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Directeur de la publication : Edwy Plenel ARTICLE

Cinq très mauvaises raisons de réintégrer l’Otan


Par François Bonnet

Deux anciens premiers ministres de gauche (Laurent Fabius, Lio- recteur de la revue Commentaire , Jean-Claude Casanova . Il
nel Jospin) ; deux anciens premiers ministres de droite (Alain relaie ainsi tous ceux pour qui cette décision ne vient que clore
Juppé et Dominique de Villepin) ; un pilier de la politique étran- un long processus entamé depuis 1983 et la crise des euromissiles
gère française, de gauche et fort apprécié par la droite, Hubert et qui aurait vu la France réintégrer l’Otan mais sans le dire ! A
Védrine ; deux candidats à la dernière élection présidentielle (Sé- l’inverse, Nicolas Sarkozy soutient que cela renforcera notre dé-
golène Royal et François Bayrou) ; la quasi-totalité des parlemen- fense : « La France sera plus forte, plus influente. »
taires de gauche ; plusieurs dizaines de l’UMP... Tous sont contre. Dessin de notre abonné Mikaïa.
Lire sous l’onglet Prolonger les arguments de ces respon-
sables.
Plus forte ? Que signifie concrètement cette réintégration ? Le dé-
Cet inventaire suffit à dire l’importance de ce qui se joue avec tachement d’environ 800 officiers dans les structures de l’Alliance
le choix solitaire effectué par Nicolas Sarkozy de rejoindre plei- et la direction de deux commandements (coût estimé, 80 millions
nement les structures du commandement intégré de l’Alliance at- d’euros par an). L’un à Norfolk, chargé de la « transformation
lantique. Choix solitaire (à l’image d’ailleurs de celui effectué par », donc de la réflexion stratégique sur l’évolution de l’Alliance.
de Gaulle en 1966), puisque le Parlement n’est pas appelé à voter, L’autre à Lisbonne, commandement aujourd’hui mis en sommeil.
que le Livre de la défense de 2008 ne l’évoque pas, que cette déci-
sion ne figure pas au programme présidentiel du candidat Sarkozy Mais, au-delà de ces représentations nouvelles, rien ne change
et que la loi de programmation militaire 2009-2013 n’en dit pas en termes d’organisation militaire. Cela ne donnera pas plus de
un mot. moyens à l’armée française. Et rien ne change en termes de pro-
cessus décisionnel : la règle de l’unanimité prévaut qui permet
C’est une rupture. Pas seulement du consensus politique qui a pré- à chaque pays de participer ou non à telle ou telle intervention :
valu en matière de défense depuis presque un demi-siècle. C’est l’Allemagne, membre « totalement intégré » de l’Alliance, refusa
un tournant stratégique qui engage notre défense et notre diplo- ainsi de participer à la guerre d’Irak. Berlin et Paris ont également
matie pour de très longues années : prise en 1966, la décision du fait savoir qu’ils ne suivraient pas la demande américaine de dé-
général de Gaulle de quitter ce commandement intégré avait, de- ployer cette année des troupes supplémentaires en Afghanistan.
puis, défini de nombreux paramètres de notre politique étrangère.
2. Un coup de poignard à la défense européenne.
Il n’est nul besoin aujourd’hui de convoquer les mânes du Géné-
ral, d’invoquer notre fameuse « exception» française ou de crier à L’Otan pour mieux relancer et développer l’Europe de la défense !
une atteinte insupportable à l’indépendance de la France, comme C’est le principal argument utilisé par Nicolas Sarkozy, martelé
le font certains parlementaires de droite et quelques souverai- sur tous les tons par ses ministres. Parce que nos alliés euro-
nistes égarés, pour estimer que cette décision est mauvaise et dan- péens nous soupçonnent de vouloir torpiller l’Otan par l’émer-
gereuse. Plutôt que la nostalgie d’une grandeur fantasmée, mieux gence d’une défense européenne, ils traîneraient les pieds. Les
vaut considérer cette décision au travers des nouveaux équilibres Britanniques les premiers, les Italiens mais aussi tous les pays
du monde qui se dessine et de la place que la France pourrait pré- d’Europe centrale qui ne rompront jamais avec l’Alliance atlan-
tendre y occuper. tique.
Et de ce point de vue, aucun des arguments avancés par le pré- Un argument qui est « un leurre » , estime Hubert Védrine. «
sident de la République ne permet de justifier ce retour au cœur C’est l’inverse qui risque de se produire » , dit Dominique de
même de l’Alliance atlantique. C’est, en fait, un choix de pure Villepin de cette thèse présidentielle. La pleine réintégration de
idéologie qui a été fait et négocié par l’Elysée avec l’administra- la France devrait en effet convaincre les pays européens de réin-
tion de George Bush. Que l’élection à la présidence américaine vestir dans une Alliance aujourd’hui en panne et de ne construire
de Barack Obama puisse le rendre aujourd’hui plus présentable qu’à la marge des moyens de défense européens destinés à venir
ne change rien au fond. Voici, parmi d’autres, cinq raisons pour en soutien. La faiblesse des budgets européens interdit de mener
lesquelles cette décision est inutile et néfaste. de front deux chantiers aussi vastes. Lire notre précédent article :
l’acte de décès de la défense européenne.
1. Aucun « avantage » militaire.

Les partisans du choix présidentiel hésitent. « Une vaine et fausse 3. Une Alliance atlantique largement obsolète.
querelle » , alors que cela ne change rien, dit par exemple le di-

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A quoi sert l’Otan ? Plus grand monde ne le sait. Sauf à geler décision. Mais dans le cadre d’une vaste négociation stratégique
des positions stratégiques en Europe, entretenir une bureaucratie avec la Russie, portant sur le désarmement, l’Iran et la proliféra-
de 15.000 personnes, occuper une bonne partie des pensées du tion nucléaire ! Ni l’Union européenne ni l’Otan ne sont conviées
Pentagone, l’Otan est depuis vingt ans en plein brouillard. Orga- à la table...
nisation de guerre froide, l’effondrement de l’URSS l’a laissée 5. La « famille occidentale ».
sur le bord de la route. C’est en partie pour cette raison qu’en
1995, Jacques Chirac avait envisagé de réintégrer l’Otan moyen- Alors, il faut en venir au fond, aux vraies motivations idéolo-
nant une redéfinition du rôle de l’Alliance et un autre partage des giques qui ont porté le choix présidentiel. Et tout a été dit, la se-
responsabilités. Les Etats-Unis avaient refusé ce « partage ». Un maine dernière, lors du discours présidentiel à l’école militaire. «
nouveau « concept stratégique » fut élaboré en 1999, qu’on est Je n’ai pas peur de dire que nos alliés et nos amis, c’est d’abord
bien en peine de résumer tant il est flou. la famille occidentale. Je ne crois pas que le rôle d’une grande
puissance responsable comme la France soit d’être à mi-chemin
L’Otan, depuis, avance à hue et à dia. Organisation européenne, entre tout le monde, parce que cela veut dire une France nulle
la voici engagée en Afghanistan. Conçue pour des combats clas- part (...) La condition de son indépendance, c’est d’abord de sa-
siques bloc contre bloc, la voici s’essayant à lutter contre le ter- voir où est sa famille et que sa famille ne doute pas de vous » , a
rorisme, les pirates de Somalie voire le narco-trafic ou à mener expliqué le Président.
des opérations de police (au Kosovo). L’Otan n’est même plus
l’exclusif bras armé du « grand club occidental » puisque Do- Nous voilà donc enrôlés dans l’armée de l’Occident, ce club de
nald Rumsfeld et George Bush ont eux-mêmes théorisé le prin- puissances confronté à ce que Nicolas Sarkozy considère comme
cipe de coalitions variables selon les conflits (comme pour l’Irak, notre « premier défi : comment prévenir une confrontation entre
par exemple). l’Islam et l’Occident » (discours d’août 2007).
Nicolas Sarkozy avance donc qu’en dirigeant le commandement Là est le danger principal, dans cette vision d’un monde en proie
« Transformation », la France participera pleinement à la refon- au « choc des civilisations » où un Occident assiégé n’aurait
dation de l’Otan. Mais c’est être aveugle sur une constante de d’autre choix que de se faire gendarme de la planète, jusqu’à
la politique américaine : l’Otan est leur outil et son remodelage conduire quelque expédition néocoloniale en Afghanistan. Est-ce
sera décidé au Pentagone, pas ailleurs. La nouvelle administra- une vision si éloignée que celle développée par George Bush avec
tion Obama n’est pas plus partageuse en la matière. son projet de « Grand-Moyen-Orient » qui devait voir l’instaura-
tion à coups de fusil de la démocratie du Maroc au Pakistan ?
A titre d’exemple, une commission parlementaire américaine, ras-
semblant démocrates et républicains, vient de remettre un rapport Un «club» dont le monde ne veut plus
de 30 pages de recommandations à la présidence pour justement La politique étrangère d’un pays, tout particulièrement, est faite
redéfinir ce rôle de l’Otan et fonder une nouvelle relation avec de symboles et de mots. Or l’expression « famille occidentale » a
la Russie. Autre exemple, le secrétaire général de l’Otan a choisi été justement bannie depuis la décolonisation du vocabulaire di-
de ne pas se payer de mots lors de son audition récente devant la plomatique français. Parce qu’il fallait parler à tous : à la Chine
commission de défense de l’Assemblée nationale : la rénovation (la France fut un des premiers pays à reconnaître la République
stratégique sera, in fine, décidée par les Etats-Unis, aujourd’hui populaire), aux pays arabes, aux non-alignés emmenés par l’Inde
seul « pilier de l’Alliance » face à des Européens par ailleurs di- dans les années 1970. Parce qu’en dehors de logiques de blocs
visés. porteuses de guerre, la France a toujours pris grand soin d’être
4. Une exclusivité américaine. à distance. Et parce que c’est justement cette distance qui lui a
permis de jouer un rôle important au Conseil de sécurité de l’Onu
Autre illustration de cette détermination américaine à ne rien cé- dont elle est un des cinq membres permanents.
der de ses intérêts en Europe : l’affaire du bouclier antimissile
américain en Europe et l’adhésion à l’Otan de l’Ukraine et la Hillary Clinton : son premier déplacement à l’étranger fut pour
Géorgie. Sur ces deux dossiers, l’administration Bush a poussé l’Asie.
les feux, passant au-dessus de l’Europe et des pays membres de D’un atlantisme obsolète, cette analyse du monde selon Nicolas
l’Alliance. Le « bouclier » fut négocié directement avec la Ré- Sarkozy vient, de plus à contretemps. Car la nouvelle administra-
publique tchèque et la Pologne, sans que l’Otan soit saisie. Et si tion américaine n’est pas décidée à s’enfermer dans un huis clos
la France et l’Allemagne se sont opposées, l’an dernier, à l’adhé- familial occidental. Premier geste ? et il fut remarqué ? d’Hillary
sion des deux anciennes républiques soviétiques, l’administration Clinton, ministre des affaires étrangères : faire une tournée en
Bush comptait bien continuer à favoriser cette entrée. Asie comme premier déplacement à l’étranger. Qui a rencontré
La donne a changé avec Barack Obama. Mais l’« unilatéralisme » cette semaine Barack Obama ? Le président brésilien Lula. Qui a
demeure. La nouvelle administration américaine est prête à renon- proposé d’associer l’Iran à un règlement du conflit afghan et d’en-
cer sur ces deux points. Non pas à cause d’une opposition de bon tamer une vaste négociation régionale ? Barack Obama toujours.
nombre d’Européens ou d’un nouveau partage du processus de

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Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud, pays arabes. Justement la ment l’Otan, Nicolas Sarkozy veut être acteur du « club ». Un
nouvelle administration américaine n’est pas encline à brandir la club dont, justement, le monde ne veut plus.
« famille occidentale » pour conduire sa nouvelle politique étran- Lire sous l’onglet Prolonger les positions des principaux res-
gère. Slogan de Bush, « le monde libre et civilisé » a durablement ponsables politiques.
détruit l’image de la puissance américaine. En intégrant pleine-

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