau le laid
Le droit et le tordu
Avec la soupe au lait
Et le rien ne va plus
Avec des Nom de Dieu
Avec des noms de fleurs
Et des prénoms de feu
Et des surnoms de coeur
Fermez vos grilles fermez vos cages
La liberté est en voyage

Jean Ferrat
LA PAIX SUR TERRE
Paroles et musique: Jean Ferrat

Nous ne voulons plus de guerre


Nous ne voulons plus de sang
Halte aux armes nucléaires
Halte à la course au néant
Devant tous les peuples frères
Qui s'en porteront garants
Déclarons la paix sur terre
Unilatéralement
La force de la France c'est l'esprit des Lumières
Cette petite flamme au coeur du monde entier
Qui éclaire toujours les peuples en colère
En quête de justice et de la liberté

Nous ne voulons plus de guerre


Nous ne voulons plus de sang
Halte aux armes nucléaires
Halte à la course au néant
Devant tous les peuples frères
Qui s'en porteront garants
Déclarons la paix sur terre
Unilatéralement

Parce qu'ils ont un jour atteint l'Universel


Dans ce qu'ils ont écrit cherché sculpté ou peint
La force de la France c'est Cézanne et Ravel
C'est Voltaire et Pasteur c'est Verlaine et Rodin
Nous ne voulons plus de guerre
Nous ne voulons plus de sang
Halte aux armes nucléaires
Halte à la course au néant
Devant tous les peuples frères
Qui s'en porteront garants
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Déclarons la paix sur terre
Unilatéralement

La force de la France elle est dans ses poètes


Qui taillent l'avenir au mois de mai des mots
Couvrez leurs yeux de cendre tranchez leur gorge ouverte
Vous n'étoufferez pas le chant du renouveau

Nous ne voulons plus de guerre


Nous ne voulons plus de sang
Halte aux armes nucléaires
Halte à la course au néant
Devant tous les peuples frères
Qui s'en porteront garants
Déclarons la paix sur terre
Unilatéralement

La force de la France elle sera immense


Défiant à jamais et l'espace et le temps
Le jour où j'entendrai reprendre ma romance
Dans la réalité de la foule chantant
Nous ne voulons plus de guerre
Nous ne voulons plus de sang
Halte aux armes nucléaires
Halte à la course au néant
Devant tous les peuples frères
Qui s'en porteront garants
Déclarons la paix sur terre
Unilatéralement

Jean Ferrat
LA PETITE FLEUR QUI TOMBE
Paroles: Henri Gougaud

La petite fleur qui tombe


Pourrait faire un bruit de bombe
Écoutez écoutez
La petite fleur profane
Celle qui jamais ne fane
Place de la Liberté

Les deux pieds dans Paris le front dans l'avenir


La main tendue à qui voulait bien la tenir
Je fus heureux je vous le jure
Les chansons crépitaient à chaque coin de rue
Et moi frappé au coeur d'une rose perdue
J'en garde encore une blessure
La petite fleur qui tombe
Pourrait faire un bruit de bombe
Écoutez écoutez
La petite fleur profane
Celle qui jamais ne fane
Place de la Liberté
Aujourd'hui que l'hiver a séparé nos mains
Je vais obstinément sur le même chemin
Entre la rage et la tendresse
Dans Paris aux murs gris jusqu'au-dessus des toits
Une petite fleur me dit rappelle-toi
Ne me laisse pas en détresse
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La petite fleur qui tombe
Pourrait faire un bruit de bombe
Écoutez écoutez
La petite fleur profane
Celle qui jamais ne fane
Place de la Liberté

Jean Ferrat
LA PORTE À DROITE
Paroles: Guy Thomas

On m'a dit tes idées ne sont plus à la mode


Quand on veut gouverner ce n'est pas si commode
Il faut évidemment s'adapter au terrain
Mettre jour après jour un peu d'eau dans son vin

On m'a dit dans la jungle il faut qu'on se débrouille


On est bien obligé d'avaler des magouilles
De laisser dans un coin les projets trop coûteux
On va pas tout rater pour des canards boiteux
La porte du bonheur est une porte étroite
On m'affirme aujourd'hui que c'est la porte à droite
Qu'il ne faut plus rêver et qu'il est opportun
D'oublier nos folies d'avant quatre-vingt-un

On m'a dit qu'il fallait prêcher le sacrifice


A ceux qui n'ont pas pu s'ouvrir un compte en Suisse
Qu'il fallait balayer tous nos vieux préjugés
Et que ceux qui travaillent étaient privilégiés

On m'a dit tu comprends tes idées archaïques


Ne feront qu'aggraver la crise économique
Ainsi la liberté dans un monde plus juste
Fait partie des slogans qui sont un peu vétustes

La porte du bonheur est une porte étroite


On m'affirme aujourd'hui que c'est la porte à droite
Qu'il ne faut plus rêver et qu'il est opportun
D'oublier nos folies d'avant quatre-vingt-un

Puis d'autres sont venus beaucoup moins présentables


Qui parlaient de la France en tapant sur la table
Qui disaient faut changer c'est la loi du pendule
On va pour commencer supprimer la pilule
Ensuite il faudra bien flytoxer la vermine
Rétablir la morale avec la guillotine
Et pi n'a qu'à virer les mauvais syndicats
Pour conserver celui qui plaît au patronat

La porte du bonheur est une porte étroite


On m'affirme aujourd'hui que c'est la porte à droite
Qu'il ne faut plus rêver et qu'il est opportun
D'oublier nos folies d'avant quatre-vingt-un
Ils ont dit qu'il fallait se montrer réaliste
Qu'il y avait du bon dans les journaux racistes
Qu'il fallait nettoyer ce cher et vieux pays
Si l'on ne voulait pas qu'il devienne un gourbi
Dois-je vous l'avouer ces propos me renversent
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paroles ferrat
Quand je vais boire un verre au café du commerce
Parfois je crois revoir sur du papier jauni
La photo de Pétain dans mon verre de Vichy
La porte du bonheur est une porte étroite
Qu'on ne me dise plus que c'est la porte à droite
Qu'il ne faut plus rêver et qu'il est opportun
D'oublier nos folies d'avant quatre-vingt-un

Jean Ferrat
LA VOIX LACTÉE (S.G.D.G.)
Paroles et musique: Jean Ferrat

Avant que mes chansons ne fassent des recettes


J'étais un paria du monde des affaires
Il parait qu'à présent c'est fou ce qu'on m'achète
Je suis considéré autant qu'un camembert

Jésus-Marie
Quelle décadence
Quelque chose est pourri
Dans mon royaume de France

J'aurais pu après tout n'être que concoyotte


Que fourme méconnu qui reste sur l'étal
Que ces petits carrés à la crème pâlotte

Qui n'ont aucune chance avec le Capital

Jésus-Marie
Quelle décadence
Quelque chose est pourri
Dans mon royaume de France

Bien qu'étant de la gueule si je ne suis en fait


Pour les uns qu'un fromage pour les autres un poète
Je vous avoue messieurs n'avoir pas mérité
Ni cet excès d'honneur ni cette indignité

Jésus-Marie
Quelle décadence
Quelque chose est pourri
Dans mon royaume de France
J'étais un bon garçon ni plus fin ni plus bête
Qu'un tas de va-nu-pieds qui n'en font qu'à leur tête

Mais depuis que mon jour de gloire est arrive


Je dois faire des choses dont je n'avais pas idée

Jésus-Marie
Quelle décadence
Quelque chose est pourri
Dans mon royaume de France

Pour avoir en effet goûté ses coups de trique


Je n'étais pas copain de la force publique
Bousculé par la foule je me vois aujourd'hui
Contraint d'appeler les flics et de leur dire merci
Jésus-Marie
Quelle décadence
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paroles ferrat
Quelque chose est pourri
Dans mon royaume de France

je tapote des joues j'embrasse des enfants


Et je fais des risettes autant qu'un président
Si je n'avais encore un peu d'égards pour moi
Je dirais que je suis une vraie fille de joie

Jésus-Marie
Quelle décadence
Quelque chose est pourri
Dans mon royaume de France
Mais qu'on soit fille de joie ou fromage ou poète
On vous jette dehors quand boude le client
Moi Messieurs des Finances qui sait ce que vous êtes
Je n'attendrai pas d'être tout à tait coulant

Jésus-Marie
Quelle décadence
Quelque chose est pourri
Dans mon royaume de France

Jean Ferrat
LE BILAN

Ah ils nous en ont fait avaler des couleuvres


De Prague à Budapest de Sofia à Moscou
Les staliniens zélés qui mettaient tout en oeuvre
Pour vous faire signer les aveux les plus fous
Vous aviez combattu partout la bête immonde
Des brigades d'Espagne à celles des maquis
Votre jeunesse était l'histoire de ce monde
Vous aviez nom Kostov ou London ou Slansky

Au nom de l'idéal qui nous faisait combattre


Et qui nous pousse encore à nous battre aujourd'hui
Ah ils nous en ont fait applaudir des injures
Des complots déjoués des dénonciations
Des traîtres démasqués des procès sans bavures
Des bagnes mérités des justes pendaisons
Ah comme on y a cru aux déviationnistes
Aux savants décadents aux écrivains espions
Aux sionistes bourgeois aux renégats titistes
Aux calmniateurs de la révolution
Au nom de l'idéal qui nous faisait combattre
Et qui nous pousse encore à nous battre aujourd'hui
Ah ils nous en ont fait approuver des massacres
Que certains continuent d'appeler des erreurs
Une erreur c'est facile comme un et deux font quatre
Pour barrer d'un seul trait des années de terreur
Ce socialisme était une caricature
Si les temps on changé des ombres sont restées
J'en garde au fond du coeur la sombre meurtrissure
Dans ma bouche à jamais le soif de vérité

Au nom de l'idéal qui nous faisait combattre


Et qui nous pousse encore à nous battre aujourd'hui
Mais quand j'entends parler de "bilan" positif
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paroles ferrat
Je ne peux m'empêcher de penser à quel prix
Et ces millions de morts qui forment le passif
C'est à eux qu'il faudrait demander leur avis
N'exigez pas de moi une âme de comptable
Pour chanter au présent ce siècle tragédie
Les acquis proposés comme dessous de table
Les cadavres passés en pertes et profits

Au nom de l'idéal qui nous faisait combattre


Et qui nous pousse encore à nous battre aujourd'hui
C'est un autre avenir qu'il faut qu'on réinvente
Sans idole ou modèle pas à pas humblement
Sans vérité tracée sans lendemains qui chantent
Un bonheur inventé définitivement
Un avenir naissant d'un peu moins de souffrance
Avec nos yeux ouverts et grands sur le réel
Un avenir conduit par notre vigilance
Envers tous les pouvoirs de la terre et du ciel

Au nom de l'idéal qui nous faisait combattre


Et qui nous pousse encore à nous battre aujourd'hui

Jean Ferrat
LE BRUIT DES BOTTES
Paroles: Guy Thomas

C'est partout le bruit des bottes


C'est partout l'ordre en kaki
En Espagne on vous garotte
On vous étripe au Chili
On a beau me dire qu'en France
On peut dormir à l'abri
Des Pinochet en puissance
Travaillent aussi du képi

Quand un Pinochet rapplique


C'est toujours en général
Pour sauver la République
Pour sauver l'Ordre moral
On sait comment ils opèrent
Pour transformer les esprits
Les citoyens bien pépères
En citoyens vert-de-gris
A coup d'interrogatoires
De carotte et de bâton
De plongeon dans la baignoire
De gégène et de tison
Il se peut qu'on vous disloque
Ou qu'on vous passe à tabac
Qu'on vous suicide en lousdoc
Au fond d'un commissariat

Il se peut qu'on me fusille


Pour avoir donné du feu
Pour avoir joué aux billes
Avec un petit hébreu
On va t'écraser punaise
Pour avoir donné du pain
Pour avoir donné du pèze
Au petit nord-africain
Il se pourrait qu'on m'accuse
Page 83
paroles ferrat
Avec un petit gourdin
D'avoir étudié Marcuse
D'avoir été sartrien
Ils auront des électrodes
Ils diront tu veux du jus
Pour connaître la période
Où j'étais au P.S.U.

A moins qu'ils me ratatinent


Pour mon immoralité
Pour avoir baisé Delphine
Pour avoir été pédé
A moins qu'ils ne me condamnent
A mourir écartelé
Entre l'amour de Roxane
Et celui du beau Dédé

Il se peut qu'on me douillette


Pour que je veuille attester
Qu'en mil neuf cent soixante-sept
Je lisais l'Humanité
Il se peut qu'on me tourmente
Et qu'on me fasse avouer
Que dans les années soixante
J'étais à la C.G.T.
A moins qu'ils me guillotinent
Pour avoir osé chanter
Les marins du Potemkine
Et les camps de déportés
A moins qu'avec un hachoir
Ils me coupent les dix doigts
Pour m'apprendre la guitare
Comme ils ont fait à Jara

C'est partout le bruit des bottes


C'est partout l'ordre en kaki
En Espagne on vous garotte
On vous étripe au Chili
Il ne faut plus dire qu'en France
On peut dormir à l'abri
Des Pinochet en puissance
Travaillent aussi du képi
Travaillent aussi du képi

Jean Ferrat
LE BUREAU

Ils ne savent pas


Pourquoi ils attendent
Ils voudraient partir
Ils restent là
Leur vie se dévide
A l'amble ou au pas
Un jour une ride
Où blesse le bât
L'écho d'un soupir
L'ombre d'une joie
La chance à venir
Qui ne viendra pas

Assis sur leur chaise


Derrière leur bureau
Comme un long malaise
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paroles ferrat
Qui colle à la peau

Les jeunes les vieux


Les garçons les filles
Ont les mêmes yeux
Pâles de vanille
D'avoir trop fixé
D'un regard glacé
La pendule lente
Sur six heures trente
Leur vie s'achemine
Vers on ne sait quoi
Comme un bout de rime
Qui ne rime pas

Assis sur leur chaise


Derrière leur bureau
Comme un long malaise
Qui colle à la peau

Et puis quelquefois
Las de trop attendre
L'un d'eux tout à coup
Hurle comme un loup
Ils ne savent pas
Ce qu'il faut comprendre
Chacun le regarde
Vaguement jaloux
On croit qu'il divague
On dit qu'il est fou
Et s'éteint la vague
Avec le remous

On donne sa chaise
Et son porte-manteau
Un long soupir d'aise
Monte du bureau

Jean Ferrat
LE CHÂTAIGNIER
Paroles: Guy Thomas

J'entends les vieux planchers qui craquent


J'entends du bruit dans la baraque
J'entends j'entends dans le grenier
Chanter chanter mon châtaignier
Bien à l'abri dans ma soupente
Moi j'entends chanter la charpente
J'entends les poutres qui se plaignent
Ce n'est pas du bois vermoulu
De ne plus donner de châtaignes
En supportant mon toit pointu

J'entends les vieux planchers qui craquent


J'entends du bruit dans la baraque
J'entends j'entends dans le grenier
Chanter chanter mon châtaignier
Quand on devient poutre-maîtresse
C'est tout le toit qui vous oppresse
Il faut chanter tout doucement
La chanson de ses origines
Celle qu'il me chante en sourdine
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paroles ferrat
En y mettant du sentiment

J'entends les vieux planchers qui craquent


J'entends du bruit dans la baraque
J'entends j'entends dans le grenier
Chanter chanter mon châtaignier
C'est surprenant mais c'est logique
Il chante la chanson magique
Qu'il a apprise au fond des bois
Il me chante une chanson tendre
Que je suis le seul à comprendre
Quand la nuit vient à petits pas

J'entends les vieux planchers qui craquent


J'entends du bruit dans la baraque
J'entends j'entends dans le grenier
Chanter chanter mon châtaignier
C'est vrai pourtant qu'il nous protège
Contre le froid contre la neige
Tout en berçant mes insomnies
Ce n'est pas une chanson triste
Mon châtaignier est un artiste
Qui continue d'aimer la vie
J'entends les vieux planchers qui craquent
J'entends du bruit dans la baraque
J'entends j'entends dans le grenier
Chanter chanter mon châtaignier

Jean Ferrat
LE CHEF DE GARE EST AMOUREUX
Paroles: Guy Thomas

Quand il sort le matin de la gare


Chacun sourit chacun se marre
Quand il passe au milieu de la rue
Chacun murmure il est cocu!
Chacun chantonne il a des cornes
Sa connerie n'a pas de bornes
Chacun le croit dur de la feuille
Chacun se met le doigt dans l'oeil!
Plaignez pas l'imbécile heureux
Le chef de gare est amoureux!
Chacun raconte à sa manière
Les safaris de sa panthère
Elle a la cuisse hospitalière
Oui mais quand même elle exagère
Tout le monde est passé dessus
A part les trains bien entendu
Chacun décrit chacun relate
Sa façon de lever la patte!

Plaignez pas l'imbécile heureux


Le chef de gare est amoureux!

Chacun siffle la chansonnette


Quand on aperçoit sa casquette
Il est un peu bas-du-plafond
Il a rien dans son pantalon!
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paroles ferrat
Cocu content laissons les dire
C'est la bêtise qui transpire
Et de la bêtise il s'en fout
Laissons glouglouter les égouts!

Plaignez pas l'imbécile heureux


Le chef de gare est amoureux!

Il n'a qu'une idée dans la tête


Le train de neuf heure cinquante-sept
Car tout son bonheur en descend
C'est une fille de seize ans
Elle est charmante elle est discrète
Et c'est dans un wagon-couchette
Que tous les soirs les deux amants
Se font un petit appartement!

Plaignez pas l'imbécile heureux


Le chef de gare est amoureux!

Jean Ferrat
LE COEUR FRAGILE
Paroles: Guy Thomas

Si je meurs un beau soir d'hiver


On dira que c'est d'un cancer
Ou bien d'un truc à quelque chose
Il peut se trouver des experts
Qui décréteront au contraire
Que c'était la tuberculose

C'est pourquoi je prends les devants


Pour affirmer dès maintenant
Croyez pas ces vieux imbéciles
J'avais une santé de fer
Je n'avais qu'un petit travers
J'avais le coeur un peu fragile

Le coeur fragile
Les mains fébriles
La bouche offerte
J'aurai vécu
Sans avoir cru
L'île déserte
En attendant
Le coeur battant
La découverte
Je veux dormir
Je veux mourir
La porte ouverte
Quand on prend tout d'un coeur léger
Il paraît qu'on vit sans danger
Que la mort longtemps nous évite
Mais j'ai voulu croire au bonheur
Et j'ai pris tant de choses à coeur
Que mon coeur a battu trop vite
Au lieu d'être un homme averti
Qui se passionne au ralenti
J'ai pris le parti des poètes
C'est en cherchant la toison d'or
Que mon coeur a battu si fort
Quand j'y pense encore il s'arrête
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paroles ferrat
Le coeur fragile
Les mains fébriles
La bouche offerte
J'aurai vécu
Sans avoir cru
L'île déserte
En attendant
Le coeur battant
La découverte
Je veux dormir
Je veux mourir
La porte ouverte

On me dira c'est pas sérieux


On ne s'en va pas pour si peu
Il faut des raisons bien plus fortes
Mais je n'ai pas d'autres raisons
De mettre sous le paillasson
La petite clé de ma porte
On peut mourir tout doucement
D'un petit baiser qu'on attend
D'une voix froide au téléphone
D'un mot qu'on lance à bout portant
D'une confiance qu'on reprend
D'un amour qui vous abandonne
Le coeur fragile
Les mains fébriles
La bouche offerte
J'aurai vécu
Sans avoir cru
L'île déserte
En attendant
Le coeur battant
La découverte
Je veux dormir
Je veux mourir
La porte ouverte

Jean Ferrat
LE DIABLE AU COEUR
Paroles: Cécile Laggiard

Un soleil farouche
Pèse sur ma bouche
En pétales d'or
Un soleil de fièvre
Pèse sur mes lèvres
Pèse sur mon corps
Et l'été
Ce presque rien
Ce presque tout
Ce comédien
Qui se glisse
Dans ma vie
Comme un ami
Et l'été
Ce Jean la fleur
Ce Jean le fort
Ce baroudeur
Qui me met
Le diable au corps
Page 88
paroles ferrat
Le diable au coeur

Je voudrais t'écrire
Je voudrais te dire
Je m'ennuie de toi
Mais les heures passent
Mon désir se lasse
Au fil de ma joie

Un soleil farouche
Pèse sur ma bouche
En pétales d'or
Un soleil de fièvre
Pèse sur mes lèvres
Pèse sur mon corps
Et l'été
Ce presque rien
Ce presque tout
Ce comédien
Qui se glisse
Dans ma vie
Comme un ami
Et l'été
Ce Jean la fleur
Ce Jean le fort
Ce baroudeur
Qui me met
Le diable au corps
Le diable au coeur

D'autres me regardent
Mon rêve ballade
Un peu dans leurs bras
C'est déjà sourire
C'est déjà le dire
C'est vouloir déjà
Un soleil farouche
Pèse sur ma bouche
En pétales d'or
Un soleil de fièvre
Pèse sur mes lèvres
Pèse sur mon corps
Et l'été
Ce presque rien
Ce presque tout
Ce comédien
Qui se glisse
Dans ma vie
Comme un ami
Et l'été
Ce Jean la fleur
Ce Jean le fort
Ce baroudeur
Qui me met
Le diable au corps
Le diable au coeur

Qui me met
Le diable au corps
Le diable au coeur

Jean Ferrat
LE FANTÔME
Page 89
paroles ferrat

Quand ils commencèrent


La chasse aux sorcières
J'étais jeune apparition
Sans grande expérience
Leurs cris de démence
Me glaçaient jusqu'au trognon
A longueur d'antenne
J'agitais mes chaînes
Sans faire la moindre impression
Maintenant on me respecte
Je suis un vieux spectre
Bien connu dans la maison

Je suis l'âme en peine


Qui secoue ses chaînes
Au studio des Buttes-Chaumont
L'onde est mon royaume
Je suis le fantôme
De la télévision
Je fais des chatouilles
A ceux qui magouillent
Dans le sondage bidon
Je fais des gratouilles
A ceux qui glandouillent
Dans le débat-mironton
Je fous les chocottes
A ceux qui fayotent
Dans la désinformation
Je fous la panique
A ceux qui forniquent
La liberté d'expression

Je suis l'âme en peine


Qui secoue ses chaînes
Au studio des Buttes-Chaumont
L'onde est mon royaume
Je suis le fantôme
De la télévision
En vingt ans de dur labeur
J'ai connu vingt directeurs
Qui partirent à ma chasse
Mais avant qu'ils ne m'attrapent
Ils passaient tous à la trappe
Moi je suis toujours en place

Y'en a qui m'envient


De passer ma vie
A côtoyer les Zitrons
Les grands publicistes
Tous ceux qui insistent
Pour vous lessiver l'oignon
Les gens qui surnagent
Grâce au matraquage
Des ritournelles à la con
Les brosses à reluire
Des princes-sans-rire
Qui vous forment une opinion

Mais tout n'est pas drôle


Quand on joue le rôle
Le rôle d'apparition
L'onde est mon royaume
Plaignez le fantôme
De la télévision

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paroles ferrat
Ici y'a des dingues
Qui prennent leurs flingues
Pour trouer mon courant d'air
De sombres figures
Quand je dis culture
Qui sortent leurs revolvers
Sitôt que je bouge
Y'en a qui voient rouge
Faut qu'ils se fassent une raison
Y'a pas qu'en Ecosse
Que mon petit négoce
Fait partie des traditions
Y'a tant d'âmes en peine
Qui secouent leurs chaînes
Au studio des Buttes-Chaumont
L'onde est un royaume
Rempli de fantômes
A la télévision

Jean Ferrat
LE GRILLON
Paroles et musique: Jean Ferrat

Quand l'hiver a pris sa besace


Que tout s'endort et tout se glace
Dans mon jardin abandonné
Quand les jours soudain rapetissent
Que les fantômes envahissent
La solitude des allées
Quand la burle secoue les portes
En balayant les feuilles mortes
Aux quatre coins de la vallée

Un grillon un grillon
Un grillon dans ma cheminée
Un grillon un grillon
Un grillon se met à chanter

Il n'a pourtant dans son assiette


Pas la plus petite herbe verte
La plus fragile graminée
A se mettre sous la luette
Quand le vent souffle la tempête
Et qu'il est l'heure de dîner
Que peut-il bien manger ou boire
A quoi peut-il rêver ou croire
Quel espoir encore l'habiter
Un grillon un grillon
Un grillon dans ma cheminée
Un grillon un grillon
Un grillon se met à chanter
Son cri n'a d'autre raison d'être
Que son refus de disparaître
De cet univers désolé
Pour le meilleur et pour le pire
Il chante comme je respire
Pour ne pas être asphyxié
Sait-il au fond de sa mémoire
Que c'est du coeur de la nuit noire
Qu'on peut voir l'aube se lever
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paroles ferrat
Un grillon un grillon
Un grillon dans ma cheminée
Un grillon un grillon
Un grillon se met a chanter

Jean Ferrat
LE JOUR OÙ JE DEVIENDRAI GROS

Séchez vos pleurs belles maîtresses


Nous ne nous choquerons plus les os
Voici venir des jours de liesse
Voici venir l'amour nouveau
Sur mes genoux comme à confesse
Vous pourrez vous tenir au chaud

Le jour le jour le jour le jour


Où je deviendrai gros

Plus s'agrandira ma bedaine


Plus s'amoindrira mon cerveau
Comme Jeanne filant la laine
Entendait les voix du très haut
Plût à vous vierges souveraines
Que je ne sois qu'un peu dévot

Le jour le jour le jour le jour


Où je deviendrai gros

Tous les soirs au café de France


Devant mon troisième pernod
A des notables d'importance
Je réciterai mon crédo
Que je suis fier de notre France
De ses bourgeois et généraux

Le jour le jour le jour le jour


Où je deviendrai gros

La rosette à la boutonnière
Je saluerai bas le drapeau
J'écouterai les légionnaires
Chanter le temps du sable chaud
En versant des larmes amères
Sur nos colonies, les salauds
Le jour le jour le jour le jour
Où je deviendrai gros
Le doute se glisse en mon âme
Me met des frissons dans le dos
C'est le régime que ma femme
Voudra m'imposer illico
Devrai-je vivre autant de drames
Que je mangerai de perdreaux
Le jour le jour le jour le jour
Où je deviendrai gros
Puisque contre moi tout se ligue
Comment choisir entre deux maux
Être un semblant d'escartefigue
Ou bien rester dedans ma peau
Si je suis gras comme une figue
Je serai con comme un pruneau
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paroles ferrat
Le jour le jour le jour le jour
Où je deviendrai gros

Jean Ferrat
LE KILIMANDJARO
Paroles: Guy Thomas

Tu me dis souvent sans ambages


Que je travaille du chapeau
Que j'ai le front dans les nuages
Et du givre après mes carreaux

Tu me traites d'idéaliste
De poète de chat perché
Qui fait pas grand-chose en touriste
Qui se plaît pas sur le plancher

Tu dis que je suis égoïste


Que je veux que du cousu main
Qu'il faut être un peu réaliste
Aimer les trucs américains
Que la vie c'est du terre à terre
Qu'on peut pas être himalayen
Sept jours sur sept et qu'il s'avère
Qu'il faut savoir être moyen

Tu comprends pas c'est ça qu'est triste


Que j'aimerais vivre moins haut
Être un amoureux plus simpliste
Avoir l'altitude à zéro

Je veux ton cul dans les nuages


Mais c'est pas pour baiser plus haut
Que les copains du voisinage
Je suis le Kilimandjaro

Jean Ferrat
LE MALHEUR D'AIMER
Poème d'Aragon

Que sais-tu des plus simples choses


Les jours sont des soleils grimés
De quoi la nuit rêvent les roses
Tous les feux s'en vont en fumée
Que sais-tu du malheur d'aimer

Je t'ai cherchée au bout des chambres


Où la lampe était allumée
Nos pas n'y sonnaient pas ensemble
Ni nos bras sur nous refermés
Que sais-tu du malheur d'aimer
Je t'ai cherchée à la fenêtre
Les parcs en vain sont parfumés
Où peux-tu où peux-tu bien être
A quoi bon vivre au mois de mai
Que sais-tu du malheur d'aimer
Page 93
paroles ferrat
Que sais-tu de la longue attente
Et ne vivre qu'à te nommer
Dieu toujours même et différente
Et de toi moi seul à blâmer
Que sais-tu du malheur d'aimer
Que je m'oublie et je demeure
Comme le rameur sans ramer
Sais-tu ce qu'il est long qu'on meure
A s'écouter se consumer
Connais-tu le malheur d'aimer

Jean Ferrat
LE P'TIT JARDIN
Paroles: Michelle Senlis

Il perd un jardin par semaine


Mon petit coin là-bas près de la Seine
Il perd chaque mois une friture
Il y gagne quoi la blessure
D'une maison de vingt étages
Où l'on mettra les hommes en cage

Avant c'était pas la même chose


Avant j'y découvrais des choses
J'y emmenais Lulu et Rose
Dans mon petit coin de paradis
C'était ma Corse mon midi
Mes lauriers roses en Italie
Il perd ses lilas par centaines
Mon petit coin là-bas près de la Seine
Il perd ses chinois ses arabes
Et tous ses vieux toits et ses arbres
Le soir on dirait l'Amérique
Avec ses buildings fantastiques
Avant c'était pas la même chose
Avant j'y découvrais des choses
J'y emmenais Lulu et Rose
Dans mon petit coin de paradis
C'était ma Corse mon midi
Mes lauriers roses en Italie

Et j'ai peur des fois quand j'y pense


Qu'un beau jour tu sois sans défense
Que tu perdes aussi l'innocence
De tes grands yeux gris que tu changes
Que tu maquilles ton visage
A tous les néons de passage

Je voudrais que tout reste la même chose


Qu'on s'aime qu'on s'aime avant toute chose
Même sans lilas et sans roses
Toi qui remplaces mon paradis
Et puis ma Corse mon midi
Mes lauriers roses en Italie

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paroles ferrat

Jean Ferrat
LE PETIT TROU PAS CHER
Paroles: Guy Thomas

C'est dans du bois d'ébéniste


Qu'on enterre les gens tristes
Dans du cèdre ou du noyer
Du chêne ou du cerisier
L'ébène au vilain coucou
Au notaire l'acajou
L'acajou

Au musicien famélique
Au poète à l'anti fric
Le sapin c'est la calèche
Pour se tailler de la dèche
C'est le fiacre anti grigou
Qui se moque des gros sous
Des gros sous

C'est au trou qu'on se retrouve


Ceux qu'en ont pis qui les couvent
Et ceux qu'en n'ont pas un brin
Le riche et le purotin
C'est la crèche désirée
C'est le clou de la soirée
C'est le clou

C'est l'auberge avantageuse


T'en fais pas ma ravageuse
On s'en ira deux par deux
La pouilleuse et le pouilleux
Le loup reverra la louve
C'est au trou qu'on se retrouve
C'est au trou
C'est au trou

Ferrat
LE POLONAIS

Le polonais traînait encore son vieux chagrin


Il est venu s'asseoir, a demandé du vin
Et les deux mains posées sur la table de bois
Il a servi deux verres, et puis il a dit: "Bois"

Il a parlé longtemps à son chagrin têtu


En lui disant: "Va-t-en, tu vois, je n'en peux plus"
"Cette fois, c'est fini, je veux vivre sans toi"
"Vieux chagrin, je t'enterre pour la dernière fois"

C'étaient deux compagnons qui venaient de très loin


L'un dans l'autre habitant, se partageant le pain
Comme ces vieux chevaux qu'on attelle aux labours
Ils s'étaient rencontrés à la fin d'un amour
Dans le petit bistro, tout le monde attendait
Pour savoir celui qui, le premier, partirait
Mais quand l'homme est sorti, derrière lui, pas à pas
Son chagrin l'a suivi, comme les autres fois

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paroles ferrat
Alors le polonais a sorti son couteau
Et à son vieux chagrin, il lui a fait la peau
Et puis il s'est couché, sans bien savoir pourquoi
Dans le lit sans mémoire d'une fille à soldats

Quand ont sonné midi à l'horloge d'en bas


Il est redescendu, sa veste sur le bras
Il a tourné au coin de la rue du Maroc
Et puis il a pleuré, tout seul, le long des docks

Jean Ferrat
LE SABRE ET LE GOUPILLON
Paroles et musique: Jean Ferrat

Comme cul et chemise comme larrons en foire


J'ai vu se constituer tant d'associations
Mais il n'en reste qu'une au travers de l'histoire
Qui ait su nous donner toute satisfaction

Le sabre et le goupillon
L'un brandissant le glaive et l'autre le ciboire
Les peuples n'avaient plus à se poser de questions
Et quand ils s'en posaient c'était déjà trop tard
On se sert aussi bien pour tondre le mouton

Du sabre que du goupillon

Quand un abbé de cour poussait une bergère


Vers des chemins tremblants d'ardente déraison
La belle ne savait pas quand elle se laissait faire
Qu'ils condamnaient l'usage de la contraception

Le sabre et le goupillon

Et maintes éminences et maints beaux capitaines


Reposaient le guerrier de la même façon
Dans le salon chinois où Madame Germaine
Grâce à ses pensionnaires réalisait l'union

Du sabre et du goupillon
C'était le temps rêvé de tous les militaires

On leur offrait des guerres et des expéditions


Que de manants joyeux sont partis chez Saint-Pierre
Le coeur plein de mitraille et de bénédictions
Du sabre et du goupillon
Quand ils s'en revenaient et d'Asie et d'Afrique
Ils faisaient régner l'ordre au sein de la nation
Les uns possédaient l'art d'utiliser la trique
Les autres sans le dire pensaient qu'elle a du bon
Le sabre et le goupillon

On ne sait plus aujourd'hui à qui faire la guerre


Ça brise le moral de la génération
C'est pourquoi les crédits que la paix nous libère
Il est juste qu'il aillent comme consolation
Au sabre et au goupillon

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paroles ferrat
L'un jouant du clairon l'autre de l'harmonium
Ils instruiront ainsi selon la tradition
Des cracks en Sambre et Meuse des forts en Te Deum
Qui nous donneront encore bien des satisfactions

Du sabre et du goupillon

Jean Ferrat
LE SINGE
Paroles: Guy Thomas

Dans mon jardin zoologique


Je suis vraiment dans du coton
J'ai des cocotiers métalliques
J'ai des bananiers en carton
J'ai ma falaise en céramique
Au-dessus d'une mare en béton
Pi j'ai du soleil électrique
Pour me réchauffer les arpions!

C'est fou ce que je m'acclimate


Au jardin d'acclimatation
Où l'on conserve les primates
En bon état de conservation!

J'ai des gardiens très sympathiques


On surveille avec attention
Mes réactions psychologiques
On me soigne aux petits oignons
Et quand je suis mélancolique
On est dans la consternation
On m'apporte un nouveau portique
Des trapèzes des pièjacons!

C'est fou ce que je m'acclimate


Au jardin d'acclimatation
Où l'on conserve les primates
En bon état de conservation!

Un vétérinaire authentique
Vient pour m'ausculter les poumons
Un docteur en diététique
M'évite les indigestions
On pense à tout c'est magnifique
On m'a fait venir une guenon
Pour me rappeler les tropiques
Pour soigner ma masturbation!
C'est fou ce que je m'acclimate
Au jardin d'acclimatation
Où l'on conserve les primates
En bon état de conservation!

Oui mais sur ma branche en plastique


Je lui parais pas folichon
Elle a pour moi rien d'érotique
Sur son baobab en béton
L'amour c'est pas de la gymnastique
C'est pas prenez la position
C'est la liberté frénétique
Ça fleurit pas dans les prisons

C'est fou ce que je m'acclimate


Au jardin d'acclimatation
Où l'on conserve les primates
Page 97
paroles ferrat
En bon état de conservation!

Jean Ferrat
LE TIERS CHANT
Poème d'Aragon

Te prendre à Dieu contre moi-même


Étreindre étreindre ce qu'on aime
Tout le reste est jouer aux dés
Suivre ton bras toucher ta bouche
Être toi par où je te touche
Et tout le reste est des idées

Je suis la croix où tu t'endors


Le chemin creux qui pluie implore
Je suis ton ombre lapidée
Je suis ta nuit et ton silence
Oublié dans ma souvenance
Ton rendez-vous contremandé
Te prendre à Dieu contre moi-même
Étreindre étreindre ce qu'on aime
Tout le reste est jouer aux dés
Suivre ton bras toucher ta bouche
Être toi par où je te touche
Et tout le reste est des idées
Le mendiant devant ta porte
Qui se morfond que tu ne sortes
Et peut mourir s'il est tardé
Et je demeure comme meurt
A ton oreille une rumeur
Le miroir de toi défardé

Te prendre à Dieu contre moi-même


Étreindre étreindre ce qu'on aime
Tout le reste est jouer aux dés
Suivre ton bras toucher ta bouche
Être toi par où je te touche
Et tout le reste est des idées

Jean Ferrat
LES BEAUX JOURS

Les beaux jours de notre vie


Sont à ton image
Les uns pleurent, les autres rient
Et c'est bien ainsi
Nos beaux jours tombent des nuits
Comme du ciel l'orage
Les beaux jours de notre vie
Sont verts et gris
Irrémédiable au temps d'aimer
Couleur de sable du sablier
Chaque seconde de ce mal qui court
Creuse la tombe de nos amours

Page 98
paroles ferrat
Les beaux jours sont faits ainsi
On tourne la page
Et demain après aujourd'hui
Tremble dans mes nuits
Nos beaux jours, mon tendre amour
Mettons-les en cage
Avant qu'un dernier ravage
Les ait flétris

Jean Ferrat
LES BELLES ÉTRANGÈRES
Paroles: Michelle Senlis, musique: Jean Ferrat

Les belles étrangères


Qui vont aux corridas
Et qui se pâment d'aise
Devant la muleta
Les belles étrangères
Sous leurs chapeaux huppes
Ont le teint qui s'altère
A l'heure de l'épée
Allons laissez-moi rire
On chasse on tue on mange
On taille dans du cuir
Des chaussures on s'arrange
Et dans les abattoirs
Où l'on traîne les boeufs
La mort ne vaut guère mieux
Qu'aux arènes le soir

Les belles étrangères


Quand montent les clameurs
Se lèvent les premières
En se tenant le coeur
Les belles étrangères
Se jurent a jamais
De chasser Ordonez
De leurs rêves secrets
Allons laissez-moi rire
Quand le toro s'avance
Ce n'est pas par plaisir
Que le torero danse
C'est que l'Espagne a trop
D'enfants pour les nourrir
Qu'il faut parfois choisir
La faim ou le toro
Les belles étrangères
Végétariennes ou pas
Quittent leur banc de pierre
Au milieu du combat
Quittent leur banc de pierre
Au milieu du combat

Jean Ferrat
LES CERISIERS
Paroles: Guy Thomas

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paroles ferrat
J'ai souvent pensé c'est loin la vieillesse
Mais tout doucement la vieillesse vient
Petit à petit par délicatesse
Pour ne pas froisser le vieux musicien

Si je suis trompé par sa politesse


Si je crois parfois qu'elle est encore loin
Je voudrais surtout qu'avant m'apparaisse
Ce dont je rêvais quand j'étais gamin
Ah qu'il vienne au moins le temps des cerises
Avant de claquer sur mon tambourin
Avant que j'aie dû boucler mes valises
Et qu'on m'ait poussé dans le dernier train

Bien sûr on dira que c'est des sottises


Que mon utopie n'est plus de saison
Que d'autre ont chanté le temps des cerises
Mais qu'ils ont depuis changé d'opinion

Moi si j'ai connu des années funestes


Et mes cerisiers des printemps pourris
Je n'ai pas voulu retourner ma veste
Ni me résigner comme un homme aigri
Ah qu'il vienne au moins le temps des cerises
Avant de claquer sur mon tambourin
Avant que j'aie dû boucler mes valises
Et qu'on m'ait poussé dans le dernier train

Tant que je pourrai traîner mes galoches


Je fredonnerai cette chanson-là
Que j'aimais déjà quand j'étais gavroche
Quand je traversais le temps des lilas

Que d'autres que moi chantent pour des prunes


Moi je resterai fidèle à l'esprit
Qu'on a vu paraître avec la Commune
Et qui souffle encore au coeur de Paris

Ah qu'il vienne au moins le temps des cerises


Avant de claquer sur mon tambourin
Avant que j'aie dû boucler mes valises
Et qu'on m'ait poussé dans le dernier train

Jean Ferrat
LES DEMOISELLES DE MAGASIN

Les demoiselles de magasin


Font sonner leur réveille-matin
Pour s'en aller prendre leur train
Les demoiselles de magasin
Elles ne s'intéressent à rien
A part ces amants incertains
Qui leur filent entre les mains
Les demoiselles de magasin

Et puis un beau jour


Ces petites amours
Elles plient leurs beaux tabliers
Laissent le rideau de fer baissé
Et les voilà les bras croisés
Devant leurs comptoirs désertés

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paroles ferrat
Les demoiselles de magasin
Qui menaient leur petit train train
S'apprêtent à faire un de ces foins
Les demoiselles de magasin
Elles font grève avec entrain
En croisant sagement leurs mains
Sur leurs belles cuisses satin
Les demoiselles de magasin

Et puis un beau jour


Ces petites amours
Les voilà qui vont défiler
Un drapeau rouge déplié
Et volent volent leurs baisers
Sur les ouvriers d'à côté
Les demoiselles de magasin
Disaient leurs chefs avec chagrin
Cachaient un serpent dans leur sein
Les demoiselles de magasin
Causez toujours tristes pantins
Elles ne pensent plus qu'au grand brun
Qui leur a dit: dimanche prochain
Les demoiselles de magasin
Vous verrez qu'un jour
Ces petites amours
Elles finiront par se marier
Avec ces gars du défilé
Histoire de réconcilier
L'amour avec la liberté

Jean Ferrat
LES DERNIERS TZIGANES
Paroles: Michelle Senlis

C'en est bien fini


Nous ne verrons plus
De l'Andalousie
Les gitans venus
La chemise ouverte
Sur leur peau brûlée
Les roulottes vertes
Au milieu des blés
Et coquelicots
A vous arracher
Les grands calicots
Place du marché
Le ciel se fait lourd, les roses se fanent
Nous vivons le temps des derniers tziganes

Disparu l'enfant
Voleur de cerceaux
Les chevaux piaffant
De tous leurs naseaux
Disparus les ânes
Avec leurs paniers
Les belles gitanes
Sous les marronniers
En ce temps qui va
Qui va dévorant
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paroles ferrat
On n'a plus le droit
D'être différent

Le ciel se fait lourd, les roses se fanent


Nous vivons le temps des derniers tziganes
Plus de feux de camp
Près des HLM
Révolu le temps
Des anciens bohèmes
Finis l'esplanade
Et les tambourins
Les derniers nomades
Claquent dans leurs mains
Et la liberté
Femme de gitan
Tombe poignardée
Sous l'effet du temps
Le ciel se fait lourd, les roses se fanent
Nous vivons le temps des derniers tziganes

Jean Ferrat
LES ENFANTS TERRIBLES

Les enfants terribles marchent dans les rues


Si leur ciel est vide s'ils ne savent plus
Leurs mains sont avides d'étreindre demain
Les enfants terribles n'épargneront rien

Soyez terribles terribles


Soyez terribles les enfants

Les enfants terribles ont des dents de loups


Si vous en doutez prenez garde à vous
Leur soif n'a d'égal que leur appétit
Les enfants terribles luttent pour la vie
Soyez terribles terribles
Soyez terribles les enfants
Quand l'orage tonne les enfants sourient
Ils sont sûrs d'eux-mêmes et durs pour autrui
Mais quand l'amour vient les cueillir au nid
Les enfants terribles tremblent dans la nuit
Soyez terribles terribles
Soyez terribles les enfants
Avec leurs grands rires avec leurs façons
De toujours remettre le monde en question
Ce sont eux qui font les révolutions
Les enfants terribles ont toujours raison
Soyez terribles terribles
Soyez terribles les enfants
Les enfants
Les enfants...

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paroles ferrat
Jean Ferrat
LES FEUX DE PARIS
Poème d'Aragon

Toujours quand aux matins obscènes


Entre les jambes de la Seine
Comme une noyée aux yeux fous
De la brume de vos poèmes
L'Île Saint-Louis se lève blême
Baudelaire je pense à vous
Lorsque j'appris à voir les choses
O lenteur des métamorphoses
C'est votre Paris que je vis
Il fallait pour que Paris change
Comme bleuissent les oranges
Toute la longueur de ma vie

Mais pour courir ses aventures


La ville a jeté sa ceinture
De murs d'herbe verte et de vent
Elle a fardé son paysage
Comme une fille son visage
Pour séduire un nouvel amant

Rien n'est plus à la même place


Et l'eau des fontaines Wallace
Pleure après le marchand d'oublies
Qui criait le Plaisir Mesdames
Quand les pianos faisaient des gammes
Dans les salons à panoplies

Où sont les grandes tapissières


Les mirlitons dans la poussière
Où sont les noces en chansons
Où sont les mules de Réjane
On ne s'en va plus à dos d'âne
Dîner dans l'herbe à Robinson

Qu'est-ce que cela peut te faire


On ne choisit pas son enfer
En arrière à quoi bon chercher
Qu'autrefois sans toi se consume
C'est ici que ton sort s'allume
On ne choisit pas son bûcher

A tes pas les nuages bougent


Va-t'en dans la rue à l'oeil rouge
Le monde saigne devant toi
Tu marches dans un jour barbare
Le temps présent brûle aux Snack-bars
Son aube pourpre est sur les toits
Au diable la beauté lunaire
Et les ténèbres millénaires
Plein feu dans les Champs-Elysées
Voici le nouveau carnaval
Où l'électricité ravale
Les édifices embrasés

Plein feu sur l'homme et sur la femme


Sur le Louvre et sur Notre-Dame
Du Sacré-Coeur au Panthéon
Plein feu de la Concorde aux Ternes
Plein feu sur l'univers moderne
Plein feu sur notre âme au néon

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paroles ferrat
Plein feu sur la noirceur des songes
Plein feu sur les arts du mensonge
Flambe perpétuel été
Flambe de notre flamme humaine
Et que partout nos mains ramènent
Le soleil de la vérité

Jean Ferrat
LES FILLES LONGUES

Les filles longues longues longues


Sans autre ornement ni bijou
Que leurs cheveux qui tombent tombent
Sur leurs genoux
Les filles folles folles folles
Sans autre probité candide
Que leur fourrure qui frôle frôle
Ma bouche avide

Peut-être passeront-elles fières


Quand je les verrai de nouveau
Comment allez-vous bien ma chère
Le temps va-t-il se mettre au beau

Les filles longues longues longues


Sans autre geste ni discours
Que ce froissement de leurs ongles
Sur mon velours
Les filles lasses lasses lasses
De rechercher au petit jour
Leur linge fin avec leur masque
D'avant l'amour

Vous pourraiz jeter feux et flammes


Un autre jour en d'autres lieux
Moi je n'entendrai plus madame
Que cette voix disant mon Dieu

La fille longue longue longue


Sans autre ornement ni bijou
Que ses cheveux qui tombent tombent
A mes genoux
La fille folle folle folle
Sans autre probité candide
Que sa fourrure qui frôle frôle
Ma bouche avide

Jean Ferrat
LES GUÉRILLEROS

Avec leur barbe noire


Leurs fusils démodés
Leurs fusils démodés
Leurs treillis délavés
Comme drapeau l'espoir
Comme drapeau l'espoir
Ils ont pris le parti
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paroles ferrat
De vivre pour demain
Ils ont pris le parti
Des armes à la main
Les guérilleros
Les guérilleros
S'ils sont une poignée
Qui suivent leur chemin
Qui suivent leur chemin
Avant qu'il soit demain
Ils seront des milliers
Ils seront des milliers
Il y a peu de temps
Que le nom des sierras
De tout un continent
Rime avec Guevara
Les guérilleros
Les guérilleros
Ce qu'ils ont dans le coeur
S'exprime simplement
S'exprime simplement
De mots pleins de douceur
De mots rouges de sang
De mots rouges de sang
Cent millions de métis
Savent de quel côté
Se trouve la justice
Comme la dignité
Les guérilleros
Les guérilleros
Deux petits mots bien lisses
Qui valent une armée
Qui valent une armée
Et toutes vos polices
N'y pourront rien changer
N'y pourront rien changer
Mes frères qui savez
Que les plus belles fleurs
Poussent sur le fumier
Voici que sonne l'heure
Des guérilleros
Des guérilleros

Jean Ferrat
LES INSTANTS VOLÉS
Paroles: Pierre Grosz

Le chèvrefeuille de la terrasse
Met des ombres sur nos visages
Au ciel pas le moindre nuage
Et je souris au temps qui passe
A travers un verre de vin
J'aime ces instants volés
Au grand vacarme de la vie
Là si je veux je peux parler
Seulement des petits soucis
Écouter rêver les amis
Dériver et me délivrer
Du poids du monde et de la vie
Du poids du monde et de la vie
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paroles ferrat
A Roger nous avons dit "Passe"
Et il est venu en voisin
Il vit sur la colline en face
Entre nous le silence tisse
Des liens que nous aimons si bien
J'aime ces instants volés
Au grand vacarme qui nous mène
Là si je veux je peux rêver
Toute une moitié de semaine
Écouter rêver les amis
Dériver et me délivrer
Du poids du monde et de la vie
Du poids du monde et de la vie
A l'heure du souper peut-être
Des copains d'il y a longtemps
Viendront cogner à la fenêtre
Et nous aurons le sentiment
De ne pas s'être quittés vraiment
J'aime ces instants volés
Au grand vacarme de la vie
Là si je veux je peux parler
Seulement des petits soucis
Écouter rêver les amis
Dériver et me délivrer
Du poids du monde et de la vie
Du poids du monde et de la vie

Jean Ferrat
LES JEUNES IMBÉCILES
Paroles et musique: Jean Ferrat

Ils ont troqué leur col Mao


Contre un joli costume trois-pièces
Ils ont troqué leurs idéaux
Contre un petit attaché-case
Citoyens de Paris ma ville
La plage est loin sous les pavés
Vivez en paix dormez tranquilles
Le monde n'est lus à changer

Ce n'était alors que jeunes imbéciles


Le poil au menton
Ce n'était alors que jeunes imbéciles
Les voilà vieux cons
Ils ont troqué leur col Mao
Pour une tenue plus libérale
Le vieux slogan du père Guizot
Est devenu leur idéal
Nos soixante-huitards en colère
Reprennent un refrain peu banal
C'est enrichissez-vous mes frères
En guise d'Internationale

Ce n'était alors que jeunes imbéciles


Le poil au menton
Ce n'était alors que jeunes imbéciles
Les voilà vieux cons
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paroles ferrat
Ils ont troqué leur col Mao
Et leur vieux look égalitaire
Pour un costume plus rigolo
C'est la chasuble humanitaire
Ils font la quête avec délice
Chez ceux qu'ont plus rien à donner
Et pour établir la justice
S'en remettent à la charité
Ce n'était alors que jeunes imbéciles
Le poil au menton
Ce n'était alors que jeunes imbéciles
Les voilà vieux cons

Ils ont troqué leur col Mao


Pour des tenues plus officielles
Depuis qu'ils fréquentent à gogo
Les cabinets ministériels
Ah quel plaisir en redingote
Sur le perron de l'Elysée
De se faire lécher les bottes
Par des journalistes avisés

C'est toujours avec les jeunes imbéciles


Qu'on le veuille ou non
C'est toujours avec les jeunes imbéciles
Qu'on fait les vieux cons

Jean Ferrat
LES LILAS
Poème d'Aragon

Je rêve et je me réveille
Dans une odeur de lilas
De quel côté du sommeil
T'ai-je ici laissé ou là
Je dormais dans ta mémoire
Et tu m'oubliais tout bas
Ou c'était l'inverse histoire
Étais-je où tu n'étais pas

Je me rendors pour t'atteindre


Au pays que tu songeas
Rien n'y fait que fuir et feindre
Toi tu l'as quitté déjà

Dans la vie ou dans le songe


Tout a cet étrange éclat
Du parfum qui se prolonge
Et d'un chant qui s'envola

O claire nuit jour obscur


Mon absente entre mes bras
Et rien d'autre en moi ne dure
Que ce que tu murmuras

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paroles ferrat
Jean Ferrat
LES MERCENAIRES
Dauvilliez - Ferrat

Nous marchons par tous les temps


Même par l'orage
Par les plaines et par les champs
Et dans les villages
Les gens nous montrent du doigt
En nous regardant passer
Mais les filles quelque fois
Nous réchauffent d'un baiser

REFRAIN:
Nicolas, Nicolas
C'est vingt années de misère
Nicolas, Nicolas
Que j'ai connues avant toi
Nicolas, Nicolas
Plutôt vingt ans de galère
Nicolas, Nicolas
Que d'être un soldat du roi

Sans argent et sans métier


Que pouvions-nous faire
Pas besoin d'être bachelier
Pour partir en guerre
Car on ne possédait rien
Que des souliers fatigués
Que les herbes des chemins
La nuit pour se reposer

REFRAIN

Depuis des milliers d'années


Un bon militaire
Ne doit pas savoir penser
Mais surtout se taire
Quand tous les tambours battaient
Moins que nos coeurs de soldats
Notre régiment chargeait
Pour la France et pour le roi
REFRAIN

De la France on s'en foutait


Comme de l'Espagne
Mais l'argent qu'on nous donnait
Fallait qu'on le gagne
En combattant les anglais
Les russes ou les autrichiens
En combattant sans arrêt
Pour une bouchée de pain
REFRAIN

Jean Ferrat
LES NOCTAMBULES
Paroles: Claude Delecluse et Michelle Senlis

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paroles ferrat
Ils sont de tous les vestibules
De tous les salons majuscules
Les Noctambules
Soir après soir ils font les boîtes
Le cul posé sur de la ouate
Les Noctambules

Le teint blafard et l'oeil vitreux


Il se couchent tard et dorment peu
Mais tous les soirs c'est immuable
Ils ont un whisky sur la table
Les Noctambules

A Saint-Tropez, à Sainte-Canaille
Ils se retrouvent vaille que vaille
Les Noctambules

Les Petits Lits Blancs faut bien les faire


Ils aiment soulager la misère
Les Noctambules
Les yeux bouffés par la fumée
Les joues bouffies par le whisky
Ils s'emmerdent avec élégance
De Paris à Saint-Paul-de-Vence
Les Noctambules
Dans tous les endroits à la mode
On en trouvera toujours en solde
Des Noctambules
Ils auront toujours une première
Oui, mais le jour de leur dernière
Les Noctambules

Faudra les voir sous l'orchidée


Dans la Jaguar des trépassés
Et je me demande si dans la boîte
Ils échangeront encore leur carte
Les Noctambules

Jean Ferrat
LES NOMADES
Paroles: Michelle Senlis

Ils sont nés près de Barcelone


Ils ont grandi en Australie
Ils se sont aimés à Paris
Mais ils s'en vont encore d'ici
Les Nomades

Ils ont habité la roulotte


Les quatre planches qui cahotent
De Saint-Ouen aux Saintes-Maries
Mais ils s'en vont encore d'ici
Les Nomades

Ni la couronne d'oranger
Ni la cheminée de faux marbre
Ne leur mettent racine au pied
Ils ne sont pas comme les arbres
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paroles ferrat
Les Nomades

Ils vont toujours de ville en plaine


Il n'y a rien qui les retienne
Eux c'est la route qui les mène
En dimanche comme en semaine
Les Nomades

Ils ont eu froid comme personne


Ils ont chanté mieux que nous tous
Mais c'est la route qui les pousse
Avec des fifres à leurs trousses
Les Nomades

Qu'ils soient venus du fond des âges


Tous les gitans, tous les tziganes
Un violon leur a brisé l'âme
Ils en gardent parfois des larmes
Les Nomades

Ni la peur de mourir un jour


Dans quelque ville frontalière
Sans tenir la main d'un amour
Ne les arrête sur la terre
Les Nomades
Et quand on voit sous les platanes
Passer les mulets et les ânes
On a beau être des profanes
On voudrait suivre la caravane
Des Nomades

Jean Ferrat
LES OISEAUX DÉGUISÉS
Poème d'Aragon

Tous ceux qui parlent des merveilles


Leurs fables cachent des sanglots
Et les couleurs de leur oreille
Toujours à des plaintes pareilles
Donnent leurs larmes pour de l'eau
Le peintre assis devant sa toile
A-t-il jamais peint ce qu'il voit
Ce qu'il voit son histoire voile
Et ses ténèbres sont étoiles
Comme chanter change la voix
Ses secrets partout qu'il expose
Ce sont des oiseaux déguisés
Son regard embellit les choses
Et les gens prennent pour des roses
La douleur dont il est brisé

Ma vie au loin mon étrangère


Ce que je fus je l'ai quitté
Et les teintes d'aimer changèrent
Comme roussit dans les fougères
Le songe d'une nuit d'été

Automne automne long automne


Comme le cri du vitrier
De rue en rue et je chantonne
Un air dont lentement s'étonne
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paroles ferrat
Celui qui ne sait plus prier

Jean Ferrat
LES PETITES FILLES MODÈLES
Paroles et musique: Jean Ferrat

Les Petites Filles modèles


Ne jouent plus à la poupée
Ne jouent plus à la marelle
A la corde à chat perché
Branchées grâce au Minitel
Sur le marché financier
Les Petites Filles modèles
S'amusent à boursicoter
C'est à ce jeu qu'elles excellent
Fruit de la modernité
Ah la belle ah la belle ah la belle société (bis des 3 vers)
Les Petites Filles modèles
Quel exemple à méditer
S'émerveillent pleins de zèle
Ces messieurs de la télé
En vantant leur grandeur d'âme
Leur louable vocation
Applaudissez messieurs dames
Leur goût des bonnes actions

C'est à ce jeu qu'elles excellent


Il faut les encourager
Ah la belle ah la belle ah la belle société (bis des 3 vers)

Leur prince de référence


Leur nouveau preux chevalier
C'est le golden boy en transe
Qui joue les petits Poucets
Et se taille avec vaillance
Un empire à bon marché
Sur les ogres des finances
Qu'il finit par dévorer
C'est à ce jeu qu'elles excellent
Vivent les contes de fées
Ah la belle ah la belle ah la belle société (bis des 3 vers)

Leur plus beau rêve de gosse


C'est un autre emprunt Giscard
Mais quand la fée Carabosse
Leur donne des cauchemars
Adieu châteaux et carrosses
C'est le krach ô désespoir
Qui voit leur champion féroce
Se flinguer sur le trottoir
C'est à ce jeu qu'elles excellent
Elles seront tôt consolées
Ah la belle ah la belle ah la belle société (bis des 3 vers)
Pourtant mes enfants bien sages
Méfiez-vous des aventures
Ne soyez pas trop volages
N'investissez qu'à coup sûr
Car vos tendres pucelages
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paroles ferrat
Pourraient choir comme fruits mûrs
Sous les OPA sauvages
De raiders aux noyaux durs
Puisqu'à ce jeu elles excellent
Il faudra les marier
Ah la belle ah la belle ah la belle société

Puisqu'à ce jeu elles excellent


L'avenir est assuré
Ah la belle ah la belle ah la belle société

Jean Ferrat
LES PETITS BISTROTS
Paroles: Claude Delecluse et Michelle Senlis

Les petits bistrots


Au pinard fleuri
Nappes à carreaux
Et bifteck garni
Les petits bistrots
Où l'on vient goûter
Devant le perco
Le premier café
Les petits bistrots
Qui n'ont pas de juke-box
Seulement la radio
Pour suivre la boxe
Les petits bistrots
Où j'ai des amis
Robert et Jojo
Et Simone aussi

La patronne est à la cuisine


Le patron derrière son comptoir
On parle du Tour et du Racing
Devant un rouge ou un petit noir

Les petits bistrots


Quand je suis loin d'ici
A Londres à Tokyo
J'en rêve et je me dis
Que les petits bistrots
Qui sont à Paris
Je les reverrai bientôt
Salut les amis
Les petits bistrots
Au poêle à charbon
Avec l'apéro
La belotte au fond
Les petits bistrots
C'est comme un béguin
Toujours on y revient
Dans les petits bistrots

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Jean Ferrat
LES POÈTES
Extrait du poème d'Aragon "Prologue"

Je ne sais ce qui me possède


Et me pousse à dire à voix haute
Ni pour la pitié ni pour l'aide
Ni comme on avouerait ses fautes
Ce qui m'habite et qui m'obsède
Celui qui chante se torture
Quels cris en moi quel animal
Je tue ou quelle créature
Au nom du bien au nom du mal
Seuls le savent ceux qui se turent

Machado dort à Collioure


Trois pas suffirent hors d'Espagne
Que le ciel pour lui se fît lourd
Il s'assit dans cette campagne
Et ferma les yeux pour toujours

Au-dessus des eaux et des plaines


Au-dessus des toits des collines
Un plain-chant monte à gorge pleine
Est-ce vers l'étoile Hölderlin
Est-ce vers l'étoile Verlaine

Marlowe il te faut la taverne


Non pour Faust mais pour y mourir
Entre les tueurs qui te cernent
De leurs poignards et de leurs rires
A la lueur d'une lanterne

Étoiles poussières de flammes


En août qui tombez sur le sol
Tout le ciel cette nuit proclame
L'hécatombe des rossignols
Mais que sait l'univers du drame

La souffrance enfante les songes


Comme une ruche ses abeilles
L'homme crie où son fer le ronge
Et sa plaie engendre un soleil
Plus beau que les anciens mensonges
Je ne sais ce qui me possède
Et me pousse à dire à voix haute
Ni pour la pitié ni pour l'aide
Ni comme on avouerait ses fautes
Ce qui m'habite et qui m'obsède

Jean Ferrat
LES SAISONS

Oh, les saisons, oh, les saisons


Je ne me lasse pas
D'en rêver les odeurs
D'en vivre les couleurs
D'en trouver les raisons

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paroles ferrat
Oh, les saisons, oh, les saisons

Je serai l'automne à tes pieds


Tu seras l'été à ma bouche
L'hiver aux doigts bleus qui se couchent
Nous serons printemps fou à lier
Oh, les saisons, oh, les saisons

Je vais sans me lasser


En guetter les rumeurs
En voler les ardeurs
En vivre à tes côtés

Oh, les saisons, oh, les saisons


Voir un seul hiver t'affamer
Encore un été t'épanouir
Encore un printemps t'enflammer
Un seul automne pour en rire
Oh, les saisons, oh, les saisons

Je ne me lasse pas
D'en distiller les fleurs
D'en jalouser chaque heure
D'en mourir sans raison
Oh, les saisons, oh, les saisons

Jean Ferrat
LES TOURISTES PARTIS

Les touristes, touristes partis


Le village, petit à petit
Retrouve face à lui-même
Sa vérité, ses problèmes
Les touristes, touristes partis

La vie semble marquer la pause


Les belles n'iront plus au bois
Je vous aime métamorphoses
Des saisons vertes aux abois
De champignons et de châtaignes
De terre et de genêts mouillés
Le coin des cheminées s'imprègne
Du parfum des longues veillées

Les touristes, touristes partis


Le village, petit à petit
Retrouve face à lui-même
Sa vérité, ses problèmes
Les touristes, touristes partis
Les vieux se chauffent en silence
Sur cette place sans un bruit
Un soleil pâle de faïence
Sur leurs épaules s'assoupit
On parle de pêche et de chasse
On joue aux dés ou au tarot
Les enfants montent d'une classe
Les femmes changent de tricot

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paroles ferrat
Les touristes, touristes partis
Le village, petit à petit
Retrouve face à lui-même
Sa vérité, ses problèmes
Les touristes, touristes partis
Les rivalités de clocher
En de secrets conciliabules
Le long des ruelles cachées
Couvent au feu du crépuscule
Ici nul n'oublie jamais rien
Ni ce que fut votre grand-père
Ni ce vous faisiez gamin
Quand vous alliez à la rivière

Les touristes, touristes partis


Le village, petit à petit
Retrouve face à lui-même
Sa vérité, ses problèmes
Les touristes, touristes partis
Partout les hommes sont les mêmes
Ici sans doute comme ailleurs
Ils lancent au loin leurs "je t'aime"
Le ventre noué par la peur
Le ventre noué par la peur
De l'avenir insaisissable
Toujours en quête d'un coupable
Toujours en quête du bonheur

Jean Ferrat
LES TOURNESOLS
Paroles et musique: Jean Ferrat

Mon prince noir et famélique


Ma pauvre graine de clodo
Toi qui vécus fantomatique
En peignant tes vieux godillots
Toi qui allais la dalle en pente
Toi qu'on jetait dans le ruisseau
Qui grelottais dans ta soupente
En inventant un art nouveau
T'étais zéro au Top cinquante
T'étais pas branché comme il faut
Avec ta gueule hallucinante
Pour attirer les capitaux

Mais dans un coffre climatisé


Au pays du Soleil-Levant
Tes tournesols à l'air penché
Dorment dans leur prison d'argent
Leurs têtes à jamais figées
Ne verront plus les soirs d'errance
Le soleil fauve se coucher
Sur la campagne de Provence
Tu allais ainsi dans la vie
Comme un chien dans un jeu de quilles
La bourgeoisie de pacotille
Te faisait le coup du mépris
Et tu plongeais dans les ténèbres
Et tu noyais dans les bistrots
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paroles ferrat
L'absinthe à tes pensées funèbres
Comme la lame d'un couteau
Tu valais rien au hit-parade
Ni à la une des journaux
Toi qui vécus dans la panade
Sans vendre un seul de tes tableaux
Mais dans un coffre climatisé
Au pays du Soleil-Levant
Tes tournesols à l'air penché
Dorment dans leur prison d'argent
Leurs têtes à jamais figées
Ne verront plus les soirs d'errance
Le soleil fauve se coucher
Sur la campagne de Provence
Dans ta palette frémissante
De soufre pâle et d'infini
Ta peinture comme un défi
Lance une plainte flamboyante
Dans ce monde aux valeurs croulantes
Vincent ma fleur mon bel oiseau
Te voilà donc Eldorado
De la bourgeoisie triomphante
Te voilà star du Top cinquante
Te voilà branché comme il faut
C'est dans ta gueule hallucinante
Qu'ils ont placé leurs capitaux

Mais dans un coffre climatisé


Au pays du Soleil-Levant
Tes tournesols à l'air penché
Dorment dans leur prison d'argent
Leurs têtes à jamais figées
Ne verront plus les soirs d'errance
Le soleil fauve se coucher
Sur la campagne de Provence.

Jean Ferrat
LES YEUX D'ELSA
Paroles: Louis Aragon, musique: Jean Ferrat, Maurice Vandair

Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire


J'ai vu tous les soleils y venir se mirer
S'y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire

A l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé


Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent
L'été taille la nue au tablier des anges
Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés
Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur
Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit
Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie
Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure
Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée
Sept glaives ont percé le prisme des couleurs
Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs
L'iris troué de noir plus bleu d'être endeuillé
Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche
Par où se reproduit le miracle des Rois
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paroles ferrat
Lorsque le coeur battant ils virent tous les trois
Le manteau de Marie accroché dans la crèche

Une bouche suffit au mois de Mai des mots


Pour toutes les chansons et pour tous les hélas
Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres
Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux

L'enfant accaparé par les belles images


Ecarquille les siens moins démesurément
Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens
On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages
Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où
Des insectes défont leurs amours violentes
Je suis pris au filet des étoiles filantes
Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août

J'ai retiré ce radium de la pechblende


Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu
O paradis cent fois retrouvé reperdu
Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes

Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa


Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent
Moi je voyais briller au-dessus de la mer
Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa

Jean Ferrat
LOIN

Loin, loin, il y a loin


De l'aube grise où vos rêves frissonnent
Loin, loin, il y a loin
A la vérité des matins
Loin, loin, il y a loin
De la vie d'homme à laquelle on aspire
Loin, loin, il y a loin
A celle qui vous glisse des mains

Loin, loin, entre nos mains


Ils sont truqués, les dés que l'on nous donne
Loin, loin, à coups de poing
Il faut se frayer son chemin
Loin, loin, j'irai plus loin
Tant pis si cela doit me coûter cher
Loin, loin, j'irai plus loin
Je paierai le prix qui convient

Loin, loin, changer d'habit


Changer de rue, de métier, de frontières
Loin, loin, changer d'amis
Il faut savoir en payer le prix
Loin, loin, changer de vie
Changer d'état, de décor, d'habitudes
Loin, loin, changer de vie
C'est ma liberté d'aujourd'hui

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paroles ferrat
Jean Ferrat
LORSQUE S'EN VIENT LE SOIR
Poème d'Aragon

Lorsque s'en vient le soir qui tourne par la porte


Vivre à la profondeur soudain d'un champ de blé
Je te retrouve amour avec mes mains tremblées
Qui m'es la terre tendre entre les feuilles mortes
Et nous nous défaisons de nos habits volés

Rien n'a calmé ces mains que j'ai de te connaître


Gardant du premier soir ce trouble à te toucher
Je te retrouve amour si longuement cherchée
Comme si tout à coup s'ouvrait une fenêtre
Et si tu renonçais à toujours te cacher

Je suis à tout jamais ta scène et ton théâtre


Où le rideau d'aimer s'envole n'importe où
L'étoile neige en moi son éternel mois d'août
Rien n'a calmé ce coeur en te voyant de battre
Il me fait mal à force et rien ne m'est si doux

Tu m'es pourtant toujours la furtive passante


Qu'on retient par miracle au détour d'un instant
Rien n'a calmé ma peur je doute et je t'attends
Dieu perd les pas qu'il fait lorsque tu m'es absente
Un regard te suffit à faire le beau temps

Lorsque s'en vient le soir qui tourne par la porte


Vivre à la profondeur soudain d'un champ de blé
Je te retrouve amour avec mes mains tremblées
Qui m'es la terre tendre entre les feuilles mortes
Et nous nous défaisons de nos habits volés

Jean Ferrat
MA FILLE
Paroles: Jamblan

Ça fait longtemps que je te surveille


Tu deviens belle tu te poses un peu là
Quand le fils du boucher te fait du plat
T'as sûrement pas froid aux oreilles
Tu cours même après les garçons
Avec tes petits yeux qui pétillent
Je vais te mettre en chanson ma fille
Je vais te mettre en chanson
Tu me frôles comme un chatte de gouttière
C'est-y pour mordre ou ronronner
Mais quand je sens ton nez près de mon nez
D'instinct je fais un bond en arrière
Alors tu me récites ta leçon
Quand tu voudras je serai bien gentille
Je vais te fiche en chanson ma fille
Je vais te fiche en chanson
Et puis tout de même réflexion faite
En te voyant tellement prête à tout
A provoquer tous les matous
Au fond de moi je me dis ce que je suis bête
D'ailleurs aujourd'hui la chanson
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paroles ferrat
Ça rapporte plus rien que des vétilles
Je vais te foutre en maison ma fille
Je vais te foutre en maison
Je vais te foutre en maison ma fille
Je vais te foutre en maison

Jean Ferrat
MA FRANCE

De plaines en forêts, de vallons en collines


Du printemps qui va naître à tes mortes saisons
De ce que j'ai vécu à ce que j'imagine
Je n'en finirai pas d'écrire ta chanson
Ma France
Au grand soleil d'été qui courbe la Provence
Des genêts de Bretagne aux bruyères d'Ardèche
Quelque chose dans l'air a cette transparence
Et ce goût du bonheur qui rend ma lèvre sèche
Ma France

Cet air de liberté au-delà des frontières


Aux peuples étrangers qui donnaient le vertige
Et dont vous usurpez aujourd'hui le prestige
Elle répond toujours du nom de Robespierre
Ma France

Celle du vieil Hugo tenant de son exil


Des enfants de cinq ans travaillant dans les mines
Celle qui construisit de ses mains vos usines
Celle dont Monsieur Thiers a dit: qu'on la fusille
Ma France

Picasso tient le monde au bout de sa palette


Des lèvres d'Éluard s'envolent des colombes
Ils n'en finissent pas tes artistes-prophètes
De dire qu'il est temps que le malheur succombe
Ma France

Leurs voix se multiplient à n'en plus faire qu'une


Celle qui paie toujours vos crimes, vos erreurs
En remplissant l'histoire et ses fosses communes
Que je chante à jamais celle des travailleurs
Ma France

Celle qui ne possède en or que ses nuits blanches


Pour la lutte obstiné de ce temps quotidien
Du journal que l'on vend le matin d'un dimanche
A l'affiche qu'on colle au mur du lendemain
Ma France

Qu'elle monte des mines, descende des collines


Celle qui chante en moi, la belle, la rebelle
Elle tient l'avenir inséré dans ses mains fines
Celle de trente-six à soixante-huit chandelles
Ma France

Jean Ferrat
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paroles ferrat
MA MÔME
Paroles: Pierre Frachet, musique: Jean Ferrat

Ma môme, elle joue pas les starlettes


Elle met pas des lunettes
De soleil
Elle pose pas pour les magazines
Elle travaille en usine
À Créteil
Dans une banlieue surpeuplée
On habite un meublé
Elle et moi
La fenêtre n'a qu'un carreau
Qui donne sur l'entrepôt
Et les toits

On va pas à Saint-Paul-de-Vence
On passe toutes nos vacances
À Saint-Ouen
Comme famille on n'a qu'une marraine
Quelque part en Lorraine
Et c'est loin

Mais ma môme, elle a vingt-cinq berges


Et je crois bien que la Sainte Vierge
Des églises
N'a pas plus d'amour dans les yeux
Et ne sourit pas mieux
Quoi qu'on dise

L'été quand la ville s'ensommeille


Chez nous y a du soleil
Qui s'attarde
Je pose ma tête sur ses reins
Je prends tout doucement sa main
Et je la garde

On se dit toutes les choses qui nous viennent


C'est beau comme du Verlaine
On dirait
On regarde tomber le jour
Et puis on fait l'amour
En secret

Ma môme, elle joue pas les starlettes


Elle met pas des lunettes
De soleil
Elle pose pas pour les magazines
Elle travaille en usine
À Créteil

Jean Ferrat
MA VIE, MAIS QU'EST-CE QUE C'EST?

Ma vie, mais qu'est-ce que c'est?


C'est rien du tout sans toi
Ma vie c'est un reflet,
Un reflet que l'amour
Fait naître dans tes yeux.
Ma vie c'est leurs couleurs
Qu'ils soient tristes ou joyeux
Seuls maîtres de mon coeur
II suffît d'un regard
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paroles ferrat
Pour me faire la loi.

Mon amour,
Combien nous reste-t-il?
Combien d'heures et de jours
Pour épuiser nos rêves?
Le temps a des secrets
Mais aujourd'hui crois-moi
Ma vie, mais qu'est-ce que c'est?
C'est l'air d'une chanson
Qui ressemble à la joie.
Si les oiseaux peuvent s'enfuir
D'un battement d'aile
Regarde-les sans jalousie
Puisqu'à chaque heure de notre vie
Nous irons plus loin
Que les hirondelles
Nous irons plus loin
Puisque l'on s'aime
Ma vie, mais qu'est-ce que c'est?
C'est rien du tout sans toi.
Ma vie c'est un reflet,
Un reflet que l'amour
Fait naître dans tes yeux.
Ma vie c'est leurs couleurs
Qu'ils soient tristes ou joyeux,
Seuls maîtres de mon coeur,
II suffît d'un regard
Pour me faire la loi
Ma vie sera toujours
Pareille à la chanson,
Des rues et des faubourgs
Qui depuis des saisons
Chantent le même amour
Avec l'accordéon.

Jean Ferrat
MARIA

Maria avait deux enfants


Deux garçons dont elle était fière
Et c'était bien la même chair
Et c'était bien le même sang

Ils grandirent sur cette terre


Près de la Méditerranée
Ils grandirent dans la lumière
Entre l'olive et l'oranger
C'est presqu'au jour de leurs vingt ans
Qu'éclata la guerre civile
On vit l'Espagne rouge de sang
Crier dans un monde immobile
Les deux garçons de Maria
N'étaient pas dans le même camp
N'étaient pas du même combat
L'un était rouge et l'autre blanc

Qui des deux tira le premier


Le jour où les fusils parlèrent
Et lequel des deux s'est tué
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paroles ferrat
Sur le corps tout chaud de son frère

On ne sait pas, tout ce qu'on sait


C'est qu'on les retrouva ensemble
Le blanc et le rouge mêlés
A même les pierres et la cendre
Si vous lui parlez de la guerre
Si vous lui dites liberté
Elle vous montrera la pierre
Où ses enfants sont enterrés

Maria avait deux enfants


Deux garçons dont elle était fière
Et c'était bien la même chair
Et c'était bien le même sang

Jean Ferrat
MES AMOURS
Paroles: Michelle Senlis

Mes amours
Vous qui me savez des vôtres
Vous qui me savez si pauvre
Si pauvre et si nu pourtant
Mes amours
La vie n'est qu'une chimère
Si l'amour n'y vient pas faire
Sa ronde d'oiseau géant
Mes amours
Moi qui ai cette fortune
Entre mes mains désarmées
Je pense à ceux qui n'ont qu'une
Chanson triste pour pleurer
Mes amours
Mais il faut tant de chansons
De poèmes d'Aragon
Pour sauver encore le nom
De l'amour

Mes amours
Vous qui me savez offert
Moi qui suit la bonne ferte
Pour votre coeur vagabond
Mes amours
La cruauté n'est qu'un leurre
N'attendez pas que j'en pleure
Pour partager ma chanson
Mes amours
Vous et moi c'est la conquête
Dans ce monde dévasté
Le soleil à la fenêtre
Par dessus les cheminées
Mes amours
Mais il faut tant de chansons
De poèmes d'Aragon
Pour sauver encore le nom
De l'amour
Mes amours
Mais si vous savez m'entendre
Si vous savez me comprendre
Que je chante juste ou non
Mes amours
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Voici la terre promise
Quoi qu'on fasse quoi qu'on dise
Le coeur n'a qu'une chanson
Mes amours
Vous voici en terre douce
La peur a cloué son bec
Toujours coulera la source
Sous le caillou le plus sec
Mes amours
Il y a tant de chansons
De poèmes d'Aragon
Que l'on sauvera le nom
De l'amour

Jean Ferrat
MIS À PART

Autrefois quand les mignonnes


Gaspillaient leurs avantages
En dehors, Dieu me pardonne,
Des liens du mariage
Les malheureuses étaient mises
Au ban de la société
Mais aujourd'hui c'est la crise
Dans la Chrétienté

Mis à part les curés


Par devant et par derrière
Mis à part les curés
Personne ne veut se marier

Autrefois les belles filles


N'avaient souvent qu'une idée
Laisser voir le plus possible
Leur peau dénudée
Mais la mode est versatile
Le maxi est arrivé
Et les voilà qui s'habillent
Jusqu'aux doigts de pied

Mis à part les curés


Par devant et par derrière
Mis à part les curés
Personne veut plus se dévoiler
On fabriquait des garçons
Par douzaines, et les familles
Montraient leur désolation
Quand naissait une fille
Aujourd'hui, bulle ou pas bulle
Du pape, garçon ou pas
Qu'on prenne ou non la pilule
C'est plus du tout ça

Mis à part les curés


Par devant et par derrière
Mis à part les curés
Personne ne veut engendrer
L'habitude séculaire
De bien boire et bien manger
A l'heure où la foi se perd
Fait aussi pitié
On préfère à la prière
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paroles ferrat
Et aux plats gastronomiques
Un régime alimentaire
Macrobiotique
Mis à part les curés
Par devant et par derrière
Mis à part les curés
Nul ne va plus gueuletonner

Les distractions les plus saines


Disparaissent des cités
Télé, voiture et week-end
Les ont remplacées
Elles pleurent leur clientèle
Du samedi des temps passés
Les péripatéticiennes
Quand Guy Lux paraît

Mis à part les curés


Par devant et par derrière
Mis à part les curés
Personne ne veut plus monter

Les religieux en colère


Revendiquant nos péchés
On ne sait plus bien sur Terre
A quel saint se vouer
Si le ciel tourne à l'enfer
Pour le mettre sur ses pieds
Je ne vois plus que Saint-Pierre
Pour tout arranger
Mis à part les curés
Introduits chez Lucifer
Mis à part les curés
Tout le monde sera sauvé

Jean Ferrat
MON AMOUR SAUVAGE
Paroles et musique: Jean Ferrat

Mon amour sauvage


Mon amour sauvage
Ne va pas t'apprivoiser
Toi qui ne connais pas de cage
Et rugis en liberté
Face au lancinant message
Que Mandela dans sa cage
Lance d'Afrique du Sud
Ose à la face du monde
Quand souffle la bête immonde
Affirmer ta négritude

Mon amour sauvage


Mon amour sauvage
Ne va pas t'apprivoiser
Toi qui ne connais pas de cage
Et rugis en liberté

Ris de ces nouveaux rois mages


Qui n'ont messie ni message
Autre que des cours boursiers
Que nulle ambition ne mène
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paroles ferrat
Pour notre aventure humaine
Qu'un rêve de boutiquier

Mon amour sauvage


Mon amour sauvage
Ne va pas t'apprivoiser
Toi qui ne connais pas de cage
Et rugis en liberté

Par ces temps de Moyen Âge


Où les religions font rage
Sous le joug des hezbollahs
Clame haut ton athéisme
Et champion de l'humanisme
La venue de l'homme roi
Mon amour sauvage
Mon amour sauvage
Ne va pas t'apprivoiser
Toi qui ne connais pas de cage
Et rugis en liberté
Par ces temps d'anniversaire
Où sur nos faibles lumières
Retombe l'obscurité
Garde ton âme utopique
Reste sombre et magnifique
Indomptable et révolté

Mon amour sauvage


Mon amour sauvage
Ne va pas t'apprivoiser
Toi qui ne connais pas de cage
Et rugis en liberté

Ouvre grandes les fenêtres


Sur un autre monde à naître
Qu'il faudra bien inventer
Pour qu'ensemble se fiancent
Dans une même espérance
Socialisme et liberté
Mon amour sauvage
Mon amour sauvage
Ne va pas t'apprivoiser
Mon amour sauvage
Mon amour sauvage
Pour toute l'humanité

Jean Ferrat
MON BEL AMOUR

Mon bel amour grave


Mon bel amour jeu
Mon bel amour sage
Comme tu le veux
Mon bel amour flamme
Mon bel amour feu
Mon bel amour femme
Mon bel amour Dieu
Mon bel amour du mal de vivre
Entre mes mains seul étonné
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paroles ferrat
D'être à l'instant où te livres
Pareil aux pages de ces livres
Qu'on en finit pas de couper
Mon bel amour fête
Mon bel amour deuil
Mon bel amour chouette
Lionne et chevreuil
Mon bel amour songe
Mon bel amour veille
Ton amour me ronge
Comme il m'émerveille
Mon bel amour de flamme sombre
L'instant d'après anéanti
Rien qu'à ta paupière cette ombre
Et me voilà chiffre sans nombre
Et comme un noyau sans le fruit
Mon bel amour mauve
Mon bel amour bleu
Mon bel amour fauve
Tant que tu le veux
Mon bel amour drame
Mon bel amour jeu
Mon bel amour femme
Mon bel amour Dieu

Jean Ferrat
MON CHANT EST UN RUISSEAU
Paroles: Henri Gougaud d'après un poème de Vitezslav Nezval

Quand le monde sera une étable comblée


Quand les guerres seront finies
Alors buvez mon chant comme du thé au lait
Dans des tasses myosotis
Vous affamés d'hier ombres maigres et dures
Mon chant est un ruisseau mon chant est une mûre
Quand le choeur des humains fera sonner le monde
Comme un atelier de potier
Alors mangez mon chant dans une assiette ronde
Ornée d'un motif d'oignon bleu
Vous affamés d'hier ombres maigres et dures
Mon chant est un ruisseau mon chant est une mûre
Dans ce monde incertain comme barque qui penche
Mordez dans mon chant travailleurs
Comme dans le pain blanc du matin à dents franches
Le pain blanc à la fraîche odeur
Vous affamés d'hier ombres maigres et dures
Mon chant est un ruisseau mon chant est une mûre
O ma patrie de monts et de rivières vertes
Moi qui t'invoque à chaque instant
Je suis comme le coq dressant au ciel sa crête
Je chante et chante tout le temps
Vous affamés d'hier ombres maigres et dures
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paroles ferrat
Mon chant est un ruisseau mon chant est une mûre
Mon chant est un ruisseau mon chant est une mûre

Jean Ferrat
MON PALAIS

Mon Palais
Mon Palais
Ce n'est pas un Palais comme les autres
Sans colonnes de marbre
Sans glaces de Venise
Mon Palais
Mon Palais
Quatre planches une estrade
Et la foule assemblée
Mon Palais
Mon Palais
Cette complicité qui fait qu'on se connaît sans être présenté
Par la vertu des mots magie de la musique sous cette voute immense
Moi petit tout petit perdu dans ces milliers de visages amis
Mains battant la cadence succédant au silence en rafales de pluie
Mon Palais
Mon Palais
D'ombre et de lumière de mains ouvertes
Mon Palais
Mon Palais
Des sports et des coeurs ma découverte
Mon Palais
Mon Palais
Ce n'est pas un Palais comme les autres
Sans chef de protocole
Sans gardes chamarrés
Mon Palais
Mon Palais
Quatre planches une estrade
Et je vous dis entrez
Mon Palais
Mon Palais
Cette fraternité qui fait qu'on se tutoie sans s'être rencontré
Et me voilà soudain par la grâce du chant comme un miroir immense
Mon petit tout petit noyé dans ces milliers de prunelles amies
Reflétant en silence et à corps et à cris les mêmes espérances
Mon Palais
Mon Palais
De souffle et d'espace aux mains ouvertes
Mon Palais
Mon Palais
Des sports et d'espoir ma découverte
Mon Palais
Mon Palais...

Jean Ferrat
MON PAYS ÉTAIT BEAU

Mon pays était beau


D'une beauté sauvage
Et l'homme le cheval et le bois et l'outil
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paroles ferrat
Vivaient en harmonie
Jusqu'à ce grand saccage
Personne ne peut plus simplement vivre ici
Il pleut sur ce village
Aux ruelles obscures
Et rien d'autre ne bouge
Le silence s'installe au pied de notre lit
O silence
Tendre et déchirant violon
Gaie fanfare
Recouvre-nous
Du grand manteau de nuit
De tes ailes géantes

Mon pays était beau


D'une beauté sauvage
Et l'homme le cheval et le bois et l'outil
Vivaient en harmonie
Jusqu'à ce grand saccage
Personne ne peut plus simplement vivre ici

Jean Ferrat
MOURIR AU SOLEIL

Je voudrais mourir debout, dans un champ, au soleil,


Non dans un lit aux draps froissés,
A l'ombre close des volets,
Par où ne vient plus une abeille,
Une abeille...

Je voudrais mourir debout, dans un bois, au soleil,


Sans entendre tout doucement,
La porte et le chuchotement,
Sans objet des gens et des vieilles,
Et des vieilles...

Je voudrais mourir debout, n'importe où, au soleil,


Tu ne serais pas là j'aurais,
Ta main que je pourrais serrer,
La bouche pleine de groseilles,
De groseilles...

Jean Ferrat
MUSIQUE DE MA VIE
Poème d'Aragon

Musique de ma vie ô mon parfum ma femme


Empare-toi de moi jusqu'au profond de l'âme
Musique de ma vie ô mon parfum ma femme
Entre dans mon poème unique passion
Qu'il soit uniquement ta respiration
Immobile sans toi désert de ton absence
Qu'il prenne enfin de toi son sens et sa puissance
Il sera ce frémissement de ta venue
Le bonheur de mon bras touché de ta main nue
Il sera comme à l'aube un lieu de long labour
Quand l'hiver se dissipe et l'herbe sort au jour
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paroles ferrat
Musique de ma vie ô mon parfum ma femme
Empare-toi de moi jusqu'au profond de l'âme
Musique de ma vie ô mon parfum ma femme

Entre dans mon poème où les mots qui t'accueillent


Ont le palpitement obscur et doux des feuilles
Où t'entourent la fuite et l'ombre des oiseaux
Et le cheminement invisible des eaux
Tout t'appartient Je suis tout entier ton domaine
Ma mémoire est à toi Toi seule t'y promènes
Toi seule va foulant mes sentiers effacés
Mes songes et mes cerfs t'y regardent passer

Musique de ma vie ô mon parfum ma femme


Empare-toi de moi jusqu'au profond de l'âme
Musique de ma vie ô mon parfum ma femme

Que je n'entende plus qu'en moi ce coeur dompté


Assieds-toi c'est le soir et souris c'est l'été
Du jardin que les murs de tous côtés endiguent
Où l'ombre a la senteur violente des figues
Mais déjà c'est ta lèvre et ce couple c'est nous
C'est toi le clair de lune où je tombe à genoux
Et la terrasse y tremble et la pierre se trouble
Étoiles dans ma nuit ma violette double

Musique de ma vie ô mon parfum ma femme


Empare-toi de moi jusqu'au profond de l'âme
Musique de ma vie ô mon parfum ma femme

Jean Ferrat
NAPOLÉON IV

Parce qu'un Corse lui fit la cour


Au doux temps de ses illusions
Me mère en me donnant le jour
Me prénomma Napoléon
En haut d'un vieil hôtel miteux
Je règne sur une chaise et un pieu
Mes Tuileries donnent au fond de la cour
Je suis le Napoléon des faubourgs

Si ma Joséphine
C'est une chouette gamine
Elle est vite à bout d'arguments
Pour me faire oublier le temps présent
Mais sans crier gare
Quand j'en aurai marre
De jouer à cache-cache avec la mouise
Je croquerai la dot à Marie-Louise

Je travaillais chez Pitt & Cobourg


Des gars qui ne font jamais de cadeaux
Et ne vous laissent sur les os
Que de quoi faire la peau d'un tambour
Au blocus de mon estomac
Ils s'amusèrent pendant des mois
Pour me vider comme dans l'histoire
De leur usine de Trafalgar

Je suis dans la débime


Et ma Joséphine
Qui ne vit pas que de l'air du temps
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Va me laisser choir sur le champ
Sur le champ de bataille
Quand l'amour se taille
On arrive au bout de son rouleau
Moi je viens de connaître mon Waterloo
J'ai eu beau faire donner la garde
A trop compter sur les souris
On se retrouve dans un terrain vague
Du côté de la Plaine Saint-Denis
C'est là que sans pognon sans amour
Comme Napoléon dans son île
Je finirai ma vie en exil
Mais dans cet exil des faubourgs

J'aurai pas la veine


Comme à Sainte-Hélène
De voir le soleil sur la mer
Jouer au fond les golfes clairs
Je suis rayé de l'Histoire
Jusqu'au jour de gloire
Où les pieds joints, le teint livide
On me fera l'honneur des Invalides

Jean Ferrat
NOUS DORMIRONS ENSEMBLE
Poème d'Aragon

Que ce soit dimanche ou lundi


Soir ou matin, minuit, midi
Dans l'enfer ou le paradis
Les amours aux amours ressemblent
C'était hier que je t'ai dit
Nous dormirons ensemble

C'était hier et c'est demain


Je n'ai plus que toi de chemin
J'ai mis mon coeur entre tes mains
Avec le tien comme il va l'amble
Tout ce qu'il a de temps humain
Nous dormirons ensemble

Mon amour, ce qui fut sera


Le ciel est sur nous comme un drap
J'ai refermé sur toi mes bras
Et tant je t'aime que j'en tremble
Aussi longtemps que tu voudras
Nous dormirons ensemble

Jean Ferrat
NUIT ET BROUILLARD
Paroles et musique: Jean Ferrat

Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers,


Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés,
Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants,
Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent.
Ils se croyaient des hommes, n'étaient plus que des nombres:
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paroles ferrat
Depuis longtemps leurs dés avaient été jetés.
Dès que la main retombe il ne reste qu'une ombre,
Ils ne devaient jamais plus revoir un été
La fuite monotone et sans hâte du temps,
Survivre encore un jour, une heure, obstinément
Combien de tours de roues, d'arrêts et de départs
Qui n'en finissent pas de distiller l'espoir.
Ils s'appelaient Jean-Pierre, Natacha ou Samuel,
Certains priaient Jésus, Jéhovah ou Vichnou,
D'autres ne priaient pas, mais qu'importe le ciel,
Ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux.
Ils n'arrivaient pas tous à la fin du voyage;
Ceux qui sont revenus peuvent-ils être heureux?
Ils essaient d'oublier, étonnés qu'à leur âge
Les veines de leurs bras soient devenus si bleues.
Les Allemands guettaient du haut des miradors,
La lune se taisait comme vous vous taisiez,
En regardant au loin, en regardant dehors,
Votre chair était tendre à leurs chiens policiers.
On me dit à présent que ces mots n'ont plus cours,
Qu'il vaut mieux ne chanter que des chansons d'amour,
Que le sang sèche vite en entrant dans l'histoire,
Et qu'il ne sert à rien de prendre une guitare.
Mais qui donc est de taille à pouvoir m'arrêter?
L'ombre s'est faite humaine, aujourd'hui c'est l'été,
Je twisterais les mots s'il fallait les twister,
Pour qu'un jour les enfants sachent qui vous étiez.

Vous étiez vingt et cent, vous étiez des milliers,


Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés,
Qui déchiriez la nuit de vos ongles battants,
Vous étiez des milliers, vous étiez vingt et cent.

Jean Ferrat
NUL NE GUÉRIT DE SON ENFANCE
Paroles et musique: Jean Ferrat

Sans que je puisse m'en défaire


Le temps met ses jambes à mon cou
Le temps qui part en marche arrière
Me fait sauter sur ses genoux
Mes parents l'été les vacances
Mes frères et soeur faisant les fous
J'ai dans la bouche l'innocence
Des confitures du mois d'août
Nul ne guérit de son enfance

Les napperons et les ombrelles


Qu'on ouvrait à l'heure du thé
Pour rafraîchir les demoiselles
Roses dans leurs robes d'été
Et moi le nez dans leurs dentelles
Je respirais à contre-jour
Dans le parfum des mirabelles
L'odeur troublante de l'amour

Nul ne guérit de son enfance


Le vent violent de l'histoire
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paroles ferrat
Allait disperser à vau-l'eau
Notre jeunesse dérisoire
Changer nos rires en sanglots
Amour orange amour amer
L'image d'un père évanouie
Qui disparut avec la guerre
Renaît d'une force inouïe

Nul ne guérit de son enfance


Celui qui vient à disparaître
Pourquoi l'a-t-on quitté des yeux
On fait un signe à la fenêtre
Sans savoir que c'est un adieu
Chacun de nous a son histoire
Et dans notre coeur à l'affût
Le va-et-vient de la mémoire
Ouvre et déchire ce qu'il fût
Nul ne guérit de son enfance
Belle cruelle et tendre enfance
Aujourd'hui c'est à tes genoux
Que j'en retrouve l'innocence
Au fil du temps qui se dénoue
Ouvre tes bras ouvre ton âme
Que j'en savoure en toi le goût
Mon amour frais mon amour femme
Le bonheur d'être et le temps doux

Pour me guérir de mon enfance

Jean Ferrat
ODEUR DES MYRTILS
Poème d'Aragon

Odeur des myrtils


Dans les grands paniers
Que demeure-t-il
De nous au grenier
Odeur des myrtils
Dans les grands paniers

Ombre mon royaume


Je retrouverais
Les anciens arômes
Et les noirs portraits
Les enfants qui dorment
Les fauteuils boiteux
Les ombres difformes
La trace des jeux

Odeur des myrtils


Dans les grands paniers
Que demeure-t-il
De nous au grenier
Odeur des myrtils
Dans les grands paniers

C'était moi peut-être


Ou peut-être vous
Les yeux des fenêtres
Sont vides et fous
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paroles ferrat
Dans les mois de paille
Il fait doux guetter
Le cri court des cailles
Divisant l'été

Odeur des myrtils


Dans les grands paniers
Que demeure-t-il
De nous au grenier
Odeur des myrtils
Dans les grands paniers

Le vent se repose
Aux bords bleus du temps
Les hérons gris-rose
Marchent sur l'étang
Il me semble entendre
Un train loin d'ici
Dans les osiers tendres
Le jour est assis
Odeur des myrtils
Dans les grands paniers
Que demeure-t-il
De nous au grenier
Odeur des myrtils
Dans les grands paniers
La fin d'août paresse
Et les arbres font
De lentes caresses
Aux plafonds profonds
Mémoire qui meurt
Photos effacées
Rumeur ô rumeur
Des choses passées
Odeur des myrtils
Dans les grands paniers
Que demeure-t-il
De nous au grenier
Odeur des myrtils
Dans les grands paniers

Jean Ferrat
ON NE VOIT PAS LE TEMPS PASSER

On se marie tôt à vingt ans


Et l'on n'attend pas des années
Pour faire trois ou quatre enfants
Qui vous occupent vos journées
Entre les courses la vaisselle
Entre ménage et déjeuner
Le monde peut battre de l'aile
On n'a pas le temps d'y penser

Faut-il pleurer, faut-il en rire


Fait-elle envie ou bien pitié
Je n'ai pas le coeur à le dire
On ne voit pas le temps passer
Une odeur de café qui fume
Et voilà tout son univers
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paroles ferrat
Les enfants jouent, le mari fume
Les jours s'écoulent à l'envers
A peine voit-on ses enfants naître
Qu'il faut déjà les embrasser
Et l'on n'étend plus aux fenêtres
Qu'une jeunesse à repasser
Faut-il pleurer, faut-il en rire
Fait-elle envie ou bien pitié
Je n'ai pas le coeur à le dire
On ne voit pas le temps passer

Elle n'a vu dans les dimanches


Qu'un costume frais repassé
Quelques fleurs ou bien quelques branches
Décorant la salle à manger
Quand toute une vie se résume
En millions de pas dérisoires
Prise comme marteau et enclume
Entre une table et une armoire
Faut-il pleurer, faut-il en rire
Fait-elle envie ou bien pitié
Je n'ai pas le coeur à le dire
On ne voit pas le temps passer

Jean Ferrat
OURAL OURALOU

C'est dans l'aube chère à Verlaine


Que tu courais notre domaine
Humant l'air des quatre saisons
Odeurs de thym et de bruyère
Sous tes pattes fraîches légères
S'élevaient comme une oraison
Berger des landes familières
Tu vivais digne et solitaire
Animal doué de raison
J'écris ce jour anniversaire
Où tu reposes sous la terre
A deux pas de notre maison

Hourrah oural ouralou


Oural ouralou

Hourrah oural ouralou


Oural ouralou

On voit souvent des souveraines


A la place des rois qui régnent
Rien qu'en posant leurs yeux dessus
Il faut se méfier du paraître
De nous deux qui était le maître
Nous ne l'avons jamais bien su
Tu vécus la vie parisienne
La nuit sur les quais de la Seine
Les music-halls et les tournées
Et cette vie qui fût la mienne
Il me semble que tu l'entraînes
A la semelle de tes souliers
Hourrah oural ouralou
Oural ouralou
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paroles ferrat
Hourrah oural ouralou
Oural ouralou
Jour après jour il faut l'admettre
Voir ceux qu'on aime disparaître
C'est ce qui fait vieillir trop tôt
Au paradis des chiens peut-être
Ton long museau à la fenêtre
Tu nous accueilleras bientôt
Au triple galop caracole
Je vois tes pattes qui s'envolent
Chevauchant l'herbe et les nuées
Le vent siffle dans ton pelage
Vole vole mon loup sauvage
Comme au temps des vertes années

Hourrah oural ouralou


Oural ouralou

Hourrah oural ouralou


Oural ouralou

Jean Ferrat
PABLO MON AMI
Poème d'Aragon

Pablo mon ami qu'avons-nous permis


L'ombre devant nous s'allonge s'allonge
Qu'avons-nous permis Pablo mon ami
Pablo mon ami nos songes nos songes

Nous sommes les gens de la nuit qui portons le soleil en route


Il nous brûle au profond de l'être
Nous avons marché dans le noir à ne plus sentir nos genoux
Sans atteindre le monde à naître

Pablo mon ami qu'avons-nous permis


L'ombre devant nous s'allonge s'allonge
Qu'avons-nous permis Pablo mon ami
Pablo mon ami nos songes nos songes

Je connais ce souffrir de tout qui donne bouche de tourment


Amère comme aubépine
A tous les mots à tous les cris à tous les pas les errements
Où l'âme un moment se devine
Pablo mon ami qu'avons-nous permis
L'ombre devant nous s'allonge s'allonge
Qu'avons-nous permis Pablo mon ami
Pablo mon ami nos songes nos songes

Pablo mon ami tu disais avec ce langage angoissant


Où se font paroles étranges
N'est large espace que douleur et n'est univers que de sang
Si loin que j'aille rien n'y change
Pablo mon ami qu'avons-nous permis
L'ombre devant nous s'allonge s'allonge
Qu'avons-nous permis Pablo mon ami
Pablo mon ami nos songes nos songes
Pablo mon ami le temps passe et déjà s'effacent nos voix
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paroles ferrat
On n'entend plus même un coeur battre
Tout n'était-il que ce qu'il fut tout n'était-il que ce qu'on voit
Tout n'était-il que ce théâtre
Pablo mon ami qu'avons-nous permis
L'ombre devant nous s'allonge s'allonge
Qu'avons-nous permis Pablo mon ami
Pablo mon ami nos songes nos songes

Jean Ferrat
PARDONNEZ-MOI MADEMOISELLE
Paroles: Guy Thomas

Pardonnez-moi mademoiselle
Je suis plein de confusion
D'avoir frôlé vos dentelles
Effleuré vos bas nylon
J'ai pas d'excuse officielle
Ni de justification
Vraiment vous étiez si belle
Et puis vous sentiez si bon

C'est vrai je suis pas sortable


J'ai pas de conversation
Je m'ennuie chez les notables
Dans les repas les salons
J'ai l'oreille imperméable
Je n'entends pas les questions
J'ai le cerveau sous la table
Ou je dessine au plafond

J'ai des goûts épouvantables


Des idées de petit con
L'Economie ça m'accable
Autant que la Religion
Tous les sujets honorables
Le Sport et l'Education
Les maladies incurables
Ça me donne le bourdon

J'aimerais mieux je vous jure


Un petit air d'accordéon
Une balade en voiture
Un sandwich au saucisson
Un petit coin de verdure
Une rivière un pinson
Votre main sur la figure
Pour un baiser polisson

Le soir vous seriez encline


A venir dans ma maison
Une boîte de sardines
Serait pour nous du saumon
En délaçant vos bottines
En arrachant vos boutons
Pour vous convaincre en sourdine
J'aurais de la conversation
Pardonnez-moi mademoiselle
Je suis plein de confusion
D'avoir frôlé vos dentelles
Effleuré vos bas nylon
J'ai pas d'excuse officielle
Ni de justification
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paroles ferrat
Vraiment vous étiez si belle
Et puis vous sentiez si bon

Jean Ferrat
PARIS AN 2000
Paroles: Henri Gougaud

Des cages s'ouvrent sur des cages


Il y a dans l'air comme un naufrage
Un coeur quelque part ne bat plus
Paris
Un coeur quelque part ne bat plus
Paris

Nous n'irons plus flâner aux Halles


Au petit jour à peine pâle
Nous ne vous tendrons plus la main
André Breton, Apollinaire
Poètes de la ville lumière
Paris magique s'est éteint
Couleur de fer coule la Seine
Quelle injure crient tes sirènes
Capitale prostituée
Quand nos regards sans transparence
Noyés dans des tonnes d'essence
Pleurent des larmes polluées

Les cages s'ouvrent sur des cages


Il y a dans l'air comme un naufrage
Un coeur quelque part ne bat plus
Paris
Un coeur quelque part ne bat plus
Paris

Il n'est de Paris que son ombre


Des chercheurs d'or sur les décombres
Dressent des banques de béton
L'ordre massif règne immobile
Le pauvre habite en bidonville
Le riche à la ville bidon
Dans les rues tracées à la trique
Voici l'acier géométrique
Des Bastilles de la fureur
Reviendrons-nous un jour les prendre
Avant que mille ne tombent en cendres
Du front de Paris crève-coeur
Les cages s'ouvrent sur des cages
Il y a dans l'air comme un naufrage
Un coeur quelque part ne bat plus

Jean Ferrat
PARLE-MOI DE NOUS
Paroles et musique: Jean Ferrat

Parle-moi tout bas


Parle-moi de toi
Parle-moi de nous
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paroles ferrat
Des hauts et des bas
De la vie qui va
Des riens qui font tout
Parle-moi des choses
Que jamais l'on n'ose
Se dire entre nous
Indéfinissables
Petits grains de sable
Dont je suis jaloux
Parle parle parle-moi de toi
Parle-moi de nous
Parle-moi des peines
Qui parfois nous viennent
On ne sait trop d'où
Comme ces étoiles
Qui filent leurs toiles
Dans la nuit d'août
Quels rêves t'entraînent
Quand l'aube incertaine
Vient à pas de loup
Vérité mensonge
La vie est un songe
A dormir debout
Parle parle parle-moi de toi
Parle-moi de nous

Dans ce monde atroce


Où l'homme féroce
Pour l'homme est un loup
Le ciel de l'Ardèche
Est comme une pêche
Au-dessus de nous
Garde-moi ma place
Ce havre de grâce
Entre tes genoux
Où se désaltèrent
A ta source amère
Mes rois et mes fous
Parle parle parle-moi de toi
Parle-moi de nous

Jean Ferrat
PAUVRE BORIS
Paroles et musique: Jean Ferrat

Tu vois rien n'a vraiment changé


Depuis que tu nous a quitté
Les cons n'arrêtent pas de voler
Les autres de les regarder
Si l'autre jour on a bien ri
Il paraît que le déserteur
Est un des grands succès de l'heure
Quand c'est chanté par Anthony
Pauvre Boris

Voilà quinze ans qu'en Indochine


La France se déshonorait
Et l'on te traitait de vermine
De dire que tu n'irais jamais
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paroles ferrat
Si tu les vois sur leurs guitares
Ajuster tes petits couplets
Avec quinze années de retard
Ce que tu dois en rigoler
Pauvre Boris
Ils vont chercher en Amérique
La mode qui fait des dollars
Un jour ils chantent des cantiques
Et l'autre des refrains à boire
Et quand ça marche avec Dylan
Chacun a son petit Vietnam
Chacun son nègre dont les os
Lui déchirent le coeur et la peau
Pauvre Boris
On va quitter ces pauvres mecs
Pour faire une java d'enfer
Manger la cervelle d'un évêque
Avec le foie d'un militaire
Faire sauter à la dynamite
La bourse avec le Panthéon
Pour voir si ça tuera les mythes
Qui nous dévorent tout du long
Pauvre Boris
Tu vois rien n'a vraiment changé
Depuis que tu nous a quitté

Jean Ferrat
PAUVRES PETITS C...

On parle de vous sans cesse


De vos opinions
Vos voitures vos maîtresses
Vos clubs en renom
Vous avez pour vous la presse
La télévision
Vous vous dites la jeunesse
Pauvres petits c...
Vous vous dites la jeunesse
Pauvres petits cons

Fils de bourgeois ordinaires


Fils de Dieu sait qui
Vous mettez les pieds sur terre
Tout vous est acquis
Surtout le droit de vous taire
Pour parler au nom
De la jeunesse ouvrière
Pauvres petits c...
De la jeunesse ouvrière
Pauvres petits cons
Vos guitares vos idoles
Et vos James Bond
Je m'en contre-foutrai comme
De colin-tampon
Si celui-ci que l'on berne
Ne prenait pour de bon
Vos vessies pour des lanternes
Pauvres petits c...
Vos vessies pour des lanternes
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paroles ferrat
Pauvres petits cons

Quand le temps de vos colères


Quand vos contorsions
Ne seront plus qu'éphémères
Et vieilles illusions
Fils de bourgeois ordinaires
Pour qui nous savons
Vous voterez comme vos pères
Pauvres petits c...
Vous voterez comme vos pères
Pauvres petits cons
Je ne partirai pas en guerre
Contre vos moulins
Si à la prochaine guerre
Le fait est certain
Qui se fera casser la gueule
Pour vos opinions
C'est encore nous ma parole
Pauvres petits c...
C'est encore nous ma parole
Pauvres petits cons

Si votre papa fait mine


De couper les fonds
Si vos petites combines
Ne tournent plus rond
Si votre moi vous chagrine
Plus que de raison
Il y a des places en usine
Pauvres petits c...
Il y a des places en usine
Pauvres petits cons

Jean Ferrat
PETIT
Paroles: Guy Thomas

Petit mon dangereux pirate


Les pieds nus dans le caniveau
Mon matelot qui carapate
Après tes voiliers tes vaissaux
Mon amateur de confitures
Je pourrais ronchonner bientôt
Réglementer tes aventures
Mettre du lest à tes bateaux
Petit mon voyou mon apache
Mon amoureux du fil de l'eau
Je pourrais friser ma moustache
Et t'inviter dans mon bureau

Petit qui sur les bancs de l'école


A toujours l'air d'un étranger
Qui comprends pas le protocole
La bête noire du surgé
Le blâmé du conseil de classe
Celui qui saura pas nager
Dans la société des rapaces
Et des gangsters autorisés

Petit mon malheureux potache


Mon amoureux du fil de l'eau
Je pourrais friser ma moustache
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paroles ferrat
Et te reprocher tes zéros

Petit mon dangereux gauchiste


Mon enragé mon anarcho
Qui me trouve trop légaliste
Et pour tout dire un peu coco
Qui trouve nos combats fadasses
Qui voudrait détruire illico
Les injustices dégueulasses
En embauchant le sirocco
Petit mon voyou mon apache
Mon amoureux du fil de l'eau
Je pourrais friser ma moustache
Je pourrais freiner ton galop
Oui mais quand je pense à tes Socrate
A tes cornacs à tes mentors
Y'a de quoi me couper les pattes
Y'a pas de quoi jouer les cadors
C'est vrai qu'elle a triste figure
Cette planète où nous vivons
Ça pue la haine et la torture
La guerre et la bombe à neutrons
Ah vivre un monde un peu moins vache
Un peu plus libre un peu plus beau
Petit mon voyou mon apache
Mon amoureux du fil de l'eau

Jean Ferrat
PICASSO COLOMBE
Paroles: Henri Gougaud

Il était un homme oiseau


Qui cueillit le monde rond
L'ouvrit de ses doigts pipeaux
L'enfouit dans son oeil citron

Puis déshabilla les dieux


Les fit danser dans les bois
Les croqua de ses dents bleues
Les enivra de hautbois
Picasso colombe au laurier
Fit Guernica la mort aux cornes
Pour que dans un monde sans bornes
La nuit ne vienne plus jamais
La nuit ne vienne plus jamais
Il était un homme fruit
Qui roula dans l'herbe crue
Sur une femme pétrie
Par un dieu Pan au poil dru
Femme, il fendit ton chignon
D'un coup de soleil tranchant
Le fendit comme un oignon
Dans la cuisine des champs

Picasso colombe au laurier


Fit Guernica la mort aux cornes
Pour que dans un monde sans bornes
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paroles ferrat
La nuit ne vienne plus jamais
La nuit ne vienne plus jamais

Il était un homme enfin


Prit le fruit et le croqua
Prit l'oiseau, le fit humain
Coloriant aux éclats

But le temps et s'enivra


But le vin qui devint pur
Prit la cage et la brisa
Sur la porte du futur
Picasso colombe au laurier
Fit Guernica la mort aux cornes
Pour que dans un monde sans bornes
La nuit ne vienne plus jamais
La nuit ne vienne plus jamais
La nuit ne vienne plus jamais

Jean Ferrat
POTEMKINE
Paroles: Georges Coulonges

M'en voudrez vous beaucoup si je vous dis un monde


Qui chante au fond de moi au bruit de l'océan
M'en voudrez vous beaucoup si la révolte gronde
Dans ce nom que je dis au vent des quatre vents

Ma mémoire chante en sourdine


Potemkine

Ils étaient des marins durs à la discipline


Ils étaient des marins, ils étaient des guerriers
Et le coeur d'un marin au grand vent se burine
Ils étaient des marins sur un grand cuirassé

Sur les flots je t'imagine


Potemkine

M'en voudrez vous beaucoup si je vous dis un monde


Où celui qui a faim va être fusillé
Le crime se prépare et la mer est profonde
Que face aux révoltés montent les fusiliers

C'est mon frère qu'on assassine


Potemkine

Mon frère, mon ami, mon fils, mon camarade


Tu ne tireras pas sur qui souffre et se plaint
Mon frère, mon ami, je te fais notre alcade
Marin ne tire pas sur un autre marin

Ils tournèrent leurs carabines


Potemkine

M'en voudrez vous beaucoup si je vous dis un monde


Où l'on punit ainsi qui veut donner la mort
M'en voudrez vous beaucoup si je vous dis un monde
Où l'on n'est pas toujours du côté du plus fort
Ce soir j'aime la marine
Potemkine
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paroles ferrat

Jean Ferrat
POUR ÊTRE ENCORE EN HAUT DE L'AFFICHE

La langue française a fait son temps


Paraît qu'on n'arrête pas le progrès
Que pour être vedette à présent
Il vaut mieux chanter en anglais
Et moi et moi pauvre de moi
Qui me tais depuis si longtemps
Faudrait que je fasse gaffe à tout ça
Que je me reconvertisse à temps
J'ai pris la méthode assimil
My tailor in the pocket
Pour avoir l'air comme les débiles
D'arriver du Massachusetts
Pour être encore en haut de l'affiche
Faudrait que je sussure en angliche
Si je veux coller à mon époque
Il me faut braire en amerloque
Singing in the rain
Singing in the train
Singing my heart
Singing in the woods
Singing in the blood
It is not the tarte

S'il n'y a plus rien d'autre à faire


Pour échapper à la misère
Si c'est le seul moyen ici-bas
D'intéresser les mass média
Si le français ou le breton
Si l'occitan ou l'auvergnat
Comme on me le dit sur tous les tons
Le show-business il aime pas ça
Y'a peut-êtr' quand même un avantage
A cette évolution sans frein
On pourra chanter sans entrave
Quand les gens n'y comprendront rien
Pour être encore en haut de l'affiche
Je pourrai sussurer en angliche
Si je ne veux pas finir en loque
Je pourrai braire en amerloque
Singing in the rain
Singing in the train
Singing my heart
Singing in the woods
Singing in the blood
It is not the tarte

J'entends les copains ricaner


Que j'ai plutôt l'accent manouche
Ils sont jaloux de mon petit succès
Quand j'ai de la bouillie plein la bouche
Grâce aux sondages indiscutables
Dans l'âme du français moyen
Il paraît que nos responsables
Savent tout du goût de chacun
Plaire à tout le monde et à personne
C'est pas donné à n'importe qui
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paroles ferrat
N'allez pas croire qu'ils s'en tamponnent
S'ils nous transforment en colonie
Pour être encore en haut de l'affiche
Je commence à penser en angliche
Quand j'aurai le feeling ad hoc
Ça va faire mal en amerloque
Singing in the rain
Singing in the train
Singing my heart
Singing in the woods
Singing in the blood
It is not the tarte

Jean Ferrat
POURTANT LA VIE
Poème d'Aragon

A voir un jeune chien courir


Les oiseaux parapher le ciel
Le vent friser le lavoir bleu
Les enfants jouer dans le jour

A sentir fraîchir la soirée


Entendre le chant d'une porte
Respirer les lilas dans l'ombre
Flâner dans les rues printanières

Rien moins que rien pourtant la vie


Rien moins que rien Juste on respire
Est-ce un souffle une ombre un plaisir
Je puis marcher je puis m'asseoir
La pierre est fraîche la main tiède
Tant de choses belles qu'on touche
Le pain l'eau la couleur des fruits
Là-bas les anneaux des fumées
Un train qui passe et crie au loin
Rien moins que rien pourtant la vie

A doucement perdre le temps


Suivre un bras nu dans la lumière
Entrer sortir dormir aimer
Aller devant soi sous les arbres

Mille choses douces sans nom


Qu'on fait plus qu'on ne les remarque
Mille nuances d'êtres humaines
A demi-songe à demi-joie

Rien moins que rien pourtant la vie


Celui qui le veut qu'il s'enivre
De la noirceur et du poison
Mais le soleil sur ta figure
Est plus fort que l'ombre qu'il fait

Et qu'irais-je chercher des rimes


A ce bonheur pur comme l'air
Un sourire est assez pour dire
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paroles ferrat
La musique de l'être humain

Rien moins que rien pourtant la vie

Jean Ferrat
PRISUNIC
Paroles: Henri Gougaud

Prisunic aux soleils d'aluminium fleuri


Je flâne en vos jardins d'ustensiles étranges
Prisunic Prisunic en passant je souris
Aux petites vendeuses couleur de pschitt orange

O vendeuses chéries en matière plastique


Prenez mon plasti-coeur et mes plasti-baisers
Puis nous nous coucherons dans l'herbe synthétique
Nous ferons des enfants à l'âme triphasée
Sur des arbres en carton y'a de la plasti-mousse
Et des plasti-nuages accrochés aux néons
Oh le celluloïd comme il a la peau douce
La machine à laver où l'as-tu vue Léon

Moi je n'ai d'yeux que pour les Prisunic vendeuses


Engrangeant des étoiles aux réfrigérateurs
Imaginez-les donc en robes vaporeuses
Elles mettraient un cochon dedans votre moteur

Prisunic aux soleils d'aluminium tout gris


La musique vous prend dans ses douces volutes
Prisunic Prisunic vos néons sont fleuris
Paraît que le nylon ça brûle en deux minutes

Jean Ferrat
QUAND ON N'INTERDIRA PLUS MES CHANSONS

Quand on n'interdira plus mes chansons


Je serai bon bon bon bon bon bon bon
Quand on n'interdira plus mes chansons
Je serai bon à jeter sous les ponts

Je ne chanterai plus que les petits oiseaux


L'amour le ciel la terre et l'eau
Dans la fanfare opposition
Je soufflerai plus d'hélicon
Je ferai plus mal à personne
J'aurai la plume aseptisée
J'aurai plus la voix qui détonne
Dans les grands shows télévisés
Quand on n'interdira plus mes chansons
Je serai bon bon bon bon bon bon bon
Quand on n'interdira plus mes chansons
Je serai bon à jeter sous les ponts
Je serai le champion du bof
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paroles ferrat
Toujours au côté du plus fort
Un genre de nouveau philosophe
Avec l'idéal au point mort
Je serai plus l'affreux jojo
Qui met ses rimes où il faut pas
Qui fait de la peine aux collabos
Figaro-ci Figaro-là

Quand on n'interdira plus mes chansons


Je serai bon bon bon bon bon bon bon
Quand on n'interdira plus mes chansons
Je serai bon à jeter sous les ponts
La majorité silencieuse
Ayant enfin trouvé sa voix
Je serai plus la maladie honteuse
Le chantre qu'on cache à papa
J'incarnerai ces pauvres types
Les masochistes du pouvoir
Qui se régalent par principe
En recevant des coups de barre
Quand on n'interdira plus mes chansons
Je serai bon bon bon bon bon bon bon
Quand on n'interdira plus mes chansons
Je serai bon à jeter sous les ponts

Enfant chéri des monopoles


J'aurai mon avenir assuré
J'inventerai plus de carmagnoles
Qu'avec l'accord de l'Elysée
Je deviendrai super enzyme
Je deviendrai super glouton
En glorifiant à plein régime
L'Europe des supers patrons

Quand on n'interdira plus mes chansons


Je serai bon bon bon bon bon bon bon
Quand on n'interdira plus mes chansons
Je serai bon à jeter sous les ponts

Jean Ferrat
QUATRE CENTS ENFANTS NOIRS
Paroles: Michelle Senlis

Quatre cents enfants noirs


Dans un journal du soir
Et leur pauvre sourire
Ces quatre cents visages
A la première page
M'empêchent de dormir

Toi, tu dors près de moi


Heureuse, et je le sais
Tu dors comme autrefois
Moi aussi je dormais
Si la nuit est venue
Pourtant Paris n'est plus
Qu'un effrayant silence
J'attends que le jour vienne
J'attends que l'on éteigne
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paroles ferrat
J'attends qu'un oiseau chante
Qu'un oiseau chante

Quatre cents enfants noirs


Sans manger et sans boire
Avec leurs grands yeux tristes
Ces quatre cents prières
Dans un hebdomadaire
Rappellent qu'ils existent
Toi, tu dors malgré tout
De ton sommeil heureux
Tu dors et tout à coup
Je suis seul avec eux
Le soleil s'est levé
L'arroseur est passé
A Paris c'est dimanche

Ceux qui veillaient s'endorment


Ceux qui dormaient s'étonnent
Quelque part rien ne change
Rien ne change, rien ne change

Jean Ferrat
QUE SERAIS-JE SANS TOI
Le poème d'Aragon

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre


Que serais-je sans toi qu'un coeur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement

J'ai tout appris de toi sur les choses humaines


Et j'ai vu désormais le monde à ta façon
J'ai tout appris de toi comme on boit aux fontaines
Comme on lit dans le ciel les étoiles lointaines
Comme au passant qui chante on reprend sa chanson
J'ai tout appris de toi jusqu'au sens du frisson

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre


Que serais-je sans toi qu'un coeur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement

J'ai tout appris de toi pour ce qui me concerne


Qu'il fait jour à midi qu'un ciel peut être bleu
Que le bonheur n'est pas un quinquet de taverne
Tu m'as pris par la main dans cet enfer moderne
Où l'homme ne sait plus ce que c'est qu'être deux
Tu m'as pris par la main comme un amant heureux

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre


Que serais-je sans toi qu'un coeur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement
Qui parle de bonheur a souvent les yeux tristes
N'est-ce pas un sanglot de la déconvenue
Une corde brisée aux doigts du guitariste
Et pourtant je vous dis que le bonheur existe
Ailleurs que dans le rêve ailleurs que dans les nues
Terre terre voici ses rades inconnues
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paroles ferrat
Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu'un coeur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement

Jean Ferrat
QUI VIVRA VERRA
Poème d'Aragon

Dans les premiers froids de Madrid


J'habitais la Puerta del Sol
Cette place comme un grand vide
Attendait quelque nouveau Cid
Dont le manteau jonchât le sol
Et recouvrît ces gueux sordides
Qu'on jette aux mendiants l'obole
Montrez-moi le peuple espagnol
Qui vivra verra le temps roule roule
Qui vivra verra quel sang coulera
Passant les bourgs de terre cuite
Les labours perchés dans les airs
Sur un chemin qui fait des huit
Comme aux doigts maigres des jésuites
Leur interminable rosaire
Le vent qui met les rois en fuite
Fouette un bourricot de misère
Vers l'Escorial-au-Désert
Qui vivra verra le temps roule roule
Qui vivra verra quel sang coulera

D'où se peut-il qu'un enfant tire


Ce terrible et long crescendo
C'est la plainte qu'on ne peut dire
Qui des entrailles doit sortir
La nuit arrachant son bandeau
C'est le cri du peuple martyr
Qui vous enfonce dans le dos
Le poignard du cante jondo

Qui vivra verra le temps roule roule


Qui vivra verra quel sang coulera
Qu'au son des guitares nomades
La gitane mime l'amour
Les cheveux bleuis de pommade
L'oeil fendu de Schéhérazade
Et le pied de Boudroulboudour
Il se fait soudain dans Grenade
Que saoule une nuit de vin lourd
Un silence profond et sourd
Qui vivra verra le temps roule roule
Qui vivra verra quel sang coulera
Il se fait soudain dans Grenade
Que saoule une nuit de sang lourd
Une terrible promenade
Il se fait soudain dans Grenade
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paroles ferrat
Un grand silence de tambours

Jean Ferrat
RACONTE-MOI LA MER
Paroles: Claude Delecluse, musique: Jean Ferrat

Raconte-moi la mer
Dis-moi le goût des algues
Et le bleu et le vert
Qui dansent sur les vagues

La mer c'est l'impossible


C'est le rivage heureux
C'est le matin paisible
Quand on ouvre les yeux
C'est la porte du large
Ouverte à deux battants
C'est la tête en voyage
Vers d'autres continents
C'est voler comme Icare
Au devant du soleil
En fermant sa mémoire
A ce monde cruel
La mer c'est le désir
De ce pays d'amour
Qu'il faudra découvrir
Avant la lin du jour

Raconte-moi la mer
Dis-moi ses aubes pâles
Et le bleu et le vert
Ou tombent les étoiles

La mer c'est l'innocence


Du paradis perdu
Le jardin de l'enfance
Où rien ne chante plus
C'est l'écume et le sable
Toujours recommencés
Et la vie est semblable
Au rythme des marées

C'est l'infinie détresse


Des choses qui s'en vont
C'est tout ce qui nous laisse
A la morte saison
La mer c'est le regret
De ce pays d'amour
Que l'on cherche toujours
Et qu'on n'atteint jamais

Raconte-moi la mer
Dis-moi le goût des algues
Et le bleu et le vert
Qui dansent sur les vagues

Jean Ferrat
REGARDE-TOI PANAME
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paroles ferrat
Paroles: Pierre Frachet

Ne crâne donc pas tant Paname


Je ne voudrais pas te faire de peine
Mais on peut voir couler la Seine
Ailleurs qu'au pied de Notre-Dame

De Châtillon à l'estuaire
Elle baigne bien d'autres lieux
Grâce en soit rendue au Bon Dieu
Y'a pas que Paris sur la terre
Paname si tu te crois belle
C'est que tu ne t'es pas regardée
Du côté du quai de Grenelle
Ou de Maubert/Mutualité

Paris le soir Paris la nuit


Tu bois tu gambilles tu t'empiffres
Et tu noies dans le son des fifres
Ta solitude et ton ennui

Paris tu vas paumer ta ligne


A force de mordre au gâteau
Tu prends du ventre à Rambuteau
T'es moins jeune et tu te résignes
Paname tu te crois mariolle
Mais tu ne t'es pas regardée
Sur le vieux pont des Batignolles
Y'a longtemps qu'on ne va plus danser

Tu trouves la misère importune


Mais tu portes tes beaux quartiers
Comme leurs bagues et leurs colliers
Les vieilles cocottes sans fortune

Mais à trois pas de tes loubards


En face du quai de Passy
Y'a des mômes de par ici
Qui n'ont jamais grimpé aux arbres

Va rhabiller tes faux poètes


Paname t'as perdu la main
T'es plus bonne qu'aux Américains
Qui viennent se soûler à tes fêtes

Troupeau de toi fleuve tranquille


Ciel généreux pavé têtu
Grande gueule et petite vertu
Paname t'es quand même ma ville
Y'a des revers à tes médailles
Des rimes pauvres à tes poèmes
Pour cent palais pour cent ripailles
Combien de taudis de carêmes

Et pourtant je n'ai pas l'envie


De traîner ailleurs mes souliers
C'est là que j'ai commencé ma vie
C'est là que je la finirai

Jean Ferrat
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paroles ferrat
RESTERA-T-IL UN CHANT D'OISEAU
Paroles: Claude Delecluse

Que restera-t-il sur la terre


Dans cinquante ans
On empoisonne les rivières
Les océans
On mange des hydrocarbures
Que sais-je encore
Le Rhône charrie du mercure
Des poissons morts
Pour les enfants des temps nouveaux
Restera-t-il un chant d'oiseau
Le monde a perdu la boussole
Qu'a-t-il gagné
Des plages noires de pétrole
Pour se baigner
L'atome va régner sur terre
Comme un Seigneur
Qu'en ferons-nous c'est une affaire
Qui me fait peur
Pour les enfants des temps nouveaux
Restera-t-il un chant d'oiseau
A peine le malheur des hommes
Est-il moins grand
Que déjà pourrissent les pommes
Des nouveaux temps
Enfants enfants la terre est ronde
Criez plus fort
Pour que se réveille le monde
S'il n'est pas mort
Pour les enfants des temps nouveaux
Restera-t-il un chant d'oiseau

Jean Ferrat
RIEN À VOIR
Paroles: Henri Gougaud

Des poèmes écrits sur les automobiles


Un grand nu de Renoir peint sur le Sacré Coeur
De longues femmes fleurs au sourire immobile
Chantant au coin des rues des chansons crève-coeur
Et dans les prisons rien à voir
Rien à voir rien à voir

Des fruits mal défendus et des filles gourmandes


Cinglant vers le bonheur toutes voiles dehors
Armstrong et Beethoven dans les champs de lavande
"La vie en rose" hurlée aux monuments aux morts
Et dans les casernes rien à voir
Rien à voir rien à voir

Des chemins tout tracés pour la joie des instables


Des chemins qui ne vont à Rome ni ailleurs
La multiplication des pains sur chaque table
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paroles ferrat
Par un Jésus faisant l'amour parmi les fleurs

Et dans les églises rien à voir


Rien à voir rien à voir

Les vieux dans les pommiers et du vent dans les branches


Les oiseaux de malheur enfin dynamités
Un hymne national qui te prend par les hanches
Pour te faire danser en plein coeur de l'été
Et dans le soleil tout à voir
Tout à voir tout à voir

Jean Ferrat
ROBERT LE DIABLE
Poème d'Aragon

Tu portais dans ta voix comme un chant de Nerval


Quand tu parlais du sang jeune homme singulier
Scandant la cruauté de tes vers réguliers
Le rire des bouchers t'escortait dans les Halles
Tu avais en ces jours ces accents de gageure
Que j'entends retentir à travers les années
Poète de vingt ans d'avance assassiné
Et que vengeaient déjà le blasphème et l'injure

Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne


Comme un soir en dormant tu nous en fis récit
Accomplir jusqu'au bout ta propre prophétie
Là-bas où le destin de notre siècle saigne

Debout sous un porche avec un cornet de frites


Te voilà par mauvais temps près de Saint-Merry
Dévisageant le monde avec effronterie
De ton regard pareil à celui d'Amphitrite
Énorme et palpitant d'une pâle buée
Et le sol à ton pied comme au sein nu l'écume
Se couvre de mégots de crachats de légumes
Dans les pas de la pluie et des prostituées

Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne


Comme un soir en dormant tu nous en fis récit
Accomplir jusqu'au bout ta propre prophétie
Là-bas où le destin de notre siècle saigne
Et c'est encore toi sans fin qui te promènes
Berger des longs désirs et des songes brisés
Sous les arbres obscurs dans les Champs-Elysées
Jusqu'à l'épuisement de la nuit ton domaine
O la Gare de l'Est et le premier croissant
Le café noir qu'on prend près du percolateur
Les journaux frais les boulevards pleins de senteur
Les bouches du métro qui captent les passants

Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne


Comme un soir en dormant tu nous en fis récit
Accomplir jusqu'au bout ta propre prophétie
Là-bas où le destin de notre siècle saigne
La ville un peu partout garde de ton passage
Une ombre de couleur à ses frontons salis
Et quand le jour se lève au Sacré-Coeur pâli
Quand sur le Panthéon comme un équarissage
Le crépuscule met ses lambeaux écorchés
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paroles ferrat
Quand le vent hurle aux loups dessous le Pont-au-Change
Quand le soleil au Bois roule avec les oranges
Quand la lune s'assied de clocher en clocher
Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne
Comme un soir en dormant tu nous en fis récit
Accomplir jusqu'au bout ta propre prophétie
Là-bas où le destin de notre siècle saigne

Jean Ferrat
SACRÉ FÉLICIEN

Sachez qu'en mon pays


Avec tous mes amis
De veille et de bamboche
Il faut se lever tôt
Pour avoir le droit au
Titre de roi des cloches
Boire et jouer pour deux
Aimer à qui mieux mieux
Traiter Dieu de fantoche
En réfléchissant bien
Je n'en vois guère qu'un
Pour qui c'est dans la poche

Sacré Félicien
Tu mérites bien
La cloche d'airain
Sacré Félicien

Tous les soirs au poker


Paradis et enfer
Mon coeur cesse de battre
Quand tremble sa casquette
Au regard qu'il me jette
En abattant ses cartes
Si je sens aussitôt
Pousser sous mon chapeau
Des cornes qui se cachent
C'est qu'au jeu de poker
Il dit qu'il vaut mieux faire
Le boucher que la vache

Sacré Félicien
Tu mérites bien
La cloche d'airain
Sacré Félicien

Au tendre jeu d'aimer


Sa force est de flairer
L'anguille sous la roche
Peu lui chaut tout à fait
Que la belle ait le nez
En forme de galoche
Mais qu'un morceau de roi
Suivi d'un échalas
A petit pas s'approche
Il me dit aussitôt
"Ben, mon pauvre Jeannot
La tienne est plutôt moche"
Sacré Félicien
Tu mérites bien
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paroles ferrat
La cloche d'airain
Sacré Félicien

Quand on va braconner
La truite et le gibier
Je guette le gendarme
S'il est petit et gros
Suant sous son chapeau
Il me dit: "Pas d'alarme
Te casse pas la tête
Celui-là est si bête
D'après ce qu'on raconte
Que même ses collègues
Qui ne sont pas des aigles
Ont pu s'en rendre compte"
Sacré Félicien
Tu mérites bien
La cloche d'airain
Sacré Félicien

Jean Ferrat
SAINTE CANAILLE
Paroles: Pierre Cour

Petite Sainte Nitouche


Tu viens sur ma bouche
Chercher ton plaisir
Mais tu t'effarouches
Quand ma main te touche
Pour te retenir
Tu joues et tu ruses
Ce que tu t'amuses
De mon désarroi
Et puis soudain grise
Te voilà soumise
Au creux de mes bras
Petite Sainte Coquette
Tu veux que la fête
Dure jusqu'au jour
Tu fais l'innocente
Pour mieux que j'invente
Des jeux à l'amour
Tu mords et tu griffes
Et tu te rebiffes
Pour t'apaiser mieux
Et pour plus de charme
Tu cherches une larme
Au bord de tes yeux

Petite Sainte Canaille


Garde ta médaille
Autour de ton cou
Tout le reste sombre
Quelque part dans l'ombre
Jeté n'importe où
Savoir si je t'aime
C'est ton seul problème
Tu n'en sauras rien
Car le jour éclate
Et comme une chatte
Tu t'endors si bien
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paroles ferrat

Jean Ferrat
SI J'ÉTAIS PEINTRE OU MAÇON

Si j'étais peintre ou maçon


Métallo ou forgeron
Que je travaille à la chaîne
En écoutant ma rengaine
Vous vous feriez une raison
Si j'étais peintre ou maçon
Mais je gagne des millions
Et combats à ma façon
Votre bien-aimé système
Et votre teint devient blême
Quand je dis révolution
Moi qui gagne des millions

Vous avez peur d'une chanson


Peur de l'avenir
Vous manquez d'imagination
Jusqu'à en mourir
Si je sortais de prison
Si je couchais sous les ponts
Vous vous diriez c'est la haine
Ce serait pour votre aubaine
Une belle explication
Si je sortais de prison

Moi qui croque vos millions


Quand je chante abolissons
Votre bien-aimé système
Vous criez que je blasphème
De vos profits le saint nom
Moi qui croque vos millions
Vous avez peur d'une chanson
Peur de l'avenir
Vous manquez d'imagination
Jusqu'à en mourir
Quand je chantais pour deux ronds
Dormais sur un paillasson
Vous disiez c'est la bohème
Passé le temps des cafés-crème
Il changera d'opinion
Quand je chantais pour deux ronds

Avec ou sans vos millions


Dissipez vos illusions
Vous ne m'aurez pas quand même
Être fidèle à moi-même
Reste ma seule ambition
Avec ou sans vos millions
Nous qui sommes des millions
Vous déclarons sans façon
Gardez bien votre système
Car il changera quand même
Que vous le vouliez ou non
Nous qui sommes des millions

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paroles ferrat

Jean Ferrat
SI JE MOURAIS LÀ-BAS
Poème de Guillaume Apollinaire, musique: Jean Ferrat

Si je mourais là-bas sur le front de l'armée


Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée
Et puis mon souvenir s'éteindrait comme meurt
Un obus éclatant sur le front de l'armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleur

Et puis ce souvenir éclate dans l'espace


Couvrirait de mon sang le monde tout entier
La mer les monts les vals et l'étoile qui passe
Les soleils merveilleux mûrissant dans l'espace
Comme font les fruits d'or autour de Baratier

Souvenir oublié vivant dans toutes choses


Je rougirais le bout de tes jolis seins roses
Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants
Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses
Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants
Lou si je meurs là-bas souvenir qu'on oublie
- Souviens-t'en quelquefois aux instants de folie
De jeunesse et d'amour et d'éclatante ardeur
Mon sang c'est la fontaine ardente du bonheur
Et sois la plus heureuse étant la plus jolie
O mon unique amour et ma grande folie

Jean Ferrat
SI NOUS MOURONS (Lettre d'Ethel Rosenberg à ses enfants)

Vous apprendrez un jour mes fils vous apprendrez


Pourquoi nous reposons sous terre
Le livre à moitié lu le chant interrompu
Et la besogne inachevée
Ne pleurez plus mes fils mes fils ne pleurez plus
Le monde entier saura le pourquoi du mensonge
Et de la calomnie le monde entier saura
Nos pleurs et notre peine
Joyeux et vert mes fils mes fils joyeux et vert
Sera le monde au-dessus de nos tombes
Les tueries cesseront la terre fleurira
Dans la paix fraternelle

Travaillez construisez mes fils un monument


A l'amour à la joie à la valeur humaine
Et à la foi que nous avons gardée
Pour vous mes fils mes fils pour vous

Jean Ferrat
TA CHANSON
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paroles ferrat

Non je ne veux pas croire


Que dans d'autres mémoires
Il ne resterait rien
Rien de notre bel âge
Ni des mille visages
De notre amour sans fin
Si j'allais disparaître
Qui sait demain peut-être
A moitié du chemin
Sans faire ta chanson
Mon amour ma faiblesse
Trop de rimes se pressent
Dans la jungle d'idées
Qui courent dans ma tête
Il faut être poète
Pour les apprivoiser
De tous ces mots à naître
Qui resteront peut-être
Dans ma gorge serrée
Est faite ta chanson

Que de rudes batailles


Avons-nous vaille que vaille
Dû livrer chaque jour
Chacun tenant son rôle
Épaule contre épaule
Et gagnant malgré tout
De ce temps de patience
Pour que la vie commence
A se mettre à genoux
Est faite ta chanson

S'ils sont toujours les mêmes


Les mots de ce poème
N'appartiennent qu'à nous
Que ma voix se déchire
Les gens peuvent bien rire
Et me traiter de fou
Ce soir hors de moi-même
Je veux crier "Je t'aime"
Comme peuvent hurler les loups
Pour faire ta chanson ta chanson

Jean Ferrat
TOUJOURS LA MÊME G...

Je rêvais d'un vélo


Et j'ai trois bagnoles
Télé et frigo
Ça irait tout seul
Mais y'a un' petite chose qui m'ennuie
C'est de me voir le jour et la nuit
Toujours la même gueule
Toujours la même gueule
Je pourrais me faire refaire bien sûr
Le nez au milieu de la figure
Mais ce que j'ai derrière la façade
J'ai bien peur que ça reste en rade
Je rêvais d'une Margot
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paroles ferrat
J'accueille des beautés
Toujours stéréo
Stéréotypées
Et je retrouve le jour la nuit
Au cinéma ou dans mon lit
Les mêmes petites gueules
Les mêmes petites gueules
Je pourrais leur faire refaire bien sûr
Le nez à côté de la figure
Mais ce qu'elles ont derrière la façade
J'ai bien peur que ça me rende malade

Je rêvais d'un ami


M'en voilà deux cents
Qui s'esclaffent et rient
Quand je desserre les dents
Mais y'a une petite chose qui m'ennuie
C'est qu'ils se regardent quand je suis parti
Avec une sale gueule
Avec une sale gueule
Je peux pas leur faire refaire bien sûr
Le nez de l'autre côté de la figure
Mais ce qu'ils ont derrière la façade
Ça vaut pas que je me rende malade
Quand j'aurai cessé
D'être un sous-produit
Manufacturé
Je m'en irai d'ici
Mais ça ne changera rien à l'affaire
Même les vaches me verront faire
Toujours la même gueule
Toujours la même gueule

Jean Ferrat
TOUT CE QUE J'AIME
Paroles: Philippe Pauletto

La mer et les oiseaux envolés du sommeil


La pierre du seuil usée par le pas des saisons
Roses d'écume et fruits vermeils
Le vent rêvant sur ma maison
Le feu qui veille
L'or des poissons
Le soleil
Les moissons
Tout ce que j'aime
Tout ce que j'aime au creux des mains
Combats d'hier combats toujours recommencés
Premier cri de la vie graines de l'avenir
Un pas de plus vers la beauté
Rêves réels qui vont fleurir
L'espoir gagné
Savoir s'unir
La bonté
Rebâtir

Tout ce que j'aime


Tout ce que j'aime mène à demain
Le goût de vivre enfin sans mesure sans frontières
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paroles ferrat
Les raisons de l'amour les raisons de la vie
Deux bras comme un grand livre ouvert
Une chanson contre l'oubli
Justes colères
Mystères conquis
La lumière
L'infini

Tout ce que j'aime


Tout ce que j'aime t'appartient

Jean Ferrat
TU AURAIS PU VIVRE
Paroles et musique: Jean Ferrat

Tu aurais pu vivre encore un peu


Pour notre bonheur pour notre lumière
Avec ton sourire avec tes yeux clairs
Ton esprit ouvert ton air généreux

Tu aurais pu vivre encore un peu


Mon fidèle ami mon copain mon frère
Au lieu de partir tout seul en croisière
Et de nous laisser comme chiens galeux
Tu aurais pu vivre encore un peu

T'aurais pu rever encore un peu


Te laisser bercer près de la rivière
Par le chant de l'eau courant sur les pierres
Q'uand des quatre fers l'été faisait feu

T'aurais pu rêver encore un peu


Sous mon châtaignier à l'ombre légère
Laisser doucement le temps se défaire
Et la nuit tomber sur la vallée bleue
T'aurais pu rêver encore un peu

Tu aurais pu jouer encore un peu


Au lieu de lâcher tes boules peuchère
Aujourd'hui sans toi comment va-t-on faire
Dans notre triplette on n'est plus que deux

Tu aurais pu jouer encore un peu


Ne pas t'en aller sans qu'on ait pu faire
A ces rigolos mordre la poussière
Avec un enjeu du tonnerre de Dieu
Tu aurais pu jouer encore un peu

On aurait pu rire encore un peu


Avec les amis des soirées entières
Sur notre terrasse aux roses trémières
Parfumée d'amour d'histoires et de jeux
On aurait pu rire encore un peu
Et dans la beauté des choses éphémères
Caresser nos femmes et lever nos verres
Sans s'apercevoir qu'on était heureux
On aurait pu rire encore un peu
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paroles ferrat
Tu aurais pu vivre encore un peu
Ne pas m'imposer d'écrire ces vers
Toi qui savais bien mon ami si cher
A quel point souvent je suis paresseux
Tu aurais pu vivre encore un peu

Jean Ferrat
TU NE M'AS JAMAIS QUITTÉ

Chaque jour que Dieu me donne


Soirs d'hiver, matins d'été
Au printemps ou en automne
Tu ne m'as jamais quitté

A travers d'autres amours


C'est toujours toi que je fuis
Je n'ai plus assez de jours
Je n'ai plus assez de nuits
Pour pouvoir t'oublier, mon amour

Et dans la vie, je m'aperçois


Que tout m'est inconnu
Je ne sais rien qu'à travers toi
Mais ma vie continue

Les gens me parlent et je souris


Je ris même aux éclats
Je leur dis non, je leur dis oui
Mais au fond de moi

Chaque jour que Dieu me donne


Soirs d'hiver, matins d'été
Au printemps ou en automne
Tu ne m'as jamais quitté

A travers d'autres amours


C'est toujours toi que je fuis
Je n'ai plus assez de jours
Je n'ai plus assez de nuits
Pour pouvoir t'oublier, mon amour

Jean Ferrat
TU VERRAS TU SERAS BIEN

J'aurais bien voulu te prendre


Avec nous comme autrefois
Mais Suzy m'a fait comprendre
Qu'on est un peu à l'étroit
Il faut être raisonnable
Tu ne peux plus vivre ainsi
Seule si tu tombais malade
On se ferait trop de souci

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paroles ferrat
Tu verras tu seras bien

On va trier tes affaires


Les photos auxquelles tu tiens
Celles de papa militaire
Des enfants et des cousins
C'est drôle qu'une vie entière
Puisse tenir dans la main
Avec d'autres pensionnaires
Vous en parlerez sans fin
Tu verras tu seras bien
Oui je vois le chat s'agite
On ne trompe pas son instinct
Mais il oubliera très vite
Dès qu'il sera chez les voisins
T'auras plus de courses à faire
De ménage quotidien
Plus de feu en plein hiver
T'auras plus souci de rien
Tu verras tu seras bien

Ton serin chante à tue-tête


Allons maman calme-toi
Oui le directeur accepte
Que tu le prennes avec toi
Y'a la télé dans ta chambre
En bas y'a un beau jardin
Avec des roses en décembre
Qui fleurissent comme en juin

Tu verras tu seras bien

Et puis quand viendra dimanche


On ira faire un festin
Je me pendrai à ta manche
Comme quand j'étais gamin
Tu verras pour les vacances
Tous les deux on sortira
Là où l'on chante où l'on danse
On ira où tu voudras
Tu verras tu seras bien

Jean Ferrat
UN AIR DE LIBERTÉ

Les guerres du mensonge les guerres coloniales


C'est vous et vos pareils qui en êtes tuteurs
Quand vous les approuviez à longueur de journal
Votre plume signait trente années de malheur

La terre n'aime pas le sang ni les ordures


Agrippa d'Aubigné le disait en son temps
Votre cause déjà sentait la pourriture
Et c'est ce fumet-là que vous trouvez plaisant
Ah monsieur d'Ormesson
Vous osez déclarer
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paroles ferrat
Qu'un air de liberté
Flottait sur Saigon
Avant que cette ville s'appelle Ville Ho-Chi-Minh
Allongés sur les rails nous arrêtions les trains
Pour vous et vos pareils nous étions la vermine
Sur qui vos policiers pouvaient taper sans frein
Mais les rues résonnaient de paix en Indochine

Nous disions que la guerre était perdue d'avance


Et cent mille Français allaient mourir en vain
Contre un peuple luttant pour son indépendance
Oui vous avez un peu de ce sang sur les mains

Ah monsieur d'Ormesson
Vous osez déclarer
Qu'un air de liberté
Flottait sur Saigon
Avant que cette ville s'appelle Ville Ho-Chi-Minh

Après trente ans de feu de souffrance et de larmes


Des millions d'hectares de terre défoliés
Un génocide vain perpétré au Viêt-Nam
Quand le canon se tait vous vous continuez
Mais regardez-vous donc un matin dans la glace
Patron du Figaro songez à Beaumarchais
Il saute de sa tombe en faisant la grimace
Les maîtres ont encore une âme de valet

Jean Ferrat
UN CHEVAL FOU DANS UN GRAND MAGASIN
Paroles: Henri Gougaud

Je suis un arbre un vélo une orange


Un grand bateau un café sur le zinc
Je suis un fleuve une hirondelle un ange
Un cheval fou dans un grand magasin

J'aime bien Julie Lulu et le Grand Jacques


J'aime le vin le sucre et l'aïoli
Le pain trempé dans un aphrodisiaque
Les giboulées sous un grand parapluie
Le pain trempé dans un aphrodisiaque
Les giboulées sous un grand parapluie
J'ai visité les Indes la Belgique
Les noirs les blancs les jaunes les bossus
A cloche-pied j'ai traversé l'Afrique
Et d'est en ouest les pôles le nord et sud

Bref j'ai tout vu j'ai tout fait plus encore


Tout exploré tout comme tout goûté
Les minéraux les faunes et les flores
Les gens d'ici les singes d'à côté
Les minéraux les faunes et les flores
Les gens d'ici les singes d'à côté

Pourtant hélas je cherche encore la Femme


Qui aimera mes folies mes secrets
La Femme Fée la rose pour ma flamme
Ma grande amour pour la vie pour de vrai
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Pour elle seule je veux être une orange
Un grand bateau un café sur le zinc
Un arbre un fleuve une hirondelle un ange
Un cheval fou dans un grand magasin
Un arbre un fleuve une hirondelle un ange
Un cheval fou dans un grand magasin

Jean Ferrat
UN ENFANT QUITTE PARIS
Paroles: Georges Coulonges, musique: Jean Ferrat

Il s'en allait courant


Il s'en allait criant
Il s'en allait hurlant
Les mains sur les oreilles
On voyait qu'il fuyait
On voyait qu'il pleurait
On voyait qu'il tremblait
On disait qu'est-ce que c'est
Un entant quitte Paris
Il s'en va vers des merveilles
Les merveilles de ces pays
Ou l'oiseau fait encore son nid

Il a dit ça fait mal


C'est dur c'est trop brutal
Ce vacarme infernal
Ça casse les oreilles
Il a dit les autos
Les camions le métro
Les usines les radios
Les bennes les marteaux
Un enfant quitte Paris
Il s'en va vers des merveilles
Les merveilles de ces pays
Où l'oiseau fait encore son nid
Qu'est-ce que nous deviendrons
Si les enfants s'en vont
Si le soir nous n'avons
Plus jamais leur sourire
Et j'ai voulu crier
J'ai voulu appeler
J'ai voulu alerter
Toute la société
Mais y avait les autos
Les camions le métro
Les usines les radios
Les marteaux et les bennes
Il y avait tout Paris
Qui faisait trop de bruit
Et nul ne m'entendit
Il y a trop de bruit

Il y a trop de bruit
Il y a trop de bruit

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paroles ferrat

Jean Ferrat
UN JEUNE

On connaît l'ornithoryngulus
Un des monstres de la préhistoire
Le plésiosaure-diplodocus
Qui hante encore toutes nos mémoires
On se souvient du pithécanthrope
Et de l'homme du Néanderthal
Jusqu'à l'homo sapiens de St-Trop
L'évolution restait très normale

Mais dites-moi mais dites-moi


A quoi peut correspondre en notre temps
Un jeune
Un jeune
Républicain-Indépendant

Un crocodile avec des moustaches


Ça pourrait amuser les enfants
Un évêque qui crie mort aux vaches
Ça peut inquiéter les possédants
Un morceau choisi de Déroulède
Ça peut faire pleurer les adjudants
Une fille même la plus laide
Ça peut vous faire passer du bon temps
Mais dites-moi mais dites-moi
A quoi peut bien servir en notre temps
Un jeune
Un jeune
Républicain-Indépendant

Dans la marmite aux idées toutes faites


Leur bouillie cuit depuis si longtemps
Qu'ils ont déjà l'âge de la retraite
Sans jamais avoir eu mal aux dents
Comme la roue à l'électronique
Comme le pétard à la fusée
Le silex à l'énergie cosmique
Leur avenir est dans les musées
Car dites-moi oui dites-moi
Ce qui peut justifier en notre temps
Un jeune
Un jeune
Républicain-Indépendant

Jean Ferrat
UN JOUR FUTUR
Paroles: Henri Gougaud

Un printemps s'est levé aux couleurs d'incendie


A chaque cri vivant des grenades répondent
Hommes de cinquante ans qu'avez-vous fait du monde
Regardez-le l'enfant qui se dresse et qui dit

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paroles ferrat
Un jour futur puis des millions de jours
J'avancerai parmi des millions d'hommes
Brisant les murs de ce siècle trop lourd
Croquant l'amour comme la rouge pomme

Regardez-le l'enfant qui se dresse et qui dit


Je ne connaissais pas la beauté des colères
Je veux faire tomber ce vieux monde en poussière
L'avenir l'avenir ne sera pas maudit
Un jour futur puis des millions de jours
J'avancerai parmi des millions d'hommes
Brisant les murs de ce siècle trop lourd
Croquant l'amour comme la rouge pomme

Mon coeur est le pavé d'une rue de Paris


Désormais le bonheur me tient par les ruelles
J'invente des chansons et je les trouve belles
J'interdis d'interdire et ma tête fleurit

Un jour futur puis des millions de jours


J'avancerai parmi des millions d'hommes
Brisant les murs de ce siècle trop lourd
Croquant l'amour comme la rouge pomme

Jean Ferrat
UN JOUR, UN JOUR
Poème d'Aragon

Tout ce que l'homme fut de grand et de sublime


Sa protestation ses chants et ses héros
Au-dessus de ce corps et contre ses bourreaux
A Grenade aujourd'hui surgit devant le crime

Et cette bouche absente et Lorca qui s'est tu


Emplissant tout à coup l'univers de silence
Contre les violents tourne la violence
Dieu le fracas que fait un poète qu'on tue

Un jour pourtant, un jour viendra couleur d'orange


Un jour de palme, un jour de feuillages au front
Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche
Ah je désespérais de mes frères sauvages
Je voyais, je voyais l'avenir à genoux
La Bête triomphante et la pierre sur nous
Et le feu des soldats porte sur nos rivages
Quoi toujours ce serait par atroce marché
Un partage incessant que se font de la terre
Entre eux ces assassins que craignent les panthères
Et dont tremble un poignard quand leur main l'a touché
Un jour pourtant, un jour viendra couleur d'orange
Un jour de palme, un jour de feuillages au front
Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche

Quoi toujours ce serait la guerre, la querelle


Des manières de rois et des fronts prosternés
Et l'enfant de la femme inutilement né
Les blés déchiquetés toujours des sauterelles
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paroles ferrat
Quoi les bagnes toujours et la chair sous la roue
Le massacre toujours justifie d'idoles
Aux cadavres jetés ce manteau de paroles
Le bâillon pour la bouche et pour la main le clou
Un jour pourtant, un jour viendra couleur d'orange
Un jour de palme, un jour de feuillages au front
Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche

Jean Ferrat
UNE FEMME HONNÊTE

Vous allez ma fille voguer vers Cythère


Mais j'ai le devoir de vous avertir
Puisqu'il faut parler de choses vulgaires
Évoquant les feux qui vous font frémir
Évoquant les feux qui vous font frémir
Une femme honnête n'a pas de plaisir

Qu'elle soit couchée ou genoux en terre


Point d'égarement s'enfuit sans soupir
En cris émouvants "Ah! Je vais mourir"
Prise de cent mille ou d'une manière
Prise de cent mille ou d'une manière
Une femme honnête n'a pas de plaisir

Assaillie devant, brisée par derrière


Si vous vous sentiez prête à défaillir
Songez à l'enfer, songez aux martyrs
C'est en revivant ce qu'ils ont souffert
C'est en revivant ce qu'ils ont souffert
Qu'une femme honnête n'a pas de plaisir

Monsieur le curé le disait naguère


A la frêle enfant en proie au désir
On peut succomber, mais ne point faillir
Même en se livrant aux joies solitaires
Même en se livrant aux joies solitaires
Une femme honnête n'a pas de plaisir

Cédant aux folies d'autres partenaires


S'il vous arrivait de vous divertir
En brisant les liens que l'hymen inspire
Sachez qu'au sein même de l'adultère
Sachez qu'au sein même de l'adultère
Une femme honnête n'a pas de plaisir
Et si votre époux glacé de colère
Éperdu d'amour et fou de désir
Vous criait un jour: "On dirait ta mère!"
Ce beau compliment devrait vous réjouir
Ce beau compliment devrait vous réjouir
Une femme honnête n'a pas de plaisir

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paroles ferrat
Jean Ferrat
VIENS MON FRELOT
Paroles: Guy Thomas

Viens mon frelot viens ma petiote


Ma tendresse ma liberté
Dans ce jardin barricadé
Pour les dingos pour les dingottes
J'aurai des mots si tu sanglotes
Si doux si bons si parfumés
Des mots qu'ils n'ont pas bousillés
Des mots tout chauds si tu grelottes
Des mots tout chauds si tu grelottes

Tu me diras tes meurtrissures


Tout ce que t'as pas supporté
Moi j'ai le temps de t'écouter
J'aime ta bouche et son murmure
Tu me diras tes déchirures
Qu'ils ont remplies d'acidité
J'aurai pour toi des mots sucrés
J'aurai pour toi des confitures
J'aurai pour toi des confitures
Tu me diras tes dérobades
Ton envie de te foutre à l'eau
De te jeter sous le métro
De sauter de la balustrade
On parlera des gens malades
C'est-à-dire des gens normaux
De ceux qui sont bien dans leur peau
Qui n'ont jamais rêvé noyade
Qui n'ont jamais rêvé noyade

On parlera des joyeux drilles


Qui n'ont pas besoin d'être aimés
Mais seulement de consommer
Une existence à la vanille
Ils sont bien vus dans les familles
Avec leur envie de bâfrer
Même s'il faut tout écraser
Ceux-là n'ont pas besoin de grilles
Ceux-là n'ont pas besoin de grilles

Malgré les pions qui nous surveillent


Les infirmiers les carabins
Je prendrai tendrement ta main
Mon frelot ma petite abeille
Et je te dirai des merveilles
Que c'est peut-être pour demain
Le fabuleux voyage en train
Et le grand bateau de Marseille
Et le grand bateau de Marseille

Jean Ferrat
VIPÈRES LUBRIQUES
Paroles: Guy Thomas

Je te mange à la croque au sel


Ton vice est mon péché véniel
Mais si je dis dans ma chanson
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paroles ferrat
Qu'aimer c'est pas la communion
Que les versets de mes prières
Sont bannis dans nos séminaires
Que je te prends très rarement
Comme on prend le saint sacrement
Il est certain que mes écrits
Feront de la peine au pape
Il est certain que ses écrits
Feront de la peine au pape
Je crains que les enfants de Marie
A jamais ne m'échappent
Il craint que les enfants de Marie
A jamais ne lui échappent

Si je racontais nos fantasmes


Et comment tu prends ton orgasme
Comment tu peux trouver suave
De jouer ma petite esclave
Comment c'est bien plus rigolo
D'être ton petit gigolo
Comment parfois je tyrannise
Tendrement ma putain soumise

Je me ferais traiter de sado


De petit sadique
Il se ferait traiter de sado
De petit sadique
Je me ferais planter dans le dos
L'épée juridique
Il se ferait planter dans le dos
L'épée juridique

C'est pourquoi j'aime mieux qu'on taise


Ce qui brûle en tes yeux de braise
Car si je disais par ailleurs
Que je suis même un peu voyeur
Que parfois je suis ton sujet
Que je puis être un homme-objet
Qu'en rêvant tu me mets des chaînes
Tu me prends pour ton bois d'ébène
Je me ferais traiter de maso
De masochiste
Il se ferait traiter de maso
De masochiste
Je me ferais broyer les os
Par les moralistes
Il se ferait broyer les os
Par les moralistes

Si je disais qu'en plus de ça


Les pédés ne me gênent pas
Que je n'ai rien contre les gouines
Que sont nos deux jolies voisines
Si j'ajoutais qu'il nous arrive
De faire la fête avec des Juives
Et de danser jusqu'au matin
Chez des amis nord-africains
On verrait dans le Parisien
Ma figure hirsute
On verrait dans le Parisien
Sa figure hirsute
La belle tête d'assassin
Écrirait Minute
La belle tête d'assassin
Écrirait Minute

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paroles ferrat

Jean Ferrat
Y AURAIT-IL?
Paroles: Pierre Louki

Y aurait-il des soleils denses de douze mois


Hiver été menant la danse frères siamois
Y aurait-il des saisons même hors de saison
Si tu n'étais toi toi que j'aime dans ma maison

Y aurait-il des matins tendres à s'éveiller


Des matins que l'on fait attendre sur l'oreiller
Avec des émois de baptême thème d'émoi
Si tu n'étais toi toi que j'aime dans mon chez-moi
Y aurait-il des fruits aux branches de nos desserts
Et des éclats de rire aux hanches de nos concerts
Aurais-je des goûts de poèmes à tes genoux
Si tu n'étais toi toi que j'aime dans mon chez-nous

Y aurait-il des mots sans suite sans suite enfin


Avec tant de bonheur ensuite suite sans fin
Tant oui tant de bonheur que même nos corps se nouent
Si nous n'étions toi moi qui s'aiment tous deux dans nous

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