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Contes noirs

Le treizième homme
Crimes parfaits pour les nuls
Avis de tempête
Nostalgie

Norbert Spehner
Le treizième interlocuteur. Finalement, il raccrocha et se
tourna vers le caporal Paul Gerlach qui
époussetait son uniforme et son képi dans le
homme fond de la cave mal éclairée, en attendant les
instructions de son supérieur.
Après bien des tentatives
infructueuses, Krüger avait réussi à établir le
Stalingrad, le 24 janvier 1943
"De puissantes percées ennemis ont rompu le front en contact avec le poste de commande du colonel
de nombreux points. Harald Thorvald, coincé quelque part entre la
Seule la ville offre encore des points d'appui et des colline Mamayev et l'usine chimique Lazur,
couverts. Toute résistance dans une zone encore chaudement disputée
prolongée est vaine, l'effondrement est inévitable. par les unités des deux camps. Les forces de
Afin de sauver les dernières Thorvald, regroupées hâtivement en deux
vies humaines, l'armée demande l'autorisation de minces lignes de défense, avaient subi dès les
capituler immédiatement" premières heures du jour, les attaques répétées
Friedrich von Paulus, commandant de la 6e de commandos russes isolés, coupés du gros
armée allemande de leurs troupes par le hasard des
innombrables escarmouches qui avaient lieu
"J'interdis la capitulation. L'armée tiendra ses jour après jour dans le "Kessel", le chaudron
positions jusqu'au dernier homme
et jusqu'à la dernière cartouche. Son héroïsme de Stalingrad. On s'y battait rue par rue,
contribuera d'une manière inoubliable immeuble par immeuble, étage après étage.
à l'édification d'un nouveau front défensif et au salut Des hommes épuisés, affamés, mais enragés,
de l'Occident." s'entretuaient aveuglément dans des combats
Adolf Hitler rapprochés et des corps à corps sans merci.
Dans l'anarchie des combats, plusieurs unités
russes, - quelques centaines d'hommes -
s'étaient retrouvées coincées, sans
ravitaillement, sans soutien logistique dans
une poche constamment bombardée par les
mortiers allemands. Désespérés, ils avaient
tenté le tout pour le tout afin de sortir du piège
mortel dans lequel ils se trouvaient.
- C'était Thorvald ! Ses gars ont réussi à
repousser les Russkis, mais il y a eu pas mal
de dégâts de part et d'autres. Les Russes se
sont cassé les dents sur le nid de mitrailleuse
de la première ligne. Ils n'ont jamais atteint
les rails du chemin de fer. Nos hommes ont
tenu bon, un vrai miracle !
- Et les gars de Schneider ? La deuxième ligne
de défense ?
- D'après Thorvald, pas un Russe n'a réussi à
franchir les tranchées. Les hommes du
capitaine Schneider n'ont pas eu à intervenir.
Sans soutien aérien et sans appui de l'artillerie,
l'ennemi n'avait aucune chance. Leur attaque
était suicidaire. Fichus fanatiques!
Krüger secoua la tête, attrappa son manteau à
cape de fourrure et son képi.
- Bon, caporal, on va aller voir sur place et
Le major Ernst Krüger hurlait dans le constater les dégâts. Allez, souriez jeune
téléphone. Les communications étaient homme, En route pour une nouvelle corvée de
exécrables. Il avait du mal à entendre et encore viande froide !
plus, à se faire comprendre de son
Paul Gerlach esquissa une grimaçe. Il ce déluge permanent de fer et de feu où la
y avait des moments où il n'appréciait pas du mort régnait en souveraine absolue, on perdait
tout l'humour noir et le cynisme proverbial du peu à peu la notion du temps.
major. Il avait horreur de ce qui l'attendait. Ça En ce mois de décembre 1942, la
n'était pas la première fois qu'il allait situation était sans issue. La 6e armée de von
inventorier "la viande froide", commel disait Paulus était encerclée et manquait de tout. Les
Krüger. Même dans le chaos et l'anarchie la munitions se faisaient rares. La nourriture
plus totale de cette fichue bataille, l'armée était rationnée. Chaque jour, des centaines de
allemande avait ses règles, ses procédures. Et soldats, dévorés par les poux, mouraient de
compter les cadavres, prévenir les familles, froid, de maltrunition, du typhus et autres
faire des statistiques faisait partie du rituel. saloperies contre lesquelles il n'y avait ni
Un sale boulot dont Krüger, rattaché à la remède ni solution. Dès que la météo était
gendarmerie du 76ème régiment d'infanterie favorable, l'aviation russe était la maîtresse
avait parfois la responsabilité. Le caporal Paul absolue du ciel et empêchait l'évacuation de
Gerlach était son aide de camp depuis le début milliers de blessés qui agonisaient dans des
de cette désastreuse campagne. Comme tous hôpitaux de fortune, dans des conditions de
les combattants de Stalingrad, il cotôyait la salubrité nulles, sans médicaments, ni soins
mort de façon quotidienne mais, contrai- appropriés. Pour la première fois depuis le
rement aux vétérans endurcis, cyniques et début du Blitzkrieg, l'armée allemande faisait
blasés, il n'avait jamais réussi à s'habituer à la face à la défaite et si l'état-major persistait
vue des cadavres, des corps déchiquetés et ce dans ses illusions de victoire, les hommes sur
qui était pire, aux hurlements des blessés, à le terrain savaient que leur cause était perdue.
l'odeur écoeurante du sang, à toutes ces Leur seul espoir de survie résidait dans une
horreurs. tentative de sortie ou une reddition rapide.
- Allons, du courage, caporal ! Aujourd'hui, ça Aucune de ces solutions ne semblait faire
n'est pas si terrible. Une grosse escarmouche l'affaire de Paulus, encore moins du Führer
avec rien que des morts bien propres, si je qui exigeait le sacrifice ultime.En attendant, il
puis me permettre cette image aseptisée. fallait survivre, se battre encore et toujours,
L'artillerie russe est restée muette. Leurs dans les ruines, dans le froid, avec un
avions sont cloués au sol à cause du mauvais adversaire redoutable, aguerri, bien décidé à
temps. Donc pas de corps déchiquetés. Rien mourir sur place pour reconquérir la ville qui
que de belles blessures, bien nettes, par balle. portait le nom de Staline, son chef suprême.
Pas même d'étripage à la baionnette. De beaux Après un quart d'heure de marche
petits trous bien ronds, avec un peu sang. hasardeuse, à travers des monceaux de débris,
Vous êtes un soldat, par tous les diables ! d'immeubles éventrés et de gravats, Gerlach et
Gerlach ne se faisait pas d'illusions. Krüger arrivèrent sur les lieux de
Le major oubliait de dire qu'il y aurait l'affrontement du matin, là où les survivants
problablement quelques têtes éclatées, des du corps d'armée de Thorvald avaient infligé
corps déchiquetés par des grenades, sans de lourdes pertes à l'ennemi.
oublier les inévitables "barbecues", ces restes Krüger examina attentivement les
horribles qu'on ne pouvait guère qualifier lieux. Partout des hommes s'affairaient avec
d'humains, résultant du travail des lance- des brancards, emmenant des blessés ou des
flammes. Non, ça ne lui disait vraiment rien cadavres. Tout était étrangement calme. On
qui vaille mais bon, fallait y aller ! entendait peu de cris. Seules quelques
Quand il sortit de la cave, il avait déjà explosions lointaines rappelaient la présence
le cœur au bord des lèvres, une furieuse envie de la guerre ailleurs dans la ville dévastée. La
de vomir toutes les tripes. de son corps.. Ne tranchée principale, qui courait tout le lond de
voulant surtout pas décevoir le major pour qui la place Octobre Rouge, avait reçu le choc
il avait la plus grande admiration, il essaya de principal de l'attaque. A une dizaine de mètres
se donner une contenance devant la tranchée, il y avait de nombreux
Dehors, il faisait froid. La neige avait cadavres de soldats russe, avec leurs
cessé, le vent était supportale. L'hiver battait uniformes blancs tachés rouges, bien visibles
son plein et Noël approchait, mais qui s'en sur le fond de neige. Les Allemands
souciait vraiment ? Dans cet enfer de ruines,
s'affairaient à dépouiller les cadavres, à dégusté. Sur une cinquantaine de mètres,
ramasser les armes et les munitions. Gerlach compta pas moins de treize tués que
"Un assaut frontal, pensa Krüger ! les brancardiers n'avaient pas encore enlevés.
C’est insensé ! Ils sont encore plus fous que - Pas joli à voir, pas vrai caporal ? Je crois…
je ne pensais. Décidément, cette guerre n'a Il interrompit sa phrase, se rapprocha du bord
plus aucun sens. Combien de milliers de de la tranchée. Il semblait perplexe et Gerlach
morts faudra-t-il encore avant que quelqu'un qui le regardait, se demanda ce qu'il mijotait.
ne mette fin à cette boucherie ? " - Je ne m'y ferai jamais, major. Ces pauvres
Au-delà de la ligne de défense, il y types…La plupart avaient mon âge et…
avait un terrain vague, une sorte de noman's Sa phrase fut interrompue par un geste de la
land où passaient les voies de chemin de fer main de Krüger qui lui fit signe d'approcher.
qui menaient à l'usine de tracteurs située à Il était visiblement intrigué par quelque chose.
trois ou quatre kilomèetres plus loin. A - Examinez-moi ça, caporal. Regardez
l'exception de deux carcasses de tanks russes attentivement et dites-moi ce que voyez.
éventrées, et de nombreux débris, cette bande Gerlach le regarda d'abordsans trop
de terrain, dont la largeur variait de deux à comprendre, reporta son regard vers la
quatre cent mètres, selon les endroits, n'offrait tranchée et dit
aucun abri, sinon quelques cratères peu - Je vois douze, …- il procéda au décompte
profonds creusés par les bombes et les obus. avec sa main – non, treize pauvres types qui
Quiconque s'y aventurait devenait une cible de se sont fait avoir ce matin. Et…
prédilection pour les tireurs embusqués des - Non, non, caporal, regardez plus
deux camps. Au-delà du noman's land, se attentivement… Il n'y a rien qui vous intrigue,
dressaient les ruines de vastes immeubles rien ne vous semble…euh…disons, bizarre,
dans lesquels le capitaine Schneider avait inhabituel. Allez, regardez mieux et décrivez-
établi une deuxième ligne de défense avec une moi exactement ce que vous avez sous les
cinquantaine d'hommes. Mais ce matin, ils yeux.
s'étaient contentés de regarder de loin l'assaut Des brancardiers s'approchaient d'eux. Il leur
des Russes sans avoir à tirer un seul coup de fit signe de patienter.
feu. - Attendez un instant. Ne touchez pas à ces
Krüger s'approcha de la tranchée corps avant que je ne vous en donne l'ordre.
principale. Elle courait sur une bonne centaine Le caporal Paul Gerlach n'était pas
de mètres, peut-être plus, et comprenait trois très un bon soldat. Trop faible, trop
redoutes fortifées par des sacs de sable, sensible…Pas froussard, cependant. Il avait
disposées aux extrémités et au centre, Elles fait le coup de feu à l'occasion, s'était
abritaient les mitrailleuses qui avaient fauché distingué (oh malgré lui…) et s'était mérité le
les rangs ennemis avec une redoutable grade de caporal. Mais il ne recherchait pas la
efficacité. bagarre, évitait le front autant que possible.
- Venez ici Gerlach. On va examiner ça de Néanmoins, il se distinguait par d'autres
plus près. talents. Krüger avait exigé qu'il devienne son
Depuis leur arrivée, le caporal était aide de camp parce qu'il était le roi des
resté silencieux. Le major avait eu raison. Il y débrouillards, qu'il avait développé l'instinct de
avait certes de nombreux morts mais survie comme une sorte de seconde nature .
"propres", slon son expression imagée, tués De plus, fait rare au milieu de ces hommes
par balles, et la plupart étaient des soldats frustes et endurcis, il avait une certaine
russes qu'on laisserait là quelques temps, culture. Krüger l'avait pris sous son aile et
histoire d'attirer leurs brancardiers sur Gerlach lui était entièrement dévoué. Il
lesquels on ferait des cartons. A la guerre admirait le major mais ne comprenait pas
comme à la guerre ! Le froid empêcherait les toujours les détours mystérieux de sa pensée.
cadavres de se décomposer et de puer. Du C'était le cas en ce moment précis, sur les
côté allemand, le bilan était moins lourd, sauf bords de cette tranchée remplie de cadavres de
pour la partie centrale sud de la tranchée, plus soldats allemands qu'on aurait dû emmener au
rectiligne et davantage exposée. Les Russes plus vite.
avaient concentré leur attaque sur ce point En fait, Gerlach n'avait pas regardé
faible et les troupes de Thorvald avaient attentivement les corps des victimes. Il se
sentait trop mal. Son regard fuyant se posait Gerlach haussa les épaules.
plus volontiers sur la ligne d'horizon, les - Ça n'est que le point de sortie de la balle
colonnes de fumées lointaines qui qu'il a reçue dans la poitrine ?
témoignaient de la férocité des combats, les - Vous croyez ça, Gerlach ? On va vérifier …
restes sombres de bâtiments qui se Krüger se rapprocha de l'homme mort,
découpaient sur le ciel bleu acier. l'empoigna par le col de son manteau et tira le
Il dut se forcer à regarder plus attentivement. corps vers lui.
Ce qu'il vit alors, le surprit. Il comprit soudain - Non, caporal…Voyez-vous même, pas de
ce qui étonnait tant le major. blessure frontale. Notre ami n'a reçu une balle
Il y avait treize corps dans la dans le dos. De plus en plus étrange !
tranchées, disposés de manière quasi- Gerlach, qui ne voyait pas trop la pertinence
géométrique selon un arrangement pour le de cette discussion et qui avait hâte qu'on en
moins singulier. Exception faite d'un homme finisse avec cette corvée, refit la grimace, se
encore debout et dont le cadavre, légèrement gratta la joue.
penché en avant, était appuyé contre les parois - Probablement qu'il a paniqué, a essayé de
de la tranchée, face à l'ennemi, il y en avait quitter la tranchée , s'est fait flinguer par
douze autres couchés sur le dos, les bras en derrière. Il est retombé dans la tranchée et
croix. Les corps étaient presque parallèles et s'est retrouvé dans cette position.Mais est-ce
les mains se touchaient. Au moment de vraiment important major ? On dirait que
l'attaque, ils devaient tous être côte à côte dans quelque chose vous chagrine ?
la tranchée. Ils étaient morts de la même Il y avait une touche d'impatience dans sa
manière, frappés de face, projetés en arrière, voix, suffisamment contenue pour ne pas
les bras perpendiculaires au corps.. offenser son supérieur.
Surmontant son dégoût, Gerlach sauta dans la Paul Gerlach savait peu de choses sur
tranchée pour examiner les corps de plus Krüger. Ce dernier avait été affecté au
près. Il fut rejoint par Krüger. régiment au début de l'offensive sur
- Regardez moi ça, Gerlach. Étonnant non ? Stalingrad. Il avait le grade de major mais ne
Chacun de ces hommes est mort de la même commandait aucune troupe, sinon à l'occasion
manière. Voyez, celui-là a reçu une balle à la quelques unités de gendarmes, la redoutable
base du cou. L'impact l'a projeté en arrière, les police militaire que tout le monde haissait. En
bras en croix. Voyez le suivant…Pas joli, fait, le major Krüger avait des fonctions
joli..une balle dans la tête. Blessure frontale, mystérieuses que même Gerlach avait du mal
avec le même résultat. Et ainsi de à saisir. Un jour qu'il lui avait demandé la
suite…Chacun de ses douze hommes a été nature précise de ses responsabilités, Krüger
touché soit à la tête, soit dans le haut de la avait souri et lui avait dit "Si on vous le
poitrine, ce qui est normal, vu leur position demande, caporal, dites que vous n'en savez
dans la tranchée. Seul le haut du corps était rien !" La discussion avait tourné court.
visible…Le hasard fait parfois de drôles de Krüger s'occupait "d'affaires spéciales",
choses mais j'ai rarement vu des cadavres souvent de nature criminelle, enquêtait sur les
alignés de manière aussi ..hum…dirais-je vols, la corruption, collaborait avec les divers
régulière, …presqu' artistique ? Ça mériterait services de renseignement, collectionnait les
une photo, non ? statistiques et autres activités qui le tenaient
Gerlach, qui luttait contre la nausée et loin des combats auxquels il ne participait que
n'avait qu'une hâte, sortir de ce trou qui puait rarement et seulement si les circonstances
la mort, fit une grimace éloquente. l'exigeaient. Gerlach avait appris aussi que
- Bon, et maintenant, le treizième gaillard! Par Krüger était un ancien flic, plutôt compétent
tous les diables,, Gerlach…Il est presque dans son domaine, hostile au Parti – ce qui le
debout, toujours face à l'ennemi, la paroi de la rendait éminement sympatique - et que sa
tranchée le retient et…qu'est-ce que c'est ça ? grande gueule proverbiale l'avait fait muter sur
- Krüger s'était rapproché du cadavre – ah, je le front de l'Est.
vois. Son uniforme est accrochée dans les - Ah Gerlach, que vous êtes terre à terre !
barreaux de l'échelle, ce qui l"empêche de Sachez que dans ce monde de fous, seule la
tomber. Et il a une blessure dans le dos ! raison et la logique vous éviteront peut-être de
Curieux, vous ne trouvez pas ? sombrer dans le désespoir et de vous suicider.
Avez-vous lu Edgar Allan Poe ? Un rond ni symétrique comme l'aurait fait une
Américain, décadent, selon cet imbécile de balle tirée à l'horizontale et qui aurait frappé le
Goebbels, en fait un écrivain passionnant ! corps perpendiculairement. Vous voyez cette
Tenez, ses récits policiers… Il les appelait des légère abrasion dans la partie supérieure ?
"contes de ratiocination" – il détaillait Cela signifie que la balle était en trajectoire
soigneusement les syllabes Il les a écrits pour tombante, qu'elle a été tirée d'en haut.
ne pas sombrer dans la folie. Alors faites Pourquoi n'est-elle pas pas ressortie par
travailler vos méninges, par tous les diables ! l'avant ? Probablement parce qu'elle était en
Vous savez que j'étais flic et sans me vanter, fin de course et manquait de force. Qu'en
j'étais plutôt bon ! J'ai toujours eu un sixième dites-vous, Gerlach ?
sens, du flair si vous préférez. Quand je suis - Ben, je ne sais pas trop…Tout ça me paraît
en présence d'une situation anormale, pas logique. C'est vous l'expert…Mais bon, des
catholique, j'ai un petit signal d'alarme qui se morts par balle en temps de guerre, surtout ici,
déclenche. Et aujourd,hui, quelque chose me c'est plutôt la norme que l'exception, alors, un
dit que ce treizième homme, même mort, nous de plus…euh…vraiment, major, je ne vois
envoie un message. C'est comme s'il refusait pas où vous voulez en venir ! Honnêtement…
que sa mort passe inaperçue… Krüger se redressa, leva les mains au ciel en
Gerlach n'avait pas lu les œuvres de secouant la tête.
Poe, n'avait pas envie de discuter littérature ou _ Ah caporal, caporal,,,Vous n'y voyez goutte !
philosophie et ne voyait toujours pas où le Par tous les diables…Résumons ! Nous
major voulait en venir. Des morts, il y en avait avons treize hommes tués par balles dans cette
des centaines, des milliers, tous les jours. partie de la tranchée. Douze de ces hommes
Dans cette tranchée, il y avait treize morts de sont morts comme il se doit, passez-moi
plus, treize malheureux dont les noms allaient l'expression, en faisant face à l'ennemi. Mais
s'ajouter aux dizaines de milliers déjà tombés le treizième homme lui, a été tué d'une balle
dans cette infâme boucherie. Qu'est-ce ce dans le dos alors qu'il faisait face à l'ennemi.
pauvre hère pouvait bien avoir de particulier ? Votre hypothèse de la tentative de fuite ne
A part qu'il avait une balle dans le dos et qu'il tient pas. Les Russes étaient proches.
ne gisait pas dans la tranchée avec ses L'impact de la balle l'aurait propulsé en avant,
congénères… de l'autre côté du parapet et, à vingt ou trente
Mettant sa main sur l'épaule du mètres, même cinquante, la dite balle serait
caporal, Krüger le regarda dans les yeux. ressortie par la poitrine. Non, notre homme a
- Caporal, nous allons examiner ce corps de reçu une balle tirée de là…C'est la seule
plus près. J'ai la très nette impression qu'il y a explication logique !
là quelque chose de louche. Commençons par Du geste, il désigna le noman's land et la ligne
examiner la blessure…Passez-moi une de bâtiments de la deuxième ligne de défense.
baionnette ! - Vous suggérez donc que l'ennemi a réussi à
Avec une moue de dégoût, Gerlach emprunta passer et qu'un tireur russe aurait l'aurait
la baionnette d'un des cadavres et la tendit à cartonné par derrière ?
Krüger. - C'est très peu probable. Au téléphone,
- Donnez-moi un coup de main. Nous allons Thorvald m'a assuré que les Russes n'avaient
coucher monsieur X sur le ventre, et examiner pas traversé leurs lignes. S'ils l'avaient fait, ils
sa blessure. Elle va peut-être nous fournir auraient été cueillis par les hommes de
quelque indice. Schneider qui tenaient le terrain sous leur tir.
Avec la pointe de la baionnette, le major Je vérifierai avec le capitaine, mais je suis sûr
entreprit de découper les vêtements du soldat d'avoir raison. Non, ce ne sont pas les Russes
inconnu autour de la blessure. Il essuya le qui ont tué notre ami…
sang sur les contours puis se pencha pour Paul Gerlach avait peur de
examiner le point d'impact. comprendre. En fait, depuis quelques instants,
- Intéressant, oui, très intéressant, par tous les il avait commencé à réaliser les implications
diables ! Regardez, caporal ! La balle est de la démonstration de Krüger. Mais une
entrée ici. Nous savons qu'elle n'est pas partie de lui-même refusait encore d'aller
ressortie. Nous y reviendrons. Maintenant, jusqu'au bout de l'argumentation et des
examinez le trou. Il n'est pas parfaitement ultimes conséquences.
- Qu'y a-t-il derrière nous, caporal ? - J'ai quelques questions à poser au capitaine
- Le no man's land, major, puis les défenses Schneider. En attendant, vous allez demander
du capitaine Schneider, près de l'usine à gaz. à ces brancardiers d'emporter le corps de
Mais ici elles sont bien distantes de 300 notre ami, plus au moins trois autres des
mètres. Non, major, il n'y a que des autres. Vous allez les confier aux bons soins
Allemands de ce côté… du chirurgien-chef Müller. Il me doit un petit
- Bon, caporal, vous commencez à saisir… service. Demandez-lui de retirer tous les
- Saisir quoi, major ? …Oh non, vous n'allez projectiles des corps, en prenant soin d'isoler
tout de même pas me faire croire que ce type a la balle qui a tué ce type. Je sais qu'il est
été abattu par un de nos hommes. Si c'tait le probablement fort occupé mais ça ne prendra
cas ça serait sûrement, un accident, une balle que peu de temps. Priorité absolue. Il me faut
perdue, ces choses-là arrivent. Dans le feu de cette balle dans les deux heures ! Ah oui, et
l'action… pendant que vous y êtes, dénichez-moi un
- Caporal Gerlach ! Vous êtes bien naïf ! Ce microscope…
soldat inconnu, sur lequel nous allons Il esquissa un geste pour interrompre Gerlach
enquêter, soyez-en sûr, a été abattu par une qui s'apprêtait à protester
balle allemande tirée à grande distance et avec - Vous en êtes capable. Je vous fais
une extrême précision, probablement par un entièrement confiance. C'est pour la
sniper de Schneider placé à l'étage supérieur balistique. Flic un jour, flic toujours. Et
de ces ruines que vous voyez là-bas. Accident pendant que vous y êtes, contactez Thorvald et
? Peut-être quoique peu probable dans le cas demandez-lui des informations sur notre
d'un tireur chevronné. Meurtre ? Pourquoi défunt ami ici présent. Je veux savoir son nom
pas…Qu'est-ce qui est plus anonyme, plus et tout ce qu'on pourra trouver sur lui. ce qu'il
banal en tant de guerre qu'un cadavre parmi faisait dans le civil, s'il est marié, s'il recoit de
des tant d'autres. La bataille finie, on ramasse la correspondance, fouillez dans ses affaires.
les morceaux sans se poser de questions et on Ressuscitez-moi ce bonhomme par tous les
attend la prochaine tuerie pour en ramasser diables ! Comme moi, il veut savoir qui a mis
d'autres, des centaines, des milliers ! Quelle fin à ces jours ce matin ! Et croyez-moi
excellente façon de dissimuler un assassinat, Gerlach, je le saurai, je le saurai…Allez, au
n'est-ce pas ? Même vous, confronté à boulot. On se retrouve dans deux heures pour
certaines éléments pour le moins troublants, faire le point.
anormaux, , ne semblez pas trop y croire. Krüger s'éloigna, les yeux brillants de
J'admets que je puissse me tromper mais le l'instinct du chasseur. Il se dirigea lentement
soldat X lui, refuse de collaborer, il nous invite vers les fortifications du secteur de Schneider.
à aller au fond des choses et qui sait, à trouver Paul Gerlach le regarda s'éloigner, le vit
son meurtrier. Allez caporal, je veux en avoir disparaître entre deux pans de mur. Il donna
le cœur net .… les instructions aux brancardiers qui
Gerlach était sans voix pendant que attendaient, impassibles, qu'on leur dise quoi
les implications de ce que lui disait le major faire. Dans l'immédiat, le principal souci du
prenaient forme dans sa tête. Un meurtre ? Ici, caporal Paul Gerlach, sa plus grande
sur le front, dans cette gigantesque machine à préoccupation, c' était de trouver un fichu
broyer les corps et les âmes, c'était plutôt microscope dans ce fichu bordel qu'était
ironique. Et à la réflexion, pas si incroyable Stalingrad ! Et ça, seul Paul Gerlach en était
que ça. Sacré major, il avait l'art de se mettre capable !
les pieds dans les plats. Schneider
n'apprécierait pas du tout qu'on soupçonne Krüger prit une bonne demi-heure
l'un de ses hommes de meurtre, oh non, pas avant de rejoindre, après force détours et
du tout ! Et il avait mauvais caractère, le obstacles, la zone occupée par les troupe de
Schneider… Schneider. Il avait fallu passer par tout un
Dans les minutes qui suivirent, , le réseau de tranchées, de tunnels et de caves,
major Krüger donna un certain nombre montrer patte blanche et avancer avec des
d'instructions à un Paul Gerlach secoué et fort précautions de Sioux. La zone était
inquiet de la suite probable des événements. dangereuse, les sentinelles étaient nerveuses,
avaient la gachette facile. Quand il arriva enfin,
il trouva le capitaine au dernier étage d'un souris n'aurait pu traverser ce terrain sans être
immeuble en ruines, en train de réorganiser repérée.
ses défenses. - Et vos gars ? Personne ne s'est aventuré
C'était un homme impressionnant, de dans cette zone ?
forte carrure et armé jusqu'aux dents. D'une - Personne, major…Bon dieu, non…C'est
main, il tenait un pistolet-mitrailleur de trop risqué et mes ordres étaient formels. On
fabrication soviétique, un PPSh 41, reste planqué sur la deuxième ligne de
rudimentaire mais efficace dans les grands défense et on les attend. Mais ils ne sont
froids. En bandoulière, il avait un Schmeiser jamais venus jusqu’à nous.
allemand, avec quelques bandes de cartouches, Krüger resta silencieux quelques
plus le pistolet réglementaire des officiers à la secondes, tout en continuant d'observer la
ceinture, ainsi qu'une baionnette. et une paire configuration des lieux. Il avait décidé de ne
de grenades. Il vit Krüger, lui fit signe rien dire à Schneider de ses soupçons, de ne
d'approcher pas évoquer l'affaire qui le préoccupait. Le
- Ach, Major Krüger – Heil Hitler ! - on ne capitaine était un bon soldat qui en avait plein
vous voit pas souvent par ici…Bon dieu, que les bras. Il ne voulait pas l'ennuyer avec ses
me vaut l'honneur ? Désolé, mais je n'ai rien à spéculations. Il hésita un moment, se
vous offrir. Ma réserve de schnapps est à sec demandant si Gerlach n'avait pas raison.
et vous savez qu'on a du mal à se ravitailler. Il - Vous avez des tireurs d'élite dans votre unité,
me reste un fond de mauvaise vodka russe. capitaine ?
Sacrebleu, si le cœur vous en dit ! - Oui, major, les meilleurs de toute la fichue
- Non, merci Schneider…Je soupçonne Yvan armée, bon Dieu ! Tous équipés de Mauser
de fabriquer sa gnole avec de l'essence de tank 98K à lunettes. Ils ont des scores élevés. J'en
! Très peu pour moi…Dites, j'aurais quelques ai une dizaine, en temps normal. Ce matin, j'en
questions à vous poser sur l'attaque de ce avais quatre…Les autres étaient en mission du
matin. Pour mon rapport à la division, vous côté de l'aéroport. Les Russes menacent
savez…la routine, quoi ! Goumrak. Si le dernier aéroport tombe entre
- Ouais…Sauf que j'ai pas vraiment grand leurs mains…
chose à vous raconter, sacrebleu, vous savez Il ne finit pas sa phrase, haussa les épaules.
déjà l'essentiel. Bon Dieu ! Quelques unités Les deux hommes comprenaient parfaitement
russes, coincées entre la Volga et la première le caractère dramatique de la situation.
ligne ont essayé de se dégager par une attaque - Ils étaient placés où, ces tireurs ? Simple
frontale, sans aucune couverture. Ils se sont curiosité…
fait descendre comme des lapins. Nous avons - Deux sur le flanc gauche, deux sur le flanc
tout vu d'ici. Bon Dieu ! Quelle tuerie ! Mes droit. L'un planqué au ras des paquerettes et
gars n'ont jamais eu à intervenir. Pas un fichu l'autre dans les étages, histoire de couvrir tout
Russki n'a réussi à passer…Une sacrée raclée, le terrain.
bon Dieu ! - Qui choisit l'emplacement des tireurs ? Vous
Krüger regardait par la fenêtre. Il avait une ? Ça se fait comment ?
vue parfaite sur le noman's land, les voies de - Ce sont des vétérans, des chasseurs, avec
chemin de fer, les deux carcasses de T34 et une autonomie preque complète. Ils se placent
plus loin, il distinguait la ligne de tranchées. Il eux-mêmes. Certains préfèrent tirer d'en haut,
prit ses jumelles, les ajusta et repéra le bout de d'autres aiment bien se planquer au ras du sol.
tranchées où il avait avait trouvé les treize Ça dépend des hommes, des circonstances.
cadavres. Bon dieu, il s'agit d'être le plus efficace
- Vous êtes certain, Schneider ? Aucun Russe possible. Et de tuer des Popovs, bon Dieu,
ne s'est faufilé dans la zone découverte pour beaucoup de Popovs…
canarder nos gars dans le dos…Vous en êtes Krüger acquiesca de la tête. Il reprit ses
sûr ? jumelles, inspecta à nouveau les alentours.
- Affirmatif, Major, affirmatif,,,Bon dieu, Sa prochaine question était plus délicate. Il ne
j'avais des gars partout dans les immeubles fallait pas éveiller la méfiance de Schneider.
alentour, ici, aux différents étages, avec - Ce matin, qui était sur le flanc gauche, dans
plusieurs guetteurs équipés de jumelles. Une les étages ?
- Le sergent Schwartz, un de mes meilleurs d'élite me fascine. Ça ne sera pas long. Puis-je
hommes. Un tireur exceptionnel…Bon dieu, compter sur votre collaboration ?
son score est de cent vingt cinq ! Le meilleur - D'accord, Krüger, demain matin. Mais ne le
du régiment. Il a plusieurs décorations, gardez pas trop longtemps, la chasse est
sacrebleu… ouverte, bon Dieu, les lapins sont nombreux et
- Je vois…Une dernière question, Schneider. j'ai besoin de tous mes hommes !
Pendant l'attaque de ce matin, est-ce que Il tourna le dos à Krüger et sa lourde
quelqu'un a tiré un ou des coups de feu silhouette descendit les escaliers en
depuis vos positions ? s'esclaffant bruyament.
- Non, bon dieu, non…Je vous l'ai dit. Nous
n'avons pas eu à intervenir. Les Russes sont
restés hors de notre portée, au-delà de la La nuit tombait tôt en hiver et comme
première ligne. C'est trop loin…Voyez-vous toutes les autres, elle s'annonçait glaciale. Il
même, d'ici à la ligne de défense, il y a bien n'était pas rare de voir a température chuter à
trois cent mètres. Seul un excellent tireur, bien moins quarante. Dans la cave qui leur servait
équipé pourrait atteindre une cible aussi d'abri, Paul Gerlach se réchauffait les mains
éloignée…Mais attendez, j'y pense tout à près du feu et attendait le retour du major. Le
coup, bon Dieu, j'avais oublié…Vers la fin de reste de la journée s'était plutôt bien passé. Le
l'attaque, il y a bien eu quelques coups de chirurgien avait retiré les projectiles des corps,
feu…Quatre ou cinq, je ne sais plus. Des en râlant pour la forme. Ça s'était fait en
hommes s'énervent, sont tendus, bon Dieu, quelques minutes et Gerlach avait ramené les
vous savez ce que c'est major, les nerfs, les balles. Comble de chance, Müller avait un
nerfs…Et on gaspille des munitions !…Ça n'a microscope. L'objet faisait partie de toute une
duré qu'un bref instant. Des tirs isolés, en collection hétéroclite d'instruments médicaux
provenance du flanc gauche, je crois. Bon,, et chirurgicaux sauvés des ruines de l'hôpital
faut que je retrouve mes hommes. La guerre principal de Stalingrad. Müller ne s'en servait
continue…Et entre nous, major, si nous ne pas et le lui avait donné. "J'ai plus besoin de
sommes pas bientôt ravitaillés, en vivres, en bonnes scies, bien affûtées, avait-il ajouté, que
armes et en munitions, en hommes, cette d'un foutu microscope ". Ce qui avait renoué
foutue guerre nous sommes bien partis pour l'estomac toujours sensible du caporal.
la perdre, bon Dieu ! Qu'est-ce qu'ils foutent à De son côté, le colonel Thorvald lui
Berlin ? Et où est la Luftwaffe ? Quel fichu avait fourni quelques informations sur la
bordel de merde ! victime. Il avait donné l'autorisation de
Krüger ne put s'empêcher de sourire fouiller dans les affaires du mort, un certain
et de penser "Bon Dieu, oui ! Quel fichu Hans Wegener. On ne refusait rien au major.
bordel de merde !". En temps normal, une Le malheureux Wegener, comme la plupart
telle affirmation dans la bouche d'un soldat des simples trouffions dans le Kessel, n'avait
pouvait signifier la cour martiale, voire le que peu de biens personnels. Paul Gerlach
peloton d'exécution. Atteinte au moral des avait trouvé un peu de linge infestés de poux,
troupes ! Mais ces hommes désespérés un vieux fond de boite de biscuits avariés, une
savaient que Stalingrad était une cause perdue flasque à moitié vide de mauvaise vodka, un
et que ce qui les attendait, c'était la mort au crayon, quelques feuilles de papier crasseuses
combat, les camps russes ,une exécution et un paquet de lettres, passablement froissées
sommaire par un ennemi enragé ou le suicide, à force d'avoir été lues et relues. Hans
geste de plus en plus fréquent. Cela réduisait Wegener ne laissait guère de gros héritage.
considérablement les options. En attendant l'arrivée du major, Gerlach se
Alors que Schneider s'apprêtait à quitter permit de parcourir la correspondance du
l'étage, le major Krüger lui dit: défunt.
- Capitaine, si vous le permettez, j'aimerais
m'entretenir quelques minutes avec le sergent - Alors caporal ! Avez-vous fait ce que je vous
Schwartz, si possible demain matin. ai demandé ? Avez-vous récupéré les
Il devança la question muette de Schneider. projectiles qui ont libéré les âmes de nos
- J'ai toujours voulu rencontrer un malheureux semblables ?
authentique héros. Et le travail des tireurs
Krüger avait l'air content de lui. Il secouait pénétration. Mon expertise ne va pas jusque là
son manteau pour en retirer la neige. Le temps mais je suis prêt à parier qu'il s'agit de la balle
changeait vite, le ciel s'était couvert vers la fin d'un Mauser spécial, un fusil de tireur d'élite.
de l'après-midi. Sur le chemin du retour Voyez-comme elle est allongée, presque pas
Krüger avait essuyé des rafales de neige et un déformée. On en apprendra plus après l'
vent glacial. Mais cela n'avait altéré en rien sa examen balistique. Bien… je vois que vous
bonne humeur. avez trouvé mon microscope. Vous êtes
- C'est bien cette neige. Il fait un peu moins vraiment une perle, mon petit Paul !
froid et ça va clouer les avions russes au sol - Ça n'a pas été sans mal, croyez-moi. Il
pour quelques heures encore. Alors Gerlach, appartient à Müller et le docteur n'a toujours
des trouvailles intéressantes ? pas bon caractère. J'ai dû insister !
- Oui major, tout est là. J'ai quelques Gerlach aimait se vanter. Et un petit mensonge
renseignements sur notre homme. Il s'appelle de temps en temps, ça ne pouvait pas nuire.
Hans Wegener, simple fantassin, sans histoire - Oui, oui, je n'en doute pas…Mais vous, vous
particulière. Il est originaire de Niederhausen, êtes le roi des débrouillards. C'est pourquoi je
une petite ville dans le Palatinat. Je connais un ous garde à mon service. Vous m'êtes très
peu la région, Un pays de vignobles, sur la précieux, vous savez ! Bien, bien…Regardez
rive gauche du Rhin. Ils font un petit vin ces autres balles…Moins longues, moins
blanc… effilées, presque toutes semblables. De la
- D'accord, d'accord, Gerlach, laissez tomber grenaille de pistolet mitrailleur
vos considérations oenophiles et allez à soviétique…C'est bien ce que je pensais !
l'essentiel, je vous prie, dit Krüger en se Krüger se frotta les mains. La satisfaction se
rapprochant du feu. Que savez-vous d'autre lisait dans ses yeux.
sur Hans Wegener ? - Nous avons le corps, les lieux, des
Un peu dépité, Gerlach reprit son exposé cieconstances louches, nous avons la balle.
- Il a vingt-cinq ans, il est célibataire mais il a Nous connaissons un peu la victime. Il nous
une petite amie qui lui écrit régulièrement une reste à découvrir un mobile et conséquemment
fois par semaine. Les lettres sont écrites le un coupable ! Élémentaire, mon cher Gerlach
dimanche, postées le lundi et cela sans ! Avez-vous lu Conan Doyle, les aventures de
interruption depuis trois mois, moment où Sherlock Holmes ? Un autre
notre homme est arrivé sur le front de l'Est "décadent"…Vous devriez…Elles sont très
pour être affecté à l'unité de Thorvald. instructives. Bon, la soirée n'est pas terminée.
- Bien, on y reviendra. J'aimerais examiner les Je vais lire les lettres adressées au défunt
balles. soldat Wegener. Peut-être qu'elles nous
Gerlach saisit une petite boite et la tendit au révéleront de lourds secrets. Hein Gerlach ?
major. Quant à vous, j'aurais un dernier travail à vous
- Elles sont là. Wegener n'a reçu qu'une seule demander…Prenez le temps de manger
et unique balle. Elle est … quelque chose, après quoi vous irez faire une
- Ne dites rien de plus Gerlach. Vous avez enquête discrète, j'insiste, très discrète, sur un
bien identifié chacune d'entre elle ? Alors homme de l'équipe de Schneider. Il s'agit d'un
laissez-moi deviner laquelle a été retirée de sergent, un tireur d'élite nommé Schwartz.
son corps. D'ici minuit, je veux savoir tout ce que vous
Krüger plaça les projectiles sur la table. Il y aurez pu apprendre sur ce type. Exécution,
avait une dizaine de têtes de balles plus ou Gerlach ! Et n'oubliez pas le mot de
moins déformées, aplaties par les impacts. Le passe…Un accident est vite arrivé.
major les observa puis, sans hésiter, en saisit
une, la montrant au caporal. Tard dans la nuit, Gerlach eut un
- J'opterai pour celle-ci. Ai-je raison ? dernier entretien avec le major qui fumait sa
Gerlach approuva de la tête. Il n'était pas pipe. Krüger avait terminé la lecture de la
vraiment surpris car lui-même avait remarqué correspondance de Wegener. Il semblait
que le projectile était différent des autres. pensif. Il écouta avec attention ce que lui
- Voyez Gerlach. Ceci est une balle de fusil de apprit le caporal, le remercia et se prépara
gros calibre,, longue portée, facilement pour la nuit.
identifiable. Revêtement d'acier, forte
- Allez caporal, au lit. Faites de beaux rêves. - Wegener ? Hans Wegener ? Non…Qui
Demain matin, nous avons rendez-vous avec est-ce ? Et pourquoi devrais-je le connaître ?
un meurtrier.Je n'ai plus aucun doute à ce - Il s'est fait descendre dans l'attaque de hier
sujet. Les éléments du puzzel sont presque matin, dans les tranchées de la place Octobre
tous en place. Rouge. Il était originaire de Niederhausen.
C'est proche de chez vous , non, j'ai pensé que
peut-être…
Il laissa sa phrase en suspens.
Le sergent Julius Schwartz , revêtu de - Ah…Niederhausen, oui,je connais, c'est à
l'uniforme blanc des commandos spéciaux, trente kilomètres de chez moi. Une région de
arriva casqué et armé à son rendez-vous avec vignobles, un beau coin, avec encore pas mal
Krüger. En plus de sa carabine Mauser avec de gibier. Mais j'ignore qui est ce type. Nous
lunette télescopique, il avait un couteau de les snipers ne fréquentons pas tellement le
chasse non règlementaire, accroché à sa reste de la troupe. Par la force des choses, on
ceinture, et deux grenades. Agé d'une est un peu à part. Certains nous jalousent. On
trentaine d'années (d'après ce que Gerlach se tient entre nous…
avait appris de la bouche de Schneider), blond, - Oui, oui, naturellement…
les yeux bleus, il était petit de taille, plutôt Ce que disait Schwartz était vrai. Dans toutes
trapu et il en paraissait vingt. Krüger le trouva les armées il y avait des clans, des groupes
étonnamment juvénile pour un soldat d'élite fermés qui méprisaient les autres. Les
qui avait abattu plus d'une centaine d'ennemis. aviateurs détestaient les fantassins qui
Il avait imaginé quelqu'un de plus costaud, de jalousaient les marins. Chacun pensait
plus redoutable. appartenir à un corps d'élite et l'armée ne
Schwartz claqua des talons, salua le major – faisait rien pour décourager ces rivalités. Au
Heil Hitler ! - qui lui indiqua une chaise contraire…Et les tireurs d'élite formaient
délabrée. vraiment un groupe à part.
- Asseyez-vous Schwartz, ça n'est pas le Le major s'approcha de la table qui lui
grand confort. C'est tout ce que nous avons. servait de bureau, ouvrit un tiroir. Depuis que
Je vous ai convoqué car j'ai quelques le nom de Wegener avait été prononcé, il avait
questions à vous poser. Le caporal Gerlach, remarqué un changement subtil dans l'attitude
ici présent, prendra des notes, si vous le du sergent, quelque chose d'indéfinissible
permettez. Il y a longtemps que je désire dans le ton, dans sa position – il s'était
m'entretenir avec un tireur d'élite, un sniper et redressé un peu trop brusquement - mais
à ce qu'on m'a dit, vous êtes un des meilleurs. qu'il sentait instinctivement. Il avait à coup sûr
Schwartz sourit, bomba le torse. éveillé la méfiance de Schwartz qui le
- Je suis flatté, major. Je me débrouille bien au regardait plus intensément. Krüger décida
tir…C'est mon père qui m'a appris à tirer. Il d'aller droit au but.
était garde-chasse. J'ai hérité de son talent. Et - Vous êtes marié, Schwartz ?
je me suis fait près de 125 de ses salopars de L'autre leva la tête. Il y avait de
Russkis ! l'incompréhension et de la méfiance dans son
- Oui, je vois…Félicitations ! …euh…Dites- regard.
moi sergent, est-il exact que vous êtes - Oui…pourqoi ?
originaire du Palatinat ? En tout cas, c'est ce - Laissez-moi deviner …Votre femme s'
qu'a dit votre commandant. appelle Élisabeth, est-ce que je me trompe ?
- Affirmatif, major. Je viens de Bad - Affirmatif, major … mais…comment diable
Kreuznach. Ma famille habite là. Mon père, savez-vous ça et qu'est-ce que ça…
ma mère…. Krüger lui coupa la parole.
- Connaissiez-vous le soldat Hans Wegener ? - Comment l'appelez-vous dans l'intimité ?
Schwartz parut surpris par la question. Dans Lisbeth ? Liebchen ?
son coin, Gerlach tressaillit. "Nous y voilà", - Zabeth, je l'appelle Zabeth, mais j'aimerais
pensa-t-il. bien que vous m'expliquiez…
Il attendait la suite avec beaucoup d'intérêt, en Il fit mine de se lever. Le major l'arrêta du
oublia presque de prendre des notes. regard.
- Qui est Bubbi ?
Le sergent Schwartz était de plus en plus deuxième point, par contre je ne peux
surpris, de plus en plus nerveux aussi, son malheureusement que vous donner raison.
regard se déplaçant rapidement du major qui L'offensive générale russe ne saurait tarder,
affichait un air sévère à un Gerlach très c'est une question de jours, au mieux de
attentif, fasciné par l'échange verbal. quelques semaines et tout sera terminé. Heil
Maintenant, il était furieux. Hitler !
- C'est mon surnom. Mes parents Il y avait une forte dose d'ironie dans ces
m'appelaient comme ça, et Zabeth…Élisabeth dernières paroles.
a pris l'habitude de m'appeler comme ça elle Il y eut un bref moment de silence.
aussi. Que signifie tout cela ? Qui vous a dit Gerlach regardait la scène, fasciné par le
ça ? Qui vous a parlé de Bubbi ? major. Le diable d'homme avait coincé le
- Votre femme. coupable qui secouait la tête, incrédule. Le
- Ma femme ? Comment ça ? Je ne l'ai pas caporal se demandait ce qui allait se passer
vue depuis plus d'un an et puisque vous êtes ensuite. A sa grande surprise, Krüger déposa
si bien renseigné vous devez savoir aussi son pistolet sur la table – Gerlach n'ignorait
qu'elle ne m'écrit plus depuis quelques mois. pas qu'il avait horreur des armes, mais avec
La garce m'a laissé tomber. Pendant qu'on se une bête de guerre comme Schwartz, il ne
crève le cul ici, la salope s'envoie en l'air devait pas prendre de risque – et s'adressa au
avec… sergent;
- Hans Wegener. Je sais,… Elle couchait - Vous pouvez disposer, sergent Schwartz. Je
avec Hans Wegener, jusqu'à ce qu'il soit garde ce fusil, on vous en donnera un autre. A
envoyé à Stalingrad avec les renforts, il y a votre place, je ne parlerai de cette triste affaire
trois mois. Voici les lettres…Elle ne vous à personne. Je vais en informer Schneider,
nomme pas expressément mais elle signe bien entendu, et en discuter avec lui. Il fera
Zabeth et fait parfois allusion à son mari, bien ce qu'il voudra. Quant au caporal
Bubbi, qui se bat à Stalingrad. Gerlach, j'en fais mon affaire. Il se taira, n'est-
Krüger sortit un Lüger du tiroir, le pointa sur ce pas caporal ?
Schwartz. - A vos ordres, major mais puis-je..
- Les mains en l'air et ne faites pas un geste, - Non, vous ne pouvez pas, caporal.
sergent. Je vous accuse d'avoir assassiné de - Ah ? Bon..eh bien…
sang froid le soldat Hans Wegener, l'amant de S'adressant à un Schwartz aussi ahuri
votre femme. J'ignore comment vous l'avez qu'inquiet, Krüger lui ordonna sèchement de
appris mais vous avez voulu vous venger. partir.
Caporal Gerlach, veuillez prendre le fusil du Le sergent se leva, salua de façon
sergent. Allez-y prudemment, je le surveille… réglementaire, - Heil Hitler ! - pivota comme
Schwartz se laissa faire. Il avait l'air abasourdi, un automate et sortit de la pièce sans
assommé. D'abord, il resta silencieux, se demander son reste. Krüger ne lui avait pas
pencha en avant en se prenant la tête dans les rendu son salut.
mains, puis il se redressa, avec une lueur de - Vous le laissez partir ? demanda un Gerlach
défi dans le regard. plus incrédule que jamais ! C'est un assassin,
- Vous ne pourrez rien prouver ! Puis il vous l'avez dit vous-même…
ajouta: - Du calme, caporal, du calme…D'abord, où
- D'ailleurs tout le monde s'en fout. Moi le voulez-vous qu'il aille ? Il y a là dehors, des
premier… D'ici quelques jours nous serons milliers de soldats russes assoiffés de sang
tous morts ou prisonniers de ces cochons de qui nous encerclent. Par ailleurs, Schneider et
Russes ! tous les autres commandants ont besoin de
- Sur le premier point, vous avez tort, sergent. tous leurs hommes. Schwartz est un tueur,
J'ai assez de preuves circonstancielles pour certes, mais en temps de guerre, c'est plutôt un
vous envoyer devant une cour martiale. Une atout…
analyse balistique, même sommaire, me - Mais il a tué ce type froidement. C'est un
donnera la preuve définitive dont j'ai besoin. meurtre…
Je suis sûr que ce magnifique instrument de Krüger admirait la fougue, la jeunesse
mort – il désignait le Mauser que tenait de Gerlach qui avait vingt ans de moins que
Gerlach - va être très éloquent. Sur le
lui. Il paraissait soudain très fatigué. Il se - Enfin, je veux dire… ironique…Savez-vous
passa la main dans les cheveux. ce qui m'a permis finalement de résoudre
- Par tous les diables…En temps normal, l'énigme du treizième homme. ? Ni la
j'aurais envoyé ce type devant un peloton balistique – au fait, question de principe, on va
d'exécutuion. Mais ici, nous sommes dans le tout de même analyser une balle de ce fusil -
"kessel" de Stalingrad, la marmite infernale. ni mes observations perspicaces sur le terrain,
Des milliers d'hommes sont tués tous les non. Ça m'a certainement aidé, mais ce sont
jours, dans les deux camps. Pourquoi ? Pour les lettres d'Élisabeth Schwartz à son amant
qui ? Pour deux foutus dictateurs assoiffés de qui m'ont été les plus utiles. En matière
sang et de pouvoir. Là dehors, Russes et d'affaires criminelles, même dans ce foutu
Allemands sont des bêtes sauvages qui luttent bordel qu'est Stalingrad, à plus de deux mille
pour leur survie, pour leur âme. Le kilomètres de l'Allemagne et de la civilisation,
"rattenkrieg", la guerre des rats…Où est la au cœur même d'un paradoxal enfer de feu et
morale dans tout ça ? La foutue justice ? de glace, au milieu de toute cette destruction,
Trouvez-les, Gerlach…Où se cachent-elles ? de ce carnage sans queue ni tête, la bonne
Avant-hier, Schwartz était un héros, un modèle vieille logique s'applique encore et les bons
de "Landser" parce qu'il a tué plus d'une vieux préceptes sont encore de mise.
centaine d'hommes. Hier, il est devenu un - Ah oui, et quel précepte, major, si je puis me
meurtrier parce qu'il a flingué un rival permettre ?
amoureux, un connard qui lui a piqué sa Le major éclata de rire, se dirigea vers la porte.
femme pendant que lui, il se battait ici dans ce - Cherchez la femme, caporal…cherchez la
fichu merdier. Dans quelques jours, Schwartz femme.
sera en route comme nous tous, pour les
camps de Sibérie. Ou son cadavre mutilé Le 25 janvier 1943, la 62e armée soviétique, bloquée
gèlera dans la neige si les Russes découvrent dans Stalingard même, prend l'offensive. Après 24
qu'il est un sniper. Vous savez ce qu'ils font heures de combat, elle reprend la colline Mamaïev et
aux snipers, aux SS, aux gendarmes, aux déborde sur la Place Octobre Rouge en enfonçant
agents de la Gestapo et autres services secrets, toutes les lignes de défense allemandes. Le général
von Paulus, promu Feld-Maréchal du Reich, capitule
Gerlach ? Non, vous ne voulez pas le savoir… le 30 janvier et les dernières poches de résistance
Gerlach n'en revenait tout simplement pas, allemandes s'effondrent le 2 février.Seuls 5000 des 90
pendant que les paroles de Krüger 000 prisonniers allemands retournèrent dans leur pays.
résonnaient à ses oreilles. Le major avait On ignore cependant ce qu'il est advenu du major
pourtant raison. Personne d'entre eux, pas Krüger et du caporal Gerlach .
plus lui, que Schwartz, Thorwald, Krüger, ou
n'importe qui, n'avait d'avenir. Bienvenue en
enfer !  Norbert Spehner, janvier 2001.
- Vous avez probablement raison, major. En
ce qui concerne cette malheureuse affaire,
vous pouvez compter sur ma discrétion. Mais
tout de même…Quelle histoire ! Ce treizième
homme, vous aviez raison. Il nous a envoyé
un message… Et d'une certaine façon, vous
avez exaucé son vœu. Que vouloir de plus ?
- Jeune homme, je n'ai pas fait ça pour ce
salopard qui méritait de crever, mais pour
moi, pour vous, pour occuper nos esprits!
Pendant quelques instants, fuir devant
l'irrémédiable ! Ne pas penser à demain.
Ernst Krüger, attrappa son manteau, son képi
et s'approchant du caporal, lui prit le bras.
- Merci caporal…Par ailleurs, voulez savoir ce
qui est le plus drôle dans toute cette histoire ?
- Drôle, major ? Parution originale dans Alibis, no 4,
automne 2002
Crimes parfaits Tout cela a évidemment changé avec le
scandale de ces dernières semaines, quand est
paru l'abominable, l'amoral, que dis-je, le
pour terrible et inadmissible Crimes parfaits pour
les nuls !
les nuls Dans quelle espèce de monde
décadent vivons-nous ? Je vous le demande.
Comment peut-on accepter de publier des
Toute ressemblance avec des personnes horreurs pareilles ? Imaginez un peu…Un
vivantes…etc… ouvrage pratique qui donne des recettes
infaillibles pour vous débarrasser, sans coup
Je m' appelle Charles-André Filion. Je férir , des gens de votre entourage ! Comment
suis un nobody, un anonyme, ou tout comme. supprimer discrètement le maniaque à la
Je n'ai jamais rien fait de valable dans ma tondeuse du dimanche matin. Comment
chienne de vie. Ça va changer. Dans environ baillônner à tout jamais votre imbécile de
trente minutes, si tout se déroule comme superviseur. Comment éliminer les politiciens
prévu, je vais assassiner, non, que dis-je, je véreux et autres emmerdeurs notoires. Et j'en
vais exécuter l'écrivain Jean-Christophe passe et des pires ! L'horreur, je vous dis ! Je
Saumon ! Un geste moral, un acte de justice ! n'en reviens tout simplement pas ! Il va de soi
Je vais me lever du banc sur lequel je suis que les critiques et les médias ont beaucoup
assis, je vais marcher jusqu'à la table où il aimé. De quoi remplir les pages à sacndales !
dédicace son dernier bouquin et là, en Par contre, dès la parution d'une première
présence de centaines de visiteurs du Salon du recension presque dithyrambique , des voix
Livre de Montréal, je vais lui trouer la sérieuses se sont fait entendre pour protester
carcasse à coups de revolver, puis m'éclipser avec véhémence contre une telle apologie de la
discrètement et rentrer chez moi pour savourer violence. A juste titre, on s'est inquiété dans
mon exploit. Du moins cela devrait-il se les chaumières. Divers organismes ont
passer ainsi si je respecte ses conseils à la réclamé que le livre soit retiré des tablettes,
lettre, si j'applique la méthode infaillible, sans interdit à la vente, que son auteur soit
danger, exposée au chapitre 14 de son dernier poursuivi en justice pour incitation à la haine.
opus, Crimes parfaits pour les nuls, ouvrage Comme d'habitude, ce sont certains groupes
pratique en train de devenir son premier (et s'il minoritaires qui ont mené le bal avec le plus
n'en tient qu'à moi, son dernier) bestseller. d'acrimonie. Le Congrès Juif Canadien a
Ça ne va plus être long. J'ai beau me évoqué le plus sérieusement du monde la
raisonner, contrôler ma respiration, je suis tout possibilité d'un nouvel Holocauste, la Ligue
de même un peu nerveux. J'ai les mains lesbienno- féministe du Plateau a rappelé à
moites. Mettez-vous à ma place, c'est la grands cris déchirants que dans chaque
première fois. Il faut absolument que je homme sommeillait un Marc Lépine en
puisse descendre ce fumier sans me faire puissance, les gais du Village ont à leur tour
arrêter, je me dois de .réussir le crime parfait. évoqué la menace d'un éventuel serial killer
Allez, du courage, Saumon lui-même l'affirme inspiré par la prose de Saumon. Jamais
dans son affreux bouquin: ça va marcher ! ouvrage pratique n'avait déclenché de telles
Faut que je me calme… passions. Jusqu'au Joyeux Cercle des Belles-
Jean-Christophe Saumon est l'auteur Mères de Pointe aux Trembles qui a fait part
de plus de cinquante romans qui ont au moins de ses craintes (notamment à propos du
deux choses en commun: ils parlent chapitre 6 justement intitulé "Comment vous
principalement de cul, ils ont été royalement débarrasser de belle-maman sans douleur et
ignorés par la critique. Ça n' a pas empêché le en deux leçons". Bref, le ton a monté, le bon
gaillard de sortir deux ou trois livres par an, peuple a vociféré, les bonnes âmes se sont
de les pondre avec la régularité d'une poule en inquiétées, réclamant à grands cris des
chaleur. Toujours avec le même résultat: la mesures draconnienne et force subventions
critique le snobe. Tout juste si on daigne (ces dernières pour la forme, ça peut toujours
mentionner la publication de ses bouquins ! servir) : il fallait agir vite et bien, frapper fort.
Une plainte formelle a été déposée. Saumon
s'est retrouvé devant les tribunaux avec une camp…J'en avais vraiment ras le bol de ce
accusation d'incitation et de complot pour monde pourri qui perdait les pédales. Il fallait
meurtre ! Il risquait gros: quinze ans de vraiment faire quelque chose…
prison ferme et, plus grave, il ne pourrait jouir C'est alors que l'idée m'est venue de
des droits d'auteur généreux que ne faire justice moi-même. Puisque Saumon ne
manquerait pas de lui rapporter le succès à manquait pas de bons conseils pour se
scandale de ce procès sans précédent. Enfin, débarrasser sans problème des imbéciles, j'ai
justice serait faite… décidé de me servir de son propre bouquin
Hélas…Le procès a été bref, mené pour le zigouiller ! Juste retour des choses,
tambour battant par un avocat de la défense justice immanente ! Ahhh…Cette pensée
sans scrupules. Il a fait venir à la barre des m'excite au plus haut point. Et qui sait, s'il a
témoins un professeur de littérature qui, dans raison, si ses truc tordus fonctionnent
un exposé magistral (quoique un peu vraiment (je ne vais pas tarder à le savoir), je
pompeux, selon des témoins dignes de foi) a pourrai peut-être même songer à continuer le
fait une analyse sémiotioco-linguiste des nettoyage des écuries d'Augias, trouver
tropes de l'ironie qui, selon lui constellaient d'autres connards à abattre. Ça n'est pas le
cet ouvrage résolument apocalyptico-post- choix des imbéciles, des emmerdeurs qui
moderne. "Votre honneur, ce livre est une manquent. Pour ce qui est de l'incompétence,
œuvre de création. Il s'agit incontestablement du mensonge, de l'hypocrise et de la
d'une œuvre d'art". Et l'avocat de renchérir. Il malhonnêteté, les politiciens sont de loin mes
n'y avait jamais d'ironie, encore moins favoris (suivis de près par les dentistes, les
d'humour, dans des livre du genre Comment plombiers, les coiffeurs, les publicitaires et les
réparer son toit, il n'y avait pas non plus le avocats). La liste est longue, de quoi occuper à
moindre éclat de génie dans Gazons parfaits plein temps les loisirs d'un bon citoyen, fier
en dix leçons ou Ma première tondeuse. de ses nobles qualités morales, prêt à tous les
Aucune de ces qualités créatrices ne figurait moyens, même extrêmes, pour combattre la
le moins du monde dans les autres livres de la violence aveugle d'une société à la dérive.
célèbre série des "Nuls" , collection populaire Mais n'anticipons pas: pour le moment, il faut
entre toutes, qui avait d'abord proposé des d'abord que je réussisse mon coup avec
ouvrages d'informatique pour débutants, Saumon.
avant de toucher à toutes sortes de domaines Il en a encore pour quelques minutes
de plus en plus excentriques. Moi-même, je à parader. Dans les circonstances, pour moi
me souviens d'avoir feuilleté Le Sexe pour les c'est une éternité. Une dizaine de personnes se
nuls. Une vraie arnaque pour pigeons pressent autour de sa petite table pour
obsédés. Mais bon, paraît que ça donne à quémander son autographe. C'est son grand
quelques petites branleurs l'illusion d'être des jour, son impérissable minute de gloriole. Si
étalons. Toujours est-il que le juge, mon plan (qui est d'abord son plan, ne
probablement infecté par le virus du l'oublions jamais) réussit, ça sera la dernière.
"politiquement correct", s'est rangé Carpe diem, le scribe, carpe diem !
rapidement aux arguments de l'avocat. On ne Je déteste les salons du Livre. Je les
pouvait condamner une œuvre d'art, la liberté fuis comme la peste. Trop chaud, trop de
d'expression de l'artiste, c'était sacré, et toutes monde, trop de bruit. Et tous ces cons
ces conneries. Bref, le Jean-Christophe prétentieux qui ont commis un quelconque
Saumon, il a été acquitté ! Et tant pis si ce opus, sont là, la langue pendante, en attente du
bouquin machiavélique donnait un jour des client qui, la plupart du temps, de vient pas.
idées de meurtre à quelque esprit faible, ou De vraies putes ! Pour un auteur qui signe, il
devenait la source d'inspiration d'un y en a vingt autres qui s'emmerdent. Tiens, en
quelconque maniaque ! face du stand des Inaccessibles, l'éditeur de
Incroyable ! Non ? Les mots ne sont Saumon, se trouve celui des éditions Galbin-
pas assez forts pour exprimer mon dégoût Michelard. J'apercois leur auteur vedette, un
devant une telle parodie de justice. Quant l'art des invités d'honneur de ce grand cirque
justifie toutes les turpitudes, c'est que la culturel. Christian Bobette est venu présenter
société est malade. On tolère toutes les son dernier rejeton néo-minimaliste
violences, tous les écarts. La morale fout le parnassien qui fait fureur dans l'Hexagone.
Les critiques français (et leurs perroquets pour la télé. Bof, ça me reviendra… Il y a
montréalais) n'ont pas manqué de souligner quelques instants, j'ai cru reconnaître
"toute la fragilité de son style protoproustien, l'amazone Danielle Charrue, venue vendre son
plus concerné par l'être que le paraître, surtout dernier polar, très tendance, paraît-il ! J'ai un
dans les moments de solitude diaphane d'une copain qui m'a résumé la chose: une sordide
beauté exquise". Ou quelque chose comme histoire, noire à souhait, dont le héros
ça…Impressionnant, même si je ne prétends involontaire est un gros chien borgne et
pas avoir tout compris. Je ne suis pas boiteux qui a accidentellement avalé les clés
vraiment un intello, moi, A voir la tête dudit d'un casier contenant une grosse somme
Christian, seul devant sa pile d'invendus, il est d'argent planquée par des mafieux. Il est
clair qu'il s'ennuie de sa mère, à moins qu'il ne recueilli par une assistante sociale, lesbienne
soit tout simplement en manque de nicotine. et obèse, qui va tenter de le protéger des
On a sans doute aussi oublié de lui dire que bandits qui veulent lui ouvrir le ventre pour
les ploucs de Montréal étaient plus beaucoup récupérer la maudite clé. Elle en profite pour
plus intéressés par les succès de Marie de la demander des subventions. Du grand art ! Et
Larive dont la file d'admirateurs fait au moins socialement engagé, avec ça…
trois fois le tour du Salon, que par ses Bon, je digresse, je digresse, mais il
nombriliques cogitations existentielles. Elle a faut me comprendre. Je suis de plus en plus
tout compris, cette ancienne théâtreuse qui a nerveux. Il ne reste que très peu de temps. Il
soudain viré romancière à succès: un peu faut que je sois bien sûr de mon coup. Tout va
d'histoire québécoise, beaucoup de cul, du se jouer en quelques secondes. Si je rate ma
drame à satiété, de l'inceste, de la pédophilie, cible, je risque de finir mes jours en très
(les trucs à la mode, quoi !) des morts mauvaise companie, dans une prison sordide
violentes, encore du sexe, des passions où mieux vaut pas ramasser la savonnette !
déchainées, des bons, des méchants, le tout Côté fringues, je n'ai bien sûr rien mis de
expédié en combinant pas plus de mille mots particulier. Je dois passer inaperçu. Conseil
faciles à comprendre par le pékin moyen. Et avisé de Saumon. J'ai renoncé à la fausse
paf, ça vend comme des petites pains… moustache, aux verres fumées et autres
Mais revenons au meurtre de Saumon. plamondonneries pour polars d'opérette. J'ai
Plus que dix minutes…Pour chasser sur le dos une veste très ordinaire, avec de
ma nervosité, je continue à regarder ce qui se grandes poches. Et dans ces poches, mon
passe autour de moi. La foule du vendredi est flingue, avec le silencieux. Oh, pas le grand
dense, mais fluide. Une condition essentielle à truc viriloide impressionnant qu'on voit dans
la réussite de mon plan. Le samedi et le les films. Non, plutôt le genre revolver pour
dimanche, il y a trop de monde. Les autres nénette, à canon court, avec un silencieux plus
jours de la semaine, la foule est trop clitoridien que pénien. Il ne doit pas dépasser
clairsemée. Saumon est catégorique, il l'a bien les dix centimètres. Pas très précis, je dois
expliqué: c'est un facteur clé pour quitter les dire: de quoi rater un éléphant à vingt mètres
lieux sans problème. Pour le moment, les mais mortellement efficace pour le tir de
conditions sont idéales. Elles doivent encore proximité. Une arme de défense que m'a
l'être pendant quelques minutes, le temps de léguée mon père. A sa mort, le salaud a
passer à l'action pour de bon. Il y a toujours le partagé l'essentiel de sa fortune avec ses
risque de rencontrer quelqu'un que l'on nombreuses maîtresses. J'ai eu droit à une
connaît, qu'il engage la conversation. Ça serait rente annuelle pluôt maigrichonne, quelques
jouer de malchance, mais comme je ne suis boites de polars en anglais, et ce WRK 12
pas un habitué des Salons, encore moins du tchèque dont il était très fier. Mon paternel
milieu littéraire, pour le moment, on m'a fichu était inscrit dans un club de tir, paraît-il, mais
la paix. Cela ne m'empêche pas, à l'occasion, je n'ai jamais compris pourquoi il avait besoin
d' apercevoir des têtes connues, des célébrités d'un silencieux Je n'ai pas osé lui poser la
locales. J'ai pas lu, mais je les ai vus à la télé. question, ce qui m'a probablement évité
J'ai vu passer l'inévitable Michel Tromblon, quelques bonnes claques sur la gueule. Sacré
plus gros que jamais, en discussion animée papa ! Dieu ait son âme ! Il n'a pas travaillé
avec Victor Machin Chose - merde, comment une seule journée de toute sa sainte sa vie et
il s'appelle celui-là ? – il fait des trucs cons pourtant, il n'a jamais manqué d'argent. J'ai
renoncé à comprendre comment il s'arrangeait, sortie, située à une dizaine de mètres pendant
mais je ne suis pas complètement idiot. J'ai que ça grouillait, que ça criait autour de la
pensé à des trucs. Sans plus… victime. Surtout ne pas courir, ne pas s'agiter.
Bon, ça y est. Ca va être le moment Rester calme, se retourner, peut-être s'arrêter
décisif. Il est trois heures de l'après-midi. quelques secondes histoire de montrer qu'on
Jean-Christophe Saumon a terminé sa séance est intrigué par ce qui se passe sur les lieux de
de signature. Si mes prévisions sont bonnes, il l'agression. Puis, comme si de rien n'était,
va vouloir boire quelque chose. Je l'ai observé, repartir en direction du métro.
il n'a pas eu le temps de le faire. Trop occupé J'y suis…Tout s'est bien
à signer, à pérorer avec ses admirateurs. Il passé. Personne ne m'a interpellé. Je suis
devrait donc se diriger vers ici car le seul bar monté dans une rame de métro bondée. Ici
disponible se trouve derrière moi. Voilà, il s'en les gens sont calmes, ignorent sans doute tout
vient avec son attachée de presse dont il du drame qui s'est déroulé dans le hall. Dans
plusieurs fois lorgné les formes rebondies, quelques minutes, ça va probablement
histoire de trouver de l'inspiration pour ses grouiller de flics partout, mais il sera trop tard.
prochains livres. Faut dire qu'elle est pas mal Avec ces maudits cellulaires, les
rouée la gueuse. Mais c'est pas le moment de communications sont rapides, mais il y a des
fantasmer. Je me lève de mon banc, les mains milliers de personnes sur place. Des dizaines
dans les poches de ma veste. Je prends soin d'endroits où un criminel peut se planquer.
de débloquer le cran de sûreté du flingue, un Mission impossible. Ils vont en avoir plein les
geste que j'ai dû répéter une centaine de fois. bras.
Je tiens l'arme fermement, me coule avec Station Berri-de-Montigny, tout le
souplesse dans le flot de la foule qui avance monde descend. Je prends ma
lentement. Saumon se rapproche. Il sourit correspondance. Quelques minutes en
béatement, dit quelque chose à la donzelle qui autobus et me voilà chez moi. Je m'écrase
l'accompagne. Elle pouffe de rire. dans un fauteuil avec une bonne bière. Je l'ai
Je me rapproche, il est à moins d'un bien méritée. Je suis en nage. Quelle émotion
mètre. Il y a beaucoup de bruit ambiant. Le ! J'ai dû perdre deux kilos !
timing parfait. Nous nous frôlons. C'est Ils en ont enfin parlé aux nouvelles.
l'occasion ou jamais. Le "célèbre" écrivain (Tu parles ! A quand les
Pop. Pop. funérailles nationales ? ), Jean-Christophe
Tout s'est passé très vite, mieux que Saumon, victime d'un lâche attentat, est mort
prévu. Il y a beaucoup de confusion dans ces lors de son transfert à l'hôpital. Il n'a jamais
moments-là. Il faut garder son calme, suivre à repris conscience. La police interroge des
la lettre le scénario proposé dans le livre de la témoins. Des gens prétendent avoir vu
victime. Ça se déroule un peu comme dans un l'assassin mais comme de fait, les
film, au ralenti. J'ai tiré deux fois, à travers la témoignages ne concordent pas et pour le
poche. Dans les tripes. Comme dit la pub moment, il est impossible de tracer un
imbécile "Là où ça fait mal !" Un peu comme portrait-robot du tueur. Ce Saumon, tout de
à Dallas, quand Ruby a flingué ce tocard d' même, c'était peut-être un piètre romancier,
Oswald ! Pow, pow ! Cette fois, personne n'a mais quel sens pratique ! Il avait tout prévu.
vu de revolver ni entendu de détonation. Sa méthode a bien fonctionné. Pas de lézard !
L'effet de surprise. Saumon a écarquillé les Les flics ne sont pas prêts de me mettre la
yeux. Son visage a exprimé de l'étonnement, main dessus. Ils n'ont pas de mobile, pas de
puis de la douleur, il a vacillé avant de description fiable, rien…Le crime parfait !
s'écrouler comme une masse. Il l'a bien Merci Jean-Christophe…et bon séjour en
expliqué dans son bouquin: le premier réflexe enfer. Moi, je vais pouvoir dormir tranquille.
des gens autour de la victime, c'est de reculer Ce soir pourtant, en écoutant un
(instinct de survie, simple automatisme), avant reportage plus complet à la radio, une chose
de se précipiter pour secourir le malheureux, m'a frappée. Quel con, je suis ! Quelle gaffe
s'enquérir de son état. Comme tout le monde, incroyable ! Comment ai-je pu oublier une
j'ai reculé d'un pas, mais je n'ai pas avancé par chose aussi importante, aussi évidente ?
la suite. Je me suis plutôt fondu dans la foule J'aurais dû y songer au cours de l'après-midi,
adjacente. J'ai marché tranquillement vers la bien avant le passage à l'acte. La méchante
erreur ! Car après tout ce cirque, qui sait si ce quelqu’un qui a une peur bleue des armes à
bouquin ne prendra pas de la valeur. Trop feu, qui ne sait pas faire la distinction entre un
tard, l'occasion est manquée. Merde, merde et fusil et une carabine, un pistolet-mitrailleur et
remerde ! Que je suis nul ! une mitrailleuse. Moi, du moment que ça
mitraille... Bof...Il me faut aussi un silencieux,
J'ai complètement oublié de lui ce qui semble exclure le revolver pourtant plus
demander un autographe. pratique, plus facile à dissimuler. C’est du
moins ce que j’ai appris sur Internet. Mais
 Norbert Spehner l’information sur la grande toile n’est pas
avril/octobre 2002. toujours fiable. Alors, que faire ? Quel casse-
tête ! Pas facile de tuer quelqu’un dans ces
conditions.
Parution originale J’ai eu des moments de découra-
dans Alibis, no 6, printemps 2003 gement terribles, je voulais tout laisser tomber,
puis je pensais à Myriam, j’alimentai ma rage
et ma détermination. J’ai fini par trouver une
solution. Elle n’était pas sans risque. Tant pis,
je n’avais plus rien à perdre.
Il y a un endroit où, semble-t-il, il est
Avis de tempête relativement facile de se procurer une arme à
feu, à condition, bien sûr, d’y mettre le prix.
L’argent n’est pas vraiment un problème, la
vengeance n’a pas de prix et j’étais prêt à
allonger les sommes nécessaires. Au sud de
Montréal, dans la réserve iroquoise, il y a une
petite mafia locale qui contrôle toute une série
de trafics allant de l’alcool aux cigarettes, en
passant par les armes, toutes sortes d’armes, y
compris des lance-roquettes, ce qui, vous en
conviendez est un peu trop bruyant pour
commettre un hold-up, trop brutal pour
éliminer la belle-mère ou un voisin gênant.
Mais bon, à chacun ses joujoux. Pour ma part,
un pistolet pas trop encombrant, muni d’un
silencieux et d’un chargeur de quelques
balles, ferait très bien l’affaire. Mais avant ça,
il me fallait trouver un vendeur.
Je n’avais aucun contact, aucune
maudite idée comment procéder, par où
commencer, quoi faire, à qui m’adresser...Le
cauchemar ! J’ai dû improviser. Ça ne s’est
Finalement, la chose la plus difficile aura été pas fait sans quelques petits problèmes, mais
de me procurer une arme. Comme je suis un l’argent fait des miracles, ouvre bien des
citoyen plutôt ordinaire, un vrai Monsieur- portes. Bref, ça a marché !
tout-le-monde engendré dans le moule Je me suis rendu sur la réserve
universel du parfait nobody, vous mohawk. Le long de la route, en dehors du
comprendrez que cela n’a pas été une village, j’ai repéré une série de cabanes où se
opération de tout repos. A qui m’adresser vendent des cigarettes et je suis parti à la
sans attirer l’attention ? Je ne peux en parler pêche. Je suis entré dans une première
en personne. Il ne s’agit surtout pas d’éveiller boutique. Inutile de vous dire que j’étais dans
les soupçons, de laisser des traces. Quelle mes petits souliers. L’endroit était plutôt sale,
arme choisir ? Un pistolet ou un revolver ? encombré de cartons, de boites, de bouteilles
Autant de questions angoissantes pour vides, avec un antique comptoir délabré qui
semblait prêt à s’effondrer à tout moment. Il y
régnait une odeur âcre de fumée de cigarettes C’était vraiment mal barré. J’avais les genoux
mêlé à quelque chose d’autre, une odeur écorchés, l’âme meurtrie, le moral dans les
indéfinissable, irritante, franchement bobettes et toujours pas de pistolet !
dégueulasse. Derrière le comptoir, une petite Je décidai de faire une dernière tentative. Cette
vieille au visage ridé comme un cul d’éléphant fois, je changeai de tactique. J’entrai dans la
m’a demandé d’un ton brusque ” What do cabane suivante, plus propre, correctement
you want, Pale Face ?  Cigarettes ? Whisky ? rangée, mais qui puait la pisse de chat. Il y
”. Christophe ! Je connais pas grand chose à avait là deux clients, probablement des
l’anglais, moi. Je le comprends un peu, Indiens, qui sortirent aussitôt, non sans
quelques mots, mais je suis incapable de le m’avoir jeté un regard plus que suspicieux.
baragouiner. Comment je vais faire pour Sont drôles ces Indiens ! Paranoïaques
négocier un truc aussi délicat que l’achat comme des touristes tchéchènes à Moscou!
d’une arme avec cette sorcière qui me fixe L’essentiel de leur clientèle est blanche, on
comme si elle voulait me scalper. Non fait vivre leurs commerces, mais il nous
vraiment, je ne me voyais pas entrain de traitent comme des moins que rien. Mais
bafouiller  quelque chose du genre “   bon...C’était pas le moment de rejouer la
Euh...Hum... Je want, voudrais euh... buy a bataille de Little Big Horn. De toute façon,
....euh, comment on dit ça déjà ? euh...un celle-là, on l’avait perdue.
gunne ? Yesse ! Vous avez une gunne ? ” Le tenancier sortait tout droit d’un
Christie ! Impossible ! Oubliez ça ! Je suis roman de Fenimore Cooper. Un balèze, au
sorti de là dare dare sans même saluer visage farouche de guerrier apache (je sais, je
l’ancêtre. sais, c’est un Mohawk, mais pour les besoins
Décidément, ça n’allait vraiment pas être une de la métaphore...) marqué de vilaines
partie de plaisir. cicatrices de vérole, avec une queue de cheval
Dans les films, avez-vous remarqué, il et cent trente kilos de trop, pas très bien
n’y jamais ce genre de problèmes. Les gars se répartis.
rendent dans un entrepôt, rencontrent les “ Yes ? ” Une voix de baryton...Le Pavarotti
malfrats, tout le monde se regarde avec un air de la réserve... Mais un ton peu amène. Ça
farouche et suspicieux, il a une petite moment augure mal. Décidément, tous des brutes. Je
de tension, suspense oblige, puis ils font leur suis déjà prêt à battre retraite quand il ajoute
petite transaction et repartent qui avec le fric “ Quossé que t’ veux, l’ Blanc ? ” Ouf ! Au
qui avec leur arsenal. moins il parle français. Je joue le tout pour le
tout. Je sors un paquet de billets de vingt
Dans la vraie vie, les choses semblent dollars, je dépose le tout sur le comptoir
plus compliquées. crasseux, avec un petit mot sur lequel il y a
mon numéro de téléphone. D’une voix peu
Je suis entré dans une deuxième assurée, je lui présente ma requête, alors que
boutique aussi minable que la précédente. mes genoux participent malgré moi à un rave
Cette fois, l’amer indien de service était un endiablé. Mon coeur lui, bat des records de
petit vieux ratatiné, affublé d’une casquette systole ! Quant à la diastole, je vous dis pas. Il
qui datait de la guerre, la guerre de Sécession, y a un bref moment de silence. Le type me
il va sans dire. Celui-là comprenait le français dévisage farouchement, puis il se passe deux
mais je n’ai jamais pu terminer ma requête. chose. L’homme rouge se penche vers moi, le
Quand j’ai prononcé le mot “ pistolet ”, il a blanc, avec un regard noir, me désigne la porte
jailli comme un diable de derrière son et me dit “  Sors d’icitte, toé ! Nous les
comptoir, m’a empoigné fermement et m’a Indiens on est pas des bandits. On ne vend
poussé dehors sans ménagement, avec force pas d’armes icitte. Crisse ton camp, sors de
jurons indiens intraduisibles. J’ai atterri sans cette réserve et que j’te revois plus la face ! ”
douceur dans le gravier, alors que le vieux Tout en disant cela, il attrappe les dollars et les
démon rouge claquait la porte furieusement. met dans sa poche. J’ai tellement peur que je
Christie ! J’avais dû tomber sur un fichu suis incapable de dire un mot. Je fige, je suis
pacifiste. Ou alors, lui aussi déteste tous les paralysé. Je déglutis péniblement, j’esquisse
Blancs ! Maudits Kawishes ! un signe de la tête, voulant lui signifier que...
D’un geste rapide, il a planté un énorme
couteau de chasse dans le bois moribond du expédiés avec deux Mohawks cagoulés (vu
comptoir, a passé un doigt devant sa gorge, son gabarit imposant, l’un d’eux devait être
me faisant comprendre qu’il était temps de mon vendeur), et un échange : quelques billets
détaler sans demander mon reste si je voulais de cents et un Colt 45, modèle 1911, avec
conserver ma chevelure et ma bonne santé. silencieux et quelques chargeurs. L’arme était
Maudits Kawishes ! Tous des tarés ! Je vous encore dans son emballage d’origine, avec un
en foutrais moi des nobles sauvages ! Des mode d’emploi bilingue. Je n’osais même pas
bandits, des voyous, sacrement, parlez-moi imaginer dans quel jargon devait être rédigée
pus de ces ordures ! la version française. Le truc devait
J’ai quitté la réserve, la mort dans certainement être destiné à l’armée canadienne
l’âme, avec un assortiment neuf de jurons qui n’en avait jamais vu le chargeur.
racistes, un arsenal complet de préjugés En sortant de la réserve, j’ai fait mon stop
ethniques, le désir de venger Custer et dans les règles de l’art, me payant même le
avouons le, un brin de désespoir. luxe de saluer au passage les boeufs de la
Sûreté, qui baillaient dans leur char de police.
Plus grave encore, je n’avais toujours Moi, j’étais sur un nuage...rouge, dans les
pas de pistolet ! circonstances.

Je suis rentré chez moi, me suis servi Je regarde ma montre. Encore


un verre de scotch double, me suis affalé dans quelques minutes et elle devrait sortir du
un fauteuil, découragé, écoeuré, décidé à studio, se diriger vers sa voiture. Des
renoncer une fois pour toutes à mes funestes semaines de surveillance discrète m’ont
projets quand le téléphone a sonné. permis d’identifier sa routine. C’est une
C’était une voix d’homme. Il parlait femme très méthodique, ponctuelle à la minute
un français approximatif, mêlé d’anglo. près. Du lundi au jeudi, elle sort du studio
C’était mon Mohawk à gueule d’Apache. Il vers 18h30, après le bulletin principal.
m’a donné rendez-vous le jour même dans la Impossible d’agir à ce moment-là. La parking
réserve. Il avait mordu à l’hameçon. Avant de est plein de voitures, il y a un va-et- vient
raccrocher, il a ajouté “ Oublie surtout pas constant. Elle sort rarement seule, en profitant
l’argent, white skunk ! ”. Skunk toi-même, pour papoter avec des collègues ou des
Peau-Rouge ! Tu parles d’une affaire...Oublie techniciens. Par contre, le vendredi, elle
pas l’argent, oublie pas l’argent...Pas de participe à l’émission de fin de soirée. Après
danger. J’étais tellement content, soulagé, que quoi, j’imagine qu’elle doit se démaquiller,
je ne risquais pas de l’oublier, oh que non ! enfiler son manteau. Puis elle se dépêche de
Ça m’enchantait moins de retourner à la rentrer car sa semaine est terminée. Il est
réserve mais bon, j’avais trop pas le choix. généralement onze heures quarante-cinq,
Fallait que je sois prudent en allant au rendez- quand elle quitte le studio.
vous. J’étais tellement excité que je risquais Ce soir, les conditions sont idéales. Il
de provoquer un accident de la route. C’était ne reste que cinq voitures sur le stationnement
pas le moment. plongé dans le noir. J’ai recouvert ma plaque
A mon grand soulagement, la suite d’auto d’origine avec une autre, achetée dans
s’est déroulée comme au cinéma. Même que un magazin de souvenirs de Longueuil. Elle a
pour ajouter au suspense, il y avait une voiture l’air authentique et, dans l’obscurité, elle ne
de la Sûreté du Québec stationnée à l’entrée risque pas d’attirer l’attention. J’ai vérifié, il
de la réserve. Mais je ne m’en faisais pas n’y pas de caméra de surveillance. Je ne
outre mesure. Ces lâches n’intervenaient que risque donc pas de voir ma plaque
pour les scènes de ménage, et encore, quand le photographiée. J’ai néanmoins opté pour la
couple litigieux n’était pas trop costaud, se prudence.
contentant d’embarquer la bonne femme. Le temps file. Le moment tant attendu
Pendant ce temps, les trafics se faisent en approche. Je n’ai jamais tué personne, moi,
toute impunité. Maudits politiciens, pas de c’est la première fois. Je suis plutôt tendu.
couilles ! Les jambes molles, les mains moites, j’ai
Un hangar, en retrait d’une maison chaud, je transpire un peu. Je pense à Myriam
elle-même isolée, quelques palabres vite pour me donner du courage.
Chargé à bloc, muni de son silencieux, le depuis les premières heures du matin. Avec le
pistolet est posé sur le siège du passager. lot de niaiseries et de clichés de circonstances.
Depuis ma visite mémorable chez les indignes “ L’enquête suit son cours ”, “ La police se
représentants des première nations, j’ai eu le perd en conjectures ”, “ Qui a pu faire une
temps de m’entraîner au tir, dans un endroit chose aussi horrible ? ”. Elle était tellement
discret des Laurentides, de me familiariser fine, tellement belle, tellement gentille,
avec cette arme d’une efficacité redoutable. Je tellement intelligente, tellement too much,
me débrouille plutôt bien. avec ses collègues, et sa pauvre famille, et un
J’attends. Pas très longtemps. Je mari éploré, et deux enfants en bas âge, etc,
l’aperçois enfin, sa silhouette élancée, ses etc...Les charognards de tous les postes à
grands cheveux blonds. Faut reconnaitre infos continue ont le visage rougeaud de celui
qu’elle a de la gueule, la maudite. Mais qui va faire une crise d’apoplexie ! Ils en
bon...Faut pas s’apitoyer. Pense à Myriam. bavent de contentement. Les hyènes ont de
Nourris ta rage. Pense à Myriam... quoi se lècher les babines ! Tout ce beau
Elle est seule. Le parking est toujours monde nage en plein délire, se hypothèeses
vide. Je mets le contact. Au bruit du moteur délirantes . Tout y passe, du tueur en série à
qui démarre, elle tourne la tête, regarde dans l’amant éconduit ou au mari jaloux. Et
ma direction, puis se dirige vers son auto. pourtant, je suis le seul à savoir pourquoi la
Mon coeur bat de plus en plus fort, mes belle Josette a été abattue. Le seul à savoir que
jambes tardent à réagir quand j’enclenche la cette maudite folle, qui se prenait pour Alfred
marche avant et que ma Honda avance Hitchcock était responsable de la mort de
doucement sur le parking. En douceur, Myriam, la femme de ma vie.
j’amène mon véhicule à sa hauteur. Arrivé à Un meurtre ne peut être résolu que si
côté d’elle, je baisse ma vitre. “ Excusez- les enquêteurs arrivent à trouver le mobile du
moi... Madame ? ”. Surprise, elle se tourne tueur. Sans mobile, il est à toutes fins
de mon côté, (ai-je perçu une brève hésitation pratiques impossible d’identifier l’assassin. A
?), se penche vers moi. entendre s’agiter la race des croquemorts de
Tout se passe en moins d’une minute. l’info télévisée, la police penchait pour le
Je tire deux balles, presqu’à bout portant. crime passionnel. Elle était belle, elle était
Dans le front. L’impact la repousse en arrière. sexy, elle devait avoir des amants, des
Elle tombe lourdement sur le côté alors que le aventures. Sexe et sang, le mélange explosif,
sang se répand sur l’asphalte. Sur le coup, je la drogue des fêlés de l’info-spectacle. Les
crois que je vais dégueuler. Je me cramponne tabloids allaient en avoir pour des mois à
au volant, continue à rouler en douceur, sors remuer la boue, sonder la passé de la belle,
du parking, m’engage sur le boulevard. Pas fouiller dans ses vidanges, mais personne,
de précipitation, même si mes nerfs sont en jamais ne découvrirait la triste vérité.
pelote. C’est pas le moment de se faire Cette stupide Miss Météo a été exécutée pour
coincer pour une entrave quelconque au code avoir émis un avis de tempête avec cinq
de la route. Je fais plusieurs kilomètres avant minutes de retard !.
de m’arrêter dans une ruelle. J’enlève la Avez-vous déjà essayé d’avoir des
plaque factice. Je dépose le pistolet dans le prévisions météos fiables à la télévision ? A la
coffre (sous la roue de secours) et je rentre à radio, c’est impossible, je suis incapable de
la maison. Un double scotch devrait me faire supporter les publicités stupides, criardes, et
du bien. Myriam est vengée. débiles qui me rongent la cervelle. Alors je me
C’est maintenant la nouvelle de la rabats sur la télé, ou sur Internet, quand j’ai le
semaine, la manchette de toutes les unes, la temps. Encore là, il faut savoir choisir son
providence des fouilles-merdes de tous poste. Oubliez la télé d’État ! C’est là que
acabits : le meurtre crapuleux de Josette sévit la très ésotérique Martine Desrosiers
Deslauriers, la belle Miss Météo de Canal qui confond bulletin météo et discours post-
Perfect. Des collègues ont trouvé le corps une moderne. Je ne suis pas plus cave que la
dizaine de minutes après mon départ. J’ai eu moyenne, mais crisse, je ne comprends rien à
beaucoup de chance ! ce qu’elle nous annonce. Dans le même
Qui a tué Miss Météo ? Telle est la seule et bulletin, on aura droit au soleil, à de la pluie,
unique question qui agite la Belle Province avec quelques éclaircies, alors que le vent du
nord va virer à l’est, léger mais avec rafales, - Alors, Josette, paraîtrait que ça va se gâter
quand ce n’est pas du sud avec un petit détour ?
par l’ouest ou quelque chose comme ça. Un Elle l’avait interrompu, avec ce grand éclat de
incroyable salmigondis aussi clair qu’une rire un peu vulgaire qui était sa marque de
thèse de sociologie d’un prof de l’UQAM. commerce :
Oubliez aussi le canal météo spécialisé ! On - Ah non, Bertrand, ne cassez pas mon
dirait du grand guignol ! Les filles sont des punch. Ah, ah, ah. Attendez, attendez.
clones ridicules et nullissimes, au vocabulaire Suspense, ah, ah, ah...J’ai des petites
limité à quelques onomatopées burlesques, nouvelles pour vous, elles ne sont pas trop
qui confondent bulletin météo et figuration bonnes, je vous en dirai plus tout à l’heure
dans Passe-Partout. Habillées comme la ! Ah, ah, ah ! A tantôt, Bertrand...
chienne à Jacques, dans des tailleurs - A tantôt, Josette ! Nous revenons donc
ridiculement démodés, elles jacassent, rigolent, à....
papotent de tout et de rien entre deux pubs - Qu’est-ce qu’elle a dit, la madame Météo
débiles pour la Glucosamine ou les problèmes ?
érectiles d’une ex-vedette du hockey qui ne Myriam n’a pas attendu. Elle a déjà mis son
score plus. La météo dans tout ça ? Une sorte manteau, a pris les clés de l’auto. Elle
de nébuleuse approximative mâtinée m’interpelle depuis le salon.
d’auberge espagnole : apportez votre chute de - Elle n’a rien dit, cette idiote...Suspense,
neige, provoquez votre grésil ! Et n’oubliez suspense, tu parles d’une crisse de folle.
pas votre parapluie ! Ne reste donc plus que la C’est plus de la météo, c’est les X-Files !
belle Josette, la plus sexy des Miss Météo, la En tout cas, ça s’annonce pas très bien,
vedette du Canal Perfect. T’es sûre que tu veux y aller ? Attends
Le problème, c’est que dans ce monde donc quelques instants, elle va donner les
bizarre où réalité et fiction ont de plus en plus détails...
tendance à se confondre, la météo est devenue - Ouais, bon, j’ai plus le temps. Je suis déjà
un spectacle. Il faut de l’émotion. Oubliez la en retard. T’inquiète, je serai prudente.
tête, calvasse, il faut frapper aux tripes. Ciao, mon amour.
Mettez-en du facteur éolien ! Faut que la Ce furent ses dernières paroles.
température normale, chute de manière Quand elle est sortie, la porte s’est refermée
spectaculaire. De Montréal à la Sibérie, le sur ma vie.
temps de le dire ! Faut que ça fesse ! Que ça Quelques minutes plus tard, le bulletin
impressionne. Et s’il fait beau, avec un ciel de nouvelles s’est achevé avec les prévisions
sans nuage, ajoutez-y une dose léthale du temps. Miss Météo est revenue avec, en
d’indice UV, histoire de dramatiser la journée, effet, de très mauvaises nouvelles : un avis de
d’inquiéter le bon peuple qui n’en demande tempête ! Rien de moins. Au menu : une
pas tant. probable chute de verglas, puis de la neige
Eh oui, stupide Miss Météo...C’était avec des vents forts. Et d’ajouter : “ Alors,
un mardi soir de janvier. Je ne l’oublierai Bertrand, ça valait la peine de vous faire
jamais. Il était environ 18h10 quand Myriam a languir un peu , non ? Faites attention en
allumé la télé pour essayer d’attraper un rentrant chez vous. Soyez prudent !”
bulletin météo. Le temps était incertain, elle Christie de folle ! Je t’en foutrai moi
avait plus de deux heures de trajet pour des scénarios de feuilleton cheap ! Et Myriam
rejoindre des amies qui fêtaient un départ à la qui est partie dans ce merdier. Elle aurait dû
retraite. Neige ? Verglas ? Grésil ? Le ciel était attendre. Je suis mort d’inquiétude...
plutôt menaçant. Valait mieux se préparer. La téléphone a sonné deux heures plus tard.
J’aurais préféré qu’elle renonce à cette sortie Un flic m’a annoncé la terrible nouvelle avec
mais, les femmes, quand elles ont décidé une voix neutre et professionelle. Je n’ai
quelque chose. Christie ! Une vraie mule... entendu que les premières paroles, le reste
Josette Deslauriers venait d’apparaitre à la s’étant perdu dans une sorte de brouillard
télé, pour la première partie de ses prévisions. indistinct d’où ressortaient quelques mots :
L’animateur du bulletin de nouvelles lui avait intempéries, glissade, perte de contrôle,
demandé : camion, collision frontale, je suis désolé, etc.
Elle est morte sur le coup !
Dans les mois qui ont suivi l’accident Parutio originale dans Alibis, no 22,
, j’ai vécu comme un zombie, sur le pilote printemps 2007
automatique. La mort stupide, injuste,
révoltante de Myriam m’obsédait. Puis une
idée a germé, s’est imposée peu à peu, s’est
développée, nourrie par mon ressentiment
contre la météo spectacle et sa plus illustre
représentante, Josette Deslauriers, alias Miss
Météo. L’idée de vengeance s’est précisée,
affinée , jusqu’à devenir une intolérable
obession. Finalement, pensant me libérer,
atténuer la douleur, je suis passé aux actes.

Plusieurs mois se sont écoulés. Le


souvenir de Myriam me hante toujours, la
douleur me taraude toujours autant. Tuer
Miss Météo n’a pas eu l’effet thérapeutique
désiré. Sur le coup, c’est vrai, j’ai ressenti une
certaine jubilation, le sentiment du devoir
accompli. Puis le mal est revenu, toujours
aussi vif. Un cancer de l’âme. Évidemment, le
meurtre de Josette n’a jamais été résolu.
Après quelques semaines de spéculations
journalistiques aussi futiles que crapuleuses,
les gratte-bobos des tabloids se sont tournés
vers de nouvelles affaires juteuses. La police
garde le dossier ouvert, l’affaire suit son
cours, disent-ils. L’examen ballistique les a
menés dans une impasse. Le pistolet qui a tiré
les deux balles a été volé il y a deux ans dans
un magazin du New Jersey et depuis, on a
perdu toute trace de cette arme. Quant aux
perruches de la météo, elles continuent leurs
ridicules petits numéros de prédiction fiction,
en minaudant à qui mieux mieux, comme si le
sort du monde dépendait de leurs prévisions.
Elles ont toutes adopté ce schéma pathétique
que j’haïs tant : une première annonce où on
ne dit rien ou pas grand chose, histoire de
vous faire saliver, puis, quelques minutes plus
tard les détails qui importent vraiment.
Bref, le thriller météo !
Crisse que ça m’enrage !
C’est pourquoi, j’ai ressorti mon pistolet.
J’avais d’abord pensé m’en défaire, mais vu
la manière lamentable dont pataugeaient les
flics, j’ai très vite compris que je n’avais rien
à craindre. Ils ne remonteraient jamais jusqu’à
moi. Alors, je l’ai gardé. Jusqu’au prochain
avis de tempête. Ça ne saurait tarder.

Norbert Spehner
Nostalgie ! Remarquez que cette fois ça lui a coûté
quelques bleus dans le visage, et deux incisive
fendues. Putain ! Coûte cher le dentiste ! La
Parution originale dans Alibis, no 25, Karine dentaire, quoi. Ah les femmes, la
2008, avec le titre «  Le monde change ! » manière forte, y a que ça de vrai. Non, c’est
vrai, les gars d’aujourd,hui, ce sont de vraies
moumounes à la baise-moi-le noeud, des oui-
chéri-par ci, des-oui-chéri-par là, et tout ce que
tu veux mon amour, et encore plus. Et je te
Les choses ne sont plus ce qu’elles étaient. minouche, et je fais tes quatre maudites
On vit vraiment dans un drôle de monde ! volontés. Roses à vomir... Y comprennent pas,
Prenez les couples, par exemple... La moindre les sans-couilles! Elle te fait chier, tu cognes.
contrariété, le moindre obstacle, la moinde C’est pourtant facile à comprendre, non ?
dispute et ils se défont bêtement au bout de Sauf qu’avec cette grande gueule de Karine
quelques mois, quelques années pour les plus j’ai dû mettre les bouchées doubles et elle a
solides. Ça ne dure jamais bien longtemps. La fini à l’urgence, avec une double fracture du
haine a vite fait de remplacer la passion. crâne et une vertèbre plus tout à fait dans
D’ailleurs, à quoi bon encore se marier – ça l’axe. C’est fragile, ces p‘tites bêtes. Quelle
coûte des milliers de dollars - sachant que idée aussi de vouloir transbahuter une grosse
deux rodéos conjugaux sur trois se cassent la pile de serviettes de bain dans un escalier
gueule ? Aujourd’hui tu peux vivre en couple aussi raide. C’est dangereux, je lui ai dit et
sans la bénédiction du maire ou du curé. Mais redit. Elle fait pas gaffe, la Karine. Plus
les filles veulent une robe, une cérémonie, un maladroite que ça tu meurs. Et c’est ce qui est
bal, la famille et tout le tra la la. Tout leur est arrivé. Kaput, la Karine ! Le médecin de
dû. Sont fous, ces jeunes. Non, vraiment, on l’urgence m’a regardé d’un drôle d’air, mais
n’a plus les mariages qu’on avait. Avant, bon, les ambulanciers lui ont raconté, ça avait
c’était simple, le mari commandait, la femme vraiment l’air d’un acccident. Et puis je
obéissait, tout était pour le mieux dans le l’aimais moi la Katrine. Bon, j’ai peut-être
meilleur des mondes. Voyez notre couple, à poussé un peu fort mais quoi, elle avait qu’à
Karine et moi, exemplaire, vraiment faire gaffe et pas m’emmerder. Je suis un bon
exemplaire... Bon d’accord, il nous arrive de gars, aimable et tout et tout, mais je rigole pas
nous disputer, de nous quereller, comme tout avec le respect dû au conjoint, moi. Ça a
le monde. C’est normal, ces choses-là passé pour un accident, mais j’ai bien vu que
arrivent, pas de quoi en faire un plat. On ne se le médecin de garde avait des doutes.
sépare pas pour autant. Si elle ne marche pas Mais bon ! Le monde change. On n’a plus les
droit, deux ou trois claques sur la gueule, une médecins qu’on avait !
bonne engueulade, quelques menaces bien Avant, ces fêlés du coupe-coupe constataient
senties et elle reprend le droit chemin d’une le décès, vous serraient la paluche avec des
vie conjugale bien comprise. Pas de quoi condoléances aussi sincères qu’une promesse
vraiment fouetter un castor rétif... de politicien, vous signaient l’avis de décès
Mais bon ! Le monde change. On n’a plus les vite fait et vous retourniez chez vous l’esprit
femmes qu’on avait ! en paix, réconcilié avec le monde en général et
Ça a marché avec Anne-Marie, puis avec la médecine en particulier. Mais là, je suis
Hélène, même si elles ont fini par engraisser tombé sur un teigneux. Le style assistante
les pissenlits. Oh, des accidents, toujours des sociale recyclée dans l’humanitaire, un
accidents... Rien de prémédité, je le jure : une militant, un de ces grands défenseurs des
mauvaise chute, des freins qui lâchent, le fâââmes qui voient des violeurs, des
destin quoi ! Requiesat in pieces, comme pédophiles, des batteurs de nanas et des
disent les Angliches ! Cette fois, ça accroche tueurs en série dans leur soupe. J’ai pigé tout
avec Karine. Elle donne dans la résistance de suite, quand on est arrivé avec le corps de
féministe, elle fait souvent sa mauvaise tête. Karine. Un coup d’oeil et ce con m’avait
Madame a même tenté d’élever la voix, de me étiquetté : batteur de femme, doublé d’un
faire la leçon. De quoi je me mêle ! violeur en puissance. Faut pas pousser ! J’ai
jamais baisé avec une nénette sans son
consentement. Au pire, quelques claques bien petits bricolages. De toute manière, les
senties pour faire passer leur mal de tête et le radoteurs de la presse ont parlé de négligence,
tour est joué ! Bon, lui, il était pas convaincu. d’accident malheureux et tout ça. Elle est
Un ton hargneux, un regard agressif, les règlée, la question du doc. Reste à m’occuper
gestes fébriles du défenseur des sans-abris et d’André. Faut y voir.
des grenouilles albinos, j’ai compris que ce Le monde change. Ah mais, c’est qu’on n’a
taré pouvait me causer quelques ennuis. J’ai plus les enfants qu’on avait...
demandé son nom à une infirmière, j’ai fait André, le fils de Karine, pas le mien - un coup
ma petite enquête discrète, j’ai découvert où il vite fait avec un mec de passage, moi j’y suis
crêchait, cet enfoiré . En fait, au bout de pour rien - qui s’était absenté pendant
quelques heures, je savais l’essentiel : le quelques jours, est revenu pour découvrir que
docteur Bastien est célibataire, il vit seul avec sa mère était morte en tombant dans l’escalier.
un chien – devrait baiser de temps en temps, Je ne l’avais pas prévenu. Je voulais pas lui
ça le rendrait moins hargneux – et conduit un gâcher son séjour écolo dans les bois avec ses
4x4 de marque Subaru vieux de quelques copains. “ Espèce de salaud, c’est toi qui l’as
années, croulant sous le kilométrage. Il fait tué ! ” Le gamin n’a que douze ans, mais il
beaucoup de route, le doc, il aime la en a dans le ciboulot. Un rapide, un intuitif et
campagne, la nature sauvage, les fleurs, les un méfiant. Une fouine. On s’est jamais bien
petits oiseaux. Je suis sûr qu’il milite contre bien entendu, lui et moi. Pas d’atomes
la chasse aux phoques, la surpêche de crochus. Paraitrait que je suis trop violent avec
perchaudes, les pataugeoires à moustiques, et sa mère. Que je suis un sale type, une brute,
autres bonnes causes humanitaires. Son 4X4 un parasite et autres compliments. Enfin, le
a pas mal servi, mais bon...Faut y voir. genre de connerie que raconte un moutard mal
Le monde change. On n’a plus les autos élevé. Mais là, il pousse le bouchon un peu
qu’on avait ! loin, parle d’aller à la police. Une enquête, et
Aujourd’hui, ça rouille vite, y a trop tout ça. Hola, il y va fort le lardon. Même que
d’électronique pour contrôler des centaines de je lui déjà dit mille fois de faire attention
bébelles inutiles, ça bouffe de l’essence et ça quand il prend son bain. Y a des gens
tombe en panne pour un rien. Hé, oui, ça a maladroits qui glissent sur le savon et se
des défaillances imprévues, ces belles fracassent la tête sur le rebord de la baignoire.
mécaniques. Celle du bon doc n’a pas fait Ces choses là arrivent. En tout cas, c’est ce
exception. Après l’avoir bien inspectée, que m’a dit d’un air compatissant un des gars
pendant qu’il était de service, j’ai fait d’Urgences Santé qui vient chercher André
quelques réparations mineures pas vraiment pour l’emmener à l’hôpital. Pour constater le
nécessaires ni approuvées par le manuel décès. Il est costaud, le bord de la baignoire,
d’entretien. Des bricoles, histoire de modifier c’est fragile un crâne de pré-ado. J’ai dû m’y
le freinage. C’est pas compliqué, tu reprendre à deux fois, il se débattait le bougre.
débranches un fil par-ci, tu vides un réservoir Comme disait, je crois ce con de Fucius “  
par-là, tu déconnectes un truc, tu déserres un Faut que jeunesse trépasse ” ou quelque
boulon, et voilà, prêt pour l’impact. Ça n’a chose comme ça. Je ne sais plus. C’est loin
pas tardé. A près de cent kilomètres à l’heure, la maternelle!
la Subaru du conseiller en pilules socialement Manque de pot, les ambulanciers l’évacuent
assistant est allé minoucher un gros semi au même hôpital où on a amené Karine, il y a
remorque chargé de médicaments contre les de ça quelques jours. Le doc Bastien n’est
maux de dos. Ça s’invente pas. Maudite rue plus de garde, of course, mais je reconnais
Notre-Dame, ça fait des années qu’on dit une des infirmières. Elle m’a replacé aussi, la
qu’elle est trop dangereuse ! Un champ de grosse laide ! Elle était là quand on a amené
bataille routier, doublé d’un abattoir, sillonné Karine. J’aime pas son regard. Le même que
par les tarés de l’embrayage. Le doc a été le doc. Suspicieux, farouche, déterminé : ça
écrapouti, une vraie crêpe au ketchup, sa sent les ennuis. La médecine de garde, une
bagnole avec. Un amas de ferraille informe, petite femme éteinte au profil de souris
style chef d’oeuvre de l’art contemporain. cancéreuse, pose les questions d’usage. Mais
Dans l’état où lequel elle se trouve, je doute elle n’est pas chiante, la doc, elle écoute mes
fort que quiconque réussisse à repérer mes explications, approuve d’un signe de tête, me
condoléance sans chichis. Elle m’embêtera base-ball. Le vol pourrait être le motif du
pas celle-là. Pendant ce temps, garde Sophie crime ”. Ouais, j’ai frappé dur. Mais j’ai rien
(c’est le nom de la grosse vache) examine volé. Les pisse-copies inventent, faut bien
avec suspicion la dépouille du rejeton. Bonne qu’ils gagnent leur croûte. Le temps de me
chance ma vieille, tu trouveras que dalle ! Une forger un alibi en béton, ni vu, ni connu, le
fracture du crâne bien nette, bien proprette, meurtre va passer aux profit et pertes,
rien d’autre. C’est dangereux ces baignoires alimenter la rubrique des affaires jamais
modernes, ça glisse, tu perds le contrôle et résolues. Le soir du crime, je jouais aux cartes
paf, la chute, la fracture fatale. Mais ce n’est avec deux bons copains, croix de bois, croix
pas à ça qu’elle pense, la salope. Elle m’a de fer, le menteur ira en enfer, anyway,
déjà catalogué. A la fois procureur, juge et quelque chose comme ça. Sauf que le con de
jury, elle m’a déjà condamné. Parce qu’elle se flic est venu pareil !
souvient de Karine. Parce qu’elle se souvient Sûrement quelqu’un de l’hôpital. Une
de Bastien. Ça fait beaucoup de coincidences vérification de routine, des coincidences
pour sa petite caboche de garde-malade. Elle troublantes. On appelle les flics. Un flic, en
va péter un fusible, ça va pas tarder. fait ! Il est poli, le gars. Un peu trop même.
Mais bon, le monde change, on n’a plus les Pose quelques questions de routine. Il n’a pas
infirmières qu’on avait. l’air méchant. Méfiance ! Je connais le genre.
Avant, elles se contentaient de suivre avec Le modèle Colombo certifié Colombia
dévotion les ordres du médecin qu’elles Pictures. Négligé de sa personne, mais
comptaient épouser. Elles étaient aussi teigneux, obstiné comme un morpion dans un
efficaces qu’effacées, ne se prenaient pas pubis de pute. Merde ! Ce sont les plus
pour des défenseurs de la veuve, de l’orphelin dangereux. Faire gaffe ! Pas d’impair avec
et de tous les opprimés de la terre. l’imper ! Pour le moment, mon alibi tient la
Aujourd’hui elles fourrent leur grand nez route. Il a parlé à mes potes. On a joué aux
partout. Les ayathollas des bonnes moeurs, de cartes, qu’ils ont dit. Croix de bois, crois ou
l’hygiène sociale. La loi et l’ordre, selon le meurs, quelque chose comme ça, mais le
corps médical. Comme des bonnes soeurs. fouille-merde, non, il n’a pas l’air d’avaler la
Mais j’en ai rien à foutre des états d’âme de couleuvre. Il trouve qu’il y a quelque chose
la Sophie. Sauf si elle a la mauvaise idée de qui cloche. Il m’a fait comprendre qu’il allait
prévenir les flics. J’aimerais pas trop ça. les cuisiner à nouveau, puis qu’il reviendrait
Nuages noirs à l’horizon, comme disait me voir. Pour le moment, il les laisse mijoter.
Buffaol Bill. Et quand les carottes seront cuites, ce sera à
Faut y voir. moi de passer à la casserole. Ce con cultive la
Les formalités hospitalières accomplies, j’ai métaphore culinaire. Un vrai chef de police.
bavardé mine de rien avec quelques collègues Ha, ah. Petite conversation amicale, tu parles.
de l’enragée de la seringue. Discrètement, en Un pot de colle, je vous dis...Y lâchera pas,
prêchant pour leur paroisse syndicale – les l’argousin de mes deux!
horaires de fous, des malades plus que C’est quand il a commencé à me parler
malades, des p’tits vieux envahissants et d’Anne-Marie, d’Hélène et de Karine que
chialeurs, des médecins tyranniques et oui, j’ai compris qu’on n’avait plus les flics
mon bon monsieur le métier n’est plus ce qu’on avait.
qu’il était, tiens donc, j’ai déjà entendu ça Et bon, à bien y penser, on n’a plus non plus
quelque part, und so weiter comme dit Otto – les copains qu’on avait...
j’ai appris quand la Sophie finissait son quart Faut y voir.
de travail. Après, ça s’est déroulé comme
dans un bon vieux polar. Il m’a suffi de Norbert Spehner
l’attendre, de suivre discrètement sa bagnole –
une Toyota flambant neuve – pour découvrir
son domicile, son quartier et tout le tralala
nécessaire pour une bonne embuscade. Ça
n’a pas été long. Sophie la terreur a fait les
manchettes : “ Une infirmière victime d’une
sauvage agression. Tuée à coups de batte de

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