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Résumé
REB 31 1973Francep. 243-266
D. Stiernon, La vie et l'œuvre de S. Joseph VHymnographe. A propos d'une publication récente. — L'ouvrage d'Eutychios
Tômadakès, surtout en ce qui concerne la biographie de Joseph l'Hymnographe, est à réviser sur plusieurs points ; la Vie écrite
par Théophane a été sous-estimée par rapport à l'œuvre postérieure du diacre Jean. D'où plusieurs corrections de date et des
identifications plus justes de plusieurs personnages.
Stiernon Daniel. La vie et l'œuvre de S. Joseph l'Hymnographe. A propos d'une publication récente. In: Revue des études
byzantines, tome 31, 1973. pp. 243-266.
doi : 10.3406/rebyz.1973.1468
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1973_num_31_1_1468
LA VIE ET L'ŒUVRE
DE S. JOSEPH L'HYMNOGRAPHE
A propos d'une publication récente*
Daniel STIERNON
tos et de Vasiliev, la situation civile et religieuse à Byzance au VIIIe siècle (p. 21-23)
et dans la première moitié du IXe (p. 24-26).
IL La vie de Joseph est analysée en sept chapitres (p. 29-73) d'après les biogra
phies de Théophane et de Jean Diacre et suivant la chronologie établie par le
P. Van de Vorst, sauf en ce qui concerne l'année où Joseph dut quitter la Sicile
(831 au lieu de 827) et plus précisément la ville de Palerme, que E. Tômadakès
revendique comme patrie du futur hymnographe, de préférence à Syracuse com
munément admise depuis Pédiasimos (BHG 947). Cette hypothèse sur le lieu de
naissance de Joseph (p. 31-41) est présentée comme un des apports majeurs de la
dissertation (p. 7-8).
III. L'œuvre hymnographique (p. 77-94). C'est ici que E. Tômadakès situe
l'autre contribution essentielle de son travail. Surtout il y expose les critères
permettant de distinguer les compositions de Joseph l'Hymnographe de celles de
son homonyme stoudite, Joseph, archevêque de Thessalonique, tous deux artisans
de la réforme hymnographico-liturgique au IXe siècle. En somme, on attribue à
l'Hymnographe la plupart des canons consacrés à des saints (et de ce fait contenus
généralement dans les Menées) et tous les canons de la Paraklètikè, dont l'acros
tiche(un trimétron iambikon ou dodécasyllabe byzantin) forme les premières
lettres de tous les tropaires du canon avec, à la fin, le nom Iôsèph (initiales des
tropaires de la 9e ode). Ne sont pas de lui les canons qui portent l'acrostiche
του 'Ιωσήφ dans les théotokia. Appartiennent à Joseph Stoudite, qui a composé
peu de canons complets, les canons contenus dans le Triôdion et le Pentèkostarion
et qui ont seulement à la 9e ode le nom acrostiche de Joseph. Dans un appendice
de cette partie (p. 95-96), l'auteur présente comme œuvres authentiques de Joseph
deux panégyriques de saint Barthélémy.
IV. Joseph a été célébré 1) par les hymnographes (p. 99-102), en particulier
par Jean Euchaïtès dont Tômadakès édite deux canons, l'un d'après le Palatin,
gr. 138 (p. 242-254), l'autre, qu'une erreur de copiste a fait attribuer à Jean Da
mascene, d'après le même manuscrit et le Coislin. gr. 192 (p. 255-272) ; 2) par
l'hagiographie, entendez essentiellement par l'iconographie, d'ailleurs pauvrement
représentée et relativement récente (p. 103-104).
V. Le catalogue de l'œuvre hymnographique de Joseph (p. 107-225) constitue
le plat de résistance. Au total : dans les Menées, 385 canons et 9 kontakia ; dans
la Paraklètikè, 68 canons ; dans le Triôdion, 6 canons et 34 triodes-tétraodes ;
dans le Pentèkostarion, 2 canons et 24 triodes-tétraodes ; plus une demi-douzaine
d'autres canons et 13 stichères non compris dans les livres liturgiques. Pour
chacune de ces pièces disposées suivant l'ordre qu'elles occupent dans ces livres,
l'auteur donne l'indication du jour liturgique, l'acrostiche, le ton (ou mode) et
l'incipit de la première ode ; si le texte est inédit, le ou les manuscrits qui les
contiennent et éventuellement un renvoi au répertoire d'Eustratiadès ; si le texte
est publié, l'édition est indiquée en note.
Les inédits sont marqués d'un astérisque. La plupart se trouvent dans des
manuscrits de l'Athos, du Vatican et de Grottaferrata. L'édition en cours, à
LA VIE ET L'ŒUVRE DE S. JOSEPH L'HYMNOGRAPHE 245
Les sources
L'auteur n'apporte pas d'éléments nouveaux2 au sujet de l'higoumène Théo
phane et du diacre Jean, les biographes de notre Joseph (outre le plus récent,
Théodore Pediasimos auquel il accorde une certaine attention tout en soulignant
sa fantaisie poétique). Il y avait lieu cependant d'examiner de plus près certains
points intéressants.
1. Théophane. A propos de la date à laquelle ce successeur de Joseph au poste
d'higoumène aurait composé la Vie, Tômadakès se contente d'écrire : « environ
douze ans après la mort du poète, comme l'a montré Ο (= Germaine !) da Costa-
Louillet » (p. 29). Mais sur quoi repose la démonstration de cette dame ? Elle
1. Parmi les travaux antérieurs qui méritent une mention, citons l'étude de V. I. Pan-
durski, Prep. Josif Pesnopisec, dans GodiSnik na Duchovnata Akademija Sv. Kliment
Ochridski 8 (34), 1958-1959, p. 271-313. Nous n'avons pas vu l'article de A.J. PHYTRAKès
(sur Joseph Hymnographe et le Stouditès), dans Επιστημονική ΈπετηρΙς της Θεολο
γικής Σχολής 17, Athènes 1970, p. 1-27 ; voir le compte rendu de P. Chrèstou, dans
Κληρονομιά 3, 1971, p. 404-405.
2. L'auteur renvoie le plus souvent à Da Costa-Louillet (dont il ignore l'identité
et à laquelle il accorde beaucoup de confiance) et au mémoire peu original de M. E.
Colonna, Biografie di Giuseppe Innografo, dans Annali délia Facoltà diLettere e Filosofia
deir UniversitàdiNapoliX 1953, p. 105-112.
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Repères chronologiques
Pour ce qui est de la chronologie de la vie de Joseph, E. Tômadakès n'a pas
cru opportun d'ébranler celle établie il y a plus de cinquante ans par un bollandiste
bien au courant des VIIIe et IXe siècles byzantins, le P. Van de Vorst, C'est à ce
spécialiste que l'on doit l'établissement, à partir des données de Théophane,
de la date la plus probable de la mort de l'Hymnographe (3 avril 886), date qui
commande celle de la naissance (816) et celle de l'entrée au monastère de Thessa-
lonique (831). Mais un esprit vraiment critique peut-il accepter sans plus l'année
816 proposée pour la venue au monde de Joseph ? Germaine Da Costa-Louillet
a bien soupçonné un cliché hagiographique dans la mort de Joseph à l'âge parfait
de 70 ans. Mais en raison de l'exactitude chronologique de tout le récit de Théo
phane, elle n'a pas cru cette donnée suspecte22. Or il est remarquable que Théo
phane ne parle pas de l'âge de son héros, lorsqu'il fournit les coordonnées per
mettant de fixer le jour du décès de celui-ci. Il cite un nombre biblique au para
graphe suivant, dans l'évocation de l'universel regret provoqué par la disparition
d'un homme qui « a émigré vers le Seigneur dans sa vieillesse et à un âge véné
rable, cette limite de la vie que le grand David chante dans ses psaumes : (le temps
de) nos années font soixante-dix ans »23. Il s'agit bien d'un lieu commun hagio
graphique, compte tenu surtout du contexte. Par ailleurs, nous verrons que l'exac
titude chronologique de Théophane est toute relative, car sur deux points au
moins les biographes modernes de Joseph sont obligés de la redresser.
Bref, Théophane nous autorise uniquement à admettre que Joseph était, en
gros, septuagénaire lorsqu'il rendit le dernier soupir. Par conséquent sa date
de naissance reste flottante. Rien ne s'oppose à la situer vaguement entre 812 et
818, une fois admise évidemment comme quasi certaine l'année de sa mort en
886 (et celle-ci également, nous le dirons bientôt, peut être remise en question).
Pour Tômadakès ce flottement est impossible. Sa chronologie exige nécessairement
que Joseph ait vu le jour au plus tôt en 816. Ceci en raison de la date tardive
(831) par rapport à celle communément reçue (827) qu'il assigne à l'expatriation
de Joseph et de sa famille. Car, d'une part il doit tenir compte du fait que Joseph
embrassa la vie monastique à l'âge de 1 5 ans, en dehors de sa patrie, plus précis
émentà Thessalonique24. Il veut d'autre part que le jeune homme n'ait quitté la
Sicile que l'année de la prise de Palerme par les Arabes (831). Le voilà donc lié
à l'année 816.
Notre auteur ne manque pas d'habileté pour administrer la preuve que le futur
hymnographe est né, non à Syracuse, mais à Palerme. La démonstration part des
deux données génériques fournies par Théophane : naissance et bonne éducation
quelque part en Sicile, fuite lors de l'invasion arabe. Syracuse est exclue : elle
ne tomba aux mains des Sarrasins qu'en 878. Tômadakès élimine aussi toute cité
de seconde zone où Joseph n'aurait pas pu recevoir l'enviable instruction que
ses biographes lui attribuent. Reste Palerme dont la prise en 831 a été racontée
par le chroniqueur napolitain Jean Diacre et par l'historien arabe Ibn-al-Ata,
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25. Tômadakès (p. 45, n. 5) attribue l'hypothèse du départ de Sicile vers 828 à Da
Cosla-Louillet, pour qui cette date concerne le transfert à Thessalonique. Après avoir
admis 816 comme année de naissance de Joseph, Da Costa-Louillet (p. 817) reprend
la date de 813 fixée par Papebroch et date la fuite de Sicile des années 819-820, selon la
chronologie relative à l'invasion sarrasine établie par Loparev, p. 2.
26. Vie : Papadopoulos-K., p. 32.
27. Il est surprenant que Tômadakès (p. 46, n. 1) ne connaisse rien de plus récent que
Tafrali et Eustratiadès concernant le monastère thessalonicien.
28. V. Grumel (article cité, n. 21), p. 167, n. 4 ; notre confrère n'a pas repris ce sujet
sur lequel il promettait de s'expliquer.
29. La date de la mort placée en 878 soulèverait une difficulté du fait que Joseph
collabora pendant un certain temps avec Photius après la mort d'Ignace (23 octobre
877) ; d'autre part il composa des kontakia en l'honneur de ce dernier el des saints Nazaire,
Gervais et Protais, datés respectivement du 23 octobre 878 et du 15 octobre 880, selon
Mioni, p. 94-95, 97.
LA VIE ET L'ŒUVRE DE S. JOSEPH L'HYMNOGRAPHE 251
canonique. Sans doute, il y a des précédents que rappelle Tômadakès. Mais ici
le silence des biographes touchant une ordination précoce donne à réfléchir.
Notre auteur pense que Jean Diacre suggère une dispense d'âge en notant que
l'appel à l'ordination émana de toute la communauté de Latomos et de l'évêque
de Thessalonique (p. 47). En outre, on peut se demander (ce que ne fait pas Tômad
akès) ce que signifie cette phrase de Jean : « II (Joseph) ne dérobe pas au temps
la dignité qui rapproche de Dieu »30, qui fait suite à deux autres où il est dit que le
saint ne brigua pas le sacerdoce et précède celle où il est question de l'insistance
de la fraternité et de l'évêque. S'agit-il d'une allusion à l'anticipation du temps
canonique (à interpréter à double sens), ou tout simplement à l'idée très haute
que Joseph se faisait d'une dignité toute céleste qu'il ne voulait pas ravir au temps
présent ? Je croirais volontiers que le diacre Jean reste étranger à ce problème des
30 ans. Car il a tout mis en œuvre pour brouiller les pistes. Délibérément il a
supprimé les trois points de repère essentiels de Théophane : entrée au monastère
à 15 ans, retraite de 5 ans à Saint-Jean-Chrysostome, mort à l'âge idéal de 70 ans.
On ne voit pas pourquoi il aurait insinué ici une dispense, alors que rien dans son
récit ne permet de soupçonner une irrégularité quelconque.
Puisqu'il date l'ordination de Joseph vers 840, Tômadakès aurait pu avancer
le nom de Léon le Mathématicien comme archevêque de Thessalonique. Le transf
ertà Constantinople en 840, le séjour d'environ un an dans la capitale avant
l'envoi à Rome (841) sont fixés par conjecture selon le curriculum vitae établi
par Van de Vorst. Tômadakès ajoute un détail inattendu : pendant ces premiers
mois de vie byzantine Joseph se serait livré à une occupation bien monastique :
le métier de copiste (p. 49). A l'appui de cette affirmation, notre auteur renvoie à
la notice que le professeur P. Chrèstou a consacrée à Joseph l'Hymnographe dans
l'encyclopédie religieuse hellénique31. On y lit en effet que la famille de Joseph s'en
fuit au Péloponnèse et plus tard à Constantinople (!) où Joseph fit œuvre de calli-
graphe. Puis Chrèstou passe à l'ambassade de 841. Ainsi on survole allègrement
des faits majeurs (entrée au monastère, séjour assez long à Thessalonique) pour
évoquer une activité de copiste dont les sources ne soufflent mot, du moins à
l'époque du premier séjour du jeune hiéromoine à Constantinople.
A propos de ces porteurs de suppliques32 qui abordèrent à Constantinople
Grégoire le Décapolite et l'engagèrent à envoyer à Rome son jeune disciple
Joseph, il aurait été intéressant de rechercher si le sicilien Méthode, ancien émiss
aire à Rome de l'iconodulie byzantine, et modérateur, à partir de 838, de la
politique religieuse de Théophile n'aurait pas été à l'origine de l'ambassade de
841 confiée à Joseph33. La capture par les Arabes au cours de la navigation vers
Rome est dûment mentionnée par Tômadakès. Comme Van de Vorst, il limite
à environ un an (fin 841 -fin 842) la captivité de Joseph en Crète. Ici également une
fois adoptée la chronologie susdite, on n'a pas le loisir de prolonger le temps
d'internement au sujet duquel les sources ne précisent rien34.
Un certain désaccord existe entre les historiens au sujet de la date de retour à
Constantinople35. Théophane présente l'événement d'une manière ambiguë36.
Sans s'occuper des divergences qui divisent les auteurs modernes, Tômadakès
ne doute pas que le prisonnier, libéré après le 28 janvier 842, soit rentré dans la
capitale en février 843, à la veille de la fête de l'orthodoxie (11 mars 843), (p.
51-52, 55)37.
A la suite de Van de Vorst, Tômadakès ne prolonge pas au-delà de 845 le
second séjour de Joseph à Saint-Antipas (p. 55). Or Théophane parle de χρόνοι
συχνοί38. Le P. Van de Vorst a bien compris qu'il s'agit de plusieurs années39,
en tenant compte peut-être de la date limite avancée par le P. Vailhé40. Il y a
également le souci chez ces historiens d'accorder à Joseph quelques loisirs hymno-
graphiques entre la fondation de son monastère et son exil à Cherson (858),
après la déposition du patriarche Ignace. Il me semble plus conforme au texte de
Théophane d'étendre au-delà de deux années (843-845) cette longue période de la
vie du saint et de proposer la chronologie suivante : 843-850 : claustration à Saint-
34. Notons un détail : pendant sa captivité Cretoise, Théophane aurait ramené à la saine
doctrine un évêque iconomaque, son compagnon de captivité (Vie, 6 : Papadopoulos-K.,
p. 619~22). Influencé peut-être par Da Costa-Louillet (p. 820) qui juge invraisemblable
cette conversion, Tômadakès (p. 51) parle d'un évêque sur le point d'apostasier la religion
chrétienne.
35. La date est fixée avant la fête de l'Orthodoxie : Vailhé, p. 169 ; Mioni, p. 88. Au
lendemain du 11 mars 843 : Van de Vorst, p. 151 ; vers 844 (trop tardif) par Da Costa-
Louillet, p. 821. Fr. Dvornik (La vie de saint Grégoire le Décapolite, Paris 1926, p. 26)
avait bien compris que Joseph était rentré à Constantinople pour la fête de l'Orthodoxie ;
cependant il a déclaré ensuite que Joseph revint dans la capitale seulement sous le patriar
cat d'Ignace : Fr. Dvornik, Le Schisme de Photius. Histoire et Légende, Paris 1950, p.
331. Avec raison, Tômadakès (p. 55) relève l'erreur.
36. Vie 8 : Papadopoulos-K., p. 7 ; ce paragraphe de la Vie mentionne la mort de
Théophile, la restauration des Images, la participation de Joseph à la joie commune au
retour de captivité et le décès récent de Grégoire le Décapolite.
37. Ailleurs (p. 25), Tômadakès dit aussi qu'un concile œcuménique proclama ce
jour-là la restauration des Images.
38. Vie, 9 : Papadopoulos-K., p. 728 ; cf. PG 105, 961e : χρόνον συχνόν.
39. Van de Vorst, p. 152, n. 1.
40. Vailhé, p. 169. Dans un autre article, le même auteur estime que μετά χρόνους
συχνούς nous reporte certainement au-delà de l'année 845 : S. Vailhé, Saint Jean le
Paléolaurite, ROC 9, 1904, p. 496. Tômadakès néglige l'évaluation chronologique en
disant que Joseph demeura à Saint-Antipas επί ολίγα ϊτη (p. 55, η. 3).
LA VIE ET L'ŒUVRE DE S. JOSEPH L'HYMNOGRAPHE 253
Antipas avec Jean ; 850 : mort de Jean41 ; enfin (μετά χρόνους συχνούς), 850-
855 : séjour près du σηκος de saint Jean Chrystome ; 855 : fondation du monast
ère.
C'est encore dans le sillage du docte bollandiste que Tômadakès étend la durée
de l'exil de Joseph à Cherson tout au long du premier patriarcat de Photius
(858-867), soit neuf années. Or ici Théophane indique un laps de temps relativ
ement plus court que celui de la claustration antérieure42. Que devient dans ce cas
l'exactitude historique de Théophane ? Certes, ce premier biographe est incontes
tablement mieux informé que son tardif et mauvais imitateur Jean Diacre. Mais
pourquoi prendre d'une part à la lettre les 70 ans des funérailles et d'autre part
avec restriction les données, imprécises sans doute, mais assez significatives, qui
se rapportent à Saint-Antipas et à Cherson ? On répliquera probablement que la
mémoire de Théophane était meilleure quant au total des années atteintes par son
maître que sur le chapitre, plus lointain, de l'exil. Toutefois, il faut rappeler que,
de son propre aveu, il s'est trouvé dès son enfance et pendant longtemps aux côtés
de Joseph. Dès lors on comprend mal qu'il ait estimé à quelques années une longue
absence de près de dix ans. Par conséquent, si Théophane mérite quelque crédit,
il faut croire que Joseph, s'il fut exilé dès la déposition d'Ignace (début de 859),
a dû revenir assez vite à Constantinople (je n'insisterai pas sur l'argument qu'on
pourrait tirer en faveur de cette hypothèse du peu d'empressement manifesté
par l'exilé face aux mesures de rappel43) ou — chose plus probable — , s'il fut
relégué à l'autre bout de la Mer Noire seulement plus tard, cela se passa peu de
temps avant le 21 avril 866, date de l'assassinat de Bardas44. Le champ reste
ouvert aux hypothèses pour expliquer ce qui, dans le contexte de la controverse
photienne, a amené l'autorité impériale à agir ainsi envers notre hymnographe.
Il importait dans cette biographie de poser la question et de proposer une solution.
Une grande part d'incertitude subsiste donc dans la chronologie de Joseph
l'Hymnographe. Ceci ne ressort pas assez de l'exposé du jeune byzantiniste
athénien.
41. Date conjecturée d'après la seule Vie par Jean Diacre dans AS, Apr. JI (3 e éd.),
p. 580. Le déménagement de Joseph, de Saint-Antipas à Saint-Jean-Chrysostome, a
peut-être quelque rapport avec la crise ouverte en juillet 847, dès l'élecvion d'Ignace
contestée par le syracusain Grégoire Asbestas. Le biographe Théophane, qui ne parle pas
non plus du patriarche Méthode, ne détermine ce déménagement qu'en relation avec
la mort de Jean l'ascète, introduite du reste très discrètement.
42. Vie, 12 (Papadopoulos-K., p. ΙΟ19) : μετά τινας χρόνους.
43. Il convient de se méfier de Jean Diacre qui fournit ce détail : PG 105, 968B.
44. L'auteur de la Vie (12 : Papadopoulos-K., p. 1013~15) dit que Joseph fut exilé à
cause des scandales suscités dans l'Eglise par Bardas. Un rappel d'exil du temps même de
Michel III et de Bardas (ou de Basile co-régent après l'élimination de Bardas) pourrait être
suggéré par la phrase peu éloignée (p. 1020~21) où il est dit que le pouvoir impérial recon
nut son erreur quelques années plus tard.
254 D. STIERNON
45. Fr. Dvornik, La vie de saint Grégoire le Décapolite, Paris 1926, p. 19.
46. Wanda Wolska-Conus, De quibusdam Ignatiis, dans TM 4, 1971, p. 329-360 ;
voir surtout p. 340-342, 359.
47. Fr. Dvornik, La vie, p. 18.
48. Vies des Saints et des Bienheureux xi (novembre), Paris 1954, p. 685 ; cette notice
relie les données des deux biographes Théophane et Jean Diacre mais de façon malad
roite. Théophane exclut un voyage combiné de Grégoire et de Joseph à l'ancienne Rome.
49. D. G. Lancia di Brolo, Storia délia Chiesa in Sicilia nei primi died secoli del
christianesimo, II, Palerme 1884, p. 294 ; Mioni, p. 95.
LA VIE ET L'ŒUVRE DE S. JOSEPH L'HYMNOGRAPHE 255
aurait rencontré Grégoire dès son enfance sicilienne, opinion que l'hypothèse
de l'origine panormitaine de Joseph rend encore plus improbable. Arrêtons-nous
à un point commun : le voyage de Grégoire de Thessalonique à Constantinople50.
Théophane permet de dater ce voyage au plus tard de 841. Par ailleurs il donnerait
à penser que le Décapolite est demeuré à Byzance jusqu'à sa mort. Cependant le
biographe Ignace nous apprend que Grégoire s'est rendu de Constantinople au
Mont-Olympe et est ensuite rentré à Thessalonique51. Ce retour se place évidem
ment pendant que Joseph était retenu captif en Crète. C'est donc de là que Grégoire
informé du malheur survenu à son disciple, se sera soucié de venir à son secours
en rassemblant la somme nécessaire à son rachat52. Une fois libéré et au courant
du repli de Grégoire en Macédoine, Joseph s'est dirigé tout d'abord vers Thessa
lonique, croyant y retrouver son maître. Tômadakès ne tient pas compte de cette
circonstance suggérée par la vie de Grégoire. Cependant, sur la route de Crète
à Constantinople, il impose à son héros un détour par la Thessalie. Ce circuit
inattendu lui est inspiré, non par le souci de réunir Grégoire et Joseph à Thessa
lonique même, mais à cause d'une histoire de reliques dont nous reparlerons.
Revenons à la biographie d'Ignace. Elle nous apprend que le Décapolite n'a quitté
définitivement Thessalonique pour la capitale où l'appelait son oncle Siméon
(emprisonné par les iconoclastes) que vers le début de novembre 842, puisqu'il
arriva à Byzance, après une rapide navigation, le 8 de ce mois, douze jours avant
sa propre mort (20 novembre)53. Par conséquent, si vraiment Joseph est passé
par Thessalonique avant de revenir à Constantinople, c'est seulement après le
départ de Grégoire, dans le courant de novembre. A son arrivée en Macédoine,
il aura appris la nouvelle du récent départ de Grégoire pour la capitale où, malgré
sa diligence, il parvint, au dire de Théophane, après la mort de son maître. Cette
reconstitution des événements nous permet de situer le retour de Joseph sur le
Bosphore avant même la fête de l'orthodoxie.
de calligraphie, Joseph bâtit un monastère bien à lui, plus spacieux et plus confort
able.Ce phrontistèrion aurait été formé primitivement des pièces indispensables
pour l'installation de l'atelier de copistes et pour le logement de ses disciples.
Ensuite, vers 851, Jean y transféra et y ensevelit les reliques de Grégoire le Déca-
polite et de Jean... et bâtit l'église qu'il consacra à la mémoire de l'apôtre Barthé
lémyet de son maître Grégoire, transformant ainsi l'endroit en un monastère
dont lui-même assura l'higouménat (p. 56).
Voyons maintenant ce que disent les sources. Après avoir évoqué la mort de
Jean, Théophane écrit : « Déjà les moines affluaient en plus grand nombre vers
le vénérable et très saint Joseph, à cause de sa très belle et vertueuse manière de
vivre. Mais comme ils ne pouvaient fréquenter l'endroit, Joseph érigea en ce lieu
alors désert notre école de vertu54. »
De son côté, le diacre Jean présente ainsi cette tranche de vie de son héros :
« Beaucoup accouraient à lui (Joseph) pour être gouvernés et dirigés par lui avec
art τεχνικώς et pour écouter sa voix douce comme le miel. Mais l'endroit était
beaucoup trop exigu. C'est pourquoi, près de ce lieu alors tout à fait désert, il
construisit un monastère où il établit ses nombreux disciples55. »
Manifestement, comme dans l'ensemble de son panégyrique, Jean Diacre ne
possède aucun renseignement nouveau touchant la nouvelle entreprise de Joseph.
Il se contente de modifier, ici également sans trop de bonheur, le texte de Théo
phane. Rien dans le récit de ce dernier ne laisse soupçonner la fondation en deux
temps imaginée par Tômadakès. Ce sont bien des moines ou du moins dès candi
datsà la vie monastique μονάζοντες, qui se réunissent près de Joseph, attirés
par sa vertu. Pour eux, il fonde un véritable monastère, qui fut celui du biographe
Théophane56, mais auquel n'appartint pas le diacre Jean. Ce dernier, qui exagère
sans doute en parlant des nombreux moines, reste dans la note juste en attribuant
à l 'exiguïté des lieux l'impossibilité pour les disciples de Joseph de se réunir sous
sa houlette. Ce sont sans doute des termes comme φροντιστήριον, μαθητού
et l'emploi de l'adverbe τεχνικώς, dont nous avons parlé, qui trompent Tômad
akès et le conduisent à émettre l'hypothèse aventureuse d'une fondation préalable
d'école de copistes. Car, d'après le contexte, cet adverbe n'a pas le sens technique
que lui prête notre auteur en référence à l'art de la calligraphie et de la poésie
ecclésiastique. Il désigne tout simplement l'habileté avec laquelle Joseph dirigeait
ses novices.
Préoccupé sans doute de concéder quelque chose à ses doctes devanciers grecs
dont il récuse l'hypothèse du caractère sicilien de la fondation joséphite, Tômada-
kès a donc commis la double erreur de traiter Jean Diacre comme une source
indépendante et, par une interprétation abusive de ce texte, d'y découvrir une
étape inédite de l'institution communautaire inaugurée par l'Hymnographe,
antérieure à l'œuvre dont parle Théophane. Or, celui-ci, seul témoin valable,
est clair : c'est bien un monastère que Joseph a fondé, dès le lendemain de la mort
de Jean, son compagnon d'ascétisme.
Ceci n'exclut pas l'hypothèse d'un atelier de copistes et d'un conservatoire de
musique sacrée incorporés plus tard à la fondation de Joseph. La formation
codicologique du jeune moine thessalonicien57, son activité ultérieure dans la
capitale rendent moins gratuite une telle conjecture, bien qu'il soit difficile de
déduire du texte que cite Tômadakès (p. 59) que les productions hymnographiques
de Joseph aient été copiées de son vivant dans l'atelier de son monastère58. Du reste,
si le diacre Jean et mieux encore Théophane avaient vraiment voulu faire connaître
l'orientation première de la collectivité dirigée par l'Hymnographe, on ne voit
pas pourquoi ils auraient été moins explicites que les biographes de Théodore
Stoudite à l'égard du Stoudios59, bien connus sans doute des sources joséphites.
57. Encore, ce n'est pas Jean Diacre, mais Théophane qui insinue cette activité en
rappelant que Joseph, à Thessalonique, transcrivait la sainte Ecriture (Vie, 3 : Papado-
poulos-K., p. 44) ; ce qui a été transposé dans Syn. CP (Delehaye, 58138) : έργόχειρος
καλλιγραφία.
58. Vie, 9 : Papadopoulos-K., p. δ"-2«.
59. PG 99, 273e (Vie de Théodore, par Michel).
258 D. STIERNON
60. Vie, 9 : Papadopoulos-K., p. 88~13 ; nous relevons l'expression πάλαι τοις Θεττα-
λικοΐς ένδιατρίβων όρίοις, qui indique le séjour de Joseph à Thessalonique.
61. Loparev, p. 4.
62. Vie, 3 : Papadopoulos-K., p. 310 ; un grec devrait être averti de la fréquence de
l'expression.
63. Syn. CP : Delehaye, 58214 ; PG 105, 932^. Mais la suppression de πάλαι dans ces
résumés peut faire croire que Joseph reçut ces reliques à son passage à Thessalonique,
au retour de captivhé (842) ; ce bref séjour hypothétique ne peut être signifié par ένδιατρί
βων dans Théophane (voir note 60).
64. PG 105, 964^ : suppression de Grégoire comme co-titulaire de l'église ; Syn. CP
(Delehaye, 58224) : André au lieu de Barthélémy, dans le Synaxaire Sirmondianus.
LA VIE ET L'ŒUVRE DE S. JOSEPH L'HYMNOGRAPHE 259
synaxaristes qui ont modifié légèrement la formule65. C'est pour avoir mal saisi
cette dernière que Ducange devait hésiter à situer l'église Saint-Barthélémy dans
la capitale byzantine66. Il est responsable de l'erreur commise par plusieurs byzan-
tinistes modernes, dont Mme Da Costa-Louillet67 et le P. Janin68, qui placent
cette église à Thessalonique ou en Thessalie.
La conclusion certaine du témoignage de Théophane, par lequel doivent s'in
terpréter les lieux parallèles69, est que Joseph, avec le concours de ses moines,
édifia l'église monastique dédiée conjointement à l'apôtre Barthélémy et à saint
Grégoire le Décapolite. De plus, il n'est pas interdit du supposer qu'un monastère
Grégoriou non identifié70 corresponde à cette fondation.
65. Syn. CP (Delehaye, 582s2 = synaxaire D : ναόν έπ' ονόματι τούτου (Βαρθο
λομαίου ) συνάμα τφ κλεινφ Γρηγορίφ έδείματο. Pour saisir le vrai sens il faut recourir
au texte de la Vie (Papadopoulos-K., p. 821) : ναόν τε τούτφ (Βαρθολομαίφ ) σύν τφ
κλεινφ Γρηγορίφ τη ιδία ποίμνη συνεδείματο ; le Synaxaire, isolé, laisserait croire que
Joseph a bâti l'église avec Grégoire, non pour Barthélémy et Grégoire associés.
66. Constantinopolis Christiana rv, 5, n° 8, Venise 1729, p. 76. Comprenant que Joseph
avait construit cette église avec Grégoire, Ducange ne pouvait guère situer l'entreprise
à Constantinople.
67. Da Costa-Louillet, p. 821. Celle-ci prête à Théophane une donnée inexacte
(construction de l'église en Thessalie) et à Loparev l'idée saugrenue que Joseph aurait
bâti l'église au Péloponnèse, avant l'âge de 15 ans. Loparev affirme clairement (p. 3)
que Joseph construisit l'église Saint-Barthélémy en Thessalie, puis il se réfère à Amari
(Storia dei Musulmani di Sicilia I, Catane, 1933, p. 645) qui suppose un voyage-éclair de
Joseph en Thessalie, après le retour de captivité à Constantinople, pour la fondation
d'un monastère Saint-Barthélémy.
68. R. Janin, Eglises et Monastères*, Paris 1969, p. 57.
69. On ne sait pourquoi les auteurs ont négligé l'interprétation juste de Van de Vorst,
p. 152.
70. R. Janin, op. cit., p. 81.
71. Titulature attestée dans le Paris, gr. 1219 (f. 1), un manuscrit du xie siècle d'origine
stoudite. Joseph est moine et skévophylax dans le Vatican, gr. 984 (palimpseste, ixe-xe s.),
ou bien humble et minime (Vatican, gr. 1667 et 655 : Xe et xvne s.). J'ignore où ces textes
sont attribués à Joseph hiérodiacre et skévophylax, comme le dit, après Krumbacher-
Ehrhard, H. G. Beck, Kirche, p. 505.
260 D. STIERNON
Jean l'ascète
Le problème se complique d'une analogie de surcroît. Car le disciple de Grégoire
le Décapolite et de Joseph l'Hymnographe s'appelait Jean également et a laissé
une réputation d'ascète. A son sujet nous en savons trop peu pour satisfaire notre
curiosité mais assez pour constater que chronologiquement les deux vies ne se
recoupent pas. Jean reclus de Saint-Antipas est mort vers 850 (au plus tôt en 845,
72. K. Kekelidzé, Etudes sur Vancienne littérature géorgienne (en géorgien) vra,
Tiflis 1955, p. 244-250 ; nous suivons ici l'article plus accessible du même auteur dans
Bedi Kartlisa. Revue de Kartvélologie 19-20 (48-49), 1965, p. 61-68.
LA VIE ET L'ŒUVRE DE S. JOSEPH L'HYMNOGRAPHE 261
selon les calculs de Van de Vorst), c'est-à-dire à une époque où l'autre Jean n'était
pas encore descendu de ses montagnes pour s'établir dans la capitale.
En outre, ne concordent pas les commémoraisons liturgiques des deux Jean.
La mémoire du disciple du Décapolite (et de notre Joseph) est inscrite au 19 ou
au 18 avril73. A la suite de Fr. Dvornik74, Tômadakès fait remarquer sans plus
que la seconde partie de la notice du synaxaire ne correspond pas aux enseignements
fournis par Théophane (p. 55, n. 4). Ces auteurs n'ont pas vu que cette notice
a été contaminée par celle de saint Jean le Paléolaurite75.
Quant au Jean qui mourut higoumène de Saint-Diomède, le titre de la Vie
donne la date du 26 mars76 tandis que, dans le récit lui-même, la mort du saint
est datée du 15 mars77. Au 26 mars, le P. Halkin a relevé dans un menée, la commé-
moraison d'un Jean, archevêque de Jérusalem qu'il identifie à bon droit avec
l'higoumène susdit78. Au 15 mars (éventuellement le 16 ou le 17) plusieurs syna-
xaires commémorent un saint Jean à Rouphinianes79, dont on n'a pas retrouvé de
notice. On a posé la question si ce personnage avait vécu avant ou après le VIe-
VIIe siècle (sac des Rouphinianes par les barbares)80. Discrètement Mlle E. Fol-
lieri81 rapproche ce Jean des Rouphinianes de Jean l'ascète commémoré au 15
mars précisément82. Reste à expliquer pourquoi l'higoumène de Saint-Diomède,
qui méritait bien d'être dénommé l'ascète, a été mis en relation avec un sanc
tuaire de la banlieue de Constantinople immortalisé par Rufus. Avec beaucoup
de circonspection je proposerais de chercher du côté de cette église dédiée aux
martyrs Serge et Bacchus dans ce quartier de la rive européenne du Bosphore83.
Le corps de Jean a peut-être été déposé aux Rouphinianes, à l'endroit où, plus
longuement qu'à Saint-Diomède, il aurait rempli la charge d'higoumène. Conjec-
ture émise à tout hasard. Comme aussi celle qui voudrait expliquer par la commé-
moraison d'un Jean l'ascète dans un hypothétique sanctuaire suburbain dédié aux
saints susdits, l'erreur commise par Jean Diacre, le deuxième biographe de Joseph,
quand il situe à Saints-Serge-et-Bacchus (au lieu de Saint-Antipas) la première et
courte résidence de Grégoire le Décapolite et de notre hymnographe84.
Quoi qu'il en soit, la mémoire de Jean l'ascète a laissé dans les livres liturgiques
byzantins d'autres traces que la simple inscription du nom, et précisément au
15 mars. Eustratiadès a relevé les stichères de l'hespèrinos85 contenus dans les
Paris, gr. 341 et 1575. D'après les deux stichères édités, on peut comprendre que
ce Jean l'ascète s'est crucifié au monde en vivant retiré dans les montagnes inac
cessibles où il s'est distingué comme berger. Il s'agit précisément du genre de vie
anachorétique et pastoral que, selon la Vie géorgienne écrite par Joseph skévo-
phylax, Jean aurait mené dans sa patrie avant de venir à Constantinople. Mais si
ce Jean est mort à une époque trop tardive pour avoir pu être chanté par Joseph
l'Hymnographe, il faudrait attribuer à cet autre Joseph le canon en l'honneur
de Jean l'ascète que M. Tômadakès met tout naturellement au compte de son
auteur (p. 149).
La littérature byzantine présente plusieurs cas d'homonymies posant de difficiles
problèmes d'attribution. Ici le dédoublement est porté à son comble, car il sup
pose l'existence, à une époque presque identique et à Constantinople, de deux
Joseph, dotés du même titre et des mêmes fonctions de skévophylax et d 'hymnog
raphe. L'unique moyen d'échapper à cette invraisemblance est de croire qu'en
parlant de longues années à propos de l'ascète et higoumène Jean, Joseph indique
en fait une période assez courte, tout aussi courte que les χρόνοι συχνοί passés
par Joseph et Jean (l'autre ascète) à Saint-Antipas, ce long temps que l'interpré
tation courante, depuis le P. Van de Vorst, n'a pas de peine à réduire à deux sim
ples années.
Ces énigmes historiques pourraient retenir plus longuement l'attention de E.
Tômadakès et éprouver sa sagacité.
87. Ibidem : p. 1022~25. Si le pluriel est à prendre au sens strict pour les empereurs,
la nomination ne serait pas antérieure à janvier 869, date à laquelle Basile associa au
trône son fils Constantin.
88. La Vita Hadriani insérée dans le Liber Pontificalis (Duchesne, II, Paris 1892, p. 180)
donne la date erronée du dimanche 15 septembre, reçue par Tômadakès (p. 71). Pour la
rectification, voir l'édition citée de Duchesne, p. 188, notes 32 et 35 ; Hefele-Leclercq,
Histoire des Conciles, iv, Paris 1911, p. 481, n. 3.
89. Grumel, Regestes, n° 451 : Théognoste reçoit un mandat de surveillance sur les
monastères stravropégiaques de plusieurs provinces, pendant le premier patriarcat
d'Ignace (847-858).
90. Date fixée d'après celle de la réponse du pape, signée le 10 novembre : Jaffé,
Regesta, n° 2943.
91. Mansi 16, 203e, 204£ ; lettres conservées seulement dans la version latine d'Anas-
tase Bibliothécaire : Grumel, Regestes, n° 504.
92. M. Jugie, La vie et les œuvres du moine Théognoste (ixe siècle) : Bessarione 34,
1918, p. 167 ; Idem, dans DTC 15, 338.
93. Liber Pontificalis : Duchesne, II, p. 18011.
264 D.
lacat94. Par ailleurs, il faut supposer qu'entre septembre 869 et l'été 871, Joseph
l'Hymnographe ne remplit plus cette charge. La récupéra-t-il après la mission de
Théognoste à la cour pontificale ? C'est vraisemblable, surtout si l'on considère
que l'abbé de la Source a très bien pu rester à Rome. Tômadakès est invité à
jeter un œil perspicace sur cette curieuse interférence.
Œuvre
Probablement le jeune talent de notre auteur répugne à s'empêtrer dans de telles
minuties biographiques. Pour lui l'essentiel est d'avoir dressé, au grand bénéfice
de tous, un inventaire aussi complet que possible des compositions hymnographi-
ques de Joseph le sicilien. En contre-partie des vifs éloges qu'il mérite pour ce
patient travail je n'ajouterai que de brèves remarques, laissant à d'autres, plus
qualifiés, le soin de passer au crible ces 466 numéros.
Joseph Hymnographe et Joseph Stoudite. En gros, les critères permettant de
départager, au plan hymnographique, les deux Joseph étaient assez bien établis
par les travaux antérieurs. L'apport très positif d'E. Tômadakès consiste à les
confirmer et à préciser maints détails intéressants. Evidemment le dernier mot
n'a pas encore été prononcé en la matière. Malgré un louable effort méthodique, la
démonstration en treize points (p. 89-90) ne me semble pas avoir toute la netteté
désirable. L'auteur avoue lui-même évoluer au niveau des conjectures. Nulle part
du reste on ne le voit pousser à fond cette recherche axée essentiellement sur les
données techniques, stylistiques et métrico-mélurgiques qui auraient quelque
chance de produire des résultats plus satisfaisants95. Les indications trop sommaires
des pages 93-94 risquent de laisser sur leur faim bien des spécialistes96. Dans ces
conditions, rien d'étonnant que, pour un certain nombre de canons, la ques
tion d'attribution reste pendante. L'auteur aurait encore mieux rendu compte
de ces hésitations s'il avait soigné sa table onomastique où, au mot Joseph Stoud
ite, je ne vois pas marquées les pages 142, n. 4, p. 152, p. 173 (par exemple).
Il n'eût pas été inutile de noter brièvement la raison pour laquelle tel canon
appartient plutôt à Joseph l'Hymnographe qu'au Stoudite. Ainsi, pour le n. 219
(p. 152 où l'on corrigera n. 3 le renvoi à Van de Vorst p. 38) édité en latin sous le
nom de ce dernier, le climat d'iconoclasme triomphant qu'il trahit favorise l'Hym
nographe. Par contre, le canon (p. 200 et note 4) pour le dimanche de Fapokréô
sur la Parousie (Inc. Χαίρει χορός των σών αγίων) est inscrit au compte de
94. On voit mal Théognoste, en fonction dès l'automne 868, perdre la charge au
profit de Joseph après janvier 869 et la récupérer après septembre de la même année.
Il y a peut-être confusion entre skévophylax de la Grande Eglise et skévophylax d'un
autre grand établissement.
95. Voir les remarques de Enrica Follieri, dans Byz. 33, 1963, p. 73.
96. Le livre de E. Tômadakès n'apporte rien aux théologiens ni aux historiens de la
spiritualité.
LA VIE ET L'ŒUVRE DE S. JOSEPH L'HYMNOGRAPHE 265
Varia. En ce qui concerne le canon n° 249 (p. 158) à saint Janvier, il fallait savoir
qu'une recension différente se trouve dans le Cryptoferrat. Δ-α-VIII (début du
XIIe siècle). Mgr Mallardo, grâce à l'aide de dom Minisci, a publié les trois tro-
paires divergents et montré l'intérêt de ces stichères pour la tradition des acta
du thaumaturge napolitain (D. Mallardo, S. Gennaro nell'innografia greca,
Ephemerides liturgicae 62, 1948, p. 354-362).
La récente édition par Mlle Denise Papachryssanthou de l'office ancien de Pierre
l'Athonite dans les Anal. boll. 88, 1970, p. 27-41 (n° 299 du catalogue de Tômad
akès) pose un problème que je ne vois pas soulevé par ce dernier : loin de se
contenter de composer des canons, Joseph l'Hymnographe n'est-il pas aussi
l'auteur d'acolouthies sous la forme toute simple qu'elles avaient au IXe siècle ?
M. Tômadakès a consulté les manuscrits romains. Quelques erreurs se sont
glissées dans son inventaire que me signale aimablement Mgr Paul Canart, scriptor
de la bibliothèque vaticane :
P. 128, n° 103 : canon, déclaré inédit, pour la fête de la Présentation de la Théo-
tokos et qui se trouve effectivement dans le Vatican, gr. 1508, f. 141M46. C'est le
19
266 D. βΉΕΙΙΝΟΝ
même que celui publié dans MR II, 223-234 sous le nom de Georges l'Hymno-
graphe ; à la place de la 9e ode figure celle du canon n. 99 (p. 127).
P. 203, n. 466*. Dans le Vatican, gr. 1853, f. 3Γ-36ν se trouve la 2e ode, contrai
rement à ce qu'affirme l'auteur.
P. 144, n. 2. Ajouter que la 2e ode, transmise par le Vatican, gr. 2008, f. 54 a été
éditée par Papadopoulos-Kérameus dans EA 21, 1901, p. 468.
En remerciant Mgr Canart je tiens à préciser que ce savant donnera des indi
cations plus complètes et plus pertinentes à ce sujet dans la description des manusc
ritsintéressés.
Le séjour à Rome de M. Eutychios Tômadakès n'a pas été inutile pour autant.
Nul ne s'étonnera que dans la riche moisson amassée par lui quelques épis
aient été oubliés parmi les éteules. Ces oublis ne sont même pas des péchés de
jeunesse, mais le simple tribut payé par un chacun à l'humaine nature, de quoi
permettre à la critique de glaner des broutilles.