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Des jeux de simulation pour comprendre le

en histoire, géographie et éducation civ
Caroline Jouneau-Sion
PROFESSEURE D’HISTOIRE-GÉOGRAPHIE AU COLLÈGE GERMINAL (RAISMES)
PROFESSEURE ASSOCIÉE À L’INRP, ÉQUIPE EDUCTICE
PRÉSIDENTE DE L’ASSOCIATION LES CLIONAUTES

Les activités de simulation mettent en œuvre une
pédagogie active, fondée sur une situation problème
qui incite à l’autonomie et donne les outils pour
comprendre le monde d’aujourd’hui. Il ne s’agit pas
de renoncer à transmettre les contenus scientifiques
mais de créer des situations d’apprentissage dans
lesquelles l’élève manie les concepts de la discipline.
S’informer, échanger, rédiger, faire une synthèse,
conclure, agir…
— des environnements qui reproduisent une
expérience, un mécanisme dont l’utilisateur modi-
fie les paramètres : une machine à vapeur, un
avion de la Seconde Guerre mondiale, une chaîne
de production, un portefeuille boursier… ou la
simulation des changements climatiques en
France au XXIe siècle1 ;
— des environnements qui reproduisent un
espace à construire puis à gérer économique-
ment, spatialement, politiquement. On pense à
Ecoville2 dans lequel le joueur doit construire
une ville durable, mais aussi au jeu PeaceMaker3
dans lequel il s’agit de préserver la paix au Moyen-
Orient ;

A
lors que les mondes virtuels et la réalité vir-
tuelle prennent une place grandissante dans
la vie des jeunes gens, comment peut-on
mettre en place des activités de simulation dans
les cours d’histoire, de géographie et d’éducation
civique et quel intérêt présentent-elles ?
La simulation consiste à élaborer un modèle,
qu’il soit conceptuel, formel, analogique (une
maquette) ou numérique, pour décrire un phéno-
mène, puis à le faire fonctionner pour en étudier
le déroulement et les effets. En sciences
humaines, il peut s’agir aussi de faire semblant,
d’endosser un rôle dans une situation précise,
reconstituée. C’est ce que font – naïvement – les
enfants lorsqu’ils jouent à la guerre, au papa et à
la maman, à l’école ou à la marchande. Les pro-
fessionnels y sont également habitués : les mili-
taires, les ingénieurs, les chercheurs exploitent
des outils de simulation pour réaliser leurs expé-
riences. Car c’est bien d’expérience qu’il s’agit :
Mondes virtuels et espaces imaginaires
— des jeux de cartes ou de plateau dans lequel
l’espace est souvent plus conceptualisé : c’est le
cas des jeux de simulation géographique de Chris-
tian Nace qui portent sur des « espaces imagi-
naires », en réalité des notions de géographie
présentes dans les programmes scolaires. De
même pour le jeu 480 avant J.-C. dans lequel
les relations entre cités sont résumées aux
notions essentielles, combat, alliance, contrôle
du territoire, et les territoires représentés par de
simples cases ;
— des scénarios de jeux de rôle dans lesquels
l’imagination intervient, limitée cependant par
l’usage de documents exploités comme sources
d’information. On pensera ici au jeu Mystère au
monastère4 de Rodolphe Boudiguel dans lequel
les joueurs-élèves utilisent le plan et les photogra-
phies de l’abbaye de Fontenay.
À des formes différentes correspondent aussi
des compétences et des représentations diffé-

ces outils permettent d’observer sur un modèle du rentes.

1. http://climat.science-et-
vie.com/carte/index.html
2. Un jeu de l’ADEME
http://www.ademe.fr/
particuliers/jeu2/ADEME/
ECOVILLE/index.htm
3. http://www.peacema
kergame.com/
4. http://www.discip.ac-
caen.fr/histgeo/ludus/fichjeu/
fjmyst.html
5. www.3rdworldfarmer.com
réel le résultat d’une action sans recourir à l’ex-
périence de laboratoire, qu’elle soit trop coû-
teuse, chronophage, dangereuse ou qu’elle appar-
tienne à un passé révolu, celui de l’ecclesia
athénienne ou de la Révolution française.
Quelques formes de simulation
La simulation se présente sous différentes formes
selon le modèle ou l’activité qu’elle propose :
Les activités de simulation peuvent avoir une
dimension ludique et prendre la forme d’un jeu de
rôle dans lequel on endosse un personnage pour
simuler ses décisions et son comportement. La
prise de décision est privilégiée, notamment dans
ces jeux qui visent à éduquer au développement
durable (Ecoville) ou à la coopération internatio-
nale. Ce sont ces derniers qui sont particulière-
ment intéressants, des jeux de simulation comme
Third World Farmer5 qui met le joueur dans la

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dre le monde
on civique
peau d’un paysan du tiers-monde devant gérer
sa petite exploitation, choisir les plantes qu’il cul-
tive et les animaux qu’il élève, s’équiper peu à
peu, défricher, alors que surviennent des événe-
ments aléatoires (guerre, chute des cours du
coton, vol…). Les jeux d’aménagement sont de la
même veine et suggèrent aussi des modèles de
prise de décision : mise en place d’un débat (La
boucle d’essais ferroviaires), d’une coopéra-
tion (Eau tour du monde6).
Quelle que soit leur forme, les activités de
simulation mettent en place des environnements
d’apprentissage avec leurs règles propres, inté-
grées ou non dans un environnement informa-
tique, qui reconstituent des mondes parfois très
complexes : des territoires, des sociétés, des phé-
nomènes, et qui en font des outils pertinents pour
l’enseignement de l’histoire, de la géographie et
de l’éducation civique.
Faire apprendre par la simulation
Les atouts pédagogiques des activités de simula-
tion sont connus depuis longtemps. Elles tentent
de mettre en œuvre une pédagogie active, dont
le site du réseau Ludus7 montre tout l’intérêt : le
joueur mobilise ses connaissances pour élaborer
des stratégies, prendre des décisions dont les
effets lui permettent de juger de la pertinence
des connaissances et de la stratégie qu’il met en
œuvre. Ainsi, dans le jeu 480 avant J.-C. de Denis
Sestier, chaque groupe d’élèves qui représente
une cité grecque doit choisir entre jeter son dé
pour conquérir des territoires, ou le prêter à
d’autres cités pour s’allier avec elles. Une straté-
gie individualiste mène à la perte de toutes les
cités grecques tandis qu’une stratégie d’alliance,
moins intuitive, mène à la victoire. Le jeu est
structuré en deux parties, ce qui permet de réflé-
chir collectivement aux conséquences des choix
stratégiques, et la comparaison avec la carte de
synthèse des guerres médiques invite à question-
ner les différences entre la partie jouée et la réa-
lité historique, à comprendre le rôle de la géogra-
phie dans ces guerres. Dans un jeu
LES DOSSIERS DE L’INGÉNIERIE ÉDUCATIVE
Rétablir la paix au Moyen-Orient avec PeaceMaker.
d’aménagement, ce sont les autres joueurs qui
réagissent aux décisions prises, lors d’un débat,
par exemple8. D’autre part, alors qu’elle met en
œuvre des compétences multiples et élaborées,
qu’elle demande des connaissances et un engage-
ment personnel lors des prises de position, l’ac-
tivité de simulation se révèle bien moins terri-
fiante pour les participants qu’une situation
scolaire traditionnelle. C’est que la personnalité
de l’élève, et tout son rapport à l’école s’efface au
profit du personnage joué9. Cette distanciation
déresponsabilise l’élève-joueur par rapport aux
actions entreprises et aux résultats de ces actions,
lui permet d’endosser les compétences de son
personnage et d’oublier ses lacunes, mais égale-
ment d’évaluer par lui-même les stratégies qu’il
a mises en place.
Mais la simulation prend aujourd’hui, avec la
6. Un jeu de rôle de ENJEU,
généralisation de l’informatique et du jeu vidéo, un organisme québécois
une dimension nouvelle. En effet, l’environne- d’éducation à
ment virtuel permet souvent l’expérimentation l’environnement,
http://www.unites.uqam.ca/
répétée, et la prise de conscience qu’une même ERE-UQAM
stratégie, dans un monde complexe, aboutit à /eautourdumonde/jeu.html
7. http://lewebpedagogique.
plusieurs situations différentes, alors que, pour com/reseauludus/
aboutir à une situation donnée, plusieurs straté- 8. C’est le cas dans le jeu sur
gies sont possibles. L’angoisse de la « bonne la boucle d’essais ferroviaire
du Valenciennois http://cjou-
réponse » peut ainsi s’envoler. Vous n’avez pas neau1.free.fr/boucle.html.
réussi à maintenir la paix au Moyen-Orient ? Une 9. Michel Arnaud et Mehdi
Mondes virtuels et espaces imaginaires
Serdidi, « Un rôle
deuxième partie de PeaceMaker s’impose.
pédagogique pour les jeux
Les activités de simulation permettent en effet de rôles ? », Cahiers pédago-
d’expérimenter le monde et ses phénomènes dans giques n° 448, Le jeu en
classe, décembre 2006.
une démarche déductive qui donne accès à sa 10. Hovig Ter Minassian et
complexité10. Le modèle proposé dans chaque Samuel Rufat, « Et si les jeux
vidéo servaient à
jeu représente le monde sous forme d’un sys- comprendre la
tème, un ensemble d’éléments qui se combinent géographie ? », Cybergeo,
et interagissent. L’apprentissage des mécanismes Science et Toile, article 418,
mis en ligne le 27 mars
qui sous-tendent ce monde se fait par l’expé- 2008, modifié le 16 avril
rience, par la répétition. Expérimenter le modèle 2008. URL :
http://www.cybergeo.eu/
et le confronter au monde, c’est une façon de index17502.html
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phérie pour Sim City, gravitationnel pour Civi-

lization, avec une préférence pour l’urbanisa-
tion à l’américaine dans les deux cas11) ou sociaux
(coopération pour 480 avant J.-C., individua-
lisme pour La boucle d’essais…). Par exemple,
si Ecoville attribue au joueur des points aux
pistes cyclables et aux énergies renouvelables,
le jeu Sim City favorise quant à lui l’abattage des
arbres pour l’extension de la ville. Les joueurs
s’approprient le modèle lorsqu’ils jouent pour
avoir une chance de réussir, mais il faut, dans le
cadre d’un enseignement, rendre le modèle expli-
cite, le soumettre au questionnement et à la cri-
Ecoville.
tique. Dans Third World Farmer, le paysan n’a
aucune prise sur le modèle économique qu’il
donner du sens à ce qui est enseigné, d’accéder pourrait mettre en place : les prix sont fixés par
à la compréhension de la réalité en s’y référant, le jeu (le marché mondial) et il ne peut pas consti-
et c’est encore plus vrai dans nos disciplines. La tuer avec ses voisins la coopérative qui lui permet-
géographie peine à faire sentir le géosystème der- trait de sortir de la dépendance. Les forums d’uti-
rière la carte ou le paysage, alors que le jeu fait lisateurs sont peut-être aussi le lieu, pour une
interagir les différents éléments, indissociables, classe, d’exprimer ses critiques ?
qui composent le modèle. De plus les outils de Il est également important de confronter le
simulation (jeux, logiciels) permettent d’accéder modèle et les résultats de l’activité de simulation
à un niveau de réflexion qui n’est pas abordable à la réalité observable. En histoire, par exemple,
autrement, en offrant la possibilité de modifier le retour aux documents historiques est pri-
les paramètres pour en mesurer les mordial afin de rester ancré dans les exi-
impacts : contracter le temps pour L’idée que gences méthodologiques de la disci-
appréhender le réchauffement cli- c’est la faute des pline, et de ne pas donner l’illusion
matique et ses effets, le dilater pour Africains s’ils sont que tout est rejouable. Lors de la
analyser le déroulement d’un évé- pauvres disparaît reconstitution d’un événement his-
nement comme un tremblement de après quelques torique (procès du citoyen Louis,
terre. Le passage par le modèle per- parties de Third par exemple), on comparera donc
met également de remettre en ques- World Farmer. les interventions des élèves-dépu-
tion les « théories naïves » de nos tés au procès-verbal des séances de
élèves, ces théories sur le fonctionnement janvier 1793 12. En éducation civique, le
du monde qui ne manquent pas d’être inscrites modèle social peut donner lieu à un débat dans la
dans leurs représentations mentales à leur arri- classe. Dans le jeu québécois Terra13, l’organisa-
vée en cours. L’idée, par exemple, que c’est la tion d’une communauté d’émigrés du XXIe siècle
faute des Africains s’ils sont pauvres est particu- – la classe – est comparée à celle des premiers
lièrement courante chez les enfants ; quelques colons du Canada. Les différences donnent lieu à
parties de Third World Farmer plus tard, les analyse, discussion sur les systèmes de valeur,
responsabilités sont attribuées aux autres fac- les modes d’organisation possibles, etc. En géo-
teurs proposés par le jeu qui a d’ailleurs pour slo- graphie, le modèle spatial proposé devient ainsi
gan : « A thought provoking simulation ». Dans lui-même un objet géographique. « Les jeux
un autre domaine, on évoquera les responsabili- vidéo acquièrent alors une dimension d’ob-
tés dans les conflits au Moyen-Orient grâce au jets de recherche et peuvent devenir, comme la
jeu PeaceMaker. carte, à la fois un objet de réflexion, d’ana-
Mondes virtuels et espaces imaginaires

lyse et un outil de travail. Les jeux vidéo ser-

11. Ibid.
12. C. Jouneau-Sion, « Une
mise en situation pour
apprendre l’Histoire ? »,
Cahiers pédagogiques
n° 471, mars 2009,
Comment apprend-on
l’Histoire au début du XXIe
siècle ?, à paraître.
13. http://www.societehistoi-
re.ca/content/fr/pdfs/White2.
pdf
14. Hovig Ter Minassian et
Samuel Rufat, op. cit. 27-28.
24 JEUX VIDÉO, JEUX SÉRIEUX ET JEUX DE SIMULATION À L’ÉCOLE
Quelques limites, tout de même…
Il existe néanmoins quelques limites à l’utilisation
de la simulation à des fins pédagogiques. Toute
activité de simulation repose en effet sur une
simplification de la réalité, un modèle qui est
aussi une construction humaine porteuse de
valeurs et de sens. Ces choix déterminent l’impact
des choix des joueurs sur le déroulement du jeu,
qu’il s’agisse de modèles spatiaux (centre-péri-
vent à comprendre les rapports entre socié-
tés, espace et territoire », concluent Hovig Ter
Minassian et Samuel Rufat14. On pourrait en dire
autant de toutes les activités de simulation.
Enfin, si la simulation permet d’apprendre des
notions, des phénomènes, des procédures, une
phase de formalisation de ces connaissances est
nécessaire, dans laquelle l’enseignant mettra en
évidence les apprentissages réalisés et les validera
comme des savoirs légitimes. •
LES DOSSIERS DE L’INGÉNIERIE ÉDUCATIVE