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Coll.. Revue catholique de l'Alsace. 1910.

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XXIXe ANNÉE

REVUECATHOLIQUE
D'ALSACE

NOUVELLE SÉRIE

F. X. LE ROUX 6r CIEE
Û Imprimeurs-Editeurs
STRASBOURG (Als.).
1910.
A LA REVUE CATHOLIQUE.

Les hommes et les Revues


Jamais ne devraient vieillir
Avant d'avoir fait jaillir
Les fleuraisons entrevues.

Depuis trente ans bientôt, tu nous viens chaque mois,


Sous tes saines couleurs, petite sœur aimée
D'Alsace, nous charmer, comme un rare camée,
Par ton discret sourire et ton maintien courtois.
Les lis et leurs sœurs, les roses
Ne devraient jamais
Perdre les attraits
De leurs corolles écloses
Je te salue, ô toi, charmante en tes atours,
Je t'aime, ô ma sœurette, en grâces si féconde;
Malgré les temps si durs, oh, reste nous toujours,
Et lutte vaillamment contre le vent et l'onde
La fauvette et le rossignolet,
Comme deux gais troubadours harpistes,
Devraient de leurs doux gosiers d'artistes
Animer toujours le buissonnet
De tes nombreux amis le cortège fidèle
Aux jours d'adversité comme en tes heureux jours,
A ton charme captivant sourira toujours,
Parce que toujours il te trouve douce et belle.
Pourquoi donc faut-il voir finir
Les plus belles choses ?
Elles ne devraient pas mourir
Les roses écloses!
A LA REVUE CATHOLIQUE.

Ceux que ton gai babil, ceux que ton chroniqueur,


Dont l'esprit jeune encor toujours brille et pétille,
Charme, te resteront. Ils n'ont qu'un même cœur
Et qu'un amour étant de la même famille
Le grand coeur et le mont élevé
Abritent leurs cimes
Dans l'azur scintillant réservé
Aux aigles sublimes
Il faudra remplacer les amis que la mort
A couchés dans la tombe. Enchaînés à ton sort,
D'autres viendront armés pour le jour des batailles
Sans peur des horions, sans crainte des entailles
Un sang généreux bout encor
Dans notre race,
Et c'est le plus royal trésor
De notre Alsace.
D'un long passé de gloire ils resteront jaloux
Les jeunes d'aujourd'hui. La forme de culture,
Que ton vert gcnfanon abrite pour nous tous,
Attire les esprits par son attique allure.
Toute saine étude est un progrès
De l'esprit avide de lumières,
Un des plus délectables attraits
Inconnu seul aux âmes vulgaires.
Et nous verrons encor planer au firmament
Ma sœur au nimbe d'or, brillante de lumière,
Rayonnante toujours en sa noble carrière,
Avec une étoile à son front charmant.
Sachons empêcher la Revue
De vieillir et de périr,
Avant d'avoir fait jaillir
Toute la moisson entrevue.
J. PH. RIEHL.
HARO SUR. LES TROUBLE-FÊTE.

La lettre de l'Episcopat français mettant les consciences


catholiques en garde contre les violations de la neutralité
scolaire, et signalant à l'attention des pères de famille
quelques manuels employés dans les écoles, a été une
pierre inattendue dans la mare aux grenouilles anticléri-
cales, d'où monta aussitôt une extraordinaire cacophonie
de coassements. Les cris de rage des gardiens de l'école
laïque troublés dans leur quiétude ont trouvé un reten-
tissant écho dans toute la presse judaïco-maçonnique de
l'Europe. Il ne serait donc peut-être pas inopportun de
montrer, ailleurs qu'en France, combien juste et néces-
saire était la condamnation portée contre ces manuels,
dont le véritable danger réside d'abord dans la tendance
générale des auteurs à dénigrer ce qui est catholique' ou

1 ,,Le des réformateurs, moine très pieux, ne


premier Luther,
songeait nullement à cesser d'être catholique; il voulait simplement
le retour à la pureté des premiers temps du christianisme." (Calvet).
Sans doute en tolérant la bigamie ?
,,Les protestants, persécutés par les rois, se trouvèrent naturel-
lement amenés à combattre l'autorité royale. Les catholiques et
les protestants furent aussi coupables les uns que les autres. Il faut
reconnaître, cependant, que ce sont les catholiques qui, par le^mas-
sacre de Vassy, ont provoqué la lutte. (Calvet.)
Comme toujours, c'est le lapin qui^commence 1
HÂBO SUR. LES TROUBLE-FÊTE.

même simplement chrétien, à faire la conspiration du si-


lence autour de tout ce qui est favorable à l'Eglise, et à
chanter sur tous les tons les imperfections qu'on y dé-
couvre comme dans toute société composée d'hommes
ensuite dans la brutalité voulue de l'attaque et dans la
perfidie de la phrase où le venin est subtilement et sa-
vamment dosé pour ne pas révolter de prime-abord les
estomacs non habitués à une nourriture si frelatée.
«De toutes façons, dit M. Gabriel Latouche, par asser-
tions fausses ou exagérées, par insinuations, par mensonges,
par calomnies (on ne recule devant aucun moyen) on dé-
nigre, on déchire l'Eglise et les catholiques, tandis que
par des procédés contraires, on excuse, on disculpe, on
excite leurs adversaires.» Paroles très sévères, mais jus-
tifiées, comme nos références l'établiront.
Les auteurs de ces livres agissent comme les adver-
saires de la peine de mort, qui cherchent à nous apitoyer
sur les pauvres condamnés. Ils nous les dépeignent «trem-
blants de fièvre, secoués par les frissons de la peur, en
proie à la plus terrifiante angoisse, à la veille de l'exécu-
tion »; mais ils se gardent bien de nous faire assister
aux affres de leurs victimes.
Et d'abord une observation générale, qui a son im-
portance. Pour la plupart d'entre eux, l'histoire de France
commence, à proprement parler, à la Révolution. Avant
1792, il n'y a que des broutilles peu dignes du grand
foyer moderne, des miettes indignes de figurer sur la
table richement dressée de la science moderne. Comme
si le progrès n'était pas le résultat d'une longue série
d'efforts comme si chaque siècle n'apportait pas à l'édi-
fice humain des matériaux successifs; comme si le dernier
anneau de la chaîne ne tirait pas une partie de sa force
de son union avec les chaînons précédents En quelques
lignes perfides et tendancieuses, on expédie les premiers
siècles de notre histoire. Si Clovis s'est fait baptiser, ce

1 Cf. Victor
Hugo, Le dernier jour d'un condamné.
HARO SUR. LES ÏEOXIBLE-FÉTE

n'est aucunement pour obéir à une conviction raisonnée,


comme nous le pensons, c'est «par intérêt, pour avoir
l'appui des évêques ». Si le Pape a posé la couronne
impériale sur la tête de Charlemagne, c'est parce qu'alors
«il pouvait se croire supérieur à celui qui la lui avait
demandée il voudra, par suite, se faire obéir des empe-
d'où des luttes.»2 2 Pour les Croisades «c'est la
reurs,
papauté qui en a eu l'idée elle voyait dans une guerre
sainte en Orient le moyen de montrer sa force et de ser-
vir ainsi ses prétentions à la domination du monde.
Quant aux barons, ils ont vu dans ces entreprises de
beaux coups à donner, peut-être des royaumes à acquérir;
du reste, ils s'ennuyaient dans leurs châteaux, et la guerre
en pays lointain était pour eux une distraction. » Qu'il
y ait du vrai pour certains barons, je n'y veux contredire.
Mais ramener les Croisades à ces proportions mesquines,
et laisser ignorer le véritable but que se proposaient les
croisés, la délivrance du Saint-Sépulcre, c'est donner à
entendre que l'impartialité n'est qu'un vain mot. Pour
Calvet, Jeanne d'Arc, c'était « une paysanne douce et pieuse,
qui prit pour un ordre de Dieu les appels de son cœur. »
Oh ces appels du cœur d'une pauvre bergère qui ne
songeait qu'à filer sa quenouille et à garder son troupeau
Pour Bressolette « l'empereur Julien ne pouvait souf-
frir les premiers chrétiens qu'il trouvait ignorants. Et les
chrétiens ont dit beaucoup de mal de lui. Il n'en a pas moins
été un prince bienfaisant, il n'en a pas moins été l'empe-
reur aimé des Gaules.» Tu parles, dirait un gavroche de
Paris! Les chrétiens de son temps, des ignorants! St Jé-
rôme, St Cyrille, St Basile, St Grégoire, St Hilaire ?î
des ignorants Et avant eux, Lactance, Arnobe, Justin,
Tertullien, Origène? des ignorants! Des ignorants, les
fidèles formés par de tels hommes

1 Calvet, Histoire de France. Cours


préparatoire, p. 27.
Calvet, Cours moyen et supérieur, p. i5.
Calvet, 1. c. p. 34.
HABO STO. LES TBOUBLE-PÊXE.

Un prince bienfaisant, celui qui fit saisir Marc,


évêque d'Arèthuse, et ordonna de battre de verges cet
homme qui avait dérobé Julien enfant au massacre de
sa famille et soustrait aux cruautés de Constance, de lui
arracher la barbe, de le dépouiller de ses vêtements et
d'exposer son corps nu, frotté de miel, à la piqûre des
abeilles
Il a été démontré, par d'irréfutables preuves, que le
pape trompé sur le vrai caractère de la Saint Barthélemy
et informé que la Cour de France avait échappé à un
complot huguenot, félicita Charles IX de n'avoir pas été
la victime des conjurés. C'est ainsi que l'empereur d'Alle-
magne féliciterait son royal. adversaire, Edouard d'An-
gleterre, d'avoir déjoué une tentative d'assassinat. Or,
Bressolette dénature ce fait si simple et si compréhensible,
cet acte d'urbanité politique, au point de nous montrer
le Souverain Pontife applaudissant à ce massacre sauvage.
Nul n'ignore, si peu initié qu'il soit à l'histoire, que
Henri IV, trompé par de faux rapports, crut réellement
que les Jésuites soudoyaient des assassins et sévit contre
eux, mais aussi qu'après plus ample informé, il rappela
ces religieux en France, et ordonna même de détruire un
monument élevé à Paris à l'occasion de leur expulsion.
Voyez ce que cette vérité historique devient sous la plume
de Bressolette « Les Jésuites, qui armaient le bras des
assassins contre Henri IV, furent expulsés de France!) 1
De l'acte réparateur du roi, pas un mot.
«St Martin mourut très vieux. Pendant qu'il était
vivant, les gens d'alors avaient cru naïvement qu'il pou-
vait faire des miracles. Après sa mort, on crut que son
tombeau pouvait en faire également. » 2 La voilà leur neu-
tralité, la voilà dans toute sa beauté de méritoire laïque
Condorcet présenta au début de la Révolution un
rapport célèbre, dont la statistique était empruntée à

1
Bressolette, Hist. de France, p. 66.
2 Ibid. p. 5.
HARO SUE. LES TROUBLE-FÊTE.

Romme, l'adversaire le plus acharné de l'ancien régime,


dans lequel il évalue la dépense faite pour les écoles, à
la fin de la monarchie, à plus de 20 millions, soit au
moins 60 millions de notre monnaie et remarquez qu'a-
lors la population de la France était bien inférieure à
celle d'aujourd'hui.
Cela n'empêche pas Bressolette d'écrire « Au XVIIe
siècle, l'instruction du peuple était négligée.» »
J'en passe et des meilleures de cet. historien (?) qui
nous présente la Convention comme «libérale et humaine »
MM. Roger et Despiques ne craignent pas d'écrire
cette phrase monumentale a Sous l'Ancien régime, il y
avait quelques collèges fondés par des legs et dons de
riches particuliers, et où l'on apprenait les belles-lettres,
mais ils étaient réservés aux nobles et aux bourgeois. Les
écoles populaires étaient rares, surtout à la campagne, et
écoles 1
»
quelles
Or, voici une statistique qui prouve bien que les
écoles primaires étaient rares
Ouvrons le livre de M. R. de Beaurepaire (L'instruc-
tion publique dans le diocèse de Roimi), nous y trouvons
pour tout l'ancien diocèse de Rouen (beaucoup plus grand
aujourd'hui) cette curieuse statistique dressée par les pro-
cès-verbaux des visites .pastorales de Mgr d'Aubigné en
1718: 1 159 paroisses visitées; 855 écoles de garçons,
3o6 écoles de filles.
Dans le diocèse d'Autun, on compte 295 écoles sur
383 paroisses. Dans celui de Châlons-sur-Marne, on trouve

( A
propos du rôle, du clergé sous la Révolution, la mauvaise
foi de l'auteur de ce Manuel est aussi perfide que révoltante. Il
commence par soutenir (p. 136) que ,,seuls, les évêques, à la nuit du
4 août, refusèrent de s'associer au mouvement pour la renonciation
,,aux privilèges", alors que la vérité est que, précisément, ils furent
les premiers, Mgr de la Fare, évêque de Nancy, et l'évêque de
Chartres, à proposer la suppression de leurs droits. L'archevêque
de Paris fit même chanter un Te Deum à Notre-Dame en souvenir
de cette nuit mémorable.
HARO STJB. LES TBOUBLE-FÊTE.

235 écoles sur 3 19 paroisses. Dans celui de Sens, autant


d'écoles que de communes. Dans celui de Coutances,
presque toutes les paroisses étaient pourvues d'écoles.
Sur les 446 communes du département de l'Aube, 405
avaient des écoles. Dans la Haute-Marne, sur 55o pa-
roisses, il y avait 473 écoles. Sous l'ancien régime, le
département du Doubs possédait une université, cinq col-
lèges et des écoles primaires dans toutes les paroisses.
Ajoutons que, dans la plupart des cas, les instituteurs
étaient tenus de recevoir gratuitement un certain nombre
d'élèves.
Dans les écoles tenues par des congréganistes et
il y en avait beaucoup aucune rétribution n'était per-
çue (V. L'instruction publique et la Révolution, par Albert
Duruy).
De tout cela pas un mot Mais alors que devient, je
ne dis pas seulement la neutralité, mais l'impartialité ?î
Certes, il n'y avait pas alors des palais scolaires comme
aujourd'hui. Pourtant les écoles devaient être bonnes, car
enfin les hommes de la Révolution, que les manuels pré-
sentent comme des géants de la pensée, en sont sorties.
Mirabeau, les Girondins, les Montagnards n'ont pas été
formés par nos «Aliborons» modernes! Et Racine, et
Corneille, et Pascal, et La Fontaine, et Molière, et La
Bruyère, et Bossuet et Fénélon non plus Sans compter
le Petit Caporal et tous les généraux de la Révolution
Et je ne parle pas des savants
Devinat réédite sans broncher le mot du Légat du
Pape au siège de Bézierj « Tuez-les tous, Dieu saura
reconnaître les siens.» Or, il faut être ignorant comme
un « primaire pour ignorer que le fait est controuvé.
« Un enfant pouvait être arraché à ses parents puis
élevé à leurs frais dans le mépris de leurs plus chères
croyances. » Soit, cela a dû parfois se passer aussi, et il
faut condamner cette pratique tyrannique. Mais demandez
donc aux fonctionnaires de la République Française, sur-
tout à ceux qui sont pauvres, s'ils ont la liberté de faire
HARO SUR. LES TEOTTBLE-FÊTE.

élever leurs enfants par des maîtres qui respectent leurs


croyances catholiques
Monsieur Devinat, vous parlez de corde dans la mai-
son d'un pendu. Cela est bien imprudent! Lorsque les
auteurs de ces manuels touchent au domaine religieux et
moral, ils ont la main particulièrement. laïque. « Au
temps de l'empereur Auguste, l'Hébreu Jésus-Christ, fils
d'un pauvre charpentier, parcourut la Palestine, il s'an-
nonce comme fils de Dieu. Nouveau Socrate, ce juste
est condamné à mort. Il expire sur la croix » Pardon,
mon divin Maître, de reproduire ce blasphème Pardon,
cher lecteur catholique, de vous servir ces monstruosités!
Jésus-Christ, notre bien-aimé Dieu, comparé à Socrate,
l'hypocrite Mais il faut bien montrer ce que ces faquins
qui font la roue cachent sous leurs plumes caudales.
La Bible renferme des récits plus ou moins légen-
daires. Jésus est représenté par Aulard et Débidour,
comme un sage qui se disait lui-même Dieu. Après sa
mort, ses disciples racontèrent qu'il était ressuscité, et le
représentèrent comme né d'une vierge et non seulement
comme fils de Dieu, mais comme Dieu lui-même. 2
« Lorsqu'il s'agit de religion, chacun de nous est libre
de croire ce qu'il veut. »
Cela revient à dire que lorsqu'il circule des pièces
fausses avec les pièces vraies, chaque citoyen est libre de
prendre- et d'écouler celles qu'il veut. Essayez donc un
peu et demandez à l'Etat même laïque, ce qu'il en pense
«Chacun de nous a le droit d'avoir une religion ou de
n'en pas avoir. Chacun de nous a le droit d'honorer Dieu
ou de croire que Dieu n'existe pas. 3 3
« On sait que les religions ont eu une origine com-
mune dans la peur des forces hostiles et dans une inter-
prétation naïve de la mort. Toutes au début se valent.

1 J. Gust et Fr.
Masse, Hist. de France. C. sup., p. 56.
1 Aulard et
Débidour, Notions d'hist. générale, pp. 19, 21, 23.
8 Albert
Bayet, Leçons de morale, p. i55, 6 et 7.
HARO STJB. IiEB TBOTJBI.E-Ï'ÊTE.

Jéhovah a bien des traits d'un despote cruel et vin-


dicatif, m11
« Le christianisme semble avoir, non en théorie, mais
en pratique, limité son effort à la lutte contre l'orgueil
et la sensualité. Il n'a condamné ni la guerre, ni l'escla-
vage. (- Vraiment M. Payot !) Il a répandu des flots de
sang dans des persécutions atroces et dans des guerres
religieuses. Ses livres saints, écrits par un peuple
gros-
sier, ont familiarisé les fidèles avec la violence. D'autre
part, par sa conception des châtiments éternels, cette re-
ligion n'a pu inspirer l'horreur pour la cruauté. A ce
point de vue particulier, le christianisme est inférieur au
bouddhisme, et il n'a accompli qu'une partie de la mis-
sion qui incombe aux éducateurs. » 2
« Que chacun soit libre de croire ou de ne pas
croire. »3
Comment les évêques, gardiens du dépôt sacré de la
doctrine, pourraient-ils laisser enseigner des principes
aussi manifestement destructeurs de toute foi et de toute
morale.
Et il y a des gens qui osent dire: «Mais de quoi se
mêlent les évêques?» De ce qui les regarde, parbleu! Et
ce n'est que le premier acte du drame religieux qui se
passe en France. Nos chefs scelleront de leur sang, s'il
le faut, leur inébranlable Non possumus La parole de
Montalembert est plus vraie que jamais. « Les fils des
croisés ne reculeront pas devant les fils de Voltaire.» »
J. PH. Riehl.

1 J. Payet, Cours de morale, p. 191.


2 Ibid. p. 192.
S J.
Payot, La morale à l'école, p. 23o.
LES TRIBULATIONS D'UN MARIAGE
FRANCO-GREC.

En igo5, je passai quelques jours de l'été sous le


merveilleux ciel de la Grèce, au pied de l'Acropole. Dans
les cercles gréco-français, il n'était question que de la
fugue matrimoniale du jeune duc Marc de la Salle de
Rochemaure. Fils d'une des personnalités les plus con-
nues du Cantal, il voyageait en Grèce, accompagné de
son précepteur, M. Guiffard. Un jour, il rencontra une
jeune Grecque d'une merveilleuse beauté, Marika Karou-
sos, appartenant à une famille très honorable, mais peu
fortunée du Nouveau-Phalère.
Ce fut le coup de foudre.
Marc de la Salle se fit présenter à la famille de la
jeune fille et la demanda en mariage.
Le père du jeune duc fut prévenu, et le jour même
où étaient célébrées les fiançailles, Marc de la Salle était
enlevé par son précepteur, embarqué à bord du Roi-
Georges et emmené ensuite à Vienne.
Marika ne se laissa pas désespérer elle partit pour
Vienne, et à son tour enleva son fiancé. Les deux jeunes
gens retournèrent en Grèce, et quelques jours après, le
mariage était célébré à Eleusis, devant un prêtre grec
schismatique, au milieu de grandes réjouissances. M. de
LES TRIBULATIONS D'UN MARIAGE FRANCO-GREC.

la Salle père ne fut pas content il envoya à Athènes un


avocat, Me Barbier Saint-Hilaire, qui parvint à ramener
en France le jeune Marc de la Salle.
Telle est cette affaire retentissante. Le tribunal de
Grenoble (France) juge en ce moment ce procès, à la
requête de M. le duc de la Salle, père. Le mariage grec,
positis ponendis, était-il valable ?
Le père, ancien camérier du Pape, introduisit, devant
le tribunal de Rome, un procès tendant à la nullité du
mariage de son fils avec Marika Karousos. Un prélat ro-
main fut délégué à Athènes pour faire l'enquête matri-
moniale. Marika, qui venait d'être mère, alla se jeter aux
pieds du Pape, et le tribunal des rites, après avis du
prélat romain, concluant à la validité du mariage, repous-
sait la demande et déclarait valide le mariage.
M. le duc de la Salle, père, saisit alors les tribunaux
français ce qui lui valut l'excommunication.
Dans l'espoir de faire rapporter cette mesure, il s'est
retiré du procès, et son fils seul, le poursuit aujourd'hui.
La belle Marika Karousos assiste aux débats elle
a pour avocat Me de Saint-Auban. Le duc de la Salle,
mari de Marika, s'est abstenu de paraître dans la salle
il a pour avocat Me Grollée.
Celui-ci s'est efforcé d'établir que le mariage à Eleu-
sis, la moderne Lepsina, a été un acte de folie de la part
du jeune duc de la Salle et un acte de bas calcul de la
part de Marika Karousos.
« Le mariage est nul, dit-il, parce qu'il n'a pas été
public et aussi parce que les parents de l'un des contrac-
tants n'y ont pas consenti. Il fallait d'abord, pour que le
mariage fut public, présentation d'une attestation fournie
par le Consulat de France, à Athènes, établissant que
M. de la Salle n'était pas marié. Ce document n'a pas
été fourni, et M. Karousos, père, ne l'a pas demandé,
parce qu'il savait qu'il lui serait refusé. Le curé grec-
schismatique du Nouveau-Phalère a procédé, néanmoins,
au mariage, et cependant, peu de jours auparavant, ce
même prêtre avait procédé au mariage d'un autre Fran-
LES TRIBULATIONS D'UN MARIAGE 1!'RANCO-GREC.

çais, M. Wolff, et avait exigé de lui tous les documents


nécessaires. Deux témoins vinrent, en outre, déclarer à
ce prêtre qu'ils connaissaient les familles des deux fiancés.
Or, il est établi qu'ils ne connaissaient en aucune façon
la famille de la Salle de Rochemaure. Ne croit-on pas
reconnaître, en tout cela, des procédés frauduleux? Et le
mariage, dans cette petite localité d'Eleusis, à la descente
du train, sans que les futurs époux aient pu, comme on
l'a dit, changer de faux-col, ni épousseter leurs bottines,
n'était-il pas fait pour dépister les recherches de la famille et
pour éviter toute publicité à cet acte obligatoirement public?
« Ainsi, poursuit l'avocat, il est démontré que le
mariage n'a pas été public et qu'il n'a pas réuni le con-
sentement de tous les parents. Marika Karousos, il est
vrai, veut se prévaloir d'un mariage putatif. L'argument
serait peut-être valable, si les irrégularités qui l'ont
accompagné provenaient d'une ignorance ou d'un oubli.
Mais ce n'est pas le cas Marika Karousos est une habile
calculatrice. C'est le 6 février igob qu'elle rencontre par
hasard M. de la Salle, et, le 10, elle est déjà avec lui
chez le notaire pour déclarer que les enfants qui naîtraient
de leur union seraient élevés dans la religion grecque
(dite orthodoxe). En quatre jours, tout avait été réglé.
« Nous ne sommes pas en présence d'un mariage de
naïfs; la jeune Marika avait déja accompagné à Corfou
le baryton Nicolaou, qu'elle avait connu au Conservatoire
d'Athènes, et, à Paris, l'étudiant Anastadosos. Ce n'était
pas une débutante »
se lève et proteste contre l'articulation de tels
Marika
'faits.
Me Grollée continue. Il raconte que son client dut
s'enfuir du Phalère, où son beau-père le séquestrait sous
menace. Un enfant est-il né de son union avec Marika
Karousos? L'avocat émet à ce sujet les doutes les plus
graves. Il ajoute que la jeune dame de Rochemaure ren-
dit visite à plusieurs cardinaux, avec un personnage qui
se faisait passer pour son mari. Marika de Rochemaure
se lève comme mue par un ressort et s'écrie
LES TRIBULATIONS D'UN MARIAGE FRANCO-GREC.

« Même un avocat, s'il est honnête, ne doit pas arti-


culer de tels faits sans preuves et je vous défie d'en
produire. »
Le tribunal la prie d'approcher. Elle va à la barre
et sans embarras, elle déclare qu'elle a vu en effet à
Rome les cardinaux Rampolla, Satolli, Ferratta, et enfin
le Saint-Père lui-même, mais elle était accompagnée d'un
prêtre grec, Madalena.
« Quant à ce que l'avocat du duc de Rochemaure,
mon mari, a osé dire au sujet de mon enfant, c'est abo-
minable. »
La salle accueille ces paroles par des marques de
sympathie. Le duc a bien fait de ne pas paraître, on le
huerait.
Le président du tribunal prie Me Grollée de continuer
sa plaidoirie.
«J'ai terminé, dit l'avocat; quelques mots seulement
me restent à dire. J'ai montré que Marika Karousos n'est
pas une personne qui débutait dans la vie lorsqu'elle
connut mon client. Je dois ajouter que son père aussi
était un habile homme. Nous nous trouvons donc au mi-
lieu d'une machination très ingénieusement organisée,
très audacieusement exécutée, et qui avait pour unique
objectif la fortune de la famille de la Salle de Roche-
maure.» »
Me de Saint-Auban répond à Me Grollée. Il constate
d'abord que M. de la Salle de Rochemaure père et son
épouse, qui, au début, étaient intervenus au procès, se
sont retirés. Il y a, à cela, dit-il, deux raisons; d'abord,
parce que les sympathies du Saint-Siège se sont retirées
de l'ancien camérier de Léon XIII, qui refusait de s'in-
cliner devant une décision de l'Eglise, et ensuite, parce
que, aux termes de la loi, aucune action en nullité ne
peut être intentée par des parents, lorsqu'il s'est écoulé
une année sans réclamation de leur part, depuis qu'ils
ont eu connaissance du mariage.
« M. Marc de la Salle, dit-il, est-il oublieux de son
passé? D'un passé relativement récent, qu'il ait perdu la
LES TRIBULATIONS D'UN MARIAGE FRANCO-GREC

mémoire de ce qui s'est passé au Nouveau-Phalère ? Ne


se souvient-il pas qu'il a dissipé la modeste fortune de
Marika Karousos, et après avoir affamé sa femme et sa
fille, il voudrait encore les dépouiller du nom et du titre
qu'il leur a donnés. Il veut briser un lien que la foi qu'il
professe déclare éternel, et il emploie pour cela des
moyens que sa tendresse de jadis, vraie ou simulée, de-
vrait rendre plus humains.
« Si c'est lui qui a fourni à son avocat les arguments
articulés ici contre sa femme, il a montré bien peu de
cœur. On a mis en doute l'honorabilité de la famille
Karousos, à laquelle le fils de l'ancien camérier du Pape
s'était allié. Voici un document qui mettra fin à cette
légende
« Madame Marika, femme de M. Marc de la Salle de
Rochemaure est, par mariage légitime, la fille de M. Ni-
colas-Georges Karousos, appartenant à notre commune et
agent des Expéditions générales du Pirée, domicilié à
.NouYeau-Pbalère, sujet hellène, né d'une famille très
honorable et très estimée, et de Mme Despina Karousos,
de la grande famille de Nicolas-Lazare Orloff, de l'île de
Spetza, un des champions de la guerre de l'Indépendance,
et frère de l'héroïque Boubouhna, qui s'est distingué
pendant la lutte sacrée de 1821.
Le Pirée, 17mars 1 gog.
« Le maire, P. Damalas. »
Mc de Saint-Auban rappelle ensuite l'enthousiasme
du jeune Marc de la Salle pour sa jeune épouse. Des
lettres enflammées sont lues que le jeune homme adres-
sait à sa fiancée, alors que son ami M. Guiffard l'enlevait
ainsi à sa nouvelle famille. Puis, il raconte le retour à
Phalère et le mariage accepté, voulu, imposé par Marc
lui-même.
A mi-voix, dans un silence de temple. Me de Saint-
Auban nous initie à des secrets d'alcôve, nous confie la
visite que Mme de la Salle de Rochemaure, jeune, dut
faire au lendemain de ses noces, à l'Institut gynécolo-
Revue. Janvier 1910. 2
LES TRIBULATIONS d"UN MABIAGE FRANCO-GREC.

gique d'Athènes. C'est ensuite la grande colère de Mm0de


la Salle de Rochemaure, mère, que l'avocat nous présente
« A sa table, dit-il, elle a reçu des archevêques et
des cardinaux, et la voilà qui se révolte contre une déci-
sion de l'Eglise laquelle reconnait comme valable et
déclare indissoluble le mariage d'Eleusis. Comment cette
noble dame mettra-t-elle d'accord les conseils, les ordres
de rupture qu'elle donna à son fils, avec les principes de
religion et d'honneur qu'elle affirme être les siens ? Le
mariage d'Eleusis est-il valable ? C'est non seulement la
loi religieuse qui le dit, mais aussi la loi civile. Le ma-
riage a été célébré à Eleusis devant les témoins qu'exige
la loi grecque. Il a eu la publicité voulue.
« Quant au consentement de la famille, Marc de la
Salle a déclaré lui-même qu'il pouvait s'en passer, qu'il
était en droit de se marier sans l'assentiment de ses pa-
rents, et, d'autre part, de nombreux membres de la famille
de la Salle ont souvent écrit à Marika Karousos qu'ils la
recevraient volontiers dans leur famille. N'est-ce pas là
un consentement?»
Me de Saint-Auban conclut à la pleine validité du
mariage.
Le ministère public annonce qu'il déposera ses con-
clusions à une date ultérieure qui n'est pas fixée.
LÉONARDFiSCHER.
LA LÉGENDE DE L'AN MILLE.

Il y a des légendes qui sont vraiment bien tenaces


et mordent sur les esprits les mieux trempés.

Sans en chercher la preuve


En tout cet univers et l'aller parcourant,
,,Dans l'An Mille" je la treuve.
a Cette légende, écrit M. Pfister dans ses belles Etudes
sur le règne de Robert le Pieux, est entièrement contraire
à la vérité; tout ce livre la réfute d'une manière indi-
recte. N'était la célébrité de la légende, nous aurions pu
raconter l'histoire de Robert sans nous en soucier. Tou-
jours, après comme avant l'an 1000, le roi a agi comme
si le monde devait durer encore longtemps; il a jeté en
terre les semences d'une moisson que ses successeurs de-
vaient cueillir. Ouvrez cependant nos principaux manuels
d'histoire, vous y verrez, comme dans les livres de plus
longue haleine, non sans un secret plaisir de n'avoir pas
vécu à cette époque-là, une peinture plus ou moins
poussée, suivant la palette de l'auteur, des terreurs folles
qui oppressèrent les poitrines les mieux bardées de fer,
et firent craquer l'es triplex des plus résolus, aux ap-
proches de l'an Mille
« La menace, longtemps flottante comme un nuage
sinistre, s'était arrêtée sur un point du temps et toute
LA LtGKXI»; DE LAS .MILLE

la terreur accumulée depuis des siècles se concentre


sur la dernière année du dixième. A mesure que l'heure
fatale approche, l'effroi redouble. »
Brr!
«Tous les misérables, tous les opprimés, tous les
faméliques qui naguère invoquaient la mort, tremblèrent
de la voir si prochaine. L'effroi fut prodigieux d'inten-
sité il fut universel. Les pauvres s'en allèrent pieds
nus, tête nue, aux lointains et périlleux pèlerinages.
Les châteaux, les cabanes, tout retentissait au loin de
ce cri sinistre le soir du monde approche. De longues
files de pénitents, la nuit, vêtus de sacs informes, tra-
versaient les carrefours à la sombre clarté des torches
funèbres et l'on aurait dit que toutes les oreilles en-
tendaient passer dans les airs un formidable Dies ira?. »2 2
Brr! Brr!
« L'an mille s'ouvrit. Le saint temps du Carême se
passa dans le recueillement et dans la prière. Il n'y eut
enfant si tendre, femme ou vieillard si faible qui
s'exemptât du jeûne commandé par l'Eglise. Des pro-
cessions se formèrent et le peuple les suivit pieds nus
et la hart au cou. On s'arrêtait devant chaque Vierge
et on se prosternait au pied de chaque calvaire, et les
clercs et les laïques entonnaient tous ensemble le Mi-
serere et le De profundis. » 8
«Le dernier jour de l'an mille, les Romains virent
avec effroi le pâle soleil d'hiver descendre sur la basi-
lique de Saint-Pierre, pour s'abîmer et s'éteindre, tout
au fond des collines, des campaniles et des tours ils
dirent adieu à la lumière, à l'espérance, à la vie, et,
persuadés que le monde touchait à son heure suprême,
de tous les points de la ville sainte, ils s'acheminèrent
en pleurant vers la sombre forteresse, où, dans une

1
Ampère, Hist. littér. de la France avant le XIIe siècle.
Fr. Morin, Origine de la Démocratie.
8 M. l'abbé
Lausser, Etude historique sur le X" siècle.
LA LÉGENDE DE L'AN MILLE.

froide cellule, veillaient et priaient les deux vicaires de


Dieu, ces deux rois de la terre, le Pape et l'Empereur,
Silvestre II et Othon III.Mais là-bas, dans la brume,
au delà du Forum et du Palatum, la cloche du Capi-
tole a grondé au premicr tintement du glas de mort,
la multitude, folle d'épouvante, se jette à genoux, les
mains jointes, sous une larme la terrible voix de
bronze se précipite, roule de ruine en ruine, de colline
en colline, et semble une clameur humaine impérieuse
et plaintive, et voila que de cent bouches, s'élève vers
le Latran, vers ce port céleste, un cri unique, le chant
du Miserere. Sur la plate-forme de la tour deux ombres
le et » 1
apparaissent, Pape l'Empereur.
Ne dirait-on pas que l'auteur portait la tiare du pape
ou le sceptre de l'empereur, tant il met de précision dans
les détails de cette scène ?
Nous aurions pu demander à M. Gebhart, qui a
brossé ce joli tableau, comment il explique que ce pape,
qu'il nous montre si tragiquement en compagnie de l'empe-
reur, affolé comme lui, n'ait pas fait allusion à ces terreurs
au Concile de Rome qu'il présidait en 998 et où le roi
Robert fut condamné à une pénitence de 7 années. Vous
entendez bien de 7 années, et nous étions en 998 Bien
plus, dans un autre concile tenu également à Rome en
999, les prélats s'occupèrent de tout juridiction, disci-
pline ecclésiastique, excommunications, etc. excepté de
l'an mille!
« La trompette du jugement, dont on croyait déjà
entendre dans le lointain les formidables accents, gla-
çait d'épouvante le genre humain, et l'artiste tremblant
sentait le ciseau vaciller dans sa main. » 2
Au dire de Henri Martin, « dans la dernière année
du Xe siècle, tout était interrompu, plaisirs, affaires, in-
térêts, tout quasi jusqu'aux travaux des campagnes.
.On léguait ses terres, ses châteaux aux églises et aux

Gebhart,*La^Saint-Sylvestre de l'An mille.


s M.
l'abbé,Pardiac.
LA LfiGENTOS DE L'AN MILLE.

monastères pour s'acquérir des protecteurs dans ce royaume


des cieux où l'on allait entrer, »
Nous en passons et des meilleurs. A lire tous ces
auteurs, qui parlent de ces événements avec l'assurance
de témoins oculaires, on est fondé à croire que réelle-
ment en l'an iooo les hommes étaient convaincus que le
monde allait finir, et attendaient béatement le grand ca-
taclysme. Et pourtant rien n'est plus faux, comme l'a
établi irréfragablement le savant archiviste paléographe
M. Fr. Duval, dans une étude très documentée qu'il pu-
blie chez Bloud et Cie. 1
P. Orsi, qui a compulsé avec le soin et la minutie d'un
travailleur consciencieux les chroniques italiennes et ger-
maniques, assure qu'il n'y a pas trouvé trace des préoc-
cupations et des terreurs de l'an mille. Et il faut que
l'inanité des preuves à l'appui de ce fait prétendu histo-
rique soit bien grande pour que Jules Roy, professeur à
l'Ecole des Chartes, qui, en 1 885, entreprit de décrire
les fameuses terreurs de l'an mille, dut, après avoir étudié
les documents, sérieusement, comme tout chartiste qui
se respecte, le doit faire, conclure à sa profonde surprise,
qu'elles n'ont jamais existé ailleurs que. dans les livres.
Vu à distance, cet événement n'aurait donc pas de
quoi nous effrayer, et nous pourrions simplement le ran-
ger au nombre déjà si considérable des erreurs histo-
riques. Si cependant nous lui consacrons cette causerie,
c'est parce qu'il y a, comme on dit, anguille sous roche.
En effet, les ennemis de l'Eglise catholique se sont em-
parés du fait et l'ont exploité contre elle, en lui repro-
chant d'avoir spéculé sur l'ignorance et la crédulité hu-
maine pour s'enrichir aux dépens des naïfs trembleurs,
des gogos, disons le mot
«On léguait ses terres, ses biens aux monastères. à
l'Eglise qui les acceptait tout en prêchant la fin prochaine
des choses d'ici-bas. »2

1 Les Terreurs de l'an mille. Fréd. Duval.


• Flammarion, La fin du monde.
LA LÉGENDE DE Ti'AN MTtAiE.

« L'horreur d'unedésolation universelle, fondée sur


des prédictions répandues et interprétées par des moines
qui en retiraient d'opulentes donations, avait en quel-
1
que sorte éteint toute espérance. »
«L'effroi populaire se dissipa enfin, mais avec lui
ne furent point anéantis les dons immenses prodigués
au clergé et principalement aux communautés reli-
» 2
gieuses.
Lorsqu'on veut étudier l'histoire d'une époque, il faut
naturellement se reporter aux documents contemporains,
consulter les chroniqueurs, les historiens, et dans l'es-
pèce, puisqu'on a voulu faire de l'événement un fait reli-
gieux, les Conciles, les bulles, les lettres du temps. Or,
tous ceux qui l'ont tenté, ont, avec Forti 1840, l'abbé
Auber 1861, Rozière 1878, Jules Roy 1 885, Noël Valois,
Pfister, Orsi et Frédéric Duval, fait buissons creux. Et
ces derniers travaux sont à ce point probants que le Grand
Dictionnaire de Larousse, qui avait d'abord soutenu la
thèse du terrorisme avec Charton, n'y croit plus et la
réfute dans sa nouvelle édition illustrée
Si nous consultons la Collection des Conciles de Mansi,
ou simplement Y Histoire des Conciles de Hefélé, nous
constaterons, sans peine, que de toutes ces assemblées
tenues soit avant, soit après l'an mille, et elles furent nom-
breuses à cette époque, aucune ne fait mention de l'attente
angoissante où aurait vécu l'humanité, ni celles d'avant,
pour prémunir les hommes contre les dangers à venir,
ni celles d'après pour remercier le ciel d'y avoir échappé.
Même silence significatif dans les bulles et les lettres par-
ticulières. Le roi Robert inquiet d'une pluie de sang –
phénomène alors inexpliqué qui tomba en Aquitaine,
demanda à Fulbert, évêque de Chartres, et à Gauzlin,
archevêque de Bourges, ce qu'ils en pensaient. Le piemier
répondit que pareils prodiges ne sont pas rares et qu'ils

1
Guinguené, Histoire littéraire d'Italie. Paris 1811, t. I, p. m.
2 Henri
Martin, Hist. de France.
LA LÉGKNDE DE L'AN MILLE.

ne présagent absolument rien le second risqua quelques


hypothèses, mais aucun des deux n'eût même l'idée d'y
voir un indice de la fin du monde. Les lettres de ces
deux personnages auraient pourtant dû réfléter, ce semble,
les craintes et les préoccupations du moment si réelle-
ment elles avaient existé. Quant aux annalistes: «ils se
plaisent à raconter par le menu les démêlés des grands,
les querelles des évêques et des moines, les phénomènes
merveilleux, les batailles, les famines, les faits et les
gestes des rois, les fondations de monastères, les miracles
des saints. et lorsqu'ils arrivent à l'an mille, aucun ne
fait mention des terreurs du monde. Comment se fait-il
que tant de chroniqueurs, qui se plaisent à raconter les
prodiges et les calamités publiques, aient négligé de nous
parler des supplications du peuple effrayé, de la veillée
suprême sous les voûtes basses des sombres églises à la
lueur des cierges, etc. »1 Il y a sans doute la chronique
de Glaber où l'on peut lire cette phrase « On croyait
que l'ordre des saisons et les lois des éléments qui jus-
que-là avaient gouverné le monde, étaient retombés dans
un éternel chaos et l'on craignit la fin du genre humain.»
Mais Glaber rapporte cette constatation à l'an io33, et
pour l'an mille il ne trouve à signaler que l'apparition
d'un comète, dans laquelle il ne vit que l'annonce d'un
incendie qui ruina le mont Saint-Michel. Sans doute aussi,
on cite au Xe siècle nombre de donations faites aux
églises et aux monastères. Mais en cela les chrétiens du
Xe siècle n'ont fait que suivre l'exemple de ceux des
époques antérieures. On retrouve ces donations dans le
cours des VIe, VIIe, VIIIe et IXe siècle avec la même
conclusion Mundo in finem currente. Appropinquante
mundi senio, et autres variantes. Et nous ajouterons avec
un auteur nullement ami des moines « On en devra con-
clure qu'il n'y a rien autre chose que Vexpressiott banale de
la doctrine catholique sur la proximité de la fin du monde

1 F. Duval, 1. c., p. 5i.


LA LÉGENDE DB L'AN MILLE

très propre à être invoquée par les moines pour déter-


miner les laïques à se dépouiller de leurs biens. » Mais
cela n'est pas particulier à l'an mille Dans tous les siècles
il y a eu des hommes qui, se basant sur une fausse in-
terprétation du chapitre X de l'Apocalypse, ont cru à
l'imminence du cataclysme final. Qui de nous n'a souve-
nance de certaines prophéties (?) récentes qui d'après des
calculs infaillibles naturellement ont prédit à leurs
contemporains la fin prochaine du monde, et ont trouvé
des alouettes qui se sont laissées prendre à ce miroir. Et
le monde existe toujours. En bonne logique pourra-t-on
plus tard s'autoriser de ces chroniqueurs des ig siècles
qui ont annoncé la fin prochaine de notre globe, et de
l'anxiété qu'ils ont semée dans des âmes crédules, pour
conclure que les terreurs de l'an 1900 ont rempli le cœur
des contemporains ? C'est pourtant ce qu'ont fait quelques
savants du XVIe, car la légende de l'an mille naquit à
cette date relativement récente, qui ont généralisé gratui-
tement certains faits particuliers. Je dis bien, particuliers;
ce ne sont en effet que des cas erratiques, semblables à
celui que signale Abbon, moine de Fleur}'. Il rapporte
que vers l'an 970 il entendit, dans une église de Paris,
un sermon sur la fin prochaine du monde, mais qu'il
réfuta le prédicateur séance tenante. Comment se fait-il
qu'Abbon relatant ce fait en 998, se soit tu sur les épou-
vantes d'alors C'est bien simple il ne pouvait parler
d'une chose qui n'existait pas. Et puis, voilà toujours
bien un moine. peu accapareur, puisque loin de profiter
de l'émotion légitime soulevée par le prédicateur témé-
raire, .pour escroquer des fortunes, il réfute la thèse.
Après avoir lu attentivement et sans parti-pris, le travail
de F. Duval, on peut conclure hardiment avec M. Noël
Valois dans une de ses communications à l'Institut
« Même au Xe siècle, aux approches de cet an 1000
que la légende représente comme un terme fatal attendu

1 Manuel de diplomatie.
Géry,
LA LÉGENDE DE L'AN MILLE.

dans l'angoisse par les populations, on ne trouve au-


cune trace d'un abattement général, 1 d'une torpeur ré-
signée ou d'un accablement fébrile, comme il se mani-
festerait assurément chez un peuple persuadé qu'il
arrive aux termes de son existence. »
Et cela prouve que les historiens de la légende Am-
père, Flammarion, Michelet,, Henri Martin et autres,
n'ont travaillé que sur des documents de seconde main,
sans s'être donné la peine de vérifier les références, se
transmettant une légende toute faite, ce qui est bien com-
mode, mais aussi met leur probité d'historiens en mau-
vaise posture. Il est un peu de ces terreurs fameuses,
comme de la fameuse parole qu'on attribue à un légat
du pape: «Tue, tue, Dieu reconnaîtra les siens», et que
jamais Arnauld, abbé de Citeaux, ne prononça. Des six
narrateurs contemporains, un seul, Césaire d'Heisterbach,
y fait allusion. Et encore il n'avait personnellement rien
vu. « L'abbé, écrit-il, aurait répondu, dit-on.» » Des cinq
autres témoignages, venant de témoins, on ne tient nul
compte. II est vrai qu'il y a toujours des gens à qui l'on
fait prendre facilement des vers luisants pour des astres
radieux.
J. DE WESCH.

1 ,,A aucune on ne fonda tant de mo-


époque, croyons-nous,
nastères. Ce n'étaient point les lamentations des hommes qui emplis-
saient ce vieux monde, mais plutôt les chansons des ouvriers qui
martelaient les pierres et les aiguisaient vers le ciel". F. Duval, p. 64.
LA LÉGENDE D'OBERLIN
Pasteur
auBan-de-la-Roche.

AVANT-PROPOS.

Il est des mémoires qui, grâce aux circonstances et à diverses


influences, s'en vont à travers le temps entourées d'un prestige qui
leur fait comme une auréole. Telle a été la destinée de J. Fritz
Oberlin, pasteur au Ban-de-la-Roche en Alsace-Lorraine. Des pané-
gyristes et ils sont légion l'ont comblé d'eloges et l'ont pré-
senté, non seulement comme un grand homme, mais encore comme
un saint protestant de nombreux ouvrages' ont été publiés en
diverses langues, célébrant à l'envi les mérites extraordinaires de ce
pasteur et l'oeuvre prodigieuse qu'il avait accomplie en transformant
un misérable vallon des Vosges en une sorte d'Eden, et ses sauvages
habitants en gens instruits et civilisés. Mais il faut en rabattre de
cette légende justement consignée dans les “ Elsassische Sagen"
d'Adolphe Stceber. En effet, si l'on consulte les traditions locales et
les documents contemporains, on est frappé de l'exagération de ces
jugements. Vue de près et jugée sans prévention la personnalité de
notre héros perd de l'éclat que lui ont prêté ses admirateurs.
Loin de nous cependant le dessein d'abaisser au-dessous de sa
valeur le pasteur Oberlin nous ne lui marchanderons pas des éloges
légitimement mérités. Nous l'estimons, au contraire, pour ses belles
qualités et ses bonnes intentions, et nous le plaçons infiniment au-
dessus de ces religieux défroqués du XVIe siècle qui, élevés dans

1 Edmond Parisot les énumère dans


l'appendice bibliographique
de son livre Un éducateur moderne au XVIII. siècle.
LA LÉGENDE D OBEKMN.

le giron de l'Eglise, se sont tournés contre elle et ont égaré tant de


chrétiens, sans avoir l'excuse de la bonne foi.
Nous n'avons d'autre but en publiant cette étude que de mettre
les choses au point, et de ramener les réputations d'Oberlin et de
sa fidèle servante, 1 ouise Scheppler, à de justes proportions, en les
comparant l'un et l'autre à des contemporains de cette même région
aussi méritants qu'eux.
Parmi les auteurs consultés, nous nous sommes surtout attachés
à D. E. Stœber,1 l'aîné, qui, élevé au presbytère de Waldbach (Wal-
dersbach), a bien connu les particularités de la vie d'Oberlin, et qui
a eu entre les mains de nombreux documents. Son livre in-8° de
616 pages intitulé: Vie de J. Frédéric Oberlin, pasteur de Waldbach
a été imprimé en iS3i, cinq ans après le décès de celui-ci. Avocat
de profession, Ehienfried Stœber a plutôt fait un plaidoyer en
faveur de son héros. Cependant son livre est de beaucoup le mieux
documenté de tous ceux qui ont été écrits sur Oberlin.
Ensuite nous avons mis largement à contribution un ouvrage
publié récemment (en 1907), qui complète heureusement le précédent.
Il est intitulé Un éducateur moderne au XVIIIe siècle, Jean Frédéric
Oberlin, 1740 – 1826, par Edmond Parisot, 5 docteur ès-lettres de
l'Université de Nancy. Cet écrivain ayant pu, grâce à l'obligeance
de Madame Andreae Witz, prendre connaissance des papiers intimes
laissés par le célèbre prédicant luthérien, a soulevé sans malice le
vo,le qui jusqu'alors avait cache au public ses hallucinations d'es-
prit. Mais avant de parler de Bpapa Oberhn", il n'est pas oiseux de
décrire le milieu dans lequel il exerça son long ministère et d'en
donner un court aperçu historique, d'autant plus qu'il s'est identifié
avec sa paroisse, et qu'elle a bénéficié de sa gloire, de sorte qu'on
ne peut plus guère parler de l'un sans l'autre. C'est ce que n'ont
pas manqué de faire ses biographes comme c'est pour honorer la
mémoire du ministre de Waldbach, que Ehrenfried Stœber a com-
3
posé ses ^Steinthâler-Gedichte" Auguste Stœber, sa poésie »Das
Steinthal" et Scheube, son chapitre ,Der Pfarrer im Wasgen-
walde". 5

1 Nous le designerons par l'abréviation E. St. C'est la première


edition que nous citons.
J Nous le désignerons Ed. P.
par l'abréviation
S Ehr. Stoeber: Steinthâler-Gedichte (Strassb. i83o).
4 A. Stceber: Elsassisches 1842). P. 149.
Sagenbuch (Strassb.
5 Scheube Deutscher Geist und deutsche Art im Elsass (Berlin
1872), p. 3o2, 33.
LA LÉGENDE D'OBEBLIN.

I.

Ban-de-la-Roche.1 l

Situé dans la partie supérieure de la vallée de la


Bruche, à l'ouest du Champ du feu, sur les confins de
l'Alsace et de la Lorraine, le Ban-de-la-Roche, en alle-
mand Steinthal, comprend huit villages, savoir Rothau,
Waldbach ou Waldersbach, Belmont, Bellefosse, Fouday,
Solbach et Neuwiller, dont Rothau était le chef-lieu –
et quelques hameaux;, fermes et scieries. Il doit son nom
à un château bâti sur un roc, et dont les ruines dominent
Bellefosse. C'était un fief impérial qui passa au XIIIe
siècle des Rappolstein aux Girsperg et, au XIVe siècle, à
une branche de la famille de Rathsamhausen, laquelle en
demeura investie de i3o8 à 1584. Ce château fut pris et
détruit par le comte de Salm, dont les terres confinaient
a cette seigneurie, parce que trois soudards commis à la
garde du château infestaient les pays voisins.
En 1584, les Rathsamhausen zum Stein aliénèrent
le Ban-de-la-Roche au comte palatin du Rhin, Georges
Jean de Veldentz. Celui-ci introduisit bientôt après le
luthéranisme de connivence avec le curé Papellier, homme
de mœurs légères. Le culte ancien fut désormais interdit.
Néanmoins certaines pratiques catholiques s'y conservèrent
longtemps encore.
Survint la Guerre de Trente-Ans et une peste hor-
rible qui réduisit la population à une centaine de familles.

1 E.
St Tablettes chronologiques sur l'histoire du Ban-de-la-
Roche, 608-610. Annales d'Oberlin, 84-107. Dictionnaire de
Baquol. M. Schickelé, Etat de l'Eglise d'Alsace, p. 143-145.
Schoepflin, Alsatia illustrata, II, t6g. Grandidier, Inéd. V, 281. –
Mme E. Roehrich, Le Ban-de-la-Roche. Geschichte und Beschrei-
bung des Elsass (Basel 1782), p. 229-230. Massenet, Description
du Ban-de-la-Roche (Strasbourg, an VI).
Laguille, Histoire d'Alsace, I, 353. Dom Calmet, Histoire
de Lorraine.
LA LÉGENDE D'OBEBLIN.

Deux hommes seuls auraient été épargnés à Fouday.l 1


Ajoutez à ces maux une éclosion inouïe de sorcières, dont
plusieurs furent exécutées. La sorcellerie, en effet, ne fut
jamais plus en vogue qu'au XVIIe siècle, suite de l'incer-
titude en matière de foi. Enfin livrés à des pasteurs in-
dignes, Papellier, Marmet, Nigrin, Royat, les rares habi-
tants du Ban-de-la-Roche étaient retombés peu à peu
dans la barbarie et dans l'indigence. Leur ignorance éga-
lait leur misère.2 Ils ne savaient plus même à quel jour
de la semaine on était; ils n'entendaient que leur patois
lorrain entremêlé de mots allemands et de sons guttu-
raux. Hommes et femmes vivaient surtout de rapines et
d'aumônes.3 Quant aux enfants, ils étaient voués à un
abandon moral complet.
Les Ban-de-la-Rochais n'eurent pas à se féliciter d'avoir
été soumis aux seigneurs de Veldentz, puisque ceux-ci
n'avaient cure que de leurs droits féodaux. Cette malheu-
reuse situation ne s'améliora qu'au XVIIIe siècle.
En 1723, M. d'Angervilliers4 fut investi de ce fief
par Louis XV, à la suite du décès de la fille du dernier
comte de Veldentz, en qui s'était éteinte la ligne mascu-
line. Celui-ci avait bien eu deux fils; mais l'aîné ayant
abjuré le protestantisme à Strasbourg, fut emprisonné,
puis tué, le 24 août 1679 à Lauterecken (Palatinat) par
son gardien, dans une lutte corps à corps, comme il ten-
tait de s'évader 6 selon une autre version, il aurait été
assassiné sur l'ordre de son père, et ce crime aurait tel-
lement exaspéré la mère que, dans un accès de fureur,
elle maudit le nom des Veldentz. Cette malédiction se

1 H. Scheube.
2 Portraits et histoire des hommes utiles,
1833-1834, Oberlin.
Ed. Parisot. P. ia3.
Intendant de la province d'Alsace de 1716 à 1724.
° Tradition locale
consignée dans un manuscrit du professeu
Rheinwald de Wissembourg.
6 V. Protocole des
registres presbytéraux de Lauterecken.
LA LEUKNDE d'OBEBLIN.

réalisa par la mort prématurée du second fils, et le fief,


jadis impérial du Ban-de-la-Roche, tomba en quenouille
et échut à la couronne de France.
L'administration d'Angervilliers apporta quelque adou-
cissement à la situation des gens du pays. Une forge
considérable fut établie à Rothau par ses soins, et les
habitants purent y gagner de quoi soulager leur misé-
rable existence.
Par contre, ce nouveau seigneur étant catholique ne
pouvait qu'inquiéter les ministres protestants, d'autant
plus que déjà, en 1725, un père jésuite, missionnaire
royal, vint sous ses auspices prendre possession du chœur
de l'église de Rothau,1 d'où les catholiques avaient été
bannis depuis plus d'un siècle.

II.

Stuber, prédécesseur d'Oberlin.

Le Consistoire de Strasbourg craignant, et non sans


raison, la propagande catholique, sentit la nécessité d'ins-
taller des prédicants capables et zélés dans ce coin isolé
des Vosges, considéré jusqu'alors comme un poste de
disgrâce. En 1750, il pourvut de la cure de Waldbach un
jeune homme plein d'ardeur et d'entrain. Ce fut Stuber,
le prédécesseur d'Oberlin.
La paroisse de Waldbach ne comprenait que la moitié
du Ban-de-la-Roche, savoir cinq villages Belmont, Belle-

1 V. Note manuscrite dans un ancien registre de baptême à la


mairie de Rothau. Rœhrich T., Geschichte der Reformation in
Elsass.
2 E. St. 22. ss.
Braun, Joh. W. J. G. Stuber, Der Vorgânger
Oberlin's im Steinthal und Vorkampfer einer neuen Zeit in Strass-
hurg (Strassb. 1896, in- 12).
LA LÉGEXDE D"OBERIiIN.

fosse, Solbach, Fouday et Waldbach la paroisse de Ro-


thau était formée des trois villages situés dans la vallée
de la Rothaine. A peine installé, le ministre visite sa
paroisse; il est désagréablement impressionné de la pauvre
chaumière et de la basse et malpropre salle d'école ou
grouillent des écoliers turbulents, tandis qu'un vieux bon-
homme est couché dans un coin sur un misérable grabat.
«Vous êtes le maître d'école, lui demande-t-il, qu'ensei-
gnez-vous ? Rien, fut la réponse, puisque je ne sais
moi-même rien. J'ai longtemps gardé les porcs de la
commune mais, devenu caduc, j'ai été congédié et je
maintenant les enfants. »1
garde
Comprenant dès lors la nécessité d'une réforme sco-
lairé, Stuber forma tout d'abord des Régents ou maîtres
d'école, car jusqu'alors les fonctions de maître d'école
étaient moins estimées que celles de pâtre et adjugées
au rabais. Un secours de 2000 livres lui vint fort à pro-
pos de Strasbourg. Pour exciter l'émulation des maîtres
et des élèves, il organisa des concours à l'église même et
donna des récompenses aux lauréats. Quand on sut lire,
il distribua des bibles, et tous les dimanches il expliquait
le texte sacré comme il l'entendait lui-même. Il composa
même un catéchisme.2 Nullement entravé dans son mi-
nistère pastoral par le seigneur catholique qui n'opprimait
pas les consciences à la façon des Veldentz, il construisit
en 1744 le temple actuel de Waldbach, agrandit en 1762
celui de Belmont. On lui attribue a tort d'avoir fondé
une association de « Réveillés » dans le genre de celles
que le piétiste Spener créa en Allemagne. Elle remontait
à Pelletier,3 pasteur de 1708 à 1726.
En récompense de son zèle, Stuber fut transféré a
la cure de Saint-Thomas ;à Strasbourg, et c'est lui qui
engagea Oberlin à postuler sa cure.

1 Johann Friedr. Pfarrer im Steinthal


Bodemann, Oberlin,
Stuttg. i855.
a Edm. Parisot, 128.
3 E. St. i5.
LA LÉGENDE D'OBEBLIN.

III.

d'Oberlin. l
Jeunesse

Oberlin succéda de fait à Stuber en 1767, et suivit


la voie qu'il lui avait tracée, avec la même ténacité et
une persévérance plus grande encore. Certes, il faut ad-
mirer cette fidélité de cinquante-neuf ans à une paroisse
des plus deshéritées, alors qu'il eût pu briguer sans
présomption des postes plus enviables. C'est là sa gloire,
son principal mérite, mérite peu recherché, réservé
d'ailleurs aux seuls vieillards, car il n'est donné qu'à un
petit nombre d'atteindre son àge. Il y a eu cependant,
dans la vallée, plus d'un vieux curé fidèle à sa première
paroisse ainsi nous pouvons citer son voisin, Gabriel
Mourot, 2 né à Saint-Dié d'une famille de magistrats, qui
desservit Colroy-la-Roche, Ranrupt, Saint-Blaise et Blan-
cherupt pendant près d'un demi-siècle, 1692 – 1740, et
l'abbé Prêcheur, vicaire, puis curé de Labroque, près
Rothau, de 1821à 1877.
Nous sommes bien renseignés sur les faits et gestes
de la longue carrière d'Oberlin, puisqu'il a consigné par
écrit, en quelque sorte jour par jour, les moindres dé-
tails de sa vie.
J. Fritz Oberlin naquit à Strasbourg en 1740. Il ne
fut pas élevé mollement par son père, chargé de l'entre-
tien de nombreux enfants, sept garçons et deux filles.
Lui et son frère Jérôme-Jacques étaient appelés à de
brillantes destinées, le premier comme pasteur philan-
thrope, le second comme savant, professeur et bibliothé-
caire à l'Université de Strasbourg. Ses premières études,
Fritz les fit au Gymnase où son père professait; il en

1 IX ann., p. gS ss.
Magasin pittoresque,
2 V. Archives de un des prédécesseui
l'église de Colroy. Jolet, s
de Mourot fut curé de 1612 à i656.
Revue. Janvier 1910.. 33
L,A LÉGEKDE D'OBKKLIN.

sortit en 1755 pour entrer à l'Université où il reçut, ainsi


que dans sa famille, une culture plutôt allemande que fran-
çaise, ce qu'on remarque à l'incorrection de son style, a
ses mœurs, à ses idées, à ses relations, sinon à ses sym-
pathies.
En 1763, il commença son cours de théologie. L'étude
de la Bible était son pain quotidien, comme il s'exprime
dans une lettre, mais un pain qu'il digérait imparfaite-
ment. Il eut pour professeur un nommé Lorenz, réputé
rigide orthodoxe, probablement parce qu'il s'en tenait à
la lettre. On raconte qu'ayant rencontré Oberlin peu de
temps après la mort de son père, il l'aborda dans la rue
pour lui présenter ses condoléances et ajouta «Votre
père était un honnête homme, mais il n'est pas sauvé
parce qu'il n'est pas régénéré. » On pourrait conjecturer
de ces paroles que le père d'Oberlin n'avait pas reçu le
baptême chrétien comme les Quakers et les nouveaux
Frèrcs-Moraves.
Sans discontinuer ses études, Oberlin accepta, pour
soulager ses parents, la charge de précepteur des enfants
du chirurgien Ziegenhagen, lequel l'initia à l'art de la
médecine et à l'usage de quelques instruments chirurgi-
caux. Mais jaloux de son indépendance, il quitta cet em-
ploi et, sans retourner à la maison paternelle, il vécut des
leçons qu'il donnait tout en continuant de suivre ses
études théologiques.
Cependant ses goûts le portaient vers le ministère
pastoral. D'aucuns ont insinué que sa jeunesse avait été
orageuse, et qu'en embrassant cette carrière, il n'avait fait
que céder aux instances de ses parents. Il est plus vrai-
semblable de croire que son naturel l'y avait prédisposé.
Aussi, encore étudiant, dans un beau mouvement de zèle,
se consacra-t-il au service de Jésus-Christ par un acte
solennel,2 qu'il renouvela au début de son ministère.

1 E. Si., p. 45.
s E.
S: 5o-55. Lutteroth, Notice sur J. F. Oberlin.
LA LÉGENDE D'OBERLIN.

D'après le portrait esquissé par ses biographes, il était


dévoué, bienfaisant, simple de mœurs, austère, entrepre-
nant, innovateur, vif, emporté même, indépendant de
caractère, entier dans ses idées, quoique souple au besoin
dans sa conduite, enfin tolérant, religieux et même très
superstitieux. Un trait fort louable de son jeune âge,
relaté par Stoeber, p. 41, le caractérise et révèle la bonté
de son cœur. Ayant remarqué un jour que des gamins
poussaient une paysanne jusqu'à lui faire tomber la cor-
beille d'œufs, posée sur sa tête, il leur reprocha leur
méchanceté, puis courut chez lui, vida sa tirelire et en
versa le contenu dans la main de la pauvre femme.
Quand il eut terminé sa théologie, il ne fit aucune
difficulté d'accepter le poste peu envié de Waldbach que
Stuber venait de résigner et de lui proposer. Aussi, par
ordonnance de Voyer d'Argenson, alors seigneur et colla-
teur de cette paroisse, il fut pourvu en 176*7 de la sus-
dite cure, dont les revenus en espèce et en nature, tout
compté, ne s'élevaient (en 1779) qu'a 320 florins, ce qui
représente aujourd'hui 1200 fr. ou 960 rak. La popu-
lation était alors de cinq cents âmes.
Il prit possession de son poste le 3o mars, alors que
ce pays montagneux était encore couvert de neige et n'of-
frait rien d'attrayant à ses yeux, pas même un presbytère
convenable. Il ne se laissa cependant pas décourager. Se
mettant aussitôt à l'œuvre, il fit valoir ses qualités et
continua la tâche de son prédécesseur, mais avec plus de
persévérance et plus d'éclat. Il devait illustrer ce repli
des Vosges et s'y illustrer lui-même, jusqu'à être honoré
comme un bienfaiteur de l'humanité, comme un saint de
l'Eglise protestante.2

1 Cf. Guide monétaire de l'abbé Hanauer.


3 H. Scheube, loc. cit., p. 212. Dans le Lexikon fur Theologie
und Kirchenwesen de Holtzmann et Zoeppfel (Leipzig 1882) il est
dit d'Oberlin: un saint K
"Celui qu'on a appelé protestant."
î^a Lï.c.LNiiE do'bkrlin

IV.

Oberlin éducateur.

Fils et frère de professeurs, Oberlin se préoccupe tout


d'abord de la question scolaire, par goût autant que par
bienfaisance, sinon par nécessité absolue pour l'enseigne-
ment religieux, car les illettrés peuvent être aussi instruits
de la religion, seulement avec plus de peine pour le
maître. Il dote les villages de Waldersbach, Belmont et
Bellefosse d'écoles convenables, grâce à des dons géné-
reux et des collectes de Strasbourg. Une dame de cette
ville fait au profit des écoles du Ban-de-la-Roche un legs
de tooo florins.2 Après la Révolution, Fouday et Solbach
sont aussi pourvus d'écoles mais ils en sont redevables,
l'un au préfet du Bas-Rhin, le marquis de Lezay-Mar-
3
nésia, l'autre à son maire, Martin Bernard.
Notre pasteur meuble les salles de classe et les orne
de cartes aux vives couleurs pour intéresser les élèves et
les instruire par des leçons de choses. Les autorités ci-
viles ne s'occupant guère des écoles, Oberlin trace un
programme d'études, décrète l'obligation scolaire depuis
cinq ans jusqu'à seize et, pour sanction, il refuse entre
autres peines toute assistance aux pauvres, dont les enfants
ne fréquentent pas régulièrement l'école.4 Il inaugure un
système assez hardi pour l'époque, remarque Pansot, en
mettant à contribution5 pour les frais d'école les céliba-
taires et les parents sans enfants.

1 V. aux Archives de Waldersbach le registre Ecoles et ce qui


y a rapport.
» Edm. P. 137-8.
3 Edm. P. i4o.
Mss. Andreœ Witz, cités par Ed. Parisot.
5
Registre des Règlements, p. 47, aux Archives de la paroisse
de Waldersbach.
IiA. LÉGENDE D'OBERLIN.

Il ordonne encore que les enfants soient séparés selon


le sexe.1t L'obligation de l'instruction, il ne la proclame
pas seulement pour les garçons, mais aussi pour les filles,
et c'est là encore, selon la réflexion de Parisot, une nou-
veauté très importante. Seulement son ambition n'est pas
de faire des femmes savantes, mais des paysannes assez
instruites pour leur condition.2 A l'encontre des utopistes
modernes qui, en fait d'éducation, proscrivent les récom-
penses et les punitions et entendent stimuler les enfants
par le pur amour du vrai et du bien, il donne de l'ai-
guillon aux paresseux, selon son expression, par des
promesses et des menaces, il organise des concours et
des solennités scolaires. Son grand moyen d'action, c'est
de décerner des distinctions panaches, épaulettes, co-
cardes, etc., de distribuer des primes d'encouragement,
tant aux grands qu'aux petits, et d'infliger des amendes
délits ou autres.' 8
pour
L'obligation scolaire, c'est là le grand titre de gloire
du pasteur de Waldbach aux yeux de l'Etat qui, lent à
se préoccuper de l'enseignement primaire, ose maintenant
reprocher à l'Eglise son incurie. Aujourd'hui les péda-
gogues laïques de l'Etat louent plus Oberlin d'avoir im-
posé l'instruction à tous que l'Eglise de l'avoir donnée
gratuitement aux pauvres.4

1 Ibidem, p. 8.
3 Edm. P. 200-201.
Registre des Lois et Règlements, p. 4.
Notre collaborateur nous permettra d'ajouter qu'à la même
époque, notre Saettler dans ses Monita ad parochos (1779) insistait
fortement sur l'obligation scolaire. Que le curé, dit-il p. 306, con-
trôle les listes d'absence et emploie tous ses efforts pour faire fré-
quenter l'école assidûment. L'expérience enseigne que les enfants qui
ne sont à l'école qu'en hiver oublient en été ce qu'ils ont appris. Si
donc dans un village l'autorité prescrit la fréquentation de l'école en
été, le curé exigera sévèrement l'observation de cette loi; là où il n'y
a pas de loi pareille, le curé insistera auprès des magistrats muni-
cipaux et des parents pour que l'école reste ouverte même en été."
Tout ce chapitre de Ludimoreratore et cura scolarum est à lire il
démontre avec quelle sollicitude le clergé catholique alsacien
s'occupait de l'école. (N. d. 1. R)
LA LÉGENDE D'OBEELIÎî.

Stuber avait inauguré des cours d'adultes, comme il


en existait déjà ailleurs par les soins de Jean-Baptiste de
La Salle et de l'abbé de la Chétardie. Oberlin n'était pas
homme à laisser péricliter ces cours. Il réunit même les
parents avec leurs enfants, soit à l'école, soit au presby-
tère, soit au temple pour leur donner des leçons d'hygiène,
de droit usuel, d'agriculture, de botanique. Il reste de
lui un dictionnaire manuscrit des herbes, en allemand,
français, patois et latin. Il fait même apprendre des arts
d'agrément le dessin, la peinture, le chant, et organise
une société philharmonique. Que n'a-t-il pas fait et entre-
pris, si l'on s'en rapporte à ses biographes! Il mettait à
la disposition de ses paroissiens son cabinet de physique,
ses collections de plantes, de pierres, d'insectes, d'images;
enfin une bibliothèque paroissiale de 5oo volumes, qu'il
prêtait à certaines conditions. Il faisait encore circuler
des journaux, lisait lui-même du haut de la chaire des
articles intéressants et instructifs bref, il ne négligeait
aucun moyen d'étendre le cercle de leurs connaissances.
Après la grande Révolution, il rétablit les écoles bien
déchues pendant cette tourmente. Il y a dans les papiers
légués par Oberlin (Mss. Andrese Witz) une feuille volante
intitulée par lui Projet pour le rétablissement de nos
écoles dégénérées, et datée du 7 sept. 1798. 2 Dix ans
après, la situation des instituteurs n'était encore guère
améliorée, à preuve une lettre adressée, en 180g, au préiet
du Bas-Rhin, dans laquelle il se plaint de ce que le sa-
laire de l'instituteur se paie très irrégulièrement à cause
de la pauvreté des montagnards.3 Heureusement pour le
Ban-de-la-Roche, Oberlin avait l'oreille des autorités ad-

1 V. aux Archives de la
paroisse de Waldersbach le Manuscrit
sous le titre: Bibliotheque où sont enregistrés, par villages et sexes,
tous ceux qui empruntent des livres et tout ce qui a rapport au
trafic charitable des livres.
8 Ed. P.
157.
S Mss. Andrex
Witz, cités par Ed. P., p. 220.
LA Ij15gknbiî D oishbllm.

ministratives de l'Empire et de la Restauration, il rem-


plissait même les fonctions d'inspecteur d'écoles, dont la
création ne date que de i833.
Il fut bien secondé encore par Daniel Legrand, an-
cien directeur de l'instruction publique à Bâle, ancien
membre du Directoire de la République helvétique, qui
était venu s'établir avec toute sa famille dans sa paroisse.
Il comptait parmi ses amis deux chefs d'institution, les
philanthropes Basedow 2 et Pestalozzi. Aussi n'est-il pas
étonnant qu'Oberlin lût assidûment les œuvres de ce der-
nier et possédàt dans sa bibliothèque le Manuel élémen-
taire de l'autre, ainsi que l'excellent ouvrage de Fénelon
sur l'Education des filles, et l'Emile de Jean-Jacques
Rousseau. Nous ignorons s'il eut connaissance des ou-
vrages pédagogiques de deux prêtres allemands de son
temps, Sailer et Oversberg, de l'abbé Rollin, de Lhomond
et de la méthode de l'abbé Gautier. Mais la meilleure
pédagogie qu'il pouvait adopter vis-a-vis de ces petits
villageois, c'était celle que lui dictait l'expérience parce
qu'elle leur était plus appropriée. Pour s'assurer de leurs
progrès, il réunissait chaque semaine à Waldbach les
écoliers des cinq villages de la paroisse et donnait d'utiles
directions à leurs maitres. En un mot, il était éducateur.
Dans son presbytère, il avait ouvert un pensionnat
pour les jeunes gens aisés d'Alsace, désireux d'apprendre
le français c'était un moyen d'augmenter ses modestes
revenus et de faire plus de bien.4 Ses pensionnaires, ses
enfants et jusqu'aux servantes mangeaient à la même table,
et lui-même vénéré comme un patriarche, comme un

1 E. St.
508-9.
2 V. Stœber,
chap. VII, au sujet de Basedow, son Institut de
Dessau et son Elementarweik.
3 Ed. P., chap. III, m, 112. Louis Grégoire, Dictionnaire
encyclopédique. Palis 1876. Portraits et histoire des hommes
utiles.
Ed. P.. chap. 111. Oberlin.
LA LEGENDE D'OBERLIN.

ministre de Dieu, s'estimait heureux d'être assis au milieu


d'eux.
Ils se trompent bien ou ils nous trompent ceux qui
nous présentent Oberlin comme un modèle de nos édu-
cateurs contemporains dont le système consiste à ignorer
Dieu, à se passer de Lui dans l'enseignement moral, à
ne donner d'autre base à la vertu qu'un idéal imaginaire,
d'autre sanction que le remords de la conscience, d'autre
obligation que le sentiment de l'ordre, sous prétexte que
tout mobile extrinsèque est contraire à la dignité humaine,
prétexte dont ils se couvrent pour bannir la religion de
l'école neutre. Jamais Oberlin ne conçut une pareille
utopie. C'était un croyant. Il croyait en Dieu, à sa parole,
à sa loi, à ses récompenses et à ses châtiments; il croyait
à plusieurs vérités de la doctrine chrétienne. Dans un dis-
cours adressé en 1769 aux Régents et Conductrices, il
prononça ces belles paroles « Qu'il est heureux le maître
d'école qui s'efforce d'inspirer à ses élèves un amour ar-
dent pour Dieu, leur père céleste, et pour Jésus-Christ
leur Sauveur. Un maître d'école qui craint et aime Dieu
de tout son cœur et qui est rempli de zèle pour l'avancement
de son règne, apprendra peu à peu à profiter de toutes les
circonstances pour remplir la jeunesse de tendresse pour
Dieu et de zèle pour le bien. » Nonobstant ses sentiments
religieux, on voudrait le faire passer pour le premier
promoteur de l'enseignement laïque obligatoire. On le
propose comme un précurseur des pédagogues modernes,2
et pourtant, dans sa méthode d'enseignement, il ne diffère
guère de ceux de son temps.
La République, l'Empire et la Royauté rivalisèrent
pour le combler d'honneurs. Le 16 fructidor an II, la
Convention, « vu le rapport qui lui avait été présenté sur
les services rendus par le pasteur du Ban-de-la-Roche,

1 Leenhardt, ms. cité par Ed. P. 102.


3 Carlos E. Sauvot et Cie
Fischer, Alsace champêtre, p. 71 (Paris,
1907).
LE LÉGENDE D'OBEBMN.

en y propageant l'instruction primaire», lui décerna une


mention honorable. Il fut tenu en très haute estime par
les préfets Laumond et Lezay-Marnésia. En 1819, lui, qui
avait prêté le serment de haine à la Royauté, fut créé
chevalier de la Légion d'honneur, « attendu que, dit le
ministre du roi Louis XVIII, dans son compte-rendu, on
doit à son zèle et à ses lumières les établissements d'ins-
truction publique formés dans cette commune. Après sa
mort, ce fut bien mieux. Ses traits ont été immortalisés
par les arts, sa mémoire par les muses.
(A suivre.) R. C. B.
LE KULTURKAMPF
ALSACIEN-LORRAIN.

Le conflit qui a surgi récemment entre les évêques


de Strasbourg et de Metz et entre le gouvernement
d'Alsace-Lorraine, mérite-t-il le nom de Kulturkampf?
Bien certainement, et au même titre que le conflit
qui éclata jadis après la guerre de 1870 entre le gouver-
nement et l'épiscopat prussien. En effet, ce ne sont pas
les suspensions de traitement, l'emprisonnement des
évêques et des prêtres fidèles, la fermeture des séminaires
qui constituaient le Kulturkampf en lui-même cette
persécution matérielle, brutale, violente n'en était que la
conséquence. L'essence du Kulturkampf consistait dans
la prétention de l'Etat de contrôler, de surveiller, de li-
miter l'autorité doctrinale de l'Eglise, de l'épiscopat. Bis-
mark et son lieutenant Falk n'admettaient pas que l'épis-
copat promulguât, sans le placet de l'Etat, le dogme de
l'infaillibilité, qu'il obligeât à la profession de cette foi
les sujets du roi de Prusse, et notamment les fonction-
naires plus spécialement tenus à cette profession, les
instituteurs, les aumôniers de lycée, les professeurs de
théologie et les curés, que pour la circonstance on affublait
plus étroitement que jamais de la qualité de fonctionnaires
de l'Etat. Bismark entendait maintenir à tous les citoyens,
LE KULTURKAMPF ALSACIEN-LORRAIN.

à tous les membres de l'enseignement, à tous les prêtres


rebelles à l'Eglise, le titre de catholiques à ses yeux,
eux étaient les représentants du catholicisme, tandis que
le troupeau fidèle à l'épiscopat en communion avec le
Pape était, lui, novateur et schismatique.
N'est-ce pas exactement
si parva licet componere magnis
ce qu'ont fait le secrétaire d'Etat, baron de Bulach, et
le Statthalter, comte de Wedel ? En effet, si les évêques
de Strasbourg et de Metz se sont adressés aux institu-
teurs catholiques, ils ne l'ont pas fait pour leur donner
des instructions techniques ou professionnelles, pour ré-
gler leurs rapports avec leurs chefs hiérarchiques, mais
uniquement pour les rendre attentifs à l'enseignement
moral de l'Eglise, dans une question qui n'est à aucun
point de vue du ressort de l'Etat, une question d'ordre
privé, quoique par ricochet elle tienne aux intérêts com-
muns de la population catholique.
M. de Bulach et le comte de Wedel ne prétendent à
rien moins qu'à interdire à l'Eglise, dont les évêques
sont les organes de droit divin, d'enseigner leurs devoirs
d'état aux catholiques, pour peu que ces devoirs regardent,
même de loin, un fonctionnaire. C'est donc bien, voulu
ou non, le Kulturkampf.
Mais il sera bon de remonter un peu plus haut, aux
origines mêmes de ce conflit.
Il existe en Allemagne une Association des institu-
teurs, syndicat général de toutes les associations, disons
nationales, si malsonnant que le mot soit à certaines oreilles,
puisqu'il n'y en a pas d'autre en français pour désigner
les Etats confédérés de l'Empire. Cette association est
interconfessionnelle, et à cela seul il n'y aurait rien à
redire, puisqu'il existe des questions d'intérêts purement
matériels, des questions pédagogiques, où l'on peut faire
complètement abstraction de la religion. L'Eglise n'a pas
la prétention de régler les traitements, d'exprimer une
préférence sur l'écriture droite ou penchée, de donner
une décision pour la réforme de l'orthographe elle ne
LE KULTURKAMPF AI<SACI3ïN-L01îEAik.

fera même pas une question de principe de l'inspectorat


ecclésiastique, si on lui laisse la part de surveillance, qui
lui revient incontestablement, sur l'instruction et l'éduca-
tion religieuses, et elle serait la dernière à blâmer un
groupement qui aurait pour but de cultiver l'amour de
la patrie.
Les fauteurs de l'adjonction de l'Association alsa-
cienne à l'Association allemande prennent nos évêques
pour des hommes bien naïfs, si en alléguant la lettre des
statuts ils croient avoir démontré que l'Association gé-
nérale ne poursuit que ses intérêts professionnels et qu'elle
est parfaitement correcte au point de vue catholique. La
lettre des statuts, c'est le corps d'une association ce qui
en fait l'âme, ce sont ses chefs et l'esprit dont ils sont
animés, ce sont les directions qu'ils cherchent à donner
à leurs troupes, ce sont les principes qu'ils proclament
dans leurs réunions, et les professions de foi qu'ils pu-
blient dans leurs organes.
A ne voir que les statuts des Loges, ce seraient les
gogos qui auraient raison de ne voir dans la franc-maçon-
nerie qu'une association de philanthropes et d'âmes cha-
ritables. Il y a eu pendant longtemps nombre de gens
assez crédules pour se laisser enrôler sous cette bannière, et
qui n'ayant jamais été initiés aux vraies pratiques des Frères
Trois-Points, n'ont cessé de réclamer contre le parti-pris,
l'intolérance, l'ignorance des autorités ecclésiastiques qui
interdisaient l'affiliation aux sociétés secrètes. Je ne puis
pas m'empêcher de comparer une partie de nos institu-
teurs catholiques à ces braves gens, qui, jadis, en se fai-
sant recevoir francs-maçons, croyaient entrer dans une
espèce de Société de Saint-Vincent-de-Paul laïque. Je dis
une partie, car les vrais meneurs savent très bien où ils
vont et où ils veulent conduire les autres sous les plis
du drapeau national, on se rend par des détours plus ou
moins apparents dans le camp de la Libre-Pensée.
Il faut bien que le dévouement à la patrie allemande
ne soit qu'un prétexte, puisqu'un homme d'Etat aussi
sérieux, aussi dévoué à l'empire, que l'était notre
LE KULTURKAMPF AliSACIBN-IiOEBAIH.

ancien secrétaire d'Etat, M. de Koeller, non seulement se


désintéressàt de cette évolution soi-disant patriotique,
mais qu'il jit valoir toute son autorité pour l'empêcher.
Encore aujourd'hui, que la fusion est décrétée, il ne se
gêne aucunement pour dire à qui veut l'entendre que le
gouvernement se repentira plus tôt que plus tard d'avoir
favorisé un mouvement qui, comme en France, se re-
tournera contre lui. En tout cas, la coïncidence est sin-
gulière, que les meneurs aient relevé la tête au lendemain
du départ de M. de Koeller, dès que le gouvernement fut
aux mains du comte de Wedel et du baron de Bulach,
qui eurent la faiblesse de trembler devant la campagne
entreprise, pour les dénoncer comme complices des pro-
testataires, par des fonctionnaires avides de domination
dont M. de Kœller avait su mater les appétits. M. de
Kœller, qui est un fin connaisseur d'hommes, avait très
bien dévisagé les éléments turbulents qui fermentent dans
le monde scolaire il avait très bien vu que chez les uns,
il n'y avait qu'une question de gros sous et chez d'autres,
l'envie de créer une puissance capable de traiter avec le
gouvernement d'égal à égal. Ce secret a été éventé depuis
au lendemain de la fusion, un article de la « Str. Post »
contenait cette phrase significative Wir rvollen eine
Macht iverden nous voulons devenir une puissance
Ce sont des considérations dont N. N. S. S. les
évêques n'avaient pas à se préoccuper. Ils sont néanmoins
si peu opposés à une amélioration de la situation maté-
rielle des instituteurs, que Mgr Fritzen n'a pas reculé
devant l'opposition de beaucoup de fabriques pour élever
d'office le traitement de l'organiste à un minimum de
200 M.; ils sont si peu opposés à un groupement capable
de promouvoir les intérêts financiers, d'élever la position
sociale, de fortifier l'esprit corporatif du personnel en-
seignant, qu'ils ont hautement témoigné leur sympathie
à l'Association des instituteurs alsaciens qui a depuis
longtemps fusionné avec l'Association catholique d'Alle-
magne. Ce dernier fait est la preuve la plus évidente que
les instituteurs catholiques n'avaient pas besoin du Deutsche
LE KULTUBKABIl'T ALSACJ-KK-LOmEAIN.

.Lc/trcr~erctH pour témoigner de leur loyalisme politique


et de leur volonté sincère de former de bons citoyens de
leur pays. Si donc N. N. S. S. les évêques ont élevé la voix
pour mettre les instituteurs catholiques en garde contre ce
Z)~M~c/!cr Z.c/:rcrf~rc/M, c'est qu'à leurs yeux les tendances
de cette association leur paraissaient incompatibles avec
la conscience d'un catholique soumis à l'Eglise.
Et cette conviction de nos évêques est fondée. Le
DeM~c/!ë Z.e/!rer~r~ actuel n'est qu'une reconstitution
d'un Allg. D. f~rcr~r~, fondé en i8z).8, qui fut in-
terdit en Prusse et dans plusieurs Etats de la Confédé-
ration et qui se dissout en 186-). pour ressusciter en 1871.
Or, dès sa création à Eisenach, il rendit hommage au
grand Réformateur qui «avait commencé là son œuvre
mondiale. M Puis quand le Kulturkampf éclata au len-
demain de la reconstitution de l'Association, nous voyons
ses coryphées se glorifier d'avoir été les champions les
plus fidèles du ministre Falk. Ils applaudissent à la li-
bération de l'Italie du joug d'une prètraille obscurantiste.
En !88~, la «Gazette générale des instituteurs allemands a
préconise « l'esprit libre et libérateur de la Réforme par
qui l'école a été arrachée des liens de l'église réaction-
naire des papes et des prêtres.') p En 1888 elle termine
un panégyrique d'Ulrich de Hutten, en s'écriant: «L'Idéal
de ta vie est réalisé: Le grand, libre et évangélique em-
pire allemand s'incline devant toi, Ulrich de Hutten H
Inutile de dire que les attentats de la Libre-Pensée fran-
çaise contre l'école chrétienne, depuis Jules Ferry jusqu'à
Combes et Doumergue ont toujours obtenu dans la presse
alimentée par les chefs du D. L. V. les plus vifs applau-
dissements.
Le même langage est tenu dans les assemblées gé-
nérales, aussi bien un pasteur protestant, M. Zillesen,
a-t-il pu désigner certains discours prononcés au Congrès
de Halle en tSoz, «comme une déclaration de guerre au

1 Cf..E/.Kt.Mef ï3 janvier igio.


LE KULTCMKAMPF ALSACIEN-LORRAIN.

christianisme biblique et à toutes les églises encore atta-


chées à une profession de foi.)) En 1806, au Congrès de
Breslau (1006) le D~ Bergmann, d'Iéna, soutint l'opinion
que «l'instruction religieuse ne devait avoir aucune place
j l'école primaire)), et en 1008 à Dortmund le Dr Natorp,
professeur à Essen, contesta aux parents le droit d'élever
leurs enfants dans leur religion, et dénia à toutes les
confessions chrétiennes le droit à l'existence. Comme
orateur officiel, il avait dit que «la Pentecôte du D. L. V.
consistait dans l'espérance de l'instituteur allemand de
voir le catholicisme allemand secouer le joug romain
pour évoluer vers un protestantisme nouveau, et il de-
mandait aux assistants de faire vœu de travailler dans ce
sens. )) M. Grober a relaté le fait au Reichstag, dans la
scance du ia janvier iQio, en ajoutant que ce cri de
guerre contre l'Eglise avait été accueilli avec des applau-
dissements frénétiques, et quoique la gauche se cabrât
sous ce coup de fouet, elle n'osa pas contester la maté-
rialité du fait.
C'est donc à bon droit que les évêques d'Alsace-
Lorraine faisaient entendre leurs avertissements, et il
semblait un moment qu'ils seraient écoutés. Mais la guerre
religieuse en France soulevait ici les mêmes passions, et
tout à coup un événement absolument insignifiant en lui-
même les déchaîna avec fureur.
Le « Nouvelliste w de M. l'abbé Wetterlé publia, sous
le pseudonyme de Herder, quelques feuilletons humoris-
tiques sur les choses et les gens d'Alsace. Le Landes-
ausschuss passa le premier au crible de la satire, et
quelque durs que fussent certains coups de patte, les
députés de notre parlement-modèle esquissèrent un sourire
devant leur silhouette si finement croquée. Ce sont des
gens cultivés qui savent goûter un esprit de bon aloi et
qui sont enfin convaincus qu'à descendre dans l'arène de
la vie publique il faut se résigner à subir la critique.
Nul ne songea à se prétendre déshonoré.
Peu de jours après, le feuilletoniste crayonna un
croquis d'instituteur. Le malheureux s'imaginait que tout
LE KULTURKAMPF ALSACIEN-LOURAUf.

le monde comprend la plaisanterie et éprouve un plaisir


esthétique à se sentir égratigné avec esprit. La forme était
littérairement irréprochable, et il y avait dans la thèse un
grand fond de vérité, à savoir que l'ancien instituteur
avec ses goûts modestes, avec son activité très discrète,
ses convictions religieuses profondes avait une conscience
non moins haute de la sublimité de sa vocation que
l'instituteur moderne, et que s'il avait vécu sous le ré-
gime de l'instruction obligatoire, il aurait enregistré des
succès au moins aussi réels que ceux de l'école actuelle.
J'ai lu et relu cet article et je n'y ai rien trouvé qui
attaquât l'honneur professionnel ou privé de nos institu-
teurs. Aussi regretté-je profondément que sous l'aiguillon
des meneurs anticléricaux ils s'en soient trouvés blessés.
La susceptibilité n'est pas la marque de la vraie grandeur
d'âme ni d'une culture supérieure, et pour l'honneur des
instituteurs catholiques, du rôle desquels j'ai toujours eu
une très haute idée, Je déplore qu'ils aient laissé exploiter
cette faiblesse humaine par des agitateurs, qui avec une
perspicacité satanique jugèrent le moment favorable pour
exciter les instituteurs contic l'Eglise, et pour proclamer
l'urgence de s'affilier au D. L. V.
D'abord je ne vois pas très bien comment l'affiliation
au D. L. V. empêchera Herder d'écrire des articles sem-
blables au feuilleton incriminé ni d'en écrire de vraiment
méchants. La chose n'est pas si difficile, la matière ne
manque pas, et que les instituteurs ne se fassent pas
illusion ils ne jouissent pas dans la grande majorité
des communes d'une popularité si excessive, qu'une satire
amère n'y trouvât aucun écho. Mais enfin un journal
n'est pas l'Eglise, et cent articles du journal le plus
clérical ne constitueront jamais pour un instituteur, dont
la foi n'est déjà gangrenée par le libéralisme, un motif
pour s'affilier à une association que le premier pasteur
du diocèse a désignée comme hostile à l'Eglise.
II va sans dire que la presse anticléricale profita de
l'occasion pour gratter jusqu'au sang les démangeaisons
provenaut dans telle ou telle paroisse des froissements
LE KULTURKAMPF ALSACIEN-LORRAIN.

entre instituteurs et curés. Je n'hésite pas à dire qu'il


faudrait commencer par supprimer une de ces occasions
de froissement, en disjoignant, là où cela existe encore,
les fonctions d'instituteur de celles de sacristain; mais il
faudrait être conséquent, et il n'est pas admissible, comme
cela arrive l'une ou l'autre fois, que l'instituteur veuille
être débarrassé de la charge, mais en garder les émolu-
ments. Je ne pousse pas non plus l'esprit de corps jus-
qu'à prétendre que dans les cas de conflit, assez rares
d'ailleurs dans notre grand diocèse, les torts soient sans
exception du côté de l'instituteur. Mais même en tombant
dans l'excès opposé et en accordant, tout à fait partiale-
ment, que l'instituteur est toujours et partout la partie
lésée, l'Eglise et la religion ne sont pas solidaires d'un
curé isolé, et un manque absolu de logique peut seul
expliquer comment un instituteur peut tourner le dos à
son évoque, parce qu'une fois il aura eu une explication
aigre-douce avec son curé.
De plus, et sans cela on n'aurait pas une juste idée
du mouvement vers le D. L. V., la question de suscep-
tibilité blessée se compliquait de celle de l'augmentation
de traitement, et les meneurs auraient pardonné et oublié
l'incartade de Herder, si M. Wetterlé et ses amis poli-
tiques au Landesausschuss avaient voulu mettre le prix
convenable à l'absolution.
Il n'est jamais venu a l'esprit d'aucun membre du
Centre de notre Diète, que les instituteurs doivent et
puissent vivre avec les appointements d'une époque déjà
antédiluvienne, quoique assez rapprochée aussi ont-ils
été augmentés à plusieurs reprises en peu d'années. Ils
devaient l'être encore à partir de 1910. Le projet gou-
vernemental, tout en ayant égard des difficultés budgé-
taires où se débattent tous les Etats de l'Empire, procurait
au personnel enseignant des avantages réels.
Sans doute, il ne satisfaisait pas des appétits insa-
tiables, et il souleva chez les intéressés un toile général,
à tel point que M. Albrecht, le président du Conseil su-
périeur de l'instruction publique, fut accueilli par des
Revue. Janvier 1910. A
LE EULTUBKAMPF ALSACIEN-LORRAIN.

huées dans une réunion convoquée pour protester contre


la pingrerie gouvernementale. Ces outrages, quelque dé-
placés et quelque injustes qu'ils fussent, allaient cepen-
dant à leur véritable adresse, car M. Albrecht était l'auteur
du projet et s'en constitua le défenseur.
La presse anticléricale et les députés anticléricaux
eurent recours à leur tactique habituelle pour attirer les
fonctionnaires dans leur camp. Ils attisèrent à l'envie le
mécontentement, et tout en sachant que le gouvernement
n'admettrait aucun changement essentiel à l'économie de
son projet, que le budget, déjà en déficit, ne supportait
aucune augmentation des dépenses, ils se livrèrent à une
surenchère véritablement criminelle. C'étaient bien les
intendants infidèles des deniers publics qui ne craignent
pas de se procurer des amis avec le mammon de l'ini-
quité. Le Centre de la Diète, soutenu par le Bloc lorrain
tout entier et par la grande majorité des députés non
organisés, refusa de se faire le complice de cette ma-
nœuvre. Néanmoins ils ajoutèrent 200,000 marcs au
crédit proposé par le gouvernement aller plus loin, ils
ne le pouvaient point, car le représentant du peuple doit
avoir égard aux intérêts du contribuable non moins qu'à
ceux des serviteurs de l'Etat: il restait entendu que
c'était seulement un acompte en attendant des temps
meilleurs.
Au lieu de remercier ces députés d'avoir dépassé le
crédit gouvernemental, les meneurs déversèrent sur eux
un torrent d'injures, et trop bassement lâches pour s'at-
taquer à leurs supérieurs hiérarchiques, les premiers
coupables, si culpabilité il y avait eu, ils tournèrent toute
leur haine contre les cléricaux. Pour se venger, on entre-
rait tambour battant et enseignes déployées au D. L. V.
On parviendrait bien à forcer la caisse du Trésor alsa-
cien-lorrain, quand on aurait derrière soi les cent mille
collègues du D. L. V. Les lecteurs de la Revue savent
au reste comment le parti anticlérical profita des élections
au Conseil général et au Landesausschuss pour pousser
à la curée de la façon la plus éhontée.
LE KULTUBEAMPr ALSACIEN-LORBAIN.

Nous sommes moins loin que nous n'en avons l'air,


du conflit entre notre gouvernement et nos évêques.
Nous y sommes chronologiquement, car la résolution
définitive du syndicat des primaires concorde avec les
succès et les progrès électoraux de l'anticléricalisme, et
cet esprit libre-penseur qui souffle dans les voiles montre
bien qu'on ne vogue pas vers l'idéal et le patriotisme,
mais qu'on veut débarquer sur une terre promise toute
matérielle, et surtout à un port. libre de toute autorité
doctrinale.
Il était nécessaire, avant d'arriver à la crise elle-
même, de montrer sous l'influence de quels éléments elle
avait couvé et allait éclater.
A suivre.)
N. DELSOR.
L'ASCENSION D'UNE AME.

;CONVERSATION D'UN SOIR D'ÉTÉ.


du Le\ant)
(Scènesprovinciales

A la noble mémoire
de la Marquise Joséphine Reggio.

I.

Arvède Florence était l'ami des Dornay depuis tou-


jours. Tout enfant, avec une bande turbulente de jeunes
garçons du voisinage, d'une classe privilégiée, il mêlait
ses jeux à ceux d'Antoinette, Christine, Sylvie Dornay et
d'une fraîche troupe de petites filles. Leurs familles, très
distinguées et de descendance européenne, habitaient,
presque toutes, le Champ des Emigrés ou l'Avenue de
la Gare du joli et quelque peu aristocratique village de
Bournabat, ombragé de platanes, d'ailantes et de cyprès,
surnommé, d'un nom pompeux, le Versailles de Smyrne.
Avec le franc laisser aller de la jeunesse d'Orient,
domiciliée à la campagne, aux environs de Smyrne, dans
la blonde Ionie, laisser aller qui, ailleurs, pourrait
sembler d'une grosse inconvenance ils s'amusaient, par-
fois, à parcourir ensemble, éludant une surveillance assez
facile à déjouer, les vastes champs déserts, sous le soleil
torride, pour ravager, à cœur-joie, les vignes et les enclos
épars. Là les garçons sautaient les haies, grimpaient sur
des figuiers antiques et en faisaient tomber les fruits dans
les tabliers des petites filles. Ou bien, ils se chargeaient les
bras de grappes rouges et dorées, de magnifiques pampres
L'ASCENSION D'UNE AME.

musqués, qu'on allait déguster en des endroits plus sûrs,


loin des rencontres désagréables et à l'abri de tout danger.
Les choses n'arrivaient pas, toutefois, sans quelque més-
aventure, sans qu'ils n'eussent maille à partir avec des
<rardiens turcs, d'une espèce féroce ceux-ci, en de sou-
daines surprises qui les divertissaient, les excitaient beau-
coup en les touchant médiocrement, ne leur ménageaient
point les poursuites furieuses, les menaces terrifiantes, et,
parfois même des corrections, plus ou moins mesurées,
atténuées par déférence pour leur situation sociale, qui
s'oubliaient presque aussitôt sans produire grand effet, sans
les conduire à résipiscence, ni amener de résultats.
Cela dura ainsi quelque temps, en des alternatives
d'insouciance et de gaieté, d'esclandres ingénus, d'équi-
pées de toutes sortes puis, le jour vint où il fallut un peu
plus de tenue, et surtout plus de discipline. Après quel-
ques études préliminaires, suivies tant bien que mal, chez
des vieilles filles de Bournabat, qui tenaient une école
très courue au village, débridée, pittoresque, où les deux
sexes étaient mêlés, les garçons furent placés au collège,
à Smyrne, et les fillettes en pension, en vue d'un bon
apprentissage, dont le besoin était urgent, d'un dressage
ferme et régulier, jusque-là compromis, quoiqu'on n'en pût,
du reste, incriminer personne, et relâché, tant soit peu,
par la force même des circonstances. L'on dut, dès lors,
se dire adieu pour ne plus se revoir qu'à l'époque des
vacances, mais non plus, hélas comme cela se com-
prend avec l'aisance joyeuse, l'abandon absolu, le sans-
gêne d'antan tous privilèges de l'enfance, qui s'envolent
avec elle et s'effeuillent aussitôt, se dispersant aux brises
mordantes, aux autans roides et impérieux pour se flétrir
incontinent, se faner sans retour, choir lamentablement
dans la froide poussière comme les pétales épars de roses
d'un matin.
Enfin, un peu plus tard, les jeunes gens, quasi tous,
partirent pour l'Europe, compléter leur éducation, et les
petites demoiselles, devenues presque des jeunes filles,
durent terminer la leur moins compliquée, moins exi-
L'ASCENSION D'UNE AME.

geante sans se rendre aussi loin, en pays étranger, ni


quitter leurs familles aux instituts les plus vantés de la
cité voisine, capables de leur donner une excellente for-
mation, de les doter d'une culture soignée, adaptée aux
besoins du milieu, offrant, en un mot, les garanties d'une
heureuse réussite qui chez les Dames de Sion, qui chez
les Soeurs de la Providence.

II.
Dix ans après.
Arvède Florence venait de rentrer à Smyrne après un
stage en Italie où il avait fait de sérieuses études, s'était pro-
mené avec ravissement, et longuement enivré aux horizons de
Rome. M trouva Bournabat, le beau village de son enfance,
planté de thuyas odorants, de lauriers et de myrtes, en
pleine fraîcheur de renouveau, en sève radieuse et triom-
phante. Toute sa génération à lui s'y était épanouie, fré-
tillante de santé, impatiente de vivre. Une folle jeunesse
s'y agitait qui ne songeait qu'à s'amuser et se faire du bon
temps, mais cela le plus gentiment, le plus innocemment
du monde. Il rejoignit avec transport ses amis d'autrefois
et ses anciens camarades, grandis et presque méconnais-
sables.
Comme il était intelligent, instruit, de tournure ave-
nante, on lui fit fête partout. Les salons de Bournabat, inau-
gurés depuis peu, animés, d'un charme délicieux, et recher-
chés de toute la ville, s'ouvraient au mois d'août pour ne
se fermer que fort tard, dansla saison des primevères époque
d'excursions, d'ébats en plein air, où l'on prenait gaiement
le vol, comme font les hirondelles, étourdies de lumière
et grisées de printemps, au lendemain de leur retour, vers
les espaces purs et sereins. On l'y accueillit à bras ouverts.
Ce fut alors, parmi toute cette jeunesse ardente, sa-
turée d'illusions et de naïve inexpérience, éclose seulement
d'hier et n'ayant pas encore passé le seuil qu'on franchit
tôt ou tard des réalités choquantes, des brusques réveils,
des cruelles mises au point, un véritable enchantement,
un rêve blanc, ~libre de tout nuage. Bournabat, jusque-là
L'ASCENSION D'UNE AME.

tranquille, ensommeillé, monotone par moments et mou-


rant de langueur, rayonnait maintenant de sourires et de
joie,voyait surgir une ère nouvelle toute gonnée de promesses.
Ce n'étaient que chansons, réceptions, sauteries, séré-
nades nocturnes; promenades à travers champs avec les
jeunes filles, le long des rails fleuris, frangés de margue-
rites, de pervenches, d'anémones, de jacinthes veloutées
aux couleurs éclatantes ou coquelicots de pourpre, à même
les saisons; dans les belles journées d'or, d'une idéale
splendeur et sous des cieux d'idylle, à l'ineffable azur, avec
cette liberté complète, mais tout à fait de bon aloi, qui est
de mise là-bas, dans les villégiatures, parmi la bonne société,
le monde qui se respecte; sans précautions chagrines ni
formalisme outré, et qui admet chez la jeunesse une aimable
latitude, un assidu compagnonnage, sans y soupçonner un
mal, qui d'ailleurs ne s'y trouve pas.
On profitait largement de cette bénigne condescen-
dance, en ce coin d'Ionie trop fortuné au sens physique,
d'une énervante douceur, où tout invite à la jouissance, au
repos prolongé, aux longues béatitudes où l'effort est
coûteux, à raison du climat, des habitudes, volontiers
écarté, biaisé de mille façons, tempéré tout au moins par
une foule d'agréments; on multipliait les fêtes, rendez-vous,
excursions et parties de plaisir en d'agrestes solitudes, où
du «beau mondes était convié. Là on faisait assaut de
grâce, d'inaltérable bonne humeur sous l'ceil paterne des
vieux parents que tout cela divertissait ils s'y montraient
intéressés, coulants et débonnaires, désirant placer leurs
filles accomplies et bien gentilles à leur gré; les
marier au plus tôt, comme c'est l'us en Orient, à des partis
avantageux, à ces jeunes gens de bonne famille, qui s'em-
pressaient chez eux à la moindre occasion, qu'ils accueil-
laient avecfaveur et une aimable simplicité. Leurs procédés,
si courtois, mettaient chacun à l'aise, et faisaient de Bour-
nabat un centre d'attraction apprécié dont le succès allait
croissant. Sa vogue devenait de l'engouement.
(A .n'rc.) NoRHERT MERSA~E.
REVUE DU MOIS.

Le tableau dans lequel Virgile rappelle les bouleversements de


la nature à la mon de César, dépeint assez bien les catastrophes
par lesquelles debute si malheureusemement l'année 1910.
Que de fois les volcans brisent leurs arsenaux,
Parmi des rocs ardents, des flammes ondoyantes,
Vomirent bouillonnant leurs entrailles brûiantes
Des ouragans affreux dans les airs se heurtaient,
Sous leurs glaciers les Alpes s'agitaient.

La terre s'entrouvrit, les neuves reculèrent.


·
Le superbe Eridan, le souverain des eaux,
Traîne et roule a grand bruit forêts, bergers, troupeaux.
Même en un jour serein l'éclair luit, le ciel gronde.
Et la comète en feu vient effrayer le monde. i
Et encore Virgile avait-il mieux dit que son traducteur Jamais
autant de cruelles cometes ne brillèrent au nrmament. Cela répond
bien à l'année i()!o, où à côté de la comète qui brille déjà à l'ho-
rizon, les astronomes en attendent une autre pour le printemps.
Nous sommes heureusement moins superstitieux que le doux
poète de Mantoue et nous ne rendons pas ces deux astres chevelus
responsables des terribles inondations qui ont ravage notre Alsace,
une grande partie de la France et notamment Pans où la Seine est
montée de 25 centimètres au-dessus du niveau des plus fortes crues
du passé. Les colonnes des journaux ne sont qu'un immense nécro-
loge de maisons effondrées, de vignes ravinees, de mobiliers em-
portés à la dérive, de malheureux noyés en voulant sauver quelques
hardes; mais elles sont en même temps une liste glorieuse d'actes
de charité et d'héroïques devouements. La Providence semble per-
mettre ces cataclysmes pour rapprocher les hommes si profondement

Géorg. Traduction de Delille.


REVTΠDU MOIS.

divisés par les haines religieuses politiques et sociales. "Ces tristes


circonstances, en même temps qu'elles déterminent entre les hommes
ces mouvements de fraternité invitent aussi à réfléchir sur les causes.
Elles rappellent. ce que demeure en dépit des progrès le jeu des
forces naturelles. On est habitue dans les temps modernes à vivre
commodément, et l'on s'inquiète moins de se garantir contre leb
accidents dont la menace était plus présente a l'esprit des architectes
de jadis. La nature nous oblige un peu rudement à nous souvenir
que les conditions de la vie n'ont pas toutes changé. La calamité
des inondations actuelles atteste cruellement la nécessité de restituer
aux forêts leur manteau forestier, régulateur par excellence du ré-
gime des eaux. L'oeuvre indispensable du reboisement préoccupe
toutes les nations. On se plaisait à croire que le bassin de la Seine
était à l'abri des catastrophes si fréquentes partout ailleurs. On fer-
mait les yeux sur certains déboisements inconsidérés du Morvan et
de l'Argonne. la réalité a parlé trop haut pour qu'on se paye plus
d'illusions. Avec les sommes que va coûter la simple
longtemps
réparation des dégâts accumulés, on aurait eu plus qu'il n'en fallait
pour les eviter. La nature n'est pas aveugle, elle est logique c'est
l'homme qui est imprévoyant et oublieux." i
Si les âmes se voyaient à nu comme les ruines causées par les
grandes eaux, le spectacle serait sans aucun doute beaucoup plus
lamentable. L'incrédulité, les antagonismes politiques et sociaux, la
misère sans fond d'un côté, le luxe sans frein de l'autre, les haines
internationales, la tyrannie par en haut, l'impatience de toute auto-
rite par en bas occasionnent partout de déplorables désordres. Nous
n'en sommes pas plus épargnés que les autres nations, témoin les
débats de notre Parlement. Pour être plus libre de s'occuper sans
interruption du budget qui cette année devra être terminé très tôt,
on a mis dès la rentrée à l'ordre du jour plusieurs interpellations
dont la discussion a montré combien sont grandes les dissensions
des partis entre eux et quel abîme sépare du gouvernement une
tres notable partie de la nation.
Ce fut d'abord l'interpellation de la Constitution mecklembour-
geoise. Les deux Mecklembourg qui ont une diète commune sont
les seuls de l'Europe qui n'aient pas encore de gouvernement
représentatifpays au sens moderne du mot la Russie et même la Tur-
quie leur ont faussé compagnie dans la société des peuples réac-
tionnaires. A l'inverse de ce qui arrive autre part, les grands-ducs
de Mecklembourg-Strélitz et Schwérin consentiraient volontiers à
une constitution, ce sont les Etats qui n'en veulent pas Etats gé-
néraux minuscules dont la composition, le mode d'élection et de
délibération datent exactement du traité de Westphalie, de même
que les lois religieuses étaient encore hier d'une intolérance revol-
tante. Les partis unitanstes du Reichstag. nationaux-libéraux, démo-
crates, socialistes, voudraient que l'empire intervint pour imposer
d'office une constitution à ces principautés lilliputiennes, si obsti-
nement réfractaires aux idées modernes. Le gouvernement fédéral
prétend, lui, que la constitution de l'empire ne lui accorde aucun
droit d'ingérence ni aucun moyen différent de la persuasion. C'est
aussi l'avis de M. Grbber qui au nom du Centre a fort bien traite
la question. L'article 76 de la Constitution de l'Empire donne
bien au Conseil fédéral le droit de régler les conflits consmution-

Débats, 27 Janvier.
REVUE DU MOIS

nets, mais il s'agit, non pas de constitutions à créer, mais de cons-


titutions existantes, et quand il s'agit de conflits internes d'un pays,
seulement lorsque ce pays ne possède pas de tribunal compétent
pour décider en dernier ressort. Sans doute l'empire pourrait étendre
sa compétence aux Mecklembourg, et les forcer à se donner un
Parlement. Mais si c'en était un comme celui de la Prusse, serait-il
du goût du Reichstag? D'ailleurs, cette extension serait bien dange-
reuse pour l'indépendance des Etats confédérés bientôt l'empire
s'occuperait du droit de succession aux trônes, de la compétence
des parlements. Quel péril t S'il y avait une réaction, et tout est
possible i Du reste, les libéraux ont plaidé la thèse opposée, il y a
quelques années. La Bavière avait fait une loi clectorale très libérale
déplut beaucoup à l'Extrême-Droite du Reichstag. M. d'Olden-
qui
bourg prétendit qu'un changement aussi radical aurait dû être
soumis préalablement à la Prusse. Le ministre de Bavière repoussa
énergiquement cette prétention comme attentatoire à la souveraineté
de la Bavière, et M. Stieber, un national-libéral, déclara non moins
énergiquement que les gouvernements et les peuples du Sud se ré-
servaient absolument le droit de modifier leurs constitutions quand
et comme ce serait leur bon plaisir. M. Grober espere du reste que
les nécessités financières briseront les résistances des Etats meck-
lembourgeois les grands-duchés ont besoin d'argent, de beaucoup
d'argent les ministres obtiendront plutôt de chambres modernes
que d'Etats fossilisés, et ils ne cesseront de revenir avec leurs pro-
jets jusqu'à ce qu'ils aient réussi.
Mais à quoi servent les constitutions quand elles sont violées
par ceux-tà mêmes qui sont chargés de les garder? C'est ce qui
était arrivé à Kattowitz, en Pologne. Au mois de novembre dernier
des élections municipales avaient eu lieu dans cette localité, un des
chefs-lieux de l'industrie minière de la Haute-Silésie. Ces élections,
de même que les élections politiques, ont lieu à bulletin ouvert, et
l'administration des postes apprit bientôt qu'entre la liste gouver-
nementale mais libre-penseuse et la liste catholique, quelques em-
ployés avaient voté pour cette dernière. Au premier scrutin du
g novembre ils étaient au nombre de 84.; entre ce scrutin et le
scrutin de ballottage, )e directeur des postes les fit venir et leur fit
oralement une mercuriale dont nous pouvons bien nous figurer la
teneur. Soixante-neuf d'entre eux succombèrent l'héroisme ne court
pas tant les rues en Alsace que nous ayons le droit de leur jeter la
pierre quinze, au contraire, tinrent bon et votèrent pour les deux
candidats polonais qui restaient en présence des deux candidats
libéraux. Ils avaient non seulement usé d'un droit, ils avaient même
rempli un devoir de conscience comme catholiques, car dans des
réunions qui avaient précédé l'élection, les libéraux avaient fait bloc
avec les socialistes et l'un de ces derniers avaient soutenu la thèse,
que l'Eglise est une grande école de crétinisme et d'immoralité.
Mais telle est en Prusse la liberté électorale, que les employés en
question furent déplacés. et que dites-vous de la franchise de la
bureaucratie prussienne ? ils furent déplacés dans l'intérêt ~x
service! Et c'est le représentant du chancelier lui-même qui ra-
conte à la tribune le fait du directeur des postes appelant chez lui
ses employés pour les rendre attentifs aux conséquences de leur
vote. Ou bien la loi n'a plus de sens, ou bien nous nous trouvons
ici en présence d'un délit clairement caractérisé par le code pénal.
Aussi M. Korfanty, le député de Kattowitz même, a-t-il pu dire aux
applaudissements de ses compatriotes et du Centre: Le point de
vue où se place le gouvernement est en contradiction flagrante avec
REVUEDTJMOIS.

la Constitution et le statut des fonctionnaires, et si nous avions un


gouvernement parlementaire et une Haute-Cour, les membres du
gouvernement impérial aussi bien que ceux du gouvernement prus-
sien auraient dû être traduits devant elle pour violation de la Cons-
titution. C'est une prétention inouïe d'exiger d'une catégorie de
citoyens qu'ils exercent leur droit électoral au gré d'un ministère
momentanément au pouvoir. Les opinions des ministères sont des
phénomènes flottants et instables les ministères vont et viennent,
et leurs opinions tournent comme les girouettes aux sommets des
tours."
Le comte d'Oppersdorf, un autre interpellant sur cette même
question, s'était fait un malin plaisir d'opposer la sévérité draco-
nienne du gouvernement en Silésie contre les Polonais, à son in-
dulgence paternelle à Fribourg, à Dortmund et à Essen, où des
employés de tout grade avaient publiquement contracte des alliances
électorales avec les socialistes que naguères on stigmatisait comme
les ennemis les plus acharnés du trône et de la patrie.
M. Delbruck, le représentant du chancelier, a eu le courage peu
enviable de faire l'apologie des mesures du gouvernement il a eu
le courage de prétendre que ce déplacement n'avait aucunement le
caractere d'une punition et que, contre les efforts des Polonais de
maintenir leur individualité ethnographique, tous les moyens étaient
licites. On n'a jamais entendu soutenir au sens le plus repréhen-
sible, ni plus ouvertement ni plus piètrement, la thèse que la fin
justifie les moyens. Dirigés contre les Polonais, ces principes trouvent
toujours un écho dans le camp des nauonaux-liberaux et dans les
rangs des hobereaux, voire même sur quelques bancs des prétendus
progressistes ils ont été nagelles d'une façon d'autant plus san-
glante par M. Grober. qui depuis quelque temps tient avec éclat le
rôle de ~M/Mr du Centre ~Quand l'Etat, dit-il, le monarque, la
représentation nationale ont promulgué une loi qui donne au fonc-
tionnaire le droit de tote, je regarde comme incompatible avec ce
droit, la prétention de faire surveiller et régler l'exercice de ce droit
par les supérieurs hiérarchiques. Un suffrage dépendant des instruc-
tions de l'autorité, n'est plus un droit légal, c'est la dépendance
d'un serviteur du plus bas etage, qu'on mene par la force et que
néanmoins un honnête homme n'oserait pas dans la vie privée vio-
lenter au point de lui imposer un bulletin de vote. Une pareille
action sur le fonctionnaire serait pire que le traitement d'un valet
du dernier degré dans le service privé. Il n'y a plus de droit, lors-
qu'un supérieur peut me dire Vous avez à voter tel ou tel candidat
ou bien a vous abstenir 1 L'idée du droit électoral implique celle de
la liberté du vote. Ce serait trop drôle si on voulait imposer au
législateur qui crée le droit de vote l'obligation d'ajouter encore cet
alinéa: le droit doit être exercé librement. Toutes nos enquêtes a
propos des influences illégales sur les électeurs n'ont aucun sens si
l'on n'admet pas comme un axiome que le droit de vote et la liberté
du vote ne forment qu'un concept indivisible." Les mêmes protes-
tations indignées furent portées à la tribune par l'orateur socialiste.
A ses yeux, les déclarations du gouvernement, des conservateurs et
des nationaux-libéraux ont donné le coup de grâce à cette phrase
stupide, que le scrutin public est la pierre de touche de la virilite
des convictions. ~Représentez-vous, dit-il, la situation d'un malheu-
reux qui a femme et enfants et qui n'a rien que son pauvre salaire
d'employé; ngurez-vous les angoisses de cet homme placé dans
l'alternative ou bien de voter et d'être en conséquence brutalise ou
bien de s'abstenir avec le sentiment qu'on commet à son egard l'in-
BEVUEDU MOIS.

justice la plus criante, qu'on le prive du droit de faire ce qu'il


regarde comme bon, qu'on lui escroque sous le couvert de règle-
ments brutaux des droits garantis par la Constitution." Représentez-
t ~Croyez-vous que ces milliers de fonc-
vous ce que cela signifie
tionnaires aient du sang de poisson dans les veines Qu'ils n'aient
aucun idéal ? Et cet idéal serait-il faux à vos yeux, il n'en reste pas
moins l'idéal aux sipns. Ni M. Delbruck, ni M. Kraetke ne sont
l'incarnation de l'Etat demain il y aura d'autres hommes à leur
place sans que nous, et peut-être eux-mêmes, en sachions le pour-
quoi."
Vous seriez bien b" d
dans l,
l'erreur, si vous vous imaginiez que le 1
droit d'association et de reunion est plus respecté dans certaines
provinces prussiennes que le droit électoral L'interpellation partit
cette fois de la gauche. C'est elle qui a couvé les articles de la loi
de 1008 où l'arbitraire de l'administration prussienne se donne libre-
ment carrière, elle veut qu'on les trouve
mignons,
Beaux, bien faits, et jolis sur tous leurs compagnons.
Mais on leur avait prédit que la police prussienne et saxonne
les défigurerait, et cela remplit de dépit les bons apôtres des natio-
naux-libéraux et de la démocratie qui, pour l'honneur d'être les
caudataires du prince de Bulow, se sont faits les Judas de plus
d'une liberté fondamentale. Aussi M. Muller-Meiningen ecume-t-il,
en racontant comment la police traite de reunions politiques, même
les bals organises par les associations politiques. A Glauchau, elle
e\ige la liste des danseurs, mais fait grâce de celle des danseuses.
Les discours sur les cimetières sont interdits parce que la loi ne
permet pas les assemblées à ciel ouvert. Les réunions politiques
sont seules sujettes à la déclaration, or un président fut condamné
parce qu'il n'avait pas mis dans sa déclaration que l'assemblée serait
politique, comme si cela n'allait pas de soi par le fait même de la
déclaration, tout à fait inutile dans d'autres cas. M. Stieber, un
autre père de la loi, cita des faits non moins desopilants. D'apres
le Conseil d'Etat prussien (Kammergericht) un enterrement devient
réunion publique soumise à la déclaration quand, par exemple, l'un des
assistants dit Au nom de la Socialdemocratie nous te dédions
cette couronne!" ou bien: Que la terre te soit légère! mais l'en-
terrement cesse d'être un cortège public si l'orateur se contente de
dire "Je dépose cette couronne sur !a tombe de notre compagnon",
parce que dans ce dernier cas, il n'exprime pas un sentiment, mais
constate simplement un fait non interdit par la loi ?C'est à se
rouler, et nos lecteurs voient que l'on ne s'ennuie pas tous les jours
au Reichstag, que les T~eMr~ de Racine ne sont pas morts et que
les juges de Potsdam rédigent quelquefois des considerants tout à
fait tolichons.
On se figure comment la loi est appliquée aux Danois du
Schleswig; le députe Haussen nous a eue des cas tout à fait curieux
qui auraient fait le bonheur de Labiche. Le i3 juillet, le fermier
Petersen donne son repas de noces tous les invités étaient munis
de cartes personnelles. Donc une société close au sens le plus strict
du mot. Soudain apparaît le gendarme et se poste dans la salle de
la fête; le fiancé le prie de s'éloigner, mais il ne bouge pas sous
prétexte qu'il a reçu l'ordre du sous-préfet de surveiller une réunion
publique. Un fait semblable arrive trois jours plus tard. Société
nuptiale, close et un seul convive non invité, revêtu non de la robe
nuptiale mais de la tunique du gendarme. Le fiance veut faire valoir
l'inviolabilité du domicile privé; mais le gendaime est là sur ordre
BEtUEDUMOIS.

du sous-préfet et il assistera à la noce, pour les surveiller, jusque


bien avant dans la nuit. Ce n'étaient que deux faits entre cent autres
beaucoup plus graves, et s'il se pouvait, d'une illégalité plus fla-
grante encore. On se tromperait fort si on croyait que la représen-
tation du chancelier désavouerait purement et simplement des
fonctionnaires aussi autocrates: ce serait mal connaître l'esprit qui
règne aujourd'hui à la chancellerie. M. Delbruck se réfugia dans le
maquis de la procédure, en prétendant que tout cela ne le regardait
pas, la loi ayant elle-même iemis l'exécution de la lot aux Etats
particuliers. En cela il avait raison, mais ce en quoi il avait tort,
c'est de prétendre que ces règlements particuliers et la jurisprudence
des dits Etats n'étaient pas diamétralement opposés tantôt à la lettre
et tantôt à l'esprit de la loi. M. Magdan, du parti démocratique, lui
a répondu entre autres ce qui suit ,,Avec la méthode que vous
suivez, vous élevez non seulement des socialistes, mais des Po-
lonais, des Danois, et comme nous venons de le voir, des Alsaciens-
Lorrains. I) taudrait pourtant enfin se demander les insuccès
a a enregistrer après
que notamment la Prusse dans 1 assimilation des
populations de langue étrangère, s'il n'est pas grandement temps
d'entrer dans d'autres voies.* C'est aussi notre avis et celui de beau-
coup d'autres qui tiennent beaucoup plus a la pacification des esprits
que les partisans de la MM/tt'ere for te.
Entre temps on avait discute en première lecture le projet de
loi sur la réforme du Code de procédure pénale. Depuis longtemps
l'opinion publique réclamait une instance d'appel pour les sentences
des chambres correctionnelles, contre lesquelles il n'y avait point
d'appel proprement dit, mais seulement une instance de révision à
la cour de Leipzig. Le nouveau projet donne en partie satisfaction
a cette revendication si bien fondée avec quelques amendements, il
deviendra passable. Du reste, le jury est maintenu pour les crimes
tandis que les chambres correctionnelles sont transformées, par
l'adjonction d'assesseurs laïques, en petites cours d'assises ou, si
l'on préfère, en tribunal d'echevins supérieurs le juge de paix au
contraire connaîtra seul des contraventions de simple police et ne
sera assiste d'echevins que pour les delits soustraits a la juridiction
des tribunaux correctionnels.
Vers le même moment, M. de Schœn faisait distribuer un Liyre
~MC sur l'affaire des frères Mannesmann au Maroc il resulte de
ce document que le droit de ces brasseurs d'affaires n'est de long-
temps pas aussi clair qu'ils le prétendent et que le cabinet de Berlin
agit très correctement en acceptant de faire juger le litige par un
tubunal d'arbitrage. En somme le public n'est pas content, on
accuse le chancelier et le secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères
d'ètre trop conciliant vis-à-vis de la France cela prouve que les
ravages du pangermanisme sont plus profonds et plus étendus qu'on
ne le pense, cela prouve surtout que tes frères Mannesmann dis-
posent de sommes énormes et que leurs mulets chargés d'écus
s'emparent dans la presse de forteresses que jusqu'ici on croyait
imprenables.
Pendant que les interpellations faisaient rage au Reichstag, les
débats sur l'école prenaient une ampleur que l'importance et l'ac-
tualité de la question scolaire expliquent suffisamment. Quand nous
disons ampleur, cela ne s'entend que de l'étendue en longueur chrono-
logique, mais nullement de l'étendue en hauteur. Que l'on est loin
des beaux et nobles tournois où Montalembert, Berryer, etc., croi-
saient l'epee avec M. de Salvandy, Thieis et autres défenseurs du
monopole universitaire. La droite actuelle a néanmoins montré une
REVUE DU MOIS.

supériorité incontestable sur les orateurs ministériels. M. Grousseau,


l'abbé Gayraud, M. Piou ont su tenir très haut et très vaillamment
le drapeau du droit et de la liberté, ils ont flétri, comme il le fal-
fait, cette neutralité mensongère qui avec une irrésistible logique a
conduit le maitre, les manuels scolaires et l'enseignement dans les
voies de l'atheisme les plus avancées. Il faut rendre cette justice à
M. Bnand qu'il a été moins inconvenant et moins sectaire que son
collegue de l'instruction publique, il a eu quelques lueurs d'honnê-
teté en reconnaissant que les pères de famille ne doivent pas être
dépouillés de leur droit de surveillance de l'école il affirme aussi
ne pas vouloir du monopole universitaire. Mais il n'a pas osé dire
comment il entend la liberté. Cette question a son importance, car
il y a des gens dont la conception de la liberté d'enseignement ne
diffère guère du plus rigoureux: esclavage. L'auteur d'un article de
la Revue; CoMMenf ~ro~e?- la loi Falloux? demande simplement à
l'Etat de ne plus sanctionner l'enseignement libre, car par la il
approuve la mutilation des ouvrages des grands penseurs il re-
garde comme nécessaire de revenir au régime du certificat d'études
et d'exiger des candidats au baccalauréat un stage dans un lycée
ou un collège. Ce ne serait pas supprimer la liberté d'enseigne-
ment. L'Eglise reclame le droit d'enseigner; des pères de famille
veulent lui confier leurs enfants Soit Que des professeurs con-
servent au nom de la liberté, la licence de défigurer l'histoire, de
bannir de leurs classes les œuvres des penseurs, d'atrophier les
germes de raison dans l'esprit des enfants. Mais qu'on ne demande
pas à l'Etat de sanctionner une pareille éducation." Si ce n'est pas
là le monopole, les mots ont perdu leur sens 1
Mais où M. Briand a été malhonnête, c'est quand il a repris la
vieille rengaine, que la campagne des evêques contre l'école pré-
tendue neutre a été inspirée par l'hostilité contre le régime répu-
blicain. Et d'abord les evêques ne sont pas les seuls à prétendre
que l'école ne peut pas être neutre et qu'elle ne l'est pas. M. Payot,
l'auteur d'un manuel condamné, dit lui-même ,Nous expions l'er-
reur commise par les fondateurs de l'enseignement laïque, qui, pour
ne pas effrayer les adversaires, ont introduit cette notion de neutra-
lité qui à l'expérience paraîtra une impossibilité. On n'est pas
neutre entre la vérité et le Il faut choisir. Est-ce
mensonge. Et M. Aulard
que les évêques disent autre chose~ de son côté
n'ecrivait-il pas dernièrement: ,,Ne disons plus: nous ne voulons
pas détruire la religion. Disons au contraire nous voulons la
détruire."
M. Briand a eu l'air aussi de ne pas contester aux évêques le
droit de mettre un manuel à l'index à plus forte l aison aurait-il
dû dénier aux instituteurs le droit de les poursuivre. ,,0n ne voit
pas en effet, écrit l'abbé Naudet, contre quoi les instituteurs peuvent
bien protester. Aucun n'est visé personnellement, et les évêques
n'ont fait qu'user du droit de chaque citoyen de contrôler et de
critiquer l'administration du pays. A ce compte, les journalistes par-
tisans de la liberté d'enseignement devraient être poursuivis en masse,
leur polémique étant autrement violente que la lettre de l'episcopat;
à ce compte on n'aurait plus le droit de protester contre les dames
ni même contre les trans-
du téléphone,
formé en fondrières les rues de Paris. –
ingénieurs officielspublique
L'école qui ont repose
sur deux principes celui de l'obligation et celui de la neutralité
si le gouvernement autorise la violation du second, comment
s'étonner de voir les évêques autoriser et même prescrire la violation
du premier ? Peuvent-ils accepter que, sinon dans toutes, au moins
REVUEDU MOIS

dans un grand nombre d'écoles, l'enseignement de l'Etat devienne


une entreprise systématique de déchristianisation ?"
Nos batailles électorales, quelque violentes qu'elles soient, sont
des jeux d'enfants a côté de celles que libéraux, unionistes, socia-
listes et Irlandais viennent de se livrer du 14 au 28 janvier. Nous
n'avons plus besoin de notre imagination pour nous en représenter
le tableau, la photographie nous le montre tout vivant dans ces vues
de meetings en plein air, d'automobiles servant de tribune, de maisons
couvertes d'affiches du rez-de-chaussee aux mansardes. A ne considérer
que le nombre de sièges gagnés, ce sont évidemment les unionistes,
on ne dit plus tories, qui ont triomphé des libéraux, on ne du plus
whigs, auxquels ils ont enlevé près d'une centaine de sièges mais
lis n'ont pas la majorité, car les socialistes sont aussi des ministe-
riels et les Irlandais sont un appoint compromettant. M. Asquith
restera donc au pouvoir et obtiendra le vote de son budget. Y res-
iera-t-il longtemps? Rien n'est moins certain, car il est à la merci
d'une combinaison des unionistes avec les Irlandais, qui penchent
vers la tart~-re/brM. La lune qui va s'engager ne sera pas consti-
tutionnelle, mais économique entre les libre-échangistes et les pro-
tectionnistes. II s'agit moins de savoir si les Lords resteront une
chambre héréditaire armée du droit de veto que de choisir entre
deux systèmes, dont l'un, le protectionnisme, serait une révolution
complète dans les relations commerciales de l'Angleterre avec les
.mires nations. Espérons, quel que son le parti qui restera au pou-
voir ou s'en emparera, que la paix~de l'Europe ne sera pas troublee.
N. DELSOR.
BIBLIOGRAPHIE.

Revue d'Alsace, Janvier-Février. C.OBERREtNEp: Nic. de Boll-


willer, d'apres les Staats-Papers de Londres. G. CROMER Les
Béguinages de Ha~uenau (des papiers de M. HANAUER). – D. DE
DARTEIN: Le P. Hugues Peltre et sa vie latine de Sainte Odiie.
A. DORLAN Les aspects de Sélestat. A. INGOLD Lettres de la
princesse de Talleyrand à un Alsacien.
Revue alsacienne illustrée. Fascicule I. F. EccARD La langue
franc. en Alsace. M. MuT-rcpER La Peinture anc à Mulhouse.
Cn. OULMONT Un pottrait par J. G. Heilmann. A. GvRODtE
Maurice Achener, un graveur als. contemporain. E. PoLACZECK
Neue Erwerbungen des Kunstgewerbe-Museums. – W. R. HAM-
MANN Das untere Schloss in Zabe;n.

Etudes, 5 Jat!t~t'er. S. Augustin Professeur. – Les idées mo-


rales, du Dr Johnson. Leon V de Lustgnan, dernier roi d'Ar-
ménie. – Les Musulmans dans l'Inde. I. Les Papes et la Reforme.
Les premiers Jésuites.
20 t7~)!y!er. – La Psycho!og;e de S. Francois d'Assise. Poésie
et sens commun. Les Musulmans dans l'Inde. II Leon V,
dernier roi d'Arm. il. Lettres méd. de Lamennais au chan.
Buzzetti. Mécanisme et Vitalisme.

N. DELSOR, rédacteur responsable.

Strasbourg. Typ. F. X. Le Roux Cte.


LE FIRMAMENT.

Des que le crépuscule a déplié le \oile,


Dont ensuite la nuit nous couvre longuement,
Voici que dans le Ciel apparaît une étoile,
Puis deux, puis des milliers blillent au firmament.

On dirait des clous d'or piqués là dans l'espace,


Des diamants sertis dans l'éther azuré
Les siècles passeront sans qu'ils changent de place,
Ces diadèmes d'un Créateur adoré.

Oh Nous les bénissons ces gages d'esperance


Qui mettent leur sourire en nos jours ténébreux,
Qui parlent à nos cu.urs dans l'éternel silence
En montrant à nos yeux leurs jets d'or lumineux.

Oh les splendides nuits, quand le disque lunaire


Joint aux scintillements sa lueur argenté,
L'idéale beauté va des Cieux à la terre,
L'air s'imprègne de calme et de sérénité.

Rien ne peut égaler cette magnificence


Que sommes-nous hélas! dans cette immensité?
Un rien qui passe, un souffle, une frêle existence,
Un être comprenant son incapacité.
Revue. Février 1910. 5
M: yiMLAMKX'r.

Mais dès que l'aube nuit notre humble re\e cesse.


Car la cloche tinte et son Angélus pieu~
Nous rappelle d'un Dieu la divme promesse,
Son immolation pour nous ouvrit les Cieux,

Ah quel relèvement de l'humaine nature,


Le Tout l'u'ssant. le Roi de ce ~aste univers
Veut qu'en mourant Son Fils sauve sa créature,
Que l'Esprit-Saint mené en elle ses dons di\ers.

lpassesses et grandeurs se mêlent en notre eu'e,


L'âme ennoblit le corps d'un reflet glorieux
Astres, brillants soleils, \ous ne pouvez connaître
Ce Dieu qui vous créa. Nous sommes plus heureux.

Février !C))0. E.B.L.


A PROPOS DE JEANNE D ARC.
SIMPLES
RÉFLEXIONS.

Dans la première moitié du XV'' siècle, exactement


en i-t-2~, sur les Marches de Lorraine, dans les champs
de Vaucouleurs, à l'orée d'un grand bois de chênes le
Bois Chesnu une pauvre pastourelle vetllait à la gnrde
de son troupeau en niant sa quenouille d'une main dili-
gente. Les brebis broutaient silencieuses; dans la ramée
les oiseaux chantaient, et à l'ombre de l'herbe touffue
chantaient aussi grillons et sauterelles. Tout le paysage
était plongé dans le calme et la paix d'une belle journée.
Cette bergère avait nom Jehanne, «Jehanne la bonne Lor-
raine» comme l'appelle le poète peu féru de géographie
et pour les besoins de la rime, car celle qui commença
1 bouter les Anglais hors de France, (et on n'ignore
pas avec quel art consommé de la guerre), était bien fran-
çaise, étant née en terre champenoise.~ Rien dans son
origine obscure, rien dans son humble éducation, rien
dans ses goûts modestes ne semblait la prédestiner a de

Aucun doute n'est plus possible depuis les savants travaux,


dont les conclusions sont acceptées en Sorbonne, de Monsieur l'Abbé
~'sset, l'éminent directeur de l'Ecole Lhomond. Cf. Jeanne d'Arc
champenoise, p. M~ l'Abbé Misset.
A PROPOS D)~ .JEANNL D'ARC.

grandes choses. Le rayon de nulle étoile miraculeuse ne


s'était posé mystérieusement sur son berceau, et les anges
n'avaient pas annoncé la bonne nouvelle.
Cependant le 6 janvier 1412, après l'office de l'Epi-
phanie, il passa sur la contrée comme une vague d'allégresse,
qui remplit de joie les habitants de Domremy. Les villageois
s'interrogeaient de porte à porte, et examinaient curieuse-
ment le ciel, dans l'attente de quelque phénomène extra-
ordinaiie. Mais la voùte azurée resta sourde à leurs inter-
rogations. Rien ne se manifesta, si ce n'est un sentiment
indicible de délicieuse satisfaction, qu'on ne s'expliqua que
plus tard, quand la gloire eut auréolé le front de l'enfant
qui, ce jour-là, naquit de Jacques d'Arc et d'Isabelle
Romée, de celle-la même que nous avons laissée, tout à
l'heure, à la lisière du Bois Chesnu. Pendant qu'elle filait
sa quenouille, en accomplissant simplement et sans éclat,
son devoir d'état, elle sentit comme un souffle d'en haut,
qui, à l'instar d'une brise caressante et infiniment douce,
l'emeuiait délicieusement, divinement; elle entendit, en
même temps, des voix douces et harmonieuses lui dire,
avec une ineffable tendresse: «Jeannette, Jeannette,
sois bonne et pieuse, aime Dieu, va souvent à l'église.»
C'étaient S'~ Marguerite et S~ Catherine qui venaient
converser avec leur sœur de la terre. Et pendant quatre
ans, elle fut ainsi favorisée de ces visions qui la prépa-
raient graduellement à sa mission. Puis, un jour, formée
et préparée de la sorte et arrivée au degré de perfection
voulu par Dieu, qui est si difficile dans le choix de
ses instruments, par ce Dieu, qui, pour parler avec
Bossuet, «quand il veut faire voir qu'un ouvrage est
tout de sa main, réduit tout à l'impuissance, puis il agitn »
elle entendit une voix plus grave, plus mâle lui dire KII
y a grande pitié au royaume de France. C'est toi, fille
de Dieu, qui dois partir et sauver le pays.» Elle resta
muette de surprise et d'étonnement, et, à SI Michel, qui
lui révéla l'étonnante mission pour laquelle Dieu l'avait
destinée, elle répondit humblement: «Messire, je ne suis
qu'une pauvre lille, une petite paysanne je ne sais ni a
ni b, et jirais emmi les gens de guerre ?.»
A PROPOSDE JEA.NXrD'ARC.

Mais ses voix avaient parlé, et Jeanne y alla quand


même, et nous savons avec quel entrain, sublime jusque
dans sa mort héroïque suivie d'une merveilleuse apo-
théose, elle marcha de victoire en victoire.
Or, il est de mise aujourd'hui et de bon ton dans
certaine presse, de vouloir réduire cette étrange et mer-
veilleuse destinée aux proportions mesquines d'un fait
divers.
Les uns mettent le tout sur le compte de la sug-
gestion hypnotique. Jeanne ne serait qu'un produit de
l'hypnose patriotique qui lui aurait donné le désir, l'idée,
la volonté de sauver son pays. « Il y a, dit-on, vingt
Jeanne d'Arc à la SaIpétriere.H Je ferai d'abord remarquer
qu'à la Salpêtnère les docteurs en hypnotisme n'agissent
que sur des sujets malades ou maladifs, sur des neuras-
théniques, sur des hystériques. Or Jeanne était une forte
et saine fille du peuple. Et puis quoi, vous nous la baillez
belle avec vos vingt Jeanne d'Arc Comment vous aviez
cette réserve d'héroïnes, et aux jours douloureux, où la
patrie angoissait, vous n'en avez pas produit une seule
Quoi! vous aviez à votre disposition en i8yo tantd'épées
capables de tracer un sillon victorieux dans les champs en-
vahis de la France, et vous les avez laissées au fourreau
En vérité vous êtes bien inconscients ou bien coupables!
Non vraiment, si vous aviez eu ce sujet rare, vous l'auriez
montre! Vous avez vingt Jeanne d'Arc qui ne font rien.
Nous n'en avons eu qu'une elle a fait merveille.
Jeanne n'est pas une hallucinée, puisque l'hallucina-
tion suppose un cerveau détraqué et un tempérament
anormal. Or toute la vie de la Libératrice prouve que la
plus admirable harmonie maintient le plus parfait équi-
libre entre un corps sain et un esprit d'une remarquable
acuité. L'hallucination prend sa racine dans le désordre
mental. Or rien de mieux ordonné, de plus avisé que
l'intelligence de Jeanne, qui se montra en tous points
supérieure, aussi bien dans les réponses aux docteurs de
Poitiers et aux bourreaux de Rouen, que dans les con-
ceptions stratégiques. Non elle n'est pas hallucinée, car
A PROPOS DE JEANNE D'ARC.

aux fruits, on reconnaît l'arbre. L'hallucination produit et


développe l'orgueil, la vanité, la manie du mensonge, de
la dissimulation or quelle âme fut jamais plus exquise,
plus franche, plus délicate, plus dévouée que celle de
Jeanne? Non, elle n'est pas hallucinée, car l'hallucination
fait d'une nature de choix une créature déchue, une femme
diminuée; tandis que Jeanne est la synthèse merveilleuse
de toutes les splendeurs morales et intellectuelles de la
femme d'élite.
D'autres font entendre haut et clair, comme une fan-
fare qui doit sonner l'hallali du surnaturel dans l'histoire,
le mot magique d'enthousiasme. L'enthousiasme est un
mot commode pour expliquer les succès foudroyants de
Jeanne d'Arc, et qui n'a qu'un malheur, celui de ne rien
expliquer du tout. Car enfin les mêmes causes peuvent
produire les mêmes effets. Or en 18~0, après Sedan, un
vent sublime d'enthousiasme passa sur la France, vida
les châteaux et les chaumières et en jeta les hommes va-
lides sur les champs de bataille. Qu'a-t-il produit ? Une
page de plus dans les fastes militaires de l'Allemagne.
Alors quoi Avant la campagne de i8o6 un mouvement
splendide d'enthousiasme patriotique, soufHé par une reine
belle et fière, porta le peuple prussien sur les bords de la
Saale. Et pourtant ces bataillons nombreux et décidés.
ces escadrons superbes et aguerris vinrent expirer sur les
canons, les baïonnettes et les sabres de Napoléon à Iéna.
Alors quoi encore En vérité l'enthousiasme explique peu
de chose, à moins qu'on ne lui donne le sens étymolo-
gique, 0:9~, un Dieu qui l'inspire, et alors nous ren-
trons en plein surnaturel. Mais ceci ne fait plus l'affaire
de nos rationalistes. D'aucuns prétendent que Jeanne ne
fut qu'un instrument aux mains des prêtres. Ceux-ci
l'auraient tendue comme la corde d'un arc, qui se rompit
malheureusement sous les murs de Compiègne et s'abima
dans le bûcher de Rouen. Ils n'oublient qu'un fait qui,
dans l'espèce, a une importance capitale. Les théologiens
qui l'examinèrent à Poitiers dirent sur elle les prières
des exorcismes pour voir si, par hasard, elle n'était pas sous
A PRDf'OS T)T: JT;ANNE D'ABC.

une iniluence démoniaque. Singulière façon, avouons-le,


de préparer un instrument que de chercher a en émousser
le tranchant et la pointe t
Enfin, argument suprême pour jeter à bas de son
piédestal que la France reconnaissante a dressé à cette
envoyée du ciel, on accuse l'Eglise de n'avoir pas cru à
la mission de Jeanne, puisqu'elle l'a fait brûler comme
sorcière? L'Eglise non, mais bien les Anglais avec l'aide
d'un évoque indigne, chassé de son diocèse, renié par les
siens et vendu à l'étranger. En vérité, c'est vouloir nous faire
prendre des vers luisants pour des étoiles brillantes
Est-ce donc que toute une société humaine saurait être
rendue responsable de la félonie de l'un de ses membres ?
Est-ce donc qu'on juge une masse sur une simple et in-
signifiante unité? Qui oserait imputer au Christ Jésus,
et à ses onze apôtres ndèles, la trahison de Judas? Est-ce
que Jeanne elle-même n'en a pas appelé du jugement de
Rouen a celui du pape et de l'Eglise? Est-ce que son
procès ne fut pas révisé en cour de Rome, non pas au
XXe siècle, et dans le lointain de l'histoire, mais vingt
ans après la mot de l'héroïne? Et singulière ironie des
choses, ce sont ceux qui, dans un procès récent et ta-
meu\, ont appelé de la sentence des conseils de guerre à
la cour suprême de Cassation, qui font ce reproche à
l'Eglise
Non la vérité est tout autre.
Il y avait au XV~ siècle grande pitié au royaume de
Fiance. Sur le cercueil, ou dormaient les restes du pauvre
Charles VI, la voix d'un héraut anglais avait fait entendre
ces extraordinaires paroles: «Vive Henri de Lancastre,
roi de France'), qui ont dû troubler dans leurs tombes
silencieuses les cendres de nos vieux rois. Pour com-
prendre de quelle angoisse cette proclamation a dû étreindre
les cœurs des Français fidèles d'alors, représentons-nous
un héraut allemand faisant retentir la salle des Glaces de
Versailles de ces mots étranges «Vive Guillaume, empe-
reur d'Allemagne et roi de France. o
C'est qu'en effet, le roi d'Angleterre était maître d'une
A PROPOS DE JEAXXE D'ARC.

grande partie de la France et après la prise d'Orléans


aux abois, il tiendrait en son pouvoir les provinces du
Sud de la Loire et du Centre, comme il occupait déjà
celles du Nord et de l'Ouest. Et l'on frémit à l'idée que
le beau pays de France aurait pu rester anglais, et avec
l'Angleterre se séparer de Rome et devenir hérétique.
Et alors quand l'épée des connétables, c'est-à-dire
l'épée de la France de 1420, fut sans force et sans éclat,
un silence grandiose se fit, et, dans cette nuit du patrio-
tisme découragé, l'épée de Dieu brilla aux mains d'une
vierge. On ne saurait expliquer autrement cette série
inouïe de victoires. Elle part le 27 avril pour délivrer
Ottéans que les Anglais avaient entouré d'une formidable
ceinture de forts, pour n'y laisser entrer nul secours, et
n'en laisser sortir aucun défenseur. Et Jeanne pénétra
dans la ville sans coup férir, et le 8 mai suivant, il ne
restait plus un ennemi devant la place. Tout était balayé,
tout était emporté comme les feuilles aux vents d'automne.
Elle les suit, les traque, les pourchasse, l'épée dans les
reins, les culbute à Jargeau, les bouscule à Meung, les
écrase à Patay. En trois mois, elle délivre une ville, elle
en prend trois autres, et bat en rase campagne ces vieilles
bandes anglaises qui ne connaissaient pas de rivaux. Et
puis, elle conduit son gentil Dauphin vers l'Est. Troyes,
Chàlons ouvrent leurs portes et le 16 juillet, elle entra
avec lui dans la ville du sacre. Vraiment elle fit flotter le
drapeau de la France de clocher en clocher jusqu'aux tours
de Notre-Dame de Reims. Et elle avait j8 ans, et n'était
qu'une pauvre fille, une petite paysanne qui ne savait ni
a ni b, et qui, avant de conduire à la victoire ces vieux
fauves qui avaient nom La Hire, Xaintrailles, Beau-
manoir, Chabannes, Dunois, jureurs, blasphémateurs,
sinon sans loi, du moins sans foi pratique, les avait
conduits à la messe, au confessionnal et à la sainte Table.
Est-ce naturel ?
Tout fut surnaturel dans cette vie, jusqu'à sa mort
sublime qu'elle avait prédite: «Employez-moi, avait-elle
dit aux conseillers du roi, car je ne durerai qu'un an. w
A PROPOS DE JEANNE n'ARC.

Elle périt victime et martyre de son devoir Ah c'est que


dans la balance divine, depuis que Jésus-Christ a été sup-
plicié, un martyr pèse plus qu'un héros. Et puis il a
fallu, sans doute, cette mort, ce sang généreux et pur
")our faire refleurir les lis de France.
C'est l'honneur et la gloire des âmes nobles, des
cœurs généreux, de ne savoir résister, ni à la séduction
des beaux exemples, ni surtout à l'attrait des grandes
vertus. C'est l'honneur de la France actuelle, car elle fête
celle qui soulève un enthousiasme si général, jusque dans
cette Angleterre, dont elle avait pourtant si rudement mal-
mené les armées, et vers laquelle un même élan de foi
et de patriotisme porte tout ce beau pays, des Alpes aux
Pyrénées et de l'Océan aux Vosges. Les fêtes en l'hon-
neur de Jeanne d'Arc se suivent et se ressemblent par
l'enthousiasme spontané des populations. Chacune d'elles
néanmoins, emprunte au milieu dans lequel les solen-
nités se déroulent un cachet particulier, je dirais volon-
tiers un goût de terroir c'est l'uniformité du culte dans
la variété des décors. Et ce n'est assurément pas un
mince sujet d'étonnement de voir, en un siècle qu'on dit
sceptique, cette cillorescence de foi et de piété.

J. PH. RIEHL.
MONSIEUR L'ABBÉ AHLFELD,

Curé de Saint Pierre-le-Vieux

ET M.UBDN.

Dans l'avant-propos du tome 1' des Œ~rM ~~7/c~


de Grandidier leur éditeur, M. Liblin, raconte qu'il eut
communication, par M. l'abbé Ahlfeld, d'une copie des
manuscrits de l'historien de l'Eglise de Strasbourg, copie
faite par M. l'abbé Métroi, prédécesseur de M. Ahifeld.
«Nous avons trouvé en M. le cuic Ahlfeld, rapporte le
directeur de la Revue ~~4~acc,~ l'héritier du culte voué à
la mémoire de Grandidier par M. Métrot,~ et l'ami le plus
sympathique de ceux qui estiment les travaux et honorent
le caractère de l'historien. La copie de M. Métrot nous
fut donc confiée avec un empressement touchant et une
bonne grâce parfaite. C'est cette copie qui fut désormais

Tome I, p. V.
M. Métrot était apparenté aux Grandidier. (Cf. ib. II, p. 2g6,
note 2.)
Cette copie se composait de 55 cahiers in-i2. Rendue à M.
Ahlfeld par M. Libhn, elle fut acquise, à la mort du curé de Saint
Pierre-te-Vieux, par la ville de Stiashourg, pour la somme de
go francs. (1 ettre a M. Libhn de M. l'abbé Metz, exécuteur testa-
mentaire de M. Ahlfeld, 3 février iS~-o.)
MHXSIEUR L'ABBÉ AHLFELD.

utilisée pour l'exécution typographique, et qui nous a ainsi


une grande partie du travail de transcription
épargné
auquel il aurait. fallu nous livrer.»
Mais M. Ahlfeld ne s'était pas borné à rendre à
M. Liblin ce premier service. Comme en témoignent quel-
lettres que nous avons trouvées dans les Archives
ques
de la JRc~e d'Alsace, M. Liblin eut à diverses reprises
recours au curé de Saint Pierre-le-Vieux, au cours de

l'impression des Œz/~r~ inédites de Grandidier. Ces lettres


sont assez intéressantes pour mériter l'honneur de l'im-

pression. Comme on va le voir, elles sont surtout rela-


tives au bréviaire strasbourgeois de i-).y8 qu'il s'agissait de
retrouver.- M. Ahlfeld, consulté à ce sujet par M. Liblin,
lui répondait~ le 23 janvier 1866

Monsieur,
J'ai fait des recherches pour essayer de découvrir un exem-
plaire du bréviaire de I4./8; Je n'en ai obtenu aucun résultat. J'ai
trouvé dans la bibliothèque du Grand-Sëminatre un bréviaire sur le
dos duquel se trouve le millésime de 14.8~, mais cette date me
parait erronee: il me semble peu probable, en effet, qu'une édition
du breviaire faite en i-).yS ait eté suivie d'une autre dès i-).8o. J'ai
voulu voir le titre, il est arrache. J'ai \u dans la même bibliothèque
une autre édition qui a paiuu en i5i: la aussi manque le titre. Il est
hors de doute pour moi, Monsieur, que le mot inachevé par vous
cite. est le mot MMn~fUM: mais le reste??~' Je continuerai mes
recheiches et, dans tous les cas, j'aurai l'honneur de vous commu-
niquer le resultat, soit positif soit négatif, de mes perquisitions.
Je vous remercie a\ec effusion, Monsieur, des vœux que vous
avez la bonte de former pour mot au commencement de cette
année-ci. A mon tour, je prends la liberté de \ous offrir les
miens, et je prie Dieu qu'il vous accorde, pendant de longues
annees, une santé robuste, afin que vous puissiez, longtemps en-
core, vous rendre aussi utile que vous l'avez éte jusqu'ici.
Je partage entièrement, Monsieur, votre passion pour Grandi-
dier. C'est en ma qualité de prêtre surtout que )e sais apprécier
un homme qui a éte l'un des ornements du sacerdoce.
Avec son inflexible logique, il sait toujours iaire une juste dis-

C'est dans le IVe volume des Œ!we.! N:e~f< p. 363, qu'il y


avait a completet pour le titre du bréviaire de l'cvuque Robert de
Bavière, le texte de Grandidier.
MONSIEUR L'ABBÉ AHLFELD.

tinction entre la religion et ses ministres, et ne rend pas celle-là


solidaire des faiblesses et des vices de ceux-ci. La religion, telle que la
conçoit Grandidier. est toujours belle, toujours grande: tl la dégage
de toutes les petitesses qu'on a su y mêler sous sa plume elle est
ce qu'elle doit être notre force et notre consola'tion dans les luttes
et les angoisses de la vie.
Laissez-moi vous feliciter, Monsieur, de la gloire dont vous vous
couvrez en éditant les œuvres de cet homme illustre, et du droit
que vous avez à la reconnaissance de tous les hommes éclaires, et
particulièrement à celle de tous les Alsaciens amis des lumières et
du véritable progrès.
Agréez, mon cher Monsieur Liblin, l'expression de mon bien
affectueux dévouement. Am.FCLD.

Quelques mois après le curé de Saint Pierre-le-Vieux

pouvait annoncer qu'il avait trouvé le bréviaire en question


dans la bibliothèque de Strasbourg, où ce rarissime

ouvrage a disparu avec tant d'autres trésors, on sait à

quelle époque, parce que « sur les plans de l'assiégeant


la bibliothèque, dont la haute toiture se voyait distincte-
ment par dessus les remparts, fut
prise pour la mairie!~
Quoi qu'il en soit, voici les deux lettres par lesquelles
M. Ahlfeld annonçait sa découverte à M. Liblin

Strasbourg, le t3 juillet 1866.


Monsieur,
Probablement j'atrive beaucoup trop tard pour vous annoncer
que le bréviaire de t-).~8 existe à la bibliothèque publique de Stras-
bourg. S'il en est temps encore, j'irai transcrire le passage que vous
avez trouvé inachevé dans les manuscrits de Grandidier. Comme je
ne veux pas abuser de moments aussi précieux que les vôtres, je me
borne à vous dire que si dans la huitaine, je ne suis pas honoré
d'un mot de réponse de votre part, je regarderai mon offre comme
inutile.
Agréez, Monsieur, l'expression de mon profond respect.
AHLFELD.

Liblin doit accepter la proposition de son correspon-


dant dont la lettre suivante, datée du 18, commence par
donner le titre du bréviaire de i-).78; puis M. Ahlfeld
continue

< Ac~Me catholique de février )<)o5, page n6.


MONSIEUR L'ABBË AHLFKLD.

.Vous vous plaignez avec raison, Monsieur, du peu d'em-


que met le clergé à se procurer le travail si pré-
pressement
ctcuxde Grandidier; je crois trouver les motifs de cette absten-
non dans l'absence des deux premiers volumes qui ne sont
entre les mains que de bien peu de personnes. Comme l'ouvrage est
necessairement cher pour des gens dont le revenu est plus ou moins
restreint, et comme en même temps il n'est pas entier pour tous
ceux qui n'ont pas le bonheur de posséder les deux premiers vo-
lumes, tous les ecclésiastiques qui ne se livrent pas à des études histo-
riques approfondies, restent indifférents à l'apparition de ces trésors
de science et de vérité, dont la vue devrait les transporter.
Vous pensez, Monsieur, que les exaltés des deux camps ne se-
ront contents ni de Grandidier ni de vous. Est-ce que les e\attes sont
jamais contents de quelque chose ou de quelqu'un? Ce sont des
~ens qui voient tout à travers un prisme, et dont le jugement est
faussé par la passion. Pourquoi ne pas avouer que c'est la corrup-
tion du clergé qui a amené la Réforme? L'histoire sera toujours là
pour le dire, et la religion ne peut en soufïnr qu'aux yeux des sots,
qui ne savent pas la distinguer de ses ministres. Pourquoi d'un
autre côté ne pas avouer que les Reformatées ont fait fausse route,
et qu'au lieu de travailler à éloigner les abus, ils ont attaqué la
religion elle-même, et se sont laissé aller à des emportements et à
des excès qui les ont déshonorés. II est malheureux qu'il y ait si
peu d'hommes qui aiment la vérité, et qui sachent faire, en sa fa-
\eur, le sacrifice de leurs idées, de leurs opinions et de leurs
passions.
Grandidier me paraît être le type du savant consciencieux et
franc. qui ne cherche que la vérité et qui a le courage de la pro-
clamer lorsqu'il a eu le bonheur de la trouver. Vous êtes, Monsieur,
h digne représentant de cet illustre auteur, et \ous rendez à la
science, à l'Alsace et à la religion un immense service en éditant
ses écrits.
Agréez, Monsieur, l'expression de mon respectueux devoue-
ment. AHLFLLD.
On devine que je reproduis avec joie ce beau té-
moignage, en faveur de Grandidier et de Liblin, d'un
homme aussi honorable et aussi justement vénéré que
M. le chanoine Ahifeld.~ M. C. INGOLD.

Dans une note de M. Liblin, ajoutée à ce petit dossier, le


fondateur de la Revue d'Alsace rapporte que ,,M. Ahlfeld le visite
souvent à la prison de la rue du fil avant ta condamnation par fe
conseil de guerre et la transportation dans la forteresse de Wesel",
Cf. Revue d'Alsace, 1870, p. 4.33.
CAUSERIES JAPONAISES.
Souvenir d'un missionnaire alsacien.

(Suite.)

Quand vous êtes invité à un repas, on a l'habitude


de vous offrir les meilleurs morceaux pour les amis ou
invités qui n'ont pu venir. Ainsi, quand je quittais une
table pareille, remportais toujours un bon morceau de pois-
son ou de gâteau pour le père ou le catéchiste qui était
resté au logis. Une autre habitude du pays consiste à
empocher pendant le repas un bon morceau qu'on ne
peut manger et de le fourrer dans sa poche ou dans
son /M~<?~oro, pour les femmes ou les enfants restés à la
maison, ou même pour soi. C'est reçu, c'est de bon ton;
du reste on vous sert plein l'assiette. Vous voyez alors
le Japonais attablé sortir un morceau de papier, dont il
est du reste toujours muni, et y envelopper délicatement
les mets de son choix, et cela devant tous les convives.
Cette coutume a bien amusé nos diplomates et con-
suls européens, quand ils invitaient leurs collègues japo-
nais à dîner.
Quand nous allons visiter nos chrétiens, ils sont
heureux que le missionnaire accepte et daigne manger
tout ce qu'ils lui offrent. Il ne faut pas alors faire le diffi-
cilc ou le dégoûte. Ce serait une impolitesse, même de
faire voir qu'on n'aime pas un mets.
CAUbEHUijS JArONAlhËS.

Quand on rencontre les Japonais chez eux dans une


tenue négligée, vite ils se couvrent de leur vêtement; car
ii est très mal vu de paraître en tenue débraillée, ou
b~ns être complètement vêtu. Sur ce point le Japonais est
très exigeant.
Quand ici on veut appeler quelqu'un d'un signe de la
main, on fera un mouvement tout opposé i celui qui dans
ce cas est reçu en Alsace. On se servira du signe, qui chez
nous signifie: «va-t-en !»»
Pour dire: «c'est moi », le Japonais mettra son index
non pas sur la poitrine, mais sur le bout du nez.
En se rencontrant par voies et par chemins, ils se
servent à peu près des questions usitées en Alsace: «où
allez-vous? – il fait chaud il fait froid vous tra-
vaillez rude avez-vous termine votre journée? hann er
firôwa ?. Le temps, la saison, le genre de travail jouent
un grand rôle dans ces manières de s'accoster, tout comme
en Alsace.
Dans leurs conversations, nos Japonais auront grand
soin d'éviter les termes grossiers ou indécents. Pour
mourir, ils diront: «fermer les yeux à jamais – pour
manger: « élever a la bouche ». On use et on abuse de la
voyelle o, qui précède presque toutes les phrases japo-
naises, et qui renferme un sens honorifique.
Quand les chrétiens chinois vont se prosterner devant
le missionnaire, celui-ci reste tout droit et ne bouge pas.
Au Japon, nous ne saurions nous le permettre ce serait
impoli et même dédaigneux.
Quand le Japonais doit vous parler de quelque chose
de pénible, il usera de précautions oratoires, de circon-
locutions de toutes sortes. Quand il s'agira de vous ra-
conter quelque chose de malpropre, il s'en excusera par
des phrases agréables. Pour obtenir une demande, on ne
fera pas directement, mais on tournera autour de la
question, de façon à faire deviner l'objet de la supplique:
ce qui embarrasse beaucoup les nouveaux-venus, qui ne
savent pas ce que signifient toutes ces phrases creuses qui
se prolongent durant des demi-heures. C'est à vous à
CAUSERIES JAPONAI&ES.

comprendre le fin mot de cette phraséologie composée de


demi-mots, de compliments et de félicitations.
Par contre, les Japonais sont grandement choqués de
nos allures franches, de nos façons d'entrer directement
en matière. Evidemment, c'est à nous de nous plier à leur
politesse et non pas réciproquement. Sous ce rapport, il
nous est même difficile de trouver un bon professeur. Ces
messieurs vous diront toujours que vous faites et que
vous parlez très bien. L'important pour eux n'est pas de
dire ce qu'ils pensent, mais d'être poli et de vous plaire:
ils ne sortent pas de là. Quand nos hommes de confiance
comprennent enfin qu'il faut enseigner telle chose au mis-
sionnaire, ils emploient mille tournures aimables; comme
quoi il leur coûte énormément d'être impoli ou de sembler
l'être.
D'autre part; vous aurez souvent un domestique, voire
même un catéchiste, vous demandant son congé et s'en
allant sans rien dire, plutôt que de s'expliquer par un
mot qui arrangerait tout et cela tout simplement parce
qu'il aura été froissé par une impolitesse.
Souvent aussi un Japonais se servira, pour obtenir
une chose importante, d'une tierce-personne appelée M/M
datschi, (entremetteur).
Je ne parle pas de toutes ces prostrations et autres
postures humiliantes, par lesquelles les s~MïMraï humi-
liaient le peuple d'autrefois. C'était non plus de la poli-
tesse, mais de la servitude. Aujourd'hui, même quand le
mikado traverse une rue, on se contente de se découvrir
et de lui crier force manzaï (dix mille années de bon-
heur !).
Je ne mentionne pas non plus les manières plus
libres qui se rencontrent parmi le bas-peuple, comme les
voituriers, les manœuvres, etc. Je parle du Japonais en
général, qui tient à être poli et agréable.
Nos Nippons aiment beaucoup les visites de céré-
monie, de condoléances, de reconnaissance etc. Pour
vous remercier d'un service rendu, ils vous apportent
des oeufs, des fruits, ou même un objet d'art. Ils
CAUSERIES JAPONAISES.

l'enveloppent dans un beau foulard, qu'ils dénouent en se


prosternant devant la porte puis ils placent le cadeau de-
vant eux et vous demandent la permission de vous offrir
ce H~~A'c? (objet minime), tout en le poussant de la main
~t en allongeant le bras vers le destinataire et le faisant
lisser sur les nattes aussi loin qu'ils peuvent. Cela
.ign)ne que le visiteur et le cadeau sont trop indignes
pour se rapprocher de l'hôte de la maison.
Les chrétiens ollrent des présents au père à l'occa-
sion du nouvel an et toutes les fois qu'il leur a rendu un
service signale. Un nouveau-venu du quartier envoie des
cadeaux à ses voisins pour gagner ou entretenir les bonnes
relations. Les fournisseurs envoient quelque chose à leurs
clients pour la nouvelle année, les employés et les offi-
ciers à leurs chefs pour gagner leurs faveurs. Souvent on
voit arriver de Jolies boîtes sans raison apparente mais
attendez et vous découvrirez bientôt le bout de la ficelle
l'expéditeur aura un service à vous demander et a voulu
préparer le terrain par cet envoi inattendu. Quel désap-
pointement quand alors vous lui déclarez subitement
«J'accepte bien ton cadeau mais je ne puis t'accorder ce
que tu me demandes. M Quant a refuser le présent, on ne
le peut, on risque de passer pour impoli.
Quand il vous arrive malheur, les amis et connais-
sances viennent vous faire une visite de condoléances.
Mais le Japonais est surtout fort pour les remercî-
ments. Même pour les moindres choses et même à l'égard
des domestiques, il aura un mot de reconnaissance. Rien
ne vous concilie nos Nippons que ces petites formules de
reconnaissance.
Si vous avez été favorisé d'un heureux événement,
les connaissances viendront vous en féliciter.
Quand une personne un peu honorable part pour un
voyage, il est reçu, que les subordonnés, quand c'est un
chef, que les chrétiens, quand c'est un père, l'accom-
pagnent un bout de chemin de même, on viendra au-
devant de vous pour le retour, après une longue absence.
Ils aiment beaucoup ces démonstrations. Et ils ne man-
Retue.FevtietIMO.
CAus'ifn:&JAruN\ïS]:

queront pas non plus de rapporter un présent du pays


visité, du pèlerinage entrepris, un souvenir pour les en-
fants et pour lcs amis.
Une autre coutume originaie, c'est la visite qu'on se
fait au milieu des fortes chaleurs, pour demander des
nouvelles de la santé et vous apporter un cadeau.
Toutes ces sortes de présents sont invariablement en-
veloppés dans un papier de couleur blanche et rouge. La
première est le signe du deuil ainsi aux enterrements, on
se revêt ici du kimono blanc. La couleur rouge est celle
de la jeunesse, de la joie, des fêtes aussi les enfants et les
jeunes filles préfèrent-ils les vêtements de couleur rouge
écarlate; et les bonnes d'enfants chantent dans la rue et
font chanter à leur petits: «Accordez-moi des habits ornés
de rouge C'est une invocation adressée au ciel ou au
soleil. Voici donc la signification de la ficelle de papier
rouge et blanc: c'est le deuil et la joie, dont se com-
posent les vicissitudes humaines, et dont il faut porter
l'un avec résignation et l'autre avec reconnaissance; sur-
tout, il est bon d'y songer à l'entrée d'une année nouvelle.
Plus loin, il sera question de toutes sortes d'autres em-
blèmes qui accompagnent toutes les fêtes et cérémonies
japonaises.
Outre ces ficelles bicolores, appelées ~M/t'<, on
collera sur la boite à présent un morceau de papier aux
mêmes couleurs, papier bizarrement plié et qui renferme
un tout petit morceau séché d'un certain mollusque marin,
que les Japonais appellent <!jj~ et qui est l'emblème
d'une longue et heureuse vie, apparemment puisque cette
bête est douée d'une grande longévité.
Etant donné cet ensemble de civilités, l'on verra
rarement des rixes, l'on n'entendra guère d'injures en pays
nippon. On évitera soigneusement, parmi gens bien édu-
qués surtout, de se rudoyer, voire même d'élever la voix.
Et même les avis et les ordres aux domestiques seront
donnés d'un ton calme et poli. Peu de Japonais ru-
doient leurs subordonnés. Le colonel dira à son bros-
seur «Monsieur le brosseur, veuillez me cirer mes sou-
CAUbERJEh-)0]'ONAISES.

iiers)), ce qui amuse beaucoup nos officiers français appelés


pour instruire l'armée japonaise. Eux-mêmes m'ont raconté
ce dernier fait.
D'un autre côté, les domestiques recevront les ordres
de leurs maîtres en se tenant accroupis sur leurs nattes
et en proférant force salutations et A'<M/A'o;M<2r~ en
français: «Je reçois humblement tout ce que vous me
dites ».
Abordez n'importe quel Japonais, même celui qui
serait tenté de vous insulter, dites-lui une politesse, et il
est désarmé, même il devient votre ami. Les élèves, si nom-
breux et si tapageurs à Tokio, aiment parfois à jouer, tout
comme ceux de Paris, quelque mauvais tour à leur pro-
chain eh bien passez au milieu d'eux pendant la ba-
garre, dites-leur un mot gentil, original, et les voilà
désarmés ils seront même dans le cas de vous faire une
visite de reconnaissance.
J'ai passé à Tokio partout, à tout heure du jour et
de la nuit, j'ai pu aborder n'importe qui, et jamais je n'ai
été insulté. Et notez que nous portons la soutane. Je fais
une seule exception: le Japonais pris de vin ressemble à
tout ivrogne européen.
Au milieu du monde, le Japonais est réservé et
ne montre gueie le fond de ses pensées. Même dans
les plus grandes réjouissances il se tiendra en garde; et
cet abandon, cette cordialité, qui fait le charme de nos
fctes alsaciennes, ne se tencontre guère par ici. II existe
un proverbe japonais qui dit: «Même entre amis intimes
il y a des bornes M. Parfois, j'ai pu entendre la plainte
que nous autres Européens nous sommes trop exigeants
sur le chapitre de l'amitié, que nous demandons trop de
sincérité.
Si l'on reproche aux Japonais que leurs formules de
politesse ne sont pas toujours bien tranches, ils sont dans
le cas de vous répondre que celles du beau monde euro-
péen ne le sont guère d'avantage. II faut faire une diffé-
rence leurs formules manquent parfois de sincérité dans
les rapports entre gens de classe différente; en dehors de
OAUh.t:EU:b jAtUXAISEh.

là, elles sont certainement plus franches et pleines d'égards.


En cela ils dépassent les autres peuples asiatiques et nommé-
ment les Chinois, dont la politesse cache souvent la four-
berie et la trahison, sinon quelqu'intérèt.
N'oublions pas que les Japonais sont des enfants, de
bons enfants, avec toutes les qualités et tous les défauts
des enfants. Ils sont légers, inconstants, d'une curiosité
extrême, parfois importune avec cela très précoces, par-
fois rusés; en outie avides de plaisirs, sans souci du
lendemain, aimant s'amuser de mille petites distractions.
Ils diffèrent en cela beaucoup du Chinois qui est grave,
économe et travailleur. Le Japonais travaillera pour s'a-
muser étant sobre, il ne se souciera guère d'amasser
beaucoup.
Ce qui frappe le plus l'Européen nouveau-venu, c'est
cette jovialité, ce genre bon-enfant du peuple japonais.
Outre cela celui-ci est généreux, hospitalier, toujours prêt
à rendre service. D'autre part il est très fier, très patrio-
tique, surtout dans la classe .MM~r~, et très pointilleux
sur le chapitre de l'honneur.
Gràce à sa légèreté, il s'enthousiasme facilement. Son
dévoùmeni va jusqu'à l'héroïsme; mais son feu passe vite,
et sa constance ne va pas loin.
Par suite de ce point d'honneur et de cette fierté, le
Japonais resté paien est de prime abord plein de défiance
et de mépris pour les choses étrangères; en outre on se
jalouse mutuellement, surtout les ~?~/r< au point de
vivre dans des inimitiés continuelles et ces mauvais
sentiments sont mêlés d'une dissimulation prodigieuse.,
même parmi les enfants.
(A SM~re.)
LA LÉGENDE D'OBERLIN
Pasteur au Ban-de-la-Roche.

(~~

V.

Louise Scheppler'
Servante d'Oberlin.

Louise Scheppler fut associée a la gloire d'Oberlin,


comme elle l'avait été a son œuvre. Née en iy63, elle
entra à son service a l'~ge de 15 ans et le servit pendant
~7 ans avec autant de désintéiessement que de dévoue-
ment. Oberlin, de concert avec sa femme, Madeleine
Witter, fille d'un professeur de l'Université de Strasbourg,
forma des Co~MC/r/cM, c'est-à-dire des directrices de salles
d'asile. Parmi ces conductrices Louise Scheppler se signala.
C'est elle qui, api es le décès prématuré de la femme de
son maître, dirigea son ménage et éleva sa nombreuse
famille. Quoiqu'elle n'eùt reçu dans son enfance qu'une
instruction rudimentaire, qu'elle développa, il est vrai,

V Scheppler Luise, die fromme u. getreue Ma~d. (Hrsg. v.


der wupperthaler Traktat-Gescuschat't, i8;'5in-8, 16 pages.
E. St. ch. XIV. Ed. S. 173.
LA L:ÉGE!<T)E
D'OBEBMN.

dans la suite par la lecture et la conversation avec des


gens instruits, elle aida Oberlin à réaliser son projet re-
latif à l'éducation des enfants du premier âge. Suivant
Octavie de Berckheim/ une admiratrice enthousiaste du
maître et de la servante, celle-ci trouvait, malgré les occu-
pations du ménage, assez de loisirs pour se charger de
l'instruction des petits enfants de Waldersbach, et même
trois fois par semaine de ceux des autres villages de la
paroisse. Elle leur donnait des leçons de politesse, leur
racontait les histoires de la Bible, leur apprenait les noms
français des choses qu'elle leur désignait dans la salle ou
à la promenade, leur montrait à tricoter etc. Pour con-
naître sa méthode, laissons Oberlin l'expliquer lui-même.
Dans sa lettre envoyée au président de la Convention a
l'occasion des félicitations qui lui avaient été votées dans
la séance du 16 fructidor an II, il écrit: «II y a environ
27 ans que j'établis huit institutrices pour les huit vil-
lages et hameaux de ma paroisse. Ces bonnes filles, in-
struites par ma feue femme et moi, montraient à leurs élèves
des figures tirées de l'histoire, ou des images d'animaux
et de plantes, sur lesquelles j'avais écrit les noms en fran-
çais et en patois, avec une courte description. Elles les
leur enseignaient d'abord en patois, puis elles les leur
disaient et faisaient répéter à tous en français. Enfin elles
les amusaient par des jeux qui donnent de l'exercice au
corps. Toutes ces instructions avaient l'air d'un jeu, d'un
amusement continuel. »
Cette méthode est si naturelle et si généralement
mise en pratique avec les tout petits enfants que nous
sommes surpris de cette réflexion d'Edm. Parisot Là
son génie est vraiment puissant il (Oberlin) a créé à la
fois le principe et la méthode des écoles maternelles. Cela
suffirait à sa gloire.2
On soutient qu'avant Louise Scheppler, il n'existait
que des garderies, où les enfants en bas âge étaient con-

4 Octavie de Berckheim, Souvenirs d'Alsace. T. t. p. 120–122.


2 Edm. Parisot, 186–187.
LA LEGENDE D'OBERLIN.

fies à la surveillance d'une personne, pendant que les


parents vaquaient aux travaux des champs ou delà fotét.
~lais il n'est pas vraisemblable que les femmes, reli-
ou laïques, préposées aux garderies n'aient pas
gieuses
cherche, en amusant les enfants, à leur donner des leçons
de choses, à cultiver leur esprit et leur cœur, bref à faire
ieur éducation physique, intellectuelle et morale, comme
font d'ailleurs les bonnes mères.
Quoi qu'il en soit, il est généralement reçu d'attribuer
l'établissement des premières salles d'asile a Louise
Scheppler, ou plutôt à Oberlin, puisqu'elle-méme lui en
i rapporté modestement l'honneur dans une rectification
insérée au «Courrier du Bas-Rhin.~
Cependant des institutions analogues, nées des nou-
velles conditions sociales et appropriées aux besoins de
l'époque, surgissaient alors en divers pa\s. En Suisse,
Pestalozzi inaugure, en l'an 1775, son Institut pédagogique
pour les enfants abandonnés.
Ce genre d'école se propage en Angletene, où Robert
()\ven installe, en 1816, dans son vaste établissement de
New-Lamark des écoles enfantines (Infant-Schools) qui se
multiplient à mesure que la grande industrie se développe.
Un France, Marie Cochin/ de concert avec la marquise
de Pastoret, fonde la première salle d'asile ou école ma-
ternelle de Paris. En Allemagne, l'école enfantine est
popularisée par Frœbel sous le nom de Kindergarten.~
La sollicitude dont Louise Scheppler entourait les
petits enfants valut à la brave fille, en 1820, le prix
Montyon de 5ooo francs, sur le rapport très élogieux lu
a l'Académie par Cuvier. Louise Scheppler a bien gagné
cette distinction, mais probablement elle ne l'aurait pas
obtenue, si elle n'avait été la servante du célèbie pasteur.
La gloire de l'un a rejailli sur l'autre.
Par son testament, Oberlin reconnut aussi, en des

V Emile Gossot. Les Salles d'asile en France et leur fonda-


teur Denys Cochin.
*Edm.P. 168.
LA T.t;G1';XDE T) OBKETj]~

termes touchants, les mérites et les services de Louise


Scheppler «Mes enfants bien-aimés, écrit-il, je vous lègue
en mourant ma chère servante qui vous a élevés, l'infati-
gable Louise. Les mérites qu'elle s'est acquis à notre
endroit sont infinis. Votre bonne mère l'a prise a son ser-
vice avant sa quinzième année, et elle n'eut qu'à se féli-
citer de son zèle, de son activité, de ses aptitudes. Après
la mort prématurée de votre tendre méie, elle est devenue
pour vous une fidèle gaidicnne, une mu'e soigneuse, une
institutrice; bref, elle fut tout pour vous. Son zèle s'é-
tendit plus loin. En vrai disciple du Seigneur, elle se
rendait dans les villages où je l'envoyais jéunir les en-
fants pour leui appiendre de beau\ chants, leur montrer
dans la nature les œuvres du Dieu puissant et miséri-
cordieux, prier avec eux et leur communiquer toutes les
connaissances qu'elle avait reçues de moi et de votre
bonne mère. Tout cela n'a pas été )'(euvre d'un moment,
et les obstacles innombrables qu'elle rcncontiait dans ses
saintes fonctions auraient décoma~é mille autres. Sachez
que, depuis le décès de votre mère je n'ai pu lui faire
accepter de gages. Elle dépensait même les petits revenus
de son patrimoine, et elle regardait comme un don tout
effet d'habillement que je lui ollrais de temps en temps.l»
Ces paroles font honneur à l'un et a l'autre.

VI.

Educateurs catholiques
Contemporains d'Oberlin.

Comme on vient de le voir, Oberlin et Louise


Scheppler se sont voués à la noble tache de répandre le
bienfait de l'instruction au milieu d'une population jus-

Etsass-Lothnngen V Dr HoMinger, p. 2~4. 2-p.


LA LÉGENDE D'OBEBHN.

qu'alors illettrée et inculte. Toutefois l'équité exige qu'on


fasse également mention de certains prêtres et religieuses
aussi méritants qu'eux. A ne louer que ceux-ci, à passer
les autres sous silence, il semblerait qu'on veuille pré-
senter la civilisation de ce coin des Vosges comme une
ceuvre unique, inouie, extraordinaire pour l'époque ou le
pays. II n'en est pas ainsi et ils se tromperaient fort ceux
qui croiraient que rien de pareil n'a été entrepris par
tes catholiques en Alsace-Lorraine à cette époque.
Après les désastres de la guerre de Trente Ans, le
clergé catholique se mit à l'oeuvre pour tout restaurer.
En Alsace et en Loiraine, il ouvrait et entretenait des
universités, des collèges et des écoles en grand nombre
tant dans les campagnes que dans les villes. Dans chaque
abbaye, chaque prieuré, il y avait une école scientifique
et littéraire où la jeunesse studieuse trouvait facilement
les moyens de s'instruire. La suppression de l'Ordre des
Jésuites en 1764, causa la ruine de nombreux collèges
dirigés par eux en Alsace et en Lorraine.1 Les autres éta-
blissements durèrent jusqu'à la Révolution, qui décréta
qu'aucun ecclésiastique ne pouvait être instituteur, ni
aucun religieux, ni aucun maître, ni aucune maitresse,
nommés dans le passé par des ecclésiastiques ou des ci-
devant nobles.
L'instruction primaire était également donnée aux
enfants jusque dans les moindres hameaux. L'Eglise a
toujours entouré les petits de ses soins, leur a toujours
rompu le pain de la parole de Dieu et, dans ce but, leur
a appris à lire. On a quelquefois attribué à la Révolu-
tion l'école primaire, mais elle existait chez nous et était

t M. Rhein, professeur de pédagogie, à l'université d'Iéna, a


fait dans une conférence donnée en 1909 à Cologne sur l'histoire de
l'enseignement dans les principaux pays de l'Europe, a fait, disons
nous, le plus grand eloge de l'action de l'Eglise catholique qui a
pris en mains l'enseignement public pendant des siècles, tandis que
l'Etat )e~negiigeait complètement. Lps Jésuites notamment ont donné
à l'enseignement en France un essor extraordinaire.
LA LÉGENDE D'OBEBUN.

en grande partie gratuite à cause des fondations considé-


rables faites en faveur de l'instruction du pauvre. La Ré-
volution s'est emparée de ces fondations, et en proscrivant
le clerc (le ludimagister) et le religieux, elle a amené la
fermeture de nombreuses écoles.~
Les prêtres ne se sont jamais désintéressés de l'en-
seignement élémentaire dans leurs paroisses respectives,
ils s'en préoccupaient à défaut du pouvoir civil, mais sans
les moyens de coercition dont celui-ci dispose. Qui ne
sait que le célèbre chancelier de l'Université de Paris,
Gerson instruisait les enfants du peuple, et que Saint
Vincent de Paul prenait soin des enfants abandonnes dans
les rues de Paris. Il en recueillit des centaines qu'il con-
fiait à des filles dévouées qui se chargeaient de leur in-
struction et de leur éducation jusqu'à ce qu'ils fussent
d'âge à apprendre un métier.~ Qui ne sait aussi que le
saint curé de Mattaincourt, dans les Vosges, établit, dans
sa paroisse, une école de petits garçons et une de petites
filles, où ils étaient admis gratuitement dès l'âge de quatre
ans et instruits par des maîtres et des maîtresses dévoués
et capables. Le saint fondateur, visitait chaque jour, au
début, ces écoles et perfectionnait les méthodes d'en-
seignement.3 Dans une de ses lettres~ nous relevons ce
passage a II est entièrement nécessaire et requis que les
filles soient instruites de bonne heure.»
Ceux qui soutiennent que l'Eglise ne s'est pas occupée
de l'instruction des filles, ignorent l'existence ou la règle
des Ursulines, des Sœurs de Saint-Joseph, de la Mère de
Dieu, de Saint-Charles, de Jésus et de Marie, des Hospi-
talières de Saint-Thomas de Villeneuve, des Filles de la
Sagesse, des Béates etc. Les Béates, écrit le Cardinal 1

1 Winterer. La persécution en Alsace pendant la


religieuse
Grande Révolution, p. 206.
V. L'abbé Maynard, S. Vincent de Paul (Paris, Ambroise
Bray, 1860. 4 vol.)
Vie des Saints. p. Giry et Guérin, T. XI, 58x.
4 Lettres
autographiées par Rogie, T. 111, p. 196.
LA LÉGENDE D'OBERLIN.

Honnet, résident dans les moindres hameaux des Hautes


\)pes, des Cévennes et y instruisent tous les enfants des
.J.ux sexes, en sorte qu'il n'y a pas d'illettré.~ A Senones
'~eme, il y avait des Ecoles franches dirigées par des
<<Eurs et jouissant de revenus en faveur des enfants
des pauvres. Jusqu'aujourd'hui on y conserve le sou-
"tir de Sccur Alexandre, la dernière directrice avant la
évolution. A Saint-Dié, il y avait également des écoles
Je filles tenues par des Sœurs, ains) que des écoles de
~ucons dirigées par les Frères de Saint-Yon."
Toutefois la plupart de ces prêtres et de ces reli-
gieuses voués à l'enseignement sont complètement ignorés,
jours noms sont inconnus comme ceux de maints pro-
fesseurs ecclésiastiques des Universités et Collèges du
XVI11~ siècle qui auraient pu se glonner d'avoir formé
tant d'élèves et des plus illustres. Quelle gloire eût rejailli
~ur Oberlin si de ses écoles était sorti quelque sujet
cdebie dans les lettres, les sciences ou les arts!
Dans les livres scolaires, il est tait mention du pasteur
de Waldersbach et de Louise Scheppler, mais pas un mot
de ces prêtres et de ces religieuses. Si le nom de saint
Pierre Fourrier, fondateur avec la vén. Alix Le Clerc, de
h Congrégation des sœurs de Notre-Dame, pour l'instruc-
tion des filles, et celui de saint Jean-Baptiste de La Salle,
'ondateur des Frères des Ecoles chrétiennes pour l'in-
~nuction gratuite des garçons, n'ont pas été mis en oubli,
c'est grâce à l'héroïcité de leurs vertus, à l'éclat de leurs
miracles, au développement prodigieux de leur institut,
.tu très grand nombre de leurs écoles. N'eussent-ils fait
~ue ce qu'a fait Oberlin, qui parlerait d'eux? Combien
~'ecclésiastiques, au XVIII" siècle et au XIXe en Alsace
-'t en Lorraine, se sont appliqués avec un zèle digne
d'éloges, comme Oberlin, à promouvoir l'instruction pri-
maire, et qui sont ignorés du monde. Nous ne comptons

V. le Dictionnaire des Dictionnaires de Mgr Guenn.


'Rohrbacher. Histoire de i'Eghse catholique. Liv. LXXXtX,
P.3g8.
LA LÉGENDE D'OBERLIN.

pas Mgr. Begon, évêque de Toul, Saint-Dié et Nancy,


qui publiait, en !y49, pour les écoles de son vaste dio-
cèse, un livre pédagogique: «Méthode familière pour les
petites écoles, contenant les devoirs des maîtres et maî-
tresses d'école avec la manière de bien instruire )) mais
nous pouvons mentionner le chanoine Jean Vatelot de
Toul, qui s'entendit au commencement du XVIIIe siècle,
avec quelques prêtres lorrains Guelde, curé de Trondes,
Varnerot, curé de Lucey, Royer, curé de Lagney, poui
fonder à leurs frais des écoles de village, ainsi que firent
les chanoines Jobal de Pagny et Fitte de Burnebon a
Gondreville et à Pagny-sur-Meuse.~ C'est à Jean Vatelot
que la Congrégation des Soeurs de la Doctrine chrétienne
de Nancy est redevable de son existence puis nous
pouvons citer l'abbé Moye,~ qui institua les soeurs de la
Providence de Portieux, dont le noviciat véritable école
normale, avait déjà fourni, au siècle dernier plus de 5oo
institutrices s; l'abbé Kremp, vicaire à Molsheim~, fonda-
teur de l'institut de la Divine Providence de Ribeauvillé,
qui compte aujourd'hui r8oo religieuses, dirige !~o écoles
maternelles, 3yo écoles primaires, 6 écoles supérieures,
2 orphelinats, i école ménagère et un établissement de
sourds-muets' puis l'abbé Ignace Mertian qui dota le
diocèse de Strasbourg d'une Congrégation de Frères de la
Doctrine chrétienne, destinée à préparer des maîtres
d'école, des organistes, des agronomes; le chanoine*~
Raulin, un des principaux collaborateurs de l'abbé Moye

V. les Ecoles d'un village toulois au commencement du


XVIII" siècle.
V. Vie de M. l'abbé Moye, de la Société des Missions étran-
gères, fondateur de la Congrégation des sceurs de la Providence de
Lorraine et des Vierges chrétiennes, directrices des écoles de filles
au Su-Tchuen en Chine, par l'abbé Marchai, vie. générât de St-Dié.
a V. Adolphe Joanne, Géographie des Vosges, p. 66.
Pendant la Revolution, il exerça le saint ministère à Wangen-
bourg où il s'était retiré. Traqué par les Patriotes, il fut quelque
temps détenu à Strasbourg.
V. l'Ordo de Strasbourg 1000.
Vie de M. Moye, p. 8y.
LA H';GENDE D'OBERLIN.

et qui, après avoir ouvert, à Saint-Dié, dans sa maison


un noviciat des sœurs enseignantes, relevait
paternelle,
t'mstitut de Portieux, détruit par la Révolution, tandis
oue le curé Lacombe jetait près de Sarrebourg avec le
concours de quelques religieuses de Portieux réunies après
tn tourmente, le fondement de la congrégation de la Pro-
udence de Bassel, lequel institut très répandu de nos
~ui's dans la Lorraine allemande, comptait déjà (en !8~2)
écoles avec 32000 élèves~; enfin Antoine Gapp, curé
de Hottweiler., qui institua en t8o6 la congrégation en-
seignante des sœurs de Peltre ou de Saint-André, comp-
tant actuellement y.!3 sœurs et t38 maisons.~ Quoique ces
religieuses ne trouvent pas gràce auprès de certains
esprits prévenus contre l'enseignement congréganiste, tout
homme impartial qui les a vues à l'oeuvre et constaté la
bonne éducation donnée par elles, estime ces pieuses filles
autant que Louise Scheppler.
Ainsi, au Ban de la Roche, on admirait, nous
nous en souvenons, une jeune fille protestante si bien
élevée par les sœurs, qu'elle ne le cédait en rien à ses
coreligionnaires.
Ce développement des congrégations religieuses est
d'autant plus a l'honneur des sœurs que l'Etat, toujours
jjtoux. de son omnipotence et craignant l'influence d'une
Eglise indépendante, non seulement ne les seconde guère,
mais les contrarie plutôt.

VII.

Dom Fréchard"
Voisin d'0ber)!n.

Il nous reste à parler plus longuement d'un autre


cmu!e d'Oberlin, de Dom Fréchard, curé de Colroy-la-

Ibidem et Ordo ad usum dioec. metensis.


Ordo pro anno igo8 ad usum dicec. metensis (p. to~.–to5).
P. Marton, Notice biographique sur Dom Fréchard (Nancy,
René Vagner, 1890).
LA LÉGENDE D'OBERLIN.

Roche, contemporain et voisin du célèbre prédicant. Cc


curé eut, également, fort à cœur la formation de bon-
instituteurs et de bonnes institutrices, seulement il n'eu!
pas, comme lui, à compter sur de puissants protecteurs
et de généreux subsides. C'est avec ses modestes res-
sources qu'il parvint à créer une pépinière de maîtres
d'école, en Lorraine, au commencement du XIX'' siècle,
alors que tout était à restaurer. Il accomplit la même
œuvre que l'abbé Jean de Lamennais en Bretagne, le Père
Champagnet a Lyon, le chanoine Chaminade a Bordeau\
et bien d'autres encore. Citons parmi les femmes la vén.
Mère d'Estonnac, les bienheureuses Madeleine Postel et
Sophie Barat, fondatrices de congrégations enseignantes,
répandues de nos jours sur les deux continents, Louise
Nicole qui fonda un Institut en faveur des enfants les
plus abandonnés 1 etc. etc.
Lorsque la Révolution éclata, Dom Fréchard était
religieux bénédictin à l'abbaye de Senones, dans la prin-
cipauté de Salm, limitrophe de la seigneurie de la Roche.
Expulsé de son couvent en t7C)3, traqué, déporté, puis
revenu dans son pays, il exetça a nouveau son périlleux
ministère dans la partie supélieure de la vallée de la
Bruche. Découvert enfin dans une cachette à Ranrupt, il
fut écroué dans une prison de Sa!nt-D)é, d'où il s'évada. 2
Après la réorganisation du culte, il fut nommé curé de
Saint-Remi, ensuite de Colroy-la-Roche. A peine installé,
il s'emploie à tout restaurer, à remettre les âmes dans la
bonne voie, à en retirer plusieurs du schisme, et surtout
a instruire la jeunesse qui croupissait dans l'ignorance.
Déjà aux jours les plus sombres de la Terreur, il faisait
le catéchisme, le soir, aux enfants réunis dans quelque
poële, cave ou grenier, et les préparait à la première
communion. Il était bien secondé par deux anciennes reli-
gieuses d'un dévouement à toute épreuve sœur Margue-
rite Tonnerre des Ecoles franches de Senones et soeur

Arthur Loth. Le miracle en France au XIX<=siècle, p. 325-328.


P. Maiton. Notice, 3~-3~.
3 Nartz, Th. Le Val de ViUë (S~asb.
1887).
LA LÉGENDE D'OBERLIN.

.Marie Colbe, ci-devant religieuse de la Providence à Saint-


Dic. Sous l'impulsion et la direction de Dom Fréchard,
h(Bur Marie organisa avec ses quatre nièces une petite
communauté religieuse et enseignante dans leur maison
paternelle à Ranrupt, annexe de Co!roy-!a-Roche. Ces
braves filles ont voué à cette entreprise leurs personnes et
leurs biens patrimoniaux, non sans avoir à subir les ré-
ctiminations intéressées d'un parent.l
En 1808, dès que Dom F réchard est installé à Col-
t0\ il reprend en main cette œuvre en souffrance par suite
du décès de soeur Marie en !8o5. Il engage les quatre
nièces de celle-ci à ouvrir un noviciat aux jeunes per-
sonnes appelées à la vie religieuse2, ce qu'elles firent en
jccueiDant plusieurs filles sages et dévouées et en les pré-
parant, sommairement à la vérité, au rôle d'institutrices.
C'est ainsi que ce pays fut pourvu de maîtresses d'école
dont il a gardé bon souvenir, d'autant plus qu'elles avaient
soin en même temps des indigents et des infirmes, les
visitaient après les heures de classe et leur portaient avec
des paroles réconfortantes, des remèdes salutaires. Sœur
M. Catherine Colbe avait même acquis de nombreuses
connaissances médicales en Allemagne, tandis qu'elle
soignait les blessés et les malades pendant les désastreuses
années de 1812, iStS. Sur le désir exprimé par plusieurs
d'entre elles de faire profession religieuse, Dom Fréchard
les adressa au supérieur de la Congrégation de Portieux,
le chanoine Raulin; dès lors, sa chère communauté devint
une pépinière de postulantes pour cette congrégation.
Outre les postulantes et les novices, la maison de Ramupt
recevait des orphelines et des pensionnaires venues d'Alsace
pour apprendre le français.
Ce que Dom Fréchard avait réalisé pour l'instruc-
tion et l'éducation des filles, il projeta en 1817 de le faire
pour les garçons, en formant des maîtres chrétiens des

1 Lettre manuscrite de M. Lebnube, aumônier du cou\ent de


~urtieux, petit-neveu des Sœurs Colbe.
'P.Marton,?.
LA LEGENDE D'OBERLIN.

clercs, comme on les appelait autrefois. Les campagnes


manquaient de bons instituteurs. Ceux qui remontaient à
l'ère révolutionnaire joignaient, si l'on s'en réfèie aux
rapports officiels, des habitudes d'ivrognerie ou de mau-
vaises mœurs, à l'ignorance et à la nonchalance. D'autre
part l'Empire était plus soucieux de recruter et de pré-
parer des soldats que des instituteurs. Dom Fréchard
réunit donc dans son presbytère de Colroy-la-Roche
quelques jeunes gens intelligents, sages et pieux, dans le
but de former non pas seulement des instructeurs mais
des éducateurs. Ce qui importe plus à la société et a
chaque homme. Ce devait être là, a son insu, le germe
de deux congrégations enseignantes. Il donne lui-même a
ces élèves d'une école normale improvisée chez lui, des
leçons de français, de calcul, d'histoire, de dessin, de sol-
fège, les façonne de son mieux, et persuadé que la reli-
gion seule forme les bonnes moeurs, il leur en recom-
mande l'étude et la pratique, afin d'être en état de la
bien enseigner et inculquer. Quand il les juge capables
de faire l'école, il les place dans diverses paioisses sur les
instances des curés il en cède même trois à l'abbé
Ignace Mertian de Ribeauvillé,1 qui, avec ce noyau,
créa l'Institut des Frères de la Doctrine chrétienne de
Strasbourg2 dont il a été question plus haut.
Encouragé par la réussite de cette fondation, il fait
des démarches auprès de l'évêque de Nancy, à qui sa
paroisse ressortissait, en vue de procurer à son diocèse
l'avantage d'un pareil institut et se met en quête d'une
maison plus spacieuse et plus proche de Nancy. S'étant
rendu acquéreur du couvent abandonné des capucins de

1 Ignace Mertian, professeur de mathématiques au collège


royal de Colmar, avant la Révolution, avait pris, avec son frère
Bruno, le chemin de l'exil pendant la tourmente et s'était retiré à
Breslau où il avait publié plusieurs opuscules de piete. De retour
de l'exil, il était devenu cure, puis supérieur des Sœurs de Ribeau-
villé f 1843. V. Frayhier. Histoire du clergé catholique d'Alsace.
(Colmar 1876.)
Marton 81.
LA LÉGENDE d'OBEETjIN.

Vczelise, il résignera cure avec l'agrément de Mgr d'Os-


;nond et s'installe aussitôt là-bas avec une vingtaine de
jeunes gens et trois domestiques.
En 1822, sa congrégation fut autorisée, sous le nom de
i'ières de la Doctrine chrétienne de Nancy, à fournir des
instituteurs aux écoles des départements de la Meurthe,
Je la Meuse et des Vosges. C'est tout l'appui que Dom
fiéchard reçut du Gouvernement. L'administration si géné-
leuse pour Oberlin ne lui alloua jamais rien. Et pourtant,
c était sous la Restauration. Dans le louable dessein de
1 élever l'excellence de la vocation d'instituteur aux yeux
de ses novices, notre ex-bénédictin la comparait à celle
d'un gouverneur de prince, en leur disant: «Vous de-
viendrez les précepteurs des enfants du Roi des Rois, des
héritiers de la couronne céleste. C'est donc une très grande
^ràce d'être appelés par Dieu a de si sublimes fonctions.»
Quand il les envoyait exercer leur pénible état dans quel-
que commune, il leur donnait, avec un réglement appro-
prié à leur nouveau génie de vie, des avertissements et
des recommandations, insistant surtout sur la nécessité
de la patience et l'efficacité du bon exemple. Son système
d'éducation était essentiellement religieux, le seul capable
d'armer la conscience et de l'empêcher de capituler. L'in-
struction sans la religion est plus nuisible qu'utile, comme
le démontre l'expérience.
La Congrégation qu'il avait fondée, passa par diverses
phases dispersée à la Révolution de i83o, rétablie en
1807 et bien réorganisée en 1849, un an après la mort
de Dom Fréchard, elle prit un grand développement,
jusqu'à compter 20 établissements, y compris les trois
maisons de Nancy Saint-Charles, Saint-Joseph et le
i apis-Vert, au moment de sa dissolution et de la confis-
cation de ses biens par le gouvernement blocard en 1903.
Oiose bizarre, malgré les trois susdites maisons, dignes
'd'être signalées pour le nombre de leurs élèves, leurs

Marton, 83.
Revue. Février 1910.
LA IjÉGESDE d'oBERLIX.

succès scolaires, leurs cours littéraires, scientifiques et


professionnels, leurs ateliers, leurs expositions de travaux
etc., le nom du fondateur de cet Institut est complète-
ment inconnu des Nancéens, même de M. Parisot, pro-
fesseur à l'Université de Nancy, tandis qu'une des rues
de la métropole lorraine a été baptisée du nom d'Oberlin.
Ce professeur conclut son livre par cette phrase: «On
s'étonne qu'il (Oberlin) ait eu si peu d'influence et qu'il
soit resté si méconnu.» En réalité, contrairement à Dom
Fréchard il a laissé après lui un nom plutôt qu'une oeuvre,
a la vérité un nom retentissant presque au delà des mers.
R. C. B.

(A suivre.)
L'ASCENSION D'UNE AME.

CONVERSATION D'UN SOIR D'ÉTÉ.


du Levant)
(Scènesprovinciales

(Suite)

Arvèdc, très enthousiaste et quelque peu « emballeur»,


entraîné, comme les autres et presque à son insu, par ce
mouvement ne pouvait guère demeurer en reste. S'étant
créé, en peu de temps, aussi bien en ville qu'à la campagne,
bon nombre de relations dont le rayon d'action, forcément
circonscrit, uniforme après tout, n'arrivait pas à le satis-
faire, brûlant de s'épancher, il se lança, à corps perdu,
avec la fougue de ses vingt ans auréolés de songe, dans
cette vie de plaisir et d'élégances mondaines, tout à fait
chère aux Levantins, qui s'adaptait précisément à sa nature
d'artiste, à ses goûts raffinés et son besoin inné d'une
atmosphère brillante, où l'on peut faire valoir, a\ec chance
de succès, ses avantages naturels et parvenir à plaire. Mais,
doué d'un tact très entendu et de principes indiscutables,
il savait conserver une attitude irréprochable, une parfaite
dignité en ces multiples occurrences, où l'on peut dévier,
dérailler, à même toute sorte d'accidents et de cas imprévus,
mille contingences fortuites, pour peu qu'on sache se
gouverner, se raidir aux tournants, éviter le vertige.
l/AhL'KNSlON D'UNE AME.

Répandu partout, on le voyait à Smyrne, aux cercles,


toujours tiré a quatre épingles, parmi les jeunes gommeux,
les «snobs» fleuris et pomponnés (qui ne manquent point
là-bas!), des sportsmen en renom; aux courses, aux
régates, aux réunions privées, chez les Vidal, les Dau-
busson, dans les salons les mieux cotés; aux parties de
tennis attirant l'attention, tranchant sur le banal, le
vulgaire, par ses allures originales et son cachet tout
personnel.
Au reste, sérieux et positif sous des dehors parfois
frivoles, il gardait avec soin, dans les promiscuités dou-
teuses mais inévitables des centres cosmopolites, moins
par éducation que par noblesse de caractère, par sentiment
du devoir la mesure, l'exacte notion de l'équilibre et du
maintien, il se conciliait, par là, l'estime des personnes
âgées, que ses allures intéressaient, qui suivaient d'un
regard d'indulgence, de sympathie, ses juvéniles audaces
(audaces de pure virtuosité et de dilettantisme, « esthé-
tiques» avant tout.)
De plus, il appartenait à une famille armoriée, de
«vieille souche», très honorée dans la région, et tablait sur
son nom, non moins que sur ses dons particuliers, pour
satisfaire des ambitions qu'il jugeait légitimes.
Par des efforts persévérants il se fit, parmi cette société
levantine superficielle, dépareillée, tiès louche aussi dans
certaines sphères d'aventuriers et de viveurs, une réputa-
tion flatteuse de mondain distingué, excentrique, quelque
peu intellectuel, de jeune homme élégant, de jouisseur
délicat autant que modéré et correct. Cette réputation exal-
tait son imagination, facile à s'enflammer, et chatouillait
son amour-propre qu'il avait excessif.
Cet état de choses, où il n'y avait rien de trop repré-
hensible, dura environ trois années, employées, en partie, à
ces occupations en apparence très importantes coupées
seulement de quelque lecture, d'un semblant de travail.
Mais Arvède, par bonheur, avait du jugement comme il avait
du caractère. Se sentant donc une âme fort supérieure à son
milieu, pleine d'élans généreux vers un état où il pourrait
l'ascension d'uxe AME.

^e rendre utile et faire une oeuvre féconde et en harmonie


^vec ses aptitudes privées d'objet et de direction, dissipées
en pure perte, il commença de trouver sa vie vide et sans
but. Une lassitude le prit, insensible tout d'abord, mais
bientôt obstinée, qui paralysa ses joies dans l'atonie d'esprit
jt d'âme qui, peu à peu, l'envahissait résultante logique
Je l'ambiance déprimante, privée d'action et de ressort, où
ses forces vives se consumaient. L'idée angoissante lui vint
soudain, sans qu'il sût d'où ni comment, qu'il gaspillait ses
jours. A l'issue d'une saison plus que mouvementée, bril-
lamment réussie, où il prit part à toutes les fêtes, il alla
suivre, selon sa coutume, car il était pratiquant à sa
manière, – les sermons du Carême, prêches, cette année-la,
avec beaucoup d'habileté et une onction particulière, à
Saint-Polycarpe, par un humble fils de saint François. Ces
instructions l'impressionnèrent, plus que par le passé, le
pénétrèrent intimement, jusqu'en ses fibres les plus se-
crètes, d'insinuantes admonitions, de quelques reproches,
d'un peu de remords adouci et néanmoins très efficace.
Comme, en outre, il avait subi dans l'inconstance des choses
humaines, à travers des succès, une série de mécomptes et
de cruelles désillusions qui lui désillèrent les yeux, décou-
vrant, à sa vue, par gradations imperceptibles, des aperçus
nouveaux, il se demanda, un matin, plein d'amertume,
désabusé, avide d'un air plus respirable, ce qui lui revenait,
en dernière analyse, de se bercer de songes creux, de fan-
tômes prestigieux autant qu'inconsistants, de folies en un
mot; s'il se trompait enfin de route, s'il ne s'égarait pas.
se laissant ballotter avec tant d'insouciance et depuis si
longtemps, au gré de tous les vents naviguant au hasard
ot au petit bonheur sur une mer démontée, trop féconde en
naufrages, flottant peut-être a la dérive; s'en allant à « vau-
l'eau », sous des cieux assombris, découronnés d'étoiles, au
langer d'y périr, vers des bords écartés, des parages dé-
serts. Après de longs débats, une période d'anxiété et de
conflits intetnes, il décida sur-le-champ de s'éloigner sen-
siblement des incessantes agitations où s'écoulait son exis-
tence; puis, sans laisser ses relations, ni briser ses attaches,
L'ASCENSION D'UNE AME.

de se tracer une voie plus haute, de s'efforcer de saisir des


réalités concrètes au lieu de vaines fumées; de rentrer en soi-
même pour réfléchir à bon escient sur des sujets dignes d'at-
tention de «suprême importance » et, a l'instar de ceux
qui veulent se réformer ou qui aspirent à se parfaire, de
s'adonner d'une allure forte à la méditation et à l'étude de
la sagesse
Pour jouir d'un peu de tranquillité, de solitude, impos-
sible à trouver dans une ville populeuse, où il était trop
recherché, sollicité, dérangé sans merci, pour mûrir des
desseins qui le troublaient maintenant beaucoup, plusieurs
partis se présentaient. Les ayant tous examinés et supputant
leurs chances diverses, il ne vit rien de mieux indiqué,
pour parvenir à ses fins, que de se rendre à Bournabat
(lieu qu'il savait propice, pourvu qu'on le voulût, aux francs
retours en soi, aux longues et saines contemplations),
dans la villa de sa famille, située au Champ des Emigrés, en
une belle avenue, le plus souvent déserte. Elle était habi-
tuellement fermée, baignant dans le silence, sinon contiguë,
du moins, fort rapprochée, distante seulement de quelques
pas de celle des Dornay, ses compagnes d'enfance. asso-
ciées à ses jeux aux aurores anciennes, aux printemps morts
et disparus qu'ils avaient égrenés ensemble, dans l'igno-
rance et le bonheur, à l'aube blanche de leur vie, et pour
cela, pour cela même, ses «amies de toujours ».

III.

Un peu plus tard.

L'été pompeux était revenu, criblant d'or les ton-


nelles, avec ses chauds effluves et son soleil éblouissant.
Bournabat revêtait sa parure d'Eden. De toutes parts
éclataient et la joie de vivre et les chansons des cigales.
L'air pur et languissant prenait des teintes adorables;
L'ASCENSION D'UNE AME.

il était saturé d'aromes lourds, capiteux. La riche nature


orientale étalait, à cœur joie, ses orgueilleuses splendeurs.
Dans la ville, noyée dans les feuillages, ruisselante
de verdure, encadrée de mùriers, parmi une paix ély-
séenne, Arvède, fidèle à son programme, élaboré dans le
secret, avec la force de volonté, qui présidait à tous ses
actes, et persistant dans ses projets «d'ascension spiri-
tuelle », menait depuis quelques mois, en compagnie d'un
vieux serviteur de la maison, une vie fort i étirée, délivrée
de soucis, exempte de tumulte et d'embarras, et com-
mençait à y prendre goût, a s'y sentir vraiment heureux,
la préférant sans peine à l'autre, vide et dénuée de fon-
dement. Il n'en sortait que pour maintenir des relations
indispensables et agréables, il fréquentait beaucoup l'église
et y priait avec ferveur. Rentré chez lui, il étudiait, reflé-
chissait longuement, ne s'accordant que le repos néces-
saire et quelque légère distraction. Fatigué des propos
d'un monde qui vit de caquets, et qui ne sait que s'agi-
ter, il demandait à la lecture, au commerce des grandes
âmes, des esprits élevés, aux philosophes de l'antiquité,
dont le génie le fascinait, et aux Pères de l'Eglise, qu'il
admirait passionnément, de quoi remplir son être de
salutaires pensées, raffermir ses résolutions, se dominer
sans cesse et rester « en beauté». On le voyait aussi,
parfois, dans la magie des clépuscules, quand le couchant
doré flamboie, évitant avec soin la société des hommes,
se promener solitaire sur les collines de Papasian.
Sans bien savoir ce qu'il voulait, et recherchant sa
voie définitive, il tendait vers les choses de la Foi par,
instinct, par un besoin latent, nostalgique du «divin» qui
formait le fond de sa personne déconcertante et com-
pliquée, éprise de rêve, d'infini, mais quand même posi-
tive. Des horizons mystiques, aux déploiements immenses,
aux perspectives illimitées s'entr'ouvraient devant lui
en des heures de claire-vue, d'intuition supérieure ils
brillaient soudain comme un éclair qui déchire la nue
sombre et répand dans le ciel une fuyante clarté, éton-
nant ses regards, captivant son esprit, illuminant son âme
ardente qui les sondait avidement.
L'ASCENSION D'UNE AME

Il entrevoyait une vie cachée, une vie féconde et


merveilleuse, faite de luttes, de souffrances et de parfait
renoncement, employée tout entière au service d'autrui,
consacrée à guérir les misères humaines et à secourir le
voyageur égaré dans la nuit une vie pleine d'amertumes
sans nom et de joies mystérieuses, d'un ordre transcen-
dant, indéfinissables, avec, au bout, la couronne de gloire,
tressée de palmes immortelles, qui retiennent leur jeu-
nesse sans jamais se flétrir. Et cela le charmait, soulageait
son attente, stimulait d'autant mieux sa « soif de l'Idéal».
Mais pris d'une vague incertitude et s'ignorant encore lui-
même, ne sachant pas se dire quel serait son destin, re-
tombant par instants aux désirs de la terre, incliné malgré
lui aux délices d'ici-bas, il demeurait toujours perplexe,
interdit, hésitant, tiraillé de contrastes, se contentant
d'interroger le lointain avenir.
Une fin d'après-midi de Juillet, plus chaude que de
coutume, presque étouffante, absorbé qu'il était dans des
études profondes, il se sentit très fatigué et voulut faire
une diversion.
Si j'allais voir les Dornay, se dit-il, voici long-
temps que je ne l'ai fait, cela pourrait paraître étrange.
Je me mettrais sans raison en fausse posture devant ces
chères amies, si dévouées et si fidèles, qui me témoignent
leur gracieuse attention en toute circonstance qui restent
fidèles aux souvenirs de notre enfance, s'occupent de moi,
bien que j'aie de grands torts à leur égard et les néglige
absolument. Je ne veux point, somme toute, devenir un
maniaque, faire la figure d'un misanthrope ou d'un ours
mal léché je veux seulement me corriger de mes an-
ciens enfantillages, de mes fredaines du temps passé, en
m'abstenant d'exagérer, ni de me rendre ridicule, ce qui,
sûrement, ne peut que nuire en ne servant, au fond, de
rien. Aussi, vais-je, dès ce soir, modifier ma conduite,
rectifier mes façons qui frisent déjà l'inconvenance, réparer
mes oublis.
Malgré l'extrême température d'une canicule à son
zénith, il pris sa canne et son chapeau, et, sortit par le
L'ASCENhlOX D'UNK AME.

'hamp des Emigrés, tout embaumé à cette saison; il se


•rouva, en quelques minutes, devant la demeure des
,)ornay, élégante et somptueuse, perdue sous des tilleuls.
II poussa la grille, traversa le jardin, gravit les marches
perron puis, avec la familiarité d'un habitué, d'un
îeil ami de la famille qui ne doute pas d'être toujours
bienvenu, il pénétra dans le vestibule sans se faire
annoncer.
'Antoinette se trouvait dans le petit salon, ébauchant
un pastel. Apercevant Arvède, qu'elle ne voyait plus de-
puis trois mois, qu'elle était loin d'attendre, elle vint à
lui souriante, accueillante comme toujours.
Quel bon vent vous amène, Arvède, lui dit-elle
joyeuse et lui tendant la main ? En vérité, vous tombez
bien, je suis toute seule à la maison: Christine et Sylvie
sont sorties en promenade, maman se trouve chez des
voisines et tardera à rentrer. Je me morfondais, merci à
\ous d'être venu. Et d'autant plus, ajouta-t-elle, avec une
pointe de malice et de reproche mal déguisé, que cela
n'arrive pas tous les jours, car vous jouez à l'homme
précieux, depuis quelque temps, il semble du moins et
sous vous plaisez d'être si discret.
C'est une visite intéressée que je viens vous faire
la, mon amie Antoinette, ce qui achève ma confusion et
me laisse sans excuse, répliqua-t-il très gentiment, se
sentant dans son tort et voulant être pardonné. Vous me
voyez tout effaré, nerveux, je pourrais dire désarçonné.
En voici la raison que je vous livre ingénuement: je suis
lesté chez moi tout le jour, en tête-à-tête avec moi-même,
étudiant sans arrêt; je lisais Cicéron, Sénèque, Origène,
Arnobe, Virgile, Lactance et puis enfin Saint Augustin.
en ai partant la tête en feu, comme vous pouvez ima-
giner, et sens le besoin de me refaire en votre aimable
compagnie.
– Décidément, Arvède, vous devenez grandiose, ou
pour mieux dire, inaccessible et je n'oserai bientôt plus
paraître devant vous. Prenez un siège, asseyez-vous, nous
causerons un peu j'ai bien des choses à vous dire et
L'ASCENSION
r'UKE JUME.

suis heureuse de l'occasion qui, enfin, se présente, que


j'attendais impatiemment. Mais, au fait, il vaut mieux,
plutôt que de nous emmurer ici, nous rendre sur le
balcon, une de mes places favorites. Nous y jouirons
plus pleinement de la beauté du soir.»
Ils s'avancèrent sur le perron, en forme de véranda,
encombré de berceuses, tapissé de jasmins et de rosier?
grimpants, de sveltes clématites, qui dominait un riche
paysage se prolongeant à perte de vue à droite, dam
les lointains, la région immense des cimetières turcs,
aux milliers de cyprès, de stèles funéraires, jetant une
note de mélancolie, de tristesse plaintive, qui détonnait
singulièrement sur la pléthore de joie, de vie exubérante
bourdonnant de partout en une sorte de cantique, de
divine symphonie après, des accidents de terrain aux
contours onduleux, des aperçus profonds, des échappées
sauvages, puis l'horizon tout bleu, encadré de montagnes,
se détachant à peine sur les fonds d'azur doux, et l'en-
semble des habitations, des petits parcs européens aux
gracieuses villas.
Le jour baissait lentement, en une splendeur atté-
nuée d'apothéose mourante. L'air était saturé des par-
• fums de l'Orient, de glycines, de lilas, de magnolias en
fleurs qui répandaient, profusément, en d'incessantes
émanations, des essences pénétrantes, des senteurs in-
connues aux éléments mêlés. C'était comme un ravisse-
ment, un arcane de bonheur. Au milieu du jardin, tout
verdoyant de plantes, parmi des touffes aux tons diaprés,
aux nuances violettes ou purpurines, un grand jet d'eau
chantait, reflétait, dans son onde, des palmes gigantesques.
La nature se taisait dans le recueillement, en cette at-
tente muette, paisible et confiante, cette absolue sérénité
que rien, nulle part, ne vient troubler, que pas un souffle
ne ride; qui, d'habitude, précède le soir des étés ioniens.
(A suivre.) NORBERTMersanne.
LE KULTURKAMPF
ALSACIEN-LORRAIN.

(Suite.)

II.

La section d'Alsace-Lorraine de l'Association catho-


lique des Instituteurs d'Allemagne avait tenu son assemblée
générale dans le courant de l'été. Mgr Fritzen qui
honora toujours cette réunion de sa présence, préci-
sément pour marquer combien lui tiennent à coeur les
intérêts des éducateurs de l'enfance, y prit la parole pour
donner un paternel, mais solennel avertissement contre
les tendances de l'A. D. L. V. Le vénérable prélat ne
tarda pas à recevoir la réponse.
La fédération des associations départementales des
instituteurs devant tenir son assemblée générale le 9 sep-
tembre à Strasbourg, les délégués des groupes cantonaux
se réunirent la veille. Pour ne pas encourir le reproche
de partialité, nous donnerons d'après la Strassburger Post
le résumé des débats.
Le président constate que l'idée de l'organisation (la
iusion avec la A. D. L. V.) a fait des progrès considé-
rables, malgré la sécession d'une minorité (les catholiques)
qui se sert des armes les plus déloyales entre autres dans
LE KUIiTUEKAMPF ALSACIEN-LORRAIN.

le Met\er Schulfreund (l'organe de Mgr Nigetiet). Il dit


ensuite que la question du traitement a singulièremeni
occupé la fédération, hélas sans aboutir, et que le règle-
ment de cette affaire constituerait pour l'avenir un de
ses principaux devoirs.
Comme on le voit, il n'y a pas de trace de ces effu-
sions d'ardent patriotisme qu'on accuse nos évêques
d'avoir voulu entraver.

Quoique le projet de fusion avec l'A. D. L. V nefùl


pas à l'ordre du jour, le délégué de Mulhouse, M. Preiss,
demanda à la réunion de le prendre en considération, et

par toutes les voix contre quatre, on décida de mettre les

groupes cantonaux en demeure de seprononcer sur la

question, encore avant Noël, et de faire en faveur de la


fusion une propagande active dans les réunions de ces

groupes.
Le compte-rendu surtout de l'assemblée générale est
intéressant. Nous traduisons mot à mot

"Dans son discours d'ouverture, le président, M. Deviller, rap-


pela les efforts énergiques du corps enseignant pour l'élévation des
traitements, et les vives critiques qu'il dut subir tout entier pour
des aspirations pourtant légitimes. Ces critiques furent sous certains
rapports injustes, parce que d'abord il y a une foule de gens qui ne
connaissent pas la triste situation matérielle des instituteurs, et
qu'ensuite on manque beaucoup d'intérêt pour les devoirs et le rôle
de l'école populaire. Chez d'autres il y avait de la malveillance; sur
ces derniers, le corps enseignant, conscient de sa mission civilisa-
trice, continuera en silence à passer a l'ordre du jour. M. Bongartz
rendit ensuite compte de la séance des délégués de la veille et une
tempête d'indignation passa sur l'assemblee quand il fit allusion à
la campagne deloyale menée par le Schulfreund de Metz (de Mgr Ni-
geriet), l'intention de provoquer la fusion avec l'A. D. L. V. fut
saluée avec enthousiasme."
Un intermède singulier fut soulevé par l'instituteur Steyer de
Lièpvre. ,11 se présente comme ancien instituteur rural et comme
membre de l'Association catholique, et chercha à persuader ses col-
lègues de ne pas agir avec précipitation dans l'affaire de la fusion.
11 fit un long discours pour célébrer la vieille routine des associa-
tions départementales et dépeignit le D. L. V. comme une incarna-
tion vivante de Satan, décidé à tout prix à expulser la religion de
l'ecole, ce qui souleva les applaudissements ironiques de l'assemblée.
Le bonhomme termina par la prière de ne pas créer de trop grandes
difficultés à ceux qui tiennent à la religion."
LE KULTURKAMPF ALSACIEN-LORRAIN.

de M. Gilg,
,Le congrès arriva à son apogée avec le rapport
5jr l'Année JQOO regards en arrière et en avant. L'assemblée avait
e itendu avec une impatience difficilement contenu la conférence sur
l'^Jucation pénitentiaire des jeunes condamnés, et l'attention se porta
t,,ut entière sur le nouveau sujet. Les évenements de l'année et
en première ligne la question du traitement avec leur répercussion
Jsns la presse et l'opinion publique méritaient bien de faire l'objet
d un rapport. Ce fut une liquidation magistrale de tous les fac-
teurs qui s'opposent à la marche progressive et ascensionnelle d'une
de la demande
puissante couche sociale. Partant d'augmenta-
tion de traitement de l'année précédente, l'orateur passa en revue
le détail des faits qui suivirent, tantôt avec une fine humeur, tantôt
a. ce une satire mordante ou un calme sérieux. Il appuya surtout
s ir la tenue du Centre et de la presse cléricale dans cette question
pécuniaire. Les coups tombaient dru comme la grêle. Les citations
do l'orateur mirent en lumière le prétendu dévouement des cléricaux
pour l'école et les maîtres d'ecole il consacra une partie spéciale
a Al. Wetterlé et à son .Nouvelliste. Le Bloc lorrain avec son inertie
et le groupe des notables ne fut pas moins énergiquement blàmé.
Le rapport de la Commission du Landesausschuss fut soumis à une
critique acerbe très méritée pour son esprit réactionnaire. Les
tonnerres répétés d'applaudissement qui retentirent dans la salle a
chaque attaque contre le Centre montrèrent clairement que le corps
enseignant sait maintenant où sont ses veritables amis et qu'il a
rompu avec le nparti le plus puissant du pays."

On nous pardonnera cette citation un peu longue,


mats il était bon de montrer quel esprit régnait dans ce
cénacle d'où vont sortir maintenant les apôtres pdur la
fusion avec l'A. D. L. V. Ils ne furent pas inactifs, et
dos le commencement de décembre, ils pouvaient être sûrs
Je leur victoire soixante-six groupes cantonaux avaient
une majorité pour la fusion et il ne restait plus de doute
que l'assemblée extraordinaire des délégués convoquée
pour le 29 décembre ne la prononçât définitivement.
N'était-il pas trop tard, quinze jours avant cette réu-
nion, pour donner un dernier avertissement?
Quand tous désespèrent, une mère ne désespère ja-
mais de ramener par un dernier cri d'alarme l'enfant qui
s'engage dans la voie de l'abîme. Or, l'Eglise est une
mère, et les évêques dont le coeur bat à l'unisson avec le
>ien ont voulu tenter un effort
suprême pour empêcher
leurs fils de prédilection de renouveler la scène du Pro-
LE KDLTUBKASIl'F ALSACIEN-LORRAIN.

digue tournant le dos à la maison paternelle pour aller


dissiper un patrimoine séculaire d'honneur et de fidélité
à la religion des ancêtres.
Qe devoir qui s'imposait à nos évêques de la façon
la plus impérative s'ils ne voulaient pas trahir les obli-
gations les plus strictes de leur charge, pouvait être
accompli de plusieurs façons. Les prélats se décidèrent
simplement à communiquer aux instituteurs catholiques
le numéro du 1 5 décembre du Schulfreund, une petite
revue pédagogique publiée par Mgr Nigetiet. Le prélat,
conseiller de l'instruction publique, ancien directeur de
l'école normale de Metz, y résumait toutes les raisons
qui militaient contre la décision projetée.
Il rappelait les efforts couronnés de succès qu'il avait
fait depuis quarante ans pour organiser le corps ensei-
gnant d'Alsace-Lorraine, pour y créer une unité, une homo-
généité à l'abri des dissensions qui divisent les partis dans la
vieille Allemagne. Lui aussi a toujours poursuivi le but que les
auteurs des manœuvres actuelles prennent comme mot
d'ordre de la fusion l'élévation de l'école et du corps
enseignant, mais «dans le sens chrétien et dans l'union
intime avec l'Eglise régie par l'Esprit-Saint. » C'est au
contraire à la séparation de l'école d'avec la religion
qu'aspire le D. L. V., parce que, à son avis, l'école est
exclusivement une institution de l'Etat or, l'Etat mo-
derne n'ayant aucune religion, l'école non seulement sera
logiquement non confessionnelle, elle sera aussi non reli-
gieuse. « Sur le terrain social, dit le prélat, le D. L. V.
pioclame à côté de revendications que nous défendons
avec lui, de véritables utopies. Tous les instituteurs au-
raient à son gré à faire les études universitaires et l'école
devrait être absolument indépendante. L'école existerait
pour elle-même, et l'instituteur à l'école ne relèverait de
personne. Les instituteurs de Brème en sont déjà arrivés
à prétendre que la seule personne responsable à l'école
devrait aussi à avoir seule à décider en dernier ressort
sur les matières de l'enseignement, la méthode, l'ordre
du jour, etc. »
LE KULTURKAMPF ALSACIEN-LORRAIN.

Mgr Nigetiet traite ensuite des rapports de l'institu-


teur catholique avec l'Eglise et son représentant dans la
commune, le curé. L'instituteur catholique, de par la
constitution divine de l'Eglise dépend de la hiérarchie,
mais à proprement parler, c'est une dépendance de Dieu
même qui n'a rien d'humiliant.
L'article développe en outre les trois thèses suivantes

que nous citons textuellement

I. La fusion projetée pour le 29 décembre ne procurera à nos


instituteurs ni l'union, ni la paix, mais anéantira ces trésors pour de
longues années;
Il. La solidarité avec les revendications du D. L. V. causera
des dissensions mutiles et dangereuses
III. Les instituteurs catholiques qui s'adjoindront au D. L. V.
doivent réfléchir encore une fois serieusemement, si leur action n'est
pas condamnable comme manquant de dignité et de caractère.

Vient enfin la péroraison sous le titre Les excuses


a la lumière du cierge de l'agonie. Comme à notre su,
on n'a publié nulle part la traduction française de ce
morceau qui, au dire des meneurs, a forcé les instituteurs
a. couper les
ponts entre eux et leurs évêques et a donné
lieu à l'intervention des pouvoirs publics, on nous saura
gré de la donner ici en entier:

,,Si comme nous n'en pouvons plus guère douter, nos craintes
se réalisent pour le 29 déc., des centaines d'instituteurs catholiques
passent au camp du D. L. V., pour suivre comme dépouilles opimes
le char des triomphateurs au congrès général de Strasbourg en
igio. Une pitié intense s'empare de nous à cette vue, et au dernier
moment nous supplions ces messieurs de rentrer sérieusement en
eux-mêmes pour voir si les prétextes de leur démarche sont dignes
d'eux, ou s'ils n'apparaissent pas sous une toute autre forme à la
lumière du cierge des agonisants qu'en ce moment d'excitation.
1. C'est l'esprit de corps qui me guide, je ne puis pas aban-
donner cette grande cause des instituteurs la majorité le veut, je
la suis. Ce sont vos paroles d'aujourd'hui mais que penserez-
vous à l'agonie ? C'est l'esprit de parti et non l'esprit de corps
qui vous menait. La sainte cause de l'école catholique de ton pays,
tu l'as abandonnée la complicité de ta faiblesse et du respect hu-
main a été d'un mauvais exemple pour tes collègues.
2. La grandeur du D. L. V. m'en a imposé. Il a rendu puissant
les primaires d'Allemagne, il ouvre une ère nouvelle pour leur bon-
LE KULTURKAMPF ALbACIEN-LOItRAIN.

heur et leur grandeur. Parlerez-\ous encore ainsi le cierge de


l'agonisant à la main? Vous connaissiez cependant la grande Asso-
ciation des instituteurs catholiques? Mais vous le calomniiez du
nom d'esclaves des curés, et vous en aviez honte; le Christ ne rou-
gira-t-il pas de vous ?
3. 11 est trop tard, j'ai engagé ma parole, je suis lié, je ne peu\
plus reculer, mes amis ne me le permettent plus. Langage d'au-
jourd'hui, que vaudra-t-il à l'agonie? Il résonnera autrement: Vous
avez manqué en écoutant ces propositions, plus gravement manque,
en vous engageant, et encore plus gravement en ne rom-
pant pas ce lien immoral. Vous n'avez pas agi virilement, vous vous
êtes dépouillés de votre dignité d'homme libre.
4. Mais ce n'est pas moi qui ai signé d'autres ont voté, signe
et payé pour moi! Langage d'aujourd'hui, etc. Vous a. et commis
une bassesse en renonçant à votre personnalité. Quel contraste votre
figure de chiffon (Waschlappengesicht) fera a\ec les tètes viriles des
élus? (CharaUterkôpfen des Himmels.)
5. Je suis estomaqué par nos luttes pour nos traitements. (Der
ganze Jammer unserer Gehaltskampfe aus den letzten Monaten liegt
mir im Magen.) On nous a donné des coups de pied. Le Centre
nous a trahis le courroux me porte à montrer que je sais rendre
les coups, que je sais. Halte 1 Vous prononcez si bien votre
sentence, que le cierge de l'agonie est inutile."
Le voilà donc ce fameux article qui doit expliquer la
rébellion contre l'autorité épiscopale, qui doit justifier une
inconsciente apostasie et qui aurait forcé l'Empire à
monter sur ses grands chevaux pour se défendre contre
les empiétements du sacerdoce
Nous n'avons pasprendreà en la défense, du moins»
au point de vue littéraire, et nos lecteurs ne pensent pas
plus que nous que ce morceau de littéiature soit plus
tard recueilli dans une anthologie, de même qu'ils se
demandent quels cris de paon le parti Gneisse aurait jetés
dans toute l'Allemagne contre la double-culture, si
Mgr
était un indigène. Du reste, le prélat a lui-même
Nigetiet
mis les choses au point en faisant dans la Germania la
déclaration suivante

,,Si, en écrivant mon article du i5 déc., j'avais pu a\oir le


moindre soupçon qu'il serait lu en Allemagne dans des cercles, qui
ne connaissent rien de notre situation, je ne me serais pas servi
d'expressions qui s'expliquent ici."

Cette déclaration est précédée d'une protestation contre


LE KULTURKAMPF AliSACIKN-LOBBAIN.

d'injures grossières au corps enseignant. Il


l'imputation
est venu, dit-il, en Alsace en 1871 et a consacié plus de
tiente ans de sa vie à la prospérité de l'école et de ses
chefs quand il a pris sa retraite il a été décoré d'un
ordre supérieur et le gouvernement a officiellement reconnu
ses services et ses succès. L'intention d'injurier est donc
a priori invraisemblable. S'il s'est servi de termes éti anges,
c'est que l'homme le plus cultivé est obligé dans la mêlée
de se servir des armes de l'adversaire.

"Or, continua-t-il, nos adversaires ont toujours mis en avant


que la fusion avec le D. L. V. était un acte de viril individualisme:
ils ont toujours eté les partisans de fouler aux pieds la dignité de leur
personnalité pour se faire les caudataires servils des calotins. A moi-
même, ils ont dit en face que je commettais une bassesse en reniant
ma personnalité pour faire du by^antinisme. Mes lecteurs connais-
saient parfaitement ces injures, auxquelles je n'a\ ais jamais repondu,
mais que j'etais en droit de i envoyer à leurs auteurs."
nLe mot chiffon a lui aussi son histoire d'après laquelle il appa-
raîtra comme une arme défensive et non pas comme une aggression.
Je n'en finirais jamais si je citais toutes les amabilités qui ont eté
dites aux instituteurs de mon parti dans la Schulqeitung et dans la
Freie Animaux porte-laine, sempiternels dormeurs, dilettanti de
brasserie, des lâches, des cœurs de lièvres, des sacristains trembleurs,
des maîtres d'ecole vieux style qui portent encore à leur antique
lévite les coques de l'œuf de sacristain d'où ils sont éclos.' Ces
mêmes messieurs avaient employé le terme de ,chiffon" qui étaient
devenu chez eux une expression typique. Je pouvais donc, sans
crainte de malentendu, la renvoyer à l'adresse d'où elle était partie.
C'était une réplique amère, mais une tactique permise entre hon-
nêtes gens."

Quoi qu'il en soit, c'est une hypocrisie de prétendre


que cet article comme celui de Herder a été la
raison déterminante de la traversée du Rhin. Le siège de
ces messieurs était fait ils étaient dé-
depuis longtemps
cidés à noyer leur chien, il fallait bien un prétexte pour
l'accuser d'être enragé.
Si donc l'avertissement épiscopal avait été donné sous
une autre forme, ils auraient passé outre même
quand
les enseignements du Prof. dont de
Ziegler, beaucoup
meneurs suivent les cours, les ont assez modernisés pour
leur permettre de tracer eux-mêmes les limites de l'auto-
Revue. Février 1910. 8
LE KULTUEKA3IPF
ALSACILN-IiOBBAIN.

rité doctrinale des évoques. Leur conscience est départagée


par une cloison étanche en compartiment privé et en
compartiment scolaire. Que l'évêque prétende de pénétrer
dans le premier passe mais l'autre lui sera fermé à
double tour. C'est la théorie non plus du catholicisme,
mais du libre-examen c'est celle cependant qui fut sou-
tenue par le président de la réunion des délégués du
29 décembre.
BNous avons, dit-il, confiance en les paroles de notre évêque,
nous gardons vis-a-vis d'elles une tenue digne et nous leur obeis-
sons en tout ce que nous pouvons concilier avec notre honneur et
notre conscience. Nous nous soumettons en particulier là où cela
semble commandé par nos convictions religieuses. Mais nous ex-
ceptons de ce renoncement à nos opinions propres les cas où nous
n'admettons pas que l'avis de l'évêque puisse nous obliger et où
comme catholiques nous n'avons pas besoin d'être d'accord avec lui.
C'est le cas actuellement, car les mesures episcopales reposent sur
des informations incomplètes. Dans la fusion avec le D. L. V. il ne
s'agit pas d'une démarche intéressant l'Eglise. car les instituteurs
badois, rhénans, bavarois, de Hohenzollern ont accompli cette fu-
sion, sans que les e\êchcs se soient permis une ingerence aussi
u
injustifiée.
Assurément, il y a des matières où l'on peut être
d'un autre avis que l'évèque ce sont les questions de
politique puie ou bien les questions professionnelles sous
le rapport technique. Les évèques n'ont à se mêler ni du
recrutement, ni des effectifs, ni de l'armement de la ma-
rine ou de l'armée ni d'un sj'stème d'impôts ni des
métiers à tisser; ni des méthodes scolaires; ni des asso-
ciations d'instituteurs. Mais une foule de questions ont
outre le côté technique, utilitaire, un côté moral: le côté
du licite ou de l'illicite. Le travail dans les fabriques ne
regarde pas l'Eglise au point de vue économique, mais
ce qui est du ressort de l'Eglise, c'est le travail du di-
manche, le travail de nuit, le travail des enfants, le
mélange des sexes, parce que les préceptes du décalogue
sont en jeu. De même, il importe peu à l'Eglise que les

On remarquera ces mots, une tenue digne: un catholique doit


garder \is-à-vis de son evêque une tenue respectueuse.
LE KULTURKAMPF ALSACIEN-LORRAIN.

instituteurs s'associent par groupes régionaux ou natio-


naux pour 'des caisses de malades, de décès ou pour
l'augmentation des traitements, ce sont choses parfaite-
ment neutres. Il n'en est plus de même quand il s'agit
Je la confessionnalité de l'école ici, nous sommes sur le
terrain religieux, dogmatique et moral, et l'instituteur ne
peut plus dire que là il ne renonce pas à la liberté de
son opinion. En cette matière, il n'existe pas dans le
catholicisme de liberté d'opinion les décisions de l'Eglise
sont formelles. Et si elle subit l'école neutre, là où les
catholiques commettraient une folie à tenter de vains
cllbrts pour la supprimer, elle ne cessera de la condamner
en principe et à mettre tout en oeuvre pour empêcher de
l'introduire là où elle n'existe pas encore.
On s'explique donc qu'a la rigueur l'épiscopat ne pro-
cède pas dans un pa}s comme dans l'autre. L'aichevèque
de Fribourg n'a pas dans son diocèse que des écoles
neutres et il ne faut plus songer à voir changer cette si-
tuation, contre laquelle son prédécesseur et le peuple
badois ont lutté jadis jusqu'au martyre; en Alsace, nous
a\ons encore l'école confessionnelle, et le peuple catho-
lique à la suite de ses pasteurs a le droit et le devoir de
se mettre en travers de tout mouvement qui pourrait, de
près ou de loin, la mettre en danger. Et nous prouveions
plus loin que c'est réellement le cas poui le D. L. V.
Du reste, il est absolument faux qu'aucun évèque n'est
jamais intervenu dans cette question spéciale. En 1890,
l'évêque d'Ermland avait publié un avertissement analogue.
Les instituteurs catholiques le prièrent de reveuir sur
cette mesure, et voici ce qu'il leur lépondit

,,Ma première mesure a ete occasionnee pai un discours-pro-


gramme a la iéunion générale d'Ermiand; ce discours m'a imposé
comme évêque le devoir d'intervenir. Outie des sentiments peu ami-
caux envers l'Eglise et ses ministres, ce discours contient une telle
ynorance, un tel travestissement de la doctrine chietienne, qu'ils
ébranlent jusqu'aux fondements du christianisme. Dans ces con-
ditions, je ne puis pas ne pas jeter un nouveau cri d'alarme et
'uppliei instamment mes fidèles mstituteuis de quitter cette asso-
ciation, sans egards aux perla, matérielles qu'ils pourraient en subir."
LE KULTURKAMPï1 ALSACIEN-LORRAIN.

Jusqu'au 29 décembre le conflit était resté circonscrit


entre les instituteurs et entre l'autorité épiscopale. On
aurait même pu dire qu'il était terminé puisque les pre-
miers refusaient l'obéissance et que la seconde n'avait pas
jugé à propos de sanctionner son avertissement par des
mesures de répression. Mais il y avait des gens intéresse'^
à transformer l'incident en une affaire d'Etat: il va entrer
dans une phase nouvelle.
(A suivre.) N. DELSOR.
REVUE DU MOIS.

Le Reichstag est en deuil de son président. Le comte Udo de


Stolberg-Wernigerode est mort le ig février d'une congestion pul-
monaire, consecutive d'une affection qui l'avait tenu eloigné des
affaires depuis la rentrée des vacances de Noel. Il ne serait devenu
septuagénaire que le 4 mars, mais ses soixante-dix ans, il les por-
tait, du moins corporellement, à la Suite d'une blessure grave qu'il
avait reçue à Sadowa. Cette blessure ne l'empêcha pas de faire
encore la campagne de 1870, après laquelle cependant il se fit mettre
a la réforme, sans toutefois rompre les liens qui l'attachaient à
l'armée. Il était même devenu géneral de brigade de cavalerie, à la
suite, et il en avait encore porte l'uniforme à l'ouverture du Reichs-
tag, au palais royal, quoiqu'il traînât assez péniblement sa jambe
malade dans ses hautes bottes de cuirassier. Sorti de l'armée active,
il entra dans l'administration à laquelle il s'etait préparé par des
études de droit à l'Université de Halle avant de prendre l'épaulette.
La qualité de Landrat (sous-préfet) est du reste presque inhérente
au grand propriétaire terrien qu'était le comte de Stolberg dans ses
majorats de la Silésie et de la Prusse orientale. De 189 à à 1S95, n
devint même Président supérieur de cette dernière province, où
l'Université de Konigsberg lui décerna le titre de Docteur honoris
causa. Membre de la Chambre des Seigneurs de Prusse, il se fit élire
au Reichstag en 1877. Il siégea au Parlement de l'empire jusqu'en
1881, puis de nouveau de 1884 à i8g3 et enfin sans interruption
depuis 1895.
Il appartenait à l'extrême-droite et ne prenait la parole que
dans des questions économiques intéressant l'agriculture; son débit
était peu animé, son geste saccade et monotone et ses discours
n'avaient rien de cet air provoquant qui depare trop souvent les
harangues des hobereaux et des agrariens. La loyauté de son carac-
tère se reflétait sur sa physionomie et il a dû lui en coûter quand,
REVUE I)U MOIS.

rompant violemment avec les traditions qui attribuaient la présidence


au Centre, comme à la fi action la plus nombreuse, le Bloc du prince
de Bulow le fit monter au fauteuil présidentiel.
11 recueillait une succession difficile, celle du comte de Balles-
trem qui illustra le siège presidenuel par sa dignité, son humour,
sa presence d'esprit et son intelligence des affaires et du règlement
Si le comte de Stolberg l'égala par sa haute impartialité, il lui fut
inférieur sous les autres rapports son ouïe un peu paresseuse,
quelques malices de Morphée, lui firent commettre involontairement
l'un ou l'autre impair, et le vice-président ne venait pas rarement
le remplacer au moment opportun pour des mises au vote vraiment
compliquées. Du reste, il faut un apprentissage à tous les métiers,
et le comte de Stolberg aurait parfaitement appris le sien, si Dieu
ne l'avait pas rappele a lui au milieu de la législature, et presque
au début de la seconde session. Estimé par tous pour sa droiture,
sa simplicité, sa serviabilité, il sera unhersellement regretté, et il a
bien mente les honneurs qu'on lui a rendus. Il n'a pas eu l'occasion
de se prononcer sur nos questions alsaciennes, mais Il est sûr qu'il
s'y intéressait: on pouvait le voir tous les jours, a peu d'exception
près, s'emparer du Nouvelliste dans la salle de lecture pour aller le
lire dans son cabinet. Sa physionomie a ce moment avait plutôt
l'air satisfait, d'ou nous concluons que ce journal n'était pas sa
bète noire, comme il l'est a d'autres hommes politiques, pour ne
pas dire hommes d'Etat.
Son successeur, le comte de Rchwenn-Lcewitz, est un homme
de parti plus militant, d'une nuance réactionnaire plus prononcée,
très versé d'ailleurs dans les questions agiicoles il suffit, en effet.
de dire qu'il est le president du Conseil supérieur de l'agriculture
et de la Ligue agranenne, qui tenait, il y a quelques jours à peine,
ses tapageuses assises annuelles au Cirque Busch. Pourquoi le
Centre n'a-t-il pas profite de l'occasion pour faire valoir ses droits,
il serait assez malaisé de le dire en peu de mots en tout cas ce
n'est point parce que les hommes capables lui font défaut ils n'y
manquent ni en quantite ni en qualité. Mais tous ceux qui ont suivi
les événements depuis la dissolution et depuis la chute du prince
de Bulow comprendront que le moment de la réserve n'est point
passé et durera aussi longtemps que la presente législature.
Pendant l'interrègne, le vice-président, M. Spahn, a tenu le gou-
vernail d'une main ferme et sûre, a travers des seances souvent fort
orageuses. Le gouvernement fut un jour très près de subir un sé-
rieux échec. La commission chargée d'examiner le traité de commerce
avec le Portugal avait conclu au rejet de la convention par i5 voix
contre i3. L'acceptation ou le rejet en seance plémere dépendaient
d'un pur hasard, car les plus grandes divergences régnaient au sein
de toutes les fiactions, selon que les deputés représentaient une
circonscription industrielle (les opinions changeaient même d'in-
RECITEDU MOIS.

dustrie à industrie) ou une région viticole. Ces derniers sont hostiles


,i toute politique commerciale qui facilite l'entrée des vins rouges
Je coupage La note gaie n'a du reste pas manqué dans la discus-
sion. Le prince de Schonaich-Carolath a cherche querelle à M. de
Schœn au sujet de la traduction du texte français en allemand le
le titre de Sa
premier donne, comme il le faut, au roi de Portugal
Majesté Très Fidele, que le second rend par Allerchnstliche Mctjestat,
Sa Majesté Très Chrétienne, qui est le propre des rois de France.
,A proprement parler, dit-iî, vous avez négocié avec quelqu'un qui
n'existe plus, car ce titre appartient tout au plus à S. A. R. le duc
d'Orléans. ,11 me semble que nous devrions avoir à l'office des
Affaires étrangères des gens sachant assez de français pour éviter
de pareilles erreurs." Nos Gneisses alsaciens auraient dit rC'est
bien fait; pourquoi vous servez-vous du français comme langue di-
plomatique. Vous voyez bien que la double culture abrutit les di-
plomates." Ce n'est évidemment pas cette faute de traduction qui
mettait en péril la convention, laquelle eut finalement sa majorité,
mais d'une dizaine de voix à peine. Le traite de commerce avec
l'Amérique fut au contraire accepté sans discussion. Cette convention
facilite d'une façon notable l'importation dans les Etats-Unis, et
d'un autre côté, il ne restait plus que deux jours, du au pour
l'echange des ratifications ce délai passe, on retombait dans un
provisoire tres préjudiciable à notre industrie, et en autres aussi à
nos fabriques alsaciennes de lainages dont le commerce a\ ec l'Amé-
nque du Nord se chiffre par plusieurs dizaines de millions.
Le Reichstag avance très lentement dans la discussion du budget,
parce que les debats se prolongent dans la commission a tel point
qu'on craint d'être obligé de siéger encore pendant la Semaine-
Sainte, alors qu'on pensait avoir termine les trois lectures la semaine
auparavant. Jusqu'ici les ministres de la guerre et des colonies ont
seuls passé les verges, et ils s'en sont tires à assez bon compte
quoique le premier ait été loin de satisfaire la majorité pour cer-
taines reformes, indispensables pourtant. Le Parlement ne cesse de
se plaindre, et avec raison, des privilèges de l'aristocratie dans
l'armée.
La statistique constate d'abord, et ce n'est pas tout a fait à leur
avantage, l'aversion de la grande majorité des aspirants-officiers
nobles pour les armes savantes. Le hobereau n'y est plus des qu'il
faut pâlir sur des équations et piocher le calcul différentiel et inte-
gial; il ne faut ni grands talents ni fatigue intellectuelle pour
dresser une jument et devenir tres fort à la courbade, la ballotade
et autres exercices equestres. On constate le même phenomène en
l'rance: la roture entre plutôt dans l'artillerie et le génie, mais c'est
aussi dans ces corps d'officiers que se sont mijotés le plus de com-
plots antidynastiques. Et si par hasard un régiment de cavalerie a
beaucoup d'officiels issus de la bourgeoisie, on peut être sûr que ce
EEVUB DU MOIS.

régiment a ses quartiers dans une petite garnison des que le régi-
ment y est transféré, les officiers nobles passent à un régiment e si
garnison dans une grande ville ou, quand ils n'y arrivent pas
donnent simplement leur démission. Il faudra bien que tôt ou tard
cet esprit de caste disparaisse sous la pression de l'opinion publique,
qui n'admet plus qu'une preposition augmente la valeur d'un homme
et qu'on ait des droits sociaux parce que le nom des ancêtres est
connu, tandis que les registres de l'état civil des autres se son;
perdus dans le tourbillon des révolutions. On s'est plaint aussi de
maints abus dans les ateliers militaires, où l'on n'est pas presst
d'introduire les reformes sociales imposées à l'industrie pihe'e. et
où l'on travaille fort cher, notamment dans les ateliers d'habille-
ment. Cela tient surtout à ce que l'on y détache trop d'officiers et
trop d'officiers supérieurs. Les ateliers du corps de la Garde sont
diriges par n officiers, dont un lieutenant-colonel et quatre majois s
"Une usine, dit M. Erzberger, qui aurait 11 directeurs ne donnerait
guère de dividendes, au contraire, elle ferait banqueroute tambour^
battants." D'autres deputés demandent, comme cela se fait dans
d'autres pays, que la commission du budget puisse faire examinei
ces ateliers par des délégués, et que les officiers détachés à ce ser-
vice reçoivent une formation spéciale, une education commerciale.
pour qu'ils n'encombrent pas les magasins de stocks inutiles, comme
ce chef d'un corps colonial qui avait une réserve de 5oo,ooo paires
de bas et de caleçons 11 faudra supprimer bien des habitudes rou-
tinières pour arriver enfin au système d'économie prisé et promis
par le prince de Bulow.
C'est peut-être le secrétaire d'Etat aux colonies qui s'applique
le mieux à le réaliser' dans son ressort, aussi a-t-il l'oreille de la
majorité du Parlement. C'est un homme d'affaires qui ne risque ses
capitaux que contre des probabilités serienses, qui mesure ses en-
treprises à ses ressources et qui ne fait une étape en avant que
quand les expériences de l'etape précédente ont donné des résultats
favorables il s'ingénie surtout à réduire les dépenses militaires a
leur plus simple expression. De même, il tient la main à ce que le
sauvage soit traite humainement, et s'il ne favorise pas les mission,
au degré où cela serait désirable, cela provient non pas de senti-
ments hostiles, mais de ce que dans les milieux administratifs on
est trop facilement disposé a abaisser les missions au rôle d'un fac-
teur économique. Et puis nous répétons ici volontiers ce que disai;
récemment un députe qui s'occupe beaucoup de choses coloniales
Nulle part on ne voit mieux que dans les missions combien yranJ d
a eté le malheur du schisme religieux du XVI° siècle. Tandis qut
les premiers missionnaires convertissaient des Japonais, des Chinoi-
et des Indiens par millions, parce qu'ils etaient seuls, les travaus
des missionnaires actuels sont relativement stériles à cause des dis-
sidences confessionnelles. Le payen ne sait pas faire son choix entre
REVUE DU MOIS.

Jeux apôtres qui se contredisent, et devient ainsi une proie facile


pour l'islamisme dont la dogmatique est tres simple et la morale très
;arge. Trop aisément les administrations coloniales sont disposées a
favoriser ce mouvement, et parce que d'un côté le nègre est éloigne
,le l'alcool et que d'un autre côté il n'est pas inquiété sur le chapitre
Je la polygamie, elles prétendent volontiers que l'islamisme est un
plogrès preférable au christianisme pour lequel le sauvage n'est pas
encore mûr. Cette théorie pourrait un jour coûter cher aux Euro-
reen11. Qu'il surgisse un jour un mahdi assez génial pour concentrer
ces forces nègres dans une guérie sainte générale et pour tourner
contre les blancs leurs moyens de pénétration du continent noir, il
les jettera en grande partie dans la mer. L'islamisme est comme une
boite de laïcisation des missions cet article est en faveur. C'est
^us prétexte de ne pas blesser les mahométans que le gouverneur
,le Samoa avait ouvert, sans aucune nécessite, à côté des écoles des
missions, une école prétendue simultanée que l'évêque de Samoa
mit en interdit. D'où un conflit assez semblable à celui de Stras-
bourg et Metz. La preuve que l'évêque était parfaitement dans son
droit, c'est que le gouverneur a capitulé en ouvrant l'école pour
l'instruction religieuse, ce qu'il n'avait pas fait avant l'interdit. Mal
en a pris à la gauche de faire allusion au conflit alsacien-lorrain et
de mettre en suspicion le loyalisme de Mgr de Samoa qui est sujet
hançais ils se sont fait remoucher par M. Grober qui en deux mots
<i fait l'apologie de NN. SS. Fritzen et Benzler et par M. Erzberger
qui a rappele aux vieux reîtres du Kulturkampf qu'eux seuls étaient
responsables de la rareté relative des missionnaires allemands.
Ce Kulturkampf ne lance plus de flammes, mais il couve encore
dans plusieurs Etats sous la cendre d'une foule de prescriptions po-
licières, de chicanes administratives. Le Centre a donc présente de
nouveau son vieux projet sur la tolérance sous une forme nouvelle
qu'on appelle le petit Toleran^antrag, par opposition aux projets très
étendus de 1900, igo3, 1907, dont une partie avait été adoptée par le
Reichstag, mats rejetee par le Bundesrat. Le projet actuel, fort bien
soutenu par le prince de Lœwenstein, qui faisait ses débuts à la tribune,
n'est que la reprise presque textuelle d'une résolution de feu M. le pas-
teur Stocker: “ Plaide au Reichstag de prier le chancelier d'entamer
des négociations avec les Etats confédérés pour les amener à sup-
primer, s'il en existe, leurs lois restrictives de la liberté religieuse."
Nous ne demandons pas, dit le prince, le règlement de la question
par l'empire l'exception de compétence est donc écartée pour.
le chancelier absent. Nous ne demandons pas que le Parlement exa-
mine en détail chacune de nos réclamations et en reconnaisse le
bien-fondé. nous ne parlons pas non plus de la question, si im-
pot tante soit-elle, de la parite dans la distribution des emplois, mais
nous ne nous contentons pas non plus d'une application plus tolérante
de lois oppressives, telle qu'elle a été pratiquée çà et là. Nous deman-
REVUE DU MOIS.

dons l'abrogation de ces lois elles-mêmes Ne croyez pas que


nous ayons soulevé ces questions de gaieté de coeur cette résolu-
tion touche aux intérêts les plus sacrés de militons de citoyens
fidèles, et nos discussions précédentes n'ont pas été sans résultat
pratique. Mais dans certaines parties de l'empire il y a encore tant
de poussière dans les vieilles perruques joséphistes qu'il faut ouvrir
les fenêtres bien largement pour établir un courant d'air salutaire
dans cette garde-robe moisie.1' L'orateur cite ensuite des cas d'in-
justice criante en Saxe, dans les principautés de Reuss, en Saxe-
Altenbourg, Mecklembourg, en Brunswick où en 1903 un prêtre
étranger avait été puni de 3o m. d'amende pour avoir baptisé un
enfant en danger de mort, et où le gouvernement n'a accordé un
office catholique que quatre fois par an pour une localité à laquelle
ressortissent 655 catholiques; et cette communauté ne demandait
aucun subside à l'Etat. Nous entendimes ensuite les panégyriques
de la liberté de conscience de M. le pasteur Everling, directeur de
la Ligue évangélique, de M. Muller-Meiningen, avec force coups
contre l'intolérance du Centre, et avec la conclusion diamétralement
opposée à toute logique, qu'on voterait contre la résolution du
Centre. M. de Herthng avait cependant dans un très beau discours
fait en faveur de la libertc de conscience et des cultes une profes-
sion de foi très explicite, où le libéral le plus exigeant n'aurait rien
trouvé à redire il avait d'un mot dissipé toutes les craintes du
retour d'un etat de choses moyen-âgeux. Pour réaliser certaines
théoiies politico.religieuses, celles-ci ne suffisent pas, il faut encore
des conditions sociales, économiques d'une nature bien déterminée.
On ne peut plus mettre purement et simplement en pratique dans
notre monde moderne ce qui était applicable, il y a quelques siècles,
dans d'autres circonstances. Il faudrait être fou pour vouloir res-
susciter les théories du XIII* siècle ou même les défendre aujour-
d'hui comme thèse." Ces déclarations si franches ne servirent de
rien les gauches votèrent avec la droite contre une résolution,
qu'elles avaient dejà votée deux fois, même dans une teneur plus
explicite les socialistes seuls restèrent fidèles à leurs principes de
liberte, malgré les diatribes violentes de leur orateur, le Dr David,
une espèce de Sosie de M. Bebel, contre la politique scolaire du
Centre, qui n'avait, elle, rien à faire dans le débat.
Si le chancelier avait pu être assez peu délicat pour ne pas pa-
raître ni se faire représenter à cette séance, il était impossible d'en
faire autant pour l'interpellation des socialistes concernant les debats
sur la loi électorale dans la Chambre prussienne. En elle-même,
cette loi ne peut pas être l'objet d'une interpellation, mais en de-
fendant son misérable projet, le chancelier, en qualité de président
du conseil, avait dit que le suffrage universel ^rabaissait et abrutis-
sait les mœurs électorales." C'était une injure à la loi électorale du
Reichstag, et il était mis personnellement sur la sellette pour ré-
EKVUE DU MOIS

pondre de
ce méfait. Violemment pris à parti par le socialiste Frank,
lo chancelier chercha une echappatoire en prétendant qu'il ne son-
geait pas à modifier la loi électorale de l'empire et que la loi
n'était pas de la compétence de l'assemblée. M. Grôber,
prussienne
c-ntre autres, lui barra le passage en lui rappelant que des fonction-
naires de l'empire avaient eu beaucoup a souffrir (Kattowitz) du
svstème prussien, que la double qualité de chancelier et de chef du
cabinet prussien était fort justifiée en droit, mais qu'elle exigeait
l'unité de vues et l'unité d'action que dans un pays où tous sont
soumis à l'impôt et à l'impôt du sang, il sera impossible à la longue
Je refuser le suflrage universel, ct que le but de lYlection, la mani-
festation des opinions des électeurs, ne peut être atteint que par le
\ote secret. Le langage des oiateurs démocrates, fut plus véhément
encore, et il y eut un corps à corps oratoire, cela va sans dire,
entre le chancelier et le Dr Wiemer, le leader du Freisinn, qui
cette fois a coupe toutes les communications entre lui et le succes-
seur du prince de Bulow.
Les gens qui ne sont pas habitués à ces collisions parlementaires
sont seuls à être stupéfaits des chocs sous lesquels a tremblé le sol
de notre Landesausschuss depuis la rentrée. Nous autres, qui \ivons
dans l'atmosphère de Berlin, nous ne pouvons pas croire qu'il faille
dernellement laisses suspendus les droits constitutionnels de l'Alsace
paice que tel député aura secoue un peu fortement un membre du
gouvernement. Les secrétaires d'Etat de l'empire et les commissaires
du Conseil federal auraient fort d faire s'ils voulaient suspendre la
Constitution, proclamer la nécessite: de lois d'exception pour Bade,
pour la Saxe, pour la Prusse, parce que les orateurs les ont pris
trop violemment à parti, parce que l'un d'eux aura manifesté des
sentiments anarchistes ou républicains, parce que le président, à
tort ou à raison, aura donne à l'autre un rappel a l'ordre. Ce sont
des enfantillages, et on nous prend pour des imbéciles, quand on
\eut nous faire croire que l'autonomie ne nous sera accordee que
quand tous les députés et tous les electeurs seront coules dans le
moule de M. Albert Wolff. Tous ces prétextes valent ce que valait
le boniment du prince de Bismaik quand il disait à propos de
M. Simonis: “ S'il y avait dix députes comme lui au Reichstag, je
ne pourrais plus garantir la paix europeenne." Quand ce n'etait pas
Simonis lui empêchait l'autonomie c'était M. Winterer, à défaut de
celui-ci, M. Guerber, ensuite M. Kuchly, après cela M. Spies, puis
le redacteur de la Revue, M. Preiss, première manière, et après une
tiève de près de dix ans avec M. de Keller, M. Preiss, deuxième
manière, finalement f lauss, Pfleger, Wetterle il y en aura toujouis s
un. Ces prétextes valent tout autant que celui de notre situation
topographique comme pays frontière; cette allegation idiote remuait
naguère la bile même de la Uùrge>"eitung. ,Si, disait-elle, ce motif
en est un, il faut dire
que nous n'aurons jamais l'autonomie parce
que jamais nous ne cesserons d'être pays frontière."
REVUE DU MOIS.

Certains physiciens prétendent que tantôt la foudre part de--


nuages et tantôt du sol quand même l'image ne serait pas scienti-
fiquement exacte elle me servira néanmoins à appuyer mon sentI
ment que dans nos orages parlementaires du Landesausschuss 1?
foudre est partie tantôt du banc du gouvernement et tantôt de;,
sièges de députés. Il serait tout à fait oiseux de compter les coups
d'un côté ou de l'autre, et de se demander combien de fois les um
ont été plus maladroits, plus susceptibles, plus combatifs que les
autres. La question est de savoir qui depuis un an a surcharge
d'électricité une atmosphère si tranquille auparavant. Et à cette
question on ne peut malheureusement donner que cette réponse
la faute en est au gouvernement, qui a cru mieux faire que M. de
Kœller, simplement en faisant le contraire. Au lieu de laisser au\
fonctionnaires pangermanistes le caveçon que cet homme d'Etat leur
avait attaché, on leur a mis la bride sur le cou, et comme il leur fallait
une victime pour la discipline à laquelle ils avaient été soumis, on
leur a livré M. Wetterlé, pour le conduire dans le temple de Thémis
où. mais attendons le résultat de l'enquête disciplinaire ouverte
contre ses sacerdotes à la suite du réquisitoire du Dr Pfleger. Puis
le gouvernement n'a pas eu la franchise, ni le courage de prendre
devant les instituteurs la responsabilité de la lot sur les traitements.
Quand quelques cuistres fanatiques ont ameuté le corps enseignant
contre le Landesausschuss et vomi pendant des mois les plus basses
injures contre les représentants du peuple, le baron de Bulach, si
crâne contre les évêques, s'est terré dans le silence, c'est à ce mo-
ment qu'il fallait se rappeler la noblesse de son blason, c'est là qu'il
fallait se montrer chevaleresque et couvrir le Parlement. Et lors des
élections au Conseil général et au Landesausschuss, des fonction-
naires de toute l'échelle hiérarchique ont ouvertement pris position,
non pas en faveur des candidats socialistes, mats en faveur de ceux
qui avaient manifestement partie liée avec les partisans de la révo-
lution sociale. Dans la question de la langue française, on a rejeté
avec le même geste la motion Kubler et la motion Back, qui cei-
tainement offrait un compromis au moins discutable. Puis dans la
question de Wissembourg, le gouvernement n'a pas su se montrer
large, et s'il avait le droit de suspecter la droiture de certaines in-
tentions, il devait être assez clairvoyant, après la fête surtout, pour
constater que la fête avait dans tout son ensemble répondu aux
sentiments de tout le peuple alsacien il était de son devoir non pas
seulement d'envoyer son rapport à Berlin, mais de protester contre
les autres rapports sans lesquels nous n'aurions pas eu le déplorable
discours du chancelier. Enfin l'affaire Wegelin, où M. Wolff lui-
même commence à lâcher le ministère. Par dessus tout le conflit
avec les évêques, cette capitulation, sous prétexte d'articles orga-
niques, devant les Pharisiens criant: Si vous les lâchez, vous n'êtes
pas l'ami de César 1 Si M. de Bulach savait quels flots d'indignation
BRVUE DU MOIS.

^et incident a souleves dans la population catholique, et même parmi


les protestants qui ne sont pas encore fanatisés par les Wolff, il ne
eiait pas étonné que les digues se soient rompues au Landesaus-
1 ^huss. Le silence des peuples est la leçon des rois notre gouver-
nement ferait bien de se le rappeler, en constatant que personne n'a
ns sa défense au Parlement, pas même ceux qui ont blâmé cer-
tains excès de langage. M. Wolff, c'est vraiment trop peu pour gou-
\erner 1
Nous nous sommes toujours placés sur le terrain des instttu-
tions existantes, loyalement et sans arrière-pensée, et nous serions
les premiers à condamner un nationalisme qui chercherait son mot
d'ordre au-delà de la frontière, qui y entretiendrait une mentalité
capable de mettre un jour en danger, mais ce que nous n'admettons
c'est qu'on veuille nous imposer un culte byzantin
pas davantage,
pour les personnes et qu'on suspecte 'comme des tentatives de haute
tiahison, toute opposition au régime tracassier qui nous opprime,
toute nervosité contre les coups d'épingle dont on nous larde, toutes
les revendications en faveur de notre autonomie, que nous recla-
mons comme un droit, la tête haute, et non pas comme une grâce
un front d'esclave dans la poussière.
N. DELSOR.
BIBLIOGRAPHIE.

Le Monument français de Wissemoourg. nAux soldats français


morts pour la pairie". Preface du geneial Boisnal.
Broch. de 160 p.
avec 42 il]., publiee par les soins ue l'œu\ re du Monument. Impri-
merie alsacienne-lorrame, à Strasbourg. 5 frs. En vente à Wissem-
bourg au siege de l'œuvre du Monument français à Strasbourg,
à la Revue Alsacienne, 2, rue Biûlée.
Depuis de longues années, la mémoire des soldats allemands
tombés sur le champ de bataille de Wissembourg, était glorifiée par
un monument, tandis que rien n'y rappelait l'héroïsme des soldats
français morts, au cours des deu\ derniers siècles, pour la défense
de la frontière. Sur l'initiatne e de M Auguste Spinner et du Comité
qu'il a créé, une somme de 60 ooo frs. a été réunie et une belle
pierre du souvenir érigée sur le Geisberg.
Dans la brochuie éditée par le Comité, on trouvera, outre la
Préface due à la plume de l'eminent historien militaire qu'est le
général Bonnal, un court aperçu historique des combats livres au-
tour de Wissembourg un historique des travaux du Comité, des
difficultes rencontrées et surmontees un récit détaillé des fêtes
d'inauguration, enfin des cchos de la presse française et allemande.
On sait que les fêtes de Wissembourg ont été le signal d'un déchai-
nement de passions haineuses dans la presse pangermanique. En
parcourant cette brochure, en lisant les discours prononcés à Wis-
sembourg lors de l'inauguration du monument, et la relation des
solennités émouvantes qui ont eu heu à cette occasion, on se rendra
compte de la pensée de justice et de piété reconnaissante qui a ins-
piré le Comité du monument français et toute l'Alsace associée à
son œuvre.
BIISL uGRAPHIK.

Etudes. 5 Février. – L'âme basque. III. L'Egypte et le monde


Jassique. Le mouvement chrétien social en Suisse. Un bap-
ttme à Lyon en 1 65i.
•20 Fevrier. Angélique Arnauld et S. François de S. Epi-
crammes antiques. Loriquet. Le mouvement chrétien social
en Suisse. II. Choses d'Islam.

D'où venons-nous, par l'abbé Tir. Moreux. 125 p., in-8° ill. i fr.
Bonne presse, 5, rue Bayard, Paris, VIIIe.
A l'heure où les matérialistes se font de la science une arme
vontre le Créateur, la Bonne Presse commence une nouvelle collec-
tion scientifique de beaux volumes de science catholique. Le pre-
mier, D'où venons-nous, paraît aujourd'hui, et c'est un veritable coup
de maître du savant très goûté et très recherche, même chez les
incrédules, M. l'abbé Moreux, qui est une gloire à la fois pour
Eglise et pour le monde savant. L'histoire de l'origine du monde,
des plantes, des monstres primitifs, est illustrée par plus de i5o
du sujet, le texte est clair et attrayant,
gravures. Malgre l'elévation
car l'abbé Moreux a le don de transformer en un rêve agréable les
problèmes les plus complexes.
La Curie romaine. Notes histor. et canon. d'après la Constitu-
tion Sapienti consdio et les autres documents pontif. par le P. Jules
Simier, A. A. (texte latin des documents en appendice). in-i6 de 265 p.
fr. bo.
Des nombreuses reformes réalisées par Pie X, l'une des plus
marquantes est la réorganisation de la Curie romaine, par la Consti-
tution Sapienti consilio du 29 juin iqo8 et les documents annexes.
1 esprit pratique avec lequel Pie X a modifie les divers rouages du
gouvernement ecclésiastique central est mis en pleine lumière dans
ce livre, indispensable à tous ceux qui s'occupent de droit canon.

L'Ordinaire de la Messe, par le P. Arthur Devine, trad. de l'anglais


par l'abbé C. Maillet. Beau vol. in-16 jésus, 368 p., 4 fr. Avignon,
Aubanel frères, éditeurs, imprimeurs de N. S. P. le Pape.
L'Ordinaire de la Messe est l'explication au point de vue histo-
rique, liturgique et exégétique, des cérémonies de l'acte primordial
de notre religion la Sainte Messe. Les prêtres, les laïques, même
les laïques non pieux, liront avec intérêt les t3 chapitres de cette
nouvelle œuvre. – L'auteur termine son livre par trois courts cha-
pitres sur les ^cérémonies et les prières de la grand'messe', rappe-
lant fort à propos a) L'emploi des cierges et de la lumière; b) l'as-
p^rsion de l'eau bénite; c) l'usage de l'encens; d) les chants liturgiques
di la musique sacrée. – II convenait, pour être complet, de rappeler
îtf nMotu Proprio" de Pie X sur la musique, cette musique qui
^>it demeurer sainte et non profane ou pire encore.
BIULIOCBAPIUE.

Avec Lui (La Passion Méditée), par Leopold Gros. Jolie brochuit
de luxe in-32 jésus, de 84 pages, caractères elzéviriens. Jmpressior
rouge et noir. Broché 1 fr.

Jeanne, par Marie Lacroix, in-40, nombreuses gravures, brocha


jolie couverture en couleurs, t fr. F. Paillart, imprimeur-éditeur
Abbeville (Somme); A Strasbourg, chez F. X. Le Roux et Cie.
Voici un bon livre, dédié aux jeunes filles, il nous vient de l'au-
teur si connu de Louisette. Ce livre a d'abord été imprimé dan,
la vie l'école, l'atelier, le ménage, l'intérieur d'une conscience s'\
trouvent mis en relief par des tableaux copiés sur la réalité quou
dienne. On ne saurait croire tout ce qui y est dit sur la piété, ht
haute éducation morale, le travail, l'amitié, la franche simplicitc, en
un mot sur presque tout ce qui fait l'ornement d'une âme de jeune
fille. En revanche, on y rencontre une série de caractères qui
composeraient une galerie curieuse la bavarde, la coquette, la rè-
veuse, la jalouse, la mécontente, etc., etc. Il justifiera une fois
de plus cette \crité si joliment énoncée par La Bruyère nQuand
"une lecture vous elè\e l'esprit et qu'elle vous inspire des senti-
"ments nobles et courageux, ne cherchez pas une autre regle pour
“ juger de l'ouvrage tl est bon et fait de main d'ouvrier."
J. Monney.

N. DELSOR, rédacteur responsable.

Strasbourg. Typ.'F*. X. Le Roux & Cie.


RESURREXIT.

Farouche, tu scellas la pierre sépulcrale,


Moulant ta haine atroce au creux d'un dur rocher
Et tu postas –
pour surveiller la lourde dalle,
Des soldats que ton or finit par embaucher

Mais écarteras-tu de cette tète pile


L'auréole de gloire à qui ne peut toucher
Ni ton or qui conompt ni ton orgueil qui râle,
Peuple maudit – barque sans voile et sans nocher
La haine, qui jaillit de ta fauve prunelle,
Ne saurait étouffer notre Christ innocent
Qui vainquit la mort et que le triomphe appelle.

Jésus, le Christ, se ^a du tombeau, triomphant,


Le front irradié de splendeur éternelle:
Les siècles sont à lui, sa gloire est immortelle
J. PH. RIEHI.

Revue. Mars 1910.


M. LE VICAIRE GÉNÉRAL RAPP.

NOTESAUTOBIOGRAPHIQUES.
La Revue catholique a publié un Journal de M.le Vicaire-gcner.il
Rapp" commençant à l'époque de son expulsion d'Alsace
Nous ne savions pas alors qu'il existait encore deux parties anu
meures à cette date La première datant de son enfance à l'année
i85q, a ete, malheureusement seule, retiouvee parmi les papiers de
M le chanoine J. Guerbei. Son exécuteur testamentaire, M. l'abbe
Issenhart, a bien voulu la mettre a notre disposition, et nous n'he-
sitons pas à en publier de larges extraits. Ils ne relatent pas seul-
ment des faits personnels, mais contiennent de petits tableaux fort
curieux" de l'histoire diocésaine du XIXe siècle.

Je remercie Dieu de m'avoir fait naître de parente


très chrétiens, dont la principale préoccupation était do
faire le bonheur de leurs enfants en les élevant chrétien-
nement. Mon père avait une foi vive, tous les jours de
la semaine il assistait a la sainte messe. Ma mère réu-
nissait matins et soirs la famille pour faire la prière el]
commun. Le chapelet se disait tous les soirs, excepté i
l'époque des travaux de la campagne. Cette bonne mèu'
avait soin d'avertir chacun des enfants quand il fallait
s'approcher des Sacrements; alors elle s'occupait indivi-
duellement de chacun de nous pour bien nous prépart'
a cette sainte action, tant elle y attachait d'importance.
De 12enfants sept ont continué de vivre, savoii
Thérèse, née en 1793 Cathérine, née en lyçp; Schola--
tique, née en 1800; Reine, née en 1802; Martin, né ci
M LE A'ICAIEE GÉNÉRAL RAPP.

j8o3 Ignace, né en 1807, et Michel, né en 1810. Nos


parents tenaient à nous donner une éducation simple,
conforme à notre position. Les filles furent toutes envoyées
-n pension en France, les garçons fréquentèrent réguliè-
,ement l'école. On nous habitua de bonne heure au tra-
vail des champs; il fallut que mes sœurs, en revenant du
pensionnat, partageassent avec les domestiques tous les
mivaux du ménage et de la culture des champs.
A l'heure où j'écris cette notice, nos parents sont
morts depuis longtemps et nous sommes encore six en
vie. Cathérine, notre sœur, qui est morte à l'àge de 36
ans, et Michel furent les seuls qui se soient mariés.
Nous, les vivants, devons remercier Dieu de nous avoir
conservés jusqu'ici, en nous préservant de maladies graves
lusqu'à ce jour.
Nos parents étaient jeunes quand la Révolution
éclata, ils passèrent par de grandes épreuves, toujours
fermement attachés à leurs devoirs de chrétiens catho-
i.ques. Pendant la Terreur, ils donnèrent plus d'une fois
.tbile aux prêtres persécutés. Le R. Père Placide Richert,
de sainte mémoire, disait souvent la messe et adminis-
trait les Sacrements dans notre maison paternelle. C'est
sans doute cette hospitalité courageuse que nos parents
accordèrent aux confesseurs de la foi, qui leur mérita plus
tard d'avoir deux de leurs fils et un petit-fils prêtres, un
autre petit-fils Liguorien et une petite-fille religieuse.
Mon frère aîné, Martin, avait commencé ses études
latines depuis quatre ans, quand je sentis un désir irré-
sistible de suivre son exemple. Une difficulté sérieuse
s'opposait à mes aspirations mon père, déjà âgé, comptait
sur moi pour le soulager dans ses vieux jours et lui suc-
céder dans sa profession. 11 m'affectionnait d'autant plus
que je portais son nom (Ignace). En me voyant suivre
une voie contraire à ses vues, il fut profondément affligé,
et se montra d'abord bien décidé a refuser son consen-
tement. Mais voilà que le bon religieux, le P. Placide,
se mit à plaider ma cause en faisant comprendre à mon
père qu'en bon chrétien il ne pouvait s'opposer à la vo-
M. LE VICAIRE GÉNÉRAL BAPP.

lonté de Dieu et qu'il fallait faire ce sacrifice, quelque


dur qu'il fût.
Ma vocation à l'état ecclésiastique. Un jour, des
plus mémorables de ma vie, fut celui, où revenant un
matin de la messe de Rorale qui se dit pendant l'Avent,
mon excellent père me prit a part, me questionna sérieu-
sement sur les motifs qui me guidaient dans ma déter-
mination et, ayant reconnu la pureté de ces motifs, me
déclara, les laimes aux yeux, qu'il ne voulait plus s'op-
poser a ma vocation.
Sic, Domine, Tu elegisti indignum setvum tuum ad
grande munus sacerdotale. Quid retnbuam Tibi, Domine,
pro tanta gratta ? Heu ? quam pauper sum o quam ne-
cesse est mthi oraie quotidie pro inummeris peccatis offen-
sionibus et negligentiis meis. Fac saltem est quidquid
adhuc mihi vitœ superest, totum pio gloria tua impendam.
Je commençais mes études latines sous la direction
de M. l'abbé We)haupt, alors vicaire a Eistein, et sous
celle de mon frère Martin, qu'une maladie d'yeux avait
forcé de i entier, pour quelques mois, dans notre famille.
En automne de 1820 j'entrais au petit Séminaire et fus
admis en cinquième. Ayant obtenu quelque succès, on
me fit sauter la quatrième. Ce fut une faute qui me fit
un grand tort; car les efforts que je fis en 3" pour me
tenir au niveau de mes études, me rendirent malade et
je fus obligé de les interrompre, et de me condamner au
repos pendant assez longtemps. Les médecins ayant jugé
un changement de climat nécessaire, je me rendis à
Saint-Dié pour v continuer mes études pendant l'année
1825- 1826. L'année suivante je fis ma rhétorique à La-
chapelle, où je restais aussi pour la philosophie. Je regret-
terai toujours ces interruptions et ces changements de
collèges, qui n'ont pas été favorables à mes études.
Entrée au grand Séminaire. A la Toussaint de
l'année 1829 j'entrais au grand Séminaire où j'eus pour
professeurs MM. Specht, Pimbel, Müller, Bâumlin,
M. Lienhard, vicaire général, supérieur.
Le 18 décembre 1829 j'eus le bonheur d'être admis
M. LE VICAIRE GÉNÉRAL EAPP.

parmi les clercs tonsurés et de recevoir les quatre


moindres le 28 mai 1831 je fus ordonné sous-diacre;
le i3 août 1831 je fus ordonné diacre; le même jour,
mon frère, vicaire à Sainte-Madeleine, vint m'annoncer
•a mort de notre sœur Catherine enfin, la veille de la
rrinité en i832, je fus revêtu de la haute dignité du sa-
cerdoce et le jeudi suivant j'eus le bonheur de chanter
;na première messe à l'église de Sainte-Madeleine à Stras-
nourg, assisté de mon frère. Deo gratias.
Mes années de séminaire furent marquées par deux
é\énements de famille bien pénibles: la mort de notre
nère au commencement de la Semaine-Sainte en i83o,
u la mort de notre sœur Cathérine, morte le i3 août
iS3i. R. i. p.
Révolution de i83o. – Au mois de juillet i83o
éclata la révolution; elle eut un caractère antireligieux,
les croix furent brisées, les prêtres insultés, les églises
profanées. Des menaces furent prononcées contre le Sé-
minaire, un coup de fusil fut tiré dans une fenêtre. On
trouva prudent de nous renvoyer dans nos familles et on
nous conseilla de nous habiller en laïques. Un des do-
mestiques me procura des habits, ce qui n'empêcha pas,
qu'arrivé à la porte d'Austerlitz, je ne fusse reconnu par
un employé de la douane qui se permit de nous insulter,
moi et mon compagnon, l'abbé Meyer de Hindisheim.
Changements au grand Séminaire. M. Bautain.
De grands changements eurent lieu en 1 83dans le per-
ionnel des supérieurs des grand et petit Séminaires. Le
bon M. Lienhard dut céder la place à M. le chanoine
Rsess, MM. Bautain, Ratisbonne, Bonnechose, etc., eurent
"oute la confiance de Mgr de Trévern, qui les installa au
petit Séminaire après les avoir ordonnés prêtres.
Manus cito nemini imposueris non neophjto, ne in
utperbiam elatus, in judicium incidat diaboli (ad Tim.)
Mgr de Trévern a eu à se repentir de n'avoir pas suivi
le conseil de saint Paul. Le chef des nouveaux convertis
ne tarda pas à donner dans de graves erreurs qui furent
condamnées par le Saint-Siège.
M. LE VICAIRE GÉNÉEAIi RAPP.

La Sorbonne. Mgr Le Pappe de Trévern appar-


tenait à une ancienne famille noble de la Bretagne. Il
était très charitable envers les pauvres et faisait tous le.
ans, pendant la mauvaise saison, plusieurs distributions
aux indigents.
C'est à ses propres frais qu'il créa, à sa campagne de
Molsheim, une école de théologie supérieure qu'il appel'
la Sorbonne. Mon frère et moi y fûmes appelés successi-
vement. Le but de l'Evêque était de former des prêtres
spécialement destinés aux postes mixtes pour la convet-
sion des protestants on enseignait surtout les matières
controversées entre catholiques et protestants. M. l'abbc
Dietrich, théologien des plus distingués, dirigeait ces
études.
Ma mission à Munster comme vicaire ad intérim.
Mgr de Trévern avait émigré en Angleterre pendant le*
jours de la Terreur. Il y composa son ouvrage La dis-
cussion amicale qui a fait un grand nombre de convet-
sions. Il s'était flatté de ramener également les protestants
d'Alsace il s'étonnait d'apprendre que le clergé du dio-
cèse de Strasbourg ne s'était pas plus occupé de leui
conversion et en concluait que ce clergé manquait de zèle
et d'instruction.
Mgr de Trévern était dans l'illusion; l'esprit des pio-
testants d'Alsace était tout autre que celui de leurs core
ligionnaires d'Angleterre. Ces derniers ont conserve
certaines pratiques religieuses, comme la prière, la fré-
quentation des offices, et avaient un vif désir de connaître la
vérité les protestants d'Alsace sont généralement très
indifférents en religion et les pasteurs ont soin de leui
débiter toutes les vieilles calomnies contre le catholicisme
Le fait suivant prouve jusqu'à quel point Mgr de Trévem
se fit illusion
Je venais d'être ordonné prêtre, lorsque Monseigneui
me fit venir et m'annonçant ma nomination de vicaire a
Mulhouse, me dit «Vous irez d'abord à Munster, où n
n'y a pas de vicaire en ce moment. Il y a là une famille-
protestante où j'ai été très bien accueilli, lors de nv
M. I/E VICAIRE GÉNÉRAL EAVP.

tournée de confirmation. M. Jacques Hartmann a une


nlle unique qui se sent de l'attrait pour la religion catho-
lique, elle a une femme de chambre très bonne catholique
qu'elle aime beaucoup. Comme elle est très bonne musi-
cienne, j'écrirai à son père que je prierai de vous mettre
en rapport. Vous aurez l'occasion de l'instruire, de lui
uèter des livres la Discussion amicale, l'Exposé de la
loctrine catholique par Bossuet. Puis, comme il y a beau-
coup de protestants à Munster, vous annoncerez dans
Autre premier sermon que vous ferez une série d'instruc-
'tons sur les matières controversées, les protestants attirés
l'abord par la curiosité, vous écouteront avec attention
et seront convaincus. »
Jeune prêtre, je ne pouvais que m'incliner devant
l'ordre de mon évèque, j'admirai sa confiance dans ma
pauvreté et dans les moyens qu'il me suggéra pour con-
v ertir Mlle Hartmann et les protestants de Munster.
Je n'étais pas dix jours à mon poste que je reçus
une invitation de M. Jacques Hartmann à un dîner et à
un concert. Le dîner fut splendide, les musiciens les plus
distingués de Colmar s'y trouvèrent. En sortant de table
la société se rendit dans la belle salle de musique que
M, Hartmann avait fait construire dans son jardin. Je
tus invité à faire ma paitie 4e violon. L'obéissance que
je devais à mon évêque me fit un devoir d'accepter. On
exécutait un grand conceito de piano avec accompagne-
ment d'orchestre. Il patait que je ne m'en suis pas trop
mal tiré, puisque M. Hartmann me complimenta et trouva
que le traitement de 35o francs, que le gouvernement
donnait aux vicaires, était bien pauvre, et dit qu'il prie-
rait son frère, pair de France, de provoquer une aug-
mentation. Le fait est que le traitement des vicaires resta
le même, que ma mission auprès de Mlle Hartmann
échoua, et que les protestants de Munster ne se conver-
tirent pas.
J'eus bien l'occasion de revoir la famille Hartmann,
mais la plus simple prudence voulait que je ne visse
jamais Mlle Hartmann seule, j'eus soin de lui envoyer les
M. LE VICAIBE(ÎEKEKAL
BAPP.

livres recommandés par l'évêque, la femme de chambre


me servit d'intermédiaire. Mlle Hartmann les lisait et me
remerciait; mais dans sa position vis-à-vis d'une ancienne
famille protestante, il aurait fallu un miracle de la grâce
pour affronter les immenses difficultés que cette personne
avait a vaincre. On m'assura plus tard qu'elle avait un
grand désir d'être catholique. Elle mourut jeune, non
encore mariée; sa vie a été pure d'après le témoignage
de sa femme de chambre, espérons que Dieu, dans sa
miséricorde, l'aura reçue au paradis.
Nomination au vicariat de Mulhouse. – J'administrai
seul la pénible et très étendue paroisse de Munster (le
curé, M. Brandel, paralysé de tous ses membres, ne sor-
tant plus de son fauteuil), lorsque je reçus le roaoût
i832 ma nomination au vicariat de Mulhouse. A cette
époque cette paroisse était administrée par un jeune curé,
M. Lutz et deux vicaires. Elle se trouvait, à cause de
son industrie, dans des conditions extraordinaires de dé-
veloppement, ce qui nécessita d'année en année une
augmentation du personnel du clergé. Le travail ne man-
qua pas. Chacun des vicaires avait journellement une
instruction à faire soit en allemand soit en français, et
deux fois par semaine à l'école de nuit. J'avais en outre
à préparer à la première Communion les garçons qui ne
savaient pas lire et qui travaillaient dans les fabriques.
Plus tard je fus chargé du catéchisme français et de la
prédication française. Du premier jour de mon entrée en
fonctions, M. le curé me pria de m'occuper du chant
d'église qui jusque-la laissait tout à désirer.
Société de jeunes gens. Les deux dernières années
de mon vicariat je fus chargé des cours d'instruction au
collège. Il s'était formé une société de jeunes gens qui se
réunirent tous les dimanches chez le vicaire. On faisait
la lecture dans les conférences de Fraissinous ou dans
quelqu'autre livre instructif, on lisait quelque bon journal,
la conversation s'engageait sur ce qu'on venait de lire,
on demandait au vicaire la solution de certaines diffi-
cultés enfin on faisait un peu de musique.
M. LE VICAIRE GKXÉBAIi RAP11.

Plusieurs de ces jeunes gens renoncèrent à de bril-


iantes positions qui les attendaient dans le monde et de-
vinrent prêtres. M. Victor Ritter, jeune homme de beau-
-oup de moyens et d'une tendre piété, entra au Séminaire
je Strasbourg; mais il n'avait encore reçu que la tonsure
quand Dieu le jugea mûr pour le ciel. M. Poirot fit son
séminaire à Saint-Sulpice, il devint vicaire à Saint-Phi-
hppe-du Roule. Cette réunion devint plus tard, par le
zèle d'un de ses membres, M. Ravenez, un noyau d'où
•ortit la première Société de Saint-Vincent-de-Paul. Si
décrié que fut Mulhouse, il y avait parmi les personnes
qui travaillaient dans les fabriques des âmes d'élite qui
marchaient dans les voies de la plus haute perfection et
que les persécutions auxquelles elles étaient continuelle-
ment en butte dans les ateliers, ne faisaient qu'affermir
dans la foi. J'avais pour collègue à Mulhouse M. l'abbé
Uhlmann qui se fit remarquer par son talent de parole
et devint le successeur de M. Lutz.

(A suivre.)
LA LEGENDE D'OBERLIN
Pasteur au Ban-de-la-Roche.

(S
ni
le.)

VIII.

Croyances d'Oberlin.

Nous affirmions qu'Oberlin était un croyant. Quelle


était sa foi? « La religion du pasteur du Ban-de-la-Rochc
est celle des piétistes, dit Ed. Parisot c'est le christia-
nisme supérieur, indépendant de toute différence con-
fessionnelle, indépendant de tout dogme, c'est la religion
de l'amour. »' De fait, sa foi religieuse était vague, imagi-
naire, sentimentale, sans symbole défini et immuable,
réfractaire à l'enseignement de l'Eglise. 11était plus attaché
aux maximes qu'aux vérités de l'Evangile, comme Spener;
mais, en sa qualité de pasteur de la Confession d'Augs-
bourg, il adhérait a ce symbole de foi rédigé par
Mélanchton; il y adhérait à la façon des ministres pro-
testants qui, l'acceptant extérieurement, l'expurgent plus
ou moins en vertu du principe du libre e^men.
Par suite des vieilles traditions perpétuées dans sa
famille, Oberlin acceptait et professait certaines vérités

1 E. Parisot, 93
LE LÉGENDE D'OBEKLIN.

chrétiennes, mais pas toutes car, comme il interprétait


'a parole de Dieu et réglait sa foi selon son jugement
particulier, il errait en beaucoup d'articles. Pasteur ortho-
doxe, il ne niait pas l'inspiration divine de la Bible; au
contraire, il s'indignait contre les exégètes qui, par leurs
élucubrations essayaient de dépouiller les Livres saints de
leur caractère divin et publiaient leurs systèmes et leurs
commentaires rationalistes dans des ouvrages, qui, mis
en vente aux foires de Leipzig, inondaient ensuite toute
l'Allemagne. Combien plus s'indignerait-il, aujourd'hui
que la plupart des professeurs de théologie protestants, tels
Antoine Seitz à Munich et Otto Pfleideier à Berlin, en-
seignent à leurs élèves, au su et vu de leurs supérieurs
ecclésiastiques, qu'il n'y a pas eu de révélation sur-
naturelle, que la Bible n'est qu'un livre humain sans
force obligatoire; le Christ, qu'un Messie sauveur d'ordre
économique, sans autorité divine; que le christianisme
n'a pas été divinement établi par les apôtres que les
récits du paradis terrestre et de la chute de l'homme sont
des fables que l'homme est issu de l'animal, etc. Au
contraire, Oberlin recevait la Bible comme la parole de
Dieu écrite mais, par une erreur compréhensible chez
un protestant, n'ayant d'autre guide dans l'intelligence de
ce livre que sa raison faillible, il tombait dans des erreurs
singulièies pour le règlement de sa vie, sans cependant
aller aussi loin que les Mormons, p. ex., qui donnent aux
textes sacrés une explication offensant le bon sens et la
morale. Ainsi il s'assujettissait aux ordonnances cultuelles
de l'Ancien Testament, aux prescriptions surannées de la
Loi mosaïque, comme si elles n'avaient pas été abrogées
par la loi chrétienne. Pour lui, dit Stœber, la Bible
entière était obligatoire. C'est pourquoi il s'abstenait du
sang des animaux et payait de ses modestes émoluments
la dîme pour l'Eglise et l'Ecole, la dîme pour les travaux
utiles, et un tiers de dîme, c'est-à-dire un trentième pour
les pauvres.
Est-ce pour imiter les juifs qui, par respect, n'osaient
prononcer le nom de Jéhovah, qu'il engageait ses paroissiens
LA LÉGENDE D'OBERI/IN.

à substituer à l'exclamation, «mon Dieu» celle de, «mon


Père» si usitée au Ban-de-la-Roche. Cependant il n'était
pas judaïsant pour le repos hebdomadaire, puisqu'il ob-
servait le dimanche au lieu du sabbat, contrairement au
texte de l'Ecriture, et qu'il autorisait le travail du dimanche,
même non urgent, si c'était dans un but charitable, en
vertu du principe si critiqué La fin justifie les moyens.
11 n'était pas judaïsant non plus pour la circoncision.
Comme tout piotestant, il adaptait la Bible à ses idées
préconçues. Notre pasteur croyait en Dieu et en sa
Providence, à l'encontre des Déistes de son siècle. Témoin
le cahier intitulé Providentialia, où il inscrivait des faits
providentiels venus à sa connaissance. Il croyait au mystère
de la Sainte Trinité et baptisait au nom des trois per-
sonnes divines. 11 croyait en Jésus-Christ. Avait-il une
conception orthodoxe de l'Incarnation, ce n'est pas sûr,
tant s'en faut, car elle varie chez les pasteurs protestants
abandonnés à eux-mêmes. Voici ce qu'avoue le professeur
berlinois Pfleiderer à ce sujet: «Quand on passe en
revue les «Vie de Jésus», on constate que chaque auteur
se forge un Christ idéal, un Evangile idéal qu'il présente
comme le vrai Christ, le vrai Evangile.»1 1
Oberlin croyait au péché originel, à la nécessité d'une
régénération spirituelle, à la rédemption des hommes par
la mort de Jésus-Christ, à la toute-puissance de la prière
de l'homme de foi, à la nécessité de l'observation des
préceptes divins (ce n'était pas précisément la foi de
Luther, la foi sans les œuvres) autant d'articles de foi
de la doctrine catholique, autant d'épaves du grand nau-
frage du XVIe siècle. Mais le ministre de Waldbach s'en
écartait en beaucoup d'autres car sa foi basée unique-
ment sur la Bible, qui, plus qu'aucun livre, a donné lieu
à tant de commentaires contradictoires, était mal assurée
et sujette à erreur. Ainsi il niait l'éternité des peines de
l'enfer2 qui répugnait à son sentiment naturel, malgré les

1 Die Entstehung des Christentums.


Pfleiderer, p. 8.
2 E. St. 55o.
LA LÉGENDE D'OBEIILIN.

i.jxtes les plus clairs, les plus explicites de la Sainte-


écriture, malgré la croyance de l'Eglise chrétienne. «Si
Dieu pouvait damner une de ses créatures, il deviendrait
.jiable»1, avait-il l'audace de s'exprimer. Il fut cité2 un
our devant le Consistoire supérieur fermement attaché
en ce temps la à la Confession d'Augsbourg, parce qu'il
t<vait prêché contre les peines éternelles. Dans sa défense,
il allégua qu'il avait d'abord essayé de prêcher dans le
jns orthodoxe, mais qu'il avait été réfuté par cet argu-
ment d'un certain Nicolas de sa paroisse: «Je suis
,-iauvais et Dieu est bon. Or, quoique mauvais, je par-
donnerais toujours à mon fils. Donc Dieu, à plus forte
idison, nous pardonnera aussi, puisqu'il est notre bon
père. » C'est ainsi qu'Oberlin se justifie de ce chef
d'accusation. Néanmoins, quand il prêchait sur l'enfer,
il épouvantait ses auditeurs par la description des horribles
supplices qu'on y endurait. On lit cette note dans un
petit carnet qui reste de lui: «J'avertirai les buveurs et
les ivrognes qu'après leur mort, au lieu de vin, de bière
tt même d'eau, ils n'auront que de l'urine de cheval à
boire»; et cette autre note: « Souvent j'ai lu et entendu
^jue les douleurs qu'on peut essuyer dans ce monde et
dans ce corps terrestre ne sont rien en comparaison de
celles par où passent ceux qui n'ont pas travaillé à la
mortification et au crucifiement de la chair et de ses
désirs. Il dressait des cartes fantaisistes de l'Enfer avec
'•ept divisions diversement teintées pour autant de caté-
gories de damnés, qui y souffrent des tourments de toute
sorte.33 Il s'étendait sur ce sujet comme à plaisir, dit
Parisot, de qui nous tenons ces détails. Oberlin croyait
un enfer temporaire, une espèce de purgatoire, mais
non pour les justes seuls, comme l'enseigne l'Eglise catho-
i:que.
Séparé de cette Eglise,nullement en communion avec son

E. St. 48.
E. St. 129.
3 E. St.
557
LA LÉGENDE b'OMERLIN.

chef, il s'appelait néanmoins ministre catholique évangélique ç.i


non ministre protestant. Cette épithète de protestant lu;
déplaisait ainsi que celles de huguenot, luthérien, hérétique,
attendu que, alléguait-il, dans les écrits des S. S. Pères
la dénomination d'hérétique est opposée à celle de catho-
lique. A ce propos, Stoeber raconte l'anecdote suivante
Un jour, un homme de Colroy-la-Roche, partisan di.
curé assermenté et intrus, Thinon, vint le trouver et si.
plaignit auprès de notre curé catholique évangélique de c,
que l'ancien curé Henry, depuis son retour de l'exil en
i8o3 reprochait vivement aux Patriotes d'avoir adhéré u
l'Eglise constitutionnelle, les traitait de schismatiques, d,
luthériens, de protestants. A ces récriminations du
Patriote, Oberlin répondit « Nous ne sommes pa-<
luthériens, nous croyons en Jésus-Christ et non en Luthei.
Nous portons et nous souffrons le titre de luthérien^
comme une injure qu'on nous adresse. Nous ne protestons
pas contre la ieligion catholique. Il y a deux cents ans
qu'il fallait protester contre la tyrannie de l'empereui
Charles-Quint qui voulait nous imposer des dogmes
contre l'Evangile. Alors nous étions protestants, aujourd'hui,
cela ne signifie plus rien. On ne parle plus des dogmes
de Charles-Quint, et certes, nous ne protestons jamais
contre le S' Evangile, ni contre l'Eglise catholique et
chrétienne. Pour ce qui regarde les termes de schismatique
ou d'hérétique, jugez vous-même lequel des deux mérite
ce reproche celui de nous qui croit, professe et pratique
ce qui est contenu dans les épîtres catholiques de saint t
Jacques, de saint Pierre etc. et tout l'Evangile, ou ce
curé qui ne souffre pas que ces épîtres soient dans le'
mains de ses paroissiens. Jugez et dites, qui est vraiment
catholique et chrétien, et qui est schismatique et héré-
tique. » Cette anecdote se passe de commentaires. En
parlant des dogmes de Charles-Quint, des dogmes contre
l'Evangile, des Evangiles défendus aux fidèles, que
l'édition fût approuvée ou non, il a mystifié de belk
façon son interlocuteur.
Dans une autre circonstance il a encore essayé de k
LA LÉGENDE D'OBERLIN.

.,lire. C'était dans une auberge de Belmont, où il fut inter-


nellé par un catholique de Colroy qui lui demanda « Est-
-e vrai que vous avez prêché dimanche dernier contre les
catholiques?» – «Jamais de la vie » répliqua le pasteur,
<nous ne sommes pas contre la religion catholique. Lisez
plutôt dans la Bible que voici Epître catholique de
Saint Jacques, Epître catholique de Samt Pierre, Epitre
catholique de Saint Jean.» » C'était gentiment abuser
de la naïveté du bonhomme, si toutefois celui-ci a pris
!a démonstration au sérieux.
Notre ministre catholique évangélique attachait peu
d'importance aux différences de croyance et de culte qui
divisaient les communions chrétiennes. C'est du moins
l'opinion qu'il exprime dans une conversation avec Merlin
de Thionville. « Si vous êtes chrétien, nous sommes de la
même religion. Suivez la Loi tracée par le cher Sauveur,
elle seule est la vraie Loi. Quelles que soient les pratiques
et les cérémonies que les diverses sectes ont ajoutées à
la Loi du Christ, elles sont de peu d'importance. Luther
n'a point fait de religion nouvelle, il nous a seulement
rapprochés de la Loi de Jésus-Christ. Soyez catholique,
ioyez luthérien, Dieu vous regardera avec la même faveur,
m vous suivez les leçons tracées par son divin Fils. »
Ce n'était pas le langage des Réformateurs du
XVIe siècle, lesquels soutenaient que l'Eglise de Jésus-
Christ était tout entière infectée d'erreurs condamnables,
d'idolàtrie et de superstition, et que, pour cette raison,
ils ont été obligés en conscience de sortir de cette Baby-
lone. La réponse d'Oberlin émanant de son esprit in-
certain, flottant en matière de foi, semble tout réduire à
la morale évangélique, sans faire aucun cas des dogmes,
des sacrements et de la liturgie, comme si Jésus-Christ
n'avait pas déclaré que «celui qui ne croira pas, sera
condamné»1; comme si le dogme n'était pas le fondement
indispensable de la morale et comme si des erreurs telles

S. Marc, XVI. 16.


LA LÉGENDE D 0BKKL1N

que l'inutilité des bonnes œuvres, le serf arbitre et la ré-


probation absolue enseignées par Luther et Calvin ne
sapaient pas la morale par sa base.
Son esprit conciliant et tolérant fit qu'il entretint det.
relations courtoises et de bon voisinage avec les curés
Guntz, Fréchard, Roy, Demange, Kuhn, Sauvage. C'étaient
aussi bien de braves gens. Mais ce qui scandalise, c'est
la sympathie qu'il témoigne à des ennemis jurés du
christianisme. En parlant de Voltaire et de J. Jacques
Rousseau, il s'écria une fois: «Ah! les chers hommes!)) »
Les absolvait-il de leur inconduite et de leur impiété, de
leurs méfaits et de leurs scandales, parce qu'ils avaient
écrasé la superstition et le fanatisme par l'incrédulité (ce
sont les propres termes du pasteur), et réhabilité le pro-
testant Calas innocent comme l'anarchiste Ferrer? Certes
il ne partageait pas toutes leurs idées et surtout pas leur
dédain pour le pauvre peuple. x Cependant il lisait leurs
ouvrages, et cela se remarque dans certains passages de
ses écrits. Ainsi comme J. J. Rousseau qui dit « Si la
mort de Socrate est d'un sage, celle de Jésus est d'un
Dieu», Oberlin met en parallèle Jésus et Socrate et
s'exprime ainsi «Jésus est un sage, l'Homme-Dieu, le
philosophe qui a trouvé le dernier mot de la sagesse;
mais il n'est pas le seul sage. Socrate est aussi un sage,
il est un modèle de vertu, et son séjour est parmi les
bienheureux.» »
Aujourd'hui beaucoup de pasteurs se contentent de
mettre Jésus au rang de Socrate, de Bouddha et de
Confucius, ne se cachant plus de nier sa divinité.

1 C'est Voltaire « Le peuple n'est pas


qui a écrit cette phrase
digne d'être instruit » et c'est Rousseau qui a osé dire: « Le peuple
n'a pas besoin d'éducation. V. Lettre de Voltaire à Damilaville
ig mars 176o. J. J. Rousseau, Emile 1.
LA LEGENDE D'OBEllLIN.

IX.

Visions d'Oberlin.

Le pasteur de Waldbach sympathisait avec les Ency-


;lopédistes, les Rationalistes d'une part, avec les Piétistes,
les Illuminés d'autre part: sympathie hétérogène, mais
,lui s'explique par ce fait qu'il se référait, selon la doctrine
.ies Novateurs du XVIe siècle, non à l'enseignement de
i'Cglise, mais à sa raison individuelle, et à une prétendue
mspiration divine dans les questions de foi. Il était
piétiste comme Spener de Ribeauvillé qui expliquait la
Bible dans le sens moral seulement, il était même mystique,
comme ses amis, le médecin badois Jung-Stilling, le
colmarien 1 le
Pfeffel, négociant strasbourgeois Caspar
Wegelin, le pasteur suisse Lavater, le libraire Saltzmann,
Mme d'Oberktrck, Mme de Krudener, laquelle abusait peut-
être du mysticisme d'autrui, à moins qu'elle ne s'abusât
elle-mème. Le préfet du Bas-Rhin, Lezay-Marnésia, appar-
tenait aussi à cette coterie ou petite Eglise, bien qu'il
fût catholique.
Oberlin était en correspondance avec eux et recevait
leurs visites en son presbytère de Waldersbach. Il lisait
avec une singulière curiosité les ouvrages mystiques
«Merveilles du ciel et de l'enfer, des terres astrales et
planétaires » de Swedenborg, fondateur de la « Nouvelle
Jérusalem» église qui vieillit vite;2 «Die Geisterkunde »
ija Théorie des esprits) de Jung-Stilling; « Die Aussichten
in die Ewigkeit» (les Vues dans l'Eternité) de Lavater. Il
partageait aussi les idées de ce dernier en physionomie,
traçait un grand nombre de silhouettes et, comme lui,

1 Le mysticisme de Pfeffel ne l'empêcha pas de composer un


chant a l'occasion de la consécration du Temple de la Raison, à
Colmar, en 179J. Pour Oberlin aussi, il y eut des accommodements
avec le Ciel pendant la Terreur.
2 E. St. 556.
Revue. Mars 1910. 10
LA LÉGENDE D'OBEBHN.

se flattait de deviner le caractère de chaque homme pai


son profil. Mais combien hasardés ces jugements?'
Il s'intéressait également au magnétisme animal de
Mesmer, à ses cures et à ses opérations merveilleuses;
de même au système de Gall, jusqu'à collectionner des
crânes pour en examiner les bosses. II consultait les sorts
comme les Frères Moraves. Bref, il était visionnaire avec
le pseudo-prophète Swedenborg, physionomiste avec
Lavater, magicien avec Mesmer, phrénologiste avec Gall
et devin avec les Frères Moraves.~ I! étudiait encore avec
un vif intérêt l'histoire ténébreuse des Templiers et des
Francs-Maçons. Enfin il se repaissait des ouvrages traitant
de révélations, visions, faits mystérieux. Et c'est pourquoi
l'Apocalypse, par son langage allégorique et prophétique,
était le livre de la Bible qu'il préférait; c'est de cette
lecture que lui vint l'idée d'attacher un sens mystique
aux couleurs et aux pierres précieuses.~ 3
Le surnaturel, le merveilleux, l'au-delà l'intriguaient fort.
Et sa foi en l'illumination intérieure, indépendante de toute
cause surnaturelle admissible, produtsait les effets d'une
véritable auto-suggestion. On est stupéfait d'apprendre
par ses propres écrits avec quel esprit inventif il se re-
présentait le monde des Esprits, avec quelle facilité il
adoptait les conjectures les plus risquées, les conceptions
tes' plus imaginaires, avec quelle naïveté il ajoutait foi
aux rêves prophétiques, aux visions les plus bizarres.
Ce fut surtout après la mort de sa femme survenue
en t~SS, dans leur quinzième année de mariage, qu'il fut
obsédé des visions les plus étranges et qu'il fut d'une
crédulité enfantine aux récits les plus extravagants.
On est tenté de crore que la mort subite de sa jeune
femme qui l'avait rendu père de neuf enfants, lui avait

1 L'impie Voltaire et le saint curé d'Ars, avec le même profil et


]a même conformation du crâne, différaient tout à fait l'un de
l'autre, quant à leur caractère et leur mentalité.
E. St. 547.
3 Ibidem.
5 ig. 52~ 532.
LA LÉGENDE D'OBEBMN.

'range l'esprit. Mais il n'en est rien. Sans doute le coup


~t terrible, écrasant. Lui-même raconte qu'effaré, il aban-
mna la morte au médecin Sébastien Scheydecker et monta
,ui grenier, et que là il s'efforça, de prier. « Qu'as-tu fait,
mon Dieu s'écriait-il, tu m'as pris ma femme et je
J)ts t'en bénir?)) Puis redescendant, il va se jeter sur le
c )rps inanimé, l'arrose de ses larmes et colle ses lèvres
~u' les siennes.'
Quoique cette mort d'une personne si chère fit une
profonde impression sur lui, il faut plutôt attribuer ses
aberrations d'esprit à la hantise des Illuminés de son
siccle et à la lecture de leurs élucubrations. Il partageait
(nire autres idées de Swedenborg, celle que deux êtres
humains, unis par l'amour en ce monde, ne forment plus
djns l'autre qu'un être céleste. Il était aussi en com-
munion d'idées avec les nouveaux Frëres-Moraves pour
qui Jésus-Christ était censé l'époux de toutes les Sœurs-
Moraves, dont les maris ne sont à proprement parler que
les procureurs. 2
Aussitôt après son décès, sa femme lui apparaissait
suus divers aspects, conversant avec lui, l'avertissant des
dangers qu'il courait, lui donnant des conseils, approuvant
nu blâmant ses projets et le renseignant sur l'autre monde.
II reste de lui une petite liasse de papiers intitulée: «Ma
chère femme vue en rêve» et en sous-titre «Apparitions
que d'autres et moi avons vues en rêve de ma chère
dcfunte. ))3 Ce manuscrit que Stœber ne crut pas devoir
)~ rer a la publicité nous révèle son état d'esprit. Ainsi
~bertin y note que sa femme, cinq jours après son en-
t'fiement, lui apparut sous un déguisement, mais qu'elle
6t reconnaître par ses familiarités, ses embrassements,
s baisers, etc. une autre fois, qu'elle se montra a
1 habillée à son ordinaire, une rose au côté gauche, et
t' annonça qu'elle n'avait encore fait qu'une courte visite

'E.Sl.p.220,SS.
Bergier. Dictionnaire, au mot Henenhuters.
Mss, Andreœ-Witz.
LA LÉGENDE D'OBERLIN.

au Paradis et n'avait pas encore vu notre Sauveur, mai


seulement sa clarté.. une autre fois, qu'elle se fit vo;-
sous la figure de M. de Koch, secrétaire d'ambassade, u
ami. Risum teneatis. Lorsqu'on lui demandait commen
il discernait ces visions des rêves ordinaires, il réponda
subtilement « Comment distinguez-vous les couleurs k
unes des autres?)) 1
H ne consigne pas seulement ses propres rêves, mai.
encore ceux de commères de sa paroisse; il v croit su.
leur seul témoignage, bien sujet a caution. On ne peu-
guère pousser la crédulité plus loin. Ainsi sa fernn-~
aurait apparu à Salomé Caquelin, à Marguerite Rocher
a Louise Scheppler, à Madeleine Banzet. Suivant le récn
de cette dernière, elle ne demeurait pas encore au ciel,
mais dans une ville dont elle n'a pas retenu le nom. LL
plus plaisant des rêves dont il a si sérieusement pris note,
c'est celui de Catherine Banzet « Je vous ai vu (c'est e!l'
qui lui parle) dans un palais vous étiez sur un trône,
au milieu d'une grande salle et vous aviez un habit s;
brillant que je ne puis l'exprimer. plus brillant que le
soleil et de toutes les couleurs; les boutons, pas pim
grands qu'un point, reluisaient comme des soleils, et vou~
portiez une couronne sur la tête. Madame se tenait a
côté dans un habit blanc et saluait avec une grâce char-
mante. Et toute votre paroisse était rangée en face de
vous. Alors vous vous êtes levé et vous avez dit: «Du
temps que j'étais avec vous, je n'étais que votre marche-
pied mais maintenant regardez-moi, me voici tel que j i
suis. La-dessus tous de baisser la tète, pâles et tremblants.
sans rien dire; mais moi je répondis que je savais bien
qu'il en serait ainsi. )) A ce sujet, M. Edm. Parisot écrit
II n'était pas insensible à la flatterie. Cette flatterie étar
une apothéose contre laquelle sa modestie aurait dû pro-
tester.
Plus humble était ce curé voisin, l'abbé Guilgot, ti'o;

'E.S[.22J.
LA LÉGENDE D'OBEBLIN.

tnt pour les gens de Raurupt, qui demanda à être enterré


!e fut en eifet dans l'allée du cimetière devant le portail
l'église, afin qu'il fût foulé aux pieds par eux après sa
jrt comme il l'avait été pendant sa vie.
Il y a encore de la main d'Oberlin un petit cahier
t:jnuscrit de 12pages portant le titre: « Nouvelles de
tc)ques défunts et un autre de 63 pages, en la possession
j Mad. AndreœWitz, intitulé: «Alémoire ou petit recueil
J. révélations qui sont parvenues à notre connaissance,
t.nt arrivées dans notre paroisse, tant par apparitions
cj plein jour, que par visions et dans le rêve, pendant
[~ nuit, depuis l'an iyyo jusqu'à l'année t8n, à des per-
sonnes de l'un et l'autre sexe dans tous les villages de la
paroisse." »
Le pasteur Oberlin relate les entrevues de certains
morts soit avec lui-même soit avec ses paroissiennes.
T ne des plus curieuses est celle de Concorde Claude,
femme de Jean-Nicolas Caquelin, avec le seigneur Gérothée
de Rathsamhausen, décédé en 1491, et dont la pierre
tumulaire existe encore à l'église de Fouday. Cette
« mairesse»» souvent mise en communication avec le
monde des esprits, vit pendant son sommeil ce
seigneur au milieu de ses gens, dans son château de la
Roche, non pas en ruines, comme il le fut après lui,
mais tel qu'il devait être au moyen-âge. Celui-ci lui de-
n'anda de le recommander aux prières de son pasteur.
Me s'acquitta de son message, et notre ministre luthérien
pienant la recommandation au sérieux, inscrivit le nom
da défunt pour s'en souvenir dans ses suffrages, comme
!< font les catholiques pour les âmes du purgatoire.
~'felque temps après, elle revint lui annoncer que Gérothée
~'i avait réapparu et l'avait assuré que les prières de son
testeur avaient été bien efficaces.
Une autre fois il apprend que son fils Henri Gott-
fi cd~ s'est marié dans l'autre monde, et il le croit mal-

Décède en 1815 et enterré à Fouday. Ce fils, docteur en


decine, n'a rien laissé que sa thèse inaugurale. Cela lui a valu
voir un petit article consacre a sa mémoire dans la Biographie
"TverseHe de Michaud, XXXI.
LA LÉGENDE D'OBERLIN.

gré cette parole du Sauveur «Ils seront comme des anges


ils ne se marieront pas.» Une autre fois, il apprend qu
son prédécesseur Stuber est encore pasteur dans l'aut!
monde, comme si ses ouailles, parvenues au term~
avaient encore besoin d'être dirigées dans la voie d.<
salut. Une commère lui rapporte que le père de Louis
Scheppler fait l'école aux enfants dans l'autre monde, crr
que ceux-ci sont munis de livres tout comme ici-bas. 1
Oberlin écoute ces balivernes; ils les consigne sérieuse
ment par écrit; il les croit, au lieu de les considère
comme des songes et d'en rire. Il les croit si bien qu'i'
les provoque par les questions qu'il pose à ces prétendue
visionnaires; par ex.: Les esprits sont-ils occupés? Ont-
ils des professions? des métiers? des arts? Habitent-ih
des villes, des villages comme sur terre?
Quelle aberration d'esprit
Il nous reste à parler de ses relations avec la fameuse
baronne de Krudener, dont E. Stœber fait l'éloge
(p. 5 i 3–~) et qu'Edm. Parisot traite de vaniteuse et de
menteuse. Née à Riga en 1766, d'une des plus riches
familles seigneuriales de la Courlande, elle se maria jeune,
divorça déjà en 1791, mena ensuite une vie aventureuse
et galante, écrivit le roman de Valérie. Pressée de remords,
elle s'adonne ensuite à la piété et à la bienfaisance, joue
le rôle de prétresse et de prophétesse, exerce une certaine
influence sur le tsar Alexandre I, contribue par ses
prédictions à la foimation de la Sainte-Alliance, se croit
appelée du Ciel pour morigéner les gouvernements, se
fait chasser de divers Etats et enfin reconduire en Russie
où elle mourut en 1825.~1
Cette femme hystérique entretint le travers d'esprit
d'Oberlin soit par correspondance, soit dans les visites
qu'elle lui rendait à Waldersbach. Elle l'aidait à trace:
des cartes du Paradis et de l'Enfer, en lui communiquais

1 V. Vie de Mme de Krudener


Eynard Charles, (Paris 184"
2 vol. in-8o).
LA LË6ENDE D'OBEBLIN.

:es inspirations et révélations qu'elle affirmait avoir reçues


ie l'Eternel. Et le crédule pasteur s'y laissait prendre.
Sur la foi de cette dame, il annonça même en chaire qu'à
;el jour, à telle heure l'ordre était venu du Ciel de prier
our prévenir de grands bouleversements.
Nous ne nions pas la possibilité des révélations et vi-
vons surnaturelles, des rêves prophétiques ce serait con-
redire les S. S. Ecritures. Mais la réalité des faits qui sortent
de l'ordre naturel doit être d'autant plus rigoureusement
examinée et contrôlée qu'ils sont plus extraordinaires elle
doit être démontrée par des témoignages irrécusables, des
preuves péremptoires, comme le sont les visions de Berna-
dette à Lourdes, confirmées par des milliers de miracles,
contre lesquels aucun esprit loyal ne peut s'inscrire en faux.

R. C. B.

(A suivre.)
CHOSES D'IRLANDE
L'Irlande et le Congrès Eucharistique
de Cologne Ig0g.

On se rappelle le 20'' Congrès international Eucha-


ristique tenu au mois d'Août tooo à Cologne. Ce souvenir
du triomphe de Jésus-Eucharistique où l'Alsace a été
noblement représentée et a eu une si belle part avec les
peuples de l'ancienne Gaule Germanique, nous rappelle
aussi la part que l'Irlande a prise à ce Congrès à cause
de ses rapports intimes avec tous ces pays toujours si
catholiques, que l'Irlande, l'île des Saints, a évangélisés
peu de temps après sa propre conveision, dès le VI'' siècle,
de l'ère chrétienne.
Ces relations de l'Irlande avec ces pays et notamment
l'Alsace, ont été relevées avec une précision historique
aussi instructive qu'édifiante par Mgr. Clancy, Evêque
d'Elphin qui a bien voulu nous donner pleine liberté de
fouiller la riche mine de ses travaux pour le Congrès de
Cologne en vue d'une relation, toujours actuelle, parce
qu'elle est et restera toujours édifiante.
La Divine Hostie élevée au faîte des autels, en vue
des nations du monde entier anéanties dans une profonde
adoration y a-t-il un spectacle plus imposant, un acte
de foi plus solennel? L'admirable pensée présagée dans
la «Disputa» de Raphaël se voyait réalisée: les Maître'-
enseignant les nations étaient présents au-dessus, dans
CHOSES D'IRLANDE

cieux trônaient les saints de tous les siècles et les


iges dans leurs glorieuses hiérarchies, jetaient leurs
gards extatiques sur la sublime solennité que Cologne
~'rait en ces jours de fêtes aux regards émerveillés du
cl et de la terre. Pour quiconque se rappelle qu'en
~Uemagne fut élevé, il y a quatre siècles, l'étendard de
;volte contre l'enseignement dogmatique de l'Eglise sur
mystère du SS. Sacrement et de la Sainte Messe, il est
impossible de ne pas se sentir transporté de joie en
distant aux actes d'amende honorable au Dieu de nos
t'.bernacles, pour des outrages, des profanations, des
btasphèmes séculaires, triste récolte de l'hérésie que Luther
j semée dans sa patiie. Parmi les milliers de pèlerins
accourus à Cologne, ceux qui étaient venus des îles loin-
t unes de l'Occident, qui avaient traversé les mers et les
terres, se sentaient vivement émus de prendre part à cette
icte catholique toujours si chère au peuple Irlandais, de
\oir Notre Seigneur exposé dans toutes ces splendides
églises que les saints moines d'Irlande ont aidé à fonder.
Vraiment les Irlandais, parlant de Cologne, ne sont
pas des étrangers. Car dès 6c)o, nous trouvons le nom
du moine Irlandais, Telmo, le fondateur du monastère de
haint Martin, aujourd'hui St. Martinuskirche. En oy5, un
,'utre moine Irlandais, Mimborinus, fut nommé abbé du
Jit monastère par l'archevêque de Cologne et son succes-
seur, Helias, né à Monaghan en Irlande, fut le premier
,lui introduisit le Chant Romain dans les églises de
i'jrchidiocèse de Cologne autant de traits d'union avec
la verte Erin.
Pas n'est besoin de mentionner un des fils d'Irlande
les plus célèbres, le moine Franciscain Duns, surnommé
~cotus, de Scotia, le nom d'Erin a son époque, né en
Irlande en i266 et mort à Cologne en i3o8, un des plus
subtils scolastiques, fondateur de l'école Scotiste. H est
enterré dans l'église des Frères Mineurs, où une pierre
tombale marque son caveau. Ces détails suffisent pour
lire qu'un orateur Irlandais à Cologne en ces jours de
~rand concours eucharistique était pour ainsi dire chez
CHOSES D'IRLANDE.

lui. Qu'on remonte d'ailleurs aussi haut que l'on voudr.


pour établir parmi les nations la priorité de la conversio
à l'Evangile, et l'on verra que l'Irlande a été le pionnie
de la foi, avant qu'Augustin de Cantotbéry convertît le
AngIo-Saxons, avant que Recared fût le premier )nn
chrétien de l'Espagne, avant que Clovis fît rentrer té-
Francs dans le bercail du Bon Pasteur. Non seulemen.
i'Ii)ande tient la première place comme fille ainée d(
l'Eglise pour les pays du Nord, mais elle fut la premier
école de l'Europe. Le Vénérable, maintenant Saint Bède,
dit que de son temps on se rendait en Irlande de l'Italie.
de l'Espagne, de la Gaule, de l'Allemagne, de la Flandre.
etc., pour recevoir l'éducation, être formé à l'esprit de
discipline religieuse, puiser le zèle pour la propagation
de la foi, chez ce peuple dont le pays fut le premiei
Séminaire des Missions Etrangères. Du reste, à défaut
de ce témoignage, nous en trouverions un dans ces cen-
taines d'églises, de cathédrales, de monastères dans
presque toute l'Europe centrale, dont l'origine remonte
aux moines Irlandais, qui en sont les saints titulaires et
ont été choisis comme les saints patrons par les pays
qu'ils ont ëvangélisés.
Que dire alors de l'assertion des écrivains, relative-
ment peu nombreux mais aussi audacieux qu'ils sont
protestants, qui prétendent que l'Irlande n'a été convertie
à la religion catholique que vers la fin du XII'* siècle,
quand Henry II d'Angleterre en fît la conquête et i
établit les Cisterciens, les Dominicains et les Franciscains,
ses caudataires spirituels! Il faut être aveugle pour croire
que ceux qui voient clair le sont.
La meilleure réfutation de ces allégations se trouve
dans le discours de Mgr. Clancy, évêque d'Elphim, qui
avait amené à Cologne une délégation aussi nombreuse
que distinguée. C'est le 5 août, en la fête de N. D. des
Neiges, que le prélat irlandais eut l'occasion de parler
dans l'église de Sainte Ursule, si riche en reliques, et
nouvellement restaurée pour les fêtes du Congrès.
Mgr. Clancy s'était proposé de montrer combien haut
CHOSES D'IRLANDE.

remontent les documents de la foi eucharistique de l'église


d'Irlande, et combien cette foi était restée pendant les
siècles conforme à la doctrine de l'Eglise romaine.
I. Et d'abord, l'orateur cite comme première preuve
l'Antiphonaire de Bangor, un ancien manuscrit que les
autorités les plus compétentes, même des savants non
catholiques, placent entre les années 680 et 601. Son
titre provient du monastère de Bangor, sur le lac de
Belfast, où il fut écrit par les moines. De là ce livre fut
transféré dans le monastère de Bobbio en Italie par des
moines Irlandais, et au)ourd'hui il se trouve à la Biblio-
thèque dite Ambrosiana, à Milan. Ce vénérable manuscrit
renferme beaucoup d'écrits, soit en latin, soit dans le
langage doux et musical gaélique, concernant des incidents
remarquables racontés dans la Bible, et nombres d'usages
teligieux extraits des anciens Rituels de l'Eglise d'Irlande.
Parmi ces derniers se trouve une hymne qu'on avait
coutume de chanter tous ensemble, ou qui était chantée
par un chœur d'enfants pendant que le célébrant com-
muniait ou donnait la sainte communion aux fidèles.
Voici la première et la dernière strophe de l'hymne.

I. :<Sancti venite, II. «Alpha et Omega


Christi Corpus sumite, Ipse Christus Dominus
Sanctum bibentes Venit, venturus
Quo redempti sanguine Judicare homines a

Le celèbre'pocte Irlandais, Denis Florent Mac Carthy,


mort récemment, nous a laissé, parmi ses chants natio-
naux, une charmante traduction de l'ancienne Hymne de
Communion, dans une langue, qui, pour n'avoir pas été
la langue indigène de l'Irlande, le gaélique, ferait honneur
au plus illustre poète anglais. Nous en donnons la tra-
duction, moins la charmante versification de l'original,
qu'une plume catholique seule, comme celle de Denis
Florent Mac Carthy, pouvait donner en anglais, aux
sentiments transcendants du poète gaélique à sa muse
latine
CHOSES D'IRLANDE

Approchez, saints, approchez-vous:


Du Seigneur recevez le corps,
Buvez ce Sang Divin qui coule.
Car, ceux qu'il sauve ne mourront plus.
Le Sacrement du Corps, du Sang,
Nous sauve du divin châtiment
Et, rendus forts, remercions
Ce Dieu si digne de nos louanges.

Quel bonheur, que ce Sacrement


Du corps, du Sang d'un Dieu fait homme,
Nous sauve du triste déluge,
Des flammes de l'Enfer éternel

Le Sauveur de l'humanité,
Le Fils de Dieu qui règne au ciel,
En mourant sur la croix pour nous,
Nous rend à l'amour de Son Père.

Pour tous elle monte, cette victime sainte.


Au Dieu du Ciel en digne offrande
Et tous en profitent à la fois
Lui, Prêtre et Victime à la tois.

Qu'on lise et qu'on relise la vie


Des victimes dont le sang coula
Ces types d'un Mystère plus divin
Enoncent une vérité plus réelle.

Le Dieu de Lumière libéral,


Le Rédempteur du genre humain,
Donne à ses Saints qui le révèrent
Une grâce, une gloire toute spéciale.

Approchez donc, âmes pures, aimantes,


Et prenez, par amour pour Lui,
De l'âme le Médecin et la Cure,
Le gage du Salut éternel

Le Dieu de Sainteté, le Verbe,


Qui donne le mouvement, la vie.
Nous donne la vie que rien n'abrége,
Si nous gardons sa loi divine.
CHOSES D'IRLANDE.

H donne le Pain des Anges aux âmes


Tout près de défaillir de faim.
Aux altérées il donne à boire
Aux traits de la fontaine de vie.

Le Christ, Alpha et Oméga,


Vient maintenant comme source de vie
Plus tard il reviendra comme Juge
Des hommes des vivants et des morts.

II. Le second témoignage est puisé dans les écrits


de Saint Colomban, le fondateur du Monastère de Bobbio,
en Italie. Formé à la vie religieuse au Monastère de
Bangor, au comté de Down, il émigra avec un certain
nombre de ses frères dans les Gaules et fonda une mission
près de Luxeuil. Mais comme il rencontra une forte
opposition du côté de la puissance royale, et d'autres
adversaires haut placés, il se retira en Italie, où il fonda
le Monastère de Bobbio. Ses principaux écrits sont le
« Liber CcenobiaIisH, son « Liber Poenitentiarum », six
lettres d'une grande importance, et un recueil de Sermons.
11 mourut en 6t5. Colomban est par conséquent une
autorité qui par son ancienneté, prime la plupart des
vieux documents de l'Ancienne Eglise d'Irlande.
Dans son «Liber Pœnitentiarum)) ce qui suit:
il écrit
De plus, il est ordonné que la confession soit taite avec
toute la diligence possible, (surtout de ce qui peut troubler
l'esprit) avant d'aller à la Messe, de peur qu'on n'approche
de l'autel indignement, c'est-à-dire, sans avoir le coeur bien
pur; car, mieux vaut attendre que le coeur se calme et s'af-
h'anchisse de tout scandale et mauvais désir, que de s'approcher
~udacieusement du Tribunal pour entendre le Jugement. Car
t'Autel est le Tribunal du Christ, et son Corps toujours pré-
sent là, avec son Sang, juge quiconque en approche indigne-
ment. Et comme nous devons nous purifier de tout péché
mortel et de toute souillure charnelle avant de communier, de
même est-il bon que nous nous purifiions de ces défauts et de
ces maladies que la faiblesse humaine nous fait contracter,
avant d'approcher de ce qui est le trait d'union entre nous et
la paix réelle, et nous unit avec ce qui est pour nous le salut
éternel. J'>
CHOSES D'IRLANDE.

III. La troisième preuve, à l'appui de la thèse qu<j


l'enseignement de l'Eglise d'Irlande sur le SS. Sacrement
remonte aux âges les plus reculés, est tirée de quatre
passages très-courts, aussi vénérables par leur antiquité,
que les documents déjà cités plus haut. Mgr. Clancy les
a relevés comme par hasard.
a) Dans la règle de Saint Carthage, le fondateur de
Lismore, une des plus fameuses écoles d'Irlande du VII
siècle, qui comptait plus de 2000 élèves de presque tou~
les pays de l'Europe, nous trouvons un texte que Eugène
O'Curry, un archéologue des plus dignes de confiance, a
traduit comme suit:
«Aucun amour permanent ne doit exister dans notre cœur.
si ce n'est l'amour de Dieu tout seul car, pur est le corp~
que tu reçois, donc, tu dois t'approcher avec pureté pour le
recevoir." »
b) Un des plus anciens Commentateurs Irlandais du
Nouveau Testament dit, en expliquant la première Epître
de Saint Paul aux Corinthiens l
«De peur que quelqu'un ne pense que le Corps du
Seigneur soit du pain commun, S. Paul menace sévèrement ceu\
qui le recevraient indignement. C'est un nouveau crucifiemem
du Christ, parce qu'ils s'approchent indignement du Corps du
Christ." »
c) Dans le «Hiberniensis» ou [(Recueil)) des Décrets
canoniques du VII" siècle, qu'un critique allemand,
Wasserschleben a traduits et publiés avec des annotations
savantes, nous trouvons mentionné Saint Isidore, où il
est question des devoirs du sous-diacre, du diacre et du
Prêtre. Des sous-diacres le S. Docteur écrit:
«Ceux-ci recueillent les offrandes des fidèles dans le
temple du Très-Haut; ils présentent aussi à l'autel aux Diacres
les vases sacrés pour le Corps et le Sang de Notre Seigneu)
Jésus-Christ."
Quant aux Prêtres, le même Saint écrit:
A ceux-ci, comme aux Evêques, est confié la dispensation

~1Cor. XL 2~.
CHOSES D'IRLANDE.

j i Ministère de Dieu. Car, ils sont placés au-dessus de


~lise, et prennent part, avec les Evéques, dans la consécra-
)!t du Corps et du Sang, comme aussi dans l'enseignement
.) ostoliquc et t'omce de la prédication."
d) Un autre passage sur ce chapitre doit être men-
r inné. H est pris dans «la vie de S. Columba» par
Udamnan, qui a écrit au VHP siècle, et où il est dit,
~je le prêtre, pendant la célébration Eucharistique «fait
le Corps du Christ» il y est question du SS. Sacrement
c.'mme «Sacrosaints Mystères)), « les Mystères sacrés de
Eucharistie)), « les Mystères sans tache de l'Oblation
<)crëe)). Toutes ces expressions ne peuvent être conciliées
tjLte par la foi à l'Eucharistie comme à quelque chose de
p!us que le pain ordinaire.

J. M. E13ENRECHT, C. S. SP.

Blackrock College Irlande.


(A suivre.)
LE DERNIER DES BŒCKUN
VON BŒCKUNSAU.

I.

C'était en l'année 1771. Le jeune François-Joseph


Balaine, connu sous le seul nom de François-Joseph.
apprenti boutonnier chez maître Rimbert à Strasbourg
est courbé sur son tour, pensif, triste et abattu. Son
esprit, ses tendances, son état d'âme, bref le sang qui
coule dans ses veines, semblent se raidir contre un méfie;,
si opposé à ses goûts, qu'on lui impose. Et cependant,
il ne se plaint pas, il est obéissant, il a bonne volonie
et ne voudrait, pour tout au monde, causer la plus légère
peine à son patron qui l'aime et s'occupe avec la plu-.
grande sollicitude de son avenir comme ouvrier bouton-
nier. Aussi bien ses progrès dans le métier attestent-ils
son activité et son application au travail.
Ce jeune apprenti de quinze ans qui est-il? d'o')
vient-il? de quelle famille sort-il? Ces questions );
maître boutonnier se les est déjà souvent posées et s'en e-r
entretenu avec sa femme; la sœur grise, Knobloch, de h
maison des Enfants-Trouvés, qui le lui a amené, n'e a
sait pas plus long; le receveur de l'hospice lui a vers
5o florins pour un apprentissage de cinq ans les fra;s
d'entretien sont payés par une main inconnue. Un mys
tère impénétrable plane sur l'extraction de ce jeun-
J.K DERMEB DES BQ';CKMN VON BfK( KI.INSAU.

,nme aux manières peu en harmonie avec les allures


~e ces pauvres créatures jetées à la chante par la pauvreté
,")]evice.
A mesure que François-Joseph avançait en âge, il
c .mprenait toujours mieux ce que sa position avait d'a-
~-mal; une vague inquiétude, un étrange pressenti-
ent agitaient son esprit, de cruelles angoisses oppres-
sent son âme; un problème ardu se posait avec
\jhëmence, problème à la solution duquel il faudra arriver
t_.iDte que coûte le voile qui lui cache sa naissance devra
t.imber à tout prix. Chaque jour il acquiert de nouvelles
Lmiëres. Ce qu'il avait entendu et appris de sa nourrice
qui le visitait de temps à autre aux Enfants-Trouvés, les
propos qu'il avait recueillis dans différentes maisons, entre
jiitres dans celle de M. Zoepffel, ancien receveur du baron
de Boecklin fils, où il s'entendait appeler parfois le ~re-
/M de -Bo?cA' les caresses qu'il avait reçues dans la
tjmitle de M. Geiger, bailli de Soultz, les égards enfin
que beaucoup de personnes lui avaient, même involon-
turement, montrés, tout cela le confirme dans son intime
conviction qu'il pouvait bien être le fils de la dame de
Bœcklin et que, conséquemment, il avait droit à un meil-
leur sort. Aussi s'en explique-t-il ouvertement vis-à-vis
de ses connaissances et des personnes qui lui voulaient
du bien.
Le pauvre François-Joseph était à se demander pour-
quoi sa mère le repoussait, lui qui désirait de toute l'ar-
deur de son âme connaître celle qui lui avait donné le
~'ur, lui témoigner son amour et son respect filial, se
~ter. à ses genoux et dans ses bras. L'idée qu'un jour,
~ui n'était peut-être plus loin, sa mère s'attendrirait sur son
~rt et le recevrait pour son fils, le consolait et l'encou-
'geait à supporter ses peines.
Ayant recu un jour un petit présent de M. Stcinmetz,
ujor au régiment d'Alsace celui-là même qui avait
'~e dans les confidences de la baronne de Bœcklin il
voyait que cette attention lui venait, d'une manière in-
~n'ecte, de sa mère et, quoique le major s'efforcât de lui
Revue.Marsl9M. il
LE DERNIER DES BtECKUN VON BŒCKLINSAU.

persuader qu'il le tenait de M. Zœpffel, il n'en conjui~


pas moins AI. Steinmetz de lui faire un brouillon <t~
lettre de remerciement pour le don supposé. Dans s;
lettre, l'infortuné jeune homme déversa son cœur, débo
dant de désolation et, en même temps si plein détende
affection, dans le coeur de M' de BœcUin. On se d'-
mande quel génie malfaisant exerçait sur cette femme ui
empire aussi inconcevable, usait de moyens aussi violent
pour l'empêcher de répondre aux avances de celui qu'e)~
savait être son fils.
Enfin l'apprentissage de François-Joseph était ter-
miné au moment même où mourut son patron. II vena)[
d'atteindre sa vingtième année, àge où l'on sent le plus
vivement il se trouvait malheureux dans son isolement
Le voilà donc réduit a vivre du travail de ses mains,
gagner péniblement son pain, tandis qu'il se savait Il
frère d'un riche seigneur vivant dans l'opulence. Ma)-
pensait-il, si le cœur d'une mère dénaturée lui reste fermé.
si nul sentiment fraternel n'existe pour le pauvre orphelm,
pour l'infortuné proscrit, pourquoi ne fuirait-il pas ce~
lieux qui l'ont vu naître ? pourquoi ne s'éloignerait-il pass
des êtres dont la présence, loin d'apporter quelque adou-
cissement à ses peines, les lui rendait infiniment p!us
amères encore? Et qui sait? peut-être le temps finira-t-))
par cicatricer les profondes plaies dont saignait son coeui
et l'oubli, dans la lutte pour l'existence en pays étranger,
rendra-t-il le calme à son âme agitée.
Plein de cette idée, François-Joseph alla un jou*
trouver M. Zaspffel et, les larmes aux yeux, le pria de
vouloir bien lui donner un conseil « Etant le fils de
M" de Boecklin, lui dit-il simplement et sans circonlocu-
tions, je ne suis pas fait pour le métier de boutonnier!
Cette ouverture, faite d'un ton ému mais énergique, parur
exciter l'étonnement de l'ancien homme d'affaires de k'i
le baron de Bœcklin, qui lui demanda d'où il tena.~
ce qu'il venait d'avancer? Mais le jeune homme, sans iu'
répondre, le quitta brusquement, le laissant à ses ré-
flexions et attendant l'effet que produirait sur son espr't
LE DERSIMR DEh HŒCKLIN VOX iitECKL~SAU.

qu'il venait de lui confier, sachant, d'ailleurs, que


\1. ZtCpffel, dont les relations avec sa mère étaient fré-
luentes, ne manquerait pas de lui en parler.
A quelques semaines de là, le boutonnier retourna
:hez M. Zœpnel pour lui annoncer cette fois qu'il était
ottentionné de se rendre en Hollande, afin de se perfec-
uonner dans son métier il le pria de lui en fournir les
moyens, ajoutant qu'avant son départ, «il allait passer à
Obenheim chez Mme sa mère.» M. Zeepffel, tout en ap-
prouvant sa détermination de voyager, le dissuada, sans
!ui dire le pourquoi, d'exécuter son projet de se présenter
j la baronne. Ce conseil, venant de celui qu'il regardait
~.eul comme son véritable ami, fit sur le jeune homme
l'effet d'un coup de foudre. Il resta interdit. C'en était
donc fait plus d'espoir il ne lui restait qu'à se résigner
d son triste sort. Aussi en prit-il son parti.
Toutefois M. Zaepffel engagea François-Joseph à aller
trouver Mme Roederer de Diersbourg~, sœur de M"~ de
Bœcklin fils, ce a quoi il consentit. Conduit à la Ro-
bertsau, il fut reçu par cette dame dans son jardin.
Celle-ci se montra très aimable vis-à-vis de son visiteur,
t'écouta avec beaucoup d'intérêt et loua son désir de de-
v enir un maître accompli dans sa profession, appuyant
particulièrement sur les avantages qu'il trouverait d'entre-
prendre le voyage projeté le plus promptement possible.
Quant a la question d'argent, elle promit qu'on allait lui
en fournir, qu'elle en allait écrire incontinent à sa sœur
et qu'il pouvait s'en reposer sur elle. En effet, à peu de
)ours de là, M. Gutjahr, receveur de la baronne de Bœck-
hn, remit une somme de huit louis d'or à M. Zoepffel,
el laquelle ce dernier a)outa encore quatre louis. François-
Joseph reçut la moitié de cet argent tant pour son trous-
seau que pour ses frais de voyage le reste devait lui
être adressé dès qu'il en aurait besoin.

Village de l'arrondissement et du canton d'Erstein, ancien


Sef des Boeckhn de Bœcktinsau.
2 Le château des barons Roederer se trouvait à
patrimonial
Diersbourg, cercle d'OfTenbourg (Bade).
LE DERNIER DES BŒCKMN YON BŒCKLINSAU

Le voilà donc en route pour la Hollande. Grande Un


la joie à Obenheim. Mme de Bœctdin n'eut rien de plu'
empressé que de prévenir par ses agents un certain
M. Gaita, négociant a Amsterdam, de l'arrivée prochain
d'un jeune ouvrier boutonnier, nommé François-Joseph
et de lui recommander de hâter l'embarquement du nou-
veau-venu pour l'Amérique. Dans l'excès de son bonheur
elle avait oublié le nom de Balaine qu'il portait aux En-
fants-Trouvés on lui rendait ainsi son vrai nom de
François-Joseph.
Dès son arrivée dans la capitale de la Hollande, noticL
voyageur en prévint M. Zaspûét, qui remit aussitôt au
négociant strasbourgeois, Mainoni', la somme de six touts
contre une lettre de change à l'adresse de Gaita à Am-
sterdam.
L'empressement que l'on avait mis à recommander a
l'homme d'affaires néerlandais le prompt embarquement
pour l'Amérique du jeune ouvrier strasbourgeois, éveilla
chez Gaita le grave soupçon de suppression d'un membre
gênant d'une famille noble, ce qui, a cette époque, n'était
pas chose excessivement rare, et qu'on voulait l'associer,
a son insu, au complot. Aussi, dès que l'ouvrier bouton-
nier se présenta a sa banque pour prélever son argent 2,

Ce Mainoni, d'origine italienne, joua un grand rôle parmi les


hommes de la Révolution, à Strasbourg. Banquier, capitaine dans la
garde nationale à cheval, fougueux jacobin, propose pour le tribunal
révolutionnaire près l'armée, mais repoussé comme banqueroutier et
voleur, président du Comite de surveillance, président du tribunal
révolutionnaire, agent national du directoire du district de Stras-
bourg, il devint en !7g5, chef de brigade a l'armée du Rhin, com-
mandant de Germersheim où il fut accusé de mahersations et
conduit enchaine à Paris. Acquitté, il fit la campagne d'Italie sous
Bonaparte comme général de brigade, s'illustra a Marengo, fut com-
mandant d'armes de ire classe à Mantoue et mourut en cette ville,
en 1807. II était commandeur de la Légion d'honneur. (Voy. mon
Dict. de Biogr., II, 227.)
Le livre-journal du Sr Mainoni, negociant à Strasbourg, porte,
p. 2~)., année 1776, le 8 septembre, ,avoir Gaita et C"~ d'Amsterdam.
numéro (espèce) six Louis neufs de France, tiré d'avec mon assigna-
tion, ordre François-Joseph, houtonnier, pour autant reçu de
M. ZœpfTet d')Ct".
LE DERNIER DES BŒ-CKLIN VON BŒCKLINSAU.

jj questionna-t-il sur sa personne, sa famille, son état,


,j. entendit de sa bouche le récit touchant de ses infor-
tunes. A la lecture de l'extrait baptistaire que le jeune
<mme lui remit, Gaita, convaincu de la monstrueuse
r.jchination mise en œuvre contre un être innocent, tout
la fois indigné et attendri, serra la main à l'exilé vo-
~.jniaire, releva son moral abattu, remit l'espoir dans son
c ~ur navré et lui indiqua la voie à suivre pour obtenir
~;stice.
Trop tôt on avait chanté victoire à Obenheim; car,
j peu de jours de là, une lettre de François-Joseph vint
annoncer à M. Zœpnel que, las de courir le monde et
c!'exercer le métier de boutonnier, il allait revenir en
Ffance et réclamer son nom, son état et sa fortune. Cette
nouvelle fut pour Mme de Bœcklin et le baron, son fils, un
coup de foudre parti d'un ciel serein.

II.

Remontons maintenant à l'origine de notre malheu-


ieu\ ouvrier boutonnier.
François-Jacques-Chrétien Bœck)in de Bœcktinsau,
biron de Ruest, seigneur d'Obenheim et autres lieux,
i-su d'une des plus anciennes et des plus nobles familles
d'Alsace, fils du stettmeister de Strasbourg, Jacques-
Christophe, naquit le i o juin 1704. Il choisit d'abord la
carrière des armes, ainsi que c'était l'usage dans les fa-
irniles nobles. Il déposa son épée, en jy38, pour entrer
~1 magistrat de Strasbourg et devint stettmeister. En 1744.,
il épousa Charlotte-Françoise-Sophie-Elëonore de Dungern
~Tnt il se sépara, le t5 avril 1754, par une convention
~c séparation volontaire, consentie de part et d'autre.
L acte qu'ils rédigèrent et signèrent, dit que, « comme eux
~eux conjoints 0! r~o/M de vivre ~cp~?~ l'un de l'autre,
t sieur de Bcecklin payera à son épouse, née de Dungern,
~nuellement et que durera cette séparation entre
.-v, une somme de 800 livres valeur de France, pour
LE DERNIER DES BŒCKLIX YON BŒCKLINSAU.

son entretien. Et pour que la présente convention


soit d'autant plus valable, on la présentera au Directoire
présidial de la Noblesse de la Basse-Alsace et on deman-
dera qu'elle soit homologuée. Cet arrangement d;
pure fantaisie, sans cause avouée et dont la durée n'étp):
pas convenue, ne fut pas homologué et, d'ailleurs, n'aurai
pu l'être, par la simple raison que la séparation de coha
bitation ne s'obtenait que par sentence juridique rendue
en parfaite connaissance de cause. En tout cas, le baron
la prenait si peu au sérieux que, dans les années iy55 c'
iy56, il retourna voir son épouse dans sa maison qu'eik
avait achetée, en !y52, sur les propres terres de son mari,
à Obenheim, et passa la belle saison avec elle.
De son mariage avec Eléonore de Dungern, le baron
BcEcklin de Boecklinsau eut deux fils légitimes dont l'un.
François-Frédéric-Sigismond-Auguste, né le 22 septembie C
lyzLO, avant la séparation, et François-Joseph, né le
25 avril t756, après l'acte de convention. Le baron quitU
Strasbourg pour accepter la charge de chambellan à ij
Cour de Nassau-Usingen; mais il revint mourir aupr<~
de son épouse, à Obenheim, le io juin ~62.
Quand le second de ses fils vit le jour, l'aîné compta;
déjà onze ans. Or, ce cadet était un héritier de trop. 11
devenait donc, en vertu de la prétendue séparation volon-
taire, un être déshérité, ignoré, bref supprimé. Et voici com-
ment, dès avant la naissance du second, les mesures né-
cessaires furent prises afin de ne pas donner de frcre au
premier-né.
Se sentant dans un état intéressant, la baronne de
Boecklin quitta Obenheim et alla passer quelques se-
maines chez les nobles deMundoIsheim', (septembre iy55\
d'où elle se rendit chez M' de Berckheim~, son amie, -t

Philippe-Conrad Joham de Mundolsheim, de l'ordre ëquestrr.


né le 6 mai !7to, décéde le 26 mars 1763, était marié à Chariot'~
de Berstett qui mourut, le 26 août 1777, à Diersburg, où l'on vo'
encore sa pierre tumulaire. (V. mon Dict. de Biogr., I, 861.)
2 Eléonore-Charlotte-Suzanne de Landsperg était épouse c'
colonel baron François-Samuel de Berckheim, le dernier de
branche de Krautergersheim. (Dict. de Biogr., I, t25.)
LE DNBXJEB KE8 ]!U.('KIj!X YOX BŒCKLIXEATJ.

~nenheim, ou elle
passa l'hiver. Vers le printemps iy56.
'jr le point de devenir mère, elle se fit conduire, accom-
de sa servante Thérèse et du s' Steinmetz, major
".innëe
[ régiment d'Alsace, par le cocher du baron Joham de
a Niederkutzenhausen 1 dans la maison
~.jundolsheim,
J'un certain Ravache, cabaretier, qui, prévenu de leur
,,jivce, les attendait près de la forêt de Soultz. Elle avait

visage couvert d'un masque et se faisait traiter en de-


tnoiseUe de qualité.
L'apparition d'une étrangère déguisée dans un petit
))]age intrigua, comme bien on pense, tous les habitants
cr fit jaser les commères. Le curé en fut bientôt informé.
Le digne prêtre se hâta de mander l'aubergiste auprès de
lui pour apprendre de lui quelle était cette personne qui
menait demeurer sur sa paroisse. Ravache lui dit, qu'une
lettre déposée chez lui et adressée au curé Rauch par le
Juge de Kutzenhausen )e bailli de
Souitz–, l'en ins-
[tuira mieux qu'il ne pourrait le faire, et aussitôt il s'en
atta chercher la pièce. La lettre était ainsi conçue
,,M. de Joham de Mundntsheim, un ami intime, m'adresse ;e
pjrc~c demoiselle prête d'~ccu!;c/:cr. Vous sentez, monsieur, par ce
Jcbut, que c'est un malheur dont la famille est aflligee, et qu'il est
de toute conséquence de tenu' )e sec;et je ne pu)~ que me prêter à
~e;) besoins pat le secours du nommé Ravage (sic), qui veut bien )a
recevoir chez lui. Dans ces circonstances, je vous prie, monsieur, de
'.)uto)r b)en baptiser l'enfant, le cas échéant; madame sa mère s'ap-
pelle Mane-Thërëse Lindenburgin fille le pere du dit enfant est
~ançois-Auguste Rodenach, tous les deux de Stroneck dans le
~nsgau. Après cette déclaration il sera inutile, monsteur, que la
~âge-femme tourmente pour en avoir une autre qu'elle lui rende
L's secours qui dépendront d'elle; et si l'accouchée avait quelque
'-ojent inopiné, lors des maux d'enfantement, j'y ferai passer le
'T~decin de Soultz qui est parfait accoucheur. J'espère, monsieur,
~'en faveur de l'amitié dont vous m'avez honoré, vous aplanirez
Mutes les dtfncuités qut pourratent survenir.
J'a) l'honneur d'être etc.
Geiger
A Soultz, le 17 avril iy56."

Village situé à 3 km. de SouItz-sous-Forets (chef-lieu de


'-anton) et à ty km. deWissembouta; (chef-heu d'arrondissement).
LE DERNIER DES BOECKJLIX VON BOECKLIXSAU.

Quinze jours après, le 20 avril, M' de Bœckli".


donna le jour à un enfant mate qui fut présenté le même
jour au curé Jacques Rauch pour être baptisé l'acte fu-
dressé d'après les déclarations contenues dans la sus-dit'
lettre du bailli de Soultz. Toutefois, des doutes s'étan;
élevés dans l'esprit du curé quant à l'exactitude de
déclaration, celui-ci corrigea l'acte déjà inscrit, d'après l.
déclaration plus véridique quoique encore fausse en
partie de la sage-femme jurée. Nous donnons ici ce~
acte avec la correction faite sur le registre-minute de lu
la paroisse de Niederkutzenhausen
,,7~0~!edie ~e~i';7!~ Aprilis, tM)n M!M/ ~H~MfMtMt! .Se.t-~
in <P~M~ .fer~)MH~ 7?~!)'a~, n!CO/d?/</a~M~ ~M<M~ est a me /)!/r
~C/'iptO~roC/!0 CO~PM! die ~L!t!<:M .FrN?!CMCM~<M<Mut )H;
per httetasad med.)t.)set e\ dedatationeobt.tetr)C~
miht
D. Geiger Satrapa in ~!< et A'M~e'M!MCM per litteras ad
(a~tct
?Hedatas et ~e)!M me remanentes constitit ac declaravlt
de Juh.utne\ ~)undo)shetm
si vera declaratio sit ?:Mc:oFrancisci ~M~t! ~o~e~ae/f
D.teintoiiaJisquantumd!L]tmDon'Hta~ de Hoet-ke!
de ~roHec/f et Afar: y~AcrM!tf Z.:M~eH~!<r~/tt' ~Hi~f)ex Brisgall
~'afm!:My;</y ï'a/PH~n:M~ Z.ept'o~xfA o~M/ni/M, MMfr~MM').'
C~t/ .K:M, !ror /~er~7My! ~~fa~C, t!~CHfe~<7/)'equi 0);it's
))!CCMM ~t/~cr~C/'M~f."
Le curé, qui d'abord dans son registre original, avait
fidèlement calqué l'acte de baptême sur la lettre du sieur
Geiger, bailli de Soultz, quoiqu'il eût dù s'apercevoil
que la déclaration contenue dans cette lettre, n'était ap-
puyée d'aucune preuve, ne lui était faite ni par le parrain
ni par la marraine, le corrigea bientôt après mais dan'
la crainte de compromettre le bailli, son ami, il ne <n
pas la même correction sur le registre-copie destiné a
l'omcialité. Il s'en repentit bientôt. Songeant aux suite,
sérieuses que la double imprudence commise pouvait
avoir et qu'elle eut en effet, il chercha un moyen pou~
la réparer, autant qu'il lui était possible, comme nous Il
verrons plus bas.
La baronne de Bœcklin n'avait jamais voulu voir le
fruit de ses entrailles. Après sa délivrance, l'enfant lui
LE DERNIER DES BOECICLIN VON BOECKMNSAP.

\ant été présenté par la sage-femme avec la prière in-


fante de l'embrasser, elle détourna son visage. Relevée
le ses couches, elle resta encore trois semaines dans la
,naison des époux Ravache, puis s'en retourna chez la
jronne douairière de Berckheim. Quant à son enfant, il
ut mis en nourrice à Niederkutzenhausen même, chez la
sage-femme, Eve Bittermann née Haller, où il resta jus-
qu'àl'âge de dix ans. Durant ce temps, M.= de Bœcklin,
ju plutôt son mari, fit régulièrement payer sa pension et
'~s frais d'entretien par son receveur.
Dans l'intervalle, le baron de Bcecklm mourut, sans
avoir rien fait pour réparer sa coupable indifférence
~is-à-vis du second de'ses fils. Il parait qu'alors sa veuve
n'était pas riche en fonds car, à partir de ce moment,
la pension cessa d'être payée, de sorte que la dame
Bittermann dut, d'après le conseil de Zaspffel, se rendre
.1 Obenheim pour réclamer la somme due. Elle ne put
coucher qu'un à compte de seize louis d'or que lui versa
-M. Steinmetz, ingénieur des ponts et chaussées. Plus tard,
)a sœur de la sage-femme, dans un voyage qu'elle fit à
Einsiedeln, passa à Obenheim pour s'enquérir de l'époque
a laquelle on songeait a payer les arrérages de pension
ciïe fut îenvoyée à un mois. Après plusieurs années d'at-
rente, Eve Bittermann finit par s'adresser à Mc Anstett,
avocat au Directoire de la noblesse, à Strasbourg. Un
extrait du procès-verbal de la chancellerie du Directoire,
'e l'année !y66, est ainsi conçu:
«A la séance ordinaire du Directoire, tenue le i~. no-
vembre 1766, a été produit un mémoire et requête intro-
Juctive en la cause d'Eve Bittermann, veuve, et sage-
'emme catholique de Kutzenhausen, demanderesse, contre
tame Caroline, née Dungern, douairière de Boecklin-
Hœcklinsau, défenderesse. »
Cette requête produisit son effet. Le syndic de la
noblesse, Schwendt 1, manda immédiatement Zaepnél, rece-

Sur Schwendt, voy. mon Dict. de Biographie, II, y5o.


LE DERNIER DES ]!OECKH~ VON BOECKLUfSAU.

veur du baron de Hœcklin fils, auquel il fit sentir le


danger qu'il y aurait à laisser aller plus loin cette ques-
tion de pension; car elle aboutirait immanquablement a
la nomination d'un curateur pour l'enfant qui, naturelle-
ment, «ne négligerait pas de demander que son pupille
fùt reconnu en justice comme fils légitime de feu M. le bat on
de Bcecklin, comme étant né pendant et constant mariage
du dit baron et la dame son épouse», d'où il résulterait
un «très grand tort au sieur de Boecklin de Rust, le fUs
reconnu)', inconvénient qu'il fa!)ait parer.
M"~ de Boecklin, pour ne pas s'exposer aux éventualités
d'un verdict iudiciaire, eut hàte de satisfaire la sage-femme
de Kutzenhausen et, en même temps, donna ordre ~'f.Y-
jp~r~r /< afin <CM ~/rg ~(~r/MCC une fois ~o~y
toutes. Et voici à quel expédient on s'arrèta une Ecole
militaire venait d'étie établie à Berlin; on fera tout sim-
plement passer le jeune garçon en Prusse pour l'y mettre
dans la compagnie des cadets. A cet effet, au mois de
septembre 1766, le major Steinmetz qui se trouvait alors
à Obenheim, en écrivit 'à Gracbin, lieutenant du régi-
ment de la Garde royale prussienne avec lequel il avait
été, peu auparavant, aux recrues à Offenbourg, pour de-
mander l'admission du petit. La chose ne devait pas être
difficile et, une fois hors du royaume, on en était délivré
pour toujours. Ce plan, si bien fùt-il combiné, n'eut pas
le résultat désiré. Vu le nombre limité des admissions u
l'Ecole de Berlin, il ne put être donné suite à la demande
du major Steinmetz.
Après cette démarche infructueuse, on fit faire des
consultations par plusieurs avocats de Colmar sur la
question de savoir «si le sieur François-Joseph aurait la
chance de pouvoir arriver à se faire reconnaître. » Les
consultants ayant décidé d'un commun accord que cette
reconnaissance serait infaillible, on se hâta de prendre un
autre parti, moins noble, sans doute, que celui de l'Ecole
des cadets. D'ailleurs, la loi défendait «d'expatrier les
sujets du Roi », et Z:BpnêI ne voulant pas s'exposer a
violer la loi, on convint de mettre le jeune garçon aux
LE DERNIER DES BOECKLIN ~«N JtOECKLINSAU.

'enfants-Trouvés, à Strasbourg. Ce projet fut exécuté. Le


mars 1767, Zoepffel alla chercher le petit à Kutzen-
,iausen, le conduisit, dans un tiacre, à Strasbourg, où il
j présenta d'abord au couvent des récollets au P. Maxi-
,-)in, faisant les fonctions d'aumônier au dit hospice et
lia ensuite, en compagnie du Père, le mettre à la dis-
position des religieuses qui desservaient cette maison. En
mcme temps, il remit au receveur, Wieger, la somme de
).oo livres ainsi que l'avait ordonné et réglé le baron
Je Berckheim. L'enfant fut inscrit sur les registres,
en qualité d'illégitime, sous le nom de François-
Joseph Balaine, quoique, à Kutzenhausen, il n'eût été
connu, depuis sa naissance, que sous celui de François-
Joseph tout court. C'est bien a dessein qu'on ne lui remit
pas l'extrait baptistaire que le baron de Bœcklin, son
frère, avait fait lever et légaliser lorsqu'il s'était agi de
l'envoyer à Berlin tout inexact et défectueux qu'était cet
acte de baptême, on craignait encore qu'il ne devînt
révélateur.
C'est de cette maison que François-Joseph fut retiré,
en 1771, pour être placé, comme nous l'avons dit au
commencement de cette notice, dans l'atelier du maître
boutonnier Rimbert. Ne fallait-il pas lui faire apprendre à
.~ar~r un jour la /n'rc<' de ~o~ /rcre ~~c, selon l'expres-
sion pittoresque de celui-ci ?

FR. EDOUARD SiTZMANN.

(A ~M~re.~)
LE KULTURKAMPF
ALSACIEN-LORRAIN.

(~~<?.)

in.
Dès le lendemain du jour où la fusion avait été dé-
cidée, la Me~r Zc//z< dont on connaît le caractère
chauvin et anticlérical, infligeait un blâme au
gouverne-
ment pour sa passivité vis-à-vis de ce mouvement, et lui
donnait l'avertissement que dorénavant il avait à tenir

compte de la nouvelle organisation


,Un corps enseignant compact, enraciné dans la Vieille-Alle-
magne, est seul capable de cowMMH~er le respect (u! ~c/!tK;!°'~<?&:c-
<e;!<~er ÏVeMe ~M/~t~re~)!) et d'imposer ses justes exigences. Mal-
heureusement il y a bien des facteurs dont l'intervention serait asse/
naturelle, qui ne manifestent pas pour une si puissante organisation
l'intérêt qu'on devrait de prime-abord leur supposer."
"Cela est vrai en première ligne du gouvernement alsacien-lor-
rain, qui n'a pas remué un doigt pour soutenir et presser la cen-
tralisation du corps primaire et sa fusion avec l'A. D. L. V. H a
sans doute pensé que son rôle consistait à attendre tranquillement
que les instituteurs arrivassent d'eux-mêmes à comprendre qu'ils
n'ont rien à esperer que dans cette voie. Aucun patron ne favorise
une organisation de ses subordonnés qui est <ot</OKr~ en partie
dirigée contre lui. Mais, cette organisation une fois créée, il s'en
accommode et en tient compte. La fusion a d'ailleurs une signification
politique. de jour en jour on arrive à se convaincre davantage que le
LE KULTUEKAMPF AI,8AC:H';N-L.OEKAIN.

,rps des instituteurs est l'instrument le plus puissant et le plus


ncace de la germanisation. Esperons que la fusion lui apportera
'.fruits et la satisfaction qu'il en attend."
Nous voyons par ce dernier membre de phrase que
auteur de cet article ne prêchera jamais à ses collègues
nerésie du pztr ~7!cw du devoir ~'HC r~r~M~OMC; nous
c lui en voulons pas, quoique son patriotisme dût plutôt
iui faire admettre la morale kantienne de l'absolu désin-
téressement. Mais nous avons le droit de constater l'im-
de ces fonctionnaires qui disent ouvertement
pertinence
.u Patron-Etat que leur fédération est une machine de
guerre montée contre lui, qui reprochent au gouverne-
ment de n'avoir pas montré plus de zèle pour la création
de ce syndicat, et qui font immédiatement entendre à
ms hommes d'Etat que, s'ils tardent trop à faire mûrir
tes fruits qu'ils escomptent de leur patriotisme, ils dé-
nonceront à l'opinion publique leur paresse à graisser
les rouages de l'instrument le plus puissant et le plus
L~cace de la germanisation.
A bon entendeur, salut et à Strasbourg on entendit,
s) bien le 4 janvier
que de cette année, la
Corre~o~-
L~Hce o~c!<?//e de ~~r~OKr~' publiait le document que
\oici adressé aux évéques de Strasbourg et de Metz:

Strasbourg, i. janvier 1010. 0. S.


J'apprends par les journaux que V. G. a envoyé aux instituteurs
catholiques de son diocèse une communication et un avertissement
tetanfs à leurs rapports avec l'A. D. L. V. Cette nouvelle n'ayant
~c démentie d'aucun côte, je dois admettre qu'elle est exacte.
Cette communication de V. G. aux instituteurs équivaut à une
'glementation, et je suis obligé de repousser cet empiètement sur
1 s droits de l'Etat.
Je le regrette d'autant plus que par une lettre de mon prédé-
'~seur (i.). oct. 190~. 0. S- yz65) V. G. connait le point de vue où
place l'administration scolaire dans cette question. “!) va de soi,
est-il dit, qu'elle a le devoir de respecter le droit de l'instituteur
se mouvoir librement en dehors de ses fonctions, dans les limites
= la loi et surtout du statut des fonctionnaires." Cette même ligne
e conduite s'impose à toutes les autorites, et les communications
corps des instituteurs ou à des groupes notables (Hauptgruppen?r)
doivent leur parvenir que par voie hierarchique.
Je suis loin de vouloir empêcher qu'un pasteur négocie avec ses
LE KULTURKAMPF ALSACIEN-LORRAIN.

ouailles sur des adaires religieuses ou ecclestatiques, de voulo


restreindre le droit d'un évêque de s'adresser par un acte ecclës;a
tique à l'ensemble de ses diocésains, mais je dois maintenir le pnn
cipe, que les fonctionnaires qui sont sous mes ordres et les instit~
teurs n'ont à recevoir des avertissements que de leurs supérieurs.
Dans le cas où V. G. aurait, en dehors du côté religieux d
desiderata relatifs a l'école ou aux instituteurs, je Vous prierais <~
Vous mettre en relation avec moi. Je serai toujours prêt à donn.)
droit à des réclamations fondées.
Comme le public est déjà saisi de cette affaire. je me vois dai
le cas de publier la presente prochainement.
Le Secrétaire d'Etat, ZORN DE BuLACH.

Quelles singulières théories et quels singuliers pro-


cédés Aux premiers moments personne ne voulait en
croire à ses yeux cet acte avait
tout l'air d'une
ministériel
de ces hardies mystifications que Lemice-Terrieux lançait
jadis dans le public. La logique y recevait des entorse
a chaque alinéa et il y avait un manque manifeste de
savoir-vivre dans le fait de l'expéditionnaire qui commu-
niquait la lettre à l'imprimerie avant qu'il ne se fut acquitte
de l'ordre de la remettre aux mains des prélats.
Ceux-ci ne tardèrent pas à répondre la réponse était
vraiment trop facile pour qu'on fùt obligé d'en étudier

longtemps le projet. Celle de Mgr Benzler fut très brève,


elle était d'autant plus topique qu'il ne s'était pas même
directement adressé aux instituteurs.

Metz, )e 3 janvier 10:0.


En réponse à la lettre du i. crt., j'ai l'honneur de vous dire que
j'ai envoyé l'avant-dernier numéro du 5'c/<reMH~ aux curés de m~n
diocèse, avec prière d'en prendre connaissance et de le communi-
quer ensuite aux instituteurs.
Je regardais comme un droit, même comme un devoir, de ma
charge éptscopate de rendre mes instituteurs catholiques attenta
au côté religieux de l'A. D. L. V. Il va sans dire que par là je n'en-
tendais pas imposer aux instituteurs des règlements administratifs, el
encore moins empiéter sur le domaine de l'Etat.
Puisque V. E. croit devoir publier sa lettre, je me vois forcé '-1e
mon côté à livrer ma réponse à la publicité.
L'Evêque de Metz, WiLUBRoRD.

La Strassb. Post 1 a présenté à ses lecteurs cette lettre

'i5 janvier.
LE KULTUBKAMfJF ALSACIEN-LORRAIN.

,c Mgr Benzler comme une lettre d'excuses. Elle n'est


aiment pas difficile, pour nous elle a plutôt l'air d'un

uc'daigneux haussement d'épaules.


On aurait éclaté de rire si la 5/)'~M~. Post avait

essaye de nous représenter Mgr de Strasbourg à genoux


côte de Mgr Benzler pour demander pardon d'avoir

.empli son devoir. Aussi bien se redresse-t-il de toute


hauteur après avoir relevé !e gant qu'on lui a jeté. Ce
~erait faire injure à Théodose que de mêler son nom à
;ette aifaire, mais Ambroise n'a pas a rougir de ses dis-

ciples. C'est un vrai régal de voir comment Mgr Fritzen

déchiquette le papier de l'Oberschulrat au bas duquel le


secrétaire d'Etat a mis son paraphe, et en montre le mal
tondé, le manque de logique, l'incohérence et surtout
['incompatibilité avec les principes catholiques.

Strasbourg, le -). Janvier


1010.
Exce)!ence. J'a\ais appris qu'une forte agitation était mise
en train pour faire entrer les instituteurs du pays dans l'A. D. L. V.
C'était un devoir pour moi d'en détourner les instituteurs catho-
liques, parce que de nombreuses manifestations de cette association
ont révelé chez elle des tendances religieuses absolument contraires
JM\ ~')-Hc~p<s du Mf/M/e~!Mf. Cet avertissement s'est borne à l'envoi
au\ instituteurs catholiques d'un article de Mgr Nlgetiet, dont le les
priais de prendre connaissance.
Je ne me suis adressé qu'aux instituteurs catholiques, preuve
'uffisante que j'ai exclusivement considère leur qualité de catho-
liques et non pas d'instituteuis. Leur action professionnelle n'est
touchée ni dans l'article de Mgr Nigetiet m dans ma lettre d'accom-
pagnement. L'article n'avait Hait qu'a l'entrée dans une association
/~)f~e privée, dont au ~0!):< de vue religieux je suis obligé de con-
damner les tendances. I) m'est absolument impossible de voir en
quoi j'aurais par là outrepasse ma compétence.
La question dont il s'agit est avant tout une question de
LOMc:e):ce pour une partie de mes diocésains, et l'evèque comme
'~rf~):t~):t q/~cie~ du pouvoir ~.sto; et du ;g'<ere ~oe<M/ de
~e a le devoir et le droit de rappeler à ses diocésains les pres-
criptions de la morale chrétienne qui s'appliquent à telle situation
de la vie. Le fait que ces diucésams sont, soit comme fonctionnaires
suit comme instituteurs, subordonnes au pouvoir civil, ne change
"en aux principes qui règlent leurs rapports avec l'Eglise au point
de vue du dogme et de la morale.
Je reconnais complètement la justesse du principe enoncé dans
LE KUM'URKAMPF ALSACIEN-t.OURAIN.

la lettre ministérielle du 14. oct. 100~ où ti e&t dit ,,que le guuver


nement n'entend pas se mêler des actes prives des instituteurs dan
la limite des lois et des statuts." Mais si l'on ajoute que "tout
communication à la totalité ou à des groupes de fonctionnaires re
lative à leur conduite doit se faire par voie hiérarchique et qu~
"pour leur conduite ces personnes n'ont à recevoir d'avis que d
leurs supérieurs, je me permets de rectifier cette opinion en ce sen
que la voie hiérarchique est à suivre pour les avis qui se meuven
dans la sphère de la compétence de l'Etat et qui se rapportent au
fonctions des employés et des instituteurs réglées par les lois d.-
l'Etat.
Mais en dehors de ces lois, la règle et la morale imposent au\
fonctionnaires et instituteurs catholiques des devoirs qui les subor-
donnent après Dieu à l'autorite ecclésiastique. Je ne vois vraimen
pas comment j'aurais pu faire parvenir des avis de ce genre par la
voie hiérarchique et par une autorité de l'Etat, d'autant moins que
le Conseil impérial de l'Instruction publique avait lui-même déclare.
que la fusion avec le A. D. L. V., dont il s'agit, était abandonnée
par l'administration à la dcost'o): personnelle d'un chacun. Je me
sens donc autorise à ne pas accepter le reproche d'une main-mise
sur les droits de l'Etat.
La lettre du t crt. m'annonce qu'elle sera publiee. Comme cela
a été fait, et le jour même où cette lettre me fut remise, je ne vois
aucun inconvénient à livrer ma réponse a la publicite.
L'Evêque de Strasbourg, D' FfUTZEN.

Mgr l'évéque de
Strasbourg aurait encore pu relever
bien des points, dans l'acte ministériel; il a sans doute
trouvé au-dessous de sa dignité de se payer la tête et de
celui qui l'avait rédigé, et de celui qui avait apposé sa

signature. Le public n'est pas tenu aux mêmes égards


qu'un prince de l'Eglise, et nous pouvons nous en donne!
a cœur-joie, par exemple, sur ce délicieux passage «Je
suis loin de contester à un évêque le droit de s'adresser
à la totalité de sesdiocésains, mais. Admirons la
beauté de ce raisonnement. & Si V. G. avait envoyé l'ar-
ticle de Mgr Nigetiet à tous les
catholiques de la Haute-
et de la Basse-Alsace, le ministère n'aurait pas vu dans
cet acte un abus de pouvoir; si Elle avait fait lire cet
article au
prône de les paroisses, si Elle l'avait
toutes
fait afficher dans toutes les églises, nous n'aurions rien
trouvé à y redire, parce que Vous vous adressiez à la
totalité de Vos diocésains; 5oo,ooo exemplaires ne tombent
LE KUL'i'URKA~li'F ALSACIEN-LORRAIN.

sous la loi, l'envoi de tooo ou de -2000 est délic-


nas
-ueux 0 logique
Décidément le ridicule ne tue plus chez nous, aussi
nos jurisconsultes césaro-papistes n'ont-ils plus peur de
devenir la risée de ceux qui pensent, qui savent un peu
''histoire et sa philosophie, et qui ne comprennent pas
les augures de notre banc ministériel puissent se
iue
tegarder sans s'éclater en parlant des «Articles orga-
niques. »
Qu'à l'époque consulaire les écrits des évéques fussent
soumis au visa de l'autorité, cela s'explique par tout le
milieu dans lequel on vivait à cette époque. Pas un mot,
pas une ligne ne s'imprimait sans passer par la censure
le iy janvier 1800 Bonaparte avait supprimé 60 journaux,
et on peut lire dans le beau livre de M. H. Welschinger,
La Cc~~Mre ~OM~le Premier jE're, ce qu'était devenu
la presse aux débuts du XIX'' siècle. Privilégier les
évëques, cela ne serait entré dans aucune tête, pas même
dans une tête d'évéque, tellement on était habitué à
l'absolutisme et tellement l'on était heureux d'être délivré
de la Terreur. Mais vouloir mettre au régime d'un évoque
du temps du Consulat un évêque du XXe siècle, avec
notre liberté illimitée de l'imprimerie, des journaux,
c'est une naïveté dont ne devrait pas se rendre coupable
aucun homme d'Etat, même en Alsace, où cependant
tout est possible. Autant vouloir arrêter le cours du Rhin
avec des toiles d'araignées, que d'entraver l'action d'un
évêque par des règlements d'imprimerie. L'on prétend
interdire à un évêque de mettre en garde les instituteurs
catholiques contre l'apostasie qu'implique l'adhésion à
l'A. D. L. V., en leur envoyant un article de Revue
Qui l'empêcherait d'écrire une lettre à M. X. ou à M. Y.
où il manifesterait clairement son avis, où même il édic-
terait une défense, où il prononcerait une condamnation
et de publier cette lettre dans les journaux? Dès que
l'authenticité de cette lettre privée serait constatée, la
conscience des instituteurs serait liée tout aussi bien que
par une communication directe. Quand une arme est
Revue. Mars 1910. t2
LE KULTURKAMPF ALSACIEN-LORRAIN.

trop rouillée, il ne faut plus s'en servir, elle vous eclan.


entre les mains. C'est le cas pour certaines armes légales.
même lorsqu'elles étaient justes lors de leur création, ce
qui n'est même pas le cas pour les Articles or~M~~e~
et toutes les prescriptions surannées qu'ils ont engendrées;
à défaut d'un acte formel le ridicule et l'impossibilité Je
les appliquer les ont depuis longtemps abrogées.

N. DELSOR.

(A suivre.)
JOSEPH GUERBER.'1

\1. le chanoine Cetty a bien voulu donner à la .RefHe~ les


bonnes feuilles de cette notice biographique; je l'en remercie très
smcerement. Mais il s'est borné à un nombre de feuilles relative-
ment restreint, et je l'en approuve, car cette notice mente un cercle
de lecteurs beaucoup plus étendu que celui de la .Reftic.
M. Guerber est une des gloires les plus pures et les plus bril-
lantes, non seulement du diocèse de Strasbourg mais de l'Alsace,
L[ Ii a trouvé en M. Cetty un portraitiste digne de lui. Le disciple
s est tout imprégné des traits du maître, et le talent rivalisant avec
t<; cœur, il a produit une figure vraie, vivante, impressionnante.
Nous voyions recemment à Strasbourg, à la devanture d'une
maison d'art, un beau buste, et maigre toute la virtuosité de l'ar-
ttste. nous n'y aurions pas reconnu M. Guerber, sans l'entrefilet
journal. Le marbre est incapable de rendre ce regard si vif et
profond, cette physionomie si expressive mais où le marbre a
échoue, la plume de M. Cetty a reussi, même pour les traits phy-
st~j )es du regrette défunt. Il a mieux encore réussi pour son portrait
intellectuel et moral. Dans ces pages, M. Guerber se dresse devant
nous dans toute sa grandeur, toute sa droiture, toute sa raideur
me, quand il s'agit des principes de l'Evangile et des droits de
R~hse, dans l'alerte vivacité de sa bonté, de son espnt, dans la
'hte et la virginité de son caractère. Le meilleur éloge qu'on
F ''sse faire de ce livre, c'est qu'il est impossible de le lire sans
~sentir au fond de son âme le besoin et le desir de s'élever aux
~'teurs où M. Guerher avait placé l'idéal de sa vie.
M. Guerber est le démenti vivant de la théorie si fausse, si de-
~~te, que les devoirs du prêtre sont incompatibles avec sa partici-
)'~ ion à la vie publique. M. Guerber a été un prêtre modèle et il

Joseph Guerber, par H. Ccf~ 112 pp. in-S". Mulhouse, Ob,-


Verlagsanstalt, icto. Septembre i~og et sqq.
JOSEPH &UEHBEB.

na cesse ni dans la presse, ni dans les réunions publiques, ni d:]s


les conversations privées d'intervenir dans la politique, au sens )ar~e
de ce mot, qui est aussi le seul sens vrai, grand et fécond.
M. Cetty n'a pas cru diminuer M. Guerber en relatant la cr t-
deur avec laquelle il avait donné dans les Apparitions de Kruth, ,u
Val de Villé; la cr:t<e n'était pas son côté le plus fort. Et )) jg
sera pas diminué non plus, si j'exprime le regret que dans )&
de 'Z.~erMMHM il n'ait pas cherché à elucider l'un ou l'autre po n;
resté obscur p. ex. la raison vraie de son arrestation et de .n
transfert aux prisons de Paris. Cela doit se trouver aux Arc/;r~
nationales, et ces recherches tenteront peut-être un de nos jeu .s
savants.
M. Cetty me permettra peut-être aussi de croire que M. GuetL~r
aurait pu, sans déchoir, rester à son poste de Zitlisheim, lors de :a
crise de i8~3- J'ai vécu cette crise et je possède sur cette pa~e
si douloureuse de l'épiscopat de Mgr Ra:ss les documents les p;~
authentiques; peu de personnes savent mieux que moi ce qu'il a
eu d'indecision, d'incohérences, de contradiction dans les instructions
de la chancellerie episcopale. Mais je ne crois pas que, quand fa
boussole de l'amiral est affolée, ce soit le cas pour les capitaines je
vaisseau de donner leur démission au milieu de la bataille. On. n a
pu rouvrir nos établissements diocésains qu'à des conditions plus
cruelles que celles auxquelles ils pouvaient subsister; M. Mur.,
M. Guerber, Mgr Dupont des Loges étaient d'avis qu'il fallait m
subir. Je puis ajouter, d'après une conversation que j'eus avec M~r
Freppel, qu'il etait du même avis.
Ce n'est pas un reproche que je fais à M. Cetty en lui expn-
mant mes regrets de ce que cette biographie soit trop courte c'est
plutôt un souhait de le voir reprendre son travail pour lui donner
plus d'ampleur. Certes, il a eu raison de ne pas tarder à tracer Ls
contours essentiels de cette belle figure, mais il me semble qu tt
pourrait la retravailler. Les correspondants de M. Guerber fourni-
raient volontiers des lettres qu'il serait intéressant de connaître, et
la génération actuelle gagnerait à connaître plus en détail les mihe~\
successifs dans lesquels M. Guerber a vecu et agi.
En attendant le portrait en pied, contentons-nous de cette n.
niature, qui n'est pas seulement une bonne oeuvre, mais une œu\re
littéraire remarquable, capable de contenter les plus difficiles et Je
procurer une jouissance esthétique aux plus délicats.

N. DELSOR.
REVUE DU MOIS.

Quand Napoléon III demanda à M. Haussmann ~'<MM!'K:'r Paris,


.la première considération qui le décida dans le tracé des voies
fut une considération stratégique. La tuerie qui durant les journées
de Juin, ersanglanta Paris, avait laissé dans toutes les imaginations
un~ impression d'épouvanté ineffaçable. Ce que le peuple et les
bomgeois demandaient au nouveau régime, c'était de rendre im-
possible le retour de pareilles atrocités. Or, pour couper court
désormais à toute velleite de guerre civile, il faudra tracer de larges
rues dans les quartiers populaires qui sont les citadelles de l'émeute,
d~g~ger les monuments où les insurgés peuvent se retrancher, créer
de grandes avenues par où les troupes se porteront rapidement
sur tous les points de la ville où leur présence sera .nécessaire,
ou\nr de larges espaces que balaieront au besoin l'artillerie et les
feux de peloton." 1 Si Berlin et les grandes villes de Prusse
n'avaient pas été assainies et agrandies d'après ces considérations
bonapartistes, si l'armement de la troupe n'était pas d'une perfection
ab~r,)u et que le fusil pillé chez l'armurier du coin et dans les
~eL\ arsenaux valût encore le fusil de munition, les journées de
Mais f8~.8 se seraient renouvelées à Berlin et dans la province, et
l'on peut se demander si l'armée où il y a tant d'éléments socialistes
aur~.t pu tenir tête a l'émeute.
Mais l'émeute est vieux jeu: les socialistes ne sont pas assez
&ot~Tour faire une insurrection à main armée et pour conduire les
"M --es populaires, non pas devant la pointe des bayonnettes, mais
sou une
pluie de balles et une grèle de mitraille qui les écraseraient
s ~.cj\j trois kilomètres. Ils ont remplacé l'ancienne descente dans
la
r"e par la promenade en masse, par la démonstration du cortège.

~drc Hallays: Haussmann et les travaux de Paris.


REVUE DU MOIS.

Comme affirmation de la volonté populaire ce n'est pas trop r- a[


imaginé. Ces démonstrations se font sans désordres trop profo; J;
et les organisateurs observent un secret si parfait sur leurs p)a~
les meneurs tiennent si bien leurs brigades dans leurs mains nut:
la police prend quelquefois des dispositions tout à fait fausses.
Les chefs socialistes avaient convoque leurs fidèles pour
promenade en masse au parc de Treptow, le dimanche G mars.
le temps avait été beau, on aurait pu compter sur 100000 pror e-
neurs électoraux la police mit le parc en interdit et dans l'iuLe
qu'on chercherait à forcer la consigne, elle massa dans les environs
des forces considérables. Et pendant qu'elle brutalisait la-bas
quelques bourgeois inoffensifs, les colonnes socialistes débouchai nt
à l'extremité opposée de la capitale, par les allees du Thiergar ,1.
sur les places qui entourent le Rei~hstag. La bagarre fut mcn~
sanglante qu'on n'eût pu le craindre: il y eut moins de blessés qne
de prévenus en police correctionnelle pour outrages aux agents et
refus de circuler.
Tout cela, parce que la nouvelle loi electoiale pour la Prusse
a été pour le peuple prussien une immense déception, et qu'elle est
regardee, non sans raison, comme un défi jete par la réaction a
l'opinion publique. On n'espérait pas grand chose de la généio~te
du ministère actuel, mais la loi, même amendée, reste tellement au-
dessous de ce qu'un état confédéré peut espérer dans un Emptre
régi par le suffrage universel, qu'on s'explique fort bien cette
effervescence populaire, qui se manifeste non seulement dans les
couches socialistes, où agissent des ferments tout à fait artificiels
mais dans la bourgeoisie où le mécontentement est plus spontanL
et plus réfléchi. La nouvelle loi telle qu'elle reste apr&s les dt-it
bérations de la Diète merite encore le nom de miserable que
Bismarck avait donné à l'ancienne. Le nouveau projet maintient le
régime censitaire avec trois classes, avec le suffrage à deux deg~s.
et introduit le scrutin secret pour le premier degré seulement.
tandis que les delegués continueront, au second degré, à vote- .)
bulletin ouvert. De plus les trois classes, seront constituées, comme
par le passé, non pas dans la commune tout entière, mais Dans
chaque section primaire. Ce projet, qui n'a pas encore éte discute
à la Chambre des Seigneurs, a éte vote par le Centre et par i.'
Droite, contre les nationaux-libéraux, les radicaux et les quelqt~s
socialistes a
qui sont parvenus à forcer l'entrée de )a Diète,
tactique du Centre est violemment attaquée; il est accuse
haute-trahison contre le peuple et contre le suffrage universel
de prime abord on serait tenté de croire que cette fraction au '"t
mieux fait de s'adjoindre aux partis de gauche et de pratiquer la
politique du tout ou rien. H ne faut cependant pas juger les cho;
de l'Allemagne du Nord d'après nos habitudes et d'après
REVUE DU MOIS.

panières de voir sudistes. Le système électoral prussien est très


compliqué, néanmoins il est entré dans les mœurs, et nous ne
sommes pas à même de juger du progrès que le nouveau projet
:onstitue par rapport a l'ancien. Il est d'ailleurs certain que le
nouvel nement n'aurait accordé ni le suffrage, ni le vote secret des
électeurs secondaires. Cela étant donné, le Centre, fidèle à sa
tactique, a préferé un moineau dans la main à deux pigeons sur
le toit si minime que soit la concession du gouvernement, le
Centre ne se croit pas en droit de la refuser. On peut être d'un
a\is différent et penser qu'il ne faut pas en politique accepter des
acomptes de trop peu de valeur, mais de là à une trahison, il y a
un abîme et il faut toute la mauvaise foi des nationaux-libéraux
pour élever cette accusation d'autant plus que les nationaux-
iiberau~ eux-mêmes ne voûtaient pas du suffrage universel. Puisque
l'on n'avait aucune chance d'obtenir le suffrage universel, le Centre
a tenu aussi à tiercer les classes par quartiers et non point dans
la circonscription totale comme le proposaient les nationaux-
libéraux, parce que ce deinier système enlevait aux classes popu-
laires tout espoir de faire passer leurs délégués la seconde classe
auiait tout accaparé. Le Centre en cela a donc servi les intérêts
des petits et ne les a point trahis, comme l'en accuse la presse
hberale. A Berlin, par exemple, le tiercement pratiqué sur toute
la commune aurait evincé complètement les candidats plébéiens.
Le progrès, et il parait que c'est un progrès réel, consiste dans
le secret du scrutin des électeurs primaires c'est surtout là qu'il
s agissait de défendre l'indépendance de l'electeur contre la pression
de l'Etat, des grands industriels et du parti socialiste. Ce qui
prouve le mieux la différence des mœurs électorales prussiennes
da\ec les nôtres, c'est qu'au second degré le vote public est con-
sidéré par le Centre, comme le palladium de l'honnêteté électorale.
Sans doute le gouvernement sait par là comment a voté tel ou tel
citoyen, mais ce vote ne lui apprend rien de nouveau, car chacun
est si bien embrigadé dans un parti qu'on n'a pas besoin de son
vote pour savoir où vont ses préférences. Pour les partis, au con-
traire, il y a un intérêt supérieur à savoir si le délegué a voté con-
formément à sa profession de foi, s'il est resté fidèle à la parole
donnée, tl y a dans ces considérations quelque chose de très fondé,
et je comprends qu'un de mes amis veuille voir introduire le scrutin
public pour nos elections du Landesausschuss, si ce détestable
système devait être maintenu. Que de fois en effet des délégues
lui avaient engage leur parole ont trahi le parti qui leur avait
procuré leur mandat, précisément à la faveur du scrutin secret.
Quoi qu'il en soit, le gouvernement prussien a commis une faute
'-norme en s'embourbant dans les ornières d'une loi electorale
surannée, qui en Prusse met sous tutelle un électeur majeur dans
REVUE DU MOIS.

l'empire. Les esprits sont profondément troublés et la paix ne


renaîtra plus, ni dans la presse, ni dans les réunions, avant qu'on
n'ait donné satisfaction à des revendications très justes. Les défauts
du suffrage universel peuvent être corrigés par la proportionnalite,
par le vote plural des pères de famille et de certaines capacités,
non pas par la clause capacitaire que contenait le projet de
M. Bethmann-Hollweg, car elle consacrait si crassement le capo.
ralisme en faisant du sous-officier et du volontaire d'un an une
armature électorale, que cette clause a été jetée au panier à une
grande majorité. Si la valeur d'une réforme peut. et elle le doit,
se mesurer au calme qu'elle produite il faut avouer que cette ré-
forme ne vaut rien, car il est difficile de se persuader qu'elle
produira un apaisement des passions.
Subirons-nous en Alsace-Lorraine une déception analogue pour
l'autonomie? C'est une question qui préoccupe les esprits bien au-
delà des limites du Reichsland et des frontières de l'Allemagne. Car
si au point de vue du droit des gens elle est essentiellement et
exclusivement une question interne de l'Empire, il faut bien admettre
qu'au point de vue psychologique, si l'on peut s'exprimer ainsi, elle
est internationale, en ce sens qu'une solution juste, généreuse, che-
valeresque, qui contenterait les aspirations de l'Alsace-Lorraine, ne
contribuerait pas peu à la consolidation de la paix du monde, au
rapprochement de deux nations bien faites pour travailler efficace-
ment ensemble aux progrès de la civilisation, à la possibilité d'une
politique générale de désarmement. Chose étrange La presse hos-
tile à l'autonomie et au desserrement des liens qui nous entravent
depuis quarante ans, ne cesse de dire que nous n'obtiendrons notre
indépendance que par la politique des e')~ bien M~M, et nous
avons eu au contraire à enregistrer des succès chaque fuis que nous
avons crié, trépigné des pieds, cassé les vitres, en un mot, chaque
fois que nous avons été des et:Kf~ insupportables. Le 21 février
igoo, le prince Alexandre de Hohenlohe avait dit au Reichstag au
sujet de la dictature, en réponse à M. Winterer: Il est précisément
dans l'intérêt des ~ro~'M de l'apaisement que le gouvernement garde
en main des armes puissantes pour gâter le métier des agitateurs. Et
si ce spectre de la dictature pèse lourdement à la partie tranquille
de la population alsacienne, tant pis pour elle elle n'a qu'à s'en
prendre à ces messieurs (M. Winterer et consorts), qui ne cessent
de troubler le développement pacifique du pays." En deux mots,
tant que vous voterez des Winterer, mes bons Alsaciens, vous res-
terez sous le joug de la dictature. En cela le prince ne faisait que
répéter ce que venait de dire son père, le chancelier, peu d'instants
auparavant “ La dictature est un écriteau comminatoire, un
drapeau plante en face des sentiments français, là où ils peuvent
encore exister. On ne peut pas nier qu'une minorité nourrit encore
REVUE DU MOIS.

sentiments antiallemands; les anciennes relations ont laissé des


mes qui repoussent çà et là. Je ne le reproche pas à cette mino-
je constate des faits dont en voici un tout récent. Le clergé
.tLiolique fait une opposition passionnée à la fondation d'une fa-
!te catholique à Strasbourg, et elle ne s'explique que par les sen-
t .ents français, l'attachement aux traditions françaises. Pour
). n)s, le bouc émissaire du maintien de la dictature, c'était M. Win-
rer; pour le père, les prêtres partisans de l'instruction théologique
a Séminaire. Et qu'arrive-t-il deux ans après? M. Winterer est
e 'core au Reichstag avec les mêmes collègues ils n'ont pas fait
j-~ende honorable ils n'ont promis aucune garantie spéciale de leur
]i ahsme constitutionnel, et le g mai 1902, Guillaume II arrache de
1~ frontière cet écriteau comminatoire, il ramène le pavillon de !a
)c. martiale, et jette à la vieiDe ferraille cette soupape de sûreté
~icherheitsventil) de la dictature, que le prince Clovis de Hohen-
[une prétendait indispensable à la sécurité de l'empire
Aujourd'hui les champions de la MMHt'cre ~br~e nous râclent la
r~me rhapsodie des Hoheulohe sur la même chanterelle. Autrefois
on nous disait ,,Ah si seulement vous n'aviez pas voté M. Win-
tcrer I" Aujourd'hui on nous dit ,,Ah ) si seulement vous ne votiez
q te des hommes comme M. Winterer, ce modèle des parlementaires
calmes, posés, objectifs." Ce compliment est, on ne peut plus mérité,
~eutement M. Winterer n'a pas changé du tout; déjà il était alors
cet homme calme, mais il est aujourd'hui encore le même particu-
)<tfi~te opiniâtre, et l'ennemi irréductible de toutes les idoles qu'on
prétend nous faire adorer. Cela ne prouve pas en faveur de la bonne
ta) de ceux qui nous rabâchent aujourd'hui la cantilene du prince
Aie\andre. Et c'est bien elle qu'on corne tous les jours à nos
o;e~))es; mettez dans deux colonnes juxtaposées le discours du dé-
puta, depuis mis à pied par ses électeurs de Haguenau-Wissembourg,
et certains autres discours ou articles plus qu'officieux, et vous
~frrez qu'on ne s'est pas même donne la peine de changer un mot.
C'~st du même esprit que procedait le discours du chancelier actuel
J'. mois de decembre. Et là-dessus, nous avons éte moins sages que
i~mats. Au gré de nos chauvins, N. N. S. S. les évoques de Stras-
b. urg et de Metz ont trahi la patrie allemande en cherchant à dé-
t' )ner les instituteurs catholiques de l'A. D. L. V. Puis il y a eu
L-- débats très vifs du Landesausschuss, des polémiques de presse
t!es violentes sur le nationalisme, des attaques véhémentes, et en
t~nde partie injustifiees, contre la magistrature de Colmar, des dé-
'nstrations publiques peu sympathiques au gouvernement en faveur
M. Wetterlé à sa so tie de prison, et enfin l'affaire Wetterlé-
V' edel!"
On ne devrait plus en parler, tellement le temps l'a réduite aux
P~pornons minimes qu'elle avait en réalité et qui ont été grossies
REVUEDUMOIS.

monstrueusement, c'est bien )e mot, d'abord par tous ceux qui vo


laient provoquer le départ du Statthalter et ensuite par tous cet,
qui, par intérêt ou par préjuge, ont horreur de toute concession a~
Alsaciens-Lorrains. La delicatesse la plus élémentaire exigeait qu'n )
ne mêlât pas à nos debats politiques une femme éminemment vén
rable qui ne se mêle pas de politique, et qui, par sa bonne gra~
sa générosité, sa largeur d'esput fait mille fois plus pour l'assini
lation et la conciliation que les dogues qui nous montrent iou)o~
leur mâchoire. Mais allez chercher de la dehcatesse et les égards qL
l'on doit à une femme aupres de brutes chez qui le tact passe po r
une honteuse faiblesse.
Pour ce qui est de la discrétion de M. Wetterié, lui-même, ;e
dois, pour rendre témoignage a la vérité, affirmer ici qu'aucun d~
deputes alsaciens presents à Berlin, au moment de la révélation, r~
savaient rien du fameux cadeau, et que, pour ce qui me concerne t Il
particulier, ni M. Wetlerié, ni Mme Wetterié, mère, n'ont jama.s,s
fait la moindre allusion aux attentions dont ils avaient été l'ob~t t
antérieurement. Ce m'est une laison de plus pour déplorer qu~
ceux des amis de At. Wetterié qui avaient eu fortuitement canna!
sance de la chose ne se soient pas crus tenus à la discrétion. S)
les pangermanistes ont manqué de tact par le bruit qu'ils o~t
mené autour de l'affaire, ceux par lesquels elle est arn\ée a td
connaissance de ces pangermanistes en ont montre encore beaucoup
moins. Il fallait en efFet être obtus au dernier point pour ne pa~
penser que cette attention serait e'xp)oitee contre la comtesse <-[
qu'elle ferait une enorme sensation. J'aurais voulu voir quel tapage
la presse gouvernementale française aurait mené, si au lendemain 'J
de mon expulsion de Luné\i))e la presse allemande avait annonce
que l'ambassadrice de France à Berlin m'avait envoyé un souvenir ]c
croîs bien que M. Combes aurait rappelé l'ambassadeur dans le,
vingt-quatre heures. Ces incidents vous engagent à teviser la list<-
de vos amis, ou au moins à bien déterminer le concept de l'amitu-
les vrais amis ne sont pas pour l'homme politique ceux qui se font
pour lui des espèces de ~WMt~M. Déjà Horace nous avertissait d~
nous défier des gens qui crient toujours Bien parfait à mc:-
veiltet sous leur peau, il flairait des renards. Et s'il m'est pernu~
de parler de moi, je dois dire que je me suis tou;ouis mieu~ trom'- l
de ceux qui me priaient de serrer le frein que de ceux qui à foie:
de compliments me poussaient à surchauffer la vapeur.
La presse chauvine a aussi battu toutes les grosses caisses dis-
ponibles autour du voyage de M. Wetterié à Pans. Il me semb~
qu'à défaut de charité, le sens commun seul devrait suffire pou'
supposer que des affaires excessivement graves l'avaient oblige à c
voyage et qu'il avait assez le sentiment des convenances politique
pour ne pas, dans les circonstances critiques où nous nous trouvon'-
BEYUEDUMOIS.

aller se promener à Paris afin de provoquer des démonstrations et


encore moins de les concerter d'avance avec une jeunesse dont les
intentions peuvent être bonnes, mats dont l'enthousiasme irréfléchi
est plus propre à nuire qu'à profiter à la cause à laquelle s'est con-
sacré M. Wetterlé.
Quoi qu'il en soit, nos notes étaient mauvaises, les presages
pessimistes l'emportaient, la presse chauvine disait sur tous les tons
que la question de l'autonomie était renvoyée aux calendes grecques
tant que la population d'Alsace-Lorrame n'enverrait pas au Reichs-
tag une douzaine de démocrates à la Wolff, ou de socialistes à la
Peirotes, aucun chancelier n'oserait songer à une solution. Et
qu'arrive-t-il? Le 14 mars le chancelier de Bethmann-Hollweg re-
vient sur son discours de Decembie, en réponse à celui de notre
amt Vonderscheer. "Moi aussi, dit-il, je ne fais aucun cas d'un
patriotisme criard (Hurrahpatnotismus).. et si (en Décembre) j'ai
parlé de garanties, je n'ai pas voulu dire qu'avant tout progrès
(dans la constitution) nous exigeons de tous et d'un chacun l'amour
de la patrie que nous voulons obtenir par le développement de
l'autonomie Si cette autonomie doit engendrer l'assimilation, ce
serait un cercle vicieux de demander qu'une assimilation parfaite
précède l'autonomie. Sans doute certaines manifestations sont,
intentionnellement ou non, un obstacle à ce developpement, mais
;e suis aussi de l'avis de M. Vonderscheer que certains incidents ne
doivent pas être exagérés. Certaines manifestations, certains petits
episodes n'ont pas pour moi une portee telle qu'on puisse en faire
dépendre les destinées d'un pays. J'ai donc fait rédiger un
projet de loi sur le développement de la Constitution de l'Alsace-
Lorraine. Je ne puis entrer dans aucun detail avant l'assentiment
du Conseil Fédéra). Je ne veux pas non plus reparler des dilïi-
cultes de droit public que ce projet fait surgir. elles doivent
etre surmontées et à mon avis elles le seront.
11 est )ndéniab)e que ces paroles du chancelier devaient produire
une impression bienfaisante et qu'elles l'ont produite. Un homme
comme lui ne ;ette pas à la légère un blâme sur ses predécesseurs,
en disant que ,,lui aussi regrettait que rien ne se fût fait pour
l'Alsace depuis trente ans et que cet arrêt ait eu lieu au détriment de
ce pays." Mais on peut faire remarquer que ces avances ne sont
pas complètement spontanées: la rédaction de ce projet mystérieux
d'autonomie s'est faite sous la pression energique de l'opinion
publique, qui en a assez du régime provisoire où est tenue la Terre
d'Empire, et qui s'est fait jour par le fait, qu'on a consacré à cette
question près de la moitié du temps fixé pour la discussion du
budget de la Chancellerie.
Sans se laisser emporter par des rêves dores dans les sphères
de l'illusion, l'on peut dire que la Journée du i~. Mars a été
BEVUE DU MOIS.

excellente pour la cause de l'Alsace-Lorraine. Et tout d'abord les


conservateurs d'ordinaire si hostiles à toute concession à l'Alsace
se sont tus c'est dejà un succès ils sentent que leur système du
vae victis n'est plus défendable. Les représentants du gouvernement
d'Alsace-Lorraine se sont tus, eux aussi tout essai d'apologie du
régime tracassier, tâtillon, étroit, auquel il nous tient soumis,
aurait abouti à une épouvantable déroute. Et si quelques orateurs,
nationaux-libéraux tels que le Dr Grégoire, )e Dr Hieber, si des
socialistes tels que Bôhle et Emmel se sont laissé aller à des expec-
torations personnelles du plus mauvais goût, le reste de leur argu-
mentation n'a fait que corroborer celles de nos amis les D~ Vonder-
scheer et Ricklin. Le discours de l'ex-pasteur Naumann, du parti
progressiste, a même été remarquable. Naumann est un des très
rares orateurs du Reichstag qui donnent à leurs discours une belle
forme littéraire, et celui qu'il a prononcé à cette occasion restera,
sauf quelques inutilités et une toute petite erreur historique,' une de
ses meilleures productions et nous en donnerons la traduction dans
un de nos prochains numéros. En somme tous les partis ont mérite
les remercîments que, pour la clôture, le député de Guebwiller,
M. Hauss, leur a adressés au nom des Alsaciens-Lorrains, et tous
les partis se sont associés à son vœu que le Conseil fédéra) delihere
bientôt et rapidement sur le projet d'autonomie qui lui sera soumis,
que le Reichstag s'en occupe immédiatement après pour accoider
enfin à l'Alsace-Lorraine son droit d'être traité comme les autres
Etats de l'empire."
Et maintenant nous regardons comme absolument oiseux
d'écouter à toutes les portes pour surprendre un bout de la conver-
sation d'un Geheimrat quelconque qui ne sait rien, de discuter
toutes les informations des gens qui se prétendent admirablement
renseignés, de composer des charades sur le projet de loi du chan-
celier pour éblouir nos lecteurs par l'ingéniosité de nos solutions,
de bâtir sur l'hypothèse d'hier une hypothèse qui sera renversée par
celle de demain. Le passé ne nous fournit aucun motif pour être
optimistes le Prussien n'a pas pour les pays conquis la largeur de
vues et la générosité que l'Angleterre a témoignée aux Boers si peu
d'années après leur capitulation. Mais ici je voudrais poser une
question à M. Maurice Barrès pour son article dans le Ga:~o!
Croit-il que l'Angleterre aurait accordé aux Boers les franchises dont
ils jouissent, si on pouvait dire d'eux ~qu'ils n'ont pas, eux, à porter

M. Naumann a en effet confondu l'Alsace avec la Franche-


Comté en croyant que celle-là avait vécu quelque temps sous la
souveraineté espagnole.
RE~UEDUMOtS.

le masque que leurs députés, par devoir civique, sont contraints


d'appliquer sur leur visage?" M. Maurice Barres attribue là à la
deputation d'Alsace-Lorraine une vilenie contre laquelle je puis pro-
tester sans crainte d'être démenti par aucun de mes collègues. Nous
preférons en Alsace la déclaration du grand patriote, Déroulede, que
le temps est enfin venu pour les Français de laisser les Alsaciens
décider eux-mêmes sur ce qui est le plus avantageux pour leur pe-
tite patrie. Certes, jamais nos sympathies pour la vraie France ne
diminueront, certes jamais le souvenir ne s'eflacera en nous de ce
que nous lui devons, mais nous protestons hautement contre une
interprétation de cette sympathie et de cette fidelite au souvenir qui
justifierait aux yeux de nos maîtres non seulement le refus de l'au-
tonomie, mais le rétablissement de la dictature.

N. DELSOR.

1 Gaulois. mars 1910.


BIBLIOGRAPHIE.

F. X. LE Roux & C'c, STRASBOURG(Alsace), 34, rue des Hallebardes,


EMILE WAGNER, Les Ruines des Vosges. Avec 110 vues photogra-
phiques hors texte. 2 vol. in-i2 et une couverture illustrée par
C. SpiNDt.cn. let vol.: Partie septentrionale; 2~ vol.: Partie
méridionale. Prix des 2 vol.: Broche Mk. 5,60; élégamment
relies en percaline gaufrée, plaques spéciales, tête rouge, Ml~. 7,20;
chaque volume séparément, broché ML. 2,80, relié M. 3,60.
Les touristes trouvent, pour s'orienter dans les Vosges, des
g'!<M excellents. Mais il n'existait pas d'ouvrage où fût réunie
d'une façon complète et suivie la description de tous les châteaux
de la chaîne vosgienne de l'Alsace et de la Lorraine.
Avec une patience inlassable, l'auteur des beaux volumes que
nous publions sous le titre Les Ruines ~M Vosges, a parcouru les
montagnes et fouillé les archives, pour réunir les éléments de cet
ouvrage si intéressant et si complet. Il a accompli sa tâche en his-
torien, en poète et en artiste l'appareil photographique lui a permis
de nous montrer ce que sa plume a décrit d'une manière si alerte
et si précise. C'est un regal des yeux que de parcourir ces Ruines
des Vosges et d'en admirer les nombreuses planches photogra-
phiques, dont l'ensemble constitue un inappréciable document
aussi bien pour l'archeologue et l'artiste que pour le simple touriste.
Les jRM:)!M des Vosges ont paru d'abord en un volume in-.).°,
aujourd'hui épuisé, d'un prix elevé. La présente édition, plus com-
plète, bien que d'un format moins encombrant, avec une belle cou-
verture illustrée par Spindler, ne pourra manquer de trouver l'accueil
le plus favorable auprès de tous les admirateurs de l'Alsace et des
Vosges.
Divise en deux volumes Vosges septentrionales et Vosges méri-
dionales. cet ouvrage sera le vade-mecum du touriste pendant ses
excursions il restera pour lui le plus agréable mémento, quand il
BIBL~O&BAl'UIE.

,.Jtarevivre au foyer ies journées delicieuses passées en pleine


n'LU'e, dans le cadre admirable de la montagne, parmi les glorieux
,[)~es et les souvenirs légendaires du lointain passé.
janvier toio. RERGER-LEVRAULT & Cie.

t. Vie!))e Morale à l'Ecole, par M. l'abbé Joseph TissiER, Curé-archi-


prêtre de la cathédrale de Chartres, ancien Directeur du pen-
sionnat Notre-Dame. In-12 de ~60 pages. Prix: 3 fr. 5o. Librairie
P. Tequi, 82, rue Bonaparte, Pans.
Ce volume de discours délicieux est divisé en 4 parties: I. Les
n~ncipes, Il. Le modèle, III. Leçons de choses, IV. Consignes chré-
tt~naes. En tout 56 discours.
Le style de M. l'abbé Tissier est fleuri a ravir toute l'âme du
chante ces pages d'où s'exhale un
t~ene, de l'éducateur dans
pttfum de terroir \raiment exquis.
Citons au hasard quelques titres d'allocutions de circonstance
o~ ]e fond et la forme rivalisent de perfection Vous êtes des dieux
); p;i\ de la vie; les luttes présentes; le Fils de la Vierge;
i'\mi; !e Juste, la terre natale; leçon d'harmonie; les leçons de
la mort pas des clowns, mais des hommes souvenez-vous pater-
n<-i testament retour à la vieille maison. Aux ~Documents
)u-j[ncatifs" on sera heureux de trouver La morale de nos /)'-c<*M~
/c 'e):cc du ministre, la Htorjfe religieuse et les ~'eun~. de Maurice
!!j!rcs .E'):/a~< ?)!or~/p;en< abandonnés, et Une nouvelle morale,
p~r Gabriel Bonvalot Alorale /a~Me, par Albert de Mun.
Traité des Scrupules, par l'abbé GRfMns. In-ï8, 266 p. i fr.
Dans cette matière 'u difficile, M. l'abbé Grimes n'a rien cherche
Je nouveau. Il s'est borne à mettre en oeuvre, avec un tact exquis,
les enseignements des Saints et des Docteurs. On a eu l'excel-
Lnte idee d'y ajouter n: e-f~H~o, en ~5 pages, le chapitre si profond
et si fouillé du P. Faber sur les scrupules.
(~4;)!! du Clergé, i3 janvier igio.)
La Bienheureuse Mère Barat, la Fondatrice, l'Educatrice, la Sainte
3 discours prononcés à Orleans les 27, 28 et 2<) janvier 1910,
par M. l'abbé Gabriel BILLOT. In-i2, 85-p. fr. o,y5.
Ceux qui ont entendu ces trois panegynques nous sauront gré
d~ les publier. Ils y retrouveront les qualités exquises de style qui
ont charmes et les leçons merveilleuses de cette vie de la Mère
~trat que l'Eglise vient de proclamer la Bienheureuse.
Et quel sujet méritait mieux d'être traite, en ces jours de lutte,
affaissement religieux et de matérialisme, que la vie de la Mère
~rat, dont l'ordre a donne des fleurs si ravissantes et des fruits si
'cieux sur toutes les plages, sous tous les deux.
A travers quelles difficultés, quelles persécutions, par quelles
"thodes, et au prix de quels sacrifices héroïques la B. Mère
BtBMOGBATBIH

Barat s'est sanctifiée, a sanctifie ses Religieuses et a assuré l'edu.


tion foncièrement chrétienne de tant de milliers de jeunes fill
c'est ce que révélera cette brochure à ceux qui n'ont pas assiste il
Triduum d'Orléans.

Auguste TuMER, Jeanne d'Arc et l'Eglise devant la Libre-Pensée. Co).


rence. In-t8, 36 p. fr. o,5o.
La Libre-Pensée combat l'Eglise à coups de mensonges, et s~
tout de mensonges historiques. Pour le moment c'est Jeanne d'A c
qui est le point de mire. C'est elle que M. Texier défend dans son c t.
quente conference. A ceux qui disent: C'était une hallucinée, it
pond C'est faux. A ceux qui disent: L'Eglise l'a brûlée, il rëpon
C'est faux. Et ces deux dénégations, il les appuie sur des preu
irrefragables.
Ceux qui ont lu les differents ouvrages de M. Texier: La f; ,'c
chef les Jeunes, La Charité cheî les Jeunes, connaissent sa manif-;ee
vive, alerte, pressante. Ils la retrouveront ici.
Rien ne manque à cette conference pour en faire une mer~c')-
leuse brochure de propagande.

Direction pour rassurer dans leurs doutes tes âmes timorées, par le
R. P. QUADRUPANI. In-18, 178 p. 1 fr.
Les âmes pieuses qui devraient être les plus saintement joyeuses
semblent être de toutes les plus craintives et les plus affligées. Pourquo
tant de craintes, pourquoi cette pusillanimité et ces défiances quand
on est en possession d'une morale si auguste et si consolante. Ce
livre résoud à merveille ces difficultés et est à même de rendre la
paix à toute âme troublée.
Direction pratique et morale pour vivre chrétiennement, par le R. P.
Quadrupani. In-i8, 106 p. i fr.
Cet opuscule renferme, pour les âmes, une nourriture exqu~e
Le R. P. Quadrupani, illustre prédicateur italien, l'avait redige, n'~n
pour l'impression, mais uniquement pour la direction de quelques
personnes. II fallut l'ordre formel de ses supérieurs pour le décider
à le livrer a un éditeur.
Le but du R. P. Quadrupani est clairement énoncé dans ces ligpe~
de S. François de S. ,,J'ai en vue une âme qui, par le desir de ta
devotion, aspire à l'amour de Dieu. J'adresse mes paroles à Phi~-
thée, car, voulant faire profiter un grand nombre d'âmes des cons~
que d'abord je n'avais adressés qu'à une seule, je lui donne un no~
commun à toutes celles qui sont désireuses de la dévotion."

&
N. DELSOR, rédacteur !*<oHM~e.

Strasbourg. Typ. F. X. Le Roux & Cfe.


LE BOUQUET DE VIOLETTES.

Un pauvre garçonnet à l'air chétif et frêle


Suivait tout tristement la lisière d'un bois.
Son oeil bleu s'arrêtait sur chaque herbe nouvelle
H soupirait parfois.

Qu'as-tu petit? Souvent l'existence est amère


A ceux dont l'âge enlève illusions, bonheurs
Toi, tu devrais encor jouer près de ta mère,
Et tu verses des pleurs

Ne vois-tu pas au ciel le beau soleil qui brille,


Dorant de ses rayons tes cheveux si soyeux ?
Imite donc l'oiseau qui chante et qui sautille:
Comme lui sois heureux

Oh laissez-moi pleurer, car ma mère est souffrante,


Dit l'enfant gravement, et nous manquons de pain;
Je voudrais bien la voir contente, souriante,
Hélas mais c'est en vain.

Quelques petits bouquets de fraîches violettes


Se vendraient bien en ville ils font plaisir toujours.
Oh! je serais heureux, si grâce à ces fleurettes
Nous venait un secours.
Revue. Avrit 1910. 13
LE BOUQUET DM VIOLETTES.

A peine a-t-il parlé qu'un zéphyr le caresse


Et sèche doucement les larmes de ses yeux
Un parfum pénétrant l'enveloppe, il se baisse
Moment délicieux

Juste à ses pieds il voit, croissant en abondance


Les odorantes fleurs qu'il cherchait en ce lieu
II les cueille avec soin, plein de reconnaissance
Merci, dit-il, mon Dieu

Le voilà consolé sur son charmant visage


Ne se remarquent plus ni soucis, ni douleur;
Car Dieu donne toujours à l'enfant bon et sage
La paix si douce au cœur.

E. B. L.
Mars igio,
L'AUTONOMIE
DE L'ALSACE LORRAINE.

Discours du D Naumann à la séance du 14 mars 1910.

A propos de ce i~ mars, les Annales écrivaient ,,Quel beau


jour pour M. \\etter]ë, le D' Pfleger, pour les Preiss, les Blumen-
thal, les Ditsch, les Wolff, les Vonderscheer, les Boehle, les Stieber,
et pour ce vaillant D'' Naumann, l'un des ~ept~M a/~ac!'e): qui ont
fait le plus courageusement l'eloge de la culture française. Nous
en sommes bien fâché pour le fameux chroniqueur des ~Mna/M et
pour les lecteurs qui puisent leur science dans ce recueil, mais le
Dr Naumann est un Saxon très authentique et l'élu des plus au-
thentiques ~ot~~M de la circonscription de Heilbronn, en Wurtem-
herg. Cela ne constitue pas pour nous un vice rédhibitoire, qui nous
empêche de mettre ce discours textuellement sous les yeux de nos
lecteurs, quoique nous ne partagions pas toutes les idées qui y sont
exprimées. Mais il en contient une foule de saines, d'un contraste
bienfaisant avec les insanités qui alimentent journellement notre
presse anti-alsacienne, et qut, par la réaction toute naturelle qu'elles
provoquent dans la presse indigène, sont les seules causes de cet
etat de guerre à outrance dont nous désirons voir la fin au moins
aussi sincèrement que notre gouvernement.

« L'autonomie de l'Alsace-Lorraine est devenue une


nécessité tant au point de vue politique qu'au point de
vue de sa la plus qui se puisse
législation, compliquée
imaginer. Il y a d'abord un vieux fonds de lois françaises,
dont beaucoup sont en France mais sub-
abrogées qui
L'AUTONOMIE DE Ii'ALSACE-LORKAINE.

sistent tranquillement en A.-L. puis vient une couch


de lois d'empire, de l'époque où l'on fabriquait ici toutt,
les lois pour ce pays enfin une nouvelle couche de loi.
élaborées par le Landesausschuss et le Conseil fédère'
d'après la constitution de 1879. Impossible de débrouille-
ce chaos, tant qu'il y aura différentes combinaisons des
facteurs législatifs. D'après le célèbre professeur LabanJ J
il n'y en a pas moins que six; je veux vous épargna
l'énumération de toutes les combinaisons possibles enu;
empereur, Bundesrat, Reichstag, Statthalter, Landesau--
schuss, mais ceci est sûr, qu'il y a déjà quelque chosj
d'arbitraire dans cette faculté de faire les lois selon son
bon plaisir.
Au point de vue politique, l'autonomie de l'A.-L.
devient une nécessité, quand on considère son évolution
historique depuis 1871. Quand alors l'Allemagne s'incoi-
pora l'A.-L. comme pays conquis, l'on regarda générale-
ment la fusion de ces frères retrouvés, dans l'unité alle-
mande, comme l'accomplissement d'anciens et d'ardents
souhaits. On pouvait croire que le peuple allemand ne
tarirait pas d'amour et de générosité pour réhabituer ce
pays à la vieille patrie qui avait tant à se faire pardonner.
L'A.-L. sitôt conquise, cet intérêt disparaît.
Nous sommes injustes quand nous endossons la res-
ponsabilité de la crise actuelle aux seuls fonctionnaires,
au seul gouvernement il faut aussi demander à l'Alle-
magne entière ce qu'elle a fait, comme sentiments et
comme procédés, pour rendre cette union avec l'A.-L.
plus étroite et plus chaude. Parler de conquêtes morales.
c'est rappeler toutes les négligences de l'Allemagne. Les
Alsaciens et les Lorrains ne sont pas insensibles au.v
égards qu'on leur témoigne. Si dans ces pays on sentait
que les Allemands cultivés ajoutent une certaine impoi-
tance aux progrès de leur culture, la situation y serai:
tout autre.
Au prix de loyaux efforts l'Alsace-Lorraine se cré'
une culture propre dans la poésie, l'histoire locale, U
peinture, etc. Ses habitants produisent quelque chose de
l'autonomie DE l'alsace-lobbaine.

spécifiquement alsacien-lorrain. Qui en sait quelque chose?


Q'on y dise un mot de français, cela se sait à Paris;
q .'on y parle allemand, cela s'ignore à Berlin, et cette
bt ï dite est considérée là-bas comme mutisme volontaire.
Ces négligences morales et intellectuelles ne sont pas
le fait des individus chacun se dit que me font à moi
le, affaires d'A.-L. ? A ce mal il n'y a pas de remède pu-
iement extérieur, car si nous organisions le tourisme en
masse des Berlinois (hilarité), je doute que cela fasse
pl agresser la germanisation. (Grande hilarité.) Et en effet
Ii ne s'agit pas de tourisme en masse, mais de convaincre
le peuple alsacien, d'une sensibilité très délicate qui se
[approche beaucoup de la finesse française, qu'en Alle-
magne on n'est pas absolument étranger à la mentalité
et les formes que l'on observe chez lui. Si nous avions
fourni cette preuve, alors, mais alors seulement, nous
aurions un droit intrinsèque à reprocher amèrement aux
Alsaciens que leurs sentiments n'aient pas encore cette
chaleur qu'a notre point de vue, nous devons souhaiter.
Du reste, pour la concession de droits politiques, il
ne faudrait pas trop s'occuper de sentiments et de dé-
monstrations car aucun de nos états ne serait arrivé à
son développement, si on avait fait dépendre leur forma-
tion de la cessation de toute espèce de résistance. Sup-
posons qu'on ait dit en 1871 « La Bavière ne sera reçue
dans l'empire que lorsque le dernier montagnard aura
cessé de parler des sales prussiens (hilarité) », on atten-
drait encore maintenant, car ces expressions n'ont pas
disparu! Qu bien, mettez qu'on ait en 1871envoyé au-
tant de fonctionnaires prussiens en Bade qu'en Alsace,
qu'on y ait maintenu la dictature jusqu'en 1902; que se-
lait devenu Bade, si foncièrement allemand cependant?
C'est seulement en se demandant quelles conséquences
aurait produites l'application à d'autres Etats allemands
de la méthode de gouvernement appliquée en Alsace,
qu'on trouve la juste mesure pour estimer ce qui arrive
l*i-bas. Il faut juger ce pays avec une certaine justice his-
torique. Sans doute, ethnographiquement il est alle-
l/AUTOXOMIE DE L'AIiSACK-IiOItltAIVE

mand. Mais n'y a-t-il pas des siècles que la conscience


de l'appartenance à l'Allemagne s'est évanouie ? Le duché
d'Alsace a disparu vers 1260, au moment de l'interrègne,
et à partir de là, il n'y a plus eu d'union politique pro-
prement dite avec l'Allemagne. Pour la Lorraine, cela
arriva déjà auparavant. Puis vient la longue période où
les dix villes impériales durent se défendre elles-mêmes
où on laissa Strasbourg faire sa politique à lui, où Charles-
le-Téméraire les attaqua et où elles durent, avec les
Suisses et la Lorraine, se créer une armée particulière.
Au-delà de leurs frontières, l'Allemagne ne voyait rien, et
l'on a continué à faire de même jusqu'à ce que les
Habsbourg missent ces pays sous la suzeraineté espa-
gnole 1 et les perdissent au traité de Westphalie. Tout
cela ne nous autorise certainement pas à dire aux Alsa-
ciens «Mes amis, venez vous jeter sur le cœur de votiee
vieille patrie allemande!» n
On dira sans doute: «Mais les Alsaciens ne savent
pas cela»; en effet, on leur inculque davantage l'histoire
du Brandebourg, même contemporaine, et l'histoire pro-
vinciale fait, hélas! de plus en plus place à une histoire
centrale. Mais on n'efface pas l'histoire locale, et celle de
l'Alsace constate que la première sensation d'appartenii a
un Etat fort, leur vint de la France elle constate encore
nous pouvons à notre point de vue le regretter
que la première fois où les Alsaciens se sentirent citoyens,
ce fut en 1789. Les profondes impressions patriotiques
d'un homme devenu citoyen, qui subsistent dans les ge-
nérations suivantes, parce qu'elles n'oublient pas le jour
où elles furent élevées de l'état de sujet à celui d'hommes
libres, ces premières impressions vraiment populaires leur
furent données, avouons-le, par la France. Cela étant
donné, les Allemands auraient dû, après avoir pris l'Al-
sace comme butin de guerre, lui donner un équivalent.

1 C'est là une erreur assez de la part du Dr Naumann


grave
jamais l'Alsace ne fut une dependance de l'Espagne.
l'autoxomii; nr. l'alsâcë-lokraink

,u moins suffisant pour qu'elle n'éprouvât pas le change-


ment de nationalité comme une déchéance intellectuelle
et morale. Nous avons échoué par suite de fautes qu'il
tst temps de réparer.
,Certes, à bien des points de vue l'annexion a été fort
avantageuse pour l'A.-L. les hommes d'affaires, les plus
imbus de romantique française, trouveront dans leur
arand livre 1 la preuve de leur cohésion avec l'organisme
économique allemand. Même à Mulhouse on ne voudrait
plus se trouver en dehors du domaine industriel alle-
mand l'industrie du fer en Lorraine, les nouveaux éta-
blissements de Strasbourg et de ses environs ne peuvent
pas souhaiter d'être détachés de l'empire, car beaucoup
d'entre eux se transporteraient sur la rive droite et appar-
tiendraient à notre marché.
Tout en faisant ressortir les avantages économiques
de l'annexion, nous reconnaissons que même en politique
l'homme ne vit pas seulement de pain, il a besoin de la
satisfaction de croire qu'il a une importance dans l'Etat.
Sous ce rapport, on n'a cessé de consoler les Alsaciens
par la promesse d'une prochaine autonomie. Bismark avait
exprimé cet espoir, un Statthalter après l'autre ouvrait
les mêmes perspectives. Le chancelier actuel, encore se-
crétaire d'Etat à l'intérieur, a répété ici même la phrase
banale, qu'il espérait voir bientôt arriver le moment où
l'on pourrait établir l'autonomie. Mais toujours l'accom-
plissement de la promesse était réservé à l'avenir; tou-
jours on exigeait des garanties préalables, toujours on
\oulait attendre qu'il ne se passât plus rien plus de
discours inconvenants. Cela nous a tous rendus nerveux
et mesquins, et la grande nation allemande a toujours
traité son cadet avec une susceptibilité pédantesque, res-
sentie en A.-L. avec la conviction que nous avions des
arrière-pensées. Cela y causait de la mauvaise humeur et

1 Cela est vrai. Mais M. Naumann oublie si l'annexion


que
a enrichi les uns, elle en a ruiné d'autres
peut-être plus nombreux.
Jj "AUTONOMIE DE l/ALS-UE-LOKBAIXE.

une défiance générale. Qu'un fonctionnaire en Alsace park


le français en une occasion inopportune, cela paraît in-
convenant, quand ici, à Berlin, on admirera un grand
personnage qui prouve qu'il parle bien en français. Ici,
c'est une preuve de culture à Guebwiller, à Munster ou
dans une autre localité des Vosges, c'est une affaire a
juger tout autrement, et nous nous gérons alors, comme
si nous ignorions quelle importance la langue, la litté-
rature et la culture françaises ont eue pour nous tous, en
Allemagne.
Allons donc à Potsdam et prenons au château royal
de Sans-Souci une leçon de choses sur l'origine de la
culture des fondateurs de la grandeur de l'Allemagne.
Passons en revue la littérature politique depuis le baron
jacobin von Stein jusqu'à la fin du XIXe siècle par qui
avons-nous été instruits? Toujours nous avons été à
l'école de la France, et la culture allemande a toujours
été un peu empreinte du sens et de l'intelligence de la
culture française. Si donc, malgré toute l'individualité de
notre propre civilisation, nous sentons qu'elle s'est épa-
nouie sous "l'influence de la France, qu'elle a grandi par
de continuels apports de sa civilisation, nous n'avons
aucune raison d'avoir peur de ce côté, et je dis cela au
nom des éléments les plus allemands d'A.-L. Allez dans
des familles absolument vieilles-allemandes partout vous
verrez la facilité avec laquelle le mot français se substitue
au mot allemand. Il n'y a là aucune infidélité au patrio-
tisme et cela ne crée pas deux espèces de citoyens. En
général on exagère la portée de la langue l'important,
c'est la pensée et l'objet du langage. Mais là encore il ne
faut pas exagérer la portée de chaque expression. Sans
doute, en A.-L. on dit des choses, on prononce des dis-
cours désagréables, mais il ne faut pas faire de chaque
éclair un orage. 1 (Grande hilarité.) A quoi bon ? Et s'il
y a en l'air un souvenir de cotillon. demandons-nous,

1 Wetterleuchten ein Gewitter1 il est impossible de


"Aus jedem
rendre en français cette allusion très spirituelle à M. Wetterlé.
L'AUTONOMIE DE L"ALiSÀCE-t,OBBAINE.

,1 n'y a pas eu aussi dans d'autres Etats de petits dé-


tillements qu'il faut savoir ignorer. Mais en A. L. on
Kbinscrit en debet, et l'A.-L. est remise en pénitence
pour plusieurs années avant qu'on les oublie.
Voilà l'état moral où nous avons mis ce pays, et la
conséquence en est que l'assimilation deviendrait plus
.'îfficile encore, si l'on persistait dans cette voie. (Assen-
t'ment au Centre.)
Moi aussi, je sais par mes amis politiques de là-bas,
qu'il y a une dizaine d'années la situation était plus fa-
cile qu'aujourd'hui. Si l'autonomie est encore retardée, le
provisoire encore maintenu, et que l'on répète toujours
aux A.-L. « Vous n'êtes pas encore mûrs, ils commen-
ceront à regarder comme vrai ce que M. Preiss disait au
Landesausschuss: «Jamais vous n'aurez l'autonomie! Ne
vous imaginez pas qu'à Berlin on fasse ou veuille faire
quelque chose »
Une réponse s'impose il faudrait que le gouverne-
ment et le Reichstag déclarent enfin clairement. que le
temps est définitivement passé où l'on disait aux A.-L.
Soyez sages dix ans durant, et dans vingt ans vous aurez
une constitution (Assentiment à gauche et au centre.)
Il faut enfin s'attaquer à la question de l'autonomie
comme à un problème politique pratique.
L'orateur traita alors la question d'abord au point de vue né-
gatif, et dit ce qu'elle ne peut pas être. C'était une peine bien inu-
tile,car les A.-L. ne demandent aucun privilege analogue aux Réserves
bavaroises, diplomatiques, militaires, postales. etc.; puis il continue:
En fait l'autonomie ne se rapporte qu'à l'administra-
tion intérieure, la législation scolaire, politico-religieuse,
etc., les lois d'exécution des lois d'empire, selon le droit
t-xercé par tous les autres Etats. Il s'agit de compétences
qui constituent le minimum de celle des diètes allemandes;
m on les considère dans ces limites bien définies, on ne
cherchera pas sous le mot d'autonomie des droits fantas-
tiques, on verra qu'il s'agit simplement de faire exercer
uans le pays même ces droits limités.
Immédiatement après 1871, trois autorités s'y parta-
L'AUTONOMIK t)E L'ALSACK-LOKRAINE.

geaient la législation et l'administration: le chancelier, 1,


Bundesrat et le Reichstag. Depuis on leur a créé de'
suppléants au chancelier, le Statthalter au Bundesrat,
le Conseil impérial au Reichstag, le Landesausschuss,
mais avec des compétences bien diverses. Il s'agit donc
de remplacer définitivement les trois autorités nommées
ci-dessus et d'instituer effectivement un Statthalter, un
Conseil impérial et un Landesausschuss en d'autres
termes, il faut transférer le gouvernement de Berlin o
Strasbourg.
Depuis 1870, on s'est demandé comment on pourrait
faire cette translation. On a discuté la question de dy-
nastie, qu'aujourd'hui encore on ne peut pas complètement
écarter quand on étudie le problème de l'autonomie.
Pose-t-on la question aux A.-L. eux-mêmes, il n'est pas
douteux qu'en majorité ils ne se déclarent médiocrement
animés de sentiments dynastiques. Néanmoins il faut
constater que la résolution unanime du Landesausschuss
du 24 février ne contient aucune allusion à la république.
et cette résolution vaut bien les discours prononcés dans
ce parlement ou en-dehors, soit à Strasbourg, soit a
Colmar. Je crois qu'en Alsace on se familiarisera avec
l'idée que le pays restera Terre d'Empire dans le sens de
Terre impériale.
Le Statthalter n'est pas un souverain, car il ne sait
pas combien de temps il reste en fonction lui aussi est,
pour me servir d'un mot connu, engagé à la journée (hi-
larité). il faudrait donc reprendre l'idée de Bismark d'un
Statthalter héréditaire, étudier la possibilité d'une régence
à vie. C'est sur cette base seulement que l'on peut étu-
dier la question de la représentation de l'A.-L. au Bun
desrat. Cette représentation est le signe de la souveraineté
et de l'égalité entre les Etats. L'Alsace qui est pleinement
subordonnée au Bundesrat ne peut pas y être l'égale des
autres Etats; elle n'y a que voix consultative elle peut
y parler sans rien avoir à y dire et si on veut
l'admettre pleinement a l'égalité des droits civiques, il
faut lui accorder au Bundesrat des voix délibératives. Je
i/ AUTONOMIE Dr. I,"AT,SAClî-LORKAIXFi.

l'examine pas s'il en faut deux, trois ou quatre, ce sera


une question à étudier plus tard, et assez difficile, car le
noint de gravité des obstacles à l'autonomie se trouve
en dehors de l'A.-L. dans l'équilibre au sein du Con-
seil fédéral. On paraît y craindre chaque changement
J'équilibre mais si cela était vrai, l'empirc allemand serait
arrivé à un degré de momification, incompatible avec un
ait au Conseil fédéral une
organisme vivant. Que l'Alsace
recevant ses instructions du Statthalter,
icprésentation
aussitôt les droits de ce Conseil et du Reichstag sur
l'Alsace sont éteints, et l'A.-L. obtient ses facteurs lé-
gislatits propres un gouvernement et un parlement.
Ce Parlement aura-t-il une chambre ou deux? c'est
une question à examiner plus tard, je rappellerai seule-
ment qu'il y a deux chambres dans les grands Etats et
de
que l'A.-L. n'en aurait pas absolument besoin. Inutile
rappeler ici tout ce que nos amis du Sud, de Wurtem-
berg et de Bavière ont dit sur la nuisance de deux
chambres. En A.-L. il suffirait de développer le Conseil
impérial et d'établir une Chambre des députés issue du
suffrage universel.
.En parlant de cette Chambre, on fera bien de
s'adresser a M. de Bethmann-Hollweg non comme prési-
dent du Conseil prussien, mais comme chancelier: comme
tel il est de droit et par devoir le gardien du suffrage
universel (hilarité) et comme tel il doit transférer ce sys-
tème de l'empire à la Terre d'empire. Il est tout naturel
que l'empire accorde à son dernier-né son propre système
électoral. 11 n'est pas nécessaire que pour son éducation
on lui octroie encore des systèmes allemands surannés
on l'habituera peut-être à bien des choses, mais que le
suffrage universel «rende un peuple sauvage et superficiel »,
les Alsaciens ne le croiront jamais. En effet, ils l'ont
dans chaque commune.
Les Alsaciens sont habitués à ce système, pour
leurs municipalités et leurs conseils départementaux. Le
Landesausschuss seul, qui fut créé non pas dans le pays
mais à Berlin, est élu d'après un système de délégation
l'AuTOKOMIB DE Ii'ALSÀCiS-tÛBftÀlSB.

et est devenu une représentation de notables et je par-


tage l'opinion du Dr Grégoire, que, précisément à notre
point de vue, le Landesausschuss dans sa composition
actuelle est plus dangereux qu'issu du suffrage universel.
Car les sympathies françaises, pour employer ce mot, se
trouvent plutôt dans les couches supérieures, qui ont au-
delà de la frontière des parents et d'anciennes relations.
La masse de la population en est moins affectée. Si vous
voulez faire vivre le peuple de la vie économique, de
l'histoire, de la constitution allemandes, donnez-lui un
système électoral qu'il puisse regarder comme équitable.
Mais, me dit-on, le suffrage universel profitera sui-
tout au cléricalisme je demande, moi, si le système
actuel ne le fait pas tout autant. On ne peut pas comblei
les différences confessionnelles d'un pays par une consti-
tution. Et puis les constitutions ne se font pas pour
donner la majorité à tel ou tel parti, mais pour créer,
au-delà de l'horizon des partis, pour des lustres et pour
des siècles, un fondement sur lequel un peuple peut
s'administrer lui-même. Il suffira d'introduire l'idée de la
représentation professionnelle pour empêcher l'oppression
des minorités.
Si le Bundesrat et le Reichstag se placent à ce point
de vue, nous pourrions achever la grande œuvre com-
mencée en 1 871 avec la résurrection de l'Allemagne.
Le chancelier a dit, il y a un an « Malgré (les échos dés-
agréables qui nous viennent de l'A.-L.) le gouvernement
impérial fera tous les efforts pour résoudre bientôt cette
question dans un sens satisfaisant. » Nous espérons que
cette promesse faite par lui comme secrétaire d'Etat
à l'Intérieur, sera accomplie par lui comme chancelier et
gardien du suffrage universel,» »

1 M. Naumann se trompe en cela il y a très peu de familles


en Alsace, même parmi les pauvres, qui n'aient point de parents en
France.
SIMPLE RAPPROCHEMENT.

Transportons-nous par l'imagination cette folle du


logis a quelquefois du bon, elle mêle souvent la raison
a la folie, et ses grelots, comme ceux des fous des rois
d'autrefois, rendent parfois des sons fort justes au
XXe siècle. Pénétrons dans le cabinet de travail d'un cri-
tique allemand de cette époque future, de l'un de ces
critiques qui veulent couler les textes dans le moule de
leurs hypothèses imaginaires. Le voilà qui sue sang et
eau sur le texte suivant: «Vous verrez en cet écrit de
bonnes raisons, desquelles je me rends rapporteur et qui
vous feront voir clair comme le jour, que vous êtes hors
du train qu'il faut suivre pour aller au salut. » Cette
phrase se trouve dans les «Controverses» de saint Fran-
çois de Sales. Trois mots le chiffonnent particulièrement
Rapporteur, train et salut Tout d'abord il commence
par corriger le dernier, qui est évidemment le résultat
d'une inadvertance de prote. Il corrige et écrit Salut
?vec une majuscule. Car enfin, un train ne peut mener
çue dans une localité, et les noms géographiques réclament
'le grandes lettres. Voilà un point dûment acquis.
Après cette première trouvaille, il se frotte les mains
d'aise, et, en signe de contentement, passe sa main sa-
-inte sur son cràne dépouillé par le vent du génie.
«lestent rapporteur et train. Ici nouvelle tempête dans le
•l'âne, et révolution dans la matière cérébrale. «Tiens,
S>1iWhV
UAl' l'Rl ICHLM
liN T.

tiens, je lis bien rapporteur et train. Mais, alors, il e-t


certainement question d'une commission des Chambre
des députés, et, non moins évidemment, du compte-rendu
des décisions relatives aux chemins de fer. Or, en i5q:,
à l'époque où François de Sales écrivait, il n'y avait ptl>
encore de voies ferrées. (Cela est clair comme un;
pensée française.) Fort bien, mais alors ce texte n'e:
pas de l'auteur des « Controverses » Et magistralemenl,
doctoralement, il écrit en marge d'une main infaillible lt
d'une fière écriture victorieuse: Passage interpolé.
On aura beau lui dire
Mais ces mots sont bien dans une édition sérieuse.
Interpolés
Cependant toute la tradition les attribue à S. Fr.
de Sales.
– Interpolés!
Pourtant cela fait parfaitement corps avec le contexte.
– Interpolé par un adroit faussaire!
Et ce mot revient a chaque objection, comme le fa-
meux tarte à la crème
Impossible de le tirer de là. Il a jugé que cette
phrase n'a pu être écrite qu'après 1828, c'est-à-dire après
la construction du premier train, et même bien plus tard,
après l'achèvement de la ligne qui va à. Port Salut, et
ce jugement lui est sacré, cette décision est infaillible,
de l'infaillibilité qu'il refuse au pape, mais qu'il reven-
dique pour lui, docteur Magnus
J'ai l'air de plaisanter Et pourtant n'est-ce pas la
tactique des grands rationalistes allemands, depuis Ignace
Goldziher, vous savez l'inénarrable Ignace, qui ne voulut
voir dans les personnages bibliques que des mythes mé-
téorologiques Abraham est le ciel nocturne. Sara, Il 1
lune; Agar, le soleil qui fuit, «thème inépuisable de tous
les mythes», «combat du jour contre la nuit.» Jacob,
c'est la nuit; Esaû, c'est le jour. « La nuit vient au monde
avec le talon du jour dans la main.» » Et voilà, ce n'est
pas plus malin que cela. Si tous les rationalistes ne
meurent pas de ce mal hypercritique, tous en sont frap-
SIMVI/K BAPI'RUCTIEMEM'.

portent le germe en eux. Si tous ne lâchent


P^s, tous
la laine des moutons de Panurge que sont nos
P ,s dans
liures-penseurs, une si fantastique volée de. mites, c'est
que la plupart savent mieux cacher leur jeu. Mais
pjrce
tous se fondent uniquement sur la critique interne, avec
leur maître Ewald dans sa « Geschichte des Volkes
Israël. »
Remarquez bien que je ne nie nullement la valeur
des caractères intrinsèques des ouvrages du passé. Seule-
ment cela ne suffit pas. Il faut, en outre, que ces carac-
teres concordent avec les données traditionnelles. Est-ce
que la tradition ne nous fournit pas la plupart des do-
cuments qui concernent les hommes d'une époque, où
l'on écrivait peu ou point? Que saurions-nous sur les
Assyriens, les Babyloniens, les Egyptiens, même sur
Cyrus et Alexandre sans la tradition ? Que si cette tradi-
tion a été recueillie par un homme intelligent et conscien-
cieux, bien placé pour entendre et juger, tel saint Jérôme
dans la question des écrivains sacrés, de quel droit lui
opposerait-on une fin de non-recevoir, puisqu'elle complète
les détails généraux qui ne suffiraient pas a la peindre
dans tous leurs replis? Car enfin, qu'il s'agisse d'un
sculpteur qui a modelé une oeuvre de génie, d'un guer-
rier qui a rempli l'univers du bruit de ses victoires ou
d'un législateur vanté, de Praxitèle, d'Alexandre ou de
Solon, nous ne connaissons leur nom et les particularités
de leur vie privée ou publique que par les données des
historiens, qui souvent n'ont pu travailler que sur une
tradition plus ou moins récente, et celle-ci devient, de la
sorte, l'auxiliaire indispensable du critique sérieux. Dire
qu'Isaïe est un pseudo-Isaïe qui ne nomme Cyrus que
parce qu'il vivait du temps de ce conquérant, prétendre
Mue le pseudo-Daniel ne rapporte les événements d'Antio-
chus Epiphane que parce qu'il était contemporain de ce
roi, ou postérieur à cette époque, c'est affirmer que saint
François de Sales a vu des trains et a lu les rapports
des commissions pariementaires, ou que la phrase en
juestion a été ajoutée au texte primitif, malgré les témoi-
SIMPLE RAl'PKOCHKMEN'l',

gnages de l'histoire du livre. Négliger la tradition poi r


ne tenir compte que de la critique interne, c'est port, r
un monocle sur un œil mort.
«Sans doute, écrit sagement M. Vigouroux, la phil<
logie a le droit de dire son mot dans les questions d'au-
thenticité sans doute la discussion des textes est v,,i
moyen légitime de contrôler la tradition, nous somml,
loin de le contester. Il faut que les caractères intrinsèque, J
d'un écrit concordent avec les données traditionnelle^
il est nécessaire que le langage, les allusions, la physio-
nomie, en un mot, d'une œuvre littéraire ne démentei t
pas, si l'on peut ainsi dire, son acte de naissance; mais
presque toujours les renseignements que nous pouvons
recueillir de la sorte, au sujet des livres orientaux anti-
rieurs aux conquêtes d'Alexandre, sont plus négatifs que
positifs ils sont vagues, sans consistance, souvent dou-
teux et équivoques, quand ils ne s'appuient pas sur l'his-
toire, mais exclusivement sur la langue. Les moyens
qu'emploie la critique négative pour discuter les textes
sont, d'une part, la langue et, de l'autre, les allusions à
l'histoire aux mœurs et aux usages. Si nous savions pat
faitement la langue et l'histoire de la Palestine, nous
pourrions en faire jaillir les plus vives lumières, mais que
nos renseignements sont maigres, nos connaissances de-
fectueuses, surtout avant la captivité Qu'est sur ce point
notre science comparée à celle des contemporains et des
anciens Juifs ?. Le dernier des paysans israélites en savait
beaucoup plus long que le plus grand érudit de nos jour-
sur la langue, les usages et les coutumes de son temps
et de son pays, et le plus humble ouvrier qui travaillait
dans les ports de Tyr ou de Sidon serait assurément ca-
pable d'en remontrer aux membres les plus habiles de
nos sociétés savantes en fait d'antiquités phéniciennes.
On n'a sans doute pas le droit de reprocher à nos con-
temporains d'ignorer tout ce qui se faisait ou se disait a
Jérusalem et à Samarie, il y a deux à trois mille ans.
mais ce qu'on doit rappeler à ceux qui veulent s'occupe'
de ces époques et des œuvres qu'elles ont produites, c'est
SIMPLE RAPPROCHEMENT.

uc leur compétence est au moins fort suspecte, que les


,ies des capitales de Juda et d'Israël ont entendu bien
es mots qu'ils ignorent, qu'ils sont tenus à beaucoup de
jserve, et qu'une tradition qui remonte à une haute an-
:quité a plus de poids que leurs hypothèses imaginaires.»
C'est parler d'or. Et pour avoir négligé ces sages
croies, beaucoup de rationalistes ont mis tant de scories
.uns leurs oeuvres.
Si nous allons au fond des ch6ses et si nous cher-
.iions la pensée de derrière l'oreille des rationalistes, nous
constatons que toute leur critique repose sur un système
préconçu l'impossibilité du miracle. Ils nient tout sim-
plement le miracle, et c'est pour le retirer de la circula-
tion qu'ils envoient la tradition rejoindre les vieilles tiares,
et torturent les textes pour trouver une explication natu-
relle. Pourquoi considèrent-ils la seconde partie d'Isaïe
comme d'un autre que de ce prophète ? Pourquoi sou-
tiennent-ils que le livre de Daniel est un apocryphe com-
posé longtemps après la captivité? Pourquoi se cabrent-ils
devant Cyrus, nommé deux cents ans avant sa naissance?
Uniquement parce qu'ils affirment que les prophéties et
les miracles sont impossibles a priori, et leurs assertions
ont juste la valeur de leur thèse, c'est-à-dire ne valent
pas les quatre fers, d'un âne. rouge.

J. PH. RIEHL.

Revue. Avril 1910. Hf


M. LE VICAIRE GÉNÉRAL RAPP.
(Suite.
)

Nomination à la paroisse de Riedisheim. Le 23 avril


1 837 je reçus une nomination pour la paroisse de Rie-
disheim, à 2 kilomètres de Mulhouse. J'avais trente ans,
peu d'expérience, et il n'y avait à Riedisheim ni église
(l'ancienne venait d'être démolie), ni local convenable
pour les écoles; le rez-de-chaussée du presbytère ser\ait
de local pour au-delà de cent enfants des deux sexes le
presbytère était dans un état incroyable de délabrement.
De plus, la population avait une mauvaise réputation,
mon prédécesseur avait eu de grandes difficultés. Je
m'effrayais de la rude besogne qui m'attendait. Le maire
et les principaux habitants le surent et ils vinrent à
Mulhouse me faire les meilleures promesses; le maire,
pour me prouver sa bonne volonté, me dit qu'il mettrait
sa maison à ma disposition jusqu'à ce que le presbytéie e
soit en état.
Je pris confiance et je me rendis à mon poste /Il
nomine Domini. C'est dans une pauvre grange que |e
commençais à exercer le saint ministère pouvais-je me
plaindre quand N. Seigneur commença sa mission dan
une étable ?La population du reste se montra sympa-
thique. Comme les revenus de la commune étaient insuf-
fisants pour faire face aux frais de construction de l'église
M. LE^YICAntE GÉNÉEAL EAPP,

une souscription fut ouverte et tous les habitants don-


nèrent abondamment.
Construction d'une église. Les travaux de l'église
furent conduits rapidement, en même temps que la ré-
paration du presbytère. Pour la décoration et l'ameuble-
ment de l'église les dons arrivèrent sans difficulté. Les
tpoux Antoine Nithart-Flucht méritent ici une mention
particulière pour la part généreuse qu'ils prirent à la
construction et l'embellissement de l'église.
Ma sollicitude devait particulièrement se porter sur
l'école, où les enfants se trouvaient comme entassés. Je fis
comprendre à mes paroissiens qu'il y avait urgence (puisqu'on
ne pouvait songer à la construction d'une maison), de
louer un local pour- y installer une sœur et lui confier
les filles. J'eus la satisfaction d'être compris, et l'école
de la sœur fonctionna dès la seconde année de mon mi-
nistère.
Etablissement de l Archiconfrérie de V Immaculé- Cœur
de Marie. II n'existait pas de confrérie dans cette
grande paroisse. Une confrérie est un puissant moyen
d'encouragement pour recevoir les saints sacrements, à
cause des indulgences que l'Eglise y attache. L'Archi-
confrérie de l'Immaculé-Cœur de Marie pour la conver-
sion des pécheurs se recommandait par les merveilles
qu'on en racontait. J'écrivis à M. l'abbé Schwindenham-
mer, alors directeur de cette œuvre à Notre-Dame-des-
Victoires. Il m'envoya la lettre d'affiliation et vint lui-
même présider l'établissement de cette œuvre. Dieu daigna
la bénir. Presque toute la paroisse se fit inscrire, et la
réunion du mois fut de plus en plus nombreuse. Elles
commençaient par le chant, et je donnais une instruction
suivie du chapelet et de la bénédiction du saint Sacre-
ment. Il y eut des conversions marquantes, et l'esprit de
piété et de dévotion pour l'Immaculée-Cœur de Marie se
réveilla parmi la population. La proximité de Mulhouse
présentait pour la jeunesse de graves dangers, l'Archi-
confrérie et le catéchisme fait à la jeunesse adulte tous
les dimanches, la rattachaient à la paroisse et les courses
M. JVKVKAJ11E(iJONERATj
UAl'l'

en ville devinrent moins fréquentes. Si le ne parvins pa


à abolir tous les désordres, j'eus néanmoins la consolatio
de voir le grand nombre écouter la voix du pasteur.
J'avais composé moi-même le cantique suivant pou'
commencer et finir le catéchisme de persévérance. Je 1.
fis chanter plus tard à Bouxwiller et à Haguenau.

Vor dem Unterricht.


1 2.
O heil'ger Geist! wir fallen hier Entzund' das Herz, erleucht'
Vor deinem Throne nieder
Zu deinem Lobe singen wir Wenn jene
~Wenn jene unterweisen,
Verstan^
Jetzt freudig heil'ge Lieder. Die Christus in die Welt gesandt
0 send ein Strahl des Gnaden- Zu lehren hat geheissen.
lichts Aus ihrem Mund die Wahrheu
Herab in unsre Herzen spncht,
Dass wir die Zeit des Unterrichts Durch sie will Er uns lehren
Nicht unbenutzt verscherzen. Wer sie stets hoiet fehlet nicht,
O lasst uns stets sie horen.

Nach demUnterricht.

z.
Lob, Dank und Preis und Ehre O lasst uns nef eingraben
Sey dir, Herr Jesu Christ; In's Herz das Gottes Wort,
Dass uns dein heil'ge Lehre Das wir vernommen haben,
Zu Theil geworden ist. An diesem heil'gen Ort.
Wir glauben und bekennen O lasst uns stets fort wandlen,
Was du gelehrt, o Gott Auf Jesu heil'ger Bahn
Nichts soll uns von dir trennen, Nach seiner Lehre handlen,
Im Leben und im Tod. Und thun was Er gethan.

Inspection des écoles du canton d'Habsheim. Confé-


rences. Outre l'administration d'une paroisse impor-
tante, j'avais à inspecter, en ma qualité de délégué, let
écoles du canton de Habsheim et à présider les confé-
rences des instituteurs qui se tenaient tous les mois à
Riedisheim. J'avais à présenter tous les trois mois un
rapport sur la situation des écoles du canton et à me
rendre dans ce but devant le Comité d'arrondissement.
Pendant mon ministère pastoral à Riedisheim, nous
eûmes une fois la visite de notre mère et de la sœui
M. LE VICAIRE GÉKÉKAL RAPP.

a,née, une autre fois celle de l'oncle Joseph, qui resta


temps avec nous, et celle du vénérable Père
quelque
placide.
Bénédiction de la nouvelle église. En 1 836, la fête
rirronale de S. Aifre fut célébrée avec une pompe extra-
otJinaire, elle coïncidait avec la bénédiction solennelle de
1.çlise à laquelle présida M. le Vicaire général Nachbaur,
oncle du maire, assisté du T. Rév. Père abbé de Marien-
vicin et d'un nombreux clergé. M. le curé de Mulhouse
Ut le sermon de circonstance et félicita chaleureusement
les Riedisheimer d'avoir conduit leur entreprise à terme
a\ec une admirable promptitude et les loua des sacrifices
qu'ils s'étaient imposés avec une générosité qui leur por-
teiait benédiction.
Mort de ma mère. Notre séjour à Riedisheim fut
marqué par deux événements de famille: le mariage de
mon frère Michel en 1839 et la mort de notre bonne
mûre, atteinte d'un coup .d'apoplexie en avril 1841,
a l'âge de -jb ans. Cette perte nous causa un chagrin
d'autant plus vif qu'elle était plus inattendue, car la
santé de notre excellente mère était telle que nous espé-
rions la conserver plus longtemps. La mort de notre
mère produisit un deuil général dans tout Erstein, tant
on avait de vénération pour elle. Les pauvres perdirent
en elle un de leurs meilleurs soutiens.
Mort de Mgr de Trévern. Avènement de Mgr Rœss.
C'est en 1842 que Mgr de Trévern a quitté ce monde;
M. le chanoine Rœss avait été nommé son coadjuteur en
lh:cembre 1841avec future succession. Mgr de Trévern
arriva à l'àge de 88 ans. (Voir sa biographie dans le
Schulblatt an. 1842.) J
Lettres de quelques-uns de mes jeunes amis qui fai-
à-iienl partie de la Société dont il a été question plus haut.
A Riedisheim je continuais mes rapports avec les
Kunes gens qui faisaient partie de la réunion que j'avais
°>ganisée à Mulhouse. Je retrouve quelques-unes de leurs
'"tu es qui expriment les sentiments de leur cœur. Voiçi
M. LE VICAIRE GÉNÈEAL RAPP.

un extrait d'une lettre que m'écrivait Victor Ritter du


Séminaire de Strasbourg.
,Je me hâte de vous dlic que la mémoire des bienfaits dont je
vous suis redevable, ne sort pas de mon coeur. C'est à vos secour,
spirituels si nombreux que je dois en grande partie la détermination
que j'ai prise et qui fait mon bonheur. La vie de Séminaire est pou>-
moi si pleine de consolation et de douceurs que je ne cesse dt
bénir à toutes les heures et en tous lieux, les hommes providentiels
qui, comme vous, ont contribué à me la faire embrasser. J'ose es-
pérer que vous me continuerez vos bons soins et que vous ne ces-
serez d'appeler sur moi les bénédictions celestes que vos prières et
vos conseils m'ont values jusqu'ici. Le cours de dogme me plaU
singulièrement, M. Dietrich, mon professeur, me témoigne beaucoup
d'affection. Je ne saurais assez me louer d'avoir pris le parti Je
suivre les cours de Strasbourg. Ils sont absolument appropriés aux
besoins spéciaux de l'Alsace. J'etudie l'hébreu, c'est M. Schierhn
qui l'enseigne. Cette etude est d'autant plus importante qu'elle donne
lieu à une foule d'aperçus philosophiques, philologiques, scientifiques
sur l'origine des langues et l'histoire primitive de l'humanité. J'ai
trouve un père en M. Muhe, des frères en M, Mechler, directeur du
Séminaire, et en M. Cyrille Wilhelm. Je vois les Messieurs du petit
Séminaire presque tous les jours. Je passe mes soirées en compagnie
de M. Wilhelm. Puissé-je devenir à même de répondre dignement
et par un zèle actif et fervent a la mission sublime et difficile que
Dieu semble m'appeler à remplir un jour Je suis bien indigne, et
quelquefois le sentiment de ma faiblesse, la pensée de mon impuis-
sance, le souvenir de mes fautes passees si grossières et si multi-
pliées me troublent, m'inquiètent. Vous me connaissez, vous sa\ez
combien mon esprit est sujet à des agitations vaines et pénibles. Je
me recommande bien instamment à vos prières. Dieu sait tirer le
bien du mal, je m'abandonne à sa miséricorde et à la protection de
la Sainte Vierge. Je regrette bien souvent mon ami Emile Ravene/.
Je pense que, dans le court séjour qu'il fait à Mulhouse, il ira vous
voir souvent. Causez de moi, je me transporte en idée au milieu de
vous. Je vous vois, vous, vous laissant aller à une de ces improvi-
sations musicales si entraînantes et lui, bercé dans les flots de l'har-
monie, rêvant à ses amis, songeant à ces heures que j'ai passees
avec lui dans les mêmes circonstances et priant pour moi dans l'ir-
time de son cœur. Mais toutes les jouissances ici-bas, quelles qu'elles
soient, ont un terme. Nous sommes separés, loin les uns des autre,
Je ne jouis plus de ces entretiens si intimes d'où je ne sortais jamais
sans être tout pénétre des conseils et des encouragements que j'avais
reçus de vous, ému et fortifié par les paroles de mon ami. No^
cœurs toutefois, malgré l'éloignement, demeureront toujours ums
dans les sacrés cœurs de Jesus et de Marie. Le bonheur de la vie
M LE VICAIRE GÉNÉRAL HA1U'.

ci se trouve que dans l'accomplissement fidèle et absolu de la vo-


nte de Dieu. C'est la pensée qui fait ma consolation dans les
moments où les souvenirs de votre société me porte à ces temps
passés.
Vous voyez quelquefois M. Moreau de Labarre, ayez l'obli-
de lui dire que je n'oublie pas non plus les moments agréables
ceance
à Mulhouse. au souvenir
que sa société m'a procurés Rappelez-moi
de MM. Uhlmann, Rauch, etc. Dans les saints cœurs de Jésus et
de Marie. Votre fils, Victor Ritter. M. Poirot m'a écrit, pour se
recommander à votre souvenir et à vos prières."

M. Poirot m'écrivit de près


Gentilly Paris
rJe me dispose tranquillement à entrer à Saint-Sulpice
au mois d'octobre, tous les obstacles se sont aplanis. Je me suis
remis à l'étude et, pour la faire plus tranquillement, M. Dupanloup m'a
Installé dans la maison de campagne du petit Séminaire dont il est
supérieur et où je compte rester pendant tout le temps que la com-
munauté sera en vacances, pour la suivre à Paris. J'espère que, si
pres du port, il ne viendra plus de vents qui m'en rejetteront loin,
et pour les éloigner je réclame vos prières.
Je pense souvent à Victor Ritter et je souhaite vivement qu'il
vienne à Saint-Sulpice. Soyez assez bon de me donner de ses nou-
velles et de me dire quels sont ses projets, j'aurais un grand plaisir
de l'avoir près de moi, nous nous rappellerions souvent les visites
que nous vous avons faites.
Je n'ai pas encore annoncé ma sortie du monde à mes amis.
J'en agis ainsi afin d'éviter le reproche d'inconstance, s'il y avait du
changement dans mes projets. Veuillez avoir la bonte de les faire
connaître encore à M. le curé. Paris, que je me réjouissais tant de
revoir, son bruit, son luxe ne m'allaient plus du tout, je suis con-
tent de quitter cette ville.
Il y a à Gentilly plusieurs jeunes gens qui attendent aussi le
mois d'octobre pour quitter le monde et prendre le parti que j'ai
pris. Je pense que vous avez mené à bonne fin la construction de
\otre église et que vous êtes enfin en pleine possession de ce nouveau
temple que je visiterai avec bien du plaisir, si jamais je retourne en
Alsace, ce que j'espère, etc., etc. Poirot."
Le ter mai 1809 M. Poirot m'informe qu'il se trouve
heureux à Saint-Sulpice. Un autre jeune homme, Charles
Audran, rempli de moyens, m'écrivit souvent. C'est de
Paris qu'il m'adressa ses lettres me demandant des con-
seils. Je retrouve la copie d'une lettre que je lui adres-
sai et dont voici un extrait
« Mon cher Charles, Certes vous n'auriez pu me faire
M. LE VICAIRE OÉNÊKAIi EAP1'.

un plus grand plaisir qu'en me donnant de vos nouvelles


car j'ai vivement à cœur de vous voir content. Voti~
bonne lettre m'apprend que vous êtes assez heureux.
Asse\ – où est l'homme qui le soit assez parfaitemei>.
dans ce monde? Et dût-il être au faîte des grandeurs, d
l'opulence, il sentira toujours au fond du cœur un vide
que rien ne peut remplir, ce cœur qui ressemble assez
une mer orageuse constamment troublée et agitée par le-
vents. Mille désirs l'inquiètent. Ce pauvre cœur pourtair
n'est pas inaccessible au bonheur, et si Dieu l'a créé avec
cette soif ardente du bonheur, c'est certainement afin qu'ii
soit heureux. Rien de créé ne peut combler les désirs de
ce cœur et saint Augustin en donne la raison quand v
dit Dieu nous a créés pour Lui et notre cœur sera in-
quiet jusqu'à ce qu'il repose entièrement en Dieu. Voila
tout le secret du bonheur. Il n'y a que Dieu, mon cher
ami, qui puisse donner le vrai contentement à notre cœur.
Chose admirable! disait un célèbre philosophe, la religion
chrétienne qui ne semble nous être donnée que pour rendre
l'homme heureux dans l'autre vie, fait même son bonheur
dans la vie présente.
Quant a vous, cher ami, plus que tout autre vous
êtes exposé à perdre la foi dans cette grande ville de
Paris, dont le séjour a été funeste à plus d'un jeune
homme. Vous avez besoin d'une grande force d'âme poui
ne pas vous laisser vaincre par le malheureux respect
humain qui fait tant de victimes, qui ne permet pas de se
montrer chrétien de peur d'être raillé et de passer pour
un esprit faible aux yeux d'une certaine classe d'hommes.
Pardonnez-moi, mon cher Charles, si je vous exprime
franchement mes appréhensions. C'est l'amitié que je vous
porte qui me fait parler ainsi. Mais non! je ne veux pas
trop m'inquiéter; car les nobles sentiments que vous ex-
primez dans votre dernière lettre me rassurent complète-
ment. Vous avez en horreur les principes pervers de
notre siècle impie. Ce qui me le prouve, c'est de vous,
voir tout alarmé de la conduite de votre ami D. Moi
aussi j'en suis tout consterné, II est malheureux qu'il n'ait
M. LE VICAIRE GÉNÉRAL BAPP.

de lui quelque bon ami vertueux qui le rap-


I ti auprès
pelle à son devoir; car au fond c'est un excellent jeune
i,>>mme, il était très sage aussi longtemps qu'il fréquen-
t ut nos réunions. Je vous promets de faire ce que vous
n,e recommandez tant, c'est-à dire d'avoir quelques entre-
tins avec lui. Ce qui lui a fait un tort immense c'est la
f-équentation de quelques sujets dont la conduite est
mauvaise. Que ce soit pour vous, cher ami, une bonne
! çon pour ne pas vous lier facilement avec des camarades
vjiie vous ne connaissez pas.
A Paris vous faites bien de vous adresser à quelque
bon prêtre instruit et zélé et de profiter de ses conseils.
Je finis en vous exhortant à persévérer dans les bons
sentiments que je vous connais et qui feront votre bon-
Leur. Donnez-moi quelquefois de vos nouvelles et croyez
à mon inaltérable affection. 1. R.»»
Première proposition pour la paroisse de Bouxwiller.
– M. Bankratz, recteur m'invita à prêcher la
d'Erstein,
fete patronale à Erstein, le 11 novembre 1844. Pendant
le dîner, M. le curé d'Eschau, l'abbé Bruder, nous informa
de la mort de M. Beiderlinden, curé à Bouxwiller; il
connaissait bien cette paroisse pour avoir été curé à Ing-
willer, et il m'en fit une description peu attrayante. Quelle
ne fut pas ma surprise en rentrant à Riedisheim lorsque
l'y trouvais une lettre de M. Biot, qui m'offrait, de la part
de Monseigneur, ce poste
La lettre me disait que Bouxwiller est en petit ce
que Mulhouse est en grand. Ce n'était pas ce qui pouvait
m'engager à accepter. Je m'étais attaché à ma paroisse,
où depuis bientôt neuf ans j'exerçais le saint ministère,
1 mon église
qui était devenue la plus belle du canton.
1e Conseil municipal venait de demander à un architecte
lesplans et devis pour une maison d'école. Je ne pouvais
ue décider à accepter et je
répondis à M. Biot que je
désirais rester à mon poste. C'était au mois de novembre-
.~4.
Le 10 décembre suivant, je reçus une nouvelle lettre
J£ M. le secrétaire
qui m'informait que Mgr l'évêque.
M. LE VICAIRE GÉNÉRAL RAPP.

n'avait pas disposé encore de la paroisse de Bouxwillcr


et qu'il revenait toujours à son premier choix. Cette fois
je répondis que reconnaissant la volonté de Dieu dans
la voix de mon évêque, je devais renoncer à ma propie
satisfaction, quelque pénible que soit le sacrifice qu'on
me demande.
La nouvelle de mon acceptation fut bientôt connue,
le maire et les principaux membres du Conseil municipal
vinrent m'exprimer la douleur de toute la paroisse et me
demander si j'avais demandé mon changement. Quand ils
surent que je n'avais accepté que pour obéir à mon
évêque, ils me demandèrent la permission de solliciter de
l'évêque mon maintien. Je leur fis la promesse de rester
s'ils parvenaient a réussir dans leur démarche. Aussitôt
le maire et les plus anciens du Conseil se rendirent a
Strasbourg; mais l'évèque fut inflexible. Nous étions au
fort de l'hiver, temps peu favorable pour un déménage-
ment à faire d'un bout du diocèse à l'autre. On me permit
de rester jusqu'après Pâques, c'est-à-dire tant que durerait
l'hiver, qui était exceptionnellement rigoureux cette année.

(A '[suivre.)
LE DERNIER DES BŒCKLIN
VON BŒCKLINSAU.
(Suite et fin.)

III.

Reprenons notre récit, interrompu à la fin de la pre-


mière partie.
De retour à Strasbourg, François-Joseph, fort de son
droit et de la justice de sa cause, se mit incontinent à
l'œuvre pour arriver, le plus promptement possible, à
rentrer en possession de ses nom et état qui lui étaient
indignement disputés par une mère coupable de faiblesset
et d'aveuglement et un frère dénaturé et rapace. Mais
il fallait, avant tout, obtenir la rectification de son acte

1 Faiblesse coupable, puisqu'elle avoua à Steinmetz père, qu'en


octobre 1766, son fils lui avait dit: Si Mme la baronne voulait ne
point lui associer d'autre enfant, il lui laissera la garde noble à sa
majorité." Et M. Zsepflel n'ignorait pas sque la dame de Boecklin
se servait de l'epouvantail du demandeur contre le défendeur dans
les demêlés qu'elle pouvait avoir avec lui pour affaires d'intérêts, le
menaçant de faire venir le boutonnier." Ces choses, révélées par les
témoins, lors des débats du procès en revendication intenté par
François-Joseph à son frère, le baron de Bœcklin, jettent un sin-
gulier jour sur l'état mental d'une femme de vieille noblesse.
LE DERNIER DES BOJSCKLIX VON liOECKLINSAU.

de baptême. D'abord, quant à la minute de l'acte au r,


gistre de la paroisse de Kutzenhausen, il obtint de
Régence de Fribourg un acte de notoriété qu'il «n'exis-
tait dans le Brisgau aucun lieu appelé Stroneck, ni aucune
famille portant les noms de Rodenack ou de Lindenburg
ensuite, pour ce qui concerne la correction et la sui
charge sur le registre original, une pièce authentique ci
postérieure prouvait qu'il était vraiment fils de M'"e d;
Bœcklin. Cette pièce que le curé Rauch avait, quelque
temps avant sa mort, dictée à un notaire royal, disait

nPardevant nous. fut present Me Jacques Rauch, Prêtre c


Curé de Niederkutzenhausen, lequel dit, que pour rendre hommas;,
à la vérité, et rendre compte a ses superieurs, s'il en etait requis,
des raisons pour lesquelles il a raturé et changé des noms dan
l'extrait baptistaire du sieur François-Joseph, qui réclame son nom,
comme étant né de Bœckel, il a cru devoir faire la declaiation sui
vante." Il rappelle d'abord dans le plus grand détail les faits de
l'arrivée de la demoiselle voilee et ceux contenus dans la lettre du
bailli de Soultz, et continue ensuite
nNéanmoins la lettre du sieur Geiger annonçait une fausse de-
claration par la tournure dont elle était construite ce qui engagea
des lors même le sieur comparant, en inscri\ant sur les registie1.
de baptêmes les noms ci-dessus dits (les faux noms de Rodenack et
Lindenburgin), du père et de la mère, à douter que cette déclara-
tion fût vraie, et à ajouter ces mots: an vera sit declaratio, nescio
quelques jours apres le baptême, la sage-leimne etant venue le
trouver, elle lui dit que la mère de l'enfant était Mme la baronne de
'Bœckel, et le père M. Joham, seigneur de Mundolsheim, qu'elle
n'avait pu se cacher plus longtemps et que la dite dame avait même
fait un accord avec elle, pour avoir soin de son enfant, chose qu'elU
se croyait obligée de venir lui revéler; qu'en conséquence de cette
déclaration de la sage-femme prise sous serment, il se crut obligt
de substituer les noms de Joham et de Bœckel, en place de ceu\
déjà inscrits, d'une part, pour rendre hommage à la vérité, et d<-
l'autre pour faire connaitre dans la suite à cet enfant, des parents
que son extrait de baptême devait lui fournir, il aurait delivié à cet
enfant, baptisé sous le nom de François-Joseph, un extrait de bar-
tême conforme à la déclaration de la sage-femme jurée de la Pa
roisse: la présente déclaration etant tout ce dont il se souvienne
qui ait rapport à cette affaire, et dont il y a d'ailleurs nombre de
témoins prêts à affirmer la connaissance de Madame de Bœckel pour
véritable mère du dit François-Joseplr, et ne voulant rien avoir a
se reprocher dans une alTaiie de cette importance, où il est question
LE DERNIER DEb 1IIECKL1N VON BCECKLINS \.U.

v IVtat, du nom de la fortune d'un Citoyen il en a demandé acte


t i lui a eté octroyé."
Muni de cet acte notarié, François-Joseph pouvait
uancer. Il commença par déposer sa plainte contre le
tu on Bœcklin de Bœcklinsau au Directoire de la noblesse
immédiate de la Basse-Alsace. C'était en 1778. Il demanda
ce corps qu'il voulût bien le déclarer fils légitime de
\m le baron et dame Bœcklin de Bœcklinsau, ordonner
qae son acte de baptême fût réformé et que sa portion
dans les biens de ses père et mère lui fût restituée par le
hiron de Bœcklin, son fière, à compter du jour de leur
accès. A l'appui de sa demande, il s'offrit de prouver les
fûts que nous venons de relater, par témoins et preuves
(.entes.
Par une sentence inteilocutoire du 2 mars 1786, les
juges de la noblesse de Strasbourg lui permirent de faire
pi euve, tant par titres que par témoins, des faits qu'il
avait ai-liculés. Mais, pour gagner du temps, le baron de
Bœcklin interjeta appel au Conseil souverain c'était, en
filet, faire perdre une année entière au réclamant. Me Al-
bert l'aîné1 défendit son client, François-Joseph, avec
l'avantage que donnent le talent, la sensibilité, la con-
naissance profonde des principes et la certitude de la
bonne cause aussi bien son Mémoire et son plaidoyer
tuent-ils la plus profonde impression sur tous les esprits.
Le Conseil souverain, par arrêt du 16 mars 1787,
confirmant la sentence de la noblesse de Strasbourg,
tendit au réclamant la faculté d'ouvrir sur-le-champ son
diquête dans laquelle vingt-trois témoins furent entendus.

1
Albert, Jean-Bernard, avocat plaidant et consultant au Con-
s -1souverain, en 1765, membre de la Chambre royale des consul-
tions, en 1784, fut député du Tiers-Etat, en 1789, député à la
invention nationale où il se refusa à voter la mort de Louis XVI,
,[) 1793, député à l'Assemblée législative, en 1795, membre du Con-
eil des Cinq-Cents, en 1797 et, enfin, membre de celui des Anciens,
jn VI, se retira, de son mandat, à Colmar et
après l'expiration
ourut, lors d'un voyage qu'il fit à Paris, le 29 juillet 1807, à l'âge
62 ans. (Voy. mon Dict. de Biogr., I, 14.)
LE DEHU1ER DES BlECKIjIN VON BlKl'JCIiINSAU.

Cette enquête, toute concluante, ayant été signifiée yu


baron de Bcecklin, celui-ci, jugeant qu'une contre-enqucte
lui était possible, se borna à proposer des reproches conne e
les témoins du réclamant; mais, au lieu d'avancer le jour
où il devait les produire à l'audience, il parvint, sous les
prétextes les plus frivoles, à le reculer de près de six mo,s.
Intervinrent les saisies-tierces faites en vertu de la
sentence rendue au Directoire du corps de la noblesse
immédiate de la Basse-Alsace, le 4 septembre 1787, con-
firmée par deux arrêts du Conseil souverain des 14 et
3o décembre 1787, les dites saisies-arrêts en date des
23, 24, 26, ;|8 janvier 1788, ier et 4 février 1789.
Le réquisitoire de l'avocat général, Loyson, au Con-
seil souverain, fut écrasant pour le baron François-Fic-
déric-Sigismond-Auguste de Bcecklin.

"Quel était votre motif, disait-il, pour traiter votre frère si


cruellement, pour conspirer sa perte, la commander à votre merl,
exiger de cette femme qu'elle vous le vendit ? Que vous avait-il
fait? Vous nous l'avez appris, il épouvantait votre ambition, il était
redoutable à votre avarice, vous vouliez que votre patrimoine s'auq-
mentât du sien; l'intérêt, le vil intérêt pécuniaire vous rendait somdd
à la voix du sang. Cependant, quel usage avez-vous fait de ses de-
pouilles ? de quoi vous ont-elles servi? Plus riche, avez-vous parcouru
une plus brillante carrière ? etes-vous monte à un rang plus distin-
gué ? Non obligé de vous étourdir sur votre usurpation, vous n'en av<_z
recueilli les fruits que pour les dissiper. Vous êtes en ce moment a la
merci d'une foule de créanciers qui, plus intéressés que vous-mCniL
à écarter votre frère, à retenir, à se partager son patrimoine, ont
sollicité contre lui, l'ont poursuivi jusqu'au pied du trône, ou ils
ont prétendu maladroitement que votre cause était celle des mœuit,
tandis que par ce mot ils plaidaient la sienne. Vous savez de qml
œil ils ont été vus au Conseil du Roi, lorsqu'ils n'ont pas craint d }
demander la cassation de l'Arrêt souverainement juste qui l'avait
admis à sa preuve; ils ont appris a vos dépens qu'il regne entre tous
les tribunaux un concert d'équité, qui assure au réclamant que dans
l'a"guste senat qui doit juger ses preuves, son premier succès se a
suivi d'un second. Rentrez donc en vous-même; quittez, il en e5t
temps, un rôle indigne de votre éducation, de votre rang, du non
que vous portez. Revenez à ce frère, qui ne sait pas hair; il ressi'-
rera avec joie les liens que vous vouliez briser; il vous ouviia a
<-
encore son cœur, il vous prouvera que l'école du malheur est ce 1 1
des bons sentiments il songe qu'il est votre frère, et, à ce tit'
LE DERNIER DKS BCUL'KLIN VON BCKCKblNSAU

tient qu'à vous de lui rendre bien doux, il oublie les maux
j'il ne
vous lui avez faits, il se livre avec transport au plaisir de vous
,0
1, pardonner.
Après plus de douze ans de procédure, la bonne
cause put enfin célébrer son triomphe. Sur les conclu-
rions de Me Thomassin, avocat du demandeur contre le
défendeur non-comparant, le jugement final fut prononcé,
o Strasbourg, en l'hôtel de la Noblesse, le 1 février 1790
et porte en substance: «a déclaré François-Joseph fils
légitime, né constant le mariage d'entre feu le sieur
François-Jacques-Chrétien, Baron de Bœckel de Bœck-
linsau, en son vivant Seigneur de Ruest, Obenheim et
autres lieux, et dame Charlotte-Françoise-Sophie, née de
Dungern, ses père et mère ce faisant a ordonné que
l'acte de baptême du 25 avril 1756 sera rectifié en con-
formité du présent jugement, dont mention sera faite en
marge du Registre baptistaire. En conséquence, a con-
damné le défendeur à donner partage au demandeur de
tous les biens et revenus, tant féodaux qu'allodiaux par
feu leur père commun, conformément à l'inventaire qui
a été fait ou sera incessamment fait, lequel sera affirmé
véritable par le Baron de Bulach, Conseiller-Assesseur,
Commissaire nommé à cet effet, sauf l'information de
îecelé,
A la restitution des fruits perçus, ou qu'il a pu per-
cevoir de la portion des biens du demandeur- à compter du
jour du décès du feu Baron de Bœcklin.»
Voilà donc François-Joseph Bœcklin de Bœcklinsau
en possession de ses nom, titres et biens; le voilà devenu
seigneur de Bischheim, Obenheim et autres lieux. Mais on
était à la veille du i o août, où le vote de l'Assemblée
nationale, renversant l'ancien système féodal, passa le
niveau égalitaire sur toute la France, abolissant titres et
privilèges. Cette même année, il épousa Marie-Anne Al-
bert, fille de son généreux défenseur. Devenu propriétaire
de Weinbach, près de Kientzheim, ancienne maison
dixmière des Prémontrés d'Etival, que son beau-père
avait acheté comme bien national et dont il lui avait fait
LE DERNIER DKS HIUKHK VON BOICKLINSAU.

cession par un acte du 2y met>sidor an II (17 juillet I7q__


il y coula des jours paisibles sans se soucier des comm
tions politiques. Plus tard, il consentit à faire partie <.
Conseil général du Haut-Rhin. Il mourut dans sa dou
retraite, le 29 janvier 1844, étant arrivé à l'âge de 88 an
son épouse l'avait précédé dans la tombe, le 29 janvut
1 833, a l'àge de 66 ans. Il fut le dernier des Bœcklin i.j
Bcecklinsau d'Alsace.

FR. Edouard SITZMANN.


LA LÉGENDE D'OBERLIN
Pasteur
auBan-de-la-Roche.
(Suite.)

X.

Ministère pastoral d'Oberlin.

Si l'on envisage l'instruction religieuse et l'éducation


morale comme les fonctions essentielles, et le salut éternel
comme le but principal du ministère pastoral, et non pas
l'assistance matérielle et l'éducation intellectuelle et pro-
fane, comme le pensent certains philanthropes, Oberlin
ne s'est pas élevé, comme pasteur, au-dessus du commun.
Il s'est appliqué à exercer de son mieux le ministère
pastoral. Le zèle dont il était animé était sincère, mais
non selon la science, car il ne connaissait qu'imparfaite-
ment la religion chrétienne et ses moyens de sanctifica-
tion et de salut. La civilisation qu'il s'est efforcé d'intro-
duire dans sa paroisse est plutôt une civilisation selon
l'esprit du monde qu'une civilisation selon l'esprit de
Notre Seigneur, laquelle ne consiste pas dans les connais-
sances profanes ni dans les perfectionnements matériels,
inais dans la pratique de la religion chrétienne. Notre
Seigneur, le Verbe éternel, l'Auteur de toute science n'a
Revue. AvriS 1919. 15
LA UÉGJ.NDE D OBEIIL.IN

enseigné que l'Evangile; de même ceux qui les premiers


civilisèrent les Vosges les saints Florent de Haslach,
Gondelbert de Senones, Hydulphe de Moyenmoutier,
Déodat de Saint-Dié, Colomban de Luxeuil, etc.
Ces saints personnages ont prêché la doctrine du
Christ, telle qu'elle a toujours été enseignée dans l'Eglise,
tandis qu'Obeilin la prêchait à sa façon, telle qu'il la
comprenait, d'après ses idées préconçues. Il lui manquas
encore la mission et l'autorité nécessaires dont ceux-ci
étaient investis. D'autre part, pour répandre l'esprit de
piété et de religion, il ne disposait pas des moyens clli-
caces de l'Eglise. Dans son admiration pour Oberlin,
Auguste Stoeber le compare néanmoins à saint Colomban.
Ist wieder auferstanden
Der heil'ge Colomban,
Der einst in diesen Landen
Hub Christi Predigt an,
Bis vor dem Kreuzesstamme
Erlagen Drach und Wild,
Bis vor dem Gotteslamme
Die Herzen werden mild.

Und fragst du wie geheissen,


Dem solches Gott befahl ?
Geh' hin, das hann dir weisen
Jedwedes Kind im Thal
Zum schlichten Kirchhofsteine
Gelenen sie dich hm
Hier liegen die Gebeine
Des Pfarrers Oberlin J

Il est ressuscité saint Colomban, qui prêcha jadis le Christ en


ces lieux, jusqu'à ce qu'il eût abattu fau\es et dragons au pied de
la croix, adouci les cœurs aupies de l'Agneau de Dieu
Veuv-tu connaître le nom de cet apôtre Va, chaque enfant de
la vallée pourra te le montrer il te conduira près d'une modeste
pierre tombale, où gisent les ossements du pasteur Oberlin.

En 1780, Oberlin avait bien essayé de réorganisa


une association sous le nom de Société chrétienne,2 2 dans

1 Par Elsassisches Das Steinthal.


Auguste Stoeber, Sagenbuch
(Strassbg. 1842).
1 E. St.
172-178.
LA LÉGENDE D OBEKLIK.

le genre des Collegia pietatis de Spener et avec le dessein


le réveiller la piété dans ses membres par l'édification
mutuelle; et il en avait lui-même rédigé les statuts, dont
chaque article était sanctionné par un passage de la Bible.
Ses louables efforts ne furent pas couronnés d'un plus
arand succès que ceux de ses prédécesseurs, puisque cette
association fut déjà dissoute en i yS3.
Plus durable fut la confrérie établie en 1692 a Col-
roy-la-Roche et Ranrupt par Claude Mourot, curé, et
canoniquement érigée par le pape Innocent XII. Elle se
développa jusqu'à compter 400 membres en 1760 et ne
fut supprimée qu'à la fin du siècle par la Révolution.
Elle maintînt dans la paroisse, au cours du XVIIIe siècle,
les bonnes mœurs et un excellent esprit de confraternité
chrétienne. Car cette confrérie était non-seulement une
association pieuse, mais encore charitable. L'article II de
ses statuts était ainsi conçu: « Le jour que le re'ceveur
de ladite confrérie rendra ses comptes, l'on choisira un
frère et une sœur pour visiter les malades de la confrérie
le plus souvent qu'ils pourront, afin d'avertir M. le Curé
de leurs nécessités tant spirituelles que temporelles, aux-
quelles on aura soin de pourvoir, lesquels (frère et sœur)
pourront être changés de six mois en six mois l'ar-
ticle 12: Le premier vendredi, immédiatement après
l'octave du S. Sacrement, l'on chantera une messe haute
pour les confrères trépassés où les confrères et sœurs
assisteront; l'article 13 Si entre les confrères et sœurs
il arrivait quelque dispute ou querelle en fait d'injures,
on exhorte celui ou celle qui sera offensé, au lieu d'aller en
justice, de faire assembler devant M. le Curé les principaux
confrères qui conjointement avec lui feront leur possible
pour les réconcilier et pourront condamner le coupable à
quelques livres de cire au profit de la dite confrérie
l'article 14: Sera rayé du cathalogue (sic) le confrère
assez malheureux de retomber dans des injures contre
son prochain ou de commettre quelque scandale après
avoir été charitablement averti par M. le Curé.»1

4 V. les archives de
l'église de Colroy-la-Roche.
LA LÉGENDE D'OBERLIN.

Pour les associations pieuses, Oberlin ne put rivalisci


avec les curés catholiques. Pour les édifices religieux
ne s'en soucia guère. Tandis que cette vallée de la Bruche
est dotée de vastes et superbes églises, richement orné<
à l'intérieur, le Ban-de-la-Roche avec ses temples mes-
quins fait piètre figure. Sauf le temple de Fouday, dont
la nef très simple d'ailleurs, fut construite sans lui auv
frais du collateur, le baron de Dietrich,1 et dont l'abside
conserve outre un tabernacle mural (un depositorium) et
d'intéressantes fresques du moyen-âge, Oberlin a laissé
les églises dans l'état exigu et pauvre où il les a trouvée-.
Le temple de Waldersbach, près du spacieux presbytère,
n'a que deux fenêtres de côté et un petit campanile en
bardeaux l'intérieur très simple n'offre de beau que le
mausolée en marbre, élevé depuis à la mémoire du célèbree,
pasteur. A Belmont, le temple n'est guère plus grand a
Bellefosse, il n'y en a point et celui de Solbach, très
petit, n'existait pas encore. Cependant tels quels ils suf-
fisent, car ils ne sont bien fréquentés qu'aux enterrements
et à certaines grandes occasions. Cela provient de ce
qu'en général on est assez indifférent pour le culte
et qu'on n'envisage pas le temple comme la maison de
Dieu à l'instar des catholiques et des anciens juifs.
Le temple protestant n'est pas, en effet, exclusivement
affecté au culte. Ainsi Oberlin y réunissait ses ouailles
pour d'autres fins que le prêche et la prière. Des fêtes
scolaires et autres, présidées par lui, y avaient lieu. Et
dans ces assemblées, lui qui, comme Luther, proscrivait
le cérémonial extérieur des solennités religieuses, déployait
la plus grande pompe, estimant alors utile de frappe;
l'esprit par le sens, « de donner de l'aiguillon suivant son
mot favori. C'est à la Toussaint et à l'Ascension qu'il y

1 C'est le
père du premier maire de Strasbourg, lequel porta
sa tête à l'échafaud, victime du sanguinaire Schneider, accouru
d'Allemagne à son appel avec d'autres apostats.
a Voir le Bulletin de la Société des mo-
pour la conservation
numents historiques.
LA LÉGENDE D'OBERLIN.

distribuait les récompenses en nature et en argent aux


lauréats au meilleur élève en écriture, en lecture, en
en histoire; au cultivateur le moins routinier,
rnographie,
a l'artisan le plus adroit, à la jeune fille qui avait tricoté
le plus de bas, à la ménagère la plus soigneuse, au maître
d'école le plus exact.1 Nous ne savons pas qu'il ait cou-
ionné quelque rosière ou décerné quelque prix de vertu,
dt piété, de religion. Cela serait plutôt rentré dans ses
attributions.
Toutefois il ne se désintéressait nullement de la
moralité de ses paroissiens. Déjà dans son premier ser-
mon, il s'éleva contre l'immoralité de la jeunesse il fla-
gellait les vices avec une extrême vivacité. « Il aurait
volontiers, disait-il plus tard en riant, conduit au ciel à
de fouet ses Ban-de-la-Rochois. »2 II était même
coups
outré dans ses invectives jusqu'à employer un langage
trivial, grossier, ce qui lui attirait des désagréments
comme à son voisin Dom Fréchard, de la part des gens
apostrophés ou visés ou mécontents de ses réformes il
faillit même une fois être roué de coups par eux..C'est
surtout sur les ivrognes qu'il déchargeait sa bile il les
désignait nommément au mépris public.3 Que serait-ce
s'il vivait à notre époque et qu'il vît les ravages de l'al-
coolisme
Il prêchait autant d'exemple que de parole par sa vie
frugale et sobre, et sa figure ascétique donnait encore
plus de crédit à ses discours. «S'il avait pu croire rendre
service a Dieu par ses privations, remarque Stoeber, il se
serait imposé toutes les privations qui ont signalé la vie
Jes anachorètes de la Thébaïde. » Mais, soit dit en pas-
sant, il eût imité en cela saint Jean-Baptiste et N. Seigneur
lui-même, lequel a dit: «Si vous ne faites pénitence,
\'ms périrez tous. »4 Oberlin s'abstenait même de sucre

1 Ed. P. i57.
Bodmann, J. Fr. Oberlin.
Ed. P., p. 164.
S. Luc, XIII, 3 et 5.
LA LÉGENDE D'OBERLIN.

dans le café noir, mais en haine, disait-il, de la traite (t


de l'esclavage des noirs. Il s'emportait aussi contre !a
coquetterie, le luxe, le gaspillage, la malpropreté, laquelle,
selon lui, était l'indice d'une âme souillée, et conne
l'immoralité, dont il ne connaissait de meilleur remède
que le mariage précoce. II recommandait aussi la pa-
tience par ces mots « Soyez constants. Vainquez la groj-
sièreté, l'insolence, la piquantise des autres par la patience,
la douceur, la complaisance. » Enfin il s'évertuait à ev-
tirper l'égoïsme et la malhonnêteté, il y réussit assez bien
mais non jusqu'à faire du Ban-de-la-Roche «la teire
classique de la charité et de la probité où, de mémoire
d'homme jamais vol n'a été commis», comme cela a eté
publié. Ces exagérations ne trouvent de créance qu'au
loin. Bien osé serait quiconque affirmerait qu'on y est
plus honnête et plus charitable que dans le reste de la
vallée. Pour ne citer qu'un fait relaté par Stoeber En
1810, lors d'un incendie qui ruina une vingtaine de mé-
nages à Belmont, les catholiques de quelques lieues à
l'entour volèrent au secours des sinistrés et amenèrent
les jours suivants sur plusieurs voitures des provisions
pour les gens et pour les bêtes. A la vérité,4 les exemples
donnés par Oberlin plus encore que ses paroles ont con-
tribué à recommander la charité et la probité. Nous ne
doutons pas qu'il n'ait rendu ses paroissiens plus serviablcs
les uns a l'égard des autres, plus honnêtes dans leurs
relations mutuelles, plus conciliants dans leurs différends.
Il a fait <de louables efforts pour les engager par exemple
à s'entendre à l'amiable pour l'arrosement des prés, cau^e
fréquente de disputes et de procès.6 Cependant on ne re-
marque pas que les choses s'y passent mieux qu'ailleurs
Une excellente oeuvre de bienfaisance créée par IL".

1 Ed.
Parisot, p. i65.
2 C.
Fischer, p j3.
3
Magasin pittoresque, ge année, p. 99.
4 Ed. St., 403.
s
Ibidem, 147-48.
LA LÉGENDED'OBERIiIN

ce fut la Caisse des pauvres pour supprimer la mendi-


cité et aussi l'ignorance; car des secours n'étaient alloués
dont les enfants fréquentaient l'école. Il desti-
m'a ceux
nait un trentième de ses revenus à ce fonds, l'augmentait
et s'adressait encore à ses amis
par des quêtes à l'église,
opulents. Dans les cas graves et pressants, il sellait son
ciieval et filait sur Strasbourg afin de solliciter des secours
auprès de ses concitoyens, qu'il savait intéresser en faveurr
de ses paroissiens. Il put même fonder en 1781), avec un
capital reçu de 800 francs, une autie caisse qui lui permit
de prêter des petites sommes de 5, 10, i5, 20, tout au
nlus 5o francs, sans intérêts, nantissement ni caution, et
remboursables a terme. Il lui était ainsi possible tantôt
de sauver un débiteur insolvable, tantôt de faire face aux
dépenses occasionnées par ses diverses œuvres. Sa charité
nullement exclusive, s'étendait à d'autres qu'à ses coréli-
gionnaires. Un jour, un juif ayant été dépouillé et assas-
siné dans sa paroisse, près de Belmont, il assista sa veuve
par un subside annuel. Un autre juif étant un jour pour-
suivi à Waldersbach par une troupe de mauvais sujets,
il le prit sous sa protection et lui offrit un asile dans son
2
presbytère.
Outre les secours pécuniaires, il prodiguait ses ser-
vices, en éclairant les autres de ses lumières, en les fai-
sant profiter notamment de ses connaissances médicales
acquises chez le praticien Ziegenhagen. Il aurait même
publié des instructions sur les secours à donner aux noyés,
aux gelés, aux asphyxiés mis en vogue une tisane faite
avec les herbes et les fleurs du pays. Mais que de curés
et pasteurs rendent les mêmes services sans qu'on en
parle c'est le propre de leur ministère de charité. Un
de ses successeurs, M. Witz, docteur en médecine, a
soigné beaucoup de malades avec autant de bonté que d'art.
Oberlin mérite à juste titre d'être loué pour son dé-

E. St., 116, 117.


1 E. St. 401.
LA LÉGENDE D OBERLIN.

vouement cependant quelle distance entre lui et le


saint curé vosgien, Pierre Fourrier, qui donnait tout
son revenu aux indigents de sa paroisse, leur distribuai;
chaque semaine du pain, de la viande et même du vir.
selon leur nécessité se rendait au domicile des pauvres
honteux, passait des nuits entières auprès des malades,
leur prêtait son lit, dont il ne se servait du reste pas, et
remplissait tout à la fois l'office de pasteur et celui d'in-
firmier, ne se rebutant pas des services les plus vils, les
plus répugnants. Sa maxime favorite était: Nemini obess(,
omnibus prodesse. Faire du bien à tous et du mal à per-
sonne. Il avait un cœur d'or pour Dieu, un coeur de
chair pour le prochain, et de bronze pour lui-même.

XI.

Conduite d'Oberlin pendant la Révolution.

Quel que fût le zèle qu'Oberlin déployait dans son


ministère pastoral, il ne crut pas devoir pendant la Ré-
volution affirmer ses convictions chrétiennes, ni tout
risquer plutôt que de laisser suspecter sa foi. Cet hé-
roïsme, les prêtres « réfractaires » le montrèrent ils bra-
vèrent la tyrannie jacobine et ne rougirent pas du Christ
devant les hommes, conformant ainsi leur conduite à
celle des apôtres qui s'étaient écriés devant le Sanhédrin
« Nous ne pouvons pas ne pas parler; il vaut mieux obéir
à Dieu qu'aux hommes. » Cinquante mille sur soixante
mille prêtres refusèrent le serment schismatique que l'abbé
Grégoire, curé d'Emberménil, fut le premier à prêter,
comme il accepta sans hésiter la Constitution civile du
clergé.
C'est sur le principe émis par les princes protestants

Giry et P. Guérin, Vie des Saints, 9 décembre.


LE LÉGENDE D'OBERLIN.

auXVIe siècle: « Cujus regio, illius est et religio» o (le


iijaître de la région est aussi le maître de la religion)
semble avoir réglé sa conduite, quoique ce
qu'Obeiiin
soit tout à fait contraire à cette parole du divin
principe
Maître: « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu
qui est à Dieu. »
La Constitution civile fut même combattue comme
trcompatible avec les principes généraux des protestants
de la Confession d'Augsbourg, dans un écrit publié en
,;ç)o par le professeur Koch de l'Université de Stras-
t
bourg.
Sur un ordre de la Convention, Oberlin déposa plus
tard son costume ecclésiastique. 'On ne sait s'il abdiqua
expressément, mais sa conduite fut équivoque. C'était
pourtant le cas ou jamais de s'expliquer ouvertement et
de protester contre cette oppression des consciences chré-
tiennes. Ses coréligionnaires du XVIe siècle l'avaient bien
tait de ce chef contre l'empereur Charles-Quint, alors
qu'il leur défendait seulement de propager dans ses Etats
la nouvelle doctrine qui menaçait l'ordre établi.
Qu'il ait applaudi à la République et aux mots re-
tentissants de Liberté, Egalité, Fraternité, qu'il ait adhéré
à la Déclaration des Droits de l'homme, qu'il se soit fait
inscrire au Club ou Société populaire de Strasbourg, 2
qu'il se soit coiffé du bonnet phrygien, il n'y a pas heu
de s'étonner de la part d'un admirateur de Voltaire et de
Rousseau, d'un ami du député Merlin et de l'abbé Gré-
goire avec lesquels il correspondait et qu'il recevait dans
*on presbytère.3 Comme eux il salua avec enthousiasme
la Révolution et mit tout en œuvre pour la faire triom-

1 des protes-
Koch, Christophe-Guillaume, Principes généraux
tants de la Confession etc. 1790.
d'Augsbourg,
Heitz, F. C., Les sociétés politiques de Strasbourg pendant
'es années
1790 à 1795. Extraits de leurs procès-verbaux. Strasb.
iS63.)
3 Revue
d'Alsace, 1874, p. 117. L'abbé Grégoire et le pasteui
Oberlm.
LA LÉGENDE d'OIERUN.

pher. Quand il la vit menacée de la hideuse banqueroute


il essaya d'un moyen illusoire en vue d'éteindre la dette
publique. 11 acceptait dans ce but les assignats à leur
valeur nominale en paiement, et les remettait en cours a
un prix inférieur en endossant la différence.1 Comme bien
on pense, ce moyen ne pouvait servir que dans quelques
cas particuliers, à venir en aide à des victimes des assi-
gnats.
Dans une fête civique, la Fête de la Constitution et
la Cérémonie des Echarpes tricolores, célébrée à Fouda\
le i3 novembre 1791, il tint un discours propre à allumer
et à légitimer les convoitises des Sans-Culottes. En voici
un passage: « En France, comme dans le reste de l'Eu-
rope, surtout là où les principes aristocratiques et anti-
chrétiens de la Cour de Rome avaient prévalu, deux
classes privilégiées s'étaient appropriées toutes les richesses,
tous les honneurs, tous les pouvoirs: c'est la noblesse et
le clergé. »
Quels sont ces principes aristocratiques et antichré-
tiens de la Curie romaine? Plus de plébéiens que de
patriciens ont ceint la tiare, et sans l'immixtion de l'Etat,
plus de dignités ecclésiastiques auraient été conférées au\
premiers. Quant aux bénéfices, ils ont été légitimement
acquis, et si leurs revenus n'ont pas toujours été emplo\c\
conformément aux lois canoniques, pour le culte et poui
le bien de la société chrétienne, la faute en est à certains
abbés commendataires de haute lignée, contre lesquels
Rome était sans pouvoir coactif.
Oberlin fut mieux inspiré lorsqu'il adressa aux jeunes
Ban-de-la-Rochois, appelés sous les drapeaux par décret
du i juillet 1792, les conseils suivants
,Vous partez; nos vœux et nos prières vous accompagneront
puissent-ils ne pas être repoussés puisse-t-il se faire qu'aucun d'entiee
vous ne s'en rende indigne. Gardez-vous de l'excès du vin gar-
dez-vous des disputes retirez-vous en. Cherchez votre honneur dans

1 Geschichte der evangehschen Kirche in Elsass in


Schneider,
der Zeit der franzosischen Revolution, p. 148. (Strasb. 18go.)
LA IjÉGENDK n'OBKKtilN.

ci qui est vraiment louable, dans ce que Dieu peut approuver.


si vous devez entrer en pays ennemi, souvenez-vous que nous ne
sommes pas les ennemis des peuples nous l'avons juré. Les princes
français, les émigrés, l'empereur, le roi de Prusse sont nos ennemis;
1
mais leurs sujets ne le sont pas."
Une cruelle épreuve était réservée à son coeur pa-
ternel. L'aîné de ses fils fut blessé mortellement à la
bataille de Bergzabern le 27 août 1793, et expira le len-
2
demain à Wissembourg.

Quand la royauté fut abolie, il fit, sans restriction


aucune, acte de soumission à toutes les lois de la Répu-

blique. Ainsi, ayant été requis, le 21frimaire an II

(1793), de faire sa profession de foi politique et religieuse,


il protesta de ses sentiments révolutionnaires en ces
termes
"J'approuve souverainement qu'on abolisse les cérémonies vaines,
et qu'on bannisse tout dogme de religion sterile, infructueux, qui
ne sert qu'à exciter des querelles. Je me retrancherai toujours dans
mes instructions à ce qui tend à rendre mes freres éclaires, braves,
diligents, bons patriotes, bons républicains, zeles, fidèles et recom-
mandables en chaque situation Le rabat et le manteau que je por-
tais ci-devant, je les ai deposés en pleine assemblée, il y a déjà
quelque temps j'avais toujours eu de la répugnance à porter ces
\aines distinctions. Pour ce qui regarde la royaute, je suis d'avis
qu'elle devait être absolument abolie. Il y a plusieurs années que
l'ai commencé a inspirer à mes auditeuis des sentiments républi-
cains.1
Le 11mars 1792, il sJétait déjà fait délivrer une pa-
tente d'artisan 3 pour pourvoir à son existence en cas de
besoin, ou
prouver qu'ilpasn'était un Pfaff (clérical)
pour employer son terme. Opportuniste suivant les né-
cessités de la situation, notre prédicant est tantôt laïque,
tantôt ecclésiastique, arborant tour à tour le rabat ou la
cocarde, la toque noire ou le bonnet rouge. Le 28 frimaire,
an II, il reçut un certificat de civisme du comité de sur-
veillance de Waldersbach. A partir du 9 avril 1794 (ger-

4
Magasin pittoresque, ge année, p. gg. St., p. 241.
» E. St., p. 246.
E. St., p. 266.
LA LÉGENDE D'OBERLIN.

minai an II), il cessa toute fonction du culte et toute


instruction, ce que la municipalité de Waldbach atteste,
en réponse à une demande du district de Barr, à la date
du 25 prairial an Il (mai 1794). « A-t-il vraiment abdiqué,
nous n'en savons rien, ajoute-t-elle, nous savons seule-
ment qu'il s'est expliqué devant le Comité du Salut public
de Strasbourg. » 1
Pendant cette sanglante persécution, il dissimula sa
foi au lieu d'imiter le courage du vieillard Eléazar, qui
préféra mourir que de paraître violer la loi divine.
«C'était une véritable privation pour Oberlin, écrit Stoeber,
qui plaide' pour sa défense, de ne pouvoir continuer,
comme par le passé, à donner des instructions religieuses
à ses paroissiens et surtout à la jeunesse. D'un autre côté,
il poussait jusqu'au scrupule l'obéissance à la législation
existante et au gouvernement. La Bible lui traçait sa
règle de conduite à cet égard. Il se rappelait le précepte
de l'Apôtre Que toute personne soit soumise aux puis-
sances car il n'y a pas de puissance qui ne vienne de
Dieu (S. Paul aux Romains, XIII).» H S'il y a des puis-
sances dans l'ordre temporel, il y a aussi, dans l'ordre
spirituel, des puissances auxquelles il faut obéir. C'est
pourquoi les prêtres réfractaires ne se sont pas inclinés
devant les injonctions despotiques du gouvernement ré-
volutionnaire, qui d'ailleurs n'était pas reconnu par beau-
coup, étant un pouvoir usurpé.
Stœber continue par la calomnie. « C'est à de pareils
traits qu'on reconnaît le pasteur citoyen, tandis que tant
d'indignes prêtres ne cherchaient qu'à créer un Etat dans
l'Etat, et n'étaient autre chose que des soldats merce-
naires de la milice du Pontife de Rome. » Ces « indignes
prêtres » étaient des héros. Ils n'étaient pas soudoyés par
le Pape, ainsi que Stœber l'avance sans aucune preuve
ils n'ont pas, comme les Protestants d'Allemagne, les
Huguenots de France, allumé la guerre civile, levé des

Schneider, Gesch. der evang. Kirche des Els., p. 177.


LA LÉGENDE D'OBERLIN.

armées, occupé des places fortes, appelé des renforts de


l'étranger et livré des villes. Comme les martyrs des
siècles, ils ont versé leur propre sang pour la
premiers
défense de leur foi ils ont tout souffert, la déportation,
l'exil, la prison, la mort plutôt que de se soumettre à la
Constitution civile du clergé, contraire à la Constitution
divine de l'Eglise.
En quittant leurs postes, ils n'ont cédé qu'à la force,
et encore beaucoup d'entre eux, quoique traqués et pour-
chassés, réussissaient-ils à déjouer la surveillance des
agents du gouvernement, grâce à la connivence de bons
et fidèles chrétiens. Autour du Ban-de-la-Roche se sont
signalés Guntz, curé de Saint-Blaise-la-Roche; Henry,
curé de Colroy-la-Roche Dom Marchai, administrateur
de Plaine; Dom Ruyer, administrateur de Saulxures, qui
ont renoncé à leurs bénéfices plutôt qu'à leur foi et choisi
l'exil; Dom Fréchard et Dom Vuillaume, religieux de
l'abbaye de Senones Seck, curé de Fouchy, qui, pros-
crits, mais intrépides, continuaient leur ministère dans
les forêts vosgiennes; Saulcy, vicaire à Steige Kuhl-
mann, vicaire à Andlau; Garnier, .curé de Schirmeck,
déportés tous trois à l'île de Ré Bailly, curé de Saales,
déporté à Kononoma; Stackler, curé de Neuve-Eglise,
guillotiné le 3 février 17961 à Strasbourg. Nous nous
arrêtons là, faute de plus amples informations.
Ces pauvres prêtres se tenaient cachés pendant le
jour, et, le soir venu, circulaient travestis pour adminis-
trer les Sacrements, catéchiser les enfants, célébrer les
saints mystères dans quelque clairière, quelque grange
ou quelque poêle de derrière. Cette conduite admi-
rable ne trouve pas grâce devant Stceber, qui loue d'une
part le pasteur citoyen « de s'être défendu d'être un Pfaff,
et d'avoir juré fidélité à la Constitution de l'an 1 et à

1 Le prêtre l'abbé cure de Neuve-


Mehl, J.-B., martyr, Stackler,
Eglise, f 1796.
LA LfiGENDi; DOBLRIN.

celle de l'an III;1 1 et d'autre part condamne «ces hordes


de prêtres incorrigibles qui refusent de prêter le serment
civique, repoussant avec dédain le plus beau titre, celui
de citoyen et qui, au lieu de rester en bons patriotes
auprès de leurs ouailles, désertent leur poste sacré, tra-
versent l'Europe pour susciter des ennemis à leur pau,,
ou parcourent, la torche à la main, les bocages de la
Vendée et les forets du Midi pour y allumer la guerre
civile.» a Ne pourrait-on pas plutôt lancer ces accusations
aux Religionnaires du XVIe siècle ?
La situation politique s'aggravait toujours. Au lieu
d'une ère de liberté, c'était une ère d'oppression qu'on
avait inaugurée. Le professeur Oberlin, frère du pasteur,
fut incarcéré à Metz, sur l'ordre de Saint-Just et de Lebas,
avec la plupart des membres de l'Administration dépar-
tementale, dont il faisait partie, et il ne fut relaxé qu'a-
près onze mois de détention.2 Aussitôt libre, il vint
passer quelques jours au presbytèie e de Waldersbach,
asile ouvert à cette époque 3 à maintes infortunes.
Cependant, hélas! sous le régime de la Terreur, le droit
de la force prévalut, et la haine de la religion atteignant
son paroxysme, ne respecta plus rien. Il y avait là de quoi
refroidir l'enthousiasme du pasteur du Ban-de-la-Roche
pour la République. Malgré son civisme et son loyalisme,
malgré son abdication, il fut menacé de perdre sa de-
meure et sa liberté. Mais il se montra énergique dans la
revendication des biens curiaux. Ayant appris le projet
du club de Waldersbach de l'expulser du presbytère, il
se rend à la séance des Jacobins et les apostrophe ainsi
« Citoyens, je suis tombé des nues quand j'ai entendu
que vous alliez mettre en vente la vieille cure. Vous
ignorez donc que les lois du 17 août 1790 et du 12mars

1 Ad. Stoeber le néanmoins de Glaubensheld, héros d«


qualifie
la foi.
9 E. Stœber's III.
Schriften, Bd., p. 178.
3
Schneider, p. 149.
LA LÉGENDE
1)'OliERLIX.
faveur des églises, consistoires,
i~q3, en universités, col-
lèges, fondations, fabriques et autres objets relatifs au
culte protestant, doivent rester dans toute leur force.
C'est ce que la Convention nationale a décrété par son
comité de législation. En effet, elle avait favorablement
accueilli le factum du professeur Koch de Strasbourg
tendant à prouver que les biens de l'Eglise luthérienne
avaient déjà été sécularisés au XVIe siècle (a dire vrai
avaient été affectés à l'Eglise piotestante).
Le pasteur de Waldersbach, après son plaidoyer pro
domo, put conserver la jouissance de son presbytère et
de quelques biens-fonds de fondation catholique.' 1

(A suivre.)

1 Archives de Waldersbach. Reg Maison cunale et ses appar-


tenances.
CHOSES D'IRLANDE
L'Irlande et le Congrès Eucharistique
de Cologne 1909.

(Suite et fin.)

La quatrième et dernière preuve, que Sa Grandeur


«désire voir mentionnée à l'appui de sa thèse», est prise
du « Leabhar Breac»,1 1 c'est-à-dire du «Livre noir» que
le savant Eugène O'Curry déclare un document d'un haut
intérêt, qui offre ie plus complet recueil de questions
existe dans la Irlandaise.»'1 2
religieuses qui langue celtique,
Le jugement d'O'Curry est pleinement confirmé par
le célèbre Professeur du Grand Séminaire de Maynooth,
Dr O'Kelly dans son traité sur le S. Sacrifice de la
Messe, nous trouvons l'intéressant passage suivant
Une autre portion de la promesse donnée à l'Eglise pour
sa consolation, c'est le Corps du Christ et Son précieux Sang.
offerts en sacrifice sur les Autels des Catholiques Le Corps.
le même qui est né de Marie, la vierge Immaculée, sans pré-

On prononce "Livre Brack".


2 Dr
Pétrie, un des plus célèbres critiques pour les dates de^
anciens M. S. dit que le “ Leabhar Breac" est le plus ancien et le
de
plus correct manuscrit Irlandais qui existe, relatif à l'Histoire
l'Eglise.
CHOSES D'iBLANDE.

itidice de sa virginité, ni de l'intégrité de ses entrailles, sans


1s présence de l'autre sexe, et qui est ressuscité d'entre les
morts le troisième jour, est assis à la droite de Dieu le Père
an Ciel,' en gloire et dignité devant les Anges du Ciel. C'est
1.0 Corps, le même qui jouit de cette grande gloire, que les
1
J.istes reçoivent à la table du Bon Dieu, soit le Saint Autel.»
Outre ces témoignages clairs et convaincants en faveur
de la doctrine de l'ancienne Eglise Irlandaise on pourrait
tn tirer beaucoup d'autres du «Missel de Bobbio» et du
(f.Missel de Stowe» 2 Sur ce dernier, feu Mgr. Mac Carthy,
Cvêque de Cloyne (S. O. de l'Irlande) a publié des
estraits très érudits qui viendraient fort à propos à l'appui
Je notre thèse. D'autres sources également anciennes re-
latent a) que l'abstinence était requise comme prédispo-
sition pour recevoir dignement la S. Eucharistie, b) qu'on
conservait la Sainte Réserve dans les Eglises, les Monas-
tères et les Couvents pour administrer la Communion
aux malades, c) que les cierges, les vêtements et les
vases sacrés, comme aussi le pain sans levain et le vin
mélangé d'un peu d'eau étaient toujours les accessoires
indispensables du saint Sacrifice. Nous pourrions citer
nombre de passages pour démontrer clairement la croyance
de nos ancêtres dans l'efficacité de la Messe comme
sacrifice d'adoration, d'action de grâces, de propitiation
et d'impétration, et comme une offrande d'expiation pour
les vivants et les morts. Celles que nous avons données
suffiront, pour démontrer la conformité de la foi de
l'Eglise d'Irlande du XXe siècle avec celle du VIe sur la
Présence réelle, l'efficacité de la Sainte Messe, la récep-
tion du corps de Notre Seigneur. Laits Deo semper, Qui
fidem nobis tradidit, et immutabilem conservavit.
Mais on se demandera avec raison quel rapport il y
a entre la croyance primitive de l'Eglise d'Irlande et le
Congrès Eucharistique de Cologne.

1 O'Kelly, de Sacrif. Missae, Maynutii.


John Stowe (pron. Stô) antiquaire, né à Londres 1 5a5.
Revue. Avril 1910. 16
CHOSlîslVlKLAMVh.

La réponse à cette question a déjà été donnée en


partie, mais il reste encore quelque chose à dire. Lc-
relations de l'Irlande avec le Continent de l'Europe, dè^
les âges primitifs constituent un des chapitres les plus
brillants et les plus édifiants de l'histoire d'Irlande. !>_
tout temps cette île a été un pays Apostolique, et pen-
dant que ses fils tenaient bien haut chez eux le flambeau
de l'éducation et attiraient beaucoup d'écoliers de distinc-
tion du dehors, elle envoyait ses missionnaires porter la
lumière de l'Evangile et les avantages d'une civilisation
chrétienne chez piesque tous les peuples du Continent
de l'Europe. Le nom des anciens Missionnaires Irlandais
est «Légion» leurs travaux apostoliques et la saintete
de leur vie ont entouré d'une auréole de gloire la civili-
sation primitive des nations de l'Europe, la base des
grandes organisations sociales et politiques qui ont ac-
compagné partout la propagation de l'Evangile, et sub-
sistent encore de nos jours.
Columba se rendit à lona et devint l'apôtre de,
Pictes et des Ecossais du nord de l'Angleterre. Les
moines d'Iona fondèrent le célèbre monastère de Lindis-
farne, surnommé «l'Ile Sainte», sur la côte de Northum-
berland, dont les quatres premiers abbés furent des
moines Irlandais. St. Columban fonda le monastère de
Luxeuil, la gloire de la Gaule Lyonnaise, et Bobbio, le
berceau de la vie monastique de l'Italie.
Bobbio a donné à la Suisse Saint Gall, qui a trans-
mis son nom au pays qu'il a évangélisé et qui même
après le schisme Calviniste est resté fier de ce glorieux
nom Irlandais, comme en font foi la ville, le canton et
le monastère de Saint Gall.
Dans la vallée du Rhin, de Bâle à Cologne, les
mbines Irlandais avaient partout créé des fondations, d'où
ils rayonnaient tout a l'entour, pour ne nommer que les
principaux: Saint Florent, Evêque de Strasbourg, et les
fondations de Haslach et de Saint Thomas à Strasbourg
même, d'où les missionnaires Irlandais évangélisaient tout
le pays. En France nous avons Saint Fiacre de Meaux,
CHOSES DIKLANDE.

dnnt le tombeau devint si populaire, que son nom reste


jamais attaché à la voiture, alors en usage, pour y
conduire les pèlerins; c'est toujours le fiacre. Puis Saint
Hirsé et ses deux frères Saint Trillien et Saint Altan,
Ils apôtres de la province de SurFolk en Angleterre, qui
sr rendirent à Paris et firent de Lagny leur centre d'opé-
rations; Saint Killian, l'apôtre de la Franconie, mort
martyr de la foi à Würtzburg; Saint Livinus, archevêque
d'Armagh (Irlande) qui est allé évangéliser le pays de
Flandres avec Saint Rumold, évêque et martyr. Aucune
distance n'arrêtait ces vaillants soldats du Christ, témoin
Saint Cataldus à Tarente, Saint Donat, évêque de
Lecca dans le Royaume de Naples Saint Virgilius à
Salzburg en Autriche, où il porte le nom de «Géomètre»
Saint Fridolin, en Thuringe, surnommé le «voyageur»,
et Saint Sedulius qui a illustré la Gaule, l'Italie et l'Es-
pagne. Et si nous les comptons tous d'après l'Historio-
graphe Dr Haverty, nous trouverons i5o Saints Irlandais
en Allemagne, dont 36 martyrs 45 en France, dont 6
martyrs; 3o en Belgique; 44 en Angleterre; 13 en Italie,
et 8, tous martyrs, en Norvège et Islande, et nous aurons
une idée de l'Irlande à l'étranger.
Et, rappelons ici, à la gloire de tous ces saints
moines, et pour l'édification de ces pauvres ignorants,
qui, nous l'avons mentionné plus haut, prétendent que
l'Irlande n'est devenue catholique que sous Henri II,
ioi d'Angleterre, de Normandie (sa patrie) et d'Anjou,
au commencement du XIIe siècle, et que les Irlandais
nomment à bon droit le premier roi anticlérical, rappe-
lons que tous ces missionnaires prêchaient dans leurs
pays d'adoption les doctrines qu'ils avaient apprises dans
leurs écoles en Irlande, entr'autres la doctrine et les
dogmes, que Jésus-Christ est réellement et vraiment
présent dans le T. S. Sacrement de l'Autel, et qu'il est
offert en sacrifice d'adoration, de propitiation, d'action
de grâce et d'expiation à la Sainte Messe, à la gloire de
son père céleste et le salut des vivants et des morts.
Si donc l'Europe catholique s'est trouvée réunie à
CHOSES D'IRLANDE.

l'ombre de la splendide cathédrale de Cologne, pou;


rendre hommage à ces augustes mystères en union avec
les représentants des pays d'au-delà de l'océan, chantant
et priant tous à l'unisson, n'est-il pas juste de rappele,
ici, en cette occasion unique, combien l'Europe, sinon
le monde catholique tout entier est redevable à «l'île des
Saints et des Savants»? Aussi, les fidèles qui entouraient
au Congrès le trône eucharistique, n'étaient pas seulement
ceux que nous voyions de nos yeux, mais il y avait encore
les âmes des missionnaires, enfants d'Irlande, qui planaient
au-dessus de Cologne pour offrir leurs sentiments ave;
ceux des congressistes au Sauveur du monde, caché sou~
les voiles du T. S. Sacrement de l'Autel. Ajoutons, comme
point final, la traduction d'une ancienne Hymne Celtique.
simple et sublime à la fois
Nous vous oEfrons
Toutes les fleurs qui ont jamais poussé
Tous les oiseaux qui ont jamais volé
Tous les vents qui ont jamais soufflé
0 Dieu de Bonté
Tous les tonnerres qui grondent
Toutes les cloches qui sonnent
Toutes les feuilles et gazons
aLaudamus te n

Nous vous offrons


Toutes les ondes qui ont jamais roulé
Tous les cœurs qui t'ont jamais aimé,
A vous le Bien-Aimé du Père
0 Bon Jésus
Tous les torrents qui se précipitent,
Tous les éclairs qui éclatent,
Comme le glaive d'un ange.
« Benedicimus te. <

Nous vous offrons


Tous les nuages du firmament
Qui, se brisant, ont fondu en larmes
Et dormant comme la fleur fanée
Vive Notre Roi:
CHOSES D'IRLANDE.

Tous les cœurs purs qui prient,


Tous les Anges qui montent la garde
Et chantent autour de votre trône
« Adoramus te. w

Nous vous offrons


Tous les flocons de la blanche neige
Toutes les sources qui arrosent la plaine;
Toutes les joies et peines du cœur humain
0 Notre Amour
0 Notre Seigneur dans toute la gloire,
Victorieux de la mort éternelle,
Sur votre trône au ciel
aGlorificamus te »

Recevez tout, o Seigneur Bien Aimé,


Dans la sainte Eucharistie aimée adorée.
Multipliez une et toutes nos offrandes
Multipliez les des millions de fois
En gracieux millions
En somptueux millions
En millions d'or amné
De glorias glorieux Fils
Alors, Bien-Aimé Seigneur, entendez,
Là, où nos tabernacles étincellent,
Entendez nos louanges, Vous le Très-Saint
«Deus Eucharistice! Amen »

J. M. EBENRECHT, C. S. SP.
Blackrock College Irlande.
REVUE DU MOIS.

En Angleterre nous ne voulons pas proposer cela comme


modèle à suivre un contribuable brûlerait la cervelle, impune-
ment, à un huissier qui essayerait de lui faire une saisie pour un
paiement d'impôts avant le vote du budget. Nous sommes en Alsace,
plus moutonniers que les fils d'Albion, et depuis le f' Avril, nous
payons nos contributions, alors que le budget était encore en troi-
sième lecture, sans que le Landesausschuss, ni le gouvernement
eussent mcme daigne voter des douzièmes provisoires. Et cette
troisième lecture s'est faite sans se presser: au Reichstag poui un
budget de deux. a trois milliards elle a été achevée en une seance,
nos honorables de Strasbourg ont pris leur temps, comme le lie\re
de Lafontaine. Une digression de deux ou trois séances nous a
donné une nouvelle édition, revue et considérablement augmentée,
du procès Gneisse-WetterIë, à l'encontre du vieil adage, que le
condamné n'a que vingt-quatre heures pour maudire ses juges
C'était bon à l'époque où l'on représentait la Justice avec un ban-
deau sur les yeux; mais l'art moderne a changé tout cela, et ceu\qm
ont toléré au fronton du pretoire de la capitale une Themis dL-
pourvue du symbole de l'impartialité devraient être les dernier'. J
s'étonner qu'on la fasse descendre du siège où elle trône pou) !a
faire asseoir sur la vulgaire sellette d'un Parlement et l'accuser d'ac-
ception de personnes.
Les comptes-rendus stenographiques du Landesausschuss t~
sont pas encore sous nos yeux, et nous nous défions un peu de,
comptes-rendus analytiques de la presse nous nous tenons donc
sur la réserve vis-à-vis des conclusions qu'amis et adversaires Je
M. Wetterle ont tirées de ces debats si mouvementés. Mais à tt'ez
entre les lignes de I'~4r~t'<e?y?'eMN~, un journal certainement dé-
pourvu de passion, il semble bien que les révélations de l'enquête
indiquent que le milieu où s'est déroulé ce drame judiciaire n'est
pas aussi calme qu'il serait à souhaiter. Assurement, ceux qui ont
fait cette charge à fond de train contre quelques magistrats n'ont
REVUE DU MOIS

les accuser d'avoir jugé contre le dictam en actuel de


~s voulu
!jur conscience; mais il y a conscience et conscience, et M. de
j\!lach comme M. Petri en déclarant qu'ils auraient jugé autrement,
.jnt avoué implicitement qu'tl y a beaucoup de subjectif isme dans
cette sentence du tlibunal. Cet aveu prouve aussi que les magistrats
Colmar, comme d'Aguesseau, pensent rendre des arrêts et non
ras des services: en tout cas, si service il a\ait dù y avoir, c'eût
~'té le plus mauvais service possible. Le gouvernement s'en serait
,.crtainement passé, et il demandera sans doute aux parquets d'être
j~rénavant beaucoup plus prudents pour les pouisuites d'oflice
~ntre la presse. Passe encore si les offenses au~ fonctionnaires
paient de la juridiction des cours d'assises: on auia)t au moins la
tvcsomption que la sentence répond au sentiment populaire mais
Jans notre pays où les passions politiques sont si violentes, les
dnisions si profondes, il faudrait y regarder à deux fois avant d'en-
tamer des procès de presse où les juges ont l'air d'eue en même
temps partie; et plus encore faudrait-il que l'on évitât toute espèce
de propos indiscrets pouvant faire suspecter l'intëgtitë d'hommes
qui doivent rester au-dessus de tout soupçon. On pretend toujours
que l'histoire est la grande école des hommes d'Etat: il ne semble
pas que nos ministres la frequentent assidûment, sinon ils sauraient
qu'un procès politique, qu'il se te) mine par un acquittement ou une
condamnation, est toujours perdu par le gou\ ornement. La Restau-
ration, la monarchie de Juillet, l'empire ont éte ecrasés sous les
succès de leurs procureurs a\ant de tomber sous les émeutes de la
re\ulution; et M. de Bulach devrait être le premier à se rappeler
que les Gambetta, les Ferrv, etc, seraient restés de petits avocats
de sous-préfecture, si des procès retentissants n'avaient pas trans-
fm me ces pygmees en grands hommes. En Allemagne aussi, la
toitune politique de tel parti, de tel publiciste, de tel orateur a de-
buté par un procès dont l'issue henttait de front, ]a conscience
populaue.

Aptès les insanités dont la presse chauvine régale ses lecteurs


depuis nombre d'années, nous sommes presque étonnés de ne pas )a
\oir dire que, sans les déboires de M. Gneisse, la récente visite de
Guillaume II nous aurait procure la surpuse de la concession de
l'autonomie, comme la visite de 1902 nous a\ait apporte celle de la
suppression de la dictature. Quel que soit l'abus que cette presse
fait de la crédulité de son public; elle n'a pas osé lui faire a\aler
cette bourde: chacun en eflet comprend que si un trait de plume
suffisait pour supprimer la dictature, il ne suffit pas en pratique
pour nous donner une constitution autonome. Nous disons en pra-
ttque, c'ir a vrai dire, la seule autonomie qui mériterait ce nom
consisterait a décreter que le peuple alsacien elira une Assemblée
Constituante chargee de décider et de la forme du gouvernement
BEVUE DU MOIS.

et de son organisation. Nul doute que dans ce cas, cette Const).


tuante ne fut républicaine; mais nous n'en sommes pas là. Nous r.c
ferons pas notre constitution nous-mêmes, et il faut nous résigner
a nous la recevoir octroyée par le bon plaisir du Bundesrat et du
Reichstag. Or dans ces conditions une dynastie particulière à J'A'-
sace-Lorraine s'impose comme condition sine qua non de toute
autonomie impliquant l'égalité de droits avec les autres Etats con-
fedérés. Dire qu'on ne veut l'autonomie qu'avec la république, c'e<-t
dire qu'en pratique on ne la veut pas, et c'est faire le jeu de ceu\
qui ne veulent pas nous l'accorder, ou bien nous en donner une cm
nous aurons le nom sans la chose, Ja façade sans le bâtimen-
Transformer la Terre d'empire en Terre impériale, c'est coupe;
quelques fils d'araignée pour laisser subsister la chaîne qui nous
relie à Berlin. Il faut être volontairement naif pour s'imaginer que,
si l'empereur devient souverain proprement dit de l'A)sace-Lorra)nc
le siège du gouvernement sera à Strasbourg et non pas à Berlin,
que le ministère d'Alsace-Lorraine cessera d'être un simple depar-
tement du ministère prussien, que nos hommes d'Etat ne tremble-
ront plus devant les dénonciations portées à Berlin par la presse
pangermanistes et les ambitieux du pays, que les frontières de la
Terre impériale seront fermées à l'immigration de fonctionnaires
étrangers. Cette Terre impériale, au lieu d'être une colonie alle-
mande, sera une colonie exclusivement prussienne; nous ne voyons s
pas ce que nous aurons gagné au change; car il faut être d'un
optimisme robuste pour s'imaginer que le même homme fera i
Berlin de la politique réactionnaire, comme roi de Prusse, et
de la politique libérale à Strasbourg, comme empereur inde-
pendant du Bundesrat et du Reichstag. Cette combinaison nous
donne la monarchie et la dynastie avec tous ses inconvénients et
sans aucun des avantages que comporterait un gouvernement vraiment
souverain à Strasbourg. Du reste république n'est pas synonyme
de liberté, pas plus que monarchie n'est synonyme de tyrannie. A
côté de la Russie absolutiste, il y a l'Angleterre, la Belgique et la
Hollande libérales, comme à côté de la Suisse et de l'Amérique, ti
y a la France plus césarienne sous M. Fallières que sous n'importe
quel monarque. La Belgique prouve aussi qu'une dynastie qui n'avatt
pas de racines dans la nation peut en deux générations en jeter de
très profondes et si ce petit pays a pu conquerir son autonomie
au prix de son sang, nous ne méritons pas la nôtre si nous ne
sommes pas capables d'un sacrifice pecuniaire dans les frais duquel
le pays rentrerait. Quoi qu'il en soit les démocrates du meilleur
teint du Reichstag, comme M. Haussmann, ne comprennent rien :t
ce doctrinarisme intransigeant de quelques hommes qui, en attendant
qu'on leur donne la lune, préfèrent le servage prussien à une liberté
alsacienne, véritable, mais dépourvue de l'étiquette de leur choix.
REVUE DU MOIS.

Ceux qui ont cru c'était à peu près tout le monde que
le programme du Reichstag serait peu chargé avant la session
automne se sont trompés du tout au tout. Coup sur coup, le gou-
~.nement a déposé, peu de semaines avant Pâques, plusieurs projets
j~ toi sur le vote desquels il insiste avant de consentir à une pro-
m~ation jusqu'en octobre. Tel député espérait pouvoir boucler ses
nettes dans les derniers jours d'avril qui trime encore comme un
forçât, quelquefois dans plusieurs commissions. Jamais le travail
n a été aussi intense que dans ces derniers temps on siège de
(; h. du matin à t h., pour recommencer à 6 h. et finir à n. La
commission des pétitions est débordée par les requêtes les plus
déparâtes, depuis la vieille fille qui voit partout des galants et de-
mande à être internée aux frais de l'empire dans un hospice pour
échapper aux regards indiscrets des marcheurs, jusqu'à l'inventeur
d'une méthode nouvelle pour fabriquer la bière qui réclame ySoooo
marcs d'indemnité, parce que les nouvelles lois rendent son brevet
Illusoire, sans compter les multiples projets de percée des Vosges
qui échouent à Berlin comme à Paris devant des motifs qui ne sont
pas les vrais. A Berlin en effet on manque d'argent et a Paris, le
manque d'argent se complique de la crainte de desobliger quelques
députes en donnant la préférence à un arrondissement sur un auue.
a commission du budget se débat contre toute une arrière-garde
de crédits supplémentaires, et de projets de dépenses nouvelles.
Elle devrait trouver une vingtaine de millions pour donner une
maigre pension aux plus necessiteux des combattants de 1866 et
/o, et elle a l'embarras du choix, mais un embarras très réel entre
Ji\ moyens les uns moins pratiques que les autres. Les socialistes
proposent un impôt additionnel à l'impôt sur la plus-value des
immeubles les démocrates, la suppression du privilège des bouil-
)eu;s de crû, de la fameuse Liebesgabe, comme il s'est appelé;
d'autres, l'impôt sur les dispensés du service militaire, dont les par-
tisans eux-mêmes ne savent pas trop bien quelle extension il faudra
lui donner. Les logiciens à outrance vont jusqu'à prétendre qu'il
faudra imposer le père de famille privé de progéniture masculine,
a quoi d'aucuns répondent que plus d'un père de famille préférerait
entretenir sept garçons a la caserne que de trouver à sept filles un
tiancé et de les pourvoir d'une dot. Il faut hélas 1 constater que le
gouvernement se tient sur cette question dans une passivité regret-
'able; on aimerait à voir plus de zèle pour ceux qui ont aidé à
fonder l'empire. Compte-t-il peut-être sur la mort, qui fait tous les
'urs des fauchées plus larges parmi les vétérans, pour le débarrasser
lu souci d'adoucir un peu leurs derniers Nous lui faisons
jours.
honneur de croire qu'il ne partage pas la belle théorie que la
n~trassb. Post" a développée à propos des droits de l'Alsace-Lorraine,
'fue l'empire ne leur doit rien parce qu'il n'a pas passé de conven-
REVUE UU MOIS.

Mon avec eux et qu'ils ne sont pas en état de revendiquer les arn~
à la main l'objet de leurs requêtes.
Une grosse question à régler, c'est la liquidation des frais de
guerre dans l'Afrique occidentale; comme de juste, un assez g)ar,~
nombre de députés voudraient en imposer une partie, sous u~e
forme ou sous une autre, aux colons eux-mêmes, notamment
aux grandes sociétés qui s'y sont enrichies. Mais toucher a<
capitalistes, c'est blesser la prunelle des veux du gouvernement
de ses amis les nationaux libéraux et les démocrates. C'est
surtout à M. Erzberger, le jeune et actif député du Centre, qu'us
en veulent, même la A~ Fb/A-~c;~)!~ s'est mis de la partie poi.r
le morigéner comme un simple Wetterlé. Cette mercuriale, don
M. Erzberger se soucie du reste comme une carpe d'une pomme.
laisse supposer que les gens qui sont derrière la feuille de Cologne
tripotent de nouveau dans les coulisses quelques combinaisons oue
troublent les allures indépendantes du jeune député wurtembereeni~
dont on ne peut qu'admirer les connaissances vraiment encyclo-
pédiques.
En tout cas, ce n'est pas M. Erzberger qui est cause du nu'j-
veau coup que le chancelier vient de porter au Centre dans la d)s-
'cussion de la loi électorale prussienne. M. de Bethmann-Hollweg ne
veut pas recevoir cette loi d'une majorité constituee par les conse!-
vateurs et le Centre; il a la nostalgie de l'ancien bloc, et il a hûu-
tenu, sinon provoqué, à la Chambre des Seigneurs, des amendement
qui peuvent lui amener les voix des nationaux-libéraux, mais qui rend<U t
la loi inacceptable au Centre. Le tiercement, c'est-à-dire la division
des contribuables en trois classes, se ferait dans la circonscription
entière et non plus dans les sections, ce qui enlèverait à la troisième
classe toute possibilite de faire passer un candidat. Le Centre, qu'.
a ses électeurs surtout dans les classes populaires, se trouve pat
cette mesure très sérieusement menace dans un grand nombre de
ses positions. Il en est de même de l'adjonction des soi-disant,
capacités: faire passer quelqu'un d'une classe dans une classe supL-
rieure, par exemple parce qu'il a été sous-officier, ce n'est plus le ic'-
gime capacitaire, ce n'en est que la caricature. Du reste le régin)L
capacitaire est lui-même un non-sens, car la valeur civique d'un
homme, provient de ses capacités morales, et non pas de ses qualité
intellectuelles ou de ses ressources financières. Un paysan qui n a
qu'un lopin de terre, mais qui est sobre, travailleur, économe e~.t
pour la société un appui autrement solide qu'un fils à papa joui~
seur, qu'un docteur en incrédulité, ou un inventeur diplômé d'explosif
dont il pourvoira des bandes anarchistes. Quoi qu'il en soit, nom
féliciterions le Centre si ce projet de loi devait echouer: les prog"
que, même amendé, ce projet contenait, étaient si minimes, qu'ils
ne compensaient pas l'impopularité qui en résultait pour ceux qui 1s
REVUE DU MOIS.

Etaient: le peuple en effet espérait davantage. L'étape en avant


ntl'it marque, est si imperceptible, qu'elle ressemble à un piétinement
sur place à la veille des élections et au lendemain du vote de tant
de lourds impôts, le Centre a tout lieu d'y rénechir à deux fois
avant d'aller au-devant d'un gouvernement, qui n'accepte sa colla-
boration que pour des projets de loi odieux aux électeurs. Ce côté
dune question exclusivement prussienne intéresse le Centre dans
t'AHemagne toute entière: car dans les élections prochaines au
Reichstag le bloc des gauches usera et abusera des actes du Centre
:< la Diète de Prusse pour représenter le Centre tout entier comme
l'ennemi du suffrage universel. Cette tactique sera doublement mal-
honnête, d'abord parce que le Centre au Reichstag ne se solidarise
point avec le Centre de la Diète, et en second lieu parce que ce
Centre n'avait pas à se prononcer sur le suffrage universel, impos-
sible à obtenir, mais a modifier une proposition détestable du gou-
vernement de façon à la rendre moins mauvaise.
En Angleterre, le ministère a obtenu le vote du budget, grâce
à l'appui des Irlandais, et la Chambre des Lords a cessé son oppo-
smon sur ce point. La crise n'est point terminée pour cela. Les
Communes ont adopté à 100 voix de majorité les trois résolutions
proposées par M. Asquith, supptimant le droit de veto des lords
pour tous les bills financiers, et donnant force de loi à toute décision
des Communes, même repoussée par les pairs, après trois votes
successifs. “[ a ~o)onte du pays, disait le président du Conseil, est
formelle sur la réforme de la Chambre des Lords, nos résolutions
doivent devenir lois." Seulement \oiià la difficulté: un bill ne de-
\lent loi qu'avec le consentement des lords 1 Consentiront-ils à leur
déchéance? ce n'est pas probable. Ils sont de taille à se défendre
et assez avisés pour etudier eux-mêmes une réforme indispensable.
M. Asquith a donc prevu la resistance et les moyens pour la rompre.
Si les lords ne se soumettent pas, ie ministre proposera à la cou-
ronne de nommer une fournee de pairs libéraux suffisante pour de-
placer la majorité. M. Asquith a prévu aussi le refus du roi de se
prêter à cette combinaison, dans ce cas le ministère démissionnera
ou proposera la dissolution, mais il ne dissoudra le Parlement que
s'il est sûr du succès. L'Angleterre aurait alors à se proposer sur une
des questions constitutionnelles les plus vitales la chambre des pairs,
ou sera-t-elle rabaissée au niveau d'une première Chambie, élue par
un suffrage à mailles d'un numero plus étroit que la Chambre des
Communes, ou bien restera-t-elle après quelques modifications néces-
saires le symbole vivant de cette tradition qui a fait la force du
peuple britannique?
Si les élections angtaises sont pioches, celles de France sont
passées et les ballotages ne changeront pas grand'chose à la phy-
sionomie de la nouvelle Chambre qui ressemble beaucoup à l'an-
cienne. 35/ candidats sont sortis au premier tour et 232 sont encore
REVUE DU MOIS.

en ballotage. Le calme, avec lequel elles se sont faites, présagent


qu'il ne passait pas sur le pays un de ces souffles qui régëner~.n
une assemblée, qui donnent au gouvernement une orientation nr.u.
velle. Ni la campagne de mépris contre les Quinze-Mille, ni .s
manifestes épiscopaux sur la crise religieuse, ni la peur de l'inqL.)-
sition fiscale de l'impôt sur le revenu, ni le scandale des liquidation,
n'ont eu prise sur l'inertie de la masse électorale. ,,H ne pouvs~
pas, dit la ~'c~'M&/t~Me/)-~M~ sortir des urnes une pensée ph~s
claire, parce que les électeurs ont été appelés à voter sur des puj-
grammes obscurs. Les étiquettes ne repondaient pas aux idées dé-
veloppées dans les professions de foi des candidats. Tel qui s'offrait
comme radical-socialiste promettait la liberté de l'enseignemeat,
lâchait l'impôt sur le revenu et ne se distinguait plus par rien que
par le titre de son concurrent libéral. Tel autre affirmant sa fo
patriotique se parait du nom de socialiste. De cette confusion cLs
idées et des étiquettes, il ne pouvait sortir que des résultats confLu.
Cependant quelques têtes bien connues et qui ne pouvaient décem-
ment se grimer sans être reconnues, émergeaient du chaos; celle--
là ont été particulièrement visées et mises à mal. M. Dubief, le pré-
sident du groupe radical socialiste est hors de combat; M. Brisson,
le president de la Chambre, aura de la peine à sunivre; M. Chau-
tard, à Paris, peut être considéré comme perdu. Le parti radica'-
socialiste a reçu des coups terribles. H semble qu'il est le grand
vaincu. Paris a marqué une répulsion plus vive pour la politique
radicale. Marseille est à demi reconquis par les hommes d'ordre,
Lyon a repoussé les candidats portant l'apostille de la préfecture
Rouen est regagné par les modérés. Les grands mouvements de
l'opinion ont toujours commence par les grandes cités; les cam-
pagnes viennent ensuite au secours de la victoire. On peut déjà
affirmer que les grandes villes ont condamne la politique de tracas-
serie contre les citoyens et d'abandon à l'égard des ennemis de
l'ordre. Cependant les socialistes unifies ont gagné des sièges; ils
ont manifestement reçu le concours des victimes exaspérées des lois
de persécution." II semble en effet certain que, dans beaucoup de
circonscriptions, les catholiques ont de nouveau pratiqué la politique
du pire pour arriver plus sûrement à l'ère de l'ordre et de la liberté
C'est une politique très facile qui dispense de toute réflexion, de
tout programme, de toute organisation, de tout le travail et de toute
les luttes que suppose la victoire électorale dans notre monde mo-
derne c'est une politique anticatholique, criminelle et maudite parce
qu'elle est un des plus grands crimes, la tentation de Dieu, qui
attend et réclame le miracle, là où les moyens ordinaires de la
nature et de la gràce doivent faire l'oeuvre de la Providence.
H faut constater aussi le succès des partisans de la représen-
tation proportionnelle aura-t-elle aussi le même succès à la Chambre? '?
c'est duuteu~. Une assemblée ne condamne pas facilement le mode
RE~UEDUMOtS.

,le scrutin d'après lequel elle a éte elue; elle ne crée pas facilement
.jn~ loi dont la première conséquence est la dissolution. On se con-
t~n:era d'instituer une commission qui ne déposera jamais son rap-
lequel d'ailleurs concluera qu'il faut abandonner cette rëfotme
nr't
a :a Chambre suivante. H n'est pas impossible qu'on fasse de même
l'impôt sur le revenu et pour la mise en vigueur de la loi sur
pour
)~ pensions ouvrières.
Le grand triomphateur de la journée est incontestablement
M Briand, et M. Briand serait un libéral tout à fait idéal, si la
un bon répu-
m~snon posée par lut à quoi reconnaître désormais
blicain? n'avait pas reçu la réponse que ,,le vrai républicain est
ce~'i qui tout en souhaitant de nouveaux progrès, ne renie rien
d".as l'ceuvre de laïcité accomplie pendant ces dix dernieres années;
c'~t celui qui la revendique, cette œuvre, et entend la defendre et-
jj maintenir." C'est la contradiction flagrante des tirades qu'il
ja'sait dans ce même discours de Saint-Chamond sur ,,1'apaisement,
)a liberté, la justice", en affirmant que ,,Ia République n'est la pro-
pneté d'aucune secte, qu'elle n'appartient pas à des catégories d'in-
dr tdus qui auraient le droit de s'en emparer pour la mettre à leur
sctvice exclusif. Si ce discours devait être le programme sincère
de la législature qui va s'ouvrir, on ne pourrait abstraction faite
dd côté religieux et scolaire qu'en approuver un grand nombre
de points. Il veut reconnaître aux syndicats ouvriers la personnalité
c~ile, mais il exige aussi d'eux la fidélité aux conventions passées
a\ec les patrons. Il promet aussi de s'atteler sérieusement à la ré-
forme électorale, quoique ses collaborateurs ministériels ne soient
pas complètement d'accord sur son étendue. M. Ruau, le ministre
d; l'agriculture, déclarait dans la Haute Garonne "Je voterai peut-
être le scrutin de liste, mais je me déclare l'adversaire de la pro-
portionnelle", tandis que M. Millerand disait dans sa profession de
foi que ,l'adoption du scrutin de liste et de la représentation pre-
portionnelle honorera la prochaine législature". M. Briand rêve
m~me des groupements régionaux, qui seraient comme la résurrection
de l'ancienne province.
Le fait est que la France serait bientôt régénérée, si elle
mettait en pratique les enseignements du discours que M. Roosevelt
a prononcé à la Sorbonne. Ce discours nous a réconcilié avec
ancien président de la grande République américaine: il nous
donnait sur les nerfs, moins encore pour sa manie de s'exhiber à
toutes les cours que pour les allures byzantines des souverains et
des foules qui l'acclamaient. Ce discours est de tout point admirable:
contient du républicain une tout autre definition que celle de
Briand et le code de morale qu'il proclame pour la prospérité
~'nne république est aux antipodes des principes en honneur dans
France moderne, républicaine ou monarchiste. ,,Dans une répu-
~'que, le succès ou l'échec résultera, à la longue, de la manière
RKVUEDUMOIS.

dont l'homme ordinaire, la femme ordinaire, remplissent leur


devoir
d'abord dans les affaires quotidiennes et habituelles de la
puis à l'heure de ces grandes crises réclamant le concours de vertus
héroïques. Les chefs proviendront naturellement des classes cul-
tivées moyennant que ces classes possèdent le don de sympathie
avec le peuple et le dénouement à un idéal supérieur. Mais que
l'homme de savoir se melie de la piètre tentation de prendre ifc
autres et devant lui-même, l'attitude cynique d'homme qui s'est
elevé au-dessus des croyances, et pour qui le bien et le mal sout
un. La pire manière d'envisager la vie est de l'envisager la raillerie
aux lèvres. Ce n'est pas le critique qui compte ce n'est pas l'in-
dividu qui montre comment l'homme fort a fait un faux pas ou
comment l'auteur d'actions aurait pu mieux les faire. Le crédit
appartient à l'homme qui est descendu de sa personne dans l'arene,
dont le visage est sali de poussière, de sueur et de sang. sa place
ne sera jamais à côté de ces êtres timides et glacés qui ne con-
naissent jamais ni victoire ni défaite. Honte à l'homme cultive qui
laisse le raffinement produire chez lui un dédain le rendant im-
propre aux rudes travaux de notre monde laborieux.. La maîtrise
de soi-même, le pouvoir de se contraindre, le sens commun, la
faculté d'accepter la responsabilité individuelle et cependant d'agir
en union avec les autres, voilà les qualités auxquelles se reconnaît
un maitre peuple.
,,H est des philosophes qui déclament sur l'iniquité de la
guerre. Ils ont raison, pourvu que ce soit sur l'iniquité qu'ils in-
sistent. La guerre est une chose horrible, et une guerre injuste est
un crime contre l'humanité. Mais c'est un tel crime parce qu'elle
est injuste, non parce que c'est la guerre. La question ne don
pas être simplement va-t-il y avoir la paix ou la guerre ? elle doit
être: le bon droit doit-il prévaloir? Et la réponse d'un peuple
viril sera: oui quel que soit le risque. Enfin, de plus grande im-
portance que la capacité pour le travail, pour combattre s'il le faut,
est pour toute nation de se souvenir que nul avantage n'est com-
parable pour elle à celui de laisser des héritiers de son sang pour
occuper sa terre. C'était la bénédiction suprême aux temps bibliques
et ce l'est encore aujourd'hui. Le pire de tous les fléaux est la
stérilité, et les plus rigoureuses de toutes les condamnations doivent
poursuivre la stérilité volontaire. Si le manque d'enfants est dû à
des fautes calculées et volontaires, ce n'est plus un simple malheur,
c'est un de ces crimes d'amollissement, d'égoisme, de la crainte de la
peine, de l'effort et du risque, qu'à la longue la nature punit plus
durement qu'aucun autre. Nul raffinement de vie, nulle délica
tesse de goûts, nul sordide entassement de richesses, nul enchante-
ment des arts et des lettres, ne peut, à aucun égard, compenser la

perte des grandes vertus fondamentales, et de ces vertus fondamen-


tales la plus grande est le pouvoir chez la race de se perpétuer.
KJ{ VUE ])U MOIS.

Mme de Sévigné disait de Bourdaloue que du haut de la chaire


,l ijappait comme un aveugle: on peut dire la même chose du dis-
~0) rs de M. Roosevelt qui n'eût pas ctë déplacé dans la chaire de
je Notre-Dame. Je me demande quelle tête ont dû faire tous ces
snubs et snobinettes pour qui l'ideal de la vie est le roman à la
muJe ou la pièce de théâtre en vogue, pour qui le sport n'est pas
un moyen pour devenir forts mais pour tuer le temps, ces savants
tn~es-penseurs qui s'amusent à detruire les croyances dans l'âme
ces capitalistes qui ne vivent que pour eux-mêmes et
populaire,
posent leur temps à crier contre les prétentions de la canaille
ou\nere, ces femmes qui regardent la maternité comme une op-
probte, ces propriétaires qui n'admettent plus que des locataires
sdM enfants. M ne faudrait pas que M. Roosevelt récidivât souvent
a Pans avec de pareils discours, il auran bientôt perdu sa popularité
dans ce monde de jouisseurs, d'intellectuels, de malthusiens et de
pacifistes à outrance.
~N. DELSOR.
BIBLIOGRAPHIE.

Revue Alsacienne Illustrée. 2e Fasc. Quelques Notes s n


.). Fr. Oberlin par Mme E. ~a?/:r<cA; 47 reprod. Joh. Fr. Obot.n
von L' ~aM~o-: 5 iiïustr. Bib)iograph)e-0her]in par 77. ~j;
Die Autonomie Els.-Lothr. von Ose. Miiller. L'Ecole Dentd-
lière du Val-de-Villé, par V. K.
Etudes. 5 Avril. Le Gouvernement de l'Eglise et les idées mo-
dernes. Le “ Messaie" de Rob. Browning. – L'Innocent III de
M. Ach. Luchan-e. – L'Aviation (fin).
xo Avril. L'Archéologie et l'Architecture rehg. moderne.
Kepler et l'intolerance protestante. Le Musée océanog. de Mo-
naco. Cambo et Chantecler, L'Innocent III de M. A. Luchaire.
Lettres inédites de Lamennais à Ventura.
Revue Bénédictine. 2 Fasc. Un traite inédit d'Arnobe le J.
Les lettres du pape Libère. Un canoniste oublie du XIVe siècle.
Henri de Vienne.
Revue hebdomadaire. 3o Avril. Cochin Anagni et les Papes
de la Campagne. ~c~e MoM/ut: Force et faiblesse de la Jeune
Turquie. A. Lichtenberger: Le petit roi. Funk-Brentano.
L'Eglise de France et la Révolution. H. 'Bordeaux: La Vie au
Theâtre.
S. Delahache. ~4~Jcc-Z.orra:H~ La Carte au liseré vert. 2e edt-
tion. 23 p. in-j2. Paris, Hachette. 3,5o fr.
La Sainte Vierge. 3o méditations par l'Abbé Feige. 244?. in-16.
Paris, Téqui. igio. 2 frs.

N. jD.E'L.~0~, rédacteur responsable.

Strasbourg. Typ. F. X. Le Roux & Cte.


LA COMETE.

Elle a passé, portant sa trame et sa cocarde,


Attristant les soleils de sa lueur blafarde,
Sans nous avoir donné son gaz et sa nasarde.

En hâte elle a serré son voile de brouillards


Pour bien longtemps sous les lazzis et les brocards
D'un peuple de trembleurs, de badauds, de jobards 1

Ce n'était que cela Fi donc Quelle mazette


A peine a-t-elle su, la chétive pauvrette,
Chatouiller d'un frisson notre pauvre planète –

Il leur fallait, sans doute, un duel dans les airs,


Au grondement du tonnerre, au feu des éclairs,
Au son de l'ouragan, au cliquetis des fers.

Car l'homme, partout, est en quête de fantôme.


Lorsque son rêve rate et que son cœur en chôme,
II regarde, tout haletant, son astronome.

Mais toutefois, inconséquent, lorsqu'il s'endort


Il craint, en sa terreur, de se. réveiller mort.
Ah le triste destin Oh le funeste sort

Et l'alerte fut vive, et l'attente anxieuse


Savait-on en ses flancs ce que portait la gueuse ?
Ce que sous ses pas sèmerait cette coureuse
Revue. Mai 1910. t7
LA COMÈTE.

Mais le ciel a repris son aspect rassurant.


Au salut radieux de son clair firmament
L'œil ne découvre plus l'astre si menaçant.

Elle a donc disparu. Mais quelle rose aurore


Son crépuscule éteint nous fera-t-il éclore?
Quelle grappe de choix sous le soleil se dore?

Verrons-nous pétiller la coupe de cristal?


Et pourrons-nous porter un .Pro~ amical
A l'espoir retrouvé d'un nouvel idéal?r

Qu'importe, puisqu'elle a pris, sans heurt ni dommag ")


Sa route, prestement, vers de nouveaux rivages.
Bon voyage, Madame, et veillez aux bagages'

J. PH. RiEHL.
NOTES HISTORIQUES SUR UÈPVRE
ET ALLEMAND-ROMBACH.

AVANT-PROPOS. ·
On peut dire que nous assistons dans tous les pays à une
renaissance des études historiques, à une étude approfondie du
passé, de ses mœurs, de sa situation politique, économique et so-
ciale. Les archives sont fouillées avec soin et l'investigateur conscien-
cieux sait en dépouiller tout ce qui favorise ses recherches.
L'Alsace n'est pas restée en arrière dans ce travail d'érudition.
Quoi de plus doux, en effet, pour un homme bien né de faire aimer
davantage sa petite patrie, en racontant les événements des temps
passés, qui ne furent pas sans gloire. Montalembert a dit ,S'il y
a quelque part une forêt touffue, une onde pure, une cime majes-
tueuse, on peut être sûr que la religion y a laissé son empreinte
par la main des moines." Cela est également vrai pour le Val de
Lièpvre. Souvent, pendant mes excursions dans cette romantique
Ya!)ce, je me couchais sur la mousse à l'ombre d'un vieux chêne,
rêvant à la vie de prières et de labeur qu'ont menée les moines de
l'abbave de Saint-Fulrade, aux princes et même aux souverains qui
l'ont visitée, aux combats sanglants qui se livrèrent parfois dans ce
pa~s. Quels sont les gens qui ont une connaissance adéquate des
sites pittoresques qu'ils habitent? Connaissent-ils le sens des termes
qu'ils emploient Champ-le-Moine, Bois-l'Abbesse, Champ-le-Comte,
~ilemont? 7
Nous n'avons pas l'intention de faire l'histoire du Val de Lièpvre,
de l'abbaye de Saint-Fulrade. Plusieurs fins savants ont employé
r~r ce travail une érudition sincère et scrupuleuse, faisant revivre

Moines d'Occident, p. vx.


NOTES HISTORIQUES SUR LIÈPVBE

par l'imagination, tout en se servant des documents sérieux et d a


critique historique, le passé glorieux de ce pays. Citons ici
ouvrages de Grandidier, Laguille, Schoepflin, Degermann la dc-~a.
tion de Charlemagne au prieuré de Lièpvre du même Etat du ;e
porel de quelques paroisses situées en Alsace et autrefois dél ri-
dantes du duché de Lorraine; Grandidier: Lièpvre (Revue d~j
tS6~), Ingold: le prieuré de Lièpvre (Revue <'<!</<o/.18~7); du mc!n
les correspondants de Grandidier Kroeber: Diplôme de Lo:.h;re
pour le prieuré de Lièpvre 1868; du même Charte de saint Fulr'je
abbé de Saint-Denis (relig. au monastère de Lièpvre); Risler }<,s~
toire de la Vallée de Sainte-Marie-aux-Mines Rapp Saint Fulr '~e
!883 Dubruel Fulrade, abbé de Saint-Denis 1902, etc.
Même après des historiens aussi émments, il sera possible de
glaner encore dans le champ de l'Histoire et de livrer à la postcnte
des détails de moindre importance, négligés par eux, mais uj-
ressants pour les spécialistes et les amateurs de faits divers.
Notre modeste travail se bornera à relater quelques fait, se
rapportant notamment à Lièpvre et à l'Allemand-Rombach, où nous
avons passé quelques-unes de nos jeunes années. Ils ont été Hft.s,
la plupart, des archives de ces deux communes ou proviennent de
la communication bienveillante d'amis dévoués.'

CHAPITRE I.

Le prieuré de Lièpvre. Ses vicissitudes.

C'estau monastère de Lièpvre que la vallée doit sa


première civilisation. La première date qui se présente
est celle de l'année y5o, où fut construite, sous le règne
de Pépin-le-Bref et sous l'influence de l'abbé Fulrade, la
route qui conduit d'Alsace en Lorraine, traversant toute
la vallée de Lièpvre. A cette même époque se rattache 1a
fondation du monastère de Lièpvre, Fulradowiller, Lebe-
raha, Leberau. Fulrade était, comme l'on sait, abbé
Saint-Denys en France, conseiller du roi Pépin, chape-

L'auteur a fait un court vicariat à l'Allemand-Rombach(fS~ )


Parmi ceux-ci, nous tenons à signaler M. l'abbé Gyss, -~c
actuel de Lièpvre,
ET ALLEMAND-BOMBAcn

)ai, de son palais, archiprêtre des royaumes d'Austrasie,


de ~eustrie et de Bourgogne et archichapelain, une sorte
je ~rand aumônier de France. Outre les monastères que
pu~ade établit en d'autres provinces et qu'il détaille
jars son testament, il en fonda deux en Alsace l'un
~t celui de Saint-Hippolyte et l'autre celui de Lièpvre.
Fu!rade accorda au monastère de Lièpvre plusieurs biens
qu. lui appartenaient et la plupart de ceux qui lui avaient
été donnés par Widon et Chrodharde, deux seigneurs
en Alsace. Il donna au monastère les reliques
puisants
de saint Alexandre, qu'il avait rapportées de Rome. L'abbé
Fulrade mourut le 16 juillet 784., selon l'épitaphe que
lui composa Alcuin. Il fut d'abord enterré dans l'église
de Saint-Denis, mais son corps fut ensuite transporté au
monastère de Lièpvre, où il fut honoré comme un saint.
Les deux monastères de Lièpvre et de Saint-Hippolyte
devinrent deux prieurés de l'Ordre de Saint-Benoît, dé-
pendant de l'abbaye de Saint-Denys. Le prieuré de Lièpvre
est nommé, parmi les dépendances de l'abbaye de Saint-
Denys, dans les bulles des papes Adrien IV et Alexandre VI
de i!56 et i25o, et il a appartenu à cette abbaye jusque
vers l'an 1~.00, époque où il tomba entre les mains des
ducs de Lorraine qui s'en emparèrent en vertu de l'ad-
vocatie qu'ils avaient obtenue sur ce monastère. En même
temps ils se rendirent maîtres du pays qui dépendait du
monastère, c'est-à-dire de Lièpvre, de Sainte-Croix, des
ttnis Rombach (Allemand-Rombach, Grand-Rombach et
P~it-Rombach) et de la partie de Sainte-Marie située sur
la rive gauche de la rivière. Les ducs de Lorraine gar-
dèrent cette possession jusqu'en 1766, époque de la mort
du roi Stanislas, dernier duc de Lorraine. La vallée de
L~pvre fut réunie à la France et en 1700, incorporée au
~parlement du Haut-Rhin.
Après de nombreux procès entre l'abbaye de Saint-
1-~nis et les ducs de Lorraine, ceux-ci rattachèrent ensuite
prieuré de Lièpvre ainsi que celui de Saint-Hippolyte
3 la collégiale de Saint-Georges à Nancy. L'union fut
hue en vertu d'une bulle du
pape Alexandre VI, le
NOTES HISTORIQUES SUR MËPYBE

io avril i5o2. Puis, ce fut l'église primatiale de Nancv


qui en fut propriétaire jusqu'en 178~, en vertu de )'a
réunion qui fut faite par lettres patentes du roi Stanisi.~
du io septembre 1742. Depuis cette union, la primatic'e
de Nancy jouissait du droit de patronage des cures Je
Saint-Hippolyte et de Lièpvre, ainsi que d'une partie c.'s
dîmes de ces deux endroits. L'église du couvent avj,t
déjà subi quelques dégradations au XIIP siècle, mais fut
épargnée par l'incendie de Lièpvre en i4-(.5. Laguille d'i,
en effet, dans son Histoire d'Alsace publiée en 1727 <f(jn
ne voit plus que l'église de cet ancien monastère dont ia
structure fait juger qu'elle a été l'ouvrage de Fulrade:
elle a sept piliers de part et d'autre, le chœur est ëtrutt
et on y voit trois mausolées élevés de terre qui renfermant
les cendres de quelques grands seigneurs dont le nom
est inconnu. On voit, dans les anciennes vitres du chccur
de l'église de Leberau, l'image de l'abbé Fulrade a\cc
ces mots « Do mea CM~c~ Deo A/O)et de l'autre côté le
portrait de Charlemagne avec cette inscription « ~MH/
/!<rc /K~OM, expression qui fait connaître que cet empe-
reur a confirmé les dispositions que Fulrade avait faites
de ces biens en faveur de ce prieuré, w Mabillon donne
à peu près la même description.
Son exactitude est confirmée par un document de-
couvert par M. H. P. Ingold dans les archives de Carts-
ruhe. C'est un plan de l'église du prieuré, qui fut levé
en t5~.g par Michel Bichler, juge des Mines pour la mail
son d'Autriche et surintendant de la partie lorraine de
Sainte-Marie. La corniche du mur extérieur du chœur de
l'ancien monastère de Lièpvre était ornée de têtes de
de de de lions. 2
bœufs, béliers, mufles,

Annales 0. S. P. II. p. 265.


On peut en voir des fragments dans le jardin des fabricant
Dietsch. Un petit tertre, situé au sud, côté de l'ancien choeur, ren-
ferme des ossements trouvés lors des fouilles faites en t86o pou!
construction des bâtiments de M.-M. Dietsch, freres. (Commune'-
tion d'un témoin oculaire à Lièpvre.)
ET A],T.,EMA~D-BOMBACH.

En 175), les habitants de l'Allemand-Rombach, vil-


jj~e qui formait alors une même paroisse avec Lièpvre,
ne voulant pas passer la rivière pour se rendre aux
o'.tces, on choisit l'emplacement actuel de l'église parois-
sjjie en ajoutant une nef et un choeur à l'ancienne tour
,i.j. existante. On prit les restes de l'ancien couvent et
oa en employa les matériaux à la construction de la nou-
\cite église. L'ancien chœur du monastère devint une
chapelle sous l'invocation de Saint-Georges jusqu'à la
Révolution de 1780). L'abbé Grandidier vit le chœur et
le transept en 1786. Pendant la Révolution la chapelle
fuL vendue comme propriété nationale et transformée en
habitation particulière. Bientôt des bâtiments industriels
remplacèrent l'ancien prieuré, de sorte qu'il ne reste plus
rien de l'oeuvre grandiose de saint Fulrade. Même le
souvenir de l'illustre moine a disparu parmi la popula-
tion. Il n'y a plus de culte en l'honneur du saint. On
dirait qu'il n'a jamais existé à Lièpvre. Le propre du
dioccse de Strasbourg n'en fait pas mention. C'est le cas
de s'écrier avec le poète: «.Sz<~ /~cr~7!~ rcrM~M)).
La petite ville de Saint-Hippolyte a gardé un peu
mieux le souvenir de notre saint on y boit encore le
:~H de saint .F~/ra~e. C'est le vin qu'à chaque vendange
on donne au curé et au vicaire du lieu.
Le chœur de l'église du prieuré renfermait les cendres
des seigneurs d'Eckerich, sous-avoués des ducs de Lor-
raine et qui avaient leur château au fond de la vallée du
l'etit-Rombach. Une pierre tombale enlevée de la chapelle
en 1700, fut placée comme table d'autel dans l'église pa-
rmssiale de Lièpvre, mais en fut déplacée quand en i8~.3
on changea les autels de cette
église. L'inscription porte
Hie hc~en~ die von .EcA'er/cMM~r:;M'e! t'n Gottes T'Y/det).
!'t sont enterrés ceux d'Eckerich et reposent dans la paix de Dieu.
Cette pierre a au moins cinq cents ans d'existence,
puisque le dernier des Seigneurs d'Eckerich est mort en
'38i. Elle est adossée au mur de l'église et mériterait
d'être encastrée dans le mur même, afin de la garantir
montre la dent des siècles.
NOTES HISTORIQUES SUR HËPVBE

Un des objets les plus curieux que contenait la chr-


pelle est le baptistère que l'on voit encore aujourd'hu'
sous le clocher de l'église paroissiale. Il est en pierre (,
a la forme d'un calice. La partie inférieure forme un
carré qui est orné sur ses quatre faces de sculptures dor.t
les sujets paraissent être tirés de l'Apocalypse de Saiiu
Jean. La pierre qui sert de base est aussi ornée de sujets<;
symboliques.
La grande cloche de l'église de Lièpvre provient égn
lement du monastère de Saint-Fulrade. Elle porte la da'~
de [5z).2. D'après la légende populaire, elle fut cachée
dans un pré près de Lièpvre pendant la guerre de Trentc-
Ans, à l'approche des Suédois qui ravagèrent la valk'~
dans les années i635 et ;636, et notamment le monas-
tère. Elle fut déterrée un siècle après et montée sur
clocher de l'église paroissiale. On y remarque deux mc-
daillons dont l'un représente Saint-Georges terrassant !c
dragon et l'autre la Sainte Vierge avec l'Enfant Jésu~,
accompagnés d'anges, jouant divers instruments. Sur la
cloche on lit 0 sancta Maria et ~a;?c/<? CMCM/h/6 w~7'/t'r
oro/cjpro Mo~; et plus bas Marie suis MO~mec,
/07!MeMr de D;'<?Ket de la Vierge Marie fut faict. QL~
était ce saint Cucufat? Un martyr mort pour la foi ,l
Barcelone, en Espagne, le 25 juillet 3o3. On lit dans ie~
actes de saint Cucufat que ses reliques furent données J
Charlemagne et que Fulrade, les ayant obtenues de l'em-
pereur, les déposa dans l'église du monastère de Lièpvre
qu'il avait fondé. Etaient-ce des reliques complètes? Le-.
Espagnols prétendent que le corps de saint Cucufat est
à Barcelone et qu'on ne porta en France que son chef.'
Une partie du chef resta à Lièpvre jusqu'au commen-
cement du siècle dernier. On vénérait cette leliquc
à la sacristie, elle était renfermée dans une petite châsse
en bois, en forme de carré long, ornée extérieurement de
sculptures.2 L'autre partie du chef fut transportée pa:
Hilduin, abbé de Saint-Denis (835) dans son abbaye.
1 Voirl'abbé Godescard Vie des Martyrs, VI, pp. 3gg et 400,
On m'a assuré qu'un curé de la paroisse fit disparaitre la re-
ET ALLEMAND-ROMBACH.

Quatre chapiteaux de colonnes provenant de l'ancien


~.onastcre servent actuellement dans l'église de Lièpvre
j_: piédestaux pour les bannières. La petite chapelle qu'on
v.,tt à droite de l'église a été construite avec les restes
d.~ l'ancien prieuré.
Et voilà tout ce qui reste du célèbre monastère de
Snnt-FuIrade 1
(M est né ~M~ T~H/r~~e ? Les historiens s'accordent
généralement à lui donner la «doulce Alsace» comme
pjtrie. Dom Calmet notamment le fait naître à Saint-
Hippolyte, l'ancien Andaldovillare, au pied du château
de Hoh-Kœnigsbourg. Rapp partage cette opinion, mais
sans donner d'autres preuves que l'affection particulière
qu'avait saint Fulrade pour ce pays. II était certainement
d'origine noble, et sa famille possédait de nombreuses
propriétés en Alsace, dans les lieux où il fonda les deux
monastères. Son seul testament nous indique les noms
de ses parents, Riculfe et Ermengarde. 1 Fulradovillare,
Saint-Hippolyte, St. Pilt, petit village alsacien au VIlle
siècle, était propriété familiale ceci appert du diplôme
octroyé par Charlemagne à saint Fulrade. Voici la tra-
duction
"Charles, par la grâce de Dieu, Roi des Francs et des Lom-
hards. Nous avons la confiance que les dons que nous faisons
par amour de Dieu à des lieux où sont vénérés les corps des saints,
profitent à notre salut éternel. C'est pourquoi nous faisons savoir

Lque au cimetière, puisque l'"authentique" manquait. Les reliques


~s saint Alexandre ont subi le même sort.

Rapp: Saint-Fulrade, p. t.
Ego Futradus haesi indignus sacerdos vocatus, filius Riculfo
et Ermengarde condam. pro anime mec et gemtore meo Riculfo
~t genetrice mea et germano meo Gaustberto et Boni-
Ermengarde
'acio et sorore mea Waldradane (Orig. Arch. Nat. K. y). On ne voit
pas sur quels documents s'appuient quelques historiens pour faire
naître Fulrade à Saint-Hippolyte ou ailleurs. H en est de même
'~ec sa parenté avec Charlemagne.
V. Charte 5o des Pièces justificatives de Dom Félibien, et
~chœpnin-Ravenez, t. III, p. 312.
NOTES HISTORIQUES SUR LIÈPVRE

que le vénérable abbé Fulrade nous a informé que, pour honore,


saint Denys, saint Rustique et saint Eleuthère, il a fondé dans
village alsacien, dit Fulradovillare, sa propriété, une chapelle (ce'-
lam), et qne son intention est d'en fonder une autre, avec l'aide d..
Dieu et de personnes pieuses, dans le lieu même où repose le corp~
de saint Hippolyte. C'est pourquoi, pour honorer le nom de Dieu
et pour le salut de notre âme, afin d'obtenir une récompense et;
nelle, et d'accéder au désir de notre fidèle Fulrade, nous donnon,
à perpétuité au susdit lieu, et pour l'entretien des serviteurs j;.
Dieu, qui y demeuient, Mf;<?AfarcAe qui nous <~PjM)'ft'et!f.- nous )~
donnons par amour pour les bienheureux saint Denys, saint Priva
et saint Hippolyte.

Quelle était cette A/arc/!e? Nous transcrivons le texte


latin
"Aliquo loca silvestria. in pago Alsacense, ex marca fiseo
nostro Qwingisheim (Kintzheim près Schlettstadt) hoc est, sttva et
foreste nostro supenus nominata, de una parte Laimaha (la Lièpvrene~
ubi dicitur Bobolino Cella, et inde premitur ubi Aeststmsbach venu
in Laima, mde vero per Aestsimsbach ubi ipse surgit, inde etiam
Nannents deinde autem monte usque ad Rumbach (Petit-Romba~h).
deinde P'ludimisberch, deinde in alla Rumbach (le Grand-Rombach\
detnde in Bureberch, exinde in tertia Rumbach (l'Allemand-Rom-
bach), deinde autem pergit in Achims regni (le hameau de la Hin-
grie), inde in foresta per Ducias et confinia, inde per Laimaha nu\to
in valle de Hurbas Ripas, etc., etc.

Donc, saint Fulrade recevait tout le val de Liëpvie e

jusqu'à l'Allemand-Rombach avec quelques autres petites


marches.
Le fondateur du de Lièpvre,
monastère saint Fulrade,
possédait donc à titre personnel de nombreuses propriétés
qu'il avait obtenues des souverains et des seigneurs ausst
bien de
que de sa famille. H faut croire que la règle
Saint-Benoît touchant la pauvreté de~ moines n'était pas
strictement observée. Le testament de Fulrade, fait en

777 à Héristal, où il est dit « Et dum ego vixero ipsah


res in mea potestate habere debeam» en est une preuve.

Après sa mort, ses biens reviennent toutefois à Saint-

Denys.
Après avoir gouverné l'abbaye de Saint-Denys pen-

V. Rapp Saint Fulrade, p. So.


ET ALLEMAND-ROMBACH.

~nt 34 ans, Fulrade mourut en odeur de sainteté, le


[~ juillet de l'an 784, universellement regretté de tous
ceux qui l'avaient connu. On ne peut nier qu'il n'ait été
un des abbés les plus illustres qui gouvernèrent le mo-
ri~stère. Il a été honoré de l'affection et de l'estime de
cmq papes et de deux rois, dont la France cite les noms
jvec orgueil. II comptait parmi ses amis les plus dévoués
sjint Boniface, l'apôtre de l'Allemagne. H avait gagné la
confiance de Pépin et de Charlemagne à un tel point,
que ces deux rois eurent recours à ses conseils dans toutes
les affaires, qui intéressaient la religion et le bien de la
nation ils l'élevèrent aux plus hautes dignités, car il fut
successivement archichapelain du palais, grand aumônier
de France, ambassadeur, conseiller intime et décoré du
titre de prince.
Que ~o?~ ~e~?~M~ les reliques de M~ ~H/r~ë, trans-
portées de S. Denys à Leberau? Tous les historiens affirment
qu'elles se trouvaient dans le prieuré de Saint-Alexandre
a Lièpvre. L'annaliste des Bénédictins dit que son corps,
après avoir été inhumé à l'abbaye de Saint-Denys, fut
ensuite transporté à Leberau où il est honoré comme un
saint. On célébrait sa fête le 17 février. Mais aucun his-
torien ne rapporte ce que devinrent les reliques du fon-
dateur du monastère. Il est certain que l'église du mo-
nastère existait encore en 1220,~ qu'elle fut épargnée lors
de l'incendie de Lièpvre en 1445, puisque Laguille parle
en 1777 de l'église qui est seule restée debout. Nous
croyons que l'église a été pillée en 1445, après le départ
des Armagnacs, par les troupes du comte palatin et de
la ville de Strasbourg, et que les reliques de saint Ful-
rade qui s'y trouvèrent, furent détruites.
Les historiens conviennent, en effet, des faits sui-
vants

V. Ann. Bened. 1. 25, n. 43.

Chroniques de Senones Richer.

Laguille: Histoire de l'Alsace, p. 100.


NOTES HISTORIQUES SUR LIÈPVBE

Les Armagnacs, sous la conduite du dauphin, depuis


Louis XI, forçant les villes à se soumettre et faisant
subir les plus mauvais traitements à celles qui s'y oppo
saient, pillant et incendiant les villages, Lièpvre se soumit
au dauphin pour éviter une pareille catastrophe. En t~{.5,
une partie des troupes, en se retirant vers la Lorraine,
traversa le val de Lièpvre le jeudi avant le dimanche des
Rameaux. Elles y furent surprises par les troupes de la
ville de Schlettstadt auxquelles s'étaient joints les paysans
du val de Villé et de Lièpvre et qui, du haut des mon-
1
tagnes qui dominent la route, lancèrent des troncs
d'arbres et d'énormes quartiers de roches sur les Arma-
gnacs et leur firent subir de grandes pertes. Sébastien
Munster dit dans sa Cosmographie qu'ils perdirent
dans le combat près de 3oo hommes, dont un duc
et un landgrave qui étaient Ecossais, et le maréchal
du palais du dauphin, qui était beau-frère du roi de
France.

Laguille 2 ajoute « La retraite de l'armée du dauphin


ne laissa pas dans l'Alsace une pleine tranquillité. Telle
était alors la destinée de cette province d'être toujours
dans l'agitation. Les troupes du comte palatin Louis, de
l'évêque et de la ville de Strasbourg, se flattant d'avoir
contraint les Armagnacs à quitter l'Alsace, se jetèrent
sur ceux qui les avaient favorisés ou qui avaient eu la
lâcheté de se soumettre au dauphin. Ce fut là le prétexte
qui causa la rM~KCentière de la ville de Saint-Hippolyte

1 La légende populaire place l'endroit de la défaite sanglante


infligée aux Armagnacs, près de l'endroit appelé Müssloch, sur la
route de Lièpvre à Sainte-Marie. La troupe était commandée par le
duc Jean de Montgomméry qui avec 1000 hommes avait établi
son quartier d'hiver à Châtenois ou Kestenholz. Les drapeaux
enlevés à l'ennemi furent suspendus dans l'église Saint-Georges
à Schlettstadt. Le duc de Montgomméry se trouvait parmi les
morts.
Histoire d'Alsace, livre XXX, p. 342. Cfr. Hist. de Charles VII
par Monstrelet.
ET AUiEMAND-BOMBACH.

f; de tout le val de TL~yre. Les Allemands réduisirent


c:tte ville en cendres, et après avoir pillé et ravagé la
\jUée qui arrose la rivière de Leber, ils mirent le feu
partout. Triste vengeance qu'ils exercèrent sur quantité
de malheureux qui s'étaient vus dans l'impuissance de
t~nir longtemps contre une redoutable armée.)) n

LÉONARDFISCHER.
(A suivre.)
CAUSERIES JAPONAISES.
(~<)

Nous n'avons pas encore parlé de Yokohama, le prc


mier port ouvert aux Européens, et qui en compte plus
que toutes les autres villes réunies. Yokohama, où affluait
le ramassis de tout le Japon, où s'étalait aux yeux des
Japonais et des Européens le débordement de tous les
vices, semblait d'abord revèche à toute influence chré-
tienne. Mais le P. Testevuide s'y trouvait; il était jeune
et un modèle de piété et de zèle apostolique. Après la
dispersion des missionnaires débarqués dans la Yokohama
païenne, le P. Testevuide fut le seul à rester dans le pays,
chargé d'un arsenal où se trouvait un bon nombre de
braves catholiques européens, et devant essayer de semel
le bon grain parmi les Japonais de la contrée.
Se trouvant sans aucun chrétien indigène, le pauvre
Père ne savait comment entamer l'oeuvre. Dans les mai-
sons japonaises, où il avait essayé de répandre quelques
paroles de vérité, on le congédiait après quelques jours,
pour éviter la mauvaise réputation d'accointance avec les
C/!r~H. Aux nombreux visiteurs qui pénétraient en
curieux dans l'église du poste, il n'avait pu arracher que
quelques banals compliments. En attendant il gémissait,
priait et travaillait la langue japonaise. Enfin, après 18 8
mois d'essais infructueux, en traversant un jour la cour
qui séparait l'église de la porte de son logis, il fut accosté
par un homme bien mis, aux manières élégantes. C'était
CAUSERIES JAPONAISES.

un médecin japonais d'une trentaine d'années. Celui-ci,


.liant de l'église, fit un compliment au Père sur la
beauté du sanctuaire, lui demanda quelques renseigne-
ments sur ce qu'il y avait vu et finalement lui exprima
désir de s'instruire. Le Père lui fit entendre qu'il pou-
\jit se présenter dans sa petite cure tous les jours, si
Lon lui semblait, mais au fond sans compter beaucoup
ir cette visite. Cependant l'autre arriva tous les jours,
instruisit, trouva la doctrine chrétienne admirable et
demanda finalement à recevoir le baptême, sans respect
humain aucun, sans se soucier même de ses proches pa-
icnts. Et c'est ainsi que fut baptisé le premier Japonais
Je Yokohama.
Notre médecin plein de zèle et de ferveur trouva
quelques braves compatriotes, auxquels il fit comprendre
que la religion catholique n'était pas ce que la renommée
païenne en faisait, qu'elle était au contraire sublime et la
scuie voie pour conduire au bonheur temporel et éternel.
Le P. Testevuide s'entendit avec eux pour louer en ville
une maison japonaise, où l'on pourrait se réunir et parler
[etigion. Ce fut là le noyau de la grande chrétienté de
Yokohama et d'une dizaine de chrétientés des environs.
Naturellement le médecin, M. Handa, s'établit dans la
maison louée et y instruisit tous ceux qui le désiraient.
Monseigneur, en voyant ce commencement, alloua au
P. Testevutde cinq piastres par mois en faveur de ses
œuvres. Quelques années plus tard, 200 piastres ne lui
bunisaient plus. Handa connaissait des amis de côté et
d'autre, et il les priait de prêter leur maison pour y faire
catéchisme et de la sorte notre religion se répandit
peu à peu.
Voici un fait extraordinaire: à 10 lieues de Yoko-
hama, dans un endroit appelé Hachiochi, un pauvre
chrétien parla à ses compatriotes de la beauté de notre
'eligion. Une famille yeta vint donc chercher le P. Tes-
tevuide pour l'instruction demandée. Il y alla et trouva
des gens simples qui ne purent assez louer l'infinie mi-
sericorde de Dieu de vouloir bien descendre jusqu'à leur
CAUSERIES JAPONAISES.

bassesse. Ces yeta forment la classe vile et proscrite ~j


Japon, une espèce de parias, avec lesquels les Japon
d'autrefois ne frayaient nullement, à l'idée qu'à leur con-
tact ils pourraient se contaminer. Bientôt tout un vi!h:c
de yetas se convertit et devint la plus fervente de tou~s
nos chrétientés. Comme quoi le bon Dieu aime à donner
sa grâce aux petits et aux humbles.
Mais que devint Handa le médecin? Passableme't t
orgueilleux, il se laissa gagner par la jalousie dans u:'c
affaire de présidence, fit défection, s'en alla et ne repar'it
plus jamais. Nous verrons plus d'une fois dans le déve-
loppement de nos chrétientés ce fait surprenant le piir;-
cipal instrument, dont Dieu s'était servi pour une fonda-
tion chrétienne, rejeté de son sein, et la chrétienté prospérer
quand même.
Nos chrétiens, entendant raconter les actes des an-
ciens martyrs, s'enthousiasment facilement, tout en jurant
de les imiter, de se faire couper la tête et tous les membres
plutôt que d'apostasier. Ce qui n'empêche pas le Japonais
d'être léger et inconstant. Par exemple, quand vous abor-
dez un Japonais, il se fera répéter en détail toutes les
belles choses qui se trouvent en Europe, et puis il de-
mandera à y aller lui-même. On lui objectera «Mais
non, tu ne peux pas y aller, tu n'as pas d'argent.» II ven
partir quand même; il n'a pas besoin d'argent, il men-
diera, il travaillera, etc. Le Chinois courra le monde pour
faire fortune, et il réussira le Japonais courra le monde
et rentrera plus pauvre qu'auparavant; mais enfin il aur.:
satisfait sa curiosité, son goût pour le merveilleux it
veut s'amuser et il se moque du Chinois qui économise
et qui peine pour amasser de l'argent.
Tout le Japon est couvert d'endroits célèbres et de
lieux de pèlerinage. Autour des nombreuses pagodes H )
a souvent des foires avec étalages d'objets curieux. VoiL'
qui plaît au Japonais. Nul peuple ne fait autant de pèle
rinages, ne court si souvent par voies et par chemin~-
par monts et par vaux, pour aller voir quelque curiosit~
et se procurer quelqu'amusement. Les places publique~
CAUSEBIES JAPONAISES.

je Toldo sont remplies de saltimbanques et d'acrobates,


de joueurs de tours, de montreurs de curiosités. Partout
)us voyez quelqu'attroupement. On n'a pas idée de la
f~utc qui encombre chaque jour les grands temples de
Tukio, dont les cours et jardins sont remplis de petits
théâtres, de boutiques, de ~l~c/:< (maisons de thé). Une
c ~urse aux chevaux, un feu d'artifice attire plus de 100.000
personnes. Je les ai vues plus d'une fois, ces masses
compactes, composées de toutes les classes de la société.
Lt le Japonais aime ces M~r~A' à savoir ces foules
accourues par curiosiLé.
Voici quelques artisans dans un atelier un saltim-
banque passe dans la rue, une rixe a lieu dans le lointain:
aussitôt on quittera l'atelier pour aller voir. J'ai vu des
Japonais arriver d'une lieue de distance pour assister à
une rixe de Chinois survenue dans notre rue. C'est irré-
sistible, il n'y a pas de menace qui retienne on se fera
c"uper la tète plutôt que de manquer au spectacle. C'est
encore l'enfant en quête d'histoires curieuses.
Que de gens sont venus nous demander que nous
leur apprenions le français, l'anglais, la chimie, la phy-
stque, l'économie politique, le droit civil, voire même le
droit canon, etc., etc. Quinze jours après ils demandaient
autre chose. Ils pensaient devenir ingénieurs en quelques
mois. Et que de doléances on entend de la part des pro-
fesseurs européens sur la légèreté et l'inconstance de leurs
c'.cves Ils ont plus d'imagination que de ténacité. Pour
'es faire arriver au but, il faut les louer du moindre pro-
crès comme des enfants, et même il faut les laisser par-
fois dans l'illusion qu'ils ont réussi.
On en a vu demander la fondation d'universités,
~'écoles polytechniques, de cours de cassation, faire de
mandes revues militaires a l'européenne, et ne pas même
~n posséder les connaissances élémentaires.
Cependant le Japonais méprise facilement le danger,
~tdans son courage il bravera même les périls qui se
"~contreront sur son chemin.
J'ai déjà dit qu'il méprise l'argent pour l'argent, mais
Revue. Mai i9M. 18
CAUSERIES JAPONAISES.

il aimera l'argent pour s'amuser. Il vivra volontiers m


jour le jour, ne se souciant guère de l'avenir. En piu~ ))
ne se laissera guère accabler par les soucis et les peines
de la vie, qu'il supportera d'un cœur léger. Cette insou-
ciance, jointe à leur légèreté de caractère, leur courage
au milieu des dangers, tout cela les a fait comparer au\
Français, et on les a parfois appelés: les Français de l'One; t.
Autres qualités françaises le Japonais est perspicace.
spirituel, gai. Quand on lui permet de sortir de la rou-
tine, il imite l'Européen à la perfection. IJ aime les bon-;
mots, les calembours il rit aux éclats, avec un naïf
bonheur. Je me rappelle que je traversais une certaine
nuit le détroit d'Hakodaté sur un petit vapeur rempli de
Japonais. J'occupais une petite cabine à côté d'eux, et un
simple rideau séparait ma cabine de la grande salle ou
ils étaient couchés sur leurs nattes. Il faisait froid, la
neige tombait, le vent hurlait et faisait écumer les vagues
houleuses. Les pauvres Nippons avaient a peu près tous
le mal de mer; ils toussaient et crachaient que cela tai-
sait pitié. Voilà que le sifflet de la machine émet un ?on
rauque, qui semblait partir du fond de la chaudière. S.'ns
penser à rien, je m'écrie derrière mon rideau [(Vc.Li
un pauvre sifflet qui a l'air d'être enrhumé lui aussi'" »
Aussitôt on se met à rire, et ceux qui n'ont pas compi~
mes paroles, se les font répéter par les autres; le rit ~c
communique à toute la salle et a tout le bateau, et f'n
oublie pendant toute la nuit les ennuis de la mer et '-L'
la tempête pour s'amuser de la réflexion de l'Européen.
Rien n'est facile comme de se lier d'amitié avec u'i
Japonais. En voyage, dans les hôtels, en chemin de f~.
dans les simples rencontres fortuites, il causera, il s'ip'
ressera à vous et se liera volontiers. Que de connaissant~
le missionnaire a-t-il pu faire de la sorte! Et de convc.-
sation en conversation il a fait et fait encore des con~-
sions remarquables. Voyant que nous sommes mission-
naires, nos païens entament eux-mêmes une conversant
sur la religion, et de fil en aiguille on finit par embrass
la vérité.
UAU&ERIES JAPONAISES.

Un jour, voulant dans une forêt prendre un chemin


de traverse, je tombe sur une maison japonaise, très jolie,
[[\.s coquette, entourée de fleurs, de parterres, d'arbres,
de viviers, de petites cascades le tout peuplé de volailles,
de poissons, de jolis oiseaux. Je demande d'abord pardon
de m'être égaré et de tomber inopinément et involontai-
rement dans un milieu inconnu. Le maître de la maison,
us ancien samuraï, me répond avec une simplicité et une
chilité exquise et m'invite à entrer, si bien que j'accepte
Il me reçoit d'une manière
pour lui faire plaisir. char-
m..nte et me fait prendre place sur ses belles et fines
nanes. Puis il me présente à sa mère, à son frère, à sa
~Lur. qui tous viennent me saluer gracieusement. Il
m'offre ce qu'il a de meilleur et me montre ce qu'il a de
ptus beau. Les Japonais n'ont pas, comme les Européens,
un luxe de meubles qu'ils étalent aux yeux du visiteur.
Tcut leur décor consiste en boiserie, en dessins, en pa-
tavents et en cloisons; mais de quelque coin ils retirent
un coffret, sinon plusieurs, contenant des objets précieux,
comme sabre fin, bijoux ciselés et sculptés, laques fines,
coupes en porcelaine, etc. Mon hôte, non content de
me recevoir si aimablement, m'invita à venir le revoir
souvent, et même chaque fois que je me promènerais
de son côté. Et voilà un ami nouveau. Je le revis, mais
ii ne se fit pas chrétien, sans doute parce qu'il aimait
trop boire et nocer. Entre parenthèses, son frère était
criblé de blessures, datant de la dernière guerre civile,
ou il avait servi dans l'armée d'un prince rebelle. Son
aine, le maître de la maison, avait été blessé, lui, dans
~'armée du gouvernement. Ils s'étaient donc battus l'un
contre l'autre, et sans que la fraternité en eût le
moins du monde souffert. Ils m'avaient raconté cela d'une
m'ne souriante, ayant l'air de me dire: « Voilà le patrio-
t~:ne japonais »
Combien de fois, en traversant la campagne japo-
"se, n'ai-je pas été invité de la sorte, par des gens du
Peuple Quand j'acceptais une place sur leurs nattes, ils
n~ servaient avec empressement et une joie enfantine ce
CAUSERIES JAPONAISES.

qu'ils avaient de meilleur. Frappez à n'importe quelle


porte, même chez des inconnus, pour demander un pctjt
service ou pour vous reposer on s'empressera de vous
servir et de vous être agréable. Mais encore une fois, 11
ne faut jamais traiter le Japonais de haut, encore moins
avec insolence. Dès lors il rentre sous sa coquille et vous
envoie promener, et tous les Européens venant ap~js
vous sont mal reçus.
Le Japonais, étant très fort pour offrir un présent
est par le fait même très sensible à en recevoir. Un ca-
deau suffit pour le gagner. Il viendra vous rendre la
visite faite pour vous remercier, et parfois il vient accom-
pagné de toute sa famille. Il faut alors lui montrer toutes
les curiosités de la maison, devant lesquelles il s'extasie,
puis on lui sert un peu de thé et des gâteaux sucres et
vous voilà les meilleurs amis.
Cette hospitalité et cette bienveillance japonaises
s'exercent par tout le Japon sur une vaste échelle. On
voit les amis des amis, les cousins des arrière-cousins
venir frapper à la porte des anciennes et des nouvehcs
connaissances, et faire pour cela un voyage de 5o et
même de 100 lieues. On les loge et on les nourrit pen-
dant des semaines sans aucune rémunération qu'un grand
nombre de mercis. Ils appellent cela «faire le yakkai",
ce qui signifie recevoir l'hospitalité charitable de quel-
qu'un. Il est rare que le Japonais refuse l'hospitalité a
celui qui vient frapper à sa porte au nom de quelque
parent ou ami lointain. Il est vrai que nos Nippons en
abusent parfois.
Il en est de même pour les prêts d'argent et les se-
cours à porter. On voit des gens emprunter de l'argent
pour en prêter à d'autres et les tirer ainsi du besoin.
Pierre demandera de l'argent à Jean pour en prêter .1
Paul; sans quoi Pierre craindrait d'être mal vu de Paul
ou de ses amis. Aussi dit-on que la plupart des Japons s,
riches ou pauvres, ont contracté des dettes en agissmi
de la sorte.
(~4 suivre.)
COLLÈGE DE HAGUENAU.
1604-1692.

Sous ce titre « Les Jésuites en Alsace », la Revue a


dqa publié, d'après des documents inédits, l'Histoire des
deux collèges de Molsheim et de Schlestadt, fondés et
diriges par les Pères de la Compagnie de Jésus. Une
bonne fortune nous ayant mis entre les mains les Annales 1
manuscrites du collège de Haguenau depuis sa fondation
en i6o/). ]Usqu'en'i6Q2, nous allons résumer ici l'histoire
de ce troisième collège, qui pendant plus d'un siècle et
demi (!6o~iy65) sous la direction des Jésuites a été
pour la ville de Haguenau un foyer de lumière et de foi,
un boulevard puissant contre la grande hérésie du
XVI~ siècle.
Nous suivrons pas à pas l'annaliste ou plutôt les
annalistes du collège; car, dans la suite des ans, divers
narrateurs se sont passé la plume pour relater les évène-
ments plus importants et conserver à la postérité ces
souvenirs de famille dans toute leur simplicité, sans rien
déguiser, sans rien exagérer, sans rien retrancher.

Ces Annales appartiennent à l'église de Molsheim; nous en


~*vons la communication à la parfaite obligeance de M. le Recteur
~yfned.
COLLÈGE DE HAGUI;NAU.

i Premiers travaux des Jésuites à Haguenau.

(1567-1595)

A l'époque où s'ouvrent nos annales (t6o~), Hague-


nau était !a première en dignité des dix villes librfs
impériales qui formaient la décapole alsacienne sous i t
suzeraineté de l'Empire germanique. Fondée en it5~ p i
Frédéric I" Barberousse, elle était célèbre par le nomb:e
de ses habitants, la beauté de ses monuments, l'étendue
de son commerce et les privilèges nombreux qu'elle de\'?)t
à la munificence des empereurs d'Allemagne, Frédéric ~t
Conrad. S'épanouissant comme la rose qu'elle porte dap~
ses armoiries, la cité haguenovienne avait vu son enceinte
se développer dans trois agrandissements successifs a~
centre se dressaient les tours de la .B!<r~ vieux château
féodal, où se conservait le trésor de l'empire la couronne
.de Charlemagne, le glaive et le globe d'or. Avec cc~
insignes, on y gardait encore de précieuses reliques de ta
Passion du Sauveur: une parcelle considérable de la
vraie Croix, un morceau de la couronne d'épines, la sainte
lance et un des clous qui avaient percé les pieds et le,
mains de la Victime du Calvaire.
Siège de la cour souveraine et de la cour provinciale,
Haguenau servait de résidence au Landvogt de l'Alsace
Inférieure. Jusqu'au XVIe siècle, la religion catholique
avait fleuri dans les murs de l'antique cité; mais. dit le
chroniqueur, «le serpent infernal ne pouvait voir sans
envie le triomphe de la vérités, et il choisit notre ville
pour y élever, vers l'an i566, la première chaire de pes-
tilence après celle de Strasbourg. L'instrument de cette
œuvre néfaste fut le chancelier de l'Université de Tu-
bingue, un des chefs de la réforme en Allemagne, Jacques
Andréas dit Schmidlin, déja célèbre par sa lutte contre
les Sacramentaires et la rédaction de la Formule de Con-
corde, qui devait réunir dans un seul bercail les part)~
divisés de la réforme.
COLLAIT! DT! nAGFENAU.

Appelé par quatre membres du Sénat déjà gagnés à


)a cause de l'erreur, le prédicant fit son entrée triomphale
t Ha~uenau, le 3o novembre t565, à l'instar d'un grand
Laissons la parole à l'annaliste « Dès la veille,
n~.phete.
oi~rc est donné par le Sénat de balayer les rues par où
le grand homme. Il sera conduit en grande pompe
n~era
des Franciscains,
depuis la maison de ville jusqu'à l'église
où t! se fera entendre dans la chaire réservée jusqu'alors
au\ docteurs catholiques. C'était la fête de l'apôtre saint
A~dré le nouvel apôtre s'avançait d'un pas majestueux,
en grand costume de chancelier, toque de velours sur la
chevelure bouclée, la barbe soigneusement frisée, la robe
tJuttante, le visage composé. Derrière lui se pressait
une foule nombreuse, avide de voir l'envoyé de Dieu et
de Luther. II entra dans l'église des Franciscains et monta
en chaire pour faire entendre la parole du pur Evangile.
Neuf jours durant il donna des conférences contre l'abo-
mmation du papisme et sur l'excellence des nouvelles
doctrines. Grâce au prestige de la nouveauté, il entraîna
un certain nombre d'âmes chancelantes qui passèrent au
protestantisme. »
Les magistrats qui avaient fait venir le pseudo-pro-
phète, n'eurent pas lieu de s'en réjouir leur apostasie,
raconte le chroniqueur, attira sur leurs têtes les foudres
du ciel. Melchior Sesselsheim mourut de consomption
après un mois de souffrances aiguës – un autre, Roch
Dotzheim, finit dans la misère le greffier-syndic fut
emporte par une maladie affreuse, rongé vivant par la
vermine; le sénateur Jean Eschbach se tua en tom-
bant d'une voiture enfin un cinquième, Antoine
Ritter, qui dans ses imprécations avait souhaité la mort
a ses adversaires catholiques, les devança tous au tribunal
de Dieu. Le peuple ne put s'empêcher d'attribuer à une
Punition divine ces coups répétés sur les partisans de
Tireur.
Les catholiques restés fidèles, de concert avec l'Unter-
~gt Nicolas de Bollwiller, cherchèrent à entraver les
Progrès de l'hérésie le moyen le plus efficace, pensaient-
COLLÈGE DE HAGtTENAU.

ils, serait d'appeler les Jésuites qui venaient de s'etab'.r


à Molsheim (t58o). Le curé de Saint-Nicolas, Félix Sws'
demanda deux Pères pour préparer ses paroissiens a
solennité pascale. Le zèle des nouveaux prédicateurs t~ur
gagna le cœur des habitants qui les supplièrent de s'éta-
blir au milieu d'eux. Une députation du Sénat fut er-
voyée à Molshcim pour en faire la demande officielle <[
Recteur du collège: la demande fut agréée. Dès !5g5 !e
P. Isfording, accompagné d'un Frère coadjuteur, vint '.c
fixer à Haguenau, où il fut rejoint bientôt par le P. M!-
thias Horst. On leur offrit pour demeure la maison cLs
Joannites, et pour leur entretien une pension de trois a
quatre cents florins.
Les deux religieux se mirent à l'oeuvre, ne négligecn:
rien pour rétablir dans les âmes le règne de Dieu. J\L'~
bientôt l'un d'eux, le P. Isfording, dut retourner a Mo)s
heim pour y prendre la direction du collège; il fut rem-
placé par le P. Jean Roch Pirschinger, accompagné du
Fr. Hermann Court.

2. Fondation de la résidence.

(1604)

Le 6 novembre i6oz(., le P. Provincial se rendant a


Molsheim pour y faire la visite du collège, s'arrêta .[
Haguenau pour négocier avec les membres catholiques
du Sénat la fondation d'une résidence qui devra être p[ub
tard transformée en collège. Grâce à l'intervention cha-
leureuse de nos deux amis, Conrad Graff et M. Ruff,
Sénat consentit à voter un subside de 3oo florins a~cc
5o quartauts de seigle et 3o mesures de vin pour l'en-
tretien de deux Pères avec un ou deux Frères coadju-
teurs de son côté, la préfecture d'Autriche devait ajoutu
une somme d'argent et le bois nécessaire au chauSag'
Ces conditions acceptées de part et d'autre, le P. Pr'
vincial, dès son arrivée à Molsheim, envoya dans la nou-
COLLEGE DE HAGUENAU.

Y~!le résidence le P. Henri Werr avec un second Frère


c~adjuteur.
Les nouveaux ouvriers de la vigne du Seigneur se
mirent à l'oeuvre avec zèle et la vie chrétienne se prit à
ietleurir dans la cité. Les couvents voisins de Neubourg
e: de Koenigsbrück furent ramenés à la ferveur primitive;
tes fidèles qui avaient à peu près abandonné l'usage des
Sacrements, vinrent de nouveau s'asseoir à la sainte
t'tbie aux fêtes de Noël et de la Pentecôte on compta
jusqu'à 70 et 120 communions, humbles prémices de
moissons plus abondantes dans l'avenir
En même temps les Pères s'attaquèrent à l'hérésie
des cette première année (160~), malgré les efforts des
prédicants, ils ramenèrent dans le sein de l'Eglise neuf
partisans de l'erreur, entre autres un ouvrier potier qui,
jprès sa conversion, fut guéri d'une étrange maladie fort
semblable à une possession.
Pour vaincre plus sûrement l'hérésie, ils rétablirent
les fêtes de la Sainte Vierge la Visitation et la Concep-
tion Immaculée.
L'année suivante (i6o5), il y eut treize abjurations;
le nombre des communions à l'occasion du jubilé accordé
par le pape Paul V, à la grande joie des catholiques,
monta à 5oo. On rétablit l'usage des processions, et l'on
organisa les catéchismes des enfants dans les deux pa-
roisses de la ville.
Le P. Werr, rappelé à Molsheim, fut remplacé par
le P. Mathieu Horst.
En 1606, le suffragant de Strasbourg, Mgr Adam,
eut la consolation d'administrer la confirmation à plus
d'un millier de fidèles. Les Pères enregistrent 20 abjura-
tions ils se dévouent au service des malades de l'hôpital
et accompagnent au supplice les condamnés à mort.
Enfin ils établissent la messe des écoliers, et le chant
du Miserere au temps de la Passion.
L'annaliste n'oublie pas les bienfaiteurs de la maison;
parmi eux il signale le comte de Soultz, sous-préfet, qui
DE HAGUENAU.
COLLÈGE

passait de longues heures à la résidence, l'archiduc Maxi-


milien, landvogt d'Alsace, et une pauvre veuve qui voulu!
léguer aux Pères le peu qu'elle avait.

3. Ouverture des classes.

I! y avait à Haguenau une école latine dirigée par


trois maîtres, un recteur et deux proviseurs, comme on
les appelait. L'un de ces professeurs était protestant
pour arracher la jeunesse à l'influence de l'hérésie, les
Pères demandèrent aux scolarques du Sénat qu'on voulùt
bien leur confier la direction du gymnase. Ils appelèrent
à leur aide le P. Bernard Eddeling de Alolsheim, et le
jour de la Présentation ils firent l'ouverture des classes
avec une grande solennité. Ecoutons le récit du chroni-
queur
«Après la messe célébrée dans notre chapelle, le
conseil de la cité, avec plusieurs membres du Sénat réunis
dans notre maison, conduisirent le Supérieur et les deu\:
autres Pères jusqu'au gymnase où tous les écoliers étaient
assemblés dans la salle la plus spacieuse. Le syndic de
la ville, M. Westermeyer, annonça aux élèves les me-
sures prises et les exhorta à se montrer soumis à leurs
nouveaux maîtres. II ajouta que ceux dont les parents
n'étaient pas catholiques, pourraient continuer à fréquen-
ter l'école sans être inquiétés dans leurs croyances. Et
de fait parmi les élèves il y eut un certain nombre de
protestants. »
Le magistrat donna une nouvelle preuve de sa bien-
veillance en accordant aux Pères l'usage de la chapelle
de l'ossuaire qu'ils firent réparer et orner d'un campanile
avec clocher. Cette chapelle fut très fréquentée par les
fidèles qui venaient y prier pour leurs défunts.
Vers ce temps-là s'était répandue contre les Jésuites
une calomnie infâme inventée de toutes pièces a Munich.
COLLÈGE DE HAGUENAU.

Le magistrat de Haguenau, pour couper court aux men-


songes, fit arrêter le colporteur qui avait apporté la bro-
chure calomniatrice, et afficher aux portes de l'église l'édit
Jes magistrats de Munich condamnant les auteurs de
c~tte odieuse machination.
En t6o8, l'école qui ne comptait l'année précédente
que 60 élèves en eut presque 200 c'était, dit l'annaliste,
une jeunesse facile et docile, les catholiques étaient véri-
t.iblement pieux et les protestants se montraient disposés
a embrasser la foi, sans l'opposition de leurs parents.
L'année scolaire fut inaugurée par un drame religieux
tort applaudi « Le miroir de la jeunesse').
Vingt-quatre abjurations récompensèrent le zèle des
Pères: un malfaiteur protestant, condamné à mort, avait fait
appeler les ministres; mais ceux-ci ne savent que l'acca-
b)er d'objurgations et le jeter dans le désespoir; après
leur départ, l'un des Pères allant le consoler, le ramène
à la vraie foi et à des sentiments de pénitence tels qu'il
hvra sa tête au bourreau avec les marques du plus pro-
fond repentir les protestants en étaient dans la stupeur.
Parmi les criminels condamnés au supplice se trou-
vaient ces pauvres victimes de la superstition, que le
prétendu crime de sorcellerie faisait livrer aux flammes
du bûcher. Les Jésuites avaient accepté la mission de
les assister à leurs derniers moments, et plus d'une fois
ils réussissaient même à les sauver de la mort. C'est ainsi
qu'ils purent délivrer un jeune garçon de 12ans qui
~vait été arrêté comme sorcier. Ce malheureux enfant
avait été égaré par sa propre mère, véritable sorcière,
qui ne craignait pas de l'emmener avec elle au sabbat,
montée sur une fourche, et de l'initier au culte de Satan
au milieu de danses et de cérémonies sacrilèges.
En 16og le Sénat voulant reconnaître les services
rendus par les Pères, ajoutèrent à leur revenu annuel
400 florins et 22 quartauts de seigle de son côté ta ré-
gence obtint de l'archiduc Maximilien une rente de 200
Serins et la prolongation pour quatre ans du droit de
faire du bois dans la forêt.
COLLÈGE DE HAGUENAU.

La même année on célébra avec pompe la Bëatiiica-


tion de saint Ignace, le fondateur de la Compagnie. De*
nombreux fidèles firent la communion en l'honneur du
nouveau Bienheureux, et leur dévotion fut payée de
grâces signalées, voire même une guérison quasi miracu-
leuse.
La guerre qu'avait allumée la succession de Juliers
entre les pnnces protestants et l'archiduc Léopold, évêque
de Strasbourg, promenait alors ses ravages en Alsace-
Molsheim assiégée avait été forcée de capituler. Les Jé-
suites cherchèrent un refuge à Haguenau. Les troupes
de Léopold et celles des princes confédérés pillaient et
dévastaient tout le pays. Le duc de Lorraine et les sei-
gneurs d'Alsace s'assemblèrent à Haguenau pour délibérer
sur les moyens de terminer la guerre. Mais on ne par-
vint pas à s'entendre et les hostilités se prolongèrent
aussi désastreuses jusqu'a ce que les deux partis lassés,
écoutant le duc de Lorraine et le comte de Nassau, si-
gnèrent enfin la paix à Willstett, bourg situé au-dela
du Rhin, à deux lieues de Strasbourg (27 août !bio).
Dans un des articles du traité, il était dit qu'on ne
s'inquiéterait plus au sujet de la religion. Huit ans
après éclatait la guerre de Trente ans
L'un des professeurs du collège était protestant
c'était une anomalie contraire à l'Institut; on réussit a
se débarrasser de lui, mais les protestants profitèrent de
cet incident pour arracher au Sénat l'autorisation d'ouvrii
des classes, dirigées par des maîtres de leur religion.
Quand on annonça l'ouverture de cette école, les élèves
qui devaient quitter les Pères, témoignèrent par leurs larmes
combien ils les regrettaient; le professeur protestant lui-
même déclara hautement qu'il avait trouvé chez les Pères
les plus grands égards.
COH~GE DE HAGUENAU.

4. Fondation du collège.

Depuis dix ans (1604-16:4), les négociations entamées


entre le magistrat et la Compagnie pour la fondation du
collège n'avaient pu aboutir à une conclusion. Le P. Gé-
néra} prescrivit au P. Provincial de faire une démarche
auprès du Sénat et d'exiger une solution définitive. Le
n. Metternich, recteur du collège de Spire, assisté du
Supérieur de Haguenau, -reçoit la mission de s'entendre
avec les sénateurs. Mais ceux-ci, alléguant la pénurie du
trésor, prétendent qu'ils ne sauraient assurer le moindre
ievenu, et toute l'affaire eût été rompue sans l'interven-
tion de l'archiduc Léopold, évêque de Strasbourg. Ce
prince, s'adressant à l'empereur Mathias, obtient de lui
une lettre qui enjoint au Sénat d'avoir à prendre une
décision conforme au bien de la religion. Les débats
turent très mouvementés les sénateurs protestants se
montiërent hostiles a la fondation projetée, et il fallut pour
vaincre leur opposition la présence de Spinola, le com-
mandant des troupes impériales. Le parti catholique finit
par triompher; le fils de M. Westerme\er, un des plus
chauds partisans des Jésuites, accourut poi'ter la nouvelle
au collège. On venait de se mettre à table; le recteur fit
servir un plat supplémentaire, et après le repas, on alla
réciter le Te Deum à la chapelle.
L'acte authentique de fondation fut remis en double
exemplaire scellé au P. Provincial et au P. Supérieur.
Ce fut une joie universelle dans toute la ville six
membres du Sénat vinrent en groupe apporter le diplôme
de fondation aux Pères réunis au réfectoire le dîner qui
suivit fut agrémenté de poésies et de compliments. Le
lendemain il y eut une messe d'actions de grâces, à la-
quelle assistèrent plusieurs sénateurs et dignitaires de la
préfecture. De son côté le prince Léopold voulut com-
pléter la donation il assura aux Pères la possession du
couvent des Wilhelmites, où il ne restait plus qu'un seul
COLLÈGE DE UAGUENAU.

religieux. Le pape Paul V confirma cette donation par ij


bu))edu8 8 juin t6t~
II est juste de nommer ici les sénateurs catholique
qui se montrèrent les plus ardents à défendre la cause
des Jésuites. Ce furent MM. Westermeyer, Kindtweiler.
GraiT, Ruon', etc., dont la Compagnie n'a cessé de garder
un souvenir reconnaissant

5. Premières années du collège.


(i6[4–t6!8)
Une fois la fondation assurée et acceptée par le
P. Général Claude Aquaviva, les Jésuites organisèrent le
collège tout en se livrant au ministère apostolique. La
communauté se composait alors de neuf membres trois
prêtres, trois jeunes professeurs non encore ordonnés et
trois Frères coadjuteurs pour le service de la maison.
Aux classes de grammaire on ajouta successivement une
classe d'humanités et une autre de rhétorique avec )8
élèves. Les études furent poussées avec vigueur; mais
plus soucieux encore de former leurs écoliers à la piété
qu'à la science profane, les Pères fondèrent une double
congrégation de la Sainte Vierge, qui produisit bientôt
des fruits consolants. On vit fleurir parmi les congréga-
nistes la modestie, l'observation exacte de la règle, la
ferveur au service de Dieu chaque semaine ils s'appro-
chaient des Sacrements pour résister au mal il leur suf-
fisait de se rappeler leur titre d'« Enfants de Marie
Plusieurs devinrent de véritables apôtres au sein de leurs
familles; l'un d'eux eut la joie de ramener à la vraie foi
sa mère qui vivait dans l'erreur depuis de longues années.
A côté des deux congrégations du collège, les Pères
en établirent une troisième pour les bourgeois de la ville
le mouvement de conversions parmi les protestants se
dessina d'une manière continue. En 1612z on compta
quatorze retours; dix-neuf en i6j3; seize en t6t4 et
dix-huit en !6i5; vingt-six en !6i6; quarante en 1617;
COLLÈGE DE iIACU.KNAU.

t:ente en 1618. Le peuple, nourri de la parole divine


jjns des prédications fréquentes, reprit les saintes pra-
tiques de la religion si longtemps négligées.
Quand l'archiduc Léopold demanda des prières pu-
bliques pour le salut de l'empire menacé d'un côté par
~s Turcs, de l'autre par les hérétiques, on organisa les
riëres des Quarante Heures, et pendant trois jours, de-
vant le S. Sacrement exposé sur l'autel au milieu des
[leurs et des lumières, les bourgeois se pressaient nom-
breux, se relayant d'heure en heure, sous la conduite
~'un prêtre qui' récitait des prières.
Dans leur zèle, les Pères n'oubliaient ni les pauvres
ni les malades de l'hôpital; leur charité s'étendait même
.mx criminels et aux malfaiteurs. En 1612 toute une
bande de brigands avaient été condamnés au supplice de
ia roue les Jésuites les assistèrent au milieu des tor-
tures les plus cruelles et les disposèrent à une mort
chrétienne et résignée. Plus tard ils accompagnèrent
au supplice huit malheureuses victimes de la superstition,
condamnées au feu pour avoir exercé le métier de sor-
cières. Par leurs exhortations, ils parvinrent a les arracher
ju désespoir; l'une de ces pauvres fut amenée à ré-
tracter une accusation fausse que lui avait arrachée la
torture contre une de ses ennemies une autre témoignait
une joie toute céleste après avoir reçu les Sacrements
nQue je suis heureuse!)) répétait-elle avant de marcher
au supplice pour y expier ses crimes.
Vers ce temps-là (i6]2), un des jeunes professeurs
fut enlevé par une mort prématurée c'était le Fr. Adam
Cromer, à peine âgé de 26 ans vrai modèle d'obéissance,
Jans le délire le plus violent, il suffisait pour le calmer
de lui dire «C'est la volonté du P. Supérieur! »
Deux ans après (t6t~.), le F. coadjuteur Léonard
Scheffer fut frappé d'apoplexie en travaillant au jardin et
mourut peu d'heures après, muni des Sacrements de
l'Eglise.
(A suivre.) P. MuRY.
LA LÉGENDE D'OBERLIN
Pasteur au Ban-de-la-Roche.

(Suite.)

Mais peu après cette alerte, il en eut une autre plu;


terrifiante. Le 22 juillet 1794, les représentants du peuple
Goujon et Hentz prirent un arrêter en vertu duquel tou-.
les ministres du culte devaient être aussitôt arrêtés et
conduits à la citadelle de Besancon, où ils seraient en-
fermés et traités comme des gens suspects. Cet arrêté fut
affiché dans toutes les communes, et le général Diècbc
fut chargé de l'exécuter sans délai. En effet, il rafla tous
les curés, pasteurs, rabbins résidant dans le Bas-Rhin.
C'étaient surtout des prêtres vieux et infirmes qui n'avaient
2 l'un d'eux était et presque
pu émigrer;~ octogénaire
aveugle plus six rabbins et huit prédicants, parmi les-
quels Oberlin et Bcecke), pasteurs au Ban-de-la-Roche.
Ils ne s'attendaient, ni l'un ni l'autre à être arrêtés. En
parlant du ministre de Waldersbach, Madame Ernest

1 V. Recueil des pièces authentiques servant à l'histoire de


Revolution à Strasbourg I, 76-
2 Beuchot, J. Les prêtres sexagénaires et infirmes du Bas-Rh'n
pendant la Révolution (Rixheim, 180~.).
Winterer. La persécution religieuse en Alsace, p. !z8, !84.
Schneider, 1. cit p.
LA LÉGENDE D'OBERHN.

;chrich écrit, dans la Revue als. ill. 1910, N" 2, «~'cc


;<? souplesse, ce y<t!?~ jp<t/r/o/f s'était mis en règle vis-
des ~M~Or~M r~'O/M~'O/~M~ tU~ substitué au
oH! d'église celui de temple de la ~~o?! et o~cr~e le
,c~ Ce fut le 28 juillet tyf~ (10 thermidor an II),
pendant qu'ils assistaient à un repas, qu'ils furent
cnmenés par le val de Villé à Sélestadt. Là, par
"ne faveur spéciale de Stamm, agent national de
Benfeld, ils sont consignés dans une auberge, et même
?dmis à la table d'hôte avec des administrateurs du dis-
trict, tandis que les prêtres sont détenus et ensuite écroués
p Belfort et à Besançon, où entassés dans des cachots
ils sont soumis à de cruelles privations. Voués à la mort,
iis pouvaient du moins se féliciter comme les apôtres
.t'avoir été jugés dignes de souffrir pour le nom de Jésus-
Christ. (Act. 5.)
Au bout de trois jours, les deux pasteurs furent mis
en liberté. Stamm en signa l'arrêt et intima aux munici-
palités de Waldbach et de Rothau de ne pas inquiéter
lesdits citoyens, sous leur responsabilité 2
personnelle.
La réaction thermidorienne produisit un heureux.
changement dans la destinée d'Oberlin, probablement
grâce au conventionnel Grégoire, qui lui témoignait tou-
jours une grande bienveillance. A peine avait-il failli
être précipité de la Roche Tarpéienne qu'il était glorifié
au Capitole. Le 16 fructidor, an II, la Convention dé-
créta qu'il avait bien mérité de la patrie ainsi que son
prédécesseur Stuber, « en enseignant la langue française
a leurs paroissiens, qui jusqu'alors ne parlaient qu'un
patois inintelligible. a Un extrait du procès-verbal relatant

Daniel Stamm se signala par son ardeur à traquer les prêtres


catholiques. V. Stamm, D. Der National-Agent beim Benfelder Dtstnkt,
'~ir Zen in Schletstadt, an allé National-Agenten der Gemeinen.
'~chletstadt, tygS). C'est une Sarah Stamm de Barr, comme Daniel
~tamm, qu'épousa le sanguinaire abbé Euloge Schneider, la veille de
son arrestation.
E. SI. 264.
Ibidem. 232.
Revue. Mai 1910. i9
LA LÉGENDE D'OBERLIN.

cette mention honorable leur fut adressée. Cependant ce


ne fut que le 22 mars 1795, an III, après un an d'intei.
ruption, qu'il fut autorisé à prêcher l'Evangile, à la con-
dition toutefois de prêter serment de haine à la Royauté
et à l'Anarchie, de fidélité à la République et à la Cons-
titution de l'an !II, et de soumission aux lois sur le culte.
I! le fit et put reprendre les fonctions de son ministère.
Son serment de haine à la Royauté ne devait pas lui¡
coûter, quand on songe qu'il était lié d'esprit et de coeur
avec l'abbé Grégoire qui a prononcé cette phrase connue:
«L'histoire des rois est le martyrologe des peuples » et
qui lui écrivait « J'aurai du moins vu extirper de ma
patrie la race infâme des rois. Haïssez-les bien, mon ami,
car ils n'ont fait, ils ne font et ne feront que du mal au
monde; je vous déclare que j'aimerais mieux les dix
plaies d'Egypte qu'un roi)~, et qui dans une autre lettre,
datée du 21août jya3, lui disait «Mon ami, je frissonne
quand je songe a cette horde de scélérats couronnés. H
Nous regrettons, pour la mémoire d'Oberlin, ses re-
lations si intimes avec Grégoire et Merlin, l'un et l'autre
régicides, Merlin qui avait demandé l'application de la
peine de mort a Louis XVI, et l'abbé Grégoire qui, en
mission lors du procès du roi, envoya son vote dans une
lettre du tg janvier iyc)3, où il se déclarait pour la con-
damnation de Louis Capet, sans appel au peuple.2
Cependant, bien avisé, le pasteur de Watdersbach
avait su, aussitôt après la chute de Robespierre, en orga-
nisant un club avec le temple pour lieu de réunion, se
faire entendre de ses gens du haut de la chaire, c'est-à-
dire de la tribune, et leur 'parler de ta religion chrétienne
et de la morale évangélique, en même temps que de la
République française et de la morale civique, des Droits
de l'homme et de la liberté, de l'égalité et de la fra-
ternité.

~E. St. 253.


2 V. livre XC., p. 536. Histoire universelle.
Rohrbacher, (Paris,
i85o, Gaume frères)
LA LEGENDE D'OBEBLIN.

Dans son journal, Octavie de Berckheim raconte une


~;e à laquelle elle avait assisté à l'église de Fouday.
Les jeunes gens furent questionnés sur les Droits de
j'ho.nme en présence de toute la communauté. Sur l'in-
flation du président, Oberlin continua le discours du
je~iier décadi, fit une prière avant et après (à l'Être
~urtcme), tandis que tout le monde était agenouillé et
les femmes cachaient leur visage dans leur mains.
que
Ensuite un autre orateur parla sur des sujets divers.
En~n on lut la feuille- villageoise, et l'on fit passer le
nKhngelbeuteb).
Oberlin célébrait les fêtes constitutionnelles en l'hon-
ncu) de la Nation, de la Liberté, de la Jeunesse, de l'Agri-
cutture, mais ne fêtait point, nous aimons à le croire,
t'Anmversaire de la mort de Louis Capet. Il observait le
decjdi au lieu du dimanche. Voici un passage du discours
qu'il prononça à la Fête de la Jeunesse « On est répu-
blicain, quand on préserve ses enfants de cet esprit égoïste
qui, aujourd'hui plus que jamais, semble dominer une
nation qui a fait serment de s'entre-regarder et de s'aimer
comme des frères, tandis que la plupart n'ont soin que
d'eux-mêmes et ne font rien pour le public que s'ils y
sont forcés. Oh loin de nous cet esprit infernal, anti-
républicain, en même temps qu'anti-chrétien. B Le journal
') Eglise libres, édité à Nice, a publié, en i8y3, plusieurs
discours prononcés par Oberlin, pendant la période révo-
lutionnaire, et dont voici la liste Fête de la Jeunesse.
Cabaretiers scandaleux. Dieu ou Mammon. Le
devoir de la persévérance. Sermon funèbre général.
Le grand cimetière. Les royaumes du monde et le
ro\~ume de Jésus-Christ. La vérité. La haine des
~rans et des traîtres. L'amour de la patrie. Devoirs
d'un patriote. Bois vert et bois sec. La République.
La couronne. Pardon et sainteté. L'empire de
la mort. Intercession. Les 144 villes marquées du
sec ~u du Dieu vivant.
Le libre exercice du culte public, octroyé en 1795,
fut une liberté
précaire, éphémère pour les prêtres fidèles,
LA LÉGENDE D'OBERMN.

revenus dans leurs paroisses. Ils durent reprendre hier' t


le chemin de l'exil pour échapper à la déportation,
réclusion et même à la mort. Mais l'ex-capucin Thiric.i
curé intrus et constitutionnel de Colroy-la-Roche, et Ob
lin, pasteur protestant, ne furent nullement inquiétés.

XIII.

Propagande d'Oberlin.

Après que le calme fut revenu dans le pays ..)


l'avènement de Napoléon 1~ et que les Eglises de France
furent réorganisées, Oberlin étendit le cercle de son a~in-
vité religieuse. Il devint un des agents les plus actifs le
la Société biblique de Londres, fondée en 180~, et ~u;
fut la première Société de ce genre, et de la Société bi-
blique de Paris, à laquelle il adressait de temps enten'p*-
des dons de sa paroisse. II répandit des Bibles dans le
pays et même plus tard jusque dans les départements uu
Midi et de l'Ouest de la France. Avec la collaborauon
de son fils Henri et de Daniel Legrand, il fit Liu
Ban-de-la-Roche un foyer de propagande protestantc
Stoeber rapporte qu'Oberlin offrait des exemplaires du
Nouveau Testament à des catholiques laïques et ecL\-
siastiques. Il n'aurait pas osé en offrir a des curés, ~')
auraient pu lui montrer des bibliothèques bien fourni
en Bibles latines et françaises, Evangiles, Commentaires
des SS. Ecritures, ceux par exemple de Dom Calmet
Senones. Si les clercs ne transcrivent plus aujourd'hui ~s
Saints Livres, comme avant l'invention de l'imprimer.r.
ils les étudient et les lisent tous les jours dans les pr--
bytères et les couvents, ne fût-ce qu'en récitant l'ofL.'ce
divin. Mais que des Bibles protestantes aient été donn', s

<E. St. 364-379.


LA mSENDED OBERUN.
viiïageois cathotiques du voisinage, et que les curés
t _itent défendu sévèrement la Iccture, ainsi que l'aftirme
~er, c'est très vraisembtabte, pat ce qu'elles n'étaient
approuvées par qui de droit, qu'elles ne présentaient
tne garantie d'authenticité, d'intégrité, d'exactitude et

~ce que ces vitta~eois n'étaient pas préparés par leurs


:des à lire les Ecritures et à les bien entendre.
Oberlin se plaint de cette défense pourtant bien justi-
ct propre à prévenir les explications arbitraires, erronées,
nicieuses de la parole de Dieu, cause de divisions chez
protestants, qui « les détournent à de mauvais sens
LA LÉGENDE d'OBERLIN.

pour leur ruine. S. Pierre, III, iG. Un jour, racep,te


Stœber, un instituteur catholique vint trouver Oberlin [.JUr
savoir de lui si sa Bible était authentique, comme si ce -i1^
tait pas à l'Eglise enseignante divinement instituée de f i[rt
connaître quelle est la parole de Dieu. Cet instituer
voulait probablement narguer son curé et faire sa cjur
au pasteur. Quoique celui-ci déployât beaucoup de
zèle à distribuer des Bibles et des tracts religieux, il n'a
opéré aucune conversion dans le pays. Il se serait fut
une étrange illusion s'il s'était flatté d'amener des catho-
liques au protestantisme par ce moyen-là. Mais l'expé-
rience lui a démontré certainement qu'il vaut mieux, d.-ns
ce but, élever des enfants catholiques abandonnés. C\^i
ce que fit une protestante nommée Sophie Bernard de
Fouday, en recueillant chez elle quatre petits enfants et
en récompense de quoi, elle reçut de son ministre une
Bible. Celui-ci continua la coutume introduite par son
prédécesseur, de faire cadeau d'une Bible aux nouveaux
mariés et d'un Nouveau Testament aux confirmants.
Grâce à une petite presse qu'il s'était procurée, il impn-
mait lui-même des sentences bibliques sur des feuilles
volantes. D'où cette autre coutume d'en distribuer et d en
faire placarder dans l'intérieur des maisons avec de juhs
encadrements, conformément à ce passage du Deutcro-
nome VI, 9, qui prescrit d'écrire les ordonnances de Dieu
sur toutes les portes et de les enseigner à chaque instant.'
Il répandait encore un almanach, où un verset de la Bible
était placé à côté de chaque jour de l'année et qu'éditaient
les Nouveaux Frères-Moraves, autrement dit Herrn-
huters, dont il était grand admirateur. Ceux-ci for-
maient une nouvelle secte de Frères du libre esputIt
ou d'Illuminés, comme les Quakers, les Méthodistes,
les Swedenborgistes, s'imaginant recevoir directement
des révélations du Ciel. 2 Ils vivaient en commun

1 C. Fischer, p. 60. E. St. 179 Portraits et histoire i!>s


hommes célèbres. Oberlin.
3 Cf. Bergier, Dictionnaire, art. Herrnhuters. Blanc, Cour^
d'histoire ecclésiastique, T. II, p. 569.
LE LÉGENDE D'OBBBLIN.

dans la Lusace, sous la direction suprême du comte de


Zinzendorf, leur fondateur; ils avaient une caisse com-
mune appelée la caisse du Sauveur, et, tout en adhérant
a la Confession d'Augsbourg, ils professaient des idées
bizarres sur la régénération spirituelle, la liberté chré-
ilenne, le mariage, le sort. C'étaient les idées du pasteur
du Ban-de-la-Roche, aussi louait-il en chaire leur genre
de vie et leurs oeuvres, de même qu'il parlait avec sym-
pathie des Hussites, des Vaudois, des Wiclefistes, bref
des diverses sectes qui avaient secoué l'autorité de l'Eglise,
ou selon l'expression de Stoeber, «brisé le joug papal et dégagé
le christianisme des supercheries romaines.»1 1 Il prônait
surtout les missions des Frères-Moraves établies en divers
pays et jusque chez les Hottentots; et de même que ces
missionnaires prenaient à tâche « de réveiller les peuples
de leur assoupissement spirituel», ainsi notre ministre
avait à cœur les oeuvres de propagande. Il s'intéressait
et savait intéresser ses paroissiens aux Missions évangé-
liques de Londres, de Paris, de Bâle, et, avec le produit
des collectes faites dans sa paroisse, il contribuait à leurs
succès. 2
Du côté catholique aussi, l'émulation des prêtres et
des fidèles de l'Alsace et de la Lorraine pour la conver-
sion des païens a été plus que jamais excitée au XVIIIe
et au XIXe siècle. Aucune province n'a vu surgir de son
sein autant de missionnaires, dignes d'admiration pour
leur zèle apostolique et leur héroïsme, confesseurs de la
foi ou victimes de leur dévouement. Quelle longue liste
de noms pourrait-on citer depuis le bienheureux martyr,
Augustin Schceffier3 jusqu'à l'évêque Hacquard4 noyé dans
le Niger Une congrégation fondée au XIXe siècle par le

1 E. St. 552.
a E. St. 38o ss.

Adrien Launay, Les cinquante-deux serviteurs de Dieu, T. II,


127 ss.
L'abbé Marin, Vie de Mgr Hacquard, édition illustrée, chez
Berger-Levrault, Nancy.
LA LÉGENDE D OBERLIN.

Vénérable Libermann, juif converti de Saverne; et réuni,


à celle du Saint-Esprit créée au XVIIIe, se recrute sur-
tout en Alsace et a déjà fourni de nombreux mission-
naires qui se sont signalés par leur valeur, leur abro-
gation, leur apostolat et leur sainteté notamment le
P. Schwindenhammer, supérieur général, le P. Horner
fondateur de la mission du Zanguebar, les évèques Ku-
nemann, Riehl, Adam, Allgeyer, Corbet, etc.
Aucune province, grâce au zèle déployé par ses cure--
et ses religieuses, n'a autant participé par ses cotisation
aux œuvres de la Propagation de la Foi et de la Sainte-
Enfance. Cette dernière œuvre a été fondée pour le rachat
des enfants chinois, par un évêque de Nancy, Mgr de
Forbin-Janson. Honneur aussi à tous ces pionniers de L
civilisation chrétienne Ils peuvent soutenir la compa-
raison avec les Frères-Moraves, tant admirés d'Oberhn
C'est trop peu dire, ils les distancent de beaucoup dan, la
voie de l'évangélisation. Honneur aussi à leurs humbles
collaborateurs de notre province

XIV.

Améliorations matérielles au Ban-de-la-Roche.

Sans être complètement retombé à l'état sauvage, ce


coin de terre, quasi perdu derrière le massif du Champ
du feu, était privé, dans la première moitié du XVIIIe
siècle, des avantages et des commodités d'un pays civilist,
Les communications étaient malaisées à cause du mauvais
état des chemins et du défaut de ponts cependant Ics
indigènes voyageaient autrefois sans trop de peine sur leurs
petits chevaux trapus, qui leur rendaient de bons ser-
vices, mais dont la race a disparu depuis.
Marchant sur les traces de Stuber, Oberlin s'employa
à procurer à ses paroissiens le plus de bien-être matériel
LA LÉGENDE D'OBERLIN.

par diverses améliorations et inrovations. Mais


,ssible
'c: n'était pas une mince affaire que de les tirer hors de
1 ornière de la routine. A son arrivée dans sa paroisse,
,l dut être affligé du contraste entre la seigneurie de la
],oche et la petite principauté limitrophe de Salm-Salm,
que l'abbaye de Senones rendait prospère, grâce au labeur
ititelligent de ses religieux bénédictins. Depuis le VIIe
b'ècle, ceux-ci n'avaient cessé de travailler au bien des
habitants, tant au point de vue économique qu'intellectuel
et moral. Ce sont eux qui ont assaini la vallée du Rabo-
ùeau, percé les forêts, défriché les terres, et qui alliant,
vivant la règle de saint Benoît, le travail des mains à
celui de l'esprit, firent de ce val un pays fertile, char-
mant et heureux. 1 Malheureusement les grandes fabriques
ont, depuis un siècle, apporté des changements regret-
tables. L'air et l'eau ont été altérés, corrompus, le ciel
obscurci par d'épaisses fumées, et, résultat plus triste
encore, la vie de fabrique a perverti les âmes.
Mieux que personne, Oberlin sentait la différence
entre les deux districts voisins. Vivant, non pas comme
le seigneur du lieu loin de son domaine, et connaissant
les nécessités et les misères locales, il se met à l'œuvre,
fait appel à tout le monde, sollicite des concours, triomphe
Je l'inertie des municipalités réfractaires à tout change-
ment et, à force de démarches et d'instances, au besoin
en prenant lui-même en main la pelle et la pioche, il
réussit à frayer des chemins, à construire un pont dit de
Charité et des ponceaux, à élever des murs de soutène-
ment, bref à établir des voies de communication plus
praticables. 2 Tout cela ne se fit pas sans frais. Heureu-
sement il fut bien secondé dans tous ses desseins par la
générosité et le crédit de ses amis. Depuis sa mort, le

1 V. l'Histoire de l'abbaye de Senones, publie d'après le ma-


nuscrit de Dom Calmet par F. Dinago, dans les Bulletins de la
Société philomatique Vosgienne, 3 à 7 années.
s E. St. i33 ss. et
340 ss. Ch. W. Géographie de l'Alsace-
Lorraine, p. 34 (Strasbourg 1873).
LA I.ÉGESDE D'OBEKLIN.

service organisé des ponts et chaussées a opéré, avec tvs


ressources plus considéiables, des améliorations plus imno;.
tantes. Le voyageur visitant le Ban-de-la-Roche et admire->t
ses belles routes et ses ponts solides jetés sur la Brucr r,
est enclin à les attribuer à Oberlin. Pas même le pont ie
Charité, construit par lui, ne subsiste. Il y a moins d\n
demi-siècle, le pays avait encore un aspect assez misé-
rable. Des chemins étroits et pierreux, des côtes dénu-
dées, des toits de chaume moussu, des genêts et des
chèvres C'était ce qui frappait le touriste qui s'était
imaginé un pays admirablement transformé. Il en me-
nait désenchanté des descriptions fantaisistes du Ban-
de-la-Roche. S'il le visite aujourd'hui que de jolis mi-
sons ont remplacé les anciennes chaumières, s'il vient :1
la saison des fleurs et contemple l'aspect coquet des
maisons avec leur parure de géraniums et d'hortensia
aux fenêtres et dans les parterres, il est charmé. C'esi
probablement sous cette agréable impression que Carlos
Fischer a écrit sa petite brochure sur Solbach « Le
parfait village » comme c'est en souvenir des plaisirs
champêtres goûtés dans son jeune âge, à Waldersbacb.
qu'Ehrenfried Stœber2 a chanté le Ban-de-la-Roche et ses
bienfaiteurs, son vieux manoir et ses forêts comme c'est
l'amour du pays natal qui inspira ces lignes à Edouard
Morel «Aujourd'hui tout a changé d'aspect. Une cul-
ture intelligente a fécondé le sol, et converti en jardins
et en prairies artificielles un terrain pierreux et stérile.»8 3
Ce qui a été publié sur les grands progrès réalisés en
économie rurale, grâce à l'initiative d'Oberlin, est évi-
demment exagéré. A cause de son climat froid et humide,
de ses longs hivers, de son terrain pierreux, le Ban-de-
la-Roche ne se prête pas à une culture très rémunéra
trice, intensive et variée, comme les belles campagnes de

1 C. Fischer, L'Alsace champêtre, Le parfait village.


E. Stœber, Sâmmtliche Gedichte, 2 B. Strassb. i835.
Société Monthyon et Franklin. Portraits et histoire. Oberlin
(i833– 1834).
LA LÉGENDE D'OBERLIN.

i'Alsace. Tout se réduit, en dehors des jardins, à la culture


des pommes de terre, du seigle, de l'avoine, et par ci par là
d'un champ de trèfle ou de betteraves. Autrefois on semait
encore des champs de lin et de chanvre pour les usages
domestiques, beaucoup de pois et du sarrasin. La pomme
de terre avait été introduite au commencement du XVIIIe
siècle par le pasteur Jean-Jacques Walter,' non à la vé-
rité sans qu'il se heurtât à des gens prévenus et routi-
niers, qui préféraient leur qnoyejotte (plat d'herbes cuites)
à cet excellent tubercule destiné pourtant à devenir la
base de leur alimentation quotidienne. En effet, la pomme
de terre vient à merveille dans ce terrain léger et a un
goût délicat qui la fait rechercher sur les marchés sous
le nom de « Steinthàler ». Sur le conseil d'Oberlin, on
taisait venir de loin, de la Suisse, de la Hollande, de la
Lorraine, de nouvelles semences pour remplacer les
2
espèces dégénérées.
(A suivre.)

1 Lebensbilder aus dem Elsass, Fritz Oberhn,


Evangelische p. 6
2 Ibidem.
M. LE VICAIRE GÉNÉRAL RAPP.
y
{Suite.)

Nomination à la cure de Bouxwiller. Mon acte


d'installation à Bouxwiller. Incident pénible. Cette
nomination a été signée par le roi Louis-Philippe le
12janvier 1845. Le 7 février je me rendis à mon nouveau
poste pour me faire installer. M. le curé de Hochfelden,
l'abbé May, eut la bonté de m'accompagner. Les chemins
étaient affreux, il venait de tomber beaucoup de neige.
Je fis ma visite au maire et aux membres du Conseil de
fabrique. Après que les membres du Conseil de fabrique
eurent signé mon acte d'installation, il se produisit un
incident qui était peu fait pour m'encourager. Le tréso-
rier de la Fabrique, M. C., marié à une femme protes-
tante, avait fait élever tous ses enfants dans la religion
de sa femme, me fit une harangue telle qu'on devait
l'attendre d'un pareil catholique il me parla longuement
de M. Beiderlinden, mon prédécesseur, qui convenait
parfaitement à cette localité par son esprit de tolérance
pour gagner l'estime et la confiance de mes nouveaux
paroissiens, je devrais marcher sur les traces de M. B.
Je répondis en peu de mots que pour ma conduite à
tenir, j'avais à me conformer aux instructions de mon
évêque, seul compétent pour la direction d'une paroisse;
que j'étais prêtre catholique, apostolique et romain et
qu'avec la grâce de Dieu je le resterais, que je n'aimais
îtf. LE VICAIRE GÉNÉRAL BAPP.

la guerre; mais que je saurais défendre mes droits


pas
Je curé, si l'on venait à les attaquer.
L'hiver de 1845 fut extraordinairement rude et long.
Ce n'est qu'après le temps pascal que mon déménagement
,l pu avoir lieu. M. Schattenmann a bien voulu se char-
ger du transport de mes meubles de Strasbourg à Boux-
u îller. La lettre qui suit, écrit à M. le curé de Mulhouse,
icnd compte de mon installation, je la transcris
Bouxwiller, le ier mai 1845.
Mon cher Monsieur le Curé,
Installation à l'église. Enfin est-ce bien vrai
ne serait-ce qu'un rêve ? Je suis curé à B., curé déjà
installé. Après six cruels mois d'inquiétude, après bien
des courses en chemins de fer, après les embarras et les
fatigues d'un déménagement pénible, je m'écrie avec le
pieux Enée
Salve fatis mihi debita tellus, hic domus, hic patria est.
Que vous dire de notre voyage? Nous sommes arri-
\és au port sains et saufs, je n'excepte pas même le petit
chat et les petits poissons qui sont très alertes. Nous
hommes arrivés ici par un temps affreux, ce fut vers
midi, nous trouvâmes le presbytère entièrement évacué.
Les voituriers se mirent à décharger. Nous fimes cher-
cher notre dîner à l'auberge; il n'y avait ni table, ni
chaise, ni ustensiles de cuisine. Un panier renversé nous
servit de table et nous mangions comme les Israélites
stante pede. Nous riions de cette scène, mes bons Rie-
disheimer, en la voyant, auraient pleuré. Le dimanche
arriva. Je n'avais pas besoin de me presser pour me
rendre à l'église, puisque l'office ne commence ici qu'à
dix heures; à Riedisheim, dès 5 heures du matin, il y
avait des confessions à entendre, ici pas avant 7 ou 8
heures. Arrivé à l'église, mes yeux cherchaient mes pa-
roissiens d'autrefois, en vain Je ne vis que des figures
étrangères au lieu d'une belle église toute remplie, mes
yeux ne rencontrèrent qu'une église pauvre, petite et en-
core. à moitié vide. J'avoue que cela me serra le cœur.
M. LE V1CAIBE GÉNÉRAL HAPP.

Après Vèpres, M. le maire, protestant, et les membres


du Conseil de fabrique vinrent me complimenter. Je fis
bonne contenance.
Parlons maintenant de mon installation à l'église.
C'est M. May, curé de Hochfelden, qui présida, assisté
de M. Kœhler, curé de Brumath. La cérémonie avait
excité la curiosité des protestants qui y assistèrent en
grand nombre. M. Naegelin, le maire, y vint et parut fort
édifié de tout ce qu'il voyait et entendait. Le soir je réunis
a table les autorités, parmi lesquelles AI. Schattenmann,
directeur des Mines. Tous ces messieurs me firent mille
protestations de bienveillance. M. Schattenmann a parlé
de M. André Kœchlin, qu'il accusa de n'avoir donné à
AI. le curé Lutz que des promesses pour la construction
d'une église; il ajouta que cela l'étonnait d'autant plus
que le clergé s'était toujours montré sympathique à
M. Kœchlin à l'occasion des élections, que dans les loca-
lités mixtes où les protestants sont la majorité, ceux-ci
devraient se faire un devoir de se montrer généreux vis-
à-vis de la minorité. J'ai pris note de cette dernière pa-
role et au besoin je la rappellerai à M. Sch.
Le lendemain de cette fête, AI. Sch. me conduisit
dans les écoles et dans les salles d'asile. Ces derniers
sont malheureusement mixtes et il me paraît, pour le
moment, difficile d'obtenir la séparation, en raison du petit
nombre des enfants catholiques.-Ma tâche sera rude, priez
Dieu de me soutenir et de bénir mes efforts. Que fait-on a
Riedisheim? je pense souvent à cette chère paroisse; mais
jamais plus que le soir quand, seul dans ma chambre, je
me laisse aller à mes souvenirs. Ce que j'ai quitté à
Riedisheim, je ne le retrouverai plus jamais; mais Dieu
m'a demandé ce sacrifice, il m'a donné la force de le faire.
M. le sous-préfet de Saverne vient de me nommer
délégué pour les écoles de ce canton.
Rappelez-moi, cher M. le curé, au souvenir de tous
ces Messieurs vos voisins, vos vicaires et de mes chers
Riedisheimer et agréez, etc.
L'installation canonique eut lieu le 27 avril 1845.
M. LE VICAIRE GÉNÉRAL RAPP.

.le suis nommé délégué pour les écoles du canton.

Saverne, le 9 avril 1845.


Monsieur le Curé,
J'ai l'honneur de vous informer que, par délibération du
_>-février dernier, le Comité supérieur, connaissant votre
,/e!e pour l'instruction primaire, vous a choisi pour l'un
je ses délégués, en remplacement de M. Bretz. Veuillez
le concours de vos lumières pour l'aider
picter au Comité
a 'emplir son importante mission et me faire connaître
\ûtie détermination le plus tôt possible.
Agréez.
Je réponds à M. le sous-préfet que je remercie le
Comité supérieur de la confiance dont il m'honore et que
je ferai tous mes efforts pour le justifier.
Plusieurs lettres m'arrivent de Riedisheim. On est
Ji^olé, mais on ne renonce pas à l'espoir de me voir
ie\enir. Je réponds
Lettres de Riedisheim. Es freut mich allemal
Etwas von meinen Riedisheimer Pfarrkinder zu erfahren,
besonders von Jenen die es so gut mit mir gemeint und
mu ihr Zutrauen geschenkt haben. Jetzt erst weiss ich
wic viele gute Freunde ich in Riedisheim hatte. Unver-
gesslich wird mir die Stunde bleiben, \vo ich von der
Iwnzel meine letzten Abschiedsworte an meine Pfarrei
spiach. Ich war so ergriffen dass ich nur mit Miahe
ipiechen konnte, als ich in den meisten Augen Thrânen
sa und das Schluchzen meiner theueren Schaflein horte.
Es schien mir, ich horte aus jeder Brust das kla-
sende Wort Hirt, was haben dir deine Schaflein zu Leid
^othan dass du sie verlassest? Diese Liebe meiner Pfarr-
k'nder ist's was mir das Scheiden so sehr erschwerte.
Oit denke ich an euch, oft reden wir von euch. Meine
tieude ware euch wieder einmal zu sehen, mit euch zu
ioden. Allein Gott hat es einmal so gefùgt, es bleibt uns
uichts tibrig, als dass wir uns in seinen heiligen Willen
ei'geben. Jesus, aller Priestcr Vorbild, hat gesagt «Ich
M. LE VICAIRE GÉNÉRAL RAPP.

bin gekommen nicht meinen Willen zu thun, sonda n


den Willen meines Vaters. » So muss auch ich sagci.
Nichts geschieht als durch Gottes Anordnung, und ali>s<;
was Gott macht gereicht Jenen zum Besten, die Ii,a
wahrhaft lieben. Der Herr verwundet und heilt wiedc
Er hat Euch einen Seelsorger weggenommen, hat euui
aber wieder einen würdigen und eifrigen Hirten gegeben.
Saget allen Riedisheimern, welche euch den Auftrag «.>
geben mir zu schreiben, dass ich ihnen dafür danke, da^
sie mir noch immer so zugethan sind. Saget ihnen, d<iss
ich keinen Tag vorübergehen lasse, ohne für sie /u
beten saget ihnen, sie sollen die Lehren und die Ei-
mahnungen ihres vormaligen Pfarrers nicht vergessen,
besonders nicht vergessen, was er in seiner letzten Prc-
digt ihnen so dringend anempfohlen und jetzt noch an-
empfiehlt, d. h. dass sie dem würdigen Herrn Pfarrcj,
meinem Nachfolger, dieselbe Achtung und Liebe erweisen
wie mir, und so wird Alles gut gehen. Das Wohl eintr
Pfarrei hângt nicht allein vom Seelsorger ab, wir sind
nur schwache Werkzeuge in den Hânden Gottes, dci
ist's welcher das Wachsthum und Gedeihen gibt. Der
beste Priester kann nicht alles Bose verhindern. Ich habc
diese Erfahrung auch in Riedisheim gemacht, und werck
sie hier gewiss auch machen. Es kommt besonders daraui
an, dass die Pfarrkinder die Stimme des Hirten horen
und ihr folgen. Thuet das. Endlich habt keinen andemn
Wunsch als dass in Allem der Wille Gottes geschehe.
Ich endige mit dem Gruss Der Friede sei mit Euch.
(A suivre.)
LE KULTURKAMPF
ALSACIEN-LORRAIN.

(Suite.)

IV.

La victoire que l'évêque de Strasbourg venait de rem-


porter sur le secrétaire d'Etat était décisive, tant par la
modération de la forme que par la force irrésistible de
ses arguments. Le libéralisme ne pouvait pas rester sous
le coup d'un échec aussi sanglant, et l'on vit se repro-
duire le phénomène que peu de semaines auparavant on
avait remarqué à propos de l'incident Ferrer. Au bout
d'une heure toute la meute était lâchée du Rhin à la
Vistule, de l'Elbe jusqu'au Danube, les journaux libéraux
affichaient à leurs vitrines les dépêches sur l'assaut de
l'épiscopat alsacien-lorrain contre l'Etat, et leurs rédac-
teurs écrivaient fiévreusement des articles indignés contre
i 'arrogance de la hiérarchie ultramontaine, et des appels
ardents à une croisade anticléricale. Comme d'habitude,
la presse mondiale fit mécaniquement chorus, tel le
polichinelle qu'on tire par un fil. Une partie de la presse
française se tint sur la réserve mal renseignée, comme
elle l'est par les agences libérales, elle croyait avoir affaire
à une démonstration antiallemande du clergé. Le baron
de Bulach, que peu de temps auparavant on traînait aux
gémonies comme traître à l'empire, était subitement élevé
sur le pavois, comme le palladium de la patrie dans les
Kevne. Mai 1910. 20
LE KULTURKAMPF ATiSACrEN-IiOEHAIN.

Marches de l'Ouest, menacées par les suppôts de la France.


Allait-on l'abandonner sur l'arène ? Personne ne vien-
drait-il à son secours pour le relever?
Le secours ne vint pas de Berlin comme on le de.
mandait. Le chancelier sans doute ne désirait pas être
interpellé sur la question, sans cela M. Bassermann, tou-
jours empressé et toujours secourable, lui aurait rendu ce
service; et dans les hautes régions gouvernementales l'A,
D. L. V. ne jouit pas des sympathies qu'on lui porte
sur les bords de l'Ill aux bords de la Sprée, MM. les
primaires ont le verbe moins haut.

Berlin restant muet, le Statthalter couvrit son subor


donné; la
presse officieuse annonça discrètement, puis
d'une façon très précise, qu'un échange de notes avait lieu
entre le comte de Wedel et Mgr Fritzen. Les voici

Le Statthalter comte de Wedel à l'Evêque Dr Fritzen.

Strasbourg, le 9 janvier 1910.


Votre Grandeur a répondu en date du 4 crt. à la lettre du se-
crétaire d'Etat du 1er crt., concernant l'affiliation des instituteurs
als -lorr. à l'A. D. L. V. Votre reponse contient des considérations
générales sur les rapports, non-seulement des instituteurs catholiques,
mais des fonctionnaires catholiques, avec leurs supérieurs ecclésias-
tiques. Comme il m'est impossible de reconnaitre l'exactitude de ces
considérations concernant tous les fidèles catholiques revêtus d'un
emploi public, je me crois, comme chef de l'administration du pays,
obligé de faire à V. Gr. les declarations suivantes
D'après les règlements relatifs au droit politico-religieux en
A.-L. la compétence officielle des autorités ecclésiastiques s'étend
exclusivement au terrain religieux ou ecclésiastique. Ces maximes
de notre droit public me semblent en contradiction avec la commu-
nication individuelle que vous avez faite aux instituteurs catholiques
en votre qualité d'evêque. Je proteste contre cette prétention, d'au-
tant plus sérieusement, que si je la reconnaissais, les fonctionnaires
catholiques du pays pourraient dans l'exercice de leurs fonctions et
de leurs droits civiques être impliquée dans des conflits de conscience.
L'affiliation à l'A. D. L. V. n'est une affaire ni religieuse ni
ecclésiastique il s'y agit plutôt de questions techniques et d'inte-
rêts corporatifs qui sont du ressort de la souveraineté de l'Etat.
Le gouvernement d'Alsace-Lorraine n'a pas de motifs d'inter-
dire cette affiliation, et cela n'est arrive dans aucun Etat confedéré.
Je n'ai pas à défendre l'A. D. L. V., mais à mon avis, il n'est pas
LE KTJLTUBKAMPI1 ALSACIEN-LOBBAIN.

e^ ,-t que cette Association favorise des tendances contraires à la


car plus de 100,000 instituteurs en
re' 'ion catholique, catholiques
li>, partie. Du reste, les bases sur lesquelles reposent l'école ne
de, endent pas des résolutions d'une association d'instituteurs le
rj ement des affaires scolaires est réservé à l'Etat qui agit par
1sL.-ord des pouvoirs constitutionnels.
Les principes d'où découlent les considérations de Votre lettre
fin; aient, selon moi, par créer une situation intolérable. Les auto-
ri,-s ecclésiastiques seraient en mesure d'en déduire le droit de ré-
jl.menter la conduite des fonctionnaires, non pas seulement pour
leji vie privée mais pour leur service, sitôt qu'un intérêt religieux
m'huât ou prétendu pourrait être mis en avant cela constituerait
un empiétement direct sur le droit exclusif de l'Etat de diriger ses
loi aionnaires.
Je ne puis pas ne pas profiter de cette occasion pour exprimer
a Gr. le regret qu'elle ait cru bon, pour influencer les instituteurs
catholiques, de se servir d'un article du nSchulfreund", dont les
attaques violentes contre les groupes favorables à l'A. D. L. V. sont
a considérer comme outrageuses à leur egard et dommageables à
leur honorabilité.
V. Gr. peut être assurée que le gouvernement regardera tou-
louis comme de son devoir de respecter sans restriction les droits et
la compétence accordés à l'autorité ecclésiastique par la législation
existante, et, au besoin, de les soutenir mais de mon côté j'espère
que Vous éviterez soigneusement de dépasser les limites que ces
lois ont tracées entre la compétence de l'administration ecclésias-
tique et de la civile.
C'est par là que l'on servira le mieux la cause d'une paix cons-
tate, si désirable, entre l'autorité de l'Etat et celle de l'Eglise.
Comte DE WEDEL.

L'Evêque de Strasbourg au Statthalter impérial.


Strasbourg, le 10 janvier 1910.
J'ai l'honneur de répondre à V. Exc. que j'ai pris, avec l'atten-
tioi qu'elle mérite, connaissance de Sa note d'hier. Je m'empresse
aussi de declarer que rien ne me tient tant à cœur, comme évêque,
qi'f de favoriser dans la paix une action commune des deux pou-
K>is pour le bien de la patrie, et en particulier, que j'ai fait ma
cc iirnunication aux instituteurs catholiques sans aucune intention
d -Tipiéter sur les droits de l'Etat.
Je prends cependant la liberté de Vous faire observer que ma
'e 're du 4 crt. sur la situation de tous les fidèles vis-à-vis l'autorité
F"storale et doctrinale de l'Eglise, n'exprime pas mon opinion per-
LE KULTUEKAMPF ALSACIEN-LORRAIN.

sonnelle et privée, mais l'enseignement officiel et dogmatique


l'Eglise catholique. On peut d'autant moins en déduire un dant.
pour la subordination des fonctionnaires à leurs chefs, que la di
trine des devoirs d'Etat forme une partie essentielle de notre co
moral, et qu'elle oblige spécialement les fonctionnaires à un acco-
plissement consciencieux de leurs devoirs professionnels et à la fi>j
llté envers l'autorité établie par Dieu.
Je ne veux pas nier la possibilité d'une divergence entre
vues de l'Etat et celles de l'autorité ecclésiastique. Mais avec c
intentions bienveillantes et des concessions réciproques, les difficuh.
des cas concrets pourront toujours s'aplanir à la satisfaction i.
deux parties, et V. E. me permettra de rappeler que, durant les
ans de mon épiscopat, j'ai toujours agi dans le sens d'un accc
pacifique avec le gouvernement. Je ferai d'ailleurs ressortir que 3
communication aux instituteurs ne regardait en aucune façon lee s
devoirs professionnels.
Quant à l'A. D. L. V. j'ai l'honneur de répéter que, si ses s\-
tuts ne renferment aucune disposition antireligieuse, de fait il rew'c
des tendances directement contraires au christianisme. Les organes s
de cette Association, tels que l'^Allgem. D. Lehrerzeitung", la nPdU?_
Zeitung", ,Bay. Lehrerzeitung", Pr. Lehrerzeitung", Dittes Pad.i-
gogium", etc., contiennent une série d'attaques contre l'Eglise, sjs
dogmes, sa hiérarchie, même contre les bases de la foi en Dieu, et
poussent directement à l'école sans religion. De nombreuses mani-
festations de ses Congrès révèlent les mêmes tendances, et non-
seulement elles n'ont provoqué aucune protestation, mais ont obtei jJ
d'unanimes applaudissements. Qu'il me suffise d'indiquer les Congru
de Munich en 1906 et de Dortmund en 1908 à celui-là, la résolu-
tion en faveur de la morale sans religion à l'ecole ne fut repousse
que pour des raisons d'opportunité à celui-ci, l'orateur principa1,
Dr Natorp, demanda aux assistants comme vœu pentecostal de ,pr<.
parer les voies de la séparation du catholicisme allemand d'avec
Rome." Son discours fut couvert de bruyants applaudissements, Lr
dans ses remercîments un orateur renouvela l'appel à se détourner
de l'Eglise catholique, la marâtre de l'école.
Ces faits prouvent à l'évidence que l'A. D. L. V. ne se borr
pas à s'occuper de questions techniques et d'intérêts professionnel
mais que sur le terrain religieux et ecclésiastique il poursuit dé-·
buts éminemment dangereux pour la foi catholique. Loin de voulo
entraver la liberté civile des instituteurs et limiter leurs droits pol
tiques, je n'avais en vue que les tendances antireligieuses de I'Assl
ciation, quand je leur fis ma communication leur affiliation à cett-
Societe met en danger l'orthodoxie de l'enseignement religieux
l'école, et laisse donc craindre, aussi bien pour l'administratio"
scolaire que pour les évêques, des difficultés d'une portée incalci-
lable.
LE KULTUKKAMPF ALSACIEN-LORRAIN.

L'envoi de l'article de Mgr Nigetiet n'avait pour but que de


,-ttre les instituteurs en garde contre l'A. D. L. V. J'étais loin d'en
,-nrouver la forme dans tous ses détails, comme le prouve ma
i narque, qu'il n'était envoyé qu'à "titre de renseignement."
Que je ne voulusse blesser les instituteurs en aucune façon,
;.la est garanti suffisamment par le fait que j'ai toujours témoigné
j plus grande bienveillance aux instituteurs et à leurs légitimes
r.- pirations.
L'Evêque de Strasbourg, Dr FRITZEN.
Il n'y a jamais de honte, même pour un homme
d'Etat, à avouer qu'on s'est trompé, surtout en des ma-
tures pour la compréhension desquelles on éprouve une
certaine difficulté, comme c'est le cas pour la doctrine
catholique chez les protestants les mieux pensants et les
plus tolérants. Nous nous rappelons entre autres un pro-
fesseur de l'ancienne faculté de théologie protestante qui
était venu chez M. Stumpf, alors supérieur du Grand-
Séminaire, pour lui demander des explications sur les
empêchements de mariage. « II me quitta, nous dit un
lour M. Stumpf, sans que je fusse parvenu à lui faire
comprendre la différence entre les empêchements prohi-
bitifs et les empêchements dirimants.» Le gouvernement
d Alsace-Lorraine pouvait donc sans difficulté s'avouer
convaincu, s'il avait pu se soustraire à certaines influences.
li devait surtout savoir qu'on ne vient pas à bout de la
conscience d'un évêque catholique, digne de ce nom, en
lai donnant des leçons sur ce qui est ou non orthodoxe.
Les conseillers du Statthalter auraient donc pu lui épar-
gner la peine d'envoyer une seconde réplique.
Le Statthalter impérial a l'Evêque de Strasbourg.

Strasbourg, le 12 janvier 1910.


J'ai l'honneur d'accuser réception à V. Gr. de Sa lettre du 10 crt.
fe me plais à en reconnaitre l'esprit conciliant et je suis satisfait de
constater que V. Gr. n'approuve pas la forme de l'article de Mgr Ni-
yetiet en tous ses détails et que cette désapprobation exclut l'inten-
tion de blesser le corps enseignant.
Je n'ai pas à prendre parti pour l'A. D. L. V., et restant sur
le terrain de ma note du 9 crt., je n'ai pas de motif de m'engager
dans une discussion sur les tendances de cette Société, autorisée
LE KULTUKKAMPI1 ALSACIEN-LORRAIN.

dans tous les Etats de l'empire. Mais je ne voudrais pas omettr, id


remarque, que d'après la loi du 24 fév. igo8 et les règlements mu n.
tériels du 2 mars 1908 les curés ont un droit de surveillance
l'instruction religieuse à donner à l'école et qu'ils sont autorisa a
transmettre leurs observations aux inspecteurs d'arrondissement.
Je suis complètement d'accord avec V. Gr. que les différais
entre les autorités ecclésiatique et civile peuvent être réglés d-nlb
l'espèce à la satisfaction des parties par des concessions et Je la
bienveillance réciproques; le gouvernement y prêtera toujoui ;a
main volontiers. Néanmoins il tient absolument aux principes ,u
droit public et des lois politico-religieuses développés dans ma n,ic,
et il en assurera l'application avec la plus grande fermeté. Pas ms
maintenant qu'alors je ne puis admettre que la communication Je
V. Gr. aux instituteurs catholiques, relative à leur activité pioi-b-
sionnelle et leurs intérêts corporatifs, ait respecté les frontières lé-
galement tracées entre l'autorité civile et l'autorité ecclésiastique
Etant donne la situation actuelle, je crois qu'il est bon que la
présente correspondance soit rendue publique, et je présume l'auto-
risation de V. Gr. pour faire publier, le 14 crt., mes notes et Votre
réponse du 10 de ce mois.
Comte DE WEDEL.

L'Evêque de Strasbourg au Statthalter impérial.'

Strasbourg, le i3 janvier 1910.


C'est seulement dans Sa lettre du 9 crt. que V. E. avait traite
le différend actuel au point de vue de la forme de l'article de
Mgr Nigetiet et de l'injure implicite contenue dans mon envoi. Apres
Votre dernière note je crois pouvoir regarder ce côte de la question
comme definitivement réglé.
Si dans ma lettre du 10 crt. je me suis permis d'insister sur
les tendances de l'A. D. L. V., c'est parce que la note de V. Eic
déclarait non fondée l'accusation, que cette Association poursuit Jc^
buts hostiles à l'Eglise catholique.
Je ne conteste pas que, même après les modifications intro-
duites dans le régime scolaire par la loi de 1908, le gouvernement
a la volonté de maintenir l'instruction religieuse à l'école primaue,
mais je me permets de faire remarquer que l'assurance du peur è
-chrétien, que les enfants recevront à l'école l'instruction orthoJoii.-
et l'éducation foncièrement chrétienne auxquelles les lois lui donner:
droit, est tout d'abord basée sur la confiance dans les convictions
religieuses de l'instituteur.
une vive satisfaction de ce que V. E. partage mo'
J'éprouve
avis sur la facilité de régler à l'amiable les différends entre l'aut"-
nté ecclésiastique et celle de l'Etat. Mais si Vous dites que le gou-
vernement tient absolument aux principes. énoncés dans la note
LE KULTURKAMPF ALSACIEN-LORRAIN.

lu 9 et qu'il en assurera l'application avec la plus grande fermeté",


,'ous ne m'en voudrez pas si je maintiens les principes énoncés
dans mes lettres du 4 et du 10 crt. Je ne puis pas admettre que par
un avertissement aux instituteurs strictement relatif au côté religieux
Je la question, j'ai outrepassé les droits de ma charge.
Ce double échange de nos avis respectifs prouve qu'avec la
différence du point de vue où nous nous plaçons, nous n'arriverons
nas à tomber d'accord sur les principes théoriques. Néanmoins j'es-
le passé nous sera une garantie de ce qu'à
pere qu'en pratique
j avenir la paix religieuse, des bienfaits de laquelle jouit ce pays, ne
sera jamais troublée.
Je me range volontiers à l'avis de V. E. de livrer notre cor-
Tespondance à la publicité.
L'Evêque de Strasbourg, Dr Adolphe FRITZEN.

L'Evêque ne pouvait pas dire d'une façon plus claire


ni plus courtoise qu'il désirait ne pas prolonger une dis-
cussion qui ne pouvait pas aboutir. On croit lire entre
les lignes la déclaration qu'une note ultérieure n'aurait

pas d'autre réponse qu'un accusé de réception. Les cano-


nistes du Sous-Secrétariat des Cultes se le tinrent pour
dit l'incident était clos officiellement entre le palais du
Statthalter et le palais épiscopal, il ne l'est pas pour le

public.
N. DELSOR.
(A suivre.)
REVUE DU MOIS.

D'un jour à l'autre l'encombrante personnalité de M. Roose^e't


a été reléguée dans une ombre profonde par la mort d'Edouard 11,
1.
survenue avec une terrifiante soudaineté, sauf peut-être pour se-
médecins. Le jeudi, 5 mai, écrit une correspondance anglaise, oi'
apprenait sa maladie, et vendredi soir, quelques minutes avant mi-
nuit, il expirait entouré de tous les siens. Cela fut si rapide et si
soudain que l'on a peine à croire qu'Edouard VII n'est plus t1
qu'on ne le verra plus, souriant, affable, accueillir avec sa bonne
grâce ordinaire, les respectueux hommages de son peuple. Les scl-.
mais francs bulletins des médecins sont comme une traduction ik
la fameuse phrase de Bossuet Madame se meurt Madame e^r
morte." La mort de la reine Victoria était attendue, aussi à son
décès tout était-il prêt pour la transmission du pouvoir; celle
d'Edouard VII fut si imprévue que le monde officiel se trouvait
dans le plus grand désarroi. Le premier ministre et ses collègue1*
étaient absents, et le speaker qui devait immédiatement convoquer
les Communes se promenait à Constantinople, et c'est le Conseil
privé qui a transmis la couronne au prince de Galles et qui a enre-
gistré sa proclamation sous le nom de Georges V.
Le deuil de la maison royale est en rapport avec la soudaineté
et la grandeur de la perte qu'elle vient d'éprouver, et le peuple
anglais s'y est associé dans un élan de généreuse sympathie. Les
socialistes eux-mêmes ne sont pas restés en arrière, et les condo-
léances exprimées par un de leurs principaux chefs montrent com-
bien profondes sont dans le peuple les racines du loyalisme anglais
et combien le socialiste anglais diffère de ses compagnons du con-
tinent.
Edouard VII était déjà relativement âgé quand il succéda à sa
mère. Mais il n'avait pas perdu les longues années pendant lesquelles
il n'avait été que le prince de Galles, avec des dehors de viveu,
plutôt que d'apprenti du métier royal. Ecarté des affaires, il voyageait
beaucoup et apprenait par là à connaître les hommes d'Etat et le*
peuples; très peu difficile dans le choix de ses moyens d'information.
REVUE DU MOIS.

du cabinet d'un ministre au boudoir


passait sans respect humain
\ine demi-mondaine, Egérie attitrée de quelque homme d'Etat,
de la loge d'une étoile montmartroise à une loge fianc-maçonne.
rendre du t/ar, il ne dédaignait pas chez Gambetta les menus de
illustre Trompette, et il s'y trouvait à l'aise en compagnie de ce
coquet qui, en 1867, avait crié Vive la Pologne, Monsieur au
.le/, de l'empereur de Russie. On se demandait avec une certaine
^.nxiété à son avènement s'il serait un roi d'Angleterre aussi sérieux
,,u'il avait été le roi incontesté de la mode, et il donna un démenti
immédiat à toutes les inquiétudes inspirées par son passé. L'héritage
Politique qu'il recueillait était lourdement chargé la guerre du
Transvaal trainait en longueur, mais si l'honneur des armes britan-
niques se relevait des premières défaites, le déficit budgétaire s'ele-
vait dans des proportions inquiétantes les gouvernements et les
peuples avaient encerclé l'Angleterre dans une coalition de defiance,
de jalousie, d'hostilité, et ce n'est pas en bluffant avec ce splendtd
isolement qu'on en conjurait le danger. Edouard VII para à tout
avec la décision d'un homme qui a mûrement réflechi au but à
atteindre et prépare de longue main le plan qui l'y conduira.
Dès son avènement il pousse à la paix avec les Boers les pre-
miers succès lui permettent d'en hâter la conclusion, et il l'impose
a ses ministres, non pas à la façon d'un Bismark, mais généreuse
pour le vaincu, de façon à ne pas lui laisser au flanc une blessure
toujours saignante. Il donne ensuite toute son attention et toute son
activité au problème de l'équilibre européen. On lui a attribué l'in-
tention de rechercher et de créer l'occasion d'une guerre avec
l'Allemagne, mais il semble qu'il y a là une insinuation toute gra-
tuite et calomnieuse. Sans doute, comme tout Anglais, il ne vit pas
sans quelque souci l'essor extraordinaire de l'industrie allemande,
l'e\pansion envahissante de son commerce, les entreprises auda-
cieuses de ses capitalistes en Turquie, en Asie-Mineure et dans
l'Extrême-Orient, l'accroissement de sa flotte marchande et par contre-
coup de sa marine de guerre. Fut-il, lui aussi, hanté du spectre
d'un futur Guillaume-le-Conquérant, débarquant dans l'estuaire de
la Tamise? Nul ne le sait. Mais il est certain que personne n'a
travaillé plus loyalement que lui au rapprochement des deux peuples.
Sa prétendue hostilité à l'Allemagne ne fut qu'un acte de défense
contre la politique brouillonne du prince de Bulow, qui sans en avoir
le genie ni l'esprit de suite essayait de jouer au Bismark. Il ne pa-
raît pas à Edouard VII que l'alliance franco-russe contrebalance
suffisamment la Triplice, et il rêve de rétablir l'équilibre en se rap-
prochant des plus faibles. C'est par la France qu'il commencera Il
y compte beaucoup d'amis et il entrevoit la possibilite de iaiiee
oublier Fashoda par des compensations dans l'Ouest africain. Les
événements lui donnent raison l'entente cordiale reçoit le baptême
du feu à Algésiras et prend presque le caractere d'une alliance, a
REVUE DU MOIS.

tel point que les stratégistes en chambre pointent déjà sur leur es
l'endroit où la Hotte française fera sa jonction avec la flotte anqla,
et le port de la Manche où l'armée anglaise débarquera pour foui
l'aile gauche de l'aimée fiançaise.
Après s'être réconcilié avec la France, Edouard VII emploie, a
ses efforts à se rapprocher de la Russie; il y arrivera indirectem,
en pesant sur le Japon pour lui faire conclure un accord a\ec -i
rivale en Mandchourie, et en faisant comprendre à Saint-Pétersbou1
par les diplomates français, qu'il vaudrait mieux être à trois qp
deux pour reprimer les ambitions de l'Autriche dans les Balkar
C'est de ces ententes successives qu'on a deduit la conclusion q,i
voulait encercler l'Allemagne le voyage à Berlin en igog donnât
à ces suppositions un démenti formel.
A l'interieur l'action d'Edouard VII pour être moins publique
n'en fut pas moins efficace. Son hostilité à toute réaction protc
tionniste n'est sans doute pas étrangère au résultat des derniers
élections, et l'on fait aussi remonter à lui l'idee première de refoi-
mer la Chambre des lords. Evidemment il ne voulait pas d'urv
réforme aussi radicale que celle proposee par M. Asquith, et il seian
certainement arrivé à trouver le juste milieu entre l'abaissement d?
la Chambre des Seigneurs au niveau d'un simple bureau d'enregis-
trement et le maintien de privilèges aussi injustifiés que suranné^
Malgré ces préférences, il jouissait de la confiance respectueuse ue
tous les partis, et la solennité que la présence d'une foule immense
donna à ses funérailles montrait la place qu'il tenait dans la Me du
peuple anglais, comme les nombreux souverains qui suivaient son
convoi témoignaient de la place qu'il tenait dans le monde. Jamais
on n'avait vu à un enterrement royal autant de chefs d'Etat, accou-
rus en personne pour rendre les derniers honneurs à un collègue.
surtout on n'avait jamais vu une assistance fortuitement réunie
autour d'un cercueil, transformée par les circonstances en une sorte
de Congrès, où la conversation de Guillaume II avec M. Pichon a
pris les proportions d'un grand e'vènement politique. Au lieu d'y von
un simple acte de courtoisie qui marque une détente très notable
entre les rapports des deux nations, des politiques trop pressés
ont déjà voulu voir les préliminaires d'une entente générale on
n'en est pas encore là entre Paris et Berlin et il n'y a que des uto-
pistes pour s'en étonner c'est déjà un progrès qu'on cesse dans le
règlement d'affaires concrètes de se regarder comme deux chiens de
faïence et qu'à Berlin on ne prétende plus, comme au temps du
prince de Bulow, qu'a priori tous les droits sont du côté des Alle-
mands.
Le Reichstag a encore eu le temps, avant d'interrompre ses
travaux, d'envoyer ses condoléances à la famille royale d'Angleterre
et au peuple anglais. Il s'est ajourné au mois de novembre, plus
tôt que ne l'aurait désiré le gouvernement, qui souffre d'un manque
REVUE DU MOIS.

d'argent très aigu et qui par conséquent aurait bien voulu voir
achever la loi sur l'impôt de la plus-value des immeubles. Le
Reichstag estimait au contraire que cette loi était trop importante
pour être discutée par des députés impatients d'aller en vacances
c'est presque à son corps défendant qu'il a encore voté quelques
projets de lois sur les bureaux de placement, sur la propriété artis-
tique et sur l'exploitation des sels de potasse.
Ce dernier projet regardait l'Alsace d'une façon toute particu-
lière et les deputés alsaciens, à l'exception des socialistes, l'ont re-
jeté unanimement. Aussi bien ce projet lèse-t-il considérablement et
les intérêts des mines de potasse récemment découvertes dans les
environs de Mulhouse, et ceux de l'agriculture qui pourrait en tirer
ses engrais à bas prix. Il n'est pas étonnant que les socialistes
aient voté pour ce projet, il constitue une étape très considérable
sur le chemin de la nationalisation de l'industrie privée et du com-
merce. Sous prétexte d'empêcher la vente des engrais artificiels aux
Américains, en realité pour maintenir à un taux très élevé les ac-
tions et les dividendes de certaines sociétés et les revenus de quel-
ques Etats, où l'exploitation des mines de potasse est monopolisée,
l'empire déterminera la quantité de sels à produire. En outre il
répartira cette production entre les différentes mines, fixera les prix
minima et dictera les conditions auxquelles des mines nouvellement
découvertes participeront à ce syndicat d'un genre tout nouveau.
Comme il s'agissait de l'Alsace, on pouvait prévoir a priori qu'elle
serait traitée en Cendrillon. Nous avons donc dans le pays des mines
d'une richesse exceptionnelle et nous serons obliges de laisser ces
trésors enfouis, uniquement pour éviter aux Nordistes un concurrent
gênant, et nos paysans qui ont ces engrais artificiels devant leur
porte seront, par une fiction légale, obliges de payer un supplement
de transport, comme s'ils venaient d'un point imaginaire distant d'à
peu près 5oo kilomètres. C'est dans des circonstances de ce genre
que l'on sent le plus péniblement notre infériorité comme simple
pays d'empire. Si le grand-duché de Bade s'etait trouvé dans notre
situation et qu'on y eût trouvé récemment des gisements de potasse
aussi considerables que chez nous, on n'aurait pas osé le traiter par
dessous la jambe, comme on vient de le faire de l'Alsace, au grand
détriment des particuliers et de notre tresor provincial, qui aurait
eu grand besoin des revenus que lui aurait procurés l'impôt sur une
exploitation pleinement libre. Nous n'en serons guère plus avancés
quand nous serons sous le régime de la boiteuse autonomie qu'au
dire de la presse officieuse le gouvernement de Berlin veut bien
nous octroyer. Elle ressemble au caractère d'un Etat fédéral, comme
le système électoral proposé par M. de Bethmann-Hollweg pour le
royaume de Prusse ressemble au suffrage universel ce n'en est pas
même la caricature.
La Chambre des Seigneurs était arrivée à déformer encore le
REVUEDU MOIS.

cul-de-jatte engendré par la Chambre des députés, et pourtant le


parti national-libéral était bien près de l'adopter. Finalement, a force
d'y essayer leur talent de modelage, tous les partis l'ont rer.K
membre par membre, et le gouvernement a déclaré qu'il n'avait plus
d'intérèt au vote d'une loi aussi dispaiate. L'agitation va donc re
commencer, et quoique ce soit une affaire du ressort unique de u
Prusse, elle seta un des pivots de la campagne electorale du Reichs-
tag. Chaque parti, même en dehors de la Prusse, se prévaudra de
ce que ses coreligionnaires politiques auront fait au Landtag. D'oie^
et dejà les libéraux accusent le Centie d'avoir trahi la liberté, alois
que les propositions du Centre, quoiqu'elles se contentassent du
minimum qu'il etait possible d'obtenir, étaient un progrès libéra!
véritable, tandis que les amendements des nationaux-libéraux ne
constituaient qu'un nouveau privilège à la ploutocratie. 11 faut que
les lecteurs de la presse libeiale soient bien borne*, ou infectés do
la mauvaise foi la plus insigne, pour admettre tous les sophisme;,
par lesquels les journalistes hbeiaux cherchent à leur fane accroire
que le libéralisme a sauve la patrie.

Le mieux, à en juger d'après nos idées démocratiques susdites,


eût sans doute été que le Centre et les libéraux s'accordassent de
prime-abord pour opposer au projet de M. de Bethmann-Hollweg
la question préalable, par consequent pour refuser de le discuter
II constituait un progrès si imperceptible qu'il aurait en effet mieux
valu renoncer à faire cette étape lilliputienne et attendre qu'on pût
en faire une sérieuse. Quand un créancier nous doit cent mille marcs
on le ferait mettre à la poite par ses laquais, s'il avait l'effronterie
de nous apporter un acompte d'un pfennig c'est une méthode qu'il
faut aussi employer en politique, elle est toute differente de la poli-
tique du tout ou rien qui est absolument condamnable, tandis qu'un
parti se suicide quand il accepte du gouvernement si peu que rien,
comme disent les mendionaux. Il y avait d'ailleurs autre chose en
jeu qu'un système electoral; il s'agissait d'un essai de reconstituer
le bloc du prince de Bulow. La politique blocarde relève la tête, et
ce n'est même plus le bloc bulowien, c'est le bloc Bassermann-Bebel
qui règne en maître dans le grand-duché de Bade et auquel le
gouvernement d'Alsace-Lorraine prépare toutes ses faveurs pour les
prochaines élections au Reichstag. On peut bien dire prochaines,
car le Reichstag actuel qui en droit devrait durer jusqu'en jamier
1912, n'a plus qu'une petite année à vivre. Une campagne électorale
au coeur de l'hiver est désagréable à tous les partis, et le vote du
budget avant le ier avril serait impossible avec un Reichstag con-
voqué seulement à la mi-fevner. Il faut donc s'attendre à voir le
Reichstag actuellement dissous l'été prochain aussi tous les partis
commencent-ils déja maintenant à mobiliser leurs forces.

En Belgique, des élections pour le renouvellement partiel de


HEVUEDU MOIS.

,a Chambre ont eu lieu dans neuf provinces, le dimanche 22 mai.


ïl y avait So députés sortants dont 47 catholiques, 21 libéraux, 12.
socialistes cinq ministres étaient du nombre. Le ministère catholique
n'ayant que huit voix de majorité, ses adversaires coalisés en es-
omptaient le renversement, et ils ont fait des efforts inouïs pour
.nnquérir de nom eaux sièges: tout en ayant des listes séparées, ils
mit fait bloc dans certaines circonscriptions pour evincer le candidat
catholique, d'autant plus facilement qu'ils ont concentré la lutte sur
deux points principaux d'abord le remplacement de la représenta-
tion proportionnelle, la R. P. a\ec le vote plural, par le suffrage uni-
\ersel pur et simple, et ensuite l'instruction obligatoire et laïque.
Ils n'ont pas réussi. Les catholiques ont, il est vrai, perdu deux
sièges, mais les libéraux et les socialistes ont perdu un nombre de
\oix considérable, de sorte que le ministère peut tranquillement
rester à son poste. Les catholiques avaient sur leurs adversaires des
avantages considerables les libéraux eux-mêmes ne pouvaient pas
nier que, sous un régime catholique de 25 ans, la puissance écono-
mique de la Belgique, la richesse nationale, le bien-être de toutes
les classes ont pris un essor qui s'impose à l'admiration, à l'envie
du monde entier. De plus les catholiques, malgré la résistance de
quelques éléments imbus des idées conservatrices françaises, ont
pris l'initiative d'une série de réformes sociales aussi hardies qu'ha-
biles et favorables au monde ouvrier ils ont su faire aussi contre
certains réactionnaires de leur propre parti la reforme militaire. Le
peuple belge qui a beaucoup de bon sens ne sentait donc pas le
besoin de jeter à bas un gouvernement qui a rendu le pays pros-
pere, pour faire un saut dans l'inconnu, au risque de faire un hasco
a l'Exposition universelle
Quant à la question scolaire, les orgies du Kulturkampf fran-
çais ont servi de repoussoir aux électeurs belges ils ne tiennent
pas à voir se produire dans leur pays les scènes qui ont caractérise
la suppression de l'Eglise et de l'Etat, la suppression de l'enseigne-
ment religieux et l'expulsion des congregations. Peut-être cependant
le gouvernement agira-t-il sagement en introduisant l'obligation
scolaire ce serait un moyen d'échapper à l'école laïque.
Chose curieuse, chaque parti se plaint de ce que la R. P, ne
lui donne pas le nombre de voix auquel il prétend avoir droit si
chacun avait raison, quelque paradoxe que cela paraisse, chacun
aurait tort, et il s'ensuit qu'en somme la R. P. corrigée encore par
le vote plural et l'obligation n'est pas plus mauvaise que le suffrage
universel pur et simple. En tout cas il est étrange de voir qu'en
Belgique on cherche à se débarrasser de la R. P. sous prétexte
qu'elle ne donne pas une physionomie ressemblante du corps élec-
toral, au moment même où en France conservateurs, progressistes,
socialistes unissent leurs efforts pour obtenir de la R. P. une réponse
plus sincère de la consultation nationale. La nouvelle Chambre
REVUE DU MOIS.

française se reunira bientôt, et la question de la réforme électorale


sera mise sur le tapis dès le debut. On verra déjà dans la déclara-
tion ministérielle si M. Briand a été sincère dans sa promesse de
faire prévaloir dans les élections l'idée de justice et d'assainir les
moeuts politiques de son pays, et s'il a été assez énergique pour
entraîner à sa suite les membres du cabinet qui ne veulent ni de
cet assainissement, ni de la réforme administrative non moins ur-
gente, dont la suppression du scrutin d'arrondissement est la condi-
tion sine qua non.
n nous resterait à dire un mot du grand Congrès des Institu-
teurs allemands, convoqué à Strasbourg, les jours de la Pentecôte,
Nous en parlerons autre part. Après les violentes diatubes qui y
ont été lancées contre l'ultramontanisme, nous nous demandons ce
que cela serait devenu, si, comme un pasteur protestant l'avait pré-
dit dès le mois de janvier, on n'avait mis une sourdine à cette
rhétorique antireligieuse. L'apostasie y a été prêchée ouvertement,
et c'est ce que ces messieurs appellent avoir été d'une remarquable
moderation.
N. DELSOR.
BIBLIOGRAPHIE.

Revue hebdomadaire. 21 Mai. – Germain Lefèvre-Pontalis, Le


b >ceau du Parlement d'Angleterre. Paul Ginisty, Un pamphlé-
u.re: Martainville. E. Lecanuet, L'apaisement en 1890: le toast
d \lgcr. – André Lichtenberger, Le petit Roi (VIII) (fin). Camille
tfjuclair, Salome et sa légende. Marins- Ary Leblond, Impressions
ai. Pologne. – Pelaian, Les artistes français et le traite de peinture
Œuvres choisies de Xavier de Maistre: Récits, poésies, correspon-
dance. Avec notice bibliographique, appréciations, critiques et biblio-
graphie. Un vol. in-12 de 204 pages. Prix i franc port o fr. 20.
Pans, 5, rue Bayard.
Dans la collection des bons auteurs de la Bonne Presse, qui
croupe des noms comme Bossuet, Fénelon, Bourdaloue, Frayssinous,
a côté de son frère Joseph, Xavier de Maistre, manquait. Il y entre
au|ourd'hui avec la plus grande partie de ses œuvres, ses petits ro-
mans d'un sentiment très doux, ses deux voyages autour de sa
chambre" qui l'ont fait comparer à Sterne, ses poésies, et des extraits
de sa correspondance. Le choix a été judicieux mais large, tout au
l'ius a-t-on eliminé quelques phrases trop nwme siècle" afin que
1 ouvrage puisse être mis entre toutes les mains.
Revue d'Alsace. Mai-Juin. J. Beuchot, D'Aigrefeuille à Gueb-
uiller. Henri Bardy et ses correspondants alsaciens. A. Dorlan,
La i'e enceinte de Sclestat, 1216 (Fin). Ch. Hoffmann, La sup-
pression de l'administration provinciale. Variétés. A propos
J'\rioviste L. Glœckler.
Images du Musée alsacien 1er Fasc. Procession de Meistratzheim.
Costume de bourgeoise (Louis XVI). Cour Sattler à Riquewihr.
Lampes de Chanoukah. 2e Fasc. M. Françoise Lagrange.
Costume d'Obernai (Louis XVI). Tuiles historiées (texte de Ja-
coby). Bougeoirs juifs.
Etudes. 5 Mai. Un rêve de Sonis A l'honneur de la B.
'• d'Arc. Pour la connaissance du Christ. Un nouvel académ.
'-ug, Brieux. – Choses d'Australie. Le mystère de la charité de
-anne d'Arc. – Les liens invisibles.
2o Mai, – La question syndicaliste A propos de la barricade.
L'Eglise et l'Enfant. La seconde vie d'un sultan du Maroc.
-•mes d'enfants. Les lettres de Léon Silvy.
BIBMOGBAriUB

Librairie AUBANEL, Avignon. PAUL Lombes. Les Quatre Livrer


de la Femme. IV. Le livre de l'Educatrice. 176 pp. in 8° cour. 3 fr.
Ce volume est le dernier de la tétralogie Les Quatre Livi\
de la Femme, rôle de la ^compagne de l'homme" en tant qiCEpow-
Maîtresse de Maison, Mère et Educatrice. Nous y retrouvons K,
qualités que nous avons déjà louées dans le Problème du Bonhew
dû à la plume du même écrivain. II y a, dans le Livre de l'Eii
catrice, comme dans les trois précédents Livres de la Femme, ck'
passages inoubliables. L'auteur se garde des théories et des idd
absolues. Ce qu'il peint, c'est la vie reelle. Il n'est ni trop optimiste
ni pessimiste de parti-pris. Aussi, ce livre qui parle à la femiin
de ses devoirs d'éducatrice, est-il d'un intérêt puissant. On sent,
chaque page, qu'il a eté écrit par un observateur attentif qui s'c-.i ;c
documente, non pas par les livres, mais par un regard sur tout
qui se passe autour de lui dans la societé. Aussi, combien I
conseils qu'tl donne à l'éducatrice sont-ils marqués au coin du se, s
pratique 1
Abbé G. Salvayre, Dr theol. Saint Bernard, maître de la \ic
spir. 160 pp. in-8° coq. fr. 2,5o.
Faire connaître la psychologie d'un grand saint et initier à a
vie spirituelle, tel est le double but de cet ouvrage.
P. AUBANEL, Avocat à la Cour de Paris. Galilée et l'Eglise:
l'Histoire et le Roman. 240 pp. in-120 car.
Ce livre a eu pour but de fixer plusieurs conférences donnee,
sur ce sujet par l'auteur. ,Loin de mépriser nos adversaires, dit-il
dans sa préface, j'ai lu leurs écrits avec la plus grande attention, j'ai
recueilli leurs critique. et quand elles m'ont paru justifiées je
n'ai pas craint de le reconnaître. Le lecteur verra combien les
accusations lancées par l'Eglise sont imméritées. Galilée est peu
connu, Montrer ce qu'était l'homme, le milieu où il a vécu, l'etal
de la science à son époque. les conditions dans lesquelles il préconisa
son système, ses rapports avec le Pape. tel a été mon but.
Il m'a paru surtout necessaire de répondre à un livre qui se trome e
dans toutes les bibliothèques, qu'on met aux mains de la jeunesse.
et vante comme portant sur la condamnation de Galilée un jugement
definitif Il importait de relever le défi jeté à l'Eglise par M. J.
Bertrand. Je lui rends pleine justice je reconnais sa bonne foi.
il a sagement rejeté la légende de la toiture; et pioclamé que la
longue vie de Galilée est une des plus douces que raconte l'histoire
de la science. Mais ses invectives contre Urbain VIII appellent une
replique. Le simple récit des événements démontre que ce pape <'
montré une rare modération et fut toujours un ami fidèle du grand
savant." Ce lnre est l'expiession de la vétité le monde n'a pas
besoin d'autre chose.
i\ DELSOR, rédacteur responsable.
Strasbourg. Typ. F. X. Le Roux & Cie.
LA LUTTE DES LUTTES
EN ALLEMAGNE.

L'attention du monde entier se porte en ce moment


sur l'Allemagne. Une lutte formidable, la lutte entre les
entrepreneurs et les ouvriers du bâtiment, s'est déchaînée,
et tous se demandent avec un angoissant intérêt quelle
en sera l'issue. Des centaines de mille de combattants
sont engagés. C'est depuis cinquante années un des faits
les plus importants du monde du travail. C'est le com-
mencement de la guerre des classes qui se prépare depuis
près d'un siècle.
Jusqu'ici la presse et l'opinion s'étaient surtout occu-
pées de l'organisation des travailleurs. Les associations
professionnelles, les syndicats socialistes, les syndicats
chrétiens, et depuis peu, les syndicats jaunes, ont été l'objet
de minutieuses enquêtes, d'intéressants rapports. La marche
toujours grandissante de ces unions de travailleurs, la
précision de plus en plus nette de leurs revendications,
la conscience de leur force, leur inébranlable confiance
dans un triomphe assez prochain, justifient la préoccupa-
tion des économistes soucieux de préparer la paix sociale.
Mais on n'a pas tenu compte d'un mouvement paral-
l'-le, du mouvement patronal. Pendant que les syndicats
'ses ouvriers prenaient chaque jour plus d'extension, les
syndicats des patrons s'organisaient pour opposer une
digue capable de contenir cette marée montante. Ces
Revue. Juin 1910.. 21
LA LUTTE DES LUTTES EN ALLEMAGNE.

efforts, conduits avec intelligence et esprit de suite, Oil


abouti à des résultats d'une portée sociale considérai
Deux courants sont en présence, le courant des ouvrir
et le courant des patrons; l'un et l'autre ont creusé î_,i
lit profond et chaque jour s'accentue leur force d'entn
nement.
Les associations patronales montent à près de i2<
Ce sont tantôt des associations qui s'étendent à plusicu
professions dans un rayon limité on en compte 3i
tantôt des associations pour une branche de travail, ci
pour toute l'Allemagne, il y en a 47. De ces 77 associa-
tions, 5g remontent à peine à 10 ans.
L'association pour la construction mécanique, fondée
en 1887, s'étendait, en 1907, a 34 districis avec i5. t
membres et 399,607 ouvriers. L'association de l'industrie
textile remonte à 1904, comprend 3o groupements a^ec
3oo,ooo travailleurs. L'association pour l'industrie en bois,
créée en 1899, figure pour 114 groupements avec i8?o
membres et 54,000 ouvriers. L'association pour le bâti-
ment de 1899, compte avec 388 groupements i8,3oo
membres. L'association des peintres en bâtiment arme c
avec 18,000 membres et 55,000 ouvriers l'association des5
boulangers, 5ooo membres et i5,ooo ouvriers; celle dts
bouchers, 38,600 membres, et l'association des imprimeurs
en 1908, 4667 membres et 46,000 travailleurs.
Toutes ces associations se sont centralisées, soit en
Bureau central, soit dans l'Union des associations patro-
nales. Sa fondation remonte à 1904. Les deux association^
se sont rapprochées par une nouvelle convention qui rend
l'union de toutes plus étroite et plus intime. Le Bureau
central embrasse surtout la grande industrie il compta",
fin 1907, 1 17organisations avec 900,000 ouvriers; l'Union
des associations patronales défend les intérêts de la petite
industrie et du métier; elle comprend 41 associations,
25o associations d'entrepreneurs, occupant 1,400,000 tra-
vailleurs.
Les deux fédérations font entrer en ligne de compt-
38,644 membres occupant 2,438,142 ouvriers. C'est dop-
LA LUTTE DES LUTTES EN ALLEMAGNE.

ine puissance disposant de forces considérables et d'iné-


puisables ressources. Le capital vis-a-vis du travail pos-
-ede ainsi d'innombrables avantages. On comprend l'émo-
îon toujours grandissante du monde du travail et le-
Ml'orts tentés pour arrêter, neutraliser une influence, qui
ne datent que d'hier, se fait sentir hostile dans toutes les
manifestations ouvrières.
La Fédération cherche avant tout à rendre illusoire
te droit de faire grève. La grève est la pomme de discorde
entre le travail et le capital. Aussi bien la Fédération a
cru nécessaire de modifier son programme. Elle fixe son
urientation par ces mots « II faut protester contre l'uni-
fication des associations ouvrières la parité dans les
chambres de travail est à rejeter le système des tarifs
est inacceptable comme nuisible au développement de
l'industrie en général la Bourse du travail est de même
a condamner. »
Cependant elle porte de préférence son opposition
vers tout effort tendant à introduire à l'usine une orga-
nisation normale, accordant aux ouvriers de dire leur mot
dans le règlement du travail. Aussi bien elle se prononce
avec la dernière énergie contre les délégations ouvrières
et contre la loi des Chambres de travail formulée par la
Commission. Elle voit dans la création des délégations
ouvrières une diminution des droits du patron et une
source continuelle d'agitation à l'intérieur des établisse-
ments. Elle reconnaît bien que la création facultative de
ces délégations pourrait avoir des avantages pour la
bonne entente entre le pation et l'ouvrier, mais elle ajoute
que la création obligatoire est pleine de dangers et ne
saurait être adoptée dans la grande industrie.
Et passant de la théorie à la pratique, les patrons
établissent vis-à-vis des ouvriers qui les quittent le système
appelé la liste noire. Ils envoient à tous les patrons de
la circonscription les noms des travailleurs qu'ils ont
congédiés. On sait ce que cela veut dire. La porte de
l'établissement restera fermée à ces ouvriers qui perdent
ainsi leur travail avec la conscience de ne plus en trouver.
LUTTE DES LUTTES EN AIiIjBMAGNK,

Aussi bien les ouvriers jettent le cri d'alarme poir


resserrer davantage leurs rangs, se grouper plus nombreu\
dans leurs associations, cimenter de plus en plus leu
union et faire disparaître tous les éléments de discorde
Mais voici que les entrepreneurs du bâtiment viennen
de jeter le gant au monde du travail, appuyés, encou-
ragés, soutenus par toute la fédération et surtout par Ic,
patrons de la grande industrie. Le tarif expirait au i5 avril
pour l'industrie du bâtiment. Il s'agissait de le renouveler.
Ils ont pris les devants et posé leurs conditions sans en-
tente préalable avec les associations professionnelles des
ouvriers. Les travailleurs n'avaient rien à dire ils devaient
se soumettre purement et simplement aux exigences foi-
mulées par le nouveau tarif. II fallait se plier ou s'exposci
à être renvoyé des chantiers si, au jour déterminé, le
travail n'était pas consenti aux conditions fixées par l'as-
sociation patronale.
Cette association avait posé des conditions d'une
•immense portée sociale. On voulait préparer l'avenir et
ruiner, dans la mesure du possible, les syndicats ouvriers.
Les bureaux de placement devaient être, au point de vue
des tarifs, remis exclusivement entre les mains des pa-
trons. Le tarif nouveau devait s'étendre à toute l'Alle-
magne, cesser le même jour de la même année, après 5
années, ou au moins 3 années, avec un minimum de
travail de 10 heures. Le travail à la tàche était consenti,
mais seulement entre patrons et ouvriers; les associations
ouvrières n'auraient rien à y dire.
Comme on le voit, on demandait aux associations
de signer leur arrêt de mort. Elles ont refusé de le faire
et les patrons ont fermé leurs chantiers. La lutte est ou-
verte malgré les efforts du gouvernement pour aboutir a
une entente. Lutte gigantesque, opiniâtre, cruelle. D'un
côté, des milliers de patrons organisés avec la toute-puis-
sance du capital de l'autre côté, des centaines de mille
de travailleurs confiants dans la justice de leur cause et
dans la solidarité du monde du travail.
Depuis l'origine du conflit, les appréciations varient
LA LUTTE DES LUTTES EN ALLEMAGNE.

ju tout au tout, sur le chiffre des entrepreneurs et sur


,s nombre des sans-travail, sur les mesures prises par les
uns et par les autres, sur le concours de la grande in-
dustrie, sur la solidarité' des associations professionnelles
ouvrières, sur l'union et les dissentiments qui existent de
part et d'autre. Tout peut se défendre parce que tout
paraît vraisemblable. Les patrons ont tout intérêt à mon-
trer publiquement leur solidarité, à faire montre de leurs
inépuisables ressources, à ne rien céder de leurs reven-
dications. Les ouvriers de même ne veulent pas être les
vaincus de la journée. Ils proclament fièrement la néces-
sité d'une union que rien ne doit affaiblir; ils se montrent
prêts à tous les sacrifices ils envoient d'étonnantes coti-
sations et promettent à leurs frères d'armes d'être avec
eux jusqu'au bout.
Pour nous, l'intérêt de la lutte n'est pas là. Qu'il y
ait 120,000, 200,000 travailleurs, victimes d'une situation
qu'ils n'ont pas provoquée qu'il y ait quelques villes,
comme Berlin et Hambourg, et d'autres, qui ne sont pas
associées au mouvement, mais ont continué le travail sui-
vant les nouvelles conditions proposées par les patrons
qu'il y ait beaucoup d'entrepreneurs qui ont manifesté
leur mécontentement au sujet de la lutte ouverte, que
bon nombre d'associations patronales aient promis des
secours en argent, par millions, qu'il y ait eu des menaces
formulées aux fournisseurs, tous ces points ont été rap-
portés, discutés, démentis, par la presse. Quoi qu'il en
soit, le grand fait social est et reste celui-ci, nous assis-
tons au commencement de la lutte formidable que les
economistes annoncent depuis longtemps comme inévitable.
Les deux puissances sociales, le capital et le travail, sont
en présence, également décidées, à ne pas céder un pouce
de leur territoire, à ne pas sacrifier une once de ce qu'elles
appellent leurs droits et leurs libertés. C'est encore un
combat d'avant-poste, un essai qui peut faire pressentir
ce que deviendra la lutte le jour où la mêlée sera géné-
rale.
L'économiste catholique, inspiré des principes de sa
LA LUTTE DES LUTTES EX ALLEMAGNE.

foi, propose la solution entrevue depuis plus de soixante


années, l'organisation professionnelle basée sur la doctrine
de l'Evangile. Le christianisme est à l'heure présente h.
condition unique et nécessaire de santé et de guérisor
pour les mdividus comme pour les sociétés. Il n'y en t
pas d'autre. M. Bourget n'a pas su la formuler dans st
« Barricade ». M. Sorel ne saurait la donner avec sa Tern.
promise.
On l'a répété dernièrement encore. «Notre objectif a
été de faire de l'organisation ouvrière une puissance éco-
nomique les entrepreneurs l'ont également. A leur guise,
leurs intérêts les poussent à force d'opposition et d'ex-
ploitation nos intérêts nous poussent à créer les forces
de libération. Eux et nous, nous poursuivons, en dépit
des forces artificielles créées par la légalité, la suprématie
ou l'asservissement du travail. »
Comme l'union est impossible dans ces conditions,
ce sera la guerre a outrance, la révolution sociale. Nous
y allons sûrement, plus vite qu'on ne pense, puisque
partout, dans les hautes comme dans les basses sphères,
l'on s'obstine a se passer de Dieu et de l'Eglise. C'est de
ce point de vue que la lutte des patrons contre les ouvrieis
en Allemagne présente le plus angoissant intérêt. C'est
la première page d'une histoire qui commence, page qui
sera suivie de beaucoup d'autres qui seront peut-être
écrites avec du sang.
H. Cetty.
ECHOS LOINTAINS DU COLLÈGE
LIBRE DE COLMAR.

La destinée du Collège libre a été de bien courte


durée;1 et, cependant, bien qu'il ait cessé d'exister depuis
vingt ans, son action puissante et féconde n'est pas près
de s'éteindre. Le temps s'écoule rapidement mais un
passé de vingt ans n'en est pas moins déjà lointain et
nous marchons d'un pas si précipité dans la voie du pro-
grès que le passé nous fait bientôt pitié. Loin de moi de
méconnaître les avantages des inventions, des innovations,
des perfectionnements qui facilitent et agrémentent l'exis-
tence et augmentent le bien-être général; mais qui oserait
prétendre que tout a suivi la marche du progrès maté-
riel ? Le pauvre petit Collège libre de i852 était, certes,
d'apparence bien primitive, bien pitoyable mais, quant
à l'esprit qui l'animait, pourrait-on en souhaiter un meil-
leur ?
De nos jours, personne ne s'aviserait d'ouvrir un
collège, avec internat, dans un local tel que fut le berceau
du Collège libre de Colmar il se heurterait trop bruta-
'ement à toutes les règles de l'hygiène et aux plus impé-
rieuses exigences modernes.

1 A Colmar, de 18S2 à 1873 à La ChapeHe-sous-Rougemont,


Je 1873 à i8go. Mais, les dernières années, c'etait le dépérissement,
l'agonie!
ÉCHOS LOINTAINS Dr COLLÈGE LIBRE DE COLMAB.

Il n'est pas facile de donner une idée exacte de


qu'était l'ancien hôtel de l'Ange, quand on y déposa j
germe de cet arbre majestueux qui, arraché bientôt c
sol colmarien et transplanté a La Chapelle-sous-Roue
mont, devait, comme il arrive souvent dans ce cas, -»
couvrir, plusieurs années encore, d'une luxuriante fro--
daison, puis, peu à peu, se dessécher et périr
D'ordinaire, les hôtels sont situés dans des rues tu
sur des places, où ils sont en évidence: il n'en était p,s
ainsi de l'hôtel de l'Ange. Dans une espèce d'impasî>%
vers la droite, une grande porte cochère ouvrait sur une
cour longue et étroite cette cour, mal pavée, était di-
visée, dans le sens de la longueur, par une rigole où ss
déversait l'eau des gouttières et des toits; des deux côtéss
s'élevaient des bâtiments disparates, maisons d'habitation
à étages inégaux, hangars, remises, vastes écuries, in.-
menses greniers a foin tel fut le berceau du Collège
libre. Au rez-de-chaussée, faisant face à la porte cochère,
une salle d'auberge avait été convertie en chapelle. Au-
dessus, l'ancienne salle à manger de l'hôtel était devenue
la salle d'étude on pouvait apercevoir de là l'entrée de
l'impasse donnant sur la rue Vauban. Au second étage
était le dortoir des grands qui contenait cinq lits. On
descendait quelques marches pour arriver au second étage
du bâtiment voisin, où se trouvait le dortoir des petits
ce dortoir se composait de deux chambres dans lesquelles
on avait installé six lits. D'anciennes chambres de voya
geurs qui avaient conservé leurs papiers fanés servaient
de salles de classe. La salle d'étude et les dortoirs étant

Sur les murs de la salle d'étude étaient représentées les carr


pagnes de Napoléon Ie>\ Ce spectacle, fort intéressant, aidait à passe-
les trop longues heures d'étude. Malheureusement, bien des visage
subirent les odieux outrages de quelques écervelés.
Tout à fait à l'origine, les dortoirs étaient surveillés, celui de--
grands par M. J. Jenner (f iSrjS) et celui des petits par M. A. Rous-
selin (-J- 1904), deux prêtres très sympathiques, très pieux, très dis-
tingués de ton et de manières, qui ont fourni de helles carrière1;
dans la Compagnie de Jesus,
ÉCHOS LOINTAINS DU COLLÈGE LIBRE DE COLMAB.

devenus insuffisants, on en fut réduit à transformer une


partie des écuries en salle d'étude et à établir le dortoir
dans les greniers à foin. Il faisait un froid glacial dans
ce dortoir, en hiver les murs scintillaient de givre.
Malgré tout, on n'était nullement malheureux au
Collège libre. La tendresse paternelle de M. Martin avait
fait de la petite communauté une vraie famille la solli-
citude dont on se sentait entouré faisait tout accepter
gaiement. Tout pénétrés de l'esprit de leur directeur, les
maîtres 1 se mêlaient bonnement à la vie des élèves. Les
prières du matin et du soir se faisaient en commun.
Maîtres et élèves mangeaient à la même table. Les maîtres
prenaient part aux jeux des élèves, pendant les récréations;
ils accompagnaient les élèves dans leurs promenades.
Souvent, ces promenades duraient trois, quatre, cinq
heures. C'est ainsi qu'on allait à Winzenheim, chez le
père de M. Vetter, qui était alors économe à Am-
merschwihr, chez le père de M. Simonis, gai vieillard,
qui se faisait un malin plaisir d'échauffer nos jeunes têtes;
à Turckheim, dans la famille de M. Martin; à Sigols-
heim, chez Mgr Rsess au Hohlandsburg, au Plixbourg,
à Saint-Gilles, au Biirenthal, où nous attendait un ton-

1 M. Umhang, toutefois, tranchait sur ses collègues: seul il inti-


midait et savait se faire craindre. Son visage sevère faisait instincti-
vement redouter quelque parole dure, qui n'était pas toujours
opportune. S'il y a des natures rebelles parmi la jeunesse, combien
y en a-t-il aussi qu'il faut éviter de brusquer ou de heurter à faux! 1
Préfet de discipline prédestiné, M. Umhang ne put jamais se dé-
pouiller complètement de cette écorce rude qui empêchait souvent
d'apprécier, à leur juste valeur, la sensibilité et la générosité de son
cœur. Ponctue] dans l'accomplissement de ses devoirs, il y mêlait
quelque chose de farouche qui semblait trahir la violence qu'il se
faisait. Ni dans sa manière d'être, ni dans sa manière d'agir, M. Um-
hang ne ressembla à M. Martin dont il devint cependant le confident
intime et dont il partagea, d'ailleurs, largement le devouement et
les mérites. Loin de corriger les traits du portrait que la pieté filiale
de M. Cetty a trace de M. Umhang, ce parallèle les accentuerait
peut-être avantageusement.
ÊCHOS LOINTAINS I)U COLLÈGE LIBRE DE COLMAR

nelet d'une bière exquise sans parler de la grande pro-


menade annuelle.
En hiver, la récréation du soir, après le souper, se
prenait dans la salle d'étude cette récréation avait pour
nous un charme particulier. Dès que M. Martin arrivait,
nous nous groupions autour de lui car il savait toujours
nous raconter des histoires très intéressantes, à tel point
que le son de la cloche nous tirait comme d'un beau
rêve. On était à la fin de la journée, et la sollicitude de
notre bon directeur n'était point encore satisfaite. A peine
étions-nous couchés que M. Martin apparaissait de nou-
veau. Je me le représente encore, avec une sympathique
émotion, prenant le chapelet suspendu à mon lit, le met-
tant dans ma main, traçant, avec le pouce, un signe de
croix sur mon front, me donnant à baiser la croix de son
rosaire, me souhaitant une bonne nuit et passant au lit
voisin. Certes, on ne pouvait mieux disposer à un pai-
sible sommeil
Comment aurions-nous pu nous douter des soucis
qui accablaient notre bon directeur ? Il n'en laissait jamais
rien paraître. Soucis financiers et autres qui menaçaient
l'existence de son cher collège et ne cessèrent de préoc-
cuper M. Martin jusqu'à ce que le succès fut assuré.
Le collège coûtait beaucoup plus qu'il ne rapportait
aux dépenses générales d'entretien et d'appropriation il
fallait encore ajouter un loyer de 35oo fr. qui fut porté
à 4000, quand on eut pris possession des écuries, gre-
niers, etc. De là des déficits considérables. Heureuse-
ment, Mgr Rsess, à qui M. Martin ne cessait d'exposer
ses inquiétudes financières, était un confident bienveillant,
généreux et souriant.
D'autre part, le Collège libre naissant avait besoin de
la sympathie publique pour pouvoir prospérer or, à
Colmar même, cette sympathie pouvait se laisser influen-
cer par l'attitude peu bienveillante du clergé paroissial.
M. Maimbourg avait été favorable à la fondation du col-
lège mais, quand il vit cet établissement échapper à la
ECHOh LOINTAINS DU COLLÈGE LIBRE DE COLMAR.

il 'en 1
juridiction paroissiale, conçut quelque ombrage.
\[. Martin chercha alors, sur les conseils de Mgr Rœss,
i attirer M. Maimbourg au collège, afin de regagner ainsi
sa bienveillance et surtout de la rendre ostensible. II
réussit; et M. Maimbourg vint, accompagné de deux vi-
caires, faire une visite annoncée en 1854. J'étais bien
jeune à cette époque, et, cependant, j'ai encore devant
les yeux ce beau vieillard à chevelure blanche étalée en
éventail, de mise très soignée, portant le petit manteau
de cérémonie, plein de grâce et de dignité.2 M. Martin
nous avait fait ranger dans la cour, comme on faisait
pour les visites de Mgr Rœss et, n'ayant rien de mieux
a offrir en spectacle, il fit donner un assaut d'armes par
Louis d'Andelarre et Louis Lorber qui passaient pour
être forts en escrime. 3 L'assaut fut attaqué et poussé
vigoureusement les nombreux regards fixés sur les com-
battants y aidaient. Tout à coup, le fleuret de Louis
d'Andelarre dévie, érafle l'épaule gauche de Louis Lorber
et déchire la manche de sa chemise. Malgré cela, les
adversaires étaient si surexcités que M. Martin eut toutes
les peines du monde à faire cesser le combat.
Ce n'est pas sans inquiétude que les petits Séminaires
avaient appris la fondation du Collège libre ils voyaient
naître un dangereux concurrent et rendaient l'autorité
diocésaine attentive au préjudice qu'ils allaient subir.
M. Martin dut s'employer à dissiper leurs craintes le
Collège libre, en effet, n'était pas un petit Séminaire.
Le Collège libre, bien qu'il fut uniquement catho-
lique, pouvait devenir un concurrent vraiment redoutable
pour le Collège de Colmar. Aussi, en prévision de la

1 Un seul d'entre les vicaires, M. Ganter, resta fidèle au Col-


lège hbre. M. Martin, dans une lettre adressee à Mgr Roess, fait un
grand éloge de la piété et du zèle pastoral de M. Ganter.
Un érudit et aimable chanoine est occupé, en ce moment, à
faire revivre l'intéressante figure de M. Maimbourg.
3 Louis d'Andelarre était d'une vigueur Louis
peu commune,
Lorber, de taille inferieure, était nerveux et agile.
ÉCHOS LOINTAINS DU COLLÈGE LIBRE DE COLMAR.

lutte à soutenir, le Collège de Colmar fut-il érigé et,


Lycée impérial et confié à la direction d'un homme actif
et entreprenant, M. Vion, principal du Collège de Belfort.
Le nouveau proviseur remplit avec zèle la mission spé-
ciale dont on l'avait chargé. Il alla jusqu'à agir person-
nellement auprès des familles pour les détourner d'envo3>ei
leurs enfants au Collège libre. Un seul tiait suffira pour
caractériser l'esprit hostile dont il était animé. Une dame
avait fait inscrire son fils au Lycée et y avait expédié sa
malle mais, changeant tout à coup d'idée, elle alla pré-
senter son enfant à M. Martin et le pria de l'accepter;
puis elle prévint M. Vion de sa détermination et le pria
de renvoyer la malle. M. Vion répondit qu'il ne rendrait
la malle que contre le paiement du premier trimestre.
L'affaire fut portée devant l'inspecteur d'Académie. Celui-ci
alla trouver M. Martin pour lui reprocher d'avoir accepté
un élève régulièrement inscrit au Lycée mais, après une
discussion très mouvementée (M. Martin en rapporta fidè-
lement les termes à Mgr Reess), l'inspecteur fut forcé de
désavouer M. Vion.
Les élèves du Lycée eux-mêmes partageaient quelque
peu l'animosité de leur proviseur. Quand il nous arri-
vait de croiser une de leurs divisions en promenade,
ils ne manquaient pas de nous saluer, discrètement toute-
fois, du surnom de moineaux! Ils voulaient, sans doute,
faire ainsi allusion au caractère religieux de notre maison
moineaux, c'est-à-dire petits moines Quant à nous, je
ne sais pourquoi nous les appelions pinsons. Peut-être
était-ce à cause de leur uniforme noir à passe-poil rouge
et palmes d'or. Le soir de la grande fête de l'Immaculée
Conception, le 6 mai 1 855, au moment où nous entrions
à l'église Saint-Martin, une division du Lycée en sortait:
je reçus un violent coup de poing qui, d'ailleurs, ne me
fit aucun mal; c'était un pinson inconnu qui se vengeait t
d'un moineau également inconnu et, certes, bien innocent.
Il arrivait même parfois que les externes des deux éta-
blissements rivaux échangeaient entre eux des propos peu
aimables. Et cependant, sur l'ordre formel de M. Martin,
ÉCHUS LOINTAINS DU COLLÈGE LIBRE DE COLMAB.

r:ous devions tous saluer respectueusement M. Vion, comme


d'ailleurs il nous était prescrit de le faire pour tous les
irêtres et pour les principales autorités civiles et mili-
taires.
Le 26 octobre 1852, le Collège libre comptait 57
élèves dont i pensionnaires. A la fin de l'année on attei-
gnit le chiffre de 70 élèves, dont 14 internes. L'année
,uivante, on augmenta de 100 à 114; puis, vint un temps
d'arrêt; puis, en i855-56, une diminution de 25 à 3o
M. Martin n'avait pas attendu ce signal d'alarme pour se
préoccuper de la nécessité de trouver un local plus digne
du Collège libre. L'hôtel de l'Ange avait été un pauvre
berceau il ne pouvait servir de demeure à moins de
devenir, en peu de temps, un tombeau. Vraiment, quand
M. Martin entretient Mgr Rêbss de ce sujet, ce sont les
accents d'une mère qui voit dépérir son fils unique et
craint de le voir expirer à chaque instant. Ecoutons le
récit d'un incident qui déchira l'âme de M. Martin. Une
dame avait fait inscrire son fils comme interne. Toutes
les dispositions avaient été prises et le jour de l'arrivée
avait été fixé. Quand la mère amena son fils au collège,
à peine en eut-elle franchi le seuil qu'elle s'arrêta et
s'écria «C'est là le Collège libre? Impossible d'y laisser
mon fils je le reprends !» Et elle s'en alla.
Dès 1855, M. Martin avait jeté les yeux sur les Un-
terlinden, rêvant de rendre cet antique et vénérable
monastère à une destination religieuse. La ville, disait-on,
serait disposée à construire un bâtiment spécial pour y
renfermer la bibliothèque et le musée, et à céder les
Unterlinden pour 200,000 francs Mgr Rajss, les profes-
seurs et quelques bailleurs de fonds fourniraient la somme
nécessaire. Les négociations n'aboutirent pas. En i856,
il fut question de la commanderie de Saint-Jean; mais
impossible de s'entendre avec les propriétaires. Un ins-
tant, on pensa acheter un terrain hors ville et y bâtir
mais c'était se lancer dans l'inconnu. Enfin, en janvier
1S57, Mgr Rasss acheta la capucinière de la rue Rapp
pour 140,000 francs. Après de pénibles négociations avec
KCIiOS LOINTAINS DU LOûLËGK lilBRB DE COLMAB.

l'administration diocésaine qui enrayait, on fit hâtive-


ment pour 60,000 francs de travaux, et l'on put com-
mencer l'année scolaire 1 857-1 858 dans le nouveau local.
C'était un triomphe! Le Collège libre était solidement
fondé et allait arriver rapidement à son apogée. Dc^
agrandissements successifs en firent un fort bel établisse-
ment qui, en iS65, représentait certainement une valeur
de 4 à 5oo,ooo francs. Ce fut un bel héritage que fit le
diocèse, quand le Collège libre quitta Colmar en 187D.
En i865, arriva au Collège libre un jeune professeui
qui n'était encore que diacre. Quand, après le premier
trimestre, il se présenta chez l'économe, celui-ci (c'était
M. Unhang) lui dit II faut que je vous fasse connaître
la règle établie pour les traitements des professeurs. Le
traitement annuel est de 400 francs, la première année,
puis de 5oo francs, avec augmentation de 25 francs tous
les cinq ans, jusqu'à 600 francs à moins qu'on ne de-
passe la classe de 3e. Mais, comme vous n'êtes pas prêtre,
vous n'avez droit qu'à 3oo francs. Il faut encore retran-
cher de cette somme 5 que les professeurs abandonnent
à la caisse de la maison. Il vous reste donc 285 francs,
ce qui fait 71 francs par trimestre. A la même époque
(les exigences ont bien augmenté), mes parents donnaient
à leur cocher 40 francs par mois, ce qui faisait 1 20 francs
par trimestre. L'année suivante, le jeune professeur était
prêtre depuis plusieurs mois Vous êtes prêtre, lui dit
l'économe, mais comme c'est la première année que vous
êtes prêtre, vous n'avez encore droit qu'à 400 francs ou
38o francs, ce qui fait q.5 francs par trimestre. De
pareils traitements ne grevaient pas lourdement le budget
du collège et n'enrichissaient certes pas les professeurs
et, cependant, plusieurs de ceux-ci se soumirent gaiement
aux modestes conditions des classes inférieures pendant
quinze, vingt et trente ans.
Il est regrettable qu'on n'ait pas entrepris la tâche
de dresser la liste des anciens élèves du Collège libre,
avec indication de leur situation et de leur adresse, en se
proposant de tenir, autant que possible, la liste au cou-
ÉCHOS LOINTAINS DU COIiLÈGE LIBRE DE CJOLMAR.

rant des changements survenus. On aurait encore pu


mener ce travail à bonne fin en 1868, à l'époque où
M. Martin fonda l'Association amicale des anciens élèves.
Une pareille liste eût fait, mieux que tous les discours,
l'éloge du Collège libre de Colmar et elle eût constitué
comme un lien vivant entre les anciens élèves. Que
d'élèves dont on a actuellement perdu la trace et le sou-
venir, et sur lesquels le hasard seul peut de nouveau
attirer l'attention
En 1882, un prêtre, ancien élève du Collège libre,
conçut le projet de grouper en une association pieuse tous
les anciens élèves qui avaient embrassé la carrière ecclé-
siastique. En parcourant soigneusement les registres des
vingt-neuf années écoulées, il parvint à réunir les noms
de deux cent onze prêtres et séminaristes. Les statuts de
l'Association furent élaborés de façon à mettre en relief
son caractère de pieuse confraternité à l'exclusion absolue
de toute autre considération. L'Association devait avoir
son siège en Alsace et y tenir ses réunions. Elle devait
choisir elle-même son comité dirigeant. Il convenait que
ces statuts fussent soumis a l'appréciation du directeur du
Collège libre. M. Umhang, tout en louant les intentions
qui avaient inspiré le projet, déclara qu'il s'opposerait à
toute association de ce genre qui n'aurait pas son centre
et son siège au Collège de La Chapelle. Cette condition
souleva des objections si sérieuses qu'il fallut annuler les
circulaires déjà expédiées et renoncer à poursuivre le
projet.
Nous voilà loin des premiers jours du collège, de ces
temps héroiques, comme on se plaisait à les appeler, dont
j'ai cherché à donner quelque idée, d'après mes souve-
nirs. Evidemment, à mesure que le collège se développa,
les formes de cette vie de famille durent se modifier, et
les exigences de la discipline se firent de plus en plus
sentir; mais l'esprit primitif inspira toujours les relations
des professeurs entre eux et celles des professeurs avec
leurs élèves, cet esprit de M. Martin, qui fit la force du
Collège libre et en fut comme la marque spéciale. C'est
ÉCHOS LOINTAINS DU COLLÈGE LIBRE DE COLMAR

cet esprit qui réveille si vivement comme une sympathie


de parenté chez ceux qui furent du Collège libre, quand
il leur arrive de se retrouver. C'est cet esprit qui nous
attire instinctivement vers ce vétéran des luttes, des
triomphes et des épreuves du Collège libre, notre cher
et vénéré M. Schürrer, à qui .il suffirait d'ailleurs du
charme de sa culture littéraire, de la fermeté de ses con-
victions et de sa fidélité à ses amitiés et à ses souvenirs
pour gagner toute notre sympathie.

BRUNCK DE FREUNDECK.
LA COMMISSION BIBLIQUE
ET LE PENTATEUQUE.

Peu de livres ont été attaqués par les rationalistes


avec plus d'àpreté, tournés et retournés en tous sens avec
plus de subtilité, examinés à une loupe plus grossissante,
que le Pentateuque. Ces efforts désespérés des ennemis
du surnaturel et de l'inspiration se comprennent sans
peine, quand on songe que de tous les écrits de l'Ancien
Testament, celui-ci est le plus important puisqu'il renferme
la constitution juive, les lois qui régissaient le peuple
d'Israël dans son développement religieux, politique et
social.
La critique rationaliste a essayé de prouver, par des
considérations intrinsèques- surtout, que le Pentateuque
n'est qu'un récit fait de seconde main, et de longs siècles
après les évènements. C'est ainsi que Tite-Live a composé
ses fables sur l'origine de Rome. On voit toute la portée
de cette théorie. Si, en effet, Moïse est étranger à la
composition de l'œuvre que toute la tradition lui attri-
bue, ce code religieux n'a plus d'autre valeur que celle
des écrivains désireux d'illustrer leur histoire par des
fictions plus ou moins poétiques, sans crédit historique,
sans fondement sérieux, et par conséquent le système re-
ligieux juif ne diffère plus en rien de ceux des différents
peuples de l'antiquité.
Aussi la Commission biblique examine d'abord « si
Revue. Juin 1910. 22
LA COMMISSION BIBLIQUE ET LE PENTATEUQUE.

les arguments accumulés par les critiques pour battre en


brèche l'authenticité mosaïque des livres sacrés, appelés
le Pentateuque, sont assez importants pour permettre c
d'affirmer que Moïse n'est pas l'auteur de ces écrits, mais
qu'ils ont été compilés avec le secours de sources en
grande partie postérieures à l'époque mosaïque.» »
Elle répond non, et pour appuyer son opinion elle
produit quatre preuves qui étayent solidement l'authen-
ticité de l'œuvre de Moïse
i° Les témoignages multiples des deux Testameuts
pris dans leur ensemble. Cette preuve est amplement
développée dans tous les manuels bibliques modernes, et
est admirablement exposée par M. Mangenot dans son
savant travail sur l'authenticité mosaïque du Pentateuque.
Sans doute, aucune des parties du Pentateuque n'est
complètement citée ni dans les autres parties de l'Ancien
Testament,1 ni dans le Nouveau. Toutefois ce que les
auteurs sacrés rapportent de ces documents primitifs,
leurs extraits textuels, et les allusions faites aux coutumes
et aux évènements exposés dans les récits mosaïques, ne
se comprennent qu'en admettant l'existence contemporaine
de l'histoire et de la législation des cinq livres de Moïse.
Ils en parlent comme d'une source dont personne ne con-
teste la pureté. Pour ne prendre qu'un exemple voyons
la loi du lévirat. Elle est citée par l'auteur de Ruth.
Plus tard, Jésus, dans une réponse aux Sadducéens, nous
montre clairement qu'elle était encore appliquée à l'époque
où il parlait. Et, dans l'espèce, une simple allusion est
un témoignage plus fort que l'exposition intégrale de la
loi, puisque l'orateur, en y glissant sans appuyer, la sup-
pose parfaitement connue de son auditoire.
2° L'assentiment perpétuel du peuple juif. Pour
aucun écrit nous ne trouvons un assentiment plus com-
plet et plus constant. Les textes de Josèphe et de Philon
le marquent jusqu'à l'évidence. Lorsque Notre Seigneur

Cf. Matth. XIX, 7, 8. Marc. X, 19. Luc. VI, 2, 4. –


Jean 1, 45, VII, 19, 22, 5i, VIII, 17.
LA COMMISSION BIBLIQUE ET LE PKNTA'IT.UQTJE

net les Pharisiens, les Scribes et les Sadducéens en pré-


sence de textes formels et clairs de la Loi, le Maître les
.ttribue toujours à Moïse. Toute l'interprétation rabbi-
aique repose sur la même certitude. Et quand un peuple
tout entier, dans sa longue marche à travers quinze siècles
d'histoire, au milieu des drames les plus angoissants
parfois, dans la victoire comme dans la défaite, à l'ombre
du temple comme sur les bords de l'Euphrate, affirme sa
croyance à l'authenticité d'un livre qui fait toute sa vie,
règle tout son mécanisme religieux et social, cette affir-
mation a la valeur d'une preuve incontestable.
3° La tradition unanime et constante de l'Eglise.
Ce n'est ici, somme toute, que la continuation de la tra-
dition juive, et cette preuve emprunte toute sa valeur à
la précédente, avec, en plus, l'autorité indiscutable du
divin Maître et l'adhésion des Pères, ces esprits au som-
met si éclairé, qui ne donnaient leur adhésion qu'à bon
escient, et qui par ailleurs, étaient mieux placés, saint
Jérôme surtout, pour voir, comparer et se prononcer en
toute connaissance de cause.
4° Les indices internes qui se tirent du texte lui-
même. – C'est ici que les exégètes rationalistes ont cru
trouver le défaut de la cuirasse, où ils ont essayé de
planter la flèche barbelée de leur carquois. En présence
du témoignage unanime de la tradition qui les met en si
mauvaise posture devant l'histoire, ils se sont rabattus
sur le texte, qu'ils ont fait passer par le crible de la lin-
guistique, à grand renfort de grammaires et de diction-
naires. Loin de nous l'idée de nier l'importance de ces
recherches littéraires. Mais, enfin, la critique interne n'est
pas le seul élément qui doit entrer en ligne de compte
lorsqu'on veut se prononcer sur l'auteur et la date d'un
ouvrage historique. Pour une langue qui se développe
logiquement, comme nos idiomes, les mots, les expres-
sions, les tournures, la couleur des idées peuvent poser
un auteur et une époque. Or, au dire même de Renan, 1

1
Renan, Histoire genérale des langues sémitiques.
LA COMMISSION 1SIBLIQUE ET LE PENTATEUQUE.

il n'en est pas de même dans les langues orientalc-


Entre les écrivains sémites, séparés par plusieurs siècles
la «-ressemblance n'a rien d'incroyable pour celui qui s'es-
fait une idée juste de la fixité des langues sémitiques
les langues sémitiques, en effet, ne vivent pas comme le
langues indo-européennes; elles semblent coulées dan:
un moule d'où il ne leur est pas donné de sortir.» M
Conclure d'une certaine variété dans le style qu'un
écrit manque d'unité d'auteur, c'est tirer une conclusion
que les prémisses ne renferment aucunement. Il est facik
de comprendre l'unité de composition dans les dépêches
de César, puisque lui-même les dictait à ses secrétaire^
Mais prenez un homme qui donne à plusieurs scribes un
thème à développer, dont il ne leur indique que le fond.
la matière, les idées générales, et vous ne serez plus
étonné de la diversité du style dans l'unité de la compo-
sition. Or, est-il déraisonnable de supposer que Moïse.
pour achever l'oeuvre si considérable qu'il méditait, ait
fait appel au concours de quelques Israélites lettrés poui
leur confier la partie matérielle de la besogne ? Nulle-
ment et notre opinion s'appuie sur la Commission bi-
blique qui répond négativement à la question suivante
« Est-on obligé de croire, pour conserver intact l'authen-
ticité du Pentateuque que Moïse ait écrit de sa main ou
dicté mot à mot aux copistes l'ensemble et les détails. »
Et donc nous pouvons considérer Moïse comme l'auteur
du Pentateuque, sans lui attribuer, à lui seul, seul toute
la rédaction.
Du reste tout dénote, dans l'auteur du livre, un con-
temporain. «L'exode, en particulier, contient un certain
nombre de mots égyptiens, dont les Hébreux se servaient.
en Egypte, pour désigner des objets pour lesquels leui
langue n'avait pas de noms. Les mœurs et les coutumes

1 Voici
quelques exemples cites par M. H. Lesêtre dans la "Revue
Apologétique": Le roi d'Egypte était appelé per ad, d'où "Pharaon"
la nacelle de Moise est une tebah, de l'egyptien tba ou teb les ro-
seaux dont elle est faite, gomel, de l'égyptien kam ou gam, le roseau
LA COMMISSION BIBLIQUE ET LE PENTATEUQUE.

jvptiennes y sont rappelés avec une fidélité qui n'appar-


t ent qu'à un témoin oculaire, et que confirment tous les
r'ocuments de l'époque. L'auteur a donc vécu en Egypte
,-<uis dans le désert du Sinaï. Un auteur postérieur n'eût
"U écrire de la sorte, sans séjourner lui-même dans les
pays auxquels il fait allusion, et l'on ne conçoit pas des
..crivains du VIIe ou du VIe siècle allant s'établir en
Egypte et au Sinaï pour se donner le plaisir d'y compo-
ser une œuvre de fantaisie, dans le dessein de la faire
ittribuer à Moïse. » Et puis enfin cette œuvre compo-
sée après coup n'eût pas passé comme un gigot à l'ail,
ou un gâteau à l'huile il y aurait eu des réclamations
chez les prêtres gardiens des lois et de la tradition. Or,
Iln'y a pas trace de semblable protestation dans l'histoire
du peuple juif, ni au VIIIe ni au VIe siècle.
On n'est donc pas surpris de voir la Commission
conclure comme il suit « L'hypothèse de ceux qui ad-
mettent que Moïse conçut son ouvrage sur l'inspiration
divine, et chargea de la rédaction plusieurs secrétaires,
en prenant les précautions nécessaires pour que sa pen-
bée soit fidèlement rendue, sans omissions, ni altérations,
et qu'ainsi Moïse est réellement l'auteur principal et ins-
piré, «est très plausible et peut être émise et soutenue.» »
Puisque, en effet, la langue hébraïque resta fixe pendant
des siècles, jusqu'a l'époque de la captivité, où des néo-
logismes et des emprunts faits au parler des Araméens,
vivant aux embouchures du Tigre et de l'Euphrate, en
altérèrent la pureté, des rédacteurs, travaillant sous la
haute direction de Moïse, peuvent présenter dans leur
jtyle des nuances semblables à celles d'écrivains de beau-
coup postérieurs. Dans nombre de pages de Brunetière
)n croirait lire un contemporain de Bossuet, et pourtant
l'auteur du discours de combat est de la fin du XIXe

du Nil les vaches paissent le ahu, la plante marécageuse nommée


aha par les Egyptiens les moustiques de la troisième plaie, kinnim
ont un nom égyptien kenemmès.
H. Lesêtre, Revue Apologetique.
LA COMMISSION BIBLIQUE ET LE PENTATEUQUE.

siècle. Un bon écrivain du Canada manie, au XXe siècle


encore, la langue de l'époque classique, avec les fines
nuances d'un Fénélon ou d'un La Bruyère, et parce qu0
nous y trouvons la « sacrée liturgie », nous ne somme»
pas autorisés à voir dans les phrases, où ces tournure,,
abondent, des passages altérés ou interpolés.
Dans une langue qui se maintient invariable pendant
plusieurs siècles, et ce fut le cas de l'Hébreu, des auteur
différents peuvent et doivent se rencontrer, malgré la
distance, dans la similitude des vocables et des tournures.
Les mêmes imaginations orientales se réflétant dans la
même langue, comme les mêmes arbres dans les eavu
immuables d'un étang, présentent forcément, malgré la
différence des époques, des ressemblances de diction. Le
contraire serait plutôt étonnant.

fj. PH. RIEHL.


COLLÈGE DE HAGUENAU.
1604–1692.

(Suite.)

6. Le P. Vogler.

Parmi les Pères qui s'adonnaient au ministère de


la parole divine, se trouvait le P. George Vogler qu'on
avait avec raison surnommé le «Marteau des hérétiques. »
Quand il parut pour la première fois à Haguenau, un
seul discours sur le choix des sept premiers diacres et
sur ces paroles des Apôtres aux fidèles de l'Eglise mili-
tante « Considerate, fratres, viros ex vobis boni testi-
monii septem, plenos Spiritu Sancto et sapientia, quos
constituemus super hoc opus » (Act. 6, 3), lui avait suffi
pour faire nommer sénateurs, par les suflrages du peuple,
les plus fervents catholiques du pays un autre de ses
sermons fut immédiatement suivi de lois très rigoureuses
contre l'usure.
Fertig, le plus habile des ministres de Tubingue,
s'empressa d'accourir au secours de ses coréligionnaires
mais il essaya vainement de démontrer que la doctrine
de Luther était aussi ancienne que la doctrine de Jésus-
Christ le P. Vogler s'offrit à l'aider dans cette entre-
prise, et à la grande stupéfaction des hérétiques, peu sa-
tisfaits de leur docteur, il les obligea de reconnaître par
les Actes des Apôtres que leur premier ancêtre n'était
COLLEGE DE HAGUENAU.

autre que Simon le Magicien, dont tous les hérétiques


pendant i5oo ans leur avaient fidèlement gardé l'héritage.
Ces succès jetèrent l'effroi parmi les prédicants. Ils
ne rougirent pas de faire appel à l'émeute et même au
poignard contre le vaillant champion de la foi. Le P. Vogler
étant tombé gravement malade, ses rivaux s'imaginèrent
avoir trouvé une magnifique occasion de vengeance. Quand
ils le crurent a l'extrémité, ils répandirent le bruit que
les démons s'étaient emparés de lui ils ajoutaient qu'il
avait fallu l'attacher avec quatre chaînes de fer dans une
obscure cellule du collège, et qu'enfin, pour châtiment de
ses blasphèmes contre le pur Evangile, les esprits infer-
naux avaient obtenu de Dieu la permission de l'emportei
avec eux tout vivant. Ces fables ridicules autant qu'odieuses,
propagées dans toute l'Alsace par les presses de Stras-
bourg, remplirent de joie et d'orgueil les partisans de
Luther. Mais, quand ils virent soudainement leur terrible
ennemi remonter en chaire dès que ses forces le lui per-
mirent, à peine pouvaient-ils en croire leurs yeux par
arrêt solennel des magistrats, l'auteur de cette calomnie
fut condamné à faire en public amende honorable au
P. Vogler.
Au milieu de ses triomphes apostoliques, cet orateur
si puissant ne dédaignait pas les œuvres les plus humbles;
il aimait à faire le catéchisme aux pauvres et aux enfants,
se montrait assidu auprès des malades, des prisonniers
et des condamnés à mort, et trouvait encore le temps de
publier son «Catéchisme en chants et en exemples » et
son beau livre sur « Marie et Joseph, sources de conso-
lation pour tous les affligés M.
Il mourut à Wurtzbourg, le 26e jour de juin de l'an
1625, âgé seulement de ~t ans.

7. Congrégations. Marienthal.

Pouramener les fidèles et les nouveaux convertis à


la pratique sincère de la religion, pour développer dans
COH/Ë&E DE HAGUENAU.

teurs écoliers le germe de la piété chrétienne, les Jésuites


n'avaient pas de moyen plus efficace que les Congréga-
tions de la Sainte Vierge.
Il y en avait deux pour les étudiants, fondées dès
les premières années du collège; en t6<3 fut fondée celle
des bourgeois de la ville elle ne tarda pas à être appelée
la Sainte Congrégation, tant était grande la ferveur de
ses membres. Pendant le Carême, ils récitaient en com-
mun le Miserere, et se flagellaient publiquement, parfois
jusqu'au sang; le matin du Vendredi-Saint, ils faisaient
une procession expiatoire, chargés de lourdes croix et re-
nouvelant leurs flagellations.
En i6!Q, sous le vocable de la Présentation, se fonda
une quatrième congrégation, celle des jeunes apprentis
elle rivalisa de ferveur avec ses amées. Il n'était pas rare
de voir quelques-uns de ces congréganistes quitter le
monde pour embrasser la vie parfaite dans un ordre re-
ligieux.
En i6t8, quatre ans a peine après la fondation du
collège, l'annaliste enregistre avec joie l'entrée du premier
élève dans la Compagnie six autres se firent Chartreux
ou Bénédictins.
Non loin de Haguenau se trouvait un antique pèle-
rinage de la Sainte Vierge, devenu fameux sous le nom
de Marienthal. A côté du sanctuaire s'élevait un petit
couvent habité autrefois par des religieux Wilhelmites.
Le magistrat de la ville en avait la propriété depuis 1563;
désireux d'en relever les ruines, il prit la résolution de
le céder aux Jésuites; l'instrument de cession fut émis le
i o avril 1617et remis au R. P. Henri Rœst, recteur du
collège, par le stettmeister Othon-Henri Westermeyer,
l'échevin Christian Kindwiller, Marcel Gambs, Maréchal,
Nicolas Reinbold, membre du Sénat, et le greffier Michel
Glaser qui en donna lecture au P. Recteur. A partir de
ce moment, les Pères du collège désignèrent deux d'entre
eux pour desservir le pèlerinage il ne tarda pas à re-
trouver son ancienne célébrité parmi les populations voi-
sines, grâce aux nombreuses faveurs accordées aux pèlerins
COLLÈGE DE HAGUENAU.

par N.-D. de Marienthal. Tous les ans, le chroniqueu;


signale quelques guérisons extraordinaires ou d'autres fa-
veurs plus ou moins miraculeuses. Sous la conduite dc
leurs directeurs, les congréganistes s'y rendaient fréquem-
ment en procession avec les élèves du collège, et ainsi
par le culte de Marie s'implantaient de nouveau dans le~
âmes les habitudes de la vie catholique.

8. Guerre de Trente Ans.

Tout semblait prospérer, quand éclata la terrible


guerre qui pendant trente années devait couvrir de ruines
et de sang les régions voisines du Rhin.
Dès i6to, de sinistres présages annonçaient les cala-
mités prochaines. Le spectre de la Burg s'était montré
plusieurs fois; une comète avait répandu la terreur parmi
le peuple; dans l'église des Jésuites, le reliquaire de
S. Jean-Baptiste avait été déplacé par une main invisible:
on s'attendait à une catastrophe elle ne se fit pas
attendre. »
Après la défaite a Prague (1620) de Frédéric IV, le
comte palatin, les débris de son armée, commandés par
le hardi condottiere Mansfeld, se rapprochèrent du Rhin
après avoir ravagé les terres de l'évèque de Spire, ils se
jetèrent en Alsace, rançonnèrent Landau et Lauterbourg,
et bientôt ils se présentèrent aux portes de Haguenau.
Le tocsin appela la bourgeoisie aux armes on s'assemble
en tumulte dans les rues, on court aux remparts pour
préparer la défense. A la tête du magistrat se trouvait
alors un homme intègre et loyal, excellent chrétien,
M. Bildstein. Comprenant que toute résistance serait inu-
tile, il entre en composition avec le soudard celui-ci
exige une rançon de 160,000 florins a payer en douze
heures à ce prix il s'engage à ne pas molester la ville
ni ses habitants, et à respecter leurs droits et privilèges.
COLLÈGE DE HAGUENAU.

Les promesses lui coûtaient peu; il ne s'inquiétait guère de


les observer. Quinze jours après il fait sommer la ville
de se rendre et, sur son refus, il la fait occuper de force
dans la nuit du 6 décembre !62t lui-même y fit son
entrée le 3t du même mois.
Les Jésuites avaient lieu de redouter l'hostilité du
général protestant ils congédièrent leurs élèves et quit-
tèrent la ville, sauf deux d'entre eux qui continuèrent
d'exercer le saint ministère. Mais bientôt ils durent prendre
la fuite à leur tour. Les soldats de Mansfeld, à qui l'on
avait fait croire que les Jésuites possédaient de grandes
richesses, s'étaient emparés du jardinier de la maison, et
pendant deux nuits consécutives ils lui firent subir les
plus horribles tourments pour lui arracher le secret des
trésors cachés par les Pères. Pour. échapper à la mort,
les Jésuites, déguisés en paysans, prennent la fuite le
froid était rigoureux, la campagne couverte de neige à
travers mille dangers et transis, ils arrivent enfin, les uns
a Schlestadt, les autres a Bitche. Pendant ce temps les
Mansfeldiens mettent au pillage le collège et tout ce qu'il
renferme provisions, linge, mobilier, une partie de la
bibliothèque, tout devient leur proie; ils livrent aux
flammes la ferme de Marienthal, dévastent l'église, ra-
vagent la campagne, abattent les arbres de la forêt et ne
laissent partout que ruines et désolation.
Après six mois d'occupation, Mansfeld quitte la ville,
laissant pour la gouverner le comte de Lœwenstein avec
une forte garnison. Peu à peu l'ordre se rétablit, et au
mois d'août les Jésuites purent revenir au collège, où les
catholiques, M. Bildstein à leur tête, leur firent une ré-
ception triomphale. Ils reprirent aussitôt les travaux du
saint ministère, en attendant que le collège restauré pût t
rouvrir ses portes aux élèves. Le recteur était alors le
P.Josse Meyerinck, celui qui devait, quelques années plus
tard, tomber glorieusement martyr à Rouffach, sous le
sabre des Suédois.
Un nouveau fléau s'abattit sur le collège en l'année
162~ une~maladie contagieuse enleva en peu de temps
COLLÈGE DE HAGUENAU.

quatre victimes, deux Pères, un scolastique et un Frère


coadjuteur.
De nombreuses conversions de protestants (63 en t623,
~o en 1624) couronnèrent le zèle des missionnaires: et
telle était la ferveur des nouveaux convertis qu'on les
voyait dans les processions se donner publiquement la
discipline; « des soldats, dit le chroniqueur, se flagellaient
comme s'ils frappaient sur l'ennemi. »

g. Procès de sorcellerie.

Parmi les ministères que remplissaient les Jésuites,


il y en avait un à cette époque qui mérite une mention
spéciale c'était la mission de préparer et d'accompagner
au supplice les malheureuses victimes de la sorcellerie.
Vers la fin du XVIe siècle et dans les trente premières
années du XVII", le nombre de ces procédures étranges
se multiplia extraordinairement. A parcourir la chronique
des Jésuites de Haguenau, on constate dans l'opinion des
Pères une tendance toujours plus marquée à condamner
ces terribles exécutions, et surtout les tortures affreuses
auxquelles on soumettait les accusés pour leur arracher
des aveux. Ce n'est pas qu'ils fussent convaincus de l'in-
nocence de tous les malheureux. Les faits parlaient
d'eux-mêmes. Du moins voulaient-ils dans leur charité
sauver ces criminels du désespoir et leur assurer une
mort chrétienne. Leurs efforts ne furent pas inutiles.
En 16)6, huit femmes à la fois avaient été brûlées
vives; trois autres et un garçon meunier subirent la même
peine en 1618. Deux femmes condamnées en 1621 avaient
livré à leurs confesseurs, avant leur exécution, les livres
de magie dont elles faisaient usage. En 1627, il y eut
une hécatombe de vingt-sept personnes. Voici comment
l'annaliste du collège raconte le fait
« Une jeune fille de basse condition, d'environ qua-
torze ou quinze ans, s'étant vantée d'être la maîtresse
COLLÈGE DE HAGUENAU.

d'un jeune homme de bonne famille, fut traduite par lui


en justice. Interrogée par le juge, elle fit des réponses
qui donnèrent à soupçonner qu'elle avait des relations
avec le démon c'était lui qui s'était présenté à elle sous
la figure de ce jeune homme. Pressée de questions, sans
violence pourtant, elle fit des aveux. Elle avait été en-
traînée au mal par sa maîtresse qui faisait profession de
sorcellerie elle nomme des complices qui à leur tour en
dénoncent d'autres, hommes et femmes, si bien qu'en
moins de sept mois il y eut plus de vingt-et-une per-
sonnes de l'un et de l'autre sexe condamnées aux flammes
du bûcher. Ces malheureux avaient avoué que la tempête
épouvantable qui avait ravagé toute la contrée et renversé
le clocher de Marienthal, avait été suscitée par leurs ma-
léfices. Les Pères eurent la triste mission de les préparer
à la mort.
«Parmi eux se trouvait un jeune garçon, de dix-huit
ans à peine, que sa mère avait corrompu elle-même; plu-
sieurs fois il avait voulu se confesser, mais il n'avait ja-
mais osé avouer le crime de magie. Il s'était rendu cou-
pable de tous les forfaits imaginables. Effrayé par la mort
subite de son père qui lui aussi s'était engagé dans cette
milice infernale, il vint trouver un confesseur et montra
tous les signes d'une sincère pénitence. Pour le soustraire
a la justice des magistrats, on lui conseilla de faire un
pèlerinage a N.-D. d'Einsiedeln.
« Ainsi les Pères commençaient-ils à réagir contre ces
terribles exécutions, que le Jésuite Frédéric Spée, dans
un ouvrage célèbre, dénonça à l'indignation de tous les
honnêtes gens, âfnrmant avec serment que parmi les
nombreuses victimes qu'il avait été chargé de préparer a
la mort, il n'y en eut pas une qui, tout bien considéré,
pût être réputée coupable du crime qu'on lui reprochait.
Le courageux Jésuite avait frayé la voie; moins d'un
demi-siècle plus tard les procès des sorciers avaient reçu
le coup de grâce, et à partir de la fin du XVIIe siècle,
les bûchers ne s'allumèrent plus qu'à de rares intervalles,
et seulement dans les pays protestants. La dernière sor-
COLLÈGE DE HAGUENAU.

cière, exécutée en 1783, fut une jeune fille suisse du


canton de Glaris. A Rome, les personnes convaincues de
sorcellerie se rachetaient par une amende.
« A Haguenau, la dernière procédure eut lieu en
t6~5; sur la protestation des Jésuites la procédure fut
abolie. »

P. MURY.

(A suivre.)
LA LÉGENDE D'OBERUN
au Ban-de-la-Roche.
Pasteur
(Suite.)

Mais ce qui fait la richesse du pays, ce sont, le long


des « rupts », les prés naturels, généralement bien irrigués
dans toute la vallée. Ils le sont toutefois avec moins d'art
que dans le val de Senones, où, pour rafraîchir et ferti-
liser les terrains arides, on dirige les petits filets d'eau
dans des fontaines intermittentes, qui périodiquement se
vident et ainsi arrosent mieux le sol.
L'abondance du fourrage permet d'élever et de vendre
assez de bétail pour assurer aux gens, avec la récolte des
pommes de terre et le tissage à bras, une certaine ai-
sance. Cependant, sans les pâturages communaux, ils ne
pourraient pas tenir autant de bêtes. Le parcours supplée
aux prés artificiels c'est là, conjointement avec le climat
froid, le sol léger et les frais de culture, la cause pour
laquelle on a renoncé à convertir un plus grand nombre
de fourrières en champs de trèfle et de sainfoin. Notre
pasteur, encore moins que l'administration forestière, dé-
sireuse de reboiser pour créer des revenus aux communes,
n'est pas arrivé à supprimer le parcours. L'intérêt privé
prime l'intérêt public. Ainsi il est faux qu'Oberlin ait
fait changer les communaux en terres labourables, et qu'il
ait décidé les gens à fourrager leur bétail toute l'année
à l'étabte, la stabulation valant mieux, dit-on, pour le
LA LÉGENDE D'OBERNN.

bétail. Du reste, il y a plus de champs qu'on ne peut en


engraisser; et, chaque année, une partie du parcours, un
dixième environ, est labourée successivement et amendée
avec le meilleur des engrais, les cendres de ses gazons.
(C'est ce qu'on nomme en patois faire des stirpouts ou des
beurheu x-) Le reste du parcours fournit avec l'herbage, le
genêt, principal, sinon unique combustible des indigènes.
«Oberlin, l'ami de la nature, l'agriculteur et le botaniste
instruit, dit Stœber, ne cessait de recommander la culture
du trèfle, d'accorder ses soins aux prés artificiels. » 1 Si cela
est, il n'a rien obtenu de plus que ce qui se pratique
ailleurs. Qu'il ait prétendu, dès son arrivée de la ville,
apprendre aux paysans à mieux exploiter leurs terres,~
c'est un travers commun aux citadins. Les campagnards
sont plus expérimentés, entendent mieux leurs intérêts
et ne sont pas aussi bornés que les gens de ville se
l'imaginent.
On attribue encore à Oberlin d'avoir transformé,
perfectionné les procédés de culture. Cependant, jusqu'à
notre génération, ils ont été des plus primitifs on n'em-
ployait naguère encore ni les engrais chimiques, ni les
machines agricoles, m les bonnes méthodes d'autres con-
trées. H aurait, ajoute un auteur, enseigné à ses paroissiens
la manière de greffer et les aurait vivement engagés à plan-
ter des pommiers et des poiriers sur leurs terres et sur
les communaux.3 Soit, sur leurs propres terres (et encore
pas trop n'en faut dans les terrains cuttivés) mais non
sur les communaux; les fruits seraient à tous, puisque
le sol n'est à personne. Pour favoriser l'arboriculture Il
exigea des confirmands, comme condition d'admission,
un certificat attestant qu'ils avaient planté deux jeunes
arbres en un lieu désigné. Comme le monde crierait a
l'intolérance cléricale, si un curé refusait d'admettre un
enfant à la première communion pour un pareil motif!

'E.St.t44–
'Scheube,I.citë3i3.
'C.Fischer,p.6~~s.
LA LKGENM 1) OBERLIM.

L'amélioration de la race des bestiaux, le traitement


du fumier, etc., etc., sont aussi attribués à Oberlin. Ce
qu'il y a de certain, c'est qu'il lisait du haut de la chaire
des articles sur l'agriculture, comme sur d'autres connais-
sances utiles, et rendait par là service à ses paroissiens
qui n'étaient pas, comme aujourd'hui, abonnés à quelque
lournal agricole. Seulement le campagnard est routinier,
il a plus de foi en son expérience qu'en une nouvelle
méthode et se défie des théoriciens de cabinet qui n'ont
jamais mis la main à la charrue. Aussi ne peut-on affir-
mer que ces cours d'économie rurale aient beaucoup pro-
fité aux Ban-de-la-Rochois, ils ne cultivaient pas mieux
leurs terres que leurs voisins; ceux-là ont même un peu
trop négligé l'agriculture pour l'industrie.
Cependant Oberlin ayant fort à cœur, à l'exemple de
son ami, le préfet Lezay-Marnésia, 1 les progrès de l'agri-
culture, ne se contenta pas de lire des articles ou de
donner des conseils, il organisa une association d'agricul-
teurs, l'affilia à celle de Strasbourg, créa une caisse rurale
avec le concours financier de quelques gros bonnets, qui
avancèrent la première mise de fonds, et monta un ma-
gasin coopératif d'outils et autres instruments pour les
sociétaires, afin qu'ils pussent les y acheter au prix de
revient et même à crédit. C'est ce qu'il appelait le jTr~'c
de la CA~r~ Comprenant les avantages de l'association
et s'inspirant du génie social du moyen-âge, de l'organi-
sation des anciennes corporations et jurandes, dissoutes
par la Constituante, le 17 mars 1791, il institua des
syndicats libres, des mutuelles, des coopératives: en quoi,
selon ses panégyristes, il fut en avance de plus d'un
siècle sur ses contemporains. C'est encore dans son esprit
qu'aurait germé l'idée d'une Caisse des pauvres, dont
nous avons déjà fait mention. Vraisemblablement cette

Spach L. Lezay-Marnésia, Influence de son administration


sur l'agriculture du Ban-de-la-Roche (Strasb. 1848).
C. St. !4.S–5t.
a Mss. Andreœ Witz, cités
1 1 Ilpar Ed. P. 237–238.
-1 r. Í
Revue. Juin 1910. “ 23
LA LÉGENDE D'OBERLIN.

caisse, alimentée par des collectes, existait déjà avant lu;


comme elle existe ailleurs. Ainsi le curé de Mattaincourt,
Pierre Fourier, (le Bon Père) avait fondé, sous le nom de
Bourse de Saint-Epvre, une sorte d'assurance mutuelle ou
caisse de prévoyance, dirigé par un Conseil d'administration,
où tout négociant ou artisan malheureux pouvait emprunter
une certaine somme à la condition de la rendre, si elle
venait à fructifier en ses mains. H conçut aussi, poui
rendre les procès moins fréquents, le dessein d'une asso-
ciation mutuelle ayant pour but de vider à l'amiable,
avec la bourse commune, tous les diÛérends survenus
dans le ressort du bailliage. 1 Et les Tontines répandues
en Italie dès l'an !G35, n'étaient-elles pas des assurances
mutuelles ? Ce qui démontre que, déja avant Oberlin on
appréciait l'efficacité des mutualités et qu'on en organisait.
Les caisses de prêt et d'emprunt, écrit Ed. Parisot,
les syndicats, les prix furent ses grands moyens d'action.
Par eux il parvint à supprimer les illettrés, les mendiants
de profession, à libérer les débiteurs insolvables honnêtes,
à engager ses paroissiens dans des entreprises utiles.
Hélas il lui advient ce qui advient à tout homme qui
se mêle d'affaires financières. On ne crut pas à son dés-
intéressement. Tantôt de mauvaises langues l'accusaient
d'avoir empoché la moitié d'une quête faite à Strasbourg
pour la réparation des chemins tantôt d'avoir pris trois
francs d'intérêt pour un louis d'or. Son honorabilité ne
pouvait être atteinte par ces basses calomnies. U devait
passer digne et calme devant ses diffamateurs et insul-
teurs, ainsi qu'il est représenté dans le tableau de Théo-
phile Schuler « Oberlin und der Grobian », reproduit
dans le «Magasin pittoresque" et dans le livre classique du
D~ Hottinger: « Elsass-Lothringen ».
S'il était méconnu par des gens hargneux, il fut
mieux apprécié par le plus grand nombre. On lui fit

1 Rohrbacher.
Giry et Guérin, Vie des Saints, T. XI, p. 282.
Histoire de l'Eglise, T. 25, p. 2t2.
Mss. Andréas Witz, cités par Ed. P.
LA LÉGENDE D'OBERLIN

mcme honneur de l'accroissement de la population de sa


paroisse qui, de 5oo âmes au début, serait montée à 3000
et même à 6000 pour Waldersbach seul, à la fin de son
très long ministère, ce qui est très exagéré.
Elle avait atteint le chiffre de 2100 en 1821, après
n'avoir cessé de croître depuis la guerre de Trente,
comme d'ailleurs celle de toutes les communes de la
vallée de la Bruche. Ensuite elle n'a fait que baisser jus-
ne au dernier recensement. 2
qu'à plus compter que tzyo
Dans ses Annales Oberlin énumère les grandes familles
de sa paroisse plus nombreuses de son temps que du
nôtre. Le honteux malthusianisme n'y avait pas pénétré.
Grâce à ses admirateurs, il devint membre corres-
pondant de la « Société des sciences, agriculture et arts de
Strasbourg », membre de la Société d'émulation du dépar-
tement des Vosges, section de l'agriculture. En 1818, la
Société royale et centrale d'agriculture de Paris lui décerna
la grande médaille d'or, vu le rapport de François de
Neufchâteau sur la civilisation du Ban-de-la-Roche. Ce
rapport commence ainsi «Voulez-vous connaître un mo-
dèle de ce qu'on pourrait faire dans toutes les campagnes
pour -le bien de l'agriculture et celui de l'humanité ? Per-
mettez que je vous transporte sur l'un des sommets les
plus âpres des Vosges. Amis de la charrue, amis du bien
public, venez voir le Ban-de-Ia-Roche. x~ En 18ig, il est
nommé chevalier de la Légion d'honneur par le roi,° au-
tant comme agronome que comme éducateur, puisque,

E. Stoeber. Edm. Parisot et J. Rathgeber donnent 6000


âmes pour Waldersbach le Dictionnaire de la conversation et la
lecture, 3ooo. T. XL, p. 35~.
V. les Annales d'Oberlin. J.-B. Masson, Die Siedetungen
des Breuschtals im Elsass und der angrenzenden Gebiete, These
inaugurale.
Rapport du comte François de Neufchâteau, député des
Vosges, membre de plusieurs Académies. In-8, 46 pages (Paris 1818).
E. St., préface 14..
Il l'avait déja éte de l'Ordre du Lys, le 12 octobre t8i4.
(Revue ais. ilL Il, 1010.)
LA Jj~GENDE D'OBERLIN.

dans le compte-rendu du ministre, il est consigné qu<


c'est au zèle et aux lumières du sieur Oberlin, pasteut
depuis 53 ans à Waldbach (Vosges), qu'on doit les éta-
blissements d'instruction publique, plusieurs branches
d'industrie et des travaux utiles sur les routes que c~es?
a ses soins éclairés que cette contrée, jadis si peu féconde,
doit son aspect heureux et florissant. Bref, il fut combla
d'honneurs, même par le roi.
Pour rehausser son héros, la légende en fait ur,
homme universel. Non-seulement il exerce toutes les pro-
fessions, 1 mais, dès son arrivée dans sa paroisse, i;
pourvoit au manque d'artisans, charrons, cordonniers.
maçons, menuisiers, en choisissant des jeunes gens de
bonne volonté et en les envoyant au dehors faire leur
2
apprentissage.
Comme il n'y avait pas non plus de médecin ni de
sage-femme, il adressa au praticien Ziegenhagen pour
étudier la médecine l'instituteur de Bellefosse, Sébastien
Scheidecker, qui cumula ensuite les deux fonctions. En
attendant, le pasteur appliquait lui-même ses connaissances
médicales,' administrait des saignées, des remèdes et eut
même le bonheur de sauver la vie a trois enfants. On
lit dans l'~oA~'c de mes ~w< écrite de sa main en
181~: «L'eau de vie mêlée d'huile était, à mon arrivée
au Ban de la Roche, le remède pour tous les mau\.
Cela réussissait mal. J'avais déjà un petite teinture de la
médecine, je m'y appliquai davantage. J'appris à faire des
saignées, j'introduisis les lavements. J'en donnai moi-
même, faute d'autres personnes qui pussent et voulussent
le faire. Je me procurai une petite pharmacie. Pour le
pouvoir faire, je me retranchai moi-même au plus strict
nécessaire. » (Revue aïs. ill. II, jqio.) Dans le même temps

Edm. P. X.
'St.t5:–3.
Dans les manuscrits conservés par Mss. Andréa: Witz il y a
livre de recettes (Receptenbuch) de la main d'Oberlin.
un
E. St. :58.
LA LÉGENDE D'OBEBHN.

)! fit instruire plusieurs personnes du sexe disposées à


embrasser la carrière de sage-femme.
Il est un autre bienfait, non moins signalé qu'il ren-
dit à ses paroissiens, ce fut l'introduction dans le pays
de la rubanerie en filoselle. Par suite de la concurrence
des filatures de coton à la mécanique, les Ban-de-la-
Rochois perdaient le gagne-pain qu'ils avaient trouvé jus-
qu'alors chez eux, en filant à la main. Il fallait donc
chercher un nouveau moyen d'existence. Oberlin y avisa.
H attira d'abord en )y85, M. Reber, manufacturier a
Sainte-Marie-aux-Mines ensuite, pour le remplacer,
M. Jean-Luc Legrand, manufacturier à Saint-Morand,
près d'Altkirch, et ancien président du Directoire de la
1 Celui-ci se en t8t3,
République helvétique.~ transporta,
avec sa famille dans le Ban-de-la-Roche. L'industrie de
la rubanerie qu'il y établit prospéra; elle fonda sa fortune
et celle de ses successeurs et assura plus d'aisance aux
habitants, quoi qu'on en dise. De concert avec Oberlin,
dont il aidait les innovations philanthropiques de ses
conseils et de ses ressources, il fut le grand bienfaiteur
du pays.
Mais affirmer que par leurs efforts combinés « cette
vallée autrefois déserte et désolée est devenue un des pays
les plus riches de l'Alsace)), c'est ne pas connaître l'Al-
sace ou le Ban-de-la- Roche. 2
(A suivre.)

E. St. 179–80.
*Edm.Parisot,26o.
M. LE VICAIRE GÉNÉRAL RAPP.
(Suite.)

Les ~<?;fM de Riedheim et ~'77H~M, ~~M~zoH des


écoles. Le curé de Bouxwiller a deux annexes à des-
servir Imbsheim et Riedheim, dont la population catho-
lique se compose de 20 feux environ. II y avait autrefois
dans chaque annexe une école spéciale pour les catho-
liques mais depuis que la nouvelle loi sur l'Instruction
primaire n'admet plus que des instituteurs brévetés, les
communes mentionnées refusent de payer deux maîtres
et il fut décidé qu'il n'y aurait plus qu'un instituteur pro-
testant dans chacune de ces localités, et que les enfants
catholiques fréquenteraient son école. Je proposais aux
autorités de ces communes de payer un instituteur, en
lui assurant le minimum du traitement, il résiderait a
Riedheim ou le local de l'école catholique n'a pas été
ahéné jusqu'ici il ferait les fonctions de sacristain dans
les deux annexes et aurait a ce titre un traitement que
les habitants lui payeraient par cotisation, etc.
Mess observations furent communiquées par A!~r
l'évoque a AI. le préfet qui fit la réponse suivante
Strasbourg, le 11octobre 1845.
Monseigneur,
Le 8 de ce mois, vous m'avez transmis, en l'appuyant,
une demande de M- le curé de Bouxwiller, tendant a ce
M. LE VICAIRE GÉNÉRAL RAPP.

qu'il soit créé pour les enfants catholiques de Riedheim


et d'Imbsheim une école spécialement affectée à ce culte.
D'après les renseignements contenus dans la lettre de
M. le curé, cette affaire ne présente pas de chances de
réussite. D'une part le petit nombre des enfants catholiques
ne permet pas d'exiger dans chacune des deux communes
la création d'une école catholique d'une autre part, la
réunion n'obtiendra pas l'assentiment des Conseils muni-
cipaux à défaut duquel le ministre ne l'autorisera pas. La
décision récente à l'égard des communes de Berg-Thal
et Burbach et les explications dont elle a été accompagnée
en donnent la certitude. Je ne vois donc pas dans la
mesure proposée, un moyen praticable d'améliorer l'ins-
truction des enfants catholiques d'Imbsheim et de Ried-
heim mais il me semble très possible d'envoyer ces
enfants à l'école de Bouxwiller.
Recevez, Monseigneur, etc.
Cette lettre me fut communiquée avec invitation de
présenter mes observations sur son contenu.
C'est ce que je fis par la lettre qui suit
Monseigneur,
Votre Grandeur m'a communiqué la lettre de M. le
préfet en réponse à ma demande tendant à créer une école
catholique pour les deux annexes d'Imbsheim et de Ried-
heim, je dois exprimer mon avis sur cette lettre.
Si l'assentiment des Conseils municipaux est de ri-
gueur dans cette affaire, je renonce dès maintenant à
l'espoir de réussir. Mais je ne puis croire que les attri-
butions des Conseils municipaux s'étendent aussi loin.
Dans les communes mixtes, la création d'une école spé-
ciale pour chaque culte a sa raison d'être dans la loi sur
l'instruction, laquelle loi comprend parmi les matières
d'enseignement l'instruction religieuse, qui ne peut être
donnée aux enfants d'un culte différent de celui que pro-
fesse l'instituteur. Or, il appartient au gouvernement à
faire exécuter la loi, malgré l'opposition même des Conseils
municipaux, surtout quand ces Conseils sont composés
M. LK VICAIRE GÉNÉRAL RAPT.

exclusivement de membres protestants et qu'il s'agit d'un


intérêt purement catholique.
En partant du principe que l'enseignement de la re-
ligion est obligatoire dans nos écoles, le gouvernement
doit exiger qu'il y ait dans toutes les communes mixtes
des écoles spéciales affectées à chaque culte. Je fais re-
marquer que cela est plus nécessaire dans les annexer
car dans les localités où réside un curé celui-ci fera lui-
même l'instruction religieuse aux enfants catholiques ù
défaut d'un instituteur catholique.-
M. le préfet dit que le petit nombre d'enfants catho-
liques ne permet pas d'exiger une école spéciale. Je pour-
rais citer une commune où l'école catholique a été main-
tenue contre l'avis du Conseil municipal protestant. Dans
l'une de nos annexes, il y a neuf familles catholiques,
dans l'autre il y en a onze. Avant !83o chacune de ces
communes entretenait un instituteur catholique. Nous ne
faisons donc que revendiquer un droit consacré par le
temps. Du reste, les communes de Riedheim et d'Imbs-
heim ont assez de revenus pour s'imposer cette dépense.
M. le préfet pense qu'on pourrait envoyer les enfants
catholiques d'Imbsheim à Printzheim et ceux de Ried-
heim à Bouxwiller. Or, à cela je réponds que Printzheim
n'a pas d'école catholique, que le local de l'école catholique
de Bouxwiller est insuffisant même pour les enfants de
cette ville, et que l'instituteur de B. est en droit de re-
fuser des enfants d'une commune étrangère qui ne lui
fait pas de traitement.
Veuillez, Monseigneur, etc.
Plus tard, le 20 fév. 18~.6, les pères de famille catho-
liques ont adressé une pétition au Comité supérieur pourr
le même objet. Toutes les démarches échouèrent devant
l'obstination des municipalités protestantes de ces det'x
communes. Bien plus, l'instituteur catholique de Ried-
heim, jouissait toujours de deux pièces de terre, du
produit spontané du cimetière et d'un logement; le sieur
Müller, le dernier instituteur-sacristain, venant de mourir,
le maire de Riedheim vint m'offrir un supplément de
M. LE VICAIBE GÉNÉRAL RAPP.

traitement si je consentais à la suppression de l'école. Je


repoussais cette proposition avec indignation et répondis
que je maintenais les droits des catholiques. Je fis de
nouveau intervenir l'évêque dans cette affaire. Mais l'ad-
ministration diocésaine reçut invariablement la réponse
qu'on ne pouvait forcer les communes.
M. le Recteur de l'Académie écrivait à Mgr l'évêque,
le priant d'inviter le curé de Bouxwiller à faire réguliè-
rement une instruction religieuse au collège. Cette lettre
me fut communiquée avec prière de m'y conformer. Je
répondis
Bouxwiller, le 21déc. 1847.
Monseigneur,
Votre Grandeur avait déjà appelé mon attention sur
l'objet recommandé par la lettre de M. le Recteur. Depuis
que j'ai pris possession de cette paroisse, je n'ai cessé de
me conformer aux instructions qui m'avaient été données
à ce sujet. J'ai demandé et obtenu de M. le principal du
collège une salle où je fais régulièrement instruction reli-
gieuse tous les mardis et vendredis.
Comme, en matière de religion, l'exemple des chefs
fait plus que les meilleures instructions données aux
élèves, veuillez, Monseigneur, prier M. le Recteur de nous
envoyer toujours des professeurs comme MM. Gœtz et
Ott, dont la conduite religieuse me console et édifie mes
paroissiens et qui jouissent de l'estime des protestants et
des catholiques. Je regrette de ne pouvoir donner le
même témoignage à un autre professeur catholique qui
semble avoir renoncé à toutes les pratiques religieuses et
que je ne vois jamais assister aux offices le dimanche.
Legs de feu M..Be!~er/!H<~H de trois jardins. Charges
non acceptables. Par son testament du t6 juillet tS~-o,
M. Beiderlinden, curé à B., a légué à la fabrique de
l'église trois jardins estimés à tt5o fr., et aux titulaires
successifs de la paroisse l'usufruit de ces immeubles à la
charge de dire quatre anniversaires par an et à perpétuité.
Le conseil de fabrique a cru devoir imposer à l'usu-
M. LE VICAIRE G~N~iBAL RAl'B.

fruitier de ces immeubles la charge d'entretenir les clô-


tures en bon état. Cette charge me parut énorme et je
répondis à M. le président du Conseil par la lettre sui-
vante
Monsieur,
La lettre que MM. les marguilliers m'ont adressée
hier m'a causé un étonnement dont j'ai peine à revenir.
D'après cette lettre on exigerait de moi que je fisse cette
année une dépense de 5o fr., pour aider le sieur Kauff-
mann à faire la clôture de son jardin, en attendant que
l'année prochaine il vienne un autre voisin m'en demander
autant, puis un troisième; car vous avez pu remarquer
que, le long du jardin, toutes les clôtures sont dans un
tel état de ruine qu'il faudra tout renouveler. On me dit
que l'année dernière la fabrique a fait réparer la clôture
du jardin près de l'église, c'est-à-dire qu'on a fermé quel-
ques ouvertures servant de passage à la volaille et aux
voleurs mais aujourd'hui c'est à recommencer et ce sera
tous les ans la même chose. Le Conseil m'impose la
condition d'entretenir en ~o~ état des clôtures qui tombent
en ruine. H ne s'agit pas df'c~re~n'r, il est nécessaire
de reconstruire, condition que je ne puis accepter. Je
fais aussi remarquer que depuis bien longtemps le jardin
a été comme abandonné, qu'il y aura par conséquent des
frais considérables pour le mettre en état de produire.
Ajoutons à ces conditions onéreuses celles du testament
de M. B. qui consiste dans la célébration de 4 anniver-
saires pour lesquels j'aurai à payer les serviteurs de
l'église, et vous conviendrez que ce serait nécessairement
pour le curé une charge que le produit des immeubles
serait loin de compenser. Dans le calcul que font
MM. les marguilliers, en dépensant pour une première
année 5o fr. pour la clôture, il me resterait encore un
bénéfice de la moitié de cette somme par l'usufruit annuel.
Je prie ces Messieurs de croire que le curé catholique de
Bouxwiller n'a pas tenu aux bené~ces en acceptant cette
paroisse. S'il y tenait, il serait malheureux dans une lo-
calité où le casuel est à peu près nul, ma conscience ne
M. LE VICAIRE GÉNÉRAL BAPI'.

me permettant pas de le demander aux pauvres, qui sont


la grande majorité de mes paroissiens, et que le curé doit
au contraire soulager autant que ses moyens le permettent.
Je ne me plains pas de ma position car l'apôtre dit si
vous avez de quoi vous nourrir et vous couvrir soyez
contents; mais je ne puis pas non plus accepter des
charges trop onéreuses. Je conclus donc, Monsieur, en
vous priant de faire savoir à ces MM. les marguilliers que
je ne puis accepter le legs de feu M. B. aux conditions
proposées.
Agréez, etc.
Ces observations ont été soumises à
Mgr l'évêque
qui les a trouvées justes; le conseil de fabrique a été
invité à délibérer de nouveau sur cette affaire. Il a re-
connu que les conditions d'abord posées ne pouvaient
être acceptées par le curé, et il a décidé que toutes les
clôtures des jardins seraient d'abord mises en bon état
aux frais de la Fabrique; mais pour une première fois
seulement, que le curé aurait ensuite à les entretenir. Ces
conditions ont été acceptées par le curé
Voyage sur les bords du ~/n' Au mois d'août
i8~.y je fis un voyage sur les bords du Rhin, jusqu'à
Cologne, Aix-la Chapelle, et au retour je vis Geissen-
heim, etc.
La commune d'Imbsheim fit en 18~.6 l'acquisition
d'un champ destiné a un nouveau cimetière. Quand le
cimetière fut entouré d'un mur, on en fit le partage sans
prévenir le curé catholique.
M. le sous-préfet de Saverne me renvoya le plan, et
demanda mon avis. Je le retournai en l'accompagnant
de cette lettre.
Nouveau cimetière ~'7?M~M. Question dit partage.
Monsieur le sous-préfet,
J'avais entendu parler du partage du nouveau cime-
tière d'Imbsheim, et puisque je ne fus pas appelé à dire
mon avis, j'ai dû penser que ce partage n'était pas fait
de manière a satisfaire les catholiques de cette commune.
Je m'aperçois aujourd'hui que mes soupçons étaient fondés.
M. LE VICAIRE G&N~BAL RAPP.

Je vois avec peine, par le plan, que vous avez bien


voulu me soumettre, que la partie destinée à la sépulture
des catholiques se trouve à l'autre extrémité de la porte
d'entrée, quand partout il a été adopté la règle que, pour
les cimetières mixtes, que le terrain destiné aux catho-
liques se trouve d'un côté et celui pour les protestants
de l'autre et cet usage est fondé sur le principe de l'éga-
lité des droits dont jouissent en France tous les cultes
reconnus par l'Etat.
J'ai assez bonne opinion de l'esprit de tolérance des
autorités d'Imbsheim pour croire que, sur votre invita-
tion, Monsieur le sous-préfet, elles s'empresseront de se
conformer à cet usage. Mon avis est donc que le cime-
tière catholique soit à l'entrée d'un côte et qu'il soit,
quant à sa surface, en proportion de la population catho-
lique.
M- le sous-préfet renvoya ma lettre au maire d'Imbs-
heim avec la simple observation /y'~ ~<Ms le sens de
cette lettre.
Le maire vint me trouver avec cette lettre, il s'excusa
en disant que le partage avait été fait de cette manière
sur les instances du pasteur.

(A ~<~rc.~
LETTRE ENCYCLIQUE
DE NOTRE

TRÈS SAINT PÈRE LE PAPE PIE X.

C'est à l'Eglise en gênerai, mais à l'Encyclique sur S. Charles


Borromée en particulier, que l'on peut appliquer les paroles de
l'Apôtre: Les ennemis ignoient ce qu'ils blasphèment. On peut dire
hardiment que sur cent journalistes qui ecment sur et contre l'En-
cyclique, pas un ne s'est donne la peine de la lire. Nous regardons
donc, abstraction faite de notre qualite d'enfants de l'Eglise, comme
un devoir de simple honnêteté de mettre sous les yeux de nos lec-
teurs le document en question. N. D.

PIE X, PAPE.

Vénérables Frères,
Salut et bénédiction apostolique.
Ce que les Saintes-Ecritures repètent si souvent, a savoir que
le juste vivra dans une memoire eternelle de louanges, et qu'il parle
encore mort, se vérifie éminemment dans l'œuvre et dans l'ensei-
gnement perpétuel de l'Église. Mère et promotrice de sainteté, ra-
jeunie toujours et fécondée par 1', Esprit-Saint qui habite en nous",
elle est seule à engendrer, à nourrir et à elever dans son sein la
noble descendance des justes, et elle est très attentive, par instinct
d'amour maternel, à en conserver la mémoire et à en raviver l'amour.
Elle se réconforte divinement à un pareil souvenir et perd de vue
les misères de notre voyage mortel, en voyant dans les saints ,,sa
joie et sa couronne", en reconnaissant en eux l'image sublime de
son Hpoux céleste, et en inculquant à ses fils, avec une nouvelle
assurance, la parole antique ,Pour tous ceux qui aiment Dieu,
pour tous ceux qui, suivant les desseins de Dieu, ont été appelés
LKTTItKI:Xt'YCLHtUJ':

saints, tout se resout en bien." fleurs œuvres glorieuses servent


non seulement de réconfort à la mémoire, mais encore d'exemple a
imiter et d'aiguillon a la vertu, par cet écho unanime des saints ré-
pondant à la voix de Paul ,Soyez mes imitateurs, comme je le suis
du Christ."
Aussi, lorsque Nous affirmions dès le début de Notre pontificat,
Notre dessein de Nous employer à ~restaurer toutes choses dans le
Christ", avions-nous vivement désire que tous tournassent avec Nous
leurs regards vers Jesus, ~apôtre et pontife de notre religion, auteur
et consommateur de la foi." Mais puisque notre faiblesse est telle
que la grandeur de ce modèle nous surpasse, la Providence nous
en propose un autre qui, tout en etant aussi proche du Christ qu'il
est possible à la nature humaine, ressemble davantage à notre fai-
blesse, Nous voulons dire la B. V. Marie, l'auguste Mère de Dieu.
Enfin, profitant de diverses occasions de raviver la mémoire des
saints, Nous avons propose à votre admiration ces serviteurs et
fideles dispensateurs de la maison de Dieu, ses amis et ses familiers,
voyant en eux des hommes qui, par la foi, “ vainquirent et triom-
phèrent, operèrent la justice, obtinrent les promesses", afin que,
excites par leur exemple, nous ne soyons plus des enfants vacil-
lants et agites, par tous les vents de doctrine dans les tourbillons
de ceux dont l'astuce est habituée à nous circonvenir d'erreurs, mais
que, par la vérité dans la chante, nous aillions plus avant de tous
côtes vers le chef, c'est-à-dire le Christ.*
Nous montrâmes ce dessein de la Providence, réalisé surtout
en trois personnages, qui, grands pasteurs et docteurs, fleurirent à
des âges aussi divers que funestes pour l'Eglise Grégoire-le-Grand,
Jean Chrysostome et Anselme d'Aoste, dont les centenaires ont éte
célebres ces dernières années. Plus spécialement en deux Ency-
cliques du 12 mars 1004 et du 21 mars igog. Nous avons explique
la doctrine et les préceptes de la vie chretienne qui se rattachent
aux exemples et aux enseignements des saints.
Aussi, persuadé que les exemples des soldats du Christ sont
preférables pour animer et transporter les esprits aux paroles et aux
hautes considérations, Nous profitons d'une autre occasion pour re-
commander l'exemple d'un autre saint pasteur suscité de Dieu en
des temps plus proches, et presque au milieu des tempêtes actuelles,
le cardinal Charles Borromee, archevêque de Milan, rangé par Paul V
dans la phalange des saints. Car pour Nous servir des
paroles de ce même prédécesseur, ,,Ie Seigueur, qui Lui seul
accomplit de grandes merveilles, a opéré chez nous, ces derniers
temps, des choses magnifiques, et par un effet admirable de sa bonte,
a érigé, sur le roc apostolique, un sublime luminaire, choisissant
dans l'Eglise romaine, Charles, prêtre fidèle, bon serviteur, modèle
du troupeau et modèle des pasteurs. En effet, illustrant toute l'Eglise
DE NOTRE TBËM SAINT l'ÈMC LE PAPE PIE

par les multiples splendeurs de ses œuvres, il bulle au-dessus des


prêtres et du peuple, innocent comme Abel, pur comme Enoch, en-
dû; ant comme Jacob, doux comme Mose, zélé comme Élie. En lui,
on trouve à imiter, au milieu d'abondantes délices, l'austérité de
Jérôme, dans les plus hautes dignités l'humilité de Martin, la solli-
citude pastorale de Gregoire, l'indépendance d'Ambroise, la charité
de Paulin enfin, en lut, on peut voir des yeux et toucher des
mains, un homme qui, pendant que le monde lu) souriait avec ses
flatteries les plus grandes, vécut crucifie au monde, vivant de l'es-
prit, méprisant les choses terrestres, cherchant continuellement les
celestes, émule des anges, non seulement par sa fonction, mais par
ses pensées et sa conduite
C'est ainsi que Notre prédécesseur s'exprimait cinq lustres après
la mort de Charles. Aujourd'hui que trois siècles ont passé sur
la glorification qu'il décreta, Notre lèvre, ,,à bon droit, est joyeuse
et Notre langue ravie, au jour insigne de cette fête, où par les hon-
neurs decernés à Charles, une couronne de plus, riche de nombreux
joyaux, fut donnée à son Epouse de predilection." Nous partageons
avec Notre prédécesseur la confiance que dans la contemplation de
la gloire, mais plus encore grâce à l'enseignement et aux exemples
du Saint, on peut voir l'humiliation de l'orgueil des impies, et la
confusion de ceux. qui se glorifient des idoles de leurs erreurs."
C'est pourquoi la glorification renouvelee de Charles, modèle
du troupeau et des pasteurs dans les temps modernes, promoteur et
conseiller infatigable de la vraie réforme catholique contre les no-
vateurs, dont l'intention n'etait pas la restauration, mais plutôt la
deformation et la destruction de la foi et des mœurs, apparaîtra
après trois siècles a tous les catholiques comme un reconfort sin-
gulier comme un enseignement, comme un noble encouragement à tous
de coopérer courageusement à l'œuvre qui nous tient a cœur de la
restauration de toutes choses dans le Christ.
Certes, vous savez bien, V. F., que l'Eglise, malgré ses tribulations
continuelles, n'est jamais laissée par Dieu sans aucune consolation.
C'est que le Christ ,,1'aime et se donne pour elle afin de la sancti-
fier et de la faire apparaître souverainement glorieuse, sans tache ni
ride, ni autre défaut, mais afin qu'elle soit sainte et immaculée.* De
plus c'est quand la licence des mœurs est le plus déchaînée, plus
féroce l'assaut de la persécution, plus rusées les embûches de l'er-
reur et qu'une ruine finale semble la menacer, au point d'arracher
de son sein bon nombre de ses fils pour les entraîner dans l'abîme
de l'impiété et des vices, c'est alors que l'Église éprouve le plus
efficacement la protection divine.
Dieu fait que l'erreur elle-même, que les méchants le veuillent
ou non, sert au triomphe de la vérité, dont l'Église est la gardienne
vigilante que la corruption sert à l'augmentation de la sainteté
LETTRE ENCYCLIQUE

dont elle est la promotrice, et la persécution à "une libération admi-


rable de nos ennemis." Lorsque l'Église semble aux yeux profanes
battue par la plus furieuse tempête et presque submergée, elle res-
sort plus belle, plus vigoureuse, plus pure, brillant de la splendeur
des plus grandes vertus.
De cette façon. la bienveillance de Dieu confirme par de nou-
veaux arguments que l'Église est une oeuvre divine soit que dans
la plus douloureuse des tribulations, celle où la gangrène de t'en surr
gagne ses membres eux-mêmes, elle lui fasse surmonter le péri)
soit qu'elle lut montre réalisée la parole du Christ "Les portes de
l'enfer ne prévaudront pas contre elle* soit qu'elle remplisse la
promesse: Et voict, je serai avec vous tous les jours jusqu'à la
consommation des siècles* son enfin qu'elle témoigne de cette
mystérieuse vertu par laquelle cet "autre Paraclet", promis par le
Christ à son Ascension, répand sans cesse ses dons en elle, la de-
fend et la console dans chacune de ses tribulations "esprit qu) reste
avec elle éternellement esprit de verite que le monde ne peut re-
cevoir, car il ne le von pas, m ne le connait, qui pour cela demeu-
rera parmi vous et sera avec vous." C'est de cette fontaine que
jaillissent la vie et la vigueur de l'Église; que sourd l'esprit qui la
distingue de toute autre société, par des signes manifestes, qui la
signalent et la soutiennent ~eomme un étendard elevé contre les
nations."
Et de fait, c'est seulement par un miracle de la puissance di-
vine que, prise entre l'inondation de la corruption et la fréquente
défection de ses membres, l'Église mystique du Christ peut se main-
tenir indéfectible dans la sainteté de sa doctrine, des lois et de sa
fin, tirer de ses épreuves des effets fructueux, et récolter, grâce à la
foi et à la justice de ses fils, d'amples fruits de salut. Et c'est un
signe aussi manifeste de sa vie divine que, entre tant et de si hon-
teuses opinions perverses, au milieu de si nombreux rebelles, parmi
tant de variations des erreurs, elle persévère immuable et constante
,telle qu'une colonne et un soutien de la vérité", dans la profession
d'une même doctrine, dans la communion des mêmes sacrements,
dans sa constitution divine, dans le gouvernement, dans la morale.
Cela est d'autant plus admirable qu'elle ne se contente pas de re-
sister au mal, mais qu'elle vaincra ,,le mal par le bien", et qu'elle
ne laisse pas de bénir ses amis et ses ennemis, tout en travaillant
avec ardeur à la rénovation chrétienne de la société, non moins que
des individus qui la composent. Car c'est là sa mission particulière
dans le monde, et ses membres eux-mêmes en éprouvent les béné-
fices.
Saint Charles, le vrai Réformateur.

Cette coopération merveilleuse de la Providence à l'oeuvre de


restauration entreprise par l'Église se manifesta avec éclat dans le
1)E NOTRE TRÈS SAINT PÈRE LE l'At'E PIE X.

siècle qui, pour l'encouragement des gens de bien, vit surgir


S. Charles Borromée.
Alors, sous le regne tyrannique des passions, au milieu des
altérations si profondes et des obscurcissements de la vérité, c'était
une lutte continuelle avec l'erreur, et la société humaine, roulant
de mal en pis, semblait courir à l'abime. Parmi ces fléaux, s'éle-
vaient des hommes orgueilleux et rebelles, "ennemis de la croix du
Christ, hommes aux sentiments terrestres, qui n'avaient pour Dieu
que leur ventre." Ces hommes, au lieu de s'appliquer à réformer les
moeurs, niaient les dogmes, multipliaient les désordres, relâchaient,
pour eux et pour les autres, le frein de la licence, ou du moins
méprisaient la direction autorisée de l'Eglise pour Hatter les passions
des princes et des peuples les plus corrompus et arrivaient par une'
sorte d'asservissement à renverser la doctrine, la constitution et la
discipline de l'Eglise. Puis, imitant ces impies à qui s'adresse la
menace ~Malheur à vous qui appelez mal le bien et bien le mal",
ils appelaient réforme ces rébellions et cette perversion de la foi et
des mœurs, et se nommaient des réformateurs. En réalité ils etaient
des corrupteurs, puisque, en atrophiant, par les dissensions et les
guerres, les énergies de l'Europe, ils ont préparé les révoltes et
l'apostasie des temps modernes, qui ont vu se renouveler d'un seul
coup les trois espèces de luttes, d'abord séparees, dont l'Eglise a
toujours triomphé les luttes sanglantes des premiers siècles, puis
la guerre intestine des hérésies, et enfin, sous le nom de liberté
evangélique, une corruption de vices et une perversion de la disci-
pline, auxquelles n'était peut-être pas descendu le moyen-âge.
A cette foule de séducteurs, Dieu opposa de vrais réformateurs
et des saints, soit pour arrêter et apaiser ce torrent impétueux, soit
pour en réparer les ravages. Leur action assidue et variée dans la
reforme de la discipline consola d'autant plus vivement l'Église que
plus grave était la tribulation ainsi se vérifiait la parole ,Dieu
fidèle en ses promesses. donnera avec la tentation, le succès."
la consolation
C'est dans ces conjonctures que pour accroître de
l'Eglise, la Providence lui accorda le zèle et la saintete de Charles
Borromée.
Par la grâce de Dieu, son ministère eut une force et une effi-
cacité toutes spéciales pour briser l'audace des factieux et pour le
bien de l'Église. De ceux-là, il réprimait les folles témérités et réfu-
tait les futiles objections, par une éloquence des plus 'puissantes et
par l'exemple de sa vie de ceux-ci, il relevait les espérances et ra-
vivait l'ardeur.
Ce fut une merveille comme il posséda réunies en lui, dès sa
première jeunesse, toutes les qualités d'un vrai réformateur que nous
voyons,'chez d'autres, dispersées et distinctes: vertu, jugement, duc-
tnne, autorité, puissance, activité. Et toutes, il les fit servir de con-
Revue. Juin 1910. z*
IjETfBE NNCYUMQCE

cert à la défense de la vérité catholique qui lui avait été confiée, en


réveillant chez beaucoup la foi assoupie et presque morte, en la
fortifiant par des lois et des institutions, en relevant la discipline et
en ramenant énergiquement aux règles de la vie chrétienne les
moeurs du clergé et du peuple. Ainsi, tout en remplissant son rôle
de réformateur, il n'en accomplissait pas moins tous ses devoirs de
,,bon et fidèle serviteur", et plus tard ceux du ,prêtre sublime qui a
plu à Dieu en sa vie et a été trouvé juste" qui est par cela même
digne d'être donné en exemple a toutes les classes, clercs ou lalques
riches ou pauvres, et dont on peut résumer l'excellence dans cet
éloge de l'évêque et du prélat, qui suivant les conseils de l'apôtre
Pierre ,,s'est fait de tout cœur le modèle de son troupeau.* Ce n'est
pas un fait moins merveilleux, que Charles, élevé aux plus haut:,
honneurs avant même d'avoir achevé ses vingt-trois ans, et charge
des graves et difficiles affaires de l'Eglise, ait avancé tous les jours
dans la perfection de la vertu, grâce a cette contemplation des choses
divines par laquelle il s'était auparavant renouvelé dans la retraite,
et soit apparu "comme un spectacle eclatant au monde, aux anges
et aux hommes."
Alors, pour employ er les paroles de Notre prédécesseur, Paul V,
le Seigneur commença vraiment à manifester ses ~merveilles" en
Charles Sagesse, justice, zele très ardent à promouvoir la gloire de
Dieu et du nom catholique, soin à promouvoir par-dessus toutes les
autres cette œuvre de restauration de la foi et de l'Église, accom-
plie par l'auguste assemblée de Trente. De la célébration de ce
Concile, le même Pontife et la postérité entière lui font un mérite, en
tant qu'il en fut le plus auguste soutien avant d'en être l'exécuteur
le plus fidèle. Et certainement cette œuvre n'eut pas son dernier
achèvement sans beaucoup de eilles, de peines et de fatigues.
Cependant, tout cela n'était qu'une préparation et un appren-
tissage où ce modeste et humble jeune homme, se tenant comme
l'argile entre les mains de Dieu et de son vicaire sur terre, formait
son cœur par la piété, son esprit par l'étude, son corps par la
fatigue. Et cette préparation était précisément celle que méprisaient
alors les fauteurs de nouveautés, par la même sottise qui la fait me-
priser aux modernes, ne remarquant pas que les œuvres merveil-
leuses de Dieu mûrissent dans l'ombre et le silence de l'âme adonnee
à l'obéissance et à la prière, et qu'en cette préparation se trouve le
germe du progrès à venir, comme l'espérance de la récolte dans la
semence.
Cependant, la sainteté et l'activité de Charles, qui se prépa-
raient alors sous ces splendides auspices, se developpèrent par la
suite et donnèrent des fruits étonnants, lorsque, "agissant en bon
ouvrier, il quitta la splendeur et la majesté de Rome pour se retirer
DE NOTEE TR&S SAINT PÈRE LE PAPE FIE X.

dans le champ qu'il avait a cultiver (Milan). Accomplissant mieux


sa tâche de jour en jour, sur ce champ alors affreusement abîme
et devenu comme sauvage dans la tristesse de
par !es broussailles
ces temps, il le ramena à une telle splendeur qu'il fit de l'Église de
Milan un très brillant exemple de discipline ecelésiasique."
C'est qu'il obtint de si grands et illustres résultats, en confor-
mant sa réforme aux règles fixées peu avant par le Concile de
Trente.
L'Église, en effet, sachant bien combien ,,)es sentiments et les
pensées de l'âme humaine sont inclinés au mal", ne cesse jamais
de combattre les vices et les erreurs afin qu'il soit détruit le corps
de péché, et que nous ne servions plus au péché." En cette lutte,
comme elle est sa propre maîtresse, guidée par la grâce, "répandue
en nos coeurs par le S.-Esprit", elle emprunte cette règle de penser
et d'agir au Docteur des Gentils. "Renouvelez-vous dans l'esprit de
votre âme. Ne vous conformez pas à ce siecle, mats réformez-vous
dans le renouvellement de votre esprit, afin que vous éprouviez
combien la volonté de Dieu est bonne, agréable et parfaite."
Le fils de l'Eglise et le réformateur sincère ne se persuadent
jamais qu'ils ont atteint le but, mais protestent seulement qu'ils y
tendent, n'oubliant avec l'Apôtre ce qui est derrière et se tenant
toujours vers ce qui est devant, il s'avance vers le signe, vers la
récompense de la vocation d'en haut de Dieu dans le Christ Jésus."
D'où il résulte qu'unis avec le Christ dans l'Église, ,,nous croissons
par toute chose en lui qui est le chef, de qui tout le corps reçoit
son accroissement propre pour son perfectionnement dans le Christ
Jesus." Et l'Église notre Mère ne cesse de confirmer ce mystère de
la volonté divine, ,,de restaurer dans l'accomplissement de la pléni-
tude des temps toutes les choses dans le Christ." `
Ils n'y pensaient pas les réformateurs auxquels s'opposa Charles
Borromée, eux qui prétendaient réformer à leur fantaisie la foi et
la discipline. Et ils ne le comprennent pas mieux les modernes
contre lesquels nous avons à combattre, V. F. Eux aussi boule-
versent doctrine, lois, institutions de l'Église, ayant toujours sur les
lèvres le cri de progres et de civilisation, non que cette cause leur
tienne beaucoup à cœur, mais parce que, avec ces noms grandioses,
Ils peuvent plus facilement cacher la malfaisance de leurs intentions.
Quels sont en réalité leur but, leurs complots, la voie qu'ils
entendent parcourir? Aucun de vous ne l'ignore, et nous avons déjà
dénoncé et condamné leurs desseins. Ils se proposent une apostasie
pire que celle qui mit en péril le siècle de Charles, car elle s'insinue
plus astucieusement, cachée dans les veines même de l'Église, et
tire plus subtilement de principes erronés des conséquences ex-
trêmes.
LETTRE ENCYCLIQUE

Des deux, cependant, l'origine est la même l'homme ennemi"


c'est-à-dire celui qui, toujours en éveil pour perdre les hommes,
,,sème la zizanie au milieu du grain." De part et d'autre, les voies
sont dissimulees et ténébreuses semblables sont la marche et l'issue
fatale. C'est pourquoi, de même que dans le passé, la première
apostasie, en se tournant du côté où la fortune la secondait, excitait
l'une contre l'autre la classe des puissants ou celle du peuple, pour
les entraîner ensuite toutes deu\ à leur perte, ainsi cette apostasie
moderne exaspère la haine mutuelle des pauvres et des riches jus-
qu'à ce que, mécontent de son son, chacun traîne une vie toujours
plus malheureuse et porte la peine imposée a ceux qui, tout entiers
fixes dans les choses terrestres et caduques, ne cherchent pas le
,,royaume de Dieu et sa justice."
Ainsi, le connu présent est encore plus grave par ce fan que,
là où les turbulents novateurs des temps passés conservaient au
moins quelque reste du trésor de la doctrine revélee, il semble que
les modernes ne veuillent pas prendre de repos tant qu'ils ne l'au-
ront pas entièrement disperse. Or, le fondement de la religion étant
ainsi détruit, le lien de la société se brise nécessairement. Spectacle
plein de soucis pour le présent, menaçant pour l'avenir. Non pas
qu'il y ait à craindre pour l'intégrité de l'Eglise, sur laquelle les
promesses divines ne permettent pas d'avoir de doute, mais pour les
périls qui menacent les familles et les nations, principalement celles
qui fomentent avec plus de soin ou tolerent avec plus d'indifférence
ce souffle pestiféré de l'impiété.
Au milieu d'une guerre si générale, si insensée, soulevée par-
fois et propagée avec le concours de ceux qui devraient le plus
nous appuyer et soutenir notre cause; à travers une transformation
des erreurs si multiple et l'appât des vices, si varié que beaucoup
des nôtres se laissent leurrer les uns par les autres, seduits par
l'apparence de nouveaute et de science, ou par l'illusion que l'Eglise
pourrait amicalement s'accorder avec les maximes du siccle. Vous
comprenez bien, V. F., que nous devons tous opposer une resis-
tance vigoureuse et repousser l'assaut des ennemis avec les mêmes
armes que Charles Borromée.

Les réformes nécessaires la Réforme doctrinale.

Puisqu'ils s'attaquent au roc même, qui est la foi, soit par la


négation ouverte, soit par l'hostilité hypocrite, soit en travestissant
ses doctrines, Nous Nous souviendrons de ce que S. Charles incul-
quait souvent ,,Le premier et le plus grand souci des pasteurs doit
aller aux choses qui regardent la conservation intègre et inviolable
de la foi catholique, de cette foi que la sainte Eglise romaine pro-
fesse et enseigne, et sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu."
DE NOTRE TB:ÈS SAINT r~HE U3 PAPE PIE X.

Et encore: Sur ce point, aucune sollicitude ne peut être aussi


grande que ne le reclame sans doute le besoin."
I) est donc nécessaire de s'opposer, avec la sainte doctrine, au
ferment de perversité hérétique" qui, non réprimé, corrompt toute
la masse de s'opposer par conséquent, à toutes les opinions per-
verses qui s'infiltrent sous des apparences menteuses, et qui, recueil-
lies ensemble, sont professées par le ,modernisme", en se souve-
nant, avec S. Charles, "combien grand doit être le zèle et combien
doit être actif par-dessus tout autre le souci de l'évêque de com-
battre le délit d'hérésie."
Il ne convient pas, en vérité, de rappeler les autres paroles du
Saint qui rapporte les sanctions, les lois, les peines fixées par les
Pontifes romains contre les prélats qui seraient négligents ou lents
à purifier leur diocèse de cette perversité hérétique. Mais il sera
très convenable d'examiner de nouveau et de méditer attentivement
ce qu'il en conclut ,C'est pourquoi l'évêque doit avant tout de-
meurer dans cette perpétuelle sollicitude et cette continuelle vigi-
lance afin que la maladie pestilentielle de l'hérésie ne s'infiltre jamais
dans le troupeau qui lui est confié, mais qu'il en éloigne très loin
quelque soupçon que ce soit. Si ensuite, ce dont nous préserve le
Seigneur dans sa miséricorde, cette infiltration se produisait, alors
qu'it s'emploie de tout son effort, afin de la chasser le plus rapide-
ment, et que les infectés ou les suspects de cette peste soient traités
suivant !es canons et les sanctions pontificales."
Mais ni la délivrance ni la preservation de la peste des erreurs
ne sont possibles, si ce n'est grâce à une droite instruction du
clergé et du peuple, puisque ,la foi vient de l'audition, et l'audition
de la parole du Christ."
Cette nécessite d'inculquer à tous la vérité s'impose d'autant
plus de nos jours que par toutes les veines de l'État, et même là
où on le croirait le moins, nous voyons le venin s'infiltre)', à tel
point qu'elles valent désormais pour tous, les raisons formulées
par saint Charles ,Ceux qui voisinent avec les hérétiques ou qui
ne seraient pas stables et fermes dans les fondements de la foi,
donneraient beaucoup à craindre qu'ils ne se laissent trop facile-
ment entraîner par eux dans quelque tromperie d'impiété ou de
doctrine fausse."
En fait, par la facilite des voyages, elles ont grandi les com-
munications des erreurs comme de toutes les autres choses, et par
la liberté effrénée des passions, nous vivons au milieu d'une société
pervertie où ,,it n'est pas de vérité et où n'existe pas la connaissance
de Dieu en une terre qui est dé olée. parce que personne n'y ré-
Héchit en son cceur." C'est pourquoi, voulant employer les paroles
de saint Charles "Nous avons apporté jusqu'à présent beaucoup de
soin pour que tous les fidèles du Christ, et chacun en particulier,
LETTRE ENCYCLIQUE DE NOTRE TRES SAINT PÈRE ETC.

fussent bien instruits dans les rudiments de la foi chrétienne", et


Nous avons écrit sur ce point une Lettre encyclique spéciale, comme
sur un sujet de la plus vitale importance.
Mais, quoique nous ne voulions pas répéter ce que, brûlant
d'un zèle insatiable, déplorait Charles Borromée, c'est-à-dire ,,d'avoir
obtenu jusqu'à présent trop peu en une chose de si grande conse-
quence", cependant, comme lui, "poussé par la grandeur de l'atfaire
et du péril". Nous voudrions enflammer encore davantage le zèle
de tous, afin que, prenant Charles pour modèle, nous concourions, cha-
cun selon notre rang et notre force, à cette œuvre de restauration
chrétienne.

(A suivre.)
REVUE DU MOIS.

Si nous ne connaissions pas si bien la mentalité religieuse et


politique de l'Allemagne d'aujourd'hui, nous nous expliquerions diffi-
cilement, nous ne nous expliquerions même pas du tout, l'explosion
de fureur, de haine, de fanatisme occasionnée dans l'empire germa-
nique par l'Encyclique de Pie X sur le troisième centenaire de la
canonisation de S. Charles Borromee. On dirait vraiment que cet
acte du Saint Père contient des appréciations nouvelles sur le grand
schisme religieux du XVIe siècle et sur ceux qui l'ont consommé.
Et pourtant ce que dit le Souverain Pontife sur ceux qui se sont
arrogé le titre de Réformateurs, sur les princes qui les ont soutenus,
sur les mobiles qui les ont pousses, sur les conséquences morales
et sociales de leurs enseignements et de leurs exemples, se trouve
dans tous les livres des savants catholiques, et même de beaucoup
de savants protestants, nous étions tente d'écrire, fr~t'~e dans tous
les livres, tellement cela est connu et banal. Le A'trc/ten/c~ft/coM de
Welzer et Welté passe à bon droit pour une encyclopédie sommaire
de la science catholique et pour une œuvre exempte de tout fana-
tisme, de tout parti-pris, nous venons de l'ouvrir ad fcr~M ~Luther"
et nous prétendons que le premier venu pourrait reconstituer
l'Encyclique si passionnément incriminée, avec des passages tirés
de cet article. Et ce que nous disons du ~rc7:en/p.yt/fOM, nous
pourrions le dire de tous les auteurs catholiques sans excep-
tion, même de ceux qui, par leur condescendance envers les idées
modernes, cherchent à estomper dans la physIonomie du célèbre ré-
formateur quelques traits, qu'à leur avis, le préjugé théologique
aurait trop déformés.
Quoi qu'il en soit d'ailleurs du bien ou mal fondé des juge-
ments exprimés dans l'Encyclique sur la doctrine et les mœurs des
auteurs et des fauteurs de la Réforme avec grand R, et de leur va-
leur comparative à celle des réformateurs avec petit r, comme
S. Charles Borromée, il est bien certain qu'il s'agit ici uniquement
et exclusivement d'une controverse dogmatique et de questions his-
toriques. Or, à entendre les coryphées de la libre-pensée et du libé-
REVUE DU MOIS.

ralisme, des questions de ce genre ne peuvent être tranchées que


par la libre discussion et par des arguments scientifiques, et les
armes autorisees dans ce tournoi, pour ne pas dire dans cette ba-
taille, ne devraient être que des armes purement spirituelles. H était
loisible aux savants protestants allemands d'opposer aux accusations
papales de rebellion et de relâchement des moeurs, le tableau de
l'obéissance des réformateurs aux autorités établies, la splendeut de
leurs vertus morales, la fidélité à leurs voeux, le désinteressement
des princes temporels, la sainteté d'un Philippe de Hesse, d'un Ulrich
de Hutten, d'un Henri VIU, la tolérance de Calvin et l'efflorescence
des bonnes mœurs dans les contrées converties au nouvel évangile.
Aucun ne l'a tenté. Fidèles aux traditions des premiers apôtres de
la Reforme, les membres de la Ligue évangélique du XIX<= siècle
en ont appelé immédiatement à la protection des princes séculiers,
ils ont rectamé des notes diplomatiques, dépose des interpellations
dans les Parlements, ameuté les foules dans des réunions publiques.
et prêché dans les journaux une croisade antipapnle avec une fureu)
où l'ignorance le dispute à la mauvaise foi. H faut remonter aux
temps de Pie IX pour retrouver un pareil déchaînement des plus
hideuses passions.
Ce sera une triste page dans l'histoire du Parlement prussien
que cette séance où le président du conseil, M. de l3ethmann-Holl-
weg, reprochait au Souverain Pontife d'avoir insulte les princes et
la nation allemande. On croît être la victime d'un mauvais cauche-
mar, en voyant un homme d'Etat dans sa situation capituler devant
les hurlements du fanatisme, et en l'entendant se faire à la tribune
l'écho des diatribes de la presse anticléricale. En quoi le jugement
porté sur les premiers princes protestants peut-il atteindre la répu-
tation des princes actuels ? Est-ce mettre en doute les sentiments
chretiens de Guillaume II que de fletrir le voltairianisme de son
aïeul Frédéric II? Comment M. de Bethmann-Hollweg recevrait-il
une note diplomatique du grand-vizir de la Haute Porte ottomane
exigeant des excuses de la part du ministre de l'instruction publique,
sous prétexte que le sultan Mahmoud V se serait cru blessé dans
ses sentiments religieux, parce qu'un professeur d'Université aurait
traité le premier Mahomet d'imposteur, et prétendu que le Coran ne
renferme pas une morale très pure, et a été répandu par le fer et
le feu? Ce n'est pas sérieux. Et croit-on réellement que la vérite
des doctrines du XVI' siècle et le caractère apostolique de ceux qui
les ont inventées, puissent être démontrés par des notes de chan-
celleries et par des ordres du jour parlementaires! Nous voilà loin
des armes purement intellectuelles et scientifiques que la libre-pensée
prétend être seules admissibles dans les luttes de la pensée.
Chose étrange ces mêmes gouvernements dont on obtient à
civile pour le catholicisme, arracher
peine la tolérance prétendent
REVUE DU MOIS.

au pape la tolérance doctrinale. Car, quand on va au fond de cette


nouvelle forme du Kulturkampf. on voit clairement que l'autorité
civile veut imposer par tous les moyens à l'autorité de l'Eglise ca-
tholique la reconnaissance de l'équivalence de tous les cuites: l'Etat
prétend que la paix religieuse ne peut pas exister avec la prétention
de l'Eglise à posséder seule la vérité. Or, si on lit attentivement
l'Encyclique, il est facile de voir qu'elle est précisément dirigée
contre cette tendance du monde moderne, qui, de la nécessité de
vivre en paix avec les concitoyens dissidents, conclut à l'indineren-
tisme religieux et la vérité égale de religions absolument contradic-
toires. Aussi ne faut-il pas s'etonner que Rome n'ait pas cédé d'un
iota sur le fond de son Encyclique; et qu'elle ne l'a pas fait, rien
ne le prouve mieux que la persistance de la rage de la Ligue évan-
géliqùe. Quels péans de Peaux-rouges elle aurait entonnés si le Pape
avait reculé De fait, la Ligue est plus sincère que )e gouvernement
qui se suggestionne d'être satisfait par l'assurance du Pape, qu'il
éprouve un sincère déplaisir de ce que l'on ait mal interprêté son
Encyclique dans le sens d'une insulte aux princes et au peuple alle-
mand, et par la dispense accordée aux évêques de la publication de
l'Encyclique.
L'opinion publique en Angleterre ne s'est pas émue le moins du
monde du document pontifical, aussi bien y pratique-t-on sincère-
ment le libre-examen, et n'y a-t-on, a soulever les passions religieuses,
aucun intérêt électoral. C'est le contraire en Allemagne personne
n'y est plus autoritaire ni plus dogmatique que les champions du
libre-examen et de la libre-pensée, et tous les partrs de gauche y
sont intéressés à faire de cet incident leur plateforme électorale
pour les prochaines élections au Reichstag.
La campagne autour de l'Encyclique n'est qu'une ignoble co-
médie électorale, où les libéraux espèrent provoquer le divorce
entre le Centre et les Conservateurs, dont l'union gêne singulière-
ment les débris de l'ancien bloc du prince de Bulow. La réforme
financière ne tire plus, il fallait trouver autre chose. L'Encyclique
est venue à point pour galvaniser le chauvinisme, le pangermanisme
qui avaient fait tant de merveilles aux élections de 1907. Malheureu-
sement il n'y a pas que les libéraux qui sont piqués de cette tarentule:
Il faut l'avouer, la mort dans l'àme, une masse énorme de catho-
liques allemands ont témoigné de la même susceptibilité nationale.
Abstraction faite du côté religieux de son œuvre, ils regardent Lu-
ther, comme une des incarnations de l'esprit germanique, de son
opposition à l'esprit latin, comme le De~f~eAerAfa'tM par excellence;
c'est un fétiche national. On ne s'expliqne pas autrement les essais
puérils que l'on fait pour diminuer la portée de l'Encyclique et
pour chercher à faire croire qu'elle vise beaucoup moi.is les coryphées
de la Réforme que les antagonistes personnels de S. Charles. On ne
BEVUEDU MOIS.

s'explique pas autrement que parmi tant de savants catholiques, qui


dans leur for intérieur sont convaincus de la justesse des jugements
de Pie X, pas un seul ne se soit leve, pas un seul n'ait pris la plume
pour défendre le chef de l'Eglise, autrement que par des arguments
à côté et par la plaidoirie des circonstances atténuantes. Et pour-
tant l'effrayant accroissement du nombre des mariages mixtes dont
les enfants sont perdus pour l'Eglise devrait ouvrir les yeux sur un
péri!, mal masque par les succès électoraux, qui réside précisément
dans les tendances contre lesquelles cherche à nous prémunir l'En-
cyclique, dans le progres de cet indifférentisme dogmatique qui veut
condenser tout le christianisme dans un vague respect envers un
Christ-Sauveur commun.
Nous avons un avant-goût de ce que seront, au milieu d'une
atmosphère pareille, les élections générales de ton ou 1012, dans
les élections partielles qui viennent d'avoir lieu dans quelques cir-
conscriptions. Partout le libéralisme a fait cause commune avec le
socialisme on se dirait en Alsace à voir l'empressement avec lequel
les officieux gouvernementaux affichent la devise plutôt rouge que
noir. A ce compte, il y aura au prochain Reichstag une centaine de
socialistes, et sans doute davantage, si, comme certains ballons
d'essais semblent !e faire prévoir, le gouvernement propose une
nouvelle augmentation des effectifs de paix et de nouvelles cons-
tructions navales, qui exigeront la création de nouveaux impôts. Et
ce sont justement les partis qui crient le plus haut contre les impôts
de la réforme financière de iqoo, qui appuient avec enthousiasme
ces projets d'augmenter les depenses pour l'armée. Or rien n'est
absurde comme les arguments par lesquels ils essaient de justifier
ces nouveaux armements. Nous ne voyons pas en quoi l'augmenta-
tion de la population nécessite des forces plus grandes pour la
protéger car, en somme, c'est le territoire qui doit être défendu et
non pas le nombre plus ou moins grand d'habitants qui t'occupent.
Une armée qui suffisait pour défendre le territoire, alors qu'il con-
tenait 45 millions d'habitants doit suffire encore lorsque ces qua-
rante-cinq sont devenus soixante-quatre, car les frontières ne sont
pas en caoutchouc et ne s'étendent pas en raison de la densité de la
population. H y a donc dans ce raisonnement un sophisme du mili-
tarisme dont la fausseté crève les yeux. On comprendrait encore ce
raisonnement, si la natalité de )a France augmentait, mais toutes
les belles phrases de M. A. Lichtenberger, citées par le Nouvelliste,
ne donneront pas un conscrit de plus à sa patrie; on le compren-
drait encore si la fidélite de l'Autriche à la Triple-Alliance était
ébranlee, mais rien ne tait prévoir d'ici à longtemps une pareille
éventualité. Il est donc bien certain que les demandes de nouveaux
crédits proviennent, bien moins d'une inquiétude fondée pour la sé-
curité nationale que des appetits inassouvi du militarisme, qui pré-
REVUKDUMUI6.

tend la patrie en danger, dès que le budget ne crée pas à jet continu
de nouveaux postes d'officiers et de sous-officiers. Le gouvernement
aurait d'ailleurs bien tort de se gêner pour serrer toujours davan-
tage la vis au contribuable tel parti votera les nouveaux impôts
parce qu'il est national, au sens du prince de Bulow, et tel autre
les consentira parce qu'il a peur de ne pas le paraître.
L'Espagne aussi goûte les douceurs du Kulturkampt. Au gré
de M. Canalejas, le Saint-Siège ne se presse pas assez pour procéder
à une modification du Concordat, surtout en ce qui concerne le
statut des congrégations. Certes, il est possible qu'un concordat puisse
être révisé et que des changements à l'organisation des ordres religieux
soient désirables aucun code n'est éternel, et en vieillissant trop, le droit
canon, comme les autres, devient plutôt nuisible qu'utile. Mais la
prudence comme la justice et le respect des traités exigent qu'on
procède lentement. M Canalejas et le parti anticlérical qu'il repré-
sente sont au contraire impatients sachant que leur règne sera de
courte duree, ils veulent agir rapidement, afin d'avoir achevé leur
œuvre de destruction, avant que l'indignation du peuple catholique
les ait balayés du banc ministériel. Comme l'on voit de nouveau
dans cette politique sectaire la sincérité du libéralisme dans ses
protestations de zèle pour l'instruction populaire Tandis que le
gouvernement conservateur tolérait les ecoles Ferrer, le cabinet Ca-
nalejas ferme des écoles congreganistes, comme si l'Espagne souffrait
d'une pléthore d'instruction et d'écoles primaires. Mais comme en
France, la franc-maçonnerie, tout en décrétant l'instruction obliga-
toire, jette des centaines d'enfants dans la rue; plutôt que d'apprendre
à lire dans des écoles congréganistes, ils resteront des ignorantins
et iront grossir le nombre des illettrés, dont le libéralisme se pré-
vaudra de nouveau pour déblatérer contre l'infériorité des peuples
catholiques.
M. Briand est-il plus sincère dans sa promesse de maintenir
la liberté d'enseignement? !) en parle longuement dans le grand
discours qu'il a prononce pour repondre aux nombreuses interpel-
lations qui lui avaient été adressees sur le programme ministeriel.
Si on ne savait par une longue expérience que le contrôle de l'Etat
sur la liberté de l'école équivaut à peu pres partout à son étrangle-
ment, on pourrait souscrire à plus d'une idée emise par le président
du conseil. Personne ne le contredira quand il dit .Mettre un en-
fant entre quatre murs devant un homme ou une femme, cela ne
suffit pas. encore faut-il que cet homme ou cette femme soit ca-
pable d'enseigner. Si vous mettez dans une école privée un brave
homme ou une brave femme qui n'a aucune instruction, aucune
formation pédagogique. vous ne pouvez pas dire que le principe
de l'obligation soit respecté." Mais si par ces paroles M. Briand
prétendait que les catholiques veulent avoir de pareils maîtres pour
REVUE DU MOIS.

leurs enfants, il les calomnierait de la façon la plus outrageuse. Ce


que les catholiques repoussent, ce n'est pas l'obligation d'un brevet
de capacité délivré par l'Etat, mais les conditions dont les péda-
gogues officiels font dépendre la licence d'enseigner. Ils exigent sou-
vent, non pas la connaissance de tel ou tel système, de tel ou tel
fait historique, de l'activité de tel ou tel personnage, mais l'appro-
bation de certaines idées patronnées par l'examinateur. Nous avons
connu un bachelier dont la dissertation sur le déterminisme motiva
son échec: de l'av eu même du professeur, il avait parfaitement ex-
posé ce système, néganfdu libre arbitre, mais il etait refusé pourl'avoir
refuté au lieu de l'avoir defendu. C'est ainsi qu'il en sera de l'examen
pedagogique des futurs maîtres de l'enseignement privé. Il ne suffira
pas de savoir ce qu'ont fait Robespierre, Danton, Marat, il faudra
encore admirer ces grands hommes, sous peine de dechoir de la
dignité d'un éducateur de la démocratie en herbe. On peut aussi
souscrire à cet aune passage de ce discours: Ce que vous pouvez
desirer, c'est que l'enseignement qui se donne à l'école laïque ne
soit pas un enseignement de polémique, un enseignement passionné,
qu'il ne soit pas dirige systématiquement contre les personnes, ni
contre certaines idces qui relèvent de la conscience et qui sont par-
faitement délicates." C'est fort bien. Mais c'est précisément ce que
demandaient les é\eques de France, c'est ce qu'ils condamnaient
dans les manuels qu'ils ont interdits, c'est ce pourquoi les
institu-
teurs laïques les ont traînés au prétoire où il s'est trouvé des pro-
cureurs demandant leur condamnation. I) n<: manque à M. Briand
qu'une chose, c'est de mettre ses actes d'accord avec ses paroles.
H ne pouvait pas ne pas toucher la question de la réforme
électorale il l'a fait en termes assez vagues, et nous ne lui cher-
chons pas querelle poui cela. ,,Le projet du gouvernement, dit-il,
contiendra des propositions assez larges pour permettre à tous les
partisans de la reforme de collaborer unlement a\ec nous. Nous
avons annonce que, sur les modalités des projets, le gouvernement
ne se montrerait pas intransigeant: ce que nous désirons, c'est que
la question soit abordée et résolue dans le plus bref délai possible.
Nous ne nous dissimulons pas les dinicu)tés de la tâche quelque
système que l'on puisse imaginer, elles sont des plus sérieuses.
Quand, après avoir adopté tel ou tel mécanisme qui apparaît, tout
d'abord, comme ingénieur, on s'efforce de le faire jouer. on s'aper-
çoit généralement qu'il piesente des lacunes qui le rendent inappli-
cable. et il faut tecommencer tout le travail pour découvrir une
autre combinaison."
M. Bliand n'a pas dit dans son discours que pour découvrir la
meilleure combinaison possible, il aurait recours aux moyens culi-
naires que dans sa haute sagesse le gouvernement d'Alsace-Lorraine
a cru devoir employer pour sonder l'opinion publique sur notre fu-
KEVUJSDU MOIS.

turc Constitution. Nos lecteurs auront devine qu'il s'agit du fameux


dîner des dix, ou plutôt des onze, où entre le café et le pousse-café,
S. Excellence M. Delbruck, secrétaire d'Etat de l'Office impérial de
l'Empire, venu ad hoc à Strasbourg, a confessé ces convives sur
leurs préferences constitutionnelles. Nous nous demandons vraiment
quel besoin le gouvernement de l'Empire avait de venir faire diner
un de ses membres à Strasbourg à l'effet de connaître les vœux. du
peuple alsacien. Celui-ci a à Berlin, au Heichstag, et ait /<'<c/~<j~
seul, ses représentants officiels. It y a là les quinze élus du suffrage
universel, qui reflètent aussi parfaitement que pos&tble les différents
partis avec leurs nuances variées. Quelle que soit l'estime qu'on
puisse avoir pour les membies du Landesausschuss, pus individuel-
lement, le peuple n'a qu'une mediore estime pour cette déléga-
tion élue au second et au quatrième degré, il a toujours refuse d'y
voir sa représentation nationale. Les règles les plus élémentaires du
régime représentatif obligeaient le gouvernement à consulter la dé-
putation du Reichstag et non pas le résidu de I'a)amb)c du suffrage
restreint, et pour cela pas n'etait besoin ni d'un voyage a Stras-
bourg, ni d'un diner, ni même d'une consultation spéciale. Ces
quinze députes ont été élus sur des programmes ttès explicites en
ce qui concerne la Constitution que réclame le Pays d'empire, ils
ont à différentes reprises déposé sur le même sujet des resolutions
et des projets de loi qui ont ete discutes, dont quelques-uns ont
même dejà été adoptés. Le gouveinement n'avait qu'à les rechercher
dans ses cartons, et il etait suffisamment oriente en venant à Stras-
bourg s'informer de ce qu'il pouvait si facilement apprendre dans
son cabinet à Berlin, le représentant du chancelier a simplement été
la victime de la part du parti Wo)6' d'une tentau\e de fraude, ten-
dant à lui faire rapporter a Berlin une opinion publique frelatee.
De la façon la plus inconsciente on s'est rendu coupable envers la
députation alsacienne-lorraine à Berlin d'une injure sanglante dont,
nous l'espérons, il sera demandé compte A la tribune du Reiehstag
Sans doute le Landesausschuss dans sa mégalomanie se complait au
rôle d'assemblée constituante que le gouvernement et la coterie de
M. Wolff s'amusent à lui faire jouer, mais ce rôle est un empiète-
ment tout à fait injustifié, absolument contraire à la Constitution
qui réserve au Reichstag la législation de l'empire. Même nos amis
au Landesausschuss se sont laissé prendre aux appâts de M. Wolff;
sans aucun mandat du parti, sans que la question ait jamais eté
soumise au jugement de leurs électeurs, ils ont voté la Proportion-
nelle pour les élections au Landesausschuss. C'était une faute
énorme, car la proportionnalité n'est que l'accessoire dans un sys-
tème electoral, tandis que maintenant les liberau\ la transforment
en la chose principale. D'un autre côté la Proportionnelle n'a sa
véritable raison d'être que dans les pays à régime strictement par-
RT-:VUK DU MOIS

lementaire, où les Chambres font et défont les ministres, dans les


pays où les partis sont nettement tranchés et solidement organises.
Il se passera bien du temps jusqu'à ce que la Diète d'Alsace-
Lorraine renverse les ministères, et, les socialistes exceptés, nous
ne sommes encore qu'à la periode de l'enfance de nos organisations
politiques. Nos groupements électoraux flottent dans une masse vis-
queuse de gens qui non seulement n'appartiennent pas à un parti, mais
qui ne veulent même pas en entendre parler, et qui passent, au gré des
circonstances, du gouvernementalisme le plus abject à la fronde la
plus opiniâtre. L'essentiel est que nous avons le suffrage universel i
quand une fois nous aurons un Landesausschuss qui sera une véri-
table représentation populaire, il nous sera toujours loisible de rec-
tifier ce que l'experience pourrait nous révéler comme trop absolu
dans le régime majoritaire. Quoi qu'il en son, nos amis feront bien
une autre fois de réfléchir plus sérieusement à l'abus que MM. Wolff
et consorts sont capables de faire des signatures qu'on leur donne.

N. DELSOR.
BIBLIOGRAPHIE.

AUBES ET CRÉPUSCULES.
Sous ce titre, Aubes et Crépuscutes, M. Laroppe publie chez
M.Alfred Cattier, éditeur à Tours, au prix de fr. 3,5o, un beau vo-
lume que nous recommandons aux lecteurs de la Revue catholique.
C'est le commencement d'une serie de Lettres d'ac~MH sociale, et ce
premier volume est consacré à la campagne.
Nous avons lu le livre avec un vif intérêt et nous le croyons
nppele à un légitime succès. Sous forme de lettres, les questions du
jour se succèdent, traitées tour à tour par des amis et des adver-
saires. Elles prennent ainsi une physionomie vivante, d'autant plus
attirante, qu'elle est encadrée par les beautés d'une nature que Dieu
a faite éternellement belle et feconde. Ouvrez le livre à votre gré,
partout les pages débordent de captivant intérêt. Ce sont des vues
précises, des pensées nettement exprimées, sur l'influence des œuvres
sociales à la campagne, fondées et conduites en dehors de préoccu-
pations politiques, sur la reconstitution de la commune rurale, sur
le rôle du curé de campagne dans des milieux réfractaires, sur l'ac-
tion de la presse, du bon journal, sur les tenanciers de la motte de
terre, sur la nature des syndicats, sur la manière de les conduire,
pour les rendre féconds au point de vue matériel, comme au point
de vue social. Vous tournez les pages avec d'autant plus de plaisir,
que vous y trouvez l'expression de vos sentiments, de vos aspira-
tions, de vos réserves, de vos critiques, vous arrêtant aux person-
nages qui prennent part aux debats en écrivant les lettres qui com-
posent le volume.
Ici, c'est l'homme du passé, le noble vivant dans ses terres,
fier de ses titres de noblesse, attaché à son idéal politique et social
d'antan, conduit avec son ami vers l'orientation sociale actuelle. Là,
c'est l'instituteur aux gages de la libre-pensée et de la franc-maçon-
nerie, dévoilant son âme et ses ambitions, victime de ses illusions
et entièrement désabusé au soir de sa vie. C'est son ami de Paris,
journaliste de profession, qui écrit en toute sincérité ,,Ne m'accuse
pas d'être un faux frère; je reste pratiquement et sans conviction
republicain, mais je hais l'autorité sous toutes les formes."
Le personnage principal est F. Bermont, un croyant obstiné à
l'amour pour les autres, parce que l'amour est la seule réalité vi-
BIBLIOGRAPHIE.

vante, la seule puissance qui ne trahit. Après de brillantes études il


quitte la ville pour venir à la campagne y faire l'essai d'une réforme
sociale. Les lettres qu'il écrit sur les oeuvres qu'il a fondées dans la
commune sont des chefs-d'œuvre, aussi bien pensées que bien
ecrites. Le triomphe et le succès viennent couronner ses efforts.
Les lettres écrites par un directeur de séminaire à son ancien
élève, appele à relever une paroisse frappée d'interdit: les lettres du
prêtre à son supérieur, sur son activité pastorale, sur les résultats
obtenues, sont marquées au son de l'expérience sociale et religieuse.
Elles sont pénétrantes parce qu'elles sont vraies de cette vérité qut
dissipe tous les nuages.
Le volume se termine par une lettre qui annonce un mariage.
La jeune fille espère bien ne rien négliger de ses devoirs sociaux
puisque le bon Dieu l'appelle vers un champ plus vaste, au milieu
des ouvriers des villes elle donnera tout son dévouement et tout
son temps pour venir en aide, soulager et relever ces familles ou-
vrières dont l'usine de son mari fera ses protèges naturels elle veut
s'inquiéter de leurs souffrances, leur témoigner sa sollicitude chaque
jour, et les aimer de tout son cœur comme Dieu l'ordonne.
On ferme le livre sous cette cordiale impression. C'est comme
un rayon de pieuse espérance pour l'avenir. C'est aussi comme la
conclusion de tout le volume a l'action pour Dieu et le peuple
chrétien. H. CcTTY.

La Revue hebdomadaire, ro Juin. Général Cuny, Souvenirs


d'un cavalier (tS~o-iS/t) (I). Henry Joly, de l'Institut, Le public
et les syndicats. Comtesse de Noailles, Six poèmes. Robert
Vallery-Radot, Leur royaume (V). Emile Dard, Au tombeau des
Mings. France Jammes, Notes sur quelques arbres. Maurice
Dumoulin, La comtesse de Segur. Jean Ltonnet, Les livres.
Etudes, 5 VMt'M. Quelques traits de la figure d'Edouard VU.
Le P. V. Delaporte. Lettres inéd. de Lamennais à Ventura.
Les deux cités dans la lnterature chrét. La correspondance de
Bossuet et de Fenelon. Le Sillon et le mouvement déen. Quel-
ques guides du voyageur en Grèce et en Orient.
.;0 Juin. Le dernier livre de G. Tyrrel. La dévotion au
S. C après la B. Marg. Marie. L'tnvasion des Etats-Pontif. en
1867. Un romancier de l'Alpe suisse. La République n'a pas
besoin de savants: cette parole est-elle authentique?
Revue alsacienne i))ustrée. Fasc.IH.–D~B/<M~ Les ossuaires
d'Alsace. Poésies de A~r. 7);eMer.- Route; Eté. /?o~. Reuss
Un projet de musée à Strasbourg pendant la Révolution. – fro~.
Mt'ruMf'e.' Lettre inéd. sur la Cathédrale de Str.– Goethe und Lilt:
eine unbelannte Epistel von G.
N. DELSUR, redacteur responsable.
Strasbonre. Typ. F. X. Le Roux & Cie.
LE SAINT SIÈGE.
AU CENTENAIRE DE LA NAISSANCE DE LÉON XIII.

Le soldat est tombé sur le champ de bataille,


Simple et vaillant comme un héros,
Portant à la poitrine une béante entaille
Sans lâches soupirs ni sanglots.
A son tour emporté, son chef aimé se couche
Suivant de près le preux guerrier,
Calme et digne devant un ennemi farouche,
Le front ceint de fleurs de laurier.
H n'est plus celui que nous aimions Et l'Eglise
Entière, à l'ombre des trépas,
Contemple le vainqueur qui dans les jours de crise
Avait combattu ses combats.
Sous le marbre glacé sa dépouille mortelle,
Poursuivant le dernier sommeil,
Attend pleine d'espoir que là-haut étincelle
L'aube de l'éternel réveil.
Mais quoi la mort aurait d'une œuvre séculaire
Brisé le dernier souvenir
Et détruit enfin sous la dalle funéraire
Le trône qui ne peut périr
Non Pierre n'est pas mort comme on semble le croire;
Et si dans son stupide orgueil,
L'impie exulte et chante un hymne de victoire,
Le Pape. sera son écueil
Revue. Juillet 1910. 25
LE SAINTSIÈGE.

N'est-ilpas Pierre En vain contre lui s'amoncellent


Les tempêtes, et sur le roc
La foudre rebondit les flots impurs chancellent
Et se dissipent sous le choc.
N'est-il pas Pierre Qui se heurte à lui se brise,
Si furieux soient les assauts;
Et quand sur l'adversaire il tombe, il pulvérise
Ou disperse en mille morceaux.
Dans le gouffre écumeux où la vague bouillonne
J'aperçois d'illustres débris
Des sceptres, des faisceaux, des éclats de couronne,
J'entends de lamentables cris.
Là hurlent les Césars de l'orgueilleuse Rome:
La «Pierre» un jour les fracassa
Ils meurent, nos tyrans. Vois errer leurs fantômes
Sous le porche de Canossa.
Insensés pourquoi donc lui déclarer la guerre
Et des armes sonner le brutal cliquetis?
Celui que vous cherchez est le dieu de la terre
Et vous n'êtes que d'os et que de chair bâtis.
Il est le dur granit et la roche éternelle,
Défi des morts et des vivants,
Des siècles éperdus ont cru mordre sur elle
Ils s'y sont démoli les dents.
Insensés arrêtez ce tumulte et ces haines,
Cessez vos sinistres clameurs
Avant que vos os blancs sur les monts, dans les plaines,
Annoncent vos tristes malheurs.
Car ô fols vous passez Mais lui pas il demeure
Et le voilà sur le chemin
Qui veille au grand départ, à votre dernière heure
Et qui vous bénit de sa main

ADOLPHE ALVÉRY.
VERSAILLES ROYAL.

Tout semble avoir été dit sur cette ancienne rési-


dence royale, dont le charme délicat et prenant a tenté,
si souvent déjà, tant de plumes éloquentes et tant de
pinceaux artistiques. Et bien, non Un lettré des plus
fins, M. Juste Fennebresque, a recueilli de nouveaux
épis. versaillais, et a publié, chez Champion, un livre,
à tous égards, exquis, que les connaisseurs s'arrachent
déjà, où tout est remarquable, impression, illustrations,
style, et dans lequel l'auteur a trouvé moyen d'émettre
des idées très neuves sur un sujet tant de fois traité.
J'appliquerai à ce volume le mot de Madame de Scudéry
« On dira tout ce qu'on voudra du grand livre du monde,
il faut en avoir lu d'autres pour profiter de celui-là. » Eh
bien, on pensera tout ce qu'on voudra sur les beautés
de Versailles, il est nécessaire d'avoir lu le travail de
M. Fennebresque, pour les comprendre toutes, et en jouir
pleinement.
Lorsque, à Versailles, on a parcouru les célèbres ga-
leries des tableaux, le parc antique et solennel; qu'on a
rêvé sous ces arbres qui furent baignés dans un des plus
extraordinaires rayons de gloire et de splendeurs humaines

Versailles Royal, p. M. J. Fennebresque, chez Honoré Cham-


pion, quai Malaquais, 5, Paris. In-8" carré. Plans et gravures, près
de 3oo pages.
VERSAILLES ROYAL.

qu'on a admiré les fameux bassins où les nymphes se


lutinent en folàtrant, et où les divinités païennes vous
offrent la fraîcheur des vieux souvenirs mythologiques,
dans les perles de la rosée dont elles s'irisent, on croit
avoir tout vu, et on se figure connaître Versalles. Erreur
profonde.
Ce n'est la qu'une de ces impressions à fleur de peau,
capable au plus, de chatouiller un instant l'épiderme
d'un touriste superficiel qui admire, le plus souvent, par
les yeux d'un Bsedecker ou d'un Joanne. Le voyageur
sérieux ne s'arrête pas à ces aspects extérieurs si cha-
toyants soient-ils. Il veut pénétrer le fond des choses et
dégager i'àme qu'il sent y vibrer et palpiter. Ces palpi-
tations intimes d'un âge disparu, ces vibrations du cœur
du passé qui repose là. M. Fennebresque a su les rendre
admirablement sensibles dans son beau et intéressant
travail.
L'histoire de Versailles par les parcs et les souvenirs
qui s'y rattachent, tel est le but que poursuit depuis
quelques années déjà, M. Juste Fennebresque, membre
de la Société des Sciences morales, des Lettres et des
Arts de Seine-et-Oise. Dans le nouveau volume, ~r~a:7/c~
-Rq~ qu'il publie chez Champion, il a fait une large
part aux créations royales. I! en fait ressortir, très heu-
reusement, le caractère M/ure, en ce qui concerne,
entre autres, les travaux hydrauliques, le Potager, etc.
Sur le désir des rois, point d'inventions nouvelles qui
n'aient été mises à l'essai dans les Parcs ou les abords
immédiats du Château, nulle initiative en sciences natu-
relles, en agriculture. qui n'ait été encouragée. Ver-
sailles a donc été un champ d'expériences aussi utiles au
pays qu'à l'éducation des jeunes princes.
Comme complément à cette démonstration l'auteur
nous révèle dans cette Société de Cour, en apparence si
futile, une très grande charité, des sentiments ~M~MM/r~
à l'égard des pauvres et des malades. Les souverains, il
est vrai, avaient donné l'exemple en pensionnant leurs
serviteurs, en faisant distribuer aux indigents, gratuite-
VERSAILLES ROYAL.

wcM~, chaque jour, une forte part sur les légumes du


Potager. C'est Madame Elisabeth, soeur du roi, qui, la
première, a l'idée de nos <c~~rM; elle en organise
un chez elle, à Montreuil puis c'est Madame, duchesse
d'Angoulême, qui fonde à Versailles une maison d'édu-
cation où fusionnent des enfants dont les parents ont
combattu sous des drapeaux contraires.
Ces souvenirs, la plupart inédits, ont été inspirés
par des documents puisés aux meilleurs sources Archives
nationales, privées. Ils intéresseront les érudits; en s'en
pénétrant les étrangers parcourant les parcs de Versailles
avec plus de charme.
« Les parcs de Versailles, dit l'auteur dans la préface,
n'ont pas contribué seulement au plaisir d'une cour bril-
lante et à donner plus d'éclat aux fêtes que provoquaient
une victoire, la naissance d'un dauphin ou la réception
d'un souverain. A maintes reprises, ils ont été aussi un
champ d'expériences techniques. Adduction des eaux
dans un lieu dépourvu d'eau, d'où progrès de l'hydrau-
lique et de la mécanique création du Grand Canal dans
le temps même où le souverain se préoccupait de rendre
à la France sa puissance maritime établissement non
loin de là d'une corporation nautique préposée à la cons-
truction et à la manœuvre de types de bâtiments projet
d'une sorte de musée où eussent été classés méthodique-
ment les dons faits au roi par les collectionneurs; mé-
thodes nouvelles appliquées à la culture des plantes
potagères et des arbres fruitiers dans un jardin si bien
compris qu'aucun autre emplacement ne convenait mieux
à une école nationale d'horticulture; choix raisonné des
essences les plus favorables à la construction jardin bo-
tanique estimé des savants expériences relatives à l'agri-
culture, à la défense nationale, et, pour la première fois
à l'aérostation, autant de points que nous traitons à l'appui
de notre thèse. H 1

*L. cit., pages vu et vin.


VERSAILLES ROYAL.

Et tout cela non pas exposé en la sèche nomencla-


ture d'un ouvrage didactique, mais enchâssé dans le
splendide cadre historique. Louis XIV, en créant Ver-
sailles, a donc suivi le précepte du vieil Horace Omne
tulit punctum qui miscuit utile dulci. Et j'ajoute que
M. Fennebresque a suivi l'exemple de son cher et grand
Roi.
Lisez la première partie avec ce titre si suggestif, La
Petite Venise, le chapitre dans lequel l'auteur suit avec
une émotion visible « l'Itinéraire des promenades de la
famille royale dans les parcs de Versailles, et dites-moi
si ce n'est pas la une reconstitution vivante, animée, cap-
tivante. On sort de là les bras chargés d'admirables gerbes
de souvenirs parfumés. Et lorsqu'on descend de la poésie
de ces jours d'autrefois dans le prosaïsme des construc-
tions «moderne style », il semble qu'on sorte d'une ra-
dieuse journée d'été, pour marcher sous un gris et terne
ciel d'automne. Laudator temporis acti, me dira-t on Et
pourquoi pas, si ce passé est d'un art dont le présent
n'offre même plus une pâle idée. Volontiers on est de
l'avis du bonhomme « La Fontaine, qui a chanté par occasion
les délices de l'atmosphère embaumée que l'on respirait
à Versailles dans la nouvelle Orangerie où les étran-
gers s'empressaient de venir voir le fameux oranger connu
sous le nom de Grand-Bourbon et il y aurait tout un
poëme à composer sur les plaisirs variés que trouvait la
Cour de Versailles, dans la cueillette de cette fleur, dans
l'art d'en faire une eau et des mets aromatisés?)) Allons,
la fleur d'oranger était en honneur à Versailles, au moins.
dans les infusions et. la pâtisserie? Deux chapitres sont
particulièrement curieux et intéressants, quoique à des
titres différents: « L'Erémitage de Madame de Pompadour
et Madame Elisabeth d'après des documents inédits. » Avec
quel doigté magistral, l'auteur parle de cet Erémitage II
glisse sur. les accidents à la clef, et n'appuie que sur

1 L. cit., p. io5.
VERSAILLES BOYAL.

l'harmonie parfaite du milieu dans lequel prit racine cette


plante vénéneuse, digne, en tout, du fumier sur lequel
elle s'épanouit. Quant aux pages consacrées à Madame
Elisabeth, elles sont écrites con amore.
Le tout est d'une lecture facile malgré l'abondance
des documents. On voit là ce qu'un artiste peut faire
d'un sujet en apparence rabattu, et de quelle agréable
façon il sait renouveler des' faits, en partie, si connus.
Ajoutez à cela une impeccable sûreté d'information puisée
aux sources les plus authentiques, et vous comprendrez
le charme qui se dégage de l'ouvrage. Le profane s'y
instruit, l'initié s'y délecte, chacun y trouve son compte.

J. PH. RIEHL.
UN CASTEL FÉODAL
OU LE

CHATEAU DE WERDE ET SES PROPRIÉTAIRES.

AVIS AUX ABONNÉS.


Nous continuerons avec le présent No et les Nos suivants, sous
le titre de Un Castel féodal ou le Château de Werde et ses pro-
priétaires, l'Histoire du landgraviat de la Basse-Alsace, dont nous
avons interrompu la publication avec le ? de févner loo~. Ceux
de nos nouveaux abonnés qui, sans doute, desirent posséder le com-
mencement de cette etude, intéressant au plus haut point l'histoire
de l'Alsace, trouveront les 96 pages parues Extrait de la Revue
catholique à la librairie Sutter et Cie à Rixheim ou chez l'auteur,
si mieux ils n'aiment s'inscrire dès maintenant au tirage à part qu)
se fera, en nombre d'exemplaires très restreint, de cette publication.
LA RÉDACTION.

§ 8. Henri.
Henri, fils aîné de Sigebert, était associé depuis plu-
sieurs années déjà à la dignité landgraviale, lorsque son

père mourut. En effet, on le voit revêtu du titre de

landgrave dès l'année 1213. C'est à Philippe de Reichen-


berg, son procureur, que Frédéric II adressa, en !22),
des lettres par lesquelles ce prince lui enjoignait de s'abs-
tenir de citer à son tribunal landgravial les bourgeois de
la ville de Strasbourg. Nous l'avons aussi vu siéger à côté
de son père à Holtzheim, en 1226, alors qu'il s'agissait de
UN CASTEL FÉODAL OU LE CHATEAU DE WEBDB ETC.

prononcer sur l'héritage de la comtesse Gertrude de


Dagsbourg, et se donner, en cette occasion, le titre de
comte provincial, ainsi que le portait son père.
Il ne restait alors à Henri qu'un frère, nommé Thierry,
auquel son père avait donné en apanage les biens situés
en Lorraine et qui paraît dans l'histoire sous le nom de
Comte de ~ec/NCOMr~, et une sœur, Sigeberte, qui épousa
Anselme i~ le Sage de Ribaupierre celle-ci mourut,
sans enfants, après 1288. Au moment où il devenait seul
possesseur du landgraviat, notre province était profondé-
ment troublée par la question de la succession de Ger-
trude de Dagsbourg. D'ailleurs, l'Europe tout entière était
agitée par les malheureux démêlés de Frédéric II avec le
Saint-Siège. Le premier acte du landgrave Henri fut un
acte de piété envers le couvent de Neubourg, soit que
son père mourant lui en eût imposé l'obligation, soit
que, par cette démarche, il voulût attirer la bénédiction
de Dieu sur sa famille et sur son administration. Voici
la charte conservée autrefois dans les archives de Neu-
bourg
a A tous présents et à venir qui liront cette charte,
Henri, comte de Werde, landgrave d'Alsace, salut
"Comme il est nécessaire de consigner dans des
monuments écrits, le bien que l'on fait pour empêcher
les discussions qui pourraient surgir dans la suite des
temps, Nous, Henri, comte de Werde, avec le consente-
ment de notre frère, Thierry, notifions par la charte que
voici à tous présents et futurs, que Burcard, avoué de
Burnen, et son fils, Frédéric, ont vendu avec notre con-
sentement et celui de notre frère, au vénérable abbé AI-
béron, aux frères et à l'église de Neubourg, pour la
somme de soixante livres strasbourgeoises, tout ce qu'ils
tenaient de notre main et de la cour de Burnen dans la
forêt, vulgairement appelée .Frewo~, qu'ils ont intégra-
lement résigné ces bans et droits en nos mains et en
celles du maire de la cour, suivant la coutume et que
nous, à notre tour, suivant la suggestion des échevins et
des mansionnaires de la sus-dite cour, nous avons donné
UN CASTEL FÉODAL

la même forêt en toute propriété et à jamais, à l'église


de Neubourg pour en jouir suivant les droits et franchises
de la cour sus-nommée, à condition toutefois de payer
annuellement, en la fête de la décollation de saint Jean-
Baptiste, à nous et à nos successeurs, tenant le même
fief, deux quarts d'avoine à titre de cens. Il est expressé-
ment déclaré dans la présente que personne ne pourra
faire du bois dans la sus-dite forêt sans le consentement
de l'abbé sus-nommé et de ses frères. Il est encore stipulé
que tous ceux qui ont des droits dans la forêt de Fron-
rode de même que dans la forêt dite Hochwald, doivent
en jouir et en user à l'avenant, librement et sans contra-
diction ces droits consistent à y faire paître les porcs et
autres bestiaux, et à y couper les bois de constructions,
mais non les bois de chauffage (novalia).
« Mon frère, Thierry, et moi nous avons eu soin de
ratifier cette donation en toute connaissance de cause et
légitimement pour le bien de nos âmes, en y apposant
notre sceau pour perpétuelle garantie. Et parce que mon
frère, Thierry puer nondum adultus est encore un
enfant qui n'a pas atteint l'âge adulte et que pour cette
raison il n'a point de sceau, nous déclarons qu'il s'est
servi du mien pour que personne de nos successeurs ne
puisse révoquer en doute ce que nous venons de faire.
Les témoins ont été Volmar, curé de Burnen Albert
Enihwiller; Albert, prieur de Stephansfeld; Conrad, cel-
lérier Sifride, hospitalier; Mefride, Rodolphe et Henri,
convers; les chevaliers Walther de Mutensheim, Louis s
d'Amersberc, Jean Lampertheim, Jean Symphorian de
Brumat les échevins Rudiger, Berthold, Gutward, Bal-
tram, Conrad, Godefroi, en outre, Henri Lamper.
« Fait en l'an de grâce 1229 et donné à Brumat.»1 1

1 Henricus cornes de Werde, Landgravius Alsatiae, cum con-


sensu fratris sui Theodorici cœnobio Novi Castri dat silvam Frone-
roth, prope Oberbronnam an. 1229. (Schœpflin, Als. diplom., No 457;
Grandidier, Œuv. inéd., T. 3, p. 254, pièces jusuficat., No i52.)
OU LE CHATEAU DE WERDE ET SES PROPRIÉTAIRES.

Par le village de Burnen, dont il est fait mention


dans cette charte, il faut entendre principalement Ober-
bronn, auprès duquel se trouve la forêt qui, au dire de
Schœpflin, porte encore aujourd'hui le nom de Fronrode.
Oberbronn et Niederbronn sont des dénominations plus
modernes, Burn, boni, Bran, désignaient les deux endroits
ne formant qu'une communauté on ne les sépara que
plus tard. L'objet de la charte de 1229 paraît être d'une
importance secondaire toutefois, les diverses révélations
qu'il contient le rendent remarquable à plus d'un point
de vue. Il nous apprend d'abord que les comtes de Werde
avaient des alleux à Oberbronn, ce qui nous confirme
dans deux conjectures, précédemment émises par Schoepflin
i° que la seigneurie de Burn et celle d'Arnsperg étaient
originairement et avant de devenir fiefs de l'Empire, un
domaine allodial de Werde 2° qu'Oberbronn, domaine
principal de la famille d'Ochsenstein, avait été primitive-
ment propriété des Ochsenstein et des Werde, ce qui
revient à dire que ces deux familles sont des branches
d'une souche commune, ne fût-ce que dans la ligne
féminine.
Notre document nous montre encore les formalités
qu'il y avait à remplir à cette époque pour vendre les
fiefs et les colonges. Les fiefs ne pouvaient être aliénés
qu'avec le consentement du seigneur suzerain, c'est pour-
quoi la forêt de Fronrode ne fut définitivement acquise
au monastère de Neubourg qu'après que les seigneurs
avoués de Burnen eussent obtenu le consentement des
comtes de Werde et la résignation du fief entre leurs
mains. Et, ce qu'il y a de remarquable dans cette trans-
action, c'est que, la forêt faisant partie d'une colonge, les
sires de Burnen durent aussi résigner leurs droits entre
les mains du maire de la colonge Nobis et villico prœ-
dictœ curiœ, sicut mos est, integraliter resignaverunt.
Bien plus, les comtes de Werde, rentrés, par cette rési-
gnation, dans la plénitude de leur droit de propriété,
durent, avant de la transmettre au monastère de Neu-
bourg, demander l'avis et le consentement des échevins
UN CASTEL FÉODAL

et des habitants de la colonge Nos vii-o ad consilium


et suggestionem, scabïnorum et mansionariorum. conces-
sinms. Toutefois, les droits et franchise de la colonge de-
vaient demeurer intacts et étaient expressément réservés
par les colongers sylvam ecclesiœ Neoburgensi secundum
jura curiœ perpétua hereditatœ possidentam concessimus.
Henri de Werde ne paraît que rarement sur le
théâtre des évènements, soit que des raisons de santé ou
de fortune l'en tinssent éloigné, soit qu'il n'eût ni occasion,
ni envie de se produire. On ne le trouve que de loin en
loin et en des circonstances peu mémorables. Ainsi, en
123o, on le rencontre à Brisach près de Henri, roi des
Romains, fils de Frédéric II, où le comte Egon de Fri-
bourg qui avait molesté les juifs, sujets immédiats de la
Chambre impériale, devait se disculper de ce crime pour
rentrer en grâce et recevoir le pardon (13 août).
Le jeudi avant les Rameaux de l'année 1232, le comte
de Werde assista, avec Hugues de Lützelstein et Louis
de Lichtenberg, à un arrangement passé entre Mathieu II,
duc de Lorraine, et l'Eglise de Strasbourg, acte par lequel
le duc céda, pour le repos de son âme, les villages de
Reichshoffen et de Gumbrechtshoffen en retour de quinze
charretées de vin (i5o hectol.).
Cependant de graves et tristes pensées préoccupaient
Henri. Il était marié depuis longtemps et n'avait point
d'enfants sa dynastie était menacée de s'éteindre. Elisa-
beth de Montfort, son épouse, d'une très ancienne et très
illustre famille de la Souabe, n'avait pas su rendre heu-
reuse leur union. Le caractère de la comtesse, sa con-
duite que laissent deviner les bruits malins qui coururent
plus tard quoique sans fondement sur son compte,
et l'empressement qu'elle mit à se remarier après sn
mort, durent contribuer autant à la tristesse du landgrave
que le chagrin de se voir sans héritier. Dans cette per-
plexité, il songea sérieusement à régler ses affaires pour
le cas où il serait le dernier de sa branche. Laisser ses
biens à Thierry de Réchicourt, il ne le pouvait, la loi
germanique défendant alors l'héritage en ligne collatérale.
OU LE CHATEAU DE WEBDE ET SES PROPRIETAIRES.

A sa mort, les alleux tombaient donc en déshérence et


les fiefs, déclarés vacants, retournaient à leurs proprié-
taires suzerains. Il voulut, avant tout, assurer ses alleux,
et pour cela il tourna ses yeux vers l'Eglise. 11 en donna
donc le haut domaine à l'évêque de Strasbourg et les
reprit de lui, à titre de fief, pour lui, sa vie durant, et
pour ses enfants, s'il lui en devait venir encore. Et, pour
mieux garantir les domaines en question à ses héritiers
dans le cas où il en aurait, il posa à l'évêque la
condition que le fief serait féminin, c'est-à-dire qu'à dé-
faut de garçon, ses filles en eussent de droit la jouissance.
Voici cette importante pièce
« Henri, comte de Werde, landgrave d'Alsace, à tous
les fidèles du Christ qui verront les présentes, salut en
l'Auteur du salut
« Que tous présents et à venir sachent que, pour le
remède de notre âme et de celles de nos parents, nous
avons donné librement à l'Eglise de Strasbourg, notre
cour située à Ittenheim avec toutes ses appartenances,
notre part dans le château de Werde supérieur, nos pro-
priétés de Bolsenheim, notre cour à Ehl {villam Eley),
notre cour à Gutenheim et tout ce qui dépend de ses
biens, et que l'on voit m'appartenir à titre de propriété
(/« viis et inviis), pâturages, prés, bois, pêches et étangs,
eaux et cours d'eau. Cette donation, nous la faisons sous
la condition expresse que nous tiendrons les mêmes biens
de notre révérend Seigneur Berthold, évêque de Stras-
bourg, et de ses successeurs à titre de fief, et que les fils
ou les filles que nous aurions engendrés en légitime ma-
riage, succéderont dans les mêmes biens, suivant le droit
féodal.
«Que si à défaut de fils, le sus-dit fief venait à être
dévolu à une fille, le fils de cette fille, si elle en a un, et
non la fille, devra lui succéder dans ce même fief. Pour
ce qui est du temps présent et aussi longtemps que nous
n'aurons pas d'héritier, il nous sera permis d'assigner le
même fief à la personne que nous voudrons par les mains
de l'évêque prénommé et de ses successeurs qui seront
tenus à se conformer à cette clause.
UN CASTEL FÉODAL

« Et, pour qu'il ne puisse y avoir dans l'avenir aucun


doute sur ce que nous venons de déclarer et de
statuer,
nous avons fait munir la présente de notre sceau. Fait
en l'an de l'Incarnation de N.-S. 1232. Etaient présents:
(Suivent les noms). »
Ce contrat semble avoir été passé devant la cour
épiscopale de Strasbourg, car on y voit figurer toutes
les dignités du Chapitre parmi les signataires. La mesure
que Henri venait de prendre était prudente, n'avait rien
d'humiliant pour lui, lors même qu'elle le dépouillait de
tous ses alleux. D'ailleurs, grand nombre de princes et
de seigneurs se trouvaient alors dans les mêmes condi-
tions. A une époque, où presque toujours la raison dis
plus fort était la meilleure, on tâchait de trouver des amis
puissants, dût-on pour se les attacher faire le sacrifice de
ses alleux et se rendre leur feudataire. Or, l'évêque de
Strasbourg étant alors le seigneur le plus puissant de la
province, capable de résister à l'Empereur lui-même,
Henri faisait donc acte de sagesse en le choisissant pour
son suzerain et celui de ses héritiers.
Cette même année, l'empereur Frédéric ayant enlevé
l'abbaye de Lorsch aux bénédictins pour la donner avec
toutes ses propriétés à l'archevêque de Mayence dona-
tion confirmée par Grégoire IX, le landgrave devint
vassal de l'Eglise de Mayence pour le fief de Brumath.
C'est ce qui engagea le Commandeur de Stephansfeld à
régulariser la donation faite à son hospice par les comtes
de Werde, en 1220 la charte de confirmation, datée de
Haguenau, lui fut octroyée, le 13novembre, par le roi
des Romains, Henri. 2

4 Henricus cornes de Werda,


landgravius Alsatioe, curtim suam
in Utenheim, partem castri superioris Werda, proprietates in Bol-
senheim, villam Eley, curtim in Gutesheim, etc., ecclesiae Argenti-
nensi in feudum offert. Datum 14 maii 1232. (V. Laguille, p. 35
Schœpflin, N° 467 Grandidier, Œuv. inéd., III, 324, N° 327 Arch.
départ. de la Basse-Als., G, N° 47, pièce latine sur parchemin.)
a
Schoepflin, Als. dipl., N° 465. Grandidier, CEuv. inéd., I. 3,
p. 32i.
OU LE CHATEAU DE WERDE ET SES PBOFBIÊTAIBES.

Toujours sous l'influence de ses mélancoliques pen-


sées et, sans doute, pressé par sa femme, le landgrave
crut devoir, l'été suivant, assurer l'avenir de la comtesse
Elisabeth qui lui avait apporté une dot de 600 marcs
d'argent, équivalente à 312,000 M. de notre monnaie
actuelle. Henri devait garantir cette dot pour le cas où
elle deviendrait veuve. Il lui assigna donc la jouissance,
pour sa vie durant, du château de Niederwerde et du
village de Hipsheim, propriétés encore allodiales et, pa-
raît-il, expressément réservées à cet effet
« Nous, Henri, comte de Werde et landgrave d'Alsace,
à tous les fidèles du Christ qui verront les présentes,
salut en l'Auteur du salut.
«Que tous présents et futurs sachent que nous, con-
sidérant la fragilité humaine, avons résolu de prévenir
les dommages et incommodités auxquels pourrait être
exposée notre épouse bien-aimée Elisabeth, et de pourvoir
à la compensation qui lui est due pour les 600 marcs
d'argent pur qu'elle nous a apportés de Souabe en Alsace
et qu'elle nous a concédés pour faire face à nos besoins.
C'est pourquoi nous avons cru devoir engager à la Dame
sus-dite le village d'Ipsenheim avec tous ses revenus,
toutes ses dépendances et tous ses droits sans en rien
excepter, ajoutant aux 600 marcs 200 autres, de manière
à lui engager pour 800 marcs d'argent pur. Ce gage
il lui sera permis de l'assigner à qui il lui plaira. En foi
de quoi et confirmation de la présente, nous y avons fait
apposer notre sceau.
« Donné en présence du prévôt de la cour, Walther,
schultheiss d'Erstein et beaucoup d'autres. L'an du Sei-
1
gneur 1233, le 2 juillet. »
En l'année 1234, nous assistons encore à un acte de
renonciation de la part du landgrave en faveur de Berthold
de Teck, évêque de Strasbourg, et des chevaliers de l'ordre

4
Senckenberg, Dissert. de interitu landgraviatus inferioris AI-
satis in parergis Gœtting., p. io5.
UN CASTEIi FÉODAL OU LE CHATEAU DE WERDE ETC.

teutonique, sans que nous sachions s'il lui en fut tenu


compte ou s'il prétendit faire une libéralité aux dona-
taires. Henri tenait en fief de l'Evêché XVI schatz de
vignes et une cour dans la banlieue de Gebliswihr (Gueb-
willer), qu'il avait donnés en sous-fiefs à Günther et a
Eberhard de Landsperg. L'évêque, désireux de faire ca-
deau de ces biens à la commanderie de Rouffach, obtint
du comte Henri qu'il renonçât au droit féodal sur les
dits biens et fit accepter à ses ministériaux Günther et
Eberhard, en compensation du fief dont ils jouissaient,
la moitié d'un maix, situé dans la banlieue d'Offenheim.
Ces précautions prises, il en inféoda les frères hospita-
liers de Sainte-Marie des Teutons. 1
Toujours en faveur auprès de l'empereur, le landgrave
lui fit sa cour à Haguenau, en 1235, et à Colmar, l'an-
née suivante, signant, comme témoin, la confirmation
impériale de divers privilèges. Cependant la juridiction
landgraviale s'affaissait à mesure que celle des landvogt
s'étendait par l'autorité qu'ils exerçaient sur les villes
impériales. C'est ce que nous voyons par le litige entre
les pêcheurs de Schlestadt et le prieur de Sainte-Foi,
porté à Haguenau au tribunal de fr. Berthold de Tan-
nenrod, landvogt d'Alsace, ainsi qu'il s'intitule lui-même.
Cet officier, après avoir demandé une déclaration juridique
sur l'affaire au comte de Werde et au comte Frédéric de
Salm, à plusieurs ministériaux de l'Empire et à un grand
nombre de bourgeois de Haguenau, porta une sentence
en faveur de l'église de Sainte-Foi (27 mai 1236). Le
landgrave ne paraît donc plus comme juge, mais simple-
ment comme témoin juré dans une question concernant
une ville impériale.
(A suivre.)
{A

1 Moné, Zeitschrift, etc., T. 28, p. 96.


9 Grandidier, loc. cit., T. 3, p. 342 N° 354, Charta fratris Ber-
tholdi de Tanenrode procuratoris rerum imperialium in AIsatia, qua
decidit litem ortam inter praepositum sanctas Fidis in Selestat, et
piscatores ejusdem civitatis. Ex autographo tabularii episcopalis
Tabernis Alsaticis.
COLLÈGE DE HAGUENAU.
1604-1692.

(Suite.)

io. Progrès du catholicisme à Haguenau.

Après le départ de Mansfcld qui, battu par Wallen-


stein, alla mourir en Dalmatie, Haguenau retomba au
pouvoir des Impériaux et jouit de quelques années de
paix pendant lesquelles la religion catholique retrouva
son ancienne splendeur. Un des instruments les plus ac-
tifs de cet heureux changement fut le sénateur Bildstein.
C'était un jurisconsulte habile, un savant distingué, un
citoyen intègre. Catholique sincère, tout dévoué aux in-
térêts de l'Eglise, il avait voué a la défense de sa Mère
son cœur et sa fortune. Nommé Stettmeister de Haguenau,
il usa de toute son influence pour ramener les protes-
tants dans le giron de l'Eglise et bientôt il ne resta plus
que six familles qui émigrèrent aux environs en empor-
tant tous leurs biens. L'église des Récollets, dont les
Luthériens s'étaient emparés, fut restituée aux Francis-
cains (1624), et le culte y fut rétabli solennellement. Ce
fut le prédicateur des Jésuites qui y prononça le discours
d'inauguration.
Ce n'était pas seulement à Haguenau que les Pères
exerçaient leur apostolat de conversions; ils rayonnaient
eacore dans les localités voisines, comme Bitche et Seltz,
R«TU«. Juillet 1910. 26
COMjÈGi: J)K HAGUENAU.

où ils établiient même une mission duiable. En ibu5 le


chiffre des conversions s'éleva à 128, et en 1626 à i33.
En retour des services rendus, le magistrat intervint
auprès de l'évèque de Strasbourg, l'archiduc Léopold,
pour qu'il donnàt aux Jésuites les bâtiments de la fameuse
Burg avec sa basilique. Les Jésuites quittèrent alors le
couvent des Guilhelmites, qu'ils avaient occupé jusque-là,
pour s'établir dans leur nouvelle propriété le magistrat
leur concéda l'usage de la basilique, à la seule condition
de ne pas en modifier la construction.
Rien ne faisant plus obstacle au zèle des Pères, les
conversions deviennent de plus en plus nombreuses; les
congréganistes eux-mêmes s'emploient avec ardeur à ra-
mener les égarés.
En 1626, la peste fait de nouveaux ravages et le
P. Jean Reisig demande la faveur de soigner les pesti-
férés il meurt victime de sa charité. «Mieux eût valu,
disait le peuple, la mort de la moitié de la population
que la sienne!» A son tour le professeur de rhétorique
est terrassé par la maladie.
Au milieu de ces épreuves la ferveur des nouveaux
convertis ne diminue pas; les processions de pénitence
s'organisent et de nombreux pèlerinages vont implorer le
secours de N.-D. de Marienthal.
En 1628, à la suite d'un sermon sur «Jésus dans le
Temple», le magistrat se décide à employer la force pour
expulser de la ville les derniers récalcitrants de la secte;
les livres hérétiques sont détruits et la jeunesse elle-même
prend plaisir à les déchirer sur la place publique on
remarquait surtout l'ardeur des jeunes artisans dont la
congrégation était la plus florissante.
En 1629, une malheureuse convaincue du crime de
magie avait été condamnée au feu les Pères qui avaient
reçu ses aveux, veulent lui faciliter l'évasion mais dans
son repentir elle préfère la mort et marche au supplice
avec un courage hérpïque.
En 1630, la peste fait de nouvelles victimes parmi
les Pères sans ébranler leur zèle le F. Jean Frisen et
COLLÈGE DE HAGUENAU.

le Recteur lui-même, le P. Simon Heuls qui meurt en


chantant un cantique.
Déjà grandit à l'horizon un nouvel orage l'armée
des Suédois se rapproche de l'Alsace en 1631 et avec
elle le meurtre et l'incendie.

il. Horreurs des Suédois.

Le P. Provincial se demandait avec inquiétude ce


que deviendrait sa famille du collège de Haguenau. Elle
était plus nombreuse que jamais; elle venait de s'aug-
menter de 23 novices que la peste avait chassés de Mols-
heim, et beaucoup d'autres fugitifs des maisons d'Allemagne
avaient cherché un asile en Alsace.
A la nouvelle de l'approche des Suédois, les admi-
nistrateurs de la cité avaient fait le désert autour de la
ville pour couper les vivres à l'ennemi. Cette mesure mi-
litaire qu'on ne pouvait blâmer, devint fatale aux bour-
geois. Le collège ne pouvant plus nourrir ses habitants,
le P. Provincial les dispersa la plupart se rendirent en
Lorraine. Il ne resta que deux Pères avec trois Frères
coadjuteurs pour garder la maison et porter quelques
consolations aux fidèles.
Pour comble de maux la peste éclate dans la ville
les Pères se prodiguent aux malades et aux moribonds
sans souci de leur propre salut. Tous deux sont frappés
par le fléau et succombent glorieusement dans l'exercice
de la charité. C'étaient les PP. Hermann Markelsbach et
Hubert Wangh.
Cependant les Suédois arrivés devant la ville s'en
emparent facilement. Tout d'abord ils se montrent mo-
dérés dans leurs exigences et laissent aux habitants le
libre exercice de leur religion. Mais le calme ne dura pas
longtemps soudain, par un coup de main hardi, le comte
de Salm se rend maître de Haguenau, dont il massacre
la'garnison suédoise. L'ennemi furieux vient mettre le
COLLÈGE
DE HAGOEXAU.

siège devant la ville reconquise. Pendant dix semaines


Haguenau fut en proie à tous les fléaux réunis tout au-
tour de ses murs, les malheureux habitants voyaient leurs
fermes incendiées ou démolies, leurs troupeaux enlevés,
leurs moissons ravagées. Cependant la vaillante petite
garnison catholique se signala par des prodiges de valeur,
et les Suédois rebutés allèrent porter plus loin la désola-
tion et la mort.
Benfeld, Rosheim, Schlestadt deviennent tour à tour
leur proie. A Rouffach, ils immolent à leur haine trois
Jésuites. Vainqueurs des Impériaux à Riedisheim, ils
s'avancent jusqu'à Belfort et Ensisheim où ils mettent
tout à feu et à sang.
Le comte de Salm ne vit d'autre moven de sauver la
ville de Haguenau que de la mettte sous la protection
du roi de France, l'allié des Suédois. Les négociations
furent rapidement menées, et le baron de la Ploquerieb
vint au nom du roi très chrétien prendre possession de
la ville avec le titre de gouverneur.

12. Occupation française.


Le gouverneur de la Ploqucries s'était montré l'ami
des Jésuites au bout de quatre mois, il fut remplacé
par M. d'Aiguebonne, dont ils n'eurent pas à se louer.
Sans respect pour leurs immunités, il en vint jusqu'a les
soupçonner de trahison, et sur des accusations calom-
nieuses, il fit faire des perquisitions rigoureuses dans la
maison. On n'y découvrit pas d'armes cachées, mais on
put constater l'extrême misère qui régnait au collège. Et
pourtant les Pères n'avaient pas cessé de faire de larges
aumônes
La garnison française n'était rien moins qu'édifiante.
Pour défendre leur vertu contre les entreprises de la
soldatesque, les vierges chrétiennes se montrèrent héroïques
et ne craignirent pas de recourir aux moyens les plus
COLLÈGE DE HAGUENAU.

violents. Tel hussard indiscret se vit inondé sous des


flots d'eau plus ou moins parfumée – tel autre dut re-
noncer a la lutte, le visage mis en sang par de terribles
morsures
En 1 607, le gouvernement du roi exigea de tous les
habitants un serment de fidélité; les Jésuites le prêtèrent
sans difficulté, mais en même temps ils firent des dé-
marches a la cour pour maintenir leurs immunités et
obtenir quelques secours dans leur détresse. Le messager
envoyé a Paris pour s'adresser directement à Louis XIII,
revint au bout de deux mois avec une lettre du roi
exemptant les Pères de toute réquisition; malheureuse-
ment ce fut lettre morte pour l'intendant.
Profitant du répit laissé par l'occupation française,
le P. Provincial voulut reprendre le cours de ses visites
au collège il délégua à sa place le P. Pierre Dietz de
Molsheim. Alors aussi devait se tenir la Congrégation
provinciale mais l'Intendant défendit aux Pères de s'y
rendre. Poussant plus loin son hostilité, il fit renouveler
les visites domiciliaires sous prétexte que les Pères four-
nissaient de l'argent et des munitions aux troupes impé-
riales. Il faut dire que la garnison était composée de
soldats calvinistes. Ils réclamèrent pour eux un service
religieux et firent rapporter le décret qui excluait les pro-
testants de la ville. Un des officiers alla jusqu'à menacer
le P. Recteur de le faire pendre haut et court. Un autre
avait dit: « Plutôt que vous autres, Jésuites, j'aimerais
mieux voir deux ou trois cents soldats Impériaux au cœur
de la ville »
En 1641, le bruit se répand que les Jésuites avaient
voulu livrer aux Espagnols la ville d'Arras le gouver-
neur de Haguenau doit se défier de ces traîtres. Il
fallut l'intervention de l'archevêque de Reims pour étouffer
cette calomnie. Le roi lui-même écrivit à l'Intendant de
l'Alsace pour lui recommander la Compagnie.
Les finances du collège étaient dans le plus triste
état. Le nouveau recteur, qui venait de succéder au
P. Cremer, le P. Mangold, ne savait comment faire face
COLLÈGE DE HAGUENAU.

à toutes les charges de la maison. L'oeuvre de S. George,


mal gérée, ne fournissait plus les revenus nécessaires. Le
prédicateur des Jésuites ainsi que celui des Capucins si-
gnalèrent du haut de la chaire ce désordre qui retombait
sur quelques membres du Sénat. Ceux-ci, dans leur irri-
tation, citent les deux religieux à' la barre du Landvogt
mais les accusés n'ont pas de peine à se justifier. Pour
trouver quelques ressources, le Procureur du collège éta-
blit une brasserie et fait l'acquisition d'une ferme a
Walheim.
Une lettre interceptée par le gouverneur attire aux
Pères de nouvelles persécutions ils sont accusés de trahir
et de cacher des armes dans leur maison. Les Commu-
nards de 1 87n'ont pas inventé, comme l'on voit, les
procédés qui ont illustré leur règne.
En 1644, les Pères ont la douleur de perdre leur
protecteur le plus dévoué, Otto-Henri Westermeyer;
avant de mourir il fit encore au collège un legs de mille
couronnes.
Dès que la persécution se relâchait un peu, les Pères
reprenaient leurs ministères avec une nouvelle ardeur.
Ils empêchèrent qu'on appliquât l'épreuve de l'eau à une
vieille femme accusée de sorcellerie et la firent remettre
en liberté. Ils luttèrent également contre le protestantisme,
heureux s'ils avaient été mieux soutenus par les magis-
trats de la ville. Ils avaient obtenu de l'Intendant de la
province la défense aux ministres de prêcher en public
mais le régiment de Mazarin qui formait la garnison,
comptait beaucoup de protestants ils réclamèrent pour
leur prêche l'église des Récollets et l'auraient obtenue
sans l'intervention de leur colonel qui était catholique,
et qui se rendit aux raisons alléguées par les Pères.
Au milieu des ennuis suscités par les garnisaires
protestants, les Pères continuent avec zèle leurs travaux.
Sous leur direction, les congrégations fleurissent, surtout
celle des bourgeois, devenue de plus en plus nombreuse.
Un de ses membres avait suspendu dans toutes ses
chambres des crucifix dont la vue devait lui enseigner la
COLLÈGE DE HAGUENAU.

patience au milieu des adversités; et de fait, telle était


sa patience qu'on ne l'appelait plus autrement que le
«saint homme Job» de Haguenau!
En 1647, le collège a beaucoup à souffrir du pas-
sage des troupes qui coupent les moissons en herbe.
Enfin l'année 1648 amène la conclusion de la paix; mais
après les désastres de trente années de guerre, que de
maux à réparer Ce fut la mission d'un nouveau recteur,
le P. Henri Mensing, aidé par son ministre, le P. Au-
gustin Bildstein, le fils du célèbre sénateur à qui le col-
lège était redevable de tant de bienfaits

13. Annexion à la France.

Six mois à peine après sa nomination, le P. Mensing


est nommé précepteur des enfants de l'Electeur de
vière, et cède sa charge au P. Jean Scharfbillig. Le zèle
des Pères s'exerce même au-dehors de la ville le P. Mi-
nistre Bildstein évangélise les deux paroisses de Wingers-
heim et de Rumersheim. D'autres ramènent la ferveur
dans les couvents au moyen des Exercices de S. Ignace.
Partout la religion refleurit, giàce aux exemples donnés
par le prince de Bade invité au mariage de la fille du
comte de Birkenfeld avec le comte de Nassau, il se rend
a Marienthal pour y entendre la messe avant d'assister à
la cérémonie protestante.
Le mouvement de retour à la religion catholique
s'accentue; les prières des Quarante Heures et les exer-
cices du Jubilé y contribuent puissamment. Les magis-
trats se décident enfin à piendre des mesures pour la
défense de la foi; les- protestants ont beau réclamer, leur
nombre diminue de jour en jour, et il n'en reste plus
que douze ou treize dans toute la ville.
Cependant la misère règne au collège le revenu
suffit à peine pour l'entretien d'une seule personne, et il
COLLÈGE DE HAGUENAU.

y en a quatorze! Heureusement la Providence suscite


quelques bienfaiteurs, parmi lesquels le cardinal de Lor-
raine, devenu évoque de Strasbourg.
L'armée française avait établi ses campements autour
de la ville; les Pères se répandirent au milieu des sol-
dats pour leur parler de leur salut éternel et les arracher
à leur vie de brigandage et de désordres. L'un d'eux ra-
conte un fait singulier arrivé à un soldat de la garnison
de Hochfelden. « Se promenant un soir à cheval dans la
campagne, le soldat rencontre un cavalier bien armé,
monté sur un cheval noir; il lui demande en allemand
qui il est et où il va? Le cavalier répond en français qu'il
vient de Bouxwiller et qu'il va s'engager à Strasbourg
pour la guerre prochaine il invite son interlocuteur à
l'accompagner. Celui-ci y consent, et à l'instant même il
se sent emporté malgré lui dans une course vertigineuse
sans savoir où. Après une longue chevauchée, il demande
à son compagnon où il le mène. Où tu voudras.
Eh bien! je veux retourner à Hochfelden. Je vais t'y
conduire et de nouveau il l'entraîne à travers les
ronces de la brousse. Arrivé devant une croix, le soldat
répète les noms de Jésus et de Marie, et le voici qui est
renversé de cheval, tandis que son compagnon disparaît
subitement à ses yeux. Alors le pauvre soldat tire son
chapelet et guidé par une lumière aperçue au loin, il
arrive à Wilsheim, d'où il regagne Hochfelden conduit
par un paysan. Ses camarades étaient inquiets à son sujet;
il leur raconte son aventure, et sa pâleur confirme son
étrange récit. Le lendemain il se confesse et communie.
Son exemple détermine ses compagnons à en faire autant.
Quelques membres du Sénat, achetés par les protes-
tants, proposent un décret permettant aux sectaires de
s'établir dans la ville. Mais les consuls catholiques, Ruoff
et Kirchner, s'opposent avec énergie à cette mesure.
Alors les protestants (il n'en restait plus qu'une douzaine)
envoient un des leurs, meunier de son état, à la diète de
Ratisbonne pour réclamer un pasteur de leur confession
avec l'usage d'une chapelle pour leurs prêches. Les ca-
COLLÈGE DE HAGUENAU.

tholiques encouragés par les Pères, déjouent les menées


des sectaires qui sont convaincus de calomnie et punis
d'une amende de cent ducats.
Rien ne montre mieux la popularité des Pères que
le fait suivant deux femmes rencontrent dans une rue
un Jésuite couvert d'une soutane toute usée, tandis que
plus loin se pavanait un pasteur vêtu fort élégamment.
« II ne sera pas dit, s'écrièrent-elles, que ce voleur d'âmes
aura un costume brillant, quand notre bon Père n'a que
des guenilles » Et aussitôt elles font une quête pour
acheter au Père une soutane neuve.

P. MURY.

(A suivre.)
LA LÉGENDE D'OBERLIN
Pasteur au Ban-de-la-Roche.

(Suite.)

Ce qui fut accompli dans la paroisse de Waldersbach,


le fut d'ailleurs dans toute la vallée, à cause de l'essor
que prenait l'industrie textile au sortir de la Révolution.
En 1806, fut fondée une fabrique à Rothau, par Wide-
mann en 1810, une filature à Schirmeck-Labroque, par
l'ingénieur anglais Heywood; en 1818, une autre à
Poutay après i8i5, des manufactures à Grendelbruch,
Neuwiller, Natzwiller, Wildersbach, par la famille Bam-
berger, etc. 1 C'était une source de gain pour ces com-
munes catholiques, sinon un bien moral. Ces agglomé-
rations de garçons et de filles feront toujours regretter le
tissage a domicile qui retenait les jeunes gens sous l'œil
de leurs parents. Les curés ne furent pour rien, pas
plus que les pasteurs, dans cette transformation du travail;
toutefois les prêtres, séculiers ou réguliers, ne se dés-
intéressaient pas du bien-être matériel des populations,
ni ne restaient indifférents au développement de l'industrie,
de l'agriculture, des arts et métiers. On ne tarirait pas si
l'on essayait de rappeler les succès obtenus en tout

1 V. Klein, Die Baumwollmdustrie im Breuschtal. Diss. Strasb.


igo5.
LA LEGEKDE D'OBEKLliJ.

temps et en tous lieux par les moines, surtout par les


Bénédictins et les Cisterciens, dont on ne peut assez
louer les fermes modèles ou granges, les divers ateliers
installés par eux, les transformations merveilleuses de
contrées incultes et sauvages. Contentons-nous de pour-
suivre notre parallèle entre Oberlin et Dom Fréchard.
Celui-ci comprit aussi l'importance de l'Association et
surtout d'une Congrégation religieuse, syndicat parfait, où
tous les membres unissent leurs efforts et consacrent
leur temps au même but. Aux jeunes gens qu'il réunit
d'abord au presbytère de Colroy, ensuite au couvent de
Vézelise, il inculqua le goût du travail manuel, en même
temps que celui de l'étude. Ce couvent de capucins, dé-
labré comme tout bâtiment abandonné, il le restaure
avec les Frères de sa petite communauté naissante; avec
eux, il manie la pelle, le marteau, la truelle, transporte
les pierres et applique le mortier. Avec eux, il cultive le
jardin, après en avoir relevé les clôtures, avec eux, il
fabrique tout un mobilier scolaire. Les trois filles qu'il
avait amenées de Ranrupt, s'appliquent avec la même
ardeur aux travaux intérieurs. D'après la règle tracée par
lui, la journée était partagée entre les exercices religieux,
intellectuels et manuels. Aussitôt après la sainte Messe,
les Frères se rendaient dans les ateliers où ils appre-
naient différents métiers ceux de tailleur, de cordonnier,
de menuisier, de tisserand, de relieur, de tourneur, de
rempailleur. Dom Fréchard travaillait au milieu d'eux,
et, dans sa vieillesse, il aimait encore à montrer des
chaises et des brouettes de sa fabrication. Il employait
encore ses novices a la culture des champs, a la rentrée
des récoltes, aux soins du bétail, afin de pouvoir donner
plus tard aux enfants l'exemple des travaux de la cam-
pagne. Cet enseignement pratique valait mieux qu'un en-
seignement purement théorique. Il leur recommandait en
outre, quand ils partaient pour occuper un poste d'insti-
tuteur, de ne jamais rester désœuvrés, mais de rassem-
bler chez eux, pendant les longues soirées d'hiver, les
garçons de l'endroit. C'était en germe les cours d'adultes.
LA LÉGENDE D'OBEBLIN.

Plus tard sa congrégation fonda, à Nancy même, une


Ecole professionnelle qui jouit d'une grande réputation.
Depuis, l'Etat français, devenu persécuteur, expulsa les
Frères et confisqua leurs biens, malgré l'autorisation qu'il
leur avait accordée jadis.
Un autre curé des Vosges et du XVIIIe siècle a de-
vancé le pasteur Oberlin dans ses institutions agricoles
et sociales. C'est le P. Duquesnoy, curé de Vouxey et
Dolaincourt.2 Né en 1712, décédé en 1789, il est bien
oublié aujourd'hui, et pourtant il est le promoteur des
comices et expositions agricoles et industrielles, disait
M. Chevreux, inspecteur des Archives nationales, en 1904,
au Comice agricole de Coussey. Installé en 1 770 dans sa
cure, il s'intéresse aussitôt à l'amélioration du sort de
ses pauvres paroissiens, « peinant dur pour arracher à un
sol ingrat le pain de chaque jour. » II les stimule par des
récompenses. Ces prix consistaient en une médaille por-
tant l'inscription De benedictionibus melet, autour d'une
charrue et sur le revers Prix d'agriculture à Vouxey, le
26 septembre 1773. Ils étaient décernés aux meilleurs
travaux agricoles, en présence des seigneurs et des gens
de justice et d'une foule de campagnards. Les petits pâ-
turaux n'étaient pas oubliés un écu et un bouquet
étaient attribués à ceux qui avaient le mieux gardé le
bétail confié à leurs soins. Quelque temps après, était
célébrée une messe solennelle d'actions de gràces, pour
remercier la Providence d'avoir béni le travail des habi-
tants. Peu à peu le cadre s'élargit; d'agricoles ces comices
deviennent industriels, puis par la force des choses, ils
se doublent d'une exposition publique qui n'était pas sa
moindre attraction. On voyait affluer du monde d'Epinal,
de Nancy, de Metz. Parmi les personnages marquants, il
y a lieu de mentionner spécialement François de Neuf-
château qui, devenu ministre sous la Révolution, organisa

P. Marton, Notice biographique sur Dom Fréchard, 93–94.


V. l'article de M. l'abbé Pierfitte, curé de Portieux, paru en
1909 dans la Revue Le pays lorrain et le pays messin.
LA LÉGENDE Il'OBBRLIN.

à Paris, en 1798» la première Exposition; mais dans son


discours d'ouverture, il ne nomma pas même le curé de
Vouxey. De tous ces travaux, celui-ci ne recueillit que
de l'ingratitude et jamais aucune subvention du Pouvoir;
tandis que toutes les faveurs officielles pleuvront sur la
tête du grand humanitaire Oberlin.'
Quoique le bien matériel ne soit pas le but essentiel
du clergé, et que le ministère paroissial absorbe la ma-
jeure partie de son temps, que de curés ont bien mérité
de la société en se dévouant à sa prospérité. Leurs noms,
toutefois demeureront ignorés comme ceux de ces hardis
constructeurs de nos superbes cathédrales.
II a certes bien travaillé pour le peuple des cam-
pagnes ce curé alsacien, Jean Muller, syndic de la Fédé-
ration des Caisses de prêt et d'épargne, selon le système
Raiffeisen. Membre du Conseil d'administration de la
Caisse centrale à Neuwied, il se fit l'apôtre de cette
Œuvre en Alsace, apprit aux paysans à s'organiser pour
enrayer l'usure, et multiplia, par une active propagande,
les Caisses rurales qui ont déjà rendu de très grands
services.
Ce que ce curé à fait pour le paysan, un autre (en-
core vivant et que nous ne nommerons pas de peur de
blesser sa modestie) l'a fait pour l'ouvrier des villes. Avec
la seule aide de ses paroissiens, ce curé d'une grande
ville manufacturière d'Alsace a acheté ou bâti 54o mai-
sons, avec i5oo logements pour plus de 7000 personnes,
et dépensé cinq millions de marks en dix années. Il a,
par le moyen de caisses spéciales, assuré un foyer, le
pain qui nourrit, le vin qui réjouit, une certaine aisance
enfin à beaucoup de pauvres gens. Quoique ces curés
aient accompli des œuvres éminemment philanthropiques
et sur une grande échelle, le monde ne leur a décerné
nul prix, nulle distinction, nulle mention honorable.
A plus forte raison, ignore-t-il d'humbles curés qui,

• L'abbé Grégoire fait une courte mention du curé de


Vouxey
dans son Voyage des Vosges.
LA LÉGENDE D'OBEBLIN.

comme M. Leroy1 et M. Lamy, 2 «l'ami de Dieu et des


hommes», ont édifié des écoles et des églises, au piix
de mille peines, sans aucun subside de l'Etat ni des
communes. Les bienfaits qu'ils ont prodigués autour d'eux
sont oubliés ils ne les enregistraient d'ailleurs pas jour
par jour, ainsi que le faisait le pasteur de Waldbach, J
dont les moindres actes ont été ainsi sauvés de l'oubli.
Celui-ci n'a pas non plus rencontré la même indifférence
ou réserve qu'eux auprès des pouvoirs publics. Loin de
le reléguer dans son temple comme un clérical, les admi-
nistrateurs civils le consultaient sur les affaires du Ban-
de-la-Roche .4 « Il est rare, observe Ed. Parisot, a ce
propos, de voir un homme recevoir les suffrages unanimes
de ses contemporains. Et souvent ces hommages de res-
pect sont accompagnés de secours pécuniaires, et c'est ce
qu'il appréciait le plus. »

XV.

Apothéose d'Oberlin.

Ce qui a beaucoup contribué au succès et à la gloiie


de papa 5 Oberlin, ce fut l'amitié et la protection de hauts
personnages avec lesquels il correspondait ou était en
relations intimes. Chose rare, il sut par son caractère se
concilier tous les esprits et conquérir des amis dans tous
les camps. 11 était lié d'amitié avec le baron de Dietrich,

Curé de Colroy-la-Roche de 1831-1862. Il construisit les


églises de Saint-Blaise-la-Roche et de Blancherupt.
Curé de Rothau de 1837 à 187G. C'est à lui que Rothau est
redevable de son élégante église et de son école catholique des filles
et des petits enfants. V. les archives paroissiales.
3 II a commencé ce journal en 1770. Il reste encore de lui une
autobiographie, datée de 1784.
Ed. P. 264.
5 C'est ainsi
qu'il est surnommé au Ban-de-la-Roche.
1 Ils allaient visiter le
Sage du Ban-de-la-Roche, dit Michaud
dans sa Biographie universelle, ancienne et moderne, ait.Oberlin J.-Fr.
LA LÉGENDE D'OBERLIN

qui lui prêtait son généreux concours; avec l'abbé Gré-


goire et Merlin, députés sous la Convention; avec Lau-
mond et Lezay-Marnésia1 préfets du Bas-Rhin sous le
Consulat et l'Empire; avec le fabuliste colmarien Pfeffel,
le conseiller aulique de Bade, Jung Stilling, le physiogno-
miste et pasteur suisse Lavater, les professeurs Koch et
Blessig, le naturaliste Hermann, le libraire parisien
Treuttel, l'helléniste Jean Schweighxuser et son fils l'an-
tiquaire il l'était aussi avec les Turckheim,' les Land-
3
sperg, les Franck, les frères Stœber, Caspar Wegelin
qui contribua beaucoup à sa renommée avec Mme de
Krudener, Mme la baronne d'Oberkircb,4 M1Ie Octavie de
Berckheim, etc., etc. Les envieux lui ont reproché de
rechercher et de cultiver l'amitié des grands mais ils
oublient que ce sont ses paroissiens qui en ont bénéficié.
Ainsi, c'est grâce à Francois de Berckheim, conseiller du
Czar, qu'Oberlin reçut au nom d'Alexandre Ier, en 1814,
lors de l'invasion des Alliés, un sauf-conduit du général
en chef russe, ordonnant que la maison du pasteur Oberlin
fùt protégée et que ses paroissiens ne fussent nullement
molestés. C'est aussi à l'amitié de Lezay-Marnésia pour
Oberlin qu'ils durent l'intervention du préfet dans un
procès pendant depuis un siècle entre les seigneurs et
propriétaires des forêts du Ban-de-la-Roche et ses habi-
tants, et qui se termina alors par un arrangement à
l'amiable.

1 V.
Spach, L. Adrien Lezay-Marnésia. Notice biog. (Strasb.
1854, in-18).
» E. St.
487.
3 J. Elsassische
Rathgeber, Geschichtsbilder aus der franz. Rev.
Ch. XII.
4 V. Mémoires de la baronne
d'Oberkirch, publiés par le comte
de Montbrison (2 vol. Paris i85o).
Son frère, Fréd. Sigismond, baron de Berckheim, devint lieu-
tenant-général des armées du roi de France. Né à Ribeauvillé en
1775, décédé à Pans en 1819. Son autre frère, François de Berck-
heim, épousa Juliette de Krudener, fille de la fameuse baronne de
Krudener.
LA LÉGENDE DOBERLIN.

D'ailleurs c'est aux petits qu'il a consacré son temps,


sa vie. Exalté par ses illustres amis et surtout par son
paroissien, Daniel Legrand, il atteignit déjà de son vivant
un haut degré de gloire mais quand il fut mort, ce fut
un concert de louanges, une unanimité de suffrages en
France, en Allemagne, en Angleterre et jusqu'aux Etats-
Unis. Ce fut le ter juin 1826, à 6 heures du matin, qu'il
expira après de violentes convulsions. Il avait déjà, depuis
l'affaiblissement de ses forces, cessé toutes fonctions et
résigné sa charge à son gendre. Ses funérailles furent
une imposante manifestation.' On vit le monde y accou-
rir de près et de loin protestants et catholiques confon-
dus, et même deux curés du voisinage. Ehrenfried Stœber
prononça devant la tombe quelques strophes de sa com-
position. Peu de jours après, Rouland, capitaine d'artil-
lui dédia aussi une 2
lerie, élégie.

(A suivre.)

1 V. Rieder, Relation des funérailles de J.-F. Oberhn.


pasteur.
avec les discours, etc. (Strasb. 1816).
s E. St. 58o et 589.
LETTRE ENCYCLIQUE
DE NOTRE

TRÈS SAINT PÈRE LE PAPE PIE X.


etfin.)
(Suite

Les écoles chrétiennes.

Que les pères de famille et les maîtres se souviennent donc


avec quelle ferveur le saint évêque leur inculquait, non seulement
de donner à leur fils, à leurs serviteurs, la faculté d'apprendre la
doctrine chretienne, mais de leur en imposer l'obligation. Que les
clercs se souviennent de l'aide qu'en cet enseignement ils doivent à
leur curé, que ceux-ci fassent en sorte que ces écoles se multiplient
d'après le nombre et les besoins des fideles, et qu'elles soient re-
commandables par la probité des maîtres.
La nécessité de ces institutions est devenue plus grande soit
par l'evolution des moeurs, soit spécialement par ces écoles publiques,
vides de toute religion, où on se fait comme un plaisir de tourner
en derision les choses les plus saintes et où les lèvres des maîtres
et les oreilles des disciples sont également ouvertes au blasphème.
Nous parlons de cette école qui se dit à tort neutre ou laique, car
elle n'est pas autre chose que la tyrannie toute puissante d'une secte
ténébreuse. Ce nouveau joug d'hypocrite liberté, vous l'avez dénonce,
V. F., surtout en ces pays où les droits de la religion et de la fa-
mille ont eté plus effrontément foulés aux pieds, et où la voix de
la nature elle-même a été étouffée, qui veut que l'on respecte la foi
et l'innocence de l'enfance.
Pour remédier autant que Nous le pouvions à un si grand mal
causé par ceux-là mêmes qui, tout en exigeant l'obéissance des
autres, la refusent au Père suprême de toutes choses, Nous avons
Revue. Juillet 1910. 27
LETTRE ENCYCMQUK

recommande que les ecoles religieuses fussent établies paitout. ht


quoique cette œuvre, grâce à vos efforts, ait fait jusqu'à present
d'assez heureux progrès, cependant il est désirable qu'elles se pro-
pagent toujours plus largement, que partout ces ecoles s'ouvrent
nombreuses avec des maîtres recommandables par le mente de leur
doctrine et l'intégrité de leur vie.

La prédication.

Avec ce très utile enseignement des premiers éléments, se


trouve etroitement uni l'office de l'orateur sacré, qui à plus forte
raison doit posseder ces qualites. Aussi les efforts et les conseils de
Charles dans les Synodes provinciaux et diocésains tendaient avec
un soin tout special à former des prédicateurs qui pussent s'employer
saintement et avec fruit au ^ministère de la parole". Cela est indis-
pensable plus que jamais a notre epoque, ou la foi \acille en tant
de cœurs, et où ceux-la ne manquent pas, qui, par désir de vainc
gloire, favorisent la mode, .adultèrent la parole de Dieu", et sous-
trayent aux âmes la nourriture de vie
C'est pourquoi, V. F., nous devons veiller avec le plus grand
soin à ce que notre troupeau ne soit pas nourri de vent, par des
hommes vains et frivoles, mais reçoive un aliment vital selon les
maximes suivantes Nous faisons la fonction d'ambassadeurs au
nom du Christ, comme si Dieu même vous exhortait par notre
bouche réconciliez-vous avec Dieu ministres et de envoyes ne mar-
chant point dans l'artifice, et n'alterant point la parole de Dieu,
mais tous se recommandant par la manifestation de la verite, à toute
conscience d'homme devant Dieu d'ouvriers qui n'ont point à rou-
avec droiture la parole de la verite." Non moins
gir, dispensant
utiles pour nous seront ces règles si saintes et si fructueuses, que
l'évêque de Milan avait coutume de recommander aux fidèles et qui
se résument dans ces paroles de S. Paul Ayant reçu de nous la
parole de Dieu, vous l'avez reçue non comme la parole des hommes,
mais (ainsi qu'elle est véritablement) comme la parole de Dieu, qui
opere en vous, qui avez embrasse la foi
Ainsi, la ,parole de Dieu, vive, efficace, plus penetrante que
tout glaive", concourra non seulement à conserver et à défendre la
foi, mais aussi a donner une impulsion efficace aux bonnes œuvres
en effet, la foi sans les œuvres est une foi morte, et ceux-là ne
seront pas justifiés devant Dieu qui écoutent la loi, mais ceux qui
mettent la loi en pratique."
Et voilà par où l'on voit l'immense différence entre la vraie et
la fausse réforme. Ceux qui defendent la fausse, imitant l'incons-
tance des insensés, ont coutume de courir aux extrêmes ou bien
ils exaltent la foi jusqu'a exclure la nécessite des bonnes oeuvres,
ou bien ils placent dans la seule nature toute l'excellence des vertus,
DE NOTRE TBÈS SAINT 1>ÈKE LE PAPE PIE X.

sans l'appui de la foi et de la grâce divine. Il s'ensuit que les


actes provenant de la seule honnêteté naturelle ne sont que des si-
mulacres de vertu, ni durables en soi, ni suffisants au salut. L'oeuvre
des réformateurs de ce genre n'est donc pas capable de restaurer la
discipline, mais elle est funeste a la foi et aux mœurs.

La Réforme morale.

Au contraire, ceux qui, à l'exemple de S. Charles, cherchent


sincèrement et sans detours la vraie et salutaire reforme, évitent
les extrêmes, ne dépassent jamais les limites hors desquelles ne peut
subsister aucune reforme. Ceux-là sont unis très fermement a l'Eglise
et à son Chef, le Christ, et non seulement ils tirent de la une force
de vie intérieure, mais ils reçoivent aussi la règle de l'action exte-
rieure, pour se preparer avec sécurite à l'oeuvre de guérison de la
sociéte humaine. Le propre de cette divine mission, transmise per-
petuellement à ceux qui sont les envoyes du Christ, est ,d'enseigner
à toutes les nations", non seulement ce qu'il faut croire, mais ce
qu'il faut faire, c'est-a-dire, comme l'a dit le Christ lui-même
"observer toutes ces choses que je vous ai commandées". Il est en
fait ,1a voie, la venté et la vie", et il est venu, afin que les hommes
Baient la vie et qu'ils l'aient avec surabondance*. Mais l'accomplis-
sement de tous ces devoirs avec le seul guide de la nature est au-
dessus de ce que peuvent par elles-mêmes les forces de l'homme
c'est pourquoi l'Eglise possède, avec son magistere, le pouvoir de
gouverner la société chrétienne et celui de la sanctifier en même
temps par l'entremise de ceux qui sont ses ministres et ses collabo-
rateurs, elle leur communique les moyens nécessaires pour arriver
au salut.
C'est ce que comprennent bien les vrais reformateurs ils
n'étouffent pas les bourgeons pour sauver la racine, c'est-à-dire ils
ne separent pas la foi de la sainteté de la vie, mais alimentent et
rechauffent l'une et l'autre au souffle de la charité, laquelle est nle
lien de la perfection". Ainsi, obeissant à l'apôtre, ,ils gardent le
depôt", non certes pour l'empêcher de se manifester et en soustraire
la lumière aux nations, mais pour répandre, au contraire, par un
canal plus large, les flots salutaires de vérite et de vie qui en dé-
coulent en abondance. Ils joignent la theorie à la pratique, se ser-
vant de celle-ci pour prévenir tous ,les assauts de l'erreur", et de
celle-là pour appliquer les préceptes à la morale et à la direction de
la vie. Ils procurent aussi tous les moyens opportuns ou necessaires
à leur foi, soit pour l'extirpation du péché, soit pour la perfection
des saints, pour l'oeuvre du ministère, l'édification du corps du
Christ."
Tel est le but des statuts, des canons, des lois des Pères et
des Conciles le but de tous les moyens d'enseignement, de gou-
LETTRE ENCYCLIQUE

vernement, de sanctification, de bienfaisance le but de la discipline


et de l'activité entière de l'Église. Le vrai fils de l'Eglise dirige
toujours son regard et sa pensee vers ces maîtres de la foi et de la
vertu en même temps qu'il se propose de se reformer soi-même et
de réformer les autres. C'est sur ces maîtres que s'appuie S. Charles
dans sa réforme de la discipline ecclésiastique, et il les rappelle
souvent quand Il écrit ,Pour nous, suivant l'antique coutume et
l'autorité des Pères et des Conciles. principalement du Concile de
Trente, nous avons établi dans nos precedents Conciles provinciaux
de nombreuses dispositions relatives à ces points." Paieillement, en
réprimant les scandales publics, il se dit guidé ,et par le droit et
par les sanctions des canons, surtout du Concile de Trente."
Pour ne jamais se departir de cette règle, il conclut ordinaire-
ment ainsi les statuts de ses Synodes provinciaux "Toutes et cha-
cune des choses qui ont eté decrétees et faites par nous dans ce
Synode provincial, nous les soumettons toujours, pour qu'elles soient
amendées et corrigées, a l'autorité et au jugement de la S. Eglise
romaine, mère et maîtresse de toutes les Eglises." Et cette résolu-
tion il la montra toujours d'autant plus ferme qu'il avançait à grands
pas dans la perfection de la vie active, non seulement tant que le
Pape son oncle occupait la Chaire de Pierre, mais aussi sous ses
successeurs Pie V et Grégoire XIII il concourut puissamment a
leur elecnon, et leur fournit dans leurs glandes entreprises un appui
solide, répondant entièrement à leur attente.
Mais Il les aida surtout en realisant les moyens pratiques qu'ils
s'etaient proposés pour atteindre son but, c'est-à-dire la vraie ré-
forme de la discipline sacree. Dans cette entreprise, il se montra
plus que jamais éloigné des faux réformateurs qui masquent sous
l'apparence du zele leur desobeissance obstinee. Ainsi, commençant
le ^jugement de la maison de Dieu", il appliqua surtout à reformer
par des lois fixes ia discipline du cierge dans ce but, Il institua
des séminaires pour les aspirants au sacerdoce, il fonda des Con-
grégations de prêtres, du nom d'Oblats; il appela des familles reli-
gieuses anciennes et récentes il réunit des Conciles et, par toutes
sortes d'entreprises, fortifia et accrut l'oeuvre commencée. Puis, sans
retard, il prit aussi vigoureusement en mains la reforme des mœurs
du peuple, considérant comme s'adressant a lui ce qui avait déjà
eté dit au prophète Je t'ai établi aujourd'hui. pour que tu dera-
cines et que tu détruises, pour que tu sépares et que tu dissipes,
pour que tu édifies et que tu plantes". En bon pasteur, il visita per-
sonnellement les églises de la province, non sans de grandes fatigues,
et, semblable en cela au divin Maître, il passa en faisant le bien
et en guérissant" les blessures du troupeau il employa tous ses
efforts à supprimer et a deiaciner les abus qui se rencontraient de
tous côtés, et provenant soit de l'ignorance, soit de la négligence
des lois à la perversion des idées et à la corruption débordante
DE NOTRE TRÈS SAINT PÈRE LU PAPE PIE X.

des moeurs, Il opposa, comme une digue, les écoles et les collèges,
qu'il ouvrit pour l'éducation des enfants et des jeunes gens. Congré-
gations d'Enfants de Marie, qu'il fit prospérer, après les avoir vues
a Rome dans leur première floraison hospices de jeunes orphelins,
refuges pour les gens en péril, les veuves, les mendiants, ou ceux,
hommes et femmes, que la maladie ou la vieillesse rendaient impo-
tents il défendit aussi les pauvres contre la puissance des patrons,
contre les usuriers, contre la traite des enfants, et fonda des insti-
tutions analogues en grand nombre. Mais il le fit en repoussant
totalement la méthode de ceux qui, pour renouveler à leur sens la
vie chrétienne, mettent tout à l'envers et dans l'agitation, avec un
vain fracas, oublieux de la parole divine ,Le Seigneur n'est pas
dans l'agitation."
Et voici précisément un nouveau signe qui permet de distin-
guer les vrais réformateurs des faux, comme plusieurs fois vous avez
pu, V. F., en faire l'expérience. Les faux reformateurs cherchent
Bleurs propres intérêts, non ceux de Jésus-Christ" ils prêtent
l'oreille aux conseils pernicieux adresses naguère au divin Maître
BVa, et montre-toi au monde" ils répètent eux-mêmes les paroles
ambitieuses nFaisons-nous aussi un nom". Par suite de cette té-
mérité, comme nous le deplorons, hélas même de nos jours, ,des
prêtres sont tombés au cours du combat, parce qu'ils pretendaient
faire de grandes choses et qu'ils se jetaient sans prudence dans la
mêlée.
Au contraire, le réformateur sincère ne ncherche pas sa gloire,
mais la gloire de Celui qui l'a envoye", et comme le Christ, son
modèle, Bil ne disputera ni ne criera personne n'entendra sa voix
sur les places publiques, il ne sera ni trouble ni inquiet" mais il
sera doux et humble de cœur". C'est pourquoi il plaira au Seigneur
et recueillera en abondance des fruits de salut.
Il y a encore un autre signe distinctif qui les diffaencie l'un
de l'autre tandis que le premier appuyé seulement sur les forces
humaines, nse fie à l'homme et etablit sa force sur la chair", l'autre
place en Dieu toute son espérance; c'est de Lui et des moyens sur-
naturels qu'il attend toute force de vertu, s'écriant avec l'Apôtre
,Je puis tout en Celui qui me reconforte."
Ces moyens que le Christ nous a communiqués abondamment,
le fidèle les cherche dans l'Eglise pour le salut commun au pre-
mier rang, il place la prière, le sacrifice, les sacrements, qui de-
viennent comme une ,source d'eau qui jaillit à la vie éternelle".
Mais ceux-là supportent mal tous ces moyens, qui par des chemins
de traverse, et oublieux de Dieu, s'emploient à l'oeuvre de la ré-
forme et ne cessent jamais de troubler les sources pures, sinon pour
les dessecher totalement, du moins pour en tenir eloigné le trou-
peau de Jésus-Christ. En cela, leurs imitateurs modernes font pire,
lorsque, sous le masque d'une plus haute religiosité, ils n'ont aucune
IiK'ITBB ESCYCLIQUE

le discrédit sur
considération pour ces moyens de salut et jettent
eux, particulièrement sur deux sacrements celui par lequel les
péchés sont pardonnés et celui qui fortifie les âmes par une nourri-
ture céleste. Aussi chaque fidèle fera-t-il de son mieux pour que des
bienfaits d'un si haut prix soient tenus en très grand honneur, et il
ne souffrira pas que l'affection des hommes se montre languissante
vis-à-vis de ces deux œuvres de la charité divine.
C'est à cela que s'employa S. Charles qui a écrit entre autres
qui est d'autant et
choses: Le fruit des sacrements plus grand
d'autant plus abondant que l'on peut s'en expliquer plus facilement
la valeur; aussi doivent-ils être considérés et reçus avec d'autant
exté-
plus de soin et une plus intime pieté de l'âme, avec un culte
rieur et une plus grande vénération."
De même, des recommandations dignes d'être signalées sont
celles par lesquelles il exhorte les curés et les autres prédicateurs
sacrés à rappeler à la pratique ancienne la fréquence de la sainte
communion, ce que Nous-mêmes avons fait par le décret Trlden-
tina Synodus"
"Les curés et les prédicateurs, dit le saint evêque, devront ex-
horter le peuple aussi souvent que possible, à la pratique salutaire
de la réception frequente de la sainte Eucharistie, s'appuyant sur
les institutions et les exemples de l'Eglise naissante, sur les recom-
mandations des Pères les plus autorisés, sur la doctrine du cate-
chisme romain, plus largement etendue sur ce point, et enfin sur
l'avis du Concile de Trente qui voudrait qu'à chaque messe les
fidèles communient à la fois spirituellement et sacramentellement".
Il indique ensuite en ces termes, avec quelle intention et avec quelle
affection l'on doit fréquenter ce banquet sacré. BLe peuple devrait
non seulement être dirige avec insistance vers la pratique de la ré-
ception fréquente du Saint Sacrement, mais aussi être averti de
l'étendue du danger funeste que l'on court en s'approchant indigne-
ment de la table sainte de cet aliment divin." Un pareil soin semble
surtout nécessaire à notre époque de foi vacillante et de charité
languissante, afin que la frequence n'arrive pas à diminuer le res-
pect dû à un si grand mystère, mais a pousser l'homme à s'éprouver
lui-même et qu'il mange ainsi de ce pain et boive de ce calice.
De ces sources jaillira un afflux abondant de grâces, où les
moyens naturels eux-mêmes s'alimenteront et puiseront leur vigueur.
L'action du chretien ne méprisera certes pas les choses utiles et
agréables à la vie elles viennent, elles aussi, du même Dieu qui
est auteur de la grâce et de la nature. Mais en recherchant les choses
exterieures et les biens du corps, il évitera avec grand soin d'ou-
blier la fin et, à vrai dire, le bonheur de toute la vie. Aussi bien
celui qui veut user de ces moyens avec rectitude et tempérance les
subordonnera au salut des âmes, en obéissant à la parole du Christ:
DE NOTRE TEÉS SAINT VÈEE LE l'APE PIE X.

"Cherchez d'abord le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces


choses vous seront donnees par surcroît."
Un tel usage, ordonné et sage. des moyens surnaturels, non
seulement ne s'opposera jamais au bien d'un ordre inférieur, c'est-
à-dire à celui de la société civile, mais encore il saura en promou-
voir largement les intérêts, et cela non pas avec une vaine jactance
de mots, selon l'usage des réformateurs factieux, mais par des actes,
par un maximum d'efforts jusqu'au sacrifice de ses biens, de ses
forces et de sa vie.
Beaucoup d'évêques nous donnent l'exemple de cette género-
sité. Dans des temps si tristes pour l'Eglise, ils imitent le zèle de
S. Charles et vérifient les paroles du divin Maître: Le bon Pasteur
donne sa vie pour ses brebis". Ce n'est pas le désir de la gloire, ce
n'est pas non plus l'aiguillon d'aucun intérêt privé qui les portent
a se sacrifier pour le salut commun: c'est cette chanté qui jamais
ne défaille.
Charles était animé de cette flamme qui echappe aux yeux pro-
fanes quand, après s'être exposé à la mort en assistant les pestiférés,
il ne se contentait pas d'avoir subvenu aux maux présents, mais
montrait encore sa sollicitude pour ceux de l'avenir.
"Il est absolument conforme à la raison que nous imitions un
bon père, qui aime ses fils d'un amour unique et pourvoit à leurs
besoins présents et futurs, en preparant pour eux les choses
nécessaires à la vie. De même l'amour paternel doit nous entraîner
à pourvoir avec le plus grand soin aux nécessites des fidèles de
notre province et à leur preparer pour l'avenir les secours que
notre experience, au temps de la peste, nous a fait reconnaître
comme salutaires."
Les mêmes desseins, les mêmes résolutions d'affectueuse pre-
voyance, V. F, trouvent une application pratique dans cette action
catholique que Nous vous avons souvent recommandée.

L'apostolat des laïques


Une partie de ce noble apostolat, qui embrasse toutes les
œuvres de miséricorde, dont le bonheur éternel sera la récompense,
s'offre a l'élite des laïques. Mais ces hommes de choix, en acceptant
ce fardeau, doivent être prêts et formes à se sacrifier entièrement
pour la bonne cause, eux-mêmes et tout ce qui leur appartient, à
supporter l'envie, la contradiction et même l'aversion de beaucoup
qui repondent aux bienfaits par l'ingratitude, à lutter comme de bons
soldats du Christ, à courir par la voie de la patience au combat
qui nous est propice, les veux fixes sur Jésus, l'auteur et le remu-
netateur de la foi. Lutte bien dure, ceites, mais très efficace au bien
même de la société civile quand même la pleine victoire en serait
encore lointaine.
LETTRE ENCYCLIQUE

Sur ce dernier point nous trouvons aussi en S. Charles d'admi-


rables exemples et y prendre, chacun selon notre condition, de quoi
admirer et de quoi nous encourager. En effet, bien que sa vertu
singulière, son activité merveilleuse, son admirable charité l'aient
rendu si remarquable, il ne put echapper cependant à cette loi
,Tous ceux qui veulent vivre pleinement dans le Christ Jésus souf-
friront persécution".

Patience et force dans la lutte.

Par cela même qu'il suivait un genre de vie plus austère, qu'il
soutenait toujours la droiture et l'honnêteté, qu'il se dressait comme
le vengeur incorruptible des lois et de la justice, il s'attira l'aver-
sion des puissants, il encourut ensuite la défiance des nobles, du
clergé, du peuple et enfin il fut en butte à la haine mortelle des
méchants qui en voulurent à sa vie. Mais à tous, il sut résister avec
une âme invincible bien que douce et suave.
Non seulement il ne céda jamais à une chose qui aurait éte
funeste à la foi ou aux mœurs, mais il n'accepta pas davantage les
prétentions contraires a la discipline et onéreuses pour le peuple
fidèle, même quand elles venaient d'un monarque très puissant et
d'ailleurs catholique. Il se rappelait la parole du Christ .Rendez à
Cesar ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu", et celle des
apôtres ,,11 vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes". Ce faisant,
il merita bien non seulement de la religion, mais encore de la so-
ciété civile qui, portant la peine de sa fausse prudence et pour ainsi
dire submergee par les tempêtes et les séditions qu'elle avait elle-
même excitées courait à une perte certaine.
La même louange, la même gratitude seront dues aux catho-
liques de notre temps et à leurs vaillants chefs, les évèques. Ni les
uns ni les autres, en effet, ne manquent jamais en aucune façon aux
devoirs spéciaux des citoyens, soit qu'il s'agisse de garder la fidélité
et le respect aux gouvernants même hostiles quand ils commandes
des choses justes, soit qu'il faille désobéir à leurs ordres quand ils
sont iniques. Ils se preserveront egaiement de la revolte effrontée
de ceux qui courent aux séditions et aux tumultes et de la servile
abjection de ceux qui accueillent comme des lois sacro-saintes les
règlements manifestement impies des hommes pervers auxquels le
nom de liberté sert de prétexte pour bouleverser tout et imposei
la tyrannie la plus dure.

Conjuration contre l'Eglise.


Voilà ce qui arrive à la face du monde et à la pleine lumière
de la civilisation moderne, dans telle nation spécialement, où le
pouvoir des tenèbres semble avoir établi son siège principal. Sous
DE NOTRE TRÈS SAINT PBBE LE PAPE PIE X.

cette tyrannique domination sont misérablement foulés aux pieds


tous les droits des fils de l'Eglise. Tout sentiment de générosité, de
delicatesse et de foi est éteint dans l'âme des gouvernants. Et c'était
par ces vertus que leurs pères se firent si longtemps remarquer et
portèrent si splendidement le titre de chretiens.
Tant il est évident qu'une fois la haine de Dieu et de l'Eglise
triomphante, on recule en toute chose et on court précipitamment
vers la barbarie de la liberté payenne ou plutôt vers le joug très
cruel dont la Société fondée par le Christ et l'éducation qu'elle
avait introduite avaient seules pu nous délivrer.
Ou encore, comme disait S. Charles, tant c'est une chose cer-
taine et reconnue que nul autre faute n'offense Dieu plus grave-
ment et ne lui jette une plus grande insulte que le crime d'hérésie.
Et d'autre part, rien ne peut comme cette horrible peste causer la
ruine des provinces et des royaumes.
Et Il faut regarder comme plus funeste encore la conjuration
actuelle qui cherche à arracher les nations chrétiennes du sein de
l'Eglise. Nos ennemis, en effet, quoique très opposés de pensée et
de volonté (ce qui est la marque certaine de l'erreur), ne s'accordent
qu'en un seul point dans l'assaut qu'ils donnent obstinément à la
vérité et à la justice. Et comme l'une et l'autre sont gardées et ven-
gées par l'Eglise, c'est l'Eglise seule qu'ils assaillent en files serrées.
Quoiqu'ils aillent affirmant leur impartialite, et se vantent de
promouvoir la cause de la paix, ils ne font, en vérite, avec leurs s
paroles doucereuses et leurs projets plus francs, que tendre des em-
bûches pour ajouter la raillerie au dommage qu'ils causent, et la
trahison à la violence.
Le christianisme est donc attaqué maintenant avec une nou-
velle tactique. Une guerre lut est faite, de beaucoup plus dangereuse
que les batailles d'autrefois, dans lesquelles Charles Borromee acquit
tant de gloire.
Nous suivrons tous son exemple et ses leçons. Nous nous exci-
terons à combattre vaillamment pour les plus grands intérêts, d'où
dépend le salut des individus et de la société, pour la foi et la re-
ligion, pour l'inviolabilité du droit public.
Nous combattrons, contraints sans doute par une amère néces-
sité, mais aussi reconfortes par une suave espérance en la toute-
puissance de Dieu, qui donnera la victoire à ceux qui combattent
dans une si glorieuse bataille.
Cette esperance est fortifiee par la puissance toujours efficace
jusqu'à nos jours de l'oeuvre de saint Charles, soit pour briser l'or-
gueil des esprits, soit pour affermir les âmes dans le dessein beni
de tout restaurer dans le Christ.
Et maintenant, Vénérables Frères, Nous pouvons conclure par
les paroles mêmes par lesquelles Notre prédécesseui Paul V, dont
LETTRE ENCYCLIQUE

le nom a été plusieurs fois rappelé, terminait la lettre qui décrétait


pour Charles les honneurs suprêmes
nll est donc juste que Nous rendions gloire, honneur et béné-
diction à Celui qui vit dans les siècles des siècles. Puisse-t-il com-
bler notre frère de toutes ses bénédictions spirituelles, afin qu'il soit
saint et immaculé devant lui. Le Seigneur nous l'avait donné comme
une étoile brillante dans cette nuit de péchés, au milieu de nos tri-
bulations. Ayons donc recours à la clémence divine. Supplions-la,
par nos prières et par nos œuvres, de permettre que Charles aide
par ses mérites et par son exemple cette Eglise qu'il a si ardemment
aimée, qu'il l'assiste par son patronage et qu'il nous obtienne en ce
U
temps de colère la réconciliation par le Christ Notre-Seigneur.
Puisse la bénédiction apostolique que Nous vous accordons
avec une vive affection à vous, V. F., à votre clergé et à votre
peuple, ajouter à ces vœux et sceller nos communes espérances.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 26e jour de mai 1910,
septième année de Notre Pontificat.
PIE X, Pape.

Nous ajoutons le texte de la note prussienne adressée


le 8 juin au Cardinal Secrétaire d'Etat.
Il a été publie dans le numéro 9 des Acta apostolicce sedis, à
la date du 26 mai, une encyclique Edita scepe dont le neuvième
alinéa contient des jugements sur les réformateurs et les princes et
peuples qui embrassèrent la Réforme.
Ces jugements ne se bornent pas à relever les divergences dog-
matiques et ecclésiastiques des deux confessions ils s'étendent éga-
lement au domaine moral.
Ces jugements n'ont pas manqué d'éveiller une profonde émo-
tion dans tous les milieux protestants de Prusse, qui se sont trouvés
gravement offenses dans leurs sentiments religieux, moraux et natio-
naux, inséparables de l'histoire de la Réforme.
Le gouvernement royal prussien se voit donc obligé de protester
contre ce manifeste, qui a ete adressé également à l'épiscopat prus-
sien. Il fait remarquer en outre que la responsabilite, quant aux
troubles survenus dans la paix confessionnelle et qui sont une con-
séquence de l'Encyclique, retombe uniquement sur ceux qui en sont
les auteurs.
Voilà ce que le gouvernement prussien, qui entretient auprès
du Saint-Siège une représentation diplomatique dans l'intérêt des
bonnes relations entre l'Etat et l'Eglise, croit pouvoir exprimer avec
d'autant plus de raison, par l'intermédiaire de son représentant, que
de son côte il s'efforce, conformément à son devoir constitutionnel,
de conserver et d'affermir par tous les moyens la paix entre les po-
pulations protestantes et cathohques de l'Etat.
DE NOTRE THES SAINT PÈRE LE l'APE VIE X

Voici la du Cardinal Secrétaire d'Etat du


réponse
13 juin.
Le soussigné, cardinal secrétaire d'Etat, a l'honneur d'accuser
à Son Excellence Monsieur le ministre de Prusse réception de sa
note du 8 juin relative à l'émotion qui s'est manifestée dans la po-
après la publication de l'Encyclique Editce sccpe.
pulation prussienne
Le Saint-Siege croit que l'origine de cette emotion doit être
recherchée dans le fait que le but visé par l'Encyclique n'a pas été
bien compris et que par conséquent certains passages en ont été
interprétés dans le sens tout à fait étranger aux intentions du Saint-
Pere.
C'est pourquoi le soussigné cardinal a à cœur de déclarer que
Sa Sainteté a pris connaissance avec un véritable regret des nou-
velles d'une pareille émotion puisque, ainsi qu'il a été déjà déclaré
ouvertement et formellement, elle n'avait pas dans l'esprit la moindre
intention de blesser les Allemands non catholiques ou leurs princes.
D'ailleurs, le Saint-Père n'a jamais laisse échapper aucune
occasion d'affirmer sa sympathie pour la nation allemande et ses
princes, et tout récemment encore, il a eu la joie de rappeler une
fois de plus ses sentiments a cet egard.
Le soussigné cardinal profite de cette occasion pour renouveler
a Son Excellence l'expression de sa haute considération.

MCRRY DEL VAl.


LE KULTURKAMPF
ALSACIEN -LORRAIN.

(Suite.)

Le conflit entre le gouvernement d'Alsace-Lorraine et


l'épiscopat ne pouvait pas ne pas avoir un écho au Lan-
desausschuss à la discussion générale du budget, qui, à
l'instar du Reichstag, porte fort peu sur les finances et
beaucoup sur tous les sujets possibles. La question reli-
gieuse était dans l'air, elle avait déja joué un rôle dans
les récentes élections aux Conseils généraux, où le parti
gouvernemental avait si ouvertement flirté avec ceux qui
ont adopté la devise le cléricalisme, voilà l'ennemi.
Après avoir déploré ces coquetteries, M. Hauss au
nom du Centre, aborda résolument le cas qui venait de
remplir d'amertume le cœur, non seulement des catho-
liques alsaciens, mais de tous les catholiques allemands.
Les instituteurs, dit-il, qui se sont adjoints à l'A. D.
L. V. peuvent se répartir en trois groupes ceux qui par
là veulent témoigner de leur patriotisme, ceux qui y
voient un moyen pour obtenir une augmentation de trai-
tement, et enfin ceux qui regardent cette association
comme la grande armée mobilisée contre le cléricalisme.
Nous n'avons aucune raison d'attaquer les premiers de
même que chacun fait son salut à sa façon, chacun fait
preuve de patriotisme à sa guise les instituteurs catho-
liques se sont adjoints depuis quatorze ans à une asso-
ciation vieille-allemande, personne n'a songé à leur en
LE KULTURKAMPF ALSACIEN-LORRAIN.

faire un grief. Quant aux seconds, je souhaite de tout


cœur que leur adjonction à cette association leur pro-
cure un gros traitement, à condition que cela se fasse sans
augmenter notre misère financière. Le troisième groupe,
qui se recrute spécialement parmi les plus jeunes, fait de
la propagande pour l'A. D. L. V. afin de se libérer « des
lisières cléricales M, pour se débarrasser «des étreintes
ultramontaines», pour «échapper à la tutelle de l'Eglise»,
pour ne plus être « les esclaves de la prètraille. » On
voudrait croire, pour l'honneur des primaires, que ce
groupe est le moins nombreux, en tout cas il est le plus
bruyant, et ses revendications trouvent une caisse de ré-
sonnance favorable dans la presse démocrate et socialiste.
Ces assertions trouvent leur démenti dans le fait,
qu'en aucun Etat de l'Allemagne l'école n'est aussi libre
de la tutelle de l'Eglise qu'en Alsace-Lorraine le clergé
d'aucune confession n'a aucune autorité à l'école, sauf
une surveillance très limitée sur l'enseignement religieux.
Mais ce sont précisément ces tendances anticléricales qui
ont provoqué, et avec raison, l'intervention des évoques,
et rien ne justifie le blâme que le gouvernement a voulu
leur infliger. Cette association est purement privée, et les
évêques n'avaient pas plus besoin de demander une au-
torisation pour en détourner les instituteurs catholiques,
que ceux-là n'en ont demandé qui les y ont poussés. Le
Statthalter n'est pas compétent pour juger contre un
évèque de l'orthodoxie des tendances d'une association de
l'A. D. L. V. Son opinion sur l'innocuité des doctrines
est du reste contredite par deux journaux protestants.
,,Si les évêques, dit le ,Reichsbote", desapprouvent et décon-
seillent la fusion des instituteurs avec cette association, nous le
comprenons car depuis qu'elle existe, elle est en guerre ouverte avec
l'Eglise evangelique aussi bien qu'avec l'Eglise catholique, et elle
cherche à bannir complètement l'instruction religieuse de l'ecole, ou
au moins à séparer cette instruction de l'Eglise."
,Les évêques, ajoute un instituteur protestant dans la ^Gazette
de la Croix", n'auraient aucune peine a démontrer les tendances
anticatholiques de cette association. Il suffit de feuilleter, même ra-
pidement, la chronique de ses reunions provinciales ou génerales,
pour se procurer là-dessus des matériaux très abondants, qui prou-
LE KULTURKAMPF ALSACIEN-LORRAIN.

veraient que, non seulement le catholicisme, mais aussi le protes-


tantisme positif sont minés par l'action de cette sociéte. Quand il
pleut à verse sur l'Eglise catholique, il pleuvote au moins sur le
temple évangelique. Quoi qu'on puisse penser de certaines incai-
tades individuelles, le malheur est qu'elles sont toutes animées d'un
esprit d'incredulité, qui perce dans toutes les réunions et dans
tous les sujets qui y sont traités, qu'on parle des œuvres post-
scolaires ou de l'instruction religieuse à l'école."
Si telle est l'opinion d'un instituteur protestant,
l'évêque avait non plus seulement le droit, mais le devoir
de donner des avertissements aux instituteurs catholiques,
et les pères de famille lui en auraient voulu s'il ne l'avait
pas accompli. Car il s'agit moins d'enseignement que
d'éducation, et nous ne croyons pas qu'un instituteur, qui
aujourd'hui prend part à un mouvement révolutionnaire
contre Rome puisse le lendemain convaincre les enfants
de l'autorité du pape. Ce ne sont pas les évêques qui ont
fait une tentative de Césaropapisme, c'est le gouverne-
ment, avec sa vaine démonstration, devant laquelle les
évêques ne reculent pas d'un pouce. Si réellement nous
devions avoir en petit une nouvelle édition du Kultur-
kampf, on trouverait derrière les évêques tous les catho-
liques d'Alsace et tous les amis de la liberté religieuse.
Le Secrétaire d'Etat répondit en personne sa pro-
messe de lire un long dossier ne se réalisa pas, il n'en
lut qu'un bordereau, assez instructif cependant. L'on y
apprend que dès le ier octobre 1907, les évêques de Metz
et de Strasbourg s'étaient adressés au gouvernement pour
lui signaler les tendances anticléricales d'un certain
nombre d'instituteurs qu'ils désiraient, pour éviter les
froissements entre instituteurs et curés, de voir régler la
compétence des uns et des autres, afin de faciliter leur
action commune; qu'ils affirmaient ne pas pouvoir rester
indifférents à l'adjonction des instituteurs catholiques au
D. L. V. Se basant sur l'Encyclique Pascendi gregis do-
minici, les évêques déclaraient qu'en principe les institu-
teurs affiliés a une association hostile à l'Eglise ne pou-
vaient remplir aucun emploi dans l'exercice du culte, que
surtout ils ne pourraient plus avoir la mission canonique
LE KUIiTUKKAMPF ALSAUIEN-r^OKKAIN.

pour l'enseignement religieux au demeurant, ils priaient


le gouvernement de déclarer authentiquement que les
membres de l'Association des instituteurs catholiques ne
subiraient aucun dommage de cette affiliation.
Sur ce dernier point, M. de Koller avait répondu que
cette déclaration authentique était inutile, vu que chaque
fonctionnaire est libre de s'affilier à une association non
interdite par les règlements; quant aux relations entre
curés et instituteurs, elles sont réglées par la loi de 1908.
Le gouvernement, dit M. de Bulach, a refusé de donner
un encouragement officiel à l'Association catholique comme
il s'est abstenu d'encourager le D. L. V.
Admettons que le gouvernement ait eu raison de ne
vouloir se prononcer ni pour l'Association catholique ni
contre le D. L. V., mais du moment qu'il abandonnait
les évêques à eux-mêmes et leur refusait un appui sur
lequel des hommes moins optimistes leur auraient a priori
conseillé de ne pas compter, il les forçait a s'aider eux-
mêmes et a obtenir par voie de persuasion ce qu'ils
n'avaient pu obtenir par voie d'autorité.
M. de Bulach est d'un avis contraire. Lui, est d'avis
que l'épiscopat aurait dû imiter la neutralité du minis-
tère en s'abstenant de s'associer a la polémique du cha-
noine Nigetiet, les évêques se seraient épargné la défaite
que leur ont infligée les instituteurs ceux-ci leur ont
donné une réponse identique à celle du gouvernement
«Ne mettez pas les doigts là-dedans: ne vous souciez
pas des associations auxquelles s'affilient les instituteurs. »
Le gouvernement est d'ailleurs décidé à maintenir l'école
confessionnelle et il sévirait contre tout instituteur catho-
lique enseignant a l'école une doctrine condamnée par
l'évêque.
Comme il arrive à tous les hommes d'Etat défendant
une mauvaise cause, M. de Bulach répondait à M. Hauss.
à côté. M. Hauss n'avait pas exprimé la crainte de voir
un instituteur enseigner aux enfants une hérésie formelle,
mais il avait flétri le scandale de la dualité entre l'ensei-
gnement orthodoxe à l'école et une conduite antireligieuse
LE KUIiïUKKAMPF AF-SAC1KN-1.0RRAIN.

hors de l'école. M. Hauss n'avait pas dit qu'il craignait


de voir un instituteur enseiguer que le Pape n'est pas le
chef de l'Eglise, mais il avait demandé comment les en-
fants pourraient lui croire, si ce même instituteur est
officiellement membre d'une association qui traite le pape
d'usurpateur, de tyran des âmes, etc. La question est la
où l'a posée M. Hauss, elle n'est pas là où M. de Bulach
essaye de la placer.
Mais ce qui surtout est inadmissible, c'est le conseil
donné aux évoques de ne pas mettre leurs doigts dans
ce mouvement des instituteurs, de ne pas se soucier des
associations dont il leur plaît de devenir membres. On
se demande quelle idée notre gouvernement se fait d'un
évêque catholique à ses yeux il a l'air de n'être qu'un
Monsieur vêtu d'une belle soutane violette, coiffé dans
les grandes occasions d'une mitre dorée et majestueuse-
ment appuyé sur une crosse, qui habite un palais confor-
table, y mange tranquillement ce qu'il n'a pas remis aux
dames de charité du gros traitement que lui fait le bud-
get, et qui gouverne son diocèse, comme était gouvernée
l'abbaye de Thélème, où chacun faisait ce qu'il lui plai-
sait. Dieu merci, nos évêques ont prouvé en cette cir-
constance qu'ils avaient de leur redoutable charge un
autre idéal. Et s'il y a dans un diocèse une classe d'hommes
dont les sentiments, les tendances, les convictions, les
agissements ne peuvent pas leur être indifférents, ce sont
précisément les instituteurs, qui pendant huit ans, à l'àge
où l'être humain est le plus impressionnable, pétrissent et
moulent les intelligences et les âmes, dont les évêques
ont la charge et dont ils rendront compte devant Dieu.
Mais il y a dans le bordereau, lu par le Secrétaire
d'Etat, un passage que nous n'avons pas encore men-
tionné et qui, a notre avis, mérite d'être relevé. Le
voici
"Les évêques furent rendus attentifs de la façon la plus pres-
sante aux conséquences qui pourraient resulter pour l'instruction
religieuse à Vccole et pour la paix religieuse dans les communes, du
LE KULTURKAMPF AliSACUSN-LOEBAlN.

retrait de la mission canonique à un instituteur à cause de son affi-


liation à une association qui n'est pas légalement interdite.'
Nous ne sachions pas que la Franc-maçonnerie soit
légalement interdite tant s'en faut, puisque certains sou-
verains en furent grands dignitaires, et les évêques se-
raient obligés de tolérer comme catéchistes de l'enfance
des Frères Trois-Points, sous peine de. ? ? ?
Nous sommes stupéfaits de ce que dans ce Landes-
ausschuss, où l'on a posé au gouvernement tant de
questions discrètes et indiscrètes, aucun député ne se soit
trouvé pour demander au Secrétaire d'Etat quelles sont
ces conséquences qui s'ensuivraient du retrait de la mis-
sion canonique. L'instruction religieuse serait-elle dans ce
cas supprimée à l'école ? L'école laïque remplacerait-elle
l'école confessionnelle ? Le fait est qu'on a proféré des
menaces devant lesquelles nos évêques ont dû se deman-
der s'il ne vaut pas mieux subir un mal que d'en pro-
voquer un plus grand.
Mais si ce n'est pas là du Kulturkampf, les mots ont
perdu leur sens naturel
Dans la plupart des observations que nous avons
faites plus haut, nous nous trouvons en pleine commu-
nauté d'idées avec Mgr Winterer, dans les quelques ob-
servations qu'il opposa à l'argumentation de M. de Bulach
et qui, si courtes qu'elles fussent, firent sur l'assemblée
une impression assez profonde pour amener sur l'arène
M. le Sous-Secrétaire d'Etat aux cultes.
M. Petri est le type du légiste, dont les ancêtres re-
montent à Philippe-le-Bel et dont la lignée s'est perpétuée
sous les Bourbons, sous la Constituante, sous tous les
régimes français du XIXe siècle jusqu'à MM. Dumay,

1 Aufs aber wurden die Folgen dargestellt, die sich


dringlichste
fûr den Reiigionsunterricht in der Schule und fur den religiàsen
Frieden in der Gemeinde ergeben ivilrden, wenn je einem Lehrer
wegen seiner Zugehô'rigkeit zu einem der Vorschriften des Gesetzes
entsprechenden Verein die Erlaubms zur Erteilung von Reiigions-
unterricht kirchlicherseits entzogen wurde.
Revue. Juillet 1U10. 28
LE KULTUHKAMPF ALKA.U1KN-L0UBAIX.

Waldeck-Rousseau et Briand, sans compter les rejetons


du Joséphisme allemand. Dans l'immense arsenal d'armes
accumulées par ces juristes du Césaropapisme, M. Petri
n'est pas embarrassé pour trouver de quoi défendre la
thèse soutenue par le gouvernement.
Il n'y a rien de tel, pour juger de la valeur d'un rai-
sonnement, largement amplifié par l'art oratoire, que de
le réduire en syllogisme. Voici donc en forme scolastique
l'argumentation de M. Petri. L'Etat, dit-il, ne peut re-.
connaître à l'Eglise que le domaine sur les choses spiri-
tuelles or, l'entrée des instituteurs als.-lorr. dans le D.
L. V. n'est pas du domaine spirituel, donc le gouverne-
ment ne pouvait pas admettre que les évèques se mêlassent
de cette fusion.
La majeure est étayée de force citations. Dubief dit
dans son «Traité de l'administration des cultes»
"L'Etat exige que les cultes reconnus se renferment en échange
de la protection qu'ils reçoivent dans les limites de leur domaine."
Dalloz dit de meme
,,La condition que l'Etat met a la protection qu'il accorde aux
cultes reconnus, c'est qu'ils se renferment dans les limites de leur
domaine et ne s'immiscent pas dans les affaires de l'ordre civil qui
sont du ressort de la puissance temporelle."
De plus, le Conseil d'Etat a l'habitude de faire pré-
céder ses décisions du principe suivant
Considérant qu'aux termes de la declaration de 1682 il est de
maxime fondamentale dans le droit public français, que le Chef de
l'Eglise, et l'Eglise elle-même, n'a reçu de puissance que sur les
choses spirituelles et non pas sur les choses temporelles et civiles."
Nous nous montrerons généreux, et nous laisserons
passer cette majeure, quoique par l'ambiguité des mots
temporel et spirituel, elle soit un terrain fécond en so-
phismes. La fausseté du raisonnement se trouve surtout
dans la mineure, et M. le Sous-Secrétaire d'Etat nous
permettra une distinction.
Matériellement, l'affiliation d'un citoyen à une société
est du domaine de la légalité civile, aussi les évéques
n'ont-ils émis aucun jugement sur la conformité des sta-
tuts du D. L. V. avec la loi sur les associations ils ne
LE KULTUUKjUIP*1 AJjSAUIES-LOKKAIN.

se sont pas plus prononcés sur le côté patriotique de la


fusion et ils se sont soigneusement abstenus de dire aux
instituteurs quelle sera l'efficacité monétaire de cette fu-
sion. Mais cet acte matériel qui ressortit au domaine de
l'Etat est, bous un autre rapport, purement spirituel, c'est-
à-dire sous celui de sa licéité morale.
Nous faisons à M. Petri l'honneur de croire qu'il ne
soutiendra pas que tout ce qui est permis par le code,
positivement ou négativement, est, ipso facto, licite en
conscience. Par conséquent son principe^ qu'une chose
ne peut pas être spirituelle et temporelle, qu'elle est né-
cessairement l'une ou l'autre, ce principe est faux. Au
contraire, tout acte extérieur est a la fois temporel et
spirituel temporel en tant qu'il est réglementé par l'Etat,
spirituel en tant qu'il est du domaine de la conscience.
Le légal et le moral sont des concepts d'un ordre tout à
fait diflérent, et quand l'Eglise se prononce sur la licéité
d'une action, elle n'empiète pas sur le domaine de l'Etat,
elle se confine précisément dans ce domaine purement
spirituel, où Dubief, Dalloz et le Conseil d'Etat admettent
qu'elle est maîtresse absolue.
Il y a dans les opérations de la Bourse, dans les
transactions commerciales, dans les pratiques médicales,
etc., une foule d'actes que l'Etat ignore, tolère ou ap-
prouve. M. Petri niera-t-il que quelques-uns de ces actes
peuvent très bien être repréhensibles au point de vue de
la conscience, que par conséquent ils sont a la fois tem-
porels en tant qu'ils regardent l'ordre social extérieur,
mais qu'ils sont spirituels en tant que licnes ou illicites î
L'Etat a sa police des mœurs à lui il ne voudra pas,
pensons-nous, que les évéques se taisent sur ce qu'il
plaît à la police de ne pas voir l'Etat réglemente le su-
crage des vins, il ne voudra pas interdire aux évêques
de rappeler aux marchands de vin que les limites de la
loi de l'empire ne coïncident pas en tout et pour tout
avec la loi divine. M. Petri jongle donc avec les mots,
quand il s'écrie pathétiquement
,11 n'y a qu'une question la fusion avec le D. L. V. est-elle
LE KUIiTUKKAMPF ALSACIEN-LORRAIN.

une affaire temporelle ou spirituelle? Poser la question, c'est la ré-


soudre Le D. L. V. n'est une association ni religieuse ni ecclésias-
tique, mais une association qui s'occupe d'intérêts professionnels,
qui n'a aucun côte religieux ou ecclésiastique."
Nous venons de démontrer que la question se pose
tout autrement. Pour tout homme qui réfléchit et qui
admet pour les catlioliques un ordre moral soumis a
l'Eglise, toute l'argumentation de M. Petri s'écroule
comme un château de cartes.
L'occasion était trop belle pour que M. G. Wolff n'y
allât pas d'une grande harangue dans le style de la Ligue
évangélique. Il n'admet pas le triple groupement esquissé
par M. Hauss. Il est faux, a son avis, que la fusion si-
gnifie la traversée du Rhin par les primaires ils n'ont
pas attendu jusqu'aujourd'hui, ils sont germanisés depuis
longtemps. Il serait faux encore que la fusion ait pour
mobile des considérations pécuniaires ces messieurs n'ont
eu d'autie mobile que leur idéal pédagogique. M. G.Wolff
n'a évidemment pas lu le passage suivant de l'«Els.-Lothr.
Schulzeitung» «Si aujourd'hui la fusion est un fait ac-
compli, cela provient uniquement de la manière dont le
gouvernement et le parlement ont traité la question de
nos appointements. Par contre, M. G. Wolff" ne nie pas
l'existence du dernier groupe qui veut à sa manière affran-
chir l'école de la domination de l'Eglise; il semble même
qu'il met l'association tout entière dans ce groupe, et à
ses yeux, c'est en cela que consiste son principal mérite.
L'approbation de M. G. Wolff suffirait à elle seule
pour justifier l'intervention des évêques l'ancien pasteur
est un partisan très combatif de l'école non confession-
nelle, disons sans crainte d'être démenti, d'une école d'où
la religion est absolument proscrite. Rien ne prouve com-
bien il est radical, comme sa manière de concevoir le
rôle de l'instituteur, même dans l'école confessionnelle.
,,Notre législation scolaire repousse absolument la théorie, que
les écoles confessionnelles sont des institutions de l'Eglise. Les
instituteurs reçoivent la charge d'enseigner la religion, non pas de
l'Eglise, mais de l'Etat en vertu d'un examen devant une commis-
sion de l'Etat. En d'autres termes il n'est pas admissible qu'un ins-
tituteur, parce qu'il est d'aventure catholique et non pas protestant,
LE KULTURKAMPF ALSACIEN-LORRAIN

reçoive de l'Eglise une espèce de ,,mission canonique" ou une délé-


gation analogue, et que par là il soit une sorte de subordonné à
l'Eglise. Celaest incompatible avec sa qualité de fonctionnaire de
l'Etat. 11 n'existe pas en Alsace-Lorraine de supérieurs ecclésias-
tiques des instituteurs; ces supérieurs sont laïques, par conséquent
confessionnellement neutres, comme l'Etat."
Il n'y a de pires sourds que ceux qui ne veulent pas
entendre. La théologie morale protestante ne peut pour-
tant pas sur ce point différer essentiellement de la morale
catholique. Mais nous croyons que la meilleure manière
de réfuter M. G. Wolff, ce serait de lui demander si le
Consistoire supérieur resterait neutre, en présence d'une
association d'instituteurs, qui inviterait les collègues pro-
testants a répandre les idées contenues dans l'Encyclique
de Pie X sur S. Charles Borromée.
C'est en vain que M. G. Wolff en appelle à M. le
Prof. Ehrhard, en citant de lui une parole dont il ne
comprend pas le sens « L'aspiration à se former une per-
sonnalité vraiment intellectuelle et morale, constitue une
force toujours agissante dans le domaine de la vie psy-
chologique, et possède comme telle sa pleine raison d'être.»
Très certainement il n'y a, en effet, ni pape ni évêque
qui ait le droit d'empêcher quelqu'un de s'élever intel-
lectuellement et moralement, mais M. le Prof. Ehrhard
n'admettra, pas plus pour un instituteur que pour un
autre catholique, que cet essor psychologique soit indé-
pendant des normes de la pensée et de la conscience
catholiques.
L'exemple du grand-duché de Bade allégué par
M. Wolff n'est pas plus probant. Le conflit de Stras-
bourg est un jeu d'enfants en comparaison des luttes hé-
roïques soutenues par l'archevèque de Fribourg et ses
diocésains contre l'école neutre aux environs de 1860: ils ont
succombé et ils subissent leur défaite avec les sentiments
de vaincus, qui savent que toute tentative de révolte se-
rait une folie. M. Wolff devrait avoir assez de sincérité
avec lui-même pour ne pas essayer de faire passer la ré-
signation pour une approbation. Les évêques de Stras-
bourg et de Metz se résignent, eux aussi, à laisser leur
LE KULTURKAMPF ALSACIEN-LOBBAIN.

mission canonique aux membres du D. L. V.; il n'est


pas permis d'en conclure qu'ils ont modifié leurs senti-
ments sur les tristes manifestations du corps enseignant.
M. Blumenthal est venu mettre une note gaie dans
ce tragique débat, et les rieurs n'étaient pas sur les bancs
du gouvernement. M. Blumenthal est d'avis qu'un gou-
vernement, avant de commencer une action, devrait se
demander d'abord quelle en sera l'issue. Le nôtre ne
semble pas l'avoir fait, car il s'est engagé dans une im-
passe dont il ne s'est pas retiré avec les honneurs de la
guerre.
,,Que le gouvernement, dit-il, se fût borné a déclarer Bien,
pour une fois je me contente d'avoir fixé mon point de vue, et de
dire à la partie adverse que je n'admets pas d'.ngerence incorrecte,
je le comprendrais, si cette partie adverse avait de son côté reconnu
son tort et promis de ne plus recommencer. Mais qu'ont dit les
évêques? ils ont répondu ^Quodnon Quelle idée de votre part de
vous mêler de nos affaires", et Monseigneur a dit a l'Excellence
Excellence, je vous renvoie vos observations avec des intérêts.
Nous voyions en présence deux gentilshommes alsaciens, l'un arme
du glaive l'autre de la crosse, et nous nous demandions, comment
l'affaire finirait. La crosse est encore debout, mais pour le glaive,
on sait seulement qu'il existe on l'a remis au fourreau."
Et M. Blumenthal continue de ce ton pour se gausser
d'un ministère qui a mal pris son élan, qui est resté à
mi-chemin, qui s'est contenté d'entendre louer sa virilité
par la presse libérale et socialiste. S'il avait voulu être
conséquent, il aurait dù porter le débat devant le Bun-
desrat, le seul forum compétent « peut-être a-t-on bien
fait, ajoute l'orateur, car malgré tout mon. respect pour
les capacités des membres du Conseil fédéial, je ne crois
pas qu'un seul d'entre eux eût entendu quoi que ce soit
à la question.» »
M. Petri crut devoir répliquer a ce point particulier
de la satire de M. Blumenthal. Le gouvernement, dit-il,
savait fort bien qu'il pouvait introduire auprès du Con-
seil fédéral un recours comme d'abus s'il ne l'a pas fait,
ce n'est point par peur de voir ce recours rejeté, mais
parce qu'il croyait qu'un échange d'idées avec les évêques
suffirait pour atteindre son but. D'ailleurs, la décision
LE KULTURKAMPF ALSACIEN-LORRAIN.

du Conseil fédéral n'aurait pas eu de sanction pratique


elle se serait bornée a déclarer qu'il y avait eu abus, et
que les écrits épiscopaux sont nuls et non avenus. L'af-
faire n'était pas assez importante pour suspendre les
traitements cette peine n'a pas été prononcée depuis 40
ans, et on peut espérer qu'elle ne le sera jamais.
Là-dessus la toile tombait sur ce second acte du
conflit scolaire. Si après cette séance nos gouvernants
ont mal dormi, ce n'auront pas été leurs propres lauriers
qui les ont empêchés de dormir.
N. DELSOR.
(A suivre.)
REVUE DU MOIS.

Jusqu'ici c'étaient vingt-cinq, cinquante, soixante, cent ans qui


formaient les cycles jubilaires des événements de la vie de famille
nu des grandes époques de l'histoire religieuse et nationnle. Le jubilé
de l'année terrible, on ne sait pourquoi, a cté réduit à quarante ans.
Sur toutes les routes qui conduisent aux champs de bataille de
1870, on rencontre de nombreux groupes de vétérans qui \ont revoir
le théâtre de leur vaillance et déposer des couronnes sur les tombes
de leurs camarades tués à l'ennemi. Est-ce sur le versant occidental
des Vosges ou sur la rive droite du Rhin que l'on a conçu la pre-
mière idée de célébrer un quarantenaire plutôt qu'un cinquantenaire
de ces angoissants evènements ? Il serait oiseux de le rechercher
autant qu'impossible de le trouver. Quoi qu'il en soit, nous ne
voyons pas ce que peut gagner à ces démonstrations la paix du
monde, la concorde des nations. Auttefois la charrue nivelait après
peu d'années les tombes des champs de bataille, et le vent qui ba-
lançait les blondes vagues d'une mer de moissons, emportait le sou-
venir des luttes fratricides qui avaient ensanglante le sol aujourd'hui
où l'on est feiu de la monumentomame et de la rage des festivals,
l'on a parseme les plaines et les collines, où l'on s'est entretué, de
stèles de pierre et de soldats en bronze destinés à perpétuer les haines
sauvages qui ont pris la place des rivalités de jadis. Sous prétexte
du culte des heros, les hyènes du chauvinisme déterrent les cadavres
des combattants pour faire de ces tertres lugubres un piédestal à
d'emphatiques rhéteurs et a d'encombrantes ambitions. Les attitudes
triomphantes des vainqueurs semblent un audacieux défi aux vain-
cus, et de l'autre côté, le Gloria victis résonne comme un cri de
vengeance et un appel à la revanche.
Que les survivants de ces années, qui furent, pour l'Alsace
plus que pour tout autre pays, si douloureuses, que les témoins de
cci catastrophes qui furent pour la génération contemporaine la fin
de tant de beaux rêves et la ruine de tant d'espérances, recueillent
dins leurs souvenirs des matériaux pour l'histoire, nous le voulons
REVUE DU MOIS.

bien, et nous l'approuvons hautement. Mais que ce soit l'histoire


vraie, l'histoire seieine, et non pas l'histoire potinière qui donne
des proportions gigantesques aux infiniment petits, et qui croit avoir
découvert des joyaux documentaires dans ces nombreuses fausses
nouvelles, qui suscitèrent tant d'espoiis engloutis dans de si amères
déceptions. Il est bon que les générations actuelles soient éclairées
sur les hommes de cette époque, sur les causes et les origines de
cette guerre dont les conséquences pèsent, et pèseiont longtemps
encore sur le monde entler. Mais il laudiait la lumière complète et
la vérité entière, et à ce point de vue nous ne pouvons pas admettre
le point de vue du grand ouvrage ofliciel publié par le ministère
français, que le premier prelude de la guerre de 1870 ne remonte
qu'à la guerre du Danemark. Sedan est bel et bien le corollaire de
Magenta et de Solfénno la peur de passer pour clérical aveugle
trop certaines gens pour leur permettre de voir que la politique de
carbonaro de Napoléon III, si chaudement appiouvce par le parti
libéral et par les républicains, frayait les voies à l'hégémonie prus-
sienne. Mais qu'importait la France à ces gens-là Pourvu que le
pouvoir temporel tombât; pourvu que les fautes accumulées de lii
politique étrangère ci eusassent un gouffre sous le trône impérial
que pouvait leur faire le danger de voir engloutis par l'Allemagne
quelques milliers d'Alsaciens qui ne parlaient pas même le français.
Voilà ce qu'il ne faudrait cesser de dire à nos jeunes Alsaciens,
pour leur ouvrir les yeux sur certains personnages, qui font sonner
très haut leurs sentiments antigel maniques et qui sont bel et bien
responsables de la situation où nous nous trouvons.
Il semble que le gouvernement veuille faire coïncider avec ce
quarantenaire le dépôt du piojet de loi portant modification de la
Constitution de l'Alsace-I.orraine. Le tous les articles de journaux qui
ont commenté les communications de la presse officieuse sur les
intentions de la chancellerie, nous n'en voyons qu'un seul, celui du
Dr Hœlfel, qui mérite d'être signale, parce qu'il émane d'un homme
dont les plus chauvins n'ont jamais essaye de suspecter le loyalisme
et qu'il nous éclaire sur les intentions, d'un groupe très important
de la droite. Le D' Hœffel déclare d'abord qu'il ne faut pas un
nouveau replàtrage et qu'il faut enfin quelque chose de définitif.
C'est bien aussi notre avis. Si toute la réforme se borne à modifiei,
et fùt-ce dans le sens le plus libéral, le système des élections poui
le Landesausschuss, le pays ne trouvera pas encore le calme et la
paix. Et si, comme il est à peu pres certain, le Reichstag repousse
la solution hybride que nous mettent en perspective les journaux
se prétendant bien renseignés, il feia une bonne œuvre non seule-
ment pour l'Alsace, mais plus encore pour l'Empire, car ni le pres-
tige ni la solidité de l'Empire n'ont rien à gagner à laisser ouverte
la question alsacienne. Peu nous impoite que pour ménager certains
amours-propies on appelle l'Alsace-Lorratne Reichsland, Terre d'em-
REVUE DU MOIS.

pire, mais ce que nous n'admettons pas, c'est que l'Alsace reste
Terre d'empire dans le sens où elle l'est actuellement, et ce que
nous comprenons encore moins, c'est que l'Empire reste souverain
de ce "butin de guerre" et en soit en même temps totalement de-
possède par l'exclusion du Bundesrat et du Reichstag. Il y aurait
là évidemment contradiction dans les termes. L'appartenance à l'Em-
pire et la réalité de l'autonomie pourraient, de l'avis de M. Hœffel,
se concilier dans la nomination par l'empereur d'un Statthalter a vie,
qui serait en pleine independance autorisé à instruire des délègues
au Conseil fédéral. Et ceux-ci y auraient voix deliberative et non pas
seulement consultative. C'est un problème ardu, mats dans la séance
du 14 mars, le chancelier a prononce cette remarquable parole que
,les difficultés existent pour être surmontées." Jamais il ne trouvera
une meilleure occasion pour mettre ce principe en pratique.
M. Hœffel ne repousse pas à priori l'idée d'une Chambre haute
à côté du Landtag. Cette Chambre existe dans tous les pays à charte
constitutionnelle, même dans les pays republicains. La Suisse même,
qui est le type des Etats democratiques, a une Assemblée fédérale
composée de deux Chambres, le Conseil national et le Conseil des
Etats. Nous ne serions donc pas encore des décadents de l'idée dé-
mocratique par le seul fait de l'existence d'une Chambre haute et
d'une Chambre basse La question d'argent ne peut pas venir toute
seule en consideiation si les deux Chambres se restreignaient dans
leurs elucubrations oratoires, elles ne nous coûteraient pas plus cher
que le Landesausschuss, qui, en ne siégeant que trois fois par se-
maine, a trouvé moyen de prolonger la session |usqu'au milieu de
l'été. La Chambre haute peut bien n'être qu'un ornement en carton-
pierre, il sera difficile de l'écarter de notre édifice parlementaire. La
question est de savoir comment cette Chambre haute sera composée:
il est inadmissible que les membres en soient nommes, ni à temps
ni à vie, par le pouvoir executif. Qu'elle comprenne comme membres
de droit ce que l'on est convenu d'appeler les autorités religieuses
et judiciaires, il n'y aurait pas grand'chose à y redire parce que les
personnes revêtues de ces charges sont inamowbles mais il faut
qu'à côté de celles-ci il n'y ait que des représentants elus des
grandes corporations commerciales, industrielles et ouvrières. Si
démocrate que l'on soit, on peut concéder qu'il faut a côté de la
seconde chambre qui reflète les fluctuations souvent très passa-
gères – de l'opinion publique quelque chose de stable; a côte du
courant des passions populaires, il peut ne pas être inutile d'avoir
des digues qui canalisent le torrent. Nous disons bien canaliser, et
non pas arrêter, car chez aucun peuple la Chambre haute n'a pu à
la longue se mettre en travers des aspirations de tout un peuple,
lorsque ces aspirations sont légitimes et ne lèsent pas les intérêts
vitaux de la nation. On prétend que le Centre n'acceptera aucune
Chambre haute nous ne sonvnes pas dans le secret des dehbcra-
REVUK DU MOIS.

nons de cette fraction, mais 11 est probable qu'elle prendra ses dé-
cisions sans se soucier de l'approbation ou du blâme de certains
politiques qui n'ont que trop contribué par leurs intrigues et leurs
^opinions successives" à gâcher notie situation.
Il en est de même de la seconde Chambre. Le groupe alsacien
a, avec l'appui du Centre, déposé un projet de loi, demandant pour
le Landtag le suffrage univeisel du Reichstag, avec un député par
3o.ooo habitants, ce qui nous ferait une chambre de 60 députes. Le
groupe alsacien n'a aucune raison de se departir de cet article de
son programme. Mais, si au Reichstag il n'y avait pas de majorité
pour faire passer ce mode de suffrage, nous ne romprions certaine-
ment avec aucun puncipe libéral et démocratique en acceptant le
suffrage universel avec le vote plural de l'age. Il n'y a dans cette
pluralité rien de ploutocratique ni d'oligarchique la longévité n'est
le privilège d'aucun groupe ni d'aucune opinion, et le socialiste le
plus radical serait bien oblige de convenir que Bebel a un peu plus
d'expérience que ce blanc-bec de Ferdinand, dont les socialistes
rougissent aujourd'hui et qu'ils avaient jadis envoyé représenter
Mulhouse au Reichstag. Ce n'est pas dans la pluralité d'âge qu'il y
a un danger pour les libertes alsaciennes, mats bien dans la géomé-
trie électorale que pourrait pratiquer un gou\ernement auquel nous
n'avons aucune raison d'accoider une confiance sans réserve. Aussi
ne pensons-nous pas que le groupe alsacien et les diverses fractions
auxquelles ses membres sont afhliés soient disposes a voter une loi
électorale, sans qu'elle ait comme annexe le tableau des circonscrip-
tions.
Nous avons d'autant plus de raison d'être defiants que le flirt
de notre gouvernement avec les partis anticléricaux et les panger-
manistes se pratique presque au grand jour. Nos hommes d'Etat
ont d'ailleurs d'illustres exemples et d'ardents protagonistes dans le
ministère du grand-duche de Bade, où les socialistes ont reçu pu-
bliquement du banc des ministres une mention très honorable pour
leur attitude gouvernementale. Il est vrai que les socialistes ont
capitulé devant le gouvernement aussi bien que celui-ci a capitule
devant eux. De la, grand scandale chez les purs disciples de Marx
et de Bebel, de là grand tintamarre chez les radicaux du Nord contre
les révisionnistes du Sud. Ceu\-là veulent rester à cheval sur le
principe intransigeant de leur lutte à outrance contre l'Etat bour-
geois leur ideal est plutôt la guerre contre le capitalisme ceux-ci
sont prêts à tout renier et à s'allier aux exploiteurs du peuple,
parce qu'ils n'ont d'autre objectif que la haine du cléricalisme. Le
socialiste du Nord est assez honnête pour reconnaitre que sans le
Centre aucune réforme sociale n'aurait été faite; le socialiste du
Sud, pour assouvir ses passions antn eligieuses, préfère contracter
les alliances les plus bâtardes avec les pires adversaires de la légis-
lation ouvrière. Du reste, les nationaux-libéraux du Nord ne semblent
REVUE DU MOIS.

pas plus que les socialistes prussiens disposés à constituer le Grand


Bloc en vue des futures élections au Reichstag, dont les partis se
préoccupent bien plus que de tous les travaux que le Reichtag aura
encore à achever depuis la rentrée jusqu'à sa dissolution.
Quelle sera la plateforme de cette prochaine consultation dcs
électeurs? Les plus fins l'ignorent. Une campagne contre i'Enev-
clique ? Elle pourrait bien tourner contre ceux qui l'entreprendraient,
car elle ne contribuerait sans doute qu'à concentrer en masses plus
compactes les électeurs catholiques. Les impôts? Mais ceux qui
crient le plus haut contre les charges résultant de )a réforme finan-
cière de igog vont être mis en demeure par le gouvernement d'en
voter de nouveaux pour une augmentation des effectifs de paix de
l'armée de terre. Ou bien voudra-t-on retarder cette demande de
crédits pour reprendre le mot d'ordre des elections de igoy? Ce
serait bien risqué, à moins de susciter tout exprès pour l'occasion
des complications extérieures.
C'est peut-être le truc que rêvent les pangermanistes, car à
lire leurs articles sur le nouveau secrétaire d'Etat aux Afi.ure~.
ctrangères, M. de Kiderlen-Wàchter, on dirait que le remplaçant de
M. de Schoen a cte choisi tout exprès pour reprendie la manière
forte du prince de Bismarck. H se peut qu'en galvanisant le chau-
vinisme, cette manière forte diminue la répugnance des contn-
buables à se saigner de nouveau, mais elle ne contribuera certaine-
ment pas à la tranquillité de l'Europe et à la confiance dans la
paix. Nous espérons au contraire que M. de Kiderten-Wachter dé-
jouera ces esperances et qu'il n'inaugurera pas les procédés que les
intransigeants auraient voulu voir employés, entre aut;es contre la
France, dans l'affaire Mannesmann, et qu'ils regrettent de ne pas
voir employés tous les jours à propos de chacune des operations
de police exécutées par les troupes françaises sur la frontière ma-
rocaine. Si leur politique gagnait le dessus, nous aurions une alerte
chaque fois que les Français mettraient en mouvement une simple
patrouille de caporal.
Les dispositions du gouvernement de M. Fathères ne sont
pourtant pas belliqueuses, malgré les quelques rencontres inévi-
tables entre les troupes algériennes et quelques tribus marocaines.
Le cabinet Briand n'a pas hésité un instant a desavouer le general
Moinier, qui n'avait pas assez strictement observé la consigne de
gaider l'arme au pied. Et si ses sentiments n'étaient pas d'eux-
mêmes sumsamment pacifiques, M. Jaurès serait là pour veiller au
grain. Son amour pour la paix, qui est surtout fau d'aversion pour
t'armée, est aussi ardent que sa sollicitude pour la virginité de la
police, bien compromise dans l'affaire Rochette qu! jette un Jour st
curieux sur les moeurs contemporaines. On se rappelle sans doute
l'histoire de ce banquiet qut v)ent d'être condamné a deux ans de
prison. ,Ancien employe au buffet de la gare de Melun, Il devint en
BEVUE DU MOIS.

peu de temps un des gros financiers de Parts. Son ambition était


cnuime; il avait rêve de s'emparer à la fots du ,,Petit Journal" et
de la ~Société des transports de Paris." Les affaires paraissaient
prospères. Subitement, le 23 mars 1008, il était arrêté sur la plainte
d'un de ses actionnaires. Aussitôt la Bourse enregistra une chute
effroyable des titres cotes très haut interessant les entreprises Ro-
chette. Le public se mont! a très sévère alors, s'etonnant que l'arres-
tation n'ait pas été plus rapide. Or, apres deux ans, on apprenait
que la plainte provenait d'un homme de paille, cherché et amené
au Parquet par la Préfecture de police, sur l'ordre du ministère de
l'Intérieur. Des sommes considérables auraient été gagnées par cer-
tains coultssiers jouant a la baisse sur les valeurs Rochette." L'in-
terpeflation sur cette affaire se termina par une victoire a la Pyrrhus
de M. Briand: le Parlement vota en même temps un vote de con-
fiance et la constitution d'une commission d'enquête qui donna la
présidence à M. Jaurès et dont les investigations portent sur les
points suivants La plainte contre Rochette a-t-elle eté réelle ou
fictive? La disparition de Rochette de la Bourse a-t-elle ete obtenue
par des hommes putniques agissant sur la Prefecture de police ?P
Les maisons de coulisse jouant à la baisse ont-elles été prévenues
par des fonctionnaires eux-mêmes interessés dans cet agiotage
L'enquête n'a pas jusqu'ici tourné à l'avantage de M. Clémenceau
dans le cabinet duquel M. Briand avait le portefeuille de la Justice.
Cela était bien dcsagicabte au moment où l'on donnait une bril-
lante hospitalité au roi et à la reine des Belges, et cela n'augmen-
tera guère le prestige du gou\ ernement pour intervenir dans la
grève générale des cheminots qui se prcpare pour le mois de sep-
tembre.
On avait cru un moment que le confht entre le Vatican et le
cabinet Cana)e;as s'apaiserait. Une note de ,,1'Osservatore Romano"
disait que le Saint-Siège continuait au cabinet Canalejas la bien-
veillance témoignée aux ministères précedents. It accordait la sup-
pression de toutes les maisons religieuses avec moins de douze
résidents la soumission sans exception aux impôts du royaume
l'obligation pour les religieux étrangers voulant jouir de la person-
nalite civile de se faire naturaliser. Mais M. Canalejas ne voulait
pas négocier, il prenait unilatéralement des mesures que le Vatican
devait nécessairement considérer comme attentatoires à des droits
concordataires. Les choses en sont arrivées à une rupture et à un
déplorable déchaînement des passions antireligieuses, à tel point
que M. Maura, l'ancien ministre conservateur, est devenu l'objet
d'un odieu\ attentat. Le Bloc espagnol est d'une ressemblance par-
faite avec le Bloc des autres pays
,N. DELSOR.
BIBLIOGRAPHIE.

Images du Musée alsacien. 3e Fasc. EngwiHer. Femme


de Meistratzheim. – L'industrie potière de SoutHenheim.
Elsâssische Monatsachrift für Geschichte und Volkskunde, unter
Mitwirkung von y. 3~. B. C/jMM, Stadtarchivar in Schlettstadt;
Adolf Jacobi, Pfarrer in Weitersweiler, und Dr Zt~M?: f/7e~er,
Oberlehrer in Strassburg herausgegeben von Albert 7*'Kc/M in
Zabern. Die .E'/MM/~cAe ~o~afMc/H'!yt~!tr Ge~'e/uc/~c und Volks-
A'Mn~e erscheint jahriich in 12 Heften, [etis aïs Einzelheft, tejls ats
Doppelheft. Der vierteij.thriiche Bezugspreis durch die Post betragt
2 M. Der Jahrgang lauft von April bis Marz und kostet einschhess-
lich Porto 8 M. Einzethefte t M.
j. ~<?/t.' Zur Einfuhrung. – Verzeichnis der Mitarbeiter.
Dr. N Paulus, Geilers Stellung zur Hexentrage. – Dr. Heeker, Un
episode à Barr sous la Terreur. Adolf Jacoby, Volkstumliche Sitte
und ihre Bedeutung fur uns. L. Cromback, Die Klosterkirche von
St. Johann bel Zabern (Mit 5 Abbildungen.) – Kleine Beitrage.
Patois vosgien. Die ersten Zeyginer kommen gohn Strassburg.
Bûcherschau. Maurice Higelin, Die Sagen des Sundgaues.
Zettschriftenrundschau. Revue d'Alsace 1909. Zeltschrift fur die
Geschlchte des Oberrheins igoo.–Jahrbuchdes Vogesen-Clubs igog.
Vom Bùchertisch,
La Revue hebdomadaire, y!<cf. A. Laborde-Milaa, La For-
tune d'un mot. E. Archdeacon, Pourquoi je suis devenu espéran-
tiste. M.-A. Leblond, L'Enfance créole de Pierre Desrades (I).
Dr M. Labbe, La Suralimentation et ses dangers. Jeanne Per-
driel-Vaissiere, Poèmes. Fr. Funck-Brentano, Le duc de Broglie.
A. Colson-Blanche, La Pluie. Chronique scientifique.
Maison de la Bo;!Me PreMe. – Le Surnaturel dans les guérisons de
Lourdes, par le DI Henri GuiNtEK. In-n de 3z p. (Editions des
QHMtfOH~ actuelles.) o fr. iS. 5, rue Bayard, Paris.
Chretien sincère, et savant épris de son art, l'auteur a écrit ces
JimDOHRAl'HLE.

notes médicales" sans cesser de se placer a ce double point de


vue. Après avoir écarte, a\ec preuves à l'appui, l'explication psy-
chique des grandes guensons de Lourdes, it définit les sept signes
caractéristiques du surnatuiel qui apparaissent dans la plupart d'entre
elles. La conclusion de cette etude, qui est une excellente œuvre
d'apologétique, est un acte de foi en la toute-puissance de Dieu et
la bontc de la Vierge Immaculée.
Lettre sur la Communion quotidienne, de FLKELON. Tf.v<e <f;<c
rcL~TC~o~! ofi~M/f, publiee par l'abbé Motse CAGNAC, D~ ès-lettres de
l'Université de Paris, licencie en droit civil, docteur en droit cano-
nique. In-is de '~8 pp. o fr. 10.
M. l'abbe Cagnac est très connu pai ses études sur Fénelon.
randis qu'il frequentait les bibliothèques publiques et particulières,
il a découvert une rédaction onginale de la Lettre ~Mr la ~'c~McHtc
<.o;)!?);t/07!. ecrite de la main de l'illustre archevêque. Bien que les
variantes ne fussent pas considerables par le rapport au texte im-
prime que nous connaissons, il a pense avec raison qu'il ne fallait
pas laisser ce manuscrit inutilise. Tous les lecteurs seront stupéfaits
de la concordance ~ar/~tte, a 200 années de distance, de la doctrine
de Fenelon avec celle de Pie X.
Un Chevalier Apôtre, Célestin-Godefroy Chicard, missionnaire au
Yun-Nan, par le P. DROCHO~, A. A. 2 vo!. 24.0 et 36o pp. (bijou).
Chaque volume broche, o fr. y5
Dans ce livre, le héros se raconte lui-même avec son tempera-
ment impétueux, prédestine des l'enfance à l'evangelisation des infi-
dèles. Caiactere chevaleresque, mais épris d'aventures, il résumait
ses aspirations en cette interrogation ,,Moine bandit ou cheva-
lier ?. Sa vocation l'appelait ailleurs, et il répondit lui-même avec
décision le serai missionnaire.. Il disait encore avec l'ardeur
d'un saint François-Xavier Passer les mers, sauver une âme et
mourir). Quel chapitre de la vie des Peres du desert, quel feuil-
leton de cape et d'epee presente autant d'attrait pour tous les âges
et toutes les conditions que l'existence pleine d'incidents de ce
P. Chicard, la g)oire du Poitou et des Missions étrangères de Paris,
deja riches en martyrs et en bienheureux f
L'Amazone blanche, par Roger Ducuc-r. 320 pp. (&oM). Broche,
o fr. 75
La fille d'un châtelain a ete mise en nourrice inconsciemment
sa sœur de lait va revêtir son identite. Survient la ,,grande guerre"
de la Révolution. Celle que l'on croit la fille des châtelains et qui
n'est que l'enfant de deux paysans, va devenir un être mystérieux,
surnaturel, l'Hj~o;:e ~)!C/!C, dont l'intervention passionne les
esprits. Elle est à la fois visible et cachee, jusqu'au moment où elle
disparait pour toujours. On conçoit tout l'intérêt qui nait d'une pa-
reille trame, développée avec sûreté, et pour tout dire d'un mot un
excellent roman historique.
BrmjMHUAllllE.

P. LbTHtËLLEux, Editeur, to, rue Cassette, Paris (6'),


Histoire des /~e/t~/oM~. ~)6/)'o~<<e de f«/~7r)M/;o". La Religion
de la Erèce antique, par 0. HAB~xr. !n-8" (600 pp.), 4 fr.
Depuis les trois volumes d'A. Maury, publiés de i856 à i85f).
nous n'avions pas d'ouvrage d'ensemble sur la Religion qui intéresse
le plus le grand public cultivé. Or, depuis 5o ans, les fouilles de
Crète, de Mycene, de Delphes, d'Eleusis, d'Olympie, d'Uias, etc., et
les travaux des mythographes, des anthropologistes et des critiques
ltttéraires ont renouvelé le sujet. Cet ouvrage, qui tient compte des
plus récentes decouvertes, ne peut manquer d'arrêter l'attention. H
prend la Religion ~rec~~e depuis les temps néolithiques jusqu'à la
ditlusion de l'hellenisme. Formes religieuses archatques, transforma-
tions religieuses au contact des progrès de la civilisation, mouve-
ment mystique des Oiphiques, tout a une histoire captivante, puis-
qu'elle se passe chez le peuple le plus intelligent de l'antiquité.
Utile à l'homme du monde, fidèle au souvenir de ses humanités,
ce volume de vulgarisation scientifique ne sera pas moins utiie au
professeur de lettres et à l'etudlant, auxquels il rendra plus intelli-
gibles bien des textes classiques l'apologiste iui-même lui saura g~ce
d'avoir montre les insuffisances de l'ideal antique et le rô)e piov;-
dentiel du Christianisme. Notre civilisation doit tant à la culture
grecque – laquelle tut toute penetree d'idées religieuses qu'un
ouvrage substantiel et au point sur la ~<?<:g'< de la Grèce ne sau-
rait manquer de recevoir le meilleur accueil
Librairie P.TcQUt, 82, rue Bonaparte, Paris-VI".– Un jRe/tgx'x~'
cistercien. Apostolat du Catéchisme et vie intérieure. Avec une
Lettre-Pteface de S. h.m. le C. VIVES. In-i2. i fr. 5o.
Mon Reverend Père, Vous avez eonmbue pour votre
part au désir le plus cher de notre Auguste Pontife qui a st ardem-
ment recommandé cette œuvre des oeuvres l'enseignement de la
doctrine chrétienne. (Fr. J. C. Cardinal VivEs.)

A..D~L-SO~, f<?~!c<cMr rc~'onM&/e

Strasbourg.t– Typ.;F. X. Le Roux & C)e.


LE CURÉ MAIMBOURG.

S'il fut un nom populaire à Colmar, c'est bien celui


du curé Maimbourg. Maintes fois un de ses anciens vicaires,
devenu son second successeur, nous rappelant des traits de
son ancien principal, et nous croyons encore l'entendre-
il en prononçait parfois le nom dans le savoureux dialecte
de la brave et vaillante corporation des vignerons, estimée
alors comme un des piliers de l'église de Colmar.
Mais aujourd'hui se souvient-on encore de ce curé
jadis si populaire ? et la génération actuelle que sait-elle
de lui? Il reste assurément des Colmariens qui conservent
et cultivent le culte du passé. C'est à eux surtout que
s'adresse notre travail, et s'il réussit à leur faire plaisir,
en les instruisant, nous serons amplement récompensé
de l'application qu'il nous aura coûtée. Mais nous tenons
aussi à mettre sous les yeux de la génération présente le
portrait d'un prêtre de l'ancien régime, qui joua un rôle
considérable dans l'histoire de notre diocèse dans la pre-
mière moitié du XIX~ siècle.
Nous tenons de plus offrir ici l'expression de notre
vive gratitude à M~ Frey, curé de Colmar, qui, en
nous communiquant si gracieusement le riche fonds
Maimbourg que possèdent les archives de son église, nous
a fait mettre la main sur une foule de matériaux très
précieux pour notre ouvrage.
Revae.AoûtMM. 29
LE CUBÉ MAIMBOUBG.

CHAPITRE 1er,

Les débuts. Le chanoine secrétaire de t'évêché. –

Sa disgrâce.

I.

Georges-Jean-François-Louis Maimbourg naquit a


Ribeauvillé, le !Q septembre 1773 il était le troisième
de huit enfants, issus du mariage de Nicolas Maimbourg,
huissier royal de la Cour de Colmar, et de Marguerite-
Barbe Marcha!, fille de Nicolas, procureur près le ma-
gistrat de Ribeauvillé, et de Marguerite Mosetter.1 II était
d'origine lorraine par son grand-père paternel, Nicolas
Maimbourg, cultivateur à «Legouttes, annexe de Ruaux,
Vosges», tandis que son aïeule était une Marchai, comme
sa mère.
Cette dernière avait quatre frères, tous distingués par
leur caractère et leur honorabilité. Le premier, François-
Louis Marchai, né le 4 juin 1~44-, fut le Religieux béné-

Le mariage des parents de M. Maimbourg eut lieu à Ribeau-


villé, le !0 avril 1769, et il fut béni par le P. Michel Mosetter, sous-
prieur de l'abbaye de Marmoutier. Parmi les témoins figure Dolter,
vicaire.
Des huit enfants de ce mariage, six moururent en bas âge, et
il ne resta en vie que Louis, le futur curé, et sa sœur Marie-Barbe,
son ainee de trois ans, laquelle se maria le 12 avril 1700 avec Louis
Schumacher, horloger, natif de Landser.
La sœur de M. Maimbourg eut egalement de son mariage avec
L. Schumacher huit enfants, parmi lesquels nous relevons Marie-
Joséphine, la fidèle ménagère du curé et Louise Schumacher qui
épousa Fr.-Xavier Chauffour, le père de J.-Baptiste Chauffour, pro-
cureur impérial à Strasbourg, de Henri Chauffeur, greffier du tri-
bunal de commerce à Colmar et de Nathalie Chauffeur, devenue
l'épouse du lieutenant-colonel de génie P. Eugène Chaplain. Nous
devons ces renseignements sur la famille Maimbourg, par le gra-
cieux intermédiaire de M. le recteur Schaller à M. Haas, le très
obligeant greffier de la mairie de Ribeauvillé.
LE CUB~ MAIMBOUR&.

dictin, connu sous le nom de P. Anselme, élu en t~St


coadjuteur du R. R. Abbé Chenin, auquel il succéda en
t774 et qui clot ainsi la liste des dignitaires de l'abbaye,
la plus ancienne de l'ordre en Alsace. Le second,
François-Laurent, né le 22 septembre 1746, devint mé-
decin-chirurgien, s'établit à Strasbourg, y acquit du renom
et fut très estimé de l'évêque Saurine, un de ses clients.
Le troisième François-Antoine, du y février 1740, fut
huissier, sergent-seigneurial du Val de Villé. Enfin le
dernier, Florian-Mathias vint au monde le 8 août 1757.
Il entra comme son aîné chez les Bénédictins, fit profes-
sion dans l'abbaye d'Altdorf, et en devint cellérier peu
avant la Révolution. Lors de la fermeture des couvents,
il se retira d'abord à Marmoutier, puis il émigra et se
rendit à Bade qu'il paraît avoir quitté en 1704.. Au com-
mencement du siècle, il vint à Strasbourg chez ses
frères, le médecin et le P. Abbé, où le 13septembre
1802, il signa son adhésion au Concordat.
C'est dans cet excellent milieu familial que nous
trouvons celui dont nous allons raconter la vie.
La bonne fée semble avoir présidé à sa naissance, en
plaçant son berceau dans ce coin de terre si favorisé par
la nature et si riche en souvenirs consacrés par l'histoire,
au bas de ces ruines pittoresques dans leur état de con-
servation, que nulle restauration n'a profanées, anciennes
demeures féodales de fière allure qui dominent la ville, le
chef-lieu de l'ancienne seigneurie des puissants Sires de
Ribeaupierre.
Auprès de ce berceau, nous voyons le père, brave
chrétien et homme estimé dans la commune, regardant
avec bonheur dans les bras de la pieuse mère, son premier
fils, qu'il vient de rapporter de l'église paroissiale, où il
a reçu le baptême le jour même de sa naissance.1 Ils

Voici son acte de baptême


Georgius Joannes Franciscus Ludovicus filius legitimus Nicolai
Maimbourg et Marise Barbarae Marchât baptizatus est die decima
nona Septembris anni 1773. Ejus susceptores fuerunt Georgius Du-
casse et Maria Illuminata Lichtenberger.
Ità testor Ego Kiené, vicarius.
LE CUBE MAIMBOURG.

étaient là, du moins en esprit, les deux moines que la


discipline religieuse retenait dans leurs cellules, et s'in-
clinant vers le berceau de celui qui faisait alors la joie
de la famille et qui devait en être l'honneur, ils appe-
laient sur lui les bénédictions divines, et au même mo-
ment un ange du ciel le marquait au front du signe
auguste de l'élection sacerdotale.
C'est dans cette atmosphère de bonté, de piété et de
grâce que l'enfant grandit. D'une intelligence vive et pré-
coce, il montra un goût prononcé pour l'étude et devint
un bon écolier. Il s'intéressait surtout au passé de sa ville
natale, et dans les veillées d'hiver il prêtait une oreille
curieuse aux récits des légendes des anciens chàteaux des
Rappolstein, dont il se plaisait à visiter les ruines pour
les reconstituer et les repeupler dans son ardente imagi-
nation. De même sa nature éveillée saluait avec joie le
retour des fêtes religieuses et civiles, particulières à Ri-
beauvillé, et le faisait participer des ven-
aux allégresses
danges, et à celles du .P/<?~r~- qui attirait une grande
partie des ménétriers d'Alsace, pour célébrer la fête an-
nuelle de leur confrérie et rendre hommage à leur roi, le
-P/c~rA'o?~ et surtout à leur Patronne, Notre-Dame
de Dusenbach. Le vallon solitaire, une véritable idylle,
avec les chapelles du pélerinage, alors un des plus fré-
quentés d'Alsace, captivait surtout le jeune Maimbourg.
Il s'y rendait souvent, soit seul, soit à la main de sa
mère, devant l'Image Vénérée pour demander à la Reine
du lieu, de le guider sur le chemin de la vie. Un jour,
revenant du sanctuaire de Dusenbach, il alla trouver sa
mère et, se penchant vers elle, lui dit à mi-voix, mais d'un
ton résolu: «Mère, je veux être prêtre!)) A ces mots, la
mère relevant la tête, jeta un regard profond sur son
enfant, puis le serrant contre son cœur, elle lui dit avec
une douceur infinie: « Louis, prions Dieu, afin qu'il t'en
fasse la grâces. A cette heure M""= Maimbourg faisait à
Dieu le sacrifice de son fils unique. Le père, contristé à
la pensée de voir ainsi son nom s'éteindre, mais pro-
fondément chrétien, donna cependant son consentement
et remercia Dieu dans le secret de son âme.
LE CURE MAJMBOUB&.

Absorbé par sa vie studieuse, idéalisée maintenant


par le noble but vers lequel elle tendait, notre jeune
aspirant à la cléricature n'entendait pas les grondements
de l'orage qui approchait. Louis Maimbourg n'avait que
dix-sept ans lorsqu'il se vit obligé de fuir devant cette
tempête, de s'expatrier, lui et ses deux oncles, lui pour
compléter a l'étranger ses études ses oncles, afin de sauve-
garder, en vrais disciples de St. Benoît, l'honneur de leur
sacerdoce et l'intégrité de leur vie religieuse, en repous-
sant le serment imposé par l'Assemblée Nationale, mais ré-
prouvé par l'Eglise.
Où le jeune Maimbourg se forma-t-il à la science
sacrée? quand et où fut-il ordonné prêtre? où célébra-t-il
sa première Messe? Autant de points d'interrogation restés
pour moi sans réponse, jusqu'au jour, où dépouillant la
correspondance adressée au curé de Colmar, il me tomba
sous la main plusieurs lettres du P. Géramb, dans l'une
desquelles je trouvais le passage suivant
Schwitz, 4 juillet i83y.
"J'ai vu l'abbe d'EinsiedeIn je lui ai beaucoup parle de vous.
Il se rappelle parfaitement l'ordination qu'il a teçue avec vous et les
glaces que vous avez mangées ensemble ce jour-là."
Cet abbé était Dom Célestin Müller qui gouverna
l'abbaye de 1825 a i8-)-6. Ils furent ordonnés le i sep-
tembre 1796, dans la chapelle de la nonciature par le
nonce Pierre Gravina. On nous a souvent rapporté que
M. Maimbourg a dit sa première Messe à la chapelle
miraculeuse de Notre-Dame-des-Ermites. Le fait n'a rien
que de vraisemblable. Ayant été ordonné à Lucerne, le
jeune ordinand devait être porté par le mouvement de
son cœur vers le sanctuaire d'Einsiedeln, si rapproché.
Les siens, son père qu'il vénérait autant qu'il l'aimait;
sa mère, si bonne, si douce, si pieuse, dont le cœur se
fondait avec le sien en une commune tendresse, avaient-
ils pu venir, assister à la grande fête, être les témoins
émus des fiançailles de son âme ravie avec le Dieu de
l'autel? Et puis, la Patrie ne lui apparaissait-elle pas
LE CURÉ MAIMBOUBG.

divisée, meurtrie, souillée de sang, livrée à la violence, à


l'anarchie, à la démence irréligieuse?
Il est vrai que la pacification suivit de près la chute
du tyran dont la nation avait subi le joug révoltant; mais
cette pacification ne fut elle-même qu'une lueur, un court
répit, et les arrêts de proscription continuaient de sub-
sister avec de terribles retours.1 Les causes de tristesse
ne manquèrent pas à notre jeune prêtre dans son exil,
bien que cet exil ne lui fut pas de loin aussi amer que
celui de tant d'autres prêtres infortunés, qui eurent à lutter
contre la faim, le froid, les infirmités, l'isolement et
l'abandon. Il avait près de lui son oncle, le prélat de
Marmoutier, qui le conseillait de sa sagesse, le fortifiait
de son exemple et lui faisait faire l'apprentissage des
hommes et des choses.
Pendant que ses jours s'écoulaient ainsi dans une
amertume tempérée par l'espoir d'un avenir meilleur,
l'horizon assombri de la France s'éclairait d'une vive lueur,
cette fois non trompeuse, mais grandissante, une épée
de feu dans un rayonnement de gloire, et qui se sentit
assez forte pour imposer au pays la pacification religieuse,
et assurément c'est de toutes les actions du Premier
Consul, la plus digne de louanges, la plus méritoire.
Les temples se rouvrent au culte dont la privation
avait été si vivement ressentie par les vrais fidèles; les
prêtres reviennent de l'exil et de la déportation, et leur
premier élan est de retourner auprès du troupeau chéri
qu'ils avaient dû abandonner aux intrus et qu'ils revoient
dans un état plus ou moins affligeant.
Nous retrouvons le jeune abbé Maimbourg dans son
lieu natal, où il signe, le g août 1802, son adhésion au

C'est dans un de ces retours de rage révolutionnaire que


furent encore exécutés deux saints prêtres, François-Antoine Stackler,
le curé de Neuve-Eglise, guillotiné à Strasbourg le 3 février 1796,
et deux ans plus tard, le 24 juillet 1798, le doux abbé Jean Bochelé,
un des apôtres du Sundgau, fusitlé dans une gravière de la banlieue
de Colmar; morts, les deux, comme savaient mourir les martyrs de
la primitive Eglise.
LE CUtUË MATMBOUB&.

Concordat. Il fut recommandé à ce moment à M~ Zoepfel


qui avait été nommé le 3o avril t8o3 à l'évêché de Liège.
Ce prélat, né à Dambach, faisait partie avant la Révolu-
tion du chapitre de St.-Pierre-le-Vieux; il était docteur
en théologie, membre de la commission des examens, de
la chambre ecclésiastique, du conseil épiscopal et de
l'officialité, et en sa qualité de promoteur, il avait son
logement au pa)ais de l'évêque. Sacré le 7 juin à Paris,
il se rendit le 22 août dans sa ville épiscopale, accom-
pagné de l'abbé Maimbourg dont il avait fait son secré-
taire. Celui-ci ne fit pas un long séjour à Liège, puisque
dès le 28 prairial de l'an XI (le 17 juin i8o3) il fut
admis sur la présentation de son oncle, par Ms'' Saurine,
à la place de secrétaire de l'évêché, place que le vicaire-
général Metz avait occupée par ~ernK depuis le com-
mencement de l'année jusqu'au ter avril.
Le jeune secrétaire, en vrai charmeur, gagna aussitôt
les bonnes grâces de son évêque qui, après lui avoir
donné le camail (22 juin t8o3), lui fit obtenir de l'agré-
ment du premier Consul, un brevet de chanoine titulaire,
daté du i~ germinal, an XII, et l'installa lui-même
le 6 mai dans le grand chœur de la cathédrale, en pré-
sence de MM. Danzas et Hirn et de son secrétaire parti-
culier, Louis Spindler. Maimbourg avait alors 3 ans

II.

L'évoque Saurine n'avait pas, en dehors de ses deux


vicaires généraux, de conseil épiscopal il en instituera un
plus tard, en l'an i8fi, avant de se rendre au concile de
Paris. Mais dès le début il avait bien établi une commis-
sion provisoire, chargée de la réorganisation des paroisses.
Aussi, contrairement à ce qu'on lui a reproché, il traitait
lui-même les affaires; il était très autoritaire et n'aimait
pas être contrarié dans ce qu'il appelait « les bons prin-
cipes ». Par contre il avait donné toute sa confiance au
secrétaire de l'évêché, M. Maimbourg, qu'il initiait à tout,
lui soumettant ses lettres, acceptant ses propositions, et
LEOUE~iMAIMJiUUBR.

le chargeant de faire des /eco?M ou des remontrances à


ceux qui lui semblaient en avoir mérité. A preuve la
correspondance de l'évoque avec son secrétaire, durant le
séjour qu'il fit Marienthal. De cette correspondance, les
archives de St.-Martin de Colmar possèdent 12 lettres,
dont 8 adressées à Maimbourg. Ces lettres sont d'un style
familier, sans apprêt, traitant d'affaires 'courantes, de
commissions à soigner. Elles portent les dates du 16, 17
et 18 décembie de l'année i8oz). et celles du !n, 2C)août
et !2 octobre 1810; toutes expédiées de Marienthal.
Ms'' Saurine aimait le séjour de Marienthal. « La
vie, écrit-il, n'y est pas celle des solitaires.» II avait du
reste fait toutes les démarches auprès du ministre
des cultes pour en obtenir l'autorisation d'ouvnr de nou-
veau l'ancien- pèlerinage, si cher au cœur des catholiques
d'Alsace.
Cette autorisation, si universellement désirée, ayant
été donnée par décret du 26 nivôse an XIII, l'évêque conçut
aussitôt le dessein d'ériger dans ce même Marienthal une
maison de retraite pour les prêtres pauvres, âgés ôu in-
firmes, du diocèse. Ce dessein lui fut sans doute suggéré
par l'oncle de Maimbourg, Dom Marchai, l'ancien abbé
de Marmoutier, regardé avec raison comme le fondateur
de cette œuvre à laquelle il constitua par testament une
première mise de fonds. Encore ici, avec sa ténacité ha-
bituelle, l'éveque ne cessa d'adresser lettres sur lettres au
gouvernement, afin d'assurer à cette maison de retraite
une existence légale. II convient de signaler ce mérite,
peu connu, de Ms' Saurine, et nous le faisons d'autant
plus volontiers qu'à d'autres points de vue il nous rend
la tâche peu facile.
La lettre qu'il adressa au ministre le i5 juin 1810,
une vraie page d'histoire fait connaître la part qui
lui revient dans cette œuvre de restauration de Marienthal.
Pour cette pièce intéressante, nous renvoyons le lecteur
à notre supplément.
Ce fut la dernière démarche que fit l'éveque en faveur
de cette maison de retraite, enfin autorisée, par décret
impérial du 20 janvier j8ii.
LE CURÉ MAIMBOUB&.

Revenons aux lettres de M~ Saurine à Maimbourg,


durant son séjour à Marienthal dans la seconde moitié de
décembre j8o-(..
Quoique dénuées d'intérêt général, elles
excitent cependant la curiosité par les petits détails

qu'elles renferment, et surtout elles font ressortir la part


d'influence que possédait déjà alors le jeune secrétaire
c'est pour cette raison que nous les reproduisons.

Af~eHt/ia/, le MMr~: ~tMt:n ou plutôt Lundi soir, 16 décembre


1804.
Vous avez ici, mon cher Chanoine, la lettre que vous me de-
mandez pour le jeune homme d'Arlesheim. Il va repartir de grand
matin. J'ai été surpris de ne trouver dans votre lettre aucune men-
tion de mon paquet assez gros d'hier, qui a dû vous parvenir par un
prêtre partant de Bischwiller. Cela m'inquiète presque. Il devait vous
être rendu avant o heures du matin.
Louis a-t-tl retrouvé la caisse du J~r~c/MMM~.MC?' partie il y a
un an? II est grand temps de savoir ce qu'elle est devenue.
Louis promet toujours et ne tient guère. Que faut-il penser
de lui ?
Je vous salue affectueusement
J. P. SAUBINE, Ev.
P. S.
Vous trouvez ici une lettre du Ministre qui va bon train. Je
vous envoie celle de M. Stehlin. Vous voyez qu'on presse beaucoup
Fenvoi de M. Cuttat pour la cure de Bâle. Faites-le donc partir au
plutôt. Le jeune homme Burger me dit que la belle église d'Ar-
lesheim a été achetee par la Commune et que tout le monde est
content. Je suis surpris que M. Stehlin ne le dise pas, au moins en
passant, cela me fait douter. – M. le Grand Maitre de l'Université
m'envoie le discours latin sur le mariage de L.L. MM. et le procès-
verbal de la distribution des prix du concours des Lycees de Paris.
Quand j'aurai lu, vous lirez, si vous en êtes curieux."
Le jour suivant, l'évêque écrivait de nouveau

Marienthal, mercredi soir, :y déc. 180-]..


Je vous envoie, mon cher Chanoine, la lettre du curé de Hir-
singue, afin que vous voyiez ce qu'il demande pour le désir ardent
des habitants de d'avoir M. Hœnner. Il me semble qu'il leur a
déjà été accordé. Puisqu'il doit être si propre à les contenter et à
faire cesser toute division entre eux, il convient de les satisfaire.
N'ayant plus rien à vous dire pour le moment, je prie Dieu
qu'il vous ait en sa sainte garde.
f J. P. SAUBINE, Ev.
Préparez votre plume pour écrire au curé de Haguenau des
LE CUE:É MAIMBOUB&.

reproches et des leçons sur ce qu'il néglige l'instruction de sa pa-


roisse etc., tandis qu'il trouve du temps pour enseigner le chant au\
jeunes filles. S'il regimbe, je l'enverrai au Séminaire, dès qu'il y
aura une chambre; il mérite cette correction à tous égards; ses
paroissiens sont très mécontents de lui.
Nous avons aujourd'hui à dîner deux MM. de Haguenau,
Mirs Ducros et Rosée. 1
La troisième lettre est datée du Jeudi, 18 décembre
180~
,J'ai répondu, mon cher Chanoine, au gros paquet. Je reçois celui
que vous appelez insignifiant. Donnons à M. Lafaye la succursale
de Boncourt dont vous me parlez, s'il la veut, si elle lui convient.
Je ferai proposer sa place à M. Ruhlmann. Substituez quand vous
voudrez, au vicaire de la Madeleine, le S'' Schneider que vous pro-
posez. Mais où enverrez-vous le vicaire actuel? r
Les pigeons ramiers de M. Stehlin sont bons. Nous en avons
mangé deux à dîner avec les perdri\. La vie de Manenthal n'est
pas celle des solitaires.
Je vous ai parie de la visite de M. le Préfet. J'écris à Mad. la
Préfète. Si vous trouvez ma lettre assez bonne, jugeriez-vous à
propos de la lui remettre vous-même, pour savoir la réponse ?
M. votre oncle veut lire des discours envoyes par ]e Grand-Maitte;
vous les aurez ensuite.
Je vous salue affectueusement
-{-J. P. SAURINE, Ev.
Si Mad. la Prefète ne doit pas venir avant le 29, je partirai le
26 vendredi à cause du Prédicateur; dites ce que vous en pensez."
(A suivre.)

L'évêque ctan à coup sûr mal informe ou mal dispose a


l'endroit de M. Poinsignon, un des prêtres tes plus distingues par
leur fidelité et leur dévouement à la cause de la religion pendant la
crise révolutionnaire. Saurine l'avait nomme secrétaire de l'cvèche
en juillet 1802, poste que Poinsignon quitta dès la fin de l'année,
par suite de divergence de principes avec l'évêque; pour se rendre
à Haguenau, avec une commission provisoire de la desserte de la
cure de cette ville, à laquelle il fut définitivement maintenu. Quan~
à sa leçon de chant, nul ne s'en etonnera lorsqu'on saura qu'il éin!
grand amateur et connaisseur de musique d'église, ayant déjà publie
avant la Révolution une brochure sur les règles du plain-chant.
Aussi croyons-nous que le jeune chanoine secrétaire aura pris sa
bonne plume, trempée de délicatesse, si toutefois )i ne crut p:)s
pouvoir décliner l'office impose par une mauvaise humeur de son
maître.
UN CASTEL FÉODAL
OU LE

CHATEAU DE WERDE ET SES PROPR!ÉTA)RES

(Suite.) q

Henri de Werde ne voyait pas avec indifférence son


autorité s'en aller en lambeaux; il semble même avoir
cherché parfois à la ressaisir, mais ce geste valut à son
procureur une lettre peu flatteuse de la part de l'empe-
reur, en juillet de la même année. Voici cette pièce
«Frédéric, par la grâce de Dieu, empereur des Ro-
mains, toujours auguste, Roi de Jérusalem et de Sicile,
à Philippe de Richenberg, procureur du comte Henri de
Werde, à tous les juges constitués dans l'Empire et à
tous ses féaux qui verront les présentes, sa grâce et tout
bien
« Nos féaux bourgeois de Strasbourg ont humblement
supplié notre Celsitude qu'il nous plût d'ordonner qu'on
respectât les franchises que leur ont accordées nos divins
prédécesseurs et qui leur ont été ensuite renouvelées et
confirmées par Nous, spécialement celle de ne pouvoir
être traduits en justice hors de leur cité, attendu qu'ils
sont prêts à rendre justice à chacun dans la ville même, le
tout sans préjudice pour la juridiction et le respect dû à
la Majesté impériale.
« C'est pourquoi, Nous, ayant égard aux services dé-
UN CASTEL FÉODAL

voués que ces mêmes bourgeois ont rendus à notre Cel-


situde, qu'ils nous rendent incessamment, et à de plus
grands encore qu'ils pourront nous rendre à l'avenir, nous
sommes disposé à les écouter favorablement, et nous vous
ordonnons à tous, sous peine de disgrâce nous vous
enjoignons de respecter à l'égard de ces bourgeois, les
franchises qu'ils ont reçues des empereurs romains, nos
divins prédécesseurs, qui leur ont été accordées par pri-
vilèges et leur ont été renouvelées et confirmées. Et
ceci nous vous le mandons, afin qu'ils sentent les effets
de notre faveur, et que vous, de votre côté, vous puis-
siez, en vous y conformant, vous rendre agréable à notre
Celsitude. Donné à Augsbourg le ï3 juillet, indiction IX. » 1
Dans l'intervalle de ces deux incidents, se termina
enfin une affaire qui traînait depuis longtemps et qui
compromettait l'honneur du landgrave. On sait qu'il
s'écoula plusieurs années entre la mort de Godefroi ill,
dernier comte provincial de la famille de Metz et l'avè-
nement de Sigebert VIII au landgraviat. Durant cette va-
cance, l'empereur Henri VI avait détaché du domaine
landgravial le village de Dunnenheim pour le donner en
toute propriété a l'abbaye de Neubourg. Sigebert n'd\ait
jamais réclamé, qu'on sache, contre cette donation. Mais
à 4o ans de distance, son fils, Henri, innuencé, sans
doute, par ses ennuis domestiques, crut qu'on lui avait
fait tort, réclama Dunnenheim comme sa propriété et s'en
empara. Cette querelle, qui, paraît-il, n'était pas exempte
de violence, se prolongeait, lorsque l'abbé Albéron recou-
rut au roi des Romains. La diète impériale donna raison
aux moines et Henri dut promettre de ne plus les in-
quiéter. Malheureusement il ne tint point parole et re-

Grandidier, loc. cit., T. 3, p. 3-).4, ? 357 Litterse Friderici


secundi imperatoris ad Philippum de Richenberg procuratorem co-
mitis Henrici de Werda, et ad cœteros judices per imperium consti-
tutos, quibus prohibet, ne quis cives Argentinenses fideles suos extra
eorum civitatem ad landgraviale judicium evocet. Data apud Augus-
tam i3 julii jz36. (Ex codice membranaceo civitatis Argentinensis.)
OU LE CHATEAU DE WERDE ET !~ES PROPRIETAIRES.

commença les tracasseries. L'empereur délégua alors le


marquis Hermann de Bade pour terminer les contestations.
Celui-ci convoqua les partis à Stephansfeld, au mois de
juin !236, où Henri renonça à ses prétentions par l'acte
suivant
«A tous ceux qui verront les présentes, Henri, land-
grave d'Alsace, salut à jamais
«Je désire que tout le monde sache qu'après un long
dissentiment entre moi, d'une part; et le seigneur Albé-
ron, abbé de Neubourg et son couvent, d'autre part,
concernant le village et le ban de Dunnenheim, le sus-dit
abbé, affirmant qu'ils étaient la propriété de l'abbaye,
moi, au contraire, en usant comme de tous les autres
villages appartenant au landgraviat, étant convaincu qu'il
était de ma juridiction, l'abbé finit par porter plainte
contre moi par devant notre illustrissime seigneur Henri,
roi des Romains, en présence du duc de Bavière, du duc
d'Autriche, du marquis Hermann de Bade, d'Otton
d'Ochsenstein, de Burcard de Géroldseck et d'autres ma-
gnats, et produisit à l'appui de sa cause un privilège
émanant du sérénissime empereur, Henri VI, d'auguste
mémoire, où il était relaté qu'à l'époque où le sus-dit
prince tenait en sa main le landgraviat, comme une pro-
priété à lui dévolue et lui appartenant, et alors qu'il
n'avait pas encore inféodé au comte Sigebert, mon père,
le fief du landgraviat, lui, empereur, avait donné en au-
mône et pour le salut de son âme, le village de Dunnen-
heim avec tous ses droits, au monastère de Neubourg, à
la condition expresse qu'il serait, dans la suite et à jamais,
soustrait du landgraviat et libre de toute prétention de
la part des landgraves.
«Mû par l'autorité de ce privilège et par les conseils
d'hommes hauts et puissants, j'ai promis et donné ma
parole en présence du duc de Bavière qui était alors vi-
caire de l'Empire, sur les exhortations du duc d'Autriche,
du marquis de Bade et d'autres hommes nobles et hono-
rables, qu'à partir de cette époque et plus jamais, je ne
revendiquerai aucun droit ou sur le village ou sur le ban
UN CASTEL FÉODAL

en question.
En foi de quoi, j'ai jugé à propos de faire munir de mon
sceau le présent acte.
« Fait en l'an du Seigneur t236, au mois de juin,
devant les témoins présents. »
Dans la même séance, le marquis de Bade, voulant
donner encore plus de sécurité à l'abbé de Neubourg,
rédigea, à Stephansfeld, devant les mêmes témoins, la
relation de ce qui venait de se passer, y fit mention des
différentes péripéties de la querelle, des violences du
comte de Werde, des promesses qu'il avait violées et de
la mission que lui personnellement avait reçue de l'em-
pereur de terminer le débat à l'avantage des religieux
dont le droit était reconnu et démontré depuis longtemps.
Il munit la pièce de son sceau et du nom des témoins
présents.
L'année !238 s'ouvrait sous d'heureux auspices,
puisque la comtesse Elisabeth avait maintenant l'espoir
de devenir mère tout présageait des jours meilleurs.
Vers le milieu de l'été, Henri tomba sérieusement ma-
lade. Sentant que ses jours étaient comptés, il assura de
nouveau, au mois de juillet, le douaire de Hipsheim à la
comtesse Elisabeth, lui confirma, le 22 septembre, la
même donation et déclara lui en laisser l'usufruit et même
la propriété, s'il venait à mourir sans enfants. Cette der-
nière pièce semble avoir été son testament, puisque, dans
la même année, Elisabeth de Montfort nous apparaît
comme veuve du comte de Werde. On ignore le lieu de
sépulture du landgrave.

§ g Henri-Sigebert.

L'histoire ne nous dit pas si la mort du comte Henri


de Werde fut une bien douloureuse épreuve pour son
épouse. Il nous répugnerait de noircir la mémoire d'une
jeune veuve qui, loin de sa patrie, ne voyait autour d'elle
que des étrangers et qui, tout a coup, se trouvait en
butte à la médisance, à la calomnie et aux basses intrigues
OU LE CHATEAU DE WERDE ET SES PROPRIETAIRES.

de la part d'hommes avides de s'emparer des biens de


son mari défunt.
Nous avons déja dit plus haut que l'union du comte
et de la comtesse ne semble pas avoir été heureuse. Les
bruits qui coururent plus tard dans le public sur la ré-
putation d'Elisabeth, bruits, quoique calomnieux, sont
cependant de nature a confirmer ce que nous avons dit
sur le manque de sympathie entre les deux époux. Voici
ce que disent les ~4/~M/e~ Co/~Mr~~M .Pnr~'c~orMM, à
l'année 1278, qui est celle de la mort du fils posthume
de Henri de Werde «Mort du comte de Werde que
l'on disait être le fils, non de la comtesse, mais d'un
meunier. On en trouvait la justification dans l'extérieur
et le caractère de son frère. )' 1 Les traducteurs
corporel
d(.s Annales, de cette œuvre d'un moine qui se faisait un
singulier plaisir de ramasser, partout où il les trouvait,
des cancans ridicules et scandaleux, se hâtent d'ajouter à
ce passage la note suivante «Le passage très obscur,
selon nous, dans lequel l'annaliste a jeté des doutes sur
la filiation légitime de ~<?~r/c~er~, est le seul indice
que nous connaissions de l'opinion qui se serait répandue
alors à ce sujet. Grandidier est muet sur cette particula-
rité nouvelle et qui doit justement paraître suspecte. M
Ces bruits sont plutôt de nature à nous faire croire que
le public informé dès longtemps de l'état maladif du comte
Henri et le sachant sans famille après un mariage assez
long, ne s'attendait plus à lui voir de la postérité.
La précipitation que mit Elisabeth à se remarier sans
attendre la fin de son deuil, et sa conduite peu mater-
nelle à l'égard de son fils sont, plus que tout le reste, de
nature à jeter de l'ombre sur la sincérité des sentiments
envers son époux, et à soulever un coin du voile qui nous
cache cet intérieur de famille.
Quoi qu'il en soit, la comtesse de Werde donna,

Obin cornes de Werde, qui a matre sua non filius suus sed
61tus moledinarii fuisse dicebatur; hoc ideo probavit frairis dispo-
sitio corporis et natura." Annal. p. 68.
UN CASTEL FÉODAL

peu après la mort de son mari, le jour à deux jumeaux


dont l'un mourut bientôt après sa naissance, l'autre reçut
au baptême les noms de son père et de son aïeul. II fut
appelé Henri-Sigebert et paraît dans l'histoire tantôt sous
l'une, tantôt sous l'autre de ces dénominations, quelque-
fois sous les deux réunis. Dès lors, elle dut songer à sa
situation et à celle des nouveaux-nés. Si, au moment du
décès de son mari, elle n'avait eu l'espoir de lui donner
un héritier ou une héritière, tous les biens du landgrave e
qui, a l'exception du douaire réservé à sa femme, n'étaient
plus que des fiefs, seraient devenus vacants et auraient
fait retour à leurs propriétaires, c'est-à-dire à l'empereur,
à l'évêque de Strasbourg, au duc de Lorraine et au sei-
gneur de Lichtenberg; mais, étant enceinte, elle avait
probablement notifié la chose à ces princes pour en ob-
tenir un sursis. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'elle leur
annonça la naissance de ses deux enfants et leur demanda
qu'ils réservassent les fiefs à ses fils pour l'époque de
leur majorité, suivant les lois féodales.
Nous n'avons pas toutes les réponses de ces suze-
rains. Senckenberg nous a cependant conservé celle de
Mathieu de Lorraine, lequel reconnaît avoir donné en
fief à Elisabeth et à ses enfants jp<ir~s ejus tout ce
que Henri avait tenu de lui en Alsace. Ce diplôme est
de l'année t238~ 1 et prouve qu'Elisabeth était devenue
mère quelque temps avant la fin de cette même année.
On sait qu'alors l'année finissait à Pâques et non au
3i décembre.
Un an plus tard, la landgrave convolait à de secondes
noces. Nous le savons par le contrat de mariage par le-
quel le wildgrave Conrad et son épouse Gisèle donnent
à Elisabeth, comtesse de Werde, et à leur fils Emichon,

Gonradus comes Silvestre et Gisela conjuges Elisabeth~ co-


muissœ de Werde et filio suo Emichoni castrum Kirberc cum L
librarum reditibus in dotem conferunt. An. n3g, mense febr.
(Senckenberg, loc. cit. Aïs. dipl, N" ~3.)
OU LE CHATEAU DE WERDE ET SES PROPRIÉTAIRES.

une dot consistant dans la cession du château de Kir-


avec livres de rentes. 1
bourg cinquante
On se demande Pourquoi cette grande hâte de se
remarier? Etait-ce par la crainte de l'isolement ou de
commérage sur son compte ? On ne sait. Quand à la ques-
tion de l'éducation de son fils et de la tutelle à exercer
sur lui, nous en trouvons la solution dans les lois féo-
dales, d'après lesquelles ce soin incombait seul au prin-
cipal seigneur suzerain, c'est-à-dire, dans le cas présent,
a l'empereur ou à l'évêque de Strasbourg. Or, c'est à ce
dernier que, selon toute apparence, échut la charge. Nous
croyons d'autant plus volontiers que ie jeune Henri-Sige-
bert fut élevé à la cour épiscopale, que plus tard il épousa
la nièce de l'évêque Henri de Dicka dit de Stahleck.
Les fiefs qu'avait tenus son père furent rendus, à
l'exception de quelques-uns qui avaient été donnés à
d'autres seigneurs avec obligation toutefois de les restituer
à Henri-Sigebert lorsqu'il aurait atteint l'âge de puberté.
Aussi ces fiefs ne furent-ils donnés ou promis a d'autres
que pour le cas où le jeune landgrave ne vivrait pas ou
ne laisserait pas de postérité. C'est dans ce sens qu'il faut
entendre l'investiture des fiefs de Saint-Hippolyte, de
Kœnigsbourg et d'Ensheim, accordés, en !25o, par le duc
Mathieu, à Cunon de Berckheim. Le droit de Henri-
Sigebert avait été réservé dès is38, nous l'avons vu, et
il fut confirmé dans les lettres d'investiture à Cunon où
il est dit «S'il arrivait que l'enfant appelé Henri, comte
d'Alsace, eût des fils et qu'il possédàt le comté et la
juridiction de Werde et qu'il fit tant envers monseigneur
le duc, que le seigneur duc lui rendit de droit le dit
nef. moi, Cunon, je resterais l'homme de mgr le

MathaEusduc Lothanngias EIisabethse Henrici comius Aisatis


et parvis ejus in feudum se contulisse profitetur, quicquid Henricus
iste ab ipso tenuerat in Alsatia. an. t238. (Senckenberg, loc. cit. et
in Struvii syntagm. juris feud. prodromo Senckenberg, p. i35.
Alsat. diplom., ? 4.92.)
Revue.AoûlMM. M
UN CARTEL FÉODAL

duc pour 200 marcs d'argent qu'il serait obligé de me


dans le courant de l'année. )) 1
payer
C'est dans ce sens encore qu'il faut entendre les lettres
de Guillaume, roi des Romains, par lesquelles ce prince
conféra les fiefs impériaux du landgraviat au wildgrave
Emichon, beau-père du jeune Henri Sigebert, pour le cas
où ce dernier mourrait sans postérité si /~r~<?~! ~c-
~!or~! comitis absque /!er~6 legitimo ~rc~or! Cette charte
d'expectative est datée du camp d'Ingelsheim, le 25 février
2
i240.~
Le tribunal landgravial fut aussi confié provisoire-
ment à d'autres, d'abord au landvogt Adolphe, comte de
Waldeck, puis à l'évêque Henri de Strasbourg, ce que
dénote la lettre du roi Guillaume encore de l'année
!255 au comte de Waldeck, /M~/cMr/M~ jDrof/~cz't!
pour aviser à faire rendre a Rhembold Liebenzeller les
biens qu'il possédait à Trsenheim il figure encore comme
Wilhelmi regis justiciarius dans un autre titre de la même
année. L'évêque Henri de Stahleck fut juge provincial
sous Richard de Cornouailles et nommé vicaire de l'Em-

Ego Cono de Berckheim – c'est Mittelbergheim – notum


facio unlversis presentes literas inspecturis, quod illustris dominus
meus Mattheus dux Lotharingie et marchio pacem fecit mecum et
cum filio meo Ludovico de omni querela et rancore quas habebat
erga nos, tali modo, quod ego devern homo suus et ipse mihi con-
tulit in feudo et homagio et dicto filio meo. castrum Estuphin
(Kœnigsbourg) cum omnibus appendicits ejusdem castri sciltcei
Sanetum Hippolitum et Aneschelm (Entzheim) hoc salvo, si contin-
geret, quod puer, qui dicitur Henricus comes Alsatie, fihos haberet
et possideret comitatum et dominatum de Werde. dominus dux
de jure redderet ei feudum prenominatum. Datum A. Dni iz5u
die Martis ante festum B. Marie Magdalene. (Aïs. dipl., N' 53o. –
Grandidier, 1. c., p. 3o3.)
Diplomo Wilhelmi regis Romanorum, quo Emichoni Junion
comiti Sylvestri, qui uxorem duxerat Elisabetham de Montfort Hen-
rici comitis Werdensis vtduam, spem largitur in comitatum iaferioui.
Alsatiae et in universa bona qua: ab imperio dictus comes Henricus
titu]o feodi olim tenuerat et possidebat. Datum in castris apud In-
gelnheim, 95febr. H4Q. (Grandidier, i. c., N" 451, p. 388.)
OU LE CHATIAU DE WERDE ET SES PROPRIÉTAIRES.

pire avant le départ de ce prince pour l'Angleterre, en


i25g.
Quant aux fiefs de l'Eglise de Strasbourg qui avaient
été tenus par les comtes de Werde, nous ne savons à
qui ils furent temporairement conférés. Nous inclinons à
croire qu'ils furent réservés pour faire face aux frais de
garde-noble ou de tutelle, échue à l'évêque. Nous n'avons
aucune donnée certaine concernant les fiefs de Lichten-
berg. Nous soupçonnons toutefois qu'ils furent accordés
aux Fleckenstein.
Si, comme il est probable, le petit Henri-Sigebert
fut emmené par sa mère, en i23o, au château de Kir-
bourg, sur le Hundsruck, pour y passer son enfance, son
éducation première ne dut pas être brillante d'après l'idée
que nous avons des wildgraves. Ces seigneurs durs, hau-
tains et turbulents, comme la plupart de ceux de l'époque,
l'étaient davantage encore dans leur isolement plus pro-
fond au milieu d'une contrée plus ingrate et plus sau-
vage, en proie à de continuelles jalousies et haines entre
eux et avec leurs voisins, donnant et recevant sans re-
lâche des coups d'épée ils ne devaient pas présenter
grande garantie pour la bonne éducation de l'orphelin.
Sa mère, il est vrai, veillait sur lui, car la châtelaine du
moyen âge exerçait une grande autorité au foyer domes-
tique, l'éducation des enfants et le soin de la maison lui
étaient abandonnés, tandis que le seigneur s'occupait
d'aventures militaires, de joutes, de chasse et de bruyantes
réunions. Le jeune Henri-Sigebert dut bientôt devenir
un embarras pour sa mère d'autres enfants et, par con-
séquent, d'autres affections étaient venus à Elisabeth. Son
fils était d'ailleurs destiné à vivre en Alsace; il devait
apprendre à connaître ses terres et ses sujets. De plus,
les usages de la féodalité exigeaient qu'il fût élevé auprès
de son suzerain qui exerçait vis-à-vis de son pupille le
droit de garde-noble. Il y a donc lieu de croire que dès
que le jeune landgrave eut atteint l'âge de discrétion,
Elisabeth fit des démarches auprès de l'évêque de Stras-
bourg pour le faire entrer à sa cour.
UN CASTEL FÉODAL

Le siège épiscopal était alors occupé par Henri de


Stahleck, homme aussi distingué par son mérite que par
sa haute naissance. Henri-Sigebert arriva à sa cour où il
eut l'occasion d'acquérir des connaissances et de se former
au métier des armes. Le Chapitre de Strasbourg avait
une école florissante et pouvait fournir aux pages épisco-
paux des maîtres habiles; le prélat lui-même, adminis-
trateur consommé et guerrier intrépide, était à même de
préparer les jeunes gens de sa suite à la carrière qui les
attendait. L'Allemagne était alors en ébullition. Les graves
questions qui s'agitaient autour du landgrave, étaient de
nature à lui faire connaître et les hommes et les choses,
et à porter sur les affaires du temps un jugement ferme
et sûr.
Cependant le prélat méditait, dans l'intérêt de son
pupille et dans celui de sa propre famille, une alliance
entre le jeune landgrave qui comptait maintenant quinze
ans et venait d'atteindre la majorité, et sa nièce Gertrude,
fille d'Alexandre de Dicka. Le mariage se fit, en effet, à
la fin de l'année i2b~ ou au commencement de 1255, ce
qui ressort de la charte du 25 février !255 en faveur de
Henri de Fleckenstein et ses fils, dans laquelle le land-
grave décerne le titre de ~<MM-~7~ au noble homme
~n~re de D/c~ Cette union précoce n'a pas de quoi
nous étonner quand nous considérons qu'il était alors
d'usage parmi les nobles de songer à l'établissement de
leurs enfants lorsque ceux-ci étaient encore, pour ainsi
dire, au berceau. Ces sortes d'unions étaient de politique
ou d'intérêt.
On dirait que Henri-Sigebert fut affranchi de la tu-

Sigebertus landgravius Alsatiœ Henrico de Fleckenstein filius-


que ejus Wolframo, Rodolfo et Friderico, feodum Friderici mars-
calsi de Hagenowe in villa Beinheim confert. (V. Aïs. dipl., ? 256.
Laguille, Hist. d'Als., Preuves, p. 3 y.) La famille de Dicka,
qui appartenait à l'ordre équestre, blasonnait de sable au lion ram-
p<!H< cottroMMe d'or, /i7M:po'Me et armé de ~Me:</M. La branche de
Stahleck portait <f(~Mr MM cerf ~~rg-~H~ MOKh!~ sur :if:c ~eyr~MC
de ~!Mop/e.
OU LE CHATEAU DE WERDE ET SES PROPRIÉTAIRES.

telle dès l'àge de dix ans, puisque nous le voyons délivrer


des chartes et prendre le titre de landgrave d'Alsace en
124~. Néanmoins il ne présida pas le tribunal provincial
avant !255, qui est l'année de son mariage, comme nous
l'avons dit plus haut. Nous n'avons que peu de choses à
dire des premières années de sa vie publique. SchoepMin,
tout en affirmant qu'il figure dans des documents sans
nombre de l'époque, n'en cite qu'un seul de l'année i25o,
où l'évêque, son oncle, déclare lui avoir donné deux maix
et demi de terres à Vendenheim. Ces terres, Sigebert les
avait données en sous-fief a Bernard Cagon lequel, à
son tour, les transmit en arrière-fief a Henri de Marsilli,
avec le consentement de l'évêque et du landgrave. i
L'année 1260 s'ouvrit pour Henri-Sigebert sous de
sombres auspices. L'évêque, son oncle et son puissant
appui, mourut le 12mars. Cette perte lui fut d'autant
plus sensible qu'elle fut suivie de l'élection au siège
ëpiscopal d'un homme qui devait attirer sur le diocèse et
la famille de Werde les plus grandes épreuves. Petit-fils
de Wolfgang de Géroldseck et d'une comtesse de Werde,
grand'tante de Henri-Sigebert, le nouveau prélat, Wal-
ther, était jeune encore, fier, hautain, prompt à la colère,
extrêmement jaloux de ses droits, volontaire, imprudent
dans ses paroles, persévérant jusqu'à l'opiniàtreté dans
ses entreprises et, avec cela, courageux, guerrier même.
Cette parenté semblait promettre au landgrave une com-
pensation pour la perte de son oncle; mais la trempe du
caractère du nouvel évéque ne tarda pas à le détromper,
et, si, en sa qualité de vassal et de parent, il se rangea
d'abord de son côté, les circonstances ne tardèrent pas à
le forcer de le combattre les armes à la main.
Bientôt t'évoque Walther de Géroldseck, ayant voulu

Nos Henricus Dei gratia episc. Argent. notum facimus.


quod cornes Sigebertus, landgravius AIsatiœ, recepit a nobis in feu-
dum duos mansos et dimidium in banno Vendenheim sitos, quos ab
ecclesia nostra tenet. Quos mansos idem comes Sigebertus concessit
in feudum Bernhardo Cagone. Acta sunt hec an. Dom. n5o.
(Als. dipl., N" 587).
UN CASTEL FÉODAL

rétablir plusieurs anciens droits et de nouveaux péages,


éprouva une résistance inattendue de la part des bourgeois
de Strasbourg. C'était la guerre. Henri-Sigebert, alors âgé
de 22 ans, entra dans son alliance. Nous n'entreprendrons
pas de raconter l'histoire du conflit, nous renvoyons le
lecteur à nos historiens de l'Alsace. Il nous suffit de dire
que dans l'action très vive qu'il y eut a Oberhausbergen,
le 8 mars 1262, où l'évêque combattit comme un héros
et eut deux chevaux tués sous lui, les épiscopaux furent
défaits par les Strasbourgeois et perdirent 60 hommes de
distinction, entre autres le burgrave Jean de Werde 1 le
landgrave Henri-Sigebert se trouva parmi les 76 prison-
niers qui furent conduits à Strasbourg et mis aux fers
dans le .BrM~e?'Ao/ il n'obtint la liberté qu'après avoir
contracté, le 23 juillet, une alliance avec la ville et ses
confédérés contre l'évêque et sa famille. Dans ce traité le
landgrave s'engageait, sous la foi du serment, envers le
prévôt de Bâle, Henri de Neuchâtel, les comtes Rodolphe
et Godefroi de Habsbourg, le comte Conrad de Fribourg,
le bourgmestre et la ville de Strasbourg ]° à les aider
contre l'évêque, son père et sa famille et tous ceux qui
les soutiendraient entre Bâle et la Forèt-Sainte et la mon-
tagne 2" à ne jamais faire la paix avec l'évêque sans le
consentement des autres confédérés; 3" à ne jamais de-
mander la dispense de ce serment, soit au pape, soit à
aucune autorité ecclésiastique. Il jurait, en outre, que
s'il venait à rompre ses engagements, il se reconnaissait
passible d'une amende de 2000 marcs d'argent et coupable
d'infidélité et de parjure.

An. Dom. 1262, octovo idus martii, obilt Joannes miles de


Werde. Il fut enterre dans le cloître de la commanderie de Stephans-
feld. Son épitaphe se trouve gravée dans t'Als. il], de Schoepnin,
T. 2, p. 533.
Im namen des Vaters u. des Sunes u. des hl. Geistes. Ich grave
Heinrich Sigebrecht von Werde u. lantgrave zu Elsaze, tun kunt
allen den, die diesen Brief gesehent oder gehorent, do ich uberein
bin kommen mit herren Heinrichen von Neuenburg, dem thum-
probsten zu Basele, grave Rudolfe u. grave Gotfriede von Habisburg,
grave Cunrad von Friburg, deme meister, deme rate u. der gemeinde
OU LE CHATEAU DE WERDE ET SES PROPRIÉTAIRES.

A partir de cette fatale aventure, la bonne harmonie


ne fut plus troublée entre le landgrave et la cité de
Strasbourg. Au contraire, il se montra attentif à ne
blesser en rien ses bourgeois. Le samedi après la Saint-
Jacques !2b2, il appendit son sceau à une charte de Ro-
dolphe d'Utenheim, son vassal, et de divers autres nobles
qui ordonnaient à leurs subordonnés de ne plus jamais
prendre les armes pour la cause de l'évoque. Le g no-
vembre, il écrivit encore, de son château de Werde, aux
bourgeois de Strasbourg dilectis coM/Mra/~ ~M~, -ËKf-
r~r~o w~~ro, co?~M/M~ et universis civibus Atgent.
.M/M~c/Met quicquid o~~M~' potest et /!o~c'r~ pour leur
dire qu'il prenait part aux ennuis que leur causaient les
seigneurs de Rathsamhausen qui étaient restés fidèles a
l'évêque et pour les rassurer sur son propre compte, leur
déclarant qu'il ne voulait ni ne devait permettre qu'ils
eussent le moindre désagrément du côté de sa ville d'Er-
stein, ni de ses places de guerre de Mo~ro opido
Ë'r~C<m vel de t!S MO~r/y MMH~'OM~'M~.1
C'est probablement encore lui qui engagea le burgrave
Gervand de Werde, son vassal, à renoncer, par acte au-
thentique du 8 février 1267, à toute récrimination et à
tout acte de vengeance contre les bourgeois de Strasbourg,
à cause de la mort de son frère Jean, tué à Hausbergen,
et de la captivité d'un de ses subordonnés. 2

von Strazburg u. allen Ir helferen oben u. nidenen, also dasz ich in


gesworen han biholfen zu smne, u. sie mir dawider ane geverde
temmere wider den Bischof Waltherem von Strazburg u. sinnen
vatter den von Geroltsege u. des ktnt, u. wider meneglichen entswu-
schen Basele u. dem hl. Vorste und entswuschen dem Geburg.
Were aber do ich dierre sicherheit u. dierre gelubede abegienge, ich
sotit in zi soltshatze schuldig sin zwei tusend marcke silbers u. darzu
meineide sin u. truwelos. Dis beschah, do sit unsers Herren geburte
waren 1262 iar an deme sunnentag nach sante Margreden mess.
(Als. d)p! N" Go6.)
Schœpnm, Ats. dipl., I, N" 6:6 et 610.
Gervandus burcgravius Werdensis renuntiat omni actioni con-
tra cives Ar~enttMnses de morte fratns sui Johannis, ln conflictu
tnterfecti, et de captivuate Bertholdi sibi competenti. an. 1267 d-
S. april. (Ais. dipl., I, 6-)-[. – Wencken apparatus archivor., p. [76.)
UN CASTEL FÉODAL

Débarrassé des soucis de la guerre et des humilia-


tions de la prison, notre landgrave n'était pas exempt de
troubles et d'ennuis il lui en venait de la part de sa propre
famille. Son épouse, il est vrai, l'avait rendu père de
plusieurs enfants, ce qui devait être pour lui, seul rejeton
de sa race, une bien grande satisfaction. Mais sa mère et
son beau-père le poursuivaient de leurs réclamations et
haussaient les prétentions sur le douaire fixé par le feu
landgrave à Elisabeth. Ce n'était plus simplement de la
jouissance viagère du château de Niederwerde et du vil-
lage de Hipsheim, ni même de la propriété allodiale et
perpétuelle de ses domaines, concédés par le défunt land-
grave pour le cas où il ne lui survécût aucun descendant,
qu'il était question. On demandait maintenant bien da-
vantage. Pour justifier ces prétentions, on faisait, sans
doute, valoir les pertes que l'on avait subies par suite
des délais mis à l'exécution de ce que l'on avait promis,
on supputait peut-être aussi les frais d'éducation et de
tutelle de Henri-Sigebert pendant sa minorité.
Le landgrave, de son côté, s'en tenait strictement à
ce qu'avait ordonné son père. Les choses en vinrent au
point que le débat dut être porté devant le tribunal de
la noblesse, composé des personnages suivants L'évêque
de Strasbourg, Henri de Géroldseck, l'évêque de Spire,
Henri de Linange, Ulric de Ribaupierre, Simon de Gé-
roldseck, frère de l'évêque, Henri et Louis de Lichten-
berg, Emichon et Frédéric de Linange, Wernher de
Bolanden, Conrad-Wernher de Hattstatt, Gonrad de
Landsperg, Rodolphe de Lobgassen, Hartung de 'Wangen
et Walther de Girbaden. Le wildgrave sut bien p!aider
sa cause devant l'imposant tribunal, puisque l'accommode-
ment qui eut lieu, fut entièrement en sa faveur. Du con-
sentement du landgrave et de son épouse, le wildgrave
voulut bien renoncer, sous la foi du serment, à toute
prétention ultérieure, à condition qu'on abandonnerait en
toute propriété, à sa femme et à ses enfants, le château
de Niederwerde avec ses dépendances, le village de Hips-
heim, le droit de patronage sur l'église au dit lieu et les
OU LE CHATEAU DE WERDE ET SES PROPRIETAIRES.

droits s'y référant; en plus, une rente de 160 sacs de


seigle à Brumath et le comté du Ried que les landgraves
possédaient de compte à demi avec les sires de Flecken-
stein. 1 Henri-Sigebert acquiesça à toutes ces exigences et
les sanctionna sous la foi du serment. Les parties contrac-
tantes s'engagèrent, selon l'usage d'alors, à ne jamais de-
mander à aucune personne, soit ecclésiastique, soit civile,
fût-elle pape, cardinal, archevêque ou évêque, ni à aucun
tribunal laïque quelconque la dispense de ce serment.
Un acte aussi solennel aurait dû, ce semble, mettre
fin à toute contestation mais il n'en fut pas ainsi. La
cause reparut le 27 octobre de l'année suivante devant
une assemblée tout aussi illustre que la précédente. Les
conventions furent les mêmes, seulement on s'y obligea
sous de fortes peines. Ainsi le landgrave consentait à être
traité de parjure s'il ne les exécutait pas, et à perdre le
comté de Hatten, le droit de patronage de Brumath et
une rente de i5o sacs de seigle sur la même localité. Le
wildgrave, de son côté, devait encourir la note d'infamie
et perdre tout droit à ses prétentions s'il recommençait
la querelle. On donna, de part et d'autre, de nombreux
garants de la parole engagée et on nomma d'avance quatre
juges pour le cas où de nouvelles difficultés surgiraient.
Ces juges furent, du côté du landgrave Conrad de Lands-
perg et le burgrave de Nideck; et du côté du wildgrave:

Harumbe hat der vorgenante grave Sighbrecht un sin


wurtin Gertrud mit gemeinre hant gegeben u. gelassen mit allen
deme rehte, daz si daran hattent oder solten han Nidern Werde daz
huz u. alles daz der~u horet, und Htpsensheim daz torf mit deme
kirchsaze u. mit allem deme rehte daz darzu horet. Und zu Brumat
hundert u. sehzig vierteil rocken geltes ane shade u. die Graveschaft
die er gemeine hat ime Riet mit den von Fleckenstein an uns unsere
kinden u. an unsern nachkommen zu bliben lemerme ane aller
slachte vorderunge. Dirre sune sint wir uberein komen mitennander
ane allerhande geverde. Herumbe henk ich Emicho der wildegrave
un Elisabeth mm wurtin unser ingesigele an disen bnef zu eine
steten urkunde. Dis geshach do sit unsers Herren geburte waren
zwelf hundert un funf unde sehzig jar. an deme neht~ten frietage
nach der lichtmes (6 février n65). V. Als. dipl., I, ? 632.
UN CASTEL FÉODAL OU LE CHATEAU DE WEBDE ETC.

Hugues de Lützelstein et Simon de Géroldseck. En cas


de désaccord, ceux-ci devaient se réunir, dans les quinze
jours, à Saverne, pour prononcer à la majorité des voix.
Les deux parties devaient se soumettre à leur décision
dans l'espace d'un mois au risque d'encourir les peines
énoncées plus haut. Cet acte mit fin au débat.
Les comtés de Hatten Gr<Mc/!tT~7 imme /Y<c~-
~OM~ – et du Ried, dont il vient d'être question, étaient
des fiefs d'Empire que les landgraves tenaient de temps
immémorial et qui, dans l'origine, semblent avoir appar-
tenu à eux seuls. A cette époque, ils partageaient le
comté de Hatten avec les Fleckenstein et celui du Ried
avec les Lichtenberg, sans que l'on sache à quelle occa-
sion se firent ces concessions. Herzog nous parle d'un
Siegeman de Lichtenberg qui, dans la première moitié
du XIIe siècle, avait épousé une landgrave. Ce fait, s'il
était éclairci, pourrait peut-être donner la solution du
problème et nous expliquer comment les Lichtenberg
furent mis en jouissance de terres landgraviales. Quant
au comté du Ried dont les comtes de Werde avaient cédé
leur part en sous-fief aux Fleckenstein et dont Henri-
Sigebert avait cédé, par la transaction de 1266, ses droits
féodaux au wildgrave, cette seigneurie revint de nouveau
à ses premiers possesseurs, puisqu'ils la firent passer
avec le landgraviat, au milieu du XIV" siècle, aux comtes
d'Œttingen. Les comtés de Hatten et du Ried formaient
anciennement des Marches et avaient le régime particulier
a ces sortes de territoires. Hanauer nous donne des dé-
tails intéressants sur leur constitution. 2

FR. EDOUARD StTZ'\tANN.

Altera transactio Sigeberti landgravii et uxoris ejus Gertrudis


cum matre sua Elisabetha et conjuge ejus Emichoni Sylvestri co-
mite. an. t266, zy octob. (Als. dipl., I, NA 633, p. 456.)
Les Constitutions des campagnes de t'Aisace, p. 104. AIs.
dipl., I, p. ~52.
NOTES HISTORIQUES SUR UÈPVRE
ET ALLE MAND-ROMBACH.
(Suite.)

CHAPITRE II.

Les restes de la donation de Charlemagne.

Comme Dcgermann l'a démontre dans son excellent


ouvrage,' les droits du prieuré de Lièpvre s'étendaient à
une immense superficie de forêts, prés, etc.
pâturages,
Qu'en restait-il encore dans le siècle passé ?
Les archives de Lièpvre nous donnent quelques ren-
seignements à ce sujet. Voici notamment une pièce im-
portante
Le soussigné J. N. Mathieu, fermier actuel des biens et revenus
du Chapitre Primatial de Nancv, situés au dit Lièpvre, déclare au
nom du dit Chapitre que pour se conformer à l'ordonnance de la
Chambre des Comptes de Lorraine du [2 février i~qo que le dit
Chapitre possède en biens, fonds, rentes foncières et dîmes, savoir:
t" fo jours de prez.
2" 29 jours de terres labourables.
3" Une montagne en forêt qui consiste à environt neuf cents
arpens de terrains.
-)." De laquelle ditte Montagne le Chapitre se fait livrer des
couppes ordinaires par la maitrise de St. Diez chaque année
t5 arpents de sapin.
5° Plus ensuite i3o arbres de sapin.

La donation de Ch:)rtema!;ne au prieuré de Lièpvre.


NOTES HISTORIQUES SUR LIÈPVBE

6" Les dits arpents et t3o arbres sapin du rapport d'une année
à l'autre 1800 livres pour les deux objets.
y" Le susdit Chapitre perçoit des mains du dit fermier par un
bail pour la dite montagne t~o livres de francs.
8" Le même Chapitre perçoit annuellement sur différents ter-
rains pour rentes, fonciers etc. 100 1.
9° Perçoit le dit Chapitre sur un moulin au dit lieu no 1.
10" Sur une portion de terres arables dit les Chanipts de ?MOt'~e
par tous Bail yo 1.
!i" Perçoit le dit Chapitre sur trois moulins au dit Lièpvre tz
Reseaux de grains chaque année, moitié en seigle et moine
en froments du produit en argent 180 I.
UO Le susdit Chapitre perçoit les tiers des Grosses et menues
Dixmes du ban de Lièpvre consistant dans la perception du
douzième à charge par lui de l'entretient et réparation de la
nef de l'église paroissiale du dit Lièpvre.
i3 Le dit fermier paye annuellement ~.35o livres de Lorraine
par bail de la ditte ferme non compris 120 livres de L.A. R.~
y compris dans la ditte somme ggz Jiv. d'une sorte faisant
le montant de la moitié des dixmes de la paroisse de St. Croix
avenant au dit Chapitre et d'une autre sorte 620 livres pour
tier de celle de L. A. R. avenant aussi au dit Chapitre, fan
une somme totale de t6o~ 1. à déduire de la dite somme de
~.35o reste pour la ditte ferme de Lièpvre 2~58 livres.
Laquelle declaration signée par le dit J. N. Mathieu et
remise double à la municipalité du dit Lièpvre et certifie
sincère et véritable.
A Lièpvre, le 29 avril 1790.
Dans un autre document de la même année nous
lisons
,La communauté évalue en estimation la montagne de Chale-
mont et les dits autres que le dit Chapitre possède à environ 36.ooo
livres.
,La municipalité demande que sy les biens doivent être vendus
à l'avenir la communauté de Lièpvre soit privilégiée avant toutes
autres personnes, d'en faire l'acquisition sy elle souhaite et après
elle la preférance soit aussy aux particuliers du même Lieu pour ne
pas geainer plus d'avantage la ditte Communaute sur ces objets et
suivant toutes autres Estimations qui en seront faites par experts."
On sait que l'Assemblée nationale (1780, ig dé-

cembre) avait ordonné, décret, sur la proposition de


par

L'AMemand-Rombach. En '773, le Chapitre percevait aussi


des dîmes à Sainte-Marie-a.-M.
ET ALLEMAND-BOMBACH.

Talleyrand de Périgord, évêque d'Autun, la vente de tous


les biens du clergé. Ce décret de spoliation était d'autant
plus coupable, que le clergé consentait a en céder une
partie pour arrêter la crise financière. Mais la vente des
biens ecclésiastiques et religieux ne se fit pas sans quel-
que diniculté. A Lièpvre, l'adjudication des biens du
chapitre n'eut lieu qu'en 1701(17 juin). Les habitants
achetèrent le terrain labourable au-dessous du Chalemont.
La commune se réserva les taillis et pâturages au milieu
de la pente et l'Etat s'empara de la forêt qui est encore
aujourd'hui une forêt domaniale. On voit encore aujour-
d'hui les anciennes pierres servant de bornes entre les
différents taillis de la commune. Elles sont numérotées et
portent l'écusson du chapitre de Saint-Georges de Nancy,
savoir une crosse d'évêque avec les deux lettres S. G.
(Saint-Georges).
Telles sont les derniers vestiges de l'ancienne dona-
tion 1 de Charlemagne (774), et dans quelque temps, elles
auront disparu à leur tour.

CHAPITRE III.

La paroisse de Lièpvre dans les siècles passés.


Les Bénédictins du prieuré de Saint-Alexandre à
Liepvre, avaient été les bienfaiteurs du Val, tant au point
de vue spirituel que temporel. Ils partageaient leur temps
entre le travail et la prière, défrichant les forêts, rendant
les terres arables, attirant la population d'alentour par la
pompe de leurs cérémonies. Le prieuré avait été pendant
de longs siècles comme une oasis de paix et de recueille-
ment.
Dès la fondation du prieuré, les moines avaient bâti
dans la vallée des sanctuaires où les fidèles pouvaient à

Datée de Duren (en Prusse Rhénane) 14 septembre 774.. Cfr.


Bibliot. des chartes. D. III. p. 51.
NOTES HISTORIQUES SUR LI&PYRE

leur aise satisfaire à leur dévotion. Lièpvre eut son église


paroissiale, L'Allemand Rombach, la chapelle de Sainte-
Rose (Rosalie), Sainte-Croix, la chapelle de Sainte-Croix.
L'église paroissiale de Lièpvre avait Saint-Cucufat I
comme patron. Les curés étaient nommés par l'abbaye
de Saint-Denys, puis par le chapitre de Saint-Georges à
Nancy.
A la date de i586, nous lisons dans les archives de
Lièpvre:
,Ce jourd'hui vingtième du mois de février mil cinq cent
quatre vingt et six, au lieu dit Liepvre à la requise de Georges
Schauvel ont esté inventoriez les héritages appartenant à la
consorce de la dt. église en l'assistance et présence de vénérable et
discrette personne M. Jean Humbert, curé au Val de Lièpvre et
résidant à Sainte Croix, Blaiset, curé chappelain au dit Liepvre etc.
Plus uns ,meix" (champ) séant aux Rombach à l'endroit de la chap-
pelle Sainte-Rose etc. encore ung autre prey seant au dit Molten-
loch, où le chastellain du chasteau de Kunsspourg~ a une part.
Sainte-Marie-aux-Mines, Sainte-Croix, Lièpvre, l'Al-
lemand Rombach, Saint-Hippol~te, Tanviller avec Saint-
Pierrebois et le Hohwald, paroisses situées en Alsace,
dépendaient autrefois du duché de Lonaine, quant au
temporel, et de l'éveché de Strasbourg, quant au spirituel.
Léopold I, duc de Lorraine, chargea par lettre de
commission, en date du 21août i~os, un prêtre, nomme
Antoine Brice de visiter toutes les paroisses dépen-

'Et non Cucufax, comme écrivent certains historiens.


A la fabrique. Du latin ,consortium", d'où le mot consorce,
consorcier, consort.
L'actuel Hoh-Kœnigsbourg, château plusieurs fois détruit et
reconstruit. Appartenait depuis l'exsunction de la race des comtes de
Thierstein (~10) à la Maison d'Autriche, puih en fief en i533 aux
fils de Franz von Sickingen. Donné en Mai i8f)5 par la Ville de
Schlettstadt à l'empereur d'Allemagne, il fut restaure, comme l'on
sait, par l'architecte Bodo, Ebhardt.
Résidait à Attigny-la-Tour. Ses travaux durèrent dix années.
On a de lui onze registres m fol. papier ï~oz-t/tS. V. Archives du
département de Meurthe-et-Moselle. Série B. 288-ïQS, Cfr. Deger-
mann Etat du temporel de quelques paroisses situées en Alsace et
autrefois dépendantes du duché de Lorraine.
ET ALLEMAND-ROMiiACH.

dantes de son gouvernement et de dresser des mémoires


instructifs sur l'état et les revenus des bénéfices situés en
Lonaine. « De l'état du temporel des paroisses et autres
bénéfices situés dans les duchés de Lorraine et de Bar M,
qu'il rédigea, nous exttayons tout ce qui a rapport à

Lièpvre et à l'Allemand-Rombach, tout en conservant

l'orthographe du manuscrit.

,Sur la grande route qui va de Lorraine en Allemagne, il y a


un poteau sur lequel sont les armes de Lorraine, assez près d'une
croix de pierre, lequel poteau on tient estre sur les limites qui se-
parent la Lorraine d'avec l'Alsace ainsi la Lorraine de ce costé là,
s'etend jusques à deu\ lieues près de Selestat.
Lievre estoit autrefois un bourg qui estoit composé de trois
cent habitans et qui a esté ruine par les Suédois, en sorte qu'il est
encore a présent ruine en partie; on y voit encore les restes d'un
poste. Ce lieu est le chef de Val de Lievre de manière que lorsqu'il
v a des exécutions à faire pour crime dans tout le Val, elles se
doivent faire au lieu de Lièvre, et les signes patibulaires et autres
marques de haute justice y sont encore. La paroisse de Lièvre est
du diocèse et de l'otneialite de Strasbourg, et du doyenné ou de
l'archiprêtré de Selestat. Elle est composee du village ou ancien
bourg de Lièvre, du hameau de Mizeloc et de celui de l'Alleman.
Rombach.
Son Altesse Royale est le Seigneur haut justicier, moyen et
bas a Lièvre et au~ lieux de sa dépendance.
La communauté de Lièvre est composee d'environ cent habi-
tants et le hameau de Mizeloc en contient treize.
La dîme grosse et menue appartient au chapitre (Saint-Georges
à Nancy), laquelle est toute abandonnée au curé tant pour la portion
congrue qui pour la desserte du prieuré qui est de deux messes par
semaine.
Il y a aussi des confrairies au nombre de cinq, qui ne
sont pas dotees, mais qui sont annuellement mises à l'enchère.
A l'egard de l'entretien et des reparations de l'eglise le nef est à la
charge des habttans et le chœur est a la charge du prieuré, mais
d'autant que la tour est sur le chceur les habitans conviennent avec
les chanoines pour y contribue! avec eux. Les habitans de toute ta
Paroisse sont chargez de la fourniture des ornemens d'église subsi-
diairement lorsque les revenus de la fabrique sont épuiséz, ce qui
se pratique aussi à l'égard du pain et du vin pour la messe. Les
habitans de toute la paroisse sont aussi chargez de l'entretien et ré-
parations de la maison cunale.
De tout quoy le présent procès-verbal a esté dressé en exécu"
lion des ordres de Son Altesse Royale et a esté signé par le S*' cure,
NOTES HISTORIQUES SUR MÈPYM:

les officiers consorciers et les habitans de Lièpvre. Le 7 sep-


tembre 1706.
Il y a dans la paroisse le Prieuré de Saint-Alexandre dont il
est parlé au regtstre des prieurés et des bcnciices simples.
Signé J. Morel, cure de Lièvre~ A. Rayr, J. Noel (illisible),
B. Collignon, Dominique Gemy, L. Moyomonr, Joseph Ru\x, Do-
minique Mouseat et Simon Raidat.
Ce procès-verbal, rédigé par les soins du délégué
Antoine Brice, nous donne une idée exacte de l'état de la
paroisse de Liepvre, au début du XVMI~ siècle, mais
nous verrons plus loin que le chapitre de Saint-Georges
à Nancy, collateur de la cure et principal décimateur
manquait souvent de bon vouloir pour entretenir les bâti-
ments du culte. Entre les cuiés et le chapitre il y eut
bien des contestations au sujet de la perception de la dîme.
C'est en i5i2, que le chapitre de Saint-Georges entra
en possession du prieuré de Liepvre et de ses droits et
pouvoirs. Jusqu'à cette date, les Religieux de l'Ordre de
Saint-Benoît avait desservi les paroisses du Val. En i536,
nous trouvons un nommé Blai set, curé-chappelain à Lièpvre,
puis Jean Humbert, curé au Val de Liepvre et résidant
à Sainte-Croix. Liëpvie et Sainte-Croix sont les plus an-
ciennes paroisses du Val. Un document de 1656 fait
mention de Claude-François Firmin, curé à Liepvre et
un autre document de 1661parle de la « Confrairie de
Saint-Sébastien)). En 1660 la paroisse de Liepvre fit une
procession solennelle à N.-D. de Dusenbach, près Ribeau-
villé. Ce grand acte de piété filiale envers la Mère de
Dieu mérite d'être signalé.
Pendant la guerre de Trente Ans, les Suédois qui
avaient dévasté l'Alsace (:632) avaient également incendié
les chapelles du grand pélerinage alsacien 1. Il n'en res-
tait plus que les pans de murs noircis par la fumée. La
Vierge Miraculeuse avait disparu. Tous les revenus du
sanctuaire furent perdus. Ce fut une désolation à nulle
autre pareille parmi le peuple. Mais, en i656, une pieuse

1 V. Léonard Fischer Geschichte des WaJIfahrtsortes Dusen-


bach. Muller, Herrmann u. Cie. Strassburg. !8g~. S. 22.
ET ALJjEMAND-BOMBACH.

personne de RibeauviHé, nommée Maiie par la tradition,


retrouva la statue cachée dans le creux d'un rocher, non
loin du sanctuaire en ruines. Marie conçut le noble
dessein de reconstruire à ses frais les chapelles de Dusen-
bach. Elle fut encouragée par les évoques de Bàle, Conrad
de Roggenbach et Guillaume-Jacques de Baldenstein.
Bientôt le lieu de pélerinage ressuscita de ses ruines. La
Vierge fut placée dans la chapelle d'Egenolf. Dans le bâti-
ment construit pour les Frères Augustins, au Dusenbach,
on pouvait voir l'image de la pieuse bienfaitrice, Marie,
alors âgée de 66 ans.
Quand les paroissiens de Lièpvre, bannières déployées,
curé en tête, se rendirent par monts et vaux, au pèle-
rinage de Dusenbach, il y eut, à la Nativité, une grande
fête populaire, où concourut tout le peuple d'Alsace. II
s'agissait en même temps de célébrer le quatrième cen-
tenaire de l'existence de la chapelle (1260-1660) construite
par les neveux d'Egenolf, Ulrich II et Henri II, seigneurs
de Rappoltstein.
Précisément, à cause de la dévastation 2 des Suédois,
les archives, registres de baptêmes, décès et mariages ne
remontent qu'a l'an i6go. Ils lurent commencés par le
curé Jean-Baptiste Morel (!68()-iyio). II avait été le fon-
dateur de la Confrérie de la Sainte-Famille. Il légua à
son successeur Jean Cucufat-Henry, un jardin à condition
«que le dit Henry et ses successeurs en la dite Cure (de
Lièpvre) seraient tenus et obligés a perpétuité d'entretenir

Le Curé s'appelait Claude-François Firmin. La confrérie de


Saint-SëbabUen avait debourse la somme de cinq francs pour la
procession à ,Tousenbach*.
Déjà en i5it, à propos des Mines de Sainte-Marie, St Hip-
polyte, /<wc, Ste Croi~, S~e Marie furent mis à sac par les com-
battants ,,dte yo?! Gcy'oM.!fc/ und <e ~c/to~e; (les Schenk de
Brisach) d'une part, les Lorrains et les troupes françaises de l'autre.
Au sortir de ces embarras, nouveau tumulte, excite par la révolte
des Rustauds, les gens du Bundesschuh. La bataille de Scherwiller-
Châtenois aneantit les bandes des rebelles. Quelques serfs du mo-
nastère de Lièpvre s'étaient joints à eux le duc Antoine de Lor-
raine les fit pendre.
Revue. Ao&t ISfO. 31
NOTES HISTORIQUES SUR LIËPVEE

à leurs frais et dépens un confesseur et


prédicateur les
cinq festes de chacune année de la confrairie de la sainte
famille érigée en la ditte paroisse par les soings du dit
défunt.»
Voici la teneur de ce testament, tyio: daté de
,Le vingt septième aoust t~io après midi au lieu de Liepvre
pardevant le tabellion Général en Lorraine résidant à St. Marie
s'est présenté en sa personne Demoiselle Anne de MoncerœHc, veuve
de feu sieur Paul Morel vivant bourgeois et Marchand à Rarr ]e
Duc héritière de deffunt M. Jean Baptiste Morel vivant très digne
prêtre et curé de la paroisse de Lièpvre son fils, y résidante, la-
quelle a volontairement déclare avor cede quitte pour toujours pour
eHe des héritiers et ayants causes, Irrévocablement à M. Jean Cu-
quefas Henry prestre, curé de la ditte paroisse, un jardin franc
de tous hipotèques ors les Débits Seigneuneux. S'y aucuns il y a
prodevant le dit jardin d'aquest que le dit feu S. Morel cure a fait.
La présente Cession faite en exsécution du testament fait par le dit
feu Sieur curé aux charges et conditions que le dit Sieur Henry et
ses Successeurs en la ditte cure seront tenus et obligés à perpetuite
d'Entretenir à leurs frais et Dépens un Confesseur et ~re~/MtcMr
les cinq festes de chacune annee de la eonfratne de ]a ste famille
érigée en la ditte paroisse par les soings du dit deffunt Sieur Morel
curé au moven de la presente Cession et abandonnement du dit
Jardin que le dit Henry, cure ces present a accepté et a promis et
promet par ces pressentes pour luy et ses successeurs en la ditte
cure d'excécuter ponctuellement l'intention du dit deffunt Sieur r
Morel
Fait et passé au dt. Lièpvre en présence de M. Louis ferry
très digne prestre et curé de la paroisse de St. Croix et d'honnette
Dominique Mainbourg, Bourgeois au dit Lièpvre, témoins qui ont
signés à la minute des présentes avec la ditte Demoiselle (Suivent
les signatures)."
C'est pendant l'administration du même curé Morel

que fut établi «l'Estat des Rentes, censes et héritages ap-


à la consorce de l'église paroissiale de Lieure
partenants
sous l'invocation de S* Cucufat, Martyr. La déclaration fut
faite en présence des discrette personne M. Jean Morel,
prestre et curé au dt. Lieure, Jean Joseph Henry, commis
lieutenant dans la Prévosté Royal du dt. Val, Jean Noël,
Simon de La Guesse himbourgs de la commune du dt.
Lieu, Anthoine Noël et Claude le Romain himbourgs de
L. A. R. paroisse du dt. Lieure etc.»
ET AIjLE~tAND-EOMBACH

Le successeur de Jean Morel desservit la paroisse


jusqu'en r~K). Apres Jean Cucufat Henry, nous trouvons:
François-Louis Feiry (1719-1723)
'Paul Joseph Pot d'Argent (;723-1732)
B. Collin. (t732-t734)
J. Deviot. (1734-1744)
En 1744, Jo]y de Morey, devint Recteur de la
paroisse de Lièpvre et de l'Allemand Rombach. Nous ne
connaissons pas son origine, mais d'après les documents,
il paraît avoir été un homme d'une grande énergie. C'est
lui qui acheva le procès concernant la dmie, intenté au
Chapitre Saint-Georges à Nancy. Il contraignit par tous
les moyens juridiques l'église primatiale à rebâtir l'église
paroissiale de Lièpvre, les usurpateurs des biens de l'église
a restituer tout ce qu'ils avaient détenu injustement. Dans
une de ses lettres, il est dit notamment « Le Sr Henry
avait reçu là Cure de Lièpvre du S. Morel qui s'en était
démis en sa faveur, il n'avait garde de rien entreprendre
contre son bienfaiteui, les autres qui ont succédé le dit
Henry n'y sont restés que pendant peu d'années et ont
presque toujours eu des procès concernant les dîmes, etc.»'
Grâce à ses démarches multiples et a son inlassable
énergie, le Recteur Joly de Morey obtint un i 748 un jugement
favorable qui mit fin aux nombreux procès. L'arrangement
des dîmes fut conclu par sentence du duc de Lorraine.

(A suivre.)

1 Frere de Jean-Joseph d'Argent. Recteur de Neuve-Eglise


(tyo5-i~3o) et des annexes Saint-Maurice, Dieffenbach, Neubots
(Gereuth), Hirtzelbach et d'une partie de Brettenau. Ses successeurs
(dont je suis) lui doivent la belle Maison de Cure, le jardin im-
mense soigneusement enclos Quand il décéda, le 2y août i~So, il
venait 12 jours auparavant, d'echanger sa paroisse contre le poste
moins pénible de Fouchy. Il fut enterre au cimetière par le curé
de Châtenois, L. Klein, assisté de Jos. Draycotte, recteur à Villé, et
de P. J. Pot d'Argent, cure de Lièpvre.
Cfr. Reg. mort. – V. Nartz Le Val de Villé, p. 3/2. Bauer.
Strasbourg i88y.
V. Archives de la Commune de Lièpvre.
SŒUR ROSALIE.

H y a des existences qui prennent l'âme et le cœur


par tous les côtés a la fois. Ce sont celles qui peuplent
la terre de vertus et de dévouements, qui jettent sur la
pauvre loque humaine le royal manteau du sacrifice et qui
allument à notre horizon assombri par le matérialisme
et l'égoïsme, un rayon de lumière toute céleste. Celle
de la sœur Rosalie fut du nombre.
Le 10 septembre 1787 naquit, au pays de Gex, d'une
famille de «cette ancienne bourgeoisie qui avait acquis
par une longue suite d'utiles travaux un bien-être égale-
ment éloigné du luxe et de la gêne, et dont la position,
plus honorable qu'éclatante, attirait le respect sans exci-
ter l'envie, M une jeune fille, Jeanne-Marie Rendu, plus
connue en religion sous le nom de sœur Rosalie. La
nature avait été prodigue pour elle. Bien douée physi-
quement, d'une âme à qui les leçons et l'exemple d'une
mère admirable avaient donné un cachet d'une singulière
beauté, d'un esprit de fine trempe, Jeanne-Marie aurait
pu jouer son rôle dans la société brillante qui l'entou-
rait, se faire admirer et aimer. Elle préféra renoncer à
tous ces avantages terrestres, qui, ayant l'éclat et le par-
fum des fleurs, en ont aussi la fragilité. Purifiée dans le
terrible creuset de la Révolution, elle sortit de cette
épreuve avec l'inébranlable résolution de consacrer sa vie

Vicomte de Melun.
BŒUEROSALIE.

aux déshérités de la terre, et d'éteindre par sa charité


les haines qui engendrent de pareilles horreurs.
A peine âgée de :5 ans, elle quitta le pensionnat de
Gex, dirigé par d'anciennes Ursulines, et frappa à une
humble porte de la rue du Vieux-Colombier, où la com-
munauté des sœurs de Saint-Vincent-de-Paul venait de
renaître, après la tourmente, comme une tige vigoureuse
qui refleurit après les froids de l'hiver. Son noviciat ter-
miné, elle fut envoyée au faubourg Saint-Marceau, alors
le plus déshérité de Paris, cité de chiffonniers et refuge
de la haute et basse pègre de la capitale. Là, pendant
cinquante ans, supérieure de la maison de la rue de
l'Epée-de-Bois, « elle entreprit une guerre incessante contre
la misère et les désordres de son quartier; elle la pour-
suivit, sans un moment d'arrêt, sans un mouvement en
arrière, jamais découragée, jamais vaincue, se reposant
d'une fatigue par une autre, d'une œuvre accomplie par
une œuvre nouvelle. »1
On disait un jour, devant M. de Boumers, en parlant
de l'un de ses contemporains, qui avait la langue aussi
acérée que son sabre de hussards « II court après l'es-
prit, «Je parie pour l'esprit, répondit le terrible
chevalier. » Eh bien, lorsque sœur Rosalie courait après
la misère, et elle ne fit que cela pendant dix lustres, on
pouvait hardiment parier contre la misère, et pourtant
rien, sauf le temps, ne court plus rapidement et n'est
plus difficile à atteindre. Et elle le fit avec une possession
de soi, une tranquillité sereine et une patience qui ont
fait l'admiration de tous. Aussi bien «le propre de la re-
ligion est de nous faire faire les grandes choses avec
calme. » 2 Et quelle femme accomplit jamais de plus
sublimes choses que cette humble fille de la Charité? Pas
un pauvre du quartier qu'elle ne connût individuelle-
ment à qui elle ne prodiguât l'aumône qui soulage, et,
qui mieux vaut, la parole affectueuse et réconfortante qui

1 Comte de FaHoux: Etudes et souvenirs.


Lamennais Lettres à la baronne Cottu.
SŒUR ROSALIE.

console. Voici une anecdote qui prouve jusqu'à quel point


elle sut ainsi gagner le cœur de ces miséreux, plus portés
à la reconnaissance qu'on ne serait tenté de le croire.
Après sa mort, son image fut reproduite par la gra-
vure, et mise en vente dans le quartier au profit de ses
œuvres. Un jour, un vieillard, qui gagnait péniblement
sa vie, vint en acheter une «Mais je veux l'édition la
plus belle.» » A une objection bienveillante qu'on lui fit,
il répondit «Je puis bien rester un jour sans manger
pour avoir le portrait de celle qui m'a nourri si long-
temps. M Est-ce assez beau? Et fut-elle assez sublime,
celle qui sut inspirer une telle reconnaissance. Et je ne
sais, en vérité, qui admirer le plus, ou celle qui provoqua
cet enthousiasme ou celui qui le ressentit Disons que
l'un est digne de l'autre et que ce sont deux belles âmes.
Elle ne se contenta pas de s'occuper des individus,
elle sentit aussi l'importance de grouper les forces isolées
en un faisceau compact et résistant. Elle fut des pre-
mières à comprendre l'utilité des crèches et des salles
d'asile, pour soustraire les enfants à l'abandon physique
et moral où des mères, écrasées par de durs labeurs, les
laissaient ordinairement. Ce n'était là qu'un premier jalon
qui ne suffisait pas à marquer la direction de la vie, car
aux années de l'enfance succède le temps de l'apprentis-
sage, et là se montrait, à fleur de société, l'écueil d'où il
fallait détourner ces pauvres petites barques si fragiles.
Aussi l'oeuvre des patronages n'eut pas de plus chaud
partisan. En huit jours tout fut prct pour recevoir les
premiers compagnons, et elle sut intéresser tout le monde
à sa création. «Elle avait fait comprendre aux mères que
le patronage serait d'un grand secours pour leurs enfants;
aux patrons, qu'il développerait chez l'apprenti la docilité
et l'amour du travail aux visiteuses chrétiennes et aux
protecteurs, quel puissant auxiliaire ils allaient devenir
pour les sœurs.)) » Le jeune homme, ainsi armé pour les
luttes de la vie, pouvait aller de l'avant. Tous, hélas
n'en sortent pas victorieux. II y a toujours de pauvres
vaincus et de lamentables épaves, auxquels les infirmités
8ŒUB ROSALIE.

et la vieillesse pèsent lourdement. Pour ceux-là sœur


Rosalie multiplia les hospices et les refuges. Elle les
recueillit, non pas comme des membres inutiles, inca-
pables de tout travail. Elle en fit des collaborateurs en
leur procurant des occupations appropriées aux forces et
aux dispositions d'un chacun, et, de la sorte, les pré-
munit contre les pièges de l'oisiveté et les dangers du
cabaret. En même temps elle leur épargna l'humiliation de
penser qu'ils devaient tout à la charité et rien à eux-
mêmes. Ce fut au milieu de ces occupations et de ces
oeuvres que la surprit le choléra de i832. Ce fut en effet,
dès l'abord, une surprise. désagréable, car, enfin, si cui-
rassé que l'on soit, la nature demeure toujours faible et
impressionnable à l'excès derrière l'aes triplex. Sœur Ro-
salie «ne put se défendre elle-même de l'appréhension
peu commune mais le jour où le fléau eut frappé à Paris
sa première victime, toute timidité s'évanouit. Devant
l'activité et le courage de sœur Rosalie, personne n'osa
plus s'avouer faible, ni découragé chacun, au contraire,
se surpassa parce qu'elle s'élevait au-dessus de tout le
monde, et lorsque la science et les soins furent impuis-
sants à écarter le deuil d'une maison, elle en éloigna le
désespoir. » Et la besogne ne manqua pas dans ce quar-
tier où les plus élémentaires précautions hygiéniques
étaient outrageusement foulées aux pieds. On ne change
pas du jour au lendemain les habitudes d'un quartier.
Tant que nous marchons dans cette misérable pous-
sière humaine, les épreuves ne manquent pas. Les plus
beaux fruits ont leur ver. Ce furent les journées de Juin
qui jetèrent dans le calice, si pur et si doux jusque-là,
de sœur Rosalie, la lie amère et répugnante. Qui dira la
douleur de son cœur lorsqu'elle vit la révolution boule-
verser son cher quartier Tant de dévouement aurait donc
été inutile Elle savait bien que Dieu ordonne de com-
battre et ne fait pas de la victoire une obligation. Mais,
tout de même, c'est dur de voir un seul jour ruiner

Comte de Falloux, 1. c.
SŒURROSALIE.

l'oeuvre si patiemment poursuivie pendant de nombreuses


années. Dans cette sombre mêlée sanglante vint tomber
cependant un rayon de joie, qui montrait à la bonne
ouvrière que son travail n'avait pas été inutile, et éclaircit
la conscience populaire d'un genre nouveau. La barricade
dressée à l'entrée de la rue de l'Epée-de-Bois, devint le
centre d'une lutte acharnée. Un officier, que les péripéties
du combat avait séparé de ses hommes, fut traqué par
les insurgés jusque dans la maison des Filles de la Cha-
rité. Ils avaient compté sans la chère sœur Rosalie, et ce
fut un facteur important. Elle fit à l'officier un rempart
de son corps. «Vous avez raison, ma sœur, s'écrie l'un
d'eux, le sang ne doit pas couler dans votre maison.
Nous emmènerons l'officier et le fusillerons dans la rue.M»
Et des paroles on allait passer aux actes quand l'héroïque
religieuse se jette à genoux « Voila cinquante ans,
s'écrie-t-elle, que je vous ai consacré ma vie, vous ne
me refuserez pas aujourd'hui celle de cet homme. )) Cet
appel aux meilleurs sentiments de l'âme du peuple fut
entendu.
«A ce spectacle, à ce cri, les armes se relèvent, la
troupe recule comme frappée de repentir, un hourrah
d'admiration s'échappe de ces lèvres noires de poudre,
des larmes d'attendrissement coulent de ces yeux tout à
l'heure impitoyables, le prisonnier est sauvé. M 1
Tant il est vrai que lorsqu'on remplit cette coupe
fine et délicate qu'est le coeur de l'homme, du vin géné-
reux de la bonté, au lieu d'y verser l'ivresse fatale d'une
chimérique égalité, on le dispose aux plus nobles senti-
ments et aux plus sublimes résolutions. Aussi bien «ce
qui nourrit véritablement ce n'est pas ce qui passe a
travers l'esprit, mais ce qui séjourne dans le cœur.))~ Et
sœur Rosalie avait su, par excellence, nourrir le cœur
de son peuple du faubourg Saint-Marceau, comme le
savent tous ceux qui pratiquent le bien pour le bien et

1 M. de Melun.
Lamennais.
SŒUR ROSALIE.

ne font pas de leur charité ou de leur philanthropie un


piédestal pour leurs visées ambitieuses.
Sa vertu avait un attrait irrésistible. Tout ce que
Paris et l'Europe avait de plus grand dans la politique
ou la religion en subit l'ascendant, et vint défiler dans ce
pauvre bureau de la rue de l'Epée-de-Bois, meublé d'une
table et de quelques pauvres chaises. Les grands et les
riches de la terre y venaient chercher le secours d'un
conseil toujours sage et prudent, et laissaient, en retour,
de généreuses aumônes. Le Pactole y passa sans rien
ajouter ni au pauvre mobilier ni au menu d'un repas
plus que frugal. Les pauvres seuls en profitaient, ces
pauvres dont, et parce qu'ils souffraient et peinaient, et
aussi parce qu'ils étaient les membres vivants de Jésus-
Christ, sœur Rosalie avait la passion au point de dire
quand elle fut frappée de cécité, et ce fut sa seule plainte
«J'avais trop de plaisir à voir mes pauvres!)) Même alors
elle ne se reposait pas, et, si elle n'agissait plus directe-
ment, elle savait provoquer et encourager l'activité. Elle
pouvait dire avec Parmentier: «Je veux du moins encore
faire l'office de la pierre à aiguiser qui ne sert pas, mais
qui dispose l'acier à servir. »
Soeur Rosalie, en vérité, vous êtes une sainte!
Ses obsèques furent une apothéose.
« Au lieu de prendre la route directe de l'église, le
convoi fit un long détour dans le quartier appelé autre-
fois son diocèse, comme pour lui faire faire un dernier
adieu a ces rues qu'elle avait si souvent parcourues. A
la vue des boutiques fermées, de la suspension des tra-
vaux, de la foule dans les rues, sur les portes, aux fe-
nêtres, de l'attention fixée sur un seul point, le petit
nombre de ceux qui n'en connaissaient pas la cause se
demandaient quelle fête, quel grand évènement, quelle
magnifique cérémonie agitait ce faubourg et tenait tout
ce peuple en émoi. Etaient-ce les funérailles d'un prince

Entre autres: Madame la Dauphine, l'empereur Napoléon III


l'impératrice Eugénie, Donoso Cortès, le général Cavaignac.
8ŒUB BOSALIE.

ou l'entrée d'un triomphateur? Seul, le corbillard des


pauvres leur annonçaient qu'il ne s'agissait pas d'une
gloire humaine, d'un triomphe de la terre, et qu'il se
passait là quelque chose que les idées de ce monde n'ex-
pliquent pas. » Ah! c'est que le peuple, abandonné à
ses instincts naturels, quand il n'est pas dépravé par les
orateurs des clubs et les journalistes de pacotille, sait
séparer le métal précieux des scories, et comprend que
les idées qui nous donnent repos, prix et consolation, qui
nous soulagent le plus du poids de la vie, sont les meil
leures.
J. PH. RiEHt..

M. de Melun.
COLLÈGE DE HAGUENAU.
1604-1692.

(~Xt'~et~î)!.)

Un des moyens les plus efficaces pour entretenir la


ferveur parmi les fidèles, ce furent les processions de
pénitence et les pèlerinages au sanctuaire de Marienthal.
Au collège même les Pères faisaient représenter à
leurs élèves des pièces de théâtre auxquelles assistaient
de nombreux spectateurs, emportant de ce spectacle les
impressions les plus salutaires. Le sujet en était choisi
ordinairement dans la Bible ou dans l'histoire de l'Eglise,
tel que l'Enfant prodigue, St. Etienne, roi de Hongrie,
Frédéric II, etc., etc.
Mais c'était surtout dans les congrégations que
fleurissaient la piété et la ferveur. On peut en juger
par le chiffre des communions qui s'élevait à cette époque
à plus de 6600. et par le nombre des pèlerins qui
affiuaient dans le sanctuaire de la Vierge miraculeuse à
Marienthal.
En t658, le nouveau recteur, le P. George Harlass,
qui venait de remplacer le P. Valère Heldt, établit la
confrérie de l'Agonie qui existe encore de nos jours à
Haguenau. La chose ne marcha pas toute seule il fallut
triompher des dimcultés soulevées par le clergé séculier
et même régulier. Grâce à l'intervention du magistrat,
l'entente, sans être cordiale, finit par s'établir, et il y eut
une réconciliation publique entre tous les adversaires.
COLLEGE DE HAGUENAU.

L'année i65g amène avec elle un renouvellement du


corps professoral du collège. Les maîtres âgés cèdent
la place à des maîtres plus jeunes et plus actifs. Quant
aux prédicateurs, ils sont plus zélés que jamais: tous les
dimanches, sept à huit sermons dans la ville et dans la
banlieue. Le magistrat se montre toujours bienveillant,
et le jour de la fête de S. Ignace, on le vit tout entier
se présenter à l'offrande.
En 1660, l'annaliste signale la prospérité des quatre
congrégations, et le mouvement qui emporte les pèlerins
à Marienthal où la Vierge miraculeuse multiplie ses
bienfaits.
La mort du cardinal de Mazarin, en i66i, donne au
prédicateur du collège l'occasion de déployer toutes les
ressources de son éloquence. Dans l'oraison funèbre qu'il
prononce, rappelant les sept pyramides qui ornaient le
tombeau de Jonathas, il célèbre les sept vertus principales
qui ont signalé l'administration du grand ministre.
Le même orateur eut à célébrer aussi les vertus d'une
bienfaitrice insigne, la Dame d'Ichtersheim, tuée par la
chute d'une poutre, au seuil de sa maison.
L'année j662 fut attristée par la mort d'un pieux
septuagénaire, le P. André Brandecker, et d'un jeune
scolastique enlevé à la fleur de l'âge, le Fr. Ludwig.
Quelques grâces miraculeuses obtenues par l'invocation
de S. Ignace rendent populaire la dévotion au fondateur
de la Compagnie, et a partir de l'année i66z). les parents
chrétiens aiment à donner a leurs enfants le nom d'Ignace.
En cette même année mourut le P. Recteur Jean
Gros, religieux modèle, qui avait eu l'occasion de confesser
la foi. Poursuivi par un soldat luthérien, il fut sommé,
sous peine de mort, d'abjurer la religion catholique. Sans
hésiter, le Père se jette à genoux, prêt à recevoir le coup
mortel pour rester fidèle à son Dieu Son courage désarma
le sectaire.
L'année 1666 vit mourir un autre saint religieux, le
P. André Hentheim, qui avait passé presque toute sa vie
dans l'enseignement de la jeunesse écolière. C'était un
COLLÈGE DE HAGUENAU,

linguiste distingué, zélé serviteur de Marie et pèlerin


assidu de Marienthal.
Vers ce temps-là eurent lieu des événements étranges,
où les diables jouèrent un rôle actif. Ecoutons le récit
du chroniqueur:
« Un artisan avait fait la connaissance d'une jeune
fille. Un jour qu'il se promenait avec elle, elle voulut lui
enlever de force un Agnus Dei qu'il portait sur lui.
« Enlève ceci, lui dit-elle, autrement je serai ton ennemie !n
Et comme le jeune homme opposa un refus énergique,
elle disparut soudain à ses yeux. Tout bouleversé, il
accourut chez son confesseur, et se hâta de rentrer en
grâce avec Dieu.
« Une dame protestante, atteinte d'une maladie grave,
avait rencontré un Père qui pour toute direction lui avait
demandé de réciter seulement un Ave Maria. Elle le fit,
et voici qu'autour de son lit, elle vit rôder deux énormes
chiens noirs, bientôt mis en fuite par une dame blanche,
portant un enfant entre ses bras. Elle appelle ses servantes
et leur raconte sa vision; celles-ci la persuadent d'appeler
le Père qui reçut son abjuration et la prépara à une
sainte mort.
«Au village de Harthausen, une jeune fille qui gardait
les troupeaux, faillit devenir la victime de l'ange des
ténèbres transformé en ange de lumières. Le malin esprit
lui apparaissait tantôt sous les traits d'un, ange, tantôt
sous la figure d'un petit oiseau venant s'ébattre dans sa
main. Comme il ne lui donnait que de bons conseils,
l'invitant à faire oraison et à fréquenter les sacrements,
elle fut le jouet de son illusion et la fit partager même
à son confesseur. Mais un Père qui l'entendit, déjoua les
ruses du démon et délivra cette âme de son obsession.»
Au milieu de la paix générale qui règne partout, les
Pères peuvent donner libre cours à leur zèle apostolique
le nombre des confessions s'élève à toi 63. Le collège
aussi est florissant une séance publique, donnée en
l'honneur des consuls, réunit tous les suffrages les
magistrats se chargent de fournir les prix distribués aux
élèves.
COLLÈGE DE HAGUENAU.

Deux morts signalent l'année 1670: le P. Jean Zorn


et le vieux F. Jacques Nusbaum qui pendant cinquante
ans a rempli le pénible office de cuisinier.
En 1671, l'annaliste signale parmi les congréganistes
des SS. Anges l'usage de réciter chaque jour l'Office de
l'Immaculée Conception. « Ils croiraient perdre leur jour-
née, s'ils n'avaient pas payé ce tribut d'amour à la Reine
des Anges. »
La même année, le ig juillet, la fête de la canoni-
sation de S. François de Borgia fut célébrée avec une
magnificence extraordinaire. Quatre religieux de différents
Ordres prononcèrent le panégyrique du saint vice-roi, et
une grande procession, à laquelle prirent part le préfet
et les magistrats de la cité, parcourut les différentes
églises, ornées avec profusion de tentures et de guirlandes.
Les dames avaient prêté leurs bijoux les plus précieux
pour parer l'image du nouveau Saint!
Pourquoi faut-il qu'un procès ennuyeux, intenté par
M. de Wangen, un de nos amis pourtant, au sujet des
pâtures, ait assombri de quelques nuages le ciel serein
qui brillait sur le collège ?
Les années suivantes, les maux de la guerre vinrent
de nouveau fondre sur la ville de Haguenau. Le recteur
du collège, le P. Kraushaar, succomba aux atteintes de la
fièvre. Il était natif de Haguenau même, et avait déjà
été recteur pendant trois ans du collège de Schlestadt
quand il fut appelé au gouvernement de celui de Haguenau.
C'était un religieux d'une vertu éprouvée, fort instruit,
rompu à l'obéissance et prêt à accepter tous les emplois,
même les plus vils. Dans l'adversité, il se contentait de
dire: «Dieu soit béni!» Son plus grand souci était de
procurer à ses inférieurs tout ce dont ils pouvaient avoir
besoin. L'année de sa mort fut une année de souffrance
à cause du passage des troupes c'étaient les soldats de
Turenne qui combattaient sur le Rhin. L'illustre général
après avoir remporté la brillante victoire d'Ensheim, se
retira au-delà des Vosges pour recommencer bientôt, en
plein hiver, sa brillante campagne d'Alsace. Tout cède
COLLÈGE DE HAGUENAU.

au vainqueur de Turckheim les Impériaux repassent le


Rhin en désordre, Turenne les poursuit, il va les tailler
en pièces à Sasbach, quand un boulet le frappe en plein
corps. Sa mort rouvre aux Impériaux le chemin de
l'Alsace; il fallut pour les arrêter la présence de Condé.
Le rival de Turenne, Montecuculli avait mis le siège
devant Haguenau; déjà il avait poussé la tranchée jusque
sous les murs. L'arrivée de Condé le détermina à lever
le siège, et les deux généraux, dignes l'un de l'autre,
passèrent le reste de la campagne a s'observer sans rien
entreprendre de décisif.
Dans la campagne de 1676, où le maréchal de Luxem-
bourg remplaça Condé, les Impériaux maîtres de Philipps-
bourg revinrent mettre le siège devant Haguenau, sous
la conduite du prince de Bade, et après quatre mois de
siège, forcèrent la ville a se rendre.
Ces deux sièges furent pour le collège une source de
misères au mépris de leurs immunités, les Jésuites se
virent imposer les corvées et le logement des garnisaires.
Les cours étaient transformées en champs de manœuvre
les classes devaient se faire au milieu du bruit des
tambours et des trompettes la maison regorgeait de
malades à soigner; les provisions furent mises au pillage;
tous les jours on apprenait quelques dégâts nouveaux
le couvent de Manenthal, livré aux flammes, n'était plus
qu'un amas de ruines. Bientôt le collège lui-même devait
disparaître dans le désastre de 1677, où la ville tout entière
devint la proie des flammes.

14. Incendie de Haguenau.

Le chroniqueur du collège n'a pas eu le temps ou


trouvé le courage de raconter les désastres des deux
années 1676-1677. Quand il reprend la plume, il dit:
« qu'il est plus tenté de pleurer que d'écrire flere
potius quam narrare »
COLLÈGE DE HAGUENAU.

Dès le mois de janvier 1677, les généraux français


de Monclar et de Boysdavid avaient fait sauter par la
mine les fortifications de la ville; les habitants pouvaient
croire qu'on épargnerait leurs demeures il n'en fut rien.
Ce fut le cruel aventurier La Brosse qui fut chargé de
mettre le feu à la ville. A la tête de soixante-dix soldats
armés de torches, il procéda méthodiquement à la bar-
bare exécution. Bientôt toute la ville ne fut plus qu'un
immense brasier, dont on apercevait les flammes dix
lieues à la ronde. Le maréchal de Créquy avait recommandé
de respecter les églises et les couvents, qui devinrent ainsi
le refuge des habitants plongés dans la misère et le
dénûment. Grâce au dévoûment des religieux, les habitants
reprirent courage ils relevèrent une partie des maisons
ruinées et commencèrent à respirer, quand le 16 août de
l'année 1678 une nouvelle troupe de soldats français se
jeta sur la ville et la mit au pillage. Rien ne fut épargné:
les pillards, envahissant le collège, en brisèrent toutes les
portes, enlevèrent les fourrages, volèrent les ustensiles,
mettant tout sens dessus dessous pour découvrir les objets
précieux qu'on avait dérobés à leur cupidité. Les Pères
avaient beau invoquer la sauvegarde que leur avait accordée
le maréchal de Créquy, rien n'y fit: ils durent se trouver
heureux qu'on leur gardàt la vie sauve
Le sort de Marienthal ne fut pas moins triste l'église
fut à moitié ruinée, le mobilier perdu.
Le spectacle de tant de ruines brisa le coeur du
P. ministre, le P. Josse Jagemann il mourut le 2 octobre,
en répétant les noms sacrés de Jésus et de Marie. Pendant
l'année terrible qui venait de s'écouler, le bon vieillard,
uniquement préoccupé du soin de ses frères, s'était
réservé la charge de réfectorier et de sacristain, sans rien
omettre de ses austérités il portait continuellement un
horrible cilice
En 1679, le collège ne comptait plus que cinq Pères
avec un F. coadjuteur; encore trouvaient-ils avec peine
de quoi vivre « du travail de leurs mains ».
Lorsque la paix de Nimègue eut ramené un peu de
COLLÈGE DE HAGUENAU.

tranquillité, on se remit vaillamment a l'œuvre, sous la


direction du nouveau recteur, le P. Strauss. Notre-Dame
de Marienthal fut solennellement rétablie dans son église
restaurée; on recommença à s'y rendre en procession, et
la Vierge miraculeuse se signale par de nouvelles faveurs
accordées à ceux qui l'invoquaient.
Coup sur coup, la mort enlève deux membres de la
communauté: les PP. Jean Hartleib et Jean Pistorius.
Le premier était ministre de la maison, ce qui ne
l'empêchait pas de descendre au rôle de balayeur et de
faire la classe aui plus petits enfants. Le second,
remarquable par son austérité (il jeûnait tous les samedis
en l'honneur de la Sainte Vierge), avait eu le pressenti-
ment de sa mort et s'y était préparé de la manière la
plus édifiante.
En 1682, on put enfin rouvrir les classes avec neuf
élèves. L'évêque de Strasbourg, à qui la reddition de
Strasbourg à Louis XIV avait enfin permis de reprendre
possession de la cathédrale, vint au secours du collège et
lui fit verser les rentes arriérées de 120 florins. De son
côté, le duc de Birkenfeld, tout protestant qu'il était,
soulagea la détresse des Pères en leur envoyant une
voiture de vin. Lui-même vint visiter le collège et donna
à tous des marques de la plus grande bienveillance.
Un édit du roi commença la série des mesures qui
devaient faire refleurir en Alsacé la foi catholique. Par
cet édit, l'exercice public du culte catholique était établi
dans toutes les villes ou localités protestantes, pourvu
qu'il s'y trouvât sept personnes de cette religion les
ministres protestants n'avaient plus le droit de baptiser les
enfants des catholiques, ni d'assister comme témoins à
leurs mariages. Ce fut le premier bienfait de la conquête
française en Alsace.
Au collège on profita du nouveau régime pour re-
prendre les traditions du passé à la distribution des
prix, on fit jouer aux élèves un drame devant un auditoire
de quatorze princes et autres personnages de la noblesse.
Mais le zèle des Jésuites se porta surtout vers la conversion
Revue. Août 1910. 82
COLLÈGE DE HAGUENAU.

des protestants et au rétablissement de la religion catho-


lique dans les localités voisines, encore infestées de
l'hérésie luthérienne. M. de la Grange, intendant, favo-
risait de tout son pouvoir les travaux des missionnaires.
Ils eurent la consolation de ramener à l'Eglise tout le
village de Mûnchhausen; la ville de Seltz, les villages de
Beleim, de Limersheim, de Krut, de Hert, de Pfortz se
rendirent à la vérité. Un très grand nombre d'autres lieux
suivirent leur exemple. Quelques ministres mêmes, après
avoir abjuré l'erreur, se firent prêtres et unirent leurs
efforts à ceux des missionnaires pour ramener à l'Eglise
leurs frères égarés.
Dans l'incendie de la ville, la basilique impériale, la
Burg, comme on l'appelait, avait été presque ruinée. Elle
servait d'église au collège les Pères demandèrent que le
gouvernement se chargeàt de sa restauration mais celui-ci
n'était pas mécontent de voir disparaître ce vieux souvenir
de la domination autrichienne, et en 1688 une ordonnance
royale prescrivit la démolition complète du castel, dont
les matériaux furent employés aux constructions de Fort-
Louis. En dédommagement, Louvois fit remettre aux
Pères une somme de i o50 livres, insuffisante pour construire
une nouvelle église. On s'en servit pour faire quelques
réparations urgentes aux bâtiments du collège, ébranlés
par l'explosion de la Burg.
En 1688, la guerre de la Ligue d'Augsbourg se
déchaîna de nouveau sur le Rhin ce fut dans cette
guerre qu'eut lieu la cruelle dévastation du Palatinat.
A la nouvelle de ces horreurs, on se hàta de mettre en
sûreté à Lucerne et à Strasbourg les Archives et la
Bibliothèque et l'on accueillit avec charité les Pères
fugitifs des collèges de Spire et de Worms qui avaient
partagé le sort des villes incendiées. On conçoit que le
chroniqueur rappelle avec une satisfaction peu déguisée
les succès de Charles de Lorraine qui reprit aux Français
Mayence et Bonn, et les victoires de Louis de Bade sur
les Turcs en Hongrie.
Grâce à la protection de N. D. de Marienthal, le
COLLÈGE DE HAGUENAU

collège fut préservé du fléau de la guerre. Toutefois le


nombre des élèves était fort restreint, « juventus exigua»
mais ils donnaient à leurs maîtres de grandes consolations
par leur piété et leur application.
De même les congrégations, surtout celle du Christ
agonisant et celle des jeunes artisans étaient en pleine
prospérité. Enfin, la dévotion a saint Ignace et à saint
François Xavier se répandait de plus en plus parmi les
fidèles et dans le sanctuaire de Marienthal on compta,
en l'année 1692, 12457 communions de pèlerins.

Ici s'arrête les manuscrits où nous avons puisé nos


détails sur le collège de Haguenau. La suite de ces
Annales comprenait l'histoire du collège pendant le
XVIIIe siècle jusqu'à l'expulsion des Jésuites en 1765
mais ce second volume semble perdu peut-être le
découvrira-t-on un jour dans quelque bibliothèque de
presbytère, comme on a trouvé, il y a quelques années,
le second volume des Annuelles du Collège de Schlestadt,
publié en 1896 par les soins de l'abbé Gény, l'érudit
très regretté bibliothécaire de la ville de Schlestadt.

P. MURY.
LA LÉGENDE D'OBERLIN
auBan-de-la-Roche.
Pasteur
(Suite et fin.)

Une souscription fut ouverte pour constituer une


fondation charitable en faveur des Conductrices des salles
d'asile et pour ériger à Oberlin, dans son temple de
Waldbach, un monument artistique dont l'exécution fut
confiée au sculpteur strasbourgeois Ohmacht.l A la vue
de ce monument, on songe naturellement au mausolée
aussi en marbre de Dom Calmet, œuvre de Falguière,
dans l'église de Senones, à quatre lieues de Waldersbach.
Le savant bénédictin et le philanthrope Oberlin sont l'un
et l'autre en grande réputation dans le pays et au loin.
Seulement si le premier n'avait pas été doublé d'un sa-
vant de premier ordre, s'il n'avait mené, pendant les
soixante-dix années qu'il fut religieux, qu'une vie très
régulière et très vertueuse, s'il n'avait fait qu'employer
les ressources de sa mense abbatiale à secourir les mal-
heureux, à ouvrir un asile aux infirmes, à faire du bien
aux Principautois, et s'il n'avait pas été docte historien,
philologue, lotharingiste, théologien, exégète, «l'homme
des vastes labeurs»,2 selon l'expression de l'abbé Grégoire,

V. Compte-rendu des souscriptions recueillies pour élever une


pierre sépulchrale et fonder un monument à la mémoire de J.-F
Oberlin (Strasb. 1827).
• Louis Jouve, La Lorraine, p. 326.
LA LÉGENDE D'OBEKLIN.

il serait oublié comme tant d'autres ecclésiastiques et


l
religieux.
Le corps de l'illustre Oberlin fut enterré au cimetière
de Fouday. Sa place y est indiquée par une dalle très
épaisse, sans autre ornement qu'un médaillon avec son
effigie et cette inscription
Ici reposent les dépouilles mortelles de J.-Fr. Oberlin,
pasteur de la paroisse de Waldbach, né le 3 août 1740,
décédé le Ier juin 1826. Il fut pendant 59 ans le père du
Ban-de-la-Roche.
En bordure se lit ce verset du livre de Daniel:
Ceux qui auront amené les autres à la justice, luiront
comme des étoiles à toujours et à perpétuité.
« Le tombeau d'Oberlin, écrit Stœber p. 58g, est
devenu un lieu de pèlerinage. De près et de loin des
voyageurs, surtout des Anglais, des Russes, des Alle-
mands, des Français, viennent visiter ce saint lieu.» a
Tandis que la sculpture, la peinture, la lithographie
et la gravure reproduisaient ses traits, les orateurs, les
poètes, les écrivains composaient des panégyriques, des
élégies et d'élogieuses biographies. On le canonisait du
haut de la chaire sans autre forme de procès. Lutte-
roth dit à l'occasion de sa mort Si le temps a perdu un
juste, l'Eternité a gagné un saint.
Casimir Delavigne exhalait ses regrets en ces vers
Hélas pour le pleurer, est-il assez de larmes,
Est-il marbre assez pur pour orner son tombeau.
De Jouy, enthousiasmé, s'écrie dans V Ermite en pro-
vince L'antiquité lui eût élevé des autels.
Gordes, dans sa Défense de la religion réformée, dit
de lui L'humanité le cite comme un modèle, et la Religion
lui prépare des couronnes comme à un élu.
Augustin Stoeber le salue comme un envoyé de Dieu,
comme un second saint Colomban

1 V. La vie du très révérend


père D. Augustin Calmet, abbé
de Senones, avec un catalogue raisonné de tous ses ouvrages, tant
imprimés que manuscrits par Dom Fangé, son successeur.
LA LÉGENDE d'OBERLIN.

Ja, solch ein Gottesbote,


Ja, solch ein Glaubensheld
Hat jungst aus Nacht und Tode
Gerettet Volk und Feld.
Er hat das Kreuz errichtet
In seiner Wundermacht,
Bis ailes war gehchtet
Und jedes Herz erwacht.
(Das Steinthal).

Traduction libre
Oui naguère, pareil homme céleste,
Pareil héros, magnanime et modeste,
A délivré des âmes de la mort,
De l'ignorance et de leur triste sort
Muni par Dieu. d'une force divine,
Et de la foi, qui du ciel illumine,
Il a planté sur les Vosges la croix,
Et réveillé les esprits par sa voix.
Scheube écrit que le monde a perdu en Oberlin un
bienfaiteur de l'humanité, peut-être sans pareil au cours
des siècles.
Du reste, la glorification d'Oberlin avait déjà com-
mencé de son vivant. Augustin Périer, frère du ministre
de Louis-Philippe, son hôte en 1794, le qualifiait d'Homme
trois fois bon, trois fois religieux. Et le préfet Lezay-
Marnésia se plaisait à l'appeler la providence du Ban-
de-la-Roche, Homme quasi divitt. 3 C'est, si l'on veut, une
manière emphatique de parler. Un jour même, quelqu'un
prétendait, par suite d'une illusion d'optique, avoir vu
et admiré Oberlin dans une auréole de gloire, pendant
qu'il descendait de Solbach, comme autrefois Moise du
mont Sinaï.
Etant déjà si vénéré de son vivant, il n'est pas éton-
nant que de nombreuses biographies aient été écrites
après sa mort.

1 A. Gedichte.
Stœber, 1893.
V. Mlle F. Tourette, Le pasteur Oberlin ou le Ban-de-la-
Roche (Strasb. 1824, in-12). P. 'Merlin, Promenades alsaciennes
(Paris 1824, in-S").
» E. St.
176.
LA LÉGENDE D'OBERLIN.

En 1826 parut déjà, outre une relation de ses funé-


railles, une notice in-8° de 79 pages, avec son portrait,
composée par H. Lutteroth. En 1829, un ouvrage anglais
ayant pour titre Memoirs of John Frederic Oberlin,
pastor of Waldbach, in the Ban de la Roche. En i83i,
le livre plus important d'Ehrenf. Stœber, l'aîné. En i833,
la brochure de P. Merlin à Paris, in-8°, de i3g pages.
En 1838, celle du Dr Schubert, à Nuremberg: Ziige aus
dem Leben des Joh. Friedr. Oberlin, geivesener Pfarrer
im Stcinthal. En 1843, à Stuttgard, un ouvrage en 4 vo-
lumes in-12 du pasteur Burckhardt. En i855, un autre
de Frédéric Bodemann, également édité à Stuttgard. En
1866, une nouvelle biographie d'Oberlin est publiée par
L. Spach, à Strasbourg. En 1867, une autre à Paris,
par Fr. Bernard, etc. Les femmes écrivains le louent éga-
lement. Mmc Pauline Guizot consacre à Oberlin le cha-
pitre XVII du IIIe volume de son ouvrage l'Ecolier.
Mm<"de Witt, née Guizot, publie aussi sa biographie,
sous le titre Une noble vie. Mme Ernest Rœhrich l'offre
a l'admiration du monde dans sa brochure in-12 de 224
pages, intitulée « le Ban-de-la-Rocher>.
Enfin, pour ne pas prolonger outre mesure cette no-
menclature, nous ne citerons plus, à part les plus récentes
publications, que la thèse présentée en 1896 par Camille
Leenhardt à la Faculté de théologie de Montauban, sous
le titre Un saint protestant. Ce titre a provoqué, en
1904, dans une revue française: la Réforme sociale, un
article 1 où l'auteur, après une enquête sur place, relate
combien on le trouvait naît de croire à la sainteté
d'Oberlin, «son seul titre, dit-il, selon une vieille dame
du pays, est d'avoir été le premier promoteur de l'ins-
truction laïque et obligatoire, et forcé tous les gens pauvres
a envoyer leurs enfants à l'école.» w
Viennent de paraître Frit^ Oberlin, der Vater des
Sleiiithals, du Dr Hackenschmidt, dans les Evang. Le-
bensbilder aus dem Elsass; deux études consacrées au

1 Numéro du 16 février, cité par Ed. P.


LA LÉGENDE DOBEBLIN.

célèbre pasteur, par Mme E. Rœhrich et M. Ulrich Rau-


scher, dans la Revue alsacienne illustrée; et en dernier
lieu un roman de Fritz Lienhard Pastor Oberlin, en
cours de publication dans le Tiïrmer.
Honorée dans les livres, la mémoire d'Oberlin
l'a encore été par le fait qu'on a donné son nom à une
des plus grandes artères de Strasbourg, l'Oberlinstrasse,
comme à une rue de Nancy, et même a un collège et à
une faculté de théologie, inaugurés en i833 dans l'Etat
district de et la ville d'Oberlin1 1
d'Ohio, Russie, auxquels
doit son origine. Son nom fut encore donné à une vaste
association, créée en 1879, en Allemagne, dans le but de
former des institutrices d'école maternelle, et dont le
feld-maréchal, comte de Moltke, ne dédaigna pas d'accep-
ter la présidence du Comité central. Tout récemment,
dans le Musée alsacien inauguré à Strasbourg, on a
ménagé une chambre, dans laquelle on a réuni de nom-
breux souvenirs d'Oberlin, et qui figure un poèle avec
plafond à poutrelles, murs blanchis à la chaux, et escalier
à l'intérieur, tel qu'on en voyait au Ban-de-la-Roche.
Si le pasteur de Waldersbach n'a pas ambitionné la
gloire humaine, la gloire s'est attachée à lui en ce monde,
et il a bénéficié de cette colossale publicité.
Nous nous garderons de le juger. Au for intérieur,
il ne relève que de Dieu, le seul juge véritable qui ne
fait acception de personne. Au for extérieur, il possédait
un ensemble de qualités qui lui ont concilié l'estime et
l'affection de ses paroissiens et l'ont mis au premier rang
des pasteurs protestants, sinon par la science et l'élo-
quence, du moins par son zèle et son dévouement.
Ses dernières paroles furent «O H^err J&su mach
Feierabend mach ein Ende.» » Nous lui souhaitons de
tout cœur ce repos éternel tant désiré, et cette divine
lumière qui met fin au doute et dissipe les nuages de
l'erreur. Et nous l'espérons pour lui, à cause de sa bien-
faisance et de sa bonne foi, sans parler de ses autres

1 Paul Dictionnaire des Dictionnaires, Oberlin ville.


Guérin,
LA LÉGENDE D'OBERLIN.

qualités. Le bon Samaritain, quoique Samaritain, a été


glorifié par notre Seigneur Jésus-Christ.
Si maintenant pour conclure, nous comparons cette
légende d'un saint de l'Eglise protestante avec les légendes
des saints de l'Eglise catholique, nous devons reconnaître
que l'idéal de la première ne s'élève guère au-dessus
d'une sagesse ordinaire, tandis que les saints canonisés
planent, soutenus par la grâce divine, dans les régions
sublimes de la perfection chrétienne et y brillent par
l'héroïcité de leurs vertus. Quiconque connaît par exemple
la vie toute surnaturelle du bienheureux J. M.-B. Vianney,
curé d'Ars de i S 18 à i858, est convaincu de cette diffé-
rence frappante.
REVUE DU MOIS.

Quand Virgile, la moitié de son âme, s'embarqua pour Athènes,


le bon Horace se repandit en invectives contre l'homme au cœur
triplement cuirassé d'airain, qui le premier avait ose affronter sur
un fiéle esquif les flots rageurs et traîtres de la Méditerranée. Et
puisqu'il y était, 11 continua à verser sa bile sur tous les promoteurs
de la civilisation: sur l'audacieux mortel qui avait attiré sur la
terre la colère des dieux \oici maintenant l'actualité sur cet
insolent Dedale qui se lança dans le vide des airs avec des ailes
que la nature a refusées à l'homme."
Expertus vacintm Dœdalus aëra
Pennis non homini datis.1
N'aurait-il pas, s'il vivait aujourd'hui, attribué l'invasion mena-
çante du choléra et la catastrophe de Bruxelles à la vengeance de
l'Olympe, irrite de voir des légions d'aviateurs traverser les airs en
conquérants victorieux ?Pour le moment la France lève sur eux
ses regards maternels avec une légitime fierte; mais bientôt ils ap-
partiendront à l'humanité, et cette réflexion aurait dû inspirer une
attitude plus digne à la presse chauvine d'Allemagne. Ces journa-
listes bilieux auraient eu d'autant plus de raisons, sinon de s'associer
à cet enthousiasme, du moins d'avoir la tenue de gens civilises, que
la presse française avait enregistre avec une noble dignité les evo-
lutions aériennes du comte Zeppelin, tandis qu'eux-mêmes se vau-
traient dans l'ivresse du succès, sans réserve et sans vergogne. L'un
de ces énergumènes est même allé plus loin: venu de Hambourg
en Alsace-Lorraine pour défendre dans la BStrassburger Post" Je
pur patriotisme, il nous a révélé les principes de la culture que sa
coterie voudrait implanter chez nous, en proposant de descendre
à coups de fusil les aviateurs qui passeraient la frontière. Citer une
pareille theorie, c'est la flétrir, elle et ceux des publicistes d'Alle-

Hor. I Od. 2.
REVUE DU MOIS.

magne trop lâches pour protester avec dégoût contre des instincts
aussi bestiaux, qui cherchent hypocritement à s'abriter sous un des
plus nobles sentiments de l'homme: l'amour de la patrie.
Nous ne nous exposerons pas comme d'autres au ridicule de
faire en chambre de la stratégie aérienne de l'avenir. Aussi bien les
autres nations auront, avant deux ou trois ans, regagné l'avance si
incontestable des aviateurs français il suffira même d'un Pelletan
quelconque pour la leur faire dépasser, comme cela est arrivé, est
en train d'arriver, pour les sous-marins, où la France qui avait
produit les inventeurs, qui possède un personnel sans rival pour le
courage et l'endurance, était longtemps seule à en avoir, mais est
déjà devancee par l'Angleterre et fortement talonnée par l'Allemagne.
Les enseignements que nous \oudnons tirer du magnifique succès
du Circuit de l'Est sont d'oidre plutôt social, que militaire ou poli-
tique. Ces inventions admirables, ces rapides progrès, l'organisation
remarquable de cette randonnée d'aéroplanes par un journal, le Matin,
démontrent la supériorité de l'action des particuliers sur celle de
l'Etat: tout a été fait en dehors de celui-ci et sans son intervention,
tout était l'oeuvre de l'initiative privée, trop heureuse de n'avoir pas
eté entravée par le concours paralysant du bureaucratisme admini-
stratif. Que de progres ferait l'instruction publique, p. ex., si le mono-
pole de l'Etat n'étouffait pas tous les eflorts de l'initiative libre des
individus et des associations Mais il y a encore une autre leçon
qui se dégage de la genèse de l'aviation, c'est la nécessité de la
coopération du capital avec le travail. Le plus sublime génie, la
science la plus vaste et la plus profonde, le travail le plus opiniâtre
ne peuvent rien sans argent. Il faut lire dans le Matin, écrits par
M. Blériot lui-même, ses rêves et ses angoisses", pour voir combien
est criminelle la guerre faite, non pas seulement aux abus du capi-
talisme, mais au capital lui-même, par les purs du socialisme.
Mais l'espèce des purs n'a-t-elle pas fait son temps? On est
bien tenté de l'affirmer quand on voit l'assentiment presque général
que les ^compagnons" sudistes viennent de donner à la fraction socialiste
de la seconde chambre badoise pour son attitude dans le vote du budget.
Ils ont même fait davantage; ils ont fait passer à une grande majorité
la motion de proposer au Congres général de Magdebourg, l'abro-
gation de la clause du programme, dite de Nuremberg, qui fait du
rejet du budget un des articles fondamentaux du Credo socialiste.
La discussion sera violente, car les Nordistes prétendent avec raison
que l'abandon de la tactique pratiquee jusqu'ici est une révolution
à rebours, qui ramène le socialisme sur le terrain de la bourgeoisie
ce ne serait plus la guerre de la classe ouvrière contre le capital et
le patronat, ce serait tout au plus l'alliance de l'anticléricalisme en
queue de morue, en souliers vernis et en haut de forme à huit
reflets. Les roués du parti trouveront-ils la formule pour allier l'eau
du Sud avec le feu du Nord? Il est probable; car il reste assez de
REVUE DU MOIS.

mots vides, sonores et ronflants avec lesquels on peut composer un


boniment capable de maintenir les badauds dans la baraque, et de
continuer à leur soutirer leurs sous, si péniblement gagnés. Cette
évolution n'est pas faite pour nous déplaire. Quiconque a déjà dans
les réunions électorales subi le feu des orateurs socialistes sait que
quand ils étaient défaits sur toute la ligne, leur dernière canonade
consistait à nous crier: "Mais, enfin! vous avez voté le budget!'
Désormais ce sera un coup en l'air, puisque le rejet en bloc du
budget est une question non plus de principe, mais de simple op-
portunité.
Le schisme officiel est d'autant moins probable, que pour les
élections partielles au Reichstag les socialistes marchent de victoire
en victoire. Ces succès n'étonneront aucun de ceux qui ont suivi le
mouvement de l'opinion depuis la rupture du Bloc. Les libéraux ont
admirablement préparé le terrain pour les candidats de la révolution
sociale: ceux-ci n'ont qu'à puiser à pleines mains dans les journaux
libéraux et dans les discours des orateurs radicaux pour soulever
les haines populaires et enrôler sous le drapeau rouge les mécon-
tents du tiers-état. Ce sont les Bassermann, les Hieber, les Everling,
les Wiemer, les Muller-Meiningen qui ont jeté le cri de guerre
contre la réforme financiere et semé le vent du Kulturkampf, ce
sont les socialistes qui moissonnent la tempête. S'aperçoit-on du
danger en haut lieu ? Si l'on ne voit pas ou ne veut pas voir, ce ne
sera pas la faute des catholiques. On a crié gare, assez haut, à l'As-
semblée générale des Catholiques allemands qui vient de se tenir à
Augsbourg, avec le concours et l'enthousiasme habituels: on y a
signalé le danger de la coalition du Grand Bloc pour le caractere
confessionnel des écoles, et pour l'évolution pacifique de la politique
sociale On ne s'est pas borné d'ailleurs à faire l'examen de con-
science des adversaires du christianisme et de l'Eglise, on a scrute
aussi les replis de notre propre conscience. Et cela est bon. Il est
indispensable de nous demander, si ce que nous faisons pour l'étude
des problèmes modernes et pour leur solution est suffisant pour
remplir notre devoir. Et en effet il y a un nombre considérable de
catholiques qui se tiennent béatement les bras croisés dans les
luttes contemporaines, parce qu'ils ne voient même pas que la mêlée
est engagée sur toute la ligne. Que d'hommes parmi nous gémissent
sur la disparition d'un passé caduc, parce qu'ils sont trop mous
pour travailler aux grandes œuvres du présent qui doivent préparer
l'avenir. Ce n'est pas que nous approuvions en tout certaines jére-
miades sur rinférioritc des catholiques c'est notre honneur et
notre gloire que nous ne puissions pas rivaliser avec les champions
d'un certain art et d'une certaine littérature. Mais autre chose est
de suivre toutes les modes, uniquement parce que ce sont les modes,
et autre chose est de chercher à être au premier rang parmi les
promoteurs du véritable progrès.
REVUEDU MOIS.

Il faut espérer que l'Assemblée Générale d'Augsbourg aura pour


principal résultat d'étouffer les germes de désunion qui se sont manifestés
dans ces derniers temps entre des hommes dont on ne peut certaine-
ment mettre en suspicion la volonté sincère de servir les intérêts
de l'Eglise. Les tristes résultats des dissensions intestines de
l'Eglise de France sont là pour effrayer tous ceux qui aspirent avec
raison au mieux, mais qui sont trop disposes à regarder comme mal,
ce qui est simplement le bien possible dans des circonstances
donnees. Lequel d'entre nous autres vieux ne se rappellent pas les
anathèmes lancés contre les Lacordaire, les Montalembert, les
Dupanloup, les Falloux, et tant d'autres; et comme on est heureux
en ce moment de plaider leurs thèses qu'alors on flétrissait impi-
toyablement avec l'épithete à tant de sens, vrais et faux, de libéral?
Ce libéral d'alors est devenu l'hyperorthodoxe d'aujourd'hui. Les
principes sont sans aucun doute immuables, et il ne peut pas y
avoir de divergences à cet egard: elles commencent inévitablement
le jour où se pose la question, s'ils doivent s'appliquer à un cas
concret. Les hommes de cabinet sont très absolus, parce que trop
souvent ils font abstraction des circonstances qui concrétisent le
cas les hommes d'action voient mieux les difficultes, et quand ils
s'aperçoivent qu'elles ne peuvent être abordées de front, ils les
tournent; qu'elles ne peuvent être surmontées completement, ils se
contentent de l'étape relativement possible. Rien ne serait desastreux
dans l'etat actuel des esprits en Allemagne qu'une dissidence même
de surface dans toute armée il faut des combattants et des
diplomates, ceux-là pour remporter la victoire, ceux-ci pour en re-
tirer les fruits ou la préparer par des alliances convenables, mais
il serait désastreux de les voir se contiecarrer, les uns par trop
d'intiansigeance, les autres par une condescendance nuisible à la
cause pour laquelle on se bat.
Si les catholiques d'Espagne etaient sincèrement unis et savaient
renoncer à leurs opinions pour se mettre tout entier à la défense
de l'Eglise, M. Canalejas y aurait regardé à deux fois avant de
s'engager dans sa lutte avec le Vatican. Mais au-delà des Pyrénées
aussi chaque parti prétend être le seul à pouvoir defendre efficace-
ment la religion les carlistes ne voient de salut que dans l'avéne-
ment de leur prétendant; les alphonsistes mêmes se paient le luxe
de se diviser et de faire dépendre le bien de la religion de la dose
de libéralisme ou de conservatisme dont ils assaisonnent leur
monarchisme constitutionnel peut-être même, et en effet les
principes de l'Eglise ne s'y opposent pas, y a-t-il des catholiques
qui croient le mieux servir leur religion en préparant l'avénement
de la république. C'est un terrain bien mouvant sur lequel est
obligé de manœuvrer la diplomatie pontificale, et il y a là de quoi
expliquer, non pas des hésitations ou des contradictions qui
n'existent pas, mais une lenteur qui n'est pas seulement de tradition,
REVUE DU M013.

qui est commandée par les circonstances. M. Canalejas serait moins


hardi aussi, si les Cortès n'étaient pas prorogées: mais en vrai
libéral, il se soucie fort peu de l'assentiment des representants du
peuple; sa politique tend à les placer devant un fait accompli; il
sait fort bien que les assemblées parlementaires donnent facilement
après coup l'absolution à un mefait qu'elles n'auraient pas laissé
accomplir en cours de session. Du leste, le roi est revenu, et tout
en se renfermant dans son rôle de roi constitutionnel, comme son
oncle Edouard VII, il saura employer son influence pour empêcher
toute rupture avec le Vaucan.
Ce sera aussi le conseil que donnera à M. Canalejas M. Briand,
s'il est vrai que le président du cabinet de Madrid rendra visite à
son collègue de France au retour de sa visite à Bruxelles, où il ira
voir les restes de l'Exposition. Disons en passant combien M. Wetterle
avait raison dans son Journal de Colmar, quand à propos de notre
minuscule Exposition provinciale de 1893, il jetait un cri d'alarme
contre la tendance de réunir dans des locaux particulièrement
exposés au danger d'incendie des collections artistiques dont la
perte serait absolument irréparable. Mais revenons à M. Briand
tous ceux qui sont à même de savoir quelque chose sur ses senti-
ments intimes sont d'accord à dire qu'il regrette amèrement d'avoir
coupé tous ses ponts sur le Tibre, et que sa persistance a repéter
que Rome cherche a renouer des relations avec lui n'est que l'echo
de son désir de voir ce rapprochement se réaliser. C'est sans doute
aussi la leçon que lui donneraient les hommes d'Etat de la Suisse
que M. Fallières est aile visiter à Berne, le i5 août. Leurs
prédécesseurs ont jadis commis la sottise de briser avec le Saint
Siège pour l'honneur de singer Bismarch, mais ils eurent aussi la
sagesse de le suivre quand il alla à Canossa. M. Fallières a pu
juger de visu qu'un peuple ne déroge pas, quand parmi les libertes
qu'il accorde à ses citoyens, il donne une large part à la liberte
religieuse. En effet la Suisse ne depense pas son argent à inscrire
le mot de Liberté à tous les coins de rue et au fronton de tous les
édifices publics, sauf à opprimer la liberté primordiale qui est de
prier et d'élever ses enfants d'après ses convictions la Suisse pré-
fère pratiquer la liberté, comme elle pratique l'égalité. Elle n'est
pas assez égalitaire pour briser partout les armoiries de ses vieilles
familles patriciennes et mutiler les noms de son aristocratie, mais
on ne verra aucun de ses citoyens faire la chasse à une particule,
comme cela se voit chez les démocrates de la R. F., en accolant à
son nom le nom d'un département, d'un arrondissement, d'une gre-
nouillère ou d'un pigeonnier. Et M. Fallières a dû être humilié de
voir une démocratie où il n'est parvenu à placer ni le moindre bout
d'un des nombreux rubans qui garnissent la boutonnière de tout
bon radical ni la moindre pièce de la ferblanterie dont les types
varies se multiplient d'une façon a faire envie à la plus corrompue
REVUE DU MOIS.

des monarchies. Cela n'a pas empêché l'entrevue d'être très cordiale
les Suisses ont bien voulu ne pas se souvenir de ce que leur pays
a souffert quand il fut pietine par les armées de la Révolution et
quand leur liberté fut pres d'être étouffée par la Médiation de Na-
poléon: ils n'ont voulu se rappeler que l'alliance seculaire de leurs
aieu\ avec la France, et M. Fallieres a dû se rappeler avec émotion
ce que les Suisses ont tente en 1870 pour les malheureux habitants
de Strasbourg bombarde, et en 1871, pour les pitoyables debris de
l'armee de Bourbaki. Et puis, Il n'y a pas que la sentimentalité qui
joue un rôle dans les apports des peuples, les intérêts économiques
en sont un iacteur prepondetant, et la Suisse tient a être ménagée
par le tarif douanier français et à attirer de nouveau les touristes
de France, qui, un moment s'étaient éloignés quand l'influence alle-
mande se faisait remarquer d'une façon trop sensible. La France de
son côte cherche par de nouvelles jonctions de ses chemins de fer
avec le reseau suisse de reconquérir les profits d'un transit que lui
avait fait perdre la ligne du Saint Gothard et du Simplon.
La montagne n'inspire pas par elle-même l'aversion pour la
vanité des titres, sinon nous ne verrions pas le souverain du pays
montagnard par excellence, du Montenegro, changer son titre de
prince contre celui de roi. Cela n'ajoutera pas un pouce à son terri-
toire et pas un rayon de gloire que les Monténégrins se sont jadis
acquise dans leurs luttes pour leur independance. Cela ne changera
rien non plus a l'équilibre si instable des Balkans, où le gouverne-
ment turc est oblige de faire lace de tous côtes à de nombreuses
difficultés. Les intrigues des Vieux Turcs troublent à chaque instant
la tranquillite intérieure; la Bulgarie fait a tout instant des repre-
sentations aigres-douces, appuyées par une forte armee, à propos
des duretés exeicees contre les Bulgares ottomans par les troupes
chargées de les desarmer la Grèce continue à attiser le feu dans
l'ile de Crète et elit le commissaire cretois comme membre de
l'Assemblee nationale pour se donner l'illusion que cette election
constitue l'annexion. Nous avons fait reellement du progrès dans le
sens de la paix generale il y a soixante ans, une seule de ces in-
nombrables etincelles aurait suffi pour mettre le feu aux poudres.

N. DELSOR.
BIBLIOGRAPHIE.

La Revue hebdomadaire, -20 Août. Edouard Herriot, maire de


Lyon. En Dalmatie (I). Impressions de route. (Avec deux cartes.)
Péladan, L'Enfant dans l'Art. (A propos de l'Exposition de Baga-
telle). – Marius-Ary Leblond, L'Enfance créole de Pierre Desrades
(IV). – Emile Magne, Une Station thermale au dix-septième siècle:
Forges-les-Eaux. – André Chaumeix, Le Mouvement des idées: un
roman de mœurs révolutionnaires. Jean Chantavoine, Chronique
musicale: Sur Robert Schumann. (A propos de son centenaire.)
Librairie P. Téqui, 82, rue Bonaparte, Paris-VIe. L. BRANCHE-
reau, ancien supérieur du grand séminaire d'Orléans. Journal intime
de Mgr Dupanloup, Evêque d'Orléans. Nouv. éd. in-12 de 367 pp. 3 fr. 50.
"Il a été un travailleur infatigable et un contemplatif, un homme
d'action et un homme d'oraison." Le livre de Mgr Lagrange ouvrait
quelques horizons sur ce double aspect de sa vie, mais tant d'œuvres
l'ont remplie, que son historien n'a pu qu'imparfaitement montrer
le principe surnaturel d'où elles procédaient. Le Journal intime vient
de mettie en lumière une âme de prêtre et d'évêque, constamment
attentive à l'oeuvre de sa sanctification personnelle et puisant dans
une vie fervente, humble et pénitente le secret des grandes choses
qui ont illustré sa vie pour le bien des âmes et l'honneur de l'Eglise.
R. P. J.-B. SCARAMELLI. Le Discernement des Esprits pour le bon
Règlement de ses propres actions et de celles d'autrui. Ouvrage
spécialement utile aux Directeurs des Ames, trad. de l'It. par M. A.
BRASSEVIN, Chan. de Marseille, in-i2, 3 fr. 5o.
Le nom seul de l'auteur de ce livre nous dispense de toute
autre recommandation. Le discernement dont il est question dans
cet ouvrage n'est pas cette septième grâce, gratuitement donnée, de
la Ire Ep. aux Cor. Il s'agit ici d'un discernement commun à tous,
que l'on peut acquérir par le traveil et l'industrie, et qui con-
siste dans un jugement droit sur l'esprit des autres. C'est la pratique
de la recommandation de S. Jean Ne croye% poittt à tout esprit,
niais éprouver les esprits, s'ils sont de Dieu, et de celle de S. Paul
Eprouve^ tout: retenez ce qui est bon.- abstenez-vous de toute appa-
rence de mal (I Thess.)
Ce livre convient donc à tous ceux qui veulent sincèrement
vivre selon l'esprit de Dieu. Mais, comme tous doivent soumettre
leur propre discernement à celui des directeurs spirituels, c'est à
ceux-ci qu'il s'adresse tout particulièrement.

N. DELSOR, rédacteur responsable.


Strasbourg. Typ. F. X. Le Roux & Cie.
A NOTRE DAME DU S. ROSAIRE.

C'étaient des jours de sang, de ruines, de ténèbres;


Les Eglises de France expiraient dans le deuil,
Le schisme échevelé, jetant des cris funèbres,
Sur les autels brisés promenait son orgueil.
Sur les champs de bataille étaient tombés les braves,
Fidèles à leur Dieu, défenseurs de la foi
L'insolent Albigeois, libre de ses entraves,
Au Dieu qu'il méprisait osait dicter la loi.
Tout paraissait perdu sous la rude secousse,
Et perdu sans retour; mais brillante d'azur
Et d'aurore, la Vierge apparaît et repousse
Les suppôts de Satan dans leur repaire obscur.
De son pied virginal elle effleure la terre,
Et fait naitre un héros qu'elle arme du rosaire
Dominique s'en va par le monde en vrai preux
Rallumer de la foi les ardeurs et les feux
Qu'ils reviennent les jours de deuil et d'épouvante.
O Vierge nous serons vos féaux champions
Comme Dominique et les guerriers de Lépante
Nous lutterons pour vous, et nous triompherons

Anoi.Piir. Ai.viIry.

Revue. Septembre 11)10. 33


CANTATE D'ALSACE.

Vendémiaire.

Aux vignes! Aux vergers! Alerte les garçons!


L'Automne se prélasse
Vive le vin nouveau! vivent les lourds houblons
De la féconde Alsace
Beaux mois bénis A vous nos plus chers souvenirs,
Vous donnez le bien-être et comblez nos désirs.

Partout sur les coteaux, les collines, les plaines


Les braves vignerons sont dès l'aube en chemin
Munis de leurs tonneaux, ils vont en longues chaînes,
Pères, mères, enfants, cueillir le doux raisin.
Les couples amoureux, en fêtant les vendanges,
Echangent leurs serments. Les nœuds alsaciens
Papillonnent partout; le trille des mésanges
S'unit aux rires gais, aux amoureux refrains.

Nivose.

Aux granges, paysans A vos fléaux, batteurs


Lentement l'hiver passe
Reprenez vos fuseaux et vos rouets ronfleurs,
Braves femmes d'Alsace
Le travail adoucit et embellit les jours;
Le travail accompli nous satisfait toujours.

Chasseurs à vos fusils car le gibier pullule.


Pour vous l'étang se fige, allez-y patineurs!
Dans les grandes cités on s'agite, on spécule,
Le Ciel comble ce beau pays de ses faveurs
cvntate D'ALSACE.

Même si la nature, en proie à sa souffrance,


Pendant nos durs hivers croit que tout va périr,
Sur les Vosges flotte un doux rayon d'espérance
Nos sapins restent verts, refusant de mourir!

Germinal.
Au travail, les semeurs au travail, villageois
C'est le printemps qui passe.
Vite ôte ton rouet, montre ton frais minois
Joyeuse enfant d'Alsace;
Saison du renouveau, tu mets l'espoir au cœur,
Ta sève fait partout renaître le bonheui.

Enlevant le tapis de neige amoncelée


Le gracieux Printemps éparpille à foison
Ses décors de verdure au fond de la vallée,
Sur les monts, sur les prés, sur l'arbre, et le buisson.
Marguerites, crocus, pervenches, violettes
Eclosent chaque jour, et les oiseaux charmants
Reconstruisent leurs nids, font leurs couches douillettes,
En disant aux échos leurs amours et leurs chants.

Messidor.

Aux prés faucheurs, faneurs: c'est le temps des moissons


L'été dore l'espace.
Que vos bruyantes voix se mêlent aux chansons
Des fillettes d'Alsace
Belle saison, tes feux redoublent leurs ardeurs;
Ils sont trop courts, ces jours aux rêves enchanteurs.

Le soleil radieux sur la nature entière


Jette ses traits brillants, ses royales beautés,
Et se mire coquet dans l'onde verte et.fière
Du vieux Rhin, le parant de reflets argentés.
Il met son nimbe d'or sur la flèche gothique
Qui domine Strasbourg et nous montre les Cieux.
Salut à toi Salut, Dôme vraiment unique
L'orgueil de notre Foi, la gloire des aïeux.
r

LE CURE MAIMBOURG.
(Suite.)

Voici maintenant la réponse qu'aux trois lettres pré-


cédentes, M. Maimbourg adressa le 24 décembre à l'évêque

qui se trouvait encore à Marienthal où il passa les fêtes


de Noël.
Dans cette lettre longue de 8 pages, le secrétaire fait
savoir qu'il s'occupe du choix des succursales à salarier

par l'Etat et de celles qui resteront à la charge des com-


munes le département du Bas-Rhin en sustentera 87 et
celui du Haut-Rhin 10g, en départant de la première

organisation. De plus il prépare l'état de l'évêché, la


nouvelle organisation des paroisses, le règlement des
tarifs. Il lui faut pour ce travail le concours des deux
Préfectures.
J'écrirais volontiers moi-même pour épargner la peine à notre
Respectable Prélat, mais je ne dois pas blesser l'amour-propre de
MM. les Vicaires généraux.
,Les nouvelles que Votre Grandeur veut me donner concernant
les communes mixtes, les fabriques envahies par les protestants et
la contrainte contre les paroissiens qui se refusent a contribuer a
l'entretien du culte me font bien plaisir. V. G. ne parait rien
oublier. Je crois devoir recommander à son souvenir les quatre
pélerinages, les chapelles domestiques, le mémoire des marguilliers
de la cathédrale et la nomination à la cure de Munster. Elle
s'occupe sûrement du Séminaire et de la maison de retraite il serait
superflu d'en parler. Mais je dois fixer son attention sur deux
objets plus interessants, d'abord sur la liturgie et le catéchisme,
ensuite sur l'erection de deux ou trois nouvelles succursales on
pourrait mettre un pareil nombre de plus, si le gouvernement
LE CURÉMAIMBOUBG.

voulait y consentir. J'ai proposé à M. Silbermann la desserte


provisoire de Soppe-le-haut, à condition qu'il se charge de M.
J'attends sa reponse, et en ferai part à Votre Grandeur. Ce
trait de charité me prouve de rechef que nous avons un bon Papa
pour Prélat.
Je ferai tirer copie de la lettre du Préfet d'ici, concernant la
réduction des succursales, et la ferai passer à Votre Grandeur il
me semble qu'il ne vaut pas la peme d'y répondre elle devient
aussi inutile que mon travail tout l'odieux d'une discussion re-
tomberait d'ailleurs sur moi et Votre Grandeur m'aime trop pour
me compromettre. Je me suis d'ailleurs expliqué vivement à ce sujet
avec le rédacteur de la lettre.
Je ne me rappelle aucun protégé pour Bernwiller; je m'adresserai
à M. Chagué de Cernay à ce sujet. Je n'ai jamais ajouté foi aux
bruits de la ville de Strasbourg, le caractère de Votre Grandeur
me repond du contraire.
P. S. La choucroute a été déposée chez Antoine François
Bricard et O, commissionnaire à la ville de Lille, rue du
Ponceau, n° 11.
Après avoir repondu à la lettre du 16, je m'empresse, Mon-
seigneur, de dire à Votre Grandeur que je m'occuperai à trouver
une place au protégé de M. le curé de Holzwir et son collègue,
M. Goctzmann. J'aime à satisfaire les deux, car ils sont estimables
sous tous les rapports; si les occupations me le permettent, je
joindrai un projet de promotion à la presente lettre.
Le Préfet d'ici ne doit pas encore être instruit des démarches
que Votre Grandeur fait pour sauver son école secondaire de
Schlestadt et qui m'assure une heureuse réussite. Une victoire de
cette nature comblera de gloire notre illustre Prelat et lui vaudra le
titre de restaurateur des études de notre bonne province elle va
achever au contraire le magistrat qui cherche à contrarier le cierge
et encore plus son Chef.
Le curé, sensible aux démarches de Votre Grandeur concernant
son traitement, se met a ses pieds et ne cesse d'adorer la divine
Providence il la prie de nous conserver encore de longues années
cet heureux et puissant instrument de son bonheur; il me demande
à chaque instant: avez-vous des nouvelles de Monseigneur? pourvu
qu'il n'accepte pas un autre évêché I – Je lui reponds chaque fois
ce que j'ai eu l'honneur de mander à Votre Grandeur dans ma
precédente: Monseigneur n'abandonnera pas les siens. – M. Labeyrie,
lui et moi, formons le trinum perfectum, nous donnons tous les
soins au bon Chanoine, et )'ose promettre à Votre Grandeur qu'Elle
sera contente de nous à son retour.
J'ai dejà écrit à MM. Schecker, Dannecker et Parlement. J'ai
exhorté le second à voisiner avec son curé cantonal; j'ai engagé
LE CUBÉ MAIMBOUKfi.

M. Parlement à continuer avec zèle et discrétion son ministère à


Lorence avec promesse que Votre Grandeur ne l'oubliera pas.
J'observerai à la lettre la conduite à tenir à l'égard de M. Blanchot.
Je lui promets d'ailleurs que je ferai toujours pour le mieux. le ne
travaille que pour le bien de notre sainte Religion et pour la gloire
de Votre Grandeur. Elle me fera part du resultat de la conférence
qu'Elle a eue avec S. Exc. le ministre sur l'exécution du 1 prairial,
afin que je puisse m'y conformer.
Suis heureux, Monseigneur, si les pâtés que jai eu l'honneur
d'offrir à Votre Grandeur, peuvent lui être agréables. Je la prie de ne
pas ménager ma bourse; Je la partagerai toujours avec bien de la
satisfaction avec Votre Grandeur.
Voilà, Monseigneur, la reponse à la troisième lettre que Votre
Grandeur m'a fait la grâce de m'écrire. Je dois maintenant avoir
l'honneur de lui donner un compte exact de notre gestion.
De celle-ci nous croyons devoir grâce au lecteur;
faire
mais par contre nous donnerons la lettre, la seule que
nous possédions de Maimbourg à son oncle, dans laquelle
il convient lui-même de la faveur dont il jouit auprès de
son évoque.

Strasbourg 2 vendemiaire an XIV (24 7bre i8o5.)


Mon cher Oncle,
J'ai lu avec émotion la charmante lettre que vous m'avez écrite
et m'empresse d'y répondre. J'ai retiré les deux clefs de votre secre-
taire elles portaient l'euquette, on ne pouvait donc pas se tromper.
Votre belle exactitude m'a édifié et je ne serais pas fâché de pouvoir
l'imiter; mais vous ne sauriez croire combien on me tracasse. Si
j'étais préfet du palais de Sa Majesté, je ne pourrais pas être plus
occupé. Je n'oublie cependant pas vos commissions Je connais,
très cher oncle, la source des reproches que vous pouvez me faire
l'intérêt et l'attachement que vous me portez les dictent; vous con-
naissez l'étendue du désir que j'ai de passer tous les moments libres
avec vous, et ce n'est que sous ce rapport qu'ils me peinent.
On a donné l'avis quasi officiel de l'arrivée de Sa Majesté notie e
Empereur; on designe le jour de demain, mais je n'en sais rien
on nous amuse, en attendant le ne puis pas quitter mon purgatoire.
Notre pauvre Evêque est parti samedi de Paris; on lui a fait ia
grâce de le mettre au cabriolet a la diligence pour Besançon, où il
arrivera demain. Il m'écrit des lettres bien aimables et paraît con-
tent de mon ministère et de mon zèle; il y trouvera une lettre de
ma part qui le presse, et s'il n'arrive pas vendredi matin, je pourrai
fort bien partir d'ici vers midi, pour le recevoir à Schlestadt, où il
désire me voir. J'ai prévenu tous les maîtres de poste d'ici à Belfort
de son arrivée.
LE CtTRÉ MAIMBOUKG.

Nos manteaux courts font la mine; M. Danzas a signé une


lettre que j'ai écrite au Ministre pour le consulter sur le cérémonial
et les costumes; il prescrit de recevoir l'Empereur à la porte de la
ville; on se presentera en soutane et manteau long; voilà nos tail-
leurs bien occupes, ce qui me fait rire je n'y suis pour rien.
J'ai fait remarquer à l'oncle la contradiction qui paraît résulter
de sa réponse il dit vos poumons sensibles et croit que le moindre
refroidissement pourrait tout aussi bien les affecter et exciter à la
toux que les vents. Je le consulterai ce soir sur les eaux de Schwal-
bach et le Malaga vous recevrez les deux articles par la première
occasion.
Le bon Jaeglé a finalement aussi du bonheur; on logera chez
lui l'aumônier de S. M., ce qui me fait plaisir pour lui. On voulait
le noircir aux yeux de l'Evêque de la manière la plus outrageante,
mais j'ai jeté feu et flammes pour le justifier.
Voila une longue lettre que j'écris. Je désire que vous en soyez
content; vous savez, mon cher oncle, que je ne bavarde pas trop,
mais en m'entretenant avec vous, je ne puis jamais être assez long.
Je vous embrasse tendrement ainsi que tante et cousin."
Maimbourg.
P. S. Nos troupes ont passé ce matin. On va souhaiter le
bonjour aux Allemands; grand bien leur fasse à déjeuner. On dit
notre Empereur à Mayence ses pages et chevaux, dit-on sont
repartis pour Mayence. L'oncle vous conseille de ne plus prendre
les eaux de Schwalbach, la saison parait peu propice aux eaux."

III.

Telle était la situation, peut-être trop belle, faite au


jeune chanoine secrétaire, pour ne pas lui inspirer à lui-
même quelque inquiétude. François Coppée a dit quel-
que part, après expérience personnelle, que rien n'est
plus lourd à porter et plus difficile à maintenir qu'un
succès obtenu au début de la carrière.
Pour remplir, à la satisfaction générale, les fonctions
de ce poste, combien fallait-il, alors surtout, de tact et
de prudence, de savoir et de savoir-faire, de connaissance

pratique des hommes et des choses, combien de réserve


et d'urbanité dans les rapports, surtout quand, sous la

signature épiscopale, il fallait faire des leçons ou s'acquitter


de commissions – toutes
désagréables qualités que
M. Maimbourg se plaisait à faire valoir, quand elles
n'étaient pas contrariées par les circonstances de temps
ïa: cuiil5 maimbourg.

et par les dispositions du caractère troublant de l'évêque


qui se ressentait trop du passé de sa vie.
Saurine fut un des douze évèques constitutionnels
maintenus sur la liste des nouveaux évoques préconisés
par le Concordat. Le Siège de Strasbourg lui échut, cet
antique siège illustré par tant de vertu et de noblesse,
dans cette Alsace, terre classique de la fidélité au Sou-
verain-Pontife, unifiée maintenant, sous une seule hou-
lette, en un diocèse dont la plupart des prêtres étaient
revenus meurtris, de l'exil, des prisons, de la déportation,
sans parler de ceux qui avaient laissé leur vie sur l'écha-
faud pour cette sainte cause qu'avait trahie l'cvèque qui
leur était envoyé. On conçoit le désenchantement que
dut produire cette nomination devant laquelle pourtant
prêtres et fidèles s'inclinèrent, revêtue qu'elle était de la
signature du Pape. L'ancien évèque constitutionnel des
Landes fut donc accueilli avec soumission, quoique avec une
certaine froideur particulière au tempérament alsacien, qui
d'abord voulait le voir à l'œuvre.
Mgr Saurine, en arrivant, désirait sincèrement la
pacification religieuse dans l'oubli du passé: telles étaient
du reste les instructions du gouvernement qui lui étaient,
res sacra, chose plus sacrée que celles du Saint-Siège..
Il voulait l'oubli, mais il ne sut pas le pratiquer lui-
même, il ne sut pas se défaire de son vieux levain
de gallican-constitutionnel. Dès le début il avait pi is
comme secrétaire intime le prêtre assermenté Schecker
qu'il dut bientôt éloigner, mais qu'il ne cessa de
défendre et de patronner sans le succès voulu. 11
écarta, après 18 mois, le vicaire général Boug, un prêtre
de l'ancien régime, très estimé du clergé, de même que
plus tard il remerciera son autre grand vicaire, M. Metz.
Nous avons dit ailleurs1 comment il traita le curé Jaeglé,
sur lequel il fit peser, durant un jour, l'interdit, après
avoir frappé auparavant de la même peine un autre curé

A. Jaegle, cure Je Samt-Lauient; (Le Roux, 190g.)


LE CUK.É SIAIMBOURO.

de la ville, M. Gyss, de Saint-Jean. C'est ainsi qu'il avait


également interdit deux dignes ecclésiastiques de la
Haute-Alsace, Weisrock et D. Juif, pour n'avoir pas
suivi, dans un cas spécial de mariage divorcé, ses instruc-
tions que les deux prêtres considéraient comme contraires
à l'ancienne discipline de l'Eglise. Il en résulta un mé-
contentement dans certains rangs du clergé, et l'esprit de
parti, qui semblait être assoupi, se réveilla de nouveau et
s'accentua dans l'entourage même de l'évêque.
C'est dans ces circonstances délicates que nous trou-
vons maintenant M. Maimbourg, l'homme de confiance
de Mgr Saurine, son fidèle serviteur, chargé d'exécuter
ses ordres. Il s'était bien souvent efforcé, ainsi qu'il le
dira lui-même, d'arrondir les angles, d'adoucir certaines
mesures et de travailler à la pacification des esprits; mais
le blâme qui lui était destiné ne devait-il pas rebondir
et atteindre l'évêque? Les griefs portés contre l'admini-
stration prirent, selon la coutume d'alors, le chemin du
ministère des cultes a Paris on reprochait à l'évêque sa
partialité, ses opinions avancées, la trop grande latitude
qu'il laissait dans les affaires diocésaines à son secrétaire,
et à celui-ci une gestion trop personnelle, arbitraire, trai-
tant certaines choses par-dessus les épaules de son maître,
sans lui en rendre compte. L'évêque ayant été mis en
demeure de s'expliquer au sujet de ces griefs, se justifia,
lui et son secrétaire, dans deux lettres qu'il adressa l'une
au ministre des cultes, l'autre au ministre général de la
Police.
Dans la première, en date du 14 août i8og, après
avoir mis à néant une accusation portée contre Marckert,
curé de Bischheim, l'évêque continue
BGe bont sans doute des gens de cette espèce, ou des hommes
trompes qui ont dénoncé aussi M Maimhourg, mon Secrétaire, comme
me laissant ignorer la plupart des plaintes de ce genre, adressees à
l'Evêché. La vérité est qu'il ne m'en laisse ignorer aucune, et si je
ne prends pas de mesures sévères et promptes, comme le voudraient
les plaignans, ordinairement passionnés, c'est que j'y mets la lenteur
nécessaire pour m'assurer des faits, et que je m'arrête quand la
verité reconnue, ou des raisons de prudence m'y obligent.
Du reste on n'ignore pas qu'on peut s'adresser à moi directement
LE CUBÉ MAISIBOORG.

quand on veut, ce que font la plupart de ceux qui croient avoir des
plaintes fondées à me porter. Tout le monde sait que je suis acces-
sible à toute heure, à tous les hommes, et qu'il ,n'y a que les
femmes d'exceptées. C'est donc sans aucun fondement qu'on inculpe
mon Secrétaire, homme aussi probe, aussi e.\act qu'il est intelligent
instruit et laborieux. Ses principes sont comme les miens, toujours
conformes à ceux du Gouvernement, et bien loin de favoriser les
fanatiques, il s'est attiré leur haine par sa fidélité à me les faire
connaître et à exécuter mes oidres. Tout homme vraiment juste
doit s'attendre à faire des mécontents et souvent des calomniateurs,
à mesure qu'il se montre peu dispose à epouser les passions d'autrui.
Je ne serais pas surpris si M. Ghée eut trempé dans ces tracasseries
et qu'il ne cherchât à faire aujourd'hui ce qu'il a fait à son arrivée
ici, me priver de mes secrétaires. Il a un moyen très facile dans le
commissaire général de la Police, l'homme faible, entièrement de-
voué à ses volontés, ainsi qu'au parti luthérien dont il est un
membre zélé."
La seconde lettre du 16 août est une reproduction
de la première, plus explicite encore en faveur de son
Secrétaire.
,Quoi qu'il en soit de sa dénonciation contre lui, la vérité est
qu'il exécute fidèlement mes ordres, dont l'un des principaux est,
qu'il m'avertisse de tout ce qui se passe et qui vient à sa connais-
sance. Les plaintes à cet égard sont mal fondées, d'autant plus que
chacun est le maître de me les porter directement ou de m'écrire
en particulier, comme font un très grand nombre, à qui je réponds
exactement, souvent par moi-même.
On n'ignore pas que je suis accessible à tous, en quelque temps
que ce soit, sans faire attendre personne. Ceux qui ne parlent pas
le français, se font accompagner de quelqu'un qui le parle. Il n'est
donc pas possible que j'ignore ce qu'on veut que je sache, quand
même mon Secretaire voudrait me le cacher. Cette accusation contre
lui est donc absurde et les calomniateurs ont éte pour le coup
maladroits. Je suis sûr de mon Secretaire; il est peu d'hommes
dont je pourrais répondre comme de lui, aussi probe, aussi exact,
aussi intelligent et laborieux; connaissant parfaitement le diocese,
il m'est infiniment utile, même absolument necessaire, surtout dans
les circonstances où nous sommes. C'est pour cela même que la
malveillance cherche à l'attaquer, pour me nuire, ainsi qu'à mon
administration.
V. Exc. doit connaître la droiture et la purete de mes inten-
tions, mon application constante à mes devoirs, mon attachement
et mon zèle pour les intérêts du gouvernement. J'espère bien qu'elle
voudra s'en rapporter à moi, pour tout ce qui concerne mon ad-
ministration que je ne perds jamais de vue, plutôt qu'à ceux qui
LE CURÉ MAIMBOtTBG.

ne cherchent depuis longtemps qu'à l'entraver, qu'à me contrarier,


qu'à me molester, quoiqu'ils voient que je ne vise qu'au bien dans
l'intention du gouvernement et que j'y tends de tous mes moyens.
V. Exc. n'ignore pas que la Religion a un très gland nombre d'en-
nemis, aussi mal intentionnés, aussi acharnés que l'était Voltaire,
leur chef. Plût à Dieu que le gouvernement voulut m'accorder son
dans les occasions où les réclame."&
appui je
Ces lettres, combien instructives, nous révèlent l'état
des esprits d'alors. En défendant ainsi avec chaleur son
Secrétaire dont il relevait les qualités réelles, l'évêque
faisait acte de vérité et de justice; car il reconnaissait
que c'est surtout à lui qu'on en voulait, plutôt qu'à son
Secrétaire.
M. Maimbourg, plus fort que jamais de la confiance
de son évèque, dut bientôt oublier ces misères dans le
sentiment d'une profonde douleur qui vint affliger son
âme: le 23 octobre de cette année 180g, il perdait à
Ribeauvillé ce père vénéré qui lui avait appris le respect
de la loi divine et auquel s'appliquait si bien la parole
du Psalmiste Beatus vir qui timet Dominum. 1
Et pourtant M. Maimbourg ne devait pas être au
bom de ses épreuves. Les plaintes qui n'avaient pas eu
auprès du Ministre la satisfaction désirée, reprirent leur
cours et se traduisirent en lettres anonymes. Le secré-
taire s'en plaint à l'évêque qui l'en console, en lui écri-
vant, le 9 août 1820, de Marienthal, où il passe de nou-
veau plusieurs semaines.
nSi vous êtes raisonnable et homme d'esprit, vous vous mo-
querez des anonymes. Les coupables ont beau faire, ils seront punis.
Nulle part les roses ne sont sans épines; c'est a quoi qu'il faut
s'attendre, quelqu'etat qu'on embrasse."
Une lettre subséquente du 29 me semble réclamer
ici sa place
BJe vous ai adressé aujourd'hui des lettres, mon cher chanoine,
et j'ai oublié d'y insérer celle que j'écris à M. le maréchal Keller-
mann pour lui donner un refus honnête, sans rien promettre pour
l'avenir; et une autre que j'adresse à M. Stehlin.

1 Trois ans auparavant, le 27 septembre 1806, il avait vu mourir


son oncle affectionné, l'ancien abbé de Marmoutier, son protecteur,
son conseiller et son modèle jusqu'à la fin.
LE CURÉ MA.IMBOUII&.

Vous me parlez de la duchesse de Feltre, Je pense que nous


n'avons pas besoin d'elle pour l'affaire en question. Je suis incapable
de reculer à moins d'un ordre exprès du Gouvernement. Il est
visible que si cette dame pouvait quelque chose, elle se garderait
de se compromettre en contrariant la Princesse, si celle-ci conserve
quelque crédit. Ce serait donc du temps perdu que de lui en parler.
Il est vraisemblable que le ministre ne dira rien jusqu'au moment
où il présentera ma nomination tout simplement. Dans le cas où il
pencherait pour le protégé de la Princesse, j'insisterai sur les be-
soins de mon église.
Je vous envoie toutes les lettres que vous me demandez. Je
vous envoie deux lettres de M. le Prefet du Bas-Rhin. Vous savez
que je réponds a celle concernant les fabriques. L'autre demande
des renseignements exacts et des leçons peut-être au Desservant de
Mackenheim.
Je vous salue affectueusement.
J. P. Saurime, Ev.
Il me faudrait renvoyer la reponse de M. Schecker pour que
je fasse celle au Prefet.
Si vous n'y prenez garde, les nombreuses et longues visites
qu'on vous fait et que vous écoutez avec trop de complaisance,
vous tueront. Pourquoi ne pas les congedier après avoir entendu les
choses essentielles? Si vous aviez ete a la cour, vous auriez appris
à finir vite avec chacun.'
Dans cette lettre il est fait mention d'un canonicat
accordé in petto à un autre candidat qu'à celui de la

princesse Stéphanie; de la, la crise que nous devons ra-


conter et qui, funeste au Secrétaire, faillit emporter
l'évêque lui-même.
S. A. I. et R. la
princesse Stéphanie Napoléon,
grande duchesse héréditaire de Bade, avait un aumônier,
François Baucheté, originaire de Dijon, où il était né le

29 septembre 1760. Ordonné prêtre le 26 mars 1785, il


devint vicaire de Saint Nicolas de sa ville natale. La Ré-
volution le força à émigrer. Il s'établit d'abord en Suisse
jusqu'en 1798, il se rendit alors à Carlsruhe; en 1804 il
fut nommé professeur langue defrançaise au lycée de
cette ville et en 1806 aumônier de la princesse Stéphanie.
En cette qualité M. Baucheté pensa qu'il était séant pour
le poste qu'il occupait de porter camail; on demanda

pour lui cette distinction à Mgr Saurine qui s'empressa


de l'accorder, selon le désir qui lui en avait été exprimé
LE CURÉ MAIMBOURG.

en haut lieu, ainsi qu'il le notifie par lettre du 31 mars


1807 au ministre des cultes.
Monseigneur, j'ai l'honneur de prévenir Votre Excellence que
M. Baucheté, aumônier de S. A. Madame la Duchesse de Bade,
ayant désire d'être chanoine honoraire de ma cathédrale de Stras-
bourg, je l'ai nommé en conséquence II viendra s'installer dans
quelques jours. Je vois bien qu'il ne pourra pas assister à nos
offices, selon l'intention du gouvernement, tandis que sa place le
retiendra auprès de sa princesse mais je n'ai pas cru devoir refuser
à sa qualité d'aumônier celle qu'il désirait y joindie."
Sans doute que M. Baucheté eut désiré non seule-
ment le camail, mais encore un brevet de chanoine
titulaire aussi dès l'année suivante, la demande en fut
faite par la princesse elle-mème, à laquelle Mgr Saurine
répondit le 11 mai 1808 «que dès qu'il y aura une
vacance, il s'empressera de nommer M. Baucheté selon
le désir de Son Altesse.» »
Or le 22 août de l'année 1810, le décès du chanoine
Klein ayant créé une vacance au Chapitre, l'aumônier de
la cour de Bade se hâta de la solliciter en se prévalant
en plus de la recommandation du baron de Bignon, am-
bassadeur français près la cour de Bade, et de celle de
Mgr le duc de Bassano; mais l'évêque de son côté s'était
encore plus hâté et avait déjà fixé son choix sur François
Florian Marchai, ancien bénédictin d'Altdorf, le frère du
dernier abbé de Marmoutier et l'oncle de Maimbourg.
C'était du népotisme à rebours, mais très justifié le
candidat, distingué par ses connaissances et ses vertus,
avait été déjà nommé, peu après le concordat, chanoine
honoraire et il remplissait depuis lors les fonctions de
chapelain de l'évêque et de confesseur à Marienthal.
En prévision de la mort imminente du chanoine
Klein, Mgr Saurine écrivit dès le 16 août au ministre
pour lui exposer la nécessité dans laquelle il se trouvait
d'écarter la candidature de M. Baucheté et de nommer
un chanoine actif et résident à Strasbourg. Voici sa lettre
BMgr, je prie Votre Excellence de me permettre de la consulter
sur un cas qui se présente. S. A. R. et I. la Princesse Stéphanie
m'a demandé pour M. l'abbé Bauchete, son aumônier, que j'avais
déjà fait chanoine honoiaire, et qui, à ce que j'ai appris, est résolu
LE cur:é maimboubg.

de ne 'point résider à Strasbourg tant que sa place d'aumônier


existera, c'est-à-dire qu'il veut être chanoine titulaire, sans en
remplir les fonctions. J'ai l'honneur dç soumettre à Votre Excellence
une copie de la lettre que je me propose d'ecrire à ce sujet à S. A. I.
Les raisons qui exigent que la place qui va vaquer par décès, soit
de suite remplie par quelqu'un qui assiste régulièrement aux offices,
sont que de huit chanoines qui composent le chapitre, l'un est
e\ilé pour de bonnes raisons, par ordre du gouvernement trois
autres, le superieur du séminaire, le secrétaire genéral de l'evêché
et le prédicateur de la cathédrale sont dans l'impossibilité d'assister
toujours aux offices. Des quatre restants, l'un est souvent malade et
obligé de s'absenter; un autre est aumônier provisoire du palais
imperial, où il dit la Messe tous les dimanches et fêtes; il n'en
reste donc plus que deux sur lesquels on peut compter, tant qu'ils
ne sont pas eux-mèmes malades.
Votre Excellence peut voir par là, combien il est nécessaire de
nommer quelqu'un qui soit en état et à portée d'assister aux offices."
A cette lettre l'évêque joignit celle qu'il adressa le
même jour à la princesse Stéphanie.
“ Votre Altesse Impériale me fit l'honneur de m'écrire il y a
quelque temps pour me demander un canonicat dans le Chapitre de
ma Cathédrale, lorsqu'il y en aurait un de vacant, en faveur de
M. l'abbé Bauchete, son aumônier. N'écoutant^alors que mon profond
respect pour V. A. 1., je m'empressai de lui répondre que je me
conformerai à ses désirs, dès que l'occasion se présenterait. Sans
vouloir jamais m'écarter de ces dispositions Je supplie V. A. I. de
me permettre une réflexion que me suggère le respect que nous
devons tous aux Lois et aux institutions du gouvernement. M. l'abbé
Baucheté ne peut, ni ne veut résider dès à présent à Strasbourg,
en quoi bien loin de le blâmer, Je ferais comme lui, si j'avais le
précieux avantage d'être attaché à V. A. I. D'un autre côté, en
examinant de près la loi qui a rétabli les Chapitres, je vois qu'elle
exige, que tous les membres qui sont toujours en petit nombre,
résident sur les lieux et assistent régulièrement aux offices. Je vois
encore qu'elle ne me donne pas le pouvoir de dispenser de cette
présence et de cette assiduité, à moins que ce ne soit momentané-
ment pour raison de santé, ou que des affaires indispensables du
diocèse ne l'exigent conformement aux anciens usages. Un tel
pouvoir n'appartient qu'au gouvernement; le législateur seul peut
dispenser de la Loi. Mon intention est de le consulter pour ne rien
faire contre mes devoirs. J'espère que V. A. I. approuvera ma déli-
catesse qui ne vient que de mon attachement au gouvernement et
du zèle qu'il exige de moi pour le bien de la chose. Si sa décision
est favorable aux vues de M. Baucheté, il sera nommé sans aucune
difficulté à la première place qui vaquera. Les circonstances où
IiE CURÉ MAIMBOUBO.

nous sommes, exigent que celle qui vaque aujourd'hui soit remplie
au plutôt par quelqu'un qui résidera et assistera exactement. Rien
ne le presse d'ailleurs ne voulant pas, avec raison, quitter la place
si honorable qu'il occupe auprès de V. A. I., il peut attendre tran-
quillement cette décision, sans que ses intérêts soient compromis
d'aucune manière."
5 Le geste épiscopal était dans ce cas ce qu'il devait
être. Quelques jours après, le chanoine Klein on se dont

disputait déja la place, étant mort, l'évêque fit connaître


ce décès au ministre par sa lettre du 24 août que nous
ne saurions passer sous silence.
,,Mgr, j'ai l'honneur d'annoncer a Votre Excellence que le
chanoine Al. Klein, depuis bien du temps malade, est mort avant'hier
et qu'il a eté enteiré aujourd'hui, regretté pour ses vastes connais-
sances et pour son bon caractère. Comme le ne doute pas que les
raisons qu'Elle connaît dejà, et qui m'obligent à différer la nomi-
nation de M. l'abbé Baucheté, si elle doit avoir lieu, ne soient
approuvées même par S. A. I. la Princesse Stéphanie et que nous
sommes presses de remplir la place vacante, afin que le Chœur ne
reste pas trop vulde, je crois devoir adresser à Votre Excellence et
soumettre à Sa Majeste I. et R. la nomination que je fais de
M. Marchai, ancien Bénédictin, homme d'un âge mûr, instruit,
généralement estimé avantageusement connu pour sa sagesse, sa
douceur, sa prudence, sa conduite édifiante et son attachement au
gouvernement; frère de M. Marchai, le plus habile chirurgien de ce
pays, à qui Je dois le rétablissement de ma santé, et à qui je devrai
un logement convenable, si je suis dans le cas de quitter celui que
j'occupe, comme il y a apparence, ainsi, en même temps, que je
donne un bon sujet, assidu et très pacifique au Chapitre, je
m'acquitte du devoir essentiel et sacré de la reconnaissance."
Les bonnes raisons que l'évêque donna dans les pré-
cédentes lettres pour justifier sa manière d'agir furent
prises en considération par le gouvernement; la nomi-
nation de M. Marchai reçut l'agrément impérial le 22 sep-
tembre, mais par contre elle indisposa la cour de Bade
contre Saurine et son secrétaire, et c'est aussi de là que
partit le coup droit qui devait les frapper tous deux.
Cette nomination, a-t-on dit, fut la goutte d'eau qui fit
déborder le vase.
L'ambassadeur français, d'aucuns disent, la princesse

Stéphanie elle-même, s'était chargée de communiquer les


griefs, portés contre l'administration de l'évêque Saurine,
LE CUBÉ MAIMBOUEG.

à l'empereur lui-même, qui était alors son hôte. Celui-ci


après en avoir pris connaissance, s'en fâcha, et frappant
du pied le parquet, il ordonna au ministre compétant d'en
informer aussitôt et de lui en rendre compte. L'évèque
fut mandé à Paris. Il partit le 6 décembre 1810, dans
un équipage assez élégant, dit-on, accompagné de Maim-
bourg le secrétaire général de l'évêché, impliqué avec lui
dans cette pénible affaire.
Arrivé à destination, Mgr Saurine se rendit chez les
différents ministres, chargés de l'enquête minutieusement
interpellé, il produisit ses explications et parvint à se
justifier, imputant certains écarts à ses subordonnés. Sa
cause semblait gagnée auprès du ministère, tandis que
l'empereur, toujours encore mal impressionné, voulait le
sacrifier en lui faisant donner sa démission, lorsqu'un des
ministres, bien avisé, fit remarquer au Souverain que
dans le conflit alors engagé avec le Pape, on ne pouvait
avoir de meilleur auxiliaire que l'évêque Saurine. Cette
observation trop vraie le sauva.
De son côté, M. Maimbourg, lui aussi, avait paru au
ministère, et là, tout en cherchant à se justifier, il s'était
appliqué, en âme généreuse, à ne pas compromettre son
maître. Pendant son séjour à Paris il entretint une corres-
pondance avec l'abbé Ritleng destiné in petlo à devenir,
le cas échéant, son remplaçant au Secrétariat. De cette
correspondance nous n'avons qu'une seule lettre de Maim-
bourg, datée de Paris le 27 Janvier 1811, dans laquelle
il déverse toute l'amertume de son âme aigrie.
,J'ai lu avec bien du plaisir, cher et tendre ami, vos deux
lettres consécutives. J'y vois avec peine que vous n'avez pas reçu
dix jours de suite de mes nouvelles une infidélité s'est mêlée de
de notre correspondance. Je n'ai jamais passé cinq jours sans vous
écrire. Quant au fond, on peut lire mes lettres. Je n'en fais aucun
mystère elles ne renferment jamais rien de consolant pour mes
dénonciateurs. Vous devez avoir reçu, au moment où j'écris celle-ci,
ma dernière qui vous parlait de l'audience accordée par le Souverain
à Monseigneur. Le Prélat s'en retourne avec les honneurs de la guerre
à son poste mais à dater de cette époque je suis bien décidé à
quitter le champ de bataille. Aujourd'hui on ne parle plus d'infidélité;
LE CURÉ JtAIMBOCBG.

mais on me fait passer pour un homme déconsidéré, pour un sujet


de discorde et de dissension. Vous savei, tendre ami, ce qui en
est: la clique a touché d'autres cordes et une main puissante dirige
cette opération. Les Ministres et les Ducs ne prévaudiont pas contre
elle. L'Evêque est hors de cause et procès quelques membres du
Chapitre sont maintenant compromis dans cette affaire; une confé-
rence qui aura lieu demain, décidera du sort de chacun. J'ai déjà
dit à l'Evêque de ne pas s'intéresser à moi; il ne faut pas empirer
les choses, pour ne pas s'exposer à des mesures de rigueur, vous
m'entendez, on paraît vouloir des victimes de part et d'autre, il est
juste que j'en sois. Par ce moyen j'atteindrai mon but et j'exécuterai
le projet avec lequel je quittais Strasbourg. Je vous ai dit, en
partant, quel que soit le sujet et l'issue de mon voyage, je me re-
tirerai a mon retour. Notie Ministre connaît déjà mes dispositions,
et il parait bien dispose a mon égard, mais il a des ordres à
exécuter, et il faut obéir. Le Souverain semble très prévenu contre
moi, et je me sens trop petit pour lui faire parvenir ma justification.
Mon honneur l'exigerait, mais les soins que je dois à ma mère et
à mes orphelins, l'attachement que je porte à mes parents et amis,
ne me permettent pas de faire une démarche qui pourrait avoir des
suites. Je ne vous donne d'ailleurs que des conjectures très fondées,
et déjà on m'offre pour le cas d'événement des moyens propres à
mettre mon honneur à l'abri, mais je crois devoir les refuser. Les
honnêtes gens me rendront justice, ils connaissent la cabale.
Dans cette conjecture le ne vous oublie pas, cher et tendre
ami; ie pense aussi sérieusement à Gondart; ayez soin de lui faire
parvenir la dernière incluse que M. Bientano vous fera passer. 11
me faut une prompte réponse. Pans commence à me fatiguer, et a
vous dire vrai, il me serait impossible de vous indiquer le moment
de notre départ. Ce que je vous dis ici n'est que pour vous et pour
mes deux oncles. Je paile de l'avenir, mais mon parti est pris.
J'ai reçu la lettre ministérielle qui me concerne ainsi que le
paquet précédent. Le Prélat a repondu à la première celle con-
cernant l'inventaire ne presse pas. Je plains le pauvre Meyer; c'est
un brave garçon de moins. Les calomniateurs qui nous imputent
des mensonges atroces, nous croient des âmes aussi noires qu'ils
en ont. Il faut lire notre interrogatoire pour se convaincre du con-
traire.
M. Salomon n'a écrit que d'après les dires du grand Juge il
parlait ce langage à tous ceux qui lui parlaient de nous. Le résultat
convaincra d'ailleurs de la vérité du fait. On m'a appelé comme
voleur et je m'en retournerai comme sujet de discorde, et sûrement
ceux qui quitteront avec moi, n'ont pas volé avec nous. Le canonicat
de l'oncle agit ici on ne nous a pas trouvés en défaut en matière

Revue. Septembre 1910. 31


LE CURÉ JIAIMBOUBG.

de justice, comme on espérait, et nos calomniateurs emploient


d'autres moyens."
« On paraît vouloir des victimes de part et d'autre, il
est juste que j'en sois.»a Cette parole se vérifia dès le
lendemain de la lettre que nous venons de reproduire.
L'évêque sortit de cette bagarre avec les honneurs de la
guerre, mais laissant sur le terrain son premier lieutenant.
Il fut mis hors de cause; mais pour donner quand même
une satisfaction à la cour de Bade, on le frappa droit au
cœur, en lui enjoignant de congédier aussitôt le chanoine
Lapeyrie qui faisait chez lui les fonctions de secrétaire
particulier, et d'éloigner M. Maimbourg de l'administration
diocésaine. Il sollicita (io mars i S11) pour ce dernier un
sursis qui lui fut accordé; mais le 10avril le ministre
lui rappelle que le terme expire et qu'il ne peut pas le
prolonger et le 20 avril, en réponse à une nouvelle de-
mande faite le 15, il répond: «II ne faut pas que sous
quelque prétexte que ce soit, M. Maimbourg participe
en aucune manière, et même momentanément aux fonctions
du Secrétariat. Un ordre positif de Sa Majesté n'est pas
susceptible de ces modifications. »
De cette épreuve, Saurine garda jusqu'a la fin de sa
vie un pénible souvenir, ainsi que nous pouvons le constater
dans une lettre du 8 mai 1813, adressée à M. le comte
Nicolaï, ambassadeur de France auprès de la cour de
Bade, lequel avait de nouveau mis sur le tapis la candi-
dature de cet ineffable aumônier Baucheté. On ne lira
pas sans intérêt cette lettre qui fut peut-être la dernière
que Tévêque écrivit, la veille de sa mort.
Monsieur le Comte,
Depuis la réception de la lettre que vous m'avez fait l'honneur
de m'écrire, en date du 29 avril dernier, je me trouve en tournee
et suis tous les jours occupé du matin au soir à donner la Con-
firmation et à visiter les églises où je passe. Je regrette beaucoup
de n'avoir pu vous répondre plus tôt et je regrette encore davantage
de me voir dans l'impossibilité de remplir vos désirs.
J'étais engage vis-à-vis de S. Exc. le Ministre des Cultes et le
Maréchal, Duc de Dantzig, à nommer au premier canonicat vacant
un ancien ex-chanoine de cette ville, beau-frère d'un général de
division en activité de service. Du moment alors que le décès du
LE CURÉ MAIMBOUEG.

chanoine Donze me fut annoncé, je fis expedier et partir, le 22 avril,


ma presentation en faveur de M. Bourste.
En me rappelant, Monsieur le Comte, la recommandation de
M. Bignon, votre Prédécesseur, pour le même abbe Baucheté, vous
me rappelez une époque bien peinante et affligeante pour moi. Si
M. Baucheté avait eu la franchise de vous faire connaître le mal, qu'il
m'a fait à cette occasion, Je suis convaincu, Monsieur le Comte,
que vous n'auriez pas voulu m'intéresser à lui.
J'avais effectivement et dans la meilleure intention écrit à
Madame la Grande Duchesse, qu'avec l'agrément du Gouvernement, je
serais dispose à nommer son aumônier au premier canonicat vacant de
de ma Cathedrale. J'ai fait mes observations et à S. A. I. la Grande
Duchesse et à S. Exc. le Ministre des Cultes sur le devoir de résider
qui me parait incompatible avec la place qu'occupe M. Baucheté à
la Cour de Bade.
Depuis ce temps, là on garda le silence sur mes réflexions.
J'en concluais que les hautes protections de M. Baucheté avaient
renoncé à la pensée de le porter à une pareille place. Je croyais
aussi que lui-même n'aurait plus envie de se rapprocher d'un
Evêque octogénaire, à qui il a valu tant d'humiliations, de fatigues
et de deboires.
N'en doutez pas, Monsieur le Comte, si le Gouvernement me
répond en faveur de M. Baucheté et que S. A. I. la Grande
Duchesse continue à manifester de l'intérêt à son égard, -je ne
consulterai plus que mon désir de me conformer en toutes les
occasions aux intentions du Souverain, ainsi qu'à celles de son
auguste famille. Vous pouvez être assure vous-même, Monsieur le
Comte, que je me feliciterais de pouvoir vous faire chose agréable.
Veuillez bien agréer cette assurance, comme aussi la haute consi-
dération avec laquelle je suis etc.
J. P. Saurine.
Rendons cette justice à l'évèque octogénaire qui
devait mourir subitement le lendemain dans la ville de
Soultz il se montra avec raison aussi persistant à refuser

que les autres à demander ce canonicat, qui dans, de telles


conditions, ne pouvait être accordé que contrairement aux
lois canoniques de l'Eglise.
Nous avons laissé M. Maimbourg sous le coup de la
décision ministérielle qui le concernait. Ayant suivi de
près la marche de cette affaire, il n'en fut ni surpris ni
peiné outre mesure. Avant son départ pour Paris, il avait
déjà manifesté sa résolution, quoi qu'il arrivàt, de quitter
le Secrétariat seulement il pensait le faire de son propre
LE CUBÉMAIMBOURG

chef et non par contrainte. Aussi crut-il de son honneur,


non pas de protester, mais du moins d'adresser au
ministre un mémoire justificatif trop long pour être re-
produit ici, mais qu'on trouvera dans ia partie supplémen-
taire de notre notice. A la fin de ce mémoire il de-
mande, comme seule satisfaction, celle de pouvoir échanger
son canonicat contre une cure. Il s'était déjà entendu avec
son ami Gondart, qui en 1804 lui avait cédé sa place de
chanoine, pour occuper la cure d'Obernai, et qui consentait
maintenant à permuter de nouveau avec lui. Cette combi-
naison fut approuvée par l'évêque, proposée au ministre et
agréée définitivement par l'ordonnance impériale du 16 mars
1811. M. SCHICKELÉ.
(A suivre.)
LE ,,BON VIEUX" VOLKSFREUND.

Ce n'est pas seulement un plaisir d'archéologue que


l'on ressent à relire les journaux du passé. On revit,
de sa propre vie, une époque disparue qu'on peut con-
sidérer sur une scène plus réelle que celle du théâtre.
C'est une jouissance toute spéciale que de manier des
journaux dont le papier a jauni au cours des années: on
voit des évènements dont l'histoire a gardé le souvenir,
entourés des petits faits de la vie journalière, qui
paraissent les effacer; on relit des choses parmi lesquelles,
à première vue, il est difficile de distinguer ce qui
restera et ce qui s'effacera dans la mémoire des hommes
mais aussi on ressent soi-même ce qu'il y eut d'émotionnant,
de réjouissant ou d'accablant, pour les contemporains dans
des évènements que souvent nous avons appris à con-
sidérer, à la place que leur a assignée l'histoire, le cœur
froid et l'œil sec.
Ce sont ces sensations que je viens d'éprouver en
parcourant quelques années du Volksfreund, du «bon
vieux» Volksfreund d'après l'expression de M. Wetterlé,
aujourd'hui consacrée par l'usage.
Publiée depuis I8581 par la maison Le Roux & Cie

1 Nous nous permettons de publier ici un document tout à fait


authentique sur l'origine du nVolksfreund". Voici ce que nous
ecrivait déjà à la date du 10 juin igog, M. l'abbé GlœcklerJ: On
dit que le nVolksfreundK fut une fondation et la propriétéjjprivée
LE BON VIEUX" VOIiKSVREUND.

de Strasbourg, c'était une petite feuille in-8° qui ne répond


plus au format que nous exigeons aujourd'hui d'une feuille,
même hebdomadaire. La collection en forme de petits
livres qui ne se distinguent en rien des autres, sur les
rayons d'une bibliothèque. Un jour le petit journal se
mesura: il avait 17 centimètres sur dix. Ce fut quand le
Gouverneur général défendit en Alsace tout journal poli-
tique catholique, sous prétexte que le Volksfreund était
une lecture suffisante pour la population catholique.
Ce qui frappe davantage, dans les dernières années
qui ont précédé l'annexion, c'est la langue. Il ne suffit
pas de dire que le petit journal était rédigé en allemand.
Il faut ajouter que cet allemand a une saveur toute parti-
culière ce n'est pas du tout le langage qu'on enseigne
aujourd'hui dans nos écoles, que nous sommes habitués
à entendre et à lire dans les journaux. Ce n'est d'ailleurs
pas davantage celui qui était alors en usage outre-Rhin.
Si le petit journal ne craint pas les fameux Fremdivorter,
il les emploie avec plus de discrétion que ses contem-
porains allemands, et surtout il en emploie d'autres
ceux-là seulement qui sont courant dans le peuple.
S'adressant directement à la grande masse du public,
principalement aux paysans et aux ouvriers, il cherchait

des Guerber. Je dois rectifier cette erreur. C'est la Société de Saint


Vincent de Paul qui l'a fondé en i858. MM. Guerber, Braun de
Guebwiller fournissaient les principaux articles; M. Hemberger de
l'Hôpital était correcteur. Ce dernier allant en vacances en août
i858 me chargea de soigner la feuille et me dit que M. Saglio,
president de la Sociéte de Saint Vincent de Paul dirigeait l'œuvie.
Tout se faisait gratis. Je tâchais d'organiser un comité composé de
MM. Saglio, Maillet, Herzog, Jung, Schaan, prote de la maison
Le Roux, J. B. Guerber, Hemberger et moi. Ce comité devait se
réunir chez moi à S. Pierre-le-V., chaque i" vendredi du mois. La
première séance eut lieu le 28 mars 1859, et M. J. B. Guerber fut
elu président, Glœckler, redacteur en chef. M. Saglio proposa une
rétribution aux rédacteurs, on vota 3oo frcs. Mais M. X. réclama
la place de rédacteur en chef, par amour pour la paix je la lui cédai.
[Hunc ego Volksfreundum constitui, tulit alter honores]
[Sic vos non vobis. – N. d. 1. R.
LE ,,1JON VIEUX" VULiKS]?I1EUN13.

avant tout à se faire comprendre. Quand en Allemagne


le sentiment national déclara incompatible avec la grandeur
de l'empire nouveau, l'emploi de mots tirés de langues
étrangères et fit une guerre acharnée aux Fremdworter,
on se mit là-bas dans la nécessité de créer des néologismes
incompréhensibles pour les non initiés et qui ne contri-
buèrent pas pour peu de chose à la monotonie cacophonique
et à la complication de la langue allemande. Il y eut quantité
de mots nouveaux en ung, – nis, keit, etc. On
fut obligé d'employer un nombre excessif d'adjectifs et de
participes. Le Volksfreund n'a pas ces scrupules son
vocabulaire est assez riche pour lui suffire sans néolo-
gismes. Il ne connaît pas non plus les circonlocutions
auxquelles on est si facilement acculé en allemand et qui
amènent cet enchevêtrement des différentes propositions
d'une phrase, qui rendent cette langue si peu com-
préhensible. Si je rappelle combien était souple, dans le
bon allemand alsacien, la règle aujourd'hui inflexible qui
veut que le verbe soit à la fin de la phrase, on com-
prendra pourquoi le langage du petit journal est si
différent de la langue allemande qu'on a, depuis, introduite
chez nous.
Il se ressent d'ailleurs du français. Le fait souvent
relevé que dans les écoles primaires où l'on apprenait le
mieux le français, on parlait et écrivait le mieux l'allemand,
et d'autre part que dans les écoles où l'on négligeait l'une
des langues, l'autre en patissait nécessairement, n'était
peut-être pas encore dénommé bilinguisme, puisque nous
n'avons dû créer ce néologisme que pour traduire le
néologisme allemand de Ziveisprachigkeit mais déjà il
faisait sentir ses effets. L'allemand du Volksfreund a
quelque chose de la clarté du français et de sa vivacité
d'esprit et de sentiment. Les phrases sont claires et
s'énoncent simplement, sans complication de syntaxe. Les
mots sont à la portée du lecteur du peuple et pourtant
recherchés avec un soin qui trahit la connaissance des
synonymes français. Des nuances, auquel l'Allemand
n'attache pas d'importance, sont strictement observées et
LE ,,BON VIEUX" VOLKSritEUND.

donnent au langage un cachet «affectif» bien éloigné du


caractère « intellectuel », froidement raisonné de l'allemand
1
qu'on enseigne aujourd'hui.
Le langage du Volksfreund est d'ailleurs un point
sur lequel les éloges ne lui ont pas manqué dès cette
époque. A côté des recommandations flatteuses qu'avaient
publiées le Monde, l'Univers, l'Espérance de Nancy etc.,
le Volksfreund du 11 novembre 18G8 tient à donner Li
ses lecteurs l'appréciation des Hislorisch-polilische Bldtter.
La revue des héiitiers Gœrres constatait que le Volks-
freund avait plus de 9000 abonnés dans les villages et
les villes de l'Alsace et de la Lorraine de langue
allemande, (il parait d'ailleurs aussi avoir eu des lecteurs
dans le Palatinat ainsi que dans les grandes colonies
allemandes de France Metz, Paris, Marseille) et elle
ajoutait « Si cette feuille hebdomadaire est si répandue,
cela s'explique par l'excellence de sa rédaction, que je
voudrais donner en exemple à beaucoup de feuilles popu-
laires et religieuses d'Allemagne. En général j'ai trouvé
souvent que le clergé d'Alsace moutrait plus d'adresse
dans la littérature populaire et dans l'éloquence populaire
que beaucoup de savants ecclésiastiques d'Allemagne.» »
Depuis, dans les écoles allemandes, on nous a dit
que nous parlions très mal, et nous avons dû apprendre
à dire des choses qu'on ne comprend pas.

Le Volksfreund est une feuille religieuse. Je ne vous

1 La différence entre l'allemand, langue nintellectuelle", et le


français, langue ,affective", se remarque le mieux dans la
ponctuation. L'autre jour, la Strassburger Post, voulant faire une
plaisanterie, mit dans sa boite aux lettres un entrefilet écrit en
français à l'adresse du Messin, qui, paraît-il, s'était trompé sur la
personne de l'auteur du Lied vom braven Mann. Cette lettre, soigneuse-
ment revue d'après la grammaire de Plœtz, n'avait ni faute d'ortho-
graphe ni faute de syntaxe mais ia ponctuation française ne s'en-
seigne pas en Allemagne; aussi les virgules etaient-elles mises
d'après les regles de la ponctuation allemande: c'était du dermei
cocasse 1
LE ,150N VIEUX" VOLKSFREUND.

conterai pas toutes les petites historiettes édifiantes et un


peu naïves pas trop pourtant qu'il raconte à ses
lecteurs. Il sait le plus souvent les rattacher à une
localité du pays ou rappeler par elle l'histoire de l'Alsace
(bien souvent les épisodes terribles des invasions de 1814
et de 1815). Je ne reproduirai pas davantage les baptêmes
de cloches et les consécrations d'églises neuves ou les
inaugurations de nouvelles écoles (car on bâtissait passable-
ment à cette époque). Ce sont des faits qui s'oublient
comme les autres, mais il est particulièrement pénible de
voir, combien mentait dans des nécrologues, où la sincérité
de l'émotion est évidente, la promesse que le souvenir
du défunt, prêtre ou instituteur, ne s'éteindrait jamais
dans la paroisse. Bien peu nombreux sont les noms de
ceux qui vraiment ont survécu dans les communes.
Parmi les questions religieuses, il y en avait, dans
les trois dernières années avant la guerre, deux qui
demandaient une propagande active et continue.
L'instruction, sans être obligatoire, était très ré-
pandue en Alsace. Dans le Bas-Rhin, sur une population
de 579000 âmes, il n'y avait en 1SG6 que 14000 per-
sonnes qui ne savaient ni lire ni écrire, et le Bas-Rhin,
avec un pourcentage de i°/0 d'analphabets, tenait la tête
de tous les départements de France tandis que le Haut-
Rhin avec 4% était le sixième.
La faculté de lire en créa le besoin. Tout le monde
voulait avoir des livres. Or ce désir, on cherchait à le
satisfaire de différentes façons. D'abord les colporteurs se
répandaient dans les campagnes et y vendaient une litté-
rature qui était également dangereuse au point de vue
moral et religieux. On se plaignait même que, pour
mieux déposer cette marchandise, les ambulants s'intro-
duisaient en présentant des GoJJiné ou les légendes d'Ott
ou d'Alban Stolz. D'autre part, d'une manière consciente
et plus conséquente, une littérature également dangereuse
était répandue par les bibliothèques populaires créées par
Jean Macé.
Pour satisfaire d'une façon plus saine au besoin de
LE BISON VIEUX"1 A'OLKSPKEDND.

lecture du peuple et pour le préserver des dangers de la


propagande antireligieuse, il se forma à Strasbourg un
comité qui se proposait d'établir des bibliothèques parois-
siales. A la tête de cette société se trouvait le baron
de Schauenbourg, et MM. Aubry, de Gail, Polidoro,
Petiti et Dacheux. Le comité d'administration se com-
posait de MM. Detrais, Hoff, Saglio, Simonis, Spitz,
Taufflieb, Wenger, Rœderer, Alfred Schmitt (Reschwog).
Le Volksfreund revient très souvent sur cette œuvre pour
la recommander, en justifier la nécessité ou rendre compte
de son travail. De juin 1866 au même mois 1867, cette
société créa 5i bibliothèques trente dans l'arrondissement
de Strasbourg, seize dans celui de Schlestadt, tandis que
Wissembourg et Saverne n'en eurent que cinq. Mille cinq
cent volumes furent mis en circulation parmi deux mille
lecteurs. Le budget s'élevait comme dépense à 3 120 marks.
L'année suivante, dix nouvelles bibliothèques furent créées
dans l'arrondissement de Strasbourg, et douze autres, qui
existaient déjà antérieurement dans plusieurs localités,
reçurent des subventions se montant à 868 francs. L'effort
dans le reste du département porta principalement en
cette année sur la vallée de la Bruche (en tout qu'elle
faisait alors partie du Bas-Rhin) et sur les cantons de
Seltz, Bischwiller, Geispolsheim et Erstein.
Le Volksfreund ne manquait pas en outre d'annoncer
les livres qui pouvaient intéresser l'œuvre des biblio-
thèques populaires. D'autre part, afin de pouvoir satisfaire
à toutes les demandes de littérature catholique en langue
allemande, les libraires d'Alsace s'étaient mis en rapport
avec la maison Wœrl de Würzbourg. C'est aussi à cette
époque (en 1868) et sous l'influence de ce mouvement que
la maison Herder de Fribourg créa sa succursale de
Strasbourg, dont la direction fut confiée dès le début à
M. Bachmann. Il y avait là un mouvement populaire très
actif et les nombreux articles du Volksfreund prouvent
quelle haute importance on attachait alors à cette question.

Un journal religieux de cette époque sent un peu la


LE ,,BON VIEUX1* VOLKSJb'EBUND.

poudre, et le bon vieux Volksfreund, d'autant plus qu'il


paraissait en Alsace, pays militaire par excellence. Au
moment où la marche des événements en Italie faisait
prévoir de nouvelles attaques contre le Pouvoir temporel,
celui-ci paraissait devoir être défendu par les armes.
Outre les troupes que l'Empire français entretenait à
Rome, des soldats volontaires s'offraient au Pape, et des
bureaux de recrutement les rassemblaient dans tous
les pays.
C'est ainsi qu'à Strasbourg un comité siégait d'abord
place Saint-Etienne, 17, ensuite rue Sainte-Madeleine, 14,
les mardis et les vendredis d'une heure à quatre, pour
recevoir les engagements volontaires des Alsaciens, que le
Dr Herrgott, après examen médical, déclarait apte au
service militaire. D'autre part un bureau spécial de
recrutement pour les Allemands était établi à la Ville de
Vienne sous la direction du capitaine Wilhelm von Rue-
dorffer.
Les engagements se faisaient pour 2, 3, 4 et 5 ans.
Les volontaires devaient avoir de 17a 35 ans et pouvaient
avoir jusqu'à 40 ans, s'ils avaient fait leur service mili-
taire. Il fallait produire des certificats de bonne conduite
du curé et du maire et, à partir de 20 ans, établir qu'on
avait satisfait aux lois du recrutement.
Les volontaires affluèrent rapidement: jusqu'au 4 dé-
cembre 1867 le bureau de recrutement de la place Saint-
Etienne avait reçu 79 Alsaciens, 2 étrangers et un Corse;
le g décembre 28 nouveaux volontaires se présentent, le
11, il y en a 23 et le 16, 34. Les départs de Strasbourg
pour Civitta-Vecchia se faisaient deux. fois par semaine,
le lundi et le mercredi. Dans la suite un sous-officier
pontifical accompagnait les volontaires jusqu'à Marseille.
A partir du nouvel an 1868, le comité ne se réunit plus
que le samedi. Il ne s'agissait plus à ce moment que de
remplir des vides.
L'Alsace avait répondu à l'appel d'une manière digne
.de son renom militaire. Au commencement de l'année
1868, elle avait fourni 200 volontaires, chiffre qui monta
LE ,,BON VIEUX" VOLKSPBEUND.

dans la suite à 240. Le Bas-Rhin atteignait le nombre


le plus élevé parmi les départements français. Aussi le
capitaine Pons, agent pontifical i Marseille, ne manqua-t-il
pas d'écrire au comité strasbourgeois une lettre dans la-
quelle il le félicitait du choix qu'il faisait, et louait l'ordre,
la probité et la force corporelle des volontaires alsaciens.
C'est le même éloge qu'en fait l'abbé Fischer, un com-
patriote qui était aumônier des Alsaciens et des Allemands
dans l'armée pontificale. Il rapporte que les officiers se
déclarent absolument satisfaits des Alsaciens ils désire-
raient que tous les soldats fussent comme eux. Il se
plaint par contre des Allemands, dont plusieurs ont
déserté à un certain moment. L'Allemand, dit-il, est cré-
dule, mais il se laisse raisonner et accepte un bon conseil
à condition qu'il lui soit donné dans sa langue maternelle.
La mission d'un journal catholique dans cette question
était toute tracée. Le Volksfreund engageait ses lecteurs
à participer à ce qu'il nomme une véritable croisade
« Comme nos chevaliers et nos hommes de guerre par-
tirent, il y a sept cents ans, pour combattre sous la croix
contre le croissant en Asie, nos chrétiens vont aujourd'hui
à Rome pour défendre contre les nouveaux payens l'héri-
tage de Saint-Pierre, la personne du Saint-Père, l'exis-
tence de l'église catholique. Vive le Saint-Père! doit être
le cri de guerre des catholiques. Le Saint-Père nous
appelle. Quel est le fils qui voudrait rester en arrière
quand il entend le cri de détresse de son père!» » Le
petit journal rend compte exactement des engagements et
des départs. Il demande à tous de contribuer à l'entretien
des troupes pontificales et est fier d'annoncer les plus
petits dons qui affluent dans la caisse du comité. Les
femmes de plusieurs endroits se cotisent dans ce but, à
l'exemple de celles de Molsheim qui en avaient pris l'ini-
tiative. Jusqu'en septembre 1867, le diocèse de Strasbourg
avait réuni la somme nécessaire pour l'entretien de 44
zouaves (5oo à 600 francs par homme), ce qui n'est
d'ailleurs pas étonnant quand on voit la petite paroisse
de Nordheim réunir 1200 francs pour deux hommes.
LE ,,bon ViEUX" YOLKSFREUND.

D'autre part le Volksfreund devait rectifier les ca-


lomnies qui étaient répandues dans le camp adverse dans
le but d'empêcher les engagements. On prétendait que
seule une solde énorme pouvait attirer les jeunes gens
quand, les quêtes établissaient à quels moyens il fallait
avoir recours pour entretenir cette troupe. On répandait
des bruits sur la discipline relâchée, l'entretien défectueux,
la nourriture misérable offerte à ces soldats, et le Volks-
freund répliquait presque dans chaque numéro en repro-
duisant des correspondances d'engagés alsaciens.

Dans un pays aussi divisé que l'Alsace, au point de


vue religieux, on se demande naturellement quelle fut la
position du bon vieux Volksfreund vis-à-vis des autres
cultes. Il faut rendre cette justice a notre petite feuille
qu'elle a évité toute polémique autant qu'elle a pu. En
1867, elle ne contient qu'un article de protestation contre
les «Impressions de voyage» p du pasteur Leblois (du
Temple-Neuf), et une plainte de ce que, lors de la dis-
tribution de prix, un instituteur catholique Hans, dont
les titres sont énumérés, n'ait pas reçu de distinction,
quand deux instituteurs protestants Falme et Heintz, dont
les mérites ne sont d'ailleurs pas contestés, avaient été
décorés des palmes académiques. Tandis que ce dernier
cas n'avait qu'un caractère tout personnel et accidentel
(M. Hans fut d'ailleurs nommé officier d'académie l'année
suivante), la première affaire avait été provoquée par des
attaques contre la vénération de la Vierge et contre le
symbole apostolique traité d'« emprunt aux mythologies
payennes », enfin par des insultes directes contre le clergé
et les sœurs de charité. De pareilles réponses à des attaques
ne peuvent guère être considérées comme émanant d'un
esprit combattif. Aussi peut-on dire que le bon vieux
Volksfreund a prouvé aussi longtemps qu'il a pu, un
esprit de tolérance auquel il faut rendre hommage.
Les premières polémiques envenimées ont été pro-
voquées par le «Courrier du Bas-Rhin.» n Pendant onze
LE nBON VIEUX" VOLKSFKEUND.

ans, le Volksfreund n'avait jamais eu maille à partir avec


ce journal. Aussi ne manque-t-il pas de reconnaître les
belles qualités de son rédacteur en chef, Charles Bœrsch
«La manière de M. Bœrsch, de traiter les questions,
prouvait non seulement des capacités et une adresse re-
remarquables, mais encore une grande élévation d'idées. »
D'ailleurs le caractère modéré de ce journal ne saurait
être mieux établi que par ce fait qu'en 1867 le chanoine
Cazeaux y publia le texte allemand de sa brochure en
faveur de la langue allemande. «Tout cela a changé, dit
le Volksfreund, depuis que la rédaction a été confiée à
AI. Schnéegans. Il n'est pas rare de se heurter à des
opinions de désapprobation qui sont injurieuses pour les
catholiques et démontrent un parti pris. Nous croyons
qu'elles nuiront au Courrier. Le futur consul général de
l'Empire d'Allemagne avait changé le ton du journal
personne ne s'en étonnera depuis que son fils, en publiant
ses Mémoires posthumes, nous a montré à nu le caractère
haineux de son père. C'est lui qui recherchait les nou-
velles dépréciant l'armée pontificale. Le conflit religieux
en Espagne, la nouvelle (d'ailleurs inexacte) de la con-
version du Dr Pusey, l'ami des cardinaux Newmann et
Manning, lui offrirent d'autres occasions de s'attaquer
aux catholiques. Enfin des bruits répandus sur les car-
mélites de Cracovie trouvèrent place dans le Courrier du
Bas-Rhin, qui ne rectifia pas la nouvelle lorsque le manque
de fondement du reproche fait aux sœurs avait été établi
en justice. Voila les raisons pour lesquelles avec le dernier
numéro d'août 1868, le Volksfreund prit un caractère
plus batailleur. Auguste Schnéegans essaya de répondre,
mais la réplique qu'il s'attira, lui en fit passer l'envie
pour l'avenir.
D'ailleurs les temps avaient changé. Des questions
irritantes avaient été soulevées, telles l'instruction obliga-
toire et laïque, qui devaient amener des conflits entre les
parties catholiques de la population et leurs adversaires.
La même année 1868 avait vu se créer à Mulhouse un
petit journal «Elsàssisches Volksblatt» qui était inspiré
LE nBOX VIEUX" VOLKSFREUND.

du même esprit anticlérical que M. Schnéegans. Les


catholiques lui répondirent en lui opposant le Ier dé-
cembre 1868 le «Elsassischer Volksbote», qui parut à
Rixheim chez A. Sutter. C'était un organe hebdomadaire
politique, complétant ainsi l'autre organe, spécialement
religieux, qui est l'objet de notre étude. Des deux jour-
naux du Haut-Rhin, le Volksbote eut la vie la plus
longue, sans arriver à la vieillesse. Il mourut cependant
d'une belle mort il fut supprimé par le Gouverneur
général d'Alsace. L'autre, le journal anticlérical, avait
compté sur un état d'âme, dont il s'était exagéré l'im-
portance. Il ne répondait pas à un besoin dans le Haut-
Rhin et essaya en automne 1869 de faire meilleure for-
tune dans le Bas-Rhin, où pendant quelque temps il fut
répandu à profusion dans toutes les campagnes. Bientôt
ses attaques contre l'impératrice Eugénie, contre les
instituteurs, contre le colonel d'Eggs, sa propagande en
faveur de la Ligue d'enseignement de Jean Macé provo-
quèrent de vertes réponses de la part du Volksfreund.
Avec l'été 1868 avait disparu la paix religieuse. Les
attaques des libéraux avaient amené des défenses éner-
giques et les élections de 1869 marquèrent un réveil des
populations catholiques.
Le Volksfreund fait a la Saint-Sylvestre de l'année
1869 la réflexion suivante:
“ Wir zm Elsass haben es ^um ersten Male sezt vielen Jahren
erlebt, dass das kailiolische Voile wie ein Mann im Oberrhein und
Unterrhein an/stand und sprach Wir wollen durcit katholische
Mânner vertreten sein, wir wahlen kalholisch. Ein glân^ender Sieg
war der Lohn dieser Entschiedenheit, man hat gelernt die Kathohken
`
a dit en*
Ce changement tenait pour beaucoup au travail de
certaines personnalités qui troublèrent le pays; mais des
causes générales n'y étaient pas non plus étrangères. Nous
en avons nommé l'une. Les trouble-fête d'Alsace ne
suivaient, pour la question romaine, que l'impulsion
donnée partout par les ennemis du Pape. Une autre
question se posait en ce moment et devait encore irriter
les esprits. A l'approche du concile convoqué à Rome
LE ,,BON VIEUX" VOTjKSFBEOND.

pour l'année 1870, les personnes les moins compétentes


se croyaient le plus autorisés à se prononcer sur les sujets
qui devaient y être traités. Pas de journaliste libéral qui
n'ait prévu à ce moment tous les effets funestes qu'aurait,
pour les Etats, la société, l'Eglise et je ne sais qui
encore, la déclaration de l'infaillibilité pontificale. Le
nouveau dogme, qui était alors l'objet d'études sérieuses
de la part des dignitaires de l'Eglise, inquiétait surtout
ses ennemis.
En octobre î868 des remarques moqueuses d'un
journal hebdomadaire protestant, que d'ailleurs le Fb//M-
/reMH~ ne nomme pas, avait amené une réponse assez
forte de celui-ci. La question s'envenima davantage lors-
que, se basant sur un passage de la convocation du con-
cile par Pie IX, l'abbé Ch. Lamey publia sa «Lettre
d'un catholique aux pasteurs protestants à propos du
prochain concile œcuménique. Son invitation à l'union
des églises fut repoussée violemment par le pasteur
Ad. Schagffer de Colmar dans une plaquette K~o?! pos-
~M~M~, Réponse à la Lettre d'un catholique aux pasteurs
protestants.)) Le ton et le contenu de cette publication
provoquèrent non seulement une réplique de la part de
l'abbé Lamey, mais encore l'intervention de l'abbé
Schickelé par une brochure « A propos du ~Vo~ ~OMM~M~.M »
Toute cette polémique se reflète dans le Fo/Â~/reM~d, qui
accompagne chaque coup de ses commentaires appropriés
à ses lecteurs et rédigés par conséquent dans un langage
qui ne manque pas de violence.

PAUL ALBERT HELMER.

(A suivre.)
NOTES HISTORIQUES SUR UÈPVRE
ET ALLEMAND-ROMBACH.
(Suite.)

Voici le teneur du jugement


Stanislas, Par ]a grâce de Dieu, Roy de Pologne, Duc de
Lorraine et de Bar etc. au premier huissier de notre Cour Sou-
veraine.
Notre ditte Cour a reçu l'appointement ofTcrt par les parties
et leur consentement ouï sur ce nôtre Avocat Général pour notre
procureur général en ses conclusions ayant aucunement égard au
premier Chef de demande de la partie, ordonne que les deux tiers
des grosses et menues dixmes tant anciennes que novattes, même
de celles de i'AHemnnd Rombach et généralement celles de toute
t'utendue de la paroisse de Lièpvre ~r//<~jro~ au dit M. Joly et
à ses Successeurs curés de Licpvre tant pour leur fixe que pour les
dixmes novallcs qu'ils ont droit de prétendre au moyen de tout quoi
!e dit Joly et ses successeurs seront chargés du choeur de l'église
paroissiale de Lièpvre, de la fourniture des bctes mâles, pour un
tiers au cas que la communauté cesserait d'estre chargée de célébrer
à t'acquit du dt chapitre deux messes basses par semaine dans l'ëgHse
prie'.jrat)e,de fournir le vin, le pain et le luminaire pour les dittes Messes
seulement et de payer la rétribution du Marguillier, si mieux n'aime Joly
et ses successeurs cures de Lièpvre le faire remplacer dans ses fonc-
tions par le maitre d'ëcotte. sans que le dit Joly et ses successeurs
puissent estre attenus à aucune charge pas même aux réparations
de la neffe, et que l'autre tiers des grosses et menues tant anciennes
q'je novattjs anciennes présentes et à venir appartiendra au dit Cha-
pitre et même de celle de t'Aitcmand-Romhach et généralement dans
toute l'étendue de la ditte paroisse de Lièpvre, qui appartiendra
Revue. Septembre tMO. 35
NOTES HISTORIQUES SUB MÈPTRB

aussi au dit Chapitre qui acquittera les autres charges ordinaires et


accoutumées des dixmes, sans s'arrêter au second chef de demande du
dt. Joly, a maintenu et gardé le dit Chapitre de la primitialle au droit
et possession de ne payer aucune dixmes des terres a lui apparte-
nant dans toute la paroisse de Liepvre, sans préjudice au payement
de la dixme des cures que le dit Chapitre pourrait acquéiir dans la
suite, ayant aucunement égard au troisième chef de demande du dit
Joly l'a maintenu et gardé en la possession de prendre la qualité
du curé de Lièpvre sauf au Chapitre à prendre la qualite du cure
primitif du dit L!<.y)'re tous dépens entre les parties compensés
mêmes les pièces des presentes. En conséquence ordonne que le
présent arrêt sera suivi et exécuté selon sa forme et registré en son
greffe pour y avoir recour le cas échéant et que la procuration de-
meurera jointe à la minute du présent
Fait et jugé à Nancy le 4 avril 1748.
La question de la dîme était donc réglée à l'avantage
du curé, M. Joly de Morey et de ses successeurs. Ils re-
cevaient, par sentence souveraine, les deux tiers des dîmes
tant à Lièpvre qu'a l'Allemand Rombach. Le chapitre
de Saint-Georges à Nancy recevait l'autre tiers et gardait
le droit de nommer à la cure de Liepvre.
Mais bientôt devait surgir une nouvelle difficulté entre
le chapitre et la communauté de Lièpvre. L'église parois-
siale se trouvait dans MM7?MMr~ état, faute de ressources,
tandis que le prieuré de Saint-Alexandre était également
en ruines. A part le chœur de l'église prieurale, il ne
restait que des pans de mur de l'ancienne et superbe
église, qui avait pendant des siècles abrité les Béné-
dictins et les fidèles du pays. D'après la prescription sou-
veraine du duc de Lorraine, alors le roi Stanislas de
Pologne, les curés de Liëpvre n'étaient pas tenus à la
réparation de la nef, mais seulement à celle du chœur de
l'église paroissiale. C'est au chapitre qu'incombait l'entre-
tien de la nef de l'église paroissiale aussi bien que de
l'église prieurale. Soit par manque de ressources suffi-
santes, soit par mauvais vouloir, le chapitre de Saint-
Georges à Nancy, refusa de faire ni l'une ni l'autre répa-
ration.
Voici d'ailleurs un document qui en donne la preuve:
Nous sousignes, Lieutenant de Maire, sindie, jurez de justice,
himbourg et bourgeois de Lièpvre et d'A. L. R. étant assembles
ET ALLEMAND-RO;MBACH.

chez M. le Sindic de Lièpvre pour délibérer, particulièrement tou-


chant le rétablusement de l'église paroissiale de Lièpvre le sus-
dit Chapitre s'était soumis à élargir et agrandir notre église parois-
siale pour contenir commodément tous les paroissiens, on offrait
de donner l'église du prioré pour paroisse en nous la mettant en
bon état, dont nous serions obligez dans la quinzaine à faire notre
option. Après avoir meurement examiné l'etat de cette affaire et
pour éviter à la suite tous les procès avec le Chapitre de la primatie,
nous avons délibère à ce que notre église paroissiale soit agrandie
et élargie pour contenir tous les paroissiens. Nous prions notre
procureur de faire signifier au Chapitre que nous optons notre
ancienne église paroissiale au~. conditions cy dessus.
Délibère à Liepvre le 3o novembre i~-).g.
L'arrèté syndical était juste. Il fallait, en effet, restaurer
et agrandir l'église paroissiale, plus accessible aux habi-
tants de l'Allemand-Rombach. L'église du prieuré, d'ail-
leurs en fort mauvais état, était trop éloignée de la
succursale de Lièpvre. -Que fit le Chapitre? Il s'opposa à
la délibération de la « communauté de Lièpvre. Celle-ci
eut alors recours aux grands moyens, elle menaça de ne
plus payer la dime. Après quelques tergiversations, le
Chapitre céda aux instances de la communauté, et la
reconstruction de la nef paroissiale, telle qu'elle existe
actuellement, fut commencée en 17:)!, comme le prouve
la date qu'on peut lire au-dessus de la porte latérale. Le
chœur, qui se trouvait à l'orient, comme le démontre
un ancien 5~A'raMeM~a'K~cAe~ qu'on voit encore, fut
placé à l'occident, et l'on y plaça plus tard les objets d'art,
provenant de l'église prieurale, qu'on voit également près
du clocher actuel de l'église. Mais, il ne parait pas que les
habitants aient démoli l'ancienne église prieurale pour faire
servir les matériaux à la nouvelle construction. Elle existait
encore en 1787, mais dans un état si lamentable que le Curé
était dans l'impossibilité d'y célébrer <:a l'acquit du Chapitre
deux messes basses par semaines..La co~WM~M/c
de ~M~r~, croyant inutile de s'adresser au Chapitre
de Saint-Georges, adressa une plainte wo~'we /c;
~!H~ général de jLorr~fe et de Barrois, afin que ce haut
personnage décidât le récalcitrant Chapitre à restaurer
l'église prieurale.
NOTES HISTORIQUES SUR LIÈPVRE

Voici cette pièce importante


A M. l'Intendant et du Barrots,
de Lorraine
La Communaute n'ignore point que le Chapitre pave la re-
tribution de ces Messes suivant l'arrêt du 4 avril 1748, que le Curé
est chargé de célébrer ces dites Messes dans leur église prieurale
et non pas dans l'église paroissiale. C'est donc le defTaut du Chapitre
ou de ses fermiers d'avoir négligé l'entretient de leur église prieurale
et non pas celle des officiers fabriciens. Les habitants n'ont aucune
connaissance de la desserte ny transaction dans l'église raroissiale
puisque ces messes n'y sont point célébre.
Le Chapitre ne peut point ignorer qu'il possède la plus grande
partie tant des prez, Champs ainsy que forêt au dit Liepvre appar-
tenant à la dite église prieurale de son ancienne origine nomme
couvent de St. Denis.
Ce considéré, il plaise à Votre Grandeur ~'or~oH~cr le retablisse-
me)tt de la dite église prieurale et de la faire remettre dans son
ancienne origine et aussy que d'y faire célébrer les susdittes Messes
chaque semaine à peine d'y être déchut de toutes rentes revenues
des dits biens que ce dit Chapitre possède au dit Lièpvre.
Délibéré à Lièpvre, le z8 juin i~Sy.
Nous ne connaissons pas la réponse de l'Intendant
de Lorraine, ni les motifs allégués par leChapitre de

Saint-Georges à Nancy, s'opposant à la restauration de

qui était pendant de longs siècles un


l'église prieurale,
monument architectural de premier ordre. Dans une
remontrance adressée au Roi et à l'Assemblée nationale
en la plainte devient plus accentuée. Nous y lisons
1790,
depuis environ trente-quatre ans, le service divin
que
n'était célébré dans l'antique église prieurale, bien
plus
plus, que le Chapitre avait fait démolir les murs peu
avant 1700.
Voici du reste cet extrait du Mémoire adressé au Roi

"Le Chapitre de Saint Georges était en qualité de Seigneurs


collongers de la prévôté de Lièpvre. Cette prévôté était l'abbaye ci-
devant dit de l'Ordre des Bénédictins, Voué du temps de Charle-
magne. Ce Chapitre qui possède la plus forte partie des terrains du
ban de Lièpvre ainsi que la forêt ditte Chalemont de la meilleure
situation ainsy de même que plus des trois quarts des biens des.
particuliers Remontrants sont chargés sous des Cens annuel envers
le dit Chapitre.
Le ?neM:e Chapitre a fait démolir, il y a quelque temps le dit
prieuré situé au dit Lièpvre à la rMC?'vf du CAa?f~ qui a resté, qui
ET AMUEMAND-ROMBACH.

était une église la mieux construite et la plus belle que l'on puisse
voir.
Les deux Messes se célèbrent aujourd'hui dans une chapelle
de rien très t'H~M~n~e(sic) où il n'y a ny lampe ny autre Lumination
n'y même d'eau bénite ce qui doit cependant être de coutume dans
une église et dans laquelle dit Chapelle repose corporellement
St. Alexandre Pape et Martyre, enfin plus des trois quarts du monde
qui assistent à cet office divin sont obligés de rester devant la porte
attendu que cette dite Chapelle n'est qu'un reste du choeur du
prieuré ne peut-on pas dire que ce Chapitre a commis un sacrilège
en faisant démolir une pareille église sans nécessité."
Hélas! d'autres sacrilèges furent bientôt commis, car
la Révolution approchait. Les Mémoires adressés au
Chapitre de Saint-Georges à Nancy, à la Cour souveraine,
à l'Intendant Général, au Roi et à l'Assemblée nationale
restèrent lettre morte.
Encore en tySg, M. l'abbé Mosser, vicaire, puis curé
de Lièpvre (tyôi–1790) célébrait les deux messes basses~
dans le chœur de l'ancienne église prieurale. Le chœur était
en pierre de taille, de style gothique. On y avait ajouté un
petit clocher. La chapelle était sous l'invocation de Saint-
Georges en souvenir du Chapitre Saint-Georges à Nancy.
On y voyait encore les vitraux représentant Saint-Fulrade
et Charlemagne, et comme nous l'avons déjà dit, un tombeau
représentant de profil le buste d'une femme dont la tête
était ornée d'une longue tresse de cheveux. Renfermait-il
les restes d'une fille de Charlemagne, comme le voulait
la légende populaire ? Peut-être était-ce plutôt le tombeau
de la femme d'un seigneur d'Eckerich. Quelques seigneurs
d'Eckerich, sous-avoués ou fondés de pouvoirs des ducs
de Lorraine avaient, en effet, reçu l'honneur de la sépul-
ture dans l'église du monastère. Telle était la chapelle,
quand elle fut vendue comme propriété nationale en 1791.

1 Les mercredis et les vendredis.


1 Encore actuellement la fête de Saint-Georges est fête secon-
daire dans la paroisse de Lièpvre. La fête principale est l'Assomption.
Saint-Fulrade, Saint-Alexandre, Saint-Cucufat ont été relégués dans
l'oubli, comme si leurs reliques vénerees n'avaient jamais existé à
Lièpvre. 0 tempora, o mores
NOTES HISTORIQUES SUR HÈPYM!

En 1816, le terrain fut acquis par les Rissler, qui y


établirent une fabrique de tissus, puis il passa à la famille
Dietsch. Triste fin du monument le plus ancien et le plus
remarquable du Val de Liepvre A la place de la psal-
modie des Religieux, on y entend l'aigre bruit de la
machine, peut-être des blasphèmes, puis on y lit: «(Il
est défendu d'entrer ».
Nous nous arrêtons au seuil du XIX° siècle. Au futur
historien qui voudra écrire l'Histoire complète du Val
de Lièpvre, comme Nartz l'a fait pour le Val de Villé,
nous livrons ces notes historiques sur la paroisse de
Lièpvre dans les siècles passés. Pour compléter ces notes,
nous donnons la liste des Curés et Vicaires de Lièpvre,
telle qu'elle ressort des archives et des registres.
Paroisse de Lièpvre.
i586–1790.
Curés. Vicaires.
i586. Blaiset, curé chappe-
lain.
1590. Humbert, J. B., curé
au Val de Lièpvre et
résidant à Ste Croix.
t6-).i. Vottgiotte, curé à
Liepvre.
1647. Ptisnoi, curé au Val.
i656. Firmin Claude Fran-
çois, curé de Llèpvre
i683. Fremtot, Jean Fran-
çois, curé de Lièpvre
1
1680. Willette, François,
curé de Lièpvre.
1869–i~io. Morel, J. B.
]7:o–[719. Henry Jean Cucufat.
1720. Schmitt, vicaire.
1719-1723. Ferry, Fr. Louis. Flachs Nicolas, vicaire.
1722. Jacquemin.

Devint Recteur de T~euve-Eglise, où il mourut i~o5. Erigea la Con-


frërje du S. Rosaire, longtemps l'unique dans le Val de Villé, en
vertu d'une bulle d'Innocent XII. Enseveli au chœur de l'église.
L'armorial gén. p. 16 dit: Willette, prestre et curé de Neuve-Eglise,
porte d'argent M~ cerf courant au naturel.
ET ALLEMAND-BOMBACH

Curés. Vicaires.
1723. Cloux.
1724. Dupin D.
[728. La Paix Augustin.
1723–1732. Pot d'Argent Joseph. Muller Joseph.
j~g.
1732. Ferrotte B.
i/32. Link, vicaire et administra-
teur.
1733. Vatet.
B. Drouel, administrateur.
1732–1734.. Colin, { ~733.
1 1737. Bruton.
:73S. Marchai, J.
De Pierrevalle Septime.
1742.
1734–[744. Deviot, J. '743- Streicher.
j 1744. Klingelfus, vie. et admi-
nistrateur.
(. 1744. Schaumann.
1746. Scherer, Fr. Antoine.
174~. Fingado, Philippe.
175o. Douay, Guillaume.
1751. Bernard, M. L.
1752. Edel.
1754. Michot, Antoine.
1744.–1761. Joly de Morey. '755. Stem, J G.
1756. Vogel.
1757. Wittmesser, J. V.
1758. Decary, A.
1759. Rumpler.
1760. Herrenberger, J.
1761. Mosser, L.
1761. Humann.
1763. Rousselot.
1764. Derre.
1764. Hceld.
1766. Mathis, J.
1766. Gelin.
e
176:–1790. Mosser, L.
e
'767. r-
Franoux.
1768. Philippe.
i76g. Anstett.
1770. Schlosser, J. L.
1771. Chalon.

1 Jusqu'en 1729, les registres


sont écrits en français, après
cette date, en latin.
NOTES HISTORIQUES SUR LI&PVBE

Curés. Vicaires.
!77!. Schwaab.
i~~t. Englender, A.
iy~2.Fettet.
i773.Beva!et.
17~. Raoul.
'77S. Eggs.
!~76. Beck.
lyy~.Stoiz.
176!–1790. Mosser, L. ~778. Marschall.
780. Andre.
ySi.Fuchs.
1 ~82. Simon.
782. Gue;and, Louis.
y8-)..Hurste).
1787. Husson.
1788. Neuville.
178q. Burckart.
179°–:838. Guérand, Louis.
Guérand Louis, né à Schlettstadt, le 5 juillet 1758, administra
ia paroisse de Lièpvre en secret pendant la Terreur, réunit les
paroissiens restés fidèles sur les hauteurs de l'Allemand-Rombach.
Les habitants montrent encore l'endroit où il célébrait la Sainte-
Messe. Traqué à outrance par les gendarmes, il emi~ra, puis retourna
à son poste où il mourut octogénaire, en l'année !83S. Sa mémoire
est restée en bénédiction dans le pays.
A la même époque, un autre héroïque prêtre, M. l'abbé Simon
Seck, curé de Fouchy, reunissait au lieu dit la ,Roche des Fées"
(Hexenfelsen) les vaillants catholiques de Fouchy, de Neuve-Eglise
et de Brettenau. Il y célébrait les saints Mystères, organisait des
processions avec le Saint-Sacrement, exhortait les habitants à per-
sévérer dans la religion de leurs pères. Cela duia pendant tout le
temps de la Terreur jusqu'en 1798. Plus habile que son confrère de
Neuve-Eglise, M. François Antoine Stackler, guillotine à Strasbourg,
le 3 février 1796, il échappa aux sbires de la Révolution. Nous
tenons en réserves dans nos cartons la vie complete du saint martyr,
du généreux confesseur de la foi, notre illustre prédécesseur à Neuve-
Eghse.
Après la Révolution.'
Curés.
1790–t838. Guérand, Louis.
i838–i85o. Lavigne, Joseph.

1 Quoique n'entrant pas dans le cadre de notre sujet, nous


donnons à titre documentaire la liste des Curés de Lièpvre après la
El' ALLEMAND-ROMBAUH.

Curés.
t85o–i85z, Lang, Aloyse.
1852–i863. Hutt, Louis PhUippe.'
t863–i872. De Hombourg, Ch."
1873–1877. Rohmer, Mathias.
:8y7–190~).. Legay Henri.
!C)04– Gyss Edouard.
LÉONARD FISCHER.

Révolution. Quant aux vicaires, ils sont aussi nombreux au XIX'=


siècle qu'au XVIIIe, ce qui n'est pas peu dire.
Quitta Llèpvre pour le poste d'Ebershetm.
Partit pour la France, le 4 octobre 1872, devint premier
aumônier de la prison de Saint-Lazare à Paris (noo femmes). Sa
voix forte et imposante se fit entendre dans presque toutes les
chaires de la capitale. Obtint le titre de missionnaire apostolique
et de chanoine honoraire du diocèse de Langres.
V. Bulletin ecclésiastique de Strasbourg 1887; l'abbé Ch. de
Hombourg, p. z5.
M. LE VICAIRE GÉNÉRAL RAPP.
(Suite.)

Chemin de la croix. Acquisition de i~ tableaux


du chemin de la croix.
En mars j8~6, le pasteur de Kirrwiller étant mort,
on procéda à des élections. M. Fix, trésorier du Consistoire
de Bouxwiller, fit élire M. Winter, son gendre. Bientôt
après parut une pièce de vers que l'on attribuait géné-
ralement à M. Nessler, directeur des usines de la Reidt.
Curiosa Die Wahl e:M T~'r~ Les personnages
sont désignés par des animaux. Le renard (der Fuchs)
c'est M. Reichard, président du Consistoire le bouc
(Geisbock) c'est M. Fix, fils d'un tailleur. Les petits chiens
(Mopse) sont les pasteurs et les électeurs qui ont pris
part au choix.
Die Wahl etnes Hirten.
Ein Dorf verlor einst seinen Hirten,
Die Schaafe waren nun verwaist.
Kein Wunder wenn sie sich verirrten,
Wie es dort in der Bibel heisst.
Drum musste man in's Mittel treten
Zwar nicht mit Fasten oder Beten.
Das Thierreich wurde nun entboten
Nach B. zu einem Wahlverein.
Hier sah man hungnge Zeloten,
Dem Egoismus Weihrauch streu'n.
Von Eseln und der Hunde Art
Das war des Lobes nicht gespart.
M. LE VICAIRE GÏSNJSEALBAFP.

Der rothe Fuchs, was ihm gebùhrt


Der hielt das Prasidium.
Der Trug, den er im Munde fùhrt
Galt hier ats Evangelium,
Bei Eseln die ihn nicht verstanden,
Die zahlreich sich dabei einfanden.

Der Geisbock aber war die Seele


In diesem viehischen Verein
Dass nichts zu seinem Bunde feh)e
Führt er nun ein' Verwandten ein
Damit sie, folgsam seinen Lehren,
Die armen Schaafe tüchtig scheeren.

Indess die Form nicht zu verletzen


Lasst Fuchs die Wahlliste sehn
Auf der, den Schaafen zum Ergotzen
Vier nagelneue Hirten stehn,
Zeigt sic mit salbungsvollem Munde
Zuerst den Eseln, dann den Hunden.
Der Bock, der wàhtt in seinen Schriften
Denn er zieht die Gefallen ein,
Kennt ziemlich so die fetten Triften,
Ihn nahrt ja manches Âmtelein,
Und was die Horner nicht erreichen,
Das weis er andern zu erschleichen.
Da murmelt er in seinem Barte
Zeig', Fuchs, die Liste immerhin,
Ich habe làngst gemischt die Karte,
Mein ist der ganze Wahlgewinn,
Denn aile diese hier zugegen
Konnen ohne mich kein Finger regen.
Das horen sich die schwarzen Schopse
Und scharren sorgsam mit dem Fuss
Die Esel und die plumpen Mopse,
Sie nickten freundhch ihren Gruss,
Gemeines Vieh vom fiachen Land
Voll Zârtiickheit leckt ihm die Hand.

Du armes Corps der Elektoren


Berufen zu der freyen Wahl
Gezwungen hast du auserkoren
Den dir der Geisbock anempfahl,
Dein ist das Schicksal dummer Thiere
Dass sie ein list'ger Geisbock fuhre.
M LE VICAIRE GENERAL RAPP.

Dem Bock ist's zwar nicht zu verdenken,


Er thut was einem Bock gebûhrt:
Verwandten Platze zu verschenken
Hat manchen nach Paris gefuhrt.
So gehts in allen Wahlvereinen
Die Glieder sind nicht was sie scheinen.
t8 avril.

Enquête sur des Tableaux ~7! chemin de la croix.


Le 10 nov. 1846, je reçus une lettre de l'Evêché
m'invitant à examiner des tableaux du chemin de la croix
qu'une personne avait fait peindre pour l'église de Lich-
tenberg et que M. le curé Jehl refusait parce qu'ils
étaient très mal faits. Je priais M. Voulot, l'inspecteur
de l'Académie, qui se trouvait en tournée d'inspection,
de se joindre à moi pour cet examen. Le rapport
adressé à l'Evêché conclut à la non-admission de ces
tableaux qui sont une vraie parodie de la religion. Mgr
l'évêque, sur notre rapport, interdit ces tableaux et or-
donna de les faire disparaître de l'église.
Gr~K~e c/~r/c en /<~6'. – L'année 1846 a été une
année de véritable disette. La récolte a manqué partout,
en sorte que les pauvres ont eu beaucoup à souffrir. En
février 1847 le prix du froment était de 5ofr. l'hectolitre,
on payait le pain de ménage i fr. 60 la miche. M. Schat-
tenmann fit venir du blé de la Hongrie, organisa une
boulangerie et vendit le 'pain à prix réduit.
Mgr l'Evêque avait annoncé la confirmation pour le
printemps de cette année. Sur l'avis des curés du canton,
je priais l'Evêque d'ajourner sa tournée à l'année 1848,
à cause de la grande misère de nos pauvres, trop préoc-
cupés de leurs moyens d'existence. La confirmation n'eut
donc pas lieu cette année.
CMr~'OM .E7~MMpour un ~M~~re du CoH~~rc.
Un membre du Consistoire protestant étant mort, une
élection devait se faire pour le remplacer. Bonus quisque
sperabat D. Sch. eligendum iri, utpote qui talia munia
pro bono publico gessisset et plures abusus qui in admi-
nistratione bonorum irrepserant, reformavisset. Hinc ma-
chinationes et incredibiles conatus ex parte pastorum
M. M! VICAIRE GÉNÉRÂT.BArr.

ne prsefatus Dominus Non in


protestantium 'eiigeretur.
vanum laboraverunt. Victoria ipsis remansit, prout videre
est in versibus sequentibus.
Die neue Wahl der Thiere.
Aus einer sehr bekannten Herde,
Die reich an schlechten Hirten war
Und wo die mmdeste Beschwerde
Stets Sorgen, Furcht und Hass gebar,
Entschlief so einst ein treuer Huter,
Und segnete des Lebens Guter.
Da rusten nun sich die Genossen,
Denn eine Wahl stand nun bevor,
Gewiss es waren keine Possen.
Denn blieb ihr System nicht empor,
So war's um ihre Ruh geschehn,
Man mocht' sich wenden oder dreh'n.
Geschaftig wars nun auf dem Lande,
Gefahr war selbst am hëchsten Ort;
Und wo ein Schops den andern kannte
So warb er emsig um sein Wort
Ein Fuchschen 1 von der kteinen Art
Hat weder Gang noch Wort gespart.
Nun kam ein Tross von Elektoren
Der schwarzen Schopse ohne Zahl
Gemeines Vieh im Land geboren,
Und jeder Esel in der Runde
Fand da sich ein zur selben Stunde.
Der Fuchs~ hat wieder neues Leben,
Der Bock war im Elysium,
Es galt den Esel zu erheben.
Man sammelte sich einen Ruhm
So gross war nicht der Juden Nothen
Aïs sie sich Harabam erboten.
Die Freude sprach aus ihren Augen,
Gesichert war das alte Nest,
Der Schutzhng mochte wenig taugen,
Sass man doch tn den Pfrunden fest,
Sie kônnen nun, wer will es wehren,
Die Schafe wieder tuchtig scheeren.

M. le pasteur Kunlin.
M. Reichard~ alors malade.
3 M. le trésorier Fix.
M. LE VIOAIRE GÉNÉRAL RAPP

So fahre wohl, du arme Herde,


Dein WohI liegt ja in guter Hand.
Entsage jeglicher Beschwerde,
Vor Allem zâhme den Verstand,
Und beuge gern den breiten Rùcken,
Die Hirten sind's die dich begiùcken.

Explication M. Schattenmann avait publié un mé-


moire où il démontrait que les revenus très considérables
du Consistoire de Bouxwiller devaient avoir une triple
destination a) pour l'entretien du collège et des écoles
b) pour l'hospice et les pauvres, c) et pour les besoins
du culte. Or, ces revenus étaient en majeure partie em-
ployés en traitements et gratifications des pasteurs.
M. Schattenmann aurait touché à tous ces abus s'il en-
trait dans le Conseil. Les intéressés redoutèrent sa pré-
sence.
Le jE'r!'MC~'a/ ~M collège ~rc~H~ faire prier e~~M~/e
les élèves des divers cultes. M. Goguel, principal du
collège, propose d'introduire l'usage pour les élèves des
divers cultes de faire la prière en commun matin et soir.
J'écris le 28 octobre 18~.7 à M. le maire pour lui dire
que je ne puis consentir à cette proposition et je signale
les inconvénients qui en résulteraient. Nos prières sont
prescrites par l'Eglise, nous ne pouvons en accepter
d'autres. Les catholiques commencent la prière par le
signe de la croix et se mettent à genoux, etc., ce que ne
font pas ni les protestants ni les israélites. Le principal
ayant insisté, je demandais une décision à l'Evèché qui
répondit comme l'on devait s'y attendre.
<~Me~ pour la rc~<r<OH du tableau ~K maître-
autel. Je fais une quête parmi les paroissiens pour la
restauration du grand tableau représentant le martyre de
S. Léger. La quête produit 291 fr. 5o. Une discussion
s'élève au sein du Conseil au sujet de cette quête, le
trésorier contestant au curé le droit de faire une quête
dans la paroisse, même hors de l'église, sans l'autorisa-
tion du bureau des marguilliers. Je prouve au trésorier
que le curé a le droit de faire la quête hors de l'église
M. LE VICAIRB G~N~EAL RAPP.

sans l'autorisation du bureau (Affre, chapitre des quêtes),


j'avais besoin de cette autorisation pour entreprendre sous
ma responsabilité, la restauration du tableau, je l'ai de-
mandée et obtenue.
~<?~. 7~'o/M~'OM. 27 février 184.8. La nouvelle
arrive de Paris que le roi et la famille royale est en fuite,
que la duchesse d'Orléans a été proclamée régente.
Grande jubilation parmi les protestants. Le maire fait
annoncer cet évènement au son du tambour, et des ré-
jouissances publiques qui auraient lieu le dimanche suivant,
lorsque le surlendemain arrive une nouvelle, que la répu-
blique est proclamée. Grande déception parmi les lu-
thériens qui avaient salué avec enthousiasme l'avènement
d'une princesse protestante. Le dimanche suivant je
monte en chaire pour dire quelques paroles et calmer
les esprits.
« Liebe Pfarrkinder, In den kritischen Umstanden, in
welchen sich das Vaterland befindet in Folge des euch
schon bekannten Ereignisses, halten wir uns still und
ruhig seyen wir klug im Reden und lasst uns nicht
leicht allen verschiedenen Berichten Glauben beimessen
welche unter das Volk ausgestreut werden. Vor Allem aber
vertrauen wir fest auf Denjenigen, ohne dessen Wille
nicht einmal ein Haar von unserm Haupte fallt. Bitten
wir Ihn, Er wolle unter seinem chrislichen Volke Friede
und Einigkeit erhalten, und jegliche Drangsal von uns
abwenden. Begeben wir uns unter den Schutz der lieben
Mutter Gottes, welche unsere Helferin ist in jeder Noth.
Lasst uns in dieser Meinung das h. Messopfer darbringen.
Zuerst beten wir andachiig das a/e~g~zc Ge~M »
La France était genêt alement fatiguée du gouverne-
ment de Louis-Philippe, l'Eglise en particulier n'avait
pas à s'en louer, de sorte qu'on vit cette révolution sans
déplaisir. Elle se fit sans qu'on eût, comme en t83o, à
regretter des actes ou des démonstrations contre la re-
ligion.
jP/~7!OH de /'<~r~re de la /~er/c. Dans toutes
les villes des arbres de la liberté furent plantés avec beau-
M. LE VICAJRK G~K~EAL RAI'P.

coup d'éclat. Bouxwiller aussi eut sa fête. Je fus invité


à bénir l'arbre et à prononcer le discours de circons-
tance. Sur la grande place de l'ancien château, devant
un immense auditoire je disais:

Messieurs,
Bien que la mission du prêtre semble exiger qu'il se
renferme modestement dans son temple et qu'il ne prenne
la parole que pour annoncer les saintes vérités de l'Evan-
gile, il existe néanmoins des rapports tellement intimes
entre la religion et la vraie liberté que je n'ai pas hésité
un instant de m'associer à cette fête patriotique. Qu'il
me soit donc permis d'exprimer ici franchement ma
pensée. Vous voulez la liberté, vous la voulez vraie, sin-
cère, durable? donnez lui pour base la religion. Avant
l'établissement du christianisme, les peuples n'avaient pas
même l'idée de la liberté une moitié de l'humanité était
l'esclave de l'autre. Les écoles si savantes de la Grèce
enseignaient que le maître avait le droit de vie et de
mort sur ses esclaves. Cet état de dégradation pesait sur
la société lorsque l'arbre de la liberté par excellence fut
planté sur le Calvaire. Du haut de la croix retentirent
ces sublimes paroles Hommes vous êtes tous frères
aimez-vous les uns les autres que celui qui est le plus
grand parmi vous soit comme le serviteur des autres.
(Luc 22.) Dès lors la vraie liberté et la religion furent
soeurs. Toutes deux, filles du ciel, reçurent de Dieu la
mission de marcher à la conquète du monde, pacifiant et
civilisant les hommes en les rendant meilleurs.
Vous avez donc eu une pensée sage d'associer la re-
ligion à cette fête. Vous êtes donc convaincus que vous
pouvez bien planter et arroser l'arbre de la liberté; mais
qu'il n'appartient qu'a Dieu de donner l'accroisement.
Vous êtes donc convaincus que la liberté ne saurait
exister sans la religion, parceque la liberté ne peut exister
sans l'ordre et que l'ordre n'a de meilleure garantie que
la religion. Le chantre le plus sublime de l'ancienne loi
a dit une parole qui résume ma pensée: « Si Dieu ne
M. LE VICAIRE GÉNÉRAL RAIT.

bâtit la maison, ils auront travaillé en vain ceux qui la


bâtissent" » (ps. 126). Les hommes conçurent un jour
l'orgueilleux projet de construire une tour dont le faîte
dut atteindre le ciel mais ils ne purent continuer, Dieu
a3 ant jeté parmi eux la confusion et le désordre. Ils ne
se comprirent plus et furent obligés d'abandonner l'œuvre
sans pouvoir l'achever. Ces hommes avaient négligé
d'associer Dieu à leur entreprise, Dieu la frappa de malé-
diction. Il y a un demi-siècle que nous entreprîmes de
construire le temple de la liberté; mais nous avions a
peine commencé que l'édifice chancela sur ses bases,
croula avec un épouvantable fracas et nous fùmes ense-
velis sous ses ruines. Des Mois de sang inondèrent la
malheureuse patrie.
Aujourd'hui nous entreprenons de nouveau de re-
construire ce temple. Dieu fera-t-il encore échouer l'entre-
prise ? Non, non! puisque nous avons la sagesse de de-
mander à Dieu de la bénir, parcequ'au plus fort de la
lutte nous n'avons pas cessé un instant de respecter la
religion, parcequ'aux cris de Vive la liberté se sont
mêlés ceux de Vive la religion Vive le Chiist

Prions
Dieu tout-puissant, daignez répandre vos bénédictions
sur cet arbre, symbole de la liberté, afin que ses racines
~implantent, profondément dans la terre. Qu'il soit là
comme un monument élevé a l'amour de la patrie, comme
un monument élevé à la concorde qui existe et qui existera
touj.ours entre les habitants de B., de cette cité paisible
et calme dans ces derniers temps, s'est distinguée
qui,
par son esprit de sage modération. – Et si jamais le
génie du mal voulait semer la discorde et les troubles
parmi nous, que la vue de cet arbre nous rappelle que
nous sommes tous enfants de la commune mère, notre
chère patrie, la France, et que nous devons nous aimer
les uns les autres et être prêts à tout sacriher pour
l'honneur et la gloire de la patrie.»

RevM.ScptemhieM~. 36
M. LE VICAIRE GÉNÉRAL RAPP

Bouxwiller, 21octobre !8~.8.

jK~-r~~r. ~h/re table de co?K~M~'OH.

Monseigneur,
Je crois de mon devoir d'informer Votre Grandeur d'un
fait grave qui vient de se passer dans l'église de Kirrwiller.
M. le curé Fix, obtempérant au vœu de ses paroissiens,
conçut la pensée de placer à l'entrée du chœur une table
de communion. Pour prévenir toute difficulté M. le curé
consulta d'abord l'évêché et eut pour réponse qu'il devait
s'entendre avec le conseil presbytéral et avec le pasteur.
M. Fix s'adressa d'abord au pasteur, M. Winter, qui
lui déclara dans une lettre que non seulement la balus-
trade ne gènait pas, mais qu'elle serait un ornement.
M. le curé consulta ensuite le conseil presbytéral qui
donna son consentement, en mettant pour condition que
les portières de la balustrade ne seraient fermées que
pendant l'office des catholiques et ne dépasserait la hauteur
de centimètres, qu'il n'y aurait pas de serrure à
clefs. M. le curé accepta ces conditions et prit par écrit
l'engagement de s'y conformer.
M. Fix comptant sur la loyauté du conseil presbytéral
commanda la balustrade qui fut placée le 18 octobre
dernier. Quel ne fut pas son étonnement quand le lende-
main le pasteur lui fit dire d'ôter la balustrade. Sur le
refus du curé, le pasteur fit enlever la balustrade, en en-
dommageant considérablement les dalles du chœur. Cet
acte de vandalisme exaspéra les catholiques et même un
grand nombre de protestants, entre autres le maire qui
est protestant. M. Sch. que j'ai vu hier pour l'informer
de ce fait, m'a fortement engagé à en écrire à Votre
Grandeur.
Agréez, M. etc.
Pendant que cette affaire était portée devant les auto-
rités compétentes, le pasteur fit faire une nouvelle table
de la cène sans même demander l'autorisation. M. le curé
saisit cette occasion pour s'opposer au placement de cette
table. Le conseil presbytéral et le pasteur obligés de re-
M LE VICAIRE S~t~ÉBAL RAPP.

connaître leur tort consentirent maintenant au replace-


ment de la balustrade, demandant la permission de placer
la nouvelle table de la cène. Le curé catholique et son
conseil de fabrique prouvèrent qu'ils comprenaient mieux
la tolérance et l'affaire s'arrangea sans qu'on donnât suite
au procès.
Je prêche à Osthausen le 24 août:
In mundo pressuram habebitis sed confidite, ego vici
mundum. Joan. 16.
a) Es ist der Kirche Schicksal verfolgt zu werden.
b) Die Kirche aber besiegt allé ihre Verfolger.
c) Darum vertraut.
28 mai 1848.

Tw~Ae~n. C/MK~~eM~ du jpa~'o~ de l'église.


Monseigneur,
Imbsheim, annexe de B., honore saint Martin comme
patron. Cette fête est toujours célébrée un dimanche, elle
tombe dans la saison d'hiver où d'ordinaire le temps est
mauvais. Comme il n'y a pas de chantres à Imbsheim, je
suis forcé de me transporter à l'annexe avec tout le personnel
des chantres, sacristain, servants de messe et d'avancer
l'office de la paroisse d'une heure. II en résulte que ce
personnel refuse de m'accompagner quand le temps est
mauvais, et qu'un certain nombre de mes paroissiens
n'assistent pas à la messe à cause de l'heure matinale de
l'office.
Pour remédier à cet état des choses et pour me con-
former au désir de mes paroissiens, je prie Votre Grandeur
de nous donner pour patron de l'église d'Imbsheim saint
Jean-Baptiste. La fête du précurseur de J.-Ch. est chômée
par les catholiques de ce pays, en sorte que nous pourrions
la célébrer le jour où elle tombe, ou le lendemain si elle
tombe un dimanche. L'office de la paroisse ne serait pas
dérangé et cette fête étant célébrée dans la belle saison
d'été, les paroissiens de B. s'y rendraient avec plaisir,
comme ils font lorsqu'a lieu la fête patronale de Ried-
heim qui se célèbre dans les beaux jours de printemps.
M. LE VICAIRE G~N~RAL R&l'r.

Nous n'abandonnerions pas pour cela saint Martin qui


serait le patron a latere. Je continuerais à dire une messe
basse le onze novembre à l'annexe, et les fidèles seraient
invités à y assister. Si Votre Grandeur nous accorde
notre demande, une famille de B. nous donnera un
tableau représentant le baptême de N. S. par saint Jean-
Baptiste.
Cette demande fut accordée.

Conférences ecclésiastiques

Monseigneur,
Messieurs mes confrères du canton viennent de
m'adresser une lettre au sujet des conférences. Ils
demandent que toutes les matières se traitent dans
une séance, pour leur épargner la peine de se déplacer.
Je leur ai répondu que je ne prendrai pas sur moi
de trancher cette question, que je la soumettrai à l'au-
torité compétente, décidé à me conformer à ce qu'elle
aura statué. Votre Grandeur verra par la lettre ci-
jointe ce que ces messieurs pensent des conférences. J'ai
le regret de dire que depuis une année les absences aux
conférences sont devenues plus fréquentes et que j'ai
rencontré de la part de deux de mes confrères une op-
position d'inertie très regrettable, il n'y avait que
M. Laroche qui fournit exactement ses dissertations. Le
moyen de réveiller leur zèle serait une lettre ostensible
de l'autorité diocésaine que je m'empresserai de leur
communiquer.
Cette lettre vous prouvera, Mgr, que, si les conférences
ne se tiennent pas exactement, c'est contre mon intention.
J'ai toujours regardé cette institution comme extrêmement
utile et le moyen le plus efficace pour réveiller le goût
de l'étude parmi le clergé. Comme curé de Riedisheim
j'ai été très exact à fournir mes dissertations, et comme
secrétaire des conférences de Molsheim j'ai eu à cœur
de remplir consciencieusement ces fonctions. Je crois
devoir dire cela pour ma justification personnelle.
M. LE VICAIRE GENERAL RAPP.

Plainte au sujet du ~ro/es~Mr d'histoire.

Monsieur le principal,
En ma qualité d'aumônier du collège et de membre
délégué du comité supérieur de l'instruction, je crois de mon
devoir de veiller à ce que la conscience des élèves catho-
liques soit respecté. Or il résulte du témoignage unanime
de ces élèves que M. Magnus fait, dans son cours d'histoire,
des commentaires haineux et contraires à la vérité en
parlant de la confession qu'il dit avoir été instituée par
Grégoire VII, etc., etc. M. Magnus oublie qu'il est insti-
tuteur d'une école mixte, qu'il doit par conséquent éviter
tout ce qui peut blesser les convictions religieuses de
ceux de ses élèves qui ne professent pas le culte qu'il
professe.
Je sais, Monsieur, que c'est contre vos intentions que
ces choses se passent et qu'il aura suffi de vous les avoir
dénoncées pour en prévenir le retour. Ce n'est qu'à cette
condition que je continuerai à prêter mon concours au
collège. II me serait d'ailleurs pénible d'avoir à porter
mes plaintes devant le comité mixte ou devant le comité
supérieur.
Agréez, M. etc. B., 2~ juin 18~.8.

suivre.)
REVUE DU MOIS.

T~OM~ /oeMft! est. Rome a parlé. Nous avons, pour le Numéro


d'Août de la Revue, clos la rédaction trop tôt pour parler de quelques
actes du S. Siège qui ont vivement emu le monde catholique et même
ceux qui sont en dehors de l'Eglise Il y a d'abord la condamnation
du .S;~OH, où le Saint-Père a tempéré par le ton le plus affectueux
et le plus paternel la rigueur du jugement doctrinal et disciplinaire
qu'il se croyait obligé de rendre sur les déviations de l'oeuvre de
Marc Saugnier, qui était et qui est encore généralement peu connu.
Le rêve de Marc Saugnier était de créer en France, en commen-
çant par les jeunes générations exemptes de préjuges de naissance
et d'éducation un grand parti politique sur le modèle du Centre
allemand et en décalquant son programme. Le programme du Centre
est ti ès simple: accepter et défendre la constitution existante, c'est
à dire rompre avec les tendances passées de créer l'unité de l'Alle-
magne sons l'hégémonie de l'Autriche; réclamer la liberté de l'Eglise,
et promouvoir la justice sociale par une juste répartition des impôts,
par une législation protectrice des humbles et par des institutions de
prevoyance pour les déshérités du travail. De plus le Centre entend
n'être pas un parti confessionnel proprement dit, et ne pas agir
dans des questions politiques comme une sorte de délégué de la
Curie romaine ou des chancelleries episcopales. Primitivement Marc
Saugnier ne voulait pas autre chose que ce qui fait la force inébran-
lable du Centre, et au fond Marc -Saugnier aujourd'hui encore ne
voudrait pas autre chose. II aurait voulu que les catholiques français,
et Léon XIII le voulait" précisément aussi, regardassent le bilan
politique du passé comme définitivement réglé, que secouant le
joug des partis sur lesquels le peuple français a passé à l'ordre du
jour, ils se missent sur le terrain de la Constitution républicaine, loyale-
ment et sans l'arnere-pensée de se servir de ses institutions pour
la renverser; il voulait en second lieu, et d'un désir ardent, la liberté
pleine et entière de l'Eglise: et il voulait enfin, à l'encontre de
l'esprit libéral et manchestérien des conservateurs catholiques, le
réglement de la question sociale, au besoin par l'intervention des
REVUE DU MOIS.

pouvoirs publics. Comme le Centre, il se croyait en outre, le droit


incontestable de résoudre les questions purement politiques en dehors
de la direction immédiate de l'episcopat; un point où en France, plus
encore qu'en Allemagne, il faut éviter toute apparence d'ingérence
cléricale, parcequ'en France le spectre du parti-prêtre e\eite encore
très facilement les passions antireligieuses des masses, alors qu'en
Allemagne personne ne prend ombrage de la participation du clergé
à la vie publique. Malheureusement Marc Saugnier se laissa attirer
dans les embuscades de la coterie catholique monarchiste et anti-
sociale, qui depuis la mort de Léon XIII a ouvertement relevé la
tête il dogmatisa, et tomba dans l'erreur de Galilée qui, non content
de défendre son système par des arguments mathématiques, voulut
en démontrer l'orthodoxie par des raisons théologiques. De la doctrine
toute contingente de la démocratie chrétienne, il eut l'air de faire un
point de la doctrine évangélique.
A ces erreurs doctrinales, les Sillomstes ajoutèrent une taule
de tactique non moins grande. Violemment combattus par les monar-
chistes, ballottés entre les deux courants opposés de l'episcopat, ils
cherchèrent des ailles en dehors du catholicisme. En théorie, c'est
une fort belle chose de concentrer toutes les forces chrétiennes
contre l'irreligion et l'anarchie et pour fonder certaines œuvres
sociales, mais en fait cette concentration ne se produit guère qu'avec
certains sacrifices de principes, et il arrive regulièrement que, par
amour pour la paix, par ambition pour le renom de tolérance, ce
sont les catholiques qui consentent à ces sacrifices La virginité de
l'orthodoxie se deflore, la netteté des contours de la foi et de la
morale catholique se délaie, les expressions deviennent hasardeuses,
et il ne serait pas ctonnant que le mot de ,,ptus grande Eglise'
eût une fois échappé à un SiIIonniste. Qu'au reste Marc Saugnier et
ses camarades si sympathiques étaient des enfants dévoués de l'Eglise,
rien ne le prouve mieux que la filiale soumission avec laquelle ils
ont accepté la sentence qui les frappait: On n'en peut pas dire autant
de certains organes monarchistes qui donnent le coup de pied à
l'ennemi humilié: ils ne prennent pas pour eu\ l'enseignement du
pape, que l'Eglise ne s'inféode a aucune forme de gouvernement:
après comme avant ils soutiennent la thèse que le salut de la religion
catholique est inséparable de la restauration du trône. Les demo-
crates chrétiens du Sillon ont au moins sur eux cet avantage qu'ils
ne sont pas assez lâches pour poursuivre leur condamnation en Cour
de Rome.
Le bruit qui s'etait fait autour de la condamnation du ~Sillon"
a été dépassé par celui qui s'est fait autour d'autres Actes du Saint-
Siège, notamment ceux concernant la lecture des journaux par les
élèves des grands Séminaires et l'âge de la première communion.
La lettre tue et l'esprit vivifie, et il nous semble que c'est à l'intel-
ligence et à l'interprétation des Actes du pape que l'on doit surtout
REVUE DU MOIS.

appliquer ce principe. I) y a à notre humble avis bien des étapes


entre la lecture des journaux et l'ignorance absolue des événements
qui ont un intétêt vital pour l'Eglise et pour l'Etal. Autant celle-ci
serait dégradante et pernicieuse pour un jeune homme, qui à la fin
de ses etudes appartient par son sacerdoce à la classe la plus diri-
geante au point de vue religieux et sociale, autant celle-là, quand
elle devient absorbante peut devenir perilleuse pour la formation
intellectuelle et morale de ce même aspirant au sacerdoce. Il ne sera
pas difficile de trouver le juste milieu entre ces deux écueils.
Il en est de même de l'âge de la première communion. Nous
a\ons beau lire et relire le décret, nous ne parvenons pas à y voir
que le Saint-Peie prescrit l'âge de 7 ans. Il nous semble au contraire
que la tendance de tout le décret est de supprimer les fixations
statutaires d'âge, et d'introduire une pratique individualiste. Le Saint-
Père ne dit nulle part que les enfants qui ont y ans ~o:t~Ht faire
leur première communion, mais qu'ils peu~MfIa faire, que l'âge cesse
d'être la règle determinant l'admission pour faire place uniquement
au discernement individuel de l'enfant. Ce dernier facteur sera
nécessairement très variable. De toute façon il y a loin d'une sou-
mission filiale à ce décret et de son exécution loyale, dont la sur-
veillance est du ressort des évêques, au byzantinisme de certains
correspondants de /7)!r~ et de quelques supérieurs d'établisse-
ments congreganistes qui ne sont pas très au fait du ministère
paroissial et qui n'ont aucune idée de la différence qu'il y a entre
les petits Saint-Jeans qui poussent dans leurs serres chaudes et les
revêches gamins auxquels a affaire le clergé séculier.
Le mois de septembre est le mois des congrès nationaux et
internationaux: de ces derniers il y en a bien eu quelques douzaines
à Bruxelles, à l'occasion de l'Exposition. Le plus brillant a sans
contredit été la 16'~ Confetence de l'Union interparlementaire,
présidée par l'illustre homme d'Etat belge. M. Bernaert, qui au debut
de son discours d'ouverture s'enorgueillissait avec raison de voir
siéger pour la quatrième fois à Bruxelles ce parlement mondial,
avec ses 3ooo adhérents, à l'influence duquel on doit que le tribunal
d'arbitrage et la mediation font partie integrante du système des
relations internationales, et qui terminait ce même discours par ces
paroles que le roi d'Angleterre actuel prononçait à Québec en !<joS:
,,Le sublime idéal de la paix universelle et de la fraternité humaine
peut être encore éloigné, mais, en attendant, chaque fait qui sert à
promouvoir l'harmonie entre les nations nous montre la voie par
lequel il peut être atteint."
La question la plus importante soumise au Congrès a été celle
de l'inviolabilité de la propriété privee dans la guerre maritime, qui
est intimement liée à la question de la réduction des armements
navals. C'est du moins l'opinion de membres très influents du groupe
allemand, qui prétendent ne pas pouvoir proposer ou défendre, sntt
REVUE DU MOIS.

une réduction de la flotte soit une prolongation du délai de con-


struction, tant que ie commerce allemand ne sera pas sûr que la
flotte marchande sera à l'abri de tout coup de main de corsaire.
Mais cette question est compliquée de la detinition de la contre-
bande de guerre: telle puissance qui reclame l'abolition de !a course,
la retablit sous le couvert de la saisie de la contrebande de guerre
conditionnelle, car il n'y a guère de marchandise que l'on ne puisse
classer dans cette catégorie, sous prétexte qu'elle peut servir à
l'armée ennemie. La Conférence interparlementaire a prié les puis-
sances de decider à la Conférence de la pzix de La Haye d'abord
l'abolition de la ~course", ensuite la limitation du droit de blocus
aux ports de guerre et aux places fortifiées, et enfin la limitation du
concept de contrebande de guerre aux armes, munitions et appro-
visionnements de guerre destinés à l'une des armées belligérantes,
en même temps que la défense de detruire les navires portant contre-
bande de guerre ou les marchandises non interdites transportees sur
ces navires. II faut espérer que ce nouveau progrès du droit des
gens se réalisera, comme s'est realise celui d'une cour internationale
des prises: c'était en effet un défi à la raison et à la justice de faire
juger la légitimité des prises maritimes par la cour de la nation qui
avait capturé le vaisseau, et qui par le fait se trouvait être juge et
partie dans la même cause. Quelques membres de la Conférence
auraient voulu que cette cour internationale des prises devint en
même temps le tribunal permanent d'arbitrage dont les amis de la
paix: poursuivent depuis longtemps la creation, mais aucune décision
n'a été prise, d'autres membres estimant que la cour des prises exige
des juges d'une compétence si spéciale qu'elle les empêcherait peut-
être d'avoir les qualités indispensables pour le tribunal d'arbitrage.
Même les toasts des banquets donnes en ces occasions ne
manquent pas d'une certaine importance. M. Bernpert après avoir
porte la santé des monarques qui se sont le plus intéresses à la
question de l'arbitrage proposa la santé d'une souveraine à laquelle
même le têtes couronnées sont soumises l'Opinion publique. C'est
elle qui est le soutien le plus ferme des espoirs de la Conference
interparlementaire et de ses efforts pour diminuer de plus en plus
la solution violente des contins internationaux c'est elle qui par
sa constance à réclamer le désarmement finira par forcer les puis-
sances à mettre une fois la question à l'etude, maigre des difficultés
en apparence insurmontables. Ce toast à l'Opinion publique, reine
et souveraine du monde, était-tl une reponse prémeditée au discours
de Guillaume H à Konigsberg? il n'est pas impossible: les Belges
ont assez leur franc-parler. En effet au commencement des grandes
manœuvres dans la Prusse Orientale l'empereur avait prononcé un
discours où, après avoir parlé du culte nécessaire des vertus mili-
taires. de l'opportunité de laisser de coté les dissidences confes-
sionnelles au profit de l'union nationale de tous les Allemands, il
REVUE DU MOIS.

avait rappelé, ,,que les rois de Prusse ne devaient leur couronne ni


à une décision parlementaire, ni à un plébiscite populaire, mais qu'ils
l'avaient reçue de Dieu dont ils demeuraient les instruments indif-
férents << MMtn'o-M de voir du ~'oHr.* Nous ne sommes pas chargés
d'interpréter le discours impérial, mais il nous semble qu'il ne serait
pas impossible de concilier cette indifférence envers l'Opinion
pubhque professée par l'empereur, avec la Souveraineté de cette
même Opinion publique, proclamée par M. Bernaert à Bruxelles. En
effet il y a dans l'Opinion publique deux élements bien distincts
l'un variable et mobile comme les modes feminines, l'autre réfléchi,
persévérant, opiniâtre. Cet élément mobile, ce caractère de caméléon
se remontre surtout chez les libéraux, ce parti sans principe qui ne
cherche que l'avantage personnel de ses membres, qui sur la même
question disent aujourd'hui noir, et blanc, demain. Franchement on
ne peut pas en vouloir à un homme qui a une responsabilité et qui
en a la conscience, de ne vouloir pas jouer le rôle d'une girouette. Il
n'en est pas de même d'autres manifestations de l'Opinion publique:
elles sont comme la révelation de l'âme des peuples, de leurs be-
soins, de leurs aspirations vitales, et, comme l'instinct dans la vie,
ces aspirations sont en certaines circonstances aussi infaillibles
qu'irrésistibles. Les princes qui ont cherché à barrer de tels courants
ont été emportés ou ont préparé la déchéance de leur dynastie, ce
qui serait un mince malheur, mais aussi la ruine de leur pays. Il y
a d'ailleurs à côté de certaines manières de voir du jour parfaite-
ment legitimes, des courants très dangereux, auquel un
d'opinions
gouvernement ne peut et ne doit pas sans forfaire rester indifférent:
telle cette rage d'anticléricalisme à
qui pousse la gauche radicale,
laquelle le prince de Bulow décernait aux élections de igoy le
diplôme d'honneur du nationalisme, à s'allier etroitement aux pires
ennemis de la monarchie. Grâce à cette alliance, et à la campagne
sans pudeur faite contre la reforme les socialistes ont t
financière,
obtenu dans les élections partielles d'éclatants succès électoraux, qui
ne sont que le prelude de leur triomphe aux elections générales.
Avant d'avoir leur Congrès national les compagnons socialistes
étaient aller assister au Congrès international du parti à Copenhague.
Si l'union s'y fit assez facilement sur certaines
questions économiques
soumises à ses délibérations, il n'en fut pas de même sur celle du
desarmement. Les uns veulent s'en remettre là-dessus à la propa-
gande par la diffusion des idées, les autres voudraient voir décréter
éventuellement la grève générale. Les délégués français et leurs amis
avaient déposé le vœu suivant: Entre tous les moyens a employer
pour prévenir et empêcher la guerre, le congrès déclare comme par-
ticulièrement efficaces, la grève génerale ouvriere, surtout dans les
industries qui fournissent à la guerre ses instruments, armes, muni-
tions, transports etc., ainsi que l'agitation et l'action populaire sous
leurs formes les plus actives." Ce vœu se heurta à une opposition
REVUEDU MOIS.

très vive, surtout à celle des délégués allemands, beaucoup plus


chauvins que ne s'imaginent leurs coreligionnaires politiques de
France, et suffisamment opportunistes pour savoir que cette poli-
tique de sans-patrie detournerait d'eux une masse d'électeurs
séduits par les mirages de l'Etat de l'avenir, mais nullement infectés
du virus hervéique. Néanmoins on n'osa pas repousser le voeu il
faut bien sauver la face, et sur la proposition du socialiste belge,
Vandervelde, le congrès vota le renvoi de la résolution à la com-
mission internationale et au prochain congres. Toujours raseurs, les
compagnons rouges; mais raseurs gratuits, ils ne le sont jamais que
demain.
Les modérantistes de Copenhague furent les terroristes à Magde-
bourg où se révélèrent au Congrès national les progrès immenses
faits par le révisionnisme. Le programme était chargé de nombre de
questions importantes mats la curiosite du public se concentrait
sur une seule: les socialistes badois sont-ils encore orthodoxes ou
bien faut-il les anathématiser et les excommunier?
On connaît les mérans dont ils se sont rendus coupables: ils
se sont alliés formellement aux nationaux-liberaux, quelques-uns d'entre
eux ont fréquente à la cour, et ils ont vote le budget en retour
d'un compliment bien trousse que leur avait adressé le ministre
M. de Bodmann. Ils ont donc été cités à la barre du Grand Comité
du Salut public et Bebel lui-même, malgré ses soixante-dix ans et
sa santé débile, a fait fonction de procureur général. Son réquisitoire
a été foudroyant par la violence de son langage, plus que par l'efret
produit sur les accusés. On a pu voir une fois de plus que malgré
Sedan et Versailles, il e\iste encore une ligne du Main, et qu'il y a
un antagonisme profond entre l'Allemagne du Nord et celle du Sud:
à sa manière le socialiste prussien est aussi autoritaire, aussi capo-
raliste que les hobereaux les plus authentiques, et si le triomphe des
idées radicales a été du côté des Nordistes, celui des compromis
opportunistes a été du côté des Sudistes. La sentence a été à la
fois bénigne et sévère: sévère en ce sens que la conduite des Badois
et de leurs amis a été l'objet d'un blâme énergique, comme contraire
aux décisions formelles du congrès de Nuremberg, et bénigne parce que
la peine de l'exclusion a éte prononcée avec sursis. Pour cette fois,
Bebel, le grand pontife a voulu être indulgent, il ne sera impitoyable
qu'en cas de récidive, et le cas a tout l'air de devoir se présenter,
car les coupables ont hautement manifesté leur intention de ne pas
se soumettre. Quoi qu'il en soit on a vu se produire à ce congrès le
phénomène que nous avons signalé plus d'une fois l'aile radicale de la
fraction socialiste est beaucoup moins anticléricale, que l'aile droite
dirigée par les intellectuels du parti Bebel n'a pas hésité à recon-
naître publiquement les mérites du Centre dans la conquête du
suffrage universel et dans la législation ouvrière. Aussi est-ce dans
cette aile droite que le libéralisme cherche ses alliés l'anticlérica-
REVUE DU MOIS

lisme est le point de jonction entre deux tendances qui sont diamé-
tralement opposées sur toutes les autres questions. C'est la singerie
la plus évidente de la politique française de la part de gens qui se
prétendent Allemands A tous crins.
On verra plus bas la raison pour laquelle nous avons réservé
pour la fin le Contres eucharistique dont nous aurions dû parler
en tête de cette Revue, non seulement en raison de sa dignité, mais
en raison de l'éclat avec lequel il a été tenu. Les Canadiens ont
rendu leurs devoirs au Dieu du tabernacle en catholiques de vieille
roche et en vrais Americains. Tout y a été grand, immense, autant
par l'afliuence des foules que par l'enthousiasme des fidèles et la
respectueuse sympathie de ceux qui ne partaient pas leur foi. L'en-
thousiasme a été d'autant plus giand que le congrès coïncidait avec
l'abolition, dans la formule du serment du roi d'Angleterre, des
passages concernant la présence léelle et la messe.
Quelle piètre figure certains pavs d'Europe qui se targuent de
tolérance et de libéralisme font avec leurs règlements de police
étroits, chicaneurs, en face de la liberté dont jouissent les cultes
dans cette colonie Anglaise du Nouveau-Monde. Ces règlements ont
été édictés sous prétexte de protéger la liberté religieuse et de
maintenir la paix confessionnelle: on a pu voir à Québec et a
Montréal que la paix confessionnelle existe précisément parce que les
manifestations du culte s'v font sans entraves. Et à ce point de vue
déjà nous aurions \u avec plaisir que notre gouvernement d'Alsace-
Lorraine eût envové un dé)égué au Congrès eucharistique. Nous
l'aurions désiré encore à un autre point de vue, car ce délègue aurait
pu ~oir là, comment par la concession sincère d'une autonomie
véritable on fait la conquête morale d'un peuple qu'on a d'abord
réduit par la force des armes.
En effet si au Canada on retrouve par la langue, les mœurs,
la vieille France plutôt que sur les boulevards de Paris, une vielle
France qui garde avec une fierté inébranlable le souvenir des sol-
dats dont les exploits auraient dû empêcher l'annexion à l'Angleterre,
une vieille France qui éle\e des statues aux héros de la guerre de
l'indépendance, on y trouve aussi une vieille France si loyalement
soumise à la couronne d'Angleterre que si une flotte française
essayait de la reconquérir, les canons des forts partiraient tout seuls
pour la repousser. Les Canadiens enverraient surtout promener des
archivistes qui viendraient leur prouver avec de poudreux parchemins
que le Canada doit revenir à la République française parce qu'un
jour il fut soumis à la monarchie des fleurs de lys. Ce loyalisme
n'est pas venu au lendemain de la conquête anglaise il a même
passé par des crises assez violentes, chaque fois que les Anglais
prétendaient gouverner avec la main forte, tandis qu'il a augmenté
en raison même des libertés que la metoprole accordait à sa colonie.
Aujourd'hui ces libertés sont si grandes, qu'on peut reellement parler
REVUE DU MOIS.

d'autonomie: nous nous contenterions de bien moins en Alsace-


Lorraine, et si on voulait sincèrement nous accorder le peu que
nous demandons, il y a beau temps que le malaise dont le Statt-
halter se plaint dans son discours de Lorquin serait dissipé.
Si la noblesse et la génerosité des sentiments, si ia bonne
volonté suffisaient pour guérir un malade, nul doute que M. le comte
de Wedel ne soit le medecin idéal, qui arriverait à une cure complète
le malade aurait même était guen avant son arrivee, car son dis-
cours, comme on me le faisait remarquer récemment, est au moins
la cinquantième édition d'un discours, toujours le même, quoique
prononcé tantôt en Alsace et tantôt a Berlin, prononce déja avant
l'annexion légale, par le gouverneur de Bismarck-Bohten, puis par
le marechal de Manteuffel, par les Hohenlohe, par Guillaume II, par
M. de Bethmann-Hollweg etc. etc. c'est toujours le même thème,
le même melange de promesses et de menaces, de concessions à nos
douleurs et d'exigences qui répondent peu a la manière dont nous
comprenons notre dignité. Mais la bienveillance, le dévouement, la
persévérance du médecin ne sont rien; la qualite maîtresse d'un
médecin c'est son diagnostic. Or de tous les médecins qui ont traité
la grande malade, aucun n'a encore vu ce dont elle soutire, et le
comte de Wedel ne fan pas exception. Lui, comme les autres
prennent pour cause ce qui n'est qu'un effet. Pienons par exempte
la presse. Certes nous sommes loin de nier l'influence qu'elle a sur
l'opinion publique, mais la presse n'est pas seulement une bouche
qui parle, qui excite ou apaise les passions, elle est encore beaucoup
plus l'écho qui répète les mille cris de la douleur, de l'indignation,
de l'esperance populaires. La presse est un foyer qui eclaire, elle
est aussi un miroir où se lefletent toutes les pulsations, tous les
mouvements de l'âme d'une nation. Le peuple ne lit pas que des
journaux, il lit aussi sa feuille de contributions, et les quelques
chiffres qui frappent ses regards soulèvent dans son âme une tem-
pête de revolte beaucoup plus violente qu'une plaisanterie plus ou
moins rance sur les chapeaux \erts des tounsteh. Ce qu'en outre
notre gouvernement ne sait pas, c'est que ses propres fonctionnaires
chargés de faire rentrer ces impôts, excitent encore le mécontente-
ment quand, pour satisfaire leurs haines antireligieuses, ils tont
chorus avec les socialistes contre les députes qui les ont votes. On
invite toujours le peuple a regarder l'avenir. Eh bien le peuple, le
von cet avenir; ilnelevonhclas! pas autrement que sous la forme de
bataillons toujours plus nombreux, de navires toujours plus gigan-
tesques qui demanderont des impôts toujours plus écrasants. Mais
les masses populaires vivent surtout du passé. Les couches sociales
supérieures oublient très vite et se rallient facilement; en t858,
alors que dans les tréfonds du peuple italien grondait déjà l'ouragan
contre les Tedeschr, les demoisellees de la haute société milanaise
valsaient encore comme des folles avec les olliciers autrichiens. On
REVUE DU MOIS.

achète des notables, on n'achète pas le peuple lui se souvient, de


j8~o certainement, mais beaucoup plus encore de tout ce qui a
suivi iS~o. Nos paysans qui ont servi sur les champs de bataille de
Metz et de la Loire oublieront peut-être la grêle des balles et des
eclats d'obus; mais lis n'oublieront jamais la grêle de procès-verbaux
qui venait s'abattre sur eux au lendemain de chaque élection ils
n'oublieront jamais la chasse aux optants ils n'oublieront pas les
tracasseries au sujet des processions du jubilé, il y a encore cent et
cent autres choses que notre peuple n'oubliera jamais, que si par
un acte de générosité et de justice on nous rend, dans le cadre de
la Constitution de l'empire, par une autonomie complète, la libre
disposition des affaires de notre pays. Le peuple d'ailleurs voudrait
oublier qu'il n'est qu'un vaincu, que les insolences continuelles de
certains clans des vainqueurs viendraient le lui rappeler contre son
gré. Nous ne voulons pas continuer, aussi bien faudrait-il pour ré-
pondre au discours du Statthalter un gros volume qui contiendrait,
non pas comme on se l'imaginerait peut-être, l'histoire de 18~0, mais
l'histoire de ces quarante dernières années. On y verrait qu'on n'a
jamais ete avare de bonnes paroles envers nous, mais que les actes
de ceux qui etaient charges de les exécuter ont toujours eté dans
le sens opposé.

N. DELSOR.
BIBLIOGRAPHIE.

CONFESSEUR ET DIRECTEUR. 1

Le Grand-Séminaire de Strasbourg est resté depuis sa fondation le


foyer d'un enseignement correct et sûr, et ses professeurs ont souvent
enrichi la littérature théologique par des publications d'une valeur in-
contestable Qu'il suffise de rappeler le ..Catéchisme de controverse" de
Scheffmacher, la “ Théologie morale" de Laitier, la. ,Théologie dogmatique"
de Liebermann, les "Sermons" de Jeanjean, etc. Jusqu'à, ce jour cependant
la théologie ascétique n'avait point trouvé de maître consentant à faire
imprimer ses cours. M. le Prof. Adloff, avantageusement connu par ses
études dans le ,,Bulletin ecclésiastique de Strasbourg", par sa polémique
victorieuse contre le professeur Hermann de Maibourg vient en partie de
combler cette lacune.
Son étude sur le confesseur et le directeur spirituel établit d'une
façon péremptoire les rapports, la connexion intime qui existe, et qui doit
exister, entre le sacrement de pénitence et la direction spirituelle. Ce
n'est point que le docte professeur enseigne une doctrine ou une vérité
nouvelle, son livre est nourri et rempli de textes tirés des Saints-Pères
et des meilleurs auteurs ascétiques. M. Adloff se contente de relever
avec insistance un point que la théorie et la pratique modernes avait
laissé quelque peu à, l'ombre.
Le livre est divisé en cinq chapitres qui traitent successivement de la
nécessité de la direction spirituelle, des rapports entre la direction et la
confession, des qualités du directeur (science, piété, prudence), des
principes de la, direction, de la soumission due au directeur. Nombreuses
sont les conclu bions qui découlent de cette étude, mais toutes elles
peuvent être ramenées d, cette vérité fondamentale. En principe le directeur
spirituel devra être le confesseur et le confesseur ne suffit pas à son
devoir, s'il se contente de confesser. C'est pour lui un devoir impérieux
de faire progresser ses pénitents par une direction ferme et prudente,
dans la perfection en rapport avec leur état.
Les écrits antérieurs de M. Adloff ont trouvé un accueil bienveillant
chez les critiques les plus difficiles nous ne doutons point que les mêmes
qualités doctrine sûre, exposition claire, style sobre, ne procurent le
même succès au nouveau livre de notre savant compatriote.
J. GASS.

'Bc:c/!fMt<?r und Seelsorger von Dr. J. Adloff. Strasbourg,


Le Roux. 1910. m-S<\ p. 104. frcs. 2,50.
BIBMOGEArmE.

Revue d'Alsace. Sept.–Oct. A. Z.a!~e/. La Réforme des impôts


dir. en Als.-Lorr. J. H. Lambert, sa vie et son œuvre. H. Bardy et
ses correspondants a,ls. C. O&crremer.' Expéditions de N. de Boll-
willer en 1557.
Etudes. 5 Sept. La 1<~ Communion. – J. Balmès. – Les trois
âges, d'après Clément d'Alex. l'~ge critique. – Nos ancêtres gaulois. –
En Amérique latine. Un essai de tribunal populaire.
.20 ~c~t. Léon XIII et l'Eglise de France. Le P. Matthieu Ricci.
Les trois âges l'âge viril. La semaine sociale de Rouen. – Une
visite à l'Exposition de Bruxelles.
~tj~ Librairie DESCHËE & Cie,'Bruges-Pai'is-Rome. Mgr.LAPERRiNE
D'HAUTPONT. Lettres à un homme du monde sur les Epîtres de S. Paul
aux Corinthiens, m-12, 486 pp. br.. 4 frcs.
Ce que l'agglomération des sociétés si diverses et de tant de vices
Cléart de périlleux pour le christianisme dans la Corinthe du 1' siècle, la
fièvre des affaires, du plaisir, des succès mondams, joints à la plus éhontée
des coiruptions, la propagande des libres-penseurs, suffit le produire
de nos jours. L'homme du monde, dans ce milieu propice à l'éclosion des
éléments les plus hostiles au Christ, se trouve aujourd'hui dans la situation
des fidèles de Cormthe.
Quand, dans ces Epîtres, S. Paul s'élève contre les divisions, qu'il
condamne l'inceste, ou blâme l'habitude de porter les procès devant les
juges païens, quand il tiaite du maliage et du divorce, du célibat et du
veuvage, quand enfin il revendique sa dignité d'apûtie compromise, ne
croirait-on pas l'entendre s'adressant à la société modeine~
C'est ce que nous fait toucher du doigt, Mgr. G. Laperrme d'Hautpont
dans ses Lettres à Mn homme dit monde sur les .E'p!f;'<?s de S. Paul
aux Cor!)!i:c)i~. Ecrites en un style élégant, plein d'exquise délicatesse,
elles nous montient qu'aujourd'hui comme au 1~ siècle, ces Epîtres com-
battent des maux plus redoutables que les épreuves du dehors, comme
les persécutions, et dont 1 œuvre destructive est aussi sûre qu'intime, elles
nous montrent S. Paul, vengeur de la morale, législateur de la famille,
s eBorçant d'extirper de son sein le mal hideux qui la dévoie et la conduit
irrémédiablement a la ruine si elle ne se h.tte d'appliquer les remèdes
infaillibles qu'il indique. La sainteté du mariage assurée, sera le gage du
salut de la société.
L'importance des questions traitées, la supériorité d'esprit et de cceur
de l'écrivain, la connaissance approfondie de nos mœurs actuelles, le
mérite littéraire de l'ouvrage rendront la lecture de ces lettres attrayante,
instructive et utile, et leur feront trouver un prompt et bienveillant accueil
auprès des gens du monde qui n'auront pas a s'en repentir.

N. D7?L507<, ;eJac~Mr rM~'onM~fe

Sttasbourg. Typ. F. X. Le Roux &: Cie.


LE CURÉ MAIMBOURG.
(.SMt~.)

CHAPITRE II.

LE CURÉ D'OBERNAI.

Sa paroisse. Sa correspondance avec le chanoine-


secrétaire Ritteng. Le complot des dévotes
d'Obernai. Le typhup. Le provicaire. –
Sa nomination à Colmar.

M. Maimbourg quitta, le coeur aigri, mais content


quand même, ce secrétariat qui lui avait valu dans les
derniers temps de si pénibles désagréments. Pour une
disgtâce, puisque disgrâce il y avait, elle n'était pas
très grande, car il échangeait l'énervant travail du bureau
contre les fonctions du saint ministère dans une paroisse
qui déjà alors ne se donnait qu'à des prêtres très méri-
tants.
Obernai, le berceau de la grande Sainte que l'Alsace
vénère comme sa Patronne; Obernai, l'ancienne ville im-
périale, avec son glorieux passé, avec ses monuments et
ses édifices d'art, témoins de ce passé Obernai, si fa-
vorisé par la nature, riche en forêts et en vignobles es-
timés, mais plus riche encore de l'esprit religieux de ses
h abitants qui s'était manifesté d'une façon si héroïque
R~f. Octobre 19t0. ~7
LE CURÉ MAIMBOUB&.

pendant la Révolution,~ et qui a fait surgir dans leur


milieu tant et de si belles vocations sacerdotales Ober-
nai était alors ce qu'elle est encore aujourd'hui, une des
paroisses les plus catholiques du diocèse.
M. Maimbourg en prit possession, non sans joie, et
y fut accueilli de même avec allégresse. Nous n'avons
pas pu savoir le jour exact de son installation; aucun
acte de la commune ni de l'église n'en fait mention mais
les registres paroissiaux nous viennent en aide pour nous
indiquer la date approximative le curé Gondart fait son
dernier baptême le 2 juillet (1811) et Maimbourg signe
son premier acte le 3o du même mois. Le 21t août il
bénit le premier mariage, et ce fut celui de sa nièce, Marie
Antoinette Schumacher avec Joseph Fels, les deux domi-
ciliés à Ribauvillë.~

Obernai, dénoncé à diverses reprises comme un foyer de


tanatisme, figure dans le martyrologe de la Révolution, où brillent
les noms de trois de ses habitants, condamnés à mort par l'ignoble
E. Schneider, à savoir: Jean Friedeneh, vigneron et gardien du
clocher; Dominique Speisser, boulanger; executes les deux, le 3 de-
cembre, sur la place publique; Fr. Jos. Xavier Doss, juge de paix,
qui fut mené et guillotiné à Bair r le 6 decembre. Cf. Revue cath.,
annee igog, trois héros de la foi, Dr. Garnier.
Nous avons relevé dans l'état du clergé d'Alsace, depuis le
concordat, les noms de plus d'une centaine de prêtres, natifs d'Ober-
nai. L'Ordo de igio n'en marque plus que quatorze.
3 voici cet acte de
mariage
Hodie die vigesima mensis Augusti anni millesimi octingentesimi
undecimt, hora undecima matutina, in facie Ecclesia: nostrae, sacro Matri-
monii vinculo junxi, una tantum Bannorum proclamatione in Ecclesia
Rupisvillana facta, accedente dispensatione duarum proclamationum,
nulloque detecto impedimento, Josephum Fels, filium solutum Jo-
sephi Fels conarii et Barbarae Weber conjugum Rupis~illœ commo-
rantium, ac Manam Antoniam Schumacher, filiam solutam Ludovici
Schumacher horologispoci et defunctse Mariée Earbarœ Maimbourg,
dum haee viveret conjugum Rupisvillae commorantium ad nos a
Rev. Domino Meinrado Lorenzmo dimissos, de quorum hbertate ex
itsdem htteris dimissonalibus quse penes nos rémanent Huic actui
ut testes adfuerunt Josephus Fels, pater sponsi Dominus Lauren-
uus Marchai doctor medieina: Argentinae commorans Dominus
Anselmus Marchai, canonicus titularis Ecclesia: Cathedralis Argen-
LE CUEË MAIMBOURG.

A part les actes consignés dans les registres de pa-


roisse, nous n'avons trouvé à Obernai aucun document
écrit ayant trait à l'administration du curé Maimbourg dans
cette ville.
La paroisse comptait alors environ 430o âmes,l des-
servies par le curé et trois vicaires. Le curé avait auprès
de lui sa mère, si bonne, si affectueuse, la joie de sa vie
consolée de plus, l'une ou l'autre de ses nièces, filles de
son unique sœur, qui en mourant laissa sept enfants
confiés sa sollicitude.
Ce milieu, si animé d'affection, le devint plus encore
par les amis de Strasbourg, qui venaient de temps à autre
revoir leur ancien collègue, heureux de lui témoigner leur
estime, de profiter de son expérience des affaires ecclé-
tiastiques, et de couler quelques heures dans cette douce
intimité du presbytère d'Obernai. Parmi ces hôtes ve-
naient en première ligne les deux oncles, le chanoine et
le médecin, le supérieur Lienhart, l'archiprétre Vion, les
chanoines Hager, Gondart et Ritleng. Ce dernier va nous
occuper un peu plus amplement.2

tinensis, et Joannes Baptista Fels, civis coriarius caesaraemontanus,


qui viso pnus extractu civili, omnes unâ mecum signârunt.
Hunc actum fideliter transciiptum esse die XXVIII Sept. 1909,
vicanus infràscriptus testatur:
J. Bergemer, vie. ad St. Petrum et Paulum, Oberehnheim.
L'annuaire du Bas-Rhin de t8o-). accuse pour Obernai une
population de ~33() habitants celui de 1834 t'ëlève à 4823 tandis
que d'aptes notre Ordo de igio elle est descendue à 3g26 âmes.
2 Né le n mars
176-)., à Rumersheim (Truehtershetm), Georges
Ritleng fut nommé, après son ordination, vicaire à Wmgersheim où
il resta jusqu'à la Terreur. Il reparut à son poste en 1794 et 1795.
Le 26 septembre 1796 Bert de Majan le chargea de l'administration
de Schnersheim, et plus tard, de celle de Truchtersheim. En 1802
il signa son adhésion au Concordat, en qualité de curé provisoire de
Wasselonne. Lors de la réorganisation des paroisses, Mgr Saurine
le nomma à la succursale de Schnersheim et en 1809 à la cure de
Marmoutter; en t8ii il il l'appela au secrétariat pour y succéder à
Maimbourg et dès le 19 décembre de la même année il y ajoute le
canonicat de M. Gondart, promu au vicariat général, après la
LE CURE MAIMBOURG.

M. Ritleng occupait au secrétariat de l'évêché la place


de M. Maimbourg, sur la proposition duquel il avait d'ail-
leurs été nommé. Les deux étaient liés d'amitié et il
s'établit entre eux une correspondance active, quoique
intermittente.
Grâce à l'intérêt que M. Maimbourg avait à les con-
server, les lettres de son correspondant nous sont par-
venues, tandis que des siennes qui nous intéresseraient en
première ligne, il ne nous est resté qu'une épave, un
brouillon de la lettre de Paris que nous avons donnée
plus haut. II y a aux archives de St.-Martin de Colmar
une liasse de 85 lettres de Ritleng, adressées à celui
il nomme à l'en-tète «chérissime ami.» 1
qu'invariablement
Dans la période du prince de Croy, les lettres pleuvent
sous Mgr. Tharin, sécheresse complète, et à partir de i82g
plus rien. Y aurait-il eu des lettres égarées ou non con-
servées ? Ou bien, les sentiments des deux amis auraient-
ils connu l'inconstance dont s'afflige trop souvent l'amitié
humaine ? Il faudrait le croire, à en juger par l'impres-
sion laissée dans un écrit que M. Maimbourg appelle
« ses Pensées fugitives» et dans lesquelles il déverse, à l'é-
poque de sa brouille avec Algr de Trévern, l'amertume
de son cœur aigri, sur les hommes et les choses de l'ad-
ministration diocésaine.
Les lettres du chanoine Ritleng n'offrent aucun intérêt

disgrâce de M. Metz. Le chanoine secrétaire se maintint à son


poste jusqu'en 182-].; il y fut alors remplacé par Françots Delahaye.
Mgr Trevern le nomma promoteur en 182~, et vicaire géneral honu-
raire le 3o décembre i8zg. Il mourut en iS3-}., le t3 juin. Rnleng
etatt habile à manier les affaires ses compatriotes du Kochersberg
recouraiant volontiers à lui dans leurs démêles et leurs litiges on
se plaisait à dire alors que c'était le canton de Truchtersheim qui
gouvernait ]e diocèse, comme on le dira plus tard du canton de
Kaysersberg.
1 de ces lettres du 21 juillet 18 )i au
Quarante-trois 27 dé-
cembre i8i3, sont adressées à Obernai, les autres à Colmar et
échelonnées ainsi: i) y a lettres en i8i-).6 en ;8i5; t en !8t~;
3 en i8ig; i6 en !820; 3 en 1821 3 en :82y et 3 en 18:8.
LE CUB:É MAIMBOURG.

généra! il ne faudrait pas non plus y chercher un mo-


dèle de genre épistolaire. Elles sont rédigées par le chef
d'un service important qui, n'ayant alors qu'un seul sous-
ordre, allait au plus pressé commissions, renseignements,
nominations, affaires de famille, potins, tel en est le
fond; et à coup sûr, le chanoine secrétaire ne prévoyait
pas, en écrivant ses lettres, qu'un jour elles pourraient
être livrées à la publicité. Pour nous, elles ne laissent
pas que de nous distraire quelque peu, voire même de
nous instruire adressées à M. Maimbourg, nous ne sau-
rions les passer sous silence.
La première est datée du 26 juillet t8ti. M. Ritleng
prie M. Maimbourg de lui faire un état trimestriel. Puis
il raconte une scène qu'il a eue avec le chanoine B
à la suite de laquelle il se propose d'en informer le Prélat
qui était à Paris, pour lui demander de dissoudre le
Conseil, s'il veut «que l'administration continue.»
L'évêque était parti le t8 mai pour se rendre au con-
cile national, et la veille de son départ, avant voulu
pourvoir son diocèse d'une administration sûre et sage-
ment combinée, il institua un conseil épiscopal il s'en
était passé jusqu'alors, auquel il nomma les deux vi-
caires généraux Danzas et Gondard (sic), et les chanoines
Bouat, Lienhart, Marchai et Vion, leur associant Ritleng,
le secrétaire de l'Evéché, avec pouvoirs spécifiés, durant
son absence.
6 août.
"Rien de M. R j'en suis fâche pour vous. Beaucoup de Paris.
Prenez en lecture et daignez repondre aussitôt, selon le voeu du
Prélat."
Puis il donne des nouvelles au sujet des nominations
de MM. Gondart, Hager et de la sienne et termine ainsi
,Mes civilités à votre aimable nièce que je n'ai pas l'honneur
de connaître son cher frère a pris le grade de bachelier il viendra
demain. On me presse, et ;e ne fais que descendre de voiture. Mon
estomac est mécontent j'aime mieux que ce soit lui que si vous
l'étiez; car votre satisfaction fait mon bonheur."
1~ août.
Nous citons: ,M. le Supérieur (Lienhait) vient de me de-
mander pour M. Levrault la lettre mmistenelle qui permet de mettre
!jE CUm:ËMAIMBOUB&.

une prime aux catéchismes au profit du Séminaire. Le directeur gl


de l'imprimerie ne croit pas, à ce que l'on dit, qu'elle existe. Je
pense que vous l'ayez eue à Paris, ou au moins votre excellente
mémoire vous rappellera-t-elle où je pourrai la trouver. En ce
moment je reçois l'incluse du Prélat. Vous sentez quelle impression
elle doit avoir faite sur moi. Je lui ai écrit hier. J'ai demandé, en
supposant qu'on voudra laisser le secrétaire, qu'on lui laisse le jeune
Barxell, d'autant plus que M. Fritsch qui travaille avec nous depuis
le retour du Supérieur, ne semble pas se plaire à l'administration,
probablement, puisqu'il reconnait qu'il n'y brillerait jamais. J'ai dit
dans un autre passage, que je desire ardemment le retour de S. G.
et que je ne crois pas ce que le Supérieur répète, en nous assurant
que ce retour n'est rien moins que décidé. Je le désire, lui disais-je,
pour le convaincre que je ne suis ni vif, ni imperieux que quand il
s'agit de ses intérêts et de ceux du diocèse et que je n'aurai jamais
à me reprocher d'avoir eu des intelligences avec ses ennemis.
Hier nous avons dîné chez M. Vion qui est très affecté de
l'abstinence qu'on lui commande Le S. Mùller a fait à M. votre
oncle le chanoine, une avanie (?) qui lui a fait de la peine. Au mo-
ment des Vêpres, MM. les chanoines se levaient, entre autres
M. Danzas. Tout le monde cherchait à le retenir. M. votre oncle s'y
joignait en lui disant: 7<'Mfcy ~o!;c, nous irons. Sur quoi M. Muller
prit aussi la parole, en disant: T~e~rc~, A~A~!rc/M/ vous dispense."
Nous passons les lettres du 21r août, du Q, 17 et
t8 septembre, et arrivons à celle du 27 novembre. Mais
avant d'en donner connaissance, il faut que nous inter-
calions ici, pour la clarté de ce qui suivra, quelques faits
qui eurent lieu entre temps. Et d'abord l'évêque était de
retour de Paris. Le fameux concile national, appelé «La-
trocinium Parisiense~ n'avaitpas répondu aux exigences
de celui qui l'avait convoqué aussi après qu'il eut rendu
le décret de la limitation de l'institution canonique, son
œuvre parut achevée, et l'Empereur fit prier les membres
du Concile de regagner leurs diocèses. Mgr Saurine s'étant
attardé dans la capitale, le ministre Bigot de Préameneu
lui fit savoir le i octobre, «qu'il le croyait parti)), et lui

rappela l'intention formelle de Sa Majesté.


A peine rentré dans son logement du Grand Sémi-
naire, toujours encore provisoire depuis son intronisation,

1 Ainsi avec le fameux Latrocinium


appelé par analogie Ephesi-
num ou le Brigandage d'Ephèse, du 8 août 4~9.
LE CUB:É MAIMBOUB&.

l'évêque prit la résolution de s'établir pour quelque temps


à la campagne il espérait par là forcer la main à l'ad-
ministration et amener enfin la solution de cette affaire
de logement, l'objet, depuis des années, de ses préoccu-
de ses ennuis et de ses démarches.
pations,
C'est ainsi qu'a partir du 4 novembre, nous le trou-
vons au presbytère de Schnersheim, chez le curé Scheyder,
où ilséjourna tout l'hiver, et c'est de là qu'il date ses
lettres au gouvernement et qu'il dirige le diocèse. La lettre
de Ritleng, du 27 novembre, signale cette présence de

l'évoque au presbytère de Schnersheim.1

,Voici votre dispense dont je ne vous ai aucune reconnaissance.


Votre lettre passera encore aujourd'hui par l'intermédiaire de
notre cher prévôt de Schnersheim qui vous présente ses respects.
Toute ma famille que j'ai vue, en fait autant. Le décret sur les
écoles secondaires ne deplaît pas car M. le Supérieur lui-même
voulait déjà de son chef faire ce qu'il prescrit. Il l'a prevu et jamais
il ne s'est trompé dans ses pressentiments. Cela aurait certainement
servi dans bien des circonstances, si l'on n'avait pas toujours trouvé
de l'opposition de la part d'un homme que vous connaissez. Je vous
prierai au reste d'être convaincu que le Secrétaire d'aujourd'hui
saura lui laisser la liberté de faire le bien, d'autant plus qu'il est
son intime ami. Cette amitié rare ne nuira jamais à celle que je
vous ai vouée et avec laquelle je serai toujours, cherissime ami,
votre très humble et fidèle serviteur.

L'ëvêque l'annonça lui-même au ministre dans une lettre,


datée de Schnersheim, le 9 novembre 1811.
,,Je suis arrivé ici, Lundi, 4 de ce mois. C'est un village à
3 lieues de Strasbourg. Je loge dans le presbttère d'un desservant
qui, sans être grand, peut suffire provisoirement. Dès le lendemain,
j'ai écrit à M. le Préfet la lettre dont ci-joint la copie il ne m'a pas
encore répondu. S'il est embarrassé, c'est sans doute par l'exacte vérité
que j'expose et qui contredit ce qu'il a avancé plus d'une fois mal
à propos. Ses agens disent qu'il n'a pas de fonds pour louer une
matson convenable. Ils disent aussi que V. Exc. n'a pas écrit dans
le sens que je suppose dans ma lettre je prie donc V. Exc. de lui
écrire de nouveau et de lui prescrire de me procurer au plus tôt un
logement convenable. S'il n'est pas pressé par des ordres précis, je
serai longtemps sans maison, oblige d'être errant, sans demeure fixe.
S'il me fait quelque réponse, je me hâterai de la communiquer à
V. Exe. avec ma réplique."
LE CURE MAHIBOURG.

Voici la dixième lettre, datee du 2-). janvier i8<2.


A mon retour de Marlenheim où S. G. a donne la Confirmation
mardi dernier, de Marmoutier où j'at chcicm à terminer mes affaires,
de Schnersheim où j'ai \u le Prelat et M. Schecker, – ~'ai trouve
la chère Vôtre avec le 7Lot< Je vous en remercie en même temps
que je vous p)ie de ne pas nous donner tous vos paroissiens pour
pauvres. Je fus l'éte dernier chez vous je suis encore ebloui de l'or
et de l'argent qui brillèrent sur les têtes de vos femmes. Est-ce à
l'E\êcnë de pa\er ces bonnets~ – Le souvenu de M. Robert m'est
précieux. Je le salue bien amicalement avec les deu\ aides de camp.
Le 2~ janvier il fait savoir que le chanoine Hager
est à Landau, y voir son cousin de Versailles en route

pour l'Allemagne, où il est appelé à prendre le commande-


ment d'une armée d'observation à Erfurt.

~J'espère encore que sur la fin de la semaine le Prélat sera en


ville. J'ai terminé l'affaire de son logement avec M Brentano qui ne
demandait de ses deux étages jusqu'à la St. Jean que j5oo francs;
on lui en donne ;ooo. ce qui est encore trop." St-Pierre n'est
pas encore donne. S G. aimerait v nommer M. Metz. Celui-ci dési-
rait ce morceau comme tres a son goût. Cependant l'un ne veut pas
offrir, ni l'autre demander. Le Prelat en a écrit au Ministre et je
regarde la chose comme faite. M. Vton et M. Bouat consentent a cette
nomination, ainsi que M. votie oncle. En cas de refus de la part de
M. Metz, les deu\ premiers sont pour M. Oberlé, le Supérieur pour
Weis, le cure de Schnersheim pour Sche\der (c'e~t-à-dire pour lui-
même) et le Prelat assez pour ce deinier. Le Secrétaire ne s'est pas
encore déclare. Comme c'est un homme singulier, il a probable-
ment tout aune en vue; mais reussira-t-it~ Il v a a doutci que non,
a moins que M. le Recteur d'Obernë ne se mette pour lui sous les
armes. Il n'y a rien que Je ne me promette de lui je ne puis donc
que l'embrasser avec la plus affectueuse reconnaissance."
Cette fois le secrétaire n'était un homme qu'a moitié
informé, Voici ce dont il retournait M. Pallas, cuté de
St-Pierre-le-Jeune de Strasbourg, étant mort le )3 janvier
)8i2, l'ëvêque s'empressa d'écrire dès le lendemain au
Ministre, lui proposant pour cette cure, AL Metz son
ancien vicaire général, qu'il avait mis de côté et qui se
trouvait alors sans place. Il loue cette cure de St-Pierre-
le-Jeune, comme étant la meilleure de la ville et du dio-
cèse, donnant un revenu de 6000 h ânes, y compris le
casuel, tandis qu'un canonicat ne rapporterait que ;5oo francs.
Elle conviendrait parfaitement, à tous égards, a M. Metz.
LE CURE MAJMBOUEG.

,,S'tt la demande ou s'il la fait demander, écrit l'évèque, je la


lui donnerai sans dilliculté, puisque V. Exc. s'interesse si fort a lui.
Je ne puis pas mieux prouver que je ne suis animé d'aucune passion
désordonnée. 11seran à craindre dans un canonicat ('); [) ne le sera
pas tant, a beaucoup près, dans une cure. J'attendrai vos ordres a
cet égard, malgré les sollicitations qui me viennent de toutes parts
car cette cure est trcs-recherchëe."
L'ex-vicaire général crut devoir décliner cette belle
offre, lui préférant modestement un canonicat. II était du
reste très appuyé par le préfet et même par le ministre
qui menaça l'évoque d'en référer à l'empereur et lui rap-
pela le décret du mois de févner 1810, en vertu duquel
les vicaires généraux sortis de charge avaient droit à une
retraite honorable. Il n'en fallut pas tant pour décider
l'évoque à se raviser changeant de tactique, il s'excuse
auprès du Ministre (i-j. février) d'avoir par erreur involon-
taire exagéré les revenus de la cure de St-Pierre-Ie-Jeune,
lesquels au dire du premier vicaire de cette paroisse n'al-
laient qu'a la moitié du chiffre indiqué. Laissant tomber
la candidature de M. Metz pour ce poste, il en présente
une autre celle d'un prêtre « très capable et très propre à
la place, dans lequel, dit-il, il a trouvé outre les vertus
pastorales que son état demande, les sentimens du vrai
citoyen pour le gouvernement, le plus respectueux dé-
voument pour S. M. 1. et R., avec les lumières qu'on
peut exiger d'un prêtre sage, attaché à la doctrine de
l'Eglise gallicane. Un tel homme me parait d'une grande
importance dans une ville infectée d'ultramontanisme.»
Et pour donner une preuve de sa bonne volonté, il pro-
pose M. Metz pour le canonicat vacant de M. Labeyrie,
laissant au ministre la faculté de le faire agréer comme
curé ou comme chanoine. M. Metz obtint au chapitre la
place qu'il désirait, et si l'évêque en fut quelque peu
contrarié, par contre il eut en dédommagement la satis-
faction de recevoir l'agrément de son candidat a la cure
de St-Pierre-le-Jeune, et ce candidat n'était autre que
M. Scheyder, curé de Schnersheim.
C'est de cela que AL Ritleng entretient son chéris-
sime ami, dans sa lettre du 13 mars 1812.
LE CURÉ MAIMBOUR&.

,J'ai à vous annoncer le triomphe de M. Shée (le préfet) à


l'égard de M. Metz. Sa nomination au canonicat vient d'arriver; celle
de M. Scheyder va probablement suivre. Toute la ville en murmure.
Si une puissante Protection s'etait avancée contre lui, je crois que
l'histoire de Metz se serait renouvelée, le Ministre étant peu préve-
nant pour notre respectable Prélat. Il paraît que nous sommes en.
core travaillés. S. G. a l'air de son côté un peu revenu pour moi.
Elle est cependant loin de me témoigner autant d'affection que du
passé. J'ai toutefois une porte qui me reste ouverte à ses faveurs le
curé de Schnersheim m'offre de faire nommer en son remplacement
à Schnersheim celui que je lui recommanderai. Si celui-ci continue
sur ce ton, quand il sera en ville, je ne tarderai pas à donner ma
démission j'en ai jusqu'au cou."

La lettre du 2 mai annonce la mort du vicaire gé-


néral Gondart
,Je m'empresse de vous annoncer que notre cher vicaire général,
votre respectable prédécesseur, vient de terminer sa carrière. Il sera
enterré lundi matin à 8 heures. Tout le monde s'attend à voir aux
obsèques son bien-aimé successeur dont je serai toujours, avec les
sentiments que vous me connaissez, votre tout dévoué."

Deux jours après, le 4 mai, il écrivait:

,Oui, nous avons eu le chagrin de perdre notre cher vicaire


général, mais ce qui nous peine particulièrement à cette occasion,
c'est que tout le monde nous assure que son successeur veut à tout
prix le suivre. Où est donc ce juste esprit que l'on connaissait dans
le vaste diocèse à notre cher M. Maimbourg? Je ne dis pas plus;
nous nous joignons tous à vos paroissiens qut se désolent de vos
saintes folies. Pensez que vous êtes par adoption père de famille et
que vous êtes curé conservez vous à vos enfants et à vos ;parois-
siens, sans quoi point de passe-port pour le Ciel.
P. S. Ceux qui pensent comme vous, désireraient que M. Hirn
fût nommé grand vicaire.' Le Prélat résiste. Tant pis 1 Il ne veut
pas augmenter le parti des siens au chapitre."

Dans une lettre sans date, à placer entre le 4 et le


26 mai, nous lisons:
,Chérissime ami, le St-Esprit vous viendra le jour que vous
désirez; mais les théologiens enseignent que l'effusion de ses dons
se communique aux mortels à proportion de leurs bonnes disposi-
tions. Ainsi ayez soin de commencer votre retraite et d'ordonner

1 Et de fait c'est M. Hirn


qui fut nommé vicaire général, en
place de feu M. Gondart.
LE CURÉ MAIMBOUBG.

des prières publiques à telle fin que de droit. S. G. vous y autorise.


Ma soeur vous remercie de votre cher souvenir, et vous prépare la
soupe pour demain.
26 mai affaire de famille. Il annonce qu'il avait
destiné l'abbé Rhinn
pour le vicariat de Colmar, mais
que le Supérieur veut le placer à St-Jean de Strasbourg,
dans l'espoir de le joindre au personnel de son séminaire.
,Mùller sera de cette manière remplace par un nommé Wetzel
qui a plus d'extérieur et jouit d'une bonne réputation. Je pense qu'il
sera à la satisfactiou du curé Reech. Il est encore question d'une
assemblée d'Evêques à Paris la prochaine fois je pourrai vous en
dire plus."
M. SCHICKELE.

(A suivre.)
LE ,,BON V!EUX~ VOLKSFREUND.
etfin.)
(Suite

Le feu une fois mis aux poudres, rien ne pouvait en


arrêter l'explosion. La marche naturelle des polémiques
religieuses conduit a l'examen de la parité observée dans
la vie publique. Aussi voyons-nous la statistique confes-
sionnelle faire son apparition le 23 mai i86q. Elle nous
donne la répartition des cultes dans les collèges électoraux
du Haut-Rhin en 1864.
Voici ce tableau qui ne manque pas d'un intérêt
rétrospectii
jP;'<'M!cr~<r!Cf

Cantons catholiques protestants juifs


Colmar 17760 4492 1128
Andolsheim 5 942 6182 739
Kaysersberg 13885 3984 51
Lapoutroie 13 356 58 2
Munster 6896 10493 36
Neuf-Brisaeh 8359 1043 664
Ribeauvillé 14777 1840 710
Ste Marie-a-M.. 15058 5830 165
Wintzenheim 13817_167 1164
109750 340S9 4559

Deuxième district

Mulhouse 65123 11262 883


Ensisheim 15874 279 397
Habsheim 18564 1227 5M
Huningue 17370_741 1613
116 931 13 509 3 434
LE ,,BON VJEUX" VOLESFREUND.

Troisième district

Belfort 15332 266 338


Dannemarie. 9393 48 119
Delle 14500 1813 45
Fontaine 7 738 64 447
Giromangy 13928 101 68
Altkirch 17579 173 395
Ferrette 14 482 2~3 496
Hirsingue 12 908 90 345
Landser 12951 20 446
1:8801 2828 2699

QiMfrt'PtHC ~)~f)'Ct
Guebwiller 21310 1075 302
Massevaux 13854 2C6 101
Roufach 13783 52 711
St Amarin 17938 183 106
Cernay 13258 647 500
Souliz. 9427 226 776
Thann. 20 MO_626_380
109 714 3015 2876

Ensuite on se mit à comparer la distribution des


fonctions publiques et la proportion numérique des cultes.
A Mulhouse où les catholiques formaient environ cinq
sixièmes de la population, les deux membres du conseil
général, le maire, les trois adjoints et cinq sixièmes du
conseil municipal sont protestants et, pour les élections
législatives, les électeurs ont le choix entre deux pro-
testants. Ayant décidé la construction de deux nouvelles
églises, la municipalité dépensa i 3ooooo francs pour celle
destinée au culte catholique, et 2 600000 pour le nouveau
temple.
A Bischwiller, la disproportion est moins grande. La
population se divise en 2~70 catholiques, 7186 pro-
testants et 2~.6 juifs. Dans le conseil municipal, sur 2~.
membres il n'y a que deux catholiques et un juif, quand
les premiers devraient proportionnellement avoir six voix.
Les traitements pour l'enseignement (Qa5oir.) sont répartis
entre 6 instituteurs protestants et 2 catholiques de façon
à ce que les premiers reçoivent y 700 fr. et les derniers
LE ,,BON VIEUX" VOLKSFREUND.

2 25o fr. le traitement des aides protestants. Pour


l'enseignement de 280 filles protestantes, on dépense
33oo fr. et pour celui de t~o filles catholiques, seule-
ment 1200 fr. A travail égal, le traitement des catholiques
est toujours inférieur.
AWissembourg, contre 2 535 protestants, il y a 24:1 ca-
tholiques et 283 juifs. Cependant le maire et les adjoints sont
protestants. Au conseil municipal il y a protestants, 10
catholiques et un juif. Les traitements du corps enseignant
sont répartis de telle façon qu'un garçon catholique ne
coûte que 21fr., tandis qu'on en dépense 27 pour un
garçon protestant. De même pour les filles catholiques la
dépense est de 13fr., pour les protestantes de j8. A la
salle d'asile, on compte 5 et g francs.
A Wasselonne, il y a 22g6 catholiques et 2012 pro-
testants. La majorité des catholiques est donc de 28~.
Malgré cela au conseil il n'y a que g catholiques contre
protestants. Les autorités sont toutes protestantes, à
l'exception d'un adjoint. La commune dépense pour un
garçon catholique 17fr., pour un protestant 26 fr. pour
une fille catholique 11fr., pour une protestante i5 fr.;
à la salle d'asile les chiffres afférents sont de 8 et g fr.
Les proportions sont analogues à Brumath et à
Haguenau.

A côté de la question religieuse le P'b//i'reMH~ s'oc-


cupait d'une manière suivie de l'enseignement. Une série
d'articles pédagogiques occupe une place importante dans
les années 1867 et t868. Sous le titre Der Dor/~c/:M~-
Mc~er, leur auteur nous représente un vieil instituteur,
le père Beyschlag, qui expose, au profit de jeunes con-
frères, ses longues expériences, ses méthodes d'enseigne-
ment, sa position dans la commune, sa manière de vivre.
Le petit journal, qui ne manquait pas de relever les
mérites des Frères enseignants en les défendant contre des
attaques malveillantes ou en relevant leurs succès aux
concours (ils eurent p. ex. ces deux années des élèves qui
entrèrent premiers à l'Ecole impériale des Arts et Métiers
LE BON VIEUX" VOLKSFREUND.

de Châlons), s'adressait cependant dans ces articles aux


instituteurs laïques. C'est pourquoi il cherche à donner
certaines directions aux jeunes gens qui, sortant de l'école
normale, n'ont pas toujours le calme et la mesure qu'il
faut dans les rapports avec leurs élèves ou leurs supé-
rieurs, avec les autorités civiles ou religieuses de la
commune.
Quant aux résultats de l'instruction, tout en se ré-
jouissant du petit nombre d'analphabets que la statistique
de t866 avait relevés en Alsace, il se plaint de ce que
dans certaines écoles, les instituteurs aient trop d'élèves
dans leurs classes et ne puissent pas s'occuper suffisam-
ment de chacun. Il établit même, en octobre !86y, une
statistique ressemblant à celles qu'il donnera en 1860
pour Bischwiller, Wasselonne etc., mais qui n'a, dans la
forme de sa publication, rien du caractère combatif des
polémiques confessionnelles de la suite. A Strasbourg,
qui, dit-il, pourrait bien être la ville la mieux organisée
au point de vue de l'instruction, il trouve dans les rapports
de t865 que 10 instituteurs et 7 aides catholiques faisaient
classe à [~26 élèves, 1instituteurs et 7 aides protestants
à 960 élèves. Les maîtres d'école catholiques avaient donc
en moyenne 84 garçons, les protestants 56 nécessaire-
ment les premiers devaient avoir moins de succès que les
seconds. Pour les dépenses, la proportion est renversée,
la ville dépensant 20000 francs pour les 960 élèves pro-
testants, donc 20 francs par tête, et seulement 17282 francs,
Soit 2 francs par tête, pour les i ~26 garçons catholiques.
Le ~o/~s/r~KM~ en conclut qu'il faut augmenter le nombre
des instituteurs catholiques, afin que leurs écoles puissent
donner le même résultat que celles du culte protestant,
et cette conclusion paraît logique.
Or, c'est le contraire que réclamait, à ce moment, la
politique des francs-maçons. Sans aucune étude des besoins
de l'Alsace, on y transplanta la politique des francs-maçons
belges. Jean Macé créa sa Ligue de l'Enseignement qui
demandait l'enseignement obligatoire. En Alsace au con-
traire, c'était le nombre des maîtres d'écoles, dont les
LE ,,BON VIEUX" YOLKSFKEUND.

classes étaient déjà surchargées, qui devait être augmenté.


Dans aucun autre département de France, les personnes
ne sachant ni lire ni écrire n'étaient moins nombreuses.
Nulle part le mouvement en faveur de l'instruction obli-
gatoire n'était donc moins nécessaire. Serait-ce pour ces
quelques ignorants qu'on aurait commencé une campagne
dont 1effet aurait été d'augmenter encore la surcharge des
instituteurs? Pourquoi alors l'Alsace était-elle le pays d'où
devait partir ce mouvement en France'' L'instruction
o~a/o~'c n'était, en réalité, que l'étiquette plus engageante
sous laquelle on voulait faire passer l'enseignement /jï~Ke
ou plutôt exclure les frères des écoles. Aussi les catho-
liques s'opposérent-ils à ce mouvement et ce fut l'un des
points sur lesquels porta le conflit religieux lorsqu'il éclata
dans la suite, et domina, dans bien des circonscriptions
alsaciennes, les élections législatives de i86c).
Le ~o~/rc/y;~ s'opposa dès le début aux entreprises
de Jean Macé, en dénonçant le fond de ce mouvem
en le ramenant a ses sources belges et en posant, e
exemple à éviter, le grand-duché de Bade.

Dans l'instruction publique une question intéressait


spécialement le ~rc~(.~ et lui a valu d'être cité
souvent apiès t8~o: celte de la langue allemande. Les
velléités qu'avaient eues, a un moment donné, un inspec-
teur d'académie venu de loin et ne connaissant pas le
pa\s, étaient passées. On ne pensait plus en Alsace à
diminuer l'enseignement de l'allemand; bien au contraire.
Cette langue avait, d'après les programmes, droit à trois
quarts d'heure d'enseignement par jour. Mais le père
Beyschlag, dont nous venons de parler, trouvait moyen,
d'accord avec le règlement et avec l'approbation de ses
supérieurs, d'augmenter le temps consacré a l'allemand,
p. ex. en cultivant aussi le chant allemand à côté des
chansons françaises.
Un point sur lequel tout le monde, inspecteurs,
examinateuts et instituteuts, était d'accord et qu'il faut
LE ,,BON VIEUX" VOLKSFBEUND.

retenir, c'est que les écoles dans lesquelles les deux langues
allaient de pair, étaient de beaucoup supérieures à celle
où l'on négligeait l'une d'elles. Les enfants savaient s'ex-
primer dans les deux langues et les écrire correctement,
ou bien ils n'en savaient aucune H résulte des affir-
mations catégoriques de nos gouvernants actuels et de nos
pédagogues que l'annexion a rendu plus bête notre
jeunesse d'Alsace Il est impossible aujourd'hui, paraît-
il, de lui enseigner deux langues; cela n'est plus possible
qu'en Suisse ou dans le Luxembourg
A ce moment tout le monde était d'accord a faciliter
l'enseignement de l'allemand dans nos écoles et à en
recommander l'étude a côté de la langue nationale. Le
ministre Duruy avait déclaré le g mars 1867 à la tribune
du Corps législatif: ((Nous ne pouvons songer a détruire
chez nous l'usage de l'allemand, alors que nous nous
attachons à la propagation des langues étrangères dans
nos collèges, et qu'en Alsace l'allemand est un moyen de
communiquer avec les populations voisines de l'Allemagne.»
Aussi lorsque le couple impérial, revenant de la fameuse
entrevue de Saltzbourg, passa par Strasbourg le 2~. août
1867, on organisa une manifestation impériale en faveur
de cet enseignement. L'empereur Napoléon reçut les
instituteurs de la ville avec leurs élèves, l'impératrice
Eugénie, les écoles de filles avec leurs maîtresses, et les
deux firent des allocutions dans lesquelles ils recom-
mandèrent l'étude de l'allemand. Le préfet, baron Pron,
s'empressa de porter ces encouragements à la connaissance
du conseil départemental pour l'enseignement primaire
en octobre 1867.
On voit que le gouvernement français ne se contentait
pas simplement d'avoir mis dans le règlement des Ecoles
primaires du Bas-Rhin: « En raison de la situation topo-
graphique et des besoins du département du Bas-Rhin,'
l'enseignement primaire comprend, en outre, dans ce
département, la lecture et l'écriture allemandes ».
Ce n'est donc pas l'administration qui était en défaut,
et ceux qui ont rappelé depuis qu'il y avait eu, a un
Revue. Octobre 1910. 38
LE nBON VIEUX" YOLKSFBEUitD.

moment donné, une question de bilinguisme avant la


guerre, auraient dû examiner équitablement comment elle
avait été soulevée. S'il y a eu un zèle excessif de la part
de l'un ou l'autre fonctionnaire, il n'est pas permis de
généraliser et d'en rendre responsable un gouvernement
et une administration, qui ont su reconnaître les intérêts
de la population. Mais il aurait aussi fallu reconnaître
d'autre part que si l'Alsace tenait à son dialecte, elle
n'avait pas beaucoup de sympathie pour la langue écrite.
Un fait mérite d'être souligné à ce point de vue. Malgré
les encouragements donnés en 1867, à l'examen, le 16 mars
1868 à la sortie de l'école normale, aucun candidat ne se
présenta pour se faire examiner en allemand. Ce n'est que
sur les instances de la commission d'examen que deux
candidats sur quatorze déclarèrent vouloir se faire inter-
roger sur la langue allemande. L'inspecteur Duval-Jouve
se prononça très sévèrement contre la négligence de cette
étude, et le Bulletin académique du Haut- et du Bas-Rhin
renouvela le 3o mars 1868, cette réprimande formelle:
« Parmi ces matières (langues vivantes), il en est une
pour
laquelle la commission s'attendait à recevoir autant de
demandes d'interrogation que de candidats admis cette
matière est enseignée dans toutes les écoles du départe-
ment, elle occupe une place dans le programme officiel
de l'Académie; on l'enseigne aux maîtres-élèves de l'Ecole
normale. Nous voulons parler de l'allemand, que l'im-
mense majorité des candidats parlent dans leurs familles.
La commission, par l'organe de son président (M. Duval-
Jouve, inspecteur d'académie) n'a pu s'empêcher d'exprimer
sa surprise et a vivement engagé les futurs instituteurs
à ne pas oublier que l'allemand non pas le patois
alsacien, mais la langue écrite et classique fait partie
du' cours d'études dans nos écoles qu'il est parfaitement
possible de cultiver, d'étudier sérieusement, de propager,
de populariser la langue nationale, le français, sans négliger
l'allemand. Tout instituteur alsacien devrait tenir a hon-
neur de se faire donner cette mention facultative sur son
brevet.»
LE ,,BON VIEUX" VOIiKSFEEUIfD.

Pourquoi ceux qui ont voulu rendre toute l'admi-


nistration française responsable du zèle intempestif de
quelques rares personnages, n'ont-ils pas relevé ce manque
de sympathie de la population alsacienne pour la langue
allemande écrite?
Notons que la campagne entreprise par le Volksfreund
pour répandre les encouragements du gouvernement et
pour amener les jeunes instituteurs à s'occuper davantage
de la langue allemande a été faite par M. J. B. Guerber, qui
était officier d'académie et membre de la commission
d'examen pour l'enseignement primaire dans le Bas-Rhin.

Et maintenant poussons notre étude d'un côté où le


bon vieux Volksfreund, à cette époque, aurait été bien
étonné de se voir ausculter. Qui donc pensait alors en
Alsace que parmi les gens qui traversaient notre pays, il
y en avait qui venaient faire des enquêtes secrètes, qui
non seulement épiaient notre langage et observaient nos
mœurs, mais allaient jusqu'à scruter nos cœurs ? Le pro-
fesseur Karl Vogt, dans sa protestation contre l'annexion,
nous en a révélé l'existence, après que les pamphlets de
Treitschke et de M. Adolf Wagner nous en avaient déjà
fait voir les résultats d'ailleurs négatifs. Certes, les
rédacteurs de la petite feuille paraissant en langue alle-
mande n'ont jamais eu l'idée de mettre en question la
nationalité du pays. Mais puisque ce point a acquis,
depuis, une telle importance dans l'histoire de l'Alsace,
il est peut-être permis de lire entre les lignes.
D'abord il faut faire une distinction assez curieuse
entre deux synonymes dont nous ne faisons plus usage
Deutscher et Deutschlànder. Pour le Volksfreund la pre-
mière de ces expressions n'est pas très définie elle com-
prend aussi l'Autriche avec le Tyrol, Berne, le Luxem-
bourg on croirait lire un journal pangermaniste Par
contre Deutschlànder est plus précis et ne comprendfque
LE nBON VIEUX" YOLKSFREUND.

l'Allemagne proprement dite. Ce terme comporte-t-il une


certaine nuance? C'est bien difficile à dire pour une
expression qu'on ne connaît que par son image typo-
graphique. Mais en lisant que dans la rue de l'Epine un
jeune strasbourgeois a été assassiné par un Deutschlànder,
ce mot résonne à mes oreilles comme la forme écrite du
mot Schivob. Ai-je raison ?
Il y a des Allemands, Deutsche pour préciser, auxquels
le Volksfreund porte un intérêt particulier ce sont ceux
de Metz, de Paris et de Marseille, une fois aussi aux
émigrants arrivant à New-York. Pour les premiers, la
raison me paraît évidente étant le journal de langue
allemande et de caractère religieux le mieux à la portée
des importantes paroisses allemandes de Metz, de Paris
et de Marseille, il a eu des lecteurs dans ces colonies
étrangères et il tient à rendre compte de ce qui s'y passe.
En i852, l'évêque de Metz s'était ému de voir environ
7000 Allemands, venus principalement du pays rhénan,
du Palatinat et du Luxembourg, et établis à Metz ou dans
les environs, être privés de tout secours religieux. La
Compagnie de Jésus lui offrit ses services, et le père Thro,
un alsacien, entreprit l'apostolat de cette population. Il
eut de brillants succès. Des sermons hebdomadaires à la
cathédrale, des offices à St Clément furent spécialement
destinés aux allemands des sociétés de secours mutuels,
le refuge de Ste Blandine vinrent à leur aide, de sorte
que les catholiques allemands formèrent bientôt à Metz
une sorte de paroisse qui célébrait annuellement sa fête
patronale à la St Ignace. Le Volksfreund ne manque
pas d'en rendre compte, surtout en 1868, lorsque au-dela
de 4000 personnes prirent part à cette fête, rehaussée par
la présence du cardinal-archevêque de Besançon. Ce
dernier adressa quelques paroles en allemand à l'assemblée
après le sermon du P. Thro, et reçut, dans l'après-midi,
une députation allemande, avec laquelle il s'entretint de
nouveau dans leur langue.
A Paris, notre petit journal est assez répandu dans la
classe ouvrière de langue allemande. Aussi ne manque-t-il
LE ,,BON VIEUX" VOLKSFBEUND.

pas de rendre compte des missions allemandes prêchées


à Clichy ou au faubourg St Antoine ou à recommander
la maison de refuge de Mme Braun aux jeunes filles de
langue allemande qui iraient à Paris.
A Marseille, les Allemands sont au nombre de 20000.
Les catholiques ont leur paroisse, leur curé, leurs offices,
leur école de filles. Mais ils voudraient encore, comme
les protestants qui pourtant sont moins nombreux, avoir
une école allemande pour garçons. Mais n'ayant ni local,
ni instituteur, ni argent, ils organisent une loterie et
s'adressent à la charité alsacienne.
Dans tout cela, il y a évidemment une sympathie
pour des corréligionnaires parlant la même langue et se
trouvant dans une situation digne d'intérêt. Mais il n'est
pas possible d'y voir autre chose. Le Voïksfreund voit
d'un œil absolument indifférent le concours de tir franco-
allemand qui eut lieu à Strasbourg les 28 et 29 juin 1868
et où les Nancéens gagnèrent quatorze prix tandis que
les Allemands n'en remportèrent que très peu. Le congrès
des sociétés de tir allemandes à. Vienne ne lui donne que
l'occasion de s'étonner que les amateurs de tir et de chant
ne peuvent pas se réunir sans parler de politique ou de
religion, et il ajoute: «Ce que ces messieurs veulent
saboter (pfuschen) en politique, comment ils veulent créer
l'unité de l'Allemagne et pour cela déchirer l'Autriche en
morceaux, tout cela ne nous regarde pas .»
Si vis-à-vis de l'Allemagne en général, il y a indif-
férence, il y a antipathie prononcée contre la Prusse. «La
Prusse, dit le Voïksfreund en 1869, est une nation pro-
testante, bien que petit à petit elle se soit incorporé tant
de provinces catholiques qu'aujourd'hui presque la moitié
des Prussiens, c.-à-d. deux cinquièmes, soient catholiques.
Mais, comme dans tous les pa} s protestants, les catho-
liques sont soigneusement tenus sous l'eau: Presque la
moitié des habitants est catholique mais pas un ministre,
pas un général et très peu de fonctionnaires le sont. »
Cet article date, il est vrai, de l'époque où la question
de la parité joue un rôle important. Auparavant la Prusse
LE BON VIEUX11 VOLKSl'REUND.

est pour le Volksfveund le pays qui annexe et qui cherche


à s'imposer à l'admnation de tous.
Un article sur Berlin commence par ces mots « De-
puis la fameuse bataille de Sadowa, la capitale de Prusse
est devenue beaucoup plus intéressante qu'autrefois, telle-
ment intéressante pour certains qu'ils en ont oublié leur
honneur de citoyen. Il faut donc que nous aussi nous
jetions un regard vers la ville sur la Sprée avec son
peuple vaniteux et vantard (ruhmsiichtig- und prahlhansig);
pas pour admirer ces gens, car ils s'admirent suffisamment
eux-mêmes, mais pour voir quelle est la situation des
catholiques dans cette métropole protestante .» Cela
n'est guère encourageant. Le compte-rendu de l'exposition
de 1S67 parle de la « rue de Prusse », où tout est froid,
noir et régulier. On y voit d'abord le canon de 5o 000
kilogrammes. Mais « ce qui me frappe après les canons,
ce sont les nombreux aigles noirs. De leurs griffes ils
accrochent leurs corps desséchés à tous les coins comme
si les Prussiens avaient voulu envoyer à l'exposition toutes
les chauves-souris, qu'ils ont trouvées dans les clocheis
du pays. D'autres Etats ont aussi leurs écussons et les
ont placés à des endroits convenables; mais cette orgie
d'aigles ne connaît pas de bornes, et l'on voudrait
s'écner Seigneur arrêtez cette bénédiction!» » Vient en-
suite la question des titres. Ayant demandé à un gamin
alsacien ce qu'il faisait, le Volksfreund avait reçu cette
réponse claire: Ich diene in der «Krone» beim Stallknecht.
Il s'en souvient en lisant qu'un commissaire de police
n'avait pas compris quelle pouvait bien être la piofession
d'un individu arrêté comme mendiant et que son passe-
port définissait: « Joseph Lachmann, beim niederen Schul-
jpesen angestellter Unterlehrersgehilfe.»
Mais les annexions C'est ce qui revient le plus sou-
vent quand il est question de la Prusse. Les Bavarois,
en 1868, ne craignent pas seulement le Prenssischiverden
pour l'Allemagne du Sud, ils s'inquiètent de l'indépen-
dance de l'Autriche elle-même. « On annexera d'abord
toute l'Allemagne, ensuite on aura tôt fait de mettre
LE ,,BON VIEUX" VOLKSPEEUND.

l'Autriche dans le sac. » A Cassel, les soldats hessois et


prussiens se battent fréquemment. Dans le Nassau, les
anciens partisans de la Prusse reviennent eux-mêmes à
d'autres sentiments en voyant leur ancienne richesse dis-
paraître par suite des impôts prussiens.
Les Francfortois sont plus spirituels. Un officier
prussien leur ayant dit que la Prusse ferait de leur ville
un paradis, « C'est pour cela, lui répondit un habitant,
qu'elle commence par nous déshabiller. Cette situation
amenait beaucoup de monde à émigrer. Aussi le roi de
Prusse, voyant un groupe de personnes prêtes à partir
en Amérique avec leurs bagages demanda s'il n'y avait
donc pas de moyen d'enrayer cet exode. Un auditeur
déclara timidement qu'il savait un bon moyen, mais qu'il
n'osait pas le dire. Le roi Guillaume insista cependant et
reçut finalement cette réponse « Annexez l'Amérique à la
Prusse, personne n'y ira plus » Malgré cette boutade, on
prétendait que le roi se plaisait beaucoup à Francfort et
voulait venir y résider de temps en temps « On n'y est
gêné en rien, disait-il; personne ne me regarde même
dans ce pays-ci »
Qu'on plaisante sur le dos des Prussiens, cela fait
toujours plaisir à entendre mais que ceux-ci ne cherchent
pas de leur côté à faire des plaisanteries Le bon vieux
Volksfrewid les trouverait mauvaises. Voyez plutôt ce
qu'il raconte d'après un journal de Toulon au printemps
1867. Trois matelots d'un navire prussien faisant escale
à Toulon, se promenaient au bord du bassin lorsqu'un
petit pioupiou passa à côté d'eux portant quelques gamelles
plaines de soupe. L'un des Prussiens le regarda par dessus
l'épaule et dit à haute voix à ses camarades « Wie viele
von den Soldâtchen kônnte einer von uns anffressen? '»»
Il avait à peine fini sa phrase, que les gamelles étaient
déposées à terre, que deux coups de poings avaient ren-
versé ses deux compagnons par-dessus le bord du quai,
tandis que lui se trouvait abattu aux pieds du petit soldat.
« Es sin jet%, glaiv' i, keni melz do», déclara celui-ci en
reprenant ses gamelles. C'était un Alsacien qui avait
LE "BON VIEU\" TOLK&PEEUND.

compris la phrase moqueuse des Prussiens, et avait tenu


à se rendre justice sur l'heure.

Laissons, sans conclure, le lecteur sous l'impression


de ces plaisanteries qui, alors, n'étaient pas considérées
comme de la politique, ni punies comme des délits.

PAUL-ALBERTHelmer.
UN CASTEL FÉODAL
OU LE

CHATEAU DE WERDE ET SES PROPRIÉTAIRES

{Suite.)

A cçtte époque, une sourde attaque contre Henri-


Sigebert partit du fond de l'Italie. Le jeune Conradin,
fils de l'empereur Conrad IV, qui portait le titre pure-
ment nominal de duc de Souabe et d'Alsace, n'aimait
pas les comtes de Werde, parce qu'ils avaient porté les
armes contre son père et son aïeul. Quoiqu'il ne pût
jamais mettre le pied en Allemagne, il avait maintenu ses
droits sur le trône de ce pays. Pour faire acte d'autorité
et instigué d'ailleurs par Louis de Lichtenberg, il céda à
ce dernier le landgraviat de la Basse-Alsace à la condi-
tion de s'en emparer a ses risques et périls et sans
danger pour Conradin. Comme le landgraviat dépendait
de son duché, pensait-il, il aurait le droit de le trans-
mettre à un dynaste qui s'était toujours montré fidèle à
la famille des Hohenstaufen. Toutefois cette translation
n'eut point d'effet, et le dernier duc d'Alsace périt sans
que les Lichtenberg eussent essayé de faire valoir un
droit quelconque.
En 1265, le comte Henri-Sigebert racheta la bete
petitio, precaria ou taille 1 de Kolbsheim pour une

1 Hanauer, Les cours colongères en Alsace, p. 25o. – V. Scherz,


Glossartum Germanicum au mot bete, bette.
UN CASTEL FEODAL

somme de 195 marcs = 10 000 francs.l (Arch. dép.,


G. m.)
Le landgrave ne compte pas encore trente ans et il
va être frappé dans ses affections les plus chères. Ger-
trude de Dicka paraît pour la dernière fois dans l'affaire
du wildgrave et a dû quitter la terre bientôt après, puis-
que nous trouvons son époux remarié en 12G9. Elle lui
laissa trois fils et deux filles Jean qui lui succéda dans
sa dignité, Sigebert dont le nom se trouve dans des actes
de 1273 et 1298 comme chanoine de l'église de Stras-
bourg, et Henri rappelé avec Sigebert dans une charte de
1280. Des deux filles, l'une Elisabeth,2 était mariée en
1269 à Anselme II de Ribaupierre l'autre, Suzanne,
donna sa main, en 1278, à Walther II de Hohen-
géroldseck, neveu du fameux évêque Walther.
La mort de la comtesse a dû être d'autant plus sen-
sible à Henri-Sigebert qu'elle le séparait de la compagne
de son jeune àge, de celle qui avait partagé toutes 5es
joies et toutes ses peines, alors qu'il était orphelin et sans
famille, sa propre mère s'étant conduite envers lui plutôt
en marâtre. Après son deuil, il dût songer à la rem-
placer à la tête de sa maison et il tourna ses pensées
vers la puissante maison de Ribaupierre, voisine de ses
domaines. Une alliance avec cette noble famille lui pa-
raissait d'autant plus naturelle qu'il y trouvait déjà Sige-
berte, sa tante, unie à Anselme Ier, qui vivait encore.
Son choix tomba sur Berthe, fille d'Ulnc IV et le ma-
riage eut lieu au printemps de 126g, puisque le land-
grave, dans une charte datée du jour de l'Ascension de
la même année, donne à Ulric le titre de beau-père.
Nous ne connaissons pas la dot de Berthe aussi peu que
le douaire que lui fit son mari. Il paraît qu'il y eut, à
cette occasion, différentes combinaisons qui nous sont in-
connues et auxquelles se rattache la charte dont nous
venons de parler. Dans ce document, le landgvave donne

1 llanauer, Etudes économiques, I, fi.


5 Als.
dipi., Il, 45, N° 768.
OU LE CHATEAU DE WEKDE ET SEti VROPRIÉ'f AIEES.

en sous-fief à son beau-père unserme suehere les


biens qu'il tenait du duc de Lorraine, savoir: le château
de Hohenkœnigsbourg, la petite ville de Saint-Hippolyte
et le village d'Enzheim da\ hus \u Kungesburge und
Sanpùlt und Enshem und ailes da\ gut da\ \u deme lehene
wir von démine liant von 1
horet, dai her~ogen Lutringen.1
Cette collation fut munie du sceau de Henri-Sigebert et
de celui de l'évêque de Strasbourg. La pièce, citée par
Schœpfïin, est en allemand. Nous ignorons si l'original
fut écrit dans cette langue toujours est-il que c'est à cette
époque que l'on commença à s'en servir dans les actes
publics et que c'est Berthe de Ribaupierre qui passe pour
l'avoir employée la première en Alsace.
L'union de Berthe et Henri-Sigebert doit s'être
écoulée d'une^ manière bien paisible, puisque l'histoire ne
fait presque pas mention du landgrave pendant les dix
années qu'elle dura. Ce silence de la Chronique n'est pas
un médiocre éloge du comte de Werde à une époque
aussi tourmentée, aussi pleine de désordre et de confusion
que celle où il vivait. L'année même de son propre ma-
riage, il fit épouser a sa fille Elisabeth le jeune sire de
Ribaupierre, Anselme U le Téméiaire, qui lui constitua
un douaire de 400 marcs d'argent garantis sur la dîme
d'Ammerschwihr.2 Le caractère doux et paisible de la jeune
fille devait singulièrement trancher sur celui de son époux
qui était violent, querelleur, rancunier autant qu'auda-
cieux. Leur union devait donc n'être pas heureuse.
L'interrègne, le terrible Faustrecht, touchait à sa fin.
Le valeureux landgrave de la Haute-Alsace, Rodolphe
de Habsbourg, venait d'être élevé au trône par l'assem-
blée de Francfort, le 3o septembre 1273. Henri-Sigebert

1 Alsatia- socero sua Ulrico de Rappol-


Sigebertus landgravius
stein feuda sua Lotharing. confert. an. mbg. (V. Als. dipl., II, Nu66o,
ex autogr. tabulant Rappolst.)
s L'acte est
passe dans la ville de Ribeauvillé – in der statt ^u
Ropolt^wilr. (Als. dipl., II, 45.) Elle mourut apies 1290: Dis^e land-
grâffin ligt im closter jun augustinern hie begraben. (Arch. de la
Hte Als., Varia Rappolsteinensia.)
UN CASTEL FÉODAL

accompagna Conrad de Lichtenberg, évêque de Stras-


bourg, dans son voyage à Aix-la-Chapelle pour assister
au couronnement du prince et pour recevoir de ses mains
la confirmation de sa charge et de ses autres fiefs impé-
riaux. Le 18 octobre 1275, il se trouva dans la suite de
Rodolphe, qui allait à Lausanne pour la prestation du ser-
ment du roi des Romains entre les mains du pape Gré-
goire X. Dans cet acte, Henri-Sigebert prend la dé-
nomination de comte de Werde et, dans les pièces qui
furent expédiées les jours suivants, il prend le titre de
landgrave de l'Alsace-Inférieure.
L'année 1278 devait faire époque dans la maison de
Werde. Elle fut marquée par le mariage du fils aîné de
la famille, le comte Jean Ier, avec Agnès de Lichtenberg,
nièce de l'évêque de Strasbourg, et par la. mort préma-
turée de Henri-Sigebert. Jean comptait alors vingt ans
au plus mais son père, poussé peut-être par un secret
pressentiment de sa mort prochaine, avait hâte de l'éta-
blir et, dans ce dessein, portait naturellement ses vues
sur la famille de Lichtenberg. Recueilli lui-même, dans
sa jeunesse, à la cour de l'évêque dont il était le neveu,
il n'est pas étonnant qu'il rêvât le même honneur pour
son fils, d'autant plus que Conrad de Lichtenberg jouis-
sait d'une brillante réputation et que sa dynastie était la
plus puissante de la province après celle des landgraves.
Quoi qu'il en soit, ce mariage eut lieu le icr février:
c'est du moins en ce jour que le jeune comte de Werde
constitua le douaire de son épouse par l'assurance de
400 marcs d'argent.1 Le i3 du même mois, Henri-Sige-

1 Wir des hoves tun kunt


richtere %u Stra^burg daj vor
uns an gerichte juncherre Johannes der landgrave ^11 Jilsaj veriach
w. gelobete ojjenliche unserre frowen vor Agnese von Liechtenberg
siner elichen wirtinne %u gebende vier hundert marg silbers oder vier
hundert markwert eigins oder lehenes So gelobet auch vor uns
juncherre Conrat von Lichtenberg unserer froweti brader der lant-
grevinne %u gebenne vier hundert marg silbers Beszgelet qu Straç-
burg do man traite von Gottes geburt pvô'lf hundert u. ethvi n. sibenpg
jar vor der hehtmes. (Schœpflin, Als. dipl., ex autographio tabularii
Liechtenberg-Buxovillae.)
OU LE CHATEAU DE WERDE ET SES PHOi'BIETAIBES.

bert quitta ce monde. Les Annales de Colmar disent à


cette date: Obiit cames de Werde.1 Un ancien calendrier
msc. de l'église de Saint-Arbogaste à la Montagne-
Verte hors des murs de Strasbourg nous indique le
jour de ce décès en nous faisant connaître une fondation,
soit pour la sépultuie, soit pour un anniversaire du dé-
funt Idibus febviiaru Sigeberlus cornes 20 libras.
Berthe de Ribeaupierre lui avait donné trois fils dont
les noms paraissent pour la première fois dans une charte
allemande scellée par leur mère le dimanche des Rameaux
de l'an 1 273 Ulric, l'aîné, administra le landgraviat
conjointement avec le fils de Gertrude de Dicl,a nous le
voyons associé à Jean iLr dès l'année 120.0. C'était, sans
doute, une mesure qu'avait prise leur père avant de
mourir, pour intéiesscr davantage sa veuve aux enfants
du premier lit, peut-ètie aussi pour satisfaire ses impor-
tunités. Quant a Egenolf et à Philippe ils embrassèrent
tous deux l'état ecclésiastique et furent chanoines de Stras-
bourg. Egénolf vivait encore en 1008; il prenait dans les
chartes et sur son sceau le titre de landgrave de Werde
il était mort en i3i2. Philippe était chanoine en 1297,
mourut le 2g juillet i332 et fut enterré dans l'église de
Saint-Guillaume à Strasbourg, où l'on voit encore au-
jourd'hui son tombeau et son épitaphe dont l'inscription
porte Dominas Phiîippus landgravius Alsaciœ, canonicus
majoris ecclesiœ Argentinensis.3
Berthe paraît dans les documents de l'époque depuis
1275 jusqu'en i3o2. Un titre de 1280 nous indique claire-
ment quels furent ses fils a elle et quels furent ceux de
Gertrude. Ulric y est appelé fils de Berthe, tandis que

1 Voir
plus liaut, p. 9.
1 Wir Berchte Grave Sigeberchtis vrowe von Werde, dun kunt
allen den die disen Brief gisehunt oder gehorent, das wir mit gune-
meme rate unserren siinne Ulnches, Egenolfes unde Philipeses, itn-
seren ho/ der da heistt Wartenwinckil, der gelegen is bie Rinowe
(Grandidier, Œuv in., T, 3, p. 406, N° 482.)
J Cf.
Kraus, Kunst u Allerthum in Elsass, p. 542.
UN CASÏEL FÉODAL

Jean, Sigebert et Henri y sont simplement nommés ses


enfants Bertha von Rappolt^siein, landgrevin ^u Elsas\
und ire Kinder Johannes der landgrave ^u Elsas-{, Sige-
brecht und Heinrich sine brûder ilem, Ulrich frotp Ber-
thine sohn.

Jean iei.
Jean succéda à son père dans le landgraviat de la
Basse-Alsace. Toutefois ses frères y eurent aussi quelque
part et portèrent, comme lui, le titre de landgraves, car
nous voyons les nobles d'Uttenheim investis, en 1280,
non seulement par Jean, mais encore par ses frères Sige-
bert, Henri et Ulric. Bien plus, du vivant même de Jean,
les fils de Berthe, Ulric, Egenolf et Philippe, ont aussi
possédé quelques parties du landgraviat; il est seulement
probable que Jean a toujours joui de l'autorité princi-
pale. On peut admettre que Jean, soit par préférence,
soit par une convention, s'est principalement occupé des
affaires de la partie méridionale du landgraviat, tant que
son demi-frère Ulric gérait la partie septentrionale, con-
clusion que l'on peut tiret de l'exposé des faits, car Jean
ne figure dans aucune affaire qui concerne le pays au-
dessous de Strasbourg on est même tenté de croire que
sa résidence habituelle était Franckenbourg ou Chàtenois
quand on considère ses fréquents rapports avec la famille
de Ribeaupierre, le choix qu'il fit pour son fils d'une
épouse de la maison de Blàmont qui avait des terres dans
la vallée voisine de Lièpvre, et enfin l'élection de sa sé-
pulture dans l'église des franciscains à Schlestadt.
Les premières années de l'administration du land-
grave se passèrent assez tranquilles, sauf qu'il se prêta à
une alliance avec Egon III, comte de Fribourg, contre
le roi Rodolphe. Voici à quel sujet: Egon, sans contredit,
un des magnats les plus turbulents de l'époque, était
toujours en hostilité avec les villes impériales et parti-
culièrement avec Fribourg. Or, lorsqu 'après un séjour de
trois ans a Vienne, Rodolphe annonça son retour sur le
OU LE CHATEAU DE WERDE ET SES PROPRIÉTAIRES.

Rhin, Egon pouvait s'attendre à un rude châtiment de la


part du souverain, aussi songea-t-il à prendre ses pré-
cautions et à se faire des amis sur les deux rives du
fleuve. Dans ce but, il s'adressa au landgrave de Werde
dont il était l'oncle par sa femme, Catherine de Lichten-
berg, et en obtint, le 28 juillet 1280, un traité
d'alliance de cinq ans contre le roi Rodolphe. Cette
est ainsi conçue. gots namen. amen. Ich Jo-
pièce
hans lantgrave in Elsa\\e un lierre ^u Werd, kunde
alleu das ich gravai Eginen von Fveiborch, han
gesworn of deti heiligen \e helfende mit libe u. mit gïïte
ane aile gevèrde wider kônig Rodolfen pon Rome u. ivider
aile die sinne, u. wider aller mènig lichen, ane minen
herren bischof Cunrat von Strasborch (frère de l'épouse
d'Egon et oncle du landgrave) mit solichem gedmge, als
hie nach geschriben ist, u. wert die sicherheit u. der eit,
von tmserre rroiven mess der j'iingern (nativité de N.-D.)
so uv nehst kom j'ùnf jâr, die nehslen. Ich sol aile die
koste, die ich tun, in minen vestinen, mit bereilen lut en,
halbe liden u. tragen, 11.grave gin die andern halbe, dir
vorgenanten fini/ jar. Ich sol auch aile die nui^e halbe
nemen in Elsa\e und andersiva disehalp Rines die von ge-
vangenen, oder von gedingen, oder von roube koment, ane
andere gevèrde, und grave Egin das ander halbteil. Sivas
nn'r ouch vestinen u. anders gùtes u. geltes gewinnen u.
betwingen disehalp n. genehâlp Rines, das ist halbes min
u. halbes graven Eginen, ane das guet, da ich rehte an-
sprache %ue han, das ist ailes min, u. aile Brisach u.
Nimvenborch, die sind graven Eginen, ob wir sie be-
Uvingen, u. aile das guet, das %e '{eringen, das der her-
\0ge71 mas von Teche. Und ist das ivir Brisach betivingen,
so sol mir grave Egin umbe den halben teil tuen un gen
in Elsa\e an vestinen u. guete, sivas in herr Wallher von
Endingen im Amt Kent^ingen, gehôrte \ur untern Herr-
schafft Usenberg hei\et, u. Johans von Eggerich (les nobles
de Blàmont demeurant au château d'Echery)> die son sich,
sivenne sie darnach gemant jperdent, \e Friborch ant-
worten in einem manot, u. niemer danan komen, un\e sie
UN CASTEL FEODAL

gesagent, was mir grave Egin tuen sol l


Cette convention qui stipule si soigneusement la part de
chacun des belligérants dans les conquêtes futures, ne
prévoit nullement les conséquences de la non-réussite de
la prise d'armes. Rodolphe ne donna pas le temps a la
noblesse turbulente de se coaliser contre lui, il agit ra-
pidement. Strobel,2 nous dit que «le roi revint sur les
bords du Rhin et en Suisse pour rétablir la ligue de la
paix, et prit Fribourg dont le comte s'était montré hostile
aux villes impériales», et les Annales de Colmar rap-
portent, à l'année 1281: «Aux nones d'octobre (7 oct.),
le lundi, le roi Rodolphe assiégea le comte et la ville de
Fribourg avec trois fortes armées.3 Pour ce qui regarde
le comte de Werde, nous ne savons pas quelles suites
eurent pour lui son traité avec Egon nous croyons qu'il
resta à l'état de lettre morte. En effet, le roi arriva
devant Fribourg avant que Jean de Werde ne fùt en
mesure de secourir son allié. D'après l'annaliste de Colmar,
le comte Egon fit, l'année suivante, la paix avec les bour-
geois de Fribourg avec la condition qu'outre les revenus
qu'il tirait de la cité, on lui donnerait annuellement, à lui
et à ses successeurs, cent marcs d'argent, moyennant quoi
ils devaient librement jouir des droits de leurs devan-
ciers.1 1
En 1284, le landgrave eut un conflit avec les Stras-

1 Le sceau de Jean à la pièce et fortement en-


i», appendu
dommagé, est reproduit dans l'Als. ill., II, 533.
2 Vaterlândtsche Gesch., II, 86.
3 Noms octobms secunda
feria, obsedit rex Ruodolphus comitem
et civitalem Fryburgemem cum tribus exercitibus hominum multi-
tudine copiosa, p. 98. Mone, Gesch. des Oberrheins, IX, 473, pour
le recit des evenements de cette entrepnse hostile à Rodolphe, ren-
voit à Munch, I, 144, Fickler, p. 3g3, Schreiber, Gesch. von Frei-
burg, II, 63, 559.
Cornes de Fryburgo reconaliatus est cum civibus Fryburgen-
sibus, tali conditione seu pacto quod prêter redditus quos habebat de
civitate singulis annis centum marcas argenti sibi suisque successonbus
darent, insuper deberent ciiiii anliquot uni sitorum jura libère possi-
dere, p. 102,
OU LE CHATEAU DE WERDE ET SES PROPRIÉTAIRES.

bourgeois qu'il prétendait justiciables de son tribunal. Soit


qu'il ignorât la remontrance que son grand-père, Henri ier,
avait reçue de l'empereur Frédéric II, dans la personne
de son procureur, soit qu'il voulùt essayer de ressaisir
les droits perdus, il cita quelques citoyens de la ville
devant lui. La question fut portée devant Rodolphe de
Habsbourg qui, sans tarder, écrivit au comte de Werde
la lettre suivante
<<Rodolphe, par la grâce de Dieu, roi des Romains,
toujours auguste, au noble homme le landgrave de
l'Alsace-Inférieure, son amé et féal, Sa Grâce et tout bien.
«Les prudents et honorables hommes, les bourgeois
de la ville de Strasbourg, nos amés et féaux, nous ont
fait savoir par des lettres, où ils expriment leurs plaintes
que vous, dans l'exercice de votre juridiction, avez cité
à comparaître des citoyens de Strasbourg et que vous
portez des sentences en des causes et discussions qui les
concernent. Il faut que vous sachiez qu'en cela vous leur
faites tort, attendu que tels sont leurs privilèges et leurs
franchises qu'ils ne doivent être soumis à aucun tribunal
landgravial.
«Donné devant Waldeck, le 2 novembre l'an douzième
de notre règne.» 1
Le landgrave Jean se sentait fort à cette époque, non
seulement à cause de ses alliances, mais à cause du soin
qu'il avait mis, depuis le commencement de son admi-
nistration, à fortifier sa ville d'Erstein. Celle-ci avait des
murailles longtemps auparavant, puisque déjà le landgrave

1
Rodolphus Dei gratta Romanorwn rex semper augustus nobili
viro landgravto Ahatie mjerions, Jîdeli suo dilecto gratiam tuam et
omne bonum. Strenui et prudentes viri cives Argentinenses fidèles
nostri dileeti querelose nobis suis literis intimarunt, quod tu, tua
nolens uti jundictione, ipsos cives Argent, in causis et questionibus
sibi motis coram te proscnbis et proscriptions sententiis ittiplicas et
involvis. In quo scias te injuriari eisdeni. cum sic et in tantum liber-
tati sint predicti cives Argent., quod nullui* landgravii proscriptionis
sententie debeant subjjcere Dalum ante Waldecke IV non. Xovem-
bris regni nostri XIIo. (V. Als. dipl. ex antiquo cod. tabul. civit. Arg.)
Revue. Octobre t91O. 39
UN CASTEL FÉODAL

l'appelait oppidum nostrum Erstheim, 1202. Mais soit que


les fortifications fussent insuffisantes, soit qu'elles fussent
en mauvais état, Jean qui était damoiseau (seigneur)
d'Erstein, avait eu l'ambition d'en faire une solide place
de guerre les événements de l'interrègne dont il avait
été témoin dans sa jeunesse, son alliance dès 1280 avec
Egon de Fribourg, son parent, ses démêlés avec les
Strasbourgeois dans les années suivantes, tout cela ne
l'avait que trop engagé dans cette voie. Il en poursuivit même
l'exécution avec une certaine violence, puisque les dames
du couvent de cette ville se voyaient dans la nécessité de
porter leurs plaintes au roi et à l'évêque de Strasbourg à
cause des torts qu'elles subissaient dans leurs biens. C'est
ce qui provoqua, cette année 1281, un jugement arbitral
de Rodolphe de Habsbourg et de Conrad de Lichtenberg
entre le comte Jean et l'abbaye, en vertu duquel le land-
grave, pour compenser les dommages faits à cette der-
nière, consentit à fonder dans l'église abbatiale un autel
et un anniversaire. Cela n'empêcha pas le seigneur d'Er-
stein de continuer ses travaux, de renouveler à la localité
le titre de ville et, en 1291, de lui confirmer ses privilèges.
Ainsi préparé, il ne craignait pas d'entrer en hostilité ou-
verte, dès le mois de mai de l'année suivante, avec Adolphe
de Nassau.
Rodolphe de Habsbourg étant mort le 3o septembre
1291, l'esprit d'indépendance se remit à souffler dès que
le maître eut disparu de la scène du monde. Une lutte
acharnée recommença entre deux concurrents à l'Empire,
Albert d'Autriche, fils de Rodolphe, et Adolphe de
Nassau. Ce dernier ayant été élu, le 20 mai 1292, l'Al-
sace fut en feu. L'évêque Conrad de Lichtenberg ouvrit
les hostilités en mettant une garnison dans le château
d'Ortenberg; le landgrave Jean de Werde, quoique beau-
frère des deux Landvœgt d'Adolphe, Otton d'Ochsenstein
et Walther de Geroldseck, le soutint. Adolphe se hâta
de venir en Alsace. Après avoir enlevé Colmar et dompté
ses ennemis, il descendit dans la Basse-Alsace pour faire
le siège du château et de la ville d'Erstein. Ce voyant, et
OU LE CHATEAU DE WERDE ET SES PHOPBIETAIEES.

craignant le voisinage d'une armée, les Strasbourgeois


consternés envoyèrent une ambassade au roi des Ro-
mains à Colmar, pour le supplier d'accorder la paix au
pays. Mais Adolphe répondit:
« Lorsque j'étais chez vous, je vous ai adressé moi-
même cette prière alors vous ne vouliez pas de la paix,
défendez-vous maintenant comme vous le pourrez.» Réité-
rant leur supplique ils-dirent « Seigneur, nous vous
prions de ne pas assiéger Erstein, car ce siège nous cau-
serait un immense dommages. Après avoir délibéré en
conseil, le roi leur répondit: «Le seigneur d'Erstein a
manqué à sa foi envers moi; il a fait aux affaires de
l'Empire tout le mal qu'il a pu, il est de mon devoir de
le châtier. Quant a vous, je ne vous attaquerai point dans
vos possessions, pourvu que vous rejetiez de votre terri-
toire tout ce qui dépend de mon ennemi.» J) Les Stras-
bourgeois reprirent «Nous détruirons, pour vous donner
satisfaction, les murailles de la ville d'Erstein.» – «Ce n'est
pas assez, dit le roi, le seigneur d'Erstein a pris les
armes contre moi, je ne serai satisfait qu'au moment où
je serai maître de sa peiaonne et de ^e=, biens.» D'abord
on résolut de se délendie; mais apiès avoir pesé le pour
et le contre, les Stiasbourgeois engagèrent leur seigneur
évêque à solliciter le pardon du roi, lui représentant qu'en
refusant de le faire, il mettait toute la famille de Lichten-
berg en danger d'une imminente dépossession de ses do-
maines.
Vaincu par la nécessité, le vieil évèque Conrad, ac-
compagné de son frère Frédéric, prévôt du Chapitre, et
de son neveu, le landgrave Jean, alla se jeter avec eux
aux pieds du roi, en demandant grâce. Il en était temps,
car dès le 27 octobre, veille de la Saint-Simon et Jude,
les troupes d'Adolphe avaient investi le château de Werde
et s'en étaient emparées malgré sa forte situation au milieu
des eaux et l'épaisseur de ses murailles. Touché de com-
passion en voyant de tels suppliants à ses pieds, le roi
exauça volontiers leurs prières mais il enjoignit au
seigneur prévôt de Lichtenberg et au comte de Werde de
UN CASTEL ÏÉODAL

servir à leurs frais dans son armée jusqu'a ce qu'ils eussent


entièrement obtenu leur pardon du roi et des princes de
l'Empire.1 Le château et les murs d'Erstein furent ainsi
sauvés de la destruction.
La punition du landgrave dura quelques mois, au
bout desquels il obtint de retourner au milieu des siens.
Il négocia bientôt après, à Spire, de concert avec son
cousin, Jean Ier de Lichtenberg, et de Jean d'Amoltron,
auprès du landvogt Otton d'Ochsenstein, pour la restitu-
tion à la famille de Habsbourg, en la personne d'Albert
de Hohenberg, des châteaux d'Ortenberg et de Bilstein qui,
dans les luttes précédentes, étaient tombés au pouvoir du
landvogt. La transaction fut confirmée par le roi Adolphe
à Heiligbrunnen, le 23 mars 1294.2
Schilter fait mention d'une donation faite, en 1296,
par le landgrave Jean au monastère de Sainte-Marie de
Strasbourg. L'investiture des biens en question fut con-
férée par le comte au Grand Chapitre moyennant la tra-
dition du brin de paille investilura festucalis mit
ein Halmen comme c'était alors la coutume.
Bientôt il y eut parmi les princes de l'Empire beau-
coup de mécontents a cause de la sordide avarice du roi
Adolphe et de la faiblesse de son gouvernement en
Alsace, on se plaignait des vexations et extorsions dont
ses Vœgt accablaient le peuple. Une vaste conspiration se
forma contre lui; l'évèque et la ville de Strasbourg, le
landgrave de Werde, qui avait de vieilles rancunes a satis-
faire, les seigneurs de Lichtenberg, d'Ochsenstein, les
comtes 3e Deux-Ponts et de Fribourg entrèrent dans la
ligue. Dès qu'Albeit se fut montré sur le Rhin avec une
armée de Bohèmes, de Saxons, de Brandebourgeois et de
Hongrois, ce fut une levée générale de boucliers. On sait

1 Ex biblioiheca Prxdicalorum in Colmar. Annal, ad an. 1293,


p. 1G0: nlwm in vigilia S. Simoms et Jude castnun Werde Jacditer
expugnatw." – Chromcon Colmariensce, p. 328, édit. Liblin et Gérard,
tire d'Urstistus.
3 Ais. il]., tom. 2,
p. 201.
OU LE CHATEAU DE WERDE ET SES PROPRIÉTAIRES.

que dans cette lutte, Adolphe perdit le trône et la vie


à la bataille de Gœlheim, près de Worms, le 2 juillet
1298. Aux côtés du duc d'Autriche avaient vaillamment
combattu Jean Ier de Werde et son oncle utérin, le wild-
grave Godefroi Raub on attribue même à ce dernier le
triste honneur d'avoir porté le coup mortel au roi des
Romains.
L'Alsace ne soupirant plus qu'après la paix, le nou-
veau roi des Romains, Albert d'Autriche, conclut, en
i3oi, une ligue entre les évêques et les villes de Stras-
bourg et de Bàle et les deux landgraves de la Haute- et de la
Basse-Alsace. On établit des juges pour décider à l'amiable
des différends qui pouvaient survenir. Le roi en nomma
deux; chacun des évêques, deux, et chacun des land-
graves, un. Jean de Werde choisit le chevalier Walther
de Matzenheim: c'est ici la première fois que l'histoire
fait mention de cette famille noble qui portait de sable à
une bande d'or. On voit encore figurer notre landgrave
comme juge à la pacification des deux familles de Ribeau-
pierre et de Girsperg dont les domaines se touchaient
dans la vallée de Munster. Dans cet accommodement, fait
quinze jours avant la Saint-Jean-Baptiste de l'année i3o6,
on remarque que parmi les noms des juges présents, celui
du landvogt Jean de Lichtenberg figure avant celui de Jean
de Werde, preuve que l'autorité de ce dernier était alors
moindre que celle du premier.
Soucieux de piopager sa l'gnée, le landgrave de-
manda pour son fils, S}mond ou Sigi^mond, la main
d'Adelaide de Blamont. Le maiiage eut lieu avant l'année
i3oo. Le douaire de la jeune épouse pjiaît avoir été placé
sur la ville d'Erstein, aussi voit-on les deux époux, dès
l'année i3o3, prendre possession de cette ville et exiger
le serment de fidélité. Frédéric, évèque de Strasbourg, le
landgrave Jean, Henri de Blàmont ou Blanckenheim, Jean
de Lichtenberg, landvogt d'Alsace, Walther de Gérold-
seck, Anselme de Ribeaupierre, confirmèrent par leurs signa-
tures les promesses de Symond et de son épouse. L'acte
est daté du jeudi avant le dimanche des Rameaux i3o3.
UN CASTEL FÉODAL OU LE CHATEAU DE WEBDE ETC.

Symond qui était damoiseau domicelhis d'Erstein,


habitait le château de ce monde du vivant de son père.
Nous ne trouvons désormais plus de trace du land-
grave Jean avant l'époque de sa mort, hormis dans un
titre, conservé aux archives départementales à Strasbourg,1
où, en i3o2, le comte achète, pour trente-six marcs, des
biens sis à Erstein.
L'année i3o8 peut être inscrite comme une date fati-
dique et pour la maison de Werde et pour l'Empire. Le
landgrave Jean Ier quitta cette terre sans avoir même
atteint sa cinquantième année d'âge et reçut sa sépulture
dans l'église des Frères Mineurs à Schlestadt. Son fils
mourut la même année, mais nous ignorons s'il a pré-
cédé ou suivi son père dans la tombe. Malgré les rela-
tions très intimes que le père et le fils avaient avec les
franciscains de Schlestadt, ils avaient néanmoins fait des
fondations pieuses au couvent de Saint-Arbogaste de
Strasbourg, ce dont fait foi le nécrologe de cette maison.
On y lit, en effet « Johannes cornes et Symundus comes,
qui contiderunt nobis decimam in Kastineto. Adel-
heidis comitissa, per quam habemus decimam bonorum nos-
trorum in Kestenholt\.v> La pierre sépulcrale des land-
graves se trouvait, avant la Révolution, au fond du chœur
de l'église Schœpflin en reproduit le dessin dans son
Alsatia illustrata.
Le ier mai de cette même année [3o3, le roi Albert
tomba sous le poignard de son neveu, Jean d'Autriche,
et de trois complices, à Windisch, sur la Reuss, en se
rendant de Baden à Rheinfelden, à la rencontre de la
reine. Ajoutons que ce prince, dépeint par les historiens
comme un tyran sombre et ambitieux, fut, en réalité, un
monarque d'un grand caractère, plein de prévoyance, con-
naissant à fond les besoins de l'Empire et brûlant du
désir de le rétablir dans son ancienne splendeur.
FR. EDOUARDSITZMANN.
(A suivre.)

G, liasse^ 1 6.
LES CHIENS DE CONSTANTINOPLE.

Grandeuret décadence.
Les cent mille chiens de la capitale de la Turquie
ne sont plus. Ils sont morts, occis, décarcassés, après une
rélégation de cinq mois à l'ile d'Oxia. Telle est la lamen-
table nouvelle qui nous arrive de là-bas, et les âmes sen-
sibles auront de quoi être fortement émues au récit de
leur longue agonie.
Mais avant de relater la mort infernale de ces pauvres
bêtes, et afin de mieux faire ressortir cet épouvantable
cataclysme, il convient de jeter un coup d'œil rétrospectif
sur leur gloire passée et sur leur ancienne grandeur dans
la ville des Sultans.
Les villes de l'Afrique septentrionale et de l'Inde
possèdent des corbeaux pour dévorer les détritus des
rues; le Siam, ses vautours noirs, appelés perenoptères le
Mexique et l'Amérique du Nord, ses zopilotes. A Con-
stantinople, ce sont les chiens qui exercèrent durant de
longues années les modestes et peu ragoûtantes fonctions
d'agents-voyers dans les rues. Partout pullulaient les
chiens, sur les trottoirs, dans la rue, devant les maisons,
surtout devant les hôtels. Jouissant de leur ancien privi-
lège de bêtes, quasi sacrées, il ne se gênaient pas pour
rôder dans les couloirs des départements ministériels et
montraient leurs museaux à travers les portières aux
ministres de la Sublime Porte, voire même aux augustes
habitants du Divan impérial.
LES CHIENS DE CONSTANTINOPLE.

On estimait le nombre des chiens à Constantinople,


dans les trois grands quartiers, Stamboul, Galata et Péra,
à environ cent mille: une vraie légion, armée très encom-
brante et gênante pour les passants et pour les voitures,
infestant et infectant partout la voie publique. Tel était
le respect de la vie de ces animaux, qu'on les voyait
couchés par groupes de trois, dix, vingt en rond
au milieu de la rue ou sur les tiottoirs, sans être autre-
ment inquiétés dans leur sommeil diurne ou nocturne.
Que de fois, pendant les sept années que j'ai habité la
capitale de la Turquie, ne fus-je pas obligé de les en-
jamber ou de les contourner, car ces intéressants petits
frères de l'homme se seraient laissé plutôt fouler aux
pieds que de se lever. Force m'était de leur céder le pas
et de faire tous les honneurs dus à leur rang. Malheur a
l'étranger qui n'aurait pas observé ces lois sociales qui
régissaient la vie des chiens constantinopolitams, car
ceux-ci ne supportaient pas facilement d'être molestés dans
leurs droits séculaires et savaient fort bien se faire res-
pecter à coups de dents Du reste, toute la population
musulmane aurait donné tort à ce malotru, qui aurait
risqué par dessus le marché d'avoir la peau tannée par
une grêle de coups de bàton, tandis .que ses pauvres mol-
lets auraient été attaqués par tout le clan affaméé des
chiens.
Comme forme et pelage, le chien de la capitale tenait
du chacal et du loup. Du premier, il avait le museau
pointu et fouinard, l'oreille courte, droite, affilée, la queue
longue, en balayette, le poil assez long, d'un jaune fauve,
les yeux petits, vifs et intelligents. Du second, il avait le
crâne assez large, la taille et la carrure, l'appétit vorace.
Les familles de chiens se partageaient les différents
quartiers de la ville. A la tête de chaque quartier se
trouvait le captan-pacha, chef absolu, plus écouté que le
commissaire de police turque, grand et beau chien, dont
la vaillance (à preuve les différentes blessures au corps,
les déchirures aux oreilles) s'est manifestée en maint
combat régulier. Il veillait à la prospérité du clan, de la
LES CHIENS DE CONSTANTINOPLE.

famille, explorait les bons endroits où la pâture lui serait


jetée du haut de la fenêtre.
Il reniflait les suggestifs parfums émanant de la cui-
sine et des communs, et quand l'heure du gueuleton était
enfin arrivée, il appelait sa famille à la curée, autrement
appétissante que les crottins et détritus de la rue. Si,
pour son malheur, un chien étranger au quartier se pré-
sentait, le captan-pacha s'élançait le premier sur cet intrus,
le forçant à battre en retraite ou de s'avouer vaincu.
Il m'est arrivé plusieurs fois d'observer dans les diffé-
rentes batailles entre les chiens des quartiers l'attitude du
chien vaincu. Le malheureux se couchait sur le dos,
confus, la queue entre les jambes, collée sur le ventre, le
train de l'arrière écarté et fléchissant, tète baissée, langue
pendante au côté. A ces signes non équivoques de capi-
tulation, le vainqueur laissait fléchir sa colère, et dans sa
magnanimité, il faisait grâce au vaincu. Cependant usant
d'un droit impiescriptible, le captan-pacha s'approchait
du blessé, et lui accordait l'aman en l'arrosant sans
pitié.
La vue d'un chien mené en laisse par quelque Eu-
ropéen avait le don d'exciter la légitime fureur des hon-
nêtes animaux des rues. Il faudrait a\oir vu de quelles
insultes, de quels aboiements violents et ininterrompus le
malheureux était poursuivi. Leur sens paiaissait être le
suivant: «Comment, espèce de pelé, peux-tu ainsi re-
noncer à l'indépendance? n'as-tu pas honte de servir un
maître et d'avoir un collier au cou? Tu vois au contraire
notre bonheur. C'est nous les princes de la rue, honorés
et respectés de tous, nourris et logés par tous, jouissant
de la faveur des Turcs, des pachas, voire même du grand
padischah, le Sultan.» Et l'autre s'en allait, baissant la
queue et les oreilles, honteux comme un renard qu'une
poule aurait pris.
Un Anglais racontait un trait bien curieux de la re-
connaissance d'un chien. Un soir, rentrant dans son logis
a Péra, il vit un de ces animaux poussant des gémisse-
ments il s'approcha de lui et vit, que le chien avait une
LES CHIENS DE CONSTANTINOPLE.

forte épine dans la patte droite de l'avant-train. Sans


hésiter, le bon Samaritain fit l'extraction de l'épine, et la
bête exprima sa vive gratitude en léchant la main de
l'Anglais, en sautant sur lui, en l'accompagnant jusqu'à
son domicile. Depuis ce temps-là, le brave animal établit
son quartier à la porte de son bienfaiteur. Les frétille-
ments de la queue et diverses démonstrations extérieures
marquèrent chaque fois la joie du revoir. L'Anglais, de
son côté, lui assura une pension viagère, consistant en
déchets de sa table. Cette histoire ne rappelle-t-elle pas
celle du lion d'Androclès?
D'où viennent les ancêtres des chiens de Constanti-
nople, de Smyrne et autres villes de l'Empire ottoman ?
La question a déjà été traitée par plusieurs spécialistes
et a fait l'objet des vives controverses. Cependant l'opi-
nion généralement admise est que des chacals du Tur-
kestan, ayant suivi les armées turques dans l'empire
byzantin au XVe et au commencement du XVIe siècle,
pour dévorer les cadavres, se sont croisés avec des chiens
et se sont installés dans tout ce pa} s conquis par les
Musulmans. La croyance populaire était que les conqué-
rants repartiraient un jour avec eux en Asie, forcés à leur
tour d'abandonner Constantirople à quelque souverain
victorieux.
Les Musulmans, qui n'avaient jamais de chiens dans
leurs maisons, prenaient le plus grand soin de la tribu
qui campait à leur porte. Des trous étaient creusés dans
les trottoirs, des récipients en pierre contenant de l'eau
étaient installés dans les rues pour que les bons amis
de la gent canine puissent se désaltérer. Grâce à toutes
ces précautions, les cas de rage étaient extrêmement rares.
Ces chiens, bons grognards à quatre pattes, vivaient
généralement sur le pied de paix avec l'homme. Si d'aven-
ture, ils montraient les dents au passant, qui n'avait pas
bon air, il suffisait de crier le mot magique Houst
pour les rendre à leur impassibilité.
On raconte que pendant la guerre de Crimée, un
soldat anglais, ne connaissant sans doute pas le mot de
LES CHIENS DE CONSTANTINOPLE.

passe ayant brutalisé le captan-pacha, fut assailli par un


clan de chiens tout entier, de sorte que sa peau fut dé-
chirée et que le sang coula. Réclamation de l'Ambassade
d'Angleterre, qui demanda ni plus ni moins que l'extermina-
tion de toute la race canine. Cela devint une grave affaire
diplomatique. Mais le Coran protège la vie des animaux,
et l'on sait entre parenthèses que le Turc ne va pas à la
chasse. Que faire? La Sublime Porte décida de déporter
en masse les pauvres toutous sur le rocher d'Oxia (près
des îles des Princes), et de les y laisser mourir de leur
belle mort. A cet effet plusieurs bateaux furent affrétés.
L'un, poussé par un vent contraire, alla s'échouer sur la
côte d'Asie; un autre fut s'abriter au-delà de San Stefano;
trois seulement ai rivèrent à destination. Sur ces entre-
faites, le parti des Vieux-Turcs, des ulémas, des softas
et de tous les elfendis, avait ouvertement manifesté son
mécontentement. Le Sultan Abdul-Medjid, voyant dans la
tempête, qui avait dispersé les bateaux, le doigt d'Allah,
retira son firman d'extermination. Les chiens réinté-
grèrent leur ancien quartier. C'était le premier et unique
malheur qui leur fut arrivé depuis leur séjour à Stamboul.
Les soldats français, qui campèient pendant la guerre
de Crimée, sur les hauteurs de Kassim-pacha, s'enten-
dirent a merveille avec ces braves bêtes, avec lesquelles
ils partageaient la soupe. Maint cantinier, bien avisé,
s'en servit pour faire de splendides attelages à quatre ou
six chiens.
Pendant plusieurs siècles les chiens avaient joui de la
liberté la plus complète. Leur vue dans les quartiers de
la capitale constituait pour l'étranger une attraction aussi
remarquable que les pigeons sur la grande pia\\a de Ve-
nise. C'était l'époque de leur grandeur. Mais voici que la
Révolution éclate en 1908. Le régime constitutionnel est
établi. On parle de réformes. Les chiens seront sacrifiés.

Décadence.

Ces malheureux cabots qui ont intéressé le monde


entier ont terminé leur existence à la manière d'un drame.
LES CHIENS DE CONSTANTINOI-LE.

Leur fin tragique mérite d'être racontée. C'est au nom


des lois de l'hygiène publique que la municipalité, pressée
par les plaintes des habitants, dont les journaux s'étaient
faits les interprètes, a ordonné, d'abord le transport des
chiens à l'ile d'Oxia, et leur hécatombe ensuite.
Par les fortes chaleurs, c'était une vraie pestilence
dans les rues. Pendant la nuit, le sommeil des habitants
était troublé par les batailles des chiens et les aboiements
sans fin.
On doit cette justice au préfet de la ville qu'il n'a
pas hésité dans sa détermination d'en finir une fois pour
toutes avec cette question canine. Son énergie a eu raison
de l'apathie ordinaire des conseils d'hygiène qui, dans
cette affaire, ont montré plus d'hésitation que d'empresse-
ment à seconder la tâche du haut fonctionnaire.
Aujourd'hui, la ville de Constantinople, débarrassée
de l'un des plus grands obstacles à la propreté de
ses rues, est devenue, comme les grandes villes européennes,
une cité presque moderne, où les soins de la voirie sont
effectués chaque jour avec un réel souci de la santé pu-
blique.
En général on ne se plaint pas de la disparition des
chiens, qui infestaient la ville de leurs ordures et de leurs
désagréables senteurs, en même temps que leur non-
chalance était un réel obstacle a la libre circulation, et
leurs aboiements, la nuit, à la satisfaction d'un sommeil
paisible.
L'on peut d'ores et déja circuler sans crainte d'ob-
struction d'amas de chiens allongés au seuil des trottons,
et rentrer chez soi, au crépuscule, sans l'appréhension
d'une morsure à la cuisse, quand les réverbères trop rares,
n'éclairaient pas le cabot sommeillant dans une ornière
et prêtant ses flancs aux semelles des chaussures.
Le fanatisme religieux musulman qu'on a voulu
mettre en cause au moment de la suppression des chiens
s'est mis cette fois hors de cause, car ce furent des chré-
tiens et les étrangers qui opposèrent le plus de commisé-
ration à la mort de la race canine, arguant d'une part
LES CHIENS DE CONSTANTINOPLE.

une sorte de bienfaisance par la purification des ordures


ménagères, d'autre part une satisfaction de pittoresque et
d'originalité qui ne se voyait nulle part ailleurs. Des So-
ciétés de protection des animaux envoyèrent à Stamboul
des protestations contre le traitement infligé à Oxia aux
malheureux chiens.
La préfecture de la capitale passa outre aux réclama-
tions, elle a eu soin de montrer à tous que le meilleur
système d'hygiène publique se résumait dans l'imitation
des systèmes pratiqués en Europe, le balayage et l'utili-
sation des poubelles dont les ténékés sont les modèles
réduits.
Au début de juin, trente-sept mille chiens, certifiés
par les procès-verbaux des rafles opérées a grands renforts
de pinces de fer, avaient été transportés à l'île d'Oxia,
(située dans la Marmara, près des îles des Princes), sur
les mahones requises a cet usage. On espérait qu'un peu
d'eau et de pain de son suffirait a l'entretien de ces
pauvres bêtes, destinées à mourir de leur belle mort.
Il n'en fut rien. Les chiens de Constantinople mé-
prisaient le pain ou le respectaient trop, ils convinrent
de s'entre dévorer, et ce furent d'horribles spectacles de
canophagie auxquels assista l'unique gardien de ces bandes
d'affamés de chair et de sang.
Le dessinateur Sem, le caricaturiste d'une notoriété
universelle se trouvait à Constantinople à bord d'un yacht
en excursion de plaisance, lorsque lui vint l'idée de voir
l'enfer des chiens. II s'approcha d'Oxia, et fait de cet
enfer une description dans le Journal. Nous la reprodui-
sons sans aucun commentaire
Le yacht leva l'ancre le 12juillet, à une heure de
l'après-midi, par une chaleur torride. La mer, pâlie et dé-
teinte par la lumière intense, était inerte, comme si, ac-
cablée par ce soleil, elle n'avait plus la force de remuer.
Elle avait l'air de faire la sieste, et, accablé moi-mème,
je descendis dans ma cabine pour sommeiller un peu.
L'atmosphère était étouffante dans cette cabine. Le
verre du hublot criblé de soleil brûlait comme une loupe.
LES CHIENS DE CONSTANTINOPLE.

Etais-je obsédé par l'idée de ces chiens que j'allais voir


et par les horreurs que j'avais entendu conter à leur sujet?
Je fis des rêves affreux, hantés de peste et de pourriture,
et dans mon sommeil le ronflemenr des ventilateurs, qui
barattaient l'air alourdi, me donnait l'impression de
grosses mouches bourdonnant autour de moi.
Je me levai en sueur et je grimpai quatre à quatre
l'escalier du deck. Tout de suite, je fus suffoqué par une
odeur de cadavres qui me saisit à la gorge. Tout l'équi-
page, même les cuisiniers, était groupé sur l'avant du
yacht, regardant avidement l'horizon. Je rejoignis sur la
passerelle mes amis et le capitaine. Ils avaient tous leur
mouchoir sur le nez, tant l'odeur était insupportable. Je
me souviens que le second donna vivement l'ordre de
fermer tous les hublots, toutes les écoutilles et surtout la
porte des cuisines, pour que l'intérieur du bateau ne fut
pas infecté.
A un mille à peu près, nous apercevions une île es-
carpée et aride, sans la moindre trace de végétation, un
rocher féroce et exaspéré jaillissant à pic de la mer,
comme un cône jaunâtre et calciné, autour duquel volaient
une légion de mouettes et de goélands. D'abord ébloui
par la lumière aveuglante, je ne distinguai pas les chiens.
Je percevais seulement une sorte de grouillement informe,
de fermentation difficile à décrire; il me semblait, de
loin, voir trembler toutes ces pierres, et j'attribuai d'abord
ce phénomène à l'effet de la chaleur.
On avait ralenti la marche du yacht, qui avançait
lentement, dans cet air empesté. Maintenant je pouvais
mieux distinguer l'île, toutes ces pierres que j'avais cru
voir danser et vibrer sous l'ardeur du soleil, c'étaient des
chiens, jaunes comme les rochers, avec lesquels je les
avais confondus. Il y en avait des milliers et des milliers.
Les uns, amoncelés sur le rivage, bordaient la mer comme
une vivante écume; d'autres juchés plus haut, avaient
escaladé les pentes les plus escarpées, et leurs masses
compactes s'étageaient comme une figuration de théâtre
sur un praticable. Toutes les crêtes en étaient couronnées,
LES CHIENS DE CONSTANTINOPJiJL.

et sur les cîmes les plus élevées, on voyait se découper


en silhouettes, sur le ciel ardent leurs museaux et leurs
oreilles pointues. C'était comme une énorme pyramide
de chiens
A mesure que nous approchions, les détails se pré-
cisaient, et nous pouvions parfaitement suivre, même sans
lorgnette, le hideux manège de ces malheureux animaux.
Les plus nombreux se pressent, se bousculent sur la grève;
ils montent les uns sur les autres pour atteindre l'eau,
cherchent à rafraîchir leurs membres cuits par le soleil et
brûlés de fièvre. Beaucoup d'entre eux nagent, se battant
dans la mer, se disputant des charognes qui flottent de
tous côtés. Quelques uns, à moitié morts de soif, essaient
de boire l'eau salée. A terre, ce ne sont que sauvages
mêlées de chiens qui s'arrachent des cadavres. Des groupes,
fuyant la morsure du soleil, s'entassent dans les creux
d'ombre et comme les rayons tombent d'aplomb, ils
utilisent les moindres saillies. D'autres enfin, atteints d'une
sorte de folie, courent, s'agitent comme des possédés.
Leurs cris nous arrivent distinctement, portés par
l'eau calme. Ce ne sont pas des aboiements, mais de
longues plaintes humaines.
Soudain, le capitaine eut la curieuse idée de faire
donner la sirène ces malheureux crurent à un appel. Je
ne puis vous dire quelle clameur répondit de File mau-
dite à ces beuglements de minotaure. Vous imaginez-vous
cette montagne hurlante, ce rocher sinistre hérissé de
gueules ouvertes, criant leur faim, sorte de Stromboli
vomissant des plaintes et des râles? Quelle vision! Je ne
puis l'évoquer sans me sentir le cœur soulevé.
Maintenant, on voyait des bandes qui nageaient dés-
espérément vers nous. Le yacht en fut bientôt environné.
Ils étaient tout près, à nous toucher, essayant de s'ac-
crocher aux parois glissantes du navire.
Vraiment, a ce moment-là, on aurait dit absolument
des hommes, des échappés du radeau de la Méduse, de
pauvres hommes blonds; les poils jaune de la tête collés
par l'eau comme des cheveux. Ils nageaient avec les
LES CHIENS DE CONSTANTINOl'LE.

gestes maladroits de gens qui se noient, tournant vers


nous des yeux déjà vitreux d'agonisant, des regards sup-
pliants, pleins d'une angoisse humaine.
Beaucoup avaient les oreilles à moitié dévorées, ils
étaient couverts de plaies hideuses, qui, avivées par le
sel, laissaient des traînées de sang sur l'eau limpide et
bleue, encombrée de charognes gonflées d'où s'envolaient
des oiseaux alourdis. Ces horreurs s'étalaient sous une
lumière splendide, et c'était bien tout l'Orient, ce pour-
rissoir enchassé dans l'émail de cette mer somptueuse.
Une Anglaise qui était sur le yacht, ne pouvant sup-
porter la vue de ce spectacle, suppliait les marins d'ache-
ver les chiens. « Those poor dogs ought to be killed kill
them, i beg }'ou La puanteur pouacre de ces cadavres
devenait insupportable, ternissant les cuivres étincelants
du bastingage. « Gare aux mouches » cria le médecin du
bord. 11 était temps. Nous nous éloignâmes de toute la
vitesse du bateau, poursuivis par ces cris de damnés et
cette odeur de peste.
A un kilomètre de l'île, nous rencontrâmes encore
des groupes errants de ces affreux nageurs mutilés, agi-
tant leurs pattes comme des bras, avec des convulsions
d'agonie, qui s'entêtaient à nous suivre et finissaient de
se noyer dans les remous rougis de l'hélice.
Au loin, nous apercûmes un petit vapeur qui remor-
quait vers l'île deux gabarres chargées de cages. On ap-
portait de Stamboul à ces affamés du «chien frais».
Peut-être est-ce ainsi que les Turcs entendent les nourrir.
Nous fûmes bientôt tiès loin, et ce hideux Mont-
faucon ne fut plus qu'un point noir sur la mer tendre et
bleue comme une valse.
Mais le soir nous ne pûmes pas dîner.
Telle fut la fin tragique de ces pauvres Keup'ek, une
des grandes curiosités, a jamais disparue des rues de
Constantinople. Les Vieux-Turcs gémissent sur les ten-
dances piogressistes du nouveau régime.

Léonard Fischer.
LE PREMIER CONGRÈS DU CENTRE
ALSACIEN-LORRAIN.

Il en est d'un parti politique comme d'une armée, il


ne suffit pas qu'elle soit forte, il faut qu'elle ait conscience
de sa force: de sa valeur numérique, de la valeur de ses
états-majors et de son organisation, de la supériorité de
ses armes et de ses approvisionnements. Voilà pourquoi
les entrées en campagne sont fréquemment précédées
d'une grande revue, d'où l'armée sort confiante en elle-
même et dans ses chefs, pleine d'enthousiasme pour
marcher sur l'ennemi.
C'est l'idée qui a amené le comité directeur du Centre
Msacien-Lorrain à convoquer le congrès du 23 octobre.
Cette idée n'était pas neuve cependant; si elle a été mise
a exécution seulement cette année, c'est que jamais les
circonstances n'ont été aussi favorables pour sa réalisation
~t son immense succès a prouvé la justesse des vues des
oiganisateurs malgré des lacunes, inévitables dans une
première tentative, ce coup d'essai a été un coup de
maître.
Nous sommes à la veille d'une bataille électorale,
même de deux, car à côté des élections pour le Reichs-
tag nous aurons à peu près en même temps des élections
pour notre Diète alsacienne: en effet quel que soit le sort
le notre réforme constitutionnelle, le changement de la
loi électorale au Landesausschuss est inévitable. Ces
Revue. Octobre 1910. 40
LE PREMIER CONGRÈS DU CENTRE ALSACIEN-LORRAIN.

batailles seront acharnées, car nous aurons devant nous


les forces combinées du prétendu libéralisme et du so-
cialisme, accrues par les faveurs gouvernementales. Il
était donc bon de donner à temps l'ordre de mobilisation,
et de concentrer nos troupes sur les points stratégiques
les plus importants.
Elles y ont répondu avec une fidéiité et un entrain,
qui ont fait plus qu'en imposer à nos adversaires, qui les
ont littéralement décontenancés. Plus de 2 5oo hommes
venus de tous les districts d'Alsace-Lorraine ont été pré-
sents à l'appel: l'immense salle du « Sângerhaus » n'a de
longtemps pas pu les contenir tous il a fallu, outre la
réunion française prévue au programme, organiser à
l'improviste une réunion parallèle dans une autre salle de
la ville.
L'organisation d'un pareil congrès va rarement sans
quelque contretemps, et malgré tout le mérite de son
remplaçant, nous ne saurions trop regretter que le
député bavarois, le Dr Heim, ait été empêché de venir
traiter le sujet si important dont il s'était chargé: La
situation économique des classes moyennes. Le D' Heim
est un orateur populaire de premier ordre, non seulement
à cause de la forme originale, mordante, entraînante qu'il
sait donner à son langage, mais à cause de ses vastes
connaissances et de la richesse de son arsenal statistique.
Le curé Wacker, le lion de Zahringen, comme l'ap-
pellent partisans et adversaires, voulut bien le remplacer
au dernier moment: il est le chef du Centre Badois, et
comme tel il se spécialise moins, pour s'occuper davantage
de questions générales; il était donc bien l'homme pour
parler de la situation politique de l'empire. L'occasion
était trop belle pour ne pas traiter les fameuses questions
Le Centre est-il ou n'est-il pas un parti confessionnel ?
Le Centre est-il ou n'est-il pas soumis à l'autorité ecclé-
siastique ? Il y a répondu avec une netteté parfaite, une
sûreté de doctrine irréprochable, avec une acuité dans les
distinctions nécessaires que nous voudrions voir imitée
par certains journalistes catholiques d'outre-Vosges.
LE PEEMIBB, CONGRÈS DU CENTRE ALSACIES-XjOEEAIN.

Le Centre Alsacien-Lorrain a dès sa fondation fait


siennes les revendications des premiers champions des
libertés alsaciennes l'élévation de l'Alsace-Lorraine au
rang d'Etat fédéral et le suffrage universel pour la
Chambre des Députés provinciale. M. Hauss, le second
orateur de l'assemblée, les a défendues avec son entrain
bien connu et a réduit en poussière les misérables pré-
textes qu'on oppose à la réalisation de nos vœux.
Disons tout de suite ici que la question de la réforme
constitutionnelle fut traitée plus à fond à la séance close
du lundi dans un rapport très remarquable de M. le
Dl Didio, qui repousse absolument tout projet de faire
de l'empereur le souverain de la Terre d'empire, et dont
les conclusions ont été résumées dans les résolutions
suivantes
Le Congrès maintient le programme du parti et
n'admet de solution satisfaisante de cette question que
dans l'élévation de l'Alsace-Lorraine au rang d'Etat fédéral
souverain. Il attend des députés au Reichstag qu'ils se
placent en principe sur ce terrain. Le congrès demande
aux députés de soutenir énergiquement le projet Delsor
pour l'application (au Landesausschuss) du suffrage universel,
égal direct et secret. II rejette aussi toute délimitation
des circonscriptions électorales par voie d'ordonnance
elle doivent être annexées à la loi.
Il va sans dire que la Question scolaire a occupé une
large place dans les débats du congrès. A la même heure
M. le Prof. Spahn, à la réunion allemande, et M. l'abbé
Delsor, à la réunion française, défendaient les droits de
la religion et de l'Eglise sur l'école sans préjudice du
rapport que M. le Prof. E. Muller devait présenter sur
le même sujet à la séance close du lendemain.
Trois discours sur la question scolaire cela paraîtra
exagéré, mais à ceux-là seuls qui ignorent l'importance
de ce sujet et la place que cette question occupera dans
nos luttes futures.
Dans la section de langue française M. l'abbé Wetterlé
parlait des partis politiques en Alsace-Lorraine et dé-
LE PREMIER CONGRÈS DU CENTRE ALSACIEN-LORRAIN.

montrait une fois de plus ce qu'il y a d'irréel dans le


spectre du parti nationaliste que le pangermaniste agite
pour faire croire en Allemagne à un péril séparatiste, et
ce qu'il y a de légitime dans notre particularisme qu'on
cherche à affubler des oripeaux du spectre nationaliste.
Après lui, AI. l'abbé Hackspill, curé de Saulny, montra
dans un discours fort émouvant l'étioite parenté du radi-
calisme maçonnique français avec le bloc libéral et so-
cialiste d'Alsace-Lorraine.
Un avenir prochain nous montrera quelle somme
d'enthousiasme, d'énergie, les congressistes ont rapportée
de cette assemblée dans leurs foyers pour l'y répandre
autour d'eux les trois patriotes du Grutli n'ont pas juré
avec plus de sincérité et de fermeté de se sacrifier pour
la liberté, que ces délégués du Centre Alsacien-Lorrain, de
se dévouer corps et àme pour les nobles causes qu'on
venait de plaider si éloquemment devant eux.
Quatre rapports occupèrent les séances closes du
lundi. D'abord celui du Prof. Spahn sur la réforme finan-
cière. Le nouveau député au Reichstag s'attacha surtout
à montrer l'abus que nos adversaires en ont fait et en
feront dans la lutte électorale, et à indiquer la manière
dont il faudra s'y prendre, dans l'agitation qui ne va pas
tarder à commencer, pour prouver le mal fondé de leurs
attaques.
Le Dr Ricklin avait une tâche ardue dans son rapport
sur la Réforme des impôts en Alsace-Lorraine: La ma-
tière est d'une sécheresse désespérante et exige de la
part des auditeurs un effort d'attention peu commun. Ses
conclusions furent adoptées à une très grande majorité
i) L'impôt progressif sur le revenu, déduction faite
des intérêts des dettes, doit être l'impôt principal au
profit de l'Etat cet impôt ne touchera pas les revenus
au-dessous d'un certain minimum et sera adapté à la
situation individuelle du contribuable.
2) L'impôt sur le revenu sera complété par un impôt
global sur la fortune qui sera calculée en tenant compte
de la situation individuelle de l'imposable.
LE PREMIER CONGRÈS DU CENTRE AIiSACIEN-LOBBAIN.

3) Les impôts communaux doivent être réglés de


façon que tous les ressortissants soient taxés d'après leur
capacité. Le congrès rejette le projet (gouvernemental) de
distinguer les ressortissants en contribuables plus ou moins
intéressés aux affaires communales, pour les imposer en
proportion.
A l'ordre du jour de mardi il n'y avait plus que la
question de l'organisation et celle de la presse.
L'organisation du Centre en Allemagne est une orga-
nisation modèle avec son système de comités de départe-
ments, d'arrondissements et d'hommes de confiance com-
munaux, auquel s'adjoint le Windhorstbund une sorte de
clubs de discussion, où la jeunesse cultivée s'instruit sur
les questions à l'ordre du jour et s'exerce à la parole pour
fournir des orateurs aux réunions électorales. Nous ne
pouvons vraiment mieux faire que de nous approprier ce
système et de l'implanter partout où il ne l'est pas encore.
La mobilisation ne réussit bien au moment où la guerre
est déclarée que quand tout est prévu, jusque dans ses
derniers détails.
Nos adversaires espéraient qu'une scission se pro-
duirait à propos de la question de l'adjonction du groupe
alsacien-lorrain à la fraction du Centre au Reichstag. Ils
en ont été pour leurs frais la question est restée com-
plètement libre, comme cela doit être pour les questions
où il y a pour deux solutions contradictoires [des motifs
également sérieux. L'union est au contraire devenue plus
forte, et les rangs se sont serrés plus étroitement.
Comme dans tous les pays, la presse catholique n'a
pas encore la situation qu'elle devrait avoir. Différentes
causes expliquent cette infériorité notre presse ne peut
pas flatter les passions et les bas instincts de la nature
comme le fait la presse libérale nous fournissons une
viande saine, le public veut des plats faisandés. Mais il
y a à faire quelque chose notre public catholique n'aurait
qu'à boycotter les magasins et les hôtels où est boycottée
notre presse; le colportage pourrait être mieux organisé
etc. Aussi est-ce sur la résolution de collaborer davantage
LE PREMIER CONGRÈS DU CENTRE ALSACIEN-LORRAIN.

à nos journaux, de contribuer plus activement à les répandre


que se sont terminées les délibérations du congrès.
M. le Dr Vonderscher, le président du Centre Alsacien-
Lorrain, a pu dans une allocution de clôture aussi
vibrante que son allocution d'ouverture dire avec quelle
légitime fierté nous pouvions regarder les résultats de ce
congrès. Il aurait pu dire que notre satisfaction aurait
lieu de se mesurer au dépit, au désarroi de nos adver-
saires, aux contradictions de leurs jugements où des
moues dédaigneuses sur notre faiblesse alternent avec
des cris d'alarme sur le péril clérical.
La veillée des armes commence nous irons a la
bataille sans forfanterie mais aussi sans douter de nous-
mêmes. Nous étions forts nous le sommes devenus davan-
tage l'union existait, elle est cimentée plus solidement
que jamais, et nous savons mieux ce que nous voulons et
pourquoi nous le voulons. La bataille peut s'engager,
nous ne sommes pas pris au dépourvu.

N. DELSOR.
UN SAINT CURÉ.1
Un élève un peu original du grand Séminaire de
Strasbourg ayant eu comme sujet de sermon La Tous-
saint, prit pour texte le verset du Psalmiste « Sauvez-moi,
Seigneur, parce qu'il n'y a plus aucun saint,» 2 et déve-
loppa cette thèse de la façon la plus paradoxale, sans
même épargner la cléricature.
Cette thèse était réfutée par la présence même du
saint abbé Mechler; elle est encore démontrée fausse par
la biographie de M. Lintzer que vient d'écrire cou amore
son ancien curé de Ste-Madeleine, M. le Chan. Schickelé.
Et c'est un double amour qui a inspiré ces belles pages
l'affection pour le vicaire, qui était devenu un ami, et
l'admiration du prêtre pour la grandeur insoupçonnée
d'une âme sacerdotale qui se dévoilait plus haute, plus
belle, plus pure, à mesure qu'il y pénétrait davantage,
guidé par le peu de notes trouvées dans les papiers du cher
défunt et par quelques lettres heureusement conservées.
M. le Chan. Schickelé aurait pu prendre comme épi-
graphe Ascensiones in corde disposuit son coeur aspirait
à monter.3 En effet, la vie de M. l'abbé Lintzer n'a été
qu'une ascension continuelle. Dans sa vie extérieure d'a-
bord, du sein d'une famille profondément chrétienne, par
les sentiers de l'éducation cléricale, jusqu'à l'honneur de
la prêtrise et aux différents offices, toujours plus élevés,
auxquels l'appela la confiance toujours croissante de ses
supérieurs.
Comme il est à la fois bienfaisant et humiliant de
voir dans ce portrait si ressemblant, un prêtre, qui se
donne tout entier à son ministère, qui rempli, de dilec-
tion pour la beauté de la maison de Dieu, restaure admi-
rablement un antique pèlerinage, qui tient avec une
exactitude parfaite ses comptes et ses registres, qui fonde
des œuvres, et trouve encore des loisirs pour fouiller les
1 L'abbé E. Lintzer, Chanoine honoraire, curé de Ste-Marie à
Mulhouse, par M. le Chan. M. Schickelé, officier d'Académie. 174 pp.
>n 12 jés. Sutter, Rixheim. igio.
2 Ps, XI, 1.
a Ps. LXXXIII, 8.
UN SAINT CURÉ.

archives et écrire des pages d'histoire provinciale dont les


lecteurs de la Revue ont eu les primeurs et dont le mérite
a été très apprécié en dehors de l'Alsace. Quelle leçon
pour ceux qui n'ont jamais le temps
Mais à côté de cette ascension extérieure, combien
sont admirables les ascensions de la vie intérieure que
nous révèle M. le Chan. Schickelé, dans le prêtre selon le
cœur de Dieu que fut M. l'abbé Lintzer. S'il fut un
prêtre brûlant de zèle pour le salut des âmes, ne négli-
geant aucune occasion pour tourner vers Dieu ses proches,
ses amis, ses paroissiens, ses pénitents, c'est qu'il fut un
prêtre occupé avant tout de sa sanctification personnelle,
un prêtre auquel ne suffisait pas une sainteté ordinaire, et
qui, dans une dévotion spéciale au Christ et à sa Mère,
prenait tous les jours un essor plus vigoureux vers les
cimes de la perfection.
Je puis bien dire qu'il serait difficile de trouver une
lecture plus substantielle, plus édifiante, plus encoura-
geante, mais je serais désolé que des considérations qui
précèdent on voulût conclure que cette biographie de
M. l'abbé Lintzer n'intéressera que ses confrères. J'en
conseille la lecture encore beaucoup plus aux laïques il
y en a malheureusement si peu qui savent ce que c'est
qu'un curé.
Les paroissiens de Ste-Marie, qui ont tant pleuré le
Chan. Lintzer si subitement enlevé à leur affection, le
savaient bien eux, aussi se sont-ils arraché la premièie e
édition de sa biographie, pour ainsi dire de dessous les
presses typographiques. L'exemplaire que j'ai sous les
yeux est déjà de la deuxième édition, et je n'ai pas besoin
de dire qu'étant de M. le Chan. Schickelé, cette œuvre
est sous le rapport matériel d'un goût parfait.
L'auteur a bien voulu dans sa piéface rappeler que
ce livre n'est qu'un épanouissement de l'article nécrolo-
gique que je lui avais demandé pour la Revue si par la
il a voulu me faire partager sa responsabilité, je puis lu'
assurer qu'il n'y en a pas que je porte plus légèrement
et dont je sois aussi fier. N. Dki.sor.
REVUE DU MOIS.

Le nombre des Rois en exil et des républiques vient de


s'augmenter de nouveau. Le 4 octobre Lisbonne était en révolution,
la république proclamée, et le lendemain le jeune D. Manuel II
avait quitte le Portugal. Ce n'etait guere que l'épilogue du drame
sanglant où, il y a deux ans, le roi D. Carlos et son fils aîné,
D. Luiz avaient laissé la vie. Les conjurés, qu'on n'osa pas pour-
suivre, ne perdirent pas leur temps depuis: ils en ont profité pour
mieux s'oigamser. pour s'assurer des intelligences plus nombreuses
dans l'armée et dans la marine, pour détacher plus radicalement
l'opinion publique de la monarchie. Celle-ci du reste avait dejà perdu
tout prestige sous D. Carlos. Ce monarquesensuel ne savait pas plus
gouverner un peuple que lui-même sa soif de jouir avait multiplié
autour de lui une foule de sinécures qui ne tenaient au régime que
par leurs avantages personnels. Quand Franco voulut mettre de
l'ordre dans les finances, tous ces monarchistes firent cause com-
mune avec les républicains. D. Manuel ne sut pas se rendre plus
populaire; le ciédit qu'on fit d'abord a sa jeunesse, à son inexpérience
fut bientôt épuisé, d'autant plus que les bruits les plus contradic-
toires circulaient sur son compte. Tantôt on le îepiesentait comme
opiniâtrement attaché à ses droits, tantôt comme dispose a abdiquer
puis on lui attribuait toutes sortes de nobles passions qui tantôt le
poussaient à la conquête d'une légitime epouse paimi les héutièies
royales, et tantôt le jetaient en célibataire égoïste aux pieds d'une
étoile parisienne. En outre, pour détourner l'opinion publique de sa
personne, il jeta en pâture au radicalisme, l'Eglise et les ordres re-
ligieux.
Ces expédients n'ont jamais sauvé aucun gouvernement et en-
core moins une d>nastie. Le terrain devenait en Poitugal de plus en
plus favorable à la révolution, et le coup fut trop bien preparé pour
ne pas réussir sans direction, sans ordres précis, les regiments
fidèles devaient nécessairement succomber, comme ceux de Ver-
sailles, dans la nuit du 10 août. Les révolutionnaires portugais laissèrent
du moins à D. Manuel les issues libres pour fuir, mais la populace se
REVUE DU MOIS.

conduisit d'une façon ignoble vis-à-vis des religieux et des religieuses.


On a pu voir là une fois de plus ce que vaut la stupide formule du
nTrône et de l'Autel", quand par un long asservissement de l'Eglise
elle ne signifie plus qu'un ignoble césaropapisme. On ne sait toute-
fois pas à qui il faut donner la palme de l'infamie, des “ sans-cu-
lottes" lisbonnins, qui tuaient et maltraitaient des nonnes et des
moines, ou des journalistes libéraux qui remplissaient leurs colonnes
d'inqualifiables nouvelles sur les souterrains de couvent à couvent,
bourrés d'armes et de munitions, sur les sœurs de charité faisant le
coup de feu contre les troupes républicaines. La foi du charbonnier,
dont le libéralisme se moque tant, n'est rien en regard de la foi
aveugle et de la crédulité sans bornes que de pareils récits supposent
chez les lecteurs éclaires de la presse de "l'Intelligence et de la
Culture". Le bon Dieu saura d'ailleurs tirer le bien du mal. Beau-
coup plus que l'Eglise de France, l'Eglise du Portugal étouffait
sous la protection de l'Etat: elle était tellement infeodee à un gou-
vernement maçonnique que le sang de l'unité romaine y circulait à
peine encore. La séparation de l'Eglise et de l'Etat n'est de long-
temps pas la séparation de l'Eglise et de la Nation cela se voit en
France, où l'Eglise gagne en influence sur le peuple ce qu'elle a
perdu de la protection d'une bureaucratie qui l'asservissait et la
corrompait pour un maigre morceau de pain et quelques lambeaux
de drap violet.
En temps de révolution, ce sont les aspirants au pouvoir qui
manquent le moins, aussi a-t-on trouvé au premier moment un gou-
vernement provisoire, qui n'a rien eu de plus pressé à faire que de
chasser les ordres religieux et rien de moins pressé que de réunir
les Cortès. Si la chose était moins tragique, on éclaterait de rire à
la vue de gens qui depuis quatre semaines gouvernent sans Chambres,
qui ne songent pas à convoquer les electeurs, qui rendent décrets
sur décrets sans mandat regulier d'une assemblée populaire, et qui
font arrêter D. Franco pour crime de dictature: c'est bien le pro-
verbe allemand de maître Aliboron qui vitupère les longues oreilles
du baudet.
Le bruit courait ces jours derniers qu'une révolution avait
aussi éclaté à Madrid. Pour n'être pas encore vraie, la nouvelle a paru
vraisemblable, car les cosas de Espana ressemblent sous beaucoup
de rapports à la situation du Portugal les partis politiques se valent
à peu près en honnêteté et l'on détourne l'attention publique des
réformes essentielles en l'occupant de la guerre au cléricalisme. Les
XIII avec le ladicalisme lui coûteraient sa
coquetteries d'Alphonse
couronne que personne n'en serait étonné on pourrait parier cent
contre un que les fabricants de drapeaux républicains ont en ma-
gasin des stocks considérables. Et l'ont peut être sûr que les mêmes
horreurs se produiront qu'en Portugal Ferrer à Barcelone nous a
REVUE DU MOIS.

donné un avant-goût de la manière avec laquelle il exercerait sa dic-


tature et de la liberté dont on jouirait sous sa republique.
Cela n'empêche pas quelques âmes généreuses d'être fascinées
par ces quatre s\ llabes comme synonyme d'indépendance; elles
i impliquent cependant par elles-mêmes la libette pas plus qu'elles
n'escluent l'autorité. M. Bnand en a dû faire faire l'expérience aux
employés du chemin de fer qui avaient décrété la grève générale et
qui l'avaient iéalisée sur le réseau du Nord en entier et sur quelques
rjbeaux secondaires. Les grévistes avaient même organisé le sabo-
tage des rails et des signaux pour paralyser toute exploitation par
un personnel supplémentaire. Paris est resté coupé de Bruxelles, de
Dunkerque, de Calais pendant plusieurs jours, et si la grève avait
pris l'extention que les meneurs espéraient, Paris aurait revécu les
jours de famine du siège de 1870. Heureusement le bon sens du
personnel de l'Est, du P. L. M., et du Sud a résisté aux excitations
de fauteurs d'anarchisme et plus heureusement encore M. Briand a
oublie les folles theories de sa folle jeunesse pour agir pratiquement
a\ec une main de fer. Il a immédiatement fait occuper les lignes
militairement, et lancé le decret de mobilisation qui met le personnel
des chemins de fer a la disposition du ministre de la guerre et le
iend justiciable des tribunaux militaires. En outre il décapitait le
mouvement en faisant arrêter les chefs les plus violents, sans se
laisser gêner par le droit d'asile dont ils espéraient jouir dans les
bureaux de l' Humanité, sous l'égide de M. Jaurès.
Heureusement pour M. Briand, le parlement n'était pas réuni
au moment où il lui fallait agir: il en était quitte pour des inter-
pellations à discuter a la rentrée. Les demandes en pleuvaient aussi
bien du côté socialiste que du parti des combistes qui cherchent
depuis si longtemps une occasion de faire tomber le ministère
cette fois ce ne serait pas une pelure d'orange sur laquelle on le
feiait glisser; on le tomberait, on l'écraserait sous le poids des
principes. La lutte s'engagea dès la première séance, et elle dura,
homerique, pendant toute une semaine, et la gauche hurla comme
jamais les Grecs ne hurlèrent sous les murs de Troie elle ne trou.
v-it pas d'autre réponse à la dialectique serrée, et aux arguments
inefutables du président du Conseil. Il prouvait avec les documents
les plus authentiques qu'on n'avait pas à faire à un mouvement pro-
fessionnel, mais à une démonstration révolutionnaire, à une rebellion
ouverte et à main armée contre la nation. Les meneurs avaient
constitué un véritable corps de saboteurs avec des iastructions aussi
précises qu'aurait pu les donner un état-major en campagne.
Un législateur antique avait à dessein omis dans son code le
rarricide, "parce que, disait-il, ce crime est tellement contre nature
iu'il me parait impossible". Il en est de même dans nos codes mo-
Q^'ines il y a des crimes qu'on n'y a pas prévus parce qu'il sem-
blaient invraisemblables ou parce que l'on n'avait aucune idée des
REVUE DU MOIS.

circonstances où ils pourraient se produire. Les hommes d'Etat


obligés d'agir tout de suite ne trouvent donc pas toujours sous la
main un texte écrit qui fixe leurs droits et leur compétence il faur
dans ces cas appliquer le principe salus publica stlprema lex, et
c'est evidemment dans ce sens que M. Briand a repris le mot du
troisième Bonaparte: sortir de la légalité pour rentrer dans l'ordre.
Le pays y a applaudi, comme il y avait applaudi en i852, car le
droit de vivre lui parait supérieur au droit syndical en général <r
au droit très douteux des fonctionnaires en particulier. En effet le
service des postes, des chemins de fer, etc. ne peut en aucune façon
être assimilé à un service privé ceux qui s'y engagent le font a
bon escient, et ils peuvent et doivent d'autant plus renoncer au
bénéfice du droit commun qu'ils ont sur les autres ouvriers et en,-
ployés de notables avantages ils ne sont pas exposés au chômage,
jouissent d'un droit assuré de pension, et trouvent toujours le gou-
vernement de leur côté quand ils présentent aux compagnies dtz
requêtes relatives à la durée du travail ou à une augmentation de
salaires. C'est ce qui venait d'arriver: le gouvernement s'était en-
tremis de la façon la plus active et la plus efficace auprès des com-
pagnies pour obtenir satisfaction sur la question des salaires ma's
cela n'arrangeait pas les meneurs une augmentation de salaires oi>-
tenue par des négociations leur semble une defaite, aussi n'en n'ont-
ils pas attendu la fin pour donner le signal de la revolte.
Aussi ne suffisait-il pas à M. Briand d'avoir réprime la ré\o-
lution, il faut encore la prévenir, et M. Briand n'a pas hésite a
laisser entrevoir qu'il proposerait des moyens préventifs.. C'est a\^c
un bulletin de victoire et un plan de campagne dans les mains qu Il
s'est présenté à des adversaires et qu'il a restauré un ordre du jck-t
de confiance pleine et entière, le seul qu'il pût décemment accepter
Il l'a eu, mais son triomphe était trop beau pour quelques-uns de
ses collègues, qui n'avaient pas voulu l'abandonner dans les luttes
mais qui hésitent à s'engager dans celles de l'avenir: u
présentes,
rmnistèie s'est disloque et M. Biland a remis ses pou\oirs a
M. Fallieres pour se reconstituer un cabinet plus homogène.
Il y a des gens qui mettent volon'iers les excès du mouvement
syndicaliste en France en parallèle avec les echauffourées dont dei.
du Nord de Berlin ont été récemment le theâtie: la cor
faubourgs
paraison cloche sous plus d'un rapport. A Berlin ces mouvemer'i
n'ont aucun caractère politique c'est Guignol affame, ivre d'alcool
qui cherche dispute à n'importe qui, a piopos de n'importe qu,
attirer le commissaire sur les lieux et avoir le plaisir de 'e
pour
rosser. On est même a la saison où le Guignol des faubourgs
fait mettre en prison afin de passer l'hiver dans un local con\<
nablement chauffé, avec des habits moins loqueteux que sa garcU-
même dire aurait mor' S
robe ordinaire. Peut-être pourrait-on qu'il y
de casse et moins de bruit, si le commissaire en faisait moins liv-
REVUE DU MOIS.

même. Nous sommes loin de blâmer une action énergique pour


maintenir l'ordre public mais il y a la manière. L'arrestation im-
médiate d'un malfaiteur produit souvent des attroupements et un tu-
multe qu'on pourrait éviter en le faisant filer et en l'appréhendant
dans un tout autre quartier.
Ce qui est plus grave que ces émeutes de faubourg, comme il
eut en éclater journellement dans tous les pays à la périphérie de
toutes les grandes agglomérations, c'est le mécontentement genéral
produit par le renchérissement de la vie et attisé encore par les
«citations malsaines des socialistes et des anciens hlocards de gauche,
qui dans leur presse et leurs reunions publiques font croire aux
masses que ce renchérissement est une consequence du tarif douanier
et de la reforme financière. D'autre part les theoriciens du parti nous
démontrent que "ce rencherissement est un signe de haute efflores-
*,ence économique, un signe de piosperite genéiale: une diminution
des prix, comme elle est souhaitée par les masses indiquerait un
iecul dans notre évolution sociale. Le seul moyen pour combattre
le lenchérissement est et teste l'élévation du revenu: c'est le seul
sens vers lequel doive s'orienter le mouvement pour subvenir aux
couches inférieures de la société M. de La Palisse n'aurait ptis
pa mieu\ dire, précisément parce qu'il y a dans ce paradoxe un
^rain de \énte; du ieste les publicistes français ne tiennent pas un
autre langage, car les plaintes sur le renchérissement de la vie sont
aussi algues d'un côte des Vosges que de l'autre. ,,11 nous faut as-
seoir en nous, dit M. Marcel Prevost, la conviction que la vie
restera chère, et même qu'elle ira toujours en enchérissant. N'est-il
pas admirable que certaines personnes ou certains groupements de
personnes croient en l'efficacité d'un decret gouvernemental ou d'une
action judiciaire pour auêtei les effets d'une loi inscrite a chaque
page de l'histoire? Enchenssement plus ou moins rapide, mais en-
cherissement toujours – et jamais de regression, sauf catastrophe
'oila l'enseignement des annales humaines dès qu'on considere une
assez longue période de temps. Qucnd cet encherissement est lent
a continu, les gens l'acceptent presque sans s'en apercevoir. Ils
-lient quand il est brusque et \iolent, comme à l'heure actuelle.
L'accroissement du prit de la vie dans une humanité civilisée
<-t prospère est aussi infaillible que l'ascension du thermomètre en
ete. Seulement cet accroissement de prix correspond à plus de pros-
périté."
II n'est pas plus facile à la foule de se reconnaitre dans ces
contradictions entre la théorie et la réalité, qu'il n'est facile aux
libéraux de s'orienter entre leur haine du Centre, qui les pousse

1 Dr
Caleb, dans la Bïïrger^eitung z5 oct. igio.
Revue Française 23 oct. igio.
REVUEDU MOIS.

dans les bras du socialisme et leur peur de la défaveur gouverne-


mentale, qui leur fait chercher des points de contact avec la droite.
Ah 1 si on pouvait reconstituer le Bloc de M. de Bulow: mais l'ex-
périence a si mal réussi. Ou si au moins M. de Bethmann-Holwet,
ne se confinait pas dans un silence calculé et donnait un mot d'oidu 2
officiel; quant à ses officieux, ils semblent plutôt condamner h
tactique du parti libéral, ils ont adressé une mercuriale trcs veits
au Hansabund où le libéralisme cache ses visées politiqnes sous u
programme commercial et industriel, ils prennent ouvertement paru
pour la réforme financière, et c'est à droite plutôt qu'à gauche
qu'ils indiquent le point de ralliement pour les partis bourgeois. Ei1
outre plusieurs fonctionnaires ont éte deplacés dans l'intérêt du
service pour s'être mis en avant d'une façon trop significative dans
la formation du Grand Bloc de gauche. C'est un acte que nous ro
saurions approuver, mais les libéraux sont mal venus de s'e i
plaindre. Quand l'année dernière les Polonais et le Centre întei-
pellaient le gom ernement sur le déplacement de quelques agents
des postes à Kattowitz, simplement pour avoir donne leuis von. a
des candidats du Centre, le secrétaire d'Etat des Postes n'a pa^
trouvé de plus fidèles défenseurs que ces mêmes libéraux, qui jettent
aujourd'hui des cris de paon, parce que l'un ou l'autre des leurs es'
tombé dans la fosse creusée par eux aux clericaux.
Ces cléricaux viennent d'ailleurs d'échapper au plus grand
danger qui puisse menacer un parti la desunion. Il s'en est fallu de
peu que les catholiques allemands ne se séparassent en deux camp1:
comme jadis les catholiques français Louis Veuillot, cette fois
habite Breslau Montalembert et Dupanloup, Coîogne. C'est toujours
l'eternelle et inévitable lutte, entre le bien désirable et le bien pos-
sible entre le bien fondé d'un droit et l'opportunité de le faire
valoir; pour parler le langage reçu autrefois dans ce débat, entre la
thèse et l'hypothèse. Le différend est réglé: le cardinal de Breslau
a écrit au cardinal de Cologne une lettre où il avoue avoir éte mal
renseigné et où il regrette qu'une de ses lettres confidentielles an
été livrée à la publicité. Le différend relatif au Centre est reçk
aussi. Les députés Bitter et Rceren ont renoncé à leur idée d'exiget
du Centre une définition de lui même. Rien n'a mieux prouve l.i
vérité du vieux dicton scolastique Omnis definitio perictdosa! Gar^
aux définitions 1 que le danger de schisme où cette tantative avait
amené le parti si admirablement organisé par les Reichensperger et
Windhorst un parti n'a pas besoin de définition, sa définition re-
side dans son programme. MM. Bitter et Rœren ont aussi renonce
à confessionaliser l'organisation politique des catholiques allemands
et à la soumettre à la direction de l'épiscopat; ils ont declaré ad-
opter sans réserve la résolution de la commission mixte du Centre
prussien, du Centre au Reichstag et de la presse catholique, dot t
voici la teneur: Le Centre est en principe un parti politique non
REVUEDU MOIS.

confessionnel, se plaçant sur le terrain de la Constitution qui de-


mande à chaque député de se considérer comme le représentant du
peuple allemand en entier. Le Centre a donc pour but la prospérité
et l'égalité devant la loi de tous les citoyens, et il cheiche à dé-
fendre leurs interêts, en ayant toujours égard au bien de l'empire
et de toutes les classes de la société." Le Nonce de Munich s'est
exprimé dans le même sens. Il s'est rendu à Rome pour une so-
lennité de l'Ordre des Dominicains auquel il a appartenu, et il n'y
a pas de doute qu'a cette occasion il ne fasse au Saint Père un
rapport sur la situation actuelle du catholicisme en Allemagne per-
sonne n'est mieux qualifie pour cela que lui. Arrive à Rome,
Mgr Fr'uhwirth a reçu un rédacteur de la ,D. Tageszeitung" et lui
a fait entre autres la déclaration suivante BJe regarde comme in-
utile ou au moins inopportune une définition confessionnelle du
Centre il suffit que chaque député catholique soit profondément
convaincu de ses principes religieux." C'est le langage du bon sens.
nLe parlement, disait un jour tres justement le Dr Lieber, n'est pas
une faculte de théologie il n'a pas à rendre de décisions dogma-
tiques." Le parlementaire catholique reçoit ses principes de l'autorité
religieuse, mais il a à se mouvoir sur le terrain parlementaire où
on n'agit pas toujours d'après la rigueur des principes mais d'après
les circonstances qui les rendent plus ou moins applicables. L'Alle-
magne catholique peut se feliciter de l'issue de ce debat; car le
danger n'etait pas exclu de voir surgir entre Breslau et Cologne
une affaire qui par bien des points aurait rappelé celle du Sillon.

N. DELSOR.
BIBLIOGRAPHIE.

Revue Alsacienne Illustrée. IV» Fasc. Châteaux d'Alsace: Schoppen-


wihr. Nos Artistes. Elsassertum par O. Flake.
Images du Musée Alsacien. – Cour de ferme à Hoerdt. Les
Conscrits de Gimbrett-Solbach Bellefosse: Chaumière; Intérieur.
Meistratzheim: Femme partant pour la procession.
Etudes. 5 Octobre. Henry Boideaux, un defenseur de la famille.
Un archevêque et une municipalité au 17e s. La semaine so-
ciale de Rouen. – • 33e Assemblée gén. des Maisons d'Education chrét.
20 Oclobre. – Les foule;, de Lourdes au XII« s. – Philosophes
contemporains. – Psychologie de l'etat de grâce. – Les manifesta-
tions du 2e Octobre en Espagne. – A travers l'Islam.
Revue hebdomadaire: 29 Octobre. De Lanzac de Laborie, Les
Tragediennes du temps de Napoleon (I). Anatole Le Braz, Un
ami d'enfance de Lamennais. C -F. Ramuz, Anne Pache, peintre
vaudois (V). Frantz Funck-Brentano. A travers l'histoire Au déclin
de l'ancienne Fiance. • – Henry Boideaux, La Vie au théâtre.
P. Le rniELLEU\ Editeur, 10, rue Cabsette, Pans (6e). Le Fléau
romantique. Par l'abbe C. Lecigm-, Docteur es-Lettres, professeur de
litterature française aui Facultés hbies de 1 Ille. In- 12, 3 5o frcs.
M. Lecigne y etudie le mouvement romantique, non pas en
dilettante uniquement attentif aux formes et aux sons, mais en mo-
raliste que préoccupent la valeur des idées et leur retentissement
dans les consciences. Le romantisme coïncide avec le triomphe
de l'exotisme sur nos traditions autochtones, de la neviose sur la
sante et le parfait equilibre intellectuel. En religion, il est tour à
tour la litterature du pantheisme et du doute pleurnicheur; – en
morale, celle de la révolte sensuelle et de l'orgueil satanique; – il
intioduit dans la morale sociale ces sentimentalités romanesques que
Pie X vient de stigmatiser. Il deforme l'histoire avec Michelet. Il
bouleverse toutes les notions d'ordre sur lesquelles ont vécu l'esprit
français et la conscience française.
L'ouvrage se continuera. Ce premier volume est une introduction
générale écrite d'une plume savante et elégante. Il a sa place mar-
quée dans la bibliothèque de tous ceux qui s'intéressent au mouve-
ment des idées modernes et qui veulent les juger, non pas sur leur
surface brillante, mais sur leur vertu et sur leur influence dans la
vie morale d'aujourd'hui.

^V. DELSOR, rédacteur responsable

Strasbourg. Typ, F. X. Le Roux & Cie.


LE CURÉ MAIMBOURG.
(Sicile.)

Le 26 juin, Ritleng se plaint de n'avoir plus eu

depuis trop longtemps de nouvelles directes, mais nce qui


me console, a leur défaut, c'est que les indirectes que je ramasse
comme je puis, m'assurent que le trop zélé cuié d'Obernai se porte
bien et que tout va en croissant chez lui. Je l'en félicite de tout
mon cœur. Chez moi les affaires vont aussi par la même figure,
sed ratione inversa Le travail est toujours immense mais Dieu
merci, j'ai du secours. M. Schecker fait officieusement la besogne de
M Hager qui depuis huit jours ne parait plus sur l'horizon de la
Toussaint, étant occupé de transporter son menage chez M° Schell
chez qui il va se mettre en pension.
Tâchez de bien faire respirer le bon air à votre cher oncle,
notre chérissime collègue, et ayez soin de vous-même."
Dans la lettre du 2 septembre il est fait mention de

plusieurs nominations. BM. Stehlé, très recommandé pour une


bonne place par le recteur de l'Académie, va recevoir une commis-
sion pour le vicariat de Colmar. M. Hûrstel, le protège de M. Maim-
bourg, a demandé ce qui n'était pas vacant le Prélat a un souvenir
contre ce prêtre. Pour réussir à coup sûr, il me semble que Ma-
dame Maimbourg devrait écrire et recommander M. Hurstel pour le
dit Heitern. Quant au Sr Rumpler il sera piopose pour Schaid."
9 octobre.
Je vous envoie un lièvre, non de Schnersheim, mais de la
Wantzenau. Je l'ai trouvé dans ma chaise au retour de Drusenheim.
j'y ajoute une perdrix, faute d'en avoir plus. Je vous remercie bien
du travail que vous venez de me faire. Nombre de cantons ont déjà
eté servis, ainsi que l'arrondissement de Colmar. Nous nous sommes
à peu îencontres."
Revue. Novembre 1910. 41
LE CUKÉ MAIMBOURG.

P. S. 8M. votre oncle va un peu mieux. Le Prelat est de retour,


en parfaite santé."
La lettre du 27 novembre jette l'alarme au sujet de
la santé de l'évêque ,,11 n'ira plus loin. Avez-vous un souvenir
des mesures à prendre dans ma place en cas d'evénement? Les
instructions qui doivent exister la-dessus, ne me sont pas encore
tombees sous les yeux. Je pense qu'il vaut mieux d'y regarder trop
tôt que trop tard."
Maimbourg s'empressa de donner les renseignements
nécessaires, en cas d'événement.

"Dieu veuille, ecrit Ritleng le 4 décembre, que je n'aie pas


besoin de sitôt de ces renseignements dont cependant je vous re-
mercie. Le Prélat n'est plus alité, et grâce aux soins de son respec-
table médecin, il va bien depuis quelques jours."
18 décembre.

nC'est en m'édifiant que j'ai appris par le bien aimable abbé


Rumpler pourquoi il n'a rien pu m'apporter de votre main. Comment,
la paresse que vous n'avez jamais connue que dans les autres,
commence-t-elle aussi à trouver accès chez vous'5 Nouvelle preuve
qu'ici-bas tout est sujet aux changemens! Pourvu que cette vérité
n'aille pas se confirmer jusque dans les sentimens d'un coeur qui a
si longtemps résiste à l'ombre de mutabilité

Après ce préambule, il fait savoir que l'Evêque destinait


l'abbé Rumpler au vicariat de St-Pierre-le-Jeune, poste
qu'on regarde comme peu pénible. Mais le bon abbé a
de la répugnance pour Strasbourg et il croit aussi notre
air contraire à sa santé. Que faire?
A ce sujet, il continue d'écrire le 20 janvier 18 13:
BL'Evêque a déclare que M. Maimbourg n'aura jamais quatre vicaires.
,Quel administrateur serais-je si je donnais le superflu à l'un, en
laissant manquer du nécessaire à tant d'autres J'avais beau lui
observer que vous n'en demandiez pas quatre mais que vous vouliez
garder vos trois et simplement faire du bien à ce pauvre malade
Et bien ce pauvre malade n'aura jamais l'approbation pour Oberne,
si M. Maimbourg ne cède un de ses anciens. Entre autres nou-
velles Schecker est définitivement nommé à Hochfelden le vieux
Behr de Gunstett à l'important pèlerinage de Monswiller. Son frère,
un pauvre officier, retiré à Saverne, est venu demander cette nomi-
nation et l'obtint pas la raison qu'il faut menager les militaires. Le
genéral Desbureau^ avait demandé pour M. Fuchs de Wilwisheim la
cure de Hochfelden: Schecker l'a eue."
1 er février.
LE CUEÉKaiAIMBOUEG.

"Vendredi, il vint a Strasbourg une députation de Hochfelden,


en protestation contre la nomination de M. Schecker. Conduite par
M. Laurent, contrôleur dans la dite commune, elle s'est d'abord
adressee au Préfet, lequel a fait appeler M. Vion, l'homme de con-
fiance de l'évêque, le priant d'engager le Prélat de retirer et de
changer sa nomination. Celui-ci demande a connaître les griefs contre
son curé et à parler aut députes On a ecrit au Ministre dont on
attend la décision. Dans la même lettre le chanoine secrétaire annonce
la mort du vicaire-général Danzas. Une heure après sa mort,
M. Chatellain se présenta chez l'evêque et eut la promesse pour
son oncle M. Sultzer que vous connaissez et que je connais."
3 février.
"En vous adressant la circulaire ci-jointe, je vous dirai que
dans la lettre ministérielle il ne se trouve pas un mot sur les con-
ditions du nouveau concordat. On pense qu'elles ne seront connues
que lorsqu'elles auront éte communiquées au Corps Législatif. Une
lettre de Bailheux dit que le Samt-Pere se trouve depuis le concordat
chez le cardinal Donas, a une lieue de Pans."
L'Evèque de Mayence est appelé à Pans. On assure que vingt-
trois autres le sont avec lui pour convenir a\ec le St-Père, au nom
du clergé de France, des choses à régler."
Le 10 février, le secrétaire général communique à
son ami la combmaison que l'évêque se propose de faire:
Etant donné que le curé de Hochfelden ne puisse se
maintenir à son
poste, il nommera vicaire général,
M. Sultzer, curé de Truchtersheim, afin de pouvoir donner
cette place à M. Schecker.
Et de fait, l'évêque envoya la nomination de M. Sultzer
à l'agrément de l'Empereur. Seulement voici L'homme
propose et Dieu dispose.
Le 6 avril
l'évêque fait savoir au ministre que son
état de santé ne lui a pas permis de faire le mandement
de carême. Quelques semaines après, se sentant mieux,
il se décide à faire une petite tournée dans le Haut-Rhin;
mais son médecin essaye de le retenir, lui prédisant qu'il
ne reviendra pas vivant. «Mon devoir avant tout»,
réplique l'évêque octogénaire.
11 se mit en route le ier mai, accompagné de ses
alentours. Le lendemain il pontifie à St-Georges de Schle-
stadt où se célèbre la fête patronale, et le 3 il v donne
la première Communion et la Confirmation. Puis gardant
LECUBËMAIMBOUB&.

auprès de lui MM. Vion, Bouat et Marchai il prie MM.


Lienhart et Ritleng de retourner à leurs postes.
Le 4 il y eut Confirmation à Ste-Marie-aux-Mines,
le 5 a Holtzwihr, le 6 à Neuf-Brisach, d'où l'évêque se
rendit à Soultz et descendit chez M'~ Magnier, la sœur
du chanoine Bouat. Le 7 il ne sortit pas, tandis que le
8 il fit trois promenades assez longues. Rentré chez lui,
il se retira dans sa chambre, laissant souper les autres
et se contentant d'une tasse de thé. Après le souper, la
société fut lui souhaiter une bonne nuit et Je quitta vers
10 heures. Le lendemain dimanche, il devait confirmer à
l'église de Soultz, mais voici qu'après une nuit de som-
meil, la mort le guettant, laissa à peine a l'archiprêtre Vion
le temps d'accourir pour donner au mourant l'absolution
:'?! e~/re~M vers 5 heures Mgr Saurine avait cessé de
vivre.
Son corps fut transporté dans sa ville épiscopale
après de solennelles obsèques il fut inhumé à la cathé-
drale, dans le sombre caveau de la chapelle St-Laurent,
où il repose depuis tantôt un siècle, sans que la moindre
plaque funéraire rappelle aux fidèles qui vont et viennent
dans cette chapelle, sa présence sous ces dalles sonores.
Le lendemain de cette cérémonie funèbre, le 12mai,
le Chapitre se réunit dans la salle de séances, pour y
procéder conformément aux saints canons et au décret
impérial du 25 février 1810 à l'élection de vicaires capi-
tulaires, chargés d'administrer le diocèse durant la vacance
du siège. Furent nommés MM. Hirn, Lienhart et Vion.
Le vicaire général nommé, M. Sulzer, n'ayant pas
encore été installé, quand l'évêque mourut, fut de nou-
veau rendu à sa cure de Truchtersheim quant à Schecker,
ayant perdu son protecteur, il se vit obligé de renoncer
à son poste de Hochfelden et d'accepter, après trois ans
d'inactivité, la modeste succursale de Saarwerden.
Revenons maintenant à la correspondance de Ritleng-
Maimbourg. La dernière lettre que nous avons citée et
qui signalait la combinaison SuIzer-Schecker, porte la
date du 10 février; celle qui dans notre collection vient
LE CURÉ MAIMBOURS.

immédiatement après, nous amène au 16 juin. Cette


dernière garde le silence sur les événements que nous
avons cru devoir rappeler et qui pourtant touchait de
bien près les deux amis, tous deux les hommes de con-
fiance de l'évêque défunt. Il faut croire que dans cet
intervalte ils eurent occasion
d'échanger de vive voix leurs

impressions et leurs sentiments à ce sujet.


La lettre du 16 juin reprend le cours ordinaire des
choses. II s'agit d'enlever à M. Maimbourg un de ses
vicaires pour en faire un curé. Affaire bien simple
Et pourtant la lettre qui en traite vaut la peine d'être
transmise:
~Cherissime am), je désirerais beaucoup à vos frais obliger
M. Grœiling. c'est-à-dire je voudrais vous priver de votre vicaire
pour en faire un cure. M. le maiie de Schiltigheim, accompagné de
ses marguilliers, vient de me faire l'offre d'augmenter les trois cents
francs de supplément, si je lui procure un pasteur digne de sortir
de l'école d'Oberné. Auriez-vous la générosité de passer par-dessus
vos intérêts et de lui communiquer notre projet Si vous ne vous y
prêtez de bonne grâce, j'irai à Messeigneurs les vicaires capitulaires,
et j'espère bien emporter d'assaut ce que je n'aurai pu obtenir par
voie de capitulation. Je vous prie donc d en parler à M. GrœMing.
Si à la longue ce poste ne lui convenait pas, il serait toujours prêt
de la source où il pourra puiser à son gré."
Avant de terminer
lettre, sa
M. Ritleng fait savoir
qu'il a la procuration de M' Saurine ,Autorise à me faire
substituer, j'ai choisi M. votre oncle que Je prie d accepter afin
d'approuver mes comptes. Je pense que cette marche vous con-
viendra. Quand Il s'agira de traiter pour vous, on en choisira un
autre. J'ai là-dessus toute latitude. Des que nous aurons ia consul-
tation de Colmar sur le testament, on procèdera a la levée des scelles."
Dans une lettre subséquente du 12 juillet il dit: ,,M. Labeyrie
vient de m'écrire et affirmer la )eg)Umitë de votre réclamation sur
la succession de feu M. l'cvêque." Puis, très inquiet au sujet
de la santé de son chérissime ami, il lui recommande
d'en avoir
plus soin; et dans du 21 juillet, la lettre
il se
plaint de n'avoir pas de nouvelles a cet égard: "Je suis plus
au courant des degrés Je convalescence du curé de Porrentrui que
de celui d'Obernai. Le pauvre Migy a été administre le 17 courant.
Sa maladie était une fièvre bilieuse et une esquinancie qui menaçait
de l'empoiter. Les médecins le disent hors de danger, grâce à son
bon temperament. Mais où est-ce que les médecins en sont avec
LE CURÉ MAIMBOUBG.

notre cher Recteur d'Obernai ? On nous assure que de crainte ~)~o?!


ne veuille l'administrer, cc/u!c; s'est fait a~or~fr les clefs du 7"J~cr-
nacle, tte yot/?:< pas ~«~)'t!Mf le )!S!<'H:e ,/OMy,oit tV~.vc cri~'c,
le ~aHC~Mat're soit o:<r< ~o~r jwe qui fn~. C'est une sage prévoyance.
Si MM.les administrateurs capituiaires en étaient bien sûrs, ils ne
manqueraient pas de la signer."
Ici nous devons interrompre la causerie du chanoine
secrétaire pour trouver l'explication des paroles énigma-
tiques que nous avons soussignées dans cette lettre du 21.
C'est tout un événement qui nous amène, pour le conter,
à rappeler d'abord l'affligeante situation dans laquelle se
trouvait alors l'auguste Chef de l'Eglise.
Le Pape Pie VII, qui dans sa grande bonté d'âme
avait consenti à venir une première fois en France pour
le sacre de l'empereur, s'y trouvait de nouveau, non plus
hôte choyé et vénéré, mais victime des exigences injusti-
fiées de Napoléon, son captif, d'abord à Savone, puis à
Fontainebleau. Au faîte de sa puissance, le geôlier impé-
rial du Pape s'était bien écrié devant la menace de l'ex-
communication «Oh! elle ne fera pas tomber les fusils
des mains de mes soldats. » Et pourtant là, où les forces
ennemies échouèrent, la nature obéissant à la volonté du
Créateur, intervint, et ce fut elle seule qui fit tomber les
armes des mains gelées des soldats, ensevelissant sous
son blanc linceul, maculé de sang, les débris de cette
superbe armée, la plus belle que le monde eut vue, et
qui avait débuté par une promenade victorieuse à travers
l'Europe soumise.
A la suite de cette retraite désastreuse, il y eut de
longs gémissements dans le pays de France, les gémisse-
ments des mères, des sœurs, des épouses, auquels se
mêlèrent ceux des fidèles du monde entier, déplorant la
captivité du Saint-Père qui se prolongeait outre mesure.
Dans la petite ville d'Obernai, si religieuse, on s'en
était affligé comme partout ailleurs. Or voici que pour
hâter la délivrance du Pape, il s'y forme un groupe de
femmes et de jeunes filles, qu'on appellera les dévotes
de l'endroit, mais qui en réalité étaient de vaillantes
chrétiennes qui se concertent pour organiser entre
LE CUBE MAIMBOUB&.

elles une croisade de prières, une trentaine de messes


consécutives, avec communions quotidiennes et prières
faites en commun, sous la direction de l'abbé Dietrich,
un prêtre zélé qui vivait retiré dans son endroit natal. 1
En acceptant de dire ces messes, cet ecclésiastique en
croyait pas tremper dans un complot contre la sécurité
de l'empire, mais uniquement s'associer à un acte de piété
filiale. La chose ne fut pas prise ainsi à la direction de
la Police de Strasbourg, à laquelle le fait avait été
dénoncé; elle s'en émut et fit une descente sur les lieux
pour y procéder à une enquête.
De son côté, le curé d'Obernai qui était alors malade,
alité, ayant appris, ce qui se passait dans sa paroisse, en
informa aussitôt l'ëvéché, (lettre du 28 juillet) et, en
attendant pour empêcher ces communions ~c~K~M, il
se fit remettre les clefs du Tabernacle, avec défense pro-
visoire de ne l'ouvrir que pour administrer le Saint-
Viatique aux malades.
L'ami Ritleng, au contraire, avait pris la chose, à
son début, d'un coeur Icger, ainsi que nous le constatons
en relisant sa lettre du 2! juillet; mais quelques jours
après, il cessa de badiner, lorsqu'il s'aperçut de l'émoi
que cette singulière histoire causait aux administra-
teurs du diocèse. L'un d'eux, M. Lienhart s'empressa
d'en rëférer au Ministre, en lui exposant le cas dans deux
lettics consécutives du 25 et du 2Q juillet, qu'on pourra
lire parmi les pièces justificatives. De plus, le 26 juillet,
le chanoine archiprêtre Vion, accompagné de M. Ritleng
se rendit au nom du Chapitre, a Obernai, pour informer.

1 Dietrich François Antoine, né à Obernai le t8 fevrier i~53,


fut pendant neuf années desservant du prieure de Courville dans le
diocèse de Chartes. A l'epoque du Concordat il demeurait à Obernai,
y obtint la desserte de l'éghse du faubourg, (l'ancienne église des
Capucins) érigée, grâce à ses démarches, en succursale. Celle-ci ne
conserva pas longtemps son autonomie. L'abbc Dietrich se voua
alors a l'enseignement et dtngea une école latine dont on lit l'etoge.
Il était occupe de ces fonctions loisuu'it se vit më)c a l'affaire du
C0~)j~0f.
LE CUBE MAIMBOUBG.

Ils y trouvèrent la commission générale de la Police qui


avait déjà commencé sur ordre de la Préfecture une in-
formation sur le même sujet. On fit l'enquête en commun.
I! fut reconnu que le <tfanatisme M avait effectivement
égaré plusieurs personnes de la dite ville, et que le projet
de faire des prières non autorisées était formé; que cette
association avait pour but de faire des prières extraordi-
naires pour la mise en liberté du Saint-Père, et non pour
la chute de l'Empereur, accusation qui fit frémir les
personnes, mises en cause. Personne ne fut trouvé assez
coupable pour être arrêté, à l'exception de M. l'abbé
Dietrich qui fut interné à Strasbourg, où son innocence
ayant été reconnue, il fut mis en liberté, mais à condition
serait d'Obernai. 1
qu'il éloigné
Nous pourrions nous étonner aujourd'hui de l'agitation
excessive que ces prières organisées par les dévotes
d'Obernai causèrent dans les sphères administratives. Et
pourtant il n'est pas nécessaire de remonter si haut pour
constater à propos de rien ou de peu, de semblables
émotions. Du reste il ne faudrait pas oublier que l'Aigle
impérial était revenu blessé de la campagne de Russie,
que lui et son gouvernement en étaient devenus d'autant
plus nerveux, plus ombrageux, et qu'avec un peu d'ima-
gination on eût pu découvrir dans ces innocentes prières
d'Obernai, une conjuration contre l'empire, la délivrance
du Saint-Père ayant pour conséquence la déchéance de
l'Empereur; et je vous assure qu'on ne plaisantait pas
alors, M. Maimbourg, l'ancien chanoine secrétaire en
savait quelque chose.
L'abbé Dietrich ayant été éloigné de son endroit natal,
le Préfet s'inquiéta en plus de ce nombre d'ecclésiastiques
sans poste qui se trouvaient à Obernai il communiqua
à ce sujet les réflexions suivantes aux vicaires généraux
,La réunion dans la ville d'Obernai d'un plus grand nombre
d'ecclésiastiques que ne peut employer le service de la paroisse,

1 L'abbé Dietrich fut nommé le ier octobre i8i3 à la succursale


de Diebo'sheim, où il resta jusqu'à sa mort, le 26 avril 1828.
LE CURÉ MAIMBOURC.

pourrait ne pas être sans influence sur ]a fausse direction qu'ont


pris les sentiments religieux chez une petite partie des habitants de
cette commune. D'une maniere ou d'une autre, on veut agir, c'est
la pente de chacun, et à défaut d'action directe, on cherche a prendre
de l'influence. Une paroisse qui n'a précisément que le nombre
d'ecclésiastiques que la desserte exige, n'a de réunions religieuses
qu'à i'eglise, et personne n'imagine qu'il y ait plus de mérite à prier
Dieu dans les conciliabules que dans la communion générale des
fidèles. C'est dans ce parti que plus d'un piège peut être tendu à la
piété, et qu'en effet plus d'une âme pieuse s'est laissée égarer de la
bonne voie." Aussi, le Préfet, en terminant, conseille-t-il
d'éloigner les prêtres inutiles.
M. Maimbourg à qui cette lettre pastorale du Préfet
avait été communiquée, fit observer à M. Vion, vicaire
capitulaire, que les prêtres retirés à Obernai, n'étaient
pas en état d'accepter un poste; «ils sont du reste tous
bien intentionnés; les esprits y sont calmes et justes. »
Il y avait de fait à Obernai un certain nombre de
prêtres qui vivaient retirés dans leurs familles. C'étaient
pour la plupart des ecclésiastiques âgés, d'anciens reli-
gieux et autres, dont la vie s'était fatiguée dans le saint
ministère, et plus encore, dans les privations de l'exil.
Ces prêtres étaient plutôt édifiants que gênants, et le
clergé paroissial n'avait pas lieu de s'en plaindre.
Aux archives de l'église d'Obernai on conserve une
feuille de Budget, la seule de ce temps. Nous y lisons
sous la rubrique vin de messe: Kpour 16 messes par
jour, 226 francs.])~ D'après cela, il y. aurait alors, à Obernai,
environ 16 prêtres célébrant chaque jour le curé et ses
trois vicaires; de plus une douzaine de prêtres habitués, 2

Ce renseignement, et quelques autres encore, nous ont été


donnés par M. le recteur Isselé, ce dont nous le remercions tci bien
cordialement.
Voici les noms de ces vénérables prêtres, retirés alors à
Obernai, dans leurs familles
Dietrich Jos. Ant., né le !i mai 1738. ancien curé de Wingen,
émigré, 'j' 1816.
Dietrich François Antoine dont il vient d'être question.
Eck Ignace, t/2(), ancien cure de Stotzheim, 'f i8iy.
LE CUBE MAIMBOUBS.

lesquels assistant à l'office paroissial du dimanche, devaient


donner à l'église d'Obernai l'aspect d'une véritable collégiale.

<

Pendant que l'on s'occupait de ces vétilles, de bien


graves événements agitaient l'Europe. La campagne de
1813 qui devait rendre tout son éclat à la gloire impériale,
voilée par la retraite de Russie, était entrée dans sa
seconde phase. Elle se termina, ainsi qu'on le sait, par
cette bataille, appelée la bataille des géants, ou des nations,
dont l'issue fut défavorable au favori de la victoire.
160000 hommes furent mis de part et d'autre hors de
combat. Les blessés, se trouvant en état de rentrer en
France, se hâtèrent de regagner la terre natale. La petite
ville d'Obernai eut son contingent de ces éclopés de la
guerre, revenus dans leurs familles dans un pitoyable état.
Pour comble de malheur, le typhus dont ils avaient
apporté les germes, se déclara parmi eux et causa de
sérieux ravages dans la commune.1 Le clergé paroissial,

Hoffmann Ignace, 1767, ancien curé de Huttendorf, -j- 1844.


Martz Fr. Ant., !y54, ancien dominicain de Haguenau, P. ~M~u-
~<t'n«~i't825.
Muller Jos. Ign., 1734, ancien capucin de Weinbach, P. Siméon,
t i8t5.
Pimbel Fr. Jos, ci-devant capucin de Haguenau, P. Plactde,
t 1824.
Reiffsteck Fr. Jos., né à Ohlungen, 1741, ancien chanoine de
St Léonard, '}' 1816.
Voltz Frédéric, i/Sg, gardien du couvent de Luppach, P. Joachim,
t [8f2.
Wagner Nicolas, 1748, capucin du couvent d'Obernai, P. Gene-
ro~M~, t 1818.
Le registre mortuaire de l'état civil d'Obernai n'indique pas le
genre de maladie à laquelle ont succombé les morts mais en com-
parant les décès des années d'avant et d'après l'épidémie, on peut
juger de son etendue. Ainsi en t8ft nous comptons i35 decès; en
!8it: 166; eni8i3: 2~ en ;8!4: 236; en i8i5 le chiffre retombe
a 107; ce qui fait pour les deux annees i8t3 et ;8i4 une augmen-
tation d'environ 200 décès. (Communication de M. l'abbé Bergemer.)
LE CURÉ MATMBOUB&.

le curé en tête, paya largement de sa personne durant


cette épidémie. AL Maimbourg en fait mention dans une
courte autobiographie qu'il dut rédiger en 1820. Citons
en le passage tout entier:
«Après treize ans d'émigration, je suis rentré en France
avec feu mon oncle, le Prélat Marchal, qui a eu l'honneur
de remplir à la fin de lyot une mission à Vienne; elle
avait pour but la conservation de l'armée de feu S. A.
S. E. Mgr. le Prince de Condé dans les Etats de feu
S. E. le cardinal de Rohan que feu l'empereur Léopold
voulait faire dissoudre.
Héritier des principes et des sentiments de mon
oncle, j'ai eu l'occasion de protéger plusieurs curés accusés
de royalisme, du temps de l'usurpation; comme secrétaire
de I~Evêchë, j'ai été dénoncé à différentes reprises aux
ministres Fouché et Savary. Les archives de l'Evêché et
de la Légation, ainsi que la correspondance privée qui se
trouve dans mon portefeuille le prouvent." »
Transféré à la cure de l'intéressante ville d'Obernai,
pour avoir déplu à Bonaparte, j'ai eu l'occasion de rendre
des services très importants aux débris de l'armée fran-
çaise qui revenait de Leipzig j'ai organisé, moyennant
des quêtes, un hôpital pour les malades et un magasin de
vêtements pour habiller les paysans déguenillés qui
gelaient de froid. Les soins donnés aux nombreux ma-
lades, atteints du typhus, m'ont valu cette maladie, ainsi
qu'à mes trois vicaires dont l'un a eu le malheur de suc-
comber. J'ai dû faire administrer l'hôpital et ma cure par
des prêtres étrangers pendant la durée de notre maladie.
M. de Lezay-Marnésia, touché de ma position, m'a écrit la
lettre, la plus honorable, lors de mon rétablissement; d'après
son contenu, il a cru devoir me recommander au gouverne-
ment d'alors pour m'obtenir la croi\ de la Légion d'honneur.)) »
Les trois vicaires, cités par leur curé à l'ordie du jour
pour leur dévouement, furent Jean Michel Grœiling de
Dahlenheim, ordonné en !8og,~ 1 Jean Georges Bernhardt

1 Il fut en dernier lieu curé de Zellwiller, et mourut en 18~


retiré dans son endroit natal.
LE CUBÉ MAIMBOUE&.

de Kindviller, prêtre en iStt,~ et Thiébaut Rumpler.


C'est ce dernier, le Benjamin du presbytère, qui devint la
victime de la cruelle épidémie, ainsi que nous le redit la
touchante inscription de son monument funéraire. 2
prise
Enfant d'Obernai, né le 17ou le ig octobre 1780, il
fut ordonné prêtre le tg décembre t8t2 et aussitot appelé
à exercer les fonctions de vicaire dans son endroit natal.
Dès le début de la contagion, on le vit, avec ses collègues,
nuit et jour auprès des malades, et il futundespremiejs s
a succomber au fléau, le 23novembre i8i3. Il n'avait que
24 ans lorsque l'ange de la mort l'enleva, en plein exercice
de la charité, pour lui en faire cueillir la palme céleste
des mains de son Dieu.
Dès qu'a l'Evèché, on connut la maladie du curé et
de ses auxiliaires, le vicaire capitulaire Lienhart s'empressa
d'écrire à M. Maimbourg la lettre suivante:
Strasbourg le i~ novembre 1813.
Mon cher ami
,Je suis sensiblement touché de la situation affligeante dans
laquelle vous vous trouvez et je vous prie en ami de vous ménager
vous-même. Vous avez des prêtres dans votre paroisse qui peuvent
bien entendre a confesse et administrer les malades. Faut-il donc
que vous fassiez tout par vous-même?
Pour votre ecole je vous donnerai tant de Séminaristes que
vous en voudrez. Vous savez que tout ce que j'ai, est à votre dis-
position. Rumpler que vous demandez n'est pas assez bien portant,
il se plaint depuis quelques jours. Je vous l'envoie, s'il vous con-
vient, il est à vous. Demandez un autre, s'il vous convient, il est
encore à vous."
Je vous embrasse. LIENHART.

1 en dernier curé à Griesheim, d'ou il prit sa


Bernhardt, lieu,
retraite et t en 18~.2.
Hic jacet
Pl. Rev. Dom. Theobaldus Rumpler
Presb. Dioc. Argenunensis
Hujus Ecclesiae Parochialis Vicarius
Dilectus Deo et Hominibus.
Cum dira Lues Civitatem depopularetur
Perdius ac Pernox apud Aegros HaErens
Malum cum Primts Hausit
A Pugna Evocatus ad Coronam
Die 23 Nov. Anni 1813 Aetaus 24 annm.
UECURËMAIMBOURG.

Le curé demanda Rumpler, de son prénom Gabriel,


un compatriote et un condisciple, de la même ordination
du cher défunt auquel i) devait succéder.
C'est ainsi que l'année 18:3 s'achevait pour Obernai
dans la tristesse et le deuil auxquels vinrent s'ajouter les
grandes inquiétudes des affaires publiques.
La bataille de Leipzig avait fraye aux alliés le chemin
de la France. La ville de Strasbourg fut mise en état de
siège le 4 novembre. Craignant qu'ils ne lussent ainsi
privés de toute communication avec le diocèse, les vicaires
capitulaires s'adressèrent, par lettre du 2 novembre, au
ministre des cultes, pour le consulter sur la conduite qu'ils
avaient à tenir, et si ce n'était pas le cas de transférer
l'administration sur un autre point de la province. Ils
reçurent la réponse suivante
Paris, t/ novembre iStB.
“ Messieursles vicaires généraux, vous m'exposez par votre lettre
du 12 de ce mois, que la ville de Strasbourg ayant été déclarée en
etat de siège, vous avez cru de votre devoir de demander que je
vous trace la conduite à tenir dans le cas où les communications
seraient interrompues.
Il ne peut y avoir à cet egard le moindre doute. Vous devez,
à moins d'un ordre positif, rester à votre poste pour y montrer
l'exemple de la fidélité et du devouement au Couve; nement. Vous
prcvo\ez d'ailleurs ce qui n'est nullement prësumabtc, et vous devez
vous garder d'ajouter foi à des bruits que la malveillance ou ta
pusiUanimitërepandraient. La présence de Sa Majesté, ses ressources,
son gërue, doivent au contraire vous inspirer la plus grande confiance."
Signé, le C's BIGOTDE PtUSAMENEU
min. des cultes.
Cette belle assurance du ministre s'est trouvée moins
justifiée que l'appréhension des vicaires généraux. Le
21décembre, les alliés franchissent le Rhin, se répandent
en Alsace, et se montrent bientôt jusqu'aux avant-postes
de Strasbourg. Aussi en prévision d'un blocus de la ville,
le Chapitre de la cathédrale, dans sa séance du 11dé-
cembre, avait-il arrêté la nomination de ~ro~c~'r~, avec
pouvoirs spécifiés, qu'ils auraient à exercer aussi longtemps
que toute communication serait interrompue, resterait
interceptée soit avec la ville épiscopale, soit avec l'un ou
LE CUB;È .MAULUOUM.

l'autre des vicaires généraux. Le 26 décembre, ces pouvoirs


furent adressés aux provicaires nommés, à savoir: à M.
Lorenzino, curé de Ribeauvillé, pour les arrondissements
de Colmar et d'Altkirch a M. Migy, curé de Porrentruy,
pour ceux de Porrentruy et de Délémont.
On reconnut (le 3 janvier i8t~) la nécessité d'accorder
les mêmes pouvoirs pour le Bas-Rhin à M. Oberlé, curé
de Wissembourg, pour son arrondissement à M. Poin-
signon, curé de Haguenau, pour les arrondissements de
Haguenau et de Saverne; à M. JMaimbourg, pour ceux
de Strasbourg et Schlestadt. AI. Migy, décédé, est rem-
placé comme provicaire par M. Hennct, curé de Délémont.'
Le blocus de Strasbourg avait commencé le janvier
(18!~), et il se prolongea jusqu'a l'armistice conclu le
]5 avril entre les parties belligérantes. Les nouvelles
onioelles de Paris, l'entrée des alliés dans la capitale,
l'abdication de Napoléon, le rétablissement des Bourbons
sur le trône, ne parvinrent a Strasbourg que le 10,
jour de Pàques. Le 8, la garnison du fort de Kehl avait
encore fait une vigoureuse sortie.
Les vicaires-capitulaires et le Chapitre se trouvèrent

1 Vu le
pér)l d'une nouvelle invasion et d'un nouveau blocus
de la ville episcopale, le Chapitre arrêta le 26 avril i8i5, qu'il serait
encore pourvu à l'administration du dioccse par le moyen de pro-
vicaires, au cas que les communications fussent interrompues avec
les vicaires généraux.
Furent désignes
MM Paulus pour Wissembourg 1
Prevot Saverne
Oberle Schlestadt
Oberlé et Prévôt “ Strasbourg
Lorenzino Colmar
Chevrier “ Altkirch et Belfort.
MM. les curés de Landau, Schlestadt, Neuf-Brisach, Huningue
et Belfort dans leurs villes respectives,
avec les mêmes pouvoirs qu'avaient en t8i-). leurs predecesseurs:
ajoutant qui si l'un ou l'autre venait manquer, ces dus pouvoirs
seraient exercés par celui des Provicaires qui par sa résidence serait
le plus proche de la residence du manquant.
LN CUREMAIMBOUEG.

ainsi durant la Semaine-Sainte dans l'impossibilité de


communiquer avec le dehors; ils avaient donné commission
a M. Maimbourg de chercher le Stes-Huiles a Offenbourg
et d'en soigner la distribution aux paroisses par les pro-
vicariats.
Un écrit que nous avons sous les yeux, nous apprend
comment le curé d'Obernai s'est acquitté de son office,
alors que le pays était rempli de troupes ennemies. Il
se fit d'abord donner le passe-port suivant:
Le maire de la ville d'Obernai.
Invite toutes les autorités civiles et militaires de laisser
passer et repasser librement, M. Louis Maimbourg, pro-
vicaire général de l'Evêché de Strasbourg et curé de la
ville d'Obernai, se rendant avec son secrétaire à Offen-
bourg auprès de S. A. le prince-évêque de Bâle, à l'effet
de recevoir les S'~ huiles pour le diocèse de Strasbourg,
et de lui donner aide et assistance en cas de besoin.
3 avril 1814. S~Rn'FLER.
Le provicaire entreprit son voyage Jeudi-Saint, le 7,
et il le fit aller et retour en une journée, ainsi que
le constatent les r/M de son passe-port.
«Hat die Schiibrucke passiert
Goldscheuer, y' April iSi-
GRAF vo\ SroxECK, Obrist
Passiert Insel Ruhgrun, den 7"=" April i8j~
N,oi~,BoHi-r. Capit
Capit
Passiert
voN retour, BoHLEN,

Offenbourg, 7' April 1814.


B. K., Commandant

M. ScmCKELh..

(A ~/wc.)
LE UVRE DE MAISON
D'UN BtSAÏEU al

Le livre de maison (Hausbuch), le livre de famille,


le livre de raison (liber r~'OHMM,), le livre de compte de
nos pères n'était pas, d'ordinaire, un simple livre de
comptabilité, mais encore un mémorial où se trouvait
consigné tout ce qu'il importait aux générations futures
de connaître. A ce titre, ces livres sont précieux pour les
familles qu'ils concernent; mais ils peuvent offrir un
intérêt plus général. On y trouve, en effet, souvent, ne
serait-ce que dans de brèves et expressives paroles, quel-
que chose qui nous touche et nous édifie une haute idée
de la mission et des devoirs des parents, un sentiment
profondément chrétien qui se mêle à tout et domine tout
(mœurs qui ont bien vieilli, hélas !) Outre cela, les
usages, les détails de la vie, qui y sont mentionnés,

1 Je me permets de profiter de l'occasion qui se présente


pour
rectifier, quoique bien tardivement, une erreur de quelque importance
qui s'est glissée dans mon travail intitulé ~7):épisode de la Grande
Révolution en Alsace. Dans la livraison de Juin 1900, page 33~ au
lieu de:
M. Rosentritt, qui habitait la maison de Bode, payait 1200
francs de location et en retirait de 12 à 1600 francs par an,
il faut lire:
payait 1200 francs de location pour les salines et en retirait de
t2 à 16000 francs par an.
LE MYJH.E DE MAlbON D'UN BISA~UL.

contrastent avec le milieu où nous vivons et respirent ce


charme particulier qui s'attache aux choses du passé.
Peut-ètre les lecteurs de la 7~C7'~cne seront-ils pas insen-
sibles a ce genre d'attrait et jetteront-ils volontiers un
coup d'oeil dans le journal intime (GfV/c~ //c!MC/!)
de mon bisaieu).
C'est à Rorschach, en 178!, que Laurent Joseph
Salvini de Sonnenthal commença à écrire son Ge/ze~Hc's
~S~~f/
Rorschach, jolie petite ville, gracieusement étalée sur
le penchant des collines qui bordent le lac de Constance,
du côté de Saint-Gall, était, au 18~ siècle, une place très
importante a cause de l'activité de son commerce avec ]e
Tyrol et ['Italie et avec les pays riverains du lac. Ror-
schach était alors le séjour d'anciennes familles dont
plusieurs avaient des relations de parenté en Tyrol c'est,
sans doute, ce qui y attira Joseph Salvini qui était ori-
ginaire de Rendena,~ dans le Tyrol italien. De cruels
événements avaient presque anéanti la famille Salvini et
Joseph, son unique rejeton, ne pouvait guère voir le pays
natal qu'a travers un voile de deuil. 2
Bonaventura Salvini, le grand-père de Joseph, était
mort prématurément, laissant trois fils encore en bas âge,
Pietro, Antonio et Felicissimo. Le~ orphelins tombèrent
entre les maius de tuteurs avides et sans conscience qui
dilapidèrent )a fortune considérable de leurs pupilles, au
point qu'il n'en restait plus guère, quand Pierre fut
majeur, qu'un beau palais et ses dépendances. Pierre prit
alors le parti de tout abandonner à ses deux frères~ et

'H était né, le iy Décembre i~~i.


2 L'exactitude du rectt qu[ suit est attestee pa) )e prince evêque
de Trente, Christophe Stzzo, dans une pièce latine, datée du 28 No-
vembre lyCo.
Antunio exerça des ionctions importantes dans son pays et
mourut sans postérité. Quant à Felicisstmo, Il entra dans l'Ordre
des Carmes déchausses, prêcha, avec grand sucées, a Rome, sous le
nom de Pcre Bernardm de Saint-André, et fut envoyé comme nus-
t'ionnaire apostolique en Rhcue, dans le pa\s où St Fidele a~ait
Revue.Novembre ISiO. 4~
LE MMLEDE MAISON
D'UNBISA)EU]j

de s'adonner au commerce pour relever sa maison. Dans


ce but, il se mit à apprendre l'allemand et le français
qu'il parla bientôt aussi couramment que l'italien.
Mais, si généreux que iut son dessein, Pierre Salvini
se résignait difficilement au genre de vie auquel il le con-
damnait. De plus nobles aspirations le tourmentaient:
rien ne pouvait l'en distraire. Aussi, la guerre ayant
éclaté, en 1735, entre la Maison d'Autriche et les rois de
France, d'Espagne et de Sardaigne, s'empressa-t-il de se
rendre au camp autrichien, en Italie, pour offrir ses ser-
vices. Chargé de l'intendance de l'armée (~V~r!~ a~HO~~
~r~r/ëc~), il se signala, non seulement par son zèle dans
l'exercice de ses fonctions, mais aussi par son courage
militaire, et ne résigna sa charge que quand il fut à bout
de ressources.
De retour dans son pays, Pierre Salvini reprit ses
anciennes occupations et s'acquit une grande considéra-
tion, tant par son intelligence des affaires que par la
noblesse de son caractère. Mais, en 1746, la guerre
l'appela de nouveau à l'armée. Oubliant et les dangers
qu'il avait courus et les pertes qu'il avait subies, la pre-
mière fois, il n'hésita pas à se dévouer une seconde fois.
C'était le dernier témoignage de dévouement qu'il allait
donner à la Maison d'Autriche; et ce dévouement, com-
bien il allait lui coûter cher
Le 5 Décembre ly-t.o, une révolte éclate à Gênes.
L'insurrection s'étend à tout le pays. Le marquis de Botta,
qui commandait les troupes impériales, est forcé de se
retirer laissant un millier de morts et de blessés dans les

pën victime de la fureur des calvinistes. Son portrait qui, dit-on,


fut peint apres sa mort, le représente élevant, d'une main, le crucifix
qu'il montre de l'autre ce tableau semble être plutôt l'image d'un
saint qu'un portrait de famille. Au bas se trouve l'inscription sui-
vante P. 7*Bcr?!a?'):M. a. S. Andrea carmelita e~ca/cea~us ;M
~f?c!o ~'6/;C!'MtM:~ .S~/)'n:H.s Trt'i~H~'n.r ~a?CMM re~-M/~rM ~~c~/x!~
e~M! cultor o~tn'MM r:?tM~;H e.f~n:r Obizt ~om~p !'): conventu
S. ~7ar!'tt' de Scala 3o y~t:. 7~~ ~c~~t~ y~ profes. C~.
11 serait donc entre dans l'Ordre à l'âge de 12 ans
LE LIVRE DE MAISON D'UN BfSAÙEUL.

rues de la ville. Pierre Salvini tombe au pouvoir des


insurgés. H est dépouillé de tout et tenu dans une dure
capuv;té. 11 réussit, cependant, à. faire savoir à Trente
dans quel état déplorable il se trouve. Aussitôt parents
et amts s'empressent de lui porter secours mais en vain.
Les plus actives et les plus patientes recherches restent
sans résultat: impossible de retrouver les traces de l'in-
fortuné prisonnier
Quelle cruelle entrée dans la vie pour le fils unique
que laissait Pierre Salvini! Ce fils c'était Laurent Joseph,'
âge alors de quatre à cinq ans. Mais ]a divine Providence
prit soin du malheureux orphelin: elle le savait digne de
ses bienfaits.
Souvent le malheur aigiit le caractère, assombrit le
regard et dépose au fond de l'àme un ferment de révolte
qu'on a de la peine à étouffer ici, rien de semblable.
On en jugera dès les premières lignes du Geheiiiies /7~
buch. En voici la fidèle traduction
«Avec l'aide de Dieu, à Rorschach, l'an 1~81.
K Description de la manière dont ont été célébrées, le
g Octobre tjSt, les noces de Laurent Joseph Salvini de
Sonnenthal, avec l'indication des cadeaux reçus et des
principales dépenses faites a cette occasion. Tout en l'hon-
neur de la Très Sainte Trinité, Dieu le Père, le Fils et
le Sa.int-Esp[it, à qui soient louanges, actions de grâce
et gloire a jamais
{( Quand la divine Providence m'eut appelé au saint
état du mariage et eut désigné, d'une manière vraiment
surprenante, pour mon epouse la très noble demoiselle

1 La reconnaissance de l'Impératrice Marie Therèse sut trouver


le fils de celui qui s'etait si généreusement dévoué à la Maison
d'Autriche. De magntfiques lettres patentes, auxquelles est appendu
le grand sceau de l'Empire, octroient à Laurent Joseph Salvini et à
toute sa descendance masculine et féminine, avec tous les droits et
privilèges de la noblesse de l'Empire, de nouvelles armes et le titre
von .SoHnfttt/ittf à ajouter au nom de Salvini.
Jusque là, les Salvint portatent ecartelé de gueules à un soleil
d'or, et d'argent à deux bandes d'azur.
LE LIVRE DE MAISON D'UN BISAÏEUL.

Maria Antonia de Pillier, avec le consentement de sa très


chère mère, la très noble dame veuve Marie Ursula
OZ'<?rya?~ de Pillier, née de Bayer, de ses frères et
sœurs et de sa noble parenté, sans les préliminaires
accoutumés de fiançailles publiques et sans avoir fait
dresser de contrat de mariage, notre union fut bénite,
tout à fait dans l'intimité, le mardi, 9 Octobre 1781, au
couvent de Mariaberg~, par le Rév. Gherold Brandenberg,
curé, membre du Chapitre de l'abbaye princière de Saint-
Gall. Nous nous y rendîmes, par un temps délicieux, à
dix heures du matin, dans trois voitures seulement.
« Dans la première voiture se trouvaient la fiancée
et son beau-frère, Ferdinand Joseph Albert de Bayer, qui
faisait l'office de paranymphe dans la seconde, Madame
la Z~Mc~'ce~ de Zweyfel, sœur de la fiancée, et le fiancé;
dans la dernière, Madame de Bayer, soeur de la fiancée,
Monsieur le jL~M~o~ de Zweyfel et son HIs.))»
On avait eu soin de faire bénir, la veille, les vête-
ments de noce et, le jour du mariage, toutes les messes,
au couvent de Mariaberg et au couvent des capucins de
Langenargen~, furent célébrées pour les nouveaux mariés.
Quand la cérémonie fut terminée, on fit une halte
dans le jardin du couvent puis, au coup de midi, les
voitures vinrent reprendre le petit cortège pour le con-
duire chez la mère de la fiancée, «qui avait fait préparer
un magnifique festins.

1 Le couvent de Mariaberg était une succuisale de l'abbaye de


Saint-Gall. En 14.8-)., l'abbé Ulrich Rcesch voulut transférer l'abbaye
à Rorschach, trouvant le site plus avantageux mais il n'y put
réussir. Cette fondation resta une succursale de l'abbaye, jusqu'à la
suppression de cette dernière, en i8o5. Mariaberg, où l'on voit
encore un beau cloître, est, aujourd'hui, propriété de l'Etat et a eté
transformé en ecole normale d'instituteurs pour le canton de Saint-
Gall.
Petite ville du Wurtemberg situee de l'autre côté du lac de
Constance.
Le jardinier du couvent avait eu l'attention de disposer des
arbustes et des Heurs sur le passage du cortège.
LE LIVRE DE MAISON D'UN BISAIEUL.

I! n'y avait que quinze couverts. Je retrouve, dans la


liste des convives, les noms de ces vieilles familles, toutes
apparentées les unes aux autres, dont on nous vantait,
dans notre enfance, la vie large et simple, gaie et calme,
où la cordialité s'alliait si bien à la dignité, où l'absence
de toute prétention n'excluait pas un certain apparat et
un luxe de bon aloi. Que l'oeuvre impitoyable du temps
est rapide! Il a suffi d'un siècle pour disperser ou faire
disparaître ces familles, alors si solidement établies. II
n'en reste plus guère, aujourd'hui, à Rorschach, que des
sépultures et quelques demeures plus ou moins trans-
formées ou défigurées pour les besoins du commerce et
pour répondre aux goûts d'une autre classe et d'une autre
t
époqueJ
Le mercredi, 10 Octobre, les mêmes convives se
trouvèrent réunis à la table du nouveau marié: Madame
de Bayer, née de Saylern, tenait la place de la maîtresse
de maison. La soirée fut égayée par un concert donné par
des artistes étrangers.
Enfin, le troisième jour, il y eut encore un dîner de
famille, de neuf couverts seulement, chez M. de Bayer,
beau-frère de la mariée. « C'est ainsi que se passèrent,
dit le Hausbuch, tout à fait dans l'intimité et sans bruit,
les fêtes de notre mariage, n
Mais les nouveaux mariés n'avaient pas encore pendu
la crémaillère. Aussi y eut-il chez eux (bei ~e~ 7~oc/
H0~7!), le t5 Octobre, un dîner de dix-sept couverts,
où les religieux de Mariaberg tiennent la tête de la liste
des convives. Une triste nouvelle vint interrompre la joie

Toutefois, la maison Salvmi est restee intacte jusqu'aujourd'hu).


11 m'arriva, dans mon enfance, d'en visiter l'intérieur avec quelle
émotion Nous en avions tant entendu parler par notre grand'mère
qui y avait passé une si heureuse jeunesse Rien n'avait été changé
dans le grand salon: la peinture du plafond représentant les quatre
saisons, le lustre de cristal, le meuble blanc et or, recouvert de
damas de soie rouge, les trumeaux surmontés des armes Sonnenthat-
Pillier tout v était encore.
LE MVRt! DE MAISON D'UN BISAÏEUL.

du repas: « Wehrend der Tafel, dit le Hausbuch, starb


H. Carl De Albertis. Requiescat in pace !»
Pour ne pas lasser la patience du lecteur, je me
borne à mentionner un seul des nombreux cadeaux que
fit le fiancé, à l'occasion de son mariage ce cadeau, in-
signifiant quant à sa valeur, offre quelque intérêt comme
témoignage d'une coutume qui n'était pas générale, il me
semble. Deux sœurs de la fiancée étaient religieuses, l'une
à Altenstadt, l'autre à Wyll~: or, chacune fut gratifiée
d'une pièce d'un ducat,2 d'un cierge et de la somme de
2 florins 24, pour. un extra (~/ e/~r Z.<?~\<?).C'était, sans
doute, la mesure fixée par la iègle de la communauté.
Je passe éga)ement la série des cadeaux (des pièces
d'argenterie, la plupart) offerts aux nouveaux mariés. Je
m'arrête, toutefois au plus modeste qui attire spéciale-
ment mon attention: c'est une médaille d'or de cinq
ducats, don de l'oncle Georges Antoine Marie de Bayer,
chanoine de Coire et prévôt du chapitre de S. Jean a
Constance3. Depuis ma plus tendre enfance, je connais ce
bon chanoine que de fois ai-je contemplé cette belle tête
à cheveux poudrés; ce visage replet, que donne si facile-
ment une vie trop sédentaire, à l'air grave et doux, comme
il convient à un dignitaire dont l'àme est en paix; ce
large ruban de moire bleue auquel pend une croix d'or
richement ouvragée cette belle main, ornée d'une fine
manchette, qui la soutient élégamment!
Je n'ai le menu ni du dîner offert par le nouveau
marié, le 10 Octobre; ni de celui offert par les nouveaux
mariés, le i5; mais les comptes fournissent, à ce sujet,

Ces deux couvents, de l'Ordre de S. Dominique, existent


encore: Altenstadt se trouve près de Feldkirch, dans le Vorarlberg;
Will, dans )e canton de Saint-GaIL
Le florin, à 60 Kreuzer, devait valoir, à cette époque, environ
2 frs. 65 c., et par conséquent, le Kreuzer, 4 cent. et Je ducat
(5 Horins), i3 frs. 25. Quant au pouvoir de ces monnaies, le florin
de i/So représenterait bien 5 frs. d'aujourdhui et le ducat, 25 frs
3 Constance
était, à cette époque, le siège d'un evêché.
LE LIVRE DE MAISON D'U!t BISAÏEUL.

des indications qui peuvent donner quelque idée des con-


ditions matérielles de la vie, à cette époque.
Voici l'un ou l'autre extrait de ces comptes
:6 pièces de gibier à plume, de
différentes espèces. 18 flor. (47,70 frs. 90 frs.)
5 livres de truffes' onor.(23,85 “ –~5 ~)
La mesure (Maas = 2 litres) de
très bon vin du couvent 20 K.(o,oofrs.–i,5ofrs.)
La mesure de Markgrafler 28 K. (1,20 “ –2,oo “)
La bouteille de vin du Rhin .).5 K. (i,o5 “ –3,60 “ )
La bouteille de Bourgogne in. (z,65 –5,oo )
La bouteille de Champagne i fl. (2,65 “ –5,oo )
La bouteille d'Ahcante i f[. 8 (3,oo –5,80 )
La bouteille de Frontignan i fi. 12 (3,2o -6,00 “ )
Si j'ai insisté sur le prix des vins, c'est que c'est la
question du jour.
Encore un détail. Je remarque que la robe de noce
de mon arrière grand'mère coûta 194 florins 26 ce qui
fait environ 5i5 francs et équivaudrait, pour le moins, à
goo frs. d'aujourdhui. Ce n'était cependant pas (vu le
caractère de stricte intimité de la cérémonie) un vêtement
de grand luxe l'habillement des femmes de qualité était
donc dispendieux mais les modes variaient si peu et
ces épaisses étoiles de soie s'usaient si lentement.
Nous savons tous que les joies sont peu durables et
souvent entremêlées de tristes événements. Je viens de
parcourir douze pages in-folio du /M~MC/ toutes con-
saoces au mariage de Joseph Salvini de Sonnenthal et
de Maria Antonia de Pillier, toutes joyeuses, et voici que,
à la page suivante, la cruelle mort a déjà abattu une
victime, tout à côté des nouveaux mariés. Le 2~ Décembre
jy8[, mourut la très noble dame veuve Maria Ursula
0~7'~o?~ de Pillier, née de Bayer, à l'àge de 71 ans.
Tous les détails des derniers jours et de la mort de la
vénérable défunte sont là le récit en est touchant par les
sentiments de respectueuse affection et de piété chrétienne

Nulle part ailleurs, la quantité n'est inscrite les prix ne


peuvent donc donner aucune indication.
LE LIVRE DE MAISON D'UN BISAtEUL.

qu'il respire et qui se traduisent enfin par ce cri du cœur:


« Requiescat in sanctâ pace! »
Le calme règne pendant quelques années; puis les
décès se succèdent. En r786, c'est une belle-sœur qui
quitte ce monde; puis, l'oncle de Bayer, le prévôt du
chapitre de Constance. En 1787, c'est un beau-frère,
Joseph Albert de Pillier, capitaine au service du roi de
France, qui meurt à Corte, en Corse
Mais, entre temps, la divine Providence avait béni
le pieux ménage. Le IS Juin <y82, !7~ Cor~or/.y
Christi, était né un fils, Joseph Antoine Gebhardt Ignace
et, le mercredi, Mai [y85, une fille, M~r/4~M Fran-
cisca Josepha Ursula Alonica, avait, par son arrivée en
ce monde, comblé les vœux de ses parents. Suivant le
désir de l'Eglise, ce fut le jour même de la naissance que
le baptême fut solennellement administré aux nouveau-
nés par le Rév. Gherold Brandenberg. Né à une heure
et demie, après-midi, Joseph fut baptisé dès quatre heures
et demie Avec quelle joie, avec quelle pieuse reconnais-
sance furent accueillis par leurs parents ces ~(.fr~ re/~o?M,
ces Moz~c~z~ c/n'e~'e?~ Aussi avec quelle sollicitude et
quelle tendresse est rapporté, dans de longues pages, tout
ce qui concerne leurs premières années
Je ne résiste pas à la teniatioa de citer les dernières
lignes du récit que fait l'auteur du /j~z~Mc/! de la nais-
sance et du baptême de son fils.
« Daigne Dieu accorder a ce nouveau membre de la
Sainte Eglise catholique, pour sa plus grande gloire et
pour la consolation des parents de l'enfant, la grâce de
grandir dans la vertu, dans les bonnes mœurs, dans la
pratique de la vraie religion, dans l'amour du prochain.
Les parents prient instamment, a deux genoux, la divine
Majesté de les bénir, afin qu'ils n'aient rien à se reprocher

Joseph (mon grand-père maternel), appelé du même nom que


son pcre, alla se fixer à Karistuhe. Sa sojur, Mjria Anna, épousa,
en t8o-)., mon grand-père paternel, qui habitait a!ors Strasbourg
(10, rue des Pucelles). Des son enfance, Joseph manifesta des dls-
postnon'; temarquabtes pour la musique.
LE LIVRE DE MAISON D'UN DISAtEUL.

et remplissent tous leurs devoirs pour l'éducation chré-


tienne de leur fils. »
Te]s sont les sentiments profondément chrétiens qui
animent toutes les pages du T~~McA. A chaque instant,
reviennent sous la plume du pieux auteur des exclama-
tions de ce genre: «A la plus grande gloire de Dieu! Au
nom de la T. S. Trinité. Dieu soit loué, béni et
glorifié à jamais! Ad laudem et honorcm Dei! Gràce à
la puissante protection de la très pure Vierge Marie!)) »
J'avais invité le lecteur a jeter un coup d'oeil dans le
journal intime de mon bisaïeul peut-être ai-je tenu ce
Geheimes T~~McA trop largement et trop longtemps
ouvert? Je le ferme donc.
Laurent Joseph Salvini de Sonnenthat mourut à
Rorschach, en 1802, au retour d'un voyage à Botzen, où
il était allé voir des membres de sa famille. Il n'était âgé
que de soixante et un ans. Son âme devait être mûre
pour le ciel.
Peu d'années avant sa mort, mon bisaïeul voulut se
faire peindre tel qu'il était quand il suivait le Saint-
Sacrement porté en procession. Ce portrait le représente
en habit de velours rouge, galonné d'or, avec gilet de
satin blanc, brodé d'or, le tricorne sous le bras, tenant
d'une main la poignée d'or de sa canne et son chapelet.
C'est par ce trait que j'achève ce petit tableau de
mœurs intimes d'une famille chrétienne, au 18" siècle.
Ce n'est qu'une ébauche, rapide et très inégale; mais il
en ressort, peut-être, un effet d'ensemble capable d'in-
téresser et même de faire rèver.
E. BRUNCK DE FREUNDECK.

Sa veuve ne put se résigner à son isolement dans sa vaste


Jemeure, a Rorschach. Elle prit le parti d'aller rejoindre sa fille en
Alsace et vendit sa maison, presque entièrement meublée, au prix
dérisoire de ~.oooo francs (somme qu'elle perdit aussitôt dans la
Utilité d'une maison de banque de Strasbourg). Quant aux bagages
lu'elle emporta, une grande partie resta en route, on ne sait où, et
~e parvint jamais à destination. D'un caractère energique et d'une
lumeur toujours égale, ma bisaieule Salvini jouit d'une vigoureuse
~ante lusqu'a la fin de sa vie. Elle mourut en i833, à i'âge de 85 ans.
UN CASTEL FÉODAL
OU LE
CHATEAU DE WERDE ET SES PROPRIÉTAIRES

(~M~.)

§ 10. Symond ou Sigismond.


La fin prématurée de Symond de Werde ne lui permit
guère de prendre une part active aux affaires du land-
graviat. Aussi l'a-t-on représenté sur sa pierre tumulaire
sans l'épée et sans les gantelets qui étaient les insignes
du pouvoir. Il résidait, comme nous l'avons dit, au château
d'Erstein et on ne le voit figurer qu'en trois occasions:
une première fois pour justifier les habitants d'Erstein
une seconde fois pour confirmer la donation faite à St.-Ar-
bogaste par son père et une troisième fois dans la pro-
position qu'il fit aux Strasbourgeois, auxquels Erstein était
toujours une épine dans l'ceil, d'envoyer des délégués pour
se convaincre par eux-mêmes qu'il ne donnait pas d'asile
à leurs ennemis dans la ville, ni qu'on y cachait le butin
qu'on leur avait enlevé. Le ;o mai i3o8, peu de jours
probablement avant sa mort, ~it/H~ coM: ~'c~'
./KMg7~r, conféra à l'église de St.-Arbogaste de Strasbourg
la dîme de Châtenois. Il mourut, laissant une jeune veuvec
inconsolable et une fille qui portait le nom de sa grand'-
'mère Agnës.~

Franctscant seputtura Atsatue landgraviorum Joannis et Sttnonia


insignes, cul templi conditores quibusdam existimantur. (~an.*
7</<fK~M)M).
OU LE CHATEAU DE WERDE ET SES PROPRIÉTAIRES.

Après la mort de son mari, toutes les pensées d'Ade.


laïde de Salm-Blâmont se tournèrent vers Dieu. Elle ne
songea plus qu'à donner tous ses soins à l'éducation de
la petite Agnès et à se retirer ensuite de ce monde qui
n'avait plus d'attrait pour elle. Elle fit élever dans l'église
des Franciscains à Schlestadt un beau monument à son
mari et à son beau-père. Exécuté en haut relief, ce monu-
ment qui a été brisé pendant la Révolution, a été repro-
duit par Schoepflin dans son ~4/~a~M ~M~/r~/a. En voici
la description
Sur le côté gauche de la tombe, le landgrave est
représenté portant une couronne ornée des trèfles du land-
graviat, et revêtu d'une tunique et d'une toge. Un vête-
ment extérieur également long recouvrait tout ce costume
et ne s'ouvrait que pour laisser passer les bras, la main
droite tenait un glaive dans son fourreau et la main gauche
des gantelets. Symond, placé à la droite de son père, ne
porte pas la couronne, mais la fasce ou bandelette land-
graviale il est à peu près vêtu comme lui, habits dé-
colletés il porte les cheveux longs et bouclés. Il est
représenté dans l'attitude de la prière, les mains jointes
devant la poitrine; ses pieds s'appuient sur un lévrier,
un lion garde le père les deux ont la tête appuyée sur
un coussin.l
Lorsqu'Agnès fut en état d'être mariée, sa mère l'unit
au comte Jean de Habsbourg-Lauffenbourg, landgrave du
Cleggau, et alla ensuite s'ensevelir chez les religieuses de
Ste-Claire à Strasbourg où elle fit profession sous le nom
de sœur Adélaïde: elle vivait encore en i3~.
L'origine d'Agnès de Werde et son union avec le
landgrave de Cleggovie nous est clairement donnée dans
une charte octroyée, eni328, par les deux époux a la ville
de Lauifenbourg. Cet acte commence ainsi: «H~'r Gra~

1 Cfr. Krauss, A';<M~t und ~4/~r~tM!M. p. 283. Le même, CMcA.


der ~M7:~< ;')! Els.-Lothr., p. 2-).04. Huber, Descript. templi W!
Ae/w/f~): p. i<2. Beat. Rhenanus, ~cr. Ger~M., Liv. III, p. 116.–
Als. t/ II, 534 et tabul. 11, ? i.
UN CASTEL FÉODAL

Johans fOH /7~s~7' und M~'r Grc~ Agnes, ~n! eliche


~'ro~, /r~~ ~MM~~ ~e/~e~ fOM E/ M~/a~e eliche
T'oc/r. Jean de Habsbourg trouva la mort dans un
combat contre les Zurichois, le 211 octobre i33y, et Agnès
de Werde le suivit dans la tombe le 12 juin i35t. Les
Habsbourg-Lauffenbourg portaient d'or ~H lion ra;7~7~
de gueules; Schoepflin nous a transmis la reproduction du
sceau d'Agnès, qui porte partie de son mari et partie
de Werde. C'est là un des plus anciens exemples de
l'usage que prirent alors les femmes d'associer leurs
armoiries à celles de leurs maris, ~'j/M /l~c//y
coM~/ï~~e de /z/r~

§ 11. Ulric.

Issu du second mariage de Henri-Sigebert, Ulric ad-


ministra le landgraviat conjointement avec son frère aîné,
Jean 1er. Il était encore enfant quand son père mourut,
néanmoins nous trouvons, dès t283, une transaction entre
le curé de Bouxwiller et l'abbaye de Neuwiller sous sa
médiation le chroniqueur Thomas Eberdorfer fait aussi
mention de lui sous la date de 1200, seulement il y ebt
nommé, à tort, Ulric de Habsbourg. En [292, il figure
encore avec sa mère, Berthe, et ses deux frères, Egénolf
et Philippe, dans un acte de vente de quelques biens situés
à Benfeld, Sand et Osthausen au grand Chapitre de Stras-
bourg. Le mardi gras de la même année, le landgrave
Ulric donne à Acrr~ ~M//M des Spittlers ~o/!?! de Brumath
20 marcs d'argent c/Hew .Se~/< pour lesquels il lui
engage i5 sacs de seigle sur la taille de Weitbruch cette
année encore, il fut un des pleiges (caution) de son cousin
Anselme II de Ribaupierre dans le traité de paix avec les
bourgeois de Strasbourg. En i2o3, il permet à Dietcrich,
burgrave d'Epfig, de prélever tous les ans 16 réseaux de
blé sur les biens à Matzenheim, en compensation de
20 marcs d'argent que ce dernier lui avait prêtés 2; en 1206,

fief mouvant.
Arch. dep. G, n5.
OU LE CHATEAU DE WERDE ET SES PROPRIÉTAIRES.

Ulric et ses frères donnent en bail au chevalier Rodolphe


d'Uttenheim la cour de Gutensheim, près de Werde; en
!2gy, ils confèrent en sous-fief à Nicolas Zorn-le-Vieux
le village d'Enzheim, fief du landgraviat mouvant de Lor-
raine Egénolf et Philippe déclarent y renoncer parce
qu'ils étaient ecclésiastiques ~e~7 si jp/~CH HweM
ils donnent, la même année, à l'hospice de Stephansfeld,
une forêt dont le nom ne nous est pas connu.
Où se trouvaient Ulric et sa mère lorsqu'en i2g3
les troupes impériales s'emparèrent du château de Werde?
Quelle part prit Ulric à la querelle entre Adolphe de Nassau
et Albert de Habsbourg? Assista-t-il avec son frère Jean I
à la bataille de Gœlheim en 1298? Nous n'avons pas de
réponse à ces questions. II nous paraît assez probable que
les deux frères, sans abandonner Werde, avaient leurs
résidences habituelles, l'aîné a Erstein ou à la Franken-
bourg, le cadet à Brumath. Ulric céda, vers 1200, à Henri
Stubenwege, une rente de deux livres a prélever sur le
péage d'un pont à Brumath.
Ulric accorda, en i3o6, en sous-fief à Burghard Schœp,
les villages d'Urschenheim, d'Artzenheim, de Balzenheim
et d'Elsenheim qu'il tenait de l'Eglise 'de Strasbourg, et
a Walther de Schlestadt les villages de Schwobsheim et
de Hessenheim, fiefs de la même église: Burghard et
Walther paraissent avoir été des ministériaux ou officiers
de la cour féodale du landgrave. En 1307, Ulric et son
frère Egénolf munirent de leurs sceaux les lettres par
lesquelles Anselme de Hohenstein assurait un douaire à
sa femme Gisèle. On lit sur le sceau du premier: «S. ~77r!'c<
~r~t~ ~4/s~aeH, sur celui du second «.E~/o/ ~M~-
~-r~~ ~cr~o). Cette dernière formule se retrouve sur
le sceau de Philippe, appendu'a. une charte de !2~y.
A partir de !3o8, son frère aîné étant mort, Ulric
demeura seul chargé de l'administration du landgraviat.
Il était déjà marié à cette époque: son choix pour une
épouse s'était porté, comme celui de Jean, sur la maison
de Lichtenberg qui devenait de plus en plus riche et
puissante. Les deux évoques de cette famille, se succédant
UN CASTEL FËODAIj

sur )e siège de Strasbourg, jetaient sur elle un nouvel


éclat, ainsi que la haute position de Jean I" de Lichten-
berg. élevé par la faveur impériale, à la charge de land-
vogt d'Alsace, dignité allors tellement considérée que celui
qui en était revêtu avait le pas sur le landgrave même.
C'est à ce landvogt qu'Ulric s'adressa pour demander la
main de sa fille Suzanne. Celle-ci, de la branche ludo-
vicienne, n'était déjà pas aussi proche parente qu'on pourrait
peut-être le croire de sa belle-sœur Agnès, épouse de
Jean 1er de Werde: elle était de la branche henricienne.
Le 23 décembre i3o8, les landgraves Ulric et Egélolf
firent avec les Strasbourgeois un traité de sept ans, qui
devait dater de la St.-Martin suivante, traité en vertu
duquel les landgraves promettaient de venir à leur secours
avec leurs hommes et leur attirail de guerre toutes les
fois qu'il serait nécessaire. Ulric fit des réserves en ce qui
concernait l'empereur, l'évêque de Strasbourg et Jean de
Lichtenberg, son beau-père. Egélolf n'en fit point; le
magistrat de Strasbourg s'engageait, de son côté, a aider
les landgraves dans leurs guerres, a moins qu'il les trouvàt
injustes.
Le vendredi après la St.-Adolphe, 1er septembre i3;2,
l'éveque Jean de Dirpheim et le landgrave Ulric terminèrent
un différend qui existait entre Fritschman de Riegel et
la ville de Strasbourg. Le mardi après la St -Nicolas, de
la même année, le chevalier Burcard Flèche de Bischofs-
heim donna au landgrave des lettres réversales concernant
une rente de deux louis et quatre scheilings-heller, qui re~
posait sur le Bruchel de Brumath et était rachetable pour
onze marcs d'argent. En i3i2, Strasbourg, s'appuyant sur
le traité d'alliance offensive et défensive, conclu en i3o8,
fit un appel i Ulric pour qu'il l'aidât à empêcher la con-
struction d'un chàteau fort à Fegersheim. Dès le 20 dé-
cembre, les landgraves Ulric et Philippe promirent, par
serment, que ni eux ni leurs héritiers ne permettraient
jamais que l'on bâtit une forteresse soit à Fegersheim,
soit dans sa banlieue. On remarquera que ce n'est plus
le chanoine Egélolf qui figure avec son frère, et, comme
OU LE CHATEAU DE WEBnn ET SES PROPRIETAIRES.

il ne paraîtra plus dorénavant, il est à présumer qu'il était mort


et que Philippe l'avait remplacé dans la dignité landgraviale.
En i3t3, Ulric perdit son cousin, Henri II de Ribau-
pierre,' frère d'AnseIme-le-Téméraire qui, lui aussi, mourut
la même année. A cette époque surgit un grave démêlé
entre Rodolphe III, margrave de Bade et la ville de Stras-
bourg. Ce prince, nonobstant les privilèges d'exemption
de tout péage dont jouissait cette dernière dans toute
l'étendue de l'Empire, voulut gêner la libre navigation
sur le Rhin en prélevant des péages tant sur le fleuve
que dans ses Etats. N'étant pas d'humeur à tolérer ces
violences, la cité fit un appel à ses confédérés, entre autres
à l'évoque Jean, au landgrave Ulric de Werde, au land-
vogt, Godefroi deLinange, et à Otton d'Ochsenstein. Leurs
troupes réunies se jetèrent sur le margraviat qu'ils dé-
vastèrent par le feu et le fer et forcèrent Rodolphe à de-
mander la paix. Par acte du 13juillet ï3i3, au bas duquel
se trouvent les signatures de l'évêque Sygebodo de Lichten-
berg (de Spire), oncle du landgrave, etWaItherdeHohen-
géroldseck, son beau-frère, le margrave s'engagea à ne
plus molester les Strasbourgeois et a ne pas chercher à
tirer vengeance ni de la ville ni de ses confédérés.
En cette même année et celle qui suivit, il y eut une
telle mortalité le long du Rhin qu'il en mourut 15ooo per-
sonnes à Strasbourg, i~ooo à Baie, gooo à Spire, 6000
à Worms, 16 ooo à Mayence. Et comme les terres ne
purent être cultivées par suite de la peste, il en résulta,
en i3t5, une famine si épouvantable que les pauvres gens
mangeaient de l'herbe et se jetaient mêmes sur les cadavres
des suppliciés. Par surcroît de malheur, les étrangers,
surtout les Lorrains, espérant trouver des secours en Alsace,
vinrent augmenter le nombre des aûamés dont quatre
fosses, creusées près de Colmar, reçurent les cadavres au
nombre de i3ooo!

C'est Hem) I! qui, en vertu d'une charte octroyée par l'em-


peieur Henri Vil de Luxembourg, en i3i2, avatt eiigé Bergheim en
ville et l'avait entou)ëe de murs. (Arch. de Bergheim AA i, etAnnal.
de Luck, anno i3i2.)
UN CASTEL FÉODAL

Ce n'était pas assez de calamités. La mort de l'em-


pereur Henri VII mit en face deux compétiteurs Louis
de Bavière, neveu du prince défunt, et Frédéric-le-Bel,
fils d'Albert de Habsbourg. Les Lichtenberg, jusqu'alors
dévoués aux Habsbourg, épousèrent la cause de Louis de
Bavière, entraînant dans ce parti le landgrave Ulric; il
était naturel que l'Alsace Supérieure qui était le domaine
privé d'Albert, prît fait et cause pour ce dernier. Toute-
fois les seigneurs et les villes d'Alsace firent de louables
efforts pour préserver leur province du moins des maux
de la guerre. Dans ce but, on convint, quel que fût
d'ailleurs le parti auquel on adhérait, d'une alliance pour
le maintien de la paix intérieure. Les évêques de Stras-
bourg et de Bâle, le duc Léopold d'Autriche, landgrave
de la Haute-Alsace, le landgrave Ulric, le comte Conrad
de Fribourg, les villes de la Décapole, Baie et Fribourg
entrèrent dans cette ligue.
Une guerre n'aurait pas manqué de ruiner notre land-
grave. En effet, Ulric et Philippe se trouvaient dans de
grandes difficultés financières. En i3i5, en pleine famine,
ils avaient fait des démarches auprès des dominicains de
Strasbourg pour avoir de l'argent. Le 21août, les deux
landgraves se présentèrent devant le Juge de la cour
épiscopale avec le chevalier Hugues Schoub, agissant aux
nom et place de frère Hugues de l'Ordre des Prêcheurs,
et lui vendirent, à titre de réméré, une rente de dix livres
deniers de Strasbourg, pour la somme de 5o marcs
d'argent. Voici les biens vendus désignés dans l'acte:
i" Dans le village d'Osthausen, une cour sise près de
l'église (~'rc/zAo~).
2" Dans la banlieue d'Osthausen, 20 arpents de terre
d'une pièce à côté des petits arbres de Mussinger.
3" Dans la susdite banlieue, un arpent et demi d'un
seul tenant, tirant sur la grande route à côté des biens
du Chapitre de Strasbourg.

1 La route actuelle suivait alors déjà la direction


impériale
qu'elle prend aujourd'hui. On l'appelait die T~eer~tr~Me (~ route
M!re).
OU LE CHATKAU ME WERDE ET SES PROPRIÉTAIRES.

Un arpent tirant également sur la grande route a


côté du bien du seigneur de Thierstein.
5" Un arpent et demi aboutissant d'un côté au même
bien, de l'autre sur la marche de Holsenheim.
6° Quatre arpents d'un seul tenant à côté du bien
des Landsperg. etc. etc.
On voit par l'analyse de cet acte comment et devant
qui se faisaient alors les ventes et aussi quelle était la
valeur des biens à cette époque. 28 arpents de bonne terre
avec une ferme seigneuriale s'achetaient, malgré le droit
de réméré, pour 5o marcs. Or, le marc valant 52 frs. et
la valeur de l'argent étant au moins treize fois plus grande
qu'aujourd'hui, les landgraves avaient vendu pour 3o 800 frs.
de biens.
En i3)6, Ulric fut, au rapport de Luckius, reçu bour-
geois de Strasbourg. Les plus grands seigneurs tenaient
à honneur d'être admis citoyens de cette ville qui, dès
maintenant peut s'appeler une République et qui croissait
sans cesse en puissance et en considération et savait
d'ailleurs garantir à ceux qui portaient ce titre de bour-
geois une efficace protection en tout et partout.
Cette même année, Ulric eut à faire la repiise de
ses fiefs de Lorraine, en suite de l'avènement au siège
ducal de Ferry IV, fils de Thiébaut II, selon les usages
féodaux. A cet effet, il fallait présenter à son suzerain,
soit en personne, soit par délégué, la liste décaiHée et
écrite des fiefs qu'on avait tenus jusqu'alors et en demander
confirmation toutefois les us et coutumes de Lorraine
dispensaient de cette formalité, a moins que le suzerain
n'en exigeât l'accomplissement. Cette fois Ferry, pour des
motifs inconnus, requit Ulric de s'exécuter. Etait-ce par
défiance contre le landgrave qui se trouvait dans le parti
opposé à Frédéric-le-Bet dont le duc de Lorraine était
devenu le beau-frcre? La reprise des fiefs eut lieu le
1novembre t3).G. Schœpilin nous en a conservé la dé-
claration qu'il a tirée des arcrnves de Nancy et dans la-
quelle sont énumérés ces fiefs, à savoir La ville de St.-
Htppotyte, le Haut-Kœnigsbourg, Entzheim en Basse-
H.e<ue.Ko\emb.<:19M.
UN CASTEL FÉODAL

Alsace, plus le droit de péage et de conduite sur le versant


oriental des Vosges depuis la crète des monts à travers
les vallées de Villé et de Lièpvre 1.
En juillet t3if), le chevalier Symunt Fürst de Brumath
reconnaît tenir en fief du landgrave sa maison ~~r~-–,
située sur la prairie au-delà de la Zorn, vis-à-vis sa propre
cour <x do der A/CH M~cr die ~or/~e, c'~eM ~n?~M
hof /n'?~~er ~'f/c~s~ ist; il ajoute que ce fief consiste dans
les bâtiments et la place qu'ils occupent et tout ce qui
appartient au landgrave à l'intérieur des fossés qui l'en-
tourent ou l'ont entouré. Ces données peuvent servir à
déterminer la place où se trouvait autrefois le château
landgravial de Brumath.
A cette époque, la famille de Werde se trouvait con-
tinuellement dans la gène. Aussi les Archives départemen-
tales de la Basse-Alsace contiennent-elles, dans les liasses
du .Fb~~ /cc/!c, un nombre considérable d'aliénations
de biens du landgraviat. Cet état de gène provenait sans
doute de la peste, de la famine et des guerres des années
précédentes, comme aussi de l'impossibilité où se trouvait
le comte Ulric d'obtenir de la maison de Lichtenberg,
nonobstant ses incessantes réclamations, la dot de sa femme.
Nous allons relever quelques-unes de ces aliénations:
Engagement au bourgeois Nicolas Seldan de Stras-
bourg de sacs de grain à prélever sur le village de
Matzenheim, de la juridiction, des hommes et de tous
les biens qu'on savait appartenir à Ulric et a son frère
Philippe dans cette localité, sans oublier les poules qu'ils
avaient a recevoir jusqu'à ce jour, et cela pour 100 livres
deniers. (G., ? 117.)
Inféodation à Dieterich de Kertzfeld des rentes sur
le village d'Uttenheim. (G., ? Su.)
Abandonnement en faveur du couvent de St.-Arbogaste

~4)!.jJ?7C/~M~i' Z.o</My't'?!e~.~K<.fjtM~r,~r~'M p/rog'eMt-


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.E'MAen;! c~c. a ~'rc~eri'co -D~/ce~u~cf~ eo~on~Me ~Ir~o~t'MeHSt~
~cft<~ M/ c~M. (Dynastia Werdensis, § t5o; Aïs. dipl., II, 120)
OU LE CHATEAU DE WERDE ET SES PROPRIÉTAIRES.

à Strasbourg de tout droit qui peut compéter aux land-


graves sur la cour de Hipsheim (iSiy). (G., ? 1701).
Engagement à Dieterich d'Epfig de 16 rézaux de blé
à prélever sur les biens de Alatzenheim en compensation
d'un prêt de 20 marcs d'argent. (G., ? i)5.) V. p. 664.
Lettres réversales par lesquelles le landgrave abandonne
à l'évêque Jean de Dirpheim, pour 1600 livres, les villages
d'Ursheim, Baldolsheim, Artzenheim, Mackenheim,Swabs-
heim, Richtlingen, la moitié de Hessenheim, qu'il avait
tenus en fief de l'évêché et qu'il avait précédemment en-
gagés au citoyen Walter Gebure de Schlestadt et au
chevalier Burckard Schoup de Strasbourg. (G., N* a3, 04.)
Lettres réversales par lesquelles Ulric cède à l'ëvêque
Berthold de Strasbourg les fiefs suivants qu'il tenait de
l'évêché, savoir la charge de grand-chambellan de l'évêché,
la charge de grand-panetier, le château de Frankenbourg
et la vallée, la dime laïque de Chàtenois, le patronage à
Bischoffsheim et a Kriegsheim, le château de ~~r~c, les
villages entre la Scher et l'UI (Schœffersheim excepté),
Geispoltzheim, Duppigheim, Walf, le château de Nideck,
Bergbieten.~ En même temps, il cède à son fils Jean et

'Ats.dipLN~c~o.t.DK'~M~E'c'M/e)'), ~~n!,wj;Mc/io/f,
/e M. g'Kfcr t'en der ~f ~H ~)\7;&Hr~ ~M /e/:eH. 7: M';?- eines
bischoves von ~~t:Mr~ zt. ~r .< o&c~ferÂ'c'rcr u. Ir oberster
d')'M/i~e/P ~7"?'!<C/M). H. non (.M;atn&jAf ~K//C/! ))'r C;HCM
/tc/t0)'e ~MS~r.t~xrg- yi;tische ~~tc/f, c'n!~ A'e;~fr.s' o~er eines
A';<M /;0~f)! ~;< /HC/(C<r~, !;Mt e:): ?'OA', da H~?' Jf?M?!C :~e
t!e?! ~M sullent M~HtCH M)Mcrf KH/o\Kc/MM~;n (les Rathsam-
hausen et les Schonau). Après les dignités, les reversales specifient
les biens V; davon /~t)! w~' ~M/eAen ~ze ~K /rt7;:L'/f<?;;&Krs',
t~e der stifi A'L7~!yMcr M// vnd Jj~ tal MH~ die /!f/c ~ar!<c~, M.
yH ~MteH/!0/fy ~C)t /e~t: ~eAcK~e~! M. den ~))'C/;C~Mf? )P~t~ -H
/rt!):c/fett~ws' /!()rc< voit Alter /te~' ~)! a'if den Z'o/. So /M~: )f:'r
dt7;:Me ~M manichen yo;ï der Stift ~!< 6'/ra~Hrg' t'Fer~s die &Mrs' ~M~
t! 7Ma)Mc/M//t :<M~ ~n~fr~ ~M Werde haret, y; alle die ~or/crt?,
etc., etc. G&~f~e;! .M n"<?; u~'e M):~pre ~H/ jj'~6, a;: ~a~cte
~!<&er:'He!: ~4&f;e.e (Fonds de l'évêche. Bez.-Arch. des U.-Els., G.,
? g_j.. Grandidier, Oeuv. inéd., T. 6, p. 56~.) Voy. aussi Aïs.
dipl., T. 2, p. 157 et 22-)..
UN CASTEL FEODAL

aux comtes d'Œttingen tous ses biens quelconques, excepté


le château de Frankenbourg qui se trouve entre les mains
des Müllenheim, et prie l'évêque Berthold de conférer les
fiefs que lui, Ulric, tenait de l'évêché, aux comtes Louis
et Frédéric d'Œttingen et à son fils Jean, t336. (Lit. G
? c)~ et i2!, pièces en allemand sur parchemin.)
La question de la dot de sa femme Suzanne de Lich-
tenberg n'étant toujours pas réglée, Ulric s'adressa de
nouveau à son beau-frère Jean III mais comme celui-ci,
pour de bonnes raisons, ne s'empressa pas de s'exécuter,
le landgrave, non seulement demanda une indemnité pour
le délai qu'il subissait, mais fit encore valoir les droits de
'sa femme à l'héritage de sa mère, Adélaïde de Werden-
berg-Montfort. La cause dut être portée devant le tri-
bunal de l'évêque de Strasbourg qui fixa les prétentions
de la landgrave Suzanne, tant pour la dot que pour
l'héritage maternel, à la somme de iz).oo marcs d'argent.
Jean III abandonna, à cet effet, à son beau-frère les deux
fiefs impériaux de Westhoffen et de Balbronn, avec tous
leurs droits et revenus, tel que feu son père les avait
autrefois acquis et en avait joui. Suzanne fut, de plus,
déchargée de toute part aux dettes de la maison de Lich-
tenberg quelles qu'elles fussent; mais elle dut, de son
côté, renoncer à toute prétention ultérieure envers sa
famille. Louis III, frère puiné de Jean III et de Suzanne,
devait ratifier ce contrat dès qu'il aurait atteint sa
majorité. Toutefois cette dernière se réservait, pour le cas
où ses deux frères mourraient sans héritiers, la faculté
de faire valoir ses droits a leur héritage suivant la coutume;
par contre, il était stipulé que, si elle venait à mourir
sans enfants, les deux villages de Westhoffen et de Balbronn
retourneraient aux Lichtenberg. Cet acte est du 27 sep-
tembre i3iy.
Cette affaire enfin réglée, Ulric songea au rachat de
la ville d'Erstein des mains du landgrave Habsbourg-
Lauffenbourg. Lorsque Adélaïde, veuve de Symond de
Werde, maria sa fille Agnès au landgrave du Cleggau,
elle ne lui remit pas immédiatement la dot convenue, mais
OU LE CHATEAU DE WERDE ET SES PROPRIÉTAIRES.

lui donna, suivant l'usage, quelques biens en nantissement;


de plus, en entrant au couvent de Sainte-Claire, elle céda
à sa fille une partie de son douaire. De cette sorte, Jean
de Habsbourg et Agnès de Werde se trouvaient dès lors
en possession de la ville d'Erstein que le comte Symond
avait eue en apanage et qui leur avait été engagée pour
noo marcs d'argent, ou, selon Ravenez, pour 1100 fl.
d'or; ils jouissaient, de plus, du petit village d'Ueber Scher
au val de Villé et de la dîme de Chàtenois, engagée, le
i3 mai )3o8, à l'église de St.-Arbogaste de Strasbourg.
En rachetant Erstein, le lundi après la St.-Martin i32;,
Ulric reçut des bourgeois le serment de ndélite dont le
comte de Habsbourg les déliai

FR. EDOUARD StTZMANN.


(A suivre.)

Arch. départ. de Basse-Aïs., G. ng.


CAUSERIES JAPONAISES.
(Suite.)

J'ai entendu dire aussi que cette facilité de prêter et


de rendre service est basée sur la peur d'une vengeance
ou d'une revanche. Soit; mais il n'en est pas moins vrai
qu'il y a là-dessous une véritable qualité du cœur, à
savoir la belle et douce hospitalité dans les rapports mu-
tuels.
Je me souviens qu'un jour nous nous étions égarés
au milieu des neiges des montagnes du Yeso. Il faisait
nuit, et nous n'avions pas d'abri pour la nuit. Le froid
était piquant, et une pluie fine et glaciale nous cinglait
la figure. Nous constations également dans la neige les
traces des ours, très nombreux dans ces montagnes. Voici
que la Providence nous fit apercevoir une lueur, indiquant
une maison habitée; nous nous y dirigeons et trouvons
une habitation spacieuse et de bonne apparence. Nous
frappons à la porte et déclarons que nous sommes de
pauvres égarés en quête d'un gîte nocturne. Un Japonais,
grand garçon d'une trentaine d'années, se présente, et loin
de s'effrayer à la vue des quatre quémandeurs, il nous
invite gracieusement à entrer, nous offre son feu, ses
couvertures, son vin, bref tout ce qu'il faut pour nous
chauffer, nous sécher, nous restaurer et passer agréable-
ment la nuit. Avec lui se trouvaient sa femme et sa mère,
qui nous témoignaient la même bienveillance.
Pensant d'abord nous trouver dans l'auberge d'un
village, nous ne tardons pas a nous apercevoir que notre
hôte est simplement un employé, inspecteur d'une petite
CAUSERIES JAPONAISES.

mine d'or exploitée dans la contrée. Et la conduite de


notre hôte ne sentait nullement la gène ou le dédain,
mais la simplicité aimable, la bienveillance serviable si
naturelle au caractère japonais.
Le lendemain on nous fait cuire le riz; puis notre
hôte nous congédie en nous indiquant les chemins, et il
se refuse à accepter une rétribution quelconque. « C'est
tout naturel, dit-il, que je vous rende service. C'est plutôt
à moi de vous remercier pour la confiance que vous
m'avez témoignée en acceptant mon hospitalité. » Les
femmes nous voient partir d'un air de compassion, mêlée
de surprise, se demandant comment nous pouvions nous
exposer à la neige et aux intempéries.
En voyant parfois à Tokio des incendies de milliers
de maisons, je ne m'expliquais pas ce que devenait tout
ce monde sans abri car de l'incendie d'une maison
japonaise il résulte ordinairement un monceau de cendres.
Eh bien, aucun n'est sans abri quelques heures après
le sinistre on ne voit plus personne errer dans les rues.
Les sinistrés sont reçus n'importe où: chez un ami, une
connaissance, où ils logent, jusqu'à ce qu'ils aient retrouvé
un nouveau gîte.
Mais voici le revers de la médaille. Il y en a vrai-
ment qui abusent de l'hospitalité et il faudrait se fàcher
pour mettre ces sortes de visites à la porte de la maison.
Comme le Japonais n'ose pas mettre son hôte directe-
ment dans la rue, il usera de politesses, de ruses. J'ai
même vu des Japonais changer ou faisant mine de changer
de maison pour se débarasser d'un hôte importun. Au-
jourd'hui on annonce que demain on va loger autre part,
et force est bien à l'étranger de déguerpir le maître de
la maison fera a son hôte force excuses d'être obligé de le
congédier, et la farce est jouée. L'hôte importun quitte,
et le propriétaire de céans se ravise au dernier moment
et ne quitte pas son 77c/M. L'autre est a la porte, c'est
tout ce qu'il fallait. Et tout cela se fait si poliment.
Il est rare aussi qu'un Japonais rende les objets
qu'on lui a prêtés et le meilleur moyen de rentrer en
CAUSr.RIES JAl'OXAlS];g.

possession de l'argent prêté consiste à en faire l'aumône.


Tout comme chez nous, entre les Vosges et la Forêt
noire. H est vrai que !e Japonais, honteux Je mendier
pour mendier, proteste toujours qu'il rendra l'argent
emprunté; et même ce qu'on lui donne, il l'appelle: prêt.
Il ne dira jamais: « Veuillez me donner telle chose a, mais
« veuillez me le jLT~cr.M » Le donateur, qui sait à quoi s'en
tenir, ne comptera guère sur les promesses de rendre
l'objet emprunté. Si le Japonais promet facilement, et même
il est sincère dans ses promesses, il s'ou'ense même si on
a l'air de le soupçonner d'in6déliié ou d'oubli; mais le
lendemain il ne pense plus a la parole donnée. Cela
vient de la facilité avec laquelle on rend seivice, et par
conséquent on croit avoir le droit d'user et d'abuser de
l'obligeance des autres.
C'est pourquoi les missionnaires ont adopté l'habitude
de renvoyer les solliciteurs, en leur disant qu'il est défendu
au missionnaire de prêter de l'argent ou quelqu'objet de
valeur. Faire l'aumône, secourir les pauvres, oui, autant
que nous le pouvons. Il est rare que le solliciteur insiste,
car, encore une fois, il veut bien emprunter, mais pas
faire le mendiant.
Gràce à sa légèreté de caractère, le Japonais n'est
pas profondément reconnaissant. La reconnaissance du
reste est une vertu trop noble pour être enucinée dans
le cœur des païens. Il est même très fréquent de ren-
contrer des gens, surtout dans la classe pauvre, oublier
complètement les services qu'on leur a rendus et ne plus
vouloir vous connaître. On dirait que le bienfait les accable.
La reconnaissance ne va pas non plus jusqu'au dévoue-
ment. Mais contrairement aux habitudes orientales, on
est plus sensible aux témoignages de bonté cordiale, qu'aux
bienfaits de la nature et de la bourse.
Le Japonais, habitué a vivre de peu, est naturelle-
ment paresseux. J'ai déja mentionné que lorsqu'il a gagné
suffisamment pour vivre et s'amuser un peu, il se repo-
sera et s'en paiera tant que les moyens le lui permettront.
On voit tous les gens aisés employer deux ou trois domes-
CAT;FERJE-< J.ArOK.AIgEf-.

tiques là où en Alsace un seul suffirait largement à la


besogne. Vous verrez un domestique soignant le cheval,
un autre occupé au jardin, un troisième à la cuisine, un
autre faisant le portier, un autre encore chargé de la
propreté de la maison. Et tout cela occuperait à peine un
seul domestique alsacien.
Si vous engagez un ouvrier japonais à la journée, il
viendra dès sept ou huit heures du matin mais ne croyez
pas qu'il se remettra immédiatement au travail il com-
mencera par allumer un feu, pour pouvoir fumer à son
aise sa petite pipe. Ceci ne peut se faire qu'en dehors du
travail, qu'il devra donc quitter pour s'accroupir près du
feu et y fumer plusieurs pipes. Pour bien faire les choses,
il suspendra sur le feu une théière, d'où il viendra siroter
parfois son thé. Après donc qu'il aura commencé son
travail à huit heures du matin, il l'interrompra à toute
heure pour venir fumer près du feu. De midi à deux
heures il se reposera pour reprendre ensuite son petit
train jusqu'à quatre heures; puis il prendra le thé, et à
six heures la journée est finie. Le plus simple est donc
d'engager l'ouvrier à tant la besogne et non pas à tant
l'heure ou la journée. Et ne les payez pas d'avance, malgré
leurs supplications; car leur premier souci est alors d'aller
s'amuser, et on ne les voit plus que lorsqu'ils ont dépensé
le dernier Yc/f. Le Japonais n'est jamais pressé, et il
ignore ce qu'est l'exactitude et le règlement. Pourvu qu'un
travail se fasse peu à peu celui-ci fini, on commencera
par le suivant. Nus Japonais ne connaissent pas la valeur
du temps. Et puis ils arriveront toujours assez tôt. La
vie n'est-elle pas assez dure sans cela? à quoi bon se
fatiguer, à quoi bon s'échiner, quand on a de quoi
manger ? Et il faut manger et boire, puisque demain la
mort peut venir. Une philosophie absolument païenne.
Voulant un jour fonder dans ma chrétienté une école
de filles en vue de l'arrivée des Sœurs, je demandai le
programme d'une école féminine à Tokio. L'ayant reçu,
je vis bien la nomenclature des différents travaux de la
journée, mais il n'était pas fait la moindre mention des
CAUSERIES JAPONAISES.

heures fixées pour chaque travail. Le lever, la récréation,


les repas: tout cela était facultatif; on n'avait pas songé
à en régler l'heure. Pour de la discipline, ce n'est pas
fameux. Aussi grande fut la surprise des Japonais à la
vue de nos écoles disciplinées à l'européenne, avec notre
règlement à heures fixes et rigoureusement appliqué. Ils
ont admiré cette partie de la civilisation européenne et
cherché à nous imiter tant bien que mal. J'ai connu tel
officier français, qui punissait ses soldats japonais, parce-
qu'ils n'arrivaient jamais à l'heure. Ceux-ci firent une
pétition au gouvernement, pour faire renvoyer leur officier.
Le gouvernement pourtant ne céda pas.
J'ai déja parlé de l'amour du plaisir inhérent au
Japonais. En effet, ceux qui paraissent les plus graves a
un moment donné déposent tout leur sérieux ce sera a
une réunion d'amis, à la fin d'une bonne journée, aux
jours de fête; ils se payent alors des rasades de sake et
font ripaille, en déposant toute vergogne. Cependant au
milieu des plus grandes orgies ils garderont toujours une
certaine réserve.
J'ai été étonné parfois de trouver des chrétiens du
reste sérieux s'oublier dans ces moments de liesse jus-
qu'à donner libre cours à leurs passions d'intempérance
et s'adonner aux amusements les plus frivoles. Le lende-
main on ira remercier et faire des excuses auprès de celui
chez lequel on a fait ripaille. Ce qui n'empêchera nulle-
ment le délinquant de recommencer à la prochaine occasion.
Le Japonais heureusement ne connaît pas l'opium,
dont l'abus fait tant de ravages en Chine. Par contre il
aime trop le sake, qui n'est autre chose, qu'une liqueur
fermentée extraite du riz, que l'on chauffe dans de l'eau à
un certain degré. Tout le monde en boit, hommes et
femmes même les plus pauvres ouvriers ne termineront
guère leur journée sans avoir, avant le coucher, goûté de
la précieuse liqueur. Bue à petites doses, elle est innocente;
mais que de gourmands dépassent la mesure et boivent
jusqu'à deux, trois et quatre mesures de ce liquide enivrant!
II a un goût âcre, fade mais fort, peu appétissant dans
CAUSERIES JAPONAISES.

le principe. Le Japonais le boit chaud. On plonge la


bouteille dans de l'eau chaude, et le goût âcre lui passe
avec la chaleur.
En traversant vers six heures du matin les quartiers
pauvres de Tokio, on voit sortir des boutiques des jeunes
gens des deux sexes, portant une bouteille de porcelaine
et se rendant chez le marchand de saké. C'est la pre-
mière commission que leur papa leur fait faire à son lever.
Le soir, à dix heures, en traversant une rue, je vis de la
lumière a travers les fentes d'une maison. Je frappai à la
porte pour demander un renseignement. Le mari était
assis sur ses nattes ayant près de lui une petite bouteille;
d'une main il tenait sa petite tasse de sake, et son petit
bébé dormait sur ses genoux, tandis que sa femme pré-
parait les /</07~ ou couvertures, qu'elle étendait sur les
nattes pour s'y rouler durant la nuit. Petite scène charmante
et affable à la fois, le mari s'empressant de demander à
Madame une tasse pour moi. Je remerciai et je saluai.
Une autre fois, dans un village perdu de l'intérieur
du Japon, j'arrivai sur le tard à l'auberge de l'endroit,
où m'attendait l'hôtelier. C'était une vaste maison, propre-
ment tenue. Une trentaine de paysans, gens du village,
étaient assis en cercle sur les nattes, dans une salle
spacieuse, en faisant circuler les bouteilles à la ronde.
Quand je passai auprès de tous ces gens pour gagner
dans le fond ma chambre à coucher, ils firent silence
complet. Je saluai en passant, et tous de s'incliner pro-
fondément. La plupart voyaient pour la première fois un
Européen. C'était de la bienveillance mèlée de surprise.
Peu à peu la causerie reprit; puis ce furent des rires,
des chants et du tapage jusque vers le matin. Jugez un
peu si j'ai bien dormi à quelques pas de ces buveurs. J'ai
constaté depuis que bien des Japonais passent ainsi la
plus grande partie de la nuit.
Tokio et tout le Japon sont remplis de maisons de
thé, de maisons de plaisirs, plus ou moins mauvaises,
où les Japonais vont s'amuser et s'étourdir; ils sont
accompagnés de filles de joie, qui abondent dans le pays.
CAUSERIES JAPONAISES.

Nous touchons ici aux mœurs proprement dites de nos


insulaires nippons, moeurs absolument légères, pour ne
pas dire dissolues et corrompues. II ne faut pas chercher
au Japon, aussi peu que dans les autres régions païennes,
la chasteté et la continence. On n'y connaît ces belles
vertus, même pas par le nom. Les vices contraires y sont
tellement invétérés que ce pauvre peuple s'adonne à tous
les penchants corrompus de la façon la plus naturelle. II
boit l'iniquité comme de l'eau fraîche; il ne connaît pas
la pudeur qui fait rougir, l'innocence qui s'effarouche
à la vue du mal. Parlez leur de continence et de pureté,
et ils vous répondent en plaisantant, ou bien ils causent
de leurs saletés de la façon la plus ingénue, comme du
boire et du manger, et même ils en rient. Il est vrai,
que l'étiquette sauvegarde, extérieurement du moins, la
moralité publique. Nos Européens prétendus civilisés sont
toujours plus corrompus, quand ils sont bien mauvais, et
ils scandalisent même les païens du Japon.
S. François Xavier disait que si l'on démontre au
Japonais que ces vices offensent la raison, il se rend sans
peine. Nous en verrons des traits admirables au Chapitre
de la Religion. Mais tout en avouant leurs torts, les
coupables ne se convertissent pas pour autant. II faut
pour cela un coup de la grâce divine.
Ici au Japon, contrairement à ce qui se passe chez
les autres Orientaux, la femme est plus libre que partout
ailleurs. Elle circule librement et se mêle aux hommes
en public. La femme honnête y est honorée et la femme
publique pas déshonorée. En parlant de la famille et de
l'éducation nous verrons là-dessus d'autres détails.
La danse, homme et femme ensemble, est inconnue
au Japon. De même aussi ces sortes de familiarités qu'on
appelle galanteries, faire la cour etc. Le païen à l'instinct
corrompu ne connaît pas ces flagorneries il y va plus
rondement, et même il est scandalisé de voir une femme,
fût-ce la légitime, aux bras d'un homme, comme cela se
voit en Europe.
(~4 ~M~r<?./
NOTES HISTORIQUES SUR UÈPVRE
ET ALLEMAND-ROMBACH.
(Suite.)

I. Appendice.

La paroisse de Lîèpvre dans les siècles passés.

~e~/e~MëM~des Droits d'étole.

La question du droit d'étole, différemment appliquée


selon les temps et les peuples, était fort embrouillée dans
le diocèse de Strasbourg et notamment dans le Val de
Lièpvre qui y ressortissait. Les Curés du Val avaient eu
l'habitude ab ~Mo de régler à leur manière soit en
argent, soit en nature, le droit d'étole, de percevoir des
oblations pour les différentes fonctions du ministère
paroissial. Le décret du prince-évêque de Fùrstenberg, à
la date du i5 novembre 1668, relatif à cette question,
avait trouvé de l'opposition dans le Val de Lièpvre, et
resta inappliqué. Le décret du cardinal Gaston de Rohan,
évêque de Strasbourg, à la date du premier octobre 1742,
resta également à l'état de lettre morte jusqu'au 6 août
17~3. Les Curés du Val de Lièpvre prétendaient conserver
leurs anciens usages et adressèrent plusieurs remontrances
à l'Officialité de Strasbourg. Sous la menace des peines
canoniques, les Curés cédèrent enfin et suivirent les ordon-
nances épiscopales.
NOTES HISTORIQUES SUR~LIËPVBE

Yoici à titre de curiosité le décret du cardinal de Rohan:


L'état différants des choses et du temps ayant introduit de
grands changements, comme nous en sommes aperçus dans les per-
ceptions des droits d'etolles est consequemment cause de beaucoup de
jalousie et de différants même entre les pasteurs et les peuples, les
ofHciers de notre cours nous ont supplié différants perceptions des
droits d'étolle conformément à l'intention et à demande du clergé.
Voulant donc travatller autant qu'il est en nous et nous pretter aux
biens de notre diocèse et a l'édification des fidèles, ayant devant les
yeux les paroles de l'apôtre, que ceux qui servent à l'autel doivent
avoir part aux oblations de l'autel et que ceux qui annoncent l'évan-
gtle doivent \ivre de l'évangile. De plus considerant que les Recteurs
et administrateurs des paroisses doivent a ptoportion garder et sou-
lager les passants et les pauvres, dont on ne manque jamais, nous
pensons qu'il est juste selon le commun usage de l'eglise, ils soient
aides par les fideles de pieuse reconnaissance et rétribution de la
part des fidèles, nous les exhortons cependant très-serieusement
de ne point se rendre coupables d'avarice, ni d'aucune exaction,
mais d'exercer leurs ministeres gratis et de bonne volonte envers
les pauvres, de crainte d'attirer sur eux la juste colère de Dieu et
la séverite de notre sollicitude pastorale.
C'est pourquoi ayant meurement et attentivement examiné
plusieurs informations faites à ce sujet et fait peser dans une juste
balance.
Nous statuons et ordonnons qu'il ne sera peimis dans la Suite
de percevoir d'autres droits d'etolle que ceux qui sont marquez cy-
après et ce présent Statut regarde meme les curés et recteurs aux-
quels M. S. L. de Furstenberg, l'un de mes prédécesseurs, avait
accorde par son décret des droits d'etolle du i5 novembre 1668 de
percevoir de p!us hauts que les autres curés et recteurs, parce qu'ils
n'avait point une pension congrue dont ils jouissent maintenant;
i. Pour l'administration du Baptême, Rien. Il sera cependant
permis de recevoir ce qui sera volontairement et pieusement offert.
2. Pour l'administration de l'Euchartstie, soit qu'elle se fasse
par manière de communion ou par manière de viatique, Rien.
3. Pour l'administration de la Penitence, Rien.
4. Pour l'administration de l'extrême-onction, Rien.
5. Pour les funérailles, les publications des Bans, et la celé-
bration du Mariage trois Inres tournois ou un florin et demy; si

1 La livre tournois à partir de 1667 valait un peu moins que


!e franc actuel, environ M sous. Donc trois livres tournois environ
60 sous ou 3 francs.
On comptait par livres, sols, deniers.
ET AYjLEttAND-:HO;mBACH.

les futures époux demandent que l'on dise à leurs intention une
Messe, pendant laquelle on doit faire la Sermonie (sic) du mariage,
il sera permis de recevoir l'honorer de la messe, tel qu'il est fixe
cy-après au n. :2, ou s'ils demandent que la messe soit chantée,
l'honorer sera fixé tel qu'il est fixé cy-après au n. )5.
6. Si les parties contractant sont de différantes paroisses pour
les publications des Bans et pour le certificat des dites publications
donné à l'une des parties afin que le mariage soit célébré par le
curé de l'autre partie on donnera de même un florin et demy.
7. Pour la bénédiction d'une femme après ses couches, Rien
il sera cependant permis de recevoir ce que l'on offrira pieusement
et volontairement.
S. Pour l'enterrement d'un adulte 2 livres tournois ou un florin.
q Pour la messe soit le jour de l'enterrement, soit qu'on de-
mande qu'elle soit ditte le troisième, septième et huitième jour avec
absoute qui doit se faire après la messe; si on la chante, une livre
tournois et dix sols, ou les trois quarts d'un florin, si la messe n'est
pas chantee, une livre tournois ou un demi-florin.
io. Pour les Vespres des Morts dans les paroisses où l'on a
coutume de les dire, ou si l'on demande qu'elle soit dite huits sols
tournois, ce qui fait deux sols d'Allemagne.
11Pour la Psalmodie de matines ou vigiles à trois nocturnes
avec les laudes, une livre tournois et quatre sols; si on ne psalmodie
point qu'un nocturne et les laudes 16 sols ou quatre sols d'Alle-
magne. Ce qui reste du cierge allume sur l'autel et autour de la
bierre ou l'on a accoutumée d'en donner aux funérailles appartiendra
au curé à moins qu'il y ait usage contraire, mais le curé ne
pourra s'approprier n'y exiger les cierges que les assistants auront
porte au convoy.
12. Pour l'enterrement d'un enfant, une livre tournois.
i3. Pour une messe votive de la Tr. S. Vierge ou de la Tr. S.
Trinité ou des Anges ou du jour, si on demande qu'elle soit dite
au funeraille de l'enfant, on donnera le même honorer que pour la
messe dite au funeraille d'un adulte.
i.).. Pour quelque messe que ce soit, si on la chante, i livre
tournois.
n. Pour une messe basse que l'on demandera à une heure
fixé et à laquelle on doit assister t In re tournois.
16. Pour toutes les autres messe ils percevront t5 sols.
17. Pour l'enregistrement d'un extrait Baptismaux, Matrimoniaux
et mortuaire, Rien.
18. Pour un extrait du livre selon l'usage et à condition que
l'on le prendra, Rien.
!Q. Pour l'inscription de ces actes dans les registres on recevra
une livre tournois.
NOTES HISTORIQUES SUR LIÈPVRE

20. Pour la bénédiction des fonts baptismaux qui ce fait le


samedy de pâque, de la pentecôte, Rien.
Ils n'ont pas le droit de demande quelque chose de parents,
parains ou maraine d'un enfant qu'on a baptise le premier après la
dttte bénédiction.
2t. Pour la procession de la Fête Dieu, de l'assomption de la
T. Ste Vierge, des Rogations et aux environs du Ban il est permis
de recevoir ce que l'usage a jusqu'ici accorde.
Donné à Strasbourg en notre Palais le premier jour du Mois
d'octobre 17~.2.
GASTON CARDINAL DC ROHAN

Evêque et Prince de Strasbourg.

Par ce Statut épiscopal on peut voir que dans ses

grandes lignes, il
ressemble, positis po~H~, à la taxe
des honoraires actuels. L'Eglise, à part quelques rares

exceptions,~ a toujours exigé des prêtres l'administration

gratuite des Sacrements de Baptême, de la Penitence, de


l'Eucharistie et de l'Extrème Onction. A considérer la
valeur de l'argent, dans la moitié du XVIM~ siècle, on

peut dire que la fixation des droits d'étoles était honnête


et fort convenable.

11= Appendice.

Le maître d'école à jL/e~rc en /~6'2.

Il est intéressant de savoir à quoi se réduisaient les


fonctions d'un maître d'école dans les temps passés,
quelles étaient ses attributions et ses perceptions en nature
et en argent.
Le document suivant qui contient un traité entre les

1 Dans l'archtdtocèse de Lyon par ex.: le Curé perçoit cinq


francs par baptise, selon un ancien privilège approuvé par la Cour
de Rome. La taxe est destinee aux œuvres diocésaines. Dans l'église
orientale schismatique, les pappâdes ou prêtres exigent une offrande
selon la quantité et la gravue des pechés. On me raconta même un
cas, à Constantinople, où le confesseur grec exigea de son pénitent
qu'il lui cédât ta moitié d'une somme d'argent que celui-ci avait vole
à son patron, sous peine de le dénoncer.
Cfr. Hanauer: Monnaies.
ET A~LEMAXD-ROMRACII.

deux communautés, civile et rcligieuse et entre un nommé


Grossir, maitre d'école, nous donne des indications

précieuses
,,Ce jour d'hui, septième Mars mil sept cent soixante-deux, en
consequence de deux publications faites par M. Laurent Mosser,
recteur de ta paroisse de Liepvie à la messe paiotssia)e du dernier
fevrier et a celle de L. A. R. pour choisir a la pluralité des voix !H:
mailre d'ecole, laquelle a ete taite et prise a la maison curiale par-
devant mondtt Recteur et des Maires composant la ditte com-
munaute de Liepvre et de Rombach, laquelle pluralité faite a eté
nomme P;erre Grossir, sous-maitre au d)t Liepvre pour servir en
qualité de maître d'ecole, Mas~<cr de la date paroisse pendant
une annee qui commence au vingt-trois avul prochain, dont le dit
Grossu s'est soumis aux charges, clauses et conditions suivantes:
Qu'il percevra pour Retributton de chaque Bourgeois ou habi-
tants qui ont charrue une demi ,,zette" de seigle, de ceux qui ne
sement qu'a ia houe un ~vierlin" et de ceux qui ne sèment rien
quatre sols dix deniers de Lorraine et ce pour les fonctions de la
Maguellerie, savoir pour les sonnages, tant pour les orages que pour
les processions.
Pour la façon de la cire qu'il convertira en cierges au sujet
des confreries qui sont érigées a la dite paroisse cinq sols par livres
qu'il percevra des Rois de chaque confrérie pour façons d'autres
cierges communs pour l'église trois sols par livres payables par la
fabrique.
Pour le sonnage au moment d'une grande personne morte et
aux Angelus y compris la fosse trente sept sols.
Pour les vigils sept sols et pour chacune Messe haute six sols.
Pour un mariage y compus la Messe dix sept sols.
Pour les messes basses, nt-ante.
Pour l'enterrement d'un enfant y compris la fosse treize sols
six deniers.
Pour le blanchissage des linges de l'église et décoration d'icelle
vingt et une livies sur Ij fabnquc.
Vingt huit Itvies dix sols pour le chant de l'église payable par
les deux communauté.
Vingt huit hvies pour la conduite de l'hoiloge et dégraissement.
Le du maître d'ecole tiendra école depuis la St. Martin'jusqu'à
la Saint Georges et percevras pour droits des enfants qui écriront
et apprendront l'ortographe, chiffre et pleinchant deux sols trois
denier par semaine et ceux qui apprennent a écrire un sol six deniers
et pour les commençants un sol trois deniers aussi par semaine. Et

1 Du [i novembre au 23 avril.
Rovae. Novembre 1910.
NOTES HISTORIQUES SUR LIËl'YRE

pour ce le dit maure d'ecole tiendra deux seconds ou clerc, savoir


un qui sache la langue allemande pour ceux qui voudront apprendre
cette langue, lesquels seront agréer par M. le Recteur.
Sera permis au dit maître d'ecole de mettre deux vaches au
troupeau en payant par lui le patre.
Sera obligé de racomoder les linges de t'ëgtise en lui fournis-
sant ce qui lui sera nécessaires après qu'il les aura présentes à mon
du S. Recteur et aux échevins et lui seront payées des salaires par
années.
Le dit maitre d'ecole sera tenu d'enseigner le plain-chant à deux
garcons ~r~:Me s'il s'en présente des capables.
Réservé que s'il se présente des ëcohers qui veullent d'aller à
l'école pendant tout le courant de l'année, il s'oblige à les enseigner
au même prix que ci-devant.
Les communautés souhaitent que la Retraite se sonne pendant
toute l'annee à l'ete a dix heures du soir, en hiver à neuf heures
par la Grosse cloche et sans percevoir aucuns gages d'icelle.
A l'entree du dit maître d'école on fera visite de la maison de
l'ecole, et de tous les dépense qui seront fait jusqu'à dix sols seront
à la charge du maître d'école et ceux qui passeiont dix sols seront
à la charge des deux communautés.
Pour le racommodage de coides des cloches la même chose re-
servé aussi que lorsqu'il tombe des neiges sur le L'ambri de l'eglise,
en temps d'hiver que le dit maitre d école sera obligé à les oter
toutes et quante fois qu'il y en tombera sans percevoir aucuns gages
de communaute.
Pour la communauté de L. A R. au lieu et place de vingt et
un livres de franc, il ne percevia que neuf livres de franc pour le
chant de leur église par chaquune annee payable par la communaute
du dit L. A It.
Et pour meilleures assurances tant des ornements de l'éghse,
que les clauses et conditions ci-devant dites au présent traité, s'est
présente le sieur J. B. Simon Syndic de la dite communaute qui s'en
est rendu et constitué caution pour le dit Grossir.
Fait au dit Lièpvre les an, jour et mois avant dits.
MossER Recteur.

Par où l'on voit que le maître d'école de cette époque


était employé à «toutes les sauces». Le malheureux était
une sorte de Maître Jacques, avec cette différence que

'A'.ate.ActciJI Scène V.
Maître Jacques Est-ce à votre cocher, Monsieur, ou bien a
votre cuisinier. que vous parlez ? car je suis l'un et l'autre.
Harpagon C'est à tous les deux.
ET ALLEMAND-EOMBACH.

sans changer d'habit, il était sonneur de cloches, sellier,


marguillier, sacristain, cirier, chantre, linger, blanchisseur,
balayeur, remonteur d'horloge, passementier et même
fossoyeur. Il faut croire que l'instruction pédagogique était
rudimentaire et ne s'élevait guère à un niveau élevé.
On remarquera aussi qu'il ne faisait école qu'environ cinq
mois de l'année.
Il est inutile d'ajouter que depuis cette époque, la
dignité du maître d'école a suivi une marche ascendante
et a été de plus en plus sauvegardée. L'instituteur con-
temporain est devenu, presque dans tous les pays, un
personnage important dans la vie communale.

CHAPITRE IV.

Etat lamentable de la commune de Lièpvre


en 1790.
Comme le plupart des communes d'Alsace, Lièpvre
adressa un long Mémoire a l'Assemblée nationale en 1790,
pour implorer sa clémence et son équité. Ce «cahier de
charges» qui remplit des pages entières, montre dans
quelle triste situation se trouvait, au commencement de
la Révolution, la commune de Lièpvre. Des injustices
flagrantes avaient été commises, durant le cours des siècles,
tant par les ducs de Lorraine, que par le Chapitre de
Saint-Georges à Nancy. Dans les expressions les plus
touchantes les habitants de Lièpvre et d'Allemand-Rom-
bach, demandaient au Roi et à l'Assemblée la restitution
de leurs anciens droits

Maître Jacques Mais à qui des deux le premier?


Harpagon – Au cujsmier.
Maître Jacques Attendez donc, s'il vous plait.
(Maître Jacques ôte sa casaque de cocher, et parait vêtu en
cuisinier.)
Harpagon Quelle diantre de céremonie est-ce la?
NOTES HISTORIQUES SUR LrÈPVRE

Le «Mémoire)' que nous donnons se passe de tout


commentaire
Au Roy et à l'Assemblée nationale etc. etc.
Remontrant humblement les officiers, bourgeois municipaux et
habitants de la communauté de Liepvre, chef-lieu du Va], compose
des communautés de L. A. R., Ste Croix et ce qui en dépend, juri-
diction du baillage royal de St. Diez en Lorraine.
Cependant les remontrants, voyant avec douleur augmenter les
maux de jour en jour, se trouvent forcés et résolus de se pourvoir
dans ce moment à quoy ils se croient même fondés de s'adresser à
l'autorite suprême du meilleur de Roys et à l'assemblée nationale
pour lui exprimer les différents objets sur lesquels il résulte un
préjudice des plus considerables aux Remontrants depuis un certain
temps qu'ils se trouvent privés de leurs anciens droits et usages qui
leurs y ont été accordés et qu'ils ont de même jouis mais il est arrivé
que lors des troubles de la Lorraine et des provinces voisines fait dans les
derniers siècles, plusieurs Chapitres ecclésiastique et autres seigneurs
limitrophes en ont profites pour enlever et s'emparer injustement de
plusieurs terrains, forêts et autres droits considérable de la com-
munauté, alors trop faible pour resister dans de pareils troubles et
dont la pluspart de ses Usurpateur ont conservés leurs Usurpations
jusqu'ici avec d'autant plus de succès que mêmes les titres de la
communaute ont eté enleves et égarés dans différants dépots peut
exact, la communauté du dit Lièpvre ayant malheureusement eté
comprise dans les dits troubles et du depuis malgrés les longues et
pénible recherchements que les remontrants ont pût faire pour le
recouvrement des dits titres de propriétés des biens de la com-
munaute lesquels jusqu'à présent, n'ont put parvenir à les découvrir
et à deffaut desquels la communauté est déchû de ses droits.
2. Lièpvre, chef-lieu du Val demande le rétablissement de son
ancienne justice, attendu même que l'on y voit encore aujourdhuy
des anciens vestiges.
3. Permettre que la confection des Inventaires au décès puisse
se faire par les officiers municipaux du dit lieu, en cas que la justice
n'y serait pas établi pour en Epargner les frais, qui sont toujours
très exorbitans et la Ruine des successions preuve en est un, qui
vient d'être fait, dont les frais ce monte à ~5;). livres, y sols et 4 den.
de france, quoy que les officiers de la Juridiction s'étaient trouvés
sur les lieux et n'avaient fait aucuns voyages pour ce outre cela,
lorsque ces messieurs viennent au Val, dans les trois communautés
pour faire l'operation des dits inventaires. Lorsque même ils tiennent
les plaix ~KMaMA- 1 ils exigent les vacations pour un chacun séparé-

plaids bannaux == dénomination féodale pour indiquer les


séances communales dans lesquelles on instruisait les procès contre
les gens,
ET ALI/EMAtm-ROMBACH.

ment comme s'ils étaient venus pour ce seul tandis qu'ordinairement


ils ont de quinze à vingt à faire d'un seul voyage.
4. La suppression de l'huissier priseur qui absorbe la plus forte
partie des deniers de la succession au plus grand préjudice de
mineurs, car outre son vovage qui est de vingt sols par Lieue, on
est obligée de lui payer ses vacations qui se monte aussi à vingt sols
par heures, outre cela quatre deniers pour f ivres de l'estimation des
bestiaux, meubles, denrées et fourages et par le recouvrement des
deniers un sous par livres, de façon qu'une Enchere qui vient se
monter environ trente-trois Louis d'or, il a tirer pour l'estimation
et vacation d'icelle soixante Ihres neuf deniers de france.
5. Demande les remontrants qu'ils soit permis aux particuliers
de prendre le sergent et le maire ou autre principale officiers pour
faire les enchères sans l'assistance du notaire et de l'huissier qui
emporte le plus grand profite de L'enchère, car outre leurs vaca-
tions, il faut les nourir, ce qui fait que le plus souvent les brans
vins ne suffisent pas et que les particuliers étaient obligés de mettre
un louis d'or au bout
6. La confirmation en tous points de l'ancienne coutume du
Val de Lièpvre de l'an i586 et la suppression de L'ordonnance de
Lorraine de 1707 qui ne peut avoir aucune force de loi dans notre
val et le rétablissement de ses marchés et de ses trois foires franches,
Establis par lettres patentes de duc Léopold du 20 octobre 1711.
7. Le prieuré de Lièpvre qui dépendait autre fois de l'Abbaye
de St Denis en france était proprëtaire de tout le val et jouissait
de forêts et cours des eaux avec tous les autres droit privilèges,
prérogative y accordés par Charlemagne qui v statua en Soi. Ce
Prieuré est passé par la succession des terns au Chapitres de
St George réuni au Chapitre pnmitiale de Nancy qui est consequem-
ment entré dans tous les droits que l'abbaye de St. Denis avait sur
ce prieuré qui en dépend originairement Ce Chapitre de St Georges
était en qualité de Seigneurs coltongers de la Prévoté de lièpvre.
Cette prévote était l'abbaye ci-devant dit de l'ordre de Bénédictins
Voué du temps de Charlemagne. Ce chapitre qui possède la plus
forte partie des terrains du bans de lièpvre, ainsi que la forêt ditte
Chalemont de la meilleure situation du dit ban ainsy de même que
plus des trois quarts des biens des particuliers. Remontrants sont
chargés sous des cens annuel envers le dit Chapitre, le même
Chapitre a fait demolir il v a quelque temps le dit jc'rt'et~-c situé au
dit Lièpvre à la Réserve du Chœur qui a resté, qui était une eglise
la mieux construite et la plus belle que /'OM puisse voir de sorte que
le service divin ne s'y a plus célebrer pendant l'espace d'environ
trente quatre ans que depuis 178-). la communauté du dit Lièpvre
s'est pourvue contre le dit Chapitre pour avoir la continuation des
deux Messe basse qui devait se celebrer les mercredy et les ven-
NOTES HISTOIQUES SUR LIÊPVEE ET ALEMAND-ROMBACH.

dredy de chaque semaine au susdit prieuré suivant arêt de la cour


du Parlement de Nancy du 4 Avril 1748. La Commune en 1787 s'est
fait autoriser pour faire célébrer les dittes messes que ce chapitre
a été contraint de faire dire dans le dit prieuré le 23 avril 1788,
attendu même que les deux tiers de la Grosse et menue Dixme de
toute l'étendue du ban de lièpre et celle de L. A. R. sont abandonné
par le dit arrêté de 1748 pour la Célébration des deux dittes Messes
et l'entretient du Chœur de l'Eglise paroissiale de Lièpvre et de la
fourniture des bêtes mâles pour un tiers en cas que la communauté
cesserait d'en être chargée, l'autre tier des susdittes Dixmes restant
au dit Chapitre chargé de l'entretient de la nef de la même église.
Ses deux Messe se célebrent aujourdhui dans une chapelle de rien
très indessinte 1 (sic) où il n'y a ny lampe n'y autres Lumination ny
même d'eau benite, ce qui doit cependent être de coutume dans une
église et dans laquelle dite chapelle repose corporellement St Alexandre,
Pape et Martyr, enfin plus de trois quarts du monde qui assistent
à cet office divin sont obligés de rester devant la porte attendu que
cette ditte chapelle qui n'est qu'un reste du cœur du Prieuré ne peut
contenir tout au plus que vingt à trente personnes, ne peut on pas dire
que ce chapitre a commis un sacrilège en faisant démolir une pareille
église sans nécessité et pour Evanouir (sic) le service divin, qui
possède des biens et revenues immenses au dit Lièpvre par donation
faite des souverains pour l'entretient de cette même église, pourquoy
donc ne pas aussi evanouir ses dittes revenues qui doivent plus tôt
retourner aux Remontrants sujets Collongers comme en qualité
d'heritiers de la Collonge ou être les dits biens remis aussi Souve-
rains ce même Chapitre possède donc la plus forte partie de biens
du dit lièpvre avec la montagne Chalemont cy devant ditte scittuée
à la proximité du dit lièpvre où les Remontrants sont prives du
Patûrage par l'exploitation continuelle de la forêt, que la culture
des terres vagues de la ditte montagne, que ce chapitre y fait faire
au Grand préjudice des Remontrants qui demande le retablissement
de leurs anciens droits sur cette ditte montagne.

(A suivre.)

1 indécente.
REVUE DU MOIS.

Le Reichstag, dont la rentrée devait avoir lieu le 8 novembre,


a prolongé ses vacances jusqu'au 22, et malgré cela les commissions
de la réforme du code pénal et de l'unification du code des assu-
rances ouvrières n'avaient pas encore achevé leurs travaux. En
attendant le dépôt de leuis rappoits et le dépôt du budget, on s'est
rabattu sur une seue d'interpellations, concernant le renchérissement
de la viande et la disette de bétail. Il semble qu'il y ait là une
tautologie et que ce soit pousser la subtilitc un peu loin de faire
une distinction entre ces deux phénomènes économiques dont l'un
ne paraît être que la conséquence de l'autre. Il n'en est pourtant
pas ainsi: la question du renchérissement de la viande est très
complexe, et c'est s'exposer à de très graves erreurs que de la con-
sidérer sous un point de vue unique. C'est ce que font les socialistes
et les liberaux de gauche qui attribuent cette augmentation de prix
soit uniquement aux droits de douane soit uniquement aux mesures
de police vétérinaire dirigées contre le bétail d'importation etrangere.
Et d'abord, il ne faut pas oublier que les plaintes contre le
renchérissement de la viande ne s'élèvent pas seulement de l'Alle-
magne, mais aussi en France et en Autriche, c'est-a-dire, dans les
pays d'où devrait se faire l'importation un fait qui prouve à l'évi-
dence qu'il n'y a pas excès de production au-delà des Vosges m
dans les plaines du Danube. L'ouverture de la frontière de ces côtes
ne peut donc être qu'un palliatif momentané, car les disponibilités
ne sont pas considérables, et le jeu de l'offre et de la demande ne
laissera pas subsister longtemps la difference de niveau entre les
différents marches. Pour s'en convaincre il suffit de jeter un coup
d'osil même superficiel sur les notes concernant le marche de la
Villette: Le 18 novembre, le Temps notait marche calme"; le 21,
après l'ouverture de la frontière, ,,vente fiévreuse"; le 28, ,,vente
nerveuse", et d'un marché à l'autre, le quintal augmentait chaque
'fois d'au moins trois francs. Aussi l'innoduction du bétail français
n'a-t-il pas produit sur les marches d'Alsace-I orraine, du Grand-
Duché de Bade, de Baviere une baisse suffisante pour que le public
REVUE DU MOIS.

en profitât tout le gain est resté dans les poches du commerçant


en gros.
La même chose arriverait si l'on supprimait les droits de
douane, ils ne sont pas tellement forts qu'ils soient très sensibles
dans le detail, et d'un autre côté ils sont indispensables pour l'agri-
culture. C'est giâce à eux que les éleveurs allemands sont parvenus
à augmenter le nombre de tête de bétail dans une proportion presque
équivalente à l'augmentation de la population de l'empire et de la
consommation en général. Le jour où les prix ne seront plus ré-
munérateurs, l'agriculteur cessera de taire de l'élevage et l'importa-
tion ne produirait pas la compensation de la production. Il en est
de même de la suppiession des mesures de police vétérinaire.
L'Allemagne est artivée à se debarrasser à peu près complètement
de la fièvre aphteuse: si elle se relâchait \is-à-vis du bétail étranger
sur les points essentiels du règlement, nous risquerions d'importer
des épizooties qui en emportant des masses de bestiaux provo-
queraient sur le marché indigène des vides si considérables qu'une
hausse ne pourrait pas être évitée.
Le but à atteindre c'est que la production indigène suffise à la
consommation, et l'agriculture allemande est arrivée à se rapprocher
de ce but de très près. Car là aussi il y a un facteur important du
problème: on mange beaucoup plus de viande qu'autrefois, et une
multitude de motifs y ont poussé. A un moment donne les médecins
ont poussé à l'alimentation camée; puis il y a eu le mouvement
d'émigration des populations rurales veis les \illes, et pourquoi ne
compterait-on pas aussi parmi les causes de la progression de la
consommation de la viande, l'adoucissement des lois ecclésiastiques
sur l'abstinence ?
Dans le problème qui a occupe le Reichstag, il ne faut pas non
plus négliger l'augmentation de toutes les charges qui reposent sur
le bétail depuis sa sortie de la ferme jusqu'au consommateur. Les
abattoirs sont munis d'un comfoit hygiénique qui a absorbe des
sommes énormes qu'on redemande au consommateur il y a en
outre l'augmentation des salaires de tout le personnel des boucheries
il v a les impôts du débitant de jour en jour plus écrasants Il y a
les exigences du public qui demande au boucher une installation
luxueuse, qui désire faiie ses commandes par téléphone, qui veut
être servi a domicile, toutes choses qui ont l'air d'être gratuites et
qui se paient, bien au delà des déboursés réels. Tout cela est en
rapport a\ec une diffusion plus large du bien-être qui ne \a pas
sans une diminution de la valeur de l'argent. Les économistes
libéraux sont bien obliges de convenir de ce phenomène, et quand
ils ne sont pas entraînés par leur rage de crier contre le Centre,
ils conviennent même que la suppression des droits de douane et
l'abrogation des mesliies de police vétérinaire ne pioduiraient pas
une baisse sensible pour le commeice de détail.
REVUE DU MOIS.

Est-ce à dire qu'il n'y a rien à faire pour remédier à un mal


indéniable? M. Trimhorn, du Centre, député de Cologne, ne le pense
pas: il reste en principe partisan des droits de douane et d'une sur-
veillance très exacte du bétail impoité. Mais il est d'avis que cette
surveillance ne doit pas être d'une rigueur exagérée, comme elle
existe sur la frontière hollandaise il ne croit pas que le peuple
hollandais qui possède une face si remarquable même au point
de vue artistique, qui a une renommée universelle et justifiée d'ex-
quise propreté, soigne moins bien son hétail que les nations dont
on a entrouvert la frontière. Le gouvernement ne s'est pas rallié à
son avis il ne veut ouvrir les frontières que du côté des pays où
la fièvre aphteuse n'existe pas, que sous des conditions qui empêchent
l'introduction d'une épizootie, et seulement à des quantités assez
limitées pour ne pas ecraser le producteur indigène sous la concur-
rence de l'étranger L'interpellalion aura donc eu, comme d'ailleurs
toutes les inteipellations du Reichstag, peu de résultats pratiques, si
ce n'est l'indication qu'il s'y trouverait une majorité, non pas pour
aholir les mesures de police vétérinaire à la frontière, mais pour les
adoucir, pour les rendre moins chicaneuses, pour leur enlever le
caractère prohibitif qu'elles ont l'air d'avoir dans quelques-unes de
leurs disposition'
Trois jours de discussion sur la disette et la cherté de la viande
C'était à en devenir végétarien, surtout pour le public des tribunes
qui attendait avec impatience une grande journée avec l'interpellation
des socialistes sur les discours de l'empereur à Kœmgsberg, Marien-
bourg et Beuron. L'écho des deuv premiers était déjà singulièrement
affaibli, mais les passions sectaires excitées par le dernier sont
encore en pleine ébullition dans les organes de la presse progres-
siste et de la Ligue évangélique. Songez donc! Le chef d'un empire
qu'on se plaît dans certains milieux de qualifier de protestant, qui
visite avec ostentation un repaire de moines, qui fait devant eux une
profession de foi en la Rédemption de l'humanité par le Christ, qui
proclame au moins indirectement, mais clairement, la bienfaisance
de l'action monastique Et cela quelques semaines seulement après
que le Portugal s'est élevé à l'ideal de la liberté, en jetant hors de
ses frontières les moines et les religieuses qui asservissaient la patrie
Du temps du prince de Bulow, pareil déraillement ne serait pas
arrivé le chancelier du Bloc n'aurait pas manque de rappeler à
l'empereur Rappeler quoi? C'est ici que commence la difficulté:
les progressistes prétendent qu'à la suite de la crise de novembre
1908, l'empereur a pris l'engagement de ne plus prononcer sous sa
propre responsabilité des discours d'une grande portée politique.
Mais si l'on se rapporte au te\te littéral de la déclaration du prince
de Bulow, on voit qu'elle est très sybilline il n'a jamais dit que
l'empereur avait pris un engagement formel de mettre à ses lèvres
un cadenas constitutionnel, dont la clef serait deposee à la chancel-
698 REVUE DU MOIS.

lerie le prince de Bulow a simplement déclaré que de ses entretiens


avec son auguste maître il avait rapporté l'impression que Sa Majesté
lui semblait disposée à s'imposer des réserves dans la manifestation
de ses opinions sur les affaires du gouvernement. 11 était donc assez
osé de tabler une interpellation sur l'accusation d'infidélité à la
parole donnée il était surtout maladroit de confier le developpe-
ment de l'interpellation à un être aussi inepte et aussi antipathique
que le compagnon Ledebour. Ce cuistre est venu au monde quelques
siècles trop tard il aurait fait aussi bonne figure à côté de Crom-
well qu'à côté de Marat ou de Robespierre. Il aurait chanté des
cantiques puritains au pied de l'echafaud de Charles Ier et aurait
voté la mort sans sursis et sans appel pour Louis Capet. Comme
Guillaume II n'est pas encore homme à se laisser enfermer dans la
Tour de Londres ou au Temple, M. Ledebour ne l'a pas encore
décrété d'accusation, mais il l'a prié de méditer sur le sort de ces
tyrans dont la dictature populaire a fait prompte justice. Et tous les
petits roquets de la secte s'en vont par le pavs à l'exemple de ce
Don Quichotte rouge, pour soulever les masses contre des formules
qui n'effrayent pas plus les gens qui réfléchissent que les mannequins
dans les champs n'effrayent les moineaux. "Droit divin" Le trône
et l'autel" “! e monarque par la grâce de Dieu", autant de formules
qui demandent à être expliquées, et qui après l'explication que leur donne
la doctrine catholique sont tellement inoffensives qu'on ne peut que
rire de ceux qui s'en émeuvent ou font semblant de s'en émouvoir.
M. Taft est aussi bien de droit divin président des Etats-Unis que
le roi de Prusse est souverain de son royaume, et si à l'époque de
N. S. les monnaies avaient porté re(ri<îie de M. Fallières, le Christ
aurait dit: “ Donnez à Armand, ce qui appartient à Armand." Chacun
de nous est par la grâce de Dieu électeur, aussi bien que Nicolas Il
est par la grâce de Dieu tzar de toutes les Russies, ou que Moham-
med V est le Padischah de tous les croyants Le dernier des Bona-
parte mettait en tête de ses actes: ,,Napoléon par la grâce de Dieu
et la volonté nationale, empereur des Français, etc." personne ne
s'en émouvait, et les meilleurs catholiques votaient pour des can-
didats de l'opposition. Et parce que certains catholiques usent, et
même abusent de la formule du ,,Trône et de l'autel", il ne s'en-
suit pas qu'un citoyen de Hambourg, de Brême ou de Lubeck doivent
renverser le Sénat de sa Ville Libre pour le remplacer par un pnn-
cipicule quelconque. Le "Trône et l'autel", c'est une formule qui
n'implique pas du tout que catholicisme et monarchisme soient
synonymes, c'est l'expression toute contingente de la nécessité de
l'union de l'Eglise et de l'Etat pour conduire les citoyens à leur fin
temporelle et éternelle, quelle que soit d'ailleurs le siège où le chef
de l'Etat asseoie sa personne: Trône ou Fauteuil présidentiel, peu
importe au point de vue doctrinal, c'est une simple question de fait
à une époque donnée et dans un pays donne.
REVUE DU MOIS

Ce n'est donc en tout cas pas au point de vue catholique


que l'on peut blâmer les quelques conseilleurs généraux de la Basse
et de la Haute-Alsace qui ont émis un vœu en faveur de l'etablisse-
ment de la Republique dans la Terre d'Empire. Au point de vue
politique les uns regarderont cet acte comme viril, d'autres le
jugeront puéril, et nous le trouverions criminel, s'il était, comme le
disent les pharisiens de la presse gouvernementale, l'obstacle vrai à
notre autonomie. Il faudrait cependant être sincère; car on n'est
pas disposé à faire de l'Alsace-Lorraine ni un Etat fédéral indé-
pendant, ni monarchique, ni républicain, s'il est bien clair que jamais
il ne se trouvera au Reichstag et au Bundesrat une majorité pour
nous soumettre au régime républicain, il n'est pas moins certain ni
évident que jamais dans le passé on n'a songé, que l'on ne pense
pas dans le présent à nous accorder le caractère d'un Etat fédéral
indépendant sous une forme monarchique. L'obstacle à notre auto-
nomie n'est ni dans notre mauvaise tête, ni dans la mentalité anti-
dynastiqe du peuple alsacien-lorrain cet obstacle se trouve plus
haut, nous aurons l'occasion d'en parler sous peu, quand la souris
sera sortie des flancs de la montagne qui l'enfante douloureusement
depuis tant d'années.
Que la vie politique puisse fermenter très vivement même dans
des pays à forme de gouvernement monarchique, rien ne le prouve
mieux que la crise traversée actuellement par l'Angleterre. La trêve
des partis conclue après la mort d'Edouard VII a pris fin et la
Conféreace chargée de trouver un terrain d'entente entre la majorité
de la Chambre des Communes et la Chambre des Lords a abouti à
un échec. Force était donc de dissoudre le Parlement, et le Royaume
Uni est en pleine ébullition electorale. Les Lords avaient cependant fait
peut-être trop tard des avances considérables. La Chambre Haute
renonçait à rejeter ou à modifier les bills ^exclusivement" financiers.
S'il y avait un doute sur ce caractère la question serait résolue, non
par le président des Communes, mais par une commission mixte
présidée par lui. Pour les bills non financiers, adoptés par les Com-
munes en deux sessions successives avec un intervalle d'au moins
un an, le conflit, s'il persistait, serait tranché par une conférence
mixte de membres des deux Chambres. Pour les questions graves, la
commission mixte serait remplacée par le referendum populaire.
M. Asquith a rejeté ces propositions, il ne veut même rien
savoir du referendum son but est de réduire les Lords à une
simple Chambre d'enregistrement. Pourtant le systeme proposé par
la Chambre Haute n'avait rien de réactionnaire ni d'antilibéral elle
ne voulait pas supplanter la volonté nationale par la sienne, mais
s'assurer dans les cas graves que la volonté nationale est bien
d'accord avec la majorité de la Chambre basse et elle consentait à
s'incliner dès que cette volonté se serait manifestée clairement dans
de nouvelles élections. On voit qu'en Angleterre comme ailleurs le
REVUEDU MOIS.

parti libéral a peu de respect pour la volonté des électeurs il a


peur de rien autant que d'une consultation directe du corps électoral.
Nous parions cent contre un que si nous proposions à nos libéraux
d'Alsace un referendum sur la question des écoles confessionelles,
ils seraient aussi intransigeants que les libéraux anglais. Ils posent
comme axiome qu'eux sont le peuple a priori, et que la majorité n'a
aucun droit contre leurs doctrines et leurs appétits de domination.
A Paris, notre dernière TRevue dit Mois" laissait M. Bqand, en
pleine crise ministérielle, à la recherche de nouveaux collègues. On
ne peut pas dire que ses choix aient été heureux et qu'ils sont une
manifestation de la volonté d'accentuer ou même continuer la poh-
tique d'apaisement. M. Briand a jeté un véritable défi aux progreî-
sistes et à la droite modérée en donnant le portefeuille de l'instruc-
tion publique à M. Maurice Faure, l'adversaire le plus acharné de
l'école libre, et en appelant dans le cabinet, M. Lafferre, l'ex-grand
maitre de la franc-maçonnerie française, le lieutenant de M. Combes,
l'homme qui dans sa vie n'avait paru qu'une fois à la tribune, et ce
pour défendre les fiches du général André et de Vadécard. M. Briand
a calculé que ces concessions amèneraient à sa majorité quelques
voix radicales; mais ce calcul mesquin doublé d'une petite lâcheté
ne fortifiera pas sa situation dans la lutte qu'il a entreprise contre
le syndicalisme révolutionnaire et contre la corruption électorale.
On ne peut que le louer de vouloir enlever le droit de grève à tous
ceux qui sont employés dans un service public, mais déjà il se
forme un groupe de députés qui ne votera son projet de faire re-
soudre par l'arbitrage les différends collectifs que si les administra-
tions de chemins de fer réintègrent dans leurs emplois et dans leurs
droits à la retraite, les cheminots mis à pied pour insoumission a
la mobilisation et même ceux qui ont été condamnés pour des actes
de sabotage et des voies de fait contre les ouvriers disposés à tra-
vailler.
Pour la Représentation Proportionelle, M. Briand est sur le
point de flancher encore beaucoup plus que sur le terrain des syn-
dicats. Aux dernières élections cependant le pays a clairement mani-
festé sa volonté de voir cesser le désordre du scrutin d'arrondisse-
ment. M. Briand voit bien que ce désordre ne peut plus continuer,
mais comme tous les caractères qui n'ont que l'apparence de la force,
il voudrait rendre aux arrondissementieis, ce qu'il leur prend de
l'autre Il rejette absolument le système belge qui en somme est
encore le plus simple au point de vue mathématique et le plus
moral au point de vue de la justice.
L'attention du public excitée par les interpellations au minstère
sur son programme fut bientôt détournée sur la commission d'en-
quête parlementaire chargée d'étudier l'affaire Rochette. Nous avons
entendu quelques collègues du Reichstag, conservateurs des pieds à
la tête, exprimer des regrets que nous n'ayons pas en Allemagne la
REVUE DU MOIS.

possibilité de procéder à de pareilles enquêtes. Ils avouent qu'elles


ont des inconvénients, mais ils déclarent qu'elles sont le seul moyen
efficace pour porter remède à certains abus invétérés. Les motifs
qui inspirent certains parlementaires peuvent tres bien être répré-
hensibles, les résultats de leur action ne seront pas pour cela inutiles
ou funestes: les intentions de M. Jaurès n'étaient point d'une purete
parfaite, mais du mal il résulte quelquefois du bien, et la petite
épargne, quelquefois trop audacieuse, sera contente si l'affaire
Rochette devient le depart des mesures législatives destinées à les
protéger contre les lanceurs d'affaires. En outre il y a dans le code
de procedure pénale de vieux restes d'arbitraire napoléonien ce
sera un avantage de les voir disparaître non seulement pour les
coquins auxquels on doit aussi la justice, mais aussi pour les hon-
nêtes gens auxquels il arrive parfois d'avoir maille à partir avec la
basoche et vis-à-vis desquels les parquets sont souvent beaucoup
plus durs qu'avec le gibier de potence.

N. DELSOR.
BIBLIOGRAPHIE.

£4 Revue d'Alsace. Nov.-Déc. – ri. Ingold: Le Dictionnaire biogr.


du Fr, Sit^mann. Dorlan La 2e enceinte de Schlestadt. Une
correspondance polit. Dom G. de Dartein: Le P. Hugues Peltre
et sa vie latine de Ste Odile. Lettres de Blessig à Grégoire.
La Cathédrale de Strasbourg par G. Delahache. Beau vol. in 12x
carre. 192 pp. richement illustre. Paris, Longuet, Faubourg St Mar-
tin 250.
Ephémérides alsaciennes de l'Année Terrible (14 Juillet 1S70–
i«> Mars 1871) par Paul Galion. 422 pp. gr. in 12. Colmar, J.-B.
Junç. igio.
Etudes. 5 Nov. – S. Charles Borromee. – L'Imitation, en vers
de P. Corneille. Le Déciet sur la première Communion. Un
recit inédit du 10 Août 1792.
20 Nov. – Lamennais, fondateur d'ordre. Joseph de Maistre
par sa fille. – Le S. Suaire de Turin. – La Théologie des Eglises
Orthodoxes.
Revue hebdomadaire. 26 Nov. J. Bardoux Edouard 17/
L'Homme; G. Magherim-Gra^iani Monna Taucia Ch. Collé:
Fragments inédits de son ^Journal Historique" (1701-62); C. F. Ran-
nitî Aime Pache (Fm); Max de Litssac Poème; H. Bordeaux'.
La Vie au Théâtre.
Les Chants du Grillon. Paroles et melodie Louis Gibla.t;
Lettre-préface Amedee Gastoue Chanson-preface Th. Botrcl.
In-8 écu, orné de 100 gravures, 3,5o frcs.
Dans la rénovation des formes populaires, l'auteur se place aux
premiers rangs des bardes modernes. La chanson, sous la forme la
plus vulgaire, peut être une œuvre de profonds sentiments, ou dis-
simuler les effets d'une haute eloquence. Avec les sentiments qui
sont innes au cœur de l'homme, mais dont l'expression peut changei
au cours des temps, M. Giblat a su réveiller la Muse d'autrefois et,
pour bien modernes que soient ses airs, on y respire ce je ne sais
quoi par où nous charment les airs anciens. Ces mélodies, bientôt
BIBLIOGRAPHIE.

adoptées par le peuple, auront un succès au moins égal à celles qui


les précédèrent. A beaucoup elles plairont même peut-être davantage,
car l'on y rencontre une variété que l'on n'est pas habitué à trouver
dans les recueils similaires. Le livre charmera par la grâce et la
vérite des sujets traités: c'est une œuvre saine, gaie, sincère. Les
Chants du Grillon se chanteront partout, dans les concerts, à la
veillée, dans les salons, par les aines autant que par les jeunes.
Ajoutons que l'ouvrage est édité avec un soin particulier, imprime
avec luxe, orné de belles gravures (plume ou aquarelle) dont la plus
grande partie hors texte. L'illustration, entièrement originale, et due
au delicat artiste qu'est M. Jos. Gwennic.
Le plus large succès est assure aux Chants du Grillon (le recueil
contient quarante-et-une chansons notees) et nous souhaitons dès
maintenant que cette collection, entreprise par l'éditeur Lethielleux,
s'augmente rapidement pour repondre aux légitimes désirs du public.
Le Journalisme catholique, par le R. P. J. Chiandano S. J.
122 pp. In-i 2.
Adresse à un public d'élite ce petit opuscule aurait peut-être
gagné a être redigé sous une forme autre que celle un peu simple
du dialogue. Néanmoins il contient d'excellents conseils aux jour-
nalistes catholiques pour les rendre dignes de ce beau titre et du
rôle si beau et si important qu'ils ont à jouer dans la lutte du bien
contre le mal.
AUBANEL Frères a Avignon. Notes de Pédagogie, Direction et Con-
seils pratiques aux; Institutrices chretiennes, par l'Auteur des Pail-
lettes d'Or. 312 pp. in 16carré.
L'ouvrage porte un titre modeste Notes de Pédagogie. Il est
pourtant beaucoup plus que de simples notes. L'auteur a divisé son
oeuvie en deux paities: dans la première, il traite des qualités et
des vertus que doit posseder l'educatrice, et des défauts qu'elle doit
éviter dans la seconde, il lui donne de précieux conseils sur la
manière dont elle doit remplir son rôle pour réaliser l'education
physique, intellectuelle et morale des enfants qui lui sont confiés.
C'est donc un traité de pédagogie complet. Il est aussi très
vivant. On sent, en le lisant, que les notes qui ont servi à sa com-
position, ont été rédigées dans une maison d'éducation parmi les
maîtresses et les élèves et pour elles. Il révèle une expérience judi-
cieuse, un tendre et pieux amour de l'enfance. Il instruira les
maitresses et les guidera dans l'accomplissement de leurs devoirs
professionnels mais il fera plus il les soutiendra dans les heures
inévitables de tristesse et de découragement; livre de lecture qui les
délassera de leurs trav aux, livre d'etude qui les fera reflechir, livre
de méditations qui les aidera a se recueillir devant Dieu dans la
pensee de leurs devoirs d'état et à s'examiner sur la maniere dont
elles s'en seront acquittées.
BIBIilOGEAVItlE.

Elévations Eucharistiques, par l'aûbé Van Loo. Extraits des


ecrits de la servante de Dieu, Marie Eustelle, surnommee l'Ange de
l'Eucharistie. t28 pp. in 18. 5e édit.
Contentons-nous de rappeler ce qu'Auguste Nicolas disait de
cette jeune fille Ces écrits, echappés a la plume d'une jeune
ouvrière, entre la fatigue et la souffrance, nous dévoilent une âme
vraiment surhumaine par son intelligence et son amour des choses
de Dieu." Nous ne craignons pas de dire que, par la simpl.cité, la
precision, la correction, l'élévation, le sublime même des pensees,
des sentimens et du style ces ecrits rappellent ceux de Fénelon et
atteignent quelquefois à Bossuet.
Librairie de la Bonne Presse. Procès romain pour la Cause de
Béatification et de Canonisation du serviteur de Dieu, Pie IX. Mémoire
de Mgr. Cani, postulateur de la cause. 200 pp. m 8 ecu.
Le présent memoire a tous les caractères d'un acte strictement
juridique; il ne contient que des faits sobrement rapportés sous les
rubriques suivantes: La biographie de Pie IX. Ses vertus héroïques.
Ses dons extraordinaires. – Son renom de saintete avant et
après sa mort. Ce recueil montre combien était vrai le mot du car-
dinal Patrizi: ,J'ai en main plus de documents qu'il n'en faut pour
le faire canoniser."
Librairie Vie & Amat, 11, Rue Cassette, Paris. 2e édition. Le Culte de
saint Joseph, par Charles Sauvé (S.-S.), ancien professeur de dogme et
directeur du grand séminaire de Dijon. Un volume in-8° écu, de
480 pages, avec manchettes et tables analytiques. Prix: 3,5o frcs.-
Franco 4 francs.
Les divines Préparations de saint Joseph, ses divines Affinites,
ses divines Grandeurs, ses divines Intimités, sas divines
Gloires: voilà l'objet et le plan de ce nouvel ouvrage. Un mot ex-
primerait au mieux le point de vue profond, vaste, lumineux, edifiant,
beau et doux à ravir, que M. Sauve étudie c'est le mot de saint
Joseph Intime. Ce mot dit tout un monde de divines relations, d'in-
timités à part avec Marie, Jésus, la Divinité, l'Église, notre âme
de vertus, de dévouement, de joies, de souffrances, de gloires, sur-
tout d'amour, dignes de la Sainte Famille dont il est le Chef. Tous
ceux qui ont lu M. Sauvé, disait récemment la Croix, apprécient le
don merveilleux qu'il a de nourrir la piété des considérations les
plus solides en même temps que d'échauffer les exposes théologiques
par les effusions d'amour les plus vives."

N. DELSOR, rédacteur responsable,

Strasbourg. Typ. F. X. Le Roux & Cie.


S* NICOLAS AU PENSIONNAT
DE L UTTERBACH.

Enfin, me voilà donc au terme du voyage!


Ah! je ne suis plus jeune eh oui, qu'on dévisage
Et ma barbe de neige et mes cheveux tout blancs –
J'aime le coin du feu, je crains les ouragans.
C'est que je viens de loin, mes chères demoiselles,
Avec frère Rupeltz, mon rude compagnon,
Plus loin que de Paris, plus loin que d'Avignon
Les anges du bon Dieu m'ont porté sur leurs ailes.
Pourquoi nous sommes nous arrêtés en ce lieu ?
Hé Parce que je vis de l'ombre et des lumières,
Beaucoup de vains désirs et beaucoup de prières,
Et Satan qui tentait les amis du bon Dieu.
Il nous venait aussi des odeurs bien exquises.
Sens-tu, frère Rupeltz?- Grand saint, ce sont les brises
Qui nous apportent les parfums et les odeurs
Qu'à Lutterbach exhale un parterre de fleurs.
Eh bien, mais, en cas, interrompons la course,
Frère Rupeltz Allons voir cela de plus près
Ah, pourvu que, mon Dieu, de cette pure source
Rien ne vienne ternir les clairs et chauds reflets

Que vois-je, juste ciel Voici dans ce parterre


De la première classe, en haut, s'épanouit
L'affreux souci De plus, une plante de serre
Chaude La distraction de même y fleurit
Allons donc, mes enfants, du courage, et du cœur
A la besogne, et pas de ces natures molles,
A la va que je te pousse, au petit bonheur!
L'arbre divin ne souffre pas de pousses folles
Revue. Decembre 1910. 45
St NICOLAS AU PENSIONNAT DE LUTTERBA.CH.

Et parfois montent même, en traversant les airs,


Des murmures qui ne sont pas ceux des prières
Tantôt confus et sourds, tantôt vibrants et clairs.
Ça me paraît venir de langues bien légères
Mesdemoiselles, allons montrez clairement
Que la femme aussi peut, quand elle veut, se taire.
Parler, mon Dieu, n'est pas un crime assurément
Le silence, pourtant, est souvent nécessaire.
Mon petit doigt me dit qu'on voit même parfois
Des enfants à l'étude certes d'ici j'en vois
Au lieu de travailler, inspecter les ampoules,
Puis écouter le coq chanter parmi les poules
Mentirait-il, par hasard, le petit coquin ?
Ou bien serait-ce vrai? Allons! mademoiselle
Une telle, là-bas, ayez de la cervelle
Oui Plus qu'une linotte ou qu'un pauvre serin
Il paiaîtrait aussi, mais j'ai peine à le croire,
Que mademoiselle X, ou bien Mamselle Y
Boude, faisant la moue! Oh! la mauvaise histoire!
L'œil, même, dit-on, ne reste pas toujours sec!
Ça, c'est pas beau Fi donc Quelle faute commune'
Qu'elle file au pa}s de la défunte lune!
Ça vous enlaidit Puis ce n'est pas de bon ton!
Et chose grave, ça vous vaudra verge ou bâton!
Enfin, mes chères sœurs, avez-vous des coquettes,
Qui vont faisant la roue à l'exemple du paon,
Ne rêvant que chiffons, rubans et collerettes,
Têtes légères sous un chapeau lourd et grand?
Les habits, mes enfants, n'entrent pas au ciel bleu
A notre âme, quand elle est pure
L'innocence sert de parure
Car ainsi sont parés les anges du bon Dieu.
Viens, frère Rupeltz, avec ton sac à surprise.
Voyez-moi tous ces yeux briller de convoitise
Allons, venez goûter les fruits du Paradis,
Quand on les mérite, ils sont doublement exquis.
J. PH. RIEHL.
LE CURÉ MAIMBOURG.
(Suite.)

M. Maimbourg a dû faire ce voyage de provicaire


sous l'impression de sentiments bien divers. Ce n'était pas
seulement la vue des troupes ennemies à travers lesquelles
il lui fallut passer, qui agitait son âme, ni la nouvelle
émotionnante de la chute de celui qui pendant des années
avait fait trembler cette Europe coalisée contre lui et
maintenant victorieuse; c'était encore et surtout un événe-
ment qui le touchait de près et qui allait amener un grand
changement dans sa vie. Le sujet de ses préoccupations
personnelles d'alors, le voici.
Le 20 février 1814 mourait à Colmar celui qui pendant
trente-trois ans en avait été le curé fidèle et vénéré
Théodore-Antoine-Xavier Reech.
Enfant de Colmar même, ce prêtre distingué y avait
vu le jour le 22 septembre 1748, et après avoir durant
sept années administré la paroisse d'Oberhergheim, il
devint chanoine de la collégiale de Saint-Martin, puis
doyen, et en 1781t curé de sa ville natale dont il resta
l'apôtre pendant la Révolution. De même que Jasglé de
Strasbourg, le curé Reech refusa de prêter le serment, et
la belle et digne réponse qu'il adressa à la municipalité
de la ville, et qui fut imprimée dans les deux langues et
répandue parmi les fidèles, le 1" février 1791, le força
à s'exiler. Dès le 2 février, il était de retour dans sa
LE CUBÉ MAIMBOUEG.

paroisse. Il se réfugia d'abord aux Unterlinden, mais ne


s'y trouvant plus en sûreté, il accepta les cachettes que
lui offrirent dans leurs maisons diverses familles chrétiennes,
entre autres celle de Chauffour, où il réussit à se sousraire
à la recherche des patriotes.
Lors de la réorganisation du culte, le curé Reech eut
la douleur de se voir menacé de perdre son titre que
Saurine voulait donner au jureur Graf, le chef du parti
constitutionnel de Colmar mais grâce à l'opposition des
fidèles et surtout à l'intervention énergique du préfet,
l'intrus fut écarté et le curé fidèle maintenu à son
poste. Plus tard, l'évêque plus à même d'apprécier les
qualités pastorales de M. Reech, le nomma en mars 1808,
chanoine honoraire. Aimé de Dieu et de ses ouailles,
l'ancien doyen de St-Martin s'éteignit pieusement, à l'âge
de 66 ans, dans sa maison paternelle dont il avait fait
son presbytère.
En même temps que la paroisse de Colmar recom-
mandait à Dieu l'àme du curé qu'elle venait de perdre,
elle implorait la divine Providence de lui envoyer un
digne successeur. Son attente ne dut pas être longue le
prêtre qu'on lui destinait étant tout trouvé, presque dé-
signé à l'avance.
De Strasbourg on éveilla chez le curé d'Obernai le
désir de prendre la succession de M. Reech, désir d'au-
tant moins indiscret, que d'une part il était inspiré par
l'administration capitulaire elle-même, où M. Maimbourg
ne comptait que des amis, d'anciens collègues qui tous
appréciaient ses hautes qualités et qui devaient se sentir
heureux de pouvoir réparer ainsi l'injustice qu'avait subie
l'ancien chanoine secrétaire de l'évêché; et que d'autre
part, les catholiques de Colmar avaient sollicité par leur
organe officiel, le Conseil de Fabrique, la nomination de
M. Maimbourg.
A cette nomination signée par les vicaires généraux,
Hirn, Vion, Lienhart et par les professeurs du Séminaire,
Doffner et Fritsch, et expédiée le 3o mars, il ne manquait que
LE CTJEÉ MAIMBOUBG.

l'agrément impérial, et il ne pouvait être question de le


demander dans les circonstances critiques dans lesquelles on
se trouvait alors. Singulière coïncidence s'il est permis de
rattacher les petits faits aux grands événements de l'histoire,
c'est ce même jour, 3o mars, où l'Empire capitulait à Paris,
que Rœderer, son envoyé extraordinaire à Strasbourg,
crut pouvoir donner encore une approbation provisoire à
la nominaton du curé de Colmar. Cette approbation resta
sans effet et les vicaires généraux durent soumettre cette
nomination à l'agrément définitif du Roi que les évène-
ments avaient rappelé entre temps sur le trône de ses
aïeux.
Voici la lettre qu'à ce sujet ils adressèrent le 3o avril
au ministre des cultes.
,Monseigneur, nous avons l'honneur d'adresser à V. Exc. en
duplicata deux états de nominations à quatre cures devenues
vacantes dans ce diocèse: Colmar, Porrentruy, Mulhouse et Epfig-
Presses par les fidèles abandonnes, nous avions présenté ces nomi-
nations le 24 mars dernier à S. Exc. le comte Rœderer, alors com-
missaire extraordinaire dans notre ville. Son Exc. y a donné sous
la date du 3o du même mois une approbation provisoire.
Nous osons, Monseigneur, vous supplier de nous obtenir
maintenant de Sa Majesté le Roi, ou de son Altesse Royale, le
Lieutenant général du Royaume, l'agrement définitif, voulu par la
loi. Les quatre sujets proposés méritent cette faveur, tant par leurs
autres excellentes qualités que par l'empressement qu'ils ont montré
dans les dernières circonstances d'adhérer aux heureuses mesures
qui ont été prises pour le retablissement de nos souverains légi-
times." 1
Hirn. Vion."

Le chanoine Ritleng avait annoncé à son ami Maim-


bourg, dans une lettre du 25 avril, que l'agrément royal
de sa nomination allait être demandé au plutôt. Cette
lettre du secrétaire général mérite de trouver ici sa place.

( Les quatre sujets proposes turent Eggs pour Andlau, Laurent


pour Porrentruy, Maimbourg pour Colmar, Stehlé pour Mulhouse. Ils
furent tous agréés par ordonnance royale du 16 juin 18 14. Le titre
de la cure d'Andlau ayant été transféré à Epfig, le curé Eggs put
rester dans sa paroisse d'Epfig.
LE CURÉ MAIMBOUBG.

Strasbourg, ce 25 avril 1814.


Chérissime ami

BJe viens de recevoir la chère vôtre en date d'hier. Nous


sommes dans l'intention d'agir conformement à vos désirs. Du
moment que nous aurons le premier avis officiel du successeur de
notre Ministre, nous nous empresserons de solliciter le second
confirmatur à nos nominations. Il nous semble cependant que dans
l'état actuel des choses, vous avez satisfait au civil en faisant votre
acte d'adhésion, dont ci-joint l'extrait à produire devant les auto-
rités supérieure et locale. Vous êtes agréé par le gouvernement
pour les fonctions curiales à Obernai. Au moyen de votre adhésion
vous seriez en droit de les continuer à Colmar, en attendant que
vous soyez appelé avec tous les fonctionnaires ecclésiastiques à
prêter serment de fidélité au Roi et à la nouvelle Constitution.
Le Chapitre désire apprendre le plus tôt possible que M. le curé
de Colmar se trouve à son poste. Il me charge de vous témoigner
sa grande satisfaction de tout ce que vous avez fait en le représen-
tant pendant notre blocus, il est surtout enchanté des bonnes
façons que vous avez choisies dans votre prudence pour l'exécution
de sa commission concernant les Saintes-Huiles. Il vous en sait
bien bon gré et va écrire une lettre de remerciements à S. A. le
Prince Evêque qui a été si gracieux à votre égard et si favorable à
notre diocèse. Le refus des cruchons de Haguenau a fait un plaisir
infini à mes collègues. Je suis curieux de voir ce que M. Poinsignon
m'en dira.
Votre seconde lettre au Chapitre n'a pu être produite avec
l'autre pour la raison que l'on n'était pas encore d'accord pour
votre successeur et qu'on aurait voulu aller en avant. J'ai cependant
exprimé à ces Messieurs votre reconnaissance. Ils vont la lire dans
vos propres expressions, la difficulté étant levée. Je crois que celui
qui vous précède dans la pétition de Colmar suivra à Obernai. Il
vous faut un tel successeur pour vérifier le bien que vous en dites
à vos chers paroissiens. Vous devez donc être bien consolé, pré-
voyant que les nombreux fruits de votre zèle apostolique n'iront
pas se perdre par l'impuissance ou la négligence d'un mauvais
successeur.
Ma sœur vous prie d'agréer ses hommages, étant très fiattee
de votre gracieux souvenir. Veuillez faire agréer les miens à la res-
pectable maman.
Je suis avec un dévoument sans bornes
Votre affectionne ami
G. Ritleng."
LE CURÉ MAIMBOUBG.

CHAPITRE III.

LE CURÉ DE COLMAR.

Installation. Le successeur à Obernai. La Bulle


de l'évêque de Bâle.

L'agrément royal, si débiré, fut enfin donné le 16 juin


(1814) et mit fin aux troubles de cœur que dut subir
pendant ces trois mois le curé d'Obernai, nommé à Colmar.
Aussi s'empressa-t-il de se soustraire le plus tôt possible
aux regrets de ceux qu'il quittait pour répondre aux vœux
de ceux qui l'attendaient. Son installation fut fixée au
dimanche, 3 juillet, et les invitations furent adressées en
conséquence aux membres du Chapitre qui devaient
présider ou prendre part à la solennité. Ceux-ci s'en
faisaient une joie, quand inopinément arriva une lettre
close du Roi, prescrivant un Te Deum d'actions de grâces,
le jour même de la fête projetée à Colmar coïncidence
fâcheuse, à la suite de laquelle les bons chanoines invités
se crurent obligés de figurer ce jour-là dans leurs stalles.
La cérémonie d'installation eut-elle lieu au jour fixé
et par qui fut-elle présidée ? Nous n'avons pas pu l'apprendre
et n'avons trouvé, pas plus aux archives de la paroisse
de Colmar, qu'antérieurement a celles d'Obernai, un
document quelconque relatif à cette installation. Tout ce
que nous en savons, c'est à la correspondance du chanoine
Ritleng que nous le devons aussi lui cédons-nous de
nouveau la plume.
Strasbourg, ce 27 juin 1814.
nTrès cher ami, voici l'extrait des ratifications que nous avons
reçues hier en tant qu'elles vous concernent. Vous avez vu par le
billet que je vous al écrit tout de suite pour vous annoncer cette
intéressante nouvelle, combien elle me tenait au cœur. Vous remar-
querez qu'au lieu du 16 je vous ai indiqué le 20 pour date de
l'agrément royal; n'ayant pas eu le temps de m'evpliquer, j'ai preferé
vous donner la date de l'envoi afin de vous convaincte Je la célérite
qui y a été mise. Si nous avions un jour de plus, nous viendrions
pour la fête des Apôtres, mais le temps est trop court vous ne
pouvez plus nous assurer que vous serez chez vous.
I-E CURÉ MAIMBOCIÎG.

Je me souviens que pour être conséquent, vous désireriez être


installé par M. le Supérieur1. M. le President aurait eu envie de
vous faire cet honneur; M. l'archiprêtre3 aurait fait de même avec
plaisir mais comme vous êtes embarqué, vous ne voudrez pas re-
virer. Je vous engage à écrire par le premier courrier votre nouvelle
invitation à qui vous voudrez; j'ai déjà prépare les esprits dans
votre sens. Vous acheverez la chose, si vous désirez nous voir pour r
dimanche; nous tâcherons d'être à Colmar dans la nuit de samedi,
c'est-a-dire la veille. Au cas que vous choisissiez M. le Supérieur,
il demandera le lit à son cousin Raspiller. M. Doll l'a déjà offert
à votre dévoué serviteur.* C
G. Ritleng.
Deux jours après, le même envoyait le billet d'excuses
suivant:
Strasbourg ce 29 juin.
"Au point de vous annoncer notre arrivée pour samedi soir,
afin de vous installer le lendemain, je suis forcé de vous mander
qu'il est survenu un empêchement qui ne permet à aucun de nous
de quitter ce jour la. Vos arrangements sont pris. Ainsi n'attendez
pas plus longtemps. Mes collègues se montrent pemés de cette
contrariété. Jugez du chagrin qu'éprouve
Votre tout dévoué ami
G. Ritleng."
Nouvelle lettre du 1" juillet.
Chérissime Je ferai le possible et l'impossible pour vous pro-
curer un installateur. M. Hager est indispose. M. votre oncle est à
Obernai. Le secrétaire aura demain soir la distribution des mande-
mens qui l'occupe. Le Te Deum exige notre présence après-demain.
N'empêche: je ferai les derniers efforts pour que l'on voye à Colmar,
combien on vous est dévoué à Strasbourg. Cependant prenez vos
mesures, afin que etc.
Je vous embrasse avec notre cher collègue, votre généreux
hôte, et suis à jamais.
Votre affectionné ami
G. Ritleng."
L'installation aurait eu lieu, et le secrétaire n'ayant
point reçu de nouvelles à cet égard, désireux cependant d'en
obtenir, écrit de nouveau le 6 juillet, et adresse ses féli-
citations au nouveau curé de Colmar.

1 M. Lienhart; 2 M. Hirn; – s M. Vion vicaires capitu-


laires.
4 J. B. le 29 avril 1752, ancien chanoine
Boll, né à Eguisheim
régulier de Marbach; retiré, après la Révolution, à Colmar; nommé
chanoine honoraire par Mgr. Saunne; décedé en 1821.
LE CURÉ MAIMBOU-RG.

Chérissime ami
"Sans avoir pu apprendre comment votre installation s'est passée,
je me repose sur votre bon esprit qui aura su donner à cette im-
portante cérémonie toute la pompe convenable et à laquelle j'aurais
désire de mon coeur pouvoir contribuer. Dès que vous ne m'aurez
pas vu, vous étiez sûr qu'il m'avait été impossible de quitter. Les
contrariétés de tous genres sont depuis longtems mon partage. L'on
s'habitue à tout, mais il en coûte souvent. Je vous félicite de la
belle et intéressante alliance que vous venez de contracter. Dieu
veuille vous conserver de longues annees pour le bonheur de la
paroisse et votre propre satisfaction 1 Il est consolant de trouver en
entrant dans une commune tous les esprits reunis en sa faveur
C'est un avantage inappréciable pour un nouveau pasteur: cet avan-
tage est le vôtre. Dieu en soit loué
Ci-joint vous recevrez le mandement pour la Paix au nombre
d'exemplaires que vous-même m'aviez fixé dans le temps. Le Te
Deum, qui nous était venu à contre-temps, a été chanté avec en-
thousiasme chez nous. S. Etc. le gouverneur Kellermann y assista
en grand capitaine. Nous fûmes lui faire visite au Palais, à son
arrivée de Molsheim, qui a eu lieu à une heure après-midi. Je serais
embarassé de vous dire si nous avons été bien ou mal reçus. La
question n'est pas décidée.
Il est en revanche tres décidé que j'ai besoin d'argent; ainsi
je vous prie de vous intéresser à l'aquittement des arrières dans
votre arrondissement, c'est-à-dire dans votre commissariat. Vous en
trouverez les notes ci-jointes.
Ne sachant pas qui sont vos alentours aujourd'hui, je fais
abstraction des formes et vous prie in genere de leur présenter mes
devoirs avec l'honnêteté convenable. Quant à vous, je vous embrasse
avec toute l'affection que vous porte.
Votre tout dévoué ami
G. Ritleng."
Les lettres qui précèdent nous font croire que
l'installation du curé de Colmar a eu lieu mais voici
une lettre de M. Vion, vicaire capitulaire et chanoine

archiprêtre, en date du i juillet, qui parle de cette céré-


monie, comme si elle était encore à faire.
Monsieur le Curé et cher ami
,Vous avez appris par l'ami Ritleng qu'il nous est de toute
impossibilité d'assister à votre installation; vous connaissez les con-
tradictions que nous a suscitées votre Préfet' et les propos injurieux

1 de la de Colmar du 12 mars iSi3 au


Vieuville, préfet
G avril i8i5.
LE CURÉarAIMBOUBG.

qu'il s'est permis contre l'administration de TEvêché. Comment


est-il possible que nous allions maintenant faire une cérémonie de
cette nature dans le chef-lieu de sa résidence, à laquelle il doit na-
turellement prendre part?. Si l'installation avait eu lieu avant
mon départ pour Paris, je m'en serais acquitte avec grand plaisir,
parce que le Préfet ne s'y trouvait pas. Il faut donc maintenant
prendre le parti de vous faire installer par M. Boll, ou par quelque
curé de votre departement. L'ami Bouat qui est très sensible à votre
invitation amicale, partage d'autant plus mon sentiment à cet égard,
qu'il a été témoin des propos du Préfet et qu'il a essuyé en per-
sonne cet affront. Il sera enchante de vous voir dans toute autre
circonstance, ainsi que l'ami Hager tous les deux vous saluent très
amicalement et vous félicitent sur \otre nouvelle carriere.
M. le Duc et Me la Duchesse de Dantzig se sont informés avez
întérêt de votre personne et m'ont témoigné leur satisfaction de ce
que nous vous avons replace sur le candélabre où vous êtes digne
de figurer.
Je voulais vous écrire il y a quinze jours, mais comme l'ami
Ritleng m'a dit qu'il vous avait communique tout ce que j'avais de
consolant à vous dire concernant votre confirmation, j'ai pensé que
cette lettre devenait superflue. Je vous souhaite, mon cher ami,
beaucoup de satisfaction dans votre nouveau poste et surtout beau-
coup de santé, car vous en aurez besoin pour la besogne que vous
y avez à remplir.
Je vous embrasse de coeur et suis pour la vie
Votre dévoué ami
Vion."

Après cela, peu importe que cette installation ait eu


lieu le 3 juillet ou seulement quinze jours après; si nous
nous sommes attardés à cette question, c'est pour montrer
de quelle haute considération jouissait M. Maimbourg et

que sa translation à Colmar avait les proportions d'un


événement.
Et maintenant c'est à Colmar que nous aurons à
suivre le nouveau curé. Ici, nous nous posons tout d'abord
la question Où se trouvait alors la maison curiale ? Un
Colmarien aux vieux souvenirs^ veut bien nous répondre.
L'ancien curé Reech logeait avant la Révolution à
l'hôtel du Doyenné, rue des Prêtres; plus tard il se retira
dans sa maison paternelle, aujourd'hui rue des Blés n° 14,

1 Ch. Souvenirs du Vieux-Colmar,


Foltz, 1887.
LE CUBÉ 3IAIMB0UKG.

dont il fit son presbytère. A sa mort, la ville dut chercher


un autre logement pour le curé arrivant; elle le trouva
n° i5 dans la maison Delort, de la même rue. M. Maim-
bourg occupa cette maison jusqu'en 1819, pour entrer
ensuite dans le presbytère actuel que la ville avait acheté
le i5 mars de la dite année, des héritiers du conseiller
Bernard. II était donc définitivement installé a Colmar,
à l'église et au presbytère, mais non sans laisser à Obernai
des regrets dont le conseil de fabrique se fit l'interprête
dans une pétition adressée au ministre des Cultes.
Nous n'avons pas pu mettre la main sur cette pétition,
mais à en juger par la lettre suivante qu'elle provoqua
de la part des vicaires capitulaires au gouvernement, on
voit qu'à Obernai on n'était pas du tout satisfait du
changement du curé Maimbourg. Cette lettre, la voici
27 juillet 1814.
"Monseigneur, sous la date du 18 juillet courant, V. Exc. daigna
nous communiquer une pétition présentée par les marguilliers de la
paroisse d'Obernai en faveur de M. Maimbourg. Quant à cette de-
mande, nous sommes obligés de déclarer son expose tout-à-fait con-
traire à la vérité. M. Maimbourg a consenti a son changement pour
Colmar; les Colmariens pour l'avoir, se sont adressés pour la même
fin au Chapitre administrateur, et non au comte Roederer qui n'a
pas eu la moindre connaissance de cette négociation. M. Maimbourg
a manifesté un véritable désir d'obtenir l'agrément de Sa Majesté
pour sa nomination à Colmar du moment que cet agrément lui a
été accordé, il se fit installer et témoigna hautement sa satisfaction
d'être parvenu au terme de ses vœux.*

i:

Les administrateurs du diocèse s'étaient du reste


hâtés de pourvoir à la succession de M. Maimbourg. Ils
y avaient appelé dès le 6 juin, sur la puissante recom-
mandation du chevalier de la Salle, commissaire extra-
ordinaire du Roi de la 5me division militaire, M. François-
Léger Rœsch, ancien curé de Dessenheim, émigré, qui

1 Rœsch était né à Guémar le 3 mai


François-Léger 1759
Pendant les Cent-Jours, il avait de nouveau quitté le pays. A la
LE CURÉ MAIMBOURG.

avait attendu la chute de Napoléon pour revenir de


l'émigration. « L'heureux résultat des derniers événements
paraît lui avoir inspiré le désir de retourner dans sa
patrie. Pour l'y engager plus efficacement, on n'a pas
fait difficulté de lui accorder une des plus belles cures
du diocèse. » (Lettre des vie. cap. au ministre.) L'agré-
ment royal ne tarda pas à venir, et c'est ainsi que le
25 juin, M. Rœsch était définitivement nommé curé
d'Obernai. Mais voici que tout juste un mois après, le
25 juillet, le nouveau curé, nommé et agréé, se démit
nous n'avons pas pu apprendre pour quels motifs de
sa belle cure dans laquelle il ne s'était pas encore fait
installer. Sa nomination n'aurait-elle pas trouvé à Obernai
un accueil bienvaillant? On serait presque tenté de le
croire. Les vicaires capitulaires durent donc virer de
bord et présenter un autre candidat qui fut approuvé le
7 août en la personne de M. Brujio Ignace Oberlé, né à
Schlestadt le i5 juin 1760, docteur en droit canon et en
philosophie, ancien professeur du collège de Molsheim
pendant les dix années d'émigration prédicateur de la
grande égiise électorale de Mannheim; de 1801à 1800
prédicateur allemand, avec Liebermann, de la cathédrale
de Strasbourg; à partir du 3o octobre i8o3 curé de
Wissembourg tel fut le successeur de Maimbourg, dans
cette paroisse appelée une des plus belles du diocèse,
un prêtre des plus méritants d'alors.
M. SCHICKELÉ.
(A suivre.)

date du i3 juillet 1816, le préfet du Bas-Rhin écrit aux vicaires


capitulaires du diocèse BM. Rœsch Antoine (sic) frère de M. le
sous-préfet de Schlestadt et de M. le capitaine de gendarmerie, vient
de rentrer en France et compte s'établir à Strasbourg. 11^lui serait
très agréable d'être admis au nombre des chanoines honoraires, dans
le cas où il viendrait à vaquer une place." – On fit droit à cette
demande sept jours après M. Rœsch était nommé chanoine hono-
raire. Il mourut en 1825.
COURRIER SOCIAL D'ALLEMAGNE.

L'Allemagne en 1860 et îgio. – Pour bien apprécier


la situation économique et politique de l'Allemagne, il
est nécessaire de rappeler ce qu'elle était, il y a cinquante
années, ce qu'elle est aujourd'hui. On se trouve en pré-
sence d'un phénomène inconnu aux siècles précédents.
Il importe tout d'abord de fixer l'attention sur
l'augmentation de la population. En 1860, on comptait
37.600.000 habitants, en 1910, 64.800.000. L'Allemagne,
nation plutôt agraire, s'est transformée en nation industrielle,
ou pour être plus vrai, l'agriculture et l'industrie marchent
aujourd'hui dans une voie parallèle. En 1871, 18.600.000
habitants vivaient de l'agriculture, 47,3 p. °/o de la popu-
lation en 1907, il y a encore 17 millions, 28,7 p. °/0.
Par contre, l'industrie, prise dans son ensemble est
montée de 16.500.000, 41,8 p. °/0, en 1871, à 34.700.000,
56,2 p. %» en 1907.
Le mouvement s'est fait sentir surtout dans les villes.
En comptant comme villes, les communes de plus de 2000
âmes, la population des villes formait, en i85o, le quart
de la population. De 1871à 1905, la population de la
campagne est descendue de 26,2 millions à 25,8, tandis
que la population des villes est montée de 14,8 millions
à 34,8 millions. L'augmentation s'est produite surtout
dans les grandes villes. Les villes au-delà de too.ooo
âmes sont montées, de 1875 à igo5, de 2,66 millions à
u, 5o millions, et les villes de 20.000 à t oo.ooo habitants,
de 3,49 millions à 7,81 millions. Donc, de 1871 à igo5,
COURRIER SOCIAL D'ALLEMACKE.

il a fallu trouver du terrain à bâtir, ouvrir des rues,


construire des écoles et des églises pour plus de 20 mil-
lions d'hommes.
Cette immense révolution sociale a placé le pays
devant une foule de problèmes. La question industrielle
s'est mise au premier rang. Les travailleurs dans les
établissements de 5 à 5o personnes sont montés, de 1882
à 1907, de 1,4 million à 3,6 millions, et dans les établis-
sements de plus de 5o personnes, de 1,6 million à 5,4
millions. Ce mouvement extraordinaire dans l'industrie
a créé le mouvement socialiste, réunissant, en 1907,
3.3oo.ooo électeurs sous le même drapeau. La situation
est donc intéressante à plus d'un point de vue.
Syndicats ouvriers chrétiens. Ce prodigieux essor
de l'industrie a donné lieu, comme corollaire nécessaire,
à la création des associations ouvrières et patronales.
L'année J909 a été une année de progrès pour les
syndicats chrétiens. En igo8, le nombre des membres
était tombé à 260.767 contre 284.649 en 1907, le chiffre
est remonté à 280.061 pour fin igog, pour dépasser fin
juillet ii)io les 300.000. Ce nombre se répartit en 22
fédérations dans lesquelles les ouvriers mineurs arrivent
en tète avec 81.734 membres. Arrivent successivement
les ouvriers dans le bâtiment, 35.465, les ouvriers de
l'industrie textile, 30.45 1, les ouvriers dans les construc-
tions mécaniques, 24.002, et les employés des chemins
de fer bavarois, 28.017.
Les recettes accusent, en 1909, 4.612.920 M., les
dépenses, 3.843.504, l'état de la fortune, 5.365.338, contre
4.394.745 de recettes, 3.596.224de dépenses, et de4-5 1 3.400
de fortune en 1908. Les cotisations des membres on'
rapporté, à elles seules, 4. 143.104.
Les plus fortes dépenses portent sur les points sui-
vants 647.723 M. pour secours pour les malades, 489.028M.
pour grèves, 448.218 M. pour propagande, 404.000 pour
le journal de l'association, 197.089 pour décès, 198.45
pour frais d'administration.
Durant l'année 1909, les syndicats chrétiens ont été
COURRIER SOCIAL D'ALLEMAGNE.

impliqués dans 706 mouvements ouvriers avec 26.946


travailleurs. Sur ce chiffre, 471t mouvements finirent à
l'amiable, 235 se transformèrent en grèves avec 7010
ouvriers. Les patrons ont commencé le mouvement dans
123 de ces cas, pour n'aboutir à un résultat que pour
33. Durant l'année 1909, il y eut 188 nouveaux tarifs de
travail; les syndicats chrétiens sont engagés dans 785
tarifs de travail.
Fédération catholique de Berlin. On sait que la
Fédération catholique de Berlin et les syndicats chrétiens
sont deux frères ennemis. Cette hostilité revêt chaque
année plus d'acuité et se fait jour dans les congrès et
dans les journaux des uns et des autres. Certains esprits
ne sont pas sans préoccupation à cet égard. Il n'est pas
impossible que l'Eglise n'ait à se prononcer tôt ou tard
sur cette regrettable division.
Le nombre des membres de la Fédération qui mon-
tait en 1908 à 125. 000, dépasse aujourd'hui les 13o.ooo
avec plus de 1200 associations. Ces membres sont servis
par 3i secrétariats du travail, qui déploient tous une très
grande activité. Fondée en 1897, la Fédération de Berlin
s'étend surtout sur l'Allemagne du Nord-Est, comprend
les diocèses de Breslau, d'Ermland, de Culm, de Trèves
et d'autres parties de Paderborn et de Bavière.
Elle constitue donc une puissante association, par-
faitement organisée. Elle s'occupe avec un intelligent dévoue-
ment du bien-être de l'ouvrier catholique, de son éducation re-
ligieuse, morale et sociale. Elle a tenu à Berlin son congrès
annuel. Elle s'est occupée surtout des conflits qui doivent
être évités dans le monde du travail, des différentes lois
qui doivent faire l'objet des délibérations du parlement
et des réformes déjà réalisées dans la législation ouvrière.
On avait essayé plus d'une fois de donner le coup
de mort aux associations qui composent la Fédération
catholique de Berlin, en essayant de les exclure du travail
par le refus de les admettre dans les tarifs de travail.
Ces tentatives dictées par la haine sociale ont échoué
les associations catholiques ont réussi à prolonger les
bUCIAL D'ALLEMAGNE

contrats déjà existants et à en conclure de nouveaux plus


favorables encore. Mais ce succès même n'a fait que
rendre plus profond l'abîme qui les sépare des autres
syndicats professionnels, chrétiens et autres.
Syndicats socialistes. Les socialistes marchent à la
tête du mouvement. Ils sont les rois du jour et ils exercent
leur empire avec un despotisme répugnant. Leur agitation
remonte à plus de 3o années. Ils ont eu le sentiment, le
flair de la situation. Ils ont pris les devants pour s'assurer
une supériorité qu'il sera difficile, mettons qu'il sera im-
possible, de leur enlever. En 1908, les syndicats grou-
paient 1.797.963 membres, pendant que les syndicats
chrétiens comptaient 260.767 membres et les syndicats
Hirsch-Dunker io5.633. Ajoutez les i3o.ooo de la Fédé-
ration de Berlin et vous arrivez à près de 5oo.ooo pen-
dant que les socialistes sont tout près des deux millions.
Le mouvement a gagné les ouvrières et la proportion est
à peu près la même. Les socialistes rallient 132.824 ou-
vrières, dont 4o.ooo pour l'industrie textile; les syndicats
chrétiens comptent 22.067 ouvrières et les syndicats
Hirsch-Dunker, un chiffre insignifiant.
Les différentes fédérations étaient représentées pour
1908 de la manière suivante: ouvriers mineurs socialistes,
112.000, chrétiens, 75.000; ouvriers dans le bâtiment,
socialistes, 237,000, chrétiens, 36.ooo; ouvriers dans le
bois, socialistes, 146.000, chrétiens, 11.000; ouvriers de
l'industrie textile, socialistes, 116.000, chrétiens, 37.000;
ouvriers dans la construction mécanique, socialistes,4oo.ooo,
chrétiens, 24.000.
Ces chiffres disent assez pourquoi les chefs des syn-
dicats socialistes se montrent si intransigeants. Ils savent
que presque partout, dans la plupart des usines, des
branches du travail industriel, ils sont les maîtres in-
contestés de la situation. Aussi bien leur tyrannie se fait
sentir partout où ils sont les plus forts et les plus nom-
breux. Le danger de l'avenir est là. Les bataillons socia-
listes grandissent d'année en année, et le jour venu, où
ils croiront être prêts à affronter la lutte ouverte, sera le
commencement de la grande bataille sociale.
COUKIUEB SOCIAL D'ALLEMAGNE.

Associations patronales: Les chefs de l'industrie ont


fini par le comprendre. Durant de longues années, ils ont
regardé d'un œil indifférent ces masses de prolétaires
qui se levaient pour jeter à la face du monde étonné
leurs revendications. Ils considéraient le mouvement comme
un simple phénomène social sans danger pour l'avenir.
Leurs préférences allaient même aux socialistes plutôt
qu'aux ouvriers chrétiens. Aujourd'hui encore, malgré les
cruelles expériences des dernières années, ils n'ont pas
changé de sentiment. Mais ils ont change de tactique
leurs associations qui d'abord ne cherchaient qu'à assurer
la vente et la production, à créer des débouchés nouveaux,
sont devenues des associations de défense professionnelle
contre les syndicats des ouvriers.
Le développement en a été rapide. Le chiffre des
associations patronales dépasse 1200. L'association pour
la construction mécanique, en moins de 20 années, de
1887 à 1907, s'est étendue à 34 arrondissements avec
1544 membres occupant 400.000 ouvriers. L'industrie
textile comprend 3o groupements avec 3oo.ooo travailleurs.
L'association pour l'industrie en bois, fondée en 1899,
figure pour 114. groupements avec 485o membres et
54000 ouvriers; celle pour le bâtiment remonte à 1899
avec 388 groupements et i8.3oo membres. On estime que
l'ensemble de ces groupements s'étend à 08.644 patrons
occupant 2.500.000 ouvriers. C'est donc une puissance
disposant de forces considérables et d'inépuisables res-
sources. Aussi bien la lutte des ouvriers contre les patrons
présente un caractère nouveau. Les grèves s'organisent
et se poursuivent dans des conditions qu'on ne connaissait
pas, il v a dix ans. C'est la lutte âpre» haineuse, mé-
chante, entre la puissance des patrons et du capital et la
puissance des ouvriers et du nombre.
Grèves et lock-out en 190g. – 11 y a eu, en 1909,
1387 grèves dans lesquelles 96.925 ouvriers ont été er-
gagés. Le travail a été entièrement suspendu dans 1387
établissements. Les industries les plus atteintes ont été
les suivantes: bâtiment, 6o5 grèves avec 33.457 grévistes;
Revue. Décembre 1910. 4«
COUBEIEB. SOCIAL D'ALLEMAGNE.

travail du bois, 208 grèves, 8.8o3 grévistes; métallurgie,


114 grèves, 6.988 grévistes; vêtement, 83 grèves, 5.5oo
grévistes; mines, 24 grèves, 9.620 grévistes; textile, 64
grèves, 6.991 grévistes. Le mouvement des grèves en 1909
a été de beaucoup inférieur à celui des années précé-
dentes. Le nombre des grévistes n'a été que de 96.926
contre 492.430 en 1907, 272.218 en 1906, 408.14b en
igo5. Pour l'année 1909, il y a eu 283 succès, 52o
transactions, 734 échecs. Pour 11 70 cas la question des
salaires a été la cause de la grève et pour 265 cas la
durée du travail.
Les lock-outs se sont élevés en 1909, à i 15affectant
1749 établissements avec 38.870 ouvriers, sur lesquels
22.924 ont été renvoyés. Les groupes les plus frappés
ont été les travailleurs du bâtiment, pour 1181établisse-
ments avec 16.348 ouvriers renvoyés, les travailleurs du
bois, pour 203 chantiers et 1815ouvriers congédiés, les
travailleurs des pierres, 1657 ouvriers pour 32 établisse-
ments, il y a eu 47 succès, 5g transactions, 9 échecs.
Lock-out des chantiers maritimes. Le lock-out du
bâtiment est encore dans toutes les mémoires. C'était la
première lutte sérieuse entre les associations patronales
et les associations ouvrières. Cette lutte a tenu le monde
en suspens durant de longues semaines. La Revue catho-
lique en a parlé. Nous y renvoyons le lecteur. Un fait
social, d'une conséquence plus grande s'est produit depuis,
le lock-out des chantiers maritimes.
Le mouvement est parti de la Ligue des travailleurs
métallurgistes, dont le siège est à Stuttgart. Cette ligue,
l'une des plus vastes du monde entier, embrasse 40.000
ouvriers. Autour d'elle gravitent dans une orbite nette-
ment tracée d'autres syndicats également puissants, ma-
chinistes, charpentiers, chauffeurs, menuisiers, c'est une
armée de 800.000 combattants prêts à marcher à la lutte
avec une entente parfaite et une volonté bien arrêtée de
faire triompher leurs revendications.
Aussi bien cette ligue a dressé le tableau des reven-
dications réduction des heures de travail à 53 par se-
COURRIER SOCIAL D'ALLEMAGNE.

maine, salaires égaux à ceux qui étaient accordés dans le


passé pour la journée de 10 heures avec une augmenta-
tion de dix centimes, réglementation du travail aux pièces
et garantie que le paiement de ce travail ne pourra en
aucun cas ètre inférieur au tiers du travail a la journée.
Les armateurs opposent une fin de non-recevoir ab-
solue à ces propositions. Ils prétendent que cette agitation
a été produite par les socialistes pour préparer le terrain
des prochaines élections. Les conditions du travail qui
leur sont faites par la concurrence anglaise ne leur per-
mettent pas de donner suite a ces revendications.
La grève a donc commencé de part et d'autre. Les
patrons en prévision de ces conflits ont fondé une asso-
ciation de défense dès iqo6, le syndicat patronal a son
siège à Hambourg. Bien qu'affiliés, les groupes patronaux
de Dantzig et d'Elbing ont tenu à garder leur indépen-
dance par une clause spéciale en cas de lock-out. Très
disciplinée et disposant de capitaux très considérables,
l'Union des armateurs allemands affirme dans la bataille
actuellement engagée qu'elle entend faire preuve jusqu'au
bout d'une indestructible solidarité. Si la grève s'étend à
toutes les industries métallurgiques, les autres associations
patronales ne céderont pas davantage et se déclareront
solidaires.
Les ouvriers expriment la même espérance et comptent
sur l'appui de tous ceux qui de près ou de loin se rat-
tachent aux industries maritimes pour leur donner la
main dans ce formidable conflit. Cette espérance s'est
réalisée. Les employés du Norddeutsclzer Lloyd se sont
mis en grève, cherchant à débaucher en même temps les
matelots de la Hotte commerciale. Le mouvement gréviste a
gagné les ateliers de deux fonderies à Altona et à Ham-
bourg. Les nettoyeurs de navires et les peintres ont dé-
claré ne reprendre le travail qu'après la fin de la grève
des dockers. La lutte est donc sérieuse: à Hambourg, on
compte 5g5o grévistes sur les chantiers de la Weser,
55o; à Flensbourg, i35o; à Kiel, 5700; à Lubeck, 1700;
a Rostock, 85o; à Stettm, 4300; soit près de 3o.ooo
ouvriers en grève.
COUKRIKK SOCIAL D'ALLEMAGNE.

Ce conilit dépasse pour l'industrie allemande les con-


séquences d'une grève ordinaire. L'Angleterre, toujours
jalouse des progrès de l'industrie allemande, va essayer
de réconquérir son ancienne clientèle, on annonce
déjà que quelques steamers, n'ayant pu être réparés à
Hambourg, ont été dirigés sur Shields. C'est donc une
question d'avenir national qui est en jeu et on comprend
que le monde du travail suit avec un douloureux intérêt
les péripéties de cette lutte. Les grévistes de Hambourg
restent très calmes. Ils ont conscience de leurs forces
comme nombre et de leurs ressources comme moyen de
prolonger le conflit. Ils attendent de pied ferme qu'on
examine leurs propositions pour leur donner une solution
conforme à leurs revendications.
Ces négociations devaient avoir lieu entre les repré-
sentants des ouvriers des chantiers et les compagnies des
constructions navales on se proposait de trouver un
terrain d'accord pour le conflit actuel. Mais à peine
commencées, elles ont échoué. Les organisations socialistes
refusent d'admettre la contre-proposition du syndicat
patronal établissant la participation des organisations
ouvrières aux négociations dans la proportion d'un délégué
pour les syndicats chrétiens et de trois délégués pour
les associations ouvrières nationales. C'est donc le
socialisme qui commande et comme toujours avec un
despotisme absolu: lui seul et c'est assez.
Quelle que soit l'issue de ce conflit, le fait social s'en
dégage que les signes précurseurs d'une transformation
économique se multiplient de jour en jour dans toutes
les branches de l'industrie, que tous ces troubles écono-
miques vont se reproduire régulièrement et sur tous les
points du territoire pour poser devant le monde la ques-
tion angoissante: qui sortira vainqueur de la bataille?
Le nouveau statut des assurances ouvrières. Les
assurances ouvrières restent l'objet de la préoccupation
du gouvernement. L'expérience des dernières années a
montré où il fallait porter ses efforts pour amener une
réforme depuis longtemps ardemment désirée par tous
COURRIER SOCIAL D'ALLEMAGNE.

ceux qui suivent le mouvement social. Le gouvernement


le déclare, et tout le monde est d'accord avec lui, il ne
s'agit pas de changer la conception générale des assurances
ouvrières, mais de la coordonner, d'y apporter les per-
fectionnements voulus, de l'étendre, de la rendre en même
temps plus féconde et plus pratique, d'assurer son avenir
sur des bases plus conformes aux nécessités actuelles.
La nouvelle loi réunit en 1764 articles toute la ma-
tière des assurances contre la maladie, les accidents,
l'invalidité et la vieillesse, et comme complément, l'as-
surance des veuves et des orphelins.
On cherche donc a simplifier le rouage de cette im-
mense machine sociale qui, depuis 1900, a déjà subi de
notables changements, mais du même coup on donne à
l'ensemble un cachet plus bureaucratique, plus officiel
encore que par le passé. La nouvelle assurance des
veuves et des orphelins ajoute au système une branche
nouvelle avec des charges nouvelles et de nouvelles diffi-
cultés. Mais c'est toujours un progrès, un effort vers des
solutions empreintes de bonté et de charité sociales.
L'assurance contre les maladies doit s'étendre aux
ouvriers agricoles, aux domestiques, aux artistes et musi-
ciens, aux employés dont le salaire annuel ne dépasse
pas 2600 frs. Les assurés iront ainsi de i3 à 18millions.
Les indemnités sont calculées à 5o p. °/o du salaire
moyen, et seront payées pendant 26 semaines. Les coti-
sations qui s'élevaient, en 1907, à 33o millions de marks
étaient supportées à raison d'un tiers par les patrons
et de deux tiers par les ouvriers. La loi nouvelle établit
le partage par moitié et modifie dans le même sens la
composition des comités de direction. Pour la caisse nou-
velle des ouvriers agricoles et autres, les comités de
direction et de contrôle sont supprimés et remplacés par
une administration toute bureaucratique.
Les assurances contr-e les accidents ne subissent que
quelques modifications de forme. Elles ne constituent
plus qu'un ensemble divisé en trois chapitres pour les
assurés industriels, agricoles, maritimes. L'année dernière,
COURRIER SOCIAL D'ALLEMAGNE.

cette assurance qui comprend 18 millions d'assurés, a


versé i(ïo millions de marks d'indemnité. Les primes se
sont élevées à 170 millions payées exclusivement par les
patrons.
Les assurances sur l'invalidité et la vieillesse restent
les mêmes. Le projet rejette les propositions faites pour
abaisser l'âge de la pension à 60 ou 65 ans, les ressources
ne le permettant pas. Cependant l'assurance est rendue
accessible à un plus grand nombre de membres et pour
répondre aux vœux exprimés plus d'une fois par les
classes moyennes, elle autorise dans ce sens une assurance
complémentaire.
L'assurance des veuves et des orphelins s'étendra à
toutes les veuves et enfants dont le mari et le père ont
rempli les conditions fixées par l'assurance contre l'inva-
lidité. L'assurance pour les veuves assure l'indemnité
pour toute la durée de la vie de la veuve, si elle ne se
remarie pas et aux enfants jusqu'à i5 ans révolus. L'in-
demnité monte à 1 53 frs. pour la veuve et à 77 frs.
pour chaque enfant, dans le cas où le mari gagnait
1260 frs.
Le nouveau statut prête à la critique. Cela est évi-
dent. Une réforme d'une si grande portée sociale ne
saurait trouver l'approbation de tous, concilier tous les
intérêts, répondre a toutes les espérances. C'est l'œuvre
du temps. Une nouvelle pierre milliaire sera posée sur
la voie de la législation ouvrière elle marque une étape
de plus dans la marche vers l'idéal qu'on poursuit tou-
jours sans l'atteindre jamais.
Le Volksverein. Dans cette poursuite de l'idéal, le
Volksverein s'est mis au premier rang. L'oeuvre de
Windthorst prospère bénie de Dieu et aimée des hommes.
Elle prépare ses membres à la lutte en mettant entre
leurs mains les moyens de défense sociale et religieuse.
München-Gladbach est devenu un centre d'activité d'où
rayonne vers l'Allemagne tout entière la vie chrétienne
dans sa mâle et féconde beauté. Toutes les questions du
jour sont traitées par des gens du métier dans des tracts
COURRIER SOCIVL D'ALLEMAGNE.

populaires, ou dans des conférences publiques. On l'a


dit avec raison, les conférences sont pour les hommes
de la classe ouvrière un cours postscolaire chrétien qui
n'a pas d'égal dans le monde.
Depuis la fondation du Volksverein, il y a eu plus
de 5o.ooo conférences. Pas une ville importante de la
patrie allemande qui n'ait applaudi ces orateurs popu-
laires. C'est un immense réseau jeté sur toute l'Allemagne.
Le nombre des membres est monté à 652.6_|5, avec une
augmentation de 28.000 sur l'année dernière. Et ces
foules grossissent toujours davantage à la campagne
comme à la ville pour embrasser dans la même étreinte
l'ouvrier des villes et le travailleur des champs. Les
provinces rhénanes arrivent en tête avec 2i3.ooo adhérents,
suivies par la Westphalie avec 143.000. La Bavière,
d'abord lente à marcher, a regagné le terrain perdu poui
accuser 5o.ooo membres. Le grand duché de Bade compte
43.000 affiliés et l'Alsace-Lorraine figure avec honneur
avec ses So.ooo inscrits. Ce sont de puissants corps
d'armée disséminés dans tout l'empire allemand, prêts à
affronter les mêmes dangers et les mêmes combats.
De juin 1909 à juin 19 10, le Volksverein a envoyé
à ses membres 20.700.000 d'imprimés de toute espèce et
porté à 28.000 le chiffre des volumes de sa bibliothèque.
Il a donné durant l'année 3ooo consultations, organisé
5ooo conférences et dépensé 700.000 francs.
C'est donc un effort social d'une immense portée.
Cet effort est d'autant plus important qu'il s'adresse sur-
tout aux classes laborieuses pour les relever et leur
assurer une place d'honneur dans le monde économique
et social. H. Cetty.
UN CASTEL FEODAL
OU LE
CHATEAU DE WERDE ET SES PROPRIÉTAIRES

(Suite.)

Pour pouvoir payer le rachat, Ulric s'adressa à quel-


ques juifs de Strasbourg et pria les habitants d'Erstein
de se porter garants pour la somme empruntée. Aussi
voyons-nous, à la St Michel de l'année 1 323, Ulric, le
chanoine Philippe, son frère, et son propre fils Jean,
s'engager par serment à ne point entamer les revenus et
les péages de la ville jusqu'au moment où le caution-
nement serait devenu superflu. Le landgrave s'était donc
vu forcé de lever un impôt spécial pour couvrir la dette
contractée envers les juifs.
Dans les démêlés entre Louis de Bavière et Frédéric-
le-Bel, Ulric se trouvait du côté du premier. Pendant ce
temps, l'Alsace, sans être en guerre, était en proie à une
grande agitation. Elle tenait, comme de coutume, en
majeure partie, pour Frédéric et son frère Léopold de
Habsbourg, landgrave et landvogt de la Haute-Alsace
mais son élan se trouvait comprimé par l'attitude du
landvogt Albert Hummel de Lichtenberg,' des Lichten-

1 Hummel ou Humbelon était un chevalier souabe Lichtenberp


dont il s'agit ici est situé près de Grossbottwar dans le cercle du
Nekar,
OU LE CHATEAU DE WERDE ET SES MtOPBIÉTAIBES.

berg d'Alsace et du landgrave Ulric. Le dévouement


opiniâtre de ce dernier à la cause du Bavarois lui valut
de grands honneurs, mais lui causa en même temps des
dépenses qui excédaient ses forces et finirent par amener
la ruine de sa maison. Les documents qui le concernent
à cette époque de sa vie, sont peu nombreux et de peu
d'importance.
L'élévation du landgrave à la dignité de landvogt par
Louis IV1 ne fit qu'accentuer de plus en plus la pénurie
d'argent dans laquelle il se débattait. La même pièce qui
nous apprend l'élévation d'Ulric, nous dit que le land-
grave, le chanoine Philippe, son frère, et Jean, son fils,
ont contracté une dette de 10 marcs d'argent, poids de
Strasbourg, envers Jean de Blumenau, écuyer de Stras-
bourg, en nantissement, à lui et ses héritiers, d'un pré
situé à Brumath, tirant sur la forêt et appelé niedere
Vronematlen, dont le produit est de la valeur de trois
livres; ils s'engagent à la lui payer, à lui, à ses héritiers
ou successeurs, régulièrement tous les ans, entre l'As-
somption et la Nativité de la Vierge.
Par acte signé le lundi du carnaval 1324, les land-
graves engagèrent Erstein au schultheiss Claus Zorn
de Strasbourg pour 2600 fl.2. Malgré toutes ces sommes
exhorbitantes que les bourgeois eurent à payer, les comtes
de Werde refusèrent de respecter les immunités et les
droits que leur avait accordés le damoiseau Sigismond
aussi en appelèrent-ils, en i325, à Walther de Géroldseck,
à Jean de Haut-Rappolstein, à Hugues de Géroldseck-ès-
Vosges, à Henri de Dietsch et au sire de Guirbaden, qui
leur promirent de les prendre sous leur protection. Re-
doutant une action contre eux, les comtes de Werde se
hâtèrent de signer, le dimanche après la Pentecôte i325,

1 Als. und lantvoget


dipl., II, i32: »Wir lierre Ulrich lantgrave
%u Elsasse (i3 october 1324).
3 II ne
s'agissait que d'une partie des domaines de la seigneurie
d' Erstein, puisque dans la suite, nous voyons les Zorn et les Géroldseck
dominer en même temps en cette ville.
UN CASTELFÉODAL

une pièce par laquelle tous les trois promirent de respecter


les droits et immunités des bourgeois de la ville, de ne
point percevoir des impôts au-dessus d'une redevance fixée
à l'avance, de tenir à honneur la liberté individuelle des
habitants, de les protéger contre les violences d'autres
seigneurs, de les laisser établir ailleurs et librement leur
résidence. Les bourgeois, de leur côté, s'engagèrent à
livrer les coupables et les criminels entre les mains du
landgrave, à faire payer l'amende spécifiée dans la charte
pour ceux qui commettraient des méfaits et à ne point
accepter de nouveaux bourgeois sans son assentiment.
En i325, le landgrave confirma aux habitants d'Erstein
différents privilèges; et quatre années après (i32g), il
engagea pour i3oo marcs d'argent ce qui lui restait de
la seigneurie d'Erstein à Burckard de Horbourg et aux
sires Walter et Henri de Hohen-Géroldseck ces derniers
vendirent leurs droits sur cette ville, dès 1332, pour
1 marcs d'argent a des juifs, quoique, cette ànnée même,
le schultheiss avec la communauté eussent promis obéis-
sance à l'avoué et à leurs dou\e seigneurs. Avec cela Erstein
n'était pas encore au bout de ses continuelles aliénations.
Le comte Ulric permit (24 février i3a5) à l'écuyer
Burckard de Burne, qui tenait de lui en sous-fief des
terres sises à Oberbronn, de les affecter au douaire de sa
femme, Agnès de Dorlisheim, pour une somme de 40 marcs
et se fit donner, le vendredi après l'Assomption de N.-D.,
par Walther de Butinheim, écuyer, à Brumath, un écrit
par lequel celui-ci reconnaissait au landgrave, à son frère
Philippe et à son fils Jean, le droit de rachat moyennant
3o marcs et une rente de 3o sacs de grains, qu'ils lui
avaient donnée sur des terres situées à Brumath.
La grande affaire du landgrave était toujours de battre
monnaie; aussi le voyons-nous, en cette même année,
résigner un grand nombre de fiefs relevant de l'Eglise de
Strasbourg, dans le bailliage épiscopal de Marckolsheim,
tels que Urschenheim, Artzenheim, Baldolzheim (Balzen-
heim) et Elsenheim et qui se trouvaient, depuis i3o6, en
sous-fief entre les mains de Burckard Schoep de Stras-
OU LE CHATEAU DE \VEHDE ET SES PROPEEÉTAIEES.

bourg Walther de Schlestadt tenait dans les mêmes


conditions Schwobsheim, Hessenheim et d'autre biens
encore. Ulric remit tous ces fiefs entre les mains de
l'évêque Jean de Dirpheim (1006 – 1328) et engagea en
même temps ses vassaux à céder leurs droits contre paie-
ment. Schœp reçut de l'évêché 2o5 marcs d'argent et
Walter 70 marcs. Il s'était réservé Elsenheim, qu'il donna
en fief au burgrave Guillaume d'Osthoffen, avec tous les
droits qu'il possédait dans ce village.
Ulric, élevé à la dignité de landvogt par son protec-
teur, Louis de Bavière, ne put guère se maintenir plus
d'une année dans cette charge. Le valeureux Léopold
d'Autriche parvint à regagner l'Alsace pour la cause
autrichienne. Le comte de Werde lui dressa plusieurs
fois des embuscades dans ses fréquents voyages à Stras-
bourg, mais mal lui en prit. Le duc voulut commencer
les hostilités par une bonne leçon adressée au Gibelin
de Werde il alla donc mettre le siège devant Saint-
Hippolyte, fief lorrain d'Ulric, enleva la petite ville et la
rasa (i325). Puis il se rendit, quoique malade, par Stras-
bourg, dans le pays de Spire. Chemin faisant il chassa le
landvogt Ulric de Haguenau et se chargea lui-même de
l'administration de la Reichslandvogtey et prêta, à Haguenau,
en qualité de PJleger (curateur), le serment de patronage
(17 juillet). Après avoir mis le siège devant Spire et
ravagé ses environs, il revint mourir à Strasbourg, le
28 février i328. Toutefois cette mort prématurée n'arrêta
pas les hostilités.
Les Gibelins d'Italie ayant envoyé une ambassade à
Louis IV, en janvier 1027, pour demander son secours,
le prince se hâta d'assembler autour de lui ses partisans.
Dans son entourage nous trouvons aussi le comte de

1 Le Math. Nuewenburg dit: ^Reverse sunt autem


chroniqueur
predicte civitates Alsacie ac Lupoldum nomme fratris captivi, et crevit
contra Ludowicum potentia Leopoldi", p. 201.
,,Er (Leopold) nalim gan^ Elsasj ein. und verjagte den Grafen
von Werth als Landgraven vom untern Elsass." (Woog, Elsassische
Schaubuhne, p. 261).
UN CASTEL FEODAL

Werde en février, on était à Trente où le pape Jean XXII I


fut déclaré hérétique et indigne de la tiare. Là-dessus le
pontife le priva du duché de Bavière et de tous les fiefs
que Louis tenait de l'Eglise et de l'Empire, et le cita à
Avignon pour se purger devant lui du crime d'hérésie.
En octobre, le pape lança l'excommunication contre lui
et ses fauteurs. Tout cela ne fit qu'attiser dans le cœur
du monarque le feu de la vengeance.
11 ne fit que traverser Milan qu'il traita en ville con-
quise (16 mai), passa le Pô (3 août), enleva Pise après
un mois de siège, se trouva à Viterbe (2 janvier 1028) et
arriva, le 7, à la cité léonine il monta au palais de
S. Pierre et y demeura quatre jours. Ensuite il entra à
Rome où, du Capitole, il fit faire une harangue au peuple
romain. Le dimanche, 17janvier, Louis se fit couronner
avec sa femme par deux évêques schismatiques et, le
lendemain, parut sur la place de S. Pierre, revêtu de la
pourpre, la couronne en tête, le sceptre d'or à la main
droite, tenant de la gauche le Reichsapfel (globe impérial);
puis, s'étant assis sur un trône riche et élevé, entouré de
quelques prélats excommuniés, de seigneurs et de nobles,
il fit lire par un moine une sentence de déposition contre
Jean XXII. Nous regrettons de voir le landgrave Ulric
assister à cette comédie impie et sacrilège. Ce triomphe
éphémère de son maître pouvait peut-être flatter son
orgueil sans lui être d'aucun secours pour rétablir ses
affaires en détresse.
Toutefois l'empereur, connaissant la gêne dans laquelle
se trouvait son fidèle landgrave, lui accorda une somme
de iooo marcs d'argent, à prendre non pas sur le trésor
impérial qui se trouvait à sec, mais sur les revenus
impériaux de Schlestadt et en particulier sur l'impôt que
payaient les juifs de cette ville comme sujets immédiats.
Voici la teneur du diplôme impérial, daté de Pise eu
25 novembre 1328:
« Nous, Louis, par la grâce de Dieu, empereur romain,
de tout temps promoteur de l'Empire (Mehrer des Reichs),
faisons savoir à tous ceux qui verront la présente ou
OU LE CHATEAU DE WERDE ET SES PROPRIÉTAIRES.

l'entendront lire, que, par un effet de notre munificence


impériale, nous avons donné et donnons par la présente
lettre, la somme de mille marcs d'argent pur, au noble
homme Ulric, landgrave d'Alsace, notre amé et féal, pour
les fidèles services qu'il nous a rendus souvent et en
grand nombre en Lombardie et dans les pays allemands
mais surtout lors de notre couronnement à Rome. Et
pour ces mille marcs d'argent, nous lui donnons en
nantissement, à lui et à ses héritiers, tous les impôts
royaux, la taxe sur les juifs et tout l'argent qui doit nous
revenir à nous et à l'Empire dans la ville de Schlestadt,
avec tous les droits et jouissances que nous y avons, tels
que nos prédécesseurs les rois et empereurs nous les ont
transmis, pour les posséder et en jouir aussi longtemps
que nous ou nos successeurs dans l'Empire n'aurons pas
complètement libéré notre dette et payé intégialement au
landgrave ou à ses héritiers la susdite somme de mille
marcs. Nous déclarons, en outre, que si les bourgeois de
Schlestadt ne voulaient pas lui payer cette somme et se
refusaient à tenir compte du présent engagement, il doit
les attaquer juridiquement ou à main armée, jusqu'à ce
qu'ils lui aient donné pleine satisfaction. En foi de quoi,
nous avons appendu à la présente notre propre scel.
«Donné a Pise, en l'an de Notre-Seigneur i328, de
notre Empire le i er et de notre règne le 14e, le jour de
la Ste. Catherine.» »
Cette pièce prouve qu'Ulric suivait pas à pas le roi
Louis dans tous ses exploits et qu'il prit une grande part
aux orgies sacrilèges dont Rome fut le théâtre. Sa présence
en cette ville est d'ailleurs constatée par deux actes donnés
à Rome et au bas desquels se trouve apposé son nom;
le premier est un diplôme concernant le margraviat de
Brandebourg que Louis IV réunit à sa maison, le deuxième
regarde le duché de Lucques.
Il paraît que le landgrave devança Louis de Bavière
pour sa rentrée en Allemagne. En effet, nous trouvons
dans nos archives' un acte de i32o, par lequel il recon-

1 Arch. de B.-Als.-Chapitre de Saverne, G. No. 5780.


depart.
UN CASTEL FEODAL

naît, en sa qualité de seigneur de Westhoffen, que la


cour du couvent de Steigen à Westhoffen ne doit au
seigneur, lorsqu'il est présent en cette localité, du foin
que pour deux chevaux.
Ulric était rentré dans ses foyers avec la honte d'avoir
pris part au plus odieux et au plus ridicule attentat, et la
conscience chargée du poids de l'excommunication dont
il allait ressentir de plus en plus les désastreux effets. Il
trouva ses affaires dans le plus grand désarroi. Les mille
marcs que Louis IV lui avait promis à Pise, ou bien
avaient été un leurre ou bien n'avaient pas suffi aux besoins
les plus urgents; car, dès 1029, et pendant qu'il se
trouvait encore en Italie, il se vit obligé d'aliéner de
nouveau la ville d'Erstein qu'il avait rachetée de Jean
de Lauffenbourg. Cette fois il l'engagea pour i3oo fl. à
Burcard de Horbourg et à Walther et Henri de Hohen-
géroldseck, ainsi que nous l'avons dit plus haut. Ce gage
ne revint plus à la maison de Werde il ne put être retiré
qu'en 1 363 par l'évêque Jean de Lichtenberg après qu'il
eut acquis le landgraviat.
On se rappelle qu'Ulric, avant que de partir pour
l'Italie, avait pris des arrangements avec la maison de
Lichtenberg au sujet de la dot de sa femme (Voir p. 88).
C'est à Pise que le roi des Romains lui octroya la con-
firmation de cette conciliation et, le vendredi avant le
dimanche des Rameaux i33o, le prince autorisa les dis-
positions prises et ordonna que les bourgeois de West-
hoffen et de Balbronn eussent a payer au landgrave les
impôts, la bete et à lui rendre les services de garde et
autres. Il défendit, en même temps, à tout prince régnant

1 de bete, petitio, precaria, a beaucoup


L'expression occupé les
étymologistes. Les uns l'ont dérivée de gebieten et en ont fait une
réclamation seigneuriale d'autres y ont vu une prière – bilten
adressée par le seigneur à ses protégés Sust fronunge pi thùnde
ist daher beshehen, cils die alten meynent, voit bet te wegen, aber da%
es recht sy, wissent sie nit, disent les paysans de Bennwihr. (Urb.
de 1444. Fonds de Ribaupierre). Bete viendrait donc de bitten.
Cf. Hanauer, Les paysans de l'Alsace, p. 250.
OU LE CHATEAU DE WERDE ET SES PROPRIÉTAIRES.

ou autre noble ou ville de recevoir comme bourgeois les


habitants de ces localités, vu qu'ils étaient sujets impériaux.
Cette même année i33o, le comte Ulric vendit avec
l'assentiment de son fils, pour mille livres pfenning de
Strasbourg, aux seigneurs Jean et Otton d'Ochsenstein,
à titre de réméré, le fief impérial de Niederbronn das
dorff Burne bi Risenshoven (Reichshofen) mit Zwinge,
Banne, Lûlen, Giitteren, Kirchensat\, leyen Zehenden,
Gerichte, Welde, u. s. w. avec le ban et la justice, les
dîmes ecclésiastiques et laïques, tous les droits et dépen-
dances.3 Se ravisant quelque temps après, il le leur passa en
sous-fief, le 7 janvier 133i, avec autorisation d'en investir
leur vassal Rodolphe de Berckheim. On eut toutefois la
précaution de stipuler dans ce dernier acte que, si les land-
graves devaient ne pas laisser de descendance, les sires
d'Ochsenstein prendraient dès lors leur investiture de
l'Empire.
A quelques jours de là, le jeudi avant la Purification
de N.-D., le landgrave Jean II donna en fief à quelques
bourgeois de Hagenau, pour services rendus, les villages
de Weitbruch, Gries, Willer (Rohrwiller ou Krautwiller)
et Kurtzenhausen, avec ban et justice, droits et dépen-
dances et nommément la Hardt le tout avec promesse
de les protéger dans la jouissance des dits biens.
Il semble que le mauvais état de ses affaires domes-
tiques aurait dû ôter au landgrave Ulric toute idée
d'ingérence dans les questions politiques sa malheureuse
attache à Louis IV le poussa à susciter toutes sortes
d'ennuis au nouvel évêque de Strasbourg, Berthold de
Bucheck, qui s'était détaché du parti de l'empereur pour
conformer ses opinions a celles du Souverain Pontife.
Espérait-il que de là lui viendrait le salut ?Le contraire
arriva. Il s'ensuivit une guerre de ravage on ne voyait
de toutes parts, tant dans l'Ortenau qu'en Basse-Alsace,

1 Bericht vom Adel in Deutschland, p. 25i. Als. ill., II, 238.


UN CASTEL FÉODAL

que foiteresses abattues, bourgs et villages en feu, ruis-


selant du sang de leurs habitants égorgés.1 1
L'année 1332 s'ouvrait pour la famille de Werde
sous de fatals auspices. Ulric avait eu de Suzanne, sa
femme, trois enfants Adélaïde était mariée au comte
Frédéric d'Œttingue Elène s'était faite religieuse, et
Jean II, dernier rejeton mâle, dernier espoir de la famine,
ne promettait guère de la propager, vu sa faiblesse de
santé et même la débilité de ses facultés mentales. La
situation financière allait en s'aggravant: l'absence fréquente
du landgrave, ses dépenses continuelles à la suite du roi
auquel il avait voué son existence, les querelles qu'il
embrassait pour lui être agréable, les réclamations des
créanciers, tout appelait une catastrophe. Aussi allons-
nous assister à un véritable démembrement des terres
landgraviales.
Le 9 mars, Ulric, du consentement de son frère
Philippe et de son fils Jean, dut se résigner à vendre en
sous-fief aux Lichtenberg Jean II et Louis III, ce dernier
son beau-frère, la ville de Brumath, le château d'Arns-
perg,2 2 la dîme ecclésiastique de Brumath, le village de
Niederbronn avec le droit de patronage pour la somme
de 25oo marks ou 100200 M.8 Les vendeurs concédaient

1 Albertus Argent., De gestis Bertholdi, p. 171. – Kœnigshoven,


p. 322. Grandidier, (Euv. inéd., IV, 123.
1 C'est du grand dont il s'agit. Il était situé entre le
Arnsperg
village d'Obersteinbach et le château de Wasenstein au-dessus de
celui de Fleckenstein. Le petit Arnsberg se trouve, au-dessus de
Niederbronn, entre la Zinsel et le ruisseau de Falckenstein, près de
Philipsbourg.
3 Vu de cette alinéation, nous donnons le texte
l'importance
ds l'acte “ Wir Ulrich Larzdgraf im Elsasj, Philipp unser bruder
und Johannes mein Sohn, tun kund allen, die dies sehen und lesen
horen, dass wir Jûr uns und aile unser Erben und Nachkommen
durch fûrsichtliche unscre nut^ und frommen einizelligliche mit gunste
und rate unserer Freunde und och mit gesammenter Hand verkofft
haben Herrn Hanemann IL und Ludwige Herren ^u Lichtenberg
unser Statt Brumat, unser burg %u Arnsberg, unser Kirchensatj fu
Brumat und qu Arnsberg hurent und da^u aile unsere Man die f u
OU LE CHATEAU I)i; WIÎUDE ET SES f BOPIIIËTAIBES.

en outre, à la partie prenante, la faculté de pouvoir libérer


les biens de Brumath, d'Arnsperg et de Niederbronn qui
étaient engagés, et le landgrave Jean II s'obligeait à les
guider de ses conseils, de son autorité et, au besoin, de
ses armes. Rappelons ici que Niederbronn et la seigneurie
d'Arnsperg étaient des fiefs d'Empire, tandis que la
seigneurie de Brumath était un fief de l'église de Mayence
qui avait héiité ces biens de l'abbaye de Lcrscli.
Le 10 avril suivant, les sires de Lichtenberg s'en-
gagèrent à payer, dans le délai d'un mois, les dettes du
landgraviat qui pesaient sur les biens dont ils venaient
de faire l'acquisition. Le surlendemain, 12
2 avril, les
vendeurs renouvelèrent et confirmèrent l'autorisation qu'ils
avaient donnée aux acquéreurs de libérer a leur profit les
engagements qui pesaient sur Brumath et Niederbronn et
leur remirent une liste détaillée de ces engagements. Le
même jour, le chevalier Rodolphe de Fegersheim, de
Strasbourg, promit, en vertu, de son serment prêté à la
ville, d'obtenir du landgrave chanoine Philippe, demeurant
également a Strasbourg, l'apposition de son sceau sur les
actes passés entre les landgraves et les Lichtenberg, ett
cela contre paiement d'une somme de cent livres pfenning;
mais, dans le cas où Philippe ne pourrait se déplacer,
Rodolphe y apposerait son sceau en son nom. Ceci nous
prouve, qu'alors déjà Philippe était atteint du mal qui le
conduisit au tombeau le 29 juin: ses restes furent in-

Brumat inné sind gesessen uni da^u aile unsere Dorf die ^u Brumath
und $11 Arnsberg gehôren hmach gênant und geschriben stehen mit
Namen Gncs, Wilre, Witpruch, Kur^enhausen, Bernersheim, Ratol-
nisheim (Rottelsheim), EckendorJ, AltorJ, Rmgendorf, Schalkendorf,
Upjern (Niefern), Mytensheim (Mietisheim), Gumprechtshowen und
Zinswilre, einsite des IVjssers Rippolswdre, Obenidorf, Dypfenb.ich,
Brunmgesdorf, Rutenhowt', Hatten, Westheim und aile unsere recht
an den ^weien Bettensdorjern (Betschdorf) und dapi all die recht und
Gewalt um fùnf und pvan^ig Hundert Mark Silbers lùlers und lotiges
die wir empfangen haben Der wart gegeben an dem montage vor
sankt Gregorientag iSJj". (Als. dipl., II, 146, num, 277.)
Revue. Décembre 1910. 47
UN CASTEL FEODAL

humés dans le chœur de l'église St. Guillaume dont il


avait été le bienfaiteur.
Le mercredi de la Semaine Sainte, 15 avril, Ulric et
son fils remirent aux Lichtenberg un état des sommes
que ceux-ci auraient encore à payer sur la vente précé-
dente, déduction faite des dettes dont les dits biens étaient
grevés. Ce même jour, les nobles de Lichtenberg prirent
des arrangements avec les nobles et chevaliers résidant à
Brumath, touchant la construction et l'entretien des forti-
fications de cette ville, et les mesures à prendre en cas
de guerre extérieure ou intérieure ou la répression des
délits commis par leurs serviteurs ou leurs hommes. En
présence de sept chevaliers et de dix écuyers on prit acte
des mesures arrêtées.
Par cette vente considérable les deux familles de Werde
et de Lichtenberg semblent avoir eu en vue, outre le
règlement des affaires financières du landgraviat, l'arrange-
ment d'un mariage entre Jean II de Werde et Adelaïde,
fille de feu Jean 1II de Lichtenberg, sous la tutelle de
Louis III. Des pourparlers eurent lieu à ce sujet et une
dot de 700 marks fut promise par le tuteur à sa pupille.
Malheureusement le vieux landgrave s'enrichit d'une
nouvelle déception. Les négociations furent rompues.
Quelle en était la cause? Etait-ce la consanguinité, l'Eglise
prohibant les unions entre cousins et cousines germains,
ou bien l'obstacle venait-il de la faiblesse générale du
corps et de l'esprit du jeune comte?
Ce nouveau désappointement, le plus cruel de tous,
fit faire à Ulric les plus amères réflexions et l'engagea
à une décision suprême, celle de céder la dignité land-
graviale au comte Frédéric d'Œttingue, l'époux de sa fille
Adelaïde. Le 11i juin i334, Ulric renouvela encore à
Jean IV de Ribaupierre et à ses héritiers l'assurance du
sous-fief de Nieder-Guémar, mouvant de Murbach

1 Le
village de Guémar existait déjà au 8- siècle. Lorsqu'en 1287
Rodolphe de Habsbourg y eut éleve le château de Molkenbourg, il se
forma autour de cette forteresse un nouveau village qui prit le nom
OU LE CHATEAU DE WERDE ET SES PROPRIÉTAIRES.

den kilchen satl ^u Gomar in dem niedern dorff. (cart.


Rib.-Als. ill. Il, § 95g).
La course politique du landgrave était terminée: il
comptait alors 65 ou 66 ans. Une à une il avait vu
tomber les illusions de la vie tout espoir de perpétuer
sa famille était évanoui; ses frères étaient morts et il ne
lui restait qu'un fils impotent auquel reviendra un fort
maigre héritage le monde n'avait plus d'attraits pour
lui les idées de la mort hantaient son imagination et il
songea sérieusement à mettre de l'ordre à ses affaires. Il
commença par faire ériger au chanoine Philippe un
monument dans l'église de S. Guillaume, puis fonda pour
lui, pour soi-même et pour son fils des anniversaires.
Voici la teneur des lettres réversales données devant le
juge épiscopal
« Nous, frère Nicolas, prieur, et le couvent de l'ordre
de S. Guillaume de la maison de Strasbourg hors les
murs, en reconnaissance de nombreux bienfaits dont Nous
et notre maison avons été l'objet de la part du noble
homme seigneur Ulric, landgrave d'Alsace, et particu-
lièrement en reconnaissance de la donation qu'il nous a
faite à Nous et à notre maison du droit de patronage de
l'église paroissiale d'Ehl près Benfeld, Nous promettons
au seigneur Ulric lui-même, pour nous et tous nos suc-
cesseurs dans la dite maison, de célébrer a perpétuité et
chaque année, et pour chacun séparément, les anni-
versaires du même seigneur Ulric et de damoiseau son
fils Jean, le jour où ces anniversaires tomberont ou seront
fixés, ainsi que l'anniversaire de feu le seigneur Philippe,
frère du seigneur Ulric, en son vivant chanoine de Stras-

de Ober dorff (village supérieur) et devint la ville de Guemar sous


Charles IV. Cette investiture fut donnée à Henri et à Jean de Ribau-
pierre c'est peut-être Jean II, neveu d'Ulric ou Jean IIF, son petit-
neveu. Henri III était tuteur des enfants d'Anselme-le-Téméraire et
d'Elisabeth de Werde Ulric VI et Jean Il. Anselme II mourut avant
1 3 14 et Elisa de Werde après 1290 ^dies^e landgrâffin hgt im closter
qun augustine?-n hie (Ribauvillé) begraben." (Chron. de P. Hermann.)
UN CASTEL FÉODAL OU LE CHATEAU DE WERDE ETC.

bourg, dont le jour commémoratif tombe sur la vigile


des SS. Apôtres Pierre et Paul. Ces anniversaires, nous
nous obligeons à les célébrer avec des messes et vigiles
pour les morts, et à servir à la communauté en chacun
des jours un dîner qui se composera de la manière
suivante Si c'est un jour où il est permis de manger
de la viande, le dîner consistera en deux plats de viande,
dont l'un sera bouilli et l'autre rôti, et un plat de
légumes et si c'est un jour où nous n'usons pas de
viande, il consistera en deux plats de poissons et deux
plats de légumes. A chacun de ces repas, on donnera à
chaque frère de la maison une demi-mesure (pinte) de
vin de la valeur de deux deniers de Strasbourg et à
chaque conventuel qui dira la messe en ce jour, quatre
deniers. Nous et nos successeurs, nous nous obligeons à
toutes et chacune des choses sus-dites aux frais de notre
communauté ou de notre maison. Fait le 8 des Ides
de Mai l'an du Seigneur 1 336. » 1
Le choix de la sépulture à S. Guillaume, comme
aussi la fondation d'une lampe perpétuelle devant son
tombeau, firent la matière de documents particuliers qui
ne sont pas parvenus jusqu'à nous. Il est probable que
le landgrave fit encore d'autres fondations pieuses pour
satisfaire à la justice divine et dont nous n'avons point
connaissance.
FR. EDOUARD Sitzmann.
(A suivre.)

1 Cf. Monasterii Ord. S. Wilhelmi


Schœpflin, Als. dipl. N°964:
Argent, literce de anniversario Ulrici landgravii, Johannis filii et
Philippi fratris ejusdem, debite celebrando an. i336. (Ex tabulario
Lichtenberg Buxovillse), – "de jure patronatus ecclestœ parochialis
in Eley apud Benjelt promitthnus anniversaria Voy. aussi
Une cité gallo-romaine ou Ehl, près Benfeld, Rixh. 1903, p. 56.
A PROPOS DE L'ARTICLE
DU PRINCE MAX DE SAXE.

Les opinions émises par le prince Max de Saxe,


professeur de liturgie à l'Université de Fribourg, sur
l'Union des Eglises, dans le premier numéro de la Revue
Roma e l'Oriente continuent à défrayer les gazettes et les
publications de tout genre. Nous croyons également néces-
saire de donner sur ce fameux article notre modeste avis.
Un séjour de plusieurs années à Constantinople, la fréquen-
tation des chefs religieux schismatiques, des discussions
réitérées avec des théologiens grecs, l'étude impartiale
des objections grecques contre le « Papisme », tout cela
nous permettra de juger avec justice l'article du prince
Max de Saxe, « intitulé» Pensées sur la question de l'union
des Eglises.
L'auteur est un Orientaliste de tout premier ordre,
connaissant parfaitement les langues grecque et arménienne
modernes. Les liturgies orientales n'ont pas de secret
pour lui, et on l'a vu plus d'une fois dans les églises
orientales catholiques prendre part au chant suave des
hymnes basiliennes. A Constantinople (où j'ai eu l'hon-
neur de converser avec le prince Max de Saxe), il aimait
à s'initier aux études des savants grecs, hélas peu nom-
breux, il avait de longues entrevues avec le patriarche
grec schismatique, Joachim V, avec le patriarche arménien
grégorien, avec l'exarque bulgare. Il étudiait avec eux le
A PROPOS DE L'ARTICLE

grand problème de l'Union. Il est certain que la valeur


des objections des Schismatiques, sans ébranler sa con-
viction historique, a laissé une trace profonde sur l'àme
noble et généreuse du prince.
Le lecteur de l'article s'en rend vite compte. L'allure
générale de l'article est extraordinaire et les conceptions
étonnantes. Le théologien occidental est tout de suite frappé
par la hardiesse des idées, que d'aucuns ont taxées d'hé-
résies. Quoique parlant et suivant fort convenablement le
français, l'auteur ne connaît pas assez la valeur des nuances
et de certaines tournures de phrase. L'article sur « l'Union
des Eglises paraît plutôt pensé en allemand. Quant au
fond du sujet, il contient l'essence des objections grecques
contre le « Papisme ». L'article les reproduit assez exacte-
ment, sans que l'auteur les ait fait toutes siennes, car
s'il les soutenait seulement un instant, il cesserait d'être
catholique. Ce serait la négation du Magistère infaillible
de la Papauté et de la Suprématie de la Chaire Apostolique.

Entrons maintenant dans le vif du sujet et analysons


rapidement l'article. Le prince Max de Saxe constate
d'abord la difficulté du problème. Pourquoi les efforts
d'Union ont-ils été infructueux? Il en souligne l'impor-
tance. L'Orient uni à l'Occident dans la même foi, sous
le même Chet catholique, quelle puissance d'attraction
sur les protestants Il insiste sur l'unanimité avec la-
quelle, de part et d'autre, on désire l'Union, mais à ce
mot d'Union, les Latins et les Grecs attachent un sens
différent. «Pour l'Eglise occidentale, dit-il, l'union était
toujours identique avec soumission complète. L'Eglise
orientale était considérée comme fille rebelle de l'Eglise
romaine. L'Occident n'avait donc rien à faire ni à changer
pour obtenir l'union. L'Orient, au contraire, devait se
placer complétement sous la juridiction du Pontife romain,
et, en outre, reconnaître tous les dogmes que la théologie
latine des temps postérieurs avait développés comme vrais.
« L'Eglise orientale, au contraire, a toujours envisagé
l'union sous un autre point de vue. Pour elle, union est
mi PRINCE MA.X DK SAXE

amitié, concorde et fraternité, mais non soumission


Elle a encore l'idée que pour s'unir, il faut revenir au
point où l'on s'est séparé Elle considère les doctrines
du moyen âge latin, et en outre, les doctrines dogmatisées
du XIXe siècle comme des déviations. Selon son opinion,
l'Eglise occidentale a abandonné l'ancien fondement doc-
trinal pour introduire des nouveautés telles que la proces-
sion du Saint-Esprit du Fils, et non exclusivement du
Père, l'existence d'un Purgatoire, et d'autres points
semblables. JI •
Telles sont les positions respectives des deux Eglises
latine et grecque. Le prince adopte le langage des Grecs
schismatiques, peut-être à son insu. Ce langage, je l'ai
entendu maintes et maintes fois à Constantinople et
ailleurs. Il est ancien, et j'y reviendrai plus tard pour le
réfuter.
Mais voici maintenant une thèse théorique. Se plaçant
lui-même entre les deux églises, il va leur proposer à l'une
et à l'autre une sorte « d'édit d'Augsbourg ». « La juste
?tolio?i, interroge-t-il, ne se trouvera-t-elle pas entre les
deux conceptions, de sorte qu'on puisse emprunter des
idées à chacune d'elles ? »
Cette position mitoyenne se trouve dans les deux
points essentiels la juridication du Pontife romain et les
dogmes définis postérieurement au schisme.
L'auteur expose à grands traits une synthèse très
arbitraire de l'histoire de la primauté pontificale.
« Notre Seigneur, dit-il, a donné des privilèges a
Saint-Pierre. Cependant nous ne trouvons point de vestiges
de la soumission de Saint-Paul vis-à-vis de lui Chaque
évêque gouvernait librement son diocèse, (dans les premiers
siècles) celui de Rome avait néanmoins des droits particu-
liers à s'occuper des affaires de l'Eglise universelle
il exerçait une très grande puissance ». N'étant patriarche
qu'en Occident, le Pape « n'exerçait pas de juridiction
directe sur les diocèses de l'Oiient, mais exerçait indirec-
tement une injluence sur eux, lorsqu'il s'occupait des
affaires de l'Eglise universelle.)) On se demande où se
AI'ROrOSDEJ~AUTICLE

trouve dans ces termes généraux, privilèges, droits parti-


culiers, une très grande puissance, une influence, !a
primauté pontificale, la véritable primauté de juridiction.
« L'Eglise orientale devrait donc rester ~~o/!<Mf<?~/
indépendante et se gouverner elle-même, telle qu'elle le fait
aujourd'hui et qu'elle l'a fait dès les origines du christia-
nisme l'Eglise orientale n'hésitera certainement pas
à reconnaître au Pontife romain les droits ~M' c~
et qu'il a exercés durant cette période-là (les premiers
siècles), et «qu'elle acceptera ses décisions ~~s~~r~~c~
affaires qui re~~r~ toute la c//rJ</<?/ »
La primauté pontificale reposerait, on le voit, sur
une grande équivoque, or elle constitue une condition
essentielle de la vie catholique.

La confusion est encore plus grande pour « l'unité de


la foi ». « L'Eglise orientale, dit l'auteur, ne renoncera
jamais à son point de vue doctiina), elle a conservé
tous les dogmes intacts tels qu'ils furent prêchés par tous
les membres de l'Eglise catholique dans l'antiquité chré-
tienne. Comment peut-on espérer voir l'Eglise orientale
confesser la procession du Saint-Esprit du Fils, puisqu'elle
tient aux texte verbal de l'Evangile, aux Pères de l'Eglise,
au Concile œcuménique de Constantinople, au symbole
commun de la foi. Il en est de même de plusieurs autres
points dogmatiques qui nous divisent encore.)) »
L'Eglise latine pourra-t-elle, de son côté, renoncer a
ces définitions des temps postérieurs sur la procession du
Saint-Esprit, sur le Purgatoire, etc. Ce n'est guère pro-
bable, parce qu'elle ~/r<~ toujours que ce ne sont que des
précisions de l'ancienne doctrine Mais, continue
l'auteur, est-il pour cela juste qu'elle impose à sa sœur
d'Orient ses vues comme elle l'a fait à Lyon et à Florence ?
Non encore
Toutes ces théories sur le Magistère suprême du Pape
sont fort étranges, et diamétralement opposées à la doc-
trine catholique.
En concluant que « le point de vue de chacune des
DU rRjLNC.E MAX DE SAXE

deux Eglises semble être absolument justice M, le prince


Max de Saxe va chercher entre ces deux « points de vue a
un accord.
Aucune des deux Eglises n'imposera à l'autre « son
système dogmatiques. Seulement l'Eglise occidentale aura
« le devoir de prouver à l'Eglise orientale que ses défini-
tions ne sont que des espèces de conclusions tirées de
prémisses contenues dans l'antiquité chrétienne)). Mais
l'Eglise orientale n'aura qu'à reconnaître « comme légitime
cette manière de voir, sans être obligée à jprcc/:er elle-
même tous ces <~o~M~H. Il y aura ainsi, touchant ces
dogmes, « un enseignement implicite pour les uns, expli-
cite pour les autres)). On attendra, pour réaliser l'unani-
mité explicite doctrinale, que dans « un Concile œcuménique
et libre de toute la chrétienté, les Orientaux, sans être
contraints par aucune pression morale, se persuadent com-
plètement dela vérité des enseignements occidentaux.» »
L'auteur passe en revue, dans les dernières pages, les
doctrines auxquelles les Orientaux séparés répugnent,
mais plutôt, croirait-on, pour en faire le procès.
« Le ~'0/7~ de vue <3cc/f~7~/)) sur la procession du
Saint-Esprit, sur la primauté du Pape, sur le Purgatoire,
sur les pat oies de la consécration, sur le ministre de la
Confirmation, est sounn's H)te critique à /b~.
Le prince Max de Saxe a-t-il voulu par cette «diatribe »
chercher à plaire aux Orientaux, à les gagner à la cause
de l'Union? Son grand esprit de charité le laisse croire,
les Grecs de Constantinople, le patriarche grec, et tout
le Phanar, ont compris ce langage. La presse grecque
exulte. Le prince a saisi l'état d'àme des Grecs, l'ayant
étudié durant plusieurs années.
Mais pratiquement, l'auteur a perdu de vue la grande
réalité historique et la haute vérité doctrinale de l'Eglise
catholique. C'est une grave déviation du chemin de la
venté, une conception du dogme fort voisine du relativisme
historique. On se demande, par quelle aberration d'esprit,
le prince Max de Saxe, réputé pieux prêtre, et savant
distingué, a pu écrire ce réquisitoire contre les procédés
A PROPOS DE L'ARTICLE

de l'Eglise romaine et la conduite de certains Papes dans


leurs rapports avec l'Eglise d'Orient. On se demande, à
juste titre, comment la Direction de la Revue ~o~a e
l'Oriente, qui a son siège à l'abbaye de Grottaferrata, a
pu laisser passer un pareil article. Mgr. Arsène Pellegrini,
Père Abbé de Grottaferrata, nous en donne l'explication.
Dans une lettre qu'il publie dans «/'OM~r~<?r<? rc~MMOM,
il déclare que la direction laisse à chaque auteur la
responsabilité des articles signés, conformément aux
Normes, mais qu'elle prépare d'ores et déjà une réfutation
de l'article incriminé. Tout cela paraît étrange à notre
bon sens catholique en Alsace. Comment la vérité et
l'erreur peuvent-elles fraterniser dans la même Revue
catholique ?

La presse grecque, tant à Athènes qu'à Constan-


tinople, la presse libérale en Europe se réjouissaient du
scandale produit par l'article <f Pensées sur l'Union des
Eglises ». Pensez donc un prince, frère du Roi de Saxe,
professeur de l'Université de Fribourg qui polémise contre
la Papauté Toute la meute anticatholique s'apprêtait à
aboyer en chœur, en soutenant le prince contre Rome.
Certains journalistes racontaient des histoires abracada-
brantes sur l'origine de la vocation sacerdotale du prince.
Se révolterait-il contre Rome, en cas de censure ? Les
éternels souteneurs de l'hérésie s'y attendaient, mais leur
joie tourna à leur courte honte.
Le prince Max de Saxe, rendu attentif à ses écarts
théologiques et historiques, fit parvenir immédiatement
à S. S. Pie X une déclaration dans laquelle il dit que,
dans l'article de la revue Roma e ~Or/e~e qui a fait
l'objet de la note parue dans ((~O~cr~a~or~ T~OM~MOM, il
n'a voulu nier aucun dogme de la foi le prince ajoute
que, si l'Eglise trouve quelque chose à reprendre à son
article au point de vue doctrinal, il se soumettra absolu-
ment.
Bien plus, le prince Max de Saxe se rendit à Rome
où il signa une rétractation qui lui avait été soumise.
DUFBINCKMAXDESAXE

Immédiatement après, il a été reçu par le Pape. Pie X


a accueilli très paternellement le prince de Saxe et s'est
montré très satisfait de sa soumission.
Au Vatican, on n'a pas voulu attacher une importance
excessive à cet incident, et on a tenu compte du fait que
l'auteur de l'article incriminé est connu pour ses sen-
timents de piété et d'humilité et s'est toujours montré
un prêtre exemplaire.
Le prince de Saxe est retourné à Fribourg où il
reprendra ses cours jusqu'à nouvel ordre. L'incident est
clos.
LÉONARD FISCHER.
NOTES HISTORIQUES SUR UÈPVRE
ET ALLEMAND-ROMBACH.
~M!~J

8. Le Prieuré de Lièpvre, et les habitants sujets collongers du


dit Lieu, ont cy devant jouts de montagnes et forêts en qualités de
propriétaires d'ycelles. qui sont situées sur le penchant du dit
Liepvre suivant le découlant des Eaux et fontes de neiges, où il
existe encore aujourd'hui plusieurs différentes pierres bornes sépa-
ratives entre les bans des alsaciens et celui de Liepvre où l'on re-
marque que ses pierres bornes sont marquées de la croix de
Lorraine parties d'ycelles, sur la limite et hauteur de la montagne
appellée Jefurthe où autrement hury, et que du côté de la face on
est possé cette ditte croix sur les dittes pierres appartenaient les
dittes montagnes dans l'étendu de leurs penchant méridionales à
Lièpvre, mais que par les troubles de la Lorraine et des provinces
voisines cy devant dittes, la ditte commune de Lièpvre a perdu ses
dits titres et à detfaut desquels les communes voisines, Bergheim.
Orschviller, alsace et St. Hipolite lorraine situés de l'autre cotté des
montagnes éloignes les dittes trois communautés de deux à trois
lieues de distance de Liepvre, qui possèdent du côté de leurs
penchants et à leurs proximité leurs Bans et forêts, chacun en
particulier, d'une étendue très considérable, et non comptant; ils
se sont emparés des montagnes forêts appellées Hury, hindervald et
Kelblin, scituees sur le penchant de Lièpvre et à la proximité du
dit Lieu de distance d'un demi et d'un quart de Lieue du village de
Liepvre et ont ensuite procédés a un partage des dittes montagnes
entre les dittes trois communautés en i;*[8, la communautés de
Lièpvre était alors trop faible en ce moment pour leurs résister et
leur empêcher de faire ce partage a deffaut de ses titres perdus
quoy que cependant la possession des dittes montagnes lui était
ET ALLEMAND-ROMBACH.

continuces tant à l'égard du bois que du vain pâturage jusqua


l'épôque de ce partage fait où il a été réservé par t'A. 24 du traité
conclu à Paris le 21 janvier i~iS les droits de pâturages des dittes
forêts aux habitants de Ltèpvre conformément a la sentence arbi-
trale dattce du mercredy après le Dimanche de Jubilaté de l'an i5t6.
9. Les Remontrants ayant continués leurs droits de pâturage
dans la ditte forêt de hinderwalde en question dans une paisible
jouissance jusque l'année 1~82 que les communautés de Bergheim,
Orschwiller et St. Hipolite ont commencé a faire exploités ces dtttes
forêts en jardinant (sic) et non en couppes Réglées sur la Lizière
du ban de Lièpvre pour en interdire successivement l'accès aux
habitants de Lièpvre et sans avoir observe aucune ordre de Grurie
(stc) et sans en avoir donné avis aux dits habitants, les diues com-
munautés de Bergheim et Orschwiller ont fait taire plusieurs
différents Rapports et Reprises de Betails de la communauté de
Lièpvre En continuant son droit de pâturage dans la ditte forêt et
on mit le dit Bétail en fourrière au Cabaret à Bergheim, ou il a
resté plus d'un mois, dont lequel dit Bétail-dépéris totalement, et de
suite par les adresses et demandes faites par les dittes communt. de
Bergheim a M. l'intendant d'Alsace, alors lequel a prononcé diffé-
rentes ammendes Ruineuses contre la communt. de Lièpvre qui se
monte à la somme de cinq milles six cents quarante livres de
france, requis de payer dans vingt quatre heures ou dans ]a huitaine
à peine de prison.
10. La communauté de Lièpvre est chargée depuis plusieurs
années de fournir un maître de poste aux chevaux au dit lieux et
a son entrée d'Exercice de lui fournir la somme de 600 livres pour
la fourniture des Equipages nécessaire du dit service, outre cela lui
fournir encore i5 cordes de bois de chauffage chaque année.
Lièpvre se trouve aujourdhui dépouille de tous ces droits et
reduits dans la dernière misère n'ayant plus de bois, ni forêts pour
ainsi dire, ny plus de paturages, les habitants n'ont aucun affouage.
Les communautés de Berkeim, Orschwiller, St. Hipolite, Chatenois
et le Chapitre primatiale de Nancy peuvent-ils donc proposer de
priver chacune séparément le droit de pâturages des habitants de
Lièpvre n'est-ce pas proposer d'enlever au Laboureur ses Chevaux
qui ne vivent toute l'année que des pâturages de le forcer de
quiter son labourage, et de le mettre dans la triste necessité de
laisser des terres incultes n'est-ce pas ôter aux habitants de
lièpvre la resource des vaches et d'autres bestiaux, les forcer à
acheter ce qu'ils ont tirés de la hberté de Gras paturages, dépouiller
tant de pauvre cytoiens de L'abondance d'un sol, qui leur appartient
sous la protection des Loix du Royaume.
Une commission accordée par la Grâce du Roy verra tout,
mais il ne le verra pas par des yeux de ménagement, de com-
NOTES HISTORIQUES SUB M&PVBE

plaisance, de protection l'impartialité portera le flambeau et la


justice tiendra la balance.
A quoi cela servit-il de présenter, selon l'invitation
de Brienne faite aux corps du royaume, des mémoires
sur leur composition et leurs griefs ? A quoi pouvaient
bien servir les nombreuses récriminations de la commune
de Lièpvre ? La Révolution foula aux pieds les vœux du
peuple, les traités et les droits séculaires. Elle voulait
plutôt des bouleversements que des réformes.
C'est le savant et éloquent abbé d~Eymar~, député,
qui avait été chargé par ses collègues d'Alsace de dé-
fendre la cause du pays à l'Assemblée nationale. 11 en
appela au droit naturel, au droit divin, mais les protes-
tations se succédèrent sans nulle efficacité. Bergheim,
Orschwilleret Saint-Hippolyte occupent encore aujourd'hui
les plus belles forêts à proximité de la commune de
Lièpvre, tandis que, celle-ci, dépouillée de ses droits,
est actuellement la plus pauvre commune du Val.

CHAPITRE V.

L'Allemand Rombach.

Pour la description de ce viUage de langue française


dans les temps passés, annexé à l'empire d'Allemagne,
depuis 187!, nous ne pensons pas mieux faire que de
suivre le Mémoire 2 de Rice, qui nous donne de précieuses
indications.
Rombach est un hameau de la paroisse de Lièpvre dont il est
distant d'une demie-lieue, et qui se nomme Allemand Rombach

Jean François Ange d'Eymar, dernier abbé-prévôt de Neu-


willer. En 1789, élu député pour représenter les baillages de
Haguenau et de Wissembourg aux Etats généraux à Versailles.
V. Edouard Sitzmann Dictionn. Hommes célèbres d'Alsace, p. ~.6~
Etat du temporel des paroisses et autres bénefices situés dans
les duchés de Lorraine et de Bar, dressé par Antoine Rice, prètre,
en vertu de la commission à lui donné par le due de Léopold, les
21août 1702 et 2~. mars t7t3.
t T At/LEMAND-ROMBACH.

parce qu'autrefois il n'etait habite que par des Allemans', et parce


qu'il y a deux autres Rombachs.
La Seigneurie appartient à son Altesse Royale en haute,
moyenne et basse justice, laquelle s'exerce par les officiers de
Sainte-Marie dont le ressort est le même dans tout le Val, et
néanmoins à l'égard du juge à l'amiable, les habitans de Rombach
doivent s'adresser à l'oflieier de Lièpvre.
Il y a audit Rombach un jure de justice qui se trouve aux
plaids bannaux à Lièpvre pour les intérêts de la communauté, deux
/;<?!n;~oi;)-g' qui sont pour la levée des deniers publics et les porter
à la recette qui est de l'année dernière à Sainte-Marie.
H y a une chapelle audit Rombach où l'on dit la messe le
jour de la dédicace de cette chapelle seulement, où l'on fait par
devotion la procession depuis Lièvre jusqu'à la dttte chapelle, pour
raison de quoy l'on pane quatre francs au curé, un franc au maître
d'ecole. Si on la dit a d'autres temps pendant l'annee, on en paye
aussi la rétribution, ce qui se prent sur les revenus d'une confrairie
qui y est établie ou par la communauté.
Cette communauté est composée d'environ cinquante habitans
dont il y a plusieurs réfugiez et pauvres demandant l'aumône.
Le grand ruisseau' qui passe dans le village partage le finage
pour la dime. Dans la partie qui est à la gauche du ruisseau la
dime appartient au prieuré, et a le tier dans le costé qui est à
droite. Les deux autres tiers appartiennent aux Jésuites de Sélestat,
qui sont dans les droits du monastère de Sainte-Foy de Selestat de
l'ordre de Saint-Benoît qui subsistait autrefois, même dans l'an i383
et qui ne subsiste plus, lesdns R. R. P. P. Jésuites leur ayant
succede.
Où il est à remarquer que le territoire de Rombach, qui se
nomme dans les anciens titres T7:MMcAerMm~!c/t~, estoit fort désert
et couvert de bois, de maniere que les habitans n'ayant pas de
terres arables, transigerent avec les religieux~ du monastère de
Sainte-Foy et s'obligerent à leur payer certaines redevances pour
avoir la faculté d'essarter ces bois et les mettre en nature de terres;

Vers i536, arrivèrent dans le Val plusieurs milliers d'ouvriers


pour la plupart de la Saxe ou de la Misrne puis, après la guerre
de Trente Ans, le Val, devenu un désert tant par la guerre que par
la peste, fut repeuplé par des cultivateurs et des ouvriers suisses.
Grâce à l'influence de la Maison de Lorraine, la langue française
redevint prédominante. Néanmois, le patois de Lièpvre et de L. A. R.
fourmille de mots allemands.
Le Rombach. Rice appelle Lièpvre, l'Ebre, ruisseau qui par-
court le Val.
3 Aujourd'hui DcK~c/t-~Kmtac/t = L'Allemand-Rombach.:
NOTES HISTORIQUES SUR Lifil'VKE

en conséquence de quoy ils ont fait d'autres traitez avec les R. R. P. P.


Jésuites qui leur ont succédé, en vertu desquels ils leur payent une
somme de cinquante neuf frans six gros annuellement, lequel dernier
traite est du 22 octobre 1624, ainsi qu'il nous a paru en copie
collationnée par Ladague tabellion.
Lequel lieu de Rombach et le Val de Lièpvre estant peu
hahitë pendant les guerres et les lieux non cultivez, il arrivoit que
les curéz ayant peu de fixe, les paroisses estoient mal servies, ce
qui obligea les habitans de Rombach à s'imposer la loy de payer
une dime au Prieur qui estoit cure primitif de Lièvre et dont les
successeurs ont jouy et jouissent pour la quantité marquée cy-
dessus car quant aux deux tiers de la dime qui est à la partie
droite du ruisseau, ils appartiennent à la communauté, qui les
afferme tous les ans, et du prix qui en provient ils en paye la
redevance des 5g frans 6 gros.
La dixme se paye en tout et par tout au deuxième l'on y
cultive du seigle, orge et avoine, qui peuvent rapporter environ vint
sacs de grain, moitié seigle, moitié avoine le terroir se laboure peu
avec des charrües, mais ordinairement à la houe.
L'usage de dîmer et sur les gerbes restantes est le même qu'au
finage de Lièvre.
L'on paye aussi la menue dîme non en espèce, mais en argent
comme à Lièvre, et à Rombach on paye annuellement au curé
trois francs.
Dans la chapelle de Rombach il y a deux confrairies que l'on
met tous les ans à qui plus et le provenu est appliqué à l'entretien
de la chapelle et des confrairies, qui est géré par un receveur qut
en rend compte annuellement par devant le cure et la communauté.
Lorsque les deniers de la fabrique de Lièpvre est espuisé, les
habltans de Rombach sont obligéz de contribuer aux nécessitéz de
l'Eglise et de la maison curiale.
A l'égard de leur chapelle ils en sont outre ce entièrement
chargéz comme ayant esté pour leur dévotion particulière, ainsi
qu'ils ont déclaré, desquelles déclarations le présent verbal a esté
dressé et signé par le S'' Cure et par les habitans et Heimbourgs de
Rombach, en exécution des ordres de son altesse royale, ce 7 sep-
tembre 1~06. Signé: G. Morel, cure de Lièvre et Rombach, Domi-
nique Gehel, Humbert Gehel, Chresuen Mosse, marques de Humbert
Gérard, Pierre Gérard, Claude le Romain et Philippe le Romain.
L'Allemand Rombach, qui avait en jyi3 une faible
population de cinquante habitants, en compte aujourd'hui
t5~8. Avec une inlassable activité ils ont défriché les
terres, déboisé une partie des forêts, rendu arables des
terrains auparavant incultes. Tandis qu'une des
partie
ET ALLEMAND-ROMBACH

habitants travaille aux métiers à bras, d'autres se rendent


aux fabriques de Lièpvre, de Sainte-Croix et de Sainte-
Marie, ou à la fabrique de tissage mécanique de l'endroit t
même.
L'Allemand Rombach, après avoir pendant plusieurs
siècles partagé le sort de Lièpvre et ses mêmes vicissi-
tudes, se détacha de la mère église dans l'administration
de M. le Recteur L. Mosser en 1786. La chapelle~ de
Sainte-Rosalie fut agrandie et devint église paroissiale in-
Le Curé fut J. J. 2
dépendante. premier Boulanger~
(1786–1823).
Dans le piocès-verbal d'installation nous lisons le
passage suivant:
Neanmoins pour conseiver à cette dernière (église de Lièpvre),
conformément au- dispositions des st. canons l'honneur et la rc-
connaissance qui lui sont dus en sa qualité de mère-église, o-
donnons que deu\ habitants de l'Allemand-Rombach et de la Hingne,
députes par le maire et jures de justice presenteront et donneront
pour et au nom de la ditte communauté chaque année et à per-
pétuité à la dltte église de Lièpvre, le jour de son patron, publique-
ment et pendant la grande messe immédiatement après l'offertoire
deux cierges de cire blanche d'un poids d'une demie-livre.33

(~4 ~M~'rc.~
C'était une chapelle romane, située au milieu d'un bouquet
de peupliers; à côté coulait une petite fontaine due de sainte
Rosalie. Les gens du pays invoquaient la sainte patronne contre la
peste. Dès 1786, l'église tut dédiée à sainte Rosalie comme patronne
principale et à saint Blaise et à saint Quirin comme patrons
secondaires.
Boulanger Jean Joseph, né à Sainte-Marie-aux-Mines, le
3i mars 1742, curé de ThanviIIé, puis curé de l'Allemand-Rombach,
émigra pendant la Terreur, revint à son poste après la réorgani-
sation du culte, et mourut dans sa paroisse, âgé de St ans.
Cette charge se perdit pendant la Revolution.

Revue. Decembre 1910.


LA
1
CATHÉDRALE DE STRASBOURG.

La littérature, comme on dit aujourd'hui, de la Cathédrale de


Strasbourg, s'enrichit tous les jours d'un ouvrage nouveau c'est
une consequence de l'intérêt que la question d'Alsace-Lorraine
suscite partout, non seulement sur le terrain politique mais aussi
sur celui des lettres et des arts. Ce n'est pas tout à fait à l'honneur
de nos historiens d'art, car la Cathédrale mérite par elle-même
qu'on l'étudié, qu'on se laisse ravir par son charme, qu'on soit ab-
sorbé, sans plus pouvoir s'en détacher, par la contemplation de sa
beauté et de ses richesses artistiques. Son histoire est du reste plus
que l'histoire d'un joyau de l'art gothique la Cathédrale, comme le
dit fort bien l'auteur, a vécu toute la vie de la cité. comme un
écho sonore elle a répercuté toutes les vicissitudes d'une histoire
mouvementée. Elle a grandi avec les évêques, puis avec la bourgeoisie;
la réforme y a passé, ennemie des images et la majesté de Louis XIV,
irrespectueuse du gothique, et les enthousiasmes et les colères de
la Révolution, et plus près de nous, les obus qui l'ont enlevée à la
France.
Quels que soient les écrivains qui s'essaieront encore dans
l'avenir à l'histoire de ce beau monument, M. G. Delahache tiendra
une place ëminente parmi tous ceux qui s'en seront occupés. Non
seulement il a lu tout ce qui a été publié sur ce sujet, mais il l'a
lu sur place, et son âme a communié avec l'âme qui anime le geant
de grès rose. L'homme qui a ecrit le livre si poignant de la “ Carte

La Cathédrale de Strasbourg, notice historique et archéologique


par G. Delahache. 103 pp. gr. in 18. illustré de 3o pl. hors texte,
10 illustr. dans le texte. Paris Longuet, z5o Faubourg St. Martin.
1010. 2.5o fr.
LA CATHEDRALE DE STRASBOURG.

au hsëré vert" a laisse au seuil de la Cathédrale toutes les pré-


occupations, tous les préjugés, toutes les passions de la politique,
pour s'appliquer à rapporter les faits avec une exactitude qui ne
tombe pas dans la sécheresse et qui n'exclut pas l'émotion.
Ce n'est un secret pour personne que G. Delahache est le
pseudonyme d'un homme qui n'appartient pas au culte catholique,
ni même à un culte chrétien c'est un mérite de plus d'avoir si bien
compris la Cathédrale, et de l'avoir décrite avec la minutie d'un
Baedecker, sans oublier que cette minutie n'est qu'une, et peut-être
la moindre, des qualités d'un critique d'art. En effet il doit rendre
vivants devant nous tous ces personnages de pierre, nous dire leur
origine, leur symbolisme, leur valeur, leur parenté avec d'autres
oeuvres de la même époque en France ou en Allemagne.
On a beau être un vieu~ Strasbourgeois amoureux de sa
Cathédrale, et l'ayant examiné sous toutes ses faces, le livre de
M. G. Delahache vous apprend cà et là des détails que vous n'aviez
pas remarqués jusqu'ici.
La Cathédrale a eu ses jours de gloire, elle a aussi eu ses
jours de deuil et de honte, aussi bien au point de vue religieux
qu'au point de vue architectural. C'est un long martyrologe que ces
massacres d'images par les iconoclastes de la Réforme, ces em-
plâtres rococo du 18° siècle, ces mutilations ignobles par les sans-
culottes, ce vandalisme du badigeonnage de i836, ces dégâts du
bombardement qui resteront une fletrissure ineffaçable de l'honneur
militaire de ceux qui les ont causés et tolérés. G. Delahache raconte
tout cela avec une impartiale sérénité. Pourvu qu'un futur Dela-
hache ne soit pas forcé d'ajouter un chapitre de plus sur le vanda-
lisme des restaurations 11l
Sur le grand ouvrage de M. le chanoine Dacheux, celui de
M. G. Delahache a le grand avantage d'être d'un format plus
maniable sans que les illustrations perdent quelque chose en
netteté; elles sont nombreuses, bien choisies et d'une exécution par-
faite. En lisant le livre de M. G. Delahache, vous pourrez, les pieds
sur vos chenêts, visiter tous les coins de la Cathédrale et faire
l'ascension de la flèche sans que rien vous échappe, sans avoir le
vertige; et non seulement vous verrez se dérouler devant vous le
splendide panorama de la plaine d'Alsace et des Vosges, vous
verrez repasser devant vos yeux toutes les générations qui ont élevé
ce monument, qui ont vécu à son ombre, et qui ont prie sous ses
voûtes.
N. DELSOR.
L'ANNÉE TERRIBLE EN ALSACE.

Les ~Ephémérides de l'année terrible" ont dejà paru jour par


jour dans le "Nouvelliste d'Alsace-Lorraine". Mais on sait ce que
devient un journal, aussi un grand nombre de lecteurs ont-ils de-
mandé au patient collectionneur de ces feuilles volantes de les
réunir en volume. Et ce volume demeurera parce qu'il est le fruit
de longues et patientes recherches, qu'il a moins pour but de relater
des opérations militaires, bien connues, que de faire l'histoire des
rapports de la population avec les belligérants, sujet qui n'a point
encore été traité et qui est loin d'être epuisé.
Ce livre, si bien fait soit-il, manque comme d'autres du même
genre d'une préface qui explique le caractère de quelques épisodes
de cette lutte, beaucoup plus sauvage en Alsace qu'en Lorraine.
Cette préface aurait peut-être la grosseur d'un volume et aurait ce
titre d'une navrante tristesse: Les complices alsaciens de l'invasion
prussienne." Nous nous étonnons que cette matière n'ait encore
tenté aucun écrivain; il serait cependant aussi facile qu'intéressant
de faire la preuve que pendant tout le XIX' siècle il y avait en
Alsace un groupe d'hommes influents, qui par leurs rapports avec
les milieux universitaires allemands et par leurs correspondances
suivies dans la presse d'Outre-Rhin, y ont avivé le désir de re-
conquérir les provinces ravies par le ,roi-brigand' Louis XIV et y
ont entretenu l'illusion que les colonnes d'invasion seraient reçues
comme l'armée d'un messie libérateur du joug welche.
Et quel contraste entre la réalité et les illusions des vainqueurs
de Wissembourg et de Woerth 1 Au lieu d'une population recevant
l'envahisseur à bras ouverts, celui-ci se heurte violemment à un

1 alsaciennes de l'année terrible P. Galien.


Ephémérides par
4.22 pp. gr. in 12. avec couverture en couleurs. Colmar
J. B. Jung et Cie. tgto.
L'AXEE T.EENBLE KN ALSACE.

peuple frémissant de patriotisme, à des villes qui préfèrent s'ense-


velir sous leurs cenches plutôt que de capituler, à des femmes
souvent plus hostiles que les hommes, à une jeunesse qui brave
tous les obstacles pour s'enrôler dans les rangs des vaincus, à des
guérillas embusquées à tous les coins de bois et à tous les replis
des vallons. Quelle déception 1 C'est là qu'est le secret de cette
rage qui chez tel ou tel détachement ajoute encore aux horreurs
habituelles de la guerre.
C'est le même phénomène qu'on rencontre dans la guerre
d'Espagne d'il y a cent ans. Nous en lisions les Ephémérides en
même temps que nous lisions les Ephémérides de 1870. Au-delà des
Pyrénées aussi, nous voyons se livrer à des actes de brutalité et de
cruauté inouïs ceux que Napoléon a\ait envoyés comme libérateurs
du joug odieux de la tyrannie et de la superstition à ce peuple de
héros qui ne voulait pas être delivre.
Comme la guerre se révèle horrible dans ces pages poignantes
et pourtant, quoique les ~Ephémérides" peignent plutôt en noir,
nous autres qui avons vécu celle de 1870 autrement que dans les
livres, nous savons qu'elle est plus horrible encore en réalité,
qu'elle réveille en l'homme en certaines circonstances des instincts
de fauves altérés de sang et qu'elle le transforme, en telle occasion,
en un bandit oublieux de tous les droits de la justice et de
l'humanité.
L'auteur s'est donné une peine très louable pour nous donner
dans des extraits de journaux le tableau des fluctuations de l'opinion
publique sur l'issue de cette lutte de géants mais il ne pourra
jamais rendre les battements du cœur alsacien entre les alternatives
d'espoir et de découragement que ces nouvelles suscitaient dans une
population attentive aux moindres mouvements de l'étranger.
Ce que bien des lecteurs n'auront peut-être pas même re-
marqué, c'est l'annexion consommee bien antérieurement au traité
de Francfort.
Ces pages sont donc bien propres à faire refléchir des gens
qui, le coeur léger parlent d'une future guerre comme d'un sport
dont ils seraient volontiers les spectateurs à une distance
respectueuse.
Ces pages pourraient aussi être d'un profond enseignement
pour nos maîtres. D'après l'effort héroïque que l'Alsace a fait pour
ne pas être arrachee à sa patrie, ils devraient mesurer la profondeur
de la blessure de l'annexion, et comprendre la lenteur que, malgré le
loyalisme le plus correct, elle met a se cicatriser chez tous ceux qui
ont le coeur bien et haut placé. Ils pourraient juger combien peu ont
pesé dans le passe, et pèsent dans le present les arguments ethno-
graphiques par lesquels on veut forcer le peuple alsacien à un genre
d'assimilation qui répugne à sa dignité.
L'ANNEE TERRIBLE EN ALSACE.

Les jeunes à leur tour peuvent apprendre de leurs aieux


comment on défend la cause de l'indépendance et de la liberté. Le
théâtre de la guerre a changé, l'enjeu en est tout autre, et les armes
sont toutes différentes sincèrement amis de la paix, respectueux de
la Constitution, nous ne voulons nous servir que d'armes légales
pour conquérir notre indépendance au sein de l'Empire. Si dans
cette lutte pacifique les nouvelles générations imitent la vaillance
de ceux qui se sont battus sur les champs de bataille ensanglantés,
la victoire leur est assurée.

N. Dn~soR.
REVUE DU MOIS.

Un Docteur de l'Eglise écrivait que "le Christ avait prédit les hor-
reurs de la fin des temps. afin qu'elles troublassent d'autant moins l'hu-
manité qu'elles seraient mieux connues d'avance. Les traits dont on
prévoit la trajectoire sont moms dangereux, et les maux sont plus tolé-
rables quand on peut les parer par le bouclier de la prévision Notre
gouvernement celui d'Alsace-Lorraine ou celui de Berim Chi lo sà
a voulu imiter cette miséricordieuse conduite à propos de notre Cons-
titution Il a laissé avec préméditation la porte de la salle de ses conseils
entrouverte, et les curieux admis dans l'antichambre ont pu nous verser
goutte à goutte un échantillon du brenvage que nous offre le projet offi-
ciel. Sous ce rapport nous n'avons pas éprouvé de déception sauf quel-
ques gouttes de fiel en moins dans tel paraphe, en plus dans tel autre,
la livraison concorde avec l'échantillon des commis-voyageurs de la rue
Thomann.
Il y a quelque trente ans, la Revue avait, dans l'absence presque
complète d'une presse catholique alsacienne, le douloureux privilège de
communiquer a ses lecteurs de vraies nouvelles Heureusement il n'en est
plus ainsi; dans notre causerie mensuelle nous n'avons plus qu'j, disserter
sur des faits déjà connus. Nos lecteurs savent donc que le projet de
Constitution réalise dans la perfection la prophétie de M. Preiss, au Lan-
desausschuss "L'autonomie, vous ne l'aurez point' M. Preiss, en cela,
n'était du reste qu'un prophète de la tonte dernière grandeur, car aucun
de ceux qui s'occupent de politique alsacienne et qui savent ce qu'on
pense là-dessus :), Berlin n'avait d'illusion cet égard. L'Alsace-Lorraine
ne devient pas un Etat indépendant, membre autonome de la Confédéra-
tion des Etats allemands, elle reste Terre d'Empire, simple province, sou-
mise constitutionnellement et aux souverains de ces Etats et aux soixante
millions de leurs habitants, agissant par l'organe du Conseil Fédéral et du
Reichstag. Et comme conséquence logique de cette situation, elle reste
privée d'une représentation a. ce même Conseil Fédéral, 0!'i elle ne peut
pas à la fois jouer le r<*Jede serf et d'homme libre. L'empereur continuera
donc d'exercer le pouvoir souverain. non pas au nom de l'Alsace, ni en vertu
RKVUEDUMOIS

même de sa dignité, mais comme délégué des Etats Confédérés. Pour


bien affirmer lenr droit radical de souveraineté. ceux-ci ont même exigé
que la nomination du Statthalter soit contresignée par le chancelier ce
qui ouvre nue porte de deiriére an Reichstag pour continuer par voie
d'interpellation s'ocenper des affaires d'AIsace-Iiorraine.
L'exposé des motifs reste muet sur le maintien de l'empereur comme
souverain par délégation il n'pst pas difficile d'en supposer la raison. On
n'a pas même essayé de transférer cette souveraineté, on n'aura pas même
osé discuter la question, de peur de blesser Guillaume II. qui depuis
vingt-deux ans exerce dans la Teire d'Empire le pouvoir exécutif. Or, ce
qu'il y a de déplorable dans cette solution si contraire aux vœux du
pays, c'est qu'elle exclut a. tout jamais la possibilité de faire de l'Alsace
un pays autonome Sans doute théoriquement les facteurs constitutionnels
pourraient modifier l'état de choses qu'ils créent par le présent projet,
mais pratiquement les Alsaciens n'auront plus qu'A se dire ~a.sftj/e
o~ ~pcr<!): En effet, si l'on s'explique très facilement, au point de
vue psychologique, qu'il est difficile, âpres 22 ans, d'enlever a un homme
du tempérament de Guillaume II, un pouvoir dont il est Her et qu'il
regarde comme le seul juyan de prix de sa couronue impériale, croit-on
que ce seia plus facile dans dix ans, dans vingt ans, et chez l'un de ses
successeurs, quand la dignité de souverain d'Alsace-Lorraine délègue tant
que vous voudrez, ce petit mot pèse en réalité si peu se sera par le
temps comme co)!corporee avec la dignité impériale ? Il faudrait pour
le croire une dose de naivetp, dont nous ne croyons pas capables les
lecteurs de la ,Revue".
Et a quoi nous serviraient dans ces conditions des membres alsaciens-
lorrains du Conseil Fédéral, qui remplaceraient les commissaires actuels ?
Car il faut toujours avoir présente a l'idée cette vérité, que les membres
du Conseil Fédéral votent avec un mandat catégoriquement impératif,
conformément aux instructions de leur gouvernement. Nos plénipoten-
tiaires seraient instruits, pour la forme par le Statthalter, en réalité par
le ministère de Prusse, et en cas de conflit entre les intérêts prussiens
et ceux de l'Alsace-Lorrame, nons avons un avant-goût de ce qui arri-
vera, par ce qui est advenu dans la loi sur les sels de potasse et dans
la discussion de l'impôt de la navigation fluviale. Le projet constitutionnel
est donc tout à fait logique en nous refusant des représentants au Conseil
Fédéral en nous l'accordant on aurait résolu la quadrature du cercle.
Le concept de Statthalter, tel qu'il est maintenu dans ce projet, est pra-
tiquement inconciliable avec celui d'un mandant indépendant il est u i
simple serviteur qu'on peut casser aux gages d'un jour l'antre, et on
ne voit pas comment l'empereur d'Allemagne instruiratt ses reprêsentant&
d'Alsace autrement que le roi de Prusse n'instruirait les mandataires do
la monarchie Le jour on l'empereur dira biais qu~nd la roi de P..nsss
dira noir, tombe! a dans la semaine des quatre jeudis.
Le vœu capital de la population d'Alsace-Lorraine n'est donc point
satisfait, et les passions pohtiqacs que le gouvernement aurait du chercher
RhVU.KDU.UOIS.

à calmer, ne s'apaiseront pas, loin de la. Les Alsaciens ne comprennent


rien aux tristes prétextes qu'on met en avant pour nous dénier des droits
que possèdent d'autres citoyens de l'Empire qui ne remplissent pas leurs
devoirs plus loyalement que nous, et ils ne cesseront pas dans l'avenir de
réclamer aussi hautement et aussi énergiquement le paiement d'une dette,
dont le présent projet s'efforce d'annuler jusqu'au titre.
L'empereur ne sera pas seulement revêtu du pouvoir executif, il par-
tagera encore le pouvoir législatif avec une Chambre haute et une Chambre
basse. Partager est encore un euphémisme, car par son droit de veto;
il concentre eu lui le pouvoir législatif tout entier, puisque toute loi
votée, même par les deux Chambres, reste lettre morte sans son con-
sentement. Ce n'est pas tout, a côté de ce pouvoir législ tif absolu d'un
caractère plutôt négatif il en accapare encore un positif en nommant, et
seulement pour cinq ans, la moitié des membres de la Chambre Haute, sans
compter que sur les membres inamovibles de droit, il y en a encore six
qui sont un autre titre a sa nomination Il faut vraiment bien peu
connaître le caractère de la population alsacienne pour oser leur demander
de snbir une pareille institution, et pour supposer qu'un seul député la
vote sous cette forme ou sous une forme analogue. Si nous voulions
la qualifier d'après nos convictions et d'apiès le jugement général de
l'opinion publique des indigènes, nous serions obligés de recourir des
expressions qui n'auraient rien de parlementaire. A bon entendeur salut
Les seules dispositions, nous ne disons pas acceptables en bloc, mais
discutables, du projet de loi sont celles qui ont trait dcla Chambre basse.
Nous approuvons très fort qu'il faille un séjour d'une certaine durée en
Alsace pour pouvoir y être électeur au Parlement alsacien, mais nous ne
pouvons pas accepter la disposition qui oblige ;), un séjour de trois ans
dans le domicile de l'électeur c'est un extrême aussi condamnable que
l'autre extrême qui donnerait des droits u, une population par trop flot-
tante. Le vote plural avec privilège d'~ge ne répond pas non plus a nos
habitudes, nous avons des préférences pour le suffrage universel, tel que
nous l'avons pratiqué av.tnt 1870 pour tontes les élections, et tel que
nous le pratiquons encore pour les Conseils d'arrondissement, les Con-
seils généraux et les Conseils municipaux. Ce qui, par contre, est abso-
lument inadmissible, c'est que l'empereur fasse la délimitation des cir-
conscriptions électorales l'arbitraire se donnerait beau jeu dans cet exercice
de géométrie. Nous autres vieux, nous avons vu à l'œuvre le bonapar-
tisme, et les quarante dernières années nous ont prouvé que le panger-
manisme est bonapaitiste des pieds a. la tête.
Et maintenant quel accueil le Reichstag fera-t-il :), ce projet ? Le rôle
de prophète est sur ce point plus difficile encore que sur d'autres. Ln,

Le canton de Haguenau t'tait détache de Strasbourg, dont il faisait


partie, et où il aurait fait <chouei- le candidat officiel, M.~Renouard de
iiubsicie.
REVUE DU MOIS.

seule chose certaine est que dans son ensemble le Reichstag est aussi mal
disposé pour l'Alsace que le gouvernement lui-mf'me la grande majorité
ne peut pas se dépétrer de l'idée que l'Alsace est un butin de guerre et
qu'il faut la traiter comme telle Les pires de nos ennemis sont le parti
progressiste et l'aile gauche des nationaux-libéraux non pas que les
progressistes ne soumettent le projet a, des critiques violentes et ne pro-
posent des amendements d'un radicalisme tout a. fait effréné. Mais l'auto-
nomie est contraire a leur conception pnmordiule de l'empire le fédérT,-
lisme est leur bête noire, et bien loin que la réduction de l'Alsace en
province prussienne leur répugne, ils n'ont qu'un regret, c'est de ne pas
encore voir l'aurore du jour, où tous les Etats Confédérés subiraient cette
métamorphose unitariste. Leur ignorance et leur méconnaissance du ca-
ractère alsacien sont du reste chez eux aussi grandes que chez le gou-
vernement la mentalité alsacienne reste et restera éternellement pour
eux un mystère, et comme la force a réussi a l'Empire pour s'emparer
du sol, ils ne croient pas avoir besoin de recourir a. d'autres moyens pour
conquérir les cœurs. Qu'un peuple soit idéaliste, cela dépasse leui intel-
ligence uniquement occupée d'intérêts matériels, et le souvenir du passé.
cela n'a de valeur que quand cela rapporte quelque chose.
Nous souhaitons, sans l'espérer trop fermement, que dans ces débats,
d'où dépendra notre sort pour quelques dizaines d'années sinon pour
toujours, le choc des opinions ne soit pas aussi violent qu'il l'a, été dans
la discussion générale du budget. Provoqué par l'insolente philippique de
l'orateur socialiste, le chancelier a eu un carps corps très serré avec
l'extrpme-ga.uche, qui avait reproché à !a police berlinoise d'avoir suscité
les désordres de Moabit par des agents 'provocateurs. II s'est d'ailleurs
défendu de vouloir créer des lois d'exception contre le socialisme, tout
en faisant remarquer que le droit commun offre quelques lacanes pour
la défense de l'ordre public et de la liberté du travail Ce n'était pas
cependant aux socialistes eux-mêmes qu'il en voulait le but manifeste de
tout son discours était de montrer au parti national-libéral et aux pro-
gressistes quelle faute énorme ils commettaient contre l'ordre social, contre
la monarchie, contre leurs propres intérêts, en s'alliant ouvertement pour
la prochaine campagne électorale av(c les pires ennemis de la société,
par pur dépit de la réfoirne financière. Il a prêché dans le désert ni
M. Bassermann ni M. Wiemer n'ont promis de s'amender ils continuent
à déblatérer contre la réforme Bn&nciere, malgré les démentis que les
chiffres officiels des recettes de l'empire donnent aux prophéties pessi-
mistes qne les blocards du prince de Bulow avaient faites sur la produc-
tivité des nouveaux impôts. M. Wermuth, le nouveau secrétaire d'Etat
aux finances, a pu montrer, chiffres en mains, que les recettes de l'année
1910 ne sont pas restées au-dessous des prévisions, malgré les perturba-
tions causées par les importations absolument anormales de 1909. Il en
est de même de 1911 M. 'Wermuth ne doute pas un in&tant que la pro-
gression tranquille et normale des derniers mois ne suive son cours dans
la nouvelle année budgétaire. Ce n'est pourtant pas seulement par des
REVUE DU MOIS.

augmentations de recettes qu'il balance son budget, il a soigneusement


tenu en bride les insatiables appétits des différents départements, même
de celui de la guerre, malgré les 25 millions d'augmentation qu'exige le
quinquennat militaire. Il semblerait que le parti hbéral qui a mené si
grand train autour des charges imposées à la nation par la réforme
financière dût féliciter le trésorier de l'empire d'avoir un peu muselé le
Moloch militariste il n'en est rien, M. Bassermann se plaint amèrement
de ce que ,,Iea crédits demandés pour ce quinquennat aient grandement
déçu une partie notable de la nation et de ce que le ministre n'ait pas de-
mandé tout ce qu'il regarde comme désirable." Cela n'empêchera pas les
libéraux, dans la prochaine campagne électorale, d'accuser les cléricaux
d'écraser le peuple sous la chn,rge des impôts.
Le lacrymatoire où les crocodiles nationa.nx-libéraux et démocrates
déversaient leurs pleurs a été très proprement mis en morceaux par
M. Lattmann qui parlait avec d'autant plus d'autorité qu'il avait lui-
même appartenu à l'ancienne majorité du prince de Bulow. "Il n'est pas
plus question d'un bloc bleu-noir qu'autrefois il n'était question de bloc
noir-rose ou vert-noir, quand les chanceliers précédents faisaient passer
une loi avec des combinaisons parlementaires où les partis de gauche fai-
saient l'appoint avec le Centre. M. Lattmaun a ensuite arraché au libéra-
lisme la feuille de vigne par laquelle il cherche à voiler sa pudeur finan-
cière, en racontant ce qui s'est passé dans les conciliabules secrets du
Bloc bulowien, et comment ces fiers démocrates entendaient rester au.
pouvoir sans prendre la responsabilité d'aucun impôt. Puis il a demandé
aux nationaux-libéraux s'ils croient sérieusement que les 400 millions
d'impôts indirects que eux étaient disposés à voter, pèseraient moins lour-
dement sur le peuple que les 315 millions consentis par la nouvelle ma-
jorité.
Pendant cette mercuriale, les démocrates et les nationaux-libéraux
quittaient leur place l'un après l'autre, comme des gamins pris en flagrant
délit de mensonge mais comme ces messieurs ont plus d'une corde à
leur arc, et ils se sout rattrapés sur le terrain du Kniturkampf. Pendant
deux jours on a vu le Reichstag transformée en une faculté de théologie
libérale où les Wiemer, les Schrader, les Muller-Meiningen, les Everling
ont discouru, comme un aveugle disserterait d'un Raphaël, sur le Sylla-
bus, les Encycliques de Pie IX et de Pie X, et le serment antimoderniste.
M. Erzberger pouvait leur dire avec raison ,Je regrette vivement qu'une
série de députés non catholiques, libéraux, démocrates et socialistes aient
débattu ici des questions religieuses concernant le catholicisme
,Je n'ai jamais entendu qu'on ait donné dn haut de cette tribune des
avertissements aux Juifs, aux Païens, aux Libres-Penseurs ou même aux
Protestants, la population catholique seule a le plaisir" d'entendre des
non catholiques se mêler de ses affaires. Nous ne sommes pourtant pas
ici un parlement religieux, ni un synode ni une synagogue. Croyez-vous
que cela n'inquiète pas les 25 miDions de catholiques allemands, que des
REVUE DU MOIS.

gens que cela ne regarde pas se permettent nn jugement snr des choses
où ils n'entendent rien, sur des Encycliques qu'ils n'ont même pas Inès?"
Combien M. Erzberger a raison de dire que ces discussions sont irri-
tantes et inquiétantes. Cela ressort des déclarations qu'à. faites M. Schra-
der, qui, notez bien, est le plus modéré de tonte la gauche. "Pent-on
encore confier à un prêtre qui a prêté le serment antimoderniste nn poste
àl'agrément de l'Etat ? Peut-on lui confier l'inspection scolaire, instruo-
tion retigieuse à )'éco!e? Je voudrais même prier ceux de nos collègues
ici présents qui ont prêté ce serment de se demander si en conscience ils
peuvent encore siéger dans ce parlement. C'est leur affaire; pour l'Etat
au contraire, je ne désire pas seulement mais je l'exige que le
gouvernement se demande s'il est encore possible d'employer des prêtres
catholiques au service de l'Etat." Si ce n'est pas là du Kutturkampf, les
mots ont perdu leur sens naturel, et si le plus mansuet orateur de la
gauche a parlé sur ce ton, on peut se figurer le diapason auquel est
montée la rhétorique de M. Everling, le directeur de la Ligue Evangé-
lique. La presse libérale, démocratique et socialiste ne nous laisse d'ail-
leurs aucun doute a, l'égard du terrain sur lequel se livrera. la bataille
électorale Le mot d'ordre sera ,Sns aux catholiques"; peu importe
d'ailleurs que l'on mette à ce cri de guerre la sourdine des formules
hypocrites et mensongères du Grand Bloc, d'ultramontains, de cléricaux,
d'obscurantistes, de réactionnaires, toutes épitMtes que nous autres vieux,
nous connaissons encore des luttes politiques et religieuses du second
Empire. Surtout ne nous imaginons pas qu'il eu sera en Alsace autrement
que dans le reste de l'Empire. Aussi faudrait-il être aveugle et sourd pour
ne pas sentir que c'est sur ce point avant tout que devra se faire Mtn'on
nécessaire de tous les amis de la vraie liberté. La masse de nos popula-
tions en a une vue très nette nos catholiques seuls, qui se piquent d'une
fausse culture, ne MM/Mf ni voir ni entendre approcher la tempête; il
est vrai que la presse qu'ils lisent attire systématiquement leur attention
sur des intérêts secondaires dont on exagère à plaisir l'importance.
A côté de ces assauts venant d'3 l'extérieur, 1 Eglise est soumise :t,
des crises intérieures, plus douloureuses et plus angoissantes encoie, té-
moin l'incident provoqué par le D' Max de Saxe. Nous ne nous étendrons
pas ici sur le fait lui-même, élucidé p'us haut par un de nos collabora-
teurs, nous nous contenterons de faire remarquer que l'on marche vers
ces abîmes quand on a la manie de la paix, de la concorda religieuse a
tout prix, surtout avec des arrieres-pejsées politiques Nous ferons remar-
quer en second lieu que la presse soi-disant démocratique a le plus vive-
ment attaqué le Pape qlli a osé forcer à une rétractation. un prince
de Saxe Un prince passe encore, si c'avait été nn vulgaire curé de
campagne, mais un prince, et encore un prince du sang Comme s'il y
avait dans l'Eglise un symbole à l'usage de la noblesse et un autre pour
la roture. Et ces gans-)a. trouvent des gogos qui croient à leur républica-
nisme et à leur démocratie
REVUE DU MOIS.

Le Reichstag est toujours discret quand il s'agit de politique étran-


gère, et le chancelier aussi bien que le nouveau Secrétaire d'Etat aux
Affaires étrangères se sont bien gardés dans leurs réponses de dire plus
qu'un ne leur en demandait. On était surtout curieux de savoir ce qui
s'était traité à Potsdam entre Guillaume II et le tzar, et dans les con-
versations de MM. de Bethmann-ndweg et de Kiederlen-Wsechter avec le
nouveau ministre de Nicolas II. Le chancelier n'a pas caché qu'il y a en
entre les deux cabinets plus qu'un simple échange de vues et qu'il y
avait une convention relative au chemin de fer de Bagdad et à la déli-
mitation des intérêts respectifs des deux puissances en Perse. Ces décla-
rations ont inspiré une inquiétude profonde aux cercles politiques français
dont le ~Temps" est l'organe habituel, et ce ne seront pas les télégrammes
du 1er Janvier échangés entre Pétersbourg et Paris, ni les assurances de
Pichon à la rentrée du Parlement français, qui la calmeront. On a dans
une grande partie de la presse française l'impression que quelque chose
est changé et que la politique d'Edouard VII est descendue avec lui dans
la tombe.
C'est aussi dans sa tombe qu'est descendue l'antique Chambre des
Lords, dont la disparition dans sa forme présente et avec ses privilèges
actuels est chose certaine depuis les dernières élections. Le ministère, il
est vrai, ne triomphe qu'avec une majorité tout aussi faible que celle
avec laquelle il gouvernait avant la dissolution; cette majorité des sièges
est même compensée par la diminution du nombre des voix. M. Asquith
ne peut pas chanter victoire puisque, ayant fait la dissolution, il en est
encore au même point qu'auparavant et qu'il dépend complètement des
Irlandais d'en autre côté l'opposition ne peut pas prétendre qu'il y ait
dans le pays un changement d'opinion assez considérable pour forcer le
ministère à suspendre ses menaces contre la Chambre des Lords. L'ère
des difficultés va commencer, il faudra mamtena.nt présenter des propo-
sitions concrètes les Anglais sont gens trop pratiques pour ne pas
trouver un compromis acceptable.

N. DELSOB.
BIBLIOGRAPHIE.

BLOuf) & Cie, Éditeurs, y, place Saint-Sulpice, Paris (Vie). Pages


scolaires. Récits, Souvenirs, Polemiques, par A. VAQUETTE. i volume
in-i6.Prix2frcs.
Les Pages scolaires portent, comme leur titre le promet, sur
tout le terrain où la lutte est engagée, sur l'enseignement à ses trots
degrés, primaire, secondaire et superieur.
Les Pages scolaires sont faites de choses vues, de spectacles
contemporains elles sont faites aussi elles le déclarent de
colère, de douleur et parfois de dégoût.
On )ugera le mieux de leur contenu d'après la table des matières.
I. J. B. de la Salle. Soeur d'Ecole. – En Europe. En Orient.
A Tunis. Les expulsés d'hier. – L'enfant proie de l'Etat.
Dieu dans l'école. II. Les Humanités. La question du latin.
L'education d'hier, de demain Elèves des Jésuites. Collèges
de filles. Au lycée. Comment on forme l'âme de nos jeunes
filles. Sunt lacryone rerum. 111. Les Universités cathol.
Monopole. – Aux étudiants cathol. Carrières et carrière. Mo-
dernisme et Libéralisme. La B. Sophie Barat. La parole des
Evêques.

N. DELSOR, rédacteur responsable


TABLE DES MATIÈRES.

Pages
Lettre 7?t:c~'c/t'~Mg de Pie X sur S. Charles Borromëe 365, 407
AB.ALVERY.–Poésie: Le St Siège. 385
– id. N. D. du Rosaire 5i33
E. B. L. Poésie: Le Firmaments. 65
– – id. Le Bouquet de violettes io3
Id. Cantatale d'Alsace. 5i~
Eo. BRUNCK DE FREutsDECK. – Echos lointains du Collège de
Colmar 327
Le Livre de maison d'un bisaïeul. 656
H. CETry. La Lutte des luttes en Allemagne 32t
Courrier social d'allemagne ooo
N. DELSOR. – Le Kulturkampf Alsacien-Lorain 4.2, 107, :72, 3o5,~28
Joseph Guerber par T~ Cetty. 179
Le ier Congrès du Centre Alsacien-Lorrain 625
Un saint curé M. le Chan. Lintzer, par M. le
Chan.Sehickelë. 63lt
La Cathédrale de Strasbourg par G. Delahache. 7$~
Ephemendes Alsaciennes de l'Année terrible par
.P.Ga/ie;! 756
– Revue du Mois 56, 117, 181, 256, 3i2, 3~5, ~o, 5o6,
566, 633, 6o5, 759
J. M. EBENRECHT. Choses d'Irlande i52, 2-).o
L. FiscHER. – Les tribulations d'un mariage franco-grec. t3
– – Notes historiques sur Lièpvre et Allemand-
Rombach. 25o, 5~.5, 685, 7~.8
– – Les Chiens de Constantinople 6t55
– – Le Prince Max de Saxe et les Eglises Orientales, ~i
P. A. HELMER. Le bon vieux Volksfreund" 533, 588
M. C. INGOLD. – M. le Chan. Ahlfeld et M. Liblin
NORBERT MERSANNE. L'ascension d'une âme. 52, 89
P. MuRY. – Le Collège de Haguenau (t6o~i692) 277, 3~3, 4oi, 491
IGN. RAPP.- Memoiresde M. le Vicaire Général i3o,2io,3oo,358,55~.
TAULE DES MATIERES.

p.
0. RABAYOfE. – La Légende d'Oberlin 27, 85, t38, 225, 288, 35!,
4!0,5oo
J. Pu. RtEHL. – A la Revue catholique (Poésie) 3
– –Haro sur les trouble-fête! 5
– –A propos de Jeanne d'Arc 67
– –Resurrexitt (Poésie). 129
– –La Comète (id.) 25y
– – La Commission Biblique et le Pentateuque 33y
– – Versailles roya). 35y
– –Soeur Rosalie ~8~
– –St Nicolas (Poésie). 703
M. ScmcKELÉ. – Le Curé Maimbourg 4-). 5i6, 577, 6~.t, 707
Eu. StTZMANN. – Le dernier des Bœcktin von Boecklinsau 160, 2tf)
– Le Château de Werde.. 392, ~.59, 6ot, 666, 728
J. DE WESCH. – La Légende l'an mille. 3
Causeries japonaises 78,270,678
– L'Autonomie de l'Alsace-Lorraine (traduction du dis-
cours du député Naumann au Reichstag) 195

Strasbourg. Typ. F. X. Le Roux & Cie.

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