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bjectif Doctrine N° 40

DE LA CONCEPTION et d’en contester le bien-fondé. Incon- ces trois concepts : l’objectif politique,
Réflexions

testablement savoir « penser la guerre » l’objectif militaire et l’état final recher-


en commun pour pouvoir mener les ché sont le triptyque qui fonde le rai-
DES OPÉRATIONS opérations en coalition, être interopé-
rables selon la terminologie militaire,
sonnement opérationnel des armées
occidentales et sont en quelque sorte
est un progrès opérationnel considé- l’oméga des officiers d’état-major. L’état
par le général (cr) rable et une condition impérative du final recherché, contrairement aux deux
Jean-Pierre GAMBOTTI succès. Mais s’être approprié Jomini et autres principes, n’apparaît pas de
Clausewitz et leur approche napoléo- manière explicite chez les grands théori-
nienne de la guerre, et prétendre que ciens de la guerre et dans la méthode
l’on couvre avec ces deux exégètes de française de raisonnement, c’est un
vons-nous sacrifié notre

A
Napoléon toute la problématique de la apport fondamental de la méthode ota-
« French touch », notre apti- manœuvre est certainement une naïve- nienne à la méthodologie générale de
tude originale à concevoir les té. L’étude des batailles permet de conception des opérations. Liddell Hart
opérations ? mettre en évidence le fait que de dispo- insistait d’ailleurs sur ce déficit, qui,
Plusieurs modifications de nos tech- ser d’un rapport de forces favorables au pour lui relevait d’une faute, expliquant
niques nationales d’état-major dues à point décisif ne suffit pas pour triom- que « cherchant une issue décisive à leur
notre intégration dans des équipes de pher, encore faut-il que le point d’appli- duel, les belligérants ne doivent pas
l’OTAN et résultant de notre partici- cation de l’effort ait été bien choisi. céder à la tentation de l’obtenir pour
Libres

pation aux états-majors de coalition L’école française, qui emprunte aussi à elle-même, en adoptant les voies-et-
dans le cadre des opérations de main- Liddell Hart dans sa théorie de l’ap- moyens d’une stratégie militaire conçue
tien de la paix nous incitent à nous proche indirecte, ajoute de la complexi- à cette seule fin -la victoire- sans se sou-
poser cette question. Le travail en com- té à la conception et à la conduite des cier des conséquences de ces choix pour
mun dans les centres d’opérations et les opérations, mais, ce faisant, elle se met l’état de paix qui suivra. Les modalités
groupes de planification interarmées et au niveau de complexité du sujet à trai- de la sortie de guerre et l’état de paix
interalliés a nécessité une harmoni- ter, la guerre elle-même. avantageux sont les seuls critères de
sation de la terminologie opération- jugement sur les raisons à recourir à la
nelle et des méthodes de raisonnement L’approche « otanienne » violence armée et sur la conduite politi-
tactique et stratégique. N’y avons La logique américano-otanienne de pla- co-stratégique du conflit. »
nous pas perdu notre sens de la nification des opérations militaires s’or-
manœuvre ? donne autour d’un certain nombre de D’où le rôle déterminant de l’état final
concepts empruntés aux grands théori- recherché dans ce triptyque pour
Cette interrogation pourrait paraître de ciens européens de la guerre du XIXe conduire les guerres, mais surtout pour
l’ordre de la polémique sur « l’excep- siècle et surtout à Jomini. Sont essen- pouvoir et savoir les arrêter. Gageons
tion » opérationnelle française et appa- tiels dans cette approche méthodolo- que l’état final recherché pour l’engage-
raître comme une réaction chauvine des gique : l’objectif politique, l’objectif ment en Bosnie-Herzégovine, en appli-
tenants de l’antique et respectable militaire, l’état final recherché, les cation des Accords de Dayton en 1995,
méthode nationale de raisonnement à centres de gravité, les points décisifs, les n’a pas été défini avec toute la finesse
l’égard d’une méthode issue de la jeune rapports de forces, le point culminant. nécessaire par les stratèges de l’Otan !
école américaine. On perçoit déjà la cri- Risquons, avec tous les dangers de la La notion de centre de gravité, d’origine
tique des modernes: peu importe la schématisation, un aperçu de cette clausewitzienne, est centrale dans la
méthode si la réflexion permet l’élabo- méthode. doctrine otanienne : c’est l’élément dont
ration d’un plan d’opérations pertinent. « Au début » est l’objectif fixé par le les protagonistes d’un conflit tirent leur
Malheureusement la mise en cohérence politique. C’est le but de la guerre, le puissance. La destruction ou la neutrali-
de la méthode Otan et de la méthode lieu de convergence des efforts mili- sation du centre de gravité ennemi, en
française de raisonnement n’est pas sim- taires mais aussi politiques et diploma- s’appuyant sur, ou en protégeant, son
plement une affaire de forme mais une tiques de la nation ou de la coalition. propre de centre de gravité, sera toute la
affaire de fond, tant la façon de raison- Bien entendu l’objectif militaire, dont problématique de la manœuvre amie.
ner l’action est irréductible de la nature l’atteinte permet d’accéder à l’objectif L’accès au centre de gravité se fera par
du mode d’action produit. Osons ce politique, en est décliné. L’état final les points décisifs dont l’inventaire est
postulat : en termes de conception des recherché est défini par des critères qua- fait au moment de l’analyse de la situa-
opérations, la forme est action. litatifs et quantitatifs dont l’atteinte tion militaire, premier acte de la métho-
Il n’est pas question, dans ce court marquera concrètement le succès des de, et dont la pertinence est liée aux
article, de faire une analyse critique de opérations et la fin de la guerre. Il faut centres de gravité ami et ennemi arrêtés
la méthode de raisonnement de l’Otan insister d’emblée sur l’importance de par le planificateur.

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Schéma 1 Diagram #1

Imaginer des A1
Réflexions

manœuvres pour
les stratèges de CDG
l’Otan c’est, à par- B1 CDG
tir des points de
passages obligés
GC
de la bataille envi- C1
sagée, les points
décisifs, dessiner
le maillage des
chemins qui, tra-
A2
versant et annihi-
lant le centre de CDG
B2 CDG
gravité ennemi,
mènent à l’objectif GC
militaire. Choisir,
parmi tous ces
C2
chemins pos-
Les
Lesmodes
modes d’action MA1 et MA1
d'action MA2 sont composés
et MA2 chacun
sont d’un ensemble
composés de troisd'un
chacun lignesensemble
d’opérations de
respectivement
trois
sibles, appelés
(A1, B 1, d'opérations,
lignes C1) et (A2, B 2,C 2respectivement
). Ils réunissent chacun,
(A1,selon deux idées
B1,C1) de manœuvre distinctes,
et (A2,B2,C2). leur propre lot de
Ils réunissent
Libres

lignes d’opéra- points décisifs. MA1deux


et MA2idées
sont dirigés, l’un comme l’autre, vers le même
chacun, selon de manœuvre distinctes, leur centre
propre de gravité,
lot detel qu’il a décisifs.
points été identi-
tions, une combi- MA1
fié dansetla MA2 sont dirigés, l'un comme l'autre, vers le même centre de gravité, tel qu'il
phase d’analyse.
naison d’itiné- a été identifié dans la phase d'analyse.
raires qui permet- The COA1 and COA2 (courses of action) are made of a set of three lines of operations respectively (A1, B1, C1)
tra d’accéder au and (A2, B2, C2). Each one gets, along with two distinct concepts of maneuver, its own set of decisive points.
centre de gravité COA 1 and COA 2 are both aimed at the same gravity center (CDG), such as identified during the analysis
ennemi, c’est choi- phase.
sir un mode d’ac-
tion. c’est établir dans l’espace et dans le ries de Jomini et de Clausewitz, donc
temps un rapport de forces favorable : issue de l’art de la guerre de Napoléon,
La définition géographique des lignes « c’est, selon Jomini, porter le gros de revient dans nos états-majors européens
d’opérations de Jomini est élargie ses forces sur le point décisif du champ par la voie transatlantique.
aujourd’hui à une dimension plus abs- de bataille ». La bascule amis/ennemis
traite, car les points décisifs ainsi que le du rapport de forces, moment où l’as- Pour des impératifs d’interopérabilité,
centre de gravité peuvent être matériels saillant ou le défenseur ne sont plus en que nous avons déjà évoqués, l’Etat-
ou immatériels. mesure de poursuivre avec succès les major français a adopté cette méthode
En conséquence certaines lignes d’opé- opérations en cours, s’appelle, dans la de planification des opérations. Mais
rations peuvent être constituées par des terminologie clausewitzo-otanienne, le paradoxalement, nonobstant Napoléon
points décisifs physiques - ports, lignes point culminant, et sa détermination et ses épigones, c’est une modification
de terrain, villes secondaires, PC ou dans le cadre spatio-temporel est aussi culturelle qu’il faut conduire avec modé-
groupements de forces ennemis et un point-clef de l’élaboration des modes ration car si la méthodologie globale est
d’autres lignes d’opérations constituées d’actions. incontestable au regard de la rigueur et
par des points décisifs abstraits - neutra- de l’efficacité opérationnelle, il reste
lité des pays voisins, ralliement de cer- Pour schématiser, manœuvrer, c’est que notre vision de la manœuvre, ce que
taines ethnies, affaiblissement de la acheminer des masses et des feux le l’on pourrait appeler son algorithme, est
cohésion nationale de l’ennemi, dégra- long de lignes d’opérations, dont différente.
dations des conditions de vie,… Les chaque sommet, point décisif, est à
Cette différence tient en un seul
manœuvres donnant accès au centre de conquérir, en considérant que la supré-
concept, clef de voûte de l’école fran-
gravité sont donc des combinaisons de matie massique et énergétique finale sur
çaise : l’effet majeur.
lignes d’opérations de premier type : l’ennemi ouvrira l’accès au centre de
action directe sur l’ennemi et du gravité. Et donc à l’objectif militaire. Sans prétendre à une définition rigou-
deuxième type, action sur le moral par reuse on peut dire que l’effet majeur est
exemple. un effet produit sur l’ennemi, condui-
L’approche française sant au succès de la manœuvre par la
Mais concrètement sur le terrain, Il est plaisant de constater comment l i b e r t é d ’a c t i o n q u ’ i l p ro c u re .
vaincre, pour les stratèges de l’Otan, cette méthodologie fondée sur les théo- Pour faire simple, l’accès au centre de

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Phase 1 Phase 2 Phase 3 Phase 4 suffit pas que les masses


Réflexions

soient présentes sur le centre


Ligne de gravité ou sur le point
d'opérations d é c i s i f , e n c o re f a u t - i l
Centre
de gravité « qu’elles y soient mises en
action avec énergie et
Ligne ensemble, de manière à pro-
d'opérations
duire un effort simultané »,
encore faut-il « combiner
: point décisif
l’emploi simultané de sa plus
grande masse sur le point le
plus important ». Mais si l’an-
cien chef d’état-major de
Centre de gravité opératif
Ney, inspirateur de la straté-
gie américaine depuis la créa-
Exemple d’enchaînement de points décisifs tion de West-Point, a discerné
la nécessité de la manœuvre
Au cours de la guerre du Golfe, l’objectif politique était de restaurer la souveraineté du Koweit. sur le point décisif, il ne l’a
L’objectif stratégique était pour cela de le libérer des troupes d’invasion. Le centre de gravité straté- jamais méthodiquement étu-
gique consistait à réduire la capacité d’action des responsables irakiens et, pour cela, à neutraliser la
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diée, ni en stratégie, ni en
garde républicaine, considérée comme le centre de gravité opératif. Il fallut passer, là encore, par une
« grande tactique ».
chaîne de points décisifs.

Supériorité Aussi, cette notion d’effet


Base opérationnelle majeur n’apparaissant de
aéromaritime pour
des pays Constitution
d'une coalition acheminement
de la coalition des forces manière explicite ni chez le «
devin de Napoléon », ni
chez Clausewitz, est-elle élu-
dée dans la démarche ota-
nienne. Au regard de l’école
française, c’est une lacune
Contrôle des zones Conquête de la Conquête d'une ligne importante pour la réussite et
portuaires supériorité aérienne de déboucher
et aéroportuaires sur le théâtre en territoire irakien l’unicité de la manœuvre et la
subsidiarité dans l’action. En
effet, pour monter une opéra-
tion selon les canons de la
méthode française, il ne suf-
fit pas de définir le « quoi ? »
Isolement de la mais aussi le « comment ? »
Garde (géographie, GARDE
commandement) REPUBLICAINE et toute unité subordonnée
devra trouver le but à
atteindre de son niveau dans
gravité ou au point décisif sera toujours nés à partir de la méthode française l’idée de manœuvre du chef et très pré-
la conséquence d’une manœuvre, donc sont donc toujours de l’ordre du calcul, cisément dans son effet majeur. Ce but
de la recherche de la domination de du déséquilibre, de la déviation, du à atteindre figurera dans le chapeau de
l’adversaire par la combinaison des tacle, l’accès à l’objectif passant tou- sa propre idée de manœuvre, dont l’effet
feux, des masses et de la vitesse. Mais jours par une action intermédiaire mais majeur constituera le but à atteindre de
cette manœuvre ne sera jamais directe déterminante sur l’ennemi. Cette son propre subordonné. Par ce système
et frontale, elle s’appuiera plutôt sur le démarche « indirecte », proche de la en cascade, l’unicité de la manœuvre est
principe du levier et de son effet ampli- conception de la manœuvre selon totalement observée et la subsidiarité
ficateur d’énergie dû à la longueur de Liddell Hart, est un préalable au succès est possible, puisque le subordonné le
son bras et au point d’application choi- de l’opération par la « dislocation phy- plus éloigné dans la hiérarchie saura
si. « Donnez-moi un point d’application sique et psychologique de l’ennemi » que son but à atteindre est en filiation
et je soulèverai le monde… » disait qu’elle produit. Comme l’écrit Jomini directe avec la logique manœuvrière du
Archimède. Les modes d’action raison- dans le Précis de l’art de la guerre, il ne chef suprême.

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Conserver notre sens de la Bien sûr la méthode hyper-cartésienne Nous pensons que c’est la logique de la
Réflexions

manœuvre de planification des opérations de multiplication d’efficacité qui doit pré-


Ainsi, au bilan, doit-on constater que la l’Otan, imposée par les récents engage- valoir au détriment de la logique de la
logique française n’est pas totalement ments pour raisonner les guerres en coa- sommation des forces. Cette différence,
soluble dans la logique otanienne. lition, est une avancée technico-opéra- qui vient d’une culture opérationnelle
A l’instar des stratèges de l’Otan, l’éco- tionnelle fondamentale. Mais s’il est nationale post-jominienne, devrait
le française s’appuie sur la notion de incontestable que ces engagements exi- contribuer non pas à nous restituer
rapport de forces. Mais pour prendre gent une méthode de planification notre suprématie dans la science mili-
l’ascendant sur l’adversaire, elle privilé- interopérable pour que les états taire, ce qui serait une piteuse vanité,
gie la logique indirecte, principe de l’ef- majors alliés travaillent avec effica- mais tout simplement à donner de la
fet majeur, au détriment de la logique cité et cohérence, pour les opération- valeur ajoutée à la conception et à la
de la force et de la masse, approche nels français il ne faut pas que la métho- conduite des opérations dans les cadres
directe que l’on peut appeler principe de dominante soit inhibitrice en termes otanien et européen.
du point culminant. de création manœuvrière. Car si nos fai-
blesses budgétaires et technologiques
Chez le concepteur français le rapport
nous vassalisent en nous poussant à
de forces est une notion qui ressortit
l’intégration dans l’organisation améri-
plus à la mécanique qu’à l’arithmétique.
caine et en nous imposant sa procédure
C’est donc une application du principe
opérationnelle, donc en nous mettant
de l’effet de levier et non pas du fléau de
Libres

de facto sous « tutelle stratégique »,


la balance. Son originalité est de mettre
nous devons conserver dans la méthode
de l’intelligence dans la physique de la
globale de raisonnement des opérations
confrontation des violences. En adepte
militaires, notre procédé original de
de la formule attribuée à Horace « la
concevoir les opérations en raison
force sans l’intelligence s’effondre sous
même de notre déficit capacitaire.
sa propre masse ! »

Lignes d'opérations pour une planification


Exemple des opérations menées en Europe de 1941 à 1945

Action directe
Progression par le
Nord (Hollande)
Base Lignes de Base avancée Supériorité Débarquement
opérationnelle communication en Grande - aérienne en Normandie
aux USA en Atlantique Bretagne sur la Manche de niveau stratégique
Progression par le
Centre (Lorraine)

Débarquement
Action indirecte en Italie

Base Lignes de Supériorité Débarquement


communication Centre
opérationnelle aérienne en en Afrique du Débarquement Jonction avec de gravité
aux USA en Méditerranée Méditerranée Nord en Provence l'action directe (Berlin)

Débarquement
dans les Balkans
Action sur le moral (domaine immatériel)

Attentats
Emissions Tracts et Résistance
radio presse armée
Neutralisation
de dirigeants

Bombardements
de l'infrastructure
Bombardements Affaiblissement de la
stratégiques volonté de résistance
Bombardements
des populations

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