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CHAPITRE : DU COMMERCE INTERNATIONAL A LA

MONDIALISATION

SECTION I : ANALYSE THEORIQUE DU COMMERCE INTERNATIONAL


I ) L’ANALYSE TRADITIONNELLE DU COMMERCE INTERNATIONAL
INTRODUCTION : L'HISTOIRE OFFICIELLE DU CAPITALISME
Ha-Joon Chang.écrit que :

Selon ce que j'appelle " l'histoire officielle du capitalisme ", et qui nourrit le débat sur le développement et la mondialisation, le
monde s'est développé au cours des derniers siècles de la façon suivante.

• A partir du XVIIIe siècle, on assiste à la réussite industrielle du " laisser-faire ". La Grande-Bretagne prouve la supériorité de
l'économie de marché et du libre-échange en devançant la France, dirigiste, son principal concurrent à l'époque, et en
s'instituant comme le pouvoir économique mondial suprême. Une fois qu'elle eut abandonné la déplorable protection de son
agriculture (la loi sur les blés) et les autres reliquats de mesures protectionnistes mercantilistes en 1846, elle fut en mesure de
jouer le rôle d'architecte et de puissance tutélaire d'un nouvel ordre économique mondial " libéral ". Cet ordre mondial, mis
au point vers 1870, était fondé sur une politique industrielle interne de " laisser-faire ", de faibles barrières pour les flux de
marchandises, de capitaux et de main-d'oeuvre, et sur la stabilité macroéconomique, à la fois nationale et internationale,
garantie par l'étalon-or et par le principe de l'équilibre budgétaire. Il s'ensuivit une période de prospérité sans précédent.

• Malheureusement, si l'on en croit cette histoire, les choses se sont gâtées avec la Première Guerre mondiale. En réaction à
l'instabilité qu'elle a provoquée dans le système politique et économique mondial, les pays ont recommencé à ériger des bar
rières douanières. En 1930, les Etats-Unis abandonnent eux aussi le libre-échange et augmentent leurs droits de douane avec
la loi scélérate Smoot-Hawley (2), que le célèbre économiste libéral Jagdish Bhagwati désigna comme " l'acte le plus éclatant
et le plus dramatique de la sottise antilibérale " (Bhagwati, 1985, p. 22, note 10). Le système mondial de libre-échang+ prit
fin en 1932, quand les Britanniques, jusque-là champions du libéralisme, succombèrent à la tentation et réintroduisirent des
droits de douane. La contraction et l'instabilité de l'économie mondiale qui en résultèrent, puis la Seconde Guerre mondiale,
détruisirent les derniers vestiges du premier ordre mondial libéral.

• Après la Seconde Guerre mondiale, quelques progrès significatifs furent faits en matière de libéralisation+ des échanges par
le biais des premières discussions du Gatt (l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce). Toutefois, les approches
dirigistes du management de l'économie dominèrent malheureusement la scène politique jusque dans les années 70 dans le
monde développé et jusqu'au début des années 80 dans les pays en développement+ (ainsi que dans les pays communistes
jusqu'à leur effondrement en 1989). Selon Sachs et Warner (1995), de nombreux facteurs contribuèrent à la poursuite du
protectionnisme+ et de l'interventionnisme dans les pays en développement (p. 11-21). Il y avait les " mauvaises " théories,
comme celle des " industries naissantes ", celle de la " grande poussée " (the Big Push) et le structuralisme latino-américain,
sans parler de diverses théories marxiennes. Il y avait aussi les dividendes politiques du protectionnisme, tels que le besoin
de construire une nation et celui d'" acheter " certains groupes d'intérêt. Enfin, il y avait les héritages du contrôle du temps de
guerre, qui persistaient en temps de paix.

• Par bonheur, dit-on, les politiques interventionnistes ont été largement abandonnées dans le monde depuis les années 80 avec
l'essor du néolibéralisme, qui a mis l'accent sur les vertus du gouvernement modeste, des politiques de " laisser-faire " et de
l'ouverture internationale. A la fin des années 70, notamment dans les pays en développement, la croissance économique a
commencé à chanceler dans tous les pays, en dehors de l'Asie de l'Est et du Sud-Est, où l'on pratiquait déjà les " bonnes "
politiques économiques (économie de marché et libre-échange). Cet échec de la croissance, qui s'est fréquemment manifesté
par des crises économiques au début des années 80, montrait les limites de l'interventionnisme et du dirigisme+ à l'ancienne.
En conséquence, de nombreux pays en développement ont choisi de réorienter leur politique dans un sens néolibéral.

• Lorsqu'ils se combinent avec la mise en place de nouvelles institutions de gouvernance+ comme l'OMC, ces changements de
politique au niveau national forment un nouveau système économique mondial, comparable par sa prospérité - potentielle, du
moins - au premier " âge d'or " du libéralisme (1870-1914). Renato Ruggiero, le premier directeur général de l'OMC,
soutient que, grâce à ce nouvel ordre mondial, nous pouvons désormais " éradiquer la pauvreté dans le monde dès les débuts
du siècle prochain (le XXIe) - une utopie il y a seulement quelques décennies, mais une réelle possibilité aujourd'hui " (1998,
p. 131).

A ) LE MERCANTILISME

1 - LE CONTEXTE ECONOMIQUE ET SOCIAL :


Constat : Les mercantilistes vivent dans un monde économique qui ne connaît pas de croissance
économique durable.

Conséquences : Ils en sont donc conduits à conclure que le stock de richesses dans le monde est
constant, c’est-à-dire qu’il a été déterminé une fois pour toutes par Dieu et qu’il ne pourra évoluer.

2 - L’ECHANGE INTERNATIONAL, UN JEU A SOMME NULLE :

répercussions théoriques : Dès lors, cela va influencer la vision que les mercantilistes ont du
commerce international. Ils en sont amenés à conclure que l’échange international est un jeu à
somme nulle, que ce que gagnent les uns est forcément perdu par les autres. Les pays se livrent donc
une guerre économique.

3 - L’ ECONOMIQUE INFEODE AU POLITIQUE :

Mesures de politique économique pronées : Chaque pays va alors chercher à :


• développer ses exportations en favorisant son industrie nationale ( exemple : les manufactures
royales de Colbert ) tout en essayant d’importer le moins possible afin d’obtenir un excédent
commercial.
• Le pays connaîtra alors une entrée d’or qui épuisera le stock d’or de ses partenaires,
• le pays gagnera alors en puissance politique, le roi pourra alors financer son armée et conquérir de
nouveaux territoires.

Conclusion : On se rend donc bien compte que l’objectif du mercantilisme n’a pas une finalité
économique mais politique, ce qui démontre qu’à cette époque l’économie n’occupe pas la place qu’elle
occupera à partir de Smith.

B ) LES THEORIES CLASSIQUES DE L’ECHANGE

INTRODUCTION

La théorie classique de l’échange introduite par Smith rompt avec la théorie mercantiliste.

a - le contexte économique et social.

Constat : En effet, elle se situe dans un autre cadre économique : c’est une période de boulversements
économiques (cf la révolution industrielles)

Répercussions : Smith envisage pour la première fois la possibilité d’une croissance économique
durable et auto entretenue.

b - l’échange international, un jeu à somme positive :


Conséquences : Dès lors, l’échange international devient un jeu à somme positive, non plus nulle. En
effet, chacun des 2 partenaires, en se spécialisant, va bénéficier d’une amélioration de son bien-être.

Conclusion : On voit bien ici que s’impose la logique libérale chère à Smith : chacun des deux
partenaires n’échange que s’il y trouve son intérêt. C’est l’extension au niveau international de la vision
contractualiste et individualiste que Smith a développé au niveau individuel, puis national.

c - la suppression des politiques mercantilistes :

Mesures de plitiques économiques pronées : Il faut alors tout faire pour que les échanges puissent
être réalisés le plus facilement possible, en particulier Smith est favorable à la suppression des barrières
douanières et des protections que les mercantilistes avaient accumulées ( suppression des privilèges des
différentes compagnies des Indes )

1° ) LA THEORIE DES AVANTAGES ABSOLUS D’ADAM SMITH (1 p256)

a - une analyse individualiste :

l’exemple de référence : Smith part de l’exemple d’un chef de famille : « la maxime de tout chef de
famille prudent est de ne jamais essayer de faire chez soi ce qu’il lui coûtera moins cher à acheter qu’à
faire (... ) Il n’y en a pas un qui ne voit qu’il y va de son intérêt d’employer son industrie toute entière dans
le genre de travail dans lequel il a quelque avantage sur ses voisins et d’acheter toutes les autres choses
dont il peut avoir besoin avec une partie du produit de cette industrie » .
postulat de base en résultant : Smith s’inscrit donc dans le cadre d’un homo oeconomicus
égoiste et rationnel qui ne recherche que son intérêt matériel

b - la société résultant de l’agrégation des comportements individuels :

le principe : Smith va alors passer du niveau micro-économique au niveau macro-économique en


agrégeant les comportements individuels ( cf. le raisonnement de la main invisible ) : « ce qui est
prudence dans la conduite de chaque famille en particulier, ne peur être folie dans celle d’un grand
empire. Si un pays étranger peut nous fournir une marchandise à meilleur marché que nous ne sommes
en l’état de l’établir nous-mêmes il vaut mieux que nous la lui achetions avec quelque partie du produit de
notre propre industrie employée dans le genre dans lequel nous avons quelque avantage. »

Exemple de compréhension : Smith prend alors l’exemple de la production de vin de Bordeaux en


Ecosse afin de démontrer que la protection serait peut-être possible mais non rentable, car :
• la France dispose d’un climat, de terrains propices à la production de vin qui lui confère un avantage
absolu dans le vin.
• Dès lors l’Ecosse a intérêt à se spécialiser dans la production de biens dont elle dispose d’avantages
absolus ( ex : le saumon ), à ouvrir ses frontières, à importer du vin et à exporter du saumon,
• ce qui améliorera le bien-être des français et des écossais(jeu à somme positive).

c - les limites de la théorie de Smith :

Mais la théorie de Smith, pour moderne qu’elle soit, n’est pas sans inconvénient. En effet :
- elle est très limitée puisqu’elle ne concerne que les productions pour lequel les pays disposent
d’un avantage absolu d’origine naturelle. Dès lors, le pays ne disposant d’aucun avantage ne peut
échanger, ce qui limite le développement du commerce.
- Smith lui-même se contredit quand il écrit : « l’avantage qu’a un artisan sur son voisin qui exerce
un autre métier n’est qu’un avantage acquis et cependant tous les deux trouvent plus de bénéfice
à acheter l’un de l’autre que de faire eux-mêmes ce qui ne concerne pas leur aptitude
particulière. » Dans l’exemple de l’Ecosse, l’avantage absolu est d’origine naturelle ; dans celui de
l’artisan, il est acquis ; la différence est essentielle. En effet, le pays ne dispose alors d’un
avantage absolu que parce qu’il s’est spécialisé ; un autre pays pourrait très bien faire la même
chose en protégeant son industrie.

CONCLUSION : la théorie de Smith est très moderne car elle est la première à rompre avec la conception
mercantiliste de l’échange à somme nulle, mais elle reste très frustre et peu approfondie.

2° ) LA THEORIE DES COUTS COMPARATIFS DE RICARDO (1p256)

a - les hypothèses de base du modèle de RICARDO :

Cette théorie est basée sur 6 hypothèses qui doivent toutes être vérifiées simultanément pour que
l’analyse de Ricardo demeure valable
• Hypothèse n° 1 :Principe de la libre circulation à l’intérieur de chaque pays : il n’existe
aucune entrave au libre déplacement des marchandises et des facteurs de production ( capital et
travail )
• Hypothèse n°2 : à l’échelle internationale, les marchandises se déplacent librement. Par
contre, les facteurs de production sont immobiles.(3 p 494)

Remarque : Comme l’écrit R.Sandretto, « ces 2 hypothèses reprises également par les théoriciens néo-
classiques sont très importantes ; elles fondent la spécificité du commerce international, ce sont elles qui
expliquent en quoi les échanges internationaux diffèrent des échanges intérieurs. » En particulier, dès lors
que les facteurs de production sont mobiles de pays à pays, toutes l’analyse de Ricardo( mais aussi celle
d’HOS ) est remise en cause.

• Hypothèse n°3 : dans chaque pays, les marchés de biens et de facteurs sont soumis à la
concurrence pure et parfaite.
• Hypothèse n°4 : Ricardo retient la loi de la valeur travail, ce qui signifie que bien que les
entreprises utilisent du travail et du capital simultanément, les marchandises s’échangent en
proportion des quantités de travail nécessaires à leur fabrication ( le capital étant du travail accumulé
).
• Hypothèse n°5 : quel que soit le bien considéré, sa production est supposée exiger la mise
en oeuvre de facteurs ( travail, capital, ressources naturelles ) dans des proportions fixes.
Pour produire un bien, une seule technique est disponible à un moment donné et dans un pays donné
( il n'y a pas de possibilité de substitution entre facteurs : exemple on ne peut remplacer du travail
par du capital).
• Hypothèse n°6 : la production s’effectue à coût ou à rendements d’échelle constants,
c’est-à-dire que le pays ne dispose d’aucun avantage à produire à grande série plutôt qu’en petite.

b- l’exemple de la GB et du Portugal :

Ricardo prend l’exemple du Portugal et de la Grande-Bretagne qui ne produisent que 2 biens : du vin et du
drap.
Rappel de la logique smithienne : Si l’on prend la logique smithienne :
• le Portugal dispose par rapport à la Grande-Bretagne d’un avantage absolu dans les 2 productions
puisqu’il lui faut moins d’heures de travail pour produire du vin ( 80 contre 120) et du drap ( 90 contre
100 ). Smith en conclurait que les 2 pays n’échangeraient pas puisque le Portugal dispose d’un
avantage absolu dans les 2 cas.

L’apport de Ricardo : Ricardo va, au contraire s’efforcer de démontrer que les deux pays vont échanger
et qu’ils vont tous les 2 y trouver un avantage :

• Si chaque pays désire produire une unité de chaque bien , les coûts de production mondiaux en
situation autarcique sont de :120 + 100 +80 +90 = 390 heures de travail . Si le Portugal consacrait
sur son territoire toute la production mondiale , les coûts de production deviendraient : ( 2x 80 ) + ( 2
x 90 ) = 340 heures. On observe donc une nette amélioration , mais cette solution est impossible
pour 2 raisons :
- le Portugal n’aurait aucun intérêt à échanger avec l’Angleterre qui ne lui apporterait rien ,
puisqu’elle n’a aucun avantage absolu
- les facteurs de production étant immobiles , le Portugal ne peut importer la main d’œuvre
anglaise
- Ricardo va alors démontrer toute l’intérêt d’une spécialisation

• En effet, en Grande-Bretagne le rapport d’échange interne qD / qV = 120 / 100 = 1,2, ce qui signifie
que pour obtenir une unité de vin, le marchand de drap anglais doit offrir 1,2 unités de drap
( puisqu’il faut plus de temps pour produire du vin que du drap et que derrière les biens ce sont les
quantités de travail que l’on échange ).
• au Portugal, le rapport d’échange interne qD/ qV = 80/90= 0,89. Dès lors, le marchand de drap
portugais pour obtenir une unité de vin est obligé de donner 0,89 unités de drap.

Conséquences : les coûts comparatifs entre les deux pays sont donc différents , si l’on compare pour
chaque production , les coûts des 2 pays , on constate que :
• l’Angleterre est moins désavantagée dans la production de draps : 90 / 100 = 90 %
• que dans la production de vin : 80 / 120 = 66 %
• l’Angleterre possède donc un avantage comparatif dans le drap, le Portugal dans le vin et c’est de
cette différence des avantages comparatifs que va résulter l’échange entre les deux pays.
• En effet, le marchand de drap anglais a intérêt à exporter sa production vers le Portugal puisque au
lieu d’obtenir une unité de vin contre 1,2 unités de drap, il obtient 1 unité de vin contre 0,89 unités de
drap. Les Anglais vont donc se spécialiser dans la production de drap et abandonner la production de
vin.
• Au contraire, les marchands de vin portugais se rendent compte que, si, au Portugal, il faut donner 1
unité de vin pour obtenir 0,89 unités de drap, s’ils exportent leur production de vin vers la Grande-
Bretagne, ils obtiendront 1,2 unités de drap contre 1 unité de vin. Ils améliorent donc leur bien-être.
Les Portugais vont donc se spécialiser dans la production de vin et abandonner la production de drap.
• Chaque pays a donc intérêt à se spécialiser dans la production pour laquelle son coût comparatif est
le plus faible : les deux pays seront gagnants à l’échange tant que le rapport d’échange international
qDi /qVi sera compris entre les 2 rapports d’échange internes :
0,89 < qDi /qVi < 1,2.

• Si le rapport d’échange est de 0,89, les marchands portugais n’y gagnent rien mais ne sont pas
perdants. Par contre, les marchands anglais améliorent leur bien-être. La situation est inversée si le
rapport d’échange est de 1,2.
• Par rapport à la situation d’autarcie étudiée au début , on constate que si l’Angleterre et le Portugal se
spécialisent en fonction de leurs avantages comparatifs respectifs , les coûts de production mondiaux
deviennent : (80 x 2 ) + ( 100 x 2 ) = 360 heures , soit un gain de 30 heures par rapport à la situation
autarcique .
Limites de l’analyse de Ricardo : En réalité, dans la plupart des cas, le rapport d’échange international
sera compris entre les 2 bornes. Mais Ricardo est incapable de le déterminer avec précision.

c - l’apport de J.S.MILL :

détermination du rapport d’échange international : Il sera déterminé comme l’a démontré John-
Stuart Mill par la loi de l’offre et de la demande :
• si la Grande-Bretagne est plus demandeuse de vin que le Portugal de drap , le Portugal pourra
imposer ses conditions et donc fixer un rapport d’échange international qui se rapprochera de 1,2 .

Conséquences : Selon J.S.Mill ,les pays pauvres sont les grands gagnants de l’échange international . En
effet , ils se caractérisent :
- par des capacités de production généralement plus réduites que celles des pays riches , en raison
de la faiblesse de leurs capacités d’investissement
- par une demande plus faible en raison de la faiblesse du revenu des ménages .
- Ainsi , les marchés dans lesquels sont spécialisés les pays pauvres se caractérisent par une sous-
production déterminant une hausse des prix
- alors que ceux des pays riches connaissent une surproduction ( résultant de la forte capacité de
production du pays riche et de la faible capacité d’absorption du pays pauvre) engendrant une
baisse des prix .

Conclusion : La théorie traditionnelle de l’échange explique qu’


• à l’origine de la spécialisation se trouvent des différences entre les pays de coûts et de prix » .
• Si les pays échangent , c’est donc qu’ils sont complémentaires et que l’échange va apporter à chacun
d’eux une amélioration de son bien-être .
• La théorie de Ricardo justifie donc une division internationale du travail ( par exemple entre pays du
nord et du sud ) reposant sur la différence des avantages comparatifs .

d - la théorie de RICARDO , une analyse moins neutre qu’il n’y paraît :

Mais, la théorie de Ricardo n’est pas aussi neutre scientifiquement que l’on pourrait le penser . En effet ,
Ricardo n’est pas seulement un économiste , c’est aussi un bourgeois qui défend les intérêts
de la bourgeoisie industrielle contre ceux de l’aristocratie terrienne :
• A l’époque où Ricardo explicite sa thèse , l’Angleterre vit sous la protection des corn laws qui ont pour
objectif de défendre l’agriculture anglaise dominée par les aristocrates de la concurrence que leur
imposent les pays européens . Ceci a pour résultat d’augmenter le prix des céréales anglaises , ce qui
oblige les industriels anglais à accroître les salaires .
• Si au contraire les corn laws sont supprimés , les prix des céréales vont chuter grâce aux importations
, ce qui diminuera le bien-être des producteurs agricoles , en particulier de l’aristocratie et au
contraire améliorera celui des industriels qui auront pu baisser les salaires sans détériorer le pouvoir
d’achat de leurs ouvriers .

Les véritables objectifs de la démonstration ricardienne :On voit donc que l’analyse de Ricardo a
pour objectif de :
• justifier la suppression des corn laws qui interviendra après 1830 mais qu’elle n’est pas neutre
politiquement et socialement : elle traduit la montée en puissance de la bourgeoisie industrielle au
détriment de l’aristocratie agricole .
• De plus , l’analyse de Ricardo a pour objectif de justifier l’ouverture des frontières des partenaires de l
’Angleterre qui dispose à cette époque d’une avance technologique , donc de faire de la Grande-
Bretagne l’atelier du monde , alors que les autres pays seraient quant à eux cantonnés à la
production de biens agricoles , ce qui correspond à une spécialisation nettement moins porteuse .

Les répercussions négatives de l’analyse ricardienne : « l’idée selon laquelle le commerce est en
tous temps et en tous lieux un facteur d’épanouissement est naïve théoriquement et fausse
historiquement «(13 p 291) . En effet l’Angleterre a volontairement spécialisé sa colonie indienne dans la
production de coton utile à l’industrie anglaise . Ceci a généré deux effets très négatifs d’après D.Cohen :
- « l’Inde qui était exportateur net de produits textiles au début du 18 ème siècle voit sa base
industrielle totalement détruite. (…)Conformément à la théorie Ricardienne, l’Inde se
désindustrialise en contrepartie de l’industrialisation anglaise »
- « l’Inde qui était le grenier de l’Asie au début du 19ème siècle, se spécialise dans la culture de
produits qui ne garantissent plus son alimentation, et doit par conséquent importer son
alimentation de base. Il ne faut pas attendre longtemps pour que les famines viennent
sanctionner cette spécialisation ».
C ) LA THEORIE NEO-CLASSIQUE : LA THEORIE DES DOTATIONS FACTORIELLES
D’HECKSHER-OHLIN -SAMUELSON (HOS ) (1 p256)
1° ) LES HYPOTHESES FONDAMENTALES .

Le modèle d’HOS repose sur 2 hypothèses essentielles :


• Hypothèse n°1 : les facteurs de production n’ont aucune mobilité à l’échelon international
, alors que les biens sont eux parfaitement mobiles ( cette hypothèse est reprise de Ricardo ) .
• Hypothèse n°2 : les technologies de production sont identiques d’un pays à l’autre , mais
diffèrent selon les branches d’activité , c’est-à-dire que , quel que soit le pays , pour produire du
blé il faut utiliser une proportion identique de travail , de capital et de ressources naturelles , mais
que la production d’automobiles nécessite, elle , une utilisation de facteurs différente .

2° ) UNE SPECIALISATION EN FONCTION DES DOTATIONS FACTORIELLES .

les conséquences : Sur la base de ces 2 hypothèses , HOS vont démontrer que « chaque pays doit se
spécialiser dans la production et l’exportation de biens qui utilisent intensément le facteur de production
le plus abondant » :En effet :
• conformément à la loi de l’offre et de la demande , si un pays dispose abondamment de facteur
travail et manque de capital , le coût du travail sera réduit alors que le coût du capital sera élevé ,
• le pays a donc intérêt à se spécialiser dans les productions nécessitant un usage intensif de travail
qualifié de saving capital ( c’est-à-dire économisant du capital ) .
• l’échange international de marchandises se révèle donc être un échange de facteur
abondant contre des facteurs rares

les limites de la théorie : La théorie d’HOS est une théorie statique , c’est-à-dire que :
• « la dotation en facteurs d’un pays va donc décider à tout jamais de sa place dans la Division
Internationale du Travail » .
• Ainsi , chaque pays doit s’adapter passivement aux dotations factorielles dont il est muni .
• Les pays ayant des dotations factorielles identiques n’ont aucun intérêt à échanger . Comme chez
Ricardo , c’est de la différence que naît l’échange puisque les disparités des coûts de production
s’expliquent par les différences de dotations en facteurs de production .

3° ) UNE EGALISATION DE LA REMUNERATION DES FACTEURS .

le principe :Néanmoins HOS vont chercher à montrer comme l’écrit Sandretto que : « En dépit de
l’immobilité internationale des facteurs de production , leur rémunération tendrait néanmoins
à s’égaliser dans tous les pays sous l’influence du commerce international des marchandises »

explication du modèle :
- à l’origine le pays s’est spécialisé dans la production qui utilisait intensément le facteur le plus
abondant donc le moins cher ; mais , suite à cette spécialisation , l’utilisation du facteur abondant
va s’intensifier , ce qui à terme va augmenter son coût : le facteur devenant plus rare .
- Au contraire le facteur rare voit son utilisation diminuer puisque le pays importe les biens
nécessitant son utilisation , le facteur rare devient alors plus abondant et donc moins coûteux .

Répercussions positives : Le développement des échanges internationaux réduit donc les différences
de rareté relative ; il rend moins abondant le facteur pléthorique , atténue la rareté relative du facteur rare
, de ce fait le libre-échange tend à réduire les disparités , de pays à pays , des rémunérations des facteurs
. Sandretto peut en conclure : « ce théorème d’HOS implique que , sous l’effet du commerce international ,
les taux de profit deviennent égaux partout et que le pouvoir d’achat des travailleurs s’égalise dans tous
les pays , aux Etats-Unis comme au Bangladesh ou en Ethiopie » , ce qui conduirait progressivement à un
phénomène de convergence des économies .

4 – LE THEOREME DE STOLPER- SAMUELSON

Stolper avec Samuelson a complété la théorie d’HOS par le théorème suivant : si un pays instaure un
tarif douanier sur l’importation des biens incorporant un facteur rare , cela conduit à
augmenter le revenu relatif de ce facteur rare au détriment des facteurs abondants
Exemple de compréhension : en Angleterre au XVIII° siècle , la terre est un facteur rare , les
propriétaires terriens sont alors protectionnistes , car le libre-échange abaisserait la rente foncière dont ils
bénéficient ( la terre étant rare , sa rémunération est élevée ) . La protection du marché du blé va
augmenter le revenu des propriétaires terriens au détriment des consommateurs et des industriels qui
paient les produits agricoles à un prix plus élevé que s’ils étaient importés
Conséquences : le protectionnisme conduit à privilégier des intérêts particuliers de ceux qui bénéficient
de la protection au détriment de l’intérêt général .

CONCLUSION :

Dès lors , la théorie d’HOS qui justifie la DIT traditionnelle ( les PVD du Sud sont spécialisés dans la
production de biens utilisant beaucoup de main-d’œuvre ou des ressources naturelles abondantes alors
que les pays du Nord se spécialisent dans les productions qui utilisent intensément le capital ) va montrer
que contrairement aux affirmations des théoriciens de la dépendance ( cf. chapitre Tiers-Monde ) tous les
pays et surtout les pays les plus pauvres sont gagnants à l’échange international .
Pour ceux qui veulent aller plus loin :
1. "LES FONDEMENTS THEORIQUES DES ECHANGES ET DES INVESTISSEMENTS INTERNATIONAUX
"
Plan de cours d'Alexandre Minda 2ieme année d'IEP
2. sur le site web campus : deux présentations de Jean-Charles JACQUEMIN :
 01-Gains_de_l--'echange.ppt
 02-Theoremes.ppt

D : LA VERIFICATION EMPIRIQUE : LE PARADOXE DE LEONTIEFF


Léontieff (ou Léontiev) a cherché , à partir de l’exemple américain , à vérifier la validité de la thèse de HOS
.

Hypothèses :Il s’attendait à ce que :


• les Etats-Unis , qui sont un pays développé et qui disposent donc de quantités importantes de capital
, se spécialisent dans les productions utilisant intensément le capital et économisant le travail qui est
un facteur rare et coûteux .
• Au contraire , les EU devraient importer des biens utilisant intensément le travail .

Constat : or dans l’étude qu’il a mené en 1947 , Léontieff constate que les EU exportent des produits qui
en moyenne incorporent beaucoup moins de capital et plus de travail que n’en requièrent leurs
importations .

Paradoxe : ce paradoxe de Léontieff semble donc contredire la loi d’HOS puisque l’économie américaine ,
notablement mieux pourvu en capital qu’en travail devrait en principe exporter des biens intensifs en
capital .

Explications : Léontieff va alors s’efforcer de donner une interprétation qui a pour objectif de
sauvegarder la théorie d’HOS . Ainsi les EU seraient en réalité relativement riches en travail parce qu’à
équipement égal le travailleur américain du fait d’une meilleure organisation du travail , d’une meilleure
qualification , ... serait trois fois plus productif que le travailleur étranger . Les EU compteraient donc en 57
, non pas 65 millions de travailleurs mais 195 millions ( 65x3 ) de travailleurs équivalents étrangers .

Critiques de l’analyse : L’analyse de Léontieff est plus que surprenante . En effet , il est étonnant
d’appeler paradoxe un exemple qui montre que la théorie est fausse .

II ) LES ANALYSES CONTEMPORAINES DU COMMERCE


INTERNATIONAL .(1 p 256)
A ) LA CONTROVERSE DES ECHANGES INTRABRANCHES ( 1 p 256)
1° )LES FAITS

Critique des analyses traditionnelles du commerce international :

• Les théories de Ricardo et d’HOS conduisent à considérer que plus les pays ont des dotations
factorielles différentes , plus leurs spécialisations seront complémentaires et donc plus les échanges
croisés seront élevés . Le commerce attendu est donc un commerce de type Nord-Sud .
• Or , à partir des années 60 , les économistes ont constaté que de forts courants d’échange croisés de
produits similaires entre pays présentant des caractéristiques proches du point de vue des dotations
factorielles se développaient . L’exemple le plus représentatif est celui du marché commun : « il est
devenu rapidement évident que la première phase d’intégration européenne , le marché commun se
faisait sur le mode de l’intrabranche plutôt que sur celui de l’interbranche . L’intégration
économique n’avait pas pour corollaire la spécialisation .L’enjeu théorique de ce problème empirique
est important puisque les théories traditionnelles de la spécialisation visent à expliquer l’interbranche
. » Il semble donc qu’une part croissante des échanges ne puisse être expliquée par les théories
s’appuyant sur les dotations factorielles .

Conséquences :L’on en vient alors à distinguer 2 types de commerce :


- un commerce de type Nord-Sud entre pays économiquement éloignés basé sur
l’interbranche qui s’explique par les différences de dotations factorielles .(14 p 291)
- un commerce entre pays développés basé sur l’intrabranche qui s’explique par la
similarité

Conclusion : On peut considérer que :


• le commerce bilatéral ( entre 2 pays ) sera dominé par l’interbranche si les 2 pays ont des dotations
factorielles différentes et donc des spécialisations complémentaires .
• Au contraire , plus les dotations factorielles seront proches , plus la part de l’échange intrabranche
sera élevée .

2° ) LES EXPLICATIONS

a ) LA THEORIE DE LA DEMANDE REPRESENTATIVE DE LINDER

a1 - un constat :

Linder part d’un constat : le commerce se développe entre des pays qui n’ont pas de différences
significatives dans leurs dotations factorielles .

a2 - une logique de la demande :

l’opposition de deux logiques :Ceci ne conduit pourtant pas Linder à rejeter la notion d’avantage
comparatif mais plutôt à fonder les avantages comparatifs sur de nouvelles bases .
- Ricardo et HOS ont développé une logique de l’offre
- contrairement à Linder qui , étant un économiste keynésien , va partir de la demande .
Conséquences : Ainsi pour expliquer le développement de l’échange présentant des caractéristiques
similaires du point de vue des dotations factorielles , il va démontrer que l’avantage comparatif trouve son
origine dans l’importance de la demande interne du produit exporté .
- En effet , un bien est susceptible d’être exporté que s’il est d ’abord l’objet d’une forte demande
interne . Le grand marché intérieur ( USA , Japon , EEE ) produit l’avantage comparatif parce que
l’incitation à l’innovation y est plus forte , parce que les débouchés y sont assurés ( cf. modèle de
l’accélérateur ) .
- De plus , grâce au développement de la production résultant de la taille du marché , le pays
bénéficiera d’économies d’échelle qui lui permettront de diminuer ses coûts de production et donc
ses prix .
La stratégie à appliquer selon Linder : elle est alors la suivante :
• lancer le produit nouveau sur un marché intérieur, dynamique , innovateur à revenu élevé .
• puis , dans un deuxième temps , quand le pays détient un avantage comparatif résultant de
l’expérience qu’il a acquise , de son image de marque , de ses prix plus bas , ...il peut alors se lancer
dans la conquête des marchés étrangers .

a 3 -une remise en cause de la DIT traditionnelle : la mise en évidence des échanges Nord-Nord :

On arrive alors au second grand apport de Linder : vers qui le pays va-t-il pouvoir exporter ?
Les motifs de l’exportation : Comme l’indique M.Byé « il ne l’exportera cependant que dans un pays
susceptible de le consommer .
Les répercussions : Or la qualité et la nature des produits consommés dépendent du niveau de vie et
donc très largement du niveau des salaires . Le produit ( qui correspond au niveau de vie interne du
pays exportateur ) ne pourra donc être exporté que dans des pays à niveau de salaire
comparable , donc à facteurs de production comparables .
Conclusion : elle est alors aux antipodes de celle expliquant l’échange international dans les théories de
dotations factorielles :
- « l’identité des dotations en facteurs facilite donc le commerce qu’entrave au contraire leurs
différences » .
- -le développement des échanges Nord-Nord comparativement à l’atonie relative des échanges
Nord-Sud conduit à penser que la théorie de Linder est plus à même d’expliquer le commerce
international contemporain que celles de Ricardo et d’HOS .

b ) LA DEMANDE DE DIFFERENCE DE B.LASSUDRIE-DUCHENE


Problème soulevé : B.. Lassudrie-Duchêne cherche à établir une synthèse des logiques de la similarité
et de la disparité . En effet : « là où tout est semblable , il est inutile de rien échanger ; l’échange ne peut
donc s’expliquer que par une différence quelconque » ( B.Lassudrie-Duchêne )

Constat: ainsi si les échanges intrabranches se développent entre pays présentant des dotations
factorielles proches ( cf. Linder) il n’en reste pas moins que les produits ne sont pas rigoureusement
identiques . Il présente un potentiel de différentiation résultant de leur image de marque , de leurs
qualités spécifiques .

Explication :B .Lassudrie-Duchêne va alors expliquer le développement des échanges en disant :


• « qu’un bien exportable ( qui est donc largement banalisé dans le pays d’origine : cf Linder )
provoque une demande d’importation d’un bien différencié .Il est donc nécessaire qu’entre deux pays
ayant tous deux des biens exportables , les produits similaires se croisent et les différences
s’échangent » .
• En effet, le goût du consommateur pour la variété offre une part de marché à tout exportateur qui
propose une spécification différenciée d’un même produit générique . Ceci résulte de la volonté du
consommateur de se différencier en acquérant des produits ayant une image de marque valorisante .
• Ainsi même si la voiture est un produit générique , le consommateur qui recherche une image de
marque sportive achètera une voiture italienne , celui qui désire obtenir une image british , achètera
une voiture anglaise ( cf. les pubs Rover ) , celui qui veut imposer une image de respectabilité
achètera une voiture allemande , ....

Conclusion : Lassudrie-Duchêne explique que le « commerce international répond à une logique


d’exotisme » .
Limites : Néanmoins la logique de différenciation ne peut s’exprimer que dans les pays ayant un niveau
de vie élevé : ce qui explique que l’échange intra-branche se fasse principalement entre les PDEM .

B ) LES THEORIES DU CYCLE DE VIE DU PRODUIT

1 °) LES THEORIES DE L’ECART TECHNOLOGIQUE : M.POSNER ET P.KRUGMAN

Posner part du principe ( déjà développé par Ricardo ) qu’une firme qui introduit un nouveau produit peut
profiter d’un monopole provisoire à l’exportation jusqu’à ce que les brevets tombent et que des firmes
imitatrices lancent un produit comparable à un prix plus faible .Selon Posner , c’est donc l’avance
technologique caractérisant un pays qui conduit à déterminer les avantages comparatifs du pays .
Le déterminant du commerce international , selon Posner , réside alors dans l’écart
technologique entre les pays :
• les pays en avance exportent des produits intensifs en nouvelles technologies
• les pays en retard sont spécialisés et exportent essentiellement voire uniquement des
produits banalisés

L’analyse de Posner est intéressante car elle permet de dynamiser le modèle de Ricardo dans la mesure
où les différences d’avantages comparatifs peuvent être expliqués par des écarts technologiques entre les
partenaires participant à l’échange . Dès lors les avantages comparatifs ne tombent plus du ciel ; en
contrepartie , les hypothèses de concurrence ne peuvent plus être appliquées .

Krugman va approfondir les intuitions de Posner . Il va différencier deux types de zones :


• les pays du Nord innovent , ce qui permet de développer de nouveaux produits pour lesquels le Nord
dispose d’une situation de monopole et peut donc produire sur son territoire des biens de haute
technologie à un prix élevé
• inversement , les pays du Sud ont des capacités d’innovation réduites . Dès lors , ils ne peuvent que
copier les innovations réalisées au Nord , mais avec un décalage plus ou moins long .Ils fabriquent et
exportent des produits banalisés à un prix réduit en raison de la concurrence .

Conclusion : Krugman en conclut que des innovations générant de nouvelles industries doivent émerger
en permanence au Nord afin de maintenir le niveau de revenu de la zone , les hauts salaires du Nord
reflétant la rente de monopole pour les nouvelles technologies . Le monopole technique du Nord étant
continuellement errodé par les transferts technologiques vers le Sud ne peut être maintenu que par des
innovations constantes sur de nouveaux produits ou procédés .Les capacités d’innovation et donc les
efforts de recherche-développement jouent alors un rôle essentiel .

2° ) LA THEORIE DE VERNON

A partir de l’examen des firmes américaines des années 50-60 , R.Vernon montre qu’ « une production
traverse généralement une série de phases : démarrage , croissance exponentielle , ralentissement et
déclin , qui correspondent à l’introduction du produit sur le marché , à sa diffusion , à la maturation et à la
sénescence » . Vernon développe son analyse en 2 temps

a - une analyse au niveau interne :

Dans un premier temps , il se situe dans le cadre d’un pays ( les USA ) et regarde comment évolue le
produit au cours des différentes phases de sa vie :
NAISSANCE DU PRODUIT EN PRODUIT A MATURITE DECLIN DU PRODUIT
PRODUIT CROISSANCE
Caractéristiques de -innovations élevées -le produit est mis au -banalisation de la -l’obsolescence du
production -techniques de point , la technologie technologie produit se confirme
production instables se stabilise , sauf - proportion de -l’intensité en travail
-production intensive quelques innovations travailleurs non non qualifié augmente
en travailleurs mineures visant à le qualifiés s’accroît -pas
qualifiés pour élaborer différencier -taille des unités de d’investissements
le produit -intensité en capital production augmente
- production à petite devient forte pour afin de bénéficier
échelle , d’où coût répondre à d’économies d’échelle
unitaire de production l’augmentation de la pour réduire les prix
important , prix de demande
vente élevé -production
standardisée à grande
échelle d’où réduction
des coûts de
production et baisse
des prix
Caractéristiques de la - seule une élite -à mesure que le prix -les leaders d’opinion -du fait de l’apparition
consommation disposant de revenus diminue , il touche se détournent du de nouveaux produits
élevés consomment le une partie croissante produit qui touche qui commence à se
produit de la population qui désormais généraliser , les
-l’élasticité-prix de la cherche à imiter les essentiellement les quantités
demande est faible leaders d’opinion qui populations à bas consommées
car pas de produits ont lancé le produit revenu diminuent
substituables - les consommateurs - la consommation
deviennent plus arrive à saturation
exigeants sur la -le produit se banalise
qualité , les , la demande est de
performances du plus en plus élastique
produit par rapport au prix
-l’élasticité-prix
augmente par
l’apparition de
substituts
Structure du marché -monopole temporaire -structure - l’oligopole se - la structure de la
pour la firme oligopolistique se met stabilise branche se déstabilise
innovatrice en place car de - le produit se -sortie des grandes
-nombre de firmes nombreuses firmes banalise , la entreprises ,
restreintes sont attirées par des concurrence se porte apparition des petites
-taille des entreprises perspectives de profit de plus en plus sur les entreprises
dans la branche élevé et imitent prix -le marché se trouve
élevée l’innovateur -la taille des en surcapacité , suite
- la concurrence entreprises s’accroît à la baisse de la
s’effectue par la donc afin de demande , le prix et la
différenciation des rechercher les qualité des produits
produits , ce qui économies d’échelle diminuent
n’empêche pas une - des efforts sont
standardisation et une tentés pour prolonger
baisse des prix le cycle de vie
( innovations
mineures , publicité )
b - l’analyse des échanges internationaux :

A ces différentes phases de cycle de vie du produit vont correspondre des flux d’échange internationaux entre le pays
innovateur et ses partenaires . Vernon est alors amené à distinguer 3 catégories de pays :
- le pays leader: les EU ( années 50 ) se situe au sommet de la hiérarchie technologique ; les principales
innovations émanent de lui
- les pays suiveurs précoces : les pays européens ( années 50 -60 )
- les pays imitateurs tardifs : les PVD
Vernon va alors distinguer 3 phases :

PHASE 1 PHASE 2 PHASE 3


Pays leader Vernon utilise le principe le produit étant stabilisé -le pays leader qui supporte des coûts de
de la demande et le prix diminuant , le production élevés va alors délocaliser la
représentative de Linder : producteur va chercher à production en implantant des filiales dans les
-l’apparition du nouveau étendre son marché en pays imitateurs précoces afin de bénéficier
produit répond à une exportant vers les de coûts de production plus réduits et de
attente exprimée par les marchés des pays mieux satisfaire la demande des pays
consommateurs du pays développés dont les suiveurs
d’origine niveaux de revenu sont - la balance commerciale voit son excédent
-le marché intérieur sert les plus proches ( cf. diminuer , puis se transformer en déficit sur
de marché test afin Linder ) ce produit
d’améliorer le produit -la firme innovatrice qui
- seul le pays innovateur est concurrencée sur son
connaît une population marché intérieur va
assez élevée pour acheter essayer de profiter de son
le nouveau produit avance technologique
Conclusion :durant cette pour prolonger son
phase , pas d’échange monopole temporaire sur
international , le bien est les marchés étrangers
fabriqué et consommé -le pays innovateur
dans le pays d’origine de connaît donc un excédent
l’innovation de sa balance
commerciale sur ce
produit
Pays suiveur -les consommateurs des - les filiales du pays leader qui se sont
précoce PDEM commencent à implantées permettent de mieux répondre
demander le produit , tout aux goûts des consommateurs à des prix
d’abord les leaders plus bas , développent la demande
bénéficiant d’un revenu -le pays devient peu à peu exportateur , non
élevé , puis une partie seulement vers le pays leader mais aussi
croissante de la vers les PVD , dont les classes les plus aisées
population commencent à consommer
- la balance commerciale
des pays est donc de plus
en plus déficitaire sur ce
produit
Pays imitateur -la balance commerciale du pays devient de
tardif plus en plus déficitaire à mesure que les
classes aisées se convertissent au produit

Remarque : Dans un dernier temps , les pays imitateurs rapides vont eux aussi éprouver des difficultés à écouler leur
production , car le produit étant devenu banal , les consommateurs se tournent vers de nouveaux biens , plus
innovants .Les pays vont alors délocaliser leur production vers des PVD qui bénéficient de coûts de main-d’œuvre plus
réduits et qui vont donc pouvoir rentabiliser la production , tout en baissant le prix de vente .

Conséquences : Dès lors , le pays innovateur et le pays imitateur précoce vont tous deux connaître un déficit de leur
balance commerciale sur ce bien ,les PVD connaissant un excédent . Les entreprises qui produisent le bien dans les
PVD peuvent être des filiales des grandes entreprises qui ont délocalisé leur production afin de réduire leurs coûts
et/ou de se rapprocher des marchés de consommation .

Conclusion : La théorie de Vernon permet donc d’expliquer certaines formes du processus de multinationalisation .

3°) LE DEVELOPPEMENT EN VOL D’OIES SAUVAGES DE KANAME AKAMATSU

présentation du modèle : Cette théorie apparaît dans une certaine mesure comme une théorie du cycle
de vie du produit adaptée aux PVD . K Akamatsu l’a forgé en s’appuyant sur le modèle suivi par le Japon. Il
distingue 4 temps :
• dans un premier temps , le PVD n’exporte que des matières premières ;
- les importations en provenance des PDEM peuvent seules satisfaire sa demande intérieure de
produits manufacturés.
- durant cette phase , le pays développe ses échanges avec des pays qui ont des structures
économiques complémentaires de la sienne ( cf. HOS ) .
- On se situe donc dans le cadre de la DIT traditionnelle .

• dans un deuxième temps , la croissance de la demande domestique permet de rentabiliser la


fabrication sur place de produits de consommation manufacturés qui sont , à l’origine , en fin de cycle
de vie du produit .
- Pour ces biens , la production nationale se substitue aux importations .
- Mais , en contrepartie , les importations de biens d’équipement rendus nécessaires par le
développement des industries de consommation se développent .
• dans un troisième temps , les producteurs locaux s’attaquent aux marchés des pays voisins .
- Les importations de matières premières en provenant de pays moins développés s’accroissent .
On assiste donc à une expansion des échanges entre PVD .
- Durant cette phase le pays considéré entreprend une production de biens d’équipements qui se
substitue aux importations en provenance des PDEM .

• durant une quatrième phase , le pays va exporter une partie de sa production de biens d’équipement
vers les PVD qui , pour répondre à leur demande intérieure ou pour produire à moindre coût et
réexporter des biens de consommation , ont besoin de machines .
Remarque : Cette théorie a connu un vif succès , car elle permet de mieux comprendre le développement
de la zone asiatique :
- dans un premier temps , le Japon a produit puis exporté des biens de consommation bas de
gamme ( le textile ) puis il s’est spécialisé sur des productions apportant une plus forte valeur
ajoutée ( électronique grand public ) qu’il a exportées non seulement vers sa zone mais vers les
PDEM .
- le Japon , au fur et à mesure de sons développement , a alors développé une industrie de biens
d’équipement pour répondre à ses besoins domestiques . Il a par la suite exporté une partie de sa
production vers des pays moins développés ( les 4 dragons du Sud-est ) vers lesquels il
délocalisait la production de biens de consommation pour lesquels il n’était plus compétitif , suite
à l’augmentation de ses coûts de main-d’œuvre .
- le schéma est en train de se reproduire avec les tigres vers lesquels le Japon , mais aussi les
dragons délocalisent des productions nécessitant une main-d’œuvre faiblement rémunérée

III ) LA SPECIALISATION , UNE STRATEGIE DYNAMIQUE .


A ) VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA SPECIALISATION

1° ) LES LIMITES DES ANALYSES TRADITIONNELLES DE L’ECHANGE INTERNATIONAL (16


p 292)

Critiques des analyses traditionnelles du commerce international : Comme l’indique Lafay , la


théorie néo-classique de l’échange international basée sur les dotations factorielles présente 2
inconvénients majeurs :
• elle est déterministe , c’est-à-dire que chaque pays doit se spécialiser dans la production pour
laquelle il a reçu des dotations factorielles ; par contre elle n’explique pas comment elles ont été
constituées .
• elle est statique , c’est-à-dire que le pays , une fois qu’il a adopté une spécialisation en fonction de
ses dotations factorielles doit s’y maintenir , quelle que soit l’évolution du commerce mondial .

Conclusion : Lafay peut alors en conclure : « on a l’impression que les avantages comparatifs tombent du
ciel ; chaque nation doit se soumettre passivement aux exigences de la DIT et aucune stratégie active de
spécialisation n’est concevable .

2° ) LA NECESSITE DE LA PRISE EN COMPTE DE NOUVEAUX FONDEMENTS

Critiques : Une telle approche néglige les deux dynamiques essentielles de l’échange :
- celle des entreprises à l’échelle multinationale,
- comme celle des nations dans l’espace économique mondial .

Explications :
• la dynamique des entreprises résulte de l’innovation : nouveaux produits , nouvelles méthodes de
production qui permet à chacune d’entre elles de créer des avantages comparatifs micro-
économiques en surclassant ses concurrents ( ... ) . Les avantages comparatifs sont perpétuellement
créés et renouvelés . La possibilité d’extension multinationale permet de choisir la localisation de ces
activités , sous la contrainte des coûts nationaux de production » ( cf. Vernon ) .
• il en est de même pour les nations : chaque nation peut faire évoluer sa dotation relative en facteurs
de productions en fonction des innovations qu’elle réalise pour s’adapter ou devancer l’évolution de
la demande mondiale . Les nations vont , en fonction de cette capacité d’adaptation , développer ou
non leurs exportations et donc connaître des rythmes de croissance plus ou moins forts .
Conséquences : Dès lors , comme l’indiquent D.Taddei et B.Coriat , les tenants de la théorie de la
compétitivité salariale qui considéraient que les pays devaient se spécialiser en fonction de leurs coûts de
main-d’œuvre résultant des dotations factorielles se sont trompés : « il n’y a pas de corrélation
significative entre les coûts salariaux et les parts de marché » . Ceci résulte en particulier du fait que les
consommateurs ne s’intéressent pas seulement au prix mais aussi à la qualité du produit , que le coût du
produit n’est pas seulement déterminé par le coût salarial , mais connaît d’amples variations en fonction
du coût du capital et des consommations intermédiaires .

Conclusion : Lafay peut alors en conclure que:


• « la spécialisation d’une nation n’est pas le fruit d’une adaptation passive à des tendances
spontanées , elle doit découler d’un effort permanent pour utiliser au mieux ses atouts dans un
environnement en perpétuel mouvement .
• Seule l’innovation peut permettre à l’industrie française de créer des avantages comparatifs et de les
renouveler continuellement , soit par le lancement de nouveaux produits , soit par l’adoption de
processus de production plus efficaces .
• Et pour innover efficacement , il ne suffit pas de faire des efforts de R-D , il faut que les entreprises
choisissent leurs cibles , en fonction de l’étude prospective du marché mondial , tant sur la demande
que sur l’offre concurrente .
• Au lieu d’effectuer des efforts uniformes dans tous les domaines , les entrepreneurs ont pour mission
de prendre des risques , de dépasser la concurrence sur certains créneaux et sur certaines filières
plutôt que sur d’autres , bref de mettre au premier rang l’impératif de la spécialisation .
• Cela implique évidemment que l’on renonce à être présent dans certaines activités et donc que l’on
abandonne les visions mythiques telle que la reconquête du marché intérieur :celles-ci n’ont de sens
que dans une économie vouée à l’autarcie . Dans tous les pays qui ont choisi de s’ouvrir à la
concurrence internationale , plus personne ne se pose la question de savoir s’il faut se spécialiser ; à
partir du moment où l’on a préféré l’économie ouverte à l’autarcie , l’impératif de spécialisation
l’emporte inéluctablement . »

B ) DE NOUVELLES FORMES DE COMPETITIVITE

1° ) LES DEUX TYPES DE COMPETITIVITE

Définition :: « la compétitivité est la capacité à maintenir et à accroître ses parts de marché » .

a - la compétitivité-prix :

Pendant très longtemps on a considéré que la seule source de compétitivité pour une entreprise
ou un pays était la compétitivité-prix qui vise à produire à moindre coût afin de réduire les prix
pour dépasser la concurrence et s’attirer les faveurs des consommateurs .

L e s limi te s : Mais cette forme de compétitivité ne semble pas aujourd’hui être la forme
dominante par laquelle luttent les entreprises les plus innovantes .

b - la compétitivité-qualité ou compétitivité hors-prix ou structurelle:

Il nous faut alors définir la compétitivité hors-prix ou structurelle qui est la capacité à imposer
ses produits sur le marché indépendamment de leur prix .L’entreprise grâce à l’innovation , à
l’amélioration de la qualité de ses produits , à son adaptation à la demande , à la qualité de ses
services , ... peut gagner des parts de marché tout en maintenant des prix plus élevés que ceux
de ses concurrents .Les entreprises bénéficient ainsi d’une meilleure rentabilité qui peut être à
l’origine d’un cercle vertueux .

c - Conclusion :

Remarque : Néanmoins , compétitivité-prix et hors-prix ne s’opposent pas nécessairement pour 2 raisons :


• le consommateur opère son choix en se basant sur plusieurs critères : la qualité , l’innovation certes mais aussi le prix . Dans un
contexte de concurrence très forte ( marché offreur ) , les entreprises se doivent non seulement d’offrir des produits de qualité ,
mais aux prix les plus compétitifs possibles .
• l’entreprise qui désire rentabiliser son innovation peut diminuer le prix de vente afin d’accroître la demande donc la production
. Elle bénéficiera ainsi d’économies d’échelle qui lui permettront de diminuer son coût , d’améliorer sa rentabilité , donc de
financer des efforts de recherche lui permettant de réaliser des innovations incrémentales ( différenciation des produits , ... ) ou
majeures .
2° ) LE POLE DE COMPETITIVITE

Critique de la conception libérale : Comme l’indique C.Stoffaes , la conception libérale du


commerce international est trop limitée . En effet , elle considère seulement que : « la
compétitivité d’une nation repose sur la capacité de ses entreprises prises individuellement à
être plus compétitives . Mais ces entreprises sont plongées dans un environnement national . La
compétitivité n’est pas seulement l’affaire des entreprises ; elle comporte des éléments
compétitifs , ce qui font un tissu industriel compétitif . »

Définition : dans cette perspective , les pôles de compétitivité jouent un rôle de structuration de
l’appareil productif . En effet , ce sont « des ensembles d’entreprises qui ont acquis des positions
dominantes dans la concurrence internationale et qui exercent des effets d’entraînement pour
une grande variété d’activités productives » ( Aglietta ) .

Répercussions : elles peuvent s’exercer aussi bien vers l’aval que vers l’amont que latéralement
entre les firmes :
• vers l’aval : les clients peuvent bénéficier :
- des gains de productivité acquis par les pôles grâce aux rendements d’échelle et surtout
à l’apprentissage des facteurs qui influencent l’évolution de la demande .
- Ils bénéficient aussi de produits intermédiaires plus innovants , de meilleure qualité qui
leur permettront de mieux satisfaire leurs clients .
• vers l’amont : en direction des fournisseurs et des sous-traitants car les pôles offrent :
- des débouchés réguliers et généralement croissants ( d’où économies d’échelle )
- et des incitations à innover .
• latéralement : entre les firmes composant le pôle par la diversification des produits ,
l’incitation à l’innovation , ils permettent de dynamiser la concurrence oligopolistique et donc
la compétitivité du pôle .

C o n clu s io n : Le pôle permet ainsi de constituer des filières de production qui améliorent la
cohésion du tissu productif ( en développant les synergies ) et permettent ainsi de réduire la
contrainte extérieure que subissent les pays .

3°) POLE DE COMPETITIVITE ET CONTRAINTE EXTERIEURE

a -définition de la contrainte extérieure :

d éf in it io n : la notion de contrainte extérieure traduit la dépendance d’une économie à l’égard


des autres économies et peut se définir par l’impossibilité pour certains pays de concilier une
croissance forte et l’équilibre des échanges extérieurs » . Ainsi le pays ne pourrait pas connaître
de décalage conjoncturel par rapport à ses concurrents ( c’est-à-dire un rythme de croissance
plus fort que celui des autres pays avec lesquels il commerce ) , sous peine de voir ses
importations progresser plus vite que ses exportations et voir son déficit commercial se creuser .

exemple :L’exemple typique est celui de la relance keynésienne menée en 1981 par la France qui , à propension à importer constante
( m = M / PIB ) s’est traduite mécaniquement par une poussée des importations alors que dans le même temps nos partenaires
appliquaient des politiques de rigueur qui diminuaient leur propension à importer et donc nos exportations .

conclusion : Il semble dès lors que :


• sous peine de connaître un déficit commercial croissant , le pays doit s’interdire de mener des politiques de relance keynésienne
, sous peine d’être confronté à la contrainte extérieure .
• Mais la contrainte extérieure n’est pas seulement déterminée par le rythme de croissance du PIB ; elle est aussi fonction des
coûts de production d’un pays . Celui-ci ne peut se permettre sous peine de voir sa compétitivité-prix diminuer et donc sa
balance commerciale devenir déficitaire de voir son coût salarial ( et plus largement ses coûts de production ) progresser plus
vite que celui de ses partenaires . Cela semble condamner une politique keynésienne par augmentation des salaires
• A plus long terme , l’accumulation des déficits par un pays qui rend sa balance commerciale structurellement déficitaire
nécessitera des importations de capitaux croissantes qui aggraveront le déficit de la balance des capitaux et qui , à terme ,
entraîneront une méfiance des prêteurs qui exigeront du pays des taux d’intérêt plus élevés ou qui même refuseront tout
nouveau emprunt , dès lors que le pays a buté sur sa contrainte de solvabilité .
b -le rôle du pôle de compétitivité sur la contrainte extérieure :

Les pôles de compétitivité permettent de desserrer ces contraintes extérieures :


• l’effet de structuration par la constitution de filières cohérentes rend le contenu en importation de la croissance moins élevé ,
permet de tirer les exportations , donc réduit le déficit commercial malgré l’existence d’un décalage conjoncturel . Durant les
années 80 , un pays comme le Japon ou l’Allemagne pouvait se permettre de connaître une croissance économique plus forte
qu’un pays comme la France .
• le pôle de compétitivité proposant des produits innovants , de qualité recherche une compétitivité hors-prix qui lui permet
d’offrir à ses employés des revenus plus élevés que ceux de ses concurrents sans subir de perte de compétitivité remettant en
cause sa viabilité . Ceci peut permettre d’engager un cercle vertueux : les salaires étant plus élevés , les individus sont plus
motivés , plus qualifiés donc plus incités à innover ( théorie du salaire d’efficience ) , ce qui accroît encore la compétitivité
hors-prix .

4° ) LES EXEMPLES

a ) L’exemple français

Constat : La France , malgré une amélioration notable depuis le milieu des années 80 , se caractérise par un certain nombre de
faiblesses du point de vue de sa compétitivité :
• la France est peu spécialisée , c’est-à-dire qu’elle est présente sur beaucoup de marchés ( le slogan au début des années 80 était :
il n’y a pas d’ industries condamnées , il ya seulement des technologies dépassées ) , sans bénéficier d’aucune avantage
comparatif réel
• la France est mal spécialisée : n’ayant pas su opérer suffisamment tôt des choix sur des créneaux porteurs , la France ne dispose
d’aucune position forte sur les marchés connaissant une demande mondiale dynamique ( cf. l’exemple de l’informatique l’échec
de Bull lancé dans les années 60 par la politique gaullienne de champions nationaux)
• la France ne dispose pas véritablement de pôles de compétitivité structurés lui assurant une compétitivité hors-prix , les
entreprises françaises étant concentrées sur des produits relativement banalisés sont très sensibles à la variation de leurs coûts
de production et donc à leur compétitivité-prix

Conclusion : Le résultat de tout ceci est que l’économie française est très sensible à la contrainte extérieure. L’analyse que fait
F.Milewski de l’amélioration du solde de la balance commerciale est à cet égard moins optimiste que ne le laisseraient penser les
chiffres :
• Certes après 12 ans de déficit commercial( sauf 1986 ) la France a connu depuis 1992 un excédent croissant jusqu’au début des
années 2000,
• mais celui-ci résultait au moins autant de l’atonie (faiblesse) de la croissance que l’on a pu observer durant les années 90 que de
l’amélioration de la spécialisation .
• En effet , depuis 1982 , la France applique une politique de désinflation compétitive qui a permis de diminuer les coûts
salariaux et donc d’améliorer la compétitivité-prix .
• Aujourd’hui , cette politique trouve ses limites , tous les pays européens l’appliquant simultanément elle n’a plus rien de
compétitive , ce qui explique la dégradation de la balance commerciale depuis les années 2000 : l’économie française ayant mal
résisté à la valorisation de l’euro, ses produits étant moins compétitifs du point de vue des prix. La forte dégradation de l’année
2005 est d’autant plus inquiétante qu’elle se situe dans un contexte de forte croissance du commerce mondial, les parts de
marché détenues par l’économie française ont donc régressé.
• Par contre , elle freine la croissance économique potentielle , donc l’augmentation de la demande , donc la progression des
importations ( à propension à importer constante ) .
• Une lecture attentive de l’amélioration de la balance commerciale conduit donc à penser que celui-ci résulte au moins en partie
d’un décalage conjoncturel favorable à la France ( qui croît moins vite que ses partenaires, surtout que les USA ou le royaume
uni ) plutôt que d’une amélioration sensible de sa compétitivité hors-prix ( même si celle réelle ne doit pas être sous-estimée ) .

Les conséquences : Dès lors « en 95 et 96 , on ne peut s’empêcher de mettre en parallèle le ralentissement économique et
l’amplification de l’excédent ( ...) . Certes , se créent des capacités de financement extérieur qui pourront être autant de réserves pour
le développement futur . Mais en attendant , l’économie française s’est installée en deçà de son potentiel d’activité . Le chômage
élevé en découle . » ( F.Milewski ) . Cette conclusion reste malheureusement valable pour le debut des années 2000.

b ) L’Allemagne

Constat : Contrairement en France , l’Allemagne est un pays spécialisé depuis fort longtemps qui dispose donc de pôles de
compétitivité très performants ( en particulier dans la machine-outil ) qui lui ont permis de structurer des filières cohérentes
( principalement la chimie et la mécanique ) .

Les limites de la spécialisation allemande : La situation de l’Allemagne paraît donc très enviable aux français , il n’en reste pas
moins qu’aujourd’hui un certain nombre d’observateurs se demande dans quelle mesure l’Allemagne n’est pas un géant aux pieds
d’argile . En effet :
• sa spécialisation manque de dynamisme ; elle n’a pas su s’adapter à l’évolution de la demande mondiale ; les points forts de
l’Allemagne ont été constitués durant la seconde révolution industrielle basée sur la mécanique et la chimie . Il est donc normal
que l’Allemagne excelle dans ses productions qui portent plus souvent sur des petites séries de produits spécialisés en faisant
appel à une main-d’œuvre ouvrière très qualifiée .
• Mais l’Allemagne n’a pas su prendre le train de la troisième Révolution industrielle basée sur les technologies électroniques .
Dès lors , sa spécialisation se révèle de plus en plus inadaptée à l’évolution du commerce mondial et les hauts salaires qu’elle
verse à sa population ne sont plus compensés par la compétitivité hors-prix qui se dégrade .

c ) Les Etats-Unis

Constat : On peut distinguer plusieurs phases :


• Entre 1945 et 1960 , les EU occupaient une position de leader qui résultait de leur avance technologique très importante par
rapport à leurs concurrents européens et japonais ( cf. Vernon ) .
• A partir des années 60 , japonais et européens ont rattrapé leur retard et ont même sur certains domaines dépassé le maître
américain .
• On s’est même demandé , à partir des années 70 , suite à la non-convertibilité or du dollar , puis dans les années 80 avec
l’accroissement du déficit commercial dans quelle mesure les américains ne seraient pas en train d’abandonner leur leadership ,
ne connaîtraient pas une désindustrialisation qui les conduirait à une évolution telle que celle qu’a connu la GB depuis le XIX°
siècle
• Or il semble depuis la fin des années 80 , que les américains confrontés au défi japonais ont su réagir , ont restructuré leurs
industries , ont relancé leurs formidables capacités d’innovation et ont donc conforté leur leadership en particulier dans le
domaine des industries en tique et plus largement ont réorienté leur processus productif vers le secteur quaternaire

d ) Le Japon

Présentation de La stratégie japonaise : elle est particulièrement intéressante : elle peut être assimilée à une stratégie de remontée
des filières :
• dans un premier temps , les entreprises japonaises ont concentré leurs efforts sur des produits de consommation grand public
pour lesquels elles pouvaient bénéficier d’économies d’échelle . Elles ont donc développé en particulier la photo , la hi-fi des
produits moyens de gamme , bourrés d’électronique qui ont mis à mal les produits hauts de gamme mécaniques allemands .
• les entreprises japonaises ont pu alors constitué des pôles de compétitivité cohérents , caractérisés par une forte concurrence ,
une capacité d’innovation élevée qui leur ont permis de passer des produits moyens de gamme à des produits hauts de gamme et
d’occuper une position dominante sur le marché .
• ces pôles de compétitivité ont ainsi servi de base pour investir les autres postes de la filière et , en particulier , forts de
l’expérience acquis dans l’électronique de consommation , les entreprises japonaises ont développé des biens d’équipement
basés non plus sur la mécanique ( Allemagne ) mais sur l’électronique .

Conclusion :Elles ont opéré ainsi une stratégie de remontée de filière qui est conforme à la logique du modèle de K..Akamatsu .
Néanmoins aujourd’hui la stratégie japonaise semble mise à mal sur les créneaux les plus porteurs par le retour de l’économie
américaine

Pour ceux qui veulent aller plus loin : "LES TRANSFORMATIONS DES ECHANGES ET DES INVESTISSEMENTS
INTERNATIONAUX"
Plan de cours d'Alexandre Minda 2ieme année d'IEP

SECTION II : LA TENTATION PROTECTIONNISTE ( 2 p 257)


I ) UNE LIBERALISATION NECESSAIRE DES ECHANGES INTERNATIONAUX
A ) LE LIBRE-ECHANGE EST OPTIMAL
le postulat libéral : Dans l’optique libérale qui va de Smith à HOS , le libre-échange est optimal et
conduit à une amélioration du bien-être de tous les échangistes . En effet , les pays ayant basé leur
spécialisation sur des dotations factorielles complémentaires ont intérêt à laisser librement entrer les
produits , car il bénéficie ainsi de biens de meilleure qualité à des prix plus réduits , ce qui améliore la
satisfaction des consommateurs .

L’apport des nouvelles théories au libre-échange :Les nouvelles théories de la croissance semblent
rendre le libre-échange plus nécessaire que jamais :
- la théorie de la croissance endogène montre que , plus l’accumulation du progrès technique et
des connaissances est élevée , plus forte sera la croissance potentielle , le resserrement des liens
économiques entre les pays accroît la propagation des techniques , réduit le risque de duplication
d’activités de R-D et génère donc une croissance économique plus forte .
- afin de réduire leurs coûts de production , les entreprises cherchent à bénéficier de rendements
d’échelle qui nécessitent une augmentation des débouchés qui n’est réalisable que par le
développement du libre-échange et l’instauration du marché mondial .
- le libre-échange réduit les distorsions de prix en homogénéisant les prix des entreprises
fabriquant les mêmes produits . Dès lors , les entreprises vont être incitées à investir sur les
marchés les plus porteurs , ce qui conduira à une amélioration de l’efficience économique et donc
à terme de la croissance économique .

B ) LE PROTECTIONNISME GENERE DES EFFETS PERVERS

Problème :Néanmoins , aujourd’hui :


- dans un contexte de crise économique , d’augmentation du chômage , la concurrence exercée par
les pays à faible coût de main d’œuvre semble entraîner la disparition de pans entiers de
l’industrie qui sont alors délocalisés , en particulier vers les NPI , ce qui multiplie les licenciements
.
- Aussi , de nombreuses voix s’élèvent en particulier dans les rangs syndicaux pour demander
l’application de mesures protectionnistes .
Critique de cette analyse : Les auteurs libéraux s’y opposent , considérant qu’elle débouche sur une
situation sous-optimale
- l’expérience des années 30 a montré que le pays qui met sur pied une politique protectionniste
afin de protéger son industrie nationale va subir à son tour des mesures de rétorsion de la part de
ses partenaires étrangers , ce qui risque de déboucher sur une généralisation du protectionniste ,
qui ne peut que freiner la croissance et détruire des emplois
- les pays d’Asie du Sud-Est ne sont pas aujourd’hui seulement source de destruction d’emplois ; ils
représentent la zone qui connaît la plus forte croissance économique et qui fournit donc des
débouchés à nos entreprises , en particulier dans les secteurs à forte valeur ajoutée dans
lesquels l’industrie française est en train de se spécialiser ( ex : T.G.V. en Corée du Sud ) . Fermer
nos frontières c’est se priver des débouchés dans cette zone et donc se priver d’emplois .
- la solution serait d’autant plus malvenue que l’application de mesures protectionnistes en
maintenant artificiellement des emplois dans des secteurs où elle n’est plus compétitive ( ex :
textile ) retarderait une spécialisation sur les secteurs les plus dynamiques , qui (comme l’ a
montré Lafay) nécessite d’opérer des choix . La France ne pouvant être présente sur tous les
marchés , il faut qu’elle opère une stratégie de spécialisation qui dynamisera sa croissance
économique .Sauvegarder des emplois dans les secteurs traditionnels , c’est au contraire
perpétuer une spécialisation sur les produits où l’on se concurrence par la compétitivité-prix ;
c’est donc à terme détériorer la compétitivité structurelle de l’industrie française qui rejoindrait le
rang des pays intermédiaires en quittant celui des PDEM .
- il ne faut pas non plus oublier que le protectionnisme a un coût pour le consommateur . Une
étude de JENKINS concernant le coût de la protection de l’industrie textile canadienne démontre
que l’imposition des auto-limitations a permis de maintenir ou de créer 6000 emplois mais que
chaque poste de travail a coûté 14 000 dollars alors que le salaire moyen dans cette industrie
n’était que de 10 000 dollars ( il aurait mieux valu payer 10 000 dollars des chômeurs ) . Cette
mesure a coûté aux consommateurs canadiens 467 millions de dollars en 79 ; les industriels
canadiens profitant des mesures protectionnistes pour augmenter leur prix jusqu’à 30 % . Cette
mesure a donc détérioré le pouvoir d’achat des consommateurs les plus défavorisés qui ont du
payer plus cher du textile bas de gamme que les PVD leur auraient procuré à un prix beaucoup
plus réduit .

Conclusion : une politique protectionniste n’est donc pas neutre économiquement , elle engendre une
redistribution des revenus des consommateurs qui perdent du pouvoir d’achat suite à la hausse des prix
vers les producteurs qui maintiennent artificiellement des prix élevés . Elle représente donc un jeu à
somme nulle . Le jeu est même à somme négative , si comme le montre l’exemple de l’industrie textile
canadienne , les barrières douanières incitent les producteurs à se spécialiser vers les produits les moins
porteurs , laissant ainsi à leurs concurrents étrangers les spécialisations les plus dynamiques

Les répercussions négatives sur les PVD : la politique protectionniste est donc néfaste pour le pays
qui l’applique , mais elle risque en outre de freiner le développement des PVD . En effet , les PVD n’ayant
pas de marché intérieur suffisamment solvable pour assurer un décollage économique ( cf. cercle vicieux
de Nurske et échec de la stratégie de l’industrialisation par substitution d’importations ) sont obligés
d’appliquer une stratégie de promotion des exportations leur permettant , en particulier , de rembourser
les dettes qui ont été nécessaires pour financer les investissements assurant le take off . Les PDEM ne
peuvent avoir un double langage : souhaiter le décollage des PVD et en même temps par des mesures
protectionnistes leur interdire d’y accéder .

C ) LA LIBERALISATION DES ECHANGES INTERNATIONAUX PAR LE GATT ET L’OMC


Constat : il y a eu un cercle vicieux dépressionniste engendré en particulier par la multiplication des barrières protectionnistes
durant l’entre-deux guerres qui a freiné l’expansion du commerce mondial et donc la croissance économique ,
Solution : les grands pays développés ont , dès la fin de la guerre , signé un accord ( le GATT en 47 ) qui avait pour objectif affirmé
de favoriser le plein emploi et la croissance économique par le développement des échanges internationaux assurés par une
diminution des barrières protectionnistes .

Résultat : l ‘objectif a été atteint puisque les tarifs douaniers moyens des produits industriels dans les PDEM sont passés de 40 % à 5
% en 90 .

Nouveau débat : mais , suite à l’entrée en crise , la tentation protectionniste est réapparue dès les années 70 par l’imposition de
barrières non tarifaires . Les pays signataires de l’accord du GATT devaient alors décider :
• s’ils voulaient comme dans les années 30 engager une guerre protectionniste qui bloquerait la croissance économique
• ou au contraire s’ils désiraient , par une libéralisation accrue des échanges internationaux ( portant non plus seulement sur des
barrières tarifaires mais aussi sur des barrières non tarifaires , portant non plus seulement sur l’industrie mais aussi sur les
services et l’agriculture ) dynamiser le commerce mondial et assurer ainsi une sortie de crise

Solution : c’est dans cette perspective qu’ont été menées les discussions de l’Uruguay Round qui ont débouché sur la création de
l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 1995 .

II ) VERS UN RENOUVEAU DU PROTECTIONNISME

Introduction :
Selon Ha-Joon Chang le protectionnisme est un facteur de développement ;

« A peu près tous les pays aujourd'hui développés (PAD) avaient des politiques interventionnistes actives en matière de commerce,
d'industrie et de technologie. Pendant les périodes de " rattrapage ", leur but était de développer leurs industries naissantes ; lorsqu'ils
ont atteint leur objectif, ils ont eu recours à des pratiques leur permettant de distancer leurs possibles concurrents. Ils ont pris des
mesures pour maîtriser les transferts de technologies vers ces derniers (par exemple en mettant en place un contrôle de l'émigration
des travailleurs qualifiés ou de l'exportation+ des machines) et, par des traités inégaux et par la colonisation, ont contraint les pays
moins développés à ouvrir leurs marchés. Toutefois, les économies en phase de rattrapage autres que les colonies (officielles ou de
fait) n'ont pas accepté passivement ces mesures restrictives. Pour surmonter les obstacles qu'elles créaient, elles ont mis en oeuvre
toutes sortes de moyens légaux et illégaux, tels que l'espionnage industriel, le débauchage illégal de main-d'oeuvre et le passage d'équi
pements en contrebande.

L'étude des expériences historiques d'un ensemble de PAD (la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, l'Allemagne, la France, la Suède, la
Belgique, les Pays-Bas, la Suisse, le Japon, la Corée et Taiwan) détruit beaucoup de mythes qui biaisent aujourd'hui le débat, les plus
nombreux portant sur les politiques économiques de la Grande-Bretagne et le capitalisme+ de libre-échange+ des Etats-Unis - les
deux patries supposées du libéralisme+.

1. La Grande-Bretagne

• Contrairement au mythe populaire qui veut qu'elle se soit développée sur la base du libéralisme et du libre-échange, la
Grande-Bretagne a utilisé agressivement - jusqu'à en être un pionnier dans certains domaines - des politiques volontaristes
destinées à développer ses industries naissantes. De telles pratiques, même si leur portée est limitée, remontent au XIVe
siècle (Edouard III) et au XVe siècle (Henry VII) pour ce qui concerne l'industrie lainière, l'industrie de pointe à l'époque.
L'Angleterre exportait alors de la laine brute vers les Pays-Bas. Henry VII tenta de changer cette situation en taxant les
exportations et en débauchant des ouvriers qualifiés hollandais. Entre la réforme de la politique commerciale, décidée en
1721 par le Premier ministre Robert Walpole, et l'abrogation de la loi sur les blés, en 1846, la Grande-Bretagne a mis en
oeuvre des politiques agressives en matière d'industrie, de commerce et de technologie. Pendant cette période, elle pratiqua
activement la protection des industries naissantes, les subventions à l'exportation+, les réductions de droits pour l'importation
de matières entrant dans la fabrication des produits qu'elle exportait, le contrôle de la qualité des exportations par l'Etat -
toutes pratiques qui sont typiquement associées au Japon et autres pays est-asiatiques. Comme le montre le tableau supra, la
Grande-Bretagne a eu des tarifs douaniers très élevés sur les produits manufacturés jusque dans les années 1820, soit quelque
deux générations après le démarrage de sa révolution industrielle et alors qu'elle possédait une avance technologique
significative sur les nations concurrentes.

• C'est donc avec l'abrogation de la loi sur les blés, en 1846, que les Britanniques se sont convertis nettement - même si ce
n'était pas complètement - au libre-échange. On considère habituellement cette décision comme la victoire définitive de la
doctrine économique libérale classique sur l'aberration mercantiliste (par exemple Bhagwati, 1985), mais nombre
d'historiens la voient comme un acte d'" impérialisme libre-échangiste " destiné à " mettre un terme à l'industrialisation+ sur
le continent en accroissant les débouchés pour les produits agricoles et les matières premières " (Kindleberger, 1978, p. 196).
C'est d'ailleurs ainsi que le présentaient les meneurs de la campagne pour l'abrogation de la loi sur les blés, tels que le
politicien Richard Cobden et John Bowring, de la Chambre de commerce+.

• En bref, contrairement à la croyance populaire, l'exemple britannique de passage à un régime de libre-échange s'est construit
" derrière des barrières douanières élevées et durables ", comme l'écrit l'éminent historien de l'économie Paul Bairoch
(Bairoch, 1993, p. 46). C'est pourquoi Friedrich List, l'économiste allemand du XIXe siècle considéré (à tort, comme nous
allons le voir) comme le père de la théorie moderne des " industries naissantes ", a déclaré que les Britanniques prêchant
pour le libre-échange se comportaient comme celui qui, arrivé en haut du mur, " tire l'échelle " qui lui a servi à grimper. Cela
vaut la peine de le citer plus longuement : " C'est un ingénieux procédé, fort commun, lorsque quelqu'un a atteint le sommet
de sa grandeur, qu'il tire l'échelle qui lui a permis de grimper, afin de priver les autres des moyens de le rattraper. C'est le
secret de la doctrine cosmopolite d'Adam Smith, des tendances cosmopolites de son grand contemporain William Pitt, et de
tous ceux qui leur ont succédé au gouvernement britannique. Toute nation qui, sous la protection des droits de douane+ et des
restrictions à la navigation, a porté sa puissance industrielle et maritime à un tel niveau de développement qu'aucun autre
pays ne peut lui faire concurrence, n'a rien de plus sage à faire que de retirer ces échelles vers sa grandeur, de prêcher aux
autres nations les avantages du libre-échange+ et de déclarer sur le ton du repentir qu'elle s'était jusqu'ici égarée, et qu'elle
vient de découvrir la vérité " (List, 1885, p. 295-296).

2. Les Etats-Unis

Si la Grande-Bretagne fut le premier pays à lancer avec succès sur une grande échelle la stratégie de la promotion des industries
naissantes, ses utilisateurs les plus actifs furent les Etats-Unis - que Paul Bairoch a désignés comme " le berceau et le bastion du
protectionnisme+ moderne " (Bairoch, 1993, p. 30).

• En effet, les premiers arguments systématiques en faveur des industries naissantes ont été développés par des penseurs améri
cains, comme Alexander Hamilton, le premier secrétaire au Trésor des Etats-Unis, et Daniel Raymond. C'est dans les années
1820, pendant son exil aux Etats-Unis, que Friedrich List, le père intellectuel supposé de la théorie de la protection des
industries naissantes, a commencé à apprendre sur la question. Beaucoup d'intellectuels et de politiciens américains avaient
bien compris, pendant la période de " rattrapage " de leur pays, que la théorie du libre-échange défendue par les Britanniques
ne leur convenait pas. List fait l'éloge des Américains pour ne pas avoir écouté des économistes influents comme Adam
Smith ou Jean-Baptiste Say, qui soutenaient que la protection des industries naissantes serait un désastre pour les Etats-Unis,
pays riche en ressources. Les Américains ont obéi au " bon sens " et à " l'instinct de ce qui était nécessaire pour la nation "
(List, 1885, p. 99-100), et continué à protéger leurs industries, en commençant par mettre en vigueur un nouveau tarif
douanier+ en 1816 (3).

• Entre 1816 et la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis ont eu l'un des taux moyens de droits de douane sur les
importations de produits manufacturés les plus élevés du monde. Comme le pays a bénéficié, au moins jusque dans les
années 1870, d'une protection " naturelle " exceptionnelle, du fait des coûts de transport élevés, on peut dire que les
industries américaines ont été les plus protégées du monde jusqu'en 1945. Après la guerre de Sécession, le protectionnisme
devint très important. Contrairement à ce que l'on croit, ce conflit n'a pas eu comme seul motif la question de l'esclavage : les
tarifs douaniers furent une cause au moins aussi importante (4). C'est seulement après la Seconde Guerre mondiale, quand
leur suprématie industrielle ne fut plus contestée, que les Etats-Unis libéralisèrent leur commerce (même si ce ne fut pas
aussi radicalement que les Britanniques l'avaient fait au milieu du XIXe siècle) et commencèrent à se faire les champions du
libre-échange+ - apportant une fois de plus la preuve que List avait raison avec sa métaphore de l'" échelle tirée ". La citation
ci-après d'Ulysses Grant, héros de la guerre de Sécession et président des Etats-Unis de 1869 à 1877, montre bien que les
Américains ne se faisaient aucune illusion sur le fait qu'ils avaient, comme les Britanniques, " tiré l'échelle " (5) : " Pendant
des siècles l'Angleterre a tablé sur la protection, qu'elle a porté à son plus haut niveau. Elle en a obtenu des résultats qui la
satisfont. C'est sans aucun doute à ce système qu'elle doit sa puissance actuelle. Après deux siècles, elle a trouvé bon
d'adopter le libre-échange+ parce qu'elle pensait que le protectionnisme+ ne pouvait plus rien lui apporter. Eh bien,
messieurs, ma connaissance de notre pays me permet de croire que dans deux cents ans, quand l'Amérique aura tiré de la
protection tout ce qu'elle peut lui apporter, elle aussi se convertira au libre-échange " (Ulysses S. Grant, cité dans A. G.
Frank, 1967, p. 164).

3. Exercices de distancement

Comme je l'ai signalé plus haut, une fois arrivés au sommet, les PAD ont utilisé toutes sortes de tactiques pour distancer les pays qui
suivaient. Les politiques mises en oeuvre furent, bien entendu, différentes selon le statut politique de ces derniers - colonies, pays
semi-indépendants liés par des traités inégaux ou nations concurrentes indépendantes.

• La Grande-Bretagne a empêché le développement industriel de ses colonies de façon particulièrement agressive.


Premièrement, elle a encouragé la production de matières premières par des subventions (les " primes ") et supprimé les
droits de douane+ sur les importations+ de ces marchandises en provenance de ses colonies. Deuxièmement, elle a mis hors
la loi, dans ses colonies, les activités manufacturières à haute valeur ajoutée+. Troisièmement, elle a interdit aux colonies
d'exporter des produits concurrents des siens. Par exemple, les Anglais ont interdit les importations+ de cotonnades d'Inde
(les " calicots "), en 1700, et les exportations+ de drap au départ de leurs colonies (par exemple l'Irlande et les Etats-Unis)
vers d'autres pays, en 1699. Quatrièmement, l'Angle terre interdisait aux autorités coloniales d'imposer des droits de
douane+ ; et lorsqu'ils étaient nécessaires au budget+ du territoire, elle les contrait d'une façon ou d'une autre. Par exemple,
quand le gouvernement colonial britannique en Inde imposa, pour des raisons purement fiscales, des droits - fort réduits : de
l'ordre de 3 à 10 % - sur les importations+ de textiles, les producteurs locaux durent payer une taxe+ du même ordre, afin
que la situation " soit équitable pour tous ".

• Des " traités inégaux " furent utilisés pour priver des pays théoriquement indépendants de leur autonomie douanière, en
maintenant leurs tarifs à des niveaux très bas (habituellement de 3 à 5 %). Entraient dans cette catégorie tous les pays
d'Amérique latine, à commencer par le Brésil en 1810, ainsi que la Chine, le Siam, la Perse, l'Empire ottoman et le Japon.
• Contre les pays concurrents, la politique consistait à limiter les transferts de technologies, en interdisant l'émigration de la
main-d'oeuvre qualifiée ou l'exportation+ de machines performantes. Les concurrents contre-attaquaient en pratiquant
l'espionnage industriel et le recrutement " illégal " de travailleurs qualifiés, et en ne respectant pas les brevets et autres droits
de propriété intellectuelle. La plupart de ces pays n'accordaient qu'une protection très insuffisante aux droits de propriété
intellectuelle des étrangers (par exemple en autorisant la prise de brevets sur une " invention importée "). La Suisse n'a pas
eu de système de brevets jusqu'en 1907, et les Pays-Bas, même s'ils ont passé une loi sur les brevets en 1817, l'ont abrogée en
1869 et ne l'ont pas réintroduite avant 1912. Et jusqu'à la fin du XIXe siècle, au moment où l'Allemagne était sur le point de
dépasser la Grande-Bretagne sur le plan techno logique, cette dernière était très préoccupée par les nombreuses contrefaçons
de ses marques par les Allemands

Contexte : La création de l’OMC s’est faite dans un contexte politique très favorable au libéralisme . En effet , l’effondrement du bloc
soviétique traduit pour les libéraux la supériorité du capitalisme , du marché de CPP sur tout autre système . La généralisation de
l’économie de marché et la libéralisation des échanges semblent alors être les seules solutions qui s’offrent au pays qui veut connaître
une croissance et un développement économique .

Limites : comme l’indique l’analyse historique de P.Bairoch , il n’y a pas de lien de cause à effet obligatoire entre la libéralisation des
échanges , le développement du commerce international et la croissance économique . En effet : « l’expansion du commerce extérieur
européen a été généralement plus rapide durant les périodes protectionnistes que durant la période libérale , globalement les 30
années de période libérale ( 1860-1890 ) ont été nettement plus négatives que les 30 années précédant cette période et que les 25
années la suivant . »

Conclusion : A.Grjebine peut en conclure : « en fait , le libre-échange a été favorable surtout sinon exclusivement à la première
puissance économique de l’époque , c’est-à-dire le Royaume-Uni » . On peut alors se demander dans quelle mesure la libéralisation
des échanges internationaux qui est en train de s’opérer aujourd’hui n’a pas été réalisée par le pays leader ( les EU ) au nom de
l’intérêt général et en particulier celui des plus faibles mais en recherchant l’intérêt particulier des américains qui ont vu un moyen de
maintenir leur domination .

A ) LE PROTECTIONNISME EDUCATEUR

1° ) LA NECESSITE D’UN PROTECTIONNISME .

Constat :Les pays qui occupent aujourd’hui un leadership dans le commerce mondial ( Allemagne , EU ,
Japon ) et qui sont donc les plus favorables au développement des échanges internationaux étaient au
XIX° siècle les défenseurs d’un protectionnisme éducateur qui devait les mettre à l’abri de la concurrence
exercée par le RU .

Explications : En effet , contrairement à ce qu’affirme Ricardo et toute l’école libérale , la spécialisation


ne tombe pas du ciel ; elle est construite par le pays qui cherche à s’implanter dans les secteurs les plus
porteurs . Si les pays les plus faibles acceptent le libre- échange , ils vont être obligés de se cantonner aux
productions délaissées par le pays leader , car leurs industries n’étant pas encore compétitives , elles
seront éliminées .
Conclusion : le pays en retard doit alors appliquer une stratégie protectionniste , qui contrairement à la
théorie développée par les libéraux n’est pas défensive mais offensive . En effet , son industrie n’étant pas
compétitive , il doit dans un premier temps la protéger par des barrières douanières qui lui offriront un
marché captif ( le consommateur en contrepartie subit un coût : il paye plus cher des biens de moins
bonne qualité ) .

2° ) MAIS PROVISOIRE .

Le principe : Mais ces barrières douanières ne seront que provisoires ; au fur et à mesure , les industries
naissantes vont gagner en maturité , vont devenir plus compétitives , les barrières protectionnistes
pourront alors progressivement être réduites .
List qui est avec Hamilton le promoteur du protectionnisme éducateur considère , en effet , qu’il faut
instaurer des barrières tant que les industries ne sont pas compétitives , mais que les producteurs doivent
dès l’origine savoir que ces barrières ne sont que provisoires , sinon ils ne seront pas incités , sous
l’aiguillon de la concurrence ,à accroître leur compétitivité .

Exemples d’application de la stratégie : Beaucoup d’exemples de développement basés en apparence sur la logique libérale sont en
réalité conformes à la logique du protectionnisme éducateur :
- les pays , comme le Japon ou la Corée du Sud qui ont su tout en appliquant une promotion par les exportations protéger
leur marché intérieur par des barrières douanières ont pu constituer une base économique cohérente qui a été une des
conditions ayant assuré leur développement économique .
- L’exemple de la GB aux XVIII- XIX° siècles est aussi probant :
• durant une première phase , les industriels anglais ont réclamé et obtenu l’introduction de barrières douanières pour protéger
l’industrie textile naissante de la concurrence indienne ( qui produisait des produits de meilleure qualité à moindre coût ) .A
l’abri des barrières , les anglais ont mécanisé leur production et ,
• une fois que celle-ci est devenu compétitive , ils sont devenus libre-échangistes , ont imposé à l’Inde un tarif douanier très faible
et ont alors inondé le marché indien de leurs cotonnades ruinant par là-même l’ébauche de développement économique qu’était
en train de connaître l’Inde .

Les limites : Certains auteurs libéraux comme Samuelson ne contestent pas cette thèse , que là où
existe un avantage comparatif potentiel , des mesures protectionnistes ou plus sûrement une aide à
l’industrie naissante sont nécessaires , il constate néanmoins que dans la plupart des PVD la stratégie d’ISI
a échoué car les mesures protectionnistes ont perduré .

B ) LA POLITIQUE COMMERCIALE STRATEGIQUE : UN NOUVEAU


PROTECTIONNISME

Constat : On a assisté au début des années 80 à une réhabilitation de la théorie du protectionnisme


éducateur .
Explications : elle est basée sur la remise en cause des hypothèses démontrant l’optimalité du libre-
échange :
• dès lors que l’on ne se situe pas sur des marchés de CPP , le libre-échange peut générer des effets
pervers . En effet :
- contrairement à ce qu’affirmaient Ricardo et à sa suite HOS , la spécialisation ne résulte pas de
déterminants statiques adoptés passivement par les Etats ( dotations factorielles ) ;
- elle est construite par les Etats qui cherchent à s’implanter sur les marchés les plus porteurs .
- Un pays qui dispose d’une avance technologique (exemple les USA) va alors essayer de la
maintenir en mettant en place des barrières à l’entrée qui dissuaderont ses concurrents étrangers
de se lancer dans l’innovation .
• Une des barrières essentielles est constituée par les coûts de recherche :
- Ceux ci sont très élevés , et ne pourront être rentabilisés que si l’entrant sur le marché peut
bénéficier d’économies d’échelles. Il peut être alors nécessaire d’appliquer des mesures
protectionnistes qui en rendant le marché intérieur captif aux entreprises nationales leur
permettront Dans une première phase de rentabiliser leurs investissements .
- comme l’a démontré la théorie de la croissance endogène , l’innovation sera d’autant plus aisée
que l’expérience et le capital de connaissances accumulés dans le domaine seront forts . Dès
lors , il peut être utile d’aider les entreprises à obtenir ces connaissances qui constituent, elles
aussi une barrière à l’entrée : l’Etat peut ainsi, soit se substituer aux entreprises afin de mener
des recherches , soit par des aides les inciter à investir les créneaux les plus porteurs.

Conclusion :Ainsi, dès lors que l’on ne se situe plus sur un marché de CPP c’est à dire que :
- les entreprises du pays leader appliquent une stratégie commerciale visant à rendre leurs
concurrents économiquement dépendants et incapables de générer un progrès technique leur
permettant de rattraper le retard accumulé ,
- une intervention de l’Etat peut s’avérer nécessaire afin de contribuer à la constitution des
avantages comparatifs sur les marchés les plus dynamiques .
- En appliquant une stratégie s’appuyant sur les principes du protectionnisme éducateur ( cf.
exemple d’Airbus : doc 22 p 247 ) un pays peut permettre à ses entreprises de conquérir une
place sur un marché oligopolistique caractérisé par de fortes barrières à l’entrée , ce qui à terme
diminuera la dépendance et permettra la réduction des barrières douanières

Limites :Il n’en reste pas moins que l’exemple de Boeing et d’Airbus montrent que la politique menée par
les 2 gouvernements peut être assimilée à un jeu à somme négative , puisque les pertes subies par les
américains n’ont pas été compensées par une amélioration du bien-être des européens .

CONCLUSION

Contrairement à ce que l’on pourrait penser , une étude historique montre que leprotectionnisme se développe durant des périodes
présentant des caractéristiques bien précises . B.assudrie-Duchêne écrit ainsi : « les poussées protectionnistes doivent être mises en
relation , historiquement avec des périodes dans lesquelles les transformations technologiques sont capables de créer des
retournements d’avantages comparatifs ou de spécialisation . »

B.Lassudrie-Duchêne est amené à distinguer 2 types de périodes :


- les périodes de croissance hégémonique : ( ex : 1840-1875 , 1945-1970 ) qui sont des périodes au cours desquelles le pays
leader comme ses partenaires bénéficient d’avantages ou de désavantages comparés relativement stables . Dans les
domaines de la haute technologie , l’avantage du leader est tel que ses suiveurs ne peuvent le concurrencer et qu’ils ont
donc intérêt à importer ses produits afin d’exporter librement des produits plus traditionnels dans lesquels ils sont
spécialisés .
- au contraire , dès lors que l’hégémonie du pays leader est remise en question ( la GB à la fin du XIX° , les EU depuis 1970
) ou que la croissance économique se ralentit les conflits de répartition interne et externe se multiplient , les décideurs
politiques sont alors incités à intervenir en manipulant les droits de douane , les taux de change afin de protéger leur
avances technologique ( pays leader ) ou de réduire leur retard ( pays suiveur ) . Ils vont alors être amenés 2 types de
protectionnisme selon LAFAY qui visent des objectifs bien différents comme l’indique le tableau suivant :

PROTECTIONNISME DEFENSIF PROTECTIONNISME OFFENSIF


Secteur concerné -les secteurs stratégiques relevant de la - les secteurs porteurs et innovateurs pour
défense nationale lesquels le pays ne dispose pas encore d’un
-les secteurs de reconversion qui avantage comparatif
subissent de plein fouet la concurrence
extérieure
Objectifs recherchés - il s’agit de reconvertir la branche - le pays qui n’est pas encore compétitif
menacée par la concurrence étrangère en sur un secteur d’avenir doit protéger ses
favorisant un repli en bon ordre sur les industries naissantes , afin de combler le
créneaux les plus porteurs , en handicap provisoire et de ne pas tomber
restructurant la filière par la spécialisation dans la dépendance du pays leader sur ce
intrabranche marché ( ex : l’informatique en Europe )

Dangers encourus - le danger est que la protection devienne - la protection des industries naissantes
permanente , sous la pression des secteurs doit être planifiée et dégressive dans le
traditionnels qui cherchent à se protéger de temps . LAFAY écrit : « rien ne serait plus
la concurrence des PVD , ceci retarderait dangereux qu’une protection appliquée
un nécessaire redéploiement du tissu hâtivement sous l’influence de groupes de
productif vers les branches les plus pression et donc le maintien illimité
dynamiques contribuerait ensuite à pérenniser des
structures inadaptées
Type de mesures à appliquer - une protection planifiée qui vise à - une protection planifiée et dégressive
assurer une restructuration en bon ordre du dans le temps qui permette au producteur
tissu productif , en particulier un de rattraper leur retard et d’opérer une
redéploiement des emplois ( mais aussi des transition en douceur vers le libre-échange
investissements) vers les secteurs porteurs qui est l’objectif de moyen terme
- une protection dégressive dans le - des objectifs réalistes qui tiennent
temps : les producteurs nationaux doivent compte des capacités réelles du pays afin de
comprendre , dès l’application de mesures déterminer les activités pour lesquelles le
défensives qu’elles visent à accélérer les seuil de compétitivité peut être atteint des
restructurations et non à les retarder délais raisonnables
- une limitation du nombre de
productions protégées qui permettent
réellement d’opérer des choix stratégiques
de spécialisation

Conclusion : Comme le conclue LAFAY , le protectionnisme peut être la meilleure ou la pire des choses , la pire s’il consacre
d’avantages d’efforts à la production défensive d’industries du passé qu’à la protection offensive des industries de l’avenir ; la
meilleure s’il vise par une analyse de l’évolution des marchés une spécialisation qui dynamise les avantages comparatifs .

Pour un approfondissement sur le protectionnisme :


1. sur la notion de dumping : 08a-Dumping.ppt (sur le site web campus)
2. sur la notion de politique commerciale : 08b-Monopole-annexe.ppt
SECTION III : MONDIALISATION ET / OU REGIONALISATION ?
I ) UNE MONDIALISATION INELUCTABLE ET SOUHAITABLE .

INTRODUCTION
Postulat de base des néo-classiques : Comme l’écrit C.A.Michalet : « si l’on se réfère aux cadres d’analyse construits sur la base de
la théorie ricardienne des avantages comparatifs et/ou du modèle néo-classique (HOS) , l’économie internationale est réduite aux flux
de biens et de services échangés entre les Etats nations . Parmi les hypothèses de la théorie de la spécialisation internationale , outre
celles de CPP , on trouve l’immobilité des facteurs de production .

Limites : Dans la mesure où la croissance multinationale des firmes s’accompagne généralement de flux d’investissements directs et
d’autres mouvements internationaux de capitaux , il n’était plus possible de rester dans le cadre de la théorie pure de l’échange
international » . Dès lors les théories traditionnelles se retrouvent incapables de décrire la nouvelle réalité ; elles doivent être adaptées

A ) DEFINITION DU TERME MONDIALISATION

Le terme mondialisation , en anglais globalisation , est un concept protéiforme . R.Boyer dans


« La mondialisation , au-delà des mythes » distingue 4 définitions :

• en 83 , T.Levitt propose le terme globalisation pour désigner la convergence des marchés


dans le monde entier . La société globale constituerait ainsi une entité unique , en vendant
la même chose , de la même manière , partout . Cette analyse s’oppose à celle du cycle de
vie du produit de Vernon qui considérait que les firmes des pays développés vendaient aux
pays les moins avancés les produits devenus obsolètes dans les pays riches .
• en 90 , cette notion est étendue par K.Ohmae à l’ensemble de la chaîne de la création de la
valeur ( RD , ingénierie , production , marchandisation , services et finances ) . Désormais ,
les firmes appartenant à un même groupe conduiraient leur RD , financeraient leurs
investissements et recruteraient leur personnel à l’échelle mondiale . La globalisation
définirait donc une forme de gestion totalement intégrée à l’échelle mondiale de la grande
firme multinationale .
• la montée en puissance des firmes multinationales contraint alors les divers espaces
nationaux à se plier à leurs exigences , du fait de l’extrême mobilité dont elles bénéficient .
Ainsi , la globalisation désignerait alors le processus à travers lequel les entreprises les plus
internationalisés tentent de redéfinir à leur profit les règles du jeu précédemment imposé par
les Etats-nations . Souvent les tenants de la globalisation insistent sur le caractère
irréversible des tendances à l’œuvre , considérant que les politiques traditionnelles des
gouvernements sont devenues impuissantes face aux stratégies des grandes firmes .
• enfin , la globalisation peut définir une nouvelle configuration qui marque une rupture par
rapport aux précédentes étapes de l’économie internationale . Auparavant , l’économie était
internationale , car son évolution était déterminée par l’interaction de processus opérant
essentiellement au niveau des états nations . La période contemporaine verrait ainsi
l’émergence d’une économie globalisée , dans laquelle les économies nationales seraient
décomposées puis réarticulées au sein d’un système de transactions et de processus
opérant directement au niveau international . Cette définition est la plus générale et
systémique ; elle entend souligner une rupture qualitative par rapport à l’ensemble des
régimes internationaux qui se sont succédés depuis l’émergence du capitalisme commercial

Le FMI définit quant à lui la mondialisation comme : « l’interdépendance économique croissante


de l’ensemble des pays du monde, provoquée par l’augmentation du volume et de la variétédes
transactions transfrontières de biens et de services, ainsi que les flux internationaux de
capitaux, en même temps que par la diffusion accélérée et généralisée de la technologie ».

B )LES INDICATEURS DE LA MONDIALISATION .


1°) LES FIRMES TRANSNATIONALES : UN AGENT ESSENTIEL DE LA MONDIALISATION .(p
264-266)
a ) DEFINITION DES FIRMES TRANSNATIONALES ( FTN )

Le terme le plus fréquemment retenu pour décrire une entreprise qui a implanté des filiales de
production et de distribution dans différents pays est le terme firme multinationale (FMN) .
Pourtant , celui-ci est discutable . En effet :
- il conduit à penser que les firmes pourraient avoir plusieurs nationalités .
- Or , on constate que quasiment toutes les firmes conservent une nationalité de référence
: celle de leur nation d’origine .
- Nous retiendrons donc le terme FTN car , selon R.Sandretto : « le préfixe trans est
incontestablement mieux adapté à la situation actuelle de ses firmes . Son double sens
( celui de traverser et celui de dépasser ) signifie que les FTN sont le prolongement
extraterritorial de leur nation d’origine , qu’elles débordent ( dépassent ) tout en
traversant les espaces des pays d’implantation . La firme n’est donc pas au-dessus des
nations ; elle en est au contraire un principe actif . Inversement , la nation ne se confond
pas avec la délimitation des frontières territoriales , en particulier la nation américaine
pourrait s’étendre , via ses FTN bien au-delà des limites des Etats associés aux 50 étoiles
de la bannière » .

Re ma r q u e : Les FTN s’implantent à l’étranger en développant les investissements directs ( IDE )

d éf in it io n : On considère généralement qu’un investissement étranger est :

• un investissement direct si l’investisseur étranger possède 10% ou plus des actions


ordinaires ou de droits de vote dans les entreprises . Ce critère a été retenu , car on estime
qu’une telle participation est un investissement à long terme qui permet à son propriétaire
d’exercer une influence sur les décisions de gestion des entreprises .

Une société A sera alors dite :


- filiale d’une société B si elle possède plus de la moitié des droits de vote de ses
actionnaires
- affiliée si B possède moins de 50% des droits de vote , mais exerce un pouvoir de décision
effectif dans la gestion de la société .

• En revanche , un investissement étranger qui est inférieur à 10% du montant des droits de
votes sera considéré comme un investissement de portefeuille , car il ne permet pas
d’exercer une influence sur la gestion de la société . Les investissements de portefeuille sont
généralement spéculatifs , c’est-à-dire qu’ils visent à obtenir une plus-value dans le court
terme , par l’achat et la cession de placements financiers et/ou monétaires .

b ) L’HISTORIQUE DE LA TRANSNATIONALISATION .

Constat : Contrairement à ce que l’on pourrait penser , ce n’est pas un phénomène récent . W.Andreff prend comme exemple celui
des USA ; il constate que le stock d’IDE rapporté au PNB américain était de 5,1% en 1897 , atteint 10,8% en 1935 , tombe à 4% en
45 , remonte à 8,5% en 74 . La transnationalisation est donc un phénomène séculaire . Néanmoins ce phénomène a connu des
évolutions très importantes :
Périodisation : on peut-alors distinguer les phases suivantes :
- le stock des IDE passe de 14 milliards de $ en 1914 à 105 milliards en 1967 ,
- atteint 525 en 1980 ,
- 1705milliards en 1990
- pour culminer à 3541 milliards en 2000 .
Conclusion : entre 1990et aujourd’hui le poids des IDE dans le PIB mondial a été multiplié par 4

Typologie des pays éméttant les IDE : la hiérarchie des pays à l’origine de l’IDE a elle aussi évolué :
• en 1914 , 45% du stock total d’IDE était détenu par le RU , 18 par les EU , 12 par la France , 10 par l’Allemagne .
• en 1960 , le premier rang est détenu par les EU : 52 % , le RU tombe à 17% , la France à 6,5 , la RFA à 1 , le Japon à 0,8 .
• En 82 , les EU toujours leaders ne détiennent plus que 46% du stock d’IDE , suivis de la RFA à 8 % , du Japon et du RU à 6 ,
de la France à 5 .
• En 1997 les EU ne détiennent plus que 25,6% du stock d’IDE, le royaume uni 11,7%, le Japon 8 %, les autres pays développés
45 %, les NPI 10 % .Les pays en voie de développement bien qu’en progression notable , représentent toujours une proportion
négligeable de l’IDE .

Typologie des pays recevant les IDE : la hiérarchie des pays recevant l’IDE a été profondément transformée :
• en 1914 , 63% du stock d’IDE était destiné aux PVD ( 37% aux pays développés ) .
• En 60 , 32% aux PVD ; 68% aux PDEM .
• En 1990, 20% aux PVD , 80% aux PDEM .
• En 1997 30% pour les PVD et 70 % aux PDEM.

Typologie en fonction des secteurs : ceci résulte d’une évolution des secteurs dans lesquels est réalisé l’IDE . Comme l’écrit J.Adda :
• « jusqu’à la seconde guerre mondiale , la majeure partie des IDE était concentrée dans les secteurs agricoles et miniers , l’IDE
était moins animé par une logique de concurrence à l’échelle mondiale que par une logique de concurrence entre les nations
pour l’accès aux ressources du sol et du sous-sol .La prépondérance des flux d’investissement n’était que le reflet à la course à
la constitution d’empires coloniaux ou de zones d’influence où les nations les plus puissantes pourraient trouver les ressources
nécessaires à leur industrie . »
• Au contraire aujourd’hui la majeure partie de l’IDE se dirige vers le secteur industriel et , phénomène nouveau et en forte
expansion vers les services .

c ) LES EXPLICATIONS DE LA TRANSNATIONALISATION

les raisons de la transnationalisation : La transnationalisation peut s’expliquer par 3 grands types de raisons :
• les FMN primaires qui sont essentiellement implantées dans les PVD et qui sont concentrées dans les secteurs de l’extraction
minière du pétrole ou des produits agricoles s’implantent à l’étranger afin de pouvoir exploiter les ressources naturelles du sol .
• les FMN à stratégie commerciale qui visent à s’implanter sur des marchés porteurs ou de grande taille ( Inde ou pays riches )
en contournant les barrières protectionnistes mises en place par de nombreux pays (en voie de développement ( cf. le Brésil
dans les années 60 ) ou développés ) en établissant des filiales relais qui montent une gamme de produits calqués sur ceux de la
maison mère . Ce type d’IDE devrait diminuer avec la réduction des barrières protectionnistes accélérées par la création de
l’OMC . En réalité , il semble que les entreprises préfèrent s’implanter à l’étranger afin de mieux apprécier les choix des
consommateurs . Une entreprise n’a pas intérêt à céder la licence malgré les redevances que celle-ci lui rapporte qui sont moins
aléatoires qu’un investissement productif sur place , car comme l’écrit J.Adda : « les exemples abondent d’entreprises , souvent
japonaises , ayant acquis des technologies étrangères par achat de licences dans les années 50 et 60 qui ont pu , 20 ans ou 30
ans plus tard racheter leur ancien cessionnaire . Il apparaît ainsi que les entreprises ayant des avantages spécifiques ont le plus
souvent à intérêt à les préserver et donc à assurer elles-mêmes leur exploitation internationale . A la limite , une entreprise a
intérêt à internaliser tout actif lui offrant un avantage compétitif majeur , autrement dit à bloquer sa diffusion sur le marché .
l’internationalisation apparaît ainsi liée à l’internalisation comme réponse aux imperfections du marché , dans un contexte de
concurrence oligopolistique . »
• la transnationalisation répond enfin à une stratégie productive : dans ce cas , la conquête du marché local d’implantation n’est
plus la raison essentielle de l’implantation de la filiale . En effet , la production de la filiale atelier qui est spécialisée dans la
fabrication d’une partie du produit sera exportée vers le pays qui prendra en charge le montage final . On assiste alors à une
véritable Division Internationale des processus productifs. La firme transnationale va implanter ses filiales dans les pays en
fonction de la capacité de chaque pays à effectuer au moindre coût la pièce ou le sous-ensemble qui lui a été confié . Ceci
conduit à une véritable internalisation de la production , les relations entre les filiales et la maison-mère donnant lieu à un
véritable commerce intra-firme .pour un bon exemple d’analyse de DIPP(division international des processus productifs , le cas
des Pontiac le mans : http://perso.orange.fr/revision-bac-es/terminale_es/chap13/dipp.htm

M.Porter peut ainsi opposer :


• les stratégies multinationales pratiquées par les firmes multinationales dans les années 60 qui consistaient à produire sur
plusieurs marchés nationaux des biens adaptés à chaque marché . La production des firmes n’est donc pas spécialisée , chaque
filiale est un centre de profit qui entretient des relations avec la maison mère et non avec les autres filiales .
• aux stratégies globales qui visent à unifier la gamme des produits au niveau mondial et donc à faire de chaque filiale une unité
spécialisée dans la fabrication d’un composant particulier du produit fini en fonction des avantages comparatifs de chacun .

Conclusion : selon R.Reich,ce phénomène porte en lui les germes de la disparition de la nationalité des firmes , puisque la firme
devient une structure mondiale en forme de réseaux dans laquelle la propriété du capital importe moins que la capacité à mobiliser
et à combiner les compétences de toute nationalité en vue de réaliser les objectifs recherchés par la firme . Dès lors la firme se sert du
pays dont elle est issue en fonction de ses besoins , mais son intérêt n’est pas complémentaire à celui du pays . Par exemple , par le
biais des délocalisations , elle peut accroître sa compétitivité tout en augmentant le chômage dans son pays d’origine .

Relativisation : Il n’en reste pas moins que les firmes transnationales , en particulier américaines , sont largement soutenues par les
autorités des pays dont elles sont issues , ce qui relativise l’analyse de Reich .

d- les analyses théoriques de la transnationalisation

Elles sont apparues à la fin des années 50 , en rejetant les hypothèses sur lesquelles étaient bâties les
analyses traditionnelles de Ricardo et d’HOS , en particulier celles de :
• concurrence pure et parfaite à laquelle elles substituent celle de concurrence imparfaite de type
oligopolistique
• d’immobolité internationale des facteurs de production , à laquelle elles substituent le
développement des IDE

d1 – concurrence imparfaite des marchés et transnationalisation

La première question est de savoir pourquoi une firme qui s’implante à l’étranger et qui subit donc des
coûts de délocalisation de sa production a intérêt à opérer une stratégie de transnationalisation .Selon
Hymer , c’est parce que les transnationales ont des avantages spécifiques transférables
internationalement :
• image de marque qui peut grâce à la publicité être facilement développée dans les pays étrangers
• avantage technologique dont dispose la firme
• politique gouvernementale des pays d’accueil qui cherche à attirer sur leur territoire des firmes
pouvant exercer un effet d’entraînement

d2- oligopole et firmes transnationales

La théorie du cycle de vie de Vernon démontre que l’entreprise innovatrice qui dispose au départ d’un
monopole technologique voit progressivement les barrières à l’entrée ( brevets , etc ) qui la protégeait
tomber au fur et à mesure que le produit arrive à maturité . Elle va donc délocaliser sa production afin de :
• réduire ses coûts
• et/ou adapter ses produits à la demande locale

La firme leader , en s’implantant à l’étranger , cherche à modifier à son avantage la structure du marché
.Les firmes suiveuses de l’oligopole se sentant agresser se délocalisent alors pour tenter de rétablir leur
part de marché antérieure . Knickerbocker a ainsi remarqué que les firmes américaines avaient tendance à
implanter presque en même temps leur filiale à l’étranger . Il observe un phénomène de grappes .

En contrepartie , la firme agressée sur son territoire par l’implantation d’une transnationale , va répondre
en investissant sur le territoire de l’autre afin d’affaiblir la position du leader chez lui dans son prinipal
centre de profit . Ce phénomène peut être interprété comme un échange de menaces ( exemple : quand
Firestone s’est implanté en France , Michelin a racheté Uniroyal aux Etats Unis afin de mettre en difficultés
Firestone sur son propre territoire et donc d’inciter la firme américaine à réduire ses ambitions en France )

d3 – internationalisation et transnationalisation de la firme

Plus la firme se développe , plus elle cherche à se diversifier ( notamment géographiquement ) pour
réduire les risques d’augmenter ses profits .Mais alors , plus son organisation interne change et devient
complexe .Dès lors , la firme peut avoir intérêt à développer un marché interne et à opérer une division
internationale des processus productifs qui lui permet de réduire les risques et les coûts générés par les
marchés :
• défauts dans la qualité du produit
• coût du produit
• assurer son approvisionnement extérieur ( Michelin possède des plantations d’hevea en Malaisie pour
se fournir en caoutchouc)
• assurer la continuité internationale de son processus de fabrication tout en défendant sa technologie

R.Coase peut alors en conclure que quand les coûts de transaction sur les marchés sont plus élevés que
ceux de l’organisation de la firme , celle-ci va s’internaliser et créer son propre marché .

d4- le paradigme OLI : Dunning

Dunning développe une analyse qui s’appuye sur les 3 grands types d’avantage à la transnationalisation :
• l’avantage spécifique de la firme ( O comme Ownorship advantages )
• l’avantage à la localisation à l’étranger ( L )
• l’avantage à l’internalisation ( I )
qui peuvent être caractérisés par le tableau suivant :

p 88 mucchielli
Dunning peut alors en conclure que l’IDE sera choisi comme mode de pénétration d’un marché étranger
quand la firme réunit simultanément les 3 types d’avantages : O , L et I , comme le démontre le tableau
suivant :

Muccheili p 89

CONCLUSION :

On assisterait donc aujourd’hui à un développement du phénomène transnational , qui se caractériserait :


• par un développement des implantations à l’étranger, sous forme d’investissements directs,
• par l’existence de différentes filiales entretenant des relations internes qui font que l’on peut désormais parler d’un réseau
interne propre aux FTN , qui dépasseraient ainsi le cadre des frontières ,
• par l’apparition d’un techno-globalisme : les entreprises ne géreraient plus leurs innovations , à partir d’une base nationale ,
mais implanteraient des laboratoires de recherche dans leurs filiales implantées à l’étranger , signeraient des accords de
recherche en particulier dans l’industrie électronique , afin de pouvoir partager les efforts de mise au point très coûteux ,
d’établir des standards ou des normes communes au niveau mondial , de partager les risques d’échec .
• On peut donc en conclure que la mondialisation des économies s’accélère et qu’elle devient une donnée incontournable . Ainsi
, comme le constate F.Chesnais , base 100 en 75 , la FBCF se situe à 300 en 89 , le PIB à 350 , les échanges mondiaux 375 et
l’IDE à 800 , alors qu’il n’était encore qu’à 200 en 85 . Cette accélération de l’investissement direct a été facilitée et s’explique
par l’intégration financière internationale ( les 3 D : désintermédiation , dérégulation , décloisonnement ) .

Pour aller plus loin :


1. les répercussions positives de la libre circulation des facteurs de production : 12-Mouvements_travail.ppt (web
campus)

2° ) L’ INTEGRATION FINANCIERE INTERNATIONALE (cf. complément de cours n°1)

3° ) VERS LA DISPARITION DE L’ETAT-NATION ET LA REMISE EN CAUSE DES POLITIQUES


ECONOMIQUES

Constat : Comme l’écrit J.ADDA , dans la mondialisation de l’économie :


• « L’intégration croissante des parties constituant le tout de l’économie mondiale donne à celle-ci une dynamique propre ,
échappant de plus en plus au contraire des Etats et portant atteinte à certains attributs essentiels de leur souveraineté , tel le
contrôle monétaire et la gestion de la finance publique .
• La mobilité des données , des images et des capitaux devenue extrême , grâce à la révolution des communications rend désuète ,
dans nombre de domaines les notions de frontières ou de territoires » .
• Ainsi ,la multiplication des innovations financières qui ont conduit les salles de marché à assurer une optimisation du
rendement à l’échelle mondiale ont rendu les mouvements de fonds privés plus importants que les réserves des Banques
Centrales .

Conséquences : Dès lors , les politiques économiques en sont totalement transformées .


• Comme l’écrit R.Boyer : « Les milieux financiers internationaux évaluent et anticipent en permanence les décisions des
pouvoirs publics , au point de constituer un contre-pouvoir , apparemment anonyme mais puissant » .
• Ainsi, les autorités publiques auraient pour seule mission aujourd’hui d’opérer une gestion des finances publiques conduisant à
un équilibre , afin d’attirer les placements privés , d’appliquer des politiques économiques visant seulement à rendre attractif le
territoire national , afin que celui-ci demeure compétitif sur la scène mondiale , et que les firmes transnationales cherchent à y
développer leurs investissements directs .l’Etat serait donc moins gros , mais plus efficace .

• CONCLUSION :
On assisterait ainsi , selon de nombreux auteurs libéraux , à une mondialisation de l’économie qui signifierait ( selon F.Fukuyama cf
chapitre introductif ) la fin de l’histoire et de la géographie , l’économie de marché traduisant l’état naturel de la société universelle ,
pour le bien-être de tous(7 p 312) . Néanmoins cette vision parait trop idyllique et mérite d’être relativisée .
C ) UNE RELATIVISATION DE LA MONDIALISATION

1° ) L’ENTREPRISE GLOBALE , ENTRE MYTHE ET REALITE .

Il est nécessaire de remettre en cause certaines idées préconçues sur les FTN .

a - Les FTN conservent toujours une base nationale ;

une remise en cause du concept de firme mutlinationale : Excepté les FTN issues des petites économies ouvertes, pour lesquelles
une division du travail à l’échelle internationale s’impose ( Nestlé Suisse, Electrolux Suède emploient respectivement 96 et 82 % de
leurs salariés hors de leur pays d’origine.On ne constate pas réellement d’entreprises véritablement globales :
• les grandes FTN, en particulier américaines, pourtant engagées de longue date dans un processus d’internationalisation, n’ont
que très partiellement multinationalisé leur production.
• l’incorporation de dirigeants étrangers dans la haute hiérarchie des entreprises multinationales reste tout à fait exceptionnelle
• la transnationalisation des marchés financiers ne semblent pas avoir entraîné une diversification géographique des sources de
financement des FTN. Elles continuent à financer leurs investissements sur les marchés financiers locaux
• bien que la demande se globalise, que quelques produits emblématiques se diffusent dans le monde entier ( coca-cola,
Windows,... ), cela ne signifie pas, qu’à terme les modes de vie s’homogénéisent. La majeure partie de la consommation reste
conditionnée par des déterminants spécifiques à chaque société. De ce fait, les FTN, en dépit de leurs efforts, ne peuvent
transformer en profondeur des comportements inscrits dans l’histoire. Elles doivent donc, plutôt que des biens destinés au
marché mondial, répondre à des demandes différenciées selon les pays.
• l’idée de techno globalisme est encore plus profondément démentie. Comme l’écrit R.Boyer : « Non seulement les pays
protègent différemment les droits de la propriété intellectuelle, mais encore les grandes firmes continuent à considérer que
l’innovation constitue la source de leur compétitivité, et qu’à cet égard, elle ne doit pas être disséminée sur des espaces
géographiques qui seraient hors de son contrôle direct ou indirect, via l’Etat de leur nation d’origine. »

Conclusion : Ainsi, on peut en conclure avec R.Boyer que « la firme globale relève plus du projet, voire du mythe que de la pratique
des grandes FTN. La trajectoire de celle-ci reste marquée par l’histoire longue de leur constitution et de leur évolution sur un espace
national particulier. »

b - Les FTN, un bilan contrasté.

Le postulat libéral : Comme l’indique CA Michalet : « dans l’optique de la conception ultra-libérale (... ), l’implantation des FMN
doit jouer un rôle d’entraînement automatique sur les structures productives locales. L’investissement étranger joue le même rôle que
la création de pôles de croissance. »

Les limites : Mais, en réalité, les effets d’entraînement sur les économies en voie de développement sont relativement réduits, pour 3
raisons essentiellement selon Michalet :
• les entreprises des PVD ne sont généralement pas capables de livrer des produits dont les qualités correspondent aux attentes
des FMN.
• elles ne sont pas compétitives, car elles utilisent généralement des technologies dépassées et parce qu’elles sont mal gérées.
• elles n’arrivent pas à produire dans les délais qui sont impartis par la firme.

Conséquences : Dès lors :la multinationale préfère internaliser sa production en assurant une décomposition internationale des
processus productifs. Comme le conclue Michalet : « l’intérêt des FMN et la préoccupation industrialisante des pays membres ne
coïncident donc pas » On comprend alors
• pourquoi, en particulier dans les années 60 et 70, les PVD ont été très méfiants à l’égard des FMN et : « ont opéré une
discrimination entre les investissements nationaux et les investissements étrangers.
• Néanmoins, à partir des années 1980, les PVD ont été obligés de changer d’attitude par rapport aux FMN. :
- Comme l’indique B Coriat Et D Taddei : « avec la globalisation l’objectif principal des Etats n’est plus de contrôler les
activités des firmes étrangères ; il est de les attirer. »
- En effet, avec l’abandon de la stratégie d’ISI remplacée par la SPE ( voire supra), les PVD ont essayé d’attirer les FMN
qui, selon eux, sont à l’origine du succès des NPI ( cette opinion est à relativiser, puisque dans un pays comme la Corée du
Sud, l’Etat s’est efforcé de freiner l’implantation des FMN afin de maintenir son indépendance ).
- La concurrence que se livre aujourd’hui les pays pour attirer les multinationales ne signifie pas que ceux-ci se
développeront ; par contre, ils considèrent que sans apport du capital étranger, ils ne se développeront pas ; c’est donc une
condition nécessaire mais non suffisante.

Conclusion : Comme nous l’avons vu précédemment, la stratégie des FMN n’est pas sans inconvénient pour les pays riches ; les
délocalisations qui sont opérés par les FMN conduisent à des résultats ambigus :
• Selon certains, elles ne feraient que reprendre, en l’adaptant au nouveau contexte, la logique ricardienne, chaque pays se
spécialisant dans la production pour laquelle il a un avantage comparatif ; les FMN, en s’implantant dans les PVD, détruisent
certes des emplois peu qualifiés dans les PDEM, mais vont contribuer à leur développement et donc à fournir des débouchés aux
industries de haute technologie des PDEM.
• Pour d’autres au contraire dont Reich, les délocalisations ne font que traduire l’intérêt égoïste des firmes qui ne recoupe pas
l’intérêt des nations dont elles sont issues. De même les 3 D n’ont pas eu les effets vertueux qu’ils devaient engendrer.

2° ) LES MECOMPTES DU SFI. (cf. compléments de cours n°2)


3° ) LE TEMPS DES NATIONS N’EST PAS FINI

Constat : Comme le constate R.Boyer : « en dépit de la multiplicité des facteurs de déstabilisation, les espaces nationaux sont loin de
s’être fondus dans un nouvel ensemble complètement mondialisé. En effet, paradoxalement, la mise en concurrence des différents
capitalises semble avoir stimulé leur différenciation. » Ainsi, on pourrait opposer :
• à une logique anglo-saxonne préférant le court terme,
• un modèle rhénan et japonais misant sur la stimulation de l’innovation productive et la compétitivité de long terme.

Remarque : Il ne faut pas en outre surévaluer l'influence des marchés financiers internationaux sur les politiques économiques.
Certes :
• le keynésianisme à l’échelle nationale semble mis à mal, cédant la place à une nouvelle orthodoxie ( une pensée unique ? )
privilégiant stabilité monétaire et compétitivité extérieure.
• Néanmoins, le style des politiques économiques demeure imprégné de fortes spécificités nationales.:
- la nature et l’ampleur des interventions publiques,
- le degré de coopération capital - travail permis par les relations industrielles,
- la qualité de la spécialisation industrielle,
- la politique de formation,
- la mise en place d’infrastructures
- Ces éléments définissent autant de contraintes ou d’opportunités pour la politique économique et façonnent par la même
des stratégies nationales fortement contrastées.

Conclusion : Il ne faut pas oublier que :


• si les Etats sont de plus en plus dépendants des marchés financiers internationaux, la contribution des capitaux à court terme
( spéculatif ) au taux d’investissement national demeure faible : on ne finance pas par des capitaux à court terme un ambitieux
programme d’investissement, excédant largement les capacités d’épargne nationale, comme l’a montré la crise mexicaine de
94-95.
• L’accès à la finance internationale est tout à la fois une opportunité et un risque, qui n’altèrent pas fondamentalement les
conditions du développement : aide toi et le ciel t’aidera. Ainsi, si les pays du sud-est asiatique connaissent des rythmes de
croissance très élevés, c’est parce qu’ils ont mené des politiques économiques efficaces, ils épargnent beaucoup, les
financements extérieurs ne représentant qu’un complément à un processus de développement largement internalisé ( même si
celui-ci semble mis à mal aujourd’hui par la crise qu’ils ont connu en 1998 ).
• Dès lors, il semble irréaliste de laisser les marchés imposer leur loi aux Etats et aujourd’hui de nombreux auteurs préconisent
des mesures, visant à limiter les inconvénients générés par les 3 D .

4° ) LES SOLUTIONS PRECONISEES.

D.Plihon écrit :
• « il n’est ni possible ni souhaitable de modifier tous les aspects de la globalisation financière. La mondialisation des échanges
mondiaux et financiers est une tendance lourde aux effets globalement positifs.
• Mais, contrairement à ce qu’affirme le credo libéral, le SFI est intrinsèquement instable. Il ne peut s’autoréguler, d’où la
nécessité d’une régulation publique supranationale qui redonnerait une certaine efficacité aux politiques de stabilisation. Selon
l’image de J. Tobin , il faut « mettre des grains de sables dans les rouages » trop bien huilés du SFI. En clair, introduire des
limites à la libre circulation des capitaux.

Les solutions : Deux types de solutions ont été envisagés :


• Reréglementer ou taxer les opérations financières pour en réduire leur rentabilité et décourager ainsi les transactions purement
spéculatives( 30 p 327). La communauté financière internationale qui vient de se livrer à une surenchère à la baisse de la
fiscalité financière n’est certainement pas prête à accepter le principe de la taxation (cf.la difficulté à faire accepter le principe
de la taxe Tobin)
• en revanche, il apparaît possible d’atteindre un résultat voisin en instaurant de nouvelles règles prudentielles pour limiter les
risques pris par les opérateurs à la recherche des plus-values. Mais prendra-t-on de telles mesures sans attendre que surviennent
de nouvelles crises sur les marchés financiers et sur le marché des changes, crises toujours coûteuses pour l’activité et donc pour
l’emploi. »
• Une autre possibilité envisageable si les pays n’arrivent pas à s’attendre au niveau international est de développer des règles au
niveau régional, c’est en particulier la stratégie développée par l’Europe quand elle a décidé de mettre en place le SME

II – VERS UNE REGIONALISATION DES ECHANGES (1 à 8 p 243-245) ?


INTRODUCTION : TYPOLOGIE DES ACCORDS REGIONAUX.

Suite à B Balassa , on distingue généralement cinq étapes dans le processus d’intégration


régionale :
1 – LA ZONE DE LIBRE ECHANGE

I n té r ê t d e l’ a c c o r d : son objectif principal est d’éliminer les barrières douanières et les


restrictions quantitatives existant entre les pays membres de l’accord. Par contre ,chaque pays
peut soumettre les importations en provenance de l’extérieur de la zone à son propre tarif
extérieur.

Exe mp le t y p iq u e : l’Association Latino-Américaine de Libre Echange.

L e s lim it e s : Mais l’intérêt de ce type d’accord est limité , comme l’a montré l’échec de l’AELE
( Association Européenne de Libre Echange) car la coopération et l’intégration des différents pays
sont minimales. On ne peut alors parler véritablement de régionalisation des échanges .

2- L’UNION DOUANIERE

I n té r ê t : elle correspond à une régionalisation plus poussée que la zone de libre échange . En
effet les partenaires adoptent une politique commerciale marquée par l’instauration d’un tarif
extérieur commun .

Exe mp le h i s to riq u e t y p e : le Zollverein qui a été un des outils assurant la construction de


l’empire allemand au XIX° siècle.

3 - Le marché commun

I n té r ê t : il ne se contente pas d’établir un tarif extérieur commun , il élimine toutes les entraves
aux mouvements de facteurs de production(libre circulation du travail et du capital) à l’intérieur
de l’union assurant ainsi la libre circulation du capital et du travail .
L e s lim it e s : Quand la libre circulation des facteurs est mise en œuvre la concurrence entre les
pays est renforcé ce qui nécessite une coordination des politiques économiques afin d’éviter une
stratégie du type passager clandestin (ex : nécessité d’harmoniser les politiques fiscales)

4 – L’UNION ECONOMIQUE

I nt érêt : elle pousse plus loin la recherche de l’intégration puisqu’elle vise à harmoniser les
politiques économiques des pays membres.

L imi te s : la coordination des politiques économiques se heurte à la nécessité d’une


coordination des politiques monétaires afin de limiter les risques de change et de concurrence
déloyale (ex une dévaluation compétitive)

5 -L’UNION ECONOMIQUE ET MONETAIRE

Elle constitue la phase ultime de l’intégration puisqu’elle crée une monnaie commune gérée par
une banque centrale commune (ex la BCE) ; les Etats abandonnent ainsi un des principaux
éléments de leur souveraineté : le droit de battre monnaie .

Conclusion : Deux conceptions s’opposent traditionnellement face à la régionalisation des échanges :

• la régionalisation est une solution non optimale puisqu’elle contribue à un détournement de trafic
• la régionalisation est une étape qui contribue au développement du libre-échange

A ) REGIONALISATION ET MONDIALISATION SONT-ILS COMPATIBLES ?

1 – LA REGIONALISATION , UNE SOLUTION NON OPTIMALE

Postulat libéral : Dans la conception libérale de l’échange international , les accords régionaux ( libre-
échange , union douanière ou marché commun ) sont considérés comme sous-optimal . En effet :
- ils sont considérés comme représentant une entrave à la libre circulation des biens et des
capitaux
- ils représentent donc un détournement des échanges qui nuit donc non seulement aux
partenaires mais au reste du monde

Présentation de la théorie de J Viner :. C’est ce qu’a essayé de démontrer J.Viner qui distingue 2 cas
selon que l’effet de création de commerce relatif à l’intensification des échanges à l’intérieur de la zone
est plus fort ( moins ) que l’effet de diversion liée au fait que la zone diminuera ses importations en
provenance des pays tiers :
• les échanges entre les membres du bloc s’ajoutent aux échanges que les membres du bloc
entretenaient avec le reste du monde . Dans ce cas , l’accord a contribué à accroître l’efficacité
économique et le bien-être des différents pays .
• mais le cas le plus fréquent selon Viner est celui dans lequel les échanges régionaux ne constituent
pas une création mais un détournement au détriment des pays extérieurs à la zone régionale . C’est
l’exemple constitué par la PAC qui conduit les pays membres à échanger des biens à un tarif plus
élevé que celui existant sur le marché mondial , ce qui conduit à la perpétuation de productions non
rentables , qui devraient être éliminées , ce qui nuit à l’efficacité économique .

2 - DES ACCORDS REGIONAUX FAVORABLES AU LIBRE-ECHANGE

Critique de la thèse de Viner : Comme l’indique P.Krugman , les accords de libre-échange ne


constituent pas véritablement un détournement des échanges . Ceci pour 2 raisons :
• les zones régionales épousent les frontières de zones d’échange naturel( ex : EEE ou ALENA , ...)
• avant même la constitution de la zone , les pays entretenaient des relations commerciales très
étroites et cela d’autant plus que leur niveau de développement était proche ( théorie de Linder et
deB Lassudrie-Duchêne ) .

Conclusion : Dès lors , on peut :


• certes considérer que le régionalisme nuit au multilatéralisme ( GATT et OMC ) ,
• mais en réalité , on constate que contrairement aux prévisions les plus optimistes , on n’observe pas réellement une
mondialisation des échanges , mais au contraire une régionalisation accrue dans le cas de la triade ( ALENA ( dominé par les
EU : 5 p 340 ) , EEE ( dominé par l’Allemagne ) , Espace asiatique ( dominé par le Japon ) .
• Cette régionalisation peut alors être considérée comme un moindre mal , en particulier car elle a permis d’éviter le repli des
économies par un recours au protectionnisme , comme cela avait été le cas dans les années 30 , d’autant plus que comme
l’indique E.Combe : « au cours des années 80 , le commerce le plus dynamique en terme de taux de croissance est celui entre la
CEE et l’Asie du Sud-Est , l’Amérique du Nord et l’Asie du Sud-Est » . On constate donc une augmentation des échanges inter-
zones .

CONCLUSION

Comme l’indique G Lafay :


• « à l’échelle mondiale , la poursuite de l’objectif d’un libre-échange intégral est illusoire .
• Au lieu de se rapprocher de l’objectif recherché , cette stratégie s’en éloigne , car elle ne fait qu’alimenter le protectionnisme .
• Dans un monde où les mutations technologiques remettent en cause la permanence des avantages comparatifs ( il faut faire une
étude en terme d’avantages comparatifs dynamiques ) le commerce international ne peut se développer que s’il apporte des
gains évidents en terme d’emplois et de structures productives .
• Le libre-échange ne peut donc s’appliquer complètement qu’entre pays proches qui jouent la même règle du jeu .
• C’est pourquoi les préférences régionales doivent être reconnues comme le moyen le plus efficace d’établir un libre échange
acceptable ( ... ) .
• Désormais , chacun des trois pôles s’efforce de se renforcer et de créer un espace économique avec les pays qui sont dans sa
mouvance .
• La dose de libre-échange doit donc varier en fonction de la proximité des économies nationales : dose complète à l’intérieur du
pôle considéré , forte avec les pays voisins dont il a intérêt à favoriser l’insertion internationale , plus modérée avec le reste du
monde . »

Pour aller plus loin : les accords commerciaux régionaux 10-ACR.ppt sur le site de web campus

B – INTEGRATION ET CROISSANCE : LE CAS DE L’UNION EUROPEENNE

1 – LES ETAPES DE LA CONSTRUCTION EUROPEENNE ( cf cours d’histoire-géographie et doc 2


et 4 p 338-340)

2 – LA CONSTRUCTION EUROPEENNE , UNE CHANCE POUR L’EUROPE


a – LES CREATIONS DE TRAFIC L’ONT EMPORTE SUR LES DETOURNEMENTS

Constat : On observe :
• certes entre 1948 et 1998 un développement très important de la part des échanges intrarégionaux en Europe de l’Ouest qui
passent de 41,8 % à 70,1 % du commerce extérieur européen .
• Il n’en reste pas moins , selon F.Teulon que : « les études empiriques qui portent sur la CEE tendent à démontrer que les
créations de trafic ont été largement supérieures aux détournements , et ceci , dès que l’union douanière entre les 6 pays
fondateurs a commencé à produire ses effets » .

Conclusion : Ceci permet de relativiser la conception pessimiste développée par Viner au milieu des années 50 .

b -VERS UNE CONVERGENCE DES PAYS EUROPEENS

les apports : L’intégration européenne a contribué :


• non seulement à multiplier les échanges commerciaux intra-européens ,
• mais elle va aussi répondre au principal défi qui lui était posé : faire converger vers un même modèle des pays ayant à l’origine
des niveaux de développement relativement importants .

Conclusion :Ainsi , les écarts de niveau de vie entre les pays du Sud ( Grèce , Espagne , Portugal ) et les pays les plus riches
( Allemagne , France , Benelux ) ont tendance à se réduire .

c – LE GRAND MARCHE EUROPEEN A CONTRIBUE A AMELIORER LA COMPETITIVITE ET LA


SPECIALISATION DES ECONOMIES EUROPEENNES

les explications : L’intégration européenne a contribué fortement à accroître la compétitivité européenne par le jeu de 2 mécanismes
complémentaires :
• les économies d’échelle et les effets d’apprentissage :
- les économies d’échelles : sachant que , une multiplication par 2 du volume de la production assure une réduction de 30 %
des coûts unitaires de production dans les secteurs pour lesquels les coûts fixes d’entrée sont élevés ( micro-informatique ) ,
on comprend tout l’intérêt de l’union européenne qui en assurant la libre circulation des marchandises et des capitaux a
contribué à élever la taille du marché et donc à rentabiliser , par les économies d’échelle ( cf cours de première sur le
marché ) des productions qui , sans cela , n’auraient pu être mises en œuvre ( ex : l’aéronautique avec AIRBUS ).
- Les effets d’expérience et d’apprentissage , c’est-à-dire la réduction des coûts unitaires de production quand la production
augmente , sont d’autant plus élevés que la taille du marché augmente . Le secteur des télécommunications , dans lequel
l’Europe occupe une place de premier plan , fournit , selon D.Schlachter : « un excellent paradigme d’amélioration
continuelle des performances des hommes et de perfectionnement de modes d’organisation » .
• une intensification de la concurrence : certaines entreprises , particulièrement en France où avait été développé le concept de
champion national , lors de l’époque gaulliste , occupaient une position dominante , voire de monopole qui ne constituait pas
une incitation à l’innovation , à l’amélioration de la qualité des produits et à une baisse des prix ( cf Schumpeter ) . Au
contraire , depuis l’ouverture des marchés , on constate une intensification de la concurrence qui oblige les entreprises , pour
rester compétitive , soit à diminuer leur prix de vente et à mieux satisfaire leurs clients , soit à disparaître

d – vers de nouvelles spécialisations

Constat :On observe , certes , une intensification de la concurrence qui s’est effectuée fréquemment par l’intermédiaire de la
différenciation des produits

Explications : Ceci nous conduit à distinguer 2 formes d’échanges intra-branches s’étant développés en Europe :
• un échange de variétés , c’est-à-dire un échange de produits similaires à des prix voisins , reposant sur des différences
marginales entre les biens ( image de marque , design , … ) ( cf la demande de différence de B.Lassudrie-Duchêne ) . Ce type
de commerce s’est surtout développé entre les pays européens ayant un fort niveau de développement ( ex : Allemagne ,
France ) .
• un échange de qualité : on observe , au contraire , entre les pays européens ayant des niveaux de développement différents , à un
échange reposant sur des produits certes comparables , mais de qualité et donc de prix différents , en fonction de la qualité
inégale des facteurs de production .

Conclusion : Cette division du travail opérée au sein de la communauté présente , selon de nombreux auteurs , de nombreux
avantages , puisqu’elle accroît la diversité des produits offerts aux consommateurs , mais elle n’est pas sans dangers puisqu’elle peut
contribuer à spécialiser les pays en retard dans des productions à faible qualité .

CONCLUSION : UN BILAN GLOBALEMENT POSITIF


Comme l’indique la communauté européenne , la non-Europe , c’est-à-dire l’absence de construction européenne , aurait un coût
important qui irait de 3 à 7 % du PIB de la communauté . En effet :
• l’élimination des barrières aux échanges améliorerait le PIB de 2,5 % ,
• les baisses de coût dues à une meilleure exploitation des économies d’échelle contribueraient à hauteur de 2 % ,
• et enfin la pression de la concurrence exerce une baisse des prix contribuant à hauteur de 1,6 %
Conclusion : La Commission européenne en conclut : « le marché unique a rendu l’union européenne plus attractive : celle-ci
absorbait 44 % des flux d’investissements directs étrangers en provenance du monde au début des années 90 , contre seulement 28 %
au milieu des années 80 .

SECTION IV : L’INTEGRATION A LA MONDIALISATION :


SOLUTION AU SOUS DEVELOPPEMENT ?( 1 à 10 p 245-249)
I ) L’ORTHODOXIE DU DEVELOPPEMENT .

A) LE ROLE CENTRAL DE L’INVESTISSEMENT .


l’analyse libérale du développement : Un rapport de l’ONU explicite parfaitement quel rôle les
théoriciens libéraux accordent à l’investissement :
• « l’accumulation du capital peut être considérée comme un processus central , par lequel tous les
autres aspects du développement deviennent possibles » .
• Une forte augmentation du taux de l’investissement est ainsi considérée comme une condition
impérative pour que les PVD puissent décoller et engager un processus de croissance ( selon Rostow
, le taux doit passer de 5 à 10 % ) .
• Les théoriciens du big push , en particulier Rosenstein-Rodan, considèrent que la brusque élévation
de l’investissement engendrera un cercle vertueux :

hausse de l’investissement → augmentation de l’efficacité des entreprises → gains de productivité→


hausse du revenu → hausse de l’épargne → hausse de l’investissement

Constat :L’effort d’investissement réclamé dans les premières phases du processus est plus prononcé
que dans les suivantes . Il existe un seuil minimal d’investissement en déca duquel les espoirs de
démarrage sont illusoires .Selon C. Albagli , le taux d’investissement nécessaire pour connaître un rythme
de croissance annuel de 2 % est au minimum de 21 %.

Problèmes : Mais on retrouve alors la théorie de Nurske ( les cercles vicieux ) qui pose le problème du
financement de ces investissements . Comment le pays peut-il par ses propres capacités générer une
épargne suffisante pour assurer le décollage ?
D’autant plus que l’on sait , que :
• dans les sociétés agraires , l’épargne est faible et dépensée ostentatoirement ,
• que le travail n’occupe pas une place centrale ( la valeur relative du travail , dans le système de
valeurs , n’incite guère à dégager une épargne motivée par l’investissement productif ).

Solutions : 2 courants s’opposent alors pour trouver les fonds finançant les taux d’investissement :
• selon certains auteurs , une révolution agricole devrait permettre d’assurer un financement interne .
Ils reprennent l’exemple anglais , selon lequel celle-ci est un préalable au décollage économique .
• d’autres auteurs rétorquent que le pays étant pauvre , il ne peut assurer un taux d’épargne
suffisamment élevé et donc , il doit , au préalable , compter sur l’apport de capitaux extérieurs .

B ) LES PROGRES AGRICOLES SOURCE DE FINANCEMENT DE L’INVESTISSEMENT

Les PVD se caractérisent par le poids très important de la population travaillant dans l’agriculture . Il est donc bien évident qu’un
processus de croissance et de développement ne peut être engagé s’il laisse de côté la majeure partie de la population . P.Bairoch écrit
ainsi : « il est impossible de concevoir un développement économique rapide sans une industrialisation accélérée , mais celle-ci n’est
possible que grâce à la progression rapide de la demande intérieure dans laquelle la demande rurale joue un rôle
prépondérant . »
cette conception peut être actualisée en tenant compte des éléments suivants :
• l’accroissement de la production agricole permet de développer les exportations qui accroissent les entrées de devises
nécessaires pour importer les technologies en provenance des PDEM . On comprend mieux pourquoi les pays qui , suivant le
modèle soviétique , ont sacrifié l’agriculture au bénéfice de l’industrie , en appliquant un schéma de croissance déséquilibrée
( l’augmentation des taux d’investissement dans le secteur des biens d’équipement est financée par la confiscation des recettes issues
de l’agriculture ) n’ont pas pu engager un véritable processus de croissance .
• l’augmentation très rapide de la population ( cf chap croissance démographique et développement ) rend d’autant plus
impérieuse la modernisation de l’agriculture , permettant de dégager des surplus ( cf révolution verte ) .

Problèmes : Néanmoins , considérant le niveau élevé des investissements nécessaires pour engager le décollage économique , de
nombreux auteurs considèrent que les capacités internes du pays à dégager un surplus et une épargne ne sont pas suffisantes .

Solutions : Il faut alors faire appel aux capitaux extérieurs , qui peuvent prendre 2 formes :
• une aide , réalisée sous formes de dons ou de prêts réalisés à faible taux d’intérêt .
• un endettement extérieur .

C )L’APPEL AU FINANCEMENT EXTERIEUR


1°) L’AIDE EXTERIEURE

a – DEFINITION DE L’AIDE

Constat : Paradoxalement , « l’aide au développement apportée par les pays industrialisés à ceux qui ne le sont pas , est une idée
relativement neuve . :
• Jusqu’à la seconde guerre mondiale , la doctrine des puissances coloniales est que les colonies doivent se suffire à elles-mêmes
sans subsides de la métropole . »
• Par contre , après 1945 , un accord se fait sur une idée simple : les économies sous-développées ne disposant que de faibles
revenus , la production augmentant avec la capacité de production il fallait investir et l’aide des PDEM s’avère alors
absolument nécessaire comme l’écrit H.B.Chènery: « l’assistance de l’étranger favorise le développement » .

L’aide publique peut prendre diverses formes :


• On distingue l’aide bilatérale versée directement de pays à pays de l’aide multilatérale qui
passe par les organisations internationales comme la Banque mondiale ou le FED (fonds
européen de développement)
• L’aide peut être liée ( sujette à être dépensée dans le pays donateur ) ou libre (cas beaucoup
moins fréquent)
• elle peut être spécifique ( destinée à un projet précis ) ou générale
• en nature (ex apport de technologie ou de produits agricoles (en cas de famine) ou
financière .

Constat : L’effort des pays riches est très variable :

L’aide publique au développement a, pour la première fois, dépassé la barre des 100 milliards de dollars en 2005 (81,7 milliards
d'euros), pour s'établir à 106,5 milliards de dollars, selon les chiffres publiés, mardi 4 avril, par l'Organisation de coopération et de
développement économiques (OCDE).
Ce record est en partie dû à l'allégement de la dette de l'Irak et du Nigeria (19 milliards de dollars) et à l'aide versée aux victimes du
tsunami en Asie du Sud-Est (2,2 milliards de dollars).

Parmi les pays riches, les Etats-Unis se sont montrés les plus généreux, avec 27,5 milliards de dollars distribués, une hausse de 35,6
% en termes réels. "Abstraction faite de l'allégement de la dette de l'Irak, cette augmentation s'explique principalement par l'aide à
la reconstruction consentie à l'Irak (3,5 milliards de dollars), l'aide à la reconstruction et aux programmes de lutte contre les drogues
accordée à l'Afghanistan (1,5 milliard de dollars) et l'aide à l'Afrique subsaharienne", détaille l'OCDE.

Le Japon est ainsi le deuxième donateur (13,1 milliards de dollars). Il devance le Royaume-Uni (10,8 milliards de dollars) et la
France (10,1 milliards). Viennent ensuite l'Allemagne (9,9 milliards), les Pays-Bas (5,1 milliards) et l'Italie (5,05 milliards).

Ce classement de la générosité des pays riches est différent si l'on prend en compte un autre critère, celui du pourcentage que
représentent les dons par rapport au produit intérieur brut (PIB).

LA NORVÈGE, LA PLUS PRODIGUE

Les pays scandinaves sont des modèles en la matière. La Norvège est la plus prodigue, avec un ratio aide/PIB de 0,93 %, devant la
Suède (0,92 %), le Luxembourg (0,87 %), les Pays-Bas (0,82 %) et le Danemark (0,81 %). La France est au neuvième rang (0,47 %),
derrière le Royaume-Uni (0,48 %), mais devant la Suisse (0,44 %) et l'Allemagne (0,35 %).

"L'aide publique au développement globale des quinze pays européens a augmenté de 27,9 % en termes réels, s'établissant à 55,7
milliards de dollars, équivalant à 0,44 % du PIB cumulé", note l'OCDE, qui rappelle que ces pays se sont engagés, en 2002, à
respecter un objectif minimal de 0,33 %.
"L'Espagne, la Grèce, l'Italie et le Portugal doivent augmenter leur aide s'ils veulent atteindre cet objectif", observe l'Organisation.
L'Italie a un ratio de 0,29 %, ce qui la place devant le Japon (0,28 %) et les Etats-Unis. Avec 0,22 % en 2005, ces derniers n'ont
jamais été aussi généreux depuis 1986.
Source : P Delhommais, , p^lus de 100 milliards de dollars pour les pays pauvres in Le Monde, 05-04-06.
b – LES EFFETS DE L’AIDE

Un espoir : Dans les années 60 , des organisations comme le FED ou la Banque Mondiale pensaient que l’aide allait quasi
automatiquement assurer un décollage économique .

Une déception : Mais , comme l’indique J.J.Giri : « manifestement l’aide n’a engendré en Afrique , ni décollage , ni développement
autoentretenu. Dans certains cas , elle n’a même jamais engendré aucun développement du tout , et certains pays d’Afrique se
retrouvent plus pauvres , dans les années 80 que dans les années 60 » .

Conséquences : Ceci a conduit certains auteurs à affirmer que l’aide ne sert à rien et peut même engendrer des effets pervers ( doc 6
p 89 ) :
• Pour S.Brunel , l’aide ne sert pas à accroître la capacité productive du pays ; elle est utilisée
- soit pour construire des ouvrages de prestige sans but économique ( le Transgabonais ) , soit à acheter des usines clés en
main trop élaborées qui ne peuvent s’adapter aux conditions du pays .
- la maintenance est alors très difficile à assurer , car la main-d’œuvre est insuffisamment qualifiée ,la capacité de
production est très largement supérieure aux capacités d’absorption du marché .
- Ainsi la production qui subit la concurrence des produits des pays riches est de mauvaise qualité , à un prix plus élevé
( déseconomies d’échelles , en raison du faible taux d’utilisation des capacités de production ) .
- Les usines sont donc à terme condamnées : l’aide ne s’est donc pas traduite par une création de richesses supplémentaires .

• l’aide n’a pas transformé en profondeur les mentalités , elle a seulement servi à greffer artificiellement une façade moderne sur
une société demeurée traditionnelle ; elle a donc , par là , contribuer au dualisme , opposant la majeure partie de la population
perpétuant ses méthodes ancestrales à une minorité qui survit grâce à une injection continue de fonds en provenance des PDEM

• les auteurs libéraux sont les plus critiques : ils considèrent , reprenant les thèses de Ricardo et de Malthus ( cf chap croissance
démographique et développement ) que l’aide maintient les assistés dans la pauvreté en désincitant au travail et à l’épargne
( les dons de produits agricoles concurrencent la production nationale et ruinent les petits producteurs ). Comme l’écrit Bauer :
« à la vérité , aider les responsables politiques sur la base de la pauvreté de la population a plus de chances d’encourager les
politiques d’appauvrissement que d’y faire obstacle » (d’autant plus que les sociétés n’étant pas démocratiques , l’aide est
détournée par des dirigeants corrompus).

• les auteurs marxistes , quant à eux , pensent que l’aide n’est qu’un moyen de maintenir la domination impérialiste dans le tiers-
monde. L’étude des donateurs montre que ceux-ci orientent et concentrent leur aide sur les pays qu’ils veulent influencer ( la
France aide surtout ses anciennes colonies).

Relativisation : Pourtant , comme l’écrit J.Brasseul: « ces critiques en forme de brillants paradoxes peuvent bien contenir une part
de vérité , mais elles oublient que l’aide a quand même des effets positifs , et surtout qu’en son absence , de nombreux pays ne
pourraient simplement plus fonctionner » .

Conclusion : Ce n’est donc pas le principe de l’aide qui ne doit pas être remis en cause , mais les arrière-pensées qui en sont à
l’origine de la part des PDEM et la façon dont elle est utilisée par les PVD :
• Si l’aide sert à financer des projets clairement définis et dont la rentabilité ou l’utilité est clairement démontrée ( construction
d’infrastructures , éducation de la population ) elle s’avérera favorable .
• D’autant plus que son versement peut être soumis à conditions : le PDEM peut ainsi inciter le PVD à assurer un passage à un
régime démocratique ou à appliquer des réformes économiques

2°) LE RECOURS A L’ENDETTEMENT EXTERIEUR

a ) LE DEVELOPPEMENT PAR L’ENDETTEMENT

Constat : on peut établir la périodisation suivante :


• Jusqu’au début des années 70 , la principale source de financement extérieur des PVD est l’aide publique versée par les Etats ou
les organisations internationales .
• Mais des déterminants conjoncturels vont amener un tarissement de l’aide publique et un développement du financement par
l’endettement . En effet , les chocs pétroliers de 73 et de 79 vont :
- être à l’origine d’une réduction de la croissance des PDEM , d’une explosion de leurs déficits commercial et public qui
vont conduire leurs dirigeants à réduire leur effort d’aide aux PVD
- or , dans le même temps , les pays exportateurs de pétrole bénéficient , à la suite du quadruplement de son prix , d’une forte
augmentation de leurs recettes qu’ils ne peuvent absorber et qu’ils vont donc placer , contre rémunération , dans les
banques des PDEM .On assistera alors au développement des pétrodollars qui succéderont aux eurodollars résultant de la
crise du Système Monétaire International .

Analyse libérale du financement du développement : Ces raisons conjoncturelles vont bénéficier du


renouveau des théories libérales durant les années 70 - 80 . En effet , pour la théorie économique
classique : l’endettement est un phénomène normal pour les PVD : on peut , en fonction du stade de
développement auquel se situe le pays caractériser son besoin de financement ( son degré
d’endettement ) ou sa capacité de financement :
• première phase : emprunteur jeune :
- les PVD , pour connaître une croissance économique doivent importer des biens d’équipement
alors que leurs capacités d’exportation sont réduites . Leur Balance Commerciale est donc
déficitaire .
- Pour financer ce déficit , ils ne peuvent faire appel à l’épargne intérieure ( cf Nurske ) , ils doivent
s’endetter .
- Un pays se situant au stade de l’emprunteur jeune se caractérise donc par une Balance
Commerciale déficitaire et une Balance des Capitaux et des Paiements excédentaires .
• deuxième phase : emprunteur évolué :
- grâce à l’endettement et aux importations de biens d’équipement , le pays peut assurer un
décollage économique , lui permettant de développer ses capacités de production , donc de
réduire ses importations et d’accroître ses exportations de biens .
- A ce stade , sa Balance Commerciale devient donc excédentaire , ce qui lui permet de rembourser
ses dettes , sa Balance des capitaux et des Paiements devient donc déficitaire .
• troisième phase : prêteur jeune :
- le pays développe ses exportations , connaît une croissance économique forte ,
- sa Balance Commerciale voit donc son excédent augmenter , le pays peut donc désormais prêter
des capitaux , sa Balance des Capitaux et des Paiements continue à être déficitaire , mais pour
des raisons différentes ( prêts et non plus remboursement d’emprunts ).
• quatrième phase : prêteur évolué :
- le pays est désormais un PDEM : sa Balance Commerciale devient , à terme , déficitaire .
- Mais grâce aux entrées de devises issues de ses placements à l’étranger , le pays connaît un
excédent de sa Balance des Capitaux et des Paiements .

Constat : Ce découpage correspond au modèle américain :


- emprunteur jeune au XIX° ,
- emprunteur évolué fin XIX ° début XX° ,
- prêteur jeune de 1918 à 1950 ,
- prêteur évolué jusqu’en 1971 .
- A partir de cette date , les EU connaissent à la fois un déficit de leur Balance Commerciale et un excédent de leur Balance
des capitaux , puisqu’ils font appel aux capitaux étrangers : la boucle semble bouclée .

Conclusion : La vision libérale montre donc bien que l’endettement est source de développement économique , et donc , que
contrairement à l’adage populaire , l’endettement n’est pas mauvais en soi pourvu qu’il contribue à créer des richesses : le taux de
croissance de l’économie ( qui détermine sa capacité de remboursement ) doit être supérieure au taux d’intérêt réel ( qui détermine le
prélèvement opéré sur l’économie ) .

Relativisation : Mais cette vision très optimiste montrera ses limites , quand elle sera confrontée à la réalité . Elle conduira , au début
des années 80 , de nombreux PVD à se déclarer en cessation de paiements .

3°) LA CRISE DE L’ENDETTEMENT .

a ) LES CAUSES CONJONCTURELLES .

Principe de base : Comme nous l’avons vu plus haut , l’endettement est viable tant que les richesses créées sont supérieures aux
montants à rembourser (c’est-à-dire si le taux de croissance économique est supérieur au taux d’intérêt réel ) .

Constat : On peut opérer la périodisation suivante :


• Or , si dans les années 70 , les taux d’intérêt réels étaient faibles voire négatifs et la croissance espérée par les PVD forte ;
• un retournement de conjoncture s’opéra dans les années 80 : les taux d’intérêt réels ( taux d’intérêt réel = taux d’intérêt
nominal - taux d’inflation ) augmentèrent , les taux de croissance chutèrent . Plusieurs déterminants se cumulèrent pour
plonger les PVD dans la crise :
- à partir des années 80 , les EU suivis par l’ensemble des PDEM décidèrent de lutter contre l’inflation ; ils mirent alors en
oeuvre des politiques de restriction monétaire inspirées des préceptes monétaristes . L’offre de monnaie fut réduite par les
autorités , ce qui entraîna une hausse des taux d’intérêt nominaux ; simultanément ,l’inflation baissa , ce qui détermina une
forte hausse des taux d’intérêt réels .
- or , la dette , dans la majorité des cas ,était rémunérée à taux variable ou flottant ( 70 % de la dette était contractée à taux
flottants et 80 % libellée en dollars) . Les banques limitaient ainsi , en théorie , le risque qu’elles couraient en prêtant à
long terme des capitaux qui étaient placés à court terme par les pays de l’OPEP .La hausse des taux d’intérêt réels
s’appliqua donc aux dettes émises durant les années 70 , période durant laquelle on n’anticipait pas de remontée des taux
d’intérêt .Les PVD furent donc incapables de supporter la charge de la dette venant à échéance .
- D’autant plus que les politiques de rigueur appliquées dans les PDEM , contrairement aux attentes des économistes
libéraux plongèrent les pays industrialisés dans la récession : leurs capacités d’importation diminuèrent , et par là même ,
les exportations des PVD .

Conclusion : Cet effet de ciseaux ( de nature conjoncturelle ) a révélé les choix souvent irrationnels des investissements opérés par
les PVD dans une période d’euphorie et acceptés par les banques prêteuses ( qui sont donc en partie responsables ). Ces erreurs qui
étaient sans conséquence dans les années 70 eurent , dans les années 80 , des conséquences dramatiques .
b ) LES CAUSES STRUCTURELLES .

Constat : Contrairement aux prévisions des théoriciens qui attendaient de l’augmentation des taux d’investissement et d’endettement
une hausse quasi automatique de la croissance , on a pu constater qu’entre 1973 et 1982 l’élévation des taux d’endettement ne s’est
pas traduite par une hausse comparable ni des taux d’investissement , ni des taux de croissance.

Explications : Ceci s’explique par les raisons suivantes :


• la dette a servi à financer le déficit commercial ; pour les PVD ce déficit ne provient pas essentiellement de l’achat de biens
d’équipement mais résulte de l’évolution des relations commerciales et financières . La moitié de l’augmentation de la dette
provient de l’accroissement du prix du pétrole , un quart de la détérioration des termes de l’échange .
• la plus grande partie de la dette n’est pas placée dans le pays mais détournée par les dirigeants pour être placée sur des comptes
bancaires privés , notamment aux Etats Unis car la rémunération y est plus forte .Ainsi la population va devoir contribuer au
remboursement d’une dette,, accepter des plans d’ajustement structurel alors que les emprunts ont été confisqués par les élites
dirigeantes . Ainsi , au Venezuela , entre 72 et 82 , la fuite des capitaux a représenté 136,6 % des importations brutes de
capitaux .

Conclusion : Donc , la dette n’a pas servi à créer des richesses supplémentaires (contrairement aux prévisions) . Tant que les taux
d’intérêt réels étaient faibles , les problèmes étaient masqués . Avec la hausse des taux , les difficultés , les erreurs et les
détournements de fonds apparaissent .

4° ) LES SOLUTIONS A LA CRISE : l’AJUSTEMENT STRUCTUREL PRECONISE PAR LE FMI


.

Constat : Comme l’indique H.Bourguinat, les PVD dans un contexte d’unification de la finance mondiale ont
• dans , un premier temps , cru : « constituer un groupe d’emprunteurs susceptibles de trouver sur ce marché financier
international tous les crédits consortiaux dont ils pouvaient avoir besoin . »
• Mais , à partir du mois d’Aout 82 , « ils ont dû très vite subir la loi du groupe des pays créanciers et accepter de passer sous les
fourches caudines des programmes de rééchelonnement » . En effet , même si les responsabilités de la crise auraient dû être
également partagées entre :
- les PVD qui ont gaspillé les crédits ,
- les banques qui ont accordé des prêts sans respecter les règles prudentielles ( ratio de solvabilité ) ,
- les PDEM qui ont fermé leurs frontières aux produits des PVD et les ont donc empêché de rembourser leurs dettes ;
- Les organisations internationales (FMI,Banque Mondiale) qui ont mal conseillé les PVD.

Explications : On peut constater que l’ajustement a été supporté quasiment uniquement par les pays emprunteurs ( doc 8 p 290 ) . En
effet :le F.M.I. ( Fonds Monétaire International ) a considéré que la responsabilité de la crise s’expliquait par l’échec des stratégies de
développement ( particulièrement les stratégies autocentrées )

Répercussions : « les prêts conditionnels du FMI vont alors généralement de pair avec une action de stabilisation destinée à corriger
les déséquilibres macro-économiques » .
• Les pays doivent donc appliquer des politiques visant à assainir l’économie , ils doivent dévaluer leur monnaie , appliquer des
politiques de rigueur désinflationnistes ( en diminuant la masse monétaire en circulation ) , diminuer les déficits budgétaires
par la baisse des dépenses publiques , les privatisations et l’augmentation de la fiscalité , diminuer les salaires afin d’améliorer
la compétitivité des entreprises . « Le FMI subordonne le versement de ses crédits à l’application , avec succès , de ces
mesures » .
• Ces programmes d’ajustement ont des visées conjoncturelles , mais surtout structurelles : ils « peuvent apparaître comme une
première étape essentielle du remodelage d’une économie , vers un état d’ouverture » .

Conclusion : On ne peut contester la nécessité de ces plans d’ajustement , il n’en demeure pas moins qu’ils traduisent une nette
orientation idéologique : le Tiers-mondisme marxisant des années 70 s’est vu remplacer par un ultra-libéralisme conquérant dans les
années 80 - 90 . Or :
• on a pu qualifier les années 80 d’années perdues pour le développement : « les programmes préconisés par le Fonds se sont vus
ainsi accuser d’être néfastes à la croissance et au développement , de toujours recourir à une cure d’austérité , d’accroître la
pauvreté » . On a assisté à une véritable mise sous tutelle des pays à monnaie faible qui « n’ont guère le choix , sans le sceau
d’approbation de la Banque Mondiale et du FMI , ils ne trouveront ailleurs aucun financement , ni public , ni privé » .
• On en est ainsi arrivé , au début des années 90 , à la situation paradoxale suivante : on observe un transfert net des ressources
des PVD vers les pays riches : les PVD financent les pays riches , en particulier les EU : « alors que tout semble indiquer que le
capital devrait aller des pays industrialisés à Balance courante excédentaire vers les pays à haut taux de rendement de
l’investissement , mais à ressources d’épargne domestique faibles , c’est le schéma inverse qui paraît devoir prévaloir » .

D ) LES FTN : UNE SOLUTION ALTERNATIVE A L’ENDETTEMENT

Constat : on peut opposer deux périodes :


• Dans les années 60-70 , les PVD étaient dans l’ensemble méfiants vis-à-vis des FTN . Ils avaient donc :
- mis en place des législations spécifiques dont la finalité : « était dominée par la sauvegarde de l’indépendance nationale
face aux empiétements des investisseurs étrangers » .
- Un certain nombre de pays ont même été jusqu’à appliquer des politiques de nationalisation des filiales des FTN .
• Mais , « les années 80 ont été marquées par un mouvement général de révision des codes d’investissement dans les pays du
Sud ( ... ) . Avec la globalisation , l’objectif principal des Etats n’est plus de contrôler les activités des firmes étrangères , il est
d’abord de les attirer » .

Les explications : Ceci s’explique par un certain nombre de raisons d’ordre à la fois conjoncturelle et structurelle :
• les raisons conjoncturelles sont dominées par les retombées de la crise de l’endettement :
- suite aux difficultés des années 80 , les banques privées sont devenues très réticentes à développer le financement des PVD
. Elles ont même cherché à se débarrasser , en les bradant plus ou moins , des créances dont elles disposaient sur des pays
qu’elles considéraient maintenant comme non solvables .
- Dans le même temps , les PVD qui appliquaient les politiques d’ajustement du FMI s’efforçaient de privatiser leurs
entreprises publiques , en échangeant les actions de celles-ci contre des titres de la dette .
- Les FTN qui avaient racheté des créances pouvaient donc , à faible coût , prendre le contrôle d’entreprises dans les PVD .
- L’investissement direct des FTN est donc considéré désormais par les PVD comme une alternative à l’endettement , ils
entrent donc en concurrence afin de les attirer ( « surenchère aux incitations fiscales, aux aides et à la prise en charge des
coûts externes ») .
• les raisons structurelles : « le mouvement de libéralisation a été intensifié par le grand retournement dans les stratégies de
développement , qui s’ébauche dès le début des années 80 , et qui tourne le dos au modèle de substitution aux importations
appliquées durant les 20 dernières années . La nouvelle orientation prône la croissance tirée par les exportations » :
- A la croyance en un développement autocentré basé sur des théories marxistes ou structuralistess’est substitué la foi en des
théories libérales , qui risquent comme les précédentes d’engendrer de nouvelles désillusions .
- En effet , « dans l’optique des conceptions ultra-libérales , l’implantation des FTN doit jouer un rôle d’entraînement
automatique sur les structures productives locales . L’investissement étranger joue le même rôle que la création de pôles de
croissance ( ... ) .
- Mais en ce qui concerne les économies en voie de développement , les arguments des FTN sont nombreux qui visent à
montrer les limites , sinon l’impossibilité de l’intégration locale . Ceux qui sont les plus souvent avancés constituent une
trilogie qualité , coût , délai ( ... ) .L’intérêt des FTN et la préoccupation industrialisante des pays ne coïncident donc pas . »
- On constate , en effet , que , « les choix des multinationales revêtent une très grande constance , caractérisés par une
attitude extrêmement sélective , vis à vis de l’investissement au Sud ( doc 16 p 295 ) . Vers 1980 , 40 % du total des
investissements directs étaient dirigés vers 10 pays du Sud » . La polarisation des investissements directs des FTN sur les
pays les plus rentables économiquement ( en particulier les NPI ) est donc très forte ( 10 et 11 p 313).

Conclusion : On ne peut , dès lors , considérer que l’implantation des FTN puisse constituer une véritable alternative à l’aide ou au
crédit , en direction des pays les moins développés . Ceux-ci sont en effet complètement délaissés ( sauf s’ils disposent de ressources
en matières premières : et intéressent ainsi les FTN dites primaires ) , dès lors , qu’ils apparaissent comme présentant un risque
politique ( continent africain ) ou insuffisamment compétitifs au niveau économique ( « derrière cette concentration sur un nombre
limité de pays du Sud , il existe une rationalité économique » ) .

CONCLUSION :

Constat :A la fin des années 50 , les meilleurs experts de l’ONU prévoyaient :


• un avenir brillant au Congo belge riche en matières premières et était très pessimiste pour la Corée du Sud .
• « Or , depuis 60 , le revenu par tête du Zaïre , ex Congo belge , a régressé de plus de 2 % par an , alors que celui de la Corée
du Sud a progressé de plus de 7% par an .

Explications : L’erreur de ces économistes s’explique ainsi :


• ils ramenaient la croissance économique des nations à la seule accumulation de facteurs de production , les matières premières ,
le travail qualifié , le savoir-faire-technologique et surtout le capital . »
• Or comme le constate C.Albagli : « le rapport entre le taux d’investissement et le taux de croissance portant sur la décennie 73-
83 n’est pas significatif . ( ... ) La part du financement extérieur n’est pas non plus déterminante pour accentuer le niveau
d’investissement général ( ... )
• En focalisant son attention trop exclusivement sur l’investissement et des coefficients du capital , on a une vision réductrice du
développement » .

Conclusion : Plus personne ne pense aujourd’hui qu’une hausse du taux d’investissement puisse constituer une condition nécessaire
et suffisante à la croissance économique . :
• Il faut , en effet , comme l’écrit G.Grellet admettre que : « au-delà de l’accumulation des facteurs de production , le problème
de la croissance est celui de l’allocation des ressources et du choix des stratégies de développement » .
• Sinon , comme le constate J.N.Bhagwati , à la place du fameux décollage prévu par Rostow qui inspira de nombreux plans de
développement au cours des années 50-60 , on risque d’assister à une étape supplémentaire : « portant le nom d’atterrissage
brutal » .

II) UN RENOUVEAU DES IDEES LIBERALES : l’OUVERTURE DEVIENT LA


PANACEE.
G.Grellet écrit : « à l’encontre de l’ancienne orthodoxie des années 50 et 60 ( dominée par le Tiers-
Mondisme structuraliste ou marxiste ) , les années 80 auront vu apparaître ce que nous pouvons appeler
une nouvelle orthodoxie . (... ) Selon celle-ci , la compréhension des phénomènes de croissance est fondée
sur les 3 postulats suivants :
• la croissance des nations est fortement dépendante de leur ouverture vers l’extérieur ,
• l’offre globale dépend de l’allocation des ressources rares ; celle-ci est optimale dans un marché
concurrentiel , soumis aux impulsions du marché mondial ,
• le développement est d’autant plus rapide que les incitations des agents sont socialement
compatibles

Remarque :On notera que ces postulats contredisent point par point l’ancienne orthodoxie , le marché
mondial devient source de croissance , et l’Etat source de mauvaise allocation des ressources . »

A ) LA STRATEGIE DE PROMOTION DES EXPORTATIONS ( doc 17 p 293 )

1° ) UN CONSTAT

Comme l’indique G.GRELET , le passage du paradigme de l’introversion ( stratégie d’ISI ) à celui d’extraversion ( stratégie de SPE )
s’explique par l’analyse des résultats comparés des 2 modèles :
• « les grands pays introvertis comme l’Inde ou la Chine ne connurent ( dans les années 70 ) que des résultats médiocres .
• A l’opposé , quelques pays très extravertis comme Taiwan , Hong Kong ou Singapour réussirent des percées fulgurantes dans un
contexte international par ailleurs difficile » .
• Une étude de la Banque mondiale comparant les résultats de 41 pays orientés vers l’intérieur et vers l’extérieur constate que les
résultats en terme de taux de croissance , de taux d’épargne , d’inflation et de création d’emplois sont d’autant plus satisfaisants
que
le taux d’ouverture ( X+M / 2 PIB ) x 100 est élevé .

2° ) LES EXPLICATIONS .

La stratégie de SPE prend le contre-pied systématique de celle d’ISI . Gillis écrit ainsi : « une prescription
utile pour les politiques de SPE est de faire tout ce qui est évité par le régime de substitution
d’importations . » Les gouvernements vont ainsi appliquer :
• des politiques de dévaluation compétitive qui vont , à la fois leur permettre d’améliorer la
compétitivité-prix de leurs produits , donc leurs exportations , mais aussi , selon Balassa , permettre
une substitution d’importations (plus forte paradoxalement que dans la stratégie d’ISI ). Car , les
produits nationaux sont moins chers que les produits importés ( grâce à la dévaluation et aux
économies d’échelle permises par le développement des exportations ).
• une réduction des tarifs douaniers qui incite les entrepreneurs nationaux à se spécialiser en fonction
de leurs avantages comparatifs , c’est-à-dire principalement dans le cas des NPI d’Asie dans les
industries utilisant intensément la main-d’oeuvre nombreuse et qualifiée dont ils disposent à faible
coût . L’allocation des ressources est donc beaucoup plus optimale qu’elle ne l’est dans la stratégie
d’ISI
• ce dernier point est d’autant plus renforcé que les gouvernements s’efforcent de mettre en place des
prix ( des biens , des services et des facteurs de production ) qui reflètent les raretés relatives . On a
,en effet , constaté , selon J.Brasseul , que s’il ne s’agit pas d’une condition suffisante au
développement , remettre de l’ordre dans les prix constitue un point de départ indispensable , une
condition nécessaire .
Remarque : Cette stratégie :
• semble donc reposer sur une logique libérale , puisqu’elle repose apparemment sur la théorie des
avantages comparatifs de Ricardo , qui énonce que chaque pays a intérêt à se spécialiser dans la
production du bien pour lequel il dispose d’un avantage par rapport à ses concurrents .
• Or , les NPI d’Asie :
- ne disposaient pas de ressources naturelles leur permettant de développer une spécialisation
dans l’exportation de matières premières . Comme ils disposent , de plus , d’une population
relativement restreinte ( en particulier Hong Kong et Singapour qui sont des pays villes ) , la
production pour le marché intérieur et les stratégies d’ISI qui furent appliquées à la fin des
années 50 montrèrent rapidement leurs limites .
- La seule solution qui s’imposait à eux ( la notion de volontarisme est donc à relativiser ) est
d’utiliser leur seule richesse , c’est-à-dire leur main d’oeuvre pour produire des biens nécessitant
une utilisation intensive du travail à destination des PDEM ( le textile , l’électronique , ... ) .
- Ces pays suivaient , avec 20 ans de retard , la stratégie développée par le Japon . Comme celui-ci
, la réussite du modèle ( basé contrairement au modèle allemand du XIX° siècle et soviétique du
XX° sur les industries de consommation , comme l’Angleterre au XVIII° ) a engendré une
augmentation du coût du travail , au fur et à mesure du développement ( les NPIA appartiennent
aujourd’hui à l’OCDE et sont donc des pays développés ) , donc a nécessité une adaptation .
Conformément au modèle japonais , les NPIA ont donc délocalisé les productions nécessitant
beaucoup de main d’oeuvre vers les tigres d’Asie ( Thaïlande , Indonésie , ... ) et ont opéré une
stratégie de remontée de filières qui permet à la fois de s’implanter sur des marchés à plus forte
valeur ajoutée et d’opérer une industrialisation plus complète de leur tissu productif ( la
spécialisation passant des biens de consommation courants aux biens de consommation élaborés
et aux biens d’équipement ).

B) DU PAS ASSEZ D’ETAT AU TROP D’ETAT .

Constat : Le paradigme du « trop d’Etat » a remplacé celui du « pas assez d’Etat » , selon G.GRELLET .En effet , même si , excepté
les auteurs ultralibéraux , personne ne conteste la nécessité d’une intervention de l’Etat , celle-ci doit être mesurée à l’aune de son
efficacité : l’expérience montre que , dans de nombreux PVD , l’intervention de l’Etat a généré des effets contre-productifs .

Les explications : pour trois raisons essentielles :


• l’Etat a été à l’origine de distorsions qui entravent l’allocation optimale des facteurs de
production :
- Ainsi , les PVD bénéficient d’une main d’oeuvre abondante , ce qui devrait , conformément à la loi
de l’offre et de la demande , engendrait une réduction des salaires permettant de diminuer le
chômage et de développer la production dans les secteurs exportateurs utilisant intensément la
main d’oeuvre ( ex : le textile ) .
- Mais , certains pays ont voulu mettre en oeuvre des législations sociales inadaptées à leur stade
de développement ( salaire minimum , protection sociale ) qui ont augmenté le coût du travail et
incité les entreprises à substituer du capital au travail ( d’où augmentation du chômage ) .
- Les pays doivent donc , pour diminuer le chômage et améliorer la compétitivité , supprimer les
législations handicapantes , comme l’ont fait , selon Kuznets les NPI dont la forte croissance
s’explique par la flexibilité du marché du travail .
• la multiplication des mesures , leur incohérence et leurs aspects contradictoires font que
les réglementations administratives sont souvent mal connues ou détournées de leur
objectif :
- ainsi , en Inde les licences d’importation étant délivrées proportionnellement à la part détenue par
l’entreprise dans la production totale ,chaque entreprise avait intérêt à accroître sa production
même si celle-ci était invendue .
- Les mesures risquent donc de favoriser des rentes de situation qui nuisent à l’innovation et à la
compétitivité .
• dans les pays où l’Etat est omniprésent mais n’a pas la capacité d’imposer des mesures
qu’il instaure :
- les entreprises développent des marchés parallèles qui leur permettent d’échapper aux
prélèvements publics. En contrepartie , elles doivent verser aux fonctionnaires et au pouvoir des pots
de vin leur évitant des sanctions .
Ceci permet de rompre avec une vision idéaliste ( selon les libéraux ) qui fait des agents de l’Etat des
individus altruistes , cherchant à maximiser le bien-être général , alors qu’en réalité , ils veulent
améliorer leur bien-être personnel.

CONCLUSION DU II :

Constat : Néanmoins , si on étudie plus précisément les stratégies des NPI qui sont considérés par la
Banque mondiale ou par le FMI comme des modèles de référence libéraux , on se rend compte qu’elles
sont moins libérales qu’elles ne paraissent au premier abord :
Explications : ainsi quand on compare la protection tarifaire entre 2 groupes de pays : ceux ayant
adopté l’ISI et ceux ayant adopté la SPE , on remarque
• certes que la protection moyenne est supérieure dans l’ISI .
• Mais les écarts de protection sont plus grands dans la SPE : en effet , cette stratégie distingue les
secteurs qui n’ont pas besoin de protection car le pays dispose d’un avantage comparatif ou ceux
pour lesquels la protection serait coûteuse : le pays ayant besoin de ces biens mais ne sachant pas
les produire ( ex : biens d’équipement dans une première phase ) ; des secteurs que le pays cherche
à développer sans être compétitif pour le moment , pour lesquels un protectionnisme éducateur
semble nécessaire .
• On peut dès lors en conclure qu’il semble y avoir une stratégie plus rationnelle de protectionnisme
que celle opérée par les pays adoptant l’ISI
Conséquences : ce protectionnisme sélectif montre donc que
• contrairement aux apparences et aux dires des théoriciens libéraux , l’Etat n’est pas absent ,il
applique une politique qui , selon M.Fouquin , tend à concentrer les efforts sur les secteurs
compétitifs et à abandonner les secteurs , dans lesquels le pays n’a pas d’avantages ;
• car , contrairement aux affirmations de Ricardo , une adaptation passive aux avantages naturels ne
suffit pas : « l’expérience de tous les pays en développement , y compris de ceux qui ont le mieux
réussi , est en faveur d’un certain volontarisme : dans les phases de démarrage du processus de
développement , l’Etat doit choisir les secteurs prioritaires qui doivent être créés ou développés ( ... )
.
• Les échecs qui ont été enregistrés proviennent soit de choix erronés , soit de l’incapacité des Etats à
mobiliser des moyens nécessaires et à mener des politiques économiques convenables » . On
retrouve ici la responsabilité des Etats mous dans l’échec du développement ; on sait qu’au contraire
, en Corée , un Etat fort et interventionniste a contribué notablement au développement du pays , en
assistant ou en se substituant aux entrepreneurs quand cela était nécessaire .
Remarque : On peut d’ailleurs s’interroger à la fois sur la généralisation du modèle de croissance tirée
par les exportations mais aussi sur sa validité :
• la stratégie de SPE s’ est révélée efficace quand un nombre réduit de pays comportant une
population restreinte ( les 4 Dragons d’Asie du Sud-Est ) l’ont appliquée ; mais si cette stratégie
devient un modèle copié par tous les PVD , et en particulier par des pays très peuplés comme la
Chine ou l’Asie , on peut se demander si elle ne se révélera pas intenable :
- en effet si un grand nombre de pays se spécialise dans des produits banalisés en fin du cycle de
vie ,dont la demande progresse faiblement , une augmentation de la production risque de se
traduire par une baisse des prix et une détérioration des termes de l’échange ( comme pour les
produits primaires ), donc une diminution des recettes d’exportation qui ne permettrait pas de
financer le développement .
- la concurrence exercée sur ces pays sur les industries des PDEM utilisant beaucoup de main
d’oeuvre peu qualifiée serait destructrice et appellerait , de la part des autorités , des mesures de
protection ruinant la stratégie de SPE .
• comme l’indique M .Fouquin: « l’idée de la croissance tirée par l’exportation qui pourrait faire croire
qu’un pays qui exporte plus a une croissance plus forte est , en général , fausse . Car , parvenu à un
rythme très élevé , les économies butent sur des goulets d’étranglement qui les contraignent à
importer de plus en plus . La croissance des importations finit à être plus forte que celle des
exportations . La croissance tirée par les exportations ne peut être qu’exceptionnelle et de courte
durée » . Comme le constate d’ailleurs G.Grellet : « la corrélation positive entre la part des
exportations dans le produit national et la croissance , si elle existe , n’est pas sans ambiguïté , dans
la mesure où elle ne fait que refléter le fait que les pays les plus pauvres n’ont rien à exporter . »

CONCLUSION GENERALE :
50 ans d’économie du développement ont conduit les économistes et les organisations internationales à modérer l’optimisme dont ils
faisaient preuve à leurs débuts . Ils considèrent désormais :
- qu’il n’existe plus un modèle de développement ( celui suivi par l’Angleterre pour les libéraux ou celui de l’URSS pour les
marxistes ) préconisant le recours privilégié à une variable ( le taux d’investissement ) qui permettrait d’assurer à lui tout
seul le décollage économique et la croissance dans tous les PVD .
- Les analyses considèrent aujourd’hui , à la suite de la diversité des chemins suivis par les PVD qui ont conduit à une
remise en cause de la notion de Tiers-Monde , que chaque pays , en fonction de ses ressources ( aussi bien économiques que
culturelles ou sociales ) , en prenant en compte les contraintes qui pèsent sur lui ( les effets de la colonisation , la
mondialisation , l’absence d’Etat structuré , des sociétés inégalement cohérentes ) doit mettre en oeuvre une stratégie qui
lui soit spécifique . La croissance et le développement qu’ont connues les NPI d’Asie semblent justifier cette analyse .
- Néanmoins , après 20 ans d’économie du développement dominée par les idées tiers-mondistes ayant conduit à des échecs
retentissants , un nouveau dogmatisme basé sur le renouveau des idées libérales , la mondialisation et le succès des NPIA
semble aujourd’hui à l’oeuvre . Celui-ci risque comme le précédent de conduire à des résultats catastrophiques , d’autant
plus qu’il justifie l’abandon des politiques d’aide et d’intervention de l’Etat qui risquent de mettre en concurrence des pays
ayant des potentialités radicalement différentes .
Ainsi , si l’on peut se féliciter de la réussite des NPIA , il n’en reste pas moins que c’est l’arbre qui cache la forêt : la majorité des
pays du Tiers-Monde ayant connu un développement du sous développement.

Pour aller plus loin : sur web campus : 11-PED.ppt

COMPLEMENT DE COURS N°1

SMI ET SFI
a- Le système monétaire international

a1 - Pourquoi un SMI ?

Définition : M.BERNARD écrit : « Un SMI est un ensemble de règles et d’institutions qui régissent comment , en quoi
et à quel prix les monnaies s’échangent entre elles . » Ainsi 3 questions se posent :
• la première est celle de la convertibilité : pour que l’échange international ait lieu , il est nécessaire que le
vendeur bénéficie d’une garantie , c’est-à-dire que la monnaie dans laquelle il sera payé , représente un pouvoir
d’achat ( la variation de ce pouvoir d’achat et donc le risque encouru par le vendeur sera fonction du régime de
change en vigueur : fixe ou flottant ).
• La deuxième celle des liquidités : c’est-à-dire les moyens de paiement internationalement acceptés qui vont
constituer les réserves de change des Banques Centrales ( dans le système du Gold Standard , l’or est la liquidité
en dernière instance , mais la livre est acceptée ; dans le système du Gold Exchange Standard issu de Bretton
Woods , le dollar devient la principale réserve de change , car il est considéré équivalent à l’or : as so good as
gold )
• La troisième celle de la formation des taux de change : qui joue un rôle essentiel dans la compétitivité des
produits ; le taux de change est le point de contact entre l’économie nationale et le reste du monde . Le mode de
fixation de ce taux de change va donc exercer une grande influence .

a2 - Les différents régimes de change

Rappel d’histoire : Le monde a connu depuis le XIX° siècle trois régimes de change : cf cours d’histoire géo

a3 - Le SMI ; un régime hiérarchisé

M.BERNARD écrit : « que les manifestations de la puissance et de la domination économique s’opposent souvent » . Il
distingue , pour le démontrer 3 critères :
• d’un point de vue commercial : un pays puissant qui dispose d’avantages compétitifs importants se caractérise
par des excédents commerciaux élevés et croissants ( ex : Japon , RFA ). Au contraire , un pays dominant connaît
généralement un déficit de sa Balance Commerciale , car sa puissance industrielle est contestée . Mais sa
puissance hégémonique lui permet de se dispenser de rétablir l’équilibre de sa Balance Commerciale .( ex : GB
fin XIX° , USA depuis 71 )
• d’un point de vue financier : la puissance financière consiste à être le bailleur de fonds du monde , ( USA dans
les années 50 ) , ce qui permet aux pays de vivre de ses rentes et d’exercer ainsi une domination commerciale .
Le déficit de sa Balance Commerciale est compensé par le revenu des capitaux que ses résidents ont placés dans
le reste du monde ( ex : GB à partir des années 1880 ) . La domination financière s’exerce , au contraire , quand
l’excédent de la Balance des capitaux ne permet plus de compenser le déficit de la Balance Commerciale , et
donc que la Balance des Paiements devient déficitaire ( ex : USA dans les années 80 ) . Le pays pompe donc
l’épargne du monde .
• d’un point de vue monétaire : la puissance consiste pour le pays qui émet la monnaie du monde , la devise-clé à
gérer son émission pour le bien de tous et non au service d’objectifs purement nationaux ( ex : les USA durant
les années 50 dans le cadre des accords de Bretton Woods qui émettait des dollars pour financer le
reconstruction des pays européens , tout en garantissant la couverture or du dollar , ce qui maintenait la
confiance ). Au contraire , la domination monétaire s’exerce quand le pays émetteur de la devise clé se sert de la
monnaie mondiale pour poursuivre des objectifs internes , sans se préoccuper des répercussions que sa gestion
monétaire a sur le reste du monde , le pays dominant n’en supporte pas d’ailleurs les conséquences , car sa
monnaie étant la devise de référence , il peut attire l’épargne mondiale à des coûts plus bas que ses partenaires
ou financer son déficit sans pleurs ( sans plan d’adaptation de rigueur )en émettant de la monnaie ( ex : les USA
à partir des années 60 et surtout après 71 )
Conclusion : Ainsi , on peut en conclure que le SMI met en relation des partenaires qui ne sont pas situés sur un pied
d’égalité et donc que les différences de puissance vont venir troubler son fonctionnement , ce que démontre
l’historique du SMI depuis 1945 (cf. cours d’histoire).

b - Vers le système financier international (26-27 p 298 et, 8 p 312)

b1- Les raisons expliquant le passage du SMI au SFI .

b11 - Les vertus apparentes des changes flottants

Selon les défenseurs en particulier les théoriciens monétaristes le flottement devait permettre d’assurer un meilleur
fonctionnement du SMI :
• dans le cadre du SMI issu de Bretton Woods , la formation des cours de change est déterminée
administrativement par les autorités monétaires ; elles ne reflètent pas toujours le taux de change d’équilibre du
marché qui résulte de la confrontation entre l’offre et la demande de devises . Au contraire , les changes flexibles
qui résulteraient de l’application de la loi de l’offre et de la demande de devises devrait permettre de déterminer
les cours vrais du marché : ceux qui reflétant la santé économique du pays ( on devrait donc se rapprocher des
taux de PPA ) .
• dans le système de changes fixes mais ajustables , qui est celui issu de Bretton Woods , quand le décalage entre
le cours vrai de la monnaie et le cours administré est trop important les autorités finissent par décider un
réajustement monétaire ( dévaluation ou réévaluation ) . Mais durant la période intermédiaire , durant laquelle il
ne se passe rien , les spéculateurs qui anticipent le réajustement vont se déchaîner , ce qui va entraînait des
coûts pour la Banque Centrale , qui doit défendre sa monnaie . Au contraire , dans un système de change flexible
, la situation devrait se stabiliser et assurer un équilibre durable du marché monétaire . En effet , la tendance
normale pour réaliser un gain étant de vendre lorsque les cours sont élevés ( demande < offre entraîne une
baisse du cours de la devise ) , d’acheter lorsque les cours sont bas ( offre < demande , d’où une augmentation
du cours de la devise ); le taux de change devrait automatiquement revenir à son point d’équilibre : celui de PPA
.
• dès lors les banques centrales n’ont plus à détenir des réserves de change coûteuses et souvent insuffisantes
pour soutenir le cours de leur monnaie .
• le taux de change devient alors l’instrument principal de l’ajustement de chaque économie . En effet , quand le
pays connaît un déficit extérieur ( excédent ), on observe une demande excédentaire ( déficitaire ) de monnaie
étrangère qui entraîne une dépréciation ( appréciation ) de la monnaie nationale et améliore ( handicape ) sa
compétitivité-prix . Dès lors , les exportations augmentent alors que les importations sont handicapées , et la
Balance Commerciale excédentaire ( déficitaire ) .
• les changes flottants permettent donc d’assurer l’autonomie des politiques monétaires , qui n’ont plus désormais
à intervenir pour soutenir les taux de change , dans le cadre de marges préfixées . Le pays peut alors assigner sa
politique monétaire aux objectifs internes , puisqu’il n’a plus à assurer la stabilisation du taux de change .

b12 - Les raisons expliquant la globalisation financière .

Comme l’écrit J.ADDA dans « La mondialisation de l’économie » :


• « la relative stabilité des taux de change observée dans les années 50 et 60 correspond à une phase très
particulière de l’histoire financière :
- celle de la prépondérance d’un système de financement public et de la répression organisée de la finance
privée .
- De façon significative , elle est contemporaine de l’apogée du système de l’Etat-Providence dans la plupart
des nations occidentales , autrement dit d’un système où la logique de marché est largement encadrée par
les interventions publiques au quadruple niveau de la gestion conjoncturelle , de la concurrence et de la
formation des prix , de la distribution des revenus et de la protection sociale . ( ... )
- Ce keynésianisme à l’échelle internationale souffre cependant d’un défaut constitutif : l’absence d’instances
de régulation mondiale , susceptibles d’arbitrer entre les intérêts divergents des différentes unités
composant l’économie mondiale capitaliste , d’opérer des redistributions exigées tant par l’équité que le bon
fonctionnement de cette économie , de surveiller l’activité des firmes et des banques multinationales et de
promouvoir des politiques d’intérêt planétaire »
• Tout ceci va être remis en cause à partir des années 60 quand les EU opèrent une gestion égoïste du dollar , va
être aggravé par le développement des firmes multinationales et va recevoir le coup de grâce quand R.Reagan et
M.Thatcher seront élus au début des années 80 et appliqueront une révolution conservatrice qui sera à l’origine
des 3 D :

D é f in it io n : on doit distinguer :

• la désintermédiation : qui est le recours direct des opérateurs internationaux au marché


financier ( finance directe ) sans passer par les intermédiaires financiers et bancaires(
finance indirecte )
• du décloisonnement des marchés : qui correspond à l’abolition des frontières entre des
marchés qui jusque là étaient séparés : ouverture sur l’extérieur des marchés nationaux .
Mais aussi , on assiste à l’éclatement existant entre les différents marchés . Désormais les
marchés monétaires financiers des changes , à terme , ... sont interdépendants . Le système
financier international est donc devenu un méga marché de l’argent qui se caractérise par
une double unité : de lieu , grâce à l’interconnexion des places financières , de temps
puisqu’il fonctionne en continu .
• de la déréglementation : qui a été le moteur de la globalisation . En effet , c’est parce que les
autorités monétaires des principaux pays industrialisés ont aboli les réglementations qu’a pu
se constituer un marché mondial du capital .

C o n clu s io n : Le SFI devait selon ses promoteurs assurer :


• une meilleure circulation des capitaux ,
• une meilleure allocation de l’épargne
• et une diminution du coût du crédit ,
• ce qui devait accroître l’efficacité du capital et donc la croissance économique .

COMPLEMENT DE COURS N°2 LES MECOMPTES DU SMI ET DU SFI


a ) UN BILAN CRITIQUE DES CHANGES FLOTTANTS : LES VICES REELS L’EMPORTENT SUR
LES VERTUS THEORIQUES.

Un constat critique : Comme l’indique J.Adda :


• « le moins que l’on puisse dire au vu des variations considérables des principaux taux de change bilatéraux depuis 73
( exemple : la volatilité du DM par rapport au $ ) est que les vertus stabilisantes attendues des changes flottants sont demeurées
jusqu’ici fort discrètes.
• Loin d’avoir modéré l’instabilité intrinsèque du régime des changes flexibles, la spéculation rendue plus facile et plus puissante
que jamais par la globalisation financière l’a porté à son paroxysme,
• amenant les Banques Centrales les plus résolument monétaristes ( les plus favorables au nouveau système ) à intervenir sur les
marchés des changes pour tenter, de temps à autre, de ramener la parité des monnaies vers des niveaux plus conformes aux
données économiques fondamentales ( cf. PPA ).

Les explications : elles sont multiples :


• En pratique, 95% de la valeur des transactions réalisées sur les marchés des changes correspondent à des mouvements
financiers indépendants des opérations sur les biens et services ( le volume des opérations de change est 50 fois plus importants
que la valeur du commerce des biens et services, d’où selon D.Plihon : « un découplage croissant entre les activités financières
et l’économie réelle » ).
• Les phénomènes de surréaction des taux de change ( c’est-à-dire d’une réaction de taux de change excessive par rapport aux
facteurs qui l’ont suscité ou par rapport au taux de change d’équilibre de long terme ) et de bulles spéculatives ( la valeur des
titres et des monnaies augmente sans que la situation économique des pays concernés justifie cette envolée, puis s’effondre
lorsque se dégonfle la bulle, de façon disproportionnée : ex la crise mexicaine ) ont ainsi pu être expliqués par la déconnexion
croissante entre la sphère financière et l’économie réelle ( entre 80 et 88, le PIB des pays de l’OCDE a été multiplié par 1,95 ;
les flux commerciaux par 2, les flux d’investissements directs par 3,5 ; les flux financiers par le marché des changes par 8,5 ;
en 80, le rapport flux financiers / réserves de change des Banques Centrales était de 0,58 ; en 89, il est passé à 1,35 ). »
• J.Adda poursuit : « l’autonomie théoriquement restituée aux politiques monétaires par le flottement des monnaies suppose que
celle-ci puisse se désintéresser, à l’heure de la mondialisation d’une variable aussi stratégique que le taux de change. Or, les
fluctuations des taux de change affectent de multiple façon l’évolution économique :
- elles créent tout d’abord une incertitude majeure sur l’évolution des prix, des biens et des services en devises qui est
préjudiciable aux échanges avec l’extérieur
- elles affectent ensuite la compétitivité de l’offre nationale et donc l’activité et l’emploi
- elles se répercutent sur le niveau général des prix et peuvent ainsi contrarier la politique économique du gouvernement
- elles encouragent enfin les comportements spéculatifs qui se nourrissent de cette incertitude, concernant l’avenir en même
temps qu’ils l’entretiennent.
Conclusion : Pour toutes raisons, il est rare que le flottement des monnaies soit pur, autrement dit que l’autonomie de la politique
monétaire soit parfaite ».Mais :
• comme le constate D.Plihon, « le nouveau SFI est intrinsèquement instable, car il consacre la suprématie des forces du marché
sur les politiques économiques, désormais ce sont les marchés qui décident si les politiques économiques nationales sont
bonnes, les autorités monétaires ne peuvent plus grand chose pour défendre leur taux de change face à la spéculation » .
• Néanmoins, il ne faut pas en conclure que les autorités publiques sont totalement désarmées et sont condamnées à une stratégie
de laissez-faire laissez-passer . Elle dispose, en effet de marges de manœuvre non négligeables : l’impuissance sur laquelle elles
mettent l’accent, qui résulterait de la mondialisation, a pour objectif de se défausser de leurs erreurs ou leur incapacité sur un
deus ex machina « Autrement dit la mondialisation. »
ANNEXES
edonner vie à la préférence communautaire" (Nicolas Sarkozy, 29 mai 2005). "Renforcement du tarif extérieur commun" (Parti
socialiste, 1er juillet). "Taxer les entreprises qui délocalisent les emplois et taxer leurs produits lorsqu'elles les réimportent" (Ségolène
Royal, 13 octobre). "Un chemin équilibré entre protection et protectionnisme" (Nicolas Sarkozy, 9 novembre) ; étudier "le principe
d'une taxe carbone sur les importations de produits industriels en provenance des pays qui refuseraient de s'engager en faveur du
protocole de Kyoto" (Dominique de Villepin, 13 novembre). Il flotte décidément sur cette précampagne un étrange et consensuel
parfum de protectionnisme.

Qu'on nous comprenne bien : évoquer la rétorsion commerciale peut être nécessaire pour contrer des comportements déloyaux ou
pour amener tel ou tel partenaire à prendre sa juste part à la solution de problèmes globaux. Mais la fonction d'un scrutin présidentiel
est de fixer le cadre des politiques à venir. L'invocation répétée de solutions protectionnistes conforte l'opinion dans la croyance que la
réponse aux tensions suscitées par la mondialisation est dans la construction d'une ligne Maginot économique et installe l'idée que le
prochain président (ou présidente) aura pour mandat de l'édifier.
Ces propos répondent à une attente. Selon un sondage récent, les Français sont, parmi tous les Européens, les plus angoissés par la
mondialisation : 72 % y voient d'abord une menace pour l'emploi et les entreprises du pays. Pourtant, les partis de gouvernement
s'interdisaient jusqu'ici d'envisager en réponse un recours à l'attirail protectionniste, laissant ce thème à l'extrême droite et à
l'extrême gauche. Ils se gardaient de promouvoir des solutions dont la mise en oeuvre opposerait le pays à ses partenaires européens
ou le mettrait en contradiction avec ses engagements internationaux.
Ce n'est pas toujours par conviction que les dirigeants politiques français se retenaient de céder à la tentation. Notre classe politique
n'a jamais été adepte du libre-échange. Toutefois, l'engagement européen et les règles multilatérales faisaient office de surmoi. A
gauche, mais aussi à droite, la victoire du non au référendum a fait sauter le tabou européen et avivé la recherche de réponses
nationales. Quant aux digues multilatérales, elles viennent de céder avec la mise en sommeil des négociations à l'OMC et l'évolution
américaine. Les pointages indiquent que les nouveaux membres du Congrès sont plus isolationnistes que leurs prédécesseurs, qui
s'étaient déjà illustrés en bloquant des investissements étrangers et en montrant une grande réticence à ratifier des accords
commerciaux régionaux.
Tout est donc en place pour que le mouvement s'amplifie d'ici à l'élection présidentielle et le risque est réel que celle-ci soit l'occasion,
en France, d'un virage isolationniste. Une telle évolution serait très grave, pour plusieurs raisons.
Nous n'arrêterons pas, d'abord, la mutation mondiale qui s'est engagée. Celle-ci n'est pas affaire de règles commerciales mais
d'aspirations. La Chine, l'Inde et d'autres pays émergents veulent accéder à la prospérité économique et ont choisi pour cela de
s'inscrire dans la division internationale du travail. On peut critiquer leurs comportements sociaux ou environnementaux et leur
demander d'y mettre fin, vigoureusement si besoin. Mais ne croyons pas une seconde que l'élimination des pratiques contestables
changerait fondamentalement les termes de la concurrence mondiale. La montée de la Chine ne s'explique pas par la répression des
syndicats ou l'indifférence à l'égard des dégâts environnementaux. Propager cette idée entretient l'aveuglement.
Deuxièmement, les lignes Maginot ont toujours le même effet : créer l'illusion de la sécurité et retarder les vraies réponses.
Historiquement, le seul protectionnisme qui ait donné des résultats a été offensif, et tous les pays qui ont voulu s'abstraire des
changements du monde l'ont payé au prix fort. Suggérer que la réponse aux délocalisations est dans la protection, c'est faire croire
que la France pourra prospérer en conservant ses industries traditionnelles. Il suffit de regarder de l'autre côté du Rhin pour
comprendre combien c'est illusoire : depuis cinq ans, l'industrie allemande s'est profondément réorganisée sur la base d'une
délocalisation massive, bien plus rapide et prononcée qu'ici. Résultat : l'emploi industriel n'a pas souffert davantage, mais l'Allemagne
est redevenue le premier exportateur mondial.
Rappelons en outre que taxer à l'importation des produits qui ne sont plus fabriqués dans le pays a comme seul effet d'en faire
monter les prix ; et qu'interdire les délocalisations aux entreprises françaises leur ferait simplement perdre leur compétitivité par
rapport aux autres entreprises européennes qui y ont recours.
Troisièmement, le problème actuel de l'économie française n'est pas qu'elle importerait trop ou délocaliserait trop. Il ne réside pas
davantage dans le coût du travail ou dans le fardeau de l'euro. D'autres pays proches font mieux dans les mêmes conditions. Notre
problème tient à la dégradation de nos performances à l'exportation, faute d'une offre compétitive suffisante en qualité et en quantité
et d'efforts trop timides envers les nouvelles zones de croissance du monde. Pendant dix ans environ, ce problème a été masqué, par
la faiblesse de l'euro puis par les difficultés de l'Allemagne. Il apparaît en pleine lumière aujourd'hui. C'est ce problème qu'il faut
traiter, et rien dans l'attirail protectionniste n'y offre le début d'une réponse.
Quatrièmement, ce qui est un drame à l'échelle d'un territoire ne l'est pas à l'échelle du pays. Il faut aider les victimes de la
mondialisation, les indemniser, les requalifier, les réinsérer dans l'emploi, mais protéger des emplois condamnés aggrave le problème
au lieu de le résoudre. La disparition sur notre territoire des industries traditionnelles ou des hautes technologies d'hier focalise
l'attention, mais la France et l'Europe sont en fait mieux placées dans l'échange international que les Etats-Unis : elles exportent des
produits intensifs en capital que les pays émergents ne produisent pas en grandes quantités, et sont relativement faibles dans les
biens de consommation technologiques où ces pays concurrencent les Etats-Unis. Elles exportent donc des biens très demandés qui
bénéficient de la croissance mondiale et ont à gagner au processus de spécialisation internationale.
Il y a évidemment matière à débat sur la réponse à apporter aux mutations. Faut-il investir davantage de fonds publics dans la
recherche et l'enseignement, et comment obtenir ces fonds ? Pour stimuler l'innovation, faut-il plus ou moins de concurrence ? De
quels acteurs financiers avons-nous besoin pour faire naître des Google européens ? Faut-il déréglementer le marché du travail ? Peut-
on adapter en France le modèle danois de flexsécurité ? Faut-il accepter, et même favoriser, une concentration des activités sur le
territoire ? Comment remédier à l'absence de croissance des PME, autre particularité française ?
Pour des candidats soucieux de l'avenir, voilà de bons terrains d'affrontement entre visions et solutions. Mais de grâce, qu'ils nous
épargnent la dangereuse diversion protectionniste.

Patrick Artus, Elie Cohen, Jean Pisani-Ferry sont économistes et membres du Conseil d'analyse économique.
Article paru dans l'édition du 06.12.06.

Rocks below the surface

Nov 23rd 2006


From The Economist print edition

Democracies get rid of tariffs, but they may encourage subtler forms of
protectionism

LISTEN to the campaign rhetoric of America's victorious senators and congressmen (not recommended), and you might easily
conclude that bashing trade wins votes. Politically, the calculation looks easy. The benefits from freer trade are diffuse and the winners
do not always know in advance who they are. On the other hand, sheltered industries know precisely how much they stand to lose if
left bare and unaccommodated.

But look further afield and the affinity between open politics and open markets seems clear. As use of the ballot box has spread,
especially to poorer parts of the world, tariffs have fallen. In 1981, for example, the world had only about 40 democracies; and the
average tariff in developing countries was almost 30%. By 2003 the roll call of democracies had more than doubled and tariffs had
fallen by more than half.

Why? For one thing, voters are also consumers who do not like paying extra for imported goods. Democratic governments can
withstand some consumer disgruntlement, especially if it is too thinly spread to swing many votes. But autocracies need pay it no
heed whatsoever.

Voters are also workers. The poor countries, where many of the new democracies have flowered, are typically endowed with abundant
labour but scarce capital. If they cut themselves off from trade, manpower will be cheap relative to capital. The plutocrats who profit
from this economic isolation are the natural allies of autocratic government. Democracy, by contrast, enfranchises a wider circle of
people who stand to gain from selling their labour at something closer to world prices.

For both of these reasons, freer trade often follows freer elections. One recent estimate found that a transition from airtight autocracy
to full-throated democracy (in a hypothetical developing country of average size, income, and so on) yields a fall in tariffs of seven
percentage points, from about 22% to 15% or so. Indeed, Daniel Kono, of the University of California at Davis, claims this finding is
“among the most robust in the field of international political economy.”

But it may be less robust than it looks, he argues*. Democrats may shy away from simple tariffs, but they still bash trade by other
means. These include “safeguards” which pop up and down as imports surge and recede, and a bewildering array of sanitary and
“phytosanitary” standards aimed ostensibly at keeping out pests and disease. Russia, for example, imposed onerous inspections on
American poultry exporters, because it said their chicken legs, imported in great quantities after the arrival of democracy, might
contain salmonella. The European Union banned Mauritania's award-winning camel cheese because the camels were milked by a
pastoralist's hand, not by a gleaming machine.

By Mr Kono's reckoning, the transition from despotism to democracy results in lower tariffs but higher barriers of other sorts. Indeed,
the share of imports touched by quotas, antidumping duties and the like would rise by seven points, he finds. Moreover, the product
coverage of quality, health and safety controls would increase from less than 9% to more than a fifth.

The uses of obscurity

Tariffs may irk price-conscious consumers but at least they raise revenue for the public coffers. Why then do governments resort to
other kinds of barriers, such as quotas and “voluntary export restraints”, which impose costs on consumers without raising any duty?
Their appeal lies in their obscurity, Mr Kono argues. Politicians indulge in “optimal obfuscation”. They resort to trade barriers that
are difficult for voters to discern and tricky for political opponents to attack.

The burden of a tariff is easy to explain to the electorate: my opponent wants you to pay more for your milk and cars. Antidumping
duties are a more slippery target: dumping does not sound like something a responsible politician should favour. And campaigning
against health and safety standards can easily backfire: who wants to be in favour of drowning sea turtles in fishing nets so that
people can eat cheaper shrimp?

You may ask if such standards deserve to be attacked. If voters want to conserve sea turtles, ban shoddy imports and stamp out
salmonella, democratic politicians surely have a duty to respond. Perhaps these trade barriers simply reflect genuine consumer
concern. Perhaps. Mr Kono looks at several proxies for consumer sensitivities, including the stringency of a country's environmental
regulations, the purity of its water and the number of quality-marks its companies receive from the International Organisation for
Standardisation. Countries that fiercely enforce safety, greenery and quality at the border are not, he concludes, especially anxious to
enforce these things at home.

In other cases, however, governments have promised to fight dumping in order to win support for radical trade reform. Several of
Latin America's young democracies, for example, were keen to slash tariffs and peg their exchange rates to fight inflation. They
promised to defend companies against super-cheap imports as a way to sugar this free-trade pill. Mexico, for example, launched 83
antidumping investigations in 1993, more than any other country. But this was partly to shore up support for the North American
Free-Trade Agreement.

Trade is probably still freer under democracies than under the alternatives. It is just that this hunch, as Mr Kono shows, is more
difficult to prove than previous scholars had thought. Which is more damaging to trade: a tariff on Mexico's tuna or a demand that its
fishermen show greater courtesy to dolphins? The answer is obscure, optimally so

Les théories du commerce mondial


Sommaire

L'originalité du commerce international


La théorie traditionnelle : les nations diffèrent entre elles par les coûts de production
La R&D et l'innovation, facteurs explicatifs des échanges internationaux
La " nouvelle théorie " du commerce international
L'explication des échanges internationaux par les économies d'échelle et la différenciation du produit
Les politiques commerciale et industrielle stratégiques
par Michel Rainelli.

Pour tenter d'expliquer l'originalité du commerce entre les nations, de nombreuses théories spécifiques ont été élaborées depuis deux
siècles Les approches traditionnelles, dominées au XIXe siècle par l'analyse ricardienne et, au XXe siècle, par la théorie HOS
(Heckscher-Ohlin-Samuelson), ont été contestées dans les années 60 par les analyses centrées sur l'importance de la Recherche-
Développement et de l'innovation dans les flux commerciaux, puis, dès la fin des années 70, par les adeptes de la " nouvelle théorie "
du commerce international. Michel Rainelli présente ici de façon synthétique les fondements et limites de ces diverses théories, en
expliquant pourquoi celles-ci, aussi différentes soient-elles, parviennent à cohabiter.
L'explication des échanges commerciaux entre les nations relève, depuis David Ricardo, d'un champ d'analyse distinct des échanges
qui s'effectuent au sein d'un pays. Ainsi, au lieu de raisonner comme le fait la microéconomie sur un marché et d'expliquer comment
se forment les offres et les demandes, on explique, dans les théories traditionnelles, pourquoi les nations se spécialisent dans la
production d'une gamme de biens qu'elles produisent pour le marché domestique et qu'elles exportent, en échange d'une autre gamme
de biens, qu'elles importent. Si cette démarche a été retenue, c'est que la théorie économique est contrainte, pour des raisons de fond,
de singulariser les nations qui entrent dans les échanges internationaux. Les théories traditionnelles offrent, sur cette base, des
explications du commerce international, qui sont remises en cause tout d'abord en intégrant de nouveaux éléments explicatifs, comme
la R&D (Recherche et Développement) puis, en raison des caractéristiques des flux commerciaux contemporains, par les
développements de la " nouvelle " théorie du commerce international.

L'originalité du commerce international


Si le commerce entre les nations doit être expliqué avec des théories spécifiques, c'est parce qu'une hypothèse forte relative à la
concurrence, analysée du côté de la production, est posée dans les théories traditionnelles. Dans le modèle ricardien, les prix de
marché sont liés aux prix de production, eux-mêmes en étroite relation avec les valeurs travail des marchandises. Pour que cette
relation existe, il est nécessaire que les capitaux puissent librement entrer et sortir des branches de production, afin que les taux de
profit des différentes branches soient égaux au taux de profit moyen. Or, Ricardo, en 1817, pose comme préalable à la théorie du
commerce international que si les capitaux peuvent librement se déplacer au sein d'une nation, ils sont totalement immobiles
internationalement. La conséquence de ce préalable est que les prix internationaux doivent être déterminés selon des principes
différents de la valeur travail. Ricardo donne des justifications empiriques à cette hypothèse, fait appel à des faits d'expérience en
invoquant la répugnance des capitalistes à quitter leur patrie(1). Mais ces justifications sont en fait de peu d'importance : l'hypothèse
d'immobilité internationale des capitaux est nécessaire pour rendre compte des différences entre les nations, elles-mêmes à l'origine
des échanges internationaux. L'hypothèse d'immobilité internationale des capitaux devient essentielle tout simplement pour définir la
nation, qui est un espace au sein duquel les capitaux se déplacent sans entraves.
La théorie HOS (Heckscher-Ohlin-Samuelson)(2) repose sur une théorie de la valeur distincte de celle de Ricardo, puisqu'elle s'insère
dans l'analyse néoclassique. Les différences essentielles de l'analyse tiennent d'une part à la référence au lien entre la rareté et les prix,
et à une nouvelle conception de la production. En effet, la production n'est plus analysée à partir du seul travail, mais comme résultant
de la combinaison de facteurs de production, en général le travail et le capital. De la même façon que chez Ricardo, les échanges
internationaux sont spécifiques, cette fois parce que le capital et le travail sont tous deux parfaitement mobiles au sein de la nation et
totalement immobiles entre les pays.
Ainsi, les deux analyses fondatrices de la théorie du commerce international, grâce à une hypothèse fondamentale identique, peuvent
raisonner sur des nations distinctes les unes des autres et qui sont les agents particuliers qui entrent dans les échanges internationaux.
Ces théories vont se séparer sur les variables expliquant les échanges internationaux.

La théorie traditionnelle : les nations diffèrent entre elles par les coûts de production
Ricardo propose une explication du commerce international reposant sur un nouveau concept, les avantages comparatifs, qui est
exposé grâce à un exemple numérique. Ricardo considère deux nations, l'Angleterre et le Portugal, qui produisent deux marchandises,
le drap et le vin. Les conditions de production, décrites par les coûts unitaires de production mesurés en unités de travail(3), sont
différentes dans les deux pays, de façon telle que les coûts unitaires de production sont plus faibles, pour les deux biens, au
Portugal(4). Supposons que les heures de travail nécessaires pour produire du drap et du vin, au Portugal, soient, respectivement, 2 et
1 et, en Angleterre, 3 et 9. Une analyse fondée sur les coûts absolus, comme celle d'Adam Smith, conduirait à considérer que seul le
Portugal peut exporter. Or Ricardo montre que ce sont les coûts relatifs qui doivent être considérés. Si les deux pays entrent dans
l'échange international, ils peuvent se spécialiser, c'est-à-dire réorienter leurs productions en sacrifiant des unités du bien produit
relativement plus cher qu'à l'étranger. Ainsi, pour chaque unité de drap abandonné, le Portugal peut produire deux unités de vin ; dans
le même moment, l'Angleterre s'abstenant de produire une unité de vin peut disposer de trois unités de drap supplémentaires. Lorsque
les deux nations s'ouvrent aux échanges internationaux, elles peuvent donc se spécialiser et les consommateurs pourront alors
disposer de quantités supplémentaires des deux marchandises. Pour que ce résultat soit obtenu, il est nécessaire que le prix relatif
auquel s'effectue le commerce international soit compris entre les rapports d'échange qui prévalent en économie fermée. En autarcie,
au Portugal, deux unités de drap s'échangent contre une unité de vin, soit un prix relatif du drap par rapport au vin de deux ; en
Angleterre, une unité de drap s'échange contre trois unités de vin, soit un prix relatif du drap par rapport au vin de un tiers. Si
l'échange international s'effectue avec un prix relatif du drap par rapport au vin de un, par exemple, l'échange est profitable pour les
deux pays(5).
La théorie de Ricardo offre donc une analyse du commerce international originale, qui montre la supériorité de l'échange
international sur l'autarcie et qui explique la spécialisation internationale par le principe des avantages comparatifs. Elle souffre
cependant de deux faiblesses : d'une part, les différences dans les techniques de production sont données et non expliquées, le prix
relatif des échanges internationaux est borné (il se situe entre les prix relatifs d'autarcie), mais il n'est pas précisément déterminé, de
l'autre.

Le modèle HOS par Michel Rainelli.


Il s'agit, dans un premier temps, de deux exposés littéraires, dus à Heckscher, dans un article paru en suédois en 1919 et traduit en
anglais seulement trente ans plus tard, et à Ohlin, dans un ouvrage paru en anglais en 1933. La composition du commerce
international y est expliquée à partir d'un nouveau concept, celui d'" abondance relative d'un facteur de production ", qui va être à
l'origine de l'avantage comparatif. Pour préciser cette idée, spécifions un cadre de raisonnement simplifié ; soit deux pays, A et B,
deux biens, les automobiles et le textile, deux facteurs de production, le travail et le capital. Rappelons que cela n'est que le modèle de
base qui peut être étendu à un nombre quelconque de biens et de facteurs, la seule contrainte étant l'utilisation d'au moins deux
facteurs de production. Il est nécessaire d'introduire une spécification supplémentaire à propos des facteurs de production dans le
modèle simplifié : leurs quantités disponibles doivent être données et définissent ce que l'on nomme la dotation factorielle d'une
nation. Les deux nations sont identiques en tout point, sauf pour les dotations factorielles qui seront à l'origine de l'échange. Les deux
biens sont en effet produits selon une technique qui est différente pour l'automobile et le textile, mais identique pour chacun des biens
en A et B. La technique de production est caractérisée par l'intensité en capital par rapport au travail, l'intensité factorielle. Il en
résulte une correspondance entre les caractéristiques de la nation (sa dotation factorielle) et sa spécialisation dans le bien dont
l'intensité factorielle est compatible avec la dotation factorielle.
Pour dire les choses autrement, supposons que A est relativement bien doté en capital et B en travail ; supposons par ailleurs que la
production d'automobiles nécessite une forte intensité relative en capital, celle de textile en travail. Selon le théorème d'Heckscher-
Ohlin, chaque pays a une production orientée vers la marchandise qui utilise de manière intensive le facteur dont il est bien doté et il
tend à l'exporter. Ainsi A exportera des automobiles, B du textile et, bien sûr, chaque pays importera le bien produit par l'autre. Cette
approche a une parenté certaine avec celle de Ricardo mais elle en diffère aussi, à la fois par la volonté d'expliquer l'origine de
l'avantage comparatif (simplement constaté chez Ricardo) et par la théorie de la production qui la sous-tend puisque sont introduits
deux facteurs de production substituables.
Dans un deuxième temps, qui commence avec l'article de Stolper-Samuelson de 1941 et qui peut être considéré comme achevé avec
celui de Rybczynski de 1956, va être construit un corps théorique formalisé constituant le modèle de base HOS autour de trois
nouveaux théorèmes concernant principalement le prix des facteurs. Cet achèvement va produire des effets contradictoires en
éliminant les faiblesses d'un raisonnement insuffisamment rigoureux, mais en abandonnant certaines intuitions d'Ohlin qui ne
trouvent pas place dans une formalisation nécessairement réductrice. C'est ce modèle qui va être l'objet d'approfondissements
nombreux : introduction de la mobilité des facteurs de production, prise en compte de liens non échangés internationalement,
raisonnement intégrant les biens intermédiaires... Il constitue la référence de ce que l'on considère comme la théorie " moderne " du
commerce international.
La théorie HOS repose sur une représentation différente de l'activité économique, comme nous l'avons vu. La nation y est définie
comme un bloc de facteurs de production, parfaitement mobiles entre les secteurs et immobiles entre les pays ; le modèle de base est
développé dans le cas de deux pays, deux biens, deux facteurs de production, par exemple le capital et le travail. Contrairement à la
théorie de Ricardo, les deux nations peuvent accéder aux mêmes fonctions de production pour produire les deux biens ; ces fonctions
sont telles que l'un des deux biens, disons le drap, utilise plus intensivement le capital que le travail. La différence entre les nations
réside alors dans leurs dotations relatives en facteur de production : supposons que l'Angleterre, pour garder les mêmes références que
précédemment, est relativement bien dotée en capital par rapport au travail. Plusieurs conséquences découlent des différences dans les
dotations factorielles relatives, en autarcie :
• l'Angleterre a une production biaisée en faveur du drap, même si elle produit les deux biens ; l'inverse vaut pour le Portugal ;
• les prix relatifs des deux biens sont donc distincts dans les deux pays : le prix relatif du drap par rapport au vin est plus faible
en Angleterre qu'au Portugal ;
• en raison du lien existant entre l'abondance d'un facteur et sa rémunération, le taux de profit en Angleterre est plus faible qu'au
Portugal, alors qu'une hiérarchie inverse s'établit pour le taux de salaire.

Les deux pays se spécialisent dans le bien dont la production utilise intensivement le facteur de production dans lequel ils sont
relativement bien dotés, l'Angleterre dans le drap, le Portugal dans le vin : une nation a un avantage comparatif pour le bien qui
utilise intensivement le facteur de production dont il est relativement bien doté. Le prix relatif auquel s'effectue l'échange
international est déterminé dans ce modèle, puisque les dotations factorielles, par l'intermédiaire des fonctions de production,
déterminent les fonctions d'offre qui rencontrent, sur le marché international les fonctions de demande. Comme dans le modèle
ricardien, c'est la différence entre les prix relatifs d'autarcie et le prix relatif sur le marché mondial qui est à l'origine des gains des
nations lorsqu'elles s'ouvrent au commerce international.
Les analyses de Ricardo et d'HOS constituent la théorie traditionnelle du commerce international. Elles reposent, du moins dans leurs
versions de base, sur des hypothèses communes fortes : les marchés des facteurs de production comme ceux des produits sont en
concurrence parfaite ; la production se fait avec des rendements d'échelle constants. Ces deux théories, et surtout celle d'HOS ont fait
l'objet de tentatives de vérification empiriques, en général décevantes, qui ont conduit, dans les années 60, à explorer de nouvelles
voies d'explication, à commencer par le rôle que peuvent jouer les dépenses de R&D dans la création des flux commerciaux.

La R&D et l'innovation, facteurs explicatifs des échanges internationaux

Dans les années 60, le progrès technique devient un thème de recherche important pour l'étude du commerce international : jusque-là,
les modèles développés sont essentiellement statiques, même si des tentatives d'introduction de le croissance dans le modèle HOS ont
été proposées. C'est en 1961 que Michael Posner développe une analyse radicalement nouvelle, centrée sur le changement
technique(6). L'idée initiale consiste simplement à étendre à la sphère internationale les conséquences des activités de R&D des
firmes : une firme innovatrice bénéficie, pendant une période plus ou moins longue, d'un monopole dans la production du bien
nouveau. Si ce bien est consommé à la fois par des résidents du pays d'origine et par des consommateurs localisés à l'étranger, un flux
d'exportations est créé qui ne disparaîtra que lorsque les firmes étrangères auront réussi à mettre au point un produit concurrent. Le
déterminant de ce commerce est " l'écart technologique ".

Trois conséquences découlent de cette nouvelle perspective :


• l'accent est mis sur les firmes et sur leurs stratégies, plus que sur les caractéristiques nationales comme les dotations
factorielles ;
• les déterminants des flux commerciaux ne sont pas stables dans le temps ;
• la théorie n'explique qu'une partie des échanges internationaux : parallèlement aux exportations des biens " high tech ", il existe
un commerce de biens banalisés qui peut être expliqué par les approches traditionnelles.
Des travaux ultérieurs ont prolongé cette approche, notamment sous l'influence de Raymond Vernon et de la théorie du " cycle de vie
" du produit exposée en 1966 (7). Vernon enrichit la perspective de Posner en s'interrogeant sur la nature des innovations qui
apparaissent aux États-Unis et en considérant les stratégies des firmes tout au long de la durée de vie économique du produit. Selon
Vernon, les firmes américaines de l'industrie présentent, jusqu'en 1970, une séquence d'insertion sans les échanges internationaux qui
peut être résumée en quatre étapes :
• le produit nouveau, produit en petites séries, est vendu exclusivement aux États-Unis à un prix élevé ;
• le début de la standardisation fait baisser le prix de vente et des exportations destinées à des consommateurs étrangers à niveau
de revenu élevé apparaissent et se développent ;
• l'apparition de concurrents étrangers conduit les firmes américaines à aller produire à l'étranger, en substituant la production à
l'étranger du bien maintenant banalisé aux exportations ;
• le déclin de la demande aux États-Unis conduit les firmes à arrêter la production du bien sur le territoire américain ; la
demande résiduelle est satisfaite par des importations en provenance des filiales à l'étranger.
L'analyse initiale de Vernon repose sur une hiérarchie internationale des coûts de production qui fait des États-Unis, jusqu'en 1970, le
pays où les coûts salariaux sont les plus élevés, en même temps que le revenu par tête est le plus important. Cette double
caractéristique modèle la nature des innovations qui sont à la fois intensives en capital et qui concernent des produits destinés à une
clientèle peu sensible aux prix. Les modifications ultérieures de l'environnement international ont conduit Vernon à adapter sa
théorie, par exemple pour caractériser les innovations des firmes japonaises et européennes et décrire les nouvelles caractéristiques du
cycle de vie des produits naissant au sein de ces firmes.
Le thème du changement technique comme facteur déterminant une partie des échanges internationaux continue d'être exploré, avec
des progrès significatifs, à la fois dans l'analyse économique elle-même, mais aussi dans les travaux économétriques qui valident les
propositions théoriques(8). Cependant, ce thème reste relativement marginal par rapport à de nouvelles analyses qui sont apparues dès
la fin des années 70.

La " nouvelle théorie " du commerce international


La " nouvelle théorie " du commerce international ne correspond pas à un corps d'analyse unifié, mais plutôt à un ensemble de
travaux, de modèles développés par différents auteurs qui s'éloignent radicalement des principes retenus par la théorie traditionnelle.
L'origine de ce courant est double.

D'une part, l'écart considérable entre les prédictions de la théorie traditionnelle et les constatations empiriques doit conduire à
remettre en cause les idées antérieures. Elhanam Helpman et Paul Krugman, en 1985, considèrent ainsi que trois caractéristiques
importantes du commerce international contemporain ne sont pas expliquées par la théorie traditionnelle :
• les échanges internationaux se développent le plus rapidement entre les pays les plus développés, qui présentent des dotations
factorielles très voisines, contrairement aux attentes de la théorie HOS ;
• le commerce intrabranche constitue une part significative et en croissance des échanges internationaux qui ne peut être
expliquée ni par la théorie ricardienne ni par la théorie HOS ;
• au sein de la théorie traditionnelle, les firmes multinationales ne peuvent exister, or elles sont à l'origine d'une part importante
des échanges entre nations(9). La nécessité de proposer une explication de ces trois phénomènes, au sein d'une théorie du
commerce international construite sur des bases différentes de l'ancienne est donc de plus en plus ressentie.
D'autre part, les développements de l'économie industrielle et de la microéconomie de la concurrence imparfaite ont conduit à
considérer les marchés oligopolistiques comme le cas général. Comme l'indique Krugman, il était paradoxal de traiter le commerce
international avec une théorie reposant sur des hypothèses de concurrence, alors que les secteurs industriels qui sont à l'origine de
l'essentiel de ce commerce sont analysés comme des oligopoles dans des études d'économie industrielle (10). La nouvelle théorie
propose une analyse qui s'est développée dans deux directions : les échanges internationaux et la politique commerciale.
L'explication des échanges internationaux par les économies d'échelle et la différenciation du produit
L'hypothèse de rendements d'échelle constants implique que la spécialisation internationale n'est déterminée que par des différences
internationales des techniques de production (théorie ricardienne) ou dans les dotations relatives de facteurs de production (la théorie
HOS). La nouvelle théorie reprend des idées exposées dans les années 20 et 30, en montrant comment des avantages découlant de la
production à grande échelle peuvent expliquer certains échanges internationaux.
Lorsqu'existent des économies d'échelle internes à la firme (le coût unitaire de production diminue lorsque la taille de la firme
augmente), la concurrence disparaît. Si ces économies sont continues, le marché est en situation de monopole. Helpman et Krugman
traitent cette forme de marché dans le contexte particulier du monopole contestable (la firme installée peut voir sa position contestée
par un entrant potentiel et la firme installée fixe le prix à un niveau égal au coût moyen)(11). Supposons que deux pays, A et B soient
identiques en tous points, sauf pour le taux de salaire, plus élevé en A qu'en B ; le coût moyen de production du monopole contestable
qui produit le bien x est donc plus élevé en A. L'ouverture au commerce international des deux pays conduit à la disparition de la
firme localisée en A. Celle du pays B est la seule à approvisionner les deux pays et, en raison des économies d'échelle interne, le prix
d'équilibre avec échanges internationaux s'établit à un niveau inférieur aux deux prix d'autarcie. Si tous les marchés sont des
monopoles contestables, la spécialisation internationale est totale : chaque bien n'est produit que par une seule firme.
Les économies d'échelle externes à la firme mais internes au secteur sont compatibles avec la persistance de la concurrence : le coût
unitaire de production dépend alors de la taille du secteur. L'existence de telles économies a pour effet de favoriser, toutes choses
égales par ailleurs, les nations qui produisent des volumes importants. Ainsi, une nation entrée la première dans la production d'un
bien ne pourra pas être concurrencée par une autre, avantagée par un taux de salaire plus faible, mais qui ne peut accéder à un niveau
de production suffisant pour bénéficier des économies d'échelle.
Trois conséquences importantes découlent de cette situation :
• la taille du marché intérieur d'une nation peut, en présence d'économies d'échelle externes, être un facteur explicatif du
commerce international ;
• les spécialisations internationales résultant des économies d'échelle externes sont stables, même si les avantages comparatifs se
modifient ;
• des " accidents historiques " conduisant à la production d'un bien dans un pays donné peuvent expliquer les flux commerciaux
internationaux. Les tentatives de vérification de la portée explicative de cette analyse sont difficiles ; des travaux récents
suggèrent que les rendements croissants pourraient jouer un rôle significatif pour seulement un tiers des industries(12)
La nouvelle théorie couple les économies d'échelle avec la différenciation du produit : les modèles de différenciation proposés
supposent l'existence de coûts fixes, ce qui implique une relation décroissante entre le coût unitaire et les quantités. L'intérêt essentiel
de la différenciation est sa capacité à expliquer la coexistence d'importations et d'exportations dans une même branche. Ainsi, par
exemple, les consommateurs ont un goût pour la variété qui est satisfait par les productions étrangères. Cependant, la mise en oeuvre
de la différenciation conduit à distinguer la différenciation verticale, qui porte sur des produits de même qualité, de la différenciation
horizontale, pour laquelle les produits sont de qualité différente. Le critère de distinction usuel est le rapport des valeurs unitaires des
exportations et des importations : si celles-ci diffèrent de moins de 15 %, la différenciation est horizontale, au delà elle est verticale.
C'est ainsi que les travaux contemporains tendent à distinguer trois types de flux commerciaux : le commerce traditionnel, ou encore
univoque, le commerce croisé de produits similaires et le commerce croisé de produits différenciés verticalement (13). Cependant,
alors même que les modèles proposés paraissent correspondre aux modalités contemporaines de la concurrence, leur pouvoir
explicatif demeure décevant(14).

Les politiques commerciale et industrielle stratégiques


La nouvelle théorie a également développé une analyse originale de la politique commerciale, qui n'a été défendue que pendant une
durée assez brève. La théorie traditionnelle montre, lorsque la concurrence est parfaite, que le libre-échange est optimal ; la nouvelle
théorie, reposant sur une analyse en termes de concurrence imparfaite, développe au contraire des justifications fortes à une
intervention publique par le biais de politiques industrielle ou commerciale.

C'est un article de James Brander et Barbara Spencer qui marque la naissance de la nouvelle théorie du protectionnisme(15). Les
auteurs envisagent le cas particulier d'une firme domestique qui entre en concurrence de Cournot avec une firme étrangère sur un
marché tiers où il n'existe pas de producteur autochtone. Les firmes ont des dépenses de R&D qui conduisent à une diminution de
leurs coûts de production ; ces dépenses peuvent être subventionnées par les pouvoirs publics du pays domestique. Cette politique
industrielle permet d'abaisser le coût de production de la firme en dessous de celui de sa rivale et donc de modifier l'équilibre atteint
sur le marché tiers. Le niveau optimal de subvention est celui qui permet de passer d'un équilibre de Cournot (sans intervention
publique) à un équilibre de Stackelberg où la firme domestique est leader, ce qui accroît son profit. Cette situation est décrite comme
l'" extraction d'une partie des rentes d'oligopole de la firme étrangère "(16).
Dans le prolongement de ces résultats, de nombreux travaux vont s'intéresser à la description de cas où l'intervention des pouvoirs
publics, au moyen d'une politique commerciale ou d'une politique industrielle peut conduire à améliorer la situation d'une firme
nationale, ou à lui permettre d'entrer sur un marché dans lequel, sans intervention publique, elle ne pourrait obtenir un profit positif.
De telles formalisations sont apparues comme pertinentes pour décrire, par exemple, le cas de l'industrie aéronautique avec la rivalité
entre Airbus et Boeing. Cependant, les premiers enthousiasmes à l'égard de cette approche vont rapidement être tempérés ; d'une part,
les résultats obtenus ne sont pas robustes : la modification des hypothèses de comportement des firmes remet en cause les modalités de
l'intervention publique. D'autre part, les tentatives pour chiffrer les gains résultant d'une politique activiste ont conduit à relativiser
son intérêt. Krugman, dans un article célèbre paru en 1993, considère, tous comptes faits, que le libre-échange demeure la politique
optimale(17).
Ainsi, les apports de la nouvelle théorie, s'ils sont indéniables sur le plan conceptuel, parce qu'ils permettent de raisonner sur des cas
généraux et non plus limites, n'ont pas encore fait l'objet de vérifications empiriques probantes. De ce point de vue, la faiblesse de la
nouvelle théorie renvoie à celle de la théorie traditionnelle.
Source :Les cahiers français, n° 299 , Auteur : Michel Rainelli (LATAPSES-IDEFI CNRS et Université de Nice Sophia-Antipolis) .
Les " sept mots " du commerce mondial contemporain
Sommaire

Dynamisme
Interdépendances
Polarisation
Asymétries
Constat n°1 : Asymétrie Nord-Sud dans le commerce des matières premières
Constat n°2 : Asymétries Nord-Sud dans le commerce des produits manufacturés
Constat n°3 : Asymétrie des types de spécialisation
Vulnérabilité
Mutations
L'avènement des nouveaux pays industrialisés d'Asie sur la scène internationale
Le difficile cheminement de la transition
Tertiarisation
Conclusion : structures et pouvoirs
Pour en savoir plus par Lahsen Abdelmalki, René Sandretto.

Quelles sont les principales évolutions des structures du commerce mondial au cours du dernier quart de siècle ? Lahsen Abdelmalki
et René Sandretto distinguent ici sept caractéristiques majeures (essor des échanges, interdépendances croissantes, hiérarchisation et
polarisation renforcées, asymétries, notamment Nord-Sud, vulnérabilité des pays du Sud, avènement de nouveaux pays industrialisés,
tertiarisation) qui, si elles reflètent à la fois certaines permanences et de profonds bouleversements, permettent de tirer quelques
enseignements, en particulier sur les racines de l'infléchissement des rapports de pouvoir à l'avantage des pays industrialisés.
Les données statistiques relatives aux échanges internationaux mettent en évidence quelques caractéristiques majeures du réseau du
commerce mondial qui témoignent à la fois de certaines permanences et des profonds bouleversements qui ont affecté les courants
commerciaux et les spécialisations de différents pays (ou groupes de pays) au cours du dernier quart de siècle.
En allant à l'essentiel, sept traits principaux nous semblent pouvoir être distingués.

Dynamisme
L'essor irrésistible du commerce international est assurément l'un des traits dominants de l'économie mondiale dans la seconde moitié
du XXe siècle. Sur toute la période, la croissance des échanges est restée largement supérieure à celle de la production. Le commerce
extérieur a ainsi joué le rôle de locomotive de la croissance économique mondiale.
Au cours des trente glorieuses, la valeur des exportations de biens a été multipliée par 21,5. En volume, les échanges ont été
multipliés par 5 environ. Les difficultés économiques du dernier quart de siècle ont infléchi le rythme de progression du commerce
mondial, sans remettre en cause cette dynamique (fig. 1).

À la faible croissance du commerce au début des années 80 (régression en volume en 1982) liée à la stagnation de l'activité
économique à l'échelle mondiale a fait place une reprise des exportations que la quasi-stagnation économique entre 1991 et 1993 n'a
pas interrompue. L'écart entre les rythmes de croissance du commerce et de la production s'est ainsi considérablement accentué par
rapport à ce qu'il était au cours des quatre décennies précédentes. Cette tendance persistante suggère que la globalisation de
l'économie et le renforcement des interdépendances qui l'accompagne se sont poursuivis à un rythme soutenu.
De manière permanente au cours des dernières décennies, ce sont les exportations de produits manufacturés qui ont connu le plus
grand dynamisme.

Interdépendances

De la tendance qui précède, résulte une conséquence arithmétique directe : tous les pays, pratiquement sans exception, sont de plus en
plus extravertis et se trouvent plus ou moins fermement arrimés au mouvement de globalisation. La facette commerciale de la
globalisation consiste en une intensification des interdépendances, que l'on peut schématiquement mesurer par deux ratios :
• le " coefficient de dépendance ", rapport entre les importations et le PIB qui exprime la dépendance du pays relativement aux
approvisionnements externes ;
• le " coefficient d'ouverture sur l'extérieur ", rapport entre les exportations et le PIB qui mesure la dépendance du pays
relativement aux débouchés extérieurs (fig. 3).
La croissance des échanges et le renforcement des interdépendances internationales n'ignorent pas tout à fait les contextes nationaux,
comme on peut le constater pour le Japon et l'Allemagne. Ces deux pays, traditionnellement considérés comme les champions du
commerce extérieur, accusent avec un décalage d'un an un retournement de leurs performances commerciales. Les exportations
japonaises ont reculé de 8,0 % en 1998 alors que celles de l'Allemagne progressaient de 6,0 %. En 1999, les exportations japonaises
rebondissent de +8 % alors que celles de l'Allemagne s'affaissent à 0 %. La désynchronisation des conjonctures nationales explique
ces amples variations : la forte reprise de l'activité économique dans la zone asiatique a tiré les exportations du Japon en 1999, malgré
l'atonie persistante de l'économie japonaise, tandis que l'appréciation du taux de change effectif réel du dollar vis-à-vis du yen entre
1996 et 1998 a facilité les exportations japonaises vers le marché en forte expansion des États-Unis. La stagnation des exportations
allemandes en 1999 s'explique à la fois par un effet volume : le ralentissement de l'activité économique en Europe occidentale en 1999
(qui a freiné la progression des débouchés intracommunautaires) et par un effet prix : l'affaiblissement de l'euro a conduit à une baisse
des prix à l'exportation en dollars non compensée immédiatement par une expansion suffisante des ventes dans la zone dollar.

Polarisation
Le caractère hiérarchisé et fortement polarisé des échanges représente l'une des permanences (ce qui ne signifie pas invariance) du
commerce mondial. Il est même remarquable d'observer que la part des pays en voie de développement (PVD) dans le commerce
mondial est rigoureusement la même aujourd'hui qu'il y a un demi-siècle. Ce fait est important car il conduit à s'interroger de nouveau
sur la relation existant entre ouverture internationale et performances commerciales. Si les PVD ont fourni des efforts considérables
pour s'ouvrir, la plupart d'entre eux étant d'ailleurs membres de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), il ne semble pas qu'ils
aient tous été payés en retour à la hauteur des sacrifices qu'ils ont consentis. Les pays développés à économie de marché (PDEM), en
revanche, confortent leur part dans les échanges mondiaux, en partie en grignotant sur celle des pays en transition (fig. 4).

Il serait cependant simplificateur de réduire la hiérarchie internationale à une opposition entre le " Nord " et le " Sud ". Les évolutions
des dernières années se traduisent aussi par une redistribution des cartes au sein même de ces deux grandes zones. Sur le long terme
(1955-1999), au sein de la zone " Nord ", le fait le plus marquant est le recul du Royaume-Uni au bénéfice de l'Allemagne et du Japon
devenus respectivement deuxième et troisième dans le classement par pays. Si l'on raisonne en considérant l'Union européenne
comme une même entité commerciale (ce qu'elle est effectivement), celle-ci surclasse les États-Unis, le Japon et le Canada formant le
peloton des suiveurs immédiats
Parmi les PVD, expression du coup de moins en moins pertinente pour qualifier les pays considérés, les pays dynamiques d'Asie
(PDA) de la première heure (appelés aussi " Nouveaux pays industriels " ou " Dragons ") occupent les six rangs suivants en
compagnie du Mexique, sous la conduite de la Chine (cinquième mondial).
Les dernières décennies montrent donc de profondes modifications de la hiérarchie des puissances commerciales. Plusieurs
phénomènes devraient logiquement prolonger et accentuer ces changements au cours des toutes prochaines années. D'une part, en
renouant avec une croissance forte et, semble-t-il, durable depuis la fin de 1998, et en se préparant à intégrer plusieurs pays d'Europe
centrale et orientale (PECO), l'Union européenne est appelée à renforcer dans l'avenir sa position dans le commerce mondial. D'autre
part, portées par une ouverture croissante du pays ainsi que par une vague accélérée d'investissements directs étrangers, la poursuite
de la croissance des exportations de la Chine devrait rapidement faire accéder ce pays au quatrième rang mondial au détriment du
Canada.
Cette polarisation des échanges ne se limite pas aux échanges de marchandises. Les flux commerciaux semblent s'inscrire dans un
mouvement d'ensemble qui met en jeu solidairement les investissements internationaux et la formation d'avantages comparatifs de
zone. Concrètement, les trois composantes de la " triade ", c'est-à-dire l'Union européenne, les États-Unis et l'Asie en croissance
rapide (Japon et NPI) concentrent les trois-quarts du commerce international et simultanément les deux tiers des investissements
directs à l'étranger (IDE) (fig. 6).

Les analyses modernes de la compétitivité aident à mieux comprendre ce phénomène de polarisation concordante des flux. Elles
montrent notamment pourquoi les économies développées et en développement sont prises dans des dynamiques économiques
différenciées et " irréversibles " qui creusent les écarts en matière de performances commerciales du fait de la disparité des
propensions à innover (voir l'encadré p. 18).
La polarisation des échanges se traduit également par le fait que, dans leur ensemble, les pays développés commercent principalement
entre eux, alors que les pays du Sud commercent surtout avec le Nord et relativement peu entre eux. Autrement dit, le Nord est
important pour le Sud, alors que le Sud l'est moins pour le Nord. Ce constat doit cependant être nuancé. Bien qu'il décrive toujours la
réalité des flux, il se vérifie moins nettement aujourd'hui que ce n'était le cas vingt ans auparavant. D'une année sur l'autre, les
échanges Sud-Sud se densifient ainsi que les échanges du Nord avec les pays émergents. C'est le cas tout particulièrement du Japon
qui commerce largement avec les pays d'Asie du Sud et du Sud-Est. Cet espace particulier est le lieu de déploiement de la Division
asiatique du travail (DAT) qui offre l'opportunité aux firmes japonaises de réaliser sur site une part croissante des produits qu'elles
réexportent ensuite sous le label " Made in Japan " vers le reste du monde.
De manière générale, quelle que soit la composante de la Triade, une part significative des échanges est réalisée avec des économies
émergentes. Plus ouverte globalement que les deux autres pôles, l'Union européenne l'est également plus sur les pays émergents. Par
exemple, son degré d'ouverture vis-à-vis de ces pays, mesuré par les exportations en proportion du PIB, est presque deux fois plus
élevé que celui des États-Unis. Il existe, cependant, des différences considérables dans la répartition géographique de ces échanges. Si
les États-Unis sont surtout tournés vers l'Amérique latine et l'Asie, l'Union européenne l'est davantage vers les économies européennes
en transition (et accessoirement vers l'Afrique). La conséquence la plus importante est que chacun des " trois blocs " n'est pas exposé
aux mêmes chocs externes liés aux échanges commerciaux (tableau 7 ci-après).

Formes anciennes et formes nouvelles de la compétitivité


La compétitivité-prix, celle qui s'exprime dans la hiérarchie des prix au sein d'une même branche, est la dimension la plus connue de
la compétitivité internationale. Elle intègre les coûts de production et leur structure, ainsi que divers déterminants en amont de ces
coûts, ceux notamment qui ont trait à la politique sociale. Elle tient compte aussi des profits des producteurs et des marges
commerciales des commerçants. Elle tient compte, enfin, des manipulations de change.
Cependant, l'observation des tendances du commerce international à long terme montre que la compétitivité-prix ne permet pas de
rendre compte précisément de la géographie des performances commerciales internationales. Certains pays ont ainsi des avantages en
termes de coûts et de prix relatifs sans enregistrer des excédents en rapport avec ces avantages. D'autres, à l'inverse, peuvent avoir des
prix et des coûts plus élevés et accumuler des excédents, tout en attirant capitaux et producteurs étrangers. Ce phénomène est qualifié
de " compétitivité hors-coûts ".
Les économistes appréhendent ce phénomène technologique - assimilable au résidu de Solow - de diverses manières. Dans la tradition
libérale, on l'associe au degré et à la nature de la spécialisation internationale, à la mobilité du capital et aux transferts de technologie.
La tradition évolutionniste souligne à l'inverse le rôle de l'innovation, vecteur principal du progrès économique.
Plus récemment, les économistes " spatialistes " se sont intéressés à la relation entre firmes et territoires. La démonstration proposée
conduit à établir que la recherche de l'efficience productive pousse les entreprises à privilégier, comme lieux de localisation, les
territoires offrant des attraits sous l'angle de la qualité de la main-d'oeuvre, de l'état des infrastructures, de la proximité aux
laboratoires de recherche, et à délaisser ceux qui présentent les avantages compétitifs classiques de nature sociale ou fiscale. Ce qui
importe pour une firme, comme pour une économie dans son ensemble, ce n'est pas la performance des facteurs, travail ou capital,
considérés isolément. La qualité de la combinaison des facteurs, c'est-à-dire la qualité de l'organisation, l'emporte sur leur
performance et leur coût relatifs. Cette perspective rejoint les enseignements qui peuvent être tirés de la nouvelle théorie du commerce
international(1) qui s'est construite sur la prise en compte de l'imperfection des marchés, des économies d'échelle statiques et
dynamiques et des économies d'envergure. L'analyse de la compétitivité ne peut dès lors faire l'économie d'une comparaison entre la
structure de l'économie domestique et celle des économies étrangères, entre, les politiques stratégiques de l'État national et celle des
États étrangers entre la capacité d'innovation interne et le rythme du changement technologique au niveau international.

Asymétries
Les différences de participation au commerce mondial des pays ou groupes de pays s'expliquent en partie par les différences de
spécialisation. À cet égard trois constats peuvent être établis.

Constat n°1 : Asymétrie Nord-Sud dans le commerce des matières premières


Bien que nombre d'entre eux soient essentiellement producteurs de biens primaires, les PVD n'ont pas le monopole de la production et
des exportations des matières premières. Les principaux pays exportateurs primaires sont les États-Unis, la Russie et le Canada. Ils
sont également les principaux pays importateurs de produits miniers En outre, bien qu'elles soient prépondérantes en proportion du
total mondial, la production et les exportations primaires des pays industrialisés ne représentent qu'une faible part de leur activité
productrice et exportatrice. De ce point de vue, la situation des pays industriels est complètement opposée à celle des PVD pour qui
elles représentent une part considérable du PIB et surtout de leurs recettes d'exportation. En d'autres termes, " les matières premières
sont importantes pour le Sud mais le Sud n'est pas important pour les matières premières ".

Constat n°2 : Asymétries Nord-Sud dans le commerce des produits manufacturés


Si la spécialisation primaire est traditionnellement forte dans les PVD, il faut, toutefois, noter que cette caractéristique s'amenuise. En
effet, les exportations du Sud vers le Nord sont de moins en moins constituées de matières premières et incorporent, au contraire, de
plus en plus de produits manufacturés. Considérés globalement, les PVD sont devenus majoritairement exportateurs de produits
manufacturés depuis le début des années 90, alors que ces produits ne représentaient que 7 % du total de leurs exportations en 1960,
14 % en 1970 et 20 % en 1980. D'où l'idée d'un basculement de l'ancienne division internationale du travail (DIT) à une nouvelle
DIT, lié à l'industrialisation d'une partie du Sud (les économies émergentes).
Un nombre croissant de PVD accède à la possibilité de produire et d'exporter des produits usinés. Toutefois, ce " rattrapage " se réalise
fréquemment (mais pas systématiquement comme l'indique la figure 9 ci-après) sur les segments " bas de gamme " de l'activité
manufacturière (textile, acier, cuir, etc.). Les PDEM délaissent les activités héritées du XIXe siècle et globalisent leur demande en
sous-traitance internationale dont s'emparent les PVD les mieux placés du point de vue de la compétitivité internationale " hors-coût
".
La combinaison des deux constats ci-dessus conduit à une situation de concurrence réciproque qui met en cause la forme
traditionnelle des relations Nord-Sud. En effet, les PVD (principalement les économies émergentes) concurrencent les pays
d'industrialisation plus ancienne pour la production et l'exportation d'une gamme de plus en plus diversifiée de produits
manufacturiers. Réciproquement, les pays du Nord concurrencent le Sud pour la production et l'exportation des matières premières
(denrées agricoles, industries extractives). Il serait hâtif cependant d'en déduire que la DIT a vécu et qu'elle céderait la place à une
nouvelle configuration dite de " compétition généralisée " où PDEM et PVD seraient en confrontation directe sur tous les marchés. Il
s'agit plutôt d'un changement de DIT ou d'une dérive de l'ancienne division du travail vers une répartition plus complexe des activités
productives et exportatrices. En effet, un grand nombre de PVD s'orientent vers des productions manufacturières fortement
consommatrices de main-d'oeuvre alors que les pays industrialisés se redéploient vers des activités à haute technologie
(biotechnologies, aéronautique, informatique et nouvelle économie, espace, etc.). L'industrialisation des PVD n'a pas non plus un
caractère général puisqu'elle est limitée à une douzaine de pays d'Asie et d'Amérique latine qui représentent toutefois plus de la moitié
de l'humanité (puisque figurent parmi eux la Chine, l'Inde, l'Indonésie, le Brésil, le Mexique).
On saisit mieux les enjeux de ces changements de spécialisation pour les pays nouvellement industrialisés lorsque l'on tient compte du
dynamisme très inégal des divers groupes de produits dans le commerce mondial . Sur la longue période, le commerce des produits
manufacturés progresse sensiblement plus vite que celui des produits agricoles et des produits miniers.
Aujourd'hui, les produits manufacturés représentent plus des deux tiers de l'ensemble du commerce mondial des marchandises
(services exclus) alors que les produits agricoles ne représentent plus que 11 % contre presque 50 % en 1950. Cette distribution mérite
de retenir l'attention sachant que la plus large partie de l'humanité vit de l'agriculture.

Constat n°3 : Asymétrie des types de spécialisation


Le Nord présente une spécialisation que nous pouvons qualifier de " diffuse ". Les importations et leurs exportations des pays
industriels sont largement diversifiées. Les échanges croisés de produits similaires, qui portent sur des biens que le pays importe et
exporte simultanément, représentent une part significative des échanges extérieurs des pays développés. À l'inverse, les pays du Sud
apparaissent plus fortement spécialisés.

Vulnérabilité
Deux PVD sur trois dépendent de deux à trois produits dans une proportion comprise entre la moitié et les deux tiers de leurs recettes
d'exportations. Cette règle empirique résume bien l'un des traits dominant de la spécialisation du Sud : son hyperspécialisation. Il en
résulte une grande vulnérabilité des pays concernés aux aléas climatiques ou aux turbulences qui affectent périodiquement les
marchés mondiaux des produits de base. La volatilité des prix des matières premières soumet en permanence les économies à forte
spécialisation primaire à des chocs exogènes particulièrement perturbateurs pour leur stabilité monétaire et plus encore pour leurs
recettes d'exportation, leurs moyens de financement et leur capacité d'importation, rendant illusoire toute tentative de programmation
à moyen ou long terme.

Mutations

Si le commerce mondial est marqué par des traits de continuité, voire par des récurrences comme le retour de la " contrainte pétrolière
" dans les rapports Nord-Sud, on trouve aussi des éléments de rupture. Parmi, ces derniers, il y a incontestablement l'émergence des "
nouveaux pays industriels " (ou " nouveaux pays exportateurs ") et la transition vers l'économie de marché des anciens pays à
économie planifiée centralisée à la suite de l'effondrement de l'ancien bloc communiste.

L'avènement des nouveaux pays industrialisés d'Asie sur la scène internationale


La fin du XXe siècle est marquée simultanément par l'essor des économies asiatiques et par l'essoufflement de la croissance dans les
vieilles sociétés industrielles. De là à expliquer les performances industrielles réalisées par les économies asiatiques par les avantages
technologiques et industriels qu'elles ont su acquérir au détriment de l'Europe et de l'Amérique du Nord, il n'y a qu'un pas. Beaucoup
le franchissent sans autre forme de procès, d'autant plus allègrement que les climats de crise sont traditionnellement l'occasion de
tensions qui mettent en jeu les groupes de pression par l'intermédiaire des États. En fait, si les économies asiatiques ont conquis des
avantages certains, elles ont su aussi combiner l'aptitude à l'innovation avec une capacité réelle d'adaptation au nouveau contexte
mondial.
Les déterminants de cette réussite qu'il faut bien qualifier de non orthodoxe sont sans doute nombreux. En allant à l'essentiel, on peut
opportunément rappeler que les pays d'Asie ont en commun d'être très peuplés. L'abondance d'une main-d'oeuvre bon marché et
relativement qualifiée peut constituer un levier de la croissance. Les caractéristiques des industries d'exportation, le mode de
formation des revenus (dégageant une épargne abondante) peuvent également être mis en exergue. Il faut aussi y ajouter le rôle de
l'État, comme promoteur du développement.
Deux rapports importants de l'OCDE datant du milieu de la décennie 90, et consacrés respectivement à la Corée et à Taiwan,
contredisent fortement la thèse du " mirage de la croissance asiatique " revendiquée par Paul Krugman. L'inventaire est éloquent
puisque les deux rapports insistent, tour à tour, sur le rôle important joué par le développement du secteur financier, l'aide américaine,
l'ouverture progressive à la concurrence internationale, la priorité accordée à l'éducation, le développement des infrastructures et
l'engagement, certes plus récent, sur la voie d'une démocratisation qui demande à être achevée. En dépit de la crise financière qui a
durement frappé la région en 1997-1998 (crise d'adolescence ?), la réalité confirme ce diagnostic puisque ces pays sont quasiment en
situation d'autonomie en matière de production de biens manufacturés et se sont solidement installés, en compagnie de la Chine, dans
le peloton de tête des plus grands pays exportateurs du monde.
Le difficile cheminement de la transition
La faillite du système d'économie planifiée s'est traduite par une brusque contraction de la part des pays de l'Est dans le commerce
mondial (de 9 % en 1988 à 3 % en 1993). Cette contraction est imputable à l'effondrement du commerce réciproque (induit par la
désintégration complète de l'organisation planifiée des échanges entre les " pays frères " et le démantèlement du Comecon).

Ce choc initial n'a pas été immédiatement compensé par un redéploiement du commerce de ces pays vers " l'Ouest " où la conquête de
marchés implique d'importants ajustements de la qualité des produits, des progrès considérables de la compétitivité industrielle et
dans la modernisation des infrastructures productives. Mais, en définitive, au fil des ans, cette réorientation géographique du
commerce extérieur des PECO a pu être accomplie sur une période assez courte. En 1998, les exportations des pays d'Europe centrale
et orientale à destination de l'Europe occidentale représentent entre la moitié et les trois-quarts de la totalité de leurs exportations,
contre 1 à 6 % à destination de la Fédération de Russie (tab. 12).
La structure du commerce extérieur des PECO se rapproche donc de plus en plus de celle des PDEM, comme l'indique aussi
l'évolution de la composition par produits. Alors que les exportations de la Russie restent principalement concentrées sur les produits
primaires, celles des PECO sont constituées à plus de 80 % de produits manufacturés (pourcentage similaire à celui des PDEM).
Cependant, les PECO sont inégalement avancés sur le sentier de la transition. Selon qu'ils ont ou non récupéré le niveau du PIB réel
d'avant 1989, ou qu'ils ont, du moins, renoué avec la croissance après la sévère récession des premières années de la transition, selon
la qualité des progrès qu'ils ont réalisés dans l'ajustement macroéconomique (maîtrise de l'inflation, du déficit extérieur et de
l'endettement), les trajectoires de la transition des PECO montrent des profils fortement différenciés : " courbe en J " régulière
(exemple : Hongrie, Pologne), irrégulière (République tchèque, Slovaquie), voire chaotique (Bulgarie, Roumanie) Pour ces dernières
d'importantes réformes tant économiques que sociales et politiques restent à accomplir et qui sont d'autant plus délicates àconduire
que ces économies sont aujourd'hui plus largement ouvertes que par le passé sur le monde et sur ses tempêtes.

Tertiarisation

Dans tous les pays du monde, l'importance du secteur des services n'est plus à démontrer. Presque partout, le tertiaire représente un
segment non négligeable de l'activité et une fraction significative et croissante de l'emploi. Ainsi, près des deux tiers de la population
active des pays industrialisés travaillent dans les services. De même, les échanges internationaux de services représentent le secteur le
plus dynamique du commerce mondial (en particulier les flux transfrontaliers de données et le développement des
télécommunications). Depuis plusieurs décennies, le commerce des services progresse plus vite que celui des marchandises.
Aujourd'hui, les seuls services commerciaux sont équivalents à la somme du commerce mondial des produits de l'industrie automobile
et de l'électronique réunis. Les données relatives aux échanges de services par régions montrent que l'Europe occidentale est
largement leader sur ce marché, avec plus de 63 % des exportations mondiales de services, suivie par l'Amérique du Nord avec 25 %.
Le classement par pays révèle en revanche la position prééminente des États-Unis (18,8 %), suivi par le Royaume-Uni qui a ravi la
deuxième place à la France en 1997. Si on la considère comme une seule et même entité commerciale, l'Union européenne devance
largement les États-Unis. En outre, la Chine et les quatre dragons entrent dans le groupe des dix principaux exportateurs (et
importateurs) de services. La hiérarchie des puissances commerciales est donc assez similaire pour les marchandises et pour les
services.
Au-delà des données statistiques, l'essor du commerce international des services joue un rôle capital dans le processus de
mondialisation des marchés et de la production, en tant que nouveau champ de bataille des firmes transnationales (FTN) et dans
l'évolution de la compétitivité des diverses industries nationales. De ce fait, la dynamique des services constitue sans doute l'un des
facteurs majeurs du remodelage des spécialisations des différentes économies nationales. Enfin, à travers le développement des flux
d'informations, les échanges de services participent également au processus d'uniformisation des modes de vie.

Conclusion : structures et pouvoirs


L'examen de la structure des échanges internationaux est riche d'enseignements. L'une des principales leçons qui nous semble devoir
être tirée est que les rapports de pouvoir qui s'établissent entre les diverses parties de l'économie mondiale s'enracinent dans les
caractéristiques mêmes de structure du réseau du commerce. Rappelons brièvement ces principales caractéristiques :
• le poids global et sectoriel du Nord dans le commerce mondial ;
• le contraste des spécialisations (hyperspécialisation du Sud contre spécialisation " diffuse " au Nord) ;
• l'importante contribution des pays développés à la production et au commerce mondial des matières premières ;
• l'importance des recettes d'exportation issues des matières premières pour de nombreux PVD, alors que ces recettes ne
représentent pour les pays industriels qu'une faible proportion de leurs recettes totales ;
• l'importance des pays industriels comme clients et fournisseurs des PVD, alors que l'inverse n'est pas vrai.
À ces caractéristiques relatives aux flux on peut ajouter une autre concernant les acteurs du commerce mondial : la forte participation
des firmes transnationales à la production et à la commercialisation des produits primaires des PVD. Cette configuration particulière
est très importante. Elle façonne, en effet, les rapports de pouvoirs en présence. Bien qu'il faille éviter de généraliser hâtivement, et
bien qu'il soit nécessaire, en toute rigueur, d'apprécier les pouvoirs de négociation cas par cas, produit par produit, une conclusion
s'impose néanmoins : la structure des échanges internationaux entre le " Nord " et le " Sud " qui vient d'être décrite n'est pas neutre.
Elle infléchit les rapports de pouvoir à l'avantage des pays industriels qui sont :
• les principaux fournisseurs et les principaux clients des PVD ;
• les principaux concurrents des PVD sur la plupart des marchés des matières premières.
Les structures des échanges et de la spécialisation expliquent la vulnérabilité externe des PVD ainsi que la faiblesse de leur pouvoir
d'action sur les marchés internationaux. Incontestablement, la position des PVD serait plus forte :
• s'ils ne dépendaient pas de manière aussi vitale de la vente d'un petit nombre de produits, voire d'un seul, qu'ils sont, de ce fait,
contraints de vendre à tout (et à n'importe quel) prix ;
• s'ils avaient le monopole de la production des produits de base ;
• s'ils étaient économiquement moins dépendants de leurs ventes et de leurs approvisionnements à l'égard du monde industriel ;
• s'ils étaient moins dépendants des FTN étrangères pour la production et surtout pour la commercialisation de leurs produits
d'exportation.
Nous trouvons là une des meilleures illustrations du fait que les rapports de pouvoirs ne se décrètent pas et ne " tombent pas du ciel ",
mais qu'ils sont, au contraire, en grande partie structurellement déterminés. Par conséquent, vouloir réduire les rapports de
domination à des intentions ou à des stratégies d'acteurs, est une vue excessivement réductrice. La force et la violence sont aussi
inscrites dans les structures.
Il existe, en d'autres termes, des déterminants structurels des rapports de pouvoir. Naturellement, nous ne saurions exclure que les
rapports de pouvoirs soient aussi liés aux stratégies des acteurs du commerce mondial. Il reste cependant que l'influence de pouvoir
peut s'exercer d'autant plus activement et puissamment qu'elle prend assise sur une position de pouvoir. Il ne suffit donc pas d'un
changement de politique ou d'attitude de la part des acteurs les plus puissants pour mettre fin aux relations de dominance, de
dépendance et de subordination à l'échelle de la planète.
Source ; Les cahiers français, n° 299 (11/2000),Lahsen Abdelmalki (Maître de Conférences Université Lumière Lyon 2) , René
Sandretto (Professeur, Université Lumière Lyon 2) .
Le multilatéralisme, du GATT à l'OMC
Sommaire

L'avènement du multilatéralisme
Les fondements du GATT
Le fonctionnement du GATT
Du GATT à l'OMC
La naissance de l'OMC
Les premiers pas de l'OMC
par Emmanuel Combe.

Comment le commerce mondial s'est-il organisé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ? Né en 1947 du refus du Congrès
américain de ratifier la Charte de La Havane prévoyant la création d'une véritable organisation internationale du commerce, le GATT
a néanmoins posé les grands principes qui structurent le commerce mondial depuis plus d'un demi-siècle. Emmanuel Combe en
rappelle les fondements, avant d'analyser le fonctionnement et l'évolution du GATT à travers les différents cycles de négociation qui,
par l'Accord de Marrakech (avril 1994) clôturant l' Uruguay Round, ont abouti à la naissance, le 1er janvier 1995, de l'Organisation
mondiale du commerce (OMC). Une nouvelle organisation internationale au champ de compétences considérablement élargi, dont les
structures et les premiers pas sont ici décrits.

L'avènement du multilatéralisme
Les fondements du GATT

La naissance du GATT
En 1945, les États-Unis sont à la poursuite d'un objectif politique majeur : ériger un nouvel ordre mondial sur une base négociée, au
moyen d'organisations internationales. Cette volonté américaine donne naissance dès 1945 à des institutions telles que l'ONU, le FMI
ou la BIRD. En matière de commerce international, les Américains, soutenus par des économistes de renom (au rang desquels figure
Keynes), veulent éviter à tout prix la répétition de la solution protectionniste qui a prévalu dans les années 30, en instaurant une
structure qui permette de négocier multilatéralement l'élimination progressive des obstacles aux échanges.
A cet effet, deux négociations sont entamées dès 1946, l'une au sein de l'ONU portant sur la création d'une organisation internationale
du commerce, l'autre à Genève sur la réduction des barrières douanières. Les débats au sein des Nations unies se concluent en mars
1948 par la Charte de La Havane, qui reste cependant lettre morte, le Congrès américain refusant de la ratifier : il y voyait en effet
une trop grande perte de souveraineté dans la formulation de la politique commerciale américaine. Sur le plan institutionnel, aucune
organisation internationale du commerce ne voit le jour. De leur côté, les négociations de Genève débouchent en octobre 1947 sur un
accord général de réduction des tarifs douaniers, qui s'institutionnalise sous le nom de GATT (Général Agreement on Tariffs and
Trade) : le GATT ne constitue donc pas une organisation internationale au sens juridique du terme. Lors de la signature de l'accord à
Genève, le GATT comprenait vingt-trois " parties contractantes " : en décembre 1993, à l'issue des négociations sur l'Uruguay Round,
on dénombre pas moins de cent-vingt membres permanents, auxquels il faut ajouter les pays disposant du statut d'observateur et les
pays admis à titre provisoire.

Les principes du GATT

Les cinq principes


Composé à l'origine de trente-huit articles, la Charte du GATT repose sur cinq grands principes, qui structurent le commerce
international depuis maintenant plus d'un demi-siècle.
• L'article 1 de la Charte établit la clause inconditionnelle de la nation la plus favorisée, qui assure un traitement identique à tous
les partenaires. Si deux pays A et B réduisent bilatéralement leurs barrières douanières, cette concession doit être
automatiquement étendue aux autres pays signataires de la Charte.
• Le deuxième principe fondamental porte sur la consolidation des droits de douane (article II). Chaque signataire doit déclarer le
taux de droit de douane maxima qu'il compte appliquer sur chaque catégorie de produit. Un pays ne peut donc appliquer
effectivement un taux plus élevé que celui annoncé. Les engagements de consolidation sont pris pour une période de trois ans,
avec reconduction automatique si le pays ne manifeste pas son intention de modifier ses taux maxima.
• Le troisième principe fondamental est celui du traitement national (article III) : dès lors que les produits importés se sont
acquittés des droits de douane, ils doivent être traités de la même manière que les produits domestiques.
• Le quatrième principe établit la transparence des politiques commerciales : les signataires doivent éliminer toutes les barrières à
l'importation autres que les droits de douane. En particulier, les restrictions quantitatives sont interdites (article XI).
• Le dernier principe porte sur la réciprocité des concessions tarifaires (article XXVIII) : il stituple que tout pays acceptant une
concession tarifaire doit également en offrir une en retour.

Les exceptions aux principes


La Charte du GATT apparaît très pragmatique dans ses modalités d'application : en effet, les cinq principes du GATT connaissent de
nombreuses exceptions. L'article XXIV relatif aux unions régionales (zone de libre-échange ou union douanière) constitue sans doute
l'exception la plus importante à la clause de la nation favorisée. En effet, l'union régionale consiste à renforcer l'intensité des relations
commerciales entre les membres, au détriment des pays tiers : à ce titre, elle constitue une remise en cause du principe de non-
discrimination. Pourtant le GATT autorise la conclusion d'accords de régionalisation, tout en fixant un certain nombre de conditions :
en particulier, les tarifs vis-à-vis des pays tiers ne doivent pas être globalement supérieurs à leur niveau antérieur.
Le principe de réciprocité a été remis en cause par le statut spécial accordé aux pays en voie de développement à partir de 1964 : ce
statut leur permet de bénéficier de la clause de la nation la plus favorisée, sans être soumis au principe de réciprocité.
Le principe de transparence des politiques commerciales comprend plusieurs exceptions :
• les restrictions quantitatives sont autorisées dans certains secteurs, tels que l'agriculture et la pêche ;
• l'article XII autorise les restrictions quantitatives dans certaines situations, en particulier si le pays connaît une grave crise de sa
balance des paiements ;
• l'article XIX permet à un pays de se protéger si les importations affectent gravement la production locale : ces mesures de
sauvegarde ne doivent toutefois être utilisées qu'à titre temporaire et les pays qui y recourent doivent s'engager à compenser les
pays exportateurs.

Les structures du GATT

L'accord du GATT est géré par une structure de fait, dont le siège se situe à Genève.
La session des parties contractantes constitue l'organe suprême du GATT ; elle se déroule une à deux fois par an et entérine les
décisions sur la base du principe : un État = une voix.
Le Conseil du GATT fonctionne entre deux sessions ; il réunit chaque mois les représentants des parties contractantes et prépare les
grands dossiers qui seront adoptés lors des sessions.
A la tête de l'administration du GATT se trouve un secrétariat, comprenant un directeur général, un directeur général adjoint, deux
sous-directeurs généraux et les directeurs de division.

Le fonctionnement du GATT

Les cycles de négociation


L'activité principale du GATT a consisté à organiser régulièrement des Négociations Commerciales Multilatérales (NCM) entre les
parties contractantes. Depuis 1947, près d'une dizaine de cycles de négociation (round) peuvent être identifiés (voir encadré ci-
contre).
Les sessions de Genève au Kennedy round ont porté pour l'essentiel sur l'abaissement des barrières tarifaires. A partir du round de
Tokyo sont entamées des discussions sur les barrières non tarifaires, et tout particulièrement à l'occasion de l'Uruguay Round. On
notera que la durée des sessions a tendance à croître au cours du temps, ce qui s'explique par deux facteurs ;
• la croissance du nombre de participants : de vingt-trois signataires en 1947, le GATT est passé à cent-vingt en 1994, lors de la
signature de l'Accord final à Marrakech ;
• la complexité des dossiers, avec les discussions relatives au protectionnisme non tarifaire et aux nouveaux domaines de
négociation (agriculture, textile, etc.). (...)
Parmi les différentes négociations du GATT, celle de l'Uruguay marque un véritable tournant. En effet, outre les négociations
tarifaires, le cycle de l'Uruguay comprend plusieurs accords et mesures novateurs :
• un accord sur le commerce des services (GATS) ;
• un accord sur la propriété intellectuelle (TRIPS : Trade Related aspects of Intellectual Property Rights) ;
• un accord sur le commerce des textiles et vêtements, qui démantèle le système de l'AMF (Accord Multifibres), mis en place à
partir de 1974 ;
• un accord sur l'agriculture, qui vise à diminuer la protection dont a toujours bénéficié ce secteur ;
• un accord sur les obstacles à l'investissement direct étranger (TRIMs : Trade Related Investment Measures). En particulier, les
normes de contenu local, imposant à une firme étrangère de s'approvisionner localement ou d'exporter une partie de sa
production, sont interdites ;
• le GATT est transformé en une Organisation mondiale du commerce (OMC).

Le règlement des différends


Tout membre du GATT peut déposer une plainte contre un autre signataire s'il estime que ce dernier viole les obligations de l'accord
et que cette violation entraîne l'annulation (ou la réduction) d'un avantage résultait directement ou indirectement de l'accord. Le
mécanisme de règlement des différends est décrit dans les articles XXII et XXIII et s'agence en deux phases :
• dans un premier temps, les pays en conflit entament une " procédure de consultation " et tentent de trouver une solution
bilatérale ;
• en cas d'échec de la première phase, la " procédure du panel " est mise en oeuvre. Le conflit est soumis à l'ensemble des parties
contractantes, qui sont alors investies de deux missions : dans un premier temps, une enquête est confiée à des experts
indépendants, qui remettent un rapport proposant une solution au différend. Le rapport des panels est ensuite adopté par
consensus par les parties contractantes, qui proposent aux pays en conflit de suivre les recommandations des experts.

Le système de règlement des différends a été particulièrement mis à contribution depuis les années 70, comme le soulignent les
rapports successifs du GATT. En particulier, les dépôts de plainte initiés ou visant les États-Unis se sont multipliés, mettant aux prises
les membres de la Triade (États-Unis, Japon, CEE). Nous allons montrer que le quota constitue un instrument plus dommageable que
le droit de douane. Le système de règlement des différends n'échappe pas à la critique :
• il est soumis à la règle du consensus : les parties au différend, et tout particulièrement la partie incriminée, peuvent utiliser leur
droit de veto lors du vote du rapport. Dans la pratique néanmoins, il apparaît que la plupart des rapports sont adoptés ;
• le GATT ne prévoit aucun délai spécifique dans le déroulement de la procédure ;
• les parties contractantes proposent de simples recommandations, qui n'ont pas de véritable valeur coercitive. Il est vrai
néanmoins que dans la plupart des cas les pays en conflit suivent les recommandations des experts. [...]

Les cycles de négociations multilatérales : du GATT à l'OMC par Pierre Jacquet, Patrick Messerlin, Laurence Tubiana.

GATT : octobre 1947 (25 pays)(1)


Accord général sur le commerce et les tarifs

La Havane : mars 1948 (53 pays)


Charte relative à la création d'une Organisation internationale du commerce non ratifiée par le Congrès américain

Genève : 1947 (23 pays)


Réduction des droits de douane

Annecy : 1949 (33 pays)


Réduction des droits de douane

Torquey : 1951 (34 pays)


Réduction des droits de douane

Dillon : 1960-1961 (35 pays)


Réduction des droits de douane

Kennedy : 1964-1967 (48 pays)


Réduction des droits de douane et mesures anti-dumping

Tokyo : 1973-1979 (99 pays)


Réduction des droits de douane, mesures non tarifaires et " accords cadres " (subventions, obstacles techniques, marchés publics et
aéronautique civile)

Uruguay : 1986-1993 (120 pays)


Réduction des droits de douane, mesures non tarifaires, agriculture, services, propriété intellectuelle, règles, préférences commerciales
pour le développement, règlement des différends et création de l'OMC

Singapour(1ère conférence de l'OMC)(2) : décembre 1996 (130 pays)


Programme de travail élargi de l'OMC : investissement, concurrence, transparence, (marchés publics) environnement et pays les
moins avancés

Genève(2e conférence de l'OMC) : mai 1998 (134 pays)


Préparation du prochain cycle, transparence et participation des ONG à l'OMC

Seattle(3e conférence de l'OMC) : novembre 1999 (136 pays)


Lancement du prochain cycle

Du GATT à l'OMC

La naissance de l'OMC

Une nouvelle organisation internationale


Les accords de l'Uruguay Round, signés en avril 1994, entérinent la naissance, à partir du 1er janvier 1995, d'une nouvelle
organisation internationale, dénommée OMC (Organisation mondiale du commerce), au même titre que la Banque mondiale ou le
FMI. L'adhésion à l'OMC implique pour un membre de souscrire en bloc à tous les accords couverts par cette organisation. Cette
nouvelle institution se voit confier quatre missions principales :
• veiller à la mise en place des accords de l'Uruguay Round ainsi que des accords plurilatéraux, signés par un nombre plus
restreint de pays ;
• constituer le nouveau cadre pour les négociations multilatérales en cours et à venir ;
• établir régulièrement le bilan des politiques commerciales suivies par les pays membres ;
• proposer un règlement aux différends qui peuvent surgir entre plusieurs pays membres ;
En 1996, l'OMC compte pas moins de cent-vingt-sept pays membres, ce qui représente près de 90 % du commerce mondial(1).
Trente pays possèdent le statut d'observateurs et vingt-huit négociations d'adhésion sont en cours, dont celles de l'Ukraine, de la Chine
et de la Russie.
La structure de l'OMC
L'OMC est composée d'une conférence ministérielle, d'un conseil général, d'un secrétariat général et de conseils spécialisés.
La conférence ministérielle constitue l'organe étatique et plénier de l'OMC : elle correspond à l'ancienne assemblée des parties
contractantes du GATT. Composée des représentants de tous les pays membres, elle doit se réunir au moins tous les deux ans, pour
faire le bilan des négociations en cours et fixer le programme de travail. Entre deux sessions, la direction de l'OMC est gérée par le
conseil général, qui reprend les fonctions assurées précédemment par le Conseil du GATT. Ce conseil général est assisté par trois
conseils spécialisés. Le conseil général remplit les fonctions de l'Organe de Règlement des Différends (ORD) et celles de l'Organe
d'examen des politiques commerciales.
Trois conseils spécialisés ont été créés, sous la direction du conseil général : il s'agit du conseil du commerce des marchandises, du
conseil du commerce des services et du conseil des ADPIC (portant sur la propriété intellectuelle).
L'OMC, dont le siège se trouve à Genève, dispose d'un secrétariat, placé sous l'autorité d'un directeur

Le règlement des différends

La procédure de règlement des différends a été renforcée, en particulier pour remédier à la lenteur des procédures du GATT et aux
difficultés de mise en application des recommandations. En effet, certains pays comme les États-Unis ont justifié leur approche
unilatérale, avec l'adoption du Trade Act en 1988, en arguant que la procédure de résolution des différends du GATT était trop lente et
trop sujette au pouvoir de veto d'un membre.
La nouvelle procédure modifie l'étape du panel : l'ORD désigne un panel de trois experts, qui doivent fournir un rapport dans un délai
de six mois. Le conseil général de l'OMC adopte automatiquement le rapport sauf s'il est rejeté à l'unanimité ; ce principe
d'automaticité conditionnelle permet une prise de décision plus rapide. Une des parties peut faire appel devant l'organe d'appel de
l'ORD ; dans ce cas, l'ORD suit la décision de l'organe d'appel, sauf s'il la rejette à l'unanimité. L'ORD est alors chargée de la mise en
application de la décision (du panel ou de l'organe d'appel) ; si l'une des parties refuse de s'y plier, l'ORD peut autoriser les pays lésés
à prendre automatiquement des mesures compensatoires.
Cette procédure de règlement des différends parviendra-t-elle vraiment à s'imposer aux signataires ? La question demeure pour l'heure
ouverte : comme le souligne B. Guillochon, " reste à savoir si tous les membres, en particulier les grandes puissances commerciales
vont accepter de se plier à cette discipline. Il est possible, en effet, de se soustraire aux règles de l'OMC en préférant négocier un
accord hors de son cadre, en pratiquant le bilatéralisme. Dans ce cas, les pays finissent par s'entendre, certes, mais en excluant les
autres partenaires, ce qui n'est pas conforme à l'esprit de l'OMC "(2)
Toujours est-il que les pays membres recourant plus fréquemment qu'auparavant à la procédure de règlement des différends, ce qui
semble témoigner d'une certaine crédibilité de l'institution : entre janvier 1995 et juin 1997, une soixantaine d'affaires ont été
soumises à l'ORD.

Les premiers pas de l'OMC


La conférence de Singapour
La conférence de Singapour, qui a eu lieu en décembre 1996, constitue la première conférence interministérielle de l'OMC. Elle visait
à évaluer la mise en oeuvre de l'accord de Marrakech, à faire le point sur les négociations en cours et à préciser le programme de
travail de l'OMC pour les deux ans à venir. Sur ce dernier aspect, cinq thèmes principaux ont été abordés, qui ont donné lieu à la
création de groupes de travail :
• les relations entre commerce international et environnement : dans quelle mesure les impératifs de compétitivité peuvent-ils
conduire à une dégradation de l'environnement ? A l'inverse, le thème de la protection de l'environnement ne risque-t-il pas de
servir d'alibi à des pratiques protectionnistes (" protectionnisme vert ") ? Ce thème de réflexion a été confié au comité du
commerce et de l'environnement de l'OMC, créé en 1995 ;
• le rôle de l'IDE (Investissement Direct Étranger) et des relations qu'il entretient avec le commerce : dans quelle mesure les
restrictions à l'IDE affectent-elles les flux de commerce ?
• la question de l'introduction d'une clause sociale dans les accords commerciaux : l'absence de protection sociale et de règles
minimales sur les conditions de travail dans les pays pauvres ne conduit-elle pas à une forme de concurrence déloyale, comme
le soutient la France ? A l'inverse, l'imposition de normes sociales ne constitue-t-elle pas une forme de protectionnisme
détourné ?
• les relations entre la politique de la concurrence et la politique commerciale.
Outre l'ouverture de ces nouveaux chantiers, la conférence de Singapour a vu la conclusion d'un accord sur la libéralisation du
commerce des technologies de l'information. Ce texte, signé par vingt-huit pays prévoit la suppression d'ici l'an 2000 des barrières
douanières sur un certain nombre de produits de la filière électronique (semi-conducteurs, écrans d'ordinateurs, etc.)
Quel bilan tirer de cette première conférence interministérielle de l'OMC ? Comme le souligne B. Guillochon(3), " la conférence de
Singapour est loin d'avoir réglé ces divers problèmes. Du moins la déclaration finale témoigne-t-elle d'une certaine volonté, de la part
des États membres, d'apporter des débuts de solutions dans ces domaines [...]. Les grandes questions faisant partie du programme de
travail de la conférence de Singapour en sont restées à la phase préliminaire de désignation d'organes chargés des dossiers et de
fixation d'objectifs ".

L'accord sur les télécommunications


A la suite de Singapour, un premier accord important a été conclu sous l'égide de l'OMC : il s'agit d'un accord sur le commerce des
services de télécommunications de base, signé par soixante-neuf membres de l'OMC (tous les pays industrialisés, quarante pays en
voie de développement). Ce texte prévoit la libéralisation commerciale et l'ouverture des marchés intérieurs dans le domaine des
services téléphoniques, dans un délai variable selon les régions et les produits. Selon l'OMC, l'accord devrait avoir une incidence forte
sur le coût des télécommunications, qui baissera sous l'influence de la concurrence étrangère.
Source :Les cahiers français, n° 299,Emmanuel Combe (Professeur à l'Université du Havre) .
Un processus "protéiforme"
Sommaire

La récente histoire théorique de la mondialisation


Mondialisation, mondialisme, mondialité
La dialectique "local-global"de Giddens
Beck et la fin de l' "État-contenant"
La ville mondiale de Sassen
par Elie Cohen.

Si pour certains, il est encore nécessaire de discuter la réalité du processus de mondialisation, pour d'autres, ce processus est un fait.
Le temps est donc venu de construire un corpus afin de penser l'ensemble. Autrement dit, la mondialisation est un fait social total, au
sens où elle modifie l'économie, la démocratie, la tradition, le risque et la famille. De ces analyses découlent des visions à la fois
pessimistes et optimistes sur l'avenir de nos sociétés. Compte rendu de trois ouvrages d'Ulrich Beck, Anthony Giddens et Saskia
Sassen.
Trois sociologues importants par leurs travaux(1) (et pas simplement par leur aura médiatique) nous disent qu'il est urgent désormais
de réfléchir aux dimensions non économiques de la mondialisation, car c'est bel et bien une "deuxième modernité" qui est en train de
se mettre en place.

La récente histoire théorique de la mondialisation


À observer la multiplicité et la diversité des publications sur la mondialisation, le caractère universel du phénomène et l'intensité des
controverses académiques aussi bien que profanes, il n'est guère d'hésitation possible : la mondialisation est en passe de prendre la
place du capitalisme dans le débat public comme dans les sciences sociales. Il y a une raison à cela : la théorie paraît rendre compte
du vécu et fournir les bases d'une idéologie politique. De même que le prolétaire rivé à sa chaîne trouvait dans sa situation concrète de
travail et de vie le reflet d'une domination plus globale et pouvait interpréter la politique, l'économie et la société avec une même
grille, de même le citoyen-consommateur-producteur vit, à travers les dérèglements climatiques, les tornades spéculatives et les
délocalisations industrielles qui affectent sa vie quotidienne, les effets d'un même mouvement de mondialisation.
Longtemps, les économistes ont débattu de la réalité même de la mondialisation entendue comme unification du marché mondial,
obsolescence des États et apparition d'acteurs industriels globaux localisant librement leurs activités en fonction de purs critères
d'optimum économique. Les sceptiques faisaient valoir que les flux d'échanges, de capitaux et d'hommes observés depuis 1989
n'étaient pas exceptionnels, le mouvement actuel d'ouverture ayant au moins un précédent, celui de la première mondialisation
intervenue à la fin du siècle dernier(2).
Mais cette approche a vite été submergée par celle des historiens qui, à la suite de Paul Kennedy, ont annoncé l'avènement d'un
monde fini dans lequel les défis étaient moins militaires et idéologiques que démographiques, environnementaux, technologiques et
financiers. Les politologues, à la suite de James Rosenau(3), sont allés plus loin encore en mettant en cause l'ordre westphalien des
États-nations au profit d'un système international où les firmes, les agences supranationales, les ONG (Organisations non
gouvernementales), les organisations internationales interagissent entre elles et avec les États.
L'anthropologie culturelle s'empara à son tour de la mondialisation en développant une théorie du "glocal" : comment, en effet, rendre
compte de lieux et d'imaginaires communs, de sociétés tranfrontières, de cultures inventées et reterritorialisées sans penser toutes les
combinaisons de l'universel et du contextuel(4) ? Enfin vinrent les sociologues tels Giddens et Beck, pour qui la mondialisation est un
fait social total, qui bouleverse l'économie, certes, mais aussi la démocratie, la tradition, le risque, et même la famille(5).

Mondialisation, mondialisme, mondialité


Trois ouvrages parus récemment présentent et discutent ces problématiques. Tenant pour acquise la mondialisation économique, leur
perspective est plus large, en ce sens qu'ils entendent embrasser tous les phénomènes écologiques, politiques, technologiques et
démographiques qui façonnent notre monde ; elle est en même temps plus profonde, en ce sens qu'ils proposent des grilles de lecture
de la société mondiale. Dans Runaway World, série de conférences prononcées pour la BBC, Anthony Giddens, directeur de la
London School of Economics(6), entend montrer comment la mondialisation façonne nos vies, bouleverse nos traditions et même nos
modèles familiaux. Dans What is globalization ?, recueil d'articles académiques publiés par Ulrich Beck dans différentes revues, le
grand sociologue allemand entend fonder en théorie la "deuxième modernité", celle qui naît de la mondialisation économique, de la
croissance du risque produit par l'activité humaine et de l'effondrement du modèle de l'État national, "contenant" d'une société
nationale territorialisée. Enfin, dans Globalization and its Discontents, série d'articles publiés par Saskia Sassen, la sociologue de
Chicago traite de la cité globale cosmopolite, objet d'un double mouvement migratoire de la part des personnels les plus qualifiés et
les plus mobiles d'un côté, les plus démunis et les plus déracinés de l'autre.
Mais, comme le suggère Ulrick Beck, il n'est pas inutile de définir ce dont on parle. Qu'entend-on par "mondialisation", comment la
distinguer des concepts voisins de "mondialisme" et de "mondialité" ?
• Par "mondialisme", il faut entendre l'idéologie du marché mondial et de sa domination sur les sphères politique, sociale et
culturelle. Le revers de cette idéologie, qui réduit l'État à un statut d'entreprise et nourrit l'impérialisme de l'économique, est le
protectionnisme : le protectionnisme vert, qui voit l'État-nation comme un biotope politique menacé d'extinction et qu'il
convient de protéger ; le protectionnisme rouge, qui dénonce la destruction des emplois, les délocalisations et la mise en cause
de l'État-providence, et croit trouver dans des solutions de repli la préservation d'un modèle économique passé ; enfin le
protectionnisme noir ou conservateur, qui entend protéger une société, une identité et une culture nationales sans accepter les
régulations économiques qui permettraient de maintenir le lien social.
• Par "mondialité", il faut comprendre que nous vivons depuis longtemps déjà dans une société mondiale, c'est-à-dire une société
qui ne connaît plus les cloisonnements spatiaux, qui est multiple, diverse et dépourvue de principe d'unité ou de cohésion. Les
formes transnationales d'organisation de la production et du travail, les mouvements universels de consommateurs qui
apparaissent à l'occasion de boycotts relèvent de cette mondialité dans l'ordre économique. En relèvent aussi, dans l'ordre des
représentations, les perceptions communes des effets de l'activité humaine sur la destruction de la nature, ou de la circulation
planétaire instantanée de l'information. La multiplication des "lieux-monde" comme les aéroports ou les métropoles urbaines,
de même que les modes de vie transnationaux contribuent également à l'avènement d'une société mondiale réflexive,
polycentrique et multidimensionnelle.
• La mondialisation, enfin, est un processus qui voit les États-nations souverains minés dans leurs prérogatives, ignorés et
traversés par des acteurs multinationaux en réseau poursuivant des stratégies propres à partir d'identités spécifiques. Il s'agit
d'un processus irréversible, pour toute une série de raisons : économiques (l'intensification des flux commerciaux et financiers,
la révolution des NTIC (Nouvelles technologies de l'information et de la communication), écologiques (la destruction de
l'environnement planétaire), culturels (l'émission et la diffusion sans restriction de flux d'images d'information et de fiction). Ce
processus est lié aussi à l'émergence d'une conscience mondiale (la demande universelle de droits de l'homme, l'existence d'une
grande pauvreté à l'échelle mondiale). Il tient, enfin, à des raisons politiques (naissance des autorités de régulation
internationale ou régionale comme l'OMC - Organisation mondiale du commerce, le FMI - Fonds monétaire international ou la
BCE - Banque centrale européenne). Pour Beck, un constat s'impose : la société mondiale est une société sans État mondial et
sans gouvernement mondial, elle laisse donc la voie libre à l'expansion anarchique du capitalisme mondial. Les États-nations se
trouvent pris entre des opinions publiques qui les somment d'intervenir pour réguler, protéger et redistribuer, les forces de la
mondialité qui les privent de ressources et d'emprise, et des acteurs transnationaux incapables de jeter les bases d'un
gouvernement planétaire.

La dialectique "local-global"de Giddens


La mondialisation, définie comme phénomène social total, doit donc conduire à tout repenser, et Giddens esquisse ce travail dans son
ouvrage Runaway World. Sa première thèse est que la mondialisation est un processus dialectique. Elle produit un double évidement
politique de l'État : par le haut - les marchés mondiaux, les organisations internationales -, et par le bas - les nouveaux espaces
économiques et culturels transfrontières comme la Catalogne ou Hong-Kong -, mais les transferts de souveraineté ont été voulus et
effectués par les États. En d'autres termes, si les NTIC ont fourni le moteur de la mondialisation, si la diffusion culturelle a accéléré le
processus, ce sont bien les États qui, par les politiques de déréglementation, de libéralisation et d'intégration régionale, ont amorcé le
processus. La mondialisation passe souvent pour une occidentalisation, mais, ajoute Giddens, on assiste aussi, à bien des égards, à une
colonisation culturelle à rebours : latinisation de Los Angeles, reconquête du Portugal par la télévision brésilienne, dépendance
grandissante à l'égard des informaticiens indiens.
Cette société mondiale est une société du risque. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, le risque que nous avons à
affronter est produit par l'activité humaine (manufactured risk), il est lié à l'innovation et non à des phénomènes naturels (external
risk), c'est un risque qui frappe indifféremment les riches et les pauvres, où qu'ils résident sur la surface de la planète. C'est un risque,
enfin, qui n'a de validité scientifique qu'au moment de sa réalisation, c'est-à-dire quand il est trop tard, d'où l'invocation d'un principe
de précaution, aussi indispensable que difficile à mettre en oeuvre.
La société mondiale qui, a bien des égards, se fabrique dans les aéroports, dans les districts financiers des mégalopoles, dans les
communautés virtuelles de l'Internet, est aussi une société qui entretient - voire invente - des traditions pour retisser les liens
communautaires. Le fondamentalisme religieux est l'enfant de la mondialisation, qu'il utilise et contre laquelle il se dresse. Nos vies
sont le produit d'un incessant va-et-vient entre autonomie d'action et obligations intériorisées. L'évolution de la famille illustre ce
mouvement. Giddens voit dans l'institution du mariage de moins en moins un contrat économique, et de plus en plus un engagement
ritualisé fondé sur l'amour romantique, un effet de la diffusion des droits et des modèles sociaux favorisant l'avènement d'une
"démocratie des émotions".
La dernière thèse de Giddens porte sur le paradoxe démocratique : c'est au moment où la démocratie se diffuse partout dans le monde
que la désillusion à son égard s'accroît. La politique a perdu de sa centralité, les gens sont plus autonomes, moins déférents à l'égard
du pouvoir, moins concernés dans leur vie quotidienne par les débats parlementaires. La politique est désinvestie par les jeunes car
considérée comme impuissante face aux forces du marché, corrompue, exercée par des professionnels ne traitant pas des vrais enjeux
écologiques, sexuels ou éthiques. "Démocratiser la démocratie" suppose à la fois de trouver des mécanismes de responsabilisation des
grandes organisations internationales, et d'intégration dans le jeu politique intérieur des groupes de pression spécifiques (ce qu'on
appelle les single issue groups).

Beck et la fin de l' "État-contenant"


Le programme d'Ulrich Beck n'est guère différent de celui de Giddens, mais il est plus ambitieux et plus contestataire. Autant Giddens
reste optimiste quant à la capacité d'une société mondiale pluraliste d'accéder aux nouvelles "Lumières", autant Beck est sombre. Pour
lui, l'alliance formée de fait par des firmes transnationales poursuivant le seul objectif de la maximisation du profit, des États
impuissants et des groupes sociaux déstructurés ne peut produire qu'une planète écologiquement ravagée, économiquement
destructrice d'emplois et socialement inégalitaire. On comprend alors qu'il en appelle à une nouvelle utopie. Surtout, et c'est l'intérêt
majeur de son livre, il entend jeter les bases d'une sociologie de la mondialisation.
Au point de départ, il y a ce que Beck nomme une container theory of society, qui empiriquement a permis de rendre compte de la
première modernité, celle qui faisait de l'État national territorial le "contenant" d'une société, d'une culture et d'une politique : pas de
société sans État, pas d'État sans autorité sur un territoire borné : "L'espace intérieur de sociétés séparées de l'extérieur se divise en
totalités diverses qu'on peut analyser d'une part comme des identités collectives (classes, groupes de statut, groupes religieux ou
ethniques), et d'autre part comme les mondes autonomes de l'économie, du droit, de la famille (...) avec leurs codes et leurs logiques.
L'homogénéité interne d'une société est un résultat de l'action publique." Si l'État national territorial n'est plus l'unité pertinente
d'analyse, par quoi le remplacer ? La théorie des deux mondes de Rosenau - celui des États-nations et celui des acteurs transnationaux
- ne suffit pas. Certes, un ordre mondial régi par des acteurs transnationaux se fabrique sous nos yeux, mais il continue à dépendre
pour partie du système des États-nations. Comment, alors, intégrer le risque global, produit de l'activité humaine ? Si les troubles
écologiques créent des opportunités d'action, la théorie des deux mondes ne dit rien sur l'action elle-même. Les théories culturalistes
ne sont pas non plus d'une grande aide, les rassurantes certitudes du "ou/ou" ont laissé la place aux relations circulaires du "et/et" : le
monde présent est global et régional, unifié et fragmenté, centralisé et décentralisé. Une chose est sûre pourtant : "Une société
mondiale sans État mondial signifie une société non organisée politiquement, et où donc les opportunités d'action et de pouvoir qui
émergent sont confisquées par des acteurs transnationaux qui n'ont pas de légitimité démocratique" - ce que l'auteur appelle l'univers
de la subpolitics.

La "deuxième modernité" se caractérise donc par :


• 1°/ l'émergence d'une société civile mondiale faite de communautés transnationales à base identitaire, technologique,
économique, ou culturelle. De telles communautés peuvent se former autour de la religion (Islam), de savoirs (les communautés
d'experts), de styles de vie (pop, techno, écolo), d'orientations politiques (mouvements écologistes, consuméristes), de relations
de parenté (familles). Ainsi, l'Afrique, dit Ulrich Beck, n'est pas un continent mais un concept qui embrasse des communautés
imaginaires comme le festival de Notting Hill en Angleterre. De même, les immigrés d'origine mexicaine aux États-Unis
forment des communautés qui peuvent se regrouper selon leurs villages d'origine. La société civile mondiale a ses réseaux (des
médias, des décideurs économiques, des diasporas), elle a ses espaces (hôtels, aéroports), ses affects (le football, les soap operas,
la princesse Diana) ;
• 2°/ la coexistence du système des États et d'une arène où évoluent des acteurs transnationaux. Ces acteurs sont aussi bien des
firmes comme Disney ou Monsanto que des organisations comme le FMI, des ONG comme Greenpeace, ou des multinationales
spirituelles comme l'Église catholique. Comment établir un droit cosmopolite négocié entre États (statocentrisme) quand le
pouvoir de ceux-ci s'érode et qu'on ne peut ni attendre l'avènement d'un État planétaire, ni s'en remettre à un droit sans États
(modèle cosmopolite centré sur la relation ONG-citoyens ou modèle internationaliste centré sur la relation ONG-autorités de
régulation internationales) ?
• 3°/ l'absence d'un pouvoir planétaire et donc la multiplication non régulée de tensions entre acteurs se livrant à des "voies de
fait", comme les boycotts écologiques ou consuméristes plus ou moins justifiés. Dans la première modernité, il y avait deux
équilibres de fait : la domination d'une puisance hégémonique ou l'équilibre de la terreur. Dans la deuxième modernité, le choix
est entre la perte de souveraineté et la coopération transnationale dans le cadre d'une dépendance mutuelle, subie mais aussi
voulue ;
• 4°/ le caractère indissolublement global et local ("glocal") de la société civile mondiale. L'émergence de cette société se lit
notamment dans l'orchestration symbolique d'une contestation mondiale, et surtout dans la "mondialisation biographique".
Cette dernière signifie que "par les mariages multiculturels, la diversité des parcours professionnels et des amitiés, ce sont les
modes de vie individuels qui sont eux-mêmes mondialisés (...) Si ma vie se déroule dans une pluralité de lieux, c'est peut-être
qu'elle se déroule en fait dans un espace commun".
Ulrich Beck voit le salut dans l'émergence d'une démocratie écologique responsable. Il propose, dans une perspective durkheimienne,
de substituer la souveraineté organique de la coopération à l'anarchie mécanique de la concurrence entre logiques et entre acteurs.

La ville mondiale de Sassen


La sociologie de Saskia Sassen est moins ambitieuse et plus ciblée que celle de Beck puisqu'elle concerne la ville mondiale. Elle ne
s'en inscrit pas moins dans la même perspective d'ensemble, à savoir l'analyse des transformations induites par la mondialisation et de
leur inscription territoriale. Les migrants, les minorités ethniques, les femmes sont pour Sassen des témoins particulièrement
sensibles de ces mutations. Après d'autres, notamment les économistes géographes, Sassen s'interroge : comment expliquer
l'hyperconcentration urbaine à l'ère des réseaux et du développement des activités à localisation libre ? Pourquoi un système
transnational si diffus a-t-il besoin de concentrer ses fonctions managériales et financières ? Pourquoi, enfin, si les travailleurs
intellectuels peuvent communiquer et interagir si facilement grâce aux réseaux, trouve-t-on une telle concentration d'écrans
d'ordinateurs sur quelques km2 à Manhattan, Tokyo ou Londres ? Les métropoles urbaines voient cohabiter l'extrême misère et la
richesse insolente, les compétences les plus rares et le travail le plus déqualifié, les modes de vie de la jet set et ceux d'une myriade de
groupes ethniques. Comment gérer une ville mondialisée quand la matière fiscale est volatile, alors que les dépenses de sécurité et de
redistribution s'élèvent et que les minorités entendent faire valoir leur droit à la ville ?
Pour Saskia Sassen, ce "noeud métropolitain" n'est pas pur réceptacle, c'est aussi un acteur politique capable de stratégies d'attractivité
et d'intégration. Ainsi, New York, en offrant à la fois un réseau en fibres optiques surdimensionné, des compétences rares en droit,
marketing et finance et une armée de travailleurs peu qualifiés, peut attirer les firmes transnationales, en leur permettant d'optimiser
leur niveau d'externalisation et en offrant à leurs salariés le meilleur rapport qualité-prix en matière de services personnels. La
concentration de populations défavorisées dans les métroples capitalistes s'explique par un triple mécanisme : les flux migratoires sont
inséparables des flux de capitaux ; l'économie développée prospère d'autant mieux qu'une économie invisible se développe à ses
marges ; enfin, la concentration urbaine donne une présence et une visibilité aux sans-pouvoir. Du fait de la mondialisation, on voit
donc émerger une nouvelle géographie. La concentration économique dans les agglomérations dévitalise le tissu urbain environnant
en accélérant du même coup les phénomènes de polarisation. La marginalité économique des immigrés masque leur centralité
urbaine, et plus encore leur insertion dans des réseaux mondiaux identitaires, culturels et de solidarité. Si bien qu'on peut dire à la fois
que le multiculturalisme est un produit de la mondialisation, que l'économie des réseaux est un facteur de polarisation géographique,
et que la capacité politique des gouvernants est le critère majeur de succès des stratégies d'attractivité urbaine. Sans capacité fiscale, la
ville se désarticule entre élite "glamour" et minorités actives de la "guerre urbaine".
Mais Sassen ne limite pas son ambition à ce travail descriptif. Elle veut apporter sa contribution à une sociologie du "genre" (gender)
au sens du clivage masculin/féminin, concernée, elle aussi, par la mondialisation. On ne comprend pas comment se développe
l'agriculture extravertie du tiers monde, organisée par les multinationales de l'agro-industrie, si on ne perçoit par le rôle de la femme
dans le maintien des cultures vivrières qui contribuent à l'équilibre du ménage et au faible prix des denrées exportées. Par ailleurs, si
on ne se pose pas la question du genre, on passe à côté d'un phénomène massif, celui de la féminisation du prolétariat - au Sud, mais
aussi au Nord dans les activités comme l'électronique, les composants et les textiles. Enfin, le rôle féminin est transformé par les
migrations. Qu'il s'agisse de ménages éclatés entre le Nord et le Sud, l'épouse restant sur place pour devenir chef de famille, ou de
ménages déplacés, le rôle économique et social tout comme la subjectivité de la femme s'en trouvent redéfinis.

On voit que, pour les auteurs de ces trois ouvrages, la mondialisation économique est acquise : ce sont ses dimensions sociales,
politiques et culturelles qu'il convient d'étudier. Ils apportent les premières réponses à quatre types de questions :
• 1°/ qu'est-ce que la société mondiale quand les individus se définissent par leur multi-appartenance et que les États-nations
assurent de moins en moins leur fonction d'intégration, de protection et de maîtrise d'un devenir collectif ?
• 2°/ comment penser l'opposition entre global et local, universel et contextuel, qui définit la "deuxième modernité" ?
• 3°/ qu'est-ce que la société du risque d'origine humaine, et quelles conséquences faut-il en tirer pour l'organisation de la
protection sociale, des échanges, voire des pouvoirs ?
• 4°/ quelle peut être l'utopie d'un monde fini, unifié par les échanges, les migrations et les risques ? Comment gouverner
démocratiquement ce monde ouvert, comment éviter les régressions protectionnistes et xénophobes ?

Les analyses et les réponses fournies par les auteurs sont souvent discutables dans le détail, mais, prises ensemble, elles constituent un
corpus fort utile pour ceux qui veulent commencer à penser "global"
Source :: Élie Cohen, directeur de recherche au CNRS, dernier ouvrage paru en 2001 L'Ordre économique mondial, Fayard. "La
mondialisation : un fait social total." Sociétal, n° 32, 2e trimestre

Régionalisme et multilatéralisme
Sommaire

Le succès relatif du régionalisme


Les accords régionaux dans l'OMC
Les accords régionaux sont-ils des substituts au multilatéralisme ?
Les accords régionaux relais du multilatéralisme ?
Le régionalisme, assouplissement du multilatéralisme ?
Le régionalisme, réponse aux carences du multilatéralisme
Conclusion
Pour en savoir plus par Jean-Marc Siroën.

Au cours des années 90, la concomitance du renforcement du multilatéralisme, avec la création de l'OMC, et de la multiplication des
accords préférentiels régionaux, comme le Marché unique européen, l'Alena ou le Mercosur, a de nouveau posé le problème de
l'antinomie possible entre régionalisme et multilatéralisme. Si, comme le rappelle ici Jean-Marc Siroën, la théorie économique penche
plutôt en faveur de la thèse de la substitualité, les accords régionaux devant à terme miner le libre-échange, l'étude de la réalité en
souligne au contraire la complémentarité. La régionalisation des échanges, loin de s'opposer au multilatéralisme, répond à certaines
carences de celui-ci, contribuant en pratique à la structuration et à la stabilité des relations commerciales.
Un pays peut libéraliser ses échanges de plusieurs façons. Il peut ainsi s'ouvrir seul sans exiger de réciprocité de la part de ses
partenaires. Même si cette politique de libéralisation unilatérale est justifiée en théorie, elle n'est pas la plus courante. Plus
fréquemment, les pays n'acceptent de s'ouvrir que si les autres en font autant. La libéralisation réciproque des échanges peut alors
suivre deux voies. La première est le multilatéralisme qui empêche de discriminer les avantages commerciaux. Tous les pays se
verront alors imposer le même tarif douanier et, plus généralement, les mêmes restrictions. La seconde est celle des accords
préférentiels qui avantagent explicitement un ou plusieurs partenaires. Les années 90 sont marquées à la fois par le renforcement du
multilatéralisme et par la multiplication des accords préférentiels régionaux. A la création de l'Organisation mondiale du commerce
(1995) correspond le Marché unique en Europe, l'Alena en Amérique du Nord, le Mercosur en Amérique latine. La coexistence de ces
deux logiques d'ouverture réciproque n'est pas évidente. Un certain nombre d'économistes comme, par exemple, Jagdish Bhagwati,
estiment que le régionalisme mine le multilatéralisme (1). Si la théorie économique étaye cette position, sa confrontation à la réalité
ne confirme pas les craintes exprimées.

Le succès relatif du régionalisme


Depuis 1948, c'est-à-dire la mise en place du GATT, " ancêtre " de l'actuelle Organisation mondiale du commerce, deux-cent-quatorze
accords ont été notifiés à l'institution multilatérale et cent-trente-quatre sont considérés comme appliqués (graphique 1). Le premier
accord d'envergure de l'après-guerre est le traité de Rome (1957) entre six pays européens. On assiste, dès le début des années 60, à
une vague d accords en Europe, en Amérique latine et en Afrique : Association européenne de libre-échange (1960), Association
latino-américaine de libre-échange (1960), Marché commun d'Amérique centrale (1960), Marché commun africain (1962), Pacte
andin (1969). Ces pays ne sont d'ailleurs pas tous signataires du GATT. La vague des années 70 implique surtout la CEE qui multiplie
les accords bilatéraux avec les autres pays européens, les pays méditerranéens, les pays africains (première convention de Lomé,
1975). Dans les années 80, le mouvement prend une certaine ampleur : Groupe andin (1987), Mercosur (signé en 1991), entrée
progressive des pays de l'ASEAN dans une zone de libre-échange (1991). Les États-Unis prennent l'initiative d'accords avec Israël
(1985) et le Canada (1988). Cette dernière initiative est élargie quelques années plus tard au Mexique (Alena, 1992). Aujourd'hui,
tous les membres fondateurs de l'OMC (à l'exception de Hong Kong et du Japon) adhèrent à au moins un accord régional.

Dans les années 90, le " boom " apparent de la régionalisation est trompeur. L'éclatement de l'Union soviétique, de la
Tchécoslovaquie, de la Yougoslavie a conduit chacun des nouveaux pays à maintenir des relations préférentielles avec les pays "
proches ". Certains accords préparent l'intégration dans l'Union européenne. D'ailleurs, ces accords, souvent bilatéraux, ont peu de
chance de modifier l'équilibre des relations commerciales multilatérales (huit impliquent la Lettonie, six les... îles Féroé, 45 000
habitants). Plus de 90 % des accords notifiés à l'OMC n'impliquent ainsi que des pays de la " grande " Europe (Europe + Bassin
méditerranéen + ex-Républiques soviétiques).
Un nombre limité de zones régionales représente pourtant une part importante du commerce international. Les quatre principales
zones de préférence - l'Union européenne, l'Alena, le Mercosur et l'ASEAN - représentent 60 % du commerce mondial et le
commerce extérieur à l'intérieur de chacune de ces zones, plus du tiers du commerce mondial (graphique 2) et les échanges à
l'intérieur des zones tendent à s'accroître (graphique 3), le tassement européen dans les années 90 faisant figure d'exception. Il est
néanmoins difficile de départager ce qui peut être imputé à l'accord régional.

Les accords régionaux dans l'OMC


Il convient de distinguer les zones " naturelles ", conséquence spontanée de la libéralisation multilatérale des échanges des zones "
construites " qui reposent sur des accords préférentiels.
En effet, les pays échangent d'autant plus qu'ils sont géographiquement et économiquement proches. Une ouverture multilatérale peut
donc conduire à une augmentation " naturelle " des échanges entre pays voisins. Certains parlent de régionalisme " ouvert " car fondé
sur un processus d'ouverture multilatérale. Les zones construites bénéficient, au contraire, d'avantages, c'est-à-dire de préférences en
général réciproques.
Le multilatéralisme, tel qu'il est codifié par le GATT et l'OMC repose pourtant sur la non discrimination. Il impose d'accorder à tous
les pays membres le même régime commercial. Par le principe de la " clause de la nation la plus favorisée " (Cf. encadré ci-dessous),
les pays doivent faire bénéficier les autres pays membres de l'OMC des " préférences " commerciales qu'ils accordent à d'autres. Les
zones " construites " dérogent donc à la clause de la nation la plus favorisée. Mais cette exception est prévue dans les textes fondateurs
(Cf. encadré ci-contre).
Ces exceptions ne se réalisent pas nécessairement dans un cadre régional. Elles n'exigent même pas toujours la réciprocité. Le
système généralisé de préférence ou les accords de Lomé sont ainsi des accords de préférence où les pays " riches " accordent des
facilités d'accès à leur marché aux exportations des pays pauvres en général, ou à certains d'entre eux (les pays Afrique-Caraïbes-
Pacifique dans les accords de Lomé conclu avec l'Union européenne) sans exiger de réciprocité. Mais, progressivement, ces systèmes
devraient évoluer vers des accords plus conformes aux normes de l'OMC ce qui, d'ailleurs, devrait provoquer une nouvelle explosion
d'accords.

Multilatéralisme et clause de la nation la plus favorisée par Jean-Marc Siroën.


La clause, ou traitement, de la nation la plus favorisée (NPF) est souvent considérée comme un pilier du multilatéralisme ; elle
remplit deux fonctions essentielles : elle empêche la discrimination, et elle sécurise les accords en empêchant que leurs effets attendus
soient ultérieurement remis en cause par un " renversement d'alliance ", c'est-à-dire par un accord préférentiel.
La clause de la nation la plus favorisée ne suffit pourtant pas à caractériser le multilatéralisme. Comme le rappelle Douglas Irwin(1),
les accords bilatéraux de libre-échange du XIXe siècle, tel le traité franco-britannique de 1860, incluaient une clause de la nation la
plus favorisée.
Le multilatéralisme se fonde sur une administration centralisée de la clause qui s'applique automatiquement aux États membres de
l'OMC. Les négociations commerciales sont ainsi multilatérales en ce sens que tous les pays négocient simultanément. Ils parviennent
à un accord, par consensus qui, en principe, s'applique à tous les pays et dans les mêmes conditions. De même, c'est par la procédure
de règlement des différends de l'OMC que les pratiques discriminatoires peuvent être démontrées et, le cas échéant sanctionnées.
À l'origine, la compétence du GATT, et donc la clause de la nation la plus favorisée, était limitée aux biens. Elle ne s'appliquait donc
ni aux service, ni aux mouvements de facteurs. L'accord de Marrakech (1994) a généralisé la clause de la nation, la plus favorisée aux
services, mais avec des possibilités d'exemptions (par exemple, les services culturels). À la fin de 1999, et malgré certaines tentatives
avortées, comme l'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI) négocié à l'OCDE, ces principes ne s'appliquent pas de manière
générale aux investissements.

Les tolérances de l'OMC A l'égard des accords régionaux


L'article XXIV du GATT
L'article XXIV, para 4 reconnaît la constitution d'une union douanière ou d'une zone de libre-échanges elle a " pourobjet de faciliter le
commerce entre les territoires constitutifs et non d'opposer des obstacles au commerce d'autres parties. Contractantes avec ces
territoires. Ces accords doivent impliquer l'essentiel des échanges commerciaux ". L'article interdit la constitution d'un " bloc "
protecteur. Les accords sectoriels trop partiels ou les accords de préférences non-réciproques ne sont pas couverts sauf s'ils préfigurent
un accord complet.
La clause d'habilitation
La clause d'habilitation, adoptée A l'issue des accords du Tokyo Round (1979), autorise les parties contractantes du GATT A accorder
un traitement préférentiel aux pays en développement qui ne serait pas nécessairement fondé sur la réciprocité. Comme dans l'article
XXIV, le " traitement différencié et plus favorable " ne doit pourtant pas être conçu pour élever les obstacles au commerce vis-A-vis
des pays tiers.
l'article V du GATS (Accord Général sur le Commerce des Services)
Les Accords de Marrakech ont étendu aux services les tolérances de l'article XXIV du GATT.
Les dérogations
L'article XXV sur les dérogations (waivers) peut également être évoqué notamment lorsque les accords préférentiels introduisent une
discrimination entre les pays en développement (Initiative du bassin des Caraïbes ou les Accords de Lomé). Ils rendent envisageables
des accords préférentiels sectoriels.

Les accords régionaux sont-ils des substituts au multilatéralisme ?

Après la Seconde Guerre mondiale, le multilatéralisme moderne s'est fondé sur le rejet des accords régionaux et bilatéraux qui avaient
rendu (presque) soutenable le repli protectionniste honni des années 30. C'est donc avec réticences que les États-Unis ont fini par
accepter ce que revendiquaient les Anglais et les Français, à savoir le maintien d'un système de préférence colonial et, peut-être, la
possibilité d'unifier l'Europe autour d'un marché libre.
La théorie économique conforte ces réticences même si elle considère fréquemment que les conséquences des accords préférentiels,
qu'ils soient positifs ou négatifs, sont de toute façon très limitées. Les motivations véritables ne relèveraient pas de l'économique, mais
du politique comme, par exemple, fonder l'unité de l'Europe ou ancrer la stabilité politique du Mexique à l'Alena.
La théorie libérale du commerce international, qui trouve son origine chez Smith et Ricardo, préconise l'ouverture unilatérale des
économies. Les gains de l'échange viennent de la baisse du prix des importations, apprécié relativement au prix de la production
nationale. Un pays améliore sa situation en s'ouvrant unilatéralement à tous sans discrimination. Néanmoins, les traités bilatéraux
réciproques, nombreux au XIXe siècle, sont considérés comme un progrès vers cet idéal de libéralisation totale des échanges : un peu
d'ouverture à l'égard de certains pays vaut mieux que pas d'ouverture du tout.

En 1950, l'économiste américain Jacob Viner va remettre en cause cette conception des accords préférentiels, vus comme une avancée
dans le processus de libéralisation(2). Certes, les accords préférentiels créent de l'échange entre les pays signataires. Ils bénéficient
ainsi de gains qui se concrétisent par la baisse du prix des biens importables. Mais ils conduisent aussi à substituer des importations
des nouveaux pays membres aux importations, parfois plus compétitives, des pays tiers. Avec l'intégration de la Hongrie à l'Union
européenne, la Tunisie ne risque-t-elle pas de vendre moins de chemises à la France qui verra donc augmenter le prix d'importation
(hors tarifs) de ses chemises ? Cette " destruction " de commerce (" diversion ", " détournement ") pèse négativement sur les gains de
l'échange des pays de la zone. Les gains de " création " l'emportent-ils sur ces pertes ? La théorie ne tranche pas et les études
empiriques sont contrastées.
Malgré la baisse des coûts de transport et le rapprochement des cultures, la proximité géographique continue pourtant à jouer un rôle
important dans les échanges commerciaux. La libéralisation commerciale, qu'elle soit préférentielle ou multilatérale, favorise
l'échange intrarégional. La contribution des accords préférentiels, si elle existe, serait alors marginale. Les échanges intra-européens
n'auraient sans doute pas été très différents sans le traité de Rome (sauf, peut-être, pour l'agriculture). Ce ne sont pas les accords
préférentiels qui ont stimulé les échanges intra-APEC(3) mais la libéralisation commerciale multilatérale des pays d'Asie et
d'Amérique latine. Les effets de destruction ont donc toutes les chances d'être limités lorsque les accords préférentiels sont construits
sur une base régionale. Les gains de création aussi, d'ailleurs d'où la faiblesse des conséquences attendues, notamment pour les pays
les plus grands et les plus ouverts de la zone (les effets de l'Alena sont infiniment plus faibles aux États-Unis qu'au Mexique).
A priori, ces effets des accords préférentiels sur les pays membres ne regardent qu'eux-mêmes. Pourquoi n'auraient-ils pas le droit de
privilégier d'autres objectifs que l'économie et d'avoir d'autres motivations que les poussières de PNB attendues ? Parce que la fonction
du multilatéralisme, tel qu'il est incarné par l'OMC, est de promouvoir le bien-être de l'ensemble de ses membres et non celui de telle
ou telle région. Le multilatéralisme doit veiller à la stabilité des relations commerciales internationales et intervenir si ces effets de
détournement ont des effets néfastes sur les pays tiers.
Les accords préférentiels ont, en effet, toutes les chances de réduire les exportations des pays tiers. De plus, si la région est
suffisamment grande, la contraction de la demande et de l'offre qu'elle adresse à la zone de préférence se retranche de la demande et
de l'offre adressée au marché mondial ce qui risque de provoquer la baisse du prix des exportations des pays tiers et la hausse du prix
de leurs importations. La zone améliore ses termes de l'échange au détriment des pays tiers.
Cet effet " grand pays " est aggravé par la politique commerciale d'une zone qui, comme l'Union européenne, disposerait des attributs
d'une Union douanière (politique commerciale commune et unique). En effet, toute limitation des importations ou des exportations
accentue l'amélioration attendue des gains de l'échange de la zone. La théorie de la politique commerciale montre qu'il existe un
niveau de protection optimale dont le caractère restrictif est, jusqu'à un certain point, d'autant plus élevé que la zone est grande.
Krugman montre que le bien-être mondial est minimisé lorsque le monde se recompose en deux ou trois blocs qui mèneraient une
politique commerciale " optimale "(4). Bref, le comportement rationnel, c'est-à-dire égoïste, des zones serait alors d'évoluer en blocs
protectionnistes ce qui, effectivement, comme le prévoit Bhagwati, minerait le libre-échange.

Les accords régionaux relais du multilatéralisme ?

Dans les faits, pourtant, ces prévisions pessimistes ne se sont pas réalisées. Les motifs de la protection restent plus traditionnels et ne
sont pas déterminés par la formation des zones régionales. L'article XXIV du GATT interdit d'ailleurs aux zones d'augmenter la
protection à l'égard des pays tiers. Au contraire, l'harmonisation des tarifs conduit plutôt à une baisse des tarifs moyens. Les pays où le
commerce préférentiel est le plus développé sont aussi, en général, les plus ouverts au commerce mondial. L'articulation entre le
régionalisme et le multilatéralisme se réalise mieux que ne le redoutaient les économistes.
Il est vrai, pourtant, que dans les années 50 et jusqu'aux années 70, les accords d'intégration régionale, en Afrique ou en Amérique
latine, étaient présentés comme une alternative au multilatéralisme. Ils devaient permettre de préserver une stratégie de
développement fondée sur la substitution d'une production nationale ou régionale aux importations.
Aujourd'hui, les accords de préférence ne sont plus considérés comme une alternative. L'abaissement unilatéral des tarifs et l'adhésion
à l'OMC (et, auparavant, au GATT) ont le plus souvent formalisé le ralliement d'un certain nombre de pays à l'ouverture
commerciale. C'est souvent ce mouvement initial d'adhésion au multilatéralisme qui a rendu possible, comme au Mexique, l'existence
ou l'élargissement des accords régionaux.
Un certain nombre de forums régionaux, comme l'APEC, ont pour fonction explicite de favoriser la mise en oeuvre des règles
multilatérales. Certains accords régionaux préférentiels, comme l'Alena, reproduisent les structures, voire les règles multilatérales
(minilatéralisme). Allant parfois plus loin que le multilatéralisme, ils constituent de véritables laboratoires d'expérimentation des
règles qui, demain, pourraient être intégrées à l'OMC.
La constitution de zones régionales préserve la compétence du multilatéralisme dans le traitement des relations interzones. La
constitution d'un nombre limité de zones intégrées devrait faciliter la coopération. En décembre 1999, l'échec de la Conférence de
Seattle, qui devait lancer un nouveau cycle de négociations multilatérales, est en partie imputable à la dispersion, et donc à
l'isolement, de certains des cent trente cinq pays membres de l'OMC. Néanmoins, si, dans l'Union européenne, les négociations
commerciales multilatérales relèvent de la compétence communautaire, elle fait encore figure d'exception. Ailleurs, chaque pays
participe individuellement aux négociations quelle que soit sa participation à un ou des accords. Dans ce cas, ce n'est pas l'excès
d'intégration régionale qui gêne le multilatéralisme mais son insuffisance.

Le régionalisme, assouplissement du multilatéralisme ?

La clause de la nation la plus favorisée est un accélérateur puissant de l'ouverture puisqu'elle étend les concessions commerciales
accordées en faveur de certains pays à l'ensemble des pays membres. Mais elle est aussi un inhibiteur d'ouverture puisqu'elle exige
d'accorder à tous et sans réciprocité des avantages que l'on voudrait ne voir accorder qu'à certains. Par exemple, le Costa Rica peut
souhaiter réduire ses tarifs avec les États-Unis et, en contrepartie, bénéficier de l'ouverture du marché américain. Si cette préférence
n'était accordée qu'au seul Costa Rica, les impacts sur l'économie américaine seraient négligeables. Le reste du monde ne verrait sans
doute pas de différence avec la situation antérieure. Pourtant, si les dérogations n'existaient pas, les États-Unis devraient généraliser
cette mesure à l'ensemble des pays de l'OMC ce qui reviendrait à une libéralisation unilatérale des États-Unis. Une mesure bénigne se
transformerait alors en mesure d'envergure, ce qui aurait d'ailleurs toutes les chances d'empêcher sa mise en oeuvre. Même si les
États-Unis accédaient à la demande du Costa Rica, ce comportement magnanime ne rendrait pas mécaniquement le monde plus
ouvert. En effet, la libéralisation unilatérale priverait les États-Unis de " munitions " pour négocier l'ouverture du reste du monde. En
renonçant prématurément à certaines de ses protections, les États-Unis auraient finalement permis aux autres pays de conserver les
leurs. Ils auraient encouragé le comportement de " passager clandestin " des autres pays(5).
Certes, le jeu des négociateurs est toujours d'obtenir plus tout en concédant moins. Mais il arrive un moment où les points d'accords
entre un nombre critique de pays sont tels que se pose inévitablement le dilemme suivant : faut-il arrêter là la négociation et encaisser
les avantages d'un tel accord même si certains pays n'ont pas joué le jeu de la réciprocité ? Ne risque-t-on pas de cautionner un
comportement de passager clandestin qui pourrait se propager ? L'Uruguay Round a certes durci le multilatéralisme en limitant la
possibilité d'accords plurilatéraux (accords n'engageant que les signataires), mais il a aussi retiré une souplesse qui ouvre un
boulevard aux accords préférentiels et donc discriminatoires...
Au contraire, en excluant des pays qui n'avancent pas au même rythme et dans la même direction, les accords préférentiels "
internalisent " certaines des " externalités " de la libéralisation des échanges - l'ouverture des marchés. Ils créent, par là même une
incitation en faveur du libre-échange.

Le régionalisme, réponse aux carences du multilatéralisme


Et même lorsque les pays s'engagent, comment vérifier le respect de la lettre et de l'esprit des accords ? Il existe toujours des failles
dans lesquelles s'engouffrent rapidement les responsables de la politique commerciale. Ainsi, les accords régionaux n'ont pas
uniquement pour fonction de réduire les barrières aux échanges. Ils mettent aussi en place des règles et des procédures d'arbitrage qui
vont au-delà de l'OMC et qui réduisent ces risques de contournement des accords. Il manque alors au multilatéralisme une doctrine de
la loyauté qui permette de départager les actions publiques légitimes des actes qui relèvent de la triche et remettent en cause la
stabilité des accords. Les États et, de plus en plus, les opinions publiques craignent que la balance assez fragile entre les avantages et
les inconvénients de l'ouverture commerciale, ne soit finalement déséquilibrée par des pratiques qui ont pour effet d'améliorer
l'avantage compétitif de certains secteurs : politiques de compression des salaires, exonérations fiscales discriminatoires, etc. Cette
absence de doctrine " multilatérale " de la loyauté a des conséquences amplifiées par l'introduction de " nouveaux joueurs " dans
l'économie mondiale qui n'adhèrent pas tous à la conception dominante du libéralisme.
Certes, les règles de l'OMC condamnent les comportements déloyaux, définis comme la violation des engagements d'un pays. Mais
elles atteignent peu les politiques publiques ou les comportements privés, qui sans être strictement commerciaux, confèrent au pays un
avantage compétitif " déloyal ". Si les pays industriels dominants sont, en principe, favorables au renforcement de règles dans le
domaine des normes de travail, d'environnement ou de concurrence, ils n'ont pas convaincu l'ensemble des pays et, notamment, les
pays en développement, sur la nécessité de règles internationales de loyauté.
La théorie économique néglige souvent la complexité des processus de libéralisation commerciale. Elle éprouve parfois quelques
difficultés à mettre en évidence les intérêts divergents des pays, les attentes complexes des acteurs - consommateurs, producteurs,
opinions publiques - et la subtilité de l'environnement institutionnel. Il ne s'agit pas uniquement d'importer des biens moins chers,
mais d'en saisir l'ensemble des conséquences, sur les producteurs nationaux, bien sûr, mais également sur le système réglementaire, la
protection sociale, l'identité nationale. D'une manière générale, c'est le " contrat social " implicite qui lie les citoyens à leurs
institutions politiques nationales qui doit être préservé quitte, d'ailleurs, à le faire évoluer.
Par rapport aux textes multilatéraux, les accords d'intégration régionale renforcent et précisent ces règles de loyauté. Ainsi, la
ratification de l'Alena n'a été rendue possible que par l'adjonction d'annexes sur l'environnement et sur les normes de travail. Les
disciplines communautaires, qui fondent déjà une bonne partie du traité de Rome, ont été plusieurs fois renforcées (Charte sociale,
règlement de 1989 sur les fusions, etc.). Quasiment tous les accords préférentiels régionaux intègrent ainsi aujourd'hui des
dispositions qui restent, et sans doute pour longtemps, inaccessibles au sein de l'OMC.
Le caractère discriminatoire des accords régionaux qui irrite tant les économistes doit alors être nuancé. Si l'ouverture est
préférentielle du point de vue tarifaire, les parties sont néanmoins astreintes à des règles du jeu beaucoup plus contraignantes que
celles appliquées à l'égard des pays tiers. Les avantages commerciaux peuvent alors être considérés comme une compensation qui,
dans les faits, ne s'est pas révélée disproportionnée.

Conclusion
La régionalisation des échanges, entendue comme la mise en place d'accords préférentiels, ne s'oppose plus au multilatéralisme.
Astreinte à certaines limites, elle contribue à une structuration des échanges mondiaux, à l'équilibre des relations commerciales et,
plus largement, à la maîtrise de la mondialisation. Au-delà, elle contribue à fixer des pays instables et à les faire converger vers
certaines valeurs communes, qu'elles soient connotées par une spécificité régionale (culture européenne) ou qu'elles se revendiquent
comme universelles (démocratie, droits de l'homme). Le doute introduit par Viner, et entretenu depuis, sur la légitimité des accords
préférentiels peut être levé. Au même titre qu'un multilatéralisme fort et pragmatique, ils contribuent à la stabilité des relations
commerciales d'un monde ouvert aux échanges.
Source :Les cahiers français, n° 299 Auteur : Jean-Marc Siroën (Professeur à l'Université Paris-Dauphine) .
Les principales étapes de la mondialisation financière
Sommaire

Libéralisation financière et régime de change


Innovation financière et progrès technique
Le mouvement de déréglementation
Références bibliographiques par Pierre Jacquet.

Si, historiquement, la mondialisation financière n'est pas un phénomène nouveau, sa profondeur et sa diffusion font d'elle une des
évolutions majeures des deux dernières décennies. Trois étapes marquent cette mondialisation : l'effondrement du système monétaire
international de Bretton Woods, les innovations financières et le mouvement de déréglementation. Ces deux dernières entretiennent
une dynamique et des relations complexes. Quelle est la part de volontarisme des autorités gouvernementales en la matière ?
(...) Un processus comme celui de la mondialisation financière ne peut être vraiment daté. Il se nourrit de la conjonction d'un certain
nombre de facteurs : l'accroissement de l'interdépendance par le commerce et l'investissement, l'évolution du système monétaire
international dans les années soixante-dix, le progrès technique, la concurrence et la déréglementation, la montée de la dette publique,
la réalisation du marché unique européen, l'ouverture financière dans les pays en développement et les négociations multilatérales sur
l'échange des services financiers.

Libéralisation financière et régime de change


L'effondrement du système monétaire international de Bretton Woods, entre 1971 et 1973, conduit en 1976 au second amendement
des statuts du Fonds monétaire international (FMI), dans le cadre des accords de la Jamaïque qui entrent en vigueur en 1978 et
sanctionnent le flottement entre les grandes monnaies. Dans un tel contexte, les contrôles des mouvements de capitaux perdent leur
intérêt, car le flottement des monnaies introduit une marge de manoeuvre complémentaire pour gérer les déséquilibres potentiels de la
balance des paiements. C'est avec le souci de préserver la stabilité des taux de change que la mobilité des capitaux ne fait pas bon
ménage, selon le fameux "triangle de Mundell"(1), à savoir l'incompatibilité de la mobilité parfaite des capitaux, de la fixité des taux
de change et de l'autonomie des politiques monétaires au niveau national. L'acceptation du flottement des changes ouvre donc la voie
au démantèlement des barrières réglementaires, à un moment où nombre d'économistes, notamment ceux de l'école de Chicago,
recommandent précisément le flottement des taux de change et la liberté de mouvement des capitaux susceptible de conduire à une
meilleure allocation de l'épargne mondiale(2).

Innovation financière et progrès technique

Parallèlement, le progrès des technologies de l'information et de la communication facilite de plus en plus les transferts et les
montages financiers internationaux. La finance est en effet largement liée à la collecte et au traitement de l'information(3). Les
avancées informatiques sous-tendent également d'importants progrès des mathématiques financières qui facilitent la tarification des
nouveaux instruments. L'innovation financière connaît dans les années quatre-vingt un développement fulgurant, élargissant
considérablement le menu d'instruments financiers à la disposition des acteurs, investisseurs, spéculateurs ou trésoriers d'entreprise.
Les produits dérivés, déjà utilisés sur les marchés des matières premières, se répandent : futures, swaps, options ou combinaisons de
ces différents éléments, sur les marchés des changes et les marchés des taux. Il s'agit de contrats construits à partir de ("dérivés" de)
variables sous-jacentes (titres, taux d'intérêt ou de change, indices boursiers) et qui permettent de couvrir certains éléments du risque
et de transformer quelques-unes des caractéristiques financières de ces variables sous-jacentes. Ils s'échangent soit sur les marchés
organisés, soit de gré à gré. Ainsi, certains produits dérivés permettent l'échange d'actifs financiers à taux fixes en actifs à taux
variables, ou de titres libellés dans une certaine devise ou dans une autre. D'autres, les options, donnent le droit d'acheter (option call)
ou de vendre (option put) un actif financier à un prix fixé et avant une date déterminée(4).
L'innovation financière permet de décomposer le risque en plusieurs composants et d'échanger ces composants sur les marchés. Elle
contribue à mettre ainsi en correspondance, pour les différents agents, le risque désiré et le risque effectivement pris. Elle facilite donc
l'activité économique et l'allocation des ressources. Elle conduit cependant à une complexification croissante des transactions
financières et des canaux de prise de risque, posant aux autorités de réglementation et de supervision, qu'elles soient publiques ou
privées au sein des grands groupes, des problèmes considérables de suivi et d'analyse des risques, mais aussi de définition des
modalités de réglementation, de contrôle et d'intervention.
Dès lors, les excès sont difficiles à déceler et peuvent entraîner des ruines spectaculaires : les plus marquantes furent celles de
Metallgesellschaft, perdant 1,3 milliard de dollars sur des futures pétroliers en décembre 1993 ; d'Orange County aux États-Unis, avec
une perte de 1,7 milliard de dollars en décembre 1994 due à une spéculation malheureuse à la baisse des taux d'intérêt sur des
produits dérivés sur taux d'intérêt et sur des titres de dette publique ; de la banque Barings qui, suite aux agissements incontrôlés de
Nicholas Leeson (28 ans), a perdu près d'un milliard et demi de dollars sur l'indice Nikkei en février 1995 ; ou encore de Sumitomo
Corporation qui, en mars 1995, a perdu 1,8 milliard de dollars sur des futures sur le marché du cuivre après avoir caché les pertes
pendant de nombreuses années(5). Et, bien sûr, la faillite du fonds spéculatif LTCM (Long Term Capital Management) en octobre
1998, qui montre combien les montages les plus sophistiqués ne protègent pas même des prix Nobel contre un risque de liquidité
résiduel que rien, finalement, ne permet d'évacuer.

Le mouvement de déréglementation

Innovation, concurrence et déréglementation vont de pair. Le terme "déréglementation" n'est en fait pas approprié pour décrire
l'évolution observée. En effet, il s'agit davantage d'une adaptation de la réglementation existante, qui conduit à éliminer certaines
réglementations, que la concurrence et l'innovation rendent coûteuses ou désuètes, et à les remplacer par d'autres réglementations plus
efficaces. Ce terme véhicule donc l'image trompeuse d'un marché livré à lui-même sans contrôle ni supervision. Cette image provient
également du fait que l'évolution de la réglementation correspond cependant bien à une libéralisation des marchés. Elle laisse
davantage de liberté aux différents intervenants, autorise un vaste menu de transactions et repose sur la notion d'un contrôle moins
intrusif. La dialectique réglementation/innovation, suivant laquelle l'innovation répond à la réglementation existante, la rend désuète
et conduit à la "déréglementation", apparaît comme une constante dans l'évolution historique des marchés financiers(6). Elle rend
difficile tout exercice qui consisterait à juger si les mouvements observés sont dus aux décisions des gouvernements ou à la dynamique
des marchés. Les décisions sont importantes, mais elles traduisent souvent des réactions aux évolutions, plutôt que des démarches
volontaristes pour façonner ces évolutions.
Il n'en reste pas moins que d'importantes décisions de déréglementation ont été prises dans les vingt dernières années(7). C'est aux
États-Unis que le mouvement commence au début des années quatre-vingt, avec un ensemble de mesures destinées à encourager la
concurrence sur les marchés financiers, la poursuite de l'élimination des plafonds de taux d'intérêt engagée dès la seconde moitié des
années soixante-dix et, pour renforcer l'attrait du marché américain, l'élimination en 1984 de la retenue à la source de 30 % sur les
intérêts d'obligations souscrites aux États-Unis par des étrangers. La place de Londres embraye en préparant dès 1983 le "Big Bang"
d'octobre 1986, qui met fin aux commissions fixes sur les transactions financières et à la distinction entre les courtiers (brokers) et les
contrepartistes (market makers), qui ouvre la Bourse à des participations extérieures et qui met en place un système informatisé de
transactions en continu. Cette réforme bouleverse les conditions de concurrence sur les places financières et pousse les autres places à
s'engager également dans un mouvement de déréglementation.
Ce mouvement a été amplifié par l'Union européenne avec la création du marché unique, qui portait notamment sur la libre
circulation des capitaux et le libre-échange des services financiers. La libéralisation de la finance européenne a progressé rapidement
tout au long des années quatre-vingt. Les derniers verrous ont sauté avec la directive européenne sur la mobilité des capitaux, adoptée
en 1987. En France, le début des années quatre-vingt a été marqué par l'instauration de contrôles des capitaux visant à permettre au
pays de mener des politiques économiques différentes de celles de ses voisins tout en maintenant le franc au sein du Système
monétaire européen (SME). Dès 1983, cependant, la politique économique a opéré un virage à 180 degrés, et le gouvernement a
délibérément poursuivi la modernisation de la place de Paris et la déréglementation(8). Il s'agissait alors notamment d'attirer les
financements étrangers et de diminuer le coût du service de la dette publique.
Nombre de pays en développement ont également considérablement libéralisé leurs marchés financiers, notamment dans le but
d'attirer les investissements étrangers. La littérature économique s'est également penchée, au début des années quatre-vingt-dix, sur le
rôle du développement de la finance dans le processus de croissance, poursuivant ainsi les travaux antérieurs sur les défauts des
systèmes financiers "réprimés" dans lesquels les transactions sont pénalisées et les signaux de prix distordus(9). Enfin, les
négociations du cycle de l'Uruguay sur les services financiers, longues et délicates, ont aussi contribué à porter l'attention sur le
fonctionnement des marchés financiers, sur la différence entre libre mobilité des capitaux et non-discrimination sur les marchés, sur
l'avantage de la libre concurrence entre institutions financières nationales et étrangères, dans les pays industrialisés aussi bien que
dans ceux en développement(10). (...)
Source : Problèmes économiques, n° 2669 Pierre Jacquet, directeur adjoint de l'IFRI (Institut français des relations internationales),
rédacteur en chef de Politique étrangère.

Stratégies des firmes et échanges internationaux


Sommaire

Division des processus productifs et internationalisation des firmes


Dimension de l'intégration des activités des firmes
L'investissement direct à l'étranger (IDE)
Raisons de l'investissement direct à l'étranger
Le " paradigme OLI "
Logiques de réorganisation
Les effets de l'investissement direct à l'étranger
IDE et échanges internationaux
Une relation plutôt positive
par Christian Aubin.

Les théories traditionnelles du commerce international consacrent le rôle des seules nations au détriment des stratégies des véritables
acteurs des échanges que sont les grandes firmes, les échanges intragroupes des sociétés multinationales représentant par exemple
près d'un tiers du commerce mondial. Après avoir brossé un tableau de la réorganisation des modes de production et de
l'internationalisation de l'activité des entreprises, Christian Aubin traite la question de l'investissement direct à l'étranger, analysant
les facteurs qui le déterminent et ses conséquences sur le commerce des produits, relation considérée in fine comme plutôt positive.
Dans le prolongement des théories modernes du commerce international, qui mettent l'accent sur les déterminants technologiques et
les imperfections de concurrence, l'analyse est amenée à prendre en compte les stratégies des firmes. Ce faisant on assiste à un
rapprochement entre les analyses relevant de l'économie internationale et de l'économie industrielle(1). L'intérêt de cette évolution
théorique apparaît au regard de l'internationalisation de l'activité des entreprises. Face à une mondialisation qu'elles contribuent elles-
mêmes à promouvoir, les firmes sont poussées à réviser l'échelle de leurs opérations et leurs modes d'organisation.
On estime aujourd'hui que les échanges intragroupes des sociétés multinationales représentent environ 33 % du commerce mondial et
leurs exportations vers des entreprises non affiliées, 33 %. La part significative des échanges intragroupes s'explique par la
constitution de réseaux de filiales résultant d'une implantation des différents éléments du processus de production dans les pays
différents. Cette réorganisation des modes de production passe par un développement des investissements directs à l'étranger. Les
liens réciproques entre dette activité d'investissement et le commerce international deviennent un sujet de préoccupation de premier
plan(2) et l'importance des enjeux rend souvent difficiles les négociations multilatérales sur l'investissement direct à l'étranger
(négociations de l'AMI, Accord multilatéral sur l'investissement, dans le cadre de l'OCDE) (voir encadré ci-contre).

L'AMI (Accord multilatéral sur l'investissement)


Les négociations de l'Accord multilatéral sur l'Investissement ont été lancées lors d'une réunion du Conseil des ministres de l'OCDE
en mat 1995 L'AMI ambitionnait d'être le premier accord multilatéral réglementant les trois aspects fondamentaux de l'investissement
étranger : protection, libéralisation et règlement contraignant des différends. Le choix de l'OCDE, au détriment de l'OMC, comme
cadre des négociations signifiait toutefois que les pays en développement n'étaient pas directement partie prenante. Outre la
pertinence de ce choix, de nombreuses dissensions entre les pays de l'OCDE - notamment sur les législations extraterritoriales
américaines et sur la protection des industries culturelles - ont conduit à un premier report de l'échéance initiale (fixée à mai 1997),
puis à une suspension pour six mois des négociations (décision du Conseil des ministres de l'OCDE, 28-29 avril 1998), enfin à l'arrêt
de celles-ci, fin 1998.
Cet échec doit être attribué non seulement aux divergences entre les pays de l'OCDE, mais aussi au sentiment, largement partagé, que
le processus de négociation faisait la part trop belle aux revendications des multinationales (celles-ci auraient pu notamment
poursuivre un gouvernement devant un organe de règlement des différends), au détriment de la capacité des gouvernements locaux à
légiférer en matière de droit du travail, d'environnement ou de protection des biens et services culturels. Contrairement à son objectif,
le projet a réveillé les tensions entre communautés locales et multinationales. Divers groupes d'intérêt se sont même organisés en
lobbies à l'échelle internationale, notamment par l'intermédiaire du réseau internet, pour contrer le projet d'accord. Les oppositions,
qu'elles viennent des gouvernements français et canadien, au nom de " l'exception culturelle ", ou de groupes écologistes, contestaient
la philosophie libérale de l'accord ; au-delà de la question des multinationales, il s'agissait d'endiguer la progression de la
mondialisation et sa dynamique de convergence.

Division des processus productifs et internationalisation des firmes

La théorie du cycle international de vie du produit a illustré la possibilité d'un déplacement de l'avantage relatif, et donc des courants
d'échange, en fonction des caractéristiques des différentes étapes de la vie du produit. Si le processus de production lui-même peut
faire l'objet d'une segmentation en étapes, alors la même logique doit conduire à envisager la délocalisation de ces étapes en fonction
de la distribution internationale des avantages relatifs. Chaque opération élémentaire est effectuée là où elle est la moins coûteuse, en
raison d'une meilleure adaptation des conditions locales (dotations factorielles, compétences...).
La logique sous-jacente à la spécialisation et à l'échange dans le cadre d'une division internationale du processus productif est
semblable à celle qui fonde le commerce des produits dans l'analyse traditionnelle du commerce international. C'est essentiellement
une logique d'exploitation des différences. Toutefois, une spécificité apparaît en raison du caractère intermédiaire des biens échangés.
La réalisation d'une étape de production dans un pays donné peut impliquer des importations en provenance des pays assurant des
étapes en amont du processus et des exportations vers des pays spécialisés en aval de ce même processus. L'échange peut ainsi être de
type intrabranche. De plus, exportations et importations sont liées : la nature des exportations ne dépend pas seulement de
caractéristiques nationales, mais aussi de la nature des importations. Les avantages relatifs que la spécialisation internationale
cherche à exploiter s'expriment en termes de capacité à s'insérer efficacement dans le processus global de production. Parce qu'elles
sont interdépendantes, les différentes opérations doivent s'inscrire dans un cadre qui coordonne les activités des unités de production
délocalisées. L'analyse est ainsi conduite à prendre en considération l'organisation des firmes à l'échelle internationale.

Dimension de l'intégration des activités des firmes


Dans une perspective d'économie industrielle, l'évolution des firmes peut être schématiquement représentée en considérant deux
dimensions de l'intégration de leurs activités : l'intégration par la propriété des actifs et l'intégration par la coordination(3).
Le degré d'intégration le plus faible est associé à une firme adoptant une stratégie d'exportation à partir de bases nationales. La firme
dite " multidomestique " développe des implications dans plusieurs pays pour satisfaire des demandes locales (création de " filiales
relais " dans le cadre d'une stratégie de marché). La coordination des activités s'accroît avec la multinationalisation pour mettre en
oeuvre une division internationale des processus productifs (création de " filiales ateliers " dans le cadre d'une stratégie de
rationalisation de la production). La globalisation se caractérise par une forte intensité de coordination au sein de réseaux
d'entreprises conservant leurs propres bases nationales. Les stratégies de marché et de rationalisation de la production tendent à se
fondre tandis que s'impose une stratégie techno-financière qui fonde l'internationalisation sur les actifs intangibles de la firme et
permet une diversification sous des modes originaux (sous-traitance, cession de marques, participations minoritaires...).
Dans une perspective d'économie internationale, le passage d'une stratégie d'exportation à une stratégie de délocalisation pose la
question de l'investissement direct à l'étranger, des facteurs qui le déterminent et de ses incidences sur le commerce des produits.
L'investissement direct à l'étranger (IDE)
Il peut être défini comme une opération par laquelle un investisseur basé dans un pays (pays d'origine) acquiert un actif dans un autre
pays (pays d'accueil) avec l'intention de le gérer. Cette intention assure la distinction entre IDE et investissement de portefeuille.

L'investissement direct à l'étranger recouvre trois formes d'opérations :


- la participation au capital (par fusion, acquisition ou création de nouvelles installations) à un niveau suffisant pour pouvoir exercer
un contrôle ;
- le réinvestissement sur place des bénéfices d'une filiale implantée à l'étranger ;
- les prêts à court ou à long terme réalisés entre la société mère et sa filiale.
Bien que les statistiques existantes ne soient pas toujours idéales ni parfaitement comparables entre les pays, on peut donner une
évaluation globale de l'ampleur de l'investissement direct à l'étranger. On estime que, sur la période 1973-1995, la valeur des taux
annuels d'investissements directs à l'étranger est passée de 25 à 315 milliards de dollars. Cette évolution traduit une progression
globale plus rapide que celle du commerce mondial des produits puisque, sur la même période, la valeur des exportations a augmenté
de 575 à 4 900 milliards de dollars. La croissance de l'investissement direct est particulièrement nette dans le secteur tertiaire des
services (plus de 50 % des taux annuels d'IDE). On notera enfin que, sur la période récente, l'évolution a été marquée par une montée
de l'investissement international croisé an sein de la zone OCDE et par une suprématie des fusions-acquisitions sur les créations
nouvelles.

Raisons de l'investissement direct à l'étranger


Il ne suffit pas de montrer l'intérêt d'une extension de la production (pour bénéficier d'économies d'échelle sur un marché élargi) ou
d'une division internationale des processus productifs (pour exploiter les avantages comparatifs des pays) pour expliquer
l'investissement direct à l'étranger. Il faut encore expliquer pourquoi ce type d'opération est préféré au développement local de la
production pour l'exportation ou à la concession de licences à des entreprises étrangères pour l'exploitation des technologies.
A l'instar des développements de la nouvelle théorie du commerce international concernant les situations de concurrence imparfaite,
la référence à la théorie des jeux et aux comportements stratégiques peut contribuer à formaliser l'analyse. Les comportements
d'investissement direct à l'étranger et les structures de marché qui en résultent répondent à des choix pour faire face à des concurrents
locaux existants ou potentiels. D'autres motivations peuvent expliquer l'investissement à l'étranger.
Le " paradigme OLI "
Ainsi, dans une perspective plus générale, l'analyse se réfère au " paradigme OLI " (pour ownership, localisation, internalisation)(4).
Celui-ci fait de la multinationalisation le résultat d'une combinaison de trois éléments interdépendants :
• le premier (ownership) est la possession par l'entreprise d'actifs susceptibles d'être exploités de manière rentable à une échelle
relativement large ;
• le deuxième (localisation) est l'existence d'un avantage à utiliser ces actifs pour produire dans plusieurs pays plutôt que
d'exporter à partir d'une production dans le seul pays d'origine ;
• le troisième (internalisation) réside dans les avantages potentiels d'une " internalisation " de l'exploitation des actifs, en raison
de certaines formes de défaillance de marché.
Parmi les actifs dont la détention joue un rôle moteur dans l'internationalisation des opérations de sociétés multinationales, la
technologie ou, plus encore, la capacité d'innover régulièrement du point de vue technologique est reconnue comme un élément de
première importance. Plus généralement, on souligne souvent le fait que les sociétés multinationales possèdent de nombreux actifs
incorporels qu'elles peuvent exploiter à l'échelle mondiale (brevets, droits d'auteur, compétences, noms de marque, réseaux de
commercialisation...).

Logiques de réorganisation
De multiples facteurs peuvent être associés au deuxième élément du paradigme OLI. Une présence physique sur les marchés étrangers
est parfois nécessaire pour y être compétitif. C'est notamment souvent le cas dans les industries de services. L'implantation à
l'étranger peut aussi s'inscrire dans le cadre d'une division internationale du processus productif. L'investissement direct à l'étranger
répond alors à une logique de réorganisation verticale. Celle-ci peut aussi être horizontale lorsque des opérations de production
similaires sont effectuées dans des pays différents. La délocalisation peut alors répondre à une volonté de s'affranchir d'entraves au
commerce (frais de transport des produits, protectionnisme commercial du pays d'accueil) ou permettre une meilleure adaptation au
marché (proximité des consommateurs, ajustement aux nonnes locales, meilleure connaissance des concurrents locaux).
L'internalisation de l'exploitation des actifs permet d'éviter les coûts associés aux transactions entre sociétés indépendantes, coûts liés
à la passation des contrats et à la garantie de la qualité. Elle assure un meilleur contrôle sur l'utilisation des technologies, notamment
si l'environnement juridique dans le pays d'accueil n'offre pas des garanties jugées suffisantes en matière de protection de la propriété
intellectuelle en cas d'octroi de licences pour l'exploitation d'une technologie mise au point par l'entreprise. Par ailleurs, il peut y avoir
une sous-évaluation par le marché d'une telle technologie si, pour l'exploiter pleinement, on doit faire appel à des technologies
complémentaires, à des connaissances et à des compétences qu'il n'est pas facile de trouver en dehors de l'entreprise.

Les effets de l'investissement direct à l'étranger

L'investissement direct à l'étranger affecte de façons multiples les économies du pays d'origine et du pays d'accueil. On s'accorde
généralement à reconnaître dans l'investissement étranger un important vecteur de transfert international de technologie. Par les
transferts directs aux filiales, mais aussi par les retombées sur leur environnement (formation de la main-d'oeuvre locale, assistance
technique aux fournisseurs et clients locaux...), l'investissement étranger peut contribuer à une élévation de la productivité dans le
pays d'accueil. Même si cette voie d'amélioration de l'efficacité productive varie selon les secteurs et les pays, elle semble
suffisamment prometteuse pour pousser de nombreux pays à rechercher activement, par des incitations directes (financières ou
fiscales) ou indirectes, des investissements en provenance de l'étranger.
Nous pourrions encore nous attarder sur la question des effets en termes d'emploi, notamment dans le pays d'origine, de
l'investissement direct à l'étranger. L'analyse sur ce point rejoint celle présentée à propos de la concurrence des NPI et il demeure
difficile de fournir une évaluation précise et non controversée des gains ou des pertes d'emplois engendrés par le développement des
investissements à l'étranger. En privilégiant le point de vue de l'économie internationale, nous laisserons ces questions de côté pour
leur préférer une réflexion sur les conséquences de l'investissement direct à l'étranger sur le commerce des produits.

IDE et échanges internationaux


Si l'on se situe dans la perspective théorique de l'interprétation factorielle de l'échange international des produits, on doit s'attendre à
ce que le développement des flux d'investissement direct s'accompagne d'une diminution des flux commerciaux. La substituabilité
entre échange de facteurs et échange de produits explique cette conclusion. De fait, la diminution du commerce est hautement
probable si l'investissement direct à l'étranger a pour seul objectif la satisfaction d'un marché initialement desservi par des
exportations. Cette configuration peut notamment se rencontrer dans le cas d'un investissement destiné à contrer une politique
protectionniste du pays d'accueil. Mais ce n'est pas le seul motif pour investir à l'étranger et les incidences sur le commerce peuvent
être de natures diverses.
Le remplacement d'exportations de produits finis à destination d'un marché étranger par une production délocalisée sur ce marché
doit, certes, conduire à une diminution de ces exportations, mais cela ne signifie pas nécessairement la disparition des flux
commerciaux entre le pays d'origine et le pays d'accueil. Il peut y avoir un effet de substitution si la production délocalisée du bien
final utilise des biens intermédiaires ou des services importés du pays d'origine. On peut même concevoir que ces nouveaux flux
deviennent supérieurs aux anciens si la délocalisation permet un gonflement significatif des ventes sur le marché investi. Un effet
supplémentaire peut jouer si le bien final dont la production est délocalisée constitue une variété particulière au sein d'une gamme
plus étendue. Le développement du marché local pour la variété à production délocalisée peut s'accompagner d'une croissance de la
demande pour d'autres variétés du produit.
En restant dans la perspective d'un investissement destiné à remplacer des exportations, on peut concevoir un effet négatif sur les
importations du pays d'origine puisque celui-ci verrait diminuer ses éventuels besoins en biens intermédiaires importés. Il y aurait
alors un effet de détournement de commerce : les biens intermédiaires importés par le pays d'origine seraient alors importés par le
pays d'accueil. Mais, à nouveau, d'autres mécanismes peuvent jouer puisque, comme cela a été envisagé précédemment, la
délocalisation ne se traduit pas nécessairement par une diminution globale de l'activité productive dans le pays d'origine.
La substituabilité entre investissement direct et commerce ne semble donc pas établie de manière certaine, même dans le cas le plus
favorable d'un investissement de remplacement des exportations. Cette substituabilité est encore plus fortement remise en cause
lorsque l'investissement direct à l'étranger répond à une stratégie de division internationale des processus productifs. Dans ce cas, la
raison d'être de l'investissement est d'améliorer la position compétitive de l'entreprise dans le secteur par rapport à celle d'autres
entreprises, tant dans le pays d'origine qu'à l'étranger.
Dans cette perspective, l'investissement direct à l'étranger ne constitue pas un facteur d'homogénéisation des espaces, qui diminuerait
l'intérêt de l'échange international. Même si le déplacement du capital entre les pays conduit à rapprocher les ratios de dotations
globales en capital et en travail des pays, cela ne signifie pas une atténuation des avantages relatifs. Ceux-ci s'expriment à travers
d'autres déterminants dans la mesure où l'on assiste à un renforcement de la dépendance à l'égard de variables technologiques
(connaissances, compétences...) qui demeurent localisées. La réorganisation à l'échelle internationale des activités productives
débouche sur une recomposition des flux commerciaux, sur une évolution de leur nature plus que de leur volume global. Un pays
initialement exportateur d'un produit fini peut devenir importateur de ce même bien. Le croisement d'une logique d'avantages
spécifiques des firmes et d'avantages comparatifs des pays pousse à la hausse de la part des échanges intrafirmes ou intragroupes dans
le commerce mondial. Le partage entre commerce interbranche et commerce intrabranche peut également être affecté. Quant à l'effet
global, la persistance d'une spécialisation internationale, voire son renforcement à des niveaux de plus en plus fins, et les gains de
productivité que l'on peut en attendre, interdisent de conclure à une influence négative de l'investissement direct à l'étranger sur le
commerce.

Une relation plutôt positive


La multiplicité des effets théoriquement envisageables et leur coexistence dans la réalité rendent difficile la recherche de relations
statistiques significatives entre flux d'investissement et flux commerciaux. Le manque de données fiables sur l'investissement direct à
l'étranger limite en outre la portée des études empiriques. Les travaux sur les sociétés multinationales restent souvent centrés sur
quelques pays (États-Unis, Suède et Japon notamment) et l'on doit se garder de généralisations hâtives.
En tenant compte de ces réserves, les résultats empiriques laissent à penser qu'il existe plutôt une relation positive entre
l'investissement direct à l'étranger et les échanges commerciaux. Cette relation apparaît plus nette lorsque l'on regarde les
exportations du pays d'accueil. Elle est moins marquée pour les exportations du pays d'origine et pour les importations des deux pays.
Source :Les cahiers français, n° 299 Christian Aubin (Professeur d'économie internationale et de macroéconomie financière à la
Faculté de Poitiers Groupe de recherche sur l'intégration économique et financière) .
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Le libre-échange est-il un facteur de croissance ?


Sommaire

Évaluer les gains de la libéralisation commerciale


Des gains modérés en Europe pour les échanges de biens...
... et pour les échanges de services
Le rôle des politiques de la concurrence
Les risques de l'ouverture
Politiques nationales ou internationales ?
par Michel Fouquin, Guillaume Gaulier.

En cinquante ans de négociations commerciales internationales, les tarifs douaniers ont connu une baisse importante. Ceux dans
l'industrie ont ainsi diminué de plus de 40 %. Quels gains l'économie tire-t-elle, dans son ensemble, de cette libéralisation ? Quel rôle
la politique de concurrence, complémentaire de la politique commerciale, joue-t-elle ? L'exemple de l'Union européenne.
L'approche traditionnelle du commerce international, fondée sur le principe des avantages comparatifs, montre qu'il est dans l'intérêt
de chaque pays de démanteler ses propres barrières aux échanges. C'est de la meilleure efficacité de l'allocation des ressources dans
l'économie ouverte que proviennent les gains de l'échange. La conquête de nouveaux marchés, que met en avant l'approche
mercantiliste du commerce international, n'a d'importance que dans la mesure où elle participe à l'approfondissement de la
spécialisation. Les négociations internationales obéissent cependant au principe de réciprocité : chacun veille à obtenir des
concessions équitables de ses partenaires en échange de ses propres offres d'ouverture.

Évaluer les gains de la libéralisation commerciale


En cinquante ans, les cycles successifs de négociations commerciales ont permis une baisse importante des tarifs douaniers des pays
développés. Supérieurs, en moyenne, à 40 % en 1951 dans l'industrie et l'agriculture, ces tarifs sont aujourd'hui inférieurs à 5 %.
Cependant, les mesures non tarifaires de toutes sortes, et en particulier les mesures anti-dumping, qui limitent l'accès aux marchés
augmentent le niveau global de la protection. Pour l'Union européenne, celui-ci peut être évalué à environ 14 % de la valeur des biens
échangés(1). Quels seraient pour l'Union les gains à attendre de l'achèvement de la libéralisation ? Le CEPII (Centre d'études
prospectives et d'informations internationales) a réalisé une évaluation des gains statiques de ce processus.
La méthode est reprise de l'étude réalisée par H. J. Wall sur le cas des États-Unis(2). La démarche, qui porte ici sur le commerce
extérieur de l'Union européenne à 12 pour les années 1994 à 1996, est la suivante. On estime une équation expliquant les flux
commerciaux bilatéraux à partir d'un modèle gravitationnel comprenant un indicateur d'obstacles aux échanges (encadré I ci-
dessus)(3). Cette équation est ensuite utilisée pour simuler ce que seraient les importations de l'Union européenne si ces obstacles
étaient supprimés. Enfin, de l'écart entre importations en libre-échange et importations avec protection, on déduit les pertes de bien-
être qui résultent de la protection ou, autrement dit, les gains à attendre du libre-échange.

Des gains modérés en Europe pour les échanges de biens...


En libre-échange, le niveau des importations européennes serait de 9,6 % plus élevé. Étant donné le degré d'ouverture de l'Union
européenne, ceci correspond à 0,74 % du produit intérieur brut (PIB)(4). En termes de bien-être, ceci se traduit par des gains
d'efficacité : les importations supplémentaires permettent une meilleure allocation des ressources productives ainsi que des dépenses
de consommation. Par ailleurs, le bien-être est augmenté grâce à l'élimination des rentes dont disposaient les producteurs étrangers
sur le marché précédemment protégé par des barrières non tarifaires (encadré II page précédente). Pour évaluer le gain total en bien-
être à partir du résultat que nous avons obtenu sur les importations, il faut préciser les conditions d'offre et de demande ainsi que le
montant de ces rentes. Ces informations sont reprises des travaux effectués par G. Hufbauer et K. Elliot sur l'économie américaine(5).
Au total, on parvient à un gain pour l'Europe de 0,65 % du PIB. Ce gain est inférieur à celui obtenu par H. J. Wall dans le cas des
États-Unis (1,45 %). Le passage au libre-échange augmenterait davantage les importations américaines. Ceci s'explique sans doute
par l'existence de pics tarifaires plus importants aux États-Unis ainsi que par une composition sectorielle différente des importations.
Pour l'Union européenne comme pour les États-Unis, ces résultats peuvent apparaître faibles. Ils se situent cependant dans le haut de
la fourchette des estimations existantes. La plupart des évaluations réalisées pour les pays de l'OCDE (Organisation de coopération et
de développement économiques) chiffrent en effet le coût de la protection dans les secteurs traditionnels des négociations
multilatérales (industrie et agriculture) à moins de 1 % du PIB.

... et pour les échanges de services


Qu'en serait-il des effets de la libéralisation dans le secteur des services qui représente près de 70 % du PIB et de l'emploi des pays de
l'OCDE et qui constituera un volet essentiel des négociations à venir ? Dans ce domaine, il n'existe pas d'information statistique
similaire à celle disponible pour les biens ; l'ampleur de la protection est particulièrement difficile à évaluer puisqu'elle revêt des
formes peu quantifiables liées aux spécificités des modes d'échanges de services(6). Cependant, ces échanges étant environ quatre fois
moins importants que les échanges de biens(7), il faudrait supposer une protection très élevée des activités de services pour que la
libéralisation dans ce domaine puisse produire un gain de l'ordre de 1 % du PIB. Ce serait le cas si on retenait les estimations de B.
Hoekman. Celui-ci évalue en effet l'équivalent tarifaire de la protection des services dans l'Union européenne à 10 % dans la
distribution, à 182 % dans les transports et les télécommunications et à 27 % dans les services financiers et les services aux
entreprises(8) ; soit, étant donné les poids relatifs de chacune de ces activités, une protection moyenne des services d'environ 50 %
(contre 35 % pour les États-Unis). En revanche, P. Messerlin considère que la protection dans les services en Europe ne dépasse que
très légèrement celle du reste de l'économie(9). Dans ce cas, les gains à attendre de la libéralisation seraient nettement plus faibles.
Si le gain statique permis par l'achèvement de la libéralisation commerciale dans les pays de l'OCDE est relativement modéré,
l'ouverture est également une source potentielle de gains dynamiques, autrement dit de hausse durable du taux de croissance.
Cependant, au regard de la revue critique de la littérature empirique proposée par F. Rodriguez et D. Rodrik(10), la taille de ces effets
reste controversée. Comme le souligne J.-L. Guérin(11), la difficulté à disposer d'une variable représentative de l'ouverture, la
multiplicité des stratégies possibles et des conditions nécessaires à la réalisation de ces gains sont autant de facteurs de l'incertitude
empirique. En revanche, il y a un large consensus sur le fait que des politiques d'accompagnement sont nécessaires pour maximiser
les gains de l'ouverture(12). Les rapports entre ouverture commerciale et concurrence en fournissent une bonne illustration.

Le rôle des politiques de la concurrence

Les risques de l'ouverture


On attend de l'ouverture qu'elle incite les firmes exposées à la concurrence mondiale à améliorer leur efficacité économique.
Cependant, les structures de marché peuvent empêcher que cette pression s'exerce. C'est le cas lorsque des pratiques
anticoncurrentielles limitent l'accès au marché. L'exemple le plus célèbre de ces pratiques est celui du système de distribution
japonais, largement entre les mains des grands groupes industriels, qui a récemment été à l'origine d'un conflit commercial opposant
Kodak à Fuji. Par ailleurs, notamment dans les secteurs à rendements d'échelle croissants, l'ouverture commerciale favorise la
concentration ou l'apparition d'oligopoles mondiaux. L'exemple de l'automobile est, de ce point de vue, particulièrement éclairant : il
y avait plus de soixante-dix grands producteurs indépendants dans le monde en 1950, il n'y en a plus aujourd'hui qu'une dizaine, dont
sept réellement mondiaux. De même, la fusion Boeing-Mc Donnell-Douglas a-t-elle conduit à une situation de duopole mondial.
Si ces concentrations peuvent être efficaces grâce aux économies d'échelle réalisées, elles peuvent aussi avoir des effets défavorables,
dès lors que les firmes sont en position de prélever une rente dépassant le gain d'efficacité. De plus, durant le processus de
concentration, on peut observer des phénomènes d'exacerbation de la concurrence qui conduisent à la guerre des prix et à la
suraccumulation. C'est ce que l'on a observé dans le cas des semi-conducteurs, notamment lors de la dernière crise de l'électronique de
1996-1998 où de nouvelles unités de production japonaises et coréennes n'ont jamais été mises en service.
Les politiques nationales de la concurrence sont censées répondre à ces problèmes. Tandis que les politiques commerciales règlent les
conditions de la concurrence entre les nations, les politiques de la concurrence s'attachent à protéger les agents économiques -
consommateurs et entreprises concurrentes - des pratiques abusives de certaines firmes(13). Les États-Unis, qui ont une longue
tradition en la matière, ont donné de nombreux exemples célèbres de décisions conduisant au démantèlement d'entreprises qui avaient
acquis des positions dominantes (Exxon au début du siècle ou ATT au début des années quatre-vingt). Une autre illustration a été
récemment fournie par la procédure engagée contre le comportement anticoncurrentiel de Microsoft (voir également l'article p. 34).
Ces exemples tendent à prouver que les politiques nationales sont efficaces pour lutter contre ce type de comportement.
Politiques nationales ou internationales ?
Cependant, ces politiques connaissent certaines limites. Elles n'existent en général que dans les pays développés. Elles n'ont qu'une
compétence territoriale et ne disposent que de moyens d'intervention réduits, hors de leurs frontières, sur les firmes étrangères. Par
ailleurs, ces règles s'attachent avant tout aux effets internes des pratiques non concurrentielles et non à leurs effets sur les pays
partenaires. Par exemple, dans le cas de la fusion Elf-Total-Petrofina, les autorités françaises se sont seulement souciées du problème
posé par la concentration du réseau de distribution qui faisait apparaître un risque de position dominante dans certaines régions
françaises. En revanche, la politique européenne de concurrence intègre parfois des préoccupations dépassant le cadre du marché
unique. La Commission s'est notamment opposée avec succès à la fusion de De Haviland (entreprise canadienne) avec Aerospatiale-
Alenia, au motif que le groupe ainsi constitué aurait disposé d'une position dominante sur le marché mondial, et pas seulement
européen(14).
Au niveau international, il existe des accords bilatéraux, tel que celui conclu en 1991 entre l'Europe et les États-Unis. Ce dernier
autorise chacune des deux parties à engager des actions en cas de pratiques anticoncurrentielles des entreprises de l'autre partie et
prévoit la coopération des juridictions concernées. Pour autant, la Commission n'a pu, par exemple, empêcher la fusion Boeing-Mac
Donnell-Douglas ; elle a néanmoins obtenu l'annulation des accords de fourniture exclusifs passés entre le groupe américain et
certaines compagnies aériennes.
L'Organisation mondiale du commerce (OMC), quant à elle, ne peut sanctionner les pratiques non concurrentielles limitant l'accès au
marché que lorsque celles-ci résultent de l'intervention des autorités nationales ; ainsi elle n'intervient pas dans les cas de fusion-
acquisition. En revanche, des accords sectoriels ayant des implications en termes de concurrence ont été conclus dans le cadre de
l'OMC en 1997. Dans les télécommunications de base, l'accord inclut un aspect de politique de la concurrence en reconnaissant un
droit d'accès pour toutes les entreprises aux réseaux publics, à des prix équitables. De nombreuses discussions, à l'instar de celles
relatives au commerce électronique, aux services professionnels ou aux disciplines sur les subventions et modes de régulation sont en
cours.
Ces accords sectoriels laissent une question en suspens : faut-il poursuivre une approche au cas par cas des problèmes de concurrence
ou tenter de définir des principes plus généraux ? Au sein de l'OMC, un groupe de travail a été lancé en 1996 sur les interactions
entre le commerce et la politique de concurrence. Ce sujet ne fait toutefois pas partie des thèmes de négociations obligatoires du cycle
du millénaire. La Commission européenne souhaite qu'il soit inscrit à l'agenda et que soit défini un cadre multilatéral de règles de
base contraignantes. Les États-Unis y sont peu favorables. Ils estiment que leur législation est souvent suffisante et que les accords
bilatéraux qu'ils ont conclus, notamment avec les Européens, la complètent utilement. Enfin le Japon, suivi en cela par les pays
d'Asie, considère qu'un accord dans ce domaine devrait inclure une réglementation limitant le recours à des politiques antidumping,
particulièrement arbitraires, ce que refusent les Américains et les Européens.
Les pays industrialisés sont aujourd'hui suffisamment ouverts pour que les gains qu'ils peuvent attendre d'une libéralisation plus
complète de leurs marchés n'apparaissent pas d'une ampleur décisive. Même si l'ouverture accrue de l'agriculture et des services offre
de nouvelles perspectives de gains - mais aussi de conflits entre et au sein des nations - les principaux défis sont ailleurs. Dans
beaucoup de domaines, il s'agit désormais de définir des règles permettant la pleine réalisation des gains potentiels de l'ouverture,
pour l'ensemble des participants à l'échange. Les règles concernant la concurrence sont, à cet égard, particulièrement importantes,
mais sont également en cause la politique en matière d'investissement étranger, la propriété intellectuelle, les normes sociales ou la
situation particulière des pays les moins avancés. Il serait dommageable pour tous que l'occasion du nouveau cycle (voir encadré ci-
dessous) ne permette pas d'aborder ces questions, ce qui reviendrait en fin de compte à laisser faire les entreprises les plus fortes ou
les pays les plus puissants.
Source : Michel Fouquin et Guillaume Gaulier. "Ouverture, concurrence et multilatéralisme". La Lettre du CEPII, n° 184
Commerce international et croissance
Sommaire

Commerce extérieur et croissance dans les modèles traditionnels de la croissance


Le commerce international et la croissance dans les nouveaux modèles de la croissance
Commerce international et croissance : données empiriques
Bibliographie

La relation entre libéralisation du commerce international et la croissance économique fait l'objet de recherches théoriques et
empiriques et conduisent à de nombreuses interrogations. L'ouverture au commerce international agit-elle directement ou
indirectement sur la croissance ? Agit-elle positivement ou négativement ? Quels sont les autres facteurs qui interviennent dans la
relation ? Comment évalue-t-on le degré d'ouverture de la politique commerciale lorsqu'on procède à une étude empirique ? Une revue
de la littérature théorique et empirique.
(...) Des observations de plus en plus nombreuses donnent à penser que le principal avantage de la libéralisation du commerce ne se
manifeste pas immédiatement mais sur une longue période, en stimulant l'investissement et la croissance. Une variation même
modeste du taux de croissance peut entraîner des gains beaucoup plus importants que les gains statiques que nous avons analysés
jusqu'à présent. Pour apprécier l'importance des politiques qui sont favorables à la croissance économique, il peut être utile
d'examiner combien de temps il faut pour doubler le revenu national avec divers taux de croissance. Par exemple, avec une croissance
annuelle de 1 %, il faut près de soixante-dix ans. Si des réformes économiques peuvent faire passer le taux de croissance de 1 à 2 %,
les revenus doublent en trente-cinq ans seulement(1). Et 2 % est encore un taux de croissance très modeste, du moins pour des pays
en développement ayant un grand potentiel de rattrapage. D'ailleurs, avant la récente crise financière, les "tigres" d'Asie orientale
avaient enregistré des taux de croissance de 6 à 7 % pendant plusieurs décennies à la suite de la déréglementation de leur économie et
de leur intégration dans l'économie mondiale. Avec de tels taux de croissance, le revenu double environ tous les dix ans. Le succès des
pays en développement dynamiques dépendant de nombreux facteurs, notamment d'importants investissements dans le capital
physique et humain(2), il ne fait guère de doute que l'ouverture sur l'extérieur a joué un rôle essentiel. En fait, la plupart des études
empiriques constatent l'existence d'une rétroaction positive entre l'ouverture du régime commercial et la croissance économique. La
Banque mondiale (1987) a classé quarante et un pays en développement en quatre catégories selon leur degré d'ouverture
commerciale : 1) pays très tournés vers l'intérieur, 2) pays modérément tournés vers l'intérieur, 3) pays modérément tournés vers
l'extérieur et 4) pays très tournés vers l'extérieur. On a ensuite comparé le degré d'ouverture avec le taux de croissance par habitant
moyen sur trois périodes, 1963-1973, 1974-1985 et 1986-1992. (La dernière période a été ajoutée par le FMI, 1993). On constate que
les pays tournés vers l'extérieur croissent en moyenne plus rapidement que les pays tournés vers l'intérieur.
Toutefois, le gain de croissance est moins élevé. En effet, l'étude ne tient pas compte d'autres facteurs et l'indicateur d'ouverture peut
saisir l'influence conjointe du régime commercial et d'autres variables omises qui sont corrélées avec le régime commercial. Par
exemple, il y a probablement une corrélation entre un bon régime de commerce extérieur et la qualité globale de la politique
économique, qui a aussi une influence sur la croissance. D'ailleurs, les études qui tiennent compte d'autres variables constatent que le
régime de commerce extérieur a une influence moins prononcée, mais quand même importante. Nous passerons en revue les données
empiriques plus loin mais il peut être utile de commencer par la théorie de base : quel est le moteur de la croissance économique et
quel est le rôle du commerce extérieur ?

Commerce extérieur et croissance dans les modèles traditionnels de la croissance


Les modèles traditionnels (néo-classiques) de la croissance économique considèrent l'accumulation de capital comme le moteur de la
croissance(3). On postule que les investissements sont intégralement financés par l'épargne intérieure(4). Le taux d'épargne intérieure
joue donc un rôle essentiel pour la croissance. Les pays qui épargnent davantage pourront plus investir et donc croître plus vite. Dans
un premier temps, le rendement des investissements est élevé, puis il diminue à mesure que le stock de l'économie augmente. En effet,
l'investissement a un rendement décroissant. Par conséquent, le taux de croissance diminue à mesure que le pays s'enrichit.
Ce modèle identifie deux raisons fondamentales pour lesquelles différents pays peuvent ne pas parvenir au même revenu par habitant,
même à long terme. Premièrement, la productivité des facteurs peut différer pour diverses raisons, la plus évidente étant les
différences en capital humain. Il existe une forte corrélation entre le capital humain et le revenu par habitant(5). Les autres variables
qui ont une influence sur la productivité et la croissance sont notamment les dépenses publiques (corrélation négative avec la
croissance globalement mais positive pour certaines catégories de dépenses comme les dépenses d'éducation et d'infrastructure),
l'inflation (corrélation négative en cas de taux d'inflation élevé), le primauté du droit (corrélation positive), les rigidités du marché du
travail (corrélation négative), le développement du secteur financier (corrélation positive), et l'ouverture du régime de commerce
extérieur (corrélation positive)(6). Deuxièmement, le revenu par habitant augmente avec l'intensité de capital de l'économie et donc
indirectement avec le taux d'épargne. Les énormes différences de taux d'épargne, qui vont de moins de 5 % du PIB dans certains des
pays les plus pauvres du monde, à plus de 45 % dans certains pays d'Asie de l'Est, sont un facteur essentiel pour expliquer les écarts
de taux de croissance et de revenu par habitant entre les différents pays. Tant que ces différences subsistent, il est peu probable que les
revenus convergeront à l'échelle mondiale. En fait, jusqu'à présent les revenus ne convergent qu'entre des pays ayant une situation
socio-économique similaire (capital humain, politiques publiques, taux d'épargne, etc.), comme le prédit la théorie.

Dans ces modèles, la libéralisation du commerce extérieur peut influencer indirectement la croissance économique. Toute politique
qui augmente l'efficience de l'économie, y compris de la libéralisation du commerce, entraînera une croissance plus rapide
temporairement, le revenu additionnel se traduisant par une augmentation de l'épargne et de l'investissement(7). Ce processus
correspond à une version dynamique du célèbre multiplicateur keynésien, c'est-à-dire le mécanisme par lequel une injection d'argent
public peut accroître le PIB d'un montant supérieur à l'injection initiale en stimulant l'économie, particulièrement en période de
chômage généralisé. Toutefois, l'effet de multiplication des investissements n'est pas suffisant pour expliquer les différences de
croissance entre économies ouvertes et économies fermées. Les versions multisectorielles du modèle font apparaître un autre lien entre
la croissance et le commerce extérieur(8). Dans ce cadre, l'ouverture au commerce extérieur et la restructuration de l'économie qu'elle
accompagne peuvent stimuler la croissance pendant plusieurs décennies, comme cela a été le cas en Asie de l'Est. Les limites de la
croissance sont déterminées par la disponibilité de l'épargne intérieure et de l'investissement étranger pour financer les secteurs en
expansion et par la saturation du marché mondial. Cependant, une fois l'économie restructurée, les taux de croissance retomberont
inévitablement à un niveau plus normal. Il n'en reste pas moins que le pays ne sera peut-être plus pauvre ou du moins plus aussi
pauvre qu'avant les réformes commerciales(9).
Il convient de souligner que rien dans cette catégorie de modèles ne laisse penser que la libéralisation du commerce extérieur
stimulera la croissance de façon permanente. L'impulsion donnée à la croissance finira par s'épuiser une fois l'économie restructurée
et intégrée dans l'économie mondiale. Néanmoins, les analyses empiriques montrent que les économies ouvertes croissent plus
rapidement que les économies fermées pendant de longues périodes, peut-être plus longues que ne peut l'expliquer la dynamique du
modèle de croissance traditionnel. Cela peut être dû au fait que la concurrence internationale force les entreprises à être plus
novatrices et ouvertes à des idées et technologies étrangères, alors que la protection peut encourager la complaisance et la stagnation
technologique. Les modèles de croissance traditionnels, qui traitent le changement technologique comme un processus exogène ou
indépendant qui ne réagit pas aux forces du marché et aux politiques publiques, ne comportent pas de lien de ce genre. Il y a là
évidemment une abstraction, comme le montre la littérature visant à expliquer la croissance qui attribue une large part de celle-ci au
progrès technique, en particulier dans les pays développés où l'accumulation de capital traditionnel n'est plus le moteur de la
croissance(10). Ainsi, les modèles de la croissance plus anciens peuvent expliquer certaines observations empiriques, comme la
convergence des revenus entre pays similaires, mais ils n'expliquent guère des différences persistantes de taux de croissance ou la
façon dont ces diffèrences sont liées à la politique commerciale. Nous allons maintenant passer en revue des modèles plus récents qui
apportent un nouvel éclairage à cette question.

Le commerce international et la croissance dans les nouveaux modèles de la croissance


Au cours des deux dernières décennies, il y a eu d'importants progrès dans la théorie de la croissance. L'évolution a consisté
essentiellement à remplacer le postulat traditionnel d'une progression exogène (indépendante) de la productivité (déterminée par une
évolution technique inexpliquée) par un processus endogène (dépendant), déterminé par les forces du marché. Ces modèles sont donc
appelés "modèles de croissance endogènes". Ils ont été employés pour étudier les répercussions sur la croissance d'un large éventail de
politiques, notamment les politiques fiscales, les politiques de dépenses publiques, les politiques de l'éducation et les politiques
commerciales(11). Dans la présente sous-section, nous passerons en revue la littérature qui est directement applicable aux relations
entre commerce et croissance. Il convient de souligner toutefois que le commerce extérieur n'est qu'un élément de l'équation de la
croissance. Comme on l'a déjà signalé, le grand nombre des variables qui sont corrélées avec la croissance donne à penser que les
résultats obtenus par un pays dépendent de la qualité globale de sa politique économique et sociale et notamment de la qualité de son
enseignement, de sa stabilité macroéconomique, de son ouverture à l'investissement étranger direct, de la primauté du droit, de la
flexibilité du marché du travail, de la qualité des infrastructures, etc. Une politique de libre-échange ne peut certainement pas
compenser des défaillances dans d'autres domaines.
On peut établir un lien entre les gains de productivité et les forces du marché en postulant un simple processus d'apprentissage par
l'expérience : plus un pays fabrique un certain produit, mieux il le fabrique. On connaît bien les exemples de l'assemblage d'avions ou
de la fabrication de microprocesseurs, secteurs dans lesquels il est connu que les coûts baissent de façon spectaculaire à mesure que
les producteurs acquièrent de l'expérience. Le commerce intervient de deux manières directes. Premièrement, un pays apprendra plus
rapidement dans les secteurs en expansion et plus lentement dans les secteurs qui se contractent. L'effet net sur la croissance dépend
de la marge d'apprentissage dans les secteurs en expansion comparée à celle qui existe dans les secteurs en déclin. Deuxièmement, si
le commerce facilite la diffusion de la technologie, et cela semble de plus en plus probable, les pays apprendront non seulement grâce
à l'expérience qu'ils acquièrent en produisant, mais aussi grâce à celle de leurs partenaires commerciaux.
Dans un premier temps, les pays qui ont de l'avance dans des industries dynamiques profiteront davantage de la libéralisation du
commerce en accroissant leur part de marché dans ces secteurs. Toutefois, les autres pays qui se spécialisent dans des industries
traditionnelles et mûres profiteront indirectement de la libéralisation grâce à la baisse des prix d'importation de produits pour lesquels
la productivité augmente rapidement. Par exemple, la chute du prix des ordinateurs et autres produits de haute technologie réduit la
facture d'importation des pays qui se spécialisent dans les industries mûres et traditionnelles. Ce modèle amène à conclure que tous
les pays bénéficient à long terme d'une intensification de la spécialisation internationale car celle-ci accélère l'apprentissage et le
progrès de la productivité. Cela est particulièrement vrai si le commerce facilite la diffusion de technologies et de savoir entre les
pays.
Les modèles fondés sur l'apprentissage par l'expérience sont un peu particuliers car ils considèrent que l'apprentissage n'est qu'un
sous-produit de la production. En fait, l'apprentissage n'est pas seulement un effet secondaire, car les entreprises consacrent aussi des
ressources importantes à la recherche-développement (R & D) pour trouver de nouvelles manières de produire (innovation concernant
les processus) et de nouveaux objets à produire (innovation concernant les produits). Les dépenses de R & D peuvent dépasser 2 % de
la valeur ajoutée industrielle dans les pays avancés, parfois beaucoup plus, et de façon générale elles ont tendance à augmenter(12).
Plusieurs modèles récents considèrent la R & D comme le moteur de la croissance(13). Un des postulats fondamentaux de ces modèles
est que la R & D produit deux types de résultats connexes. Le premier est le nouveau procédé ou produit. Il est admis que l'innovateur
reçoit un droit exclusif de commercialisation, par exemple au moyen d'un système de protection par brevet. La protection juridique
des droits de propriété intellectuelle est nécessaire pour permettre aux entreprises novatrices de récupérer leurs dépenses de R & D et
donc pour les inciter à faire de la R & D. Le second type de résultat consiste en l'information technique qui est incorporée dans les
produits et qu'il peut être beaucoup plus difficile de s'approprier. Par exemple, même si un médicament est protégé par un brevet,
l'inventeur ne peut pas nécessairement empêcher les compagnies pharmaceutiques rivales d'en apprendre les principes fondamentaux.
Une analyse de la composition chimique et un examen de la demande de brevet et des documents qui l'étayent peuvent permettre
d'apprendre à peu près tout ce qu'on peut savoir de ce médicament. Grâce à cette information, les entreprises rivales peuvent mettre au
point des médicaments concurrents mais assez différents pour ne pas être visés par le brevet. Dans cette catégorie de modèles, c'est
cette interaction entre l'innovation, la diffusion de la technologie incorporée et les nouvelles innovations qui constitue le moteur de la
croissance.
Toute mesure ayant une incidence sur l'incitation à investir dans la R & D aura aussi des effets sur la croissance économique.
L'exemple classique est celui de la protection par brevet qui vise à empêcher les contrefaçons, lesquelles découragent la recherche
originale(14). On peut mentionner d'autres exemples, comme les aides publiques visant à favoriser l'enseignement des sciences de la
nature, la recherche fondamentale et la diffusion des résultats de la recherche. Les autres instruments couramment employés sont les
subventions ou allègements fiscaux accordés aux entreprises privées pour la recherche appliquée. Tous ces instruments agissent plus
ou moins directement soit sur le coût soit sur la rentabilité des activités de R & D. En outre, il existe un certain nombre d'instruments
indirects qui, d'une façon ou d'une autre, influencent l'incitation à investir dans la R & D, l'un d'entre eux étant la politique
commerciale.
Comme l'expliquent succinctement Grossman et Helpman (1995), on peut présumer que l'intégration mondiale a une influence tant
sur les incitations privées à investir dans la technologie que sur ses retombées sociales. Du côté positif, l'intégration élargit le marché
et accroît donc le bénéfice potentiel d'une entreprise qui réussit à inventer un nouveau produit ou procédé. En outre, un pays qui
s'intègre dans l'économie mondiale peut souvent tirer avantage d'un apprentissage qui s'est fait en dehors de ses frontières. Du côté
négatif, les entreprises mentionnent souvent la concurrence internationale comme étant l'un des grands risques associés à
l'investissement dans les technologies avancées et comme un des arguments en faveur d'une intervention accrue des pouvoirs publics
dans la mise au point de nouvelles technologies.
Dans cette catégorie de modèles, la libéralisation du commerce international peut stimuler l'innovation et la croissance dans une série
de pays et les retarder dans d'autres pays. Il est plus probable que l'effet sur la croissance sera positif pour tous les pays participants si
le commerce international facilite la diffusion de la technologie et du savoir. Sinon, il y a très peu de résultats qui restent valables
lorsqu'on modifie les postulats. Grossman et Helpman (1995) résument l'ambiguïté théorique actuelle en disant que, lorsque les
retombées du savoir - qu'il s'agisse de l'apprentissage par l'expérience ou des résultats de la recherche - sont localisées, le commerce
international peut freiner le progrès technique dans un petit pays ou un pays qui commence avec un handicap technologique, car les
forces de la concurrence font qu'il consacrera ses ressources à des activités plus traditionnelles à faible taux de croissance. En
revanche, lorsque le processus d'apprentissage se caractérise par des économies d'échelle dynamiques, les possibilités de gains
résultant de l'intégration et du commerce internationaux peuvent être plusieurs fois plus élevés que ne le laissent entendre les modèles
statiques du commerce international. Le résultat dépend de la nature et de l'ampleur des retombées technologiques, au sujet desquelles
on commence seulement à accumuler des données empiriques.

Commerce international et croissance : données empiriques


Comme la théorie ne peut pas dire sans ambiguïté si la libéralisation du commerce, ou l'intégration économique plus généralement,
stimule la croissance pour tous les pays, nous allons passer en revue la littérature empirique pour essayer d'y voir plus clair. Il
convient de noter d'emblée que la littérature empirique sur le commerce international et la croissance se heurte à plusieurs problèmes
conceptuels ainsi qu'à des problèmes de données. Le problème essentiel est l'étalonnage de la politique commerciale, pour lequel il
faut traduire les innombrables obstacles au commerce visant des milliers de lignes tarifaires en un indice global d'ouverture du régime
de commerce extérieur. Les conclusions de diverses études sont récapitulées dans le tableau ci-contre.
La méthode la plus simple pour déterminer le degré d'ouverture d'un pays consiste à utiliser comme indicateur de substitution ses flux
commerciaux effectifs, l'idée étant que les économies libéralisées croissent plus vite que celles qui le sont peu. L'existence d'une
corrélation positive entre la croissance des exportations et celle du PIB est alors considérée comme une preuve que la libéralisation du
commerce stimule la croissance. Plusieurs études ont abouti à des résultats de ce type(15). Le défaut évident de cette méthode est que
les flux d'échanges sont au mieux un indicateur imparfait du degré d'ouverture de la politique commerciale. Par exemple, en général,
les petits pays exportent et importent davantage que les grands pays, tant pour des raisons d'économies d'échelle que par manque de
ressources. Toutefois, les études qui comportent des ajustements pour tenir compte des différences naturelles de la propension à
commercer trouvent toujours une corrélation positive entre la croissance et le commerce extérieur, la prime de croissance liée à
l'ouverture vers l'extérieur allant de 0,2 point de pourcentage pour les grands exportateurs de produits manufacturés à 1,4 point de
pourcentage pour les petits exportateurs de produits primaires(16). Une autre méthode consiste à déduire le degré d'ouverture en
comparant l'écart entre les exportations effectives et celles que prédirait un modèle théorique du commerce extérieur. Si l'écart est
positif, on considère que le pays est particulièrement ouvert et vice versa. Les études fondées sur cette méthode ont aussi confirmé
l'existence d'une corrélation positive entre l'ouverture du régime de commerce extérieur et la croissance(17). Une autre méthode
encore consiste à élaborer un indice d'ouverture sur la base de critères multiples, comme l'importance des obstacles non tarifaires, les
taux moyens de droits, l'écart entre le taux de change du marché noir et le taux de change officiel et l'importance des entreprises
commerciales d'État. Une étude employant cette méthode a montré que les économies ouvertes croissent de 2 à 2,5 points de
pourcentage par an plus vite que les économies fermées, après ajustement pour tenir compte des autres facteurs(18). Une étude
similaire a montré que les économies ouvertes convergent progressivement vers un niveau de revenu plus élevé que les économies
fermées(19). Enfin, il existe encore une autre méthode consistant à mesurer l'ouverture en comparant les prix intérieurs et les prix
internationaux. Les pays dans lesquels les prix relatifs sont les plus proches des prix mondiaux enregistrent une croissance nettement
plus rapide(20). En particulier, les petits pays pauvres en ressources semblent souffrir des restrictions à l'importation, probablement
parce que leur production est davantage tributaire des intrants étrangers.
La robustesse (sensibilité) de ces résultats a été vérifiée dans plusieurs études employant des indices multiples d'ouverture au
commerce extérieur. Quel que soit l'indice, la méthode d'estimation et la période, la corrélation entre le degré d'ouverture et la
croissance est dans la plupart des cas positive et, lorsqu'elle est négative, c'est dans des proportions statistiquement insignifiantes(21).
En outre, il semble y avoir un cercle vertueux de libéralisation et de croissance : les périodes de forte croissance semblent encourager
l'ouverture des marchés (probablement parce que la croissance atténue les problèmes d'ajustement et réduit la résistance aux
changements) et l'ouverture des marchés elle-même favorise la croissance(22).
Certains auteurs se sont demandés si la corrélation entre commerce et croissance était valable pour les pays les moins avancés,
soutenant qu'il faut avoir atteint un certain niveau de développement pour pouvoir pleinement tirer parti des avantages du commerce
international(23). Il existe en effet quelques études relativement anciennes qui donnent à penser que la corrélation est plus forte pour
les pays à revenus moyens que pour les pays à bas revenus(24). Toutefois, il s'agit probablement d'une constatation non valide liée au
fait que les politiques économiques pratiquées dans les pays à revenus moyens sont plus cohérentes et sont poursuivies plus
longtemps, ce qui laisse aux effets sur la croissance le temps de se manifester. En effet, des études plus récentes tenant compte d'un
ensemble plus large de variables affectant la croissance ne constatent aucun affaiblissement de la corrélation entre commerce et
croissance même pour les pays les plus pauvres d'Afrique subsaharienne(25).

Corrélation entre commerce et croissance sur la base de comparaisons entre différents pays Source et pays couverts
Indice d'ouverture au commerce Résultats
Michaely (1977),pays Taux de croissance de la part des exportations. Corrélation positive (rang) entre les exportations et
en développement. la croissance. Á La corrélation est plus marquée dans
un sous-échantillon de pays à revenus moyens.
Feder (1983),pays Croissance des exportations pondérées par la part Liens positifs entre la croissance du PIB et la
semi-industriels. des exportations. croissance des exportations.
Syrquin et Chenery Part des exportations dans le PIB après Le taux de croissance est plus élevé pour les pays
(1989),pays divers. ajustement pour tenir compte de la taille du pays ouverts sur l'extérieur dans tous les sous-groupes :
et de la spécialisation des exportations. petits exportateurs de produits primaires, grands
exportateurs de produits primaires, petits exportateurs
de produits manufacturés, grands exportateurs de
produits manufacturés. Á Le gain de croissance dû à
l'ouverture vers l'extérieur est compris entre 0,2 et 1,4
point de pourcentage.
Balassa (1985),pays en Indice d'ouverture sur le commerce extérieur Les pays tournés ves l'extérieur croissent plus
développement. défini sur la base de la différence entre les rapidement.
exportations effectives et prédites.
Edwards (1992),pays Indice d'ouverture de Leamer (1988) fondé sur Les pays plus ouverts (moins interventionnistes) ont
en développement. l'écart entre le commerce prédit et le commerce tendance à croître plus rapidement. Á Ce résultat est
effectif. confirmé par huit autres indicateurs de politique
commerciale sur neuf.
Banque mondiale Les pays sont classés en quatre groupes : Les pays tournés vers l'extérieur ont tendance à
(1987),pays en fortement tournés vers l'intérieur, modérément croître plus rapidement.
développement. tournés vers l'intérieur, modérément tournés vers
l'extérieur, fortement tournés vers l'extérieur.
Sachs et Warner Indice ouvert/fermé sur la base de cinq critères Les pays ouverts croissent plus rapidement que les
(1995),pays divers. (voir texte). pays fermés, avec un écart de 2 à 2,5 points de
pourcentage. Á Dans les pays ouverts, le ration
d'investissement est plus élevé, la situation
macroéconomique est plus équilibrée et le secteur
privé joue un plus grand rôle en tant que moteur de la
croissance.
Proudman, Redding et Indice ouvert/fermé sur la base de plusieurs Les pays ouverts convergent vers un niveau de
Bianchi(1997), pays mesures de l'orientation de la politique de revenus plus élevé. Á Ces différences subsistent
divers. commerce extérieur. même lorsqu'on tient compte des différences dans le
niveau relatif de l'investissement.
Barro (1991), pays Indice de distorsion des prix des biens La distorsion des prix des biens d'équipement réduit
divers. d'équipement (écart à parité de pouvoir d'achat par la croissance. Á Les coefficients calculés indiquent
rapport à la moyenne de l'échantillon pour les que lorsque l'écart à parité de pouvoir d'achat par
biens d'équipement). rapport à la moyenne de l'échantillon augmente d'un
écart type, le taux de croissance diminue de 0,4 point
de pourcentage.
Dollar (1992),pays en Distorsion du taux de change. Le taux de croissance par habitant moyen dans le
développement. quartile des pays (principalement asiatiques) dans
lesquels la distorsion était la plus faible était de 2,9 %
; dans le deuxième quartile, le taux de croissance était
de 0,9 %, dans le troisième il était de - 0,2 % et dans
le quatrième de - 1,3 %. Á Si la distorsion du taux de
change réel était ramenée au niveau observé en Asie,
le taux de croissance augmenterait de 0,7 point de
pourcentage en Amérique latine et de 1,8 point de
pourcentage en Afrique.
Easterly (1993), pays Indice mesurant la distorsion entre les prix Plus la distorsion est grande, plus la croissance
divers. relatifs du marché mondial et les prix relatifs diminue. Lorsque la distorsion augmente d'un écart
intérieurs. type, le taux de croissance diminue de 1,2 point de
pourcentage.
Lee (1993), pays Indice mesurant à quel degré le commerce est Le taux de croissance augmente lorsque la
divers. faussé par rapport au niveau qu'il atteindrait en distorsion diminue. Á Les distorsions du commerce
régime de libre-échange du fait des distorsions extérieur réduisent davantage la croissance dans les
introduites par le taux de change réel et les droits petits pays pauvres en ressources que dans les grands
de douane pays riches en ressources.
Source et pays couverts Indice d'ouverture au commerce Résultats
Harrison (1995), pays Sept indices : libéralisation du commerce Tous les indices statistiquement signifiants font
en développement. extérieur (1960-1984), (1978-1988), prime du apparaître une corrélation entre un régime de
marché noir, part du commerce, distorsion du taux commerce extérieur libéral et la croissance du PIB.
de change réel, évolution vers les prix Le lien de causalité entre le libéralisme commercial et
internationaux, distorsions au détriment de la croissance existe dans les deux sens. Avec un
l'agriculture. décalage dans le temps, le niveau de la croissance
explique de façon significative le degré d'ouverture de
l'économie et réciproquement.
Edwards (1997), pays Neuf indices : indice d'ouverture de Sachs- Il y a une corrélation positive entre les indices
divers. Warner (1995), indice d'ouverture vers l'extérieur d'ouverture et la croissance de la productivité totale
de la Banque mondiale (1987), indice d'ouverture des facteurs, et une corrélation négative avc l'image
de Leamer (1988), prime du marché noir, droit symétrique des indices de distorsion du commerce.
d'importation moyen sur les produits Le commerce n'est pas la variable la plus importante
manufacturés, champ d'applica tion des obstacles pour expliquer les différences de croissance entre pays
non tarifaires, indice des distorsions du commerce ; le PIB initial et le capital humain jouent un rôle plus
de la Heritage Foundation, ratio du produit des important. Á Les données font apparaître une
impôts sur le commerce, indice de Wolf (1993) de convergence conditionnelle.
la distorsion des importations
Matin (1992), Afrique Quatre indices : part du commerce extérieur, Tous les indices qui sont statistiquement significatifs
subsaharienne. prime du marché noir, indice de libéralisation du font apparaître une relation positive entre un régime
commerce extérieur, distorsion du taux de change de commerce extérieur libéral (faible distorsion) et la
réel. croissance. Á Le lien entre le degré d'ouverture et la
croissance est aussi fort pour les pays d'Afrique
subsaharienne que dans l'échantillon témoin d'autres
pays africains.
Levine et Renelt Analyse de sensibilité pour des indices multiples Nette corrélation positive entre la croissance et la
(1992), pays divers. avec régression interpays. part de l'investissement dans le PIB. Á Nette
corrélation positive entre la part de l'investissement
dans le PIB et la part du commerce dans le PIB. Á
Lien à deux maillons reliant le commerce à la
croissance par le biais de l'investissement.
Gallup et Sachs (1998), Indice de Sachs-Warner (1995). Il y a une corrélation positive entre l'indice
pays divers. d'ouverture et la croissance, après ajustement pour
tenir compte des autres facteurs. Á En outre, les
facteurs géographiques qui rendent le commerce plus
coûteux réduisent la croissance. La croissance des
pays sans littoral est inférieure de 0,9 point de
pourcentage à celle des pays côtiers.
Coe et Helpman s.o. La productivité intérieure est influencée
(1995),OCDE. positivement par la somme, pondérée par les
importations, du stock de R & D des partenaires
commerciaux.
Keller (1997), OCDE. s.o. Le commerce extérieur facilite la transmission
intersectorielle et intrasectorielle de la productivité.
Balasubramanyam, Indicateur d'ouverture de la Banque mondiale. La réduction des obstacles au commerce renforce
Salisu et Sapsfort l'efficience de l'IED et, indirectement, la croissance.
(1996), pays en
développement.

Il y a aussi quelques études qui cherchent à déterminer exactement pourquoi les économies ouvertes croissent plus vite que les
économies fermées. L'une des conclusions, conforme aux modèles traditionnels de la croissance, est que la libéralisation du commerce
extérieur stimule l'investissement et donc indirectement la croissance économique(26). En outre, il semble qu'un régime de commerce
extérieur ouvert améliore la qualité des investissements. Une étude portant sur trente-quatre pays en développement a montré que les
investissements étrangers directs avaient un impact positif sur la croissance pour les pays tournés vers l'extérieur et n'en avaient pas
pour les pays tournés vers l'intérieur(27). En outre, on a de plus en plus d'indices montrant que le commerce induit des transferts de
technologie, ingrédient important dans les modèles de croissance endogène. Une étude a montré que la productivité des facteurs
intérieurs était positivement influencée par la somme des dépenses de R & D des partenaires commerciaux pondérée par les
importations(28). Une autre étude a montré que les dépenses étrangères de R & D dans une branche de production améliorent la
productivité nationale dans la même branche, mais aussi dans d'autres branches de production connexes en amont ou en aval(29).
Cette constatation confirme l'idée que le commerce facilite la diffusion de la technologie dans le monde et renforce la conclusion selon
laquelle il a des effets positifs sur la croissance des pays qui s'intègrent dans l'économie mondiale.
En résumé, un large éventail d'études très différentes les unes des autres arrivent toutes à la même conclusion fondamentale, à savoir
qu'un régime de commerce extérieur ouvert stimule la croissance. En outre, la littérature empirique infirme le point de vue pessimiste
selon lequel la libéralisation du commerce compromet les perspectives de croissance des pays en développement. Au contraire, les
pays en développement ouverts ont des résultats nettement meilleurs que les pays en développement fermés. Enfin, il ne faut pas
oublier qu'un régime de commerce extérieur ouvert n'est pas une panacée ; pour que les forces productives de l'économie puissent se
déployer sans entrave, il faut que les autres éléments de la politique économique s'y prêtent. (...)

Source : Rapport annuel 1998 de l'OMC

Mondialisation et pauvreté : espoirs et déboires


Sommaire

Les grands traits de la mondialisation


Ses effets positifs...
... ne sont pas sans revers
Inégalité et fragmentation au sein de la société mondiale
Des écarts de revenus croissants
Insécurité de l'emploi et des revenus
Alternance de phases d'expansion et de récession, volatilité financière
Contagion et menace de récession mondiale
Criminalité internationale

Jamais la planète n'a produit autant de richesses. Jamais les échanges entre les hommes n'ont été aussi nombreux. Pourtant les
inégalités, au lieu de reculer, continuent de s'accroître, entre les pays et à l'intérieur des États. Les riches sont plus riches et les
pauvres plus pauvres. Interdépendantes, les économies sont davantage sensibles aux chocs extérieurs. La place pour le développement
humain est restreinte.

Les grands traits de la mondialisation


Force dominante de la dernière décennie du XXe siècle, la mondialisation façonne une nouvelle ère d'interactions entre les pays, les
économies et les individus. Elle accroît les contacts entre les individus par-delà les frontières, que ce soit dans le domaine de
l'économie, de la technologie, de la culture ou de la gouvernance. Mais elle fragmente également les processus de production, les
marchés du travail, les entités politiques et les sociétés. Ainsi, la mondialisation comporte à la fois des aspects positifs, novateurs et
dynamiques, et des aspects négatifs, perturbateurs et marginalisateurs.

Ses effets positifs...


Aujourd'hui les interactions entre les pays et les individus sont plus profondes que jamais (graphique 1). Les exportations mondiales,
qui s'établissent actuellement à 7 000 milliards de dollars, ont représenté en moyenne 21 % du PIB dans les années quatre-vingt-dix,
contre 17 % d'un PIB nettement moins élevé dans les années soixante-dix. L'investissement direct étranger (IDE) atteignait 400
milliards de dollars en 1997, soit sept fois plus que son niveau en valeur réelle dans les années soixante-dix. Le montant brut des
investissements de portefeuille et d'autres capitaux à court terme a fortement progressé, pour totaliser à présent plus de 2 000
milliards de dollars, soit près de trois fois plus que dans les années quatre-vingt.
Le volume total des transactions quotidiennes sur les marchés des changes est passé d'environ 10 à 20 milliards de dollars dans les
années soixante-dix à 1 500 milliards de dollars en 1998. De 1983 à 1993, les achats et les ventes transfrontaliers de bons du Trésor
américain sont passés de 30 à 500 milliards de dollars par an. Les prêts bancaires internationaux ont progressé de 265 à 4 200
milliards de dollars entre 1975 et 1994.
On voyage également davantage. Le tourisme a plus que doublé entre 1980 et 1996, le nombre de voyageurs passant de 260 à 590
millions par an. Malgré des restrictions sévères, les migrations internationales se poursuivent, de même que les envois de fonds des
émigrants. Ces envois ont atteint 58 milliards de dollars en 1996. Le volume des appels téléphoniques internationaux s'est envolé
entre 1990 et 1996, passant de 33 à 70 milliards de minutes. Les voyages, Internet et les médias stimulent la croissance exponentielle
des échanges d'idées et d'informations. Aujourd'hui, les individus s'engagent plus que jamais dans des associations transcendant les
frontières nationales, depuis les réseaux informels jusqu'aux organismes ayant pignon sur rue.
Cette intégration mondiale est tirée par des changements de politique visant à promouvoir l'efficience économique via la libéralisation
et la déréglementation des marchés nationaux et le désengagement de l'État de nombreuses activités économiques, ainsi que par la
restructuration de l'État-providence. Mais ce sont surtout les innovations récentes dans la technologie de l'information et des
communications qui favorisent l'intégration. Cependant, celle-ci reste très partielle au niveau mondial. Ainsi, les mouvements de
main-d'oeuvre sont restreints, les frontières étant fermées aux individus sans qualifications.
Le monde offre davantage d'opportunités aux individus qu'il y a 20, 50 ou 100 ans. Le taux de mortalité infantile a chuté de moitié
depuis 1965. Un enfant né aujourd'hui peut espérer vivre dix ans de plus qu'un enfant né en 1965. Dans les pays en développement, le
taux cumulé des inscriptions dans l'enseignement primaire et secondaire a été multiplié par plus de deux. Et le pourcentage d'enfants
fréquentant l'école primaire est passé de moins de la moitié à plus des trois quarts. Le taux d'alphabétisation des adultes a également
progressé, de 48 à 72 % entre 1970 et 1997. La plupart des pays sont à présent indépendants et plus de 70 % de la population
mondiale vit sous un régime démocratique relativement pluraliste.
Le monde est plus prospère. Le revenu moyen par habitant a plus que triplé, avec un PIB mondial multiplié par dix, passant de 3 000
à 30 000 milliards de dollars au cours des cinquante dernières années. La part des individus bénéficiant d'un développement humain
moyen (*) a progressé de 55 % en 1975 à 66 % en 1997, et la part relative du développement humain faible a chuté de 20 à 10 %.

... ne sont pas sans revers


Cependant ces tendances masquent de grandes divergences, tant dans les avancées que dans les nouveaux reculs. Malgré les
immenses progrès réalisés au XXe siècle, le monde se heurte aujourd'hui à d'énormes arriérés, qui se manifestent par des carences et
des inégalités creusant de profondes disparités entre les pays et les régions.
La pauvreté est partout. Selon l'indicateur de la pauvreté humaine (IPH-1), plus d'un quart des 4,5 milliards d'individus vivant dans
les pays en développement ne bénéficient toujours pas de certains éléments les plus essentiels : une espérance de vie supérieure à 40
ans, l'accès au savoir et un minimum de services privés et publics. Près de 1,3 milliard d'individus n'ont pas accès à l'eau potable. Un
enfant sur sept en âge de fréquenter l'école primaire n'est pas scolarisé. Environ 840 millions d'individus souffrent de malnutrition.
On estime que 1,3 milliard d'individus ont un revenu inférieur à un dollar (en parité de pouvoir d'achat - PPA, de 1987) par jour.

Dans les pays industrialisés également, la pauvreté humaine et l'exclusion sont dissimulées dans les statistiques témoignant des
réussites, ce qui indique d'énormes disparités au sein des pays. Selon l'indicateur de la pauvreté humaine (IPH-2), dans les pays les
plus riches du monde, une personne sur huit est touchée par l'un des aspects de la pauvreté humaine : le chômage de longue durée,
une espérance de vie inférieure à soixante ans, un revenu inférieur au seuil de pauvreté national ou le manque de connaissances
nécessaires pour s'en sortir. L'IPH d'un pays décomposé en régions révèle aussi d'immenses disparités. Ainsi, en Inde, le niveau de
pauvreté humaine dans l'État du Bihar (54 %) est deux fois supérieur à celui constaté dans le Kerala.
En outre, les disparités entre hommes et femmes restent marquées. Dans les pays en développement, il y a toujours 60 % plus de
femmes analphabètes que d'hommes. Le taux d'inscription des filles dans l'enseignement primaire reste inférieur de 6 % à celui des
garçons. C'est dans le domaine politique et économique que les disparités sont les plus criantes. Les femmes sont en effet quasiment
exclues de la vie politique. Elles occupent plus de 30 % des sièges parlementaires dans cinq pays seulement, et moins de 5 % de ces
sièges dans trente-et-un pays. L'indicateur de la participation des femmes et l'indicateur sexospécifique du développement humain
révèlent l'existence d'inégalités dans tous les pays. (...)

Inégalité et fragmentation au sein de la société mondiale


Inégale, la mondialisation se traduit non seulement par l'intégration, mais aussi par la fragmentation, en opérant, au sein des
communautés, des pays et des régions, une division entre "intégrés" et "exclus". Les inégalités extrêmes qui séparent marginalisés et
nantis attisent les tensions et les conflits sociaux. L'exemple de l'Indonésie montre ce qui peut arriver lorsqu'une crise économique
réveille des tensions sociales latentes entre groupes ethniques ou entre riches et pauvres.
Des recherches récentes menées sur des cas d'urgence humanitaire complexes ont conclu que les "inégalités horizontales" entre les
groupes (ethniques, religieux ou sociaux) sont la principale cause des nombreux conflits civils actuels. Inégalités et insécurité influent
non seulement sur les revenus, mais aussi sur la participation politique (au Parlement, dans les ministères, l'armée et l'administration
locale), sur le patrimoine économique (terre, capital humain et ressources collectives) et sur les conditions sociales (éducation,
logement et emploi).
Le raccourcissement des délais et le rétrécissement des distances créent de nouvelles menaces pour la sécurité humaine. L'évolution
rapide du monde s'accompagne de nombreux risques de dérèglements brutaux des modes de vie (emplois et moyens d'existence, santé
et sécurité individuelle) et de la cohésion sociale et culturelle des communautés. Ces menaces peuvent aujourd'hui se propager très
rapidement dans le monde. C'est le cas, par exemple, de l'effondrement des marchés des capitaux, du sida, du réchauffement de la
Terre ou de la criminalité internationale. Les dangers planétaires s'accroissent, dépassant à la fois la capacité des pays à y faire face et
les réponses proposées par la communauté internationale.

Des écarts de revenus croissants


Les écarts de revenus entre les plus riches et les plus pauvres et entre pays riches et pays pauvres continuent de se creuser. Tandis
qu'en 1960, les 20 % les plus riches de la population mondiale disposaient de trente fois le revenu des 20 % les plus pauvres, en 1997
ce rapport atteignait soixante-quatorze contre un. Cette tendance se poursuit depuis près de deux siècles.
Les écarts se creusent tant entre les pays qu'à l'intérieur des pays. En Asie de l'Est, le revenu par habitant est aujourd'hui plus de sept
fois supérieur à son niveau de 1960 et trois fois supérieur à son niveau de 1980. En revanche, en Afrique subsaharienne et dans
d'autres pays parmi les moins avancés, il est actuellement moins élevé que 1970. Quant aux économies en transition d'Europe de l'Est
et de la CEI, elles ont connu ces dernières années l'aggravation des inégalités la plus forte de toute leur histoire. C'est en Russie que
les inégalités sont les plus criantes : la part de revenu des 20 % les plus riches y est onze fois supérieure à celle des 20 % les plus
pauvres. Les inégalités de revenus se sont aussi accrues nettement en Chine, en Indonésie, en Thaïlande et dans d'autres pays d'Asie
de l'Est et du Sud-Est qui avaient, au cours des décennies précédentes, enregistré une forte croissance ainsi que des progrès dans la
répartition des revenus et la réduction de la pauvreté.

Des études récentes montrent que les inégalités se sont également accentuées dans la plupart des pays de l'OCDE dans les années
quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix. Sur dix-neuf pays, un seul affiche une légère amélioration. Les détériorations les
plus importantes ont été enregistrées par la Suède, le Royaume-Uni et les États-Unis. Dans les années quatre-vingt, le nombre de
familles vivant en dessous du seuil de pauvreté a augmenté de 60 % au Royaume-Uni et de près de 40 % aux Pays-Bas. En Australie,
au Canada, au Royaume-Uni et aux États-Unis, la moitié, au moins, des familles monoparentales ont un niveau de vie inférieur au
seuil de pauvreté.
Tableau 2.
Inégalité de revenu
Pays Inégalité du Revenumarchand Revenudisponible
Royaume-Uni 1981-1991 ++ +++
États-Unis 1980-1993 ++ ++
Suède 1980-1993 ++ ++
Australie 1980-1981 à 1989-1990 + +
Danemark 1981-1990 + +
Nouvelle-Zélande 1981-1989 + +
Japon 1981-1990 + +
Pays-Bas 1981-1989 + +
Norvège 1982-1989 + +
Belgique 1985-1992 + +
Canada 1980-1992 + o
Israël 1979-1992 + o
Finlande 1981-1992 ++ o
France 1979-1989 o o
Portugal 1980-1990 o o
Espagne 1980-1990 o
Irlande 1980-1987 + o
Allemagne 1983-1990 (1) + o
Italie 1977-1991 - -
Symboles Variation du coefficient de Gini
+++ Augmentation extrêmement forte 30 % ou davantage
++ Forte augmentation de 16 à 29 %
+ Faible augmentation de 5 à 10 %
o Etat stationnaire de -4 à +4 %
- Faible diminution -5 % ou davantage
(1)Ces chiffres concernent la République fédérale d'Allemagne avant la réunification.
Source : Gottschalk et Smeeding, 1997.
Ces tristes performances offrent un contraste frappant avec l'extraordinaire concentration des richesses autour des très riches. En
quatre ans à peine, de 1994 à 1998, la valeur nette cumulée des biens des deux cents personnes les plus riches de la planète est passée
de 440 milliards à plus de 1 000 milliards de dollars. En 1998, les patrimoines des trois personnes les plus riches du monde
dépassaient ensemble le PNB global des quarante-huit pays les moins avancés.

Insécurité de l'emploi et des revenus


Dans les pays riches comme dans les pays pauvres, les perturbations liées aux restructurations de l'économie et des entreprises, ainsi
que le démantèlement de la protection sociale, font disparaître de nombreux emplois et entraînent une détérioration des conditions de
travail. La précarité des emplois et des revenus s'est accrue. Sous la pression de la concurrence mondiale, pays et entreprises adoptent
des politiques de l'emploi plus "flexibles" et les contrats de travail de courte durée se multiplient.
En Amérique latine, par exemple, les réformes de la législation du travail ont accru la flexibilité du marché de l'emploi et introduit
des types de contrats plus souples. Ç
En 1996, la part des travailleurs employés sans contrat ou dans le cadre de ces nouveaux types de contrats a augmenté de 30 % au
Chili, de 36 % en Argentine, de 39 % en Colombie et de 41 % au Pérou. En Égypte, la pratique qui consiste à faire signer une lettre
de démission aux nouveaux embauchés est de plus en plus fréquente. La France, la Belgique, l'Allemagne et le Royaume-Uni ont
assoupli leur législation en matière de licenciement. De leur côté, les Pays-Bas, l'Espagne et le Royaume-Uni ont décentralisé les
négociations sur les salaires.
Face à l'évolution constante de la technologie, les individus doivent sans cesse renouveler leurs compétences, alors que, même dans
les pays les plus riches, beaucoup manquent de connaissances élémentaires. Dans la zone OCDE, malgré l'enseignement primaire et
secondaire obligatoire, une personne sur six est illettrée, donc incapable de remplir un formulaire de demande d'emploi. Elle se
retrouve ainsi exclue d'un monde du travail en mutation rapide, qui nécessite constamment de nouvelles compétences pour traiter
l'information. La situation de chômeur étant de moins en moins tenable, ceux qui ne parviennent pas à accéder au secteur formel de
l'économie se tournent fréquemment vers le secteur informel. En Amérique latine, depuis le début des années quatre-vingt-dix, la part
de l'emploi informel est ainsi passée de 52 à 58 % et, sur cent emplois créés, quatre-vingt-cinq l'étaient dans ce secteur.
Les restructurations imposées par les fusions qui se multiplient entre multinationales entraînent elles aussi des pertes d'emplois.
Même si ce phénomène est parfois compensé par des créations d'emplois dans certaines entreprises, il ajoute à l'insécurité des
personnes tant dans leur vie professionnelle que dans leur vie privée.
Alternance de phases d'expansion et de récession, volatilité financière
La crise financière en Asie de l'Est a déstabilisé la vie de millions de personnes et réduit les perspectives de croissance dans cette
région et dans le reste du monde. En Indonésie, en République de Corée, en Malaisie, aux Philippines et en Thaïlande, le coût humain
de cette crise a été très élevé.
L'escalade des prix des produits de base tels que les biens alimentaires et les médicaments s'est accompagnée d'un accroissement des
faillites, du chômage, des suicides, de la violence domestique, entre autres conséquences négatives. Les premiers signes de reprise
économique apparaissent cette année. Cependant, l'étude de crises précédentes montre que le chômage persiste longtemps après que
l'inflation a reculé et que les taux de change se sont redressés. Les économies se remettent plus vite d'une crise que les individus.
L'analyse de la crise asiatique permet de dégager deux grandes leçons concernant les marchés mondiaux des capitaux. Premièrement,
l'instabilité est une constante des marchés financiers d'aujourd'hui, mondialement intégrés. La crise en Asie de l'Est n'est pas un
accident isolé, mais le symptôme d'une faiblesse générale des marchés mondiaux des capitaux. Des travaux récents de la CNUCED
mettent en lumière une augmentation de la fréquence des crises financières, parallèlement à un accroissement des mouvements
internationaux de capitaux, depuis le début des années quatre-vingt-dix. Ces flux sont parfois volatils, en raison du comportement
grégaire des investisseurs et de l'inadéquation des informations fournies à ces derniers, dans le monde entier. De plus, la confiance
des investisseurs et l'évaluation des risques peuvent également basculer du jour au lendemain. Les innovations technologiques reliant
en temps réel toutes les places financières, des décisions peuvent être prises instantanément entre des points très éloignés du globe. En
outre, les marchés sont de plus en plus sophistiqués et d'innombrables instruments et dispositifs financiers nouveaux sont apparus
(produits dérivés, fonds spéculatifs, etc.). En théorie, ces instruments et dispositifs ont été inventés pour que les investisseurs puissent
transférer et répartir le risque. En pratique, ils contribuent aujourd'hui directement à la volatilité des marchés des capitaux.
Un des facteurs clés de la crise financière en Asie de l'Est a été l'injection massive et soudaine de capitaux à court terme, suivie d'un
retrait tout aussi brutal. Le début des années quatre-vingt-dix a été marqué par une accumulation rapide de capitaux, puis par la
suppression des contrôles et la modification des politiques financières. En 1996, les transferts nets en direction de l'Indonésie, de la
Corée, de la Malaisie, des Philippines et de la Thaïlande ont totalisé 93 milliards de dollars. En 1997, alors que la tourmente s'abattait
sur les marchés financiers, ces flux se sont inversés en quelques semaines, pour se transformer en des sorties nettes représentant 12
milliards de dollars. Ces cinq pays ont donc subi une variation de 105 milliards de dollars, soit 11 % de leur PIB d'avant la crise.
La seconde leçon que l'on peut tirer de cette crise est que les pays doivent faire preuve d'une extrême prudence en s'ouvrant aux
capitaux étrangers à court terme (souvent spéculatifs), surtout lorsque les institutions régissant les marchés financiers sont peu
développées. Les économistes mettent de plus en plus en doute les avantages des flux à court terme. Ceux-ci ne permettent pas autant
que les investissements à long terme de contribuer au développement, et peuvent même se révéler désastreux, engendrant des
déséquilibres macroéconomiques, entraînant une surévaluation de la monnaie, réduisant la compétitivité internationale et
déstabilisant gravement les systèmes bancaires nationaux.

Criminalité internationale
La mondialisation ouvre de nombreuses possibilités aux malfaiteurs. La criminalité s'internationalise à grands pas et devient
impossible à endiguer en dépit de la coopération des pays pour la combattre. Il y a aujourd'hui 200 millions de consommateurs de
drogues, ce qui fait peser des menaces sur les communautés, dans le monde entier. Au cours des dix dernières années, la production
d'opium a plus que triplé et celle de coca a plus que doublé. Entre 1990 et 1997, le nombre des délits liés aux stupéfiants est passé de
4 à 28 pour 100 000 habitants en Bélarus, et de 1,4 à près de 8 pour 100 000 habitants en Estonie. En 1995, le trafic de stupéfiants
était estimé à 400 milliards de dollars, soit l'équivalent de 8 % des échanges mondiaux, plus que la part du fer et de l'acier ou des
automobiles et grosso modo celle du textile (7,5 %) ou du pétrole et du gaz (8,6 %).
Le trafic d'armes est aussi en plein développement. Il déstabilise les sociétés et les pays, et alimente des conflits en Afrique et en
Europe de l'Est. Ce sont les armes légères qui ont les effets les plus immédiats sur la vie humaine. Employées dans tous les conflits
dans le monde, elles sont à l'origine de 90 % des morts et des blessés dus à la guerre depuis 1945. Au Salvador, le taux d'homicides a
augmenté de 36 % après la fin de la guerre civile. En Afrique du Sud, des mitraillettes arrivées en masse d'Angola et du Mozambique
sont utilisées dans un nombre croissant de crimes. En Albanie, il y a eu cinq fois plus de meurtres en 1997 qu'en 1996, augmentation
attribuée à la détention illégale d'armes par les civils.
Une autre activité florissante est la traite des femmes et des petites filles à des fins d'exploitation sexuelle, ce qui est à la fois une
forme d'esclavage et une violation inacceptable des droits humains. Rien qu'en Europe de l'Ouest, chaque année, environ 500 000
femmes et filles originaires de pays en transition ou en développement sont prises au piège de ce véritable trafic d'esclaves. Elles y
perdent non seulement leur liberté, mais aussi leur dignité et, bien souvent, leur santé. Et lorsqu'elles réussissent à retourner chez
elles, elles sont le plus souvent rejetées par leur famille et leur communauté.
Au coeur de tous ces drames se trouvent le pouvoir et l'influence croissants des gangs, dont l'activité est estimée à 1 500 milliards de
dollars par an, ce qui en fait une véritable puissance économique, rivalisant avec celle des multinationales. Grâce à la très grande
somme de pouvoir et de moyens financiers qu'elle concentre, la criminalité peut infiltrer les milieux d'affaires, la politique et le
gouvernement. Que ce soient les triades chinoises, les cartels colombiens de Medellin et de Cali, la mafia italienne, les yakusa
japonais, les cartels de Juarez, de Tijuana et du Golfe au Mexique, Cosa Nostra aux États-Unis et les différentes mafias qui sévissent
au Nigeria, en Russie et en Afrique du Sud, tous opèrent au-delà des frontières nationales et développent des alliances stratégiques
formant un réseau mondial, en exploitant à leur plus grand profit les avantages de la mondialisation. (...)
Source : Problèmes économiques,

Mondialisation, inégalités et efficacité des politiques économiques


Sommaire

Les causes des inégalités croissantes dans les pays riches


Compétition des pays à bas salaires et inégalités dans les pays riches
Compétition entre pays riches et progrès technique
Une analyse dynamique de la croissance des inégalités
Les politiques économiques dans la globalisation
L'innovation : une voie étroite
Stimuler une croissance "qualitative"
De la difficulté de réduire les fractures
Effets sur la répartition
De la prétendue impuissance des gouvernements
L'acceptabilité des inégalités
La possible "sécession" économique
par Pierre-Noël Giraud.

On observe, depuis le début des années quatre-vingt, une croissance des inégalités économiques dans les pays industrialisés. Les
causes de ces évolutions sont controversées. Pour certains, la responsabilité incombe à une concurrence accrue des pays à bas salaires.
Pour d'autres, c'est le progrès technique "biaisé" au sens où ce dernier supprime massivement des postes de travail non qualifiés et
augmente la demande des postes qualifiés. Peut-on pour autant échapper à ces évolutions ? Cela revient à poser le problème de
l'efficacité des politiques économiques dans un monde de plus en plus globalisé. Problème d'autant plus épineux que le risque est
grand en raison de la globalisation que des groupes particuliers fassent économiquement sécession du reste des habitants d'un
territoire.

Les causes des inégalités croissantes dans les pays riches


Dans les pays industrialisés riches, les inégalités économiques s'accroissent depuis le début des années quatre-vingt : inégalités de
revenus dans les pays où le marché du travail était ou a été rendu "flexible" (États-Unis, Grande-Bretagne), chômage et précarité dans
les autres, notamment en Europe continentale(1). L'opinion publique rend volontiers responsable de ces phénomènes, la compétition
qu'exercent les pays à bas salaires ayant adopté des stratégies d'industrialisation par exportation de produits manufacturés, tels la
plupart des pays d'Asie de l'Est.
Parmi les économistes, les causes réelles de ces évolutions suscitent un très vif débat. En effet, il existe au moins un autre candidat
sérieux à l'explication de la croissance des inégalités : un progrès technique "biaisé". Selon cette analyse, le progrès technique
caractérisant la "troisième révolution industrielle", celle de l'informatique, serait biaisé en cela qu'il supprimerait massivement des
postes de travail non qualifiés et augmenterait la demande des postes qualifiés de conception, fabrication et mise en oeuvre des
nouvelles machines et des logiciels associés. Malgré l'élévation du niveau général de formation dans les pays riches, qui a fait croître
l'offre de travail qualifié, les évolutions de la demande par qualification auraient été encore plus rapides. Résultat : les non-qualifiés
sont en surnombre, donc ils tombent au chômage ou bien leurs salaires baissent ; les qualifiés sont très demandés, donc leurs salaires
augmentent. Un progrès technique ainsi biaisé, quoique incontestablement favorable à la croissance économique moyenne, creuserait
cependant les inégalités.
Une grande majorité d'économistes, particulièrement aux États-Unis, affirme que c'est bien un progrès technique biaisé, et non le
commerce avec les pays à bas salaires, qui est pour l'essentiel responsable de l'accroissement des inégalités dans les pays riches.
J'estime pour ma part que : le rôle de la compétition des pays à bas salaires est sous-estimé dans la plupart des études aujourd'hui
réalisées sur cette question ; la globalisation ne se réduit pas à une compétition croissante avec les pays à bas salaires, elle exacerbe
aussi la compétition entre pays riches, laquelle joue également un rôle important dans la croissance des inégalités ; le progrès
technique ne peut être considéré comme une variable indépendante de la globalisation.
Dans cette partie, je développerai ces thèses en trois points. J'examinerai d'abord le rôle de la compétition des bas salaires, l'état des
études économiques sur cette question et ce qu'on peut en attendre pour l'avenir, en raison de l'émergence de nouveaux pays à bas
salaires, mais à forte capacité technologique, tels que la Chine, l'Inde, la Russie. J'étendrai ensuite l'analyse à la globalisation en
général, donc à la compétition entre pays riches, et je discuterai de l'articulation globalisation/progrès technique. Je proposerai un
modèle dynamique d'évolution des inégalités dans les pays riches sous l'effet de la globalisation et je terminerai par une analyse des
politiques économiques face à la globalisation

Compétition des pays à bas salaires et inégalités dans les pays riches
Sur les mécanismes élémentaires, tous les économistes sont d'accord : une compétition accrue de pays à bas salaires entraîne, dans un
premier temps du moins, une croissance des inégalités dans les pays riches qui y sont soumis. C'est sur l'ampleur du phénomène que
leurs conclusions divergent. Rappelons d'abord ces mécanismes, avant de faire le point sur les études empiriques qui ont tenté d'en
mesurer les effets réels.

Les mécanismes

Prenons d'abord le cas simple d'une marchandise à fort contenu en main-d'oeuvre, par exemple, les chaussures de sport, qui était
auparavant produite dans les pays industrialisés et qui l'est désormais uniquement dans des pays à bas salaires, lesquels exportent leur
production dans les premiers. Les pays à bas salaires disposent alors d'un pouvoir d'achat supplémentaire, égal à leurs exportations de
chaussures, dont ils se servent pour importer des marchandises produites dans les pays industrialisés et qu'ils ne produisent pas, par
exemple des avions. Supposons, pour simplifier, que le commerce entre les deux types de pays soit équilibré : les pays riches ne
produisent plus, mais importent x millions de dollars de chaussures ; et ils produisent et exportent x millions de dollars d'avions
supplémentaires. Or la théorie, confirmée par les faits, montre qu'il y avait plus d'emplois dans la production de chaussures remplacée
par les importations que dans la production supplémentaire d'avions, parce que les premiers étaient en moyenne moins qualifiés et
moins payés que les seconds. C'est d'ailleurs là que réside l'avantage pour les pays riches, pris dans leur ensemble, de ce genre
d'échange : en travaillant moins (grâce à la production d'avions plutôt que de chaussures), ils consomment toujours autant de
chaussures. On calcule(2) ainsi que 1 million de francs d'échanges supplémentaires entre la France et la Chine créait, en 1991, 3 140
emplois, mais en détruisait 4 320, soit un solde négatif de 1 180 emplois détruits, dans le cadre, répétons-le, d'échanges équilibrés.
On voit que cela produit mécaniquement une inégalité croissante, car, toutes choses égales par ailleurs, les employés "excédentaires"
soit deviennent chômeurs, soit retrouvent un emploi, mais en ayant "pesé" sur le marché du travail et donc fait baisser les salaires
correspondant à leurs qualifications, en général faibles. Encore, dans ce raisonnement simplifié, avons-nous supposé que des
employés licenciés dans la chaussure avaient été réembauchés dans un autre secteur, à concurrence du nombre d'emplois créés dans
l'aviation, ce qui peut fort bien ne pas être instantané.
Mais il est un autre effet de la compétition des pays à bas salaires, plus complexe à analyser et surtout à mesurer, qui passe par les
mouvements de prix et les évolutions induites de productivité. Supposons, en effet, que les entreprises de chaussures des pays riches,
soumises à un début de pénétration d'importations à bas prix en provenance des pays à bas salaires, fassent tout pour résister. Elles ne
peuvent résister qu'en abaissant leurs coûts, ce qui peut se produire de deux manières : soit en obtenant de leurs salariés qu'ils
accceptent de moindres salaires pour "sauver l'emploi" ; soit en mécanisant à outrance la production, donc en licenciant
massivement ; soit une combinaison des deux. Si l'opération de résistance réussit, les importations des pays à bas salaires peuvent
rester très limitées, et même avoir été "repoussées", mais les baisses de prix que leur menace a imposées - tout en bénéficiant aux
consommateurs - ont produit des inégalités.
Remarquons bien, car c'est toute la complexité du problème, que la réaction qui consiste à mécaniser pour abaisser les coûts, donc à
améliorer la productivité du travail, est tout simplement la mise en oeuvre d'un progrès technique. Elle a donc exactement les mêmes
effets qu'un progrès technique qui ne serait pas stimulé par la compétition des pays à bas salaires, mais simplement issu de la
diffusion d'une innovation productive dans les pays riches. Lorsque l'on constate, dans un secteur donné, un mouvement d'accélération
de la productivité du travail, avec ses conséquences sur l'emploi ou les salaires des qualifications utilisées dans ce secteur, il est
difficile, dans la pratique, d'évaluer si cela provient d'une compétitivité accrue des pays à bas salaires ou d'un progrès technique
"endogène" qui se serait produit de toute façon.

Les tentatives de mesure


Si l'on se contente d'évaluer les effets de la compétition des pays à bas salaires sur les destructions initiales d'emplois en mesurant les
contenus en emplois des importations de ces pays et des exportations vers ces pays, on ne prend en compte que le premier mécanisme
décrit ci-dessus, celui où les importations remplacent une production locale. Cet effet est assez aisément calculable. En voici une
approximation.
Si l'on admet, comme dans l'exemple du commerce France/Chine ci-dessus, que le contenu en emplois des exportations est de 20 %
inférieur à celui des activités remplacées par les importations, puisque les importations totales des pays à bas salaires ne représentent
environ que 3 % du PIB de l'Europe, alors le solde négatif en emplois de ce commerce serait de l'ordre de 0,6 % de l'emploi total (0,2
´ 0,03). C'est, en effet, très peu par rapport à des taux de chomage de l'ordre de 10 %.
Le second type d'effet - appelons-le la stimulation et l'orientation du progrès technique dans les pays riches sous l'effet de la
compétition par les prix des pays à bas salaires - est nettement plus difficile à évaluer. En effet, le point difficile est de mesurer le
"biais" défavorable à certaines catégories d'emplois qu'introduit, dans l'évolution "normale" du progrès technique, la compétition des
pays à bas salaires. Ce n'est cependant pas impossible, grâce à des techniques économétriques, si l'on dispose des statistiques
appropriées, en particulier de l'évolution des prix internationaux. Nous n'entrerons pas ici dans ce débat très technique ; disons
simplement qu'il se poursuit activement(3). Après une première vague d'études concluant à un effet très limité de la compétition des
pays à bas salaires, une seconde vague a tendance à réévaluer cet effet. Les premières concluaient à un effet de l'ordre de 20 % au plus
de la croissance des inégalités salariales aux États-Unis, pays de loin le plus étudié. À mon avis, c'est sans aucun doute sous-estimé ;
la vérité se trouve probablement entre ce chiffre et 40 %.
Reste que, en aucun cas, la compétition des pays à bas salaires ne peut, jusqu'ici, être considérée comme le seul - ni même le principal
- responsable des inégalités croissantes dans les pays riches.

L'avenir : l'émergence des "pays à bas salaires et à capacités technologiques"


Longtemps restreinte à un petit nombre de pays à bas salaires, généralement peu peuplés, qu'on appela "nouveaux pays industrialisés"
(NPI), tels les "dragons" d'Asie du Sud-Est (Corée, Taïwan, Singapour), la compétition s'élargit maintenant à ceux que j'appelle, pour
les en distinguer, les "pays à bas salaires et à capacités technologiques" (PBSCT). Ces pays - la Chine, l'Inde, le Brésil, l'Europe de
l'Est - non seulement sont infiniment plus peuplés que les premiers NPI, mais ils ont aussi des capacités technologiques sans
commune mesure avec celles qu'avaient les NPI quand ils ont commencé leur rattrapage dans les années soixante. Grâce à leur passé
industriel ancien (en particulier socialiste) et à des transferts massifs de technologies par les firmes globales des pays riches qui, en
général, visent d'abord leur marché intérieur, l'industrie et même les services exportables des PBSCT acquièrent également
rapidement une compétitivité à l'exportation, y compris - et c'est une grande différence avec les premiers NPI - dans des industries de
haute technologie(4).
Pourtant, les niveaux de salaires dans les secteurs exportateurs des PBSCT resteront durablement bas, bien que significativement
supérieurs à ceux de la grande majorité de la population, en raison de l'énorme poids des masses rurales et du secteur informel à très
faible productivité qui pèsent sur leurs marchés internes du travail. Cette nouvelle compétition ne fait que commencer, car l'ouverture
de ces PBSCT à l'économie mondiale est récente et va s'amplifier(5). Cela ne veut évidemment pas dire que les pays riches sont
menacés d'une désindustrialisation massive et qu'ils n'auront bientôt plus rien à vendre à la Chine, par exemple. En effet, il existera
toujours un taux de change entre la Chine et les anciens pays industrialisés susceptible d'équilibrer en valeur le commerce entre les
deux zones, et la valeur de la monnaie chinoise s'appréciera au fur et à mesure du développement du pays. Mais le problème n'est pas
là. La montée en puissance des PBSCT va accélérer encore dans les pays riches la concentration des biens et services exportables sur
des emplois de moins en moins nombreux et de mieux en mieux rémunérés, et donc la croissance des inégalités. Il est donc, à mon
avis, fort probable qu'aille s'amplifiant le rôle de la compétition avec les pays à bas salaires dans la croissance des inégalités dans les
pays riches, rôle actuellement, on l'a dit, encore limité, quoique sous-estimé. Il s'agit là, en fait, d'une conséquence initialement
imprévue de la victoire "économique" indiscutable que les capitalismes ont remportée sur des socialismes(6) qui avaient isolé de
l'économie mondiale des milliards d'hommes en moyenne très pauvres, mais pour beaucoup scientifiquement et industriellement très
compétents.

Compétition entre pays riches et progrès technique


Pendant les "Trente Glorieuses", la croissance économique des pays riches est restée principalement autocentrée. Certes, leurs
territoires se sont ouverts progressivement, particulièrement au sein de l'Europe en construction. Mais, compte tenu de ce que
l'Europe et le Japon connaissaient un processus de rattrapage des États-Unis (qui explique d'ailleurs largement leur croissance très
forte pendant cette période), ces trois grands blocs, tout en s'ouvrant progressivement les uns aux autres, avaient un commerce plus
complémentaire que concurrentiel. C'est ce qui a changé, avec la fin du rattrapage, au cours des années soixante-dix. Des firmes que
je qualifie de "nomades", de plus en plus nombreuses, ont mis en compétition de manière croissante les territoires des pays riches, en
même temps que leur intérêt propre se dissociait progressivement de celui de leur territoire d'origine(7).
Progressivement, entre firmes des pays industrialisés riches situées dans des territoires différents, une compétition acharnée par les
prix s'est déployée, alors que ce type de compétition était beaucoup plus tempéré à l'intérieur de territoires en croissance autocentrée.
Cette compétition a été aggravée par les amples fluctuations monétaires qui ont succédé à la fin du système de parités fixes de Bretton
Woods. Il est facile de comprendre qu'une baisse du dollar de 30 % par rapport au mark exerçait dans les années quatre-vingt sur
l'industrie allemande une pression compétitive bien plus forte que la pénétration d'importations textiles en provenance des pays à bas
salaires, car elle s'exerçait sur l'industrie et les services exportables dans leur ensemble, et favorisait un pays, les États-Unis, où le
niveau de productivité du travail était équivalent. Même indépendamment des fluctuations monétaires, avec la mobilité croissante des
marchandises, les différences de coût du travail (niveau des salaires et de la protection sociale) entre pays riches ont commencé à faire
sentir pleinement leurs effets. Les "délocalisations", au sein même de l'Europe, vers des régions à bas coût salarial, comme l'Irlande
ou l'Écosse, en témoignent de façon éloquente.
Cette compétition par les prix a contraint les industries et les services exposés à la compétition internationale à des efforts drastiques
de productivité. Ce fut le début de la vague de "chasse aux sureffectifs" et de "plans de restructuration" avec licenciements massifs.
L'industrie a cessé de créer des emplois, elle en a perdu, même si la production industrielle n'a pas régressé en valeur dans le PIB.
Seuls les secteurs protégés de la concurrence internationale (qui sont principalement des secteurs de services, publics ou privés, aux
ménages) peuvent absorber les hommes rejetés par l'industrie et les services exposés. Mais, pour les absorber à un rythme suffisant, il
faut que ces secteurs croissent avec une faible progression de la productivité du travail. Pour que cela n'entraîne pas de baisse relative
des salaires dans ces secteurs, il faut que les prix relatifs de leurs produits augmentent exactement au rythme du différentiel de
productivité. Mais, si le mouvement est trop rapide, il se peut que la demande adressée à ces secteurs à prix relatif croissant ne suive
pas. Dans ce cas, les secteurs protégés ne peuvent absorber tous les emplois "libérés" par les secteurs exposés, qu'à condition que leurs
prix progressent plus modérément, ce qui implique une baisse relative des salaires moyens dans les premiers. C'est ce qui s'est passé
aux États-Unis. Si ces secteurs protégés, pour une raison quelconque (compétition interne ou salaire minimum élevé, par exemple),
connaissent, eux aussi, des gains de productivité élevés, ils ne peuvent absorber, malgré leur croissance, tous les emplois libérés. C'est
ce qui s'est passé en France.
Dans cette analyse, c'est la globalisation qui provoque un vigoureux élargissement et une modification des formes de la compétition
entre pays riches, et qui stimule ainsi un progrès technique orienté vers la baisse des coûts. En d'autres termes, c'est elle qui provoque
un processus particulier de "destruction créatrice" schumpétérienne, différent de ce qu'il était dans les croissances autocentrées.
Mais on voit bien qu'il est également loisible de considérer que le phénomène premier est le progrès technique, en l'occurrence la
troisième révolution industrielle, et que, de plus, c'est en réalité elle qui, en accélérant les mobilités des marchandises des capitaux et
des informations, permet aux firmes de se globaliser et de mettre les territoires dans une situation de compétition croissante. S'il se
trouve que, en raison de caractéristiques particulières de cette nouvelle révolution industrielle, ce progrès technique est, par malheur,
"biaisé", alors les inégalités salariales ou le chômage croissent, pour les raisons qu'on a dites en introduction.
D'où un second débat : quelle est l'articulation entre progrès technique et globalisation ? Qu'ils soient liés, chacun en conviendra, mais
quel est le sens général des causalités ? Les partisans du progrès technique comme cause principale des inégalités ont très
généralement tendance à le considérer - au moins dans son contenu, sinon dans son intensité(8) - comme "exogène" à l'analyse
économique, car essentiellement issu du progrès autonome des sciences.
Une longue fréquentation des entreprises m'a convaincu qu'elles sont très majoritairement conservatrices et n'innovent que poussées
par la compétition. Les exemples abondent d'innovations présentes "sur les étagères" qui ne sont mises en oeuvre que lorsque la
compétition y contraint. Pensons aux banques et assurances, jusqu'à très récemment, en France, par exemple. Inversement, de
nouveaux entrepreneurs innovateurs ne réussissent que lorsque préexiste un marché potentiel. On commente abondamment les succès
éclatants, comme celui de Microsoft ; on ne compte pas les innombrables échecs, alros que l'idée technique (issue de la science) était
bonne, mais simplement prématurée. Bref, je suis résolument partisan de la thèse selon laquelle le progrès technique est "tiré par le
marché" (en fait tiré par la "compétition pour les marchés"), plutôt que "poussé par la science".
Dans ces conditions, ce qui compte, dans la diffusion des innovations techniques et organisationnelles, et dans leur orientation même,
c'est l'évolution des formes et de l'intensité de la compétition. C'est là qu'intervient la globalisation, et d'abord la compétiton entre
pays riches. L'orientation du progrès technique, sa rapidité de diffusion, ainsi que les innovations organisationnelles qui ont
profondément transformé les entreprises en vingt ans (externalisation de fonctions auparavant internes, concentration sur les métiers
stratégiques, "reconfiguration", mises en réseaux, etc.) en sont des conséquences. Ce sont les moyens par lesquels les entreprises
tentent de s'adapter à l'élargissement et aux nouvelles formes de la compétition. Ainsi, par exemple, si l'entreprise "fordiste" est
périmée, ce n'est pas en raison d'un progrès technique exogène (l'informatique) qui l'aurait fait éclater. L'entreprise fordiste mettait
certes en oeuvre des techniques et une organisation particulières. Mais son organisation et ses techniques avaient été progressivement
façonnées par un certain type de concurrence oligopolistique, par différenciation produite au sein d'un seul territoire quasi fermé.
Elles ne sont plus adéquates à la compétition actuelle, et c'est pourquoi les entreprises ont évolué, sélectionnant parmi toutes les
innovations potentielles celles qui servaient le mieux les nouveau enjeux de la compétition globale.
Ce débat sur l'articulation entre progrès technique et globalisation est évidemment loin d'être tranché et, à vrai dire, les tests qui
permettraient de le faire sont assez difficiles à mettre en oeuvre. Il nous faut donc aussi le laisser ouvert. Retenons cependant un point
d'accord très général au sein des économistes : qu'elles soient dues à un progrès technique autonome, à la globalisation en général ou
à la compétition des pays à bas salaires en particulier, il existe depuis plusieurs années dans les pays riches de puissantes dynamiques
économiques tendant à rouvrir les inégalités internes, après une période, celle des "Trente Glorieuses", où elles s'étaient partout
réduites(9).

Une analyse dynamique de la croissance des inégalités(10)


Avant d'examiner, dans la deuxième partie, ce qui pourrait être entrepris par les gouvernements pour s'opposer à ces évolutions, si
elles sont jugées indésirables, il est utile de proposer une modélisation simplifiée des phénomènes. Je le ferai dans le cadre de la thèse
que je privilégie, à savoir que c'est la globalisation en général, donc la mise en compétition croissante de tous les territoires par les
firmes nomades, et pas seulement la compétition des pays à bas salaires, qui est à l'origine des inégalités croissantes dans les pays
riches. Ce modèle reprend donc, comme distinction pertinente, celle des secteurs exposés et protégés déjà esquissée ci-dessus, et non
celle des emplois qualifiés et non qualifiés qu'utilisent les analystes du progrès technique biaisé. Par ailleurs, on se sera, je pense,
convaincu que le problème est de nature essentiellement dynamique : il résulte de la combinaison de mouvements contradictoires aux
rythmes différents. Une analyse dynamique nous permettra donc aussi de comprendre à quelles conditions l'augmentation des
inégalités dans les pays riches n'est pas inéluctable.
Partons donc de la distinction classique entre les biens et services échangeables internationalement, et ceux qui ne le sont pas, que ce
soit pour des raisons technico-économiques ou en raison d'obstacles étatiques mis à leur circulation à travers les frontières.
À partir de là, distinguons, au sein de la population active d'un territoire, deux catégories de personnes actives : les "compétitifs" et
les "protégés". Il ne s'agit en aucune façon d'un jugement de valeur. Cette distinction ne fait que définir la position de chacun dans le
système productif de biens et services. Les compétitifs sont ceux qui contribuent à la production des biens et services échangeables
internationalement. Ils sont directement en compétition avec les compétitifs d'autres territoires pour le partage d'une demande qui est
une part donnée des revenus mondiaux. S'ils conservent leur emploi, c'est donc qu'ils sont, vis-à-vis de ceux-ci, compétitifs au sens
ordinaire du mot. Inversement, tout compétitif qui cesse de l'être vis-à-vis d'un compétitif situé dans un autre territoire perd
inévitablement son emploi au profit de ce dernier.
Les protégés sont ceux qui contribuent à la production de biens et services non échangeables internationalement (par exemple :
administration, défense, police, santé, éducation, commerce de détail, transports urbains et intérieurs, restauration, nombreux services
de loisirs, mais aussi bâtiment et travaux publics, fourniture d'électricité, de gaz, d'eau, collecte et traitement des déchets, etc.). Ils
sont bien évidemment aussi en compétition, mais uniquement entre eux, au sein d'un seul territoire, voire très localement, pour le
partage d'une demande qui est une part donnée des revenus distribués sur leur territoire. Un protégé qui perd sa compétitivité vis-à-vis
d'un autre protégé de son territoire, peut évidemment perdre son emploi. Mais, si la structure de la demande ne change pas (i.e. si les
parts relatives de la demande adressées aux compétitifs et aux protégés restent stables), cela se traduira par la création immédiate d'un
autre emploi de protégé sur le territoire.
Dans ce cadre d'analyse, la conséquence principale de la globalisation peut se définir d'une phrase : le rythme de destruction des
emplois compétitifs s'est élevé dans les pays industrialisés anciens. À partir de là, deux cas de figure se présentent.
Soit, sur un territoire donné, la création de nouveaux emplois compétitifs se fait à un rythme suffisant, pour au moins compenser en
permanence les destructions d'emplois compétitifs : ni le chômage, ni les inégalités de revenus n'augmentent.
Soit ce n'est pas le cas. Alors, il y a diminution régulière du nombre d'emplois compétitifs. Par conséquent, pour que le chômage
n'augmente pas, il faut une croissance régulière du nombre d'emplois protégés. Mais ceux-ci satisfont une demande qui n'est qu'une
part des revenus distribués sur le territoire. On conçoit donc que si, pour éviter le chômage, la croissance des emplois protégés doit
être rapide, la seule croissance économique moyenne du territoire puisse ne pas y suffire. Il faut alors une croissance relative de la
demande adressée aux protégés, un déplacement des préférences des consommateurs du territoire vers des biens et services produits
par les protégés. De nouveau, il n'y a dans ce cas que deux possibilités.
Soit des protégés particulièrement créatifs inventent en permanence de nouveaux biens et services, non soumis à la compétition
internationale, à ce point séduisants que les consommateurs du territoire veulent les acquérir en priorité dès que leurs revenus
augmentent. Dans ce cas, l'offre de ces nouveaux biens et services protégés, crée sa propre demande. On a une croissance "endogène"
du secteur protégé ; et, si elle est suffisante, ni le chômage/inégalités ne s'accroissent.

Soit cette activité créatrice de nouveaux biens et services protégés n'est pas assez vigoureuse, alors, le seul moyen pour que la
demande adressée aux protégés augmente, est que les prix de ce qu'ils produisent déjà baissent par rapport aux prix de ce qui est
produit par les compétitifs. Conséquence, les écarts de revenus primaires moyens entre compétitifs et protégés doivent s'accroître.
Bref, dans ce second cas, il ne reste que le choix entre deux formes d'accroissement des inégalités : un chômage structurel croissant ou
un accroissement des inégalités de revenus primaires. On assiste donc, de toute façon, à une polarisation de la société en deux
groupes : des compétitifs aux revenus croissants et des protégés devenant tendanciellement les "clients", au sens romain du terme, des
premiers. À l'horizon de ce type d'évolution : le laminage des classes moyennes.
On a compris que l'alternative chômage/inégalités n'est donc, en théorie, pas fatale. On y échappe, en effet, dans deux cas de figure :
création permanente de nouveaux emplois compétitifs en nombre suffisant ou vigoureuse croissance endogène "qualitative", fondée
sur l'innovation et la créativité du secteur protégé(11).
La priorité absolue des politiques économiques devrait, dans ces conditions, être de faire en sorte qu'un territoire se trouve dans l'un
des deux cas de figure favorables ou une combinaison des deux. Comment ? Que faire si cet objectif est hors d'atteinte ?

Les politiques économiques dans la globalisation

La présente partie examine les politiques économiques dans les pays riches susceptibles soit d'annuler les puissantes dynamiques
inégalitaires de la globalisation, soit d'en atténuer les effets par des redistributions internes. Elle s'interroge ensuite sur les raisons de
l'impuissance apparente des gouvernements à mettre en oeuvre certaines de ces politiques, en particulier celles qui permettraient de
supprimer le chômage de masse en Europe(12).

L'innovation : une voie étroite


Précédemment, nous avions identifié deux cas où la globalisation n'entraîne pas nécessairement une croissance du chômage ou des
inégalités : 1° une création permanente de nouveaux emplois compétitifs en nombre suffisant ; 2° une vigoureuse croissance endogène
"qualitative" du secteur protégé, fondée sur l'innovation et la créativité, ainsi que toute combinaison des deux. En conséquence, la
priorité absolue des politiques économiques devrait être de faire en sorte qu'un territoire se trouve dans ces cas de figure favorables.
Première priorité des politiques économiques : maximiser le rythme de création de nouveaux emplois compétitifs. Une difficulté, par
rapport à la période antérieure, est que les politiques de stimulation de la demande sur le territoire national sont pour cela
inopérantes : la demande créée dans un territoire peut être captée par les compétitifs d'autres territoires, et la demande qui s'adresse
aux compétitifs du territoire national vient de manière croissante de l'extérieur. Le seul moyen est donc d'améliorer l'offre de biens et
services compétitifs produits sur le territoire.
Mais ici, deux voies se présentent. On peut être tenté d'améliorer sa compétitivité-prix. Outre qu'il s'agit, pour les pays riches, d'une
voie très risquée, compte tenu de l'avantage en la matière des pays à bas salaires et à capacité technologique (PBSCT), cela
entraînerait nécessairement, au sein même des compétitifs, un accroissement des écarts de revenus primaires, car cela exigerait de
réduire le coût du travail de ceux des compétitifs qui sont directement en concurrence avec les compétitifs des pays à bas salaires. Or,
ceux-ci ne se limitent plus aux travailleurs non qualifiés, puisque les compétitifs de pays comme la Chine ou l'Inde sont de plus en
plus qualifiés, tout en conservant de bas salaires. C'est une voie que certains qualifient de "brésilianisation". Nous l'écarterons ici,
puisque nous cherchons à définir les politiques susceptibles de contrer les effets inégalitaires de la globalisation.
Reste à créer des emplois compétitifs par l'innovation, la différenciation des produits, bref, en échappant autant que possible à la
compétition par les prix. Il y faut un investissement considérable en formation, en recherche-développement, dans certains services ou
infrastructures cruciaux pour ce type de compétitivité. Cette voie est étroite. Par définition, puisqu'il s'agit d'améliorer la compétitivité
relative d'un territoire, les pays aujourd'hui riches ne parviendront pas à s'y engager tous, compte tenu, en particulier, de la montée en
puissance des PBSCT, qui n'ont, eux, pour augmenter facilement et rapidement le nombre de leurs compétitifs, qu'à imiter les pays
riches et non à innover.
Seconde priorité des politiques économiques : créer de nouveaux emplois protégés en déplaçant la demande interne au territoire vers
des biens et services protégés. Ici encore, deux voies peuvent être empruntées. La première passe par une baisse relative du prix des
biens et services protégés qui y sont déjà produits. Mais cela exige une baisse relative des salaires moyens dans le secteur protégé,
donc un accroissement des inégalités entre ces derniers et ceux des compétitifs. C'est la voie suivie dans le territoire américain dans
les années quatre-vingt et le début des années quatre-vingt-dix. Le plein-emploi y a résulté d'une création massive d'emplois dans le
secteur des services aux ménages, un secteur protégé par excellence, qui n'a été possible que grâce à une baisse relative des prix et des
salaires dans ce secteur. La seconde voie est que des protégés particulièrement créatifs inventent en permanence de nouveaux biens et
services, à ce point séduisants que les consommateurs du territoire souhaitent les acquérir en priorité dès que leurs revenus
augmentent. Dans ce cas, l'offre de ces nouveaux biens et services protégés crée sa propre demande. On a une croissance "endogène"
du secteur protégé, et si elle est suffisante, ni le chômage, ni les inégalités ne s'accroissent.

Stimuler une croissance "qualitative"


Dans les deux cas, on voit que le seul moyen de contrer les dynamiques inégalitaires de la globalisation consiste à stimuler au sein du
territoire une croissance que l'on pourrait qualifier de qualitative, au sens où elle passe par une amélioration de la qualité de l'offre.
Dans ce domaine, l'essentiel dépend du dynamisme propre des acteurs économiques situés sur le territoire. Des politiques étatiques
peuvent néanmoins soutenir ce dynamisme en rendant le territoire attractif pour des entreprises innovantes : formation initiale et
continue, recherche-développement publique et surtout diffusion de ses résultats aux entreprises, réseaux d'infrastructures pertinents,
levée des obstacles à la création d'entreprises innovantes et à leur financement. Ces politiques peuvent être qualifiées d'efficaces, au
sens très précis que l'économie donne à ce terme : une politique est efficace si elle bénéficie à certains sans léser personne. On verra
que ce ne sera pas le cas des politiques visant à compenser par des transferts les effets de la globalisation.
Il semble que l'évolution la plus récente des États-Unis soit de ce type : depuis quelques années, on assiste dans ce pays à une
vigoureuse croissance d'emplois compétitifs et protégés innovants, liée à l'avance prise par ce territoire dans les secteurs des nouvelles
technologies de l'information. La croissance des inégalités aurait ainsi été stoppée. Cette réussite n'est certainement pas sans rapport
avec la propension à donner des leçons au monde entier que manifestent assez nettement les économistes et les hommes politiques
américains. Cela ne saurait faire oublier que ce pays a connu auparavant une longue période de très fort accroissement des inégalités.
L'avenir dira si le mouvement est ainsi stoppé durablement, ou non.

De la difficulté de réduire les fractures


Examinons maintenant les politiques susceptibles de réduire les "dégâts" déjà provoqués par la globalisation, et faisons-le à partir
d'un exemple, celui du chômage en France. Existe-t-il des politiques efficaces dans ce domaine, qui permettraient de supprimer le
chômage sans que personne n'y perde ? Je suis de ceux qui pensent que la réduction du chômage en Europe ne pourra, en aucun cas,
résulter uniquement de politiques de relance de la consommation ou de l'investissement. Après les politiques macroéconomiques
incontestablement récessives auxquelles la convergence nous a contraints, même si l'on était en mesure, avec l'Union monétaire, de
conduire enfin de telles politiques de relance, cela ne suffirait pas à réduire le chômage de masse, en France par exemple. De plus, si
ces politiques étaient vigoureuses, elles seraient certainement inflationnistes et donc non efficaces, au sens où nous l'avons défini,
puisque l'inflation opère toujours des transferts. En d'autres termes, le chômage en Europe a une dimension structurelle. Il faut donc,
pour le supprimer, des politiques ayant un contenu structurel. Tout le monde sait ce que l'on pourrait faire. La réduction du chômage
en Europe n'est pas un problème pour la théorie économique. De plus, nous savons qu'il n'existe pas de solution unique. Plusieurs
types de politique économique seraient susceptibles de réduire le chômage structurel. Très schématiquement, trois types de solution
sont possibles.
La première est la solution libérale : flexibilisation des marchés du travail, afin que ces marchés fixent "librement" le prix de chaque
catégorie de force de travail. Elle admet une variante : baisser drastiquement les charges sur les bas salaires.
La seconde est la réduction du temps de travail. Cette solution mériterait, à elle seule, tout un développement, car les modalités de
réduction peuvent être très différentes : fort développement du temps partiel, réduction de la durée légale, réduction générale imposée
ou réduction modulée selon les secteurs exposés ou protégés de la compétition internationale, avec des mécanismes d'incitation plutôt
que des contraintes, etc. Ainsi, l'analyse en termes de compétitifs et de protégés que j'ai proposée permet de mettre en perspective les
politiques de réduction massive de la durée du temps de travail. Qualifiées de malthusiennes par les uns, considérées comme la
dernière chance par les autres, ces politiques sont très controversées. À mon sens, il serait en effet malthusien de contraindre des
compétitifs à travailler moins. Dans un territoire, plus les compétitifs travaillent, mieux c'est pour l'ensemble. En revanche, ces
politiques sont envisageables pour les protégés. Mais, à moins que la demande des biens et services protégés soit insensible à leurs
prix, ce dont on peut douter, elles n'autoriseraient pas une réduction du temps de travail à revenu constant (sauf, évidemment, grâce à
des transferts sociaux supplémentaires) ; il s'agirait bien, alors, de "partager" une masse limitée d'emplois protégés. Bref, il y a
matière à un vaste débat quant aux moyens de la réduction du temps de travail, mais c'est incontestablement une option pour réduire
le chômage structurel.
Enfin, le troisième type - et ici je suis délibérément provocateur - est de créer de nouveaux emplois publics. Là encore, il y a de fortes
différences dans les méthodes envisageables. On peut simplement créer des emplois de fonctionnaires, mais aussi (solution très à la
mode chez certains économistes et hommes politiques en France) subventionner le développement d'un tiers secteur, par exemple, en
activant les sommes actuellement dépensées pour l'indemnisation du chômage. Je considère, en effet - à partir du moment où ce tiers
secteur ne pourrait pas se développer par un pur mécanisme de marché, mais devrait être aidé par l'État -, que cela constitue une
forme particulière de développement d'emplois publics. Ce ne sont pas des emplois entièrement publics, mais c'est une création
d'emplois, aidée, incitée par de la dépense publique.

Effets sur la répartition


Bref, si l'on analyse les choses de façon schématique, on trouve trois types de solution : laisser les salaires être fixés par un
fonctionnement plus "libre" des marchés du travail ; réduire le temps de travail ; créer des emplois publics ou parapublics - et,
naturellement, toute combinaison des trois. Chacune de ces politiques est susceptible de réduire le chômage structurel, mais elles
entraîneraient toutes, inévitablement, des modifications dans la répartition.
Prenons le cas de la troisième solution, celle du développement d'un tiers secteur. Je suis personnellement convaincu que les
programmes qu'on nous présente - où l'on nous explique qu'"il n'y a qu'à" prendre les 700 milliards de francs que représenterait le
coût du chômage et les utiliser à autre chose pour faire disparaître l'essentiel du chômage - sont des présentations pour le moins
optimistes, sinon démagogiques. Très certainement, le troisième type de solution impliquerait une augmentation de la pression fiscale
sur ceux qui ont un emploi.
Quant à la seconde solution, le partage du travail, elle n'est pas réaliste si elle ne s'accompagne, au moins pour certains, d'une
réduction proportionnelle, ou presque proportionnelle, des revenus. On ne peut pas imaginer de système de partage du travail
susceptible de réduire le chômage avec maintien des revenus pour tous.
Enfin, s'agissant de la première solution, si l'on adopte la baisse des charges sur les bas salaires, il faudra financer par d'autres
prélèvements les prestations que ces charges finançaient, ou alors accepter une baisse des prestations. Et si ce ne sont pas les charges
mais les salaires qui baissent, ce sont les bas salaires qui paieront la solidarité avec les chômeurs.
Naturellement, les effets initiaux de répartition de telle ou telle politique peuvent être modifiés par des transferts. Ainsi, on peut
associer à une suppression du SMIC un impôt négatif : le marché fixerait le niveau des plus bas salaires, mais l'impôt négatif
instituerait un plancher aux revenus de chacun qui pourrait être, par exemple, égal au SMIC actuel. Mais, dans tous les cas de figure,
il y aurait une modification de la répartition. Ce ne sont donc pas des politiques efficaces. Autrement dit, à l'issue de l'application de
chacune de ces politiques, certains s'en trouveront mieux - bien évidemment les chômeurs -, mais d'autres moins bien : ceux sur qui
aura pesé le coût de la solidarité nationale accrue qui aura permis de résoudre le problème du chômage. C'est là toute la difficulté.
De la prétendue impuissance des gouvernements
S'il n'existe pas - à l'exception des politiques innovantes, que nous avons évoquées ci-dessus - de politiques économiques efficaces,
notre question devient donc : à quelles conditions un gouvernement peut-il mettre en oeuvre des politiques économiques que je
qualifierais d'actives, au sens où elles auraient de nets effets de répartition ? Un examen du passé peut ici être utile.
Mon hypothèse, issue de cet examen, est que les gouvernements n'ont jusqu'ici été capables d'obtenir un consensus pour mener des
politiques économiques actives que lorsqu'il existait dans le pays un puissant sentiment économique national. Comme tout sentiment
national, le sentiment économique national ne se définit que par rappport à l'étranger. Selon moi, et en cohérence avec la vision
purement relative de la richesse que je propose(13), ce sentiment économique national ne peut prendre que deux formes. Il s'exprime
soit par la volonté de rattrapage, s'il s'agit d'un pays pauvre par rapport à un pays riche, soit par la volonté de ne pas "décrocher",
quand le pays se situe dans le peloton de tête des pays riches.
Prenons, dans le second cas, l'exemple de Ronald Reagan ou de Margaret Thatcher. Dans les deux cas, on a assisté, quoi qu'on puisse
penser de leur contenu, à la mise en oeuvre de politiques économiques actives, à un véritable changement par rapport aux politiques
antérieurement conduites. Or, les promoteurs de ce changement avaient annoncé leurs intentions ; ils se sont fait élire sur des
programmes qui impliquaient de nettes modifications de la répartition, et pourtant, contrairement à d'autres hommes politiques dans
beaucoup d'autres pays aujourd'hui, ils ont fait ce qu'ils ont dit. Pourquoi ? La capacité de mise en oeuvre de ces politiques actives est,
à mon avis, étroitement liée au sentiment de déclin, voire de décadence, de décrochage, qu'avaient les États-Unis à l'égard du Japon à
la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt, et qu'avait la Grande-Bretagne à l'égard du reste de l'Europe quand
Margaret Thatcher est arrivée au pouvoir. Évidemment, quand je parle de sentiment national aux États-Unis ou en Grande-Bretagne,
je parle d'un sentiment majoritaire parmi ceux qui votent. C'est-à-dire qu'aux États-Unis, puisque seule la moitié des gens votent, il
suffit d'une conviction partagée par un peu plus du quart de la population.
Quant au premier cas de sentiment économique national, celui de pays en rattrapage, il est, à mons sens, parfaitement illustré par les
pays européens et le Japon pendant les Trente Glorieuses. On a tendance à mythifier les Trente Glorieuses. Plus elles s'éloignent, plus
la situation que nous vivons en diffère fondamentalement, plus on en construit le mythe. En particulier, on présente les politiques
social-démocrates - ou keynésiennes, ou fordistes, peu importe ici le nom - adoptées par les États d'Europe et le Japon pendant cette
période comme des politiques "efficaces". Or, il est incontestable que ces politiques ont pratiqué - pour employer une formule qui est
de Keynes lui-même - "l'euthanasie des rentiers" au profit des salariés, essentiellement grâce à l'inflation et aux dévaluations. Donc,
selon ma définition, ce n'était pas des politiques efficaces.
Comment ont-elles été possibles ? L'hypothèse est qu'à l'époque, non seulement les groupes dirigeants mais une large fraction des
classes moyennes, voire du peuple, en Europe comme au Japon, considéraient, compte tenu de leur passé, comme un véritable
scandale l'avance économique écrasante et la domination du monde par les États-Unis. C'est au nom de la volonté de combler ce
retard qu'ils ont trouvé les formes, différentes pour chaque pays, de consensus pour mettre en place des politiques qui ont eu de très
puissants effets de répartition interne et qui ont stimulé les processus de rattrapage. On peut donc affirmer que la raison fondamentale
- la justification ultime - des politiques social-démocrates était le rattrapage.

L'acceptabilité des inégalités


A contrario, dans les pays riches non massivement conscients d'un déclin relatif, toute politique économique active n'apparaît, avant
tout, que comme une intervention sur les inégalités internes. Dans une telle situation, les conflits de répartition sont à nu et il n'existe
aucun niveau supérieur d'ordre économique, comme le rattrapage, auquel on puisse se placer pour les résoudre. Il faut donc qu'ils
soient résolus à un niveau purement politique. Par exemple, les questions de solidarité ne peuvent plus être réglées en expliquant à
ceux qui donnent : "Vous verrez, vous-mêmes vous en trouverez mieux à la fin, car nous avons un intérêt objectif commun : le
rattrapage." Non, les questions deviennent : "Quel est le degré d'inégalité qui vous paraît acceptable ? S'il vous paraît inacceptable et
si vous êtes en haut de l'échelle, de quoi êtes-vous prêts à vous priver pour qu'il soit réduit ?"
Reprenons, par exemple, le problème du chômage. J'ai dit que, techniquement, il existe pour le résoudre un ensemble de mesures
parfaitement connues, ce qui n'exclut pas des discussions entre experts à propos de certaines modalités d'application, mais que toute
mesure s'accompagnerait nécessairement d'une répartition différente, où les chômeurs seraient gagnants, mais où d'autres groupes
seraient perdants, c'est-à-dire qu'ils devraient supporter le coût de la solidarité. Demandons-nous, en France par exemple, quelle est la
catégorie de la population qui a le plus profité de la prospérité des Trente Glorieuses. On sait très bien que ce sont ceux qui sont
aujourd'hui retraités. On sait très bien aussi que ces retraités assurent, de façon privée, des transferts vers les jeunes, et que les
familles, de plus en plus, soutiennent les jeunes quand ils n'ont pas d'emploi, leur payent des études prolongées, les aident quand ils
ont des emplois à temps partiel ou des emplois mal rémunérés. Ce mouvement de solidarité est très réel, mais exclusivement privé.
On peut laisser les choses se faire de manière privée, donc de manière très inégale. Mais on pourrait très bien aussi envisager des
transferts publics de la fraction médiane supérieure des retraités pour financer tel ou tel type de mesure destinée à résoudre ce
scandale qu'est le chômage des jeunes. Cependant, pour parvenir à cette décision, il faudrait un véritable débat politique.
Pour certains, tels Anton Brender dans L'Impératif de solidarité ou Alain Lipietz dans La Société en sablier, une solidarité accrue
entre les compétitifs qui bénéficient de la globalisation et les autres reste un impératif économique. À leurs yeux, en effet, les
multiples formes des inégalités croissantes - chômage, pauvreté de masse, banlieues à l'abandon, réduction de la sphère des services
publics, inégalités régionales, etc. - finiront, soit directement, soit par la perte de cohésion sociale et politique qu'elles entraîneront
inévitablement, par peser sur la compétitivité des compétitifs. Laisser se développer ces inégalités serait donc, du point de vue même
de l'économie, un fort mauvais calcul.

La possible "sécession" économique

Je crains, au contraire, qu'au sein d'un territoire puissent parfaitement se côtoyer pendant fort longtemps : d'une part, des groupes
d'ultra-compétitifs, vivant et travaillant dans des ghettos protégés, ayant leurs propres écoles, hôpitaux, espaces de loisirs, etc., et
parfaitement connectés entre eux et avec les compétitifs des autres territoires par les infrastructures de communication adaptées à
leurs besoins ; d'autre part, une masse de gens paupérisés tenus en respect par de puissants appareils répressifs. Pour s'en convaincre,
il n'est qu'à se tourner vers le passé, où ce modèle est très largement dominant, par exemple : Venise et quelques autres villes dans
l'Europe du XVe siècle ; ou à observer aujourd'hui le Brésil, ou ce qui est en train de se produire dans certaines provinces chinoises,
ou encore tout simplement les États-Unis.
En raison de la globalisation, la possibilité, pour des groupes particuliers, de faire économiquement sécession du reste des habitants
d'un territoire est sans doute plus grande qu'elle n'a jamais été, du moins dans les pays les plus riches. Car, dans les pays émergents,
même s'ils peuvent en théorie s'en passer, les compétitifs n'ont pas intérêt à négliger les possibilités que leur offrent des politiques plus
social-démocrates en tant que moteur d'un rattrapage plus rapide, y compris pour eux-mêmes.
Dans les pays les plus riches, ce qui disparaît, ce sont les fondements économiques du sentiment national. Le roi est nu : si sentiment
national (et donc nation) il doit y avoir, il doit être fondé sur autre chose que sur l'intérêt économique mutuel bien compris des
habitants d'un territoire. Bref, aujourd'hui, dans les pays riches qui sont au sommet de l'économie mondiale, il est vain de tenter de
justifier économiquement une politique économique de réduction volontariste des inégalités. Reste que cela peut résulter d'un choix
politique. Un véritable choix, puisqu'on n'y gagnerait pas "sur tous les tableaux".
Source : Pierre-Noël Giraud, professeur de l'École des Mines de Paris et à l'université Paris-Dauphine."Les causes des inégalités
croissantes dans les pays riches" et "Les politiques économiques dans la globalisation". Études
Conflits et rapports de forces dans la mondialisation économique
Sommaire

La thèse du doux commerce


La mondialisation comme champ de bataille entre États
Une division internationale du travail organisée par les plus puissants
Deux thèses en débat : la nécessité d'un pays leader...
... et la réalité ou non du déclin américain
Une vision plus large des conflits économiques internationaux
Les conflits entre firmes
Les conflits entre firmes et états
par Christian Chavagneux.

La mondialisation économique favorise-t-elle, conformément à une certaine pensée dix-huitiémiste, l'avènement d'un monde pacifié et
ordonné, ou bien est-elle porteuse, dans sa dynamique, d'âpres affrontements et d'enjeux de domination susceptibles de conduire à la
guerre ?
Christian Chavagneux discute les deux thèses adverses avant d'élargir son propos à une autre vision des conflits économiques
internationaux qui, à côté des intérêts opposant les États, accorde une large place aux acteurs privés. Les conflits entre firmes ont une
importance déterminante et ceux mettant face-à-face les entreprises avec les États peuvent entraîner une remise en cause des
fondements de la démocratie.
Dans le monde sans aspérité de la théorie économique, les conflits et les rapports de forces n'existent pas. Certes, des affrontements
sont possibles entre les différents acteurs économiques mais le marché est censé les résoudre rapidement. Dans ce monde rêvé, les
conflits économiques ne sont que des conflits d'intérêts individuels auxquels le marché peut toujours apporter des solutions
économiques, par exemple en compensant les perdants. Les rapports de pouvoir et de sujétion sont complètement absents des analyses
économiques dominantes.
Pourtant, un simple regard sur l'actualité économique suggère immédiatement la faiblesse d'une telle approche. Les conflits
commerciaux entre les grands pays industrialisés font souvent la une des journaux : les guerres entre les États-Unis et l'Europe dans le
domaine agricole ou dans celui des biens culturels (films, disques, etc., l'Europe défendant son droit à l'exception culturelle) sont
courantes, de même qu'entre les États-Unis et le Japon ou bien l'Europe et le Japon. Le principe en est toujours le même : l'une des
grandes zones accuse l'autre de protectionnisme et cherche à forcer l'ouverture des marchés qu'elle souhaite investir. Les conflits
monétaires et financiers sont également présents : l'euro est souvent présenté comme l'arme monétaire qui pourra enfin remettre en
cause la suprématie du dollar et la domination américaine sur l'économie mondiale.
La cause est donc entendue : la mondialisation de l'économie, en intégrant de nouveaux pays dans le jeu international ne peut être que
source de batailles supplémentaires dans un environnement déjà conflictuel par nature. Pas si simple. En fait, il existe trois grandes
façons de considérer la nature des conflits dans l'économie mondiale. La première souligne que ces affrontements sont passagers et
que la mondialisation conduira à terme à un monde harmonieux et pacifié. La deuxième, la plus traditionnelle, met en avant les
affrontements économiques entre les États pour en tirer des conséquences pessimistes : de la guerre économique à la guerre tout court,
le pont est facile à franchir. La dernière insiste sur la complexité des rapports de forces internationaux et sur la multitude des acteurs,
au-delà des États, qui peuvent influencer l'économie mondiale. Il en résulte une analyse beaucoup plus riche de la nature des conflits
économiques et de leurs enjeux.

La thèse du doux commerce


On doit à l'économiste américain Albert O. Hirschman de nous avoir rappelé que le XVIIIe siècle, en particulier sous l'influence de
Montesquieu, croyait que le développement du commerce international était porteur d'effets heureux en matière de relations entre les
peuples (1). L'argument peut être facilement étendu à la mondialisation libérale actuelle car c'est grâce au fonctionnement du marché
qu'un tel monde pacifié est censé se développer. En quoi consistent les mécanismes produisant ce résultat heureux ? Comme le
souligne Albert Hirschman, l'idée est qu'un monde où les lois du marché jouent un rôle clé produit un type d'homme " plus honnête,
plus loyal, ordonné et discipliné, mais aussi plus amical et plus serviable, toujours disposé à trouver des solutions aux conflits et un
moyen terme pour des opinions contradictoires. Et bien entendu, un tel type d'homme facilitera à son tour le bon fonctionnement du
marché " (2). La poursuite de l'intérêt économique est alors considéré comme un antidote à l'arbitraire du pouvoir des gouvernements
dont les passions sont responsables des conflits internationaux. L'histoire n'a guère justifié cet optimisme. Le XIXe siècle a vu à la
fois la promotion des idées libérales, la mise en oeuvre du libéralisme économique et des guerres entre pays européens. Dans son plus
célèbre ouvrage, Karl Polanyi (3) a même montré comment le développement du libéralisme international et ses effets sociaux
considérés comme destructeurs ont été à l'origine d'une contre-offensive qui a pu prendre la forme des pouvoirs fasciste et nazi. C'est à
partir du début du siècle que se développe une nouvelle science sociale, les relations internationales, dont les présupposés remettent en
cause l'idée d'un monde de relations harmonieuses entre les États. Longtemps focalisé sur les seules relations politiques, le courant
dominant de cette science politique internationale intégrera une dimension économique à son analyse à partir des années 70 pour une
conclusion sans ambiguïté : la mondialisation économique est une source de conflits qui ne pourront se régler in fine que par la
guerre.

La mondialisation comme champ de bataille entre États

Une division internationale du travail organisée par les plus puissants


Pour les tenants de cette approche, initiée essentiellement aux États-Unis mais qui trouve un large écho en France, l'économie
internationale n'est qu'un champ de bataille, parmi d'autres, entre les États. C'est donc la répartition du pouvoir politique entre les
États qui définit les conditions de la production de richesse au niveau mondial. Dans un monde conflictuel par nature, les États les
plus puissants influencent, de la manière qui leur semble la plus profitable, la division internationale du travail : qui produit quoi, où
et comment. D'où vient la tendance de l'économie à se mondialiser ? Elle résulte entièrement des choix de l'État le plus puissant qui la
met en oeuvre et dispose des moyens de l'imposer aux autres États. C'est ce qu'ont fait la Grande-Bretagne au XIXe siècle et les États-
Unis au XXe siècle. Malheureusement pour eux, cette libéralisation économique internationale s'est transformée en une diffusion de
leur pouvoir vers d'autres États qui ont gagné en puissance et remis en cause leur domination. Ainsi, après avoir aidé l'Europe et le
Japon à se remettre sur pieds, les États-Unis ont été victimes de leur générosité, alimentant la montée en puissance de leurs
concurrents les plus féroces et leur propre déclin.

Deux thèses en débat : la nécessité d'un pays leader...


Or, l'existence d'un leader puissant constitue, d'après cette approche, une condition absolument nécessaire à la bonne marche de
l'économie mondiale. Après le déclin des États-Unis, seul l'avènement d'un nouveau leader international permettra d'assurer
l'équilibre du système international. Mais l'histoire suggère que la guerre a été le seul moyen pour structurer les hiérarchies de
pouvoir entre les États. On peut donc craindre le pire. Aujourd'hui, le système libéral multilatéral établi à Bretton Woods a été
remplacé par l'alliance du nationalisme économique - chaque État cherche à influencer au profit de son territoire la division
internationale du travail -, du repli régionaliste (l'économie mondiale se divise en trois blocs autour des États-Unis, du Japon et de
l'Europe) et du protectionnisme sectoriel (le Japon refuse de libéraliser son système financier, l'Europe son agriculture, etc.). Un
leadership multiple associant les États-Unis, le Japon et l'Union européenne est impensable car chacun poursuit ses propres priorités
et refusera toujours de sacrifier ses intérêts sur l'autel de la coordination. Une coordination internationale impossible à mettre en
oeuvre, tout simplement parce qu'il n'existe aucun objectif qui soit commun aux dirigeants des trois régions. Pire, les différences
entre, par exemple, le Japon et ses principaux partenaires, ne sont pas d'ordre économique mais résultent d'un clash culturel entre
sociétés, avec des priorités nationales, des valeurs sociales et des structures domestiques différentes. Les conflits économiques que
portent la mondialisation ne sont que le prélude à des affrontements entre civilisations, une thèse largement développée aujourd'hui
par Samuel Huntington (4).
La nature intrinsèquement conflictuelle du système international finit donc toujours par l'emporter. L'image est celle d'une
mondialisation économique aux conflits incessants. Entre pays industrialisés, États-Unis, Japon, Union européenne. Mais également
entre pays industrialisés et pays en développement, ces derniers étant accusés d'exercer une concurrence " déloyale " par la sous-
évaluation volontaire de leur monnaie ou bien encore le dumping social, autant d'illustrations de la guerre économique qui façonne le
système international comme une caractéristique majeure de la mondialisation.
Cette approche est bien évidemment contestable. Au coeur de son argumentation se trouvent deux thèses qui sont loin de faire
l'unanimité. La première est celle du besoin impérieux d'un pouvoir politique dominant, un leader hégémonique disent les
spécialistes, pour assurer la stabilité de l'économie mondiale. Après tout, ceux qui croient à la thèse du déclin américain en situent les
prémisses dans le courant des années 60. Cela fait donc une bonne trentaine d'années que nous vivons en temps de paix sans grand
pays dominant. Les pays participants à l'économie mondiale ont donc de fait réussi à trouver des modes de coopération qui leur
permettent de gérer les conflits qui peuvent naître ici où là.

... et la réalité ou non du déclin américain


La seconde thèse contestée est celle du déclin américain. Sur les cent premières entreprises multinationales, vingt-huit sont
américaines, dont six sont classées dans les dix premières. Or les firmes multinationales disposent du pouvoir de décider ce qui est
produit, où, avec quelles méthodes et à quelles conditions. En ce domaine, la domination américaine est encore bien réelle et s'appuie
sur le lien entre les entreprises privées et le gouvernement. De même, les États-Unis restent dominants dans la fixation des règles du
jeu de la finance mondiale. Ce sont eux qui ont décidé de passer aux changes flottants au début des années 70 pour éviter d'avoir à
freiner leur croissance ; eux qui ont ouvert la boîte de Pandore de la libéralisation financière au début des années 80 pour pouvoir
attirer les capitaux du monde entier nécessaires au financement de leur important déficit budgétaire ; eux enfin qui, sous la pression
de leurs grandes banques, ont poussé à la signature d'un accord de libéralisation des services financiers, entré en vigueur le 1er mars
1999, et qui permet aux acteurs financiers internationaux, non seulement de promener leurs capitaux à travers la planète, mais
également de s'installer là où ils le souhaitent pour concurrencer les acteurs financiers locaux. Dans le domaine essentiel de la
circulation du savoir et des technologies dans le monde, la domination américaine sur Internet et celle de Microsoft confirment encore
le poids essentiel des décideurs américains. Enfin, les États-Unis restent aujourd'hui la seule puissance à pouvoir décider de s'engager
dans un conflit militaire n'importe où dans le monde sans demander l'avis de personne.
Domination dans le domaine de la production mondiale, de la finance mondiale, des savoirs mondiaux et de la sécurité internationale,
voilà un pouvoir déclinant qui se porte plutôt bien ! Alors si l'ensemble formé par les entreprises et le gouvernement américains
continue de dominer le monde, cela veut dire que si l'économie mondiale est instable, mal gérée et conflictuelle, c'est en partie de la
faute des États-Unis. L'économie mondiale n'est pas conflictuelle par nature, elle le devient lorsque ceux qui disposent d'une certaine
influence sur son évolution ne contribuent pas à son bon fonctionnement.

Une vision plus large des conflits économiques internationaux


La vision d'une économie mondiale conflictuelle par essence est le fruit, on l'a dit, des spécialistes de relations internationales.
Puisque la science politique s'est surtout consacrée à l'analyse de l'État, il n'est pas étonnant que sa branche destinée à l'étude des
relations internationales ait adopté la même préoccupation envers les relations inter-étatiques. De plus, la succession de deux conflits
internationaux les renforçait dans l'idée que le thème le plus important devait être celui de l'affrontement entre les États, que ce soit
dans le domaine économique ou politique. Cette approche restrictive a empêché ces spécialistes de s'intéresser à l'analyse des actions
politiques internationales des acteurs autres que l'État. Or, une troisième approche des relations de pouvoir dans l'économie mondiale
met justement l'accent sur la montée en puissance des acteurs privés, firmes multinationales et grands établissements financiers. Cette
approche, baptisée économie politique internationale reste peu connue en France. Initiée par un chercheur britannique, Susan
Strange, au début des années 70, elle propose une alternative à la domination de ces analyses centrées uniquement sur l'analyse des
États.
Pour Strange(5), le changement le plus fondamental qu'ait connu l'économie mondiale au cours des cinquante dernières années réside
dans la perte de pouvoir des États au bénéfice des forces du marché. Cela ne signifie en rien que les États soient désormais des acteurs
internationaux en voie de disparition. L'histoire longue nous enseigne que les rapports de force entre les gouvernements et les acteurs
privés évoluent dans le temps. Il s'agit ici de souligner que ce mouvement de balancier a été défavorable aux États au cours des
décennies passées.
Cette approche propose alors une vision plus large de la nature des conflits économiques liés à la mondialisation. Certes les conflits
économiques entre États existent. Ils participent au jeu permanent de redéfinition de la notion floue de leur souveraineté économique
(6). On ne doit pas pour autant en conclure ni qu'ils sont ceux dont les conséquences sont les plus importantes, ni qu'ils mènent tout
droit à la guerre, ni qu'ils se produisent dans une économie mondiale sans pilote. Deux autres types de conflits doivent également
retenir l'attention : les conflits entre firmes et les conflits entre les États et les firmes.

Les conflits entre firmes


Les conflits entre firmes sont ceux qui définissent les points de tension de la mondialisation telle qu'elle est établie par les stratégies
concurrentielles des grandes entreprises mondiales. Ces conflits peuvent être directs ou indirects. Dans le premier cas, l'affrontement
entre acteurs privés ne passent pas par la médiation des États. Dans sa version la plus guerrière, cela peut prendre la forme de
l'espionnage industriel. Mais les conflits économiques d'importance entre firmes sont plutôt ceux qui opposent les détenteurs de
capitaux, ceux qui possèdent, d'une manière ou d'une autre ces entreprises. La libre circulation des mouvements de capitaux et
l'ouverture internationale des marchés boursiers ont nourri la chronique des fameuses OPA sauvages des années 80 où certaines
entreprises disposant de marges de manoeuvre financières tentaient de racheter le capital de leurs concurrents ou de s'imposer de la
sorte dans des nouveaux domaines d'activité. Le développement des activités de fusions et d'acquisitions d'entreprises dans les années
90 a procédé de comportements moins visiblement hostiles, voire même d'une stratégie souhaitée par les deux parties. Il n'en reste pas
moins que les difficultés rencontrées par les entreprises de tel ou tel pays sont bien souvent l'occasion pour ses concurrentes de
développer leurs implantations. Certaines firmes américaines et européennes ont su ainsi tirer profit de la crise dont sont victimes
depuis plusieurs années le Japon et les pays émergents d'Asie.
Les conflits entre entreprises peuvent également passer par la médiation des États du territoire dont elles sont originaires. Les grandes
entreprises américaines arrivent souvent à convaincre leur gouvernement de faire pression pour l'établissement de normes
internationales qui servent leurs intérêts. Un exemple récent tient à la convention anti-corruption signée à l'OCDE en février 1999
sous la pression du gouvernement américain. La loi des États-Unis interdit expressément aux entreprises américaines de recourir à
des pots-de-vin pour corrompre les fonctionnaires de pays étrangers afin d'obtenir des marchés. Ce n'était pas le cas récemment pour
de nombreux autres pays, dont la France, où ces pots-de-vin pouvaient même être déduits de la feuille d'impôt de l'entreprise qui les
utilisait ! Une situation considérée comme un avantage concurrentiel inacceptable par les entreprises américaines. La convention
signée à l'OCDE engage désormais les pays à ne plus encourager ces pratiques.
Mais dans le même temps, les firmes américaines ont appris à maquiller leurs pots-de-vin en passant par les paradis fiscaux ou en
recourant à des filiales avec lesquelles les liens sont assez lâches pour que la maison mère ne soit pas inquiétée en cas d'enquête. Ce
que ne savent pas encore faire les autres entreprises habituées à des pratiques plus directes. Résultat : les grandes entreprises
américaines ont réussi par l'entremise de leur gouvernement à affaiblir leurs concurrentes internationales. On pourrait ainsi multiplier
les exemples dans de nombreux secteurs économiques pour illustrer la difficulté de séparer les stratégies des acteurs publics et privés
dans la naissance, la gestion et la résolution des conflits économiques internationaux.
Les conflits entre firmes et états
Reste l'enjeu des relations entre états et firmes multinationales. C'est celui de la compétitivité des territoires et du contrôle de l'activité
des entreprises. Alors que les États veulent profiter de la division internationale du travail, quelle que soit l'entreprise qui produise sur
leur territoire, les firmes multinationales veulent maîtriser leurs processus de production, quel que soit l'endroit où elles s'installent.
Ceci peut conduire au conflit si l'entreprise choisit une autre localisation ou si l'État cherche à contrôler les activités de l'entreprise
(lois sociales, environnementales, ...) d'une manière que celle-ci juge inacceptable.
Les enjeux sont ici considérables. La forme libérale prise aujourd'hui par la mondialisation conduit les propriétaires des grandes
entreprises multinationales à vouloir rendre leur pouvoir irréversible en inscrivant dans le droit des États leur domination
économique, ce que le chercheur canadien Stephen Gill qualifie de " nouvelle constitution libérale " (7). Un exemple en a été fourni
par le projet avorté d'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI). L'influence des firmes multinationales sur le contenu de l'accord
a clairement été mis en évidence (8). Celui-ci imposait des devoirs aux États mais aucun aux firmes. Il organisait des procédures de
règlement des différends entre firmes et États auprès d'instances, comme la Chambre internationale de Commerce, favorables par
principe aux premières. Il visait surtout à protéger les investisseurs contre toute action étatique qu'ils pouvaient considérer comme
défavorables à leurs intérêts, des nationalisations aux lois organisant le marché du travail. Les États avaient accepté de s'engager dans
cette voie car ils espéraient tous en tirer un avantage en termes d'attractivité de leur territoire. Les véritables perdants auraient donc
été les citoyens, en tant que salariés, privés à terme de la protection que leur apporte le droit du travail. Mais aussi en tant
qu'électeurs, dans un monde où l'acteur politique principal est l'investisseur, promu de facto et de jure comme le souverain politique
de la vie économique et sociale. En ce sens ce nouveau " constitutionnalisme libéral ", souligne Gill, porte une remise en cause du
développement de la démocratie. Il comporte une dimension autoritaire et coercitive justifiée par les libéraux au nom de l'efficacité du
marché.
Là se trouve assurément une dimension essentielle des conflits économiques liés à la mondialisation. Celle-ci s'est traduite par une
montée en puissance des acteurs privés, au détriment des États, qui leur donne un pouvoir d'influence certain sur la définition des
règles du jeu économique et social mondial. Au-delà des conflits entre États, les conflits entre firmes doivent également retenir
l'attention. Mais c'est dans l'affrontement entre la défense des droits économiques et politiques des populations et la volonté des
intérêts particuliers d'inscrire leur domination dans le droit des États que semblent se jouer les principaux combats économiques et
politiques de la mondialisation.
Source : Les cahiers français, n° 290 Auteur : Christian Chavagneux (Journaliste au mensuel Alternatives Économiques, rédacteur en
chef de L'économie politique et enseignant à l'IEP de Paris) .
Où en est le débat Nord-Sud ?
Sommaire

Après le cycle de l'Uruguay, les lendemains qui déchantent


Libéralisation du textile et de l'agriculture : l'essentiel reste à faire
Une libéralisation incomplète, asymétrique et coûteuse
Vous avez dit " services " ?
L'inégalité devant l'ORD et l'OMC
Nouvelles lignes de fracture Nord-Sud
Où l'on reparle de la clause sociale
La montée des préoccupations environnementales
Les nouvelles données du rapport de force
Le traitement spécial et différencié : vers plus de flexibilité
Les ambiguïtés du discours des pays industrialisés
Les défis d'un " cycle du développement "
Pour en savoir plus par Françoise Nicolas.

L'extrême modestie des gains de l'Uruguay Round pour les pays en développement (PED) ne laisse pas de renforcer les tensions entre
ceux-ci et les pays industrialisés. Tant le caractère très incomplet de la libéralisation des secteurs textile et agricole que l'asymétrie
persistante de la libéralisation du commerce des biens et services ou bien encore le retrait de facto des PED dans la définition des
règles du jeu du commerce mondial pénalisent les pays du Sud et nourrissent de profonds ressentiments à l'égard de l'OMC.
Comme le souligne ici Françoise Nicolas, de nouvelles lignes de fracture se développent entre le Nord et le Sud quant aux priorités à
établir. Si les PED demeurent résolument hostiles à l'insertion d'une clause sociale ou de préoccupations environnementales dans les
attributions de l'OMC, ils se montrent favorables à un prochain cycle de négociations centré sur le développement. Priorité que ne
partagent pas les pays industrialisés qui, tout en prônant les vertus du libre-échange, pratiquent une ouverture sélective de leurs
propres marchés.
Bien que les pays en développement ne puissent être tenus pour responsables de l'échec de la réunion de Seattle en décembre 1999,
ils ont manifesté à cette occasion une certaine hostilité à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) car ils estiment en particulier
que leurs intérêts n'y sont pas bien défendus. Leur opposition ne concerne donc pas tant la mondialisation en tant que telle, que la
manière dont elle est gérée, essentiellement, à leurs yeux, au profit des pays industrialisés.
Les points de friction Nord-Sud demeurent nombreux. Lés PED sont tout d'abord déçus de la modestie des bénéfices qu'ils ont retirés
jusque-là du cycle de l'Uruguay, par ailleurs ils s'opposent aux pays industrialisés à propos de l'ordre du jour d'un prochain cycle et sur
l'ampleur du mandat à confier à l'OMC. Alors qu'ils cherchent à en finir avec la marginalisation que leur avait imposée le traitement
différencié, les PED se heurtent aussi à l'ambiguïté du discours des pays industrialisés, qui prônent l'ouverture tout en pratiquant une
libéralisation sélective, ce qui ne fait qu'accroître les frustrations.

Après le cycle de l'Uruguay, les lendemains qui déchantent

Les gains du cycle de l'Uruguay sont demeurés pour l'instant extrêmement modestes pour les PED. Les estimations qui en avaient été
faites étaient sans doute exagérément optimistes ; et l'inégalité dans la répartition des gains probables avait été insuffisamment
soulignée(1), toujours est-il que la modestie des résultats concrets alimente l'insatisfaction des PED. Bien que les causes du
phénomène ne soient pas évidentes, force est de constater par exemple que, depuis la signature de l'Accord de Marrakech, la part des
exportations des États-Unis et de l'Union européenne dans les exportations mondiales s'est considérablement accrue (passant de 50 à
55 %).
L'inclusion des secteurs textile et agricole, jusque-là exclus, dans le champ de compétence de l'OMC, et donc dans la logique de
libéralisation, était censée permettre aux PED de mieux exploiter leurs avantages comparatifs fondés sur une main-d'oeuvre bon
marché. La réalité est toutefois bien différente. De nombreuses barrières douanières continuent d'entraver les exportations agricoles
des PED, et le démantèlement de l'accord multifibres (AMF)(2) tarde à se concrétiser. Dans ces conditions, les engagements pris par
les PED en matière de réduction des barrières aux échanges et en matière de réforme de leurs procédures et réglementations
commerciales paraissent d'autant plus coûteux. L'asymétrie perçue dans les bénéfices est une source majeure d'insatisfaction pour les
PED.

Libéralisation du textile et de l'agriculture : l'essentiel reste à faire


Le secteur du textile-habillement, d'un intérêt primordial pour nombre de PED, reste assujetti à des restrictions quantitatives
importantes puisque l'essentiel de la libéralisation ne sera effectif qu'en 2005(3). En outre, la suppression des contingents ne signifie
pas libéralisation parfaite. Selon des calculs de la CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement), le
taux moyen de droits de douane sur les produits textile-habillement serait de 14,6 % aux États-Unis, de 9,1 % dans l'Union
européenne et de 7,6 % au Japon. Au sein de cette catégorie, certains produits sont nettement plus lourdement imposés. Aux États-
Unis, 52 % des importations de produits textiles sont taxées à des taux oscillant entre 15 et 35 % (Panagariya, 2000).

De la même manière, les obstacles aux importations de produits agricoles en provenance des PED demeurent élevés dans les pays
industrialisés et les distorsions des marchés sont loin d'avoir été toutes éliminées. Tout d'abord, la tarification(4) des contingents et
autres mesures non tarifaires dans le secteur de l'agriculture s'est traduite par la mise en place d'un certain nombre de droits élevés
(voir tableau 1). En 1997 les droits de douane de l'Union européenne étaient en moyenne de 15 % sur les importations de produits
agricoles non transformés, de 25 % pour les produits agricoles transformés alors qu'ils n'étaient que de 4 % en moyenne sur les autres
biens (hors textiles). Ces chiffres sous-estiment vraisemblablement le niveau réel de protection dans la mesure où les droits sont
souvent nuls ou très peu élevés sur les produits agricoles qui ne sont pas produits par les pays de l'UE comme le café ou le thé, et au
contraire plus élevés pour les produits entrant en concurrence avec les productions communautaires généralement à plus forte valeur
ajoutée. D'autre part même si le cycle de l'Uruguay a débouché sur des engagements de réduction des subventions aux exportations
agricoles de la part des pays industrialisés il n'en a pas interdit le principe. Les règles commerciales multilatérales concernant
l'agriculture continuent d'autoriser de larges transferts financiers en faveur des producteurs agricoles dans certains pays industrialisés.
Or ce soutien de la production et des exportations agricoles peuvent avoir des effets de distorsion importants, en particulier pour les
PED. Les raisons d'insatisfaction des PED sont d'autant plus importantes que les obligations qui leur sont imposées apparaissent plus
sévères puisque les subventions y sont interdites.

Une libéralisation incomplète, asymétrique et coûteuse


Les négociations du cycle de l'Uruguay ont privilégié la libéralisation tarifaire en laissant en place des crêtes tarifaires et une
progressivité des droits de douane qui s'appliquent à un nombre important de produits, dont des produits qui intéressent le commerce
d'exportation des PED outre le textile et l'agriculture. Au nombre de ceux-ci, les chaussures, les articles en plastique et en cuir, les
produits à base de poisson sont toujours assez lourdement taxés. Les taux moyens s'élèvent à 71 % aux États-Unis, 51 % dans l'Union
européenne et 83 % au Japon pour ce qui concerne les chaussures, les articles en plastique et en cuir (voir tableau 2). De manière
générale, les droits de douane imposés sur les exportations manufacturières des PED sont quatre fois supérieurs à ceux appliqués aux
exportations des pays industrialisés (Lukas 2000).
Parallèlement le recours aux barrières non tarifaires aux échanges (mesures anti-dumping en particulier(5), mais aussi mesures de
sauvegarde et droits compensateurs) continue de s'intensifier. Parmi les secteurs les plus touchés, figurent ceux des métaux des
matières plastiques des textiles et de l'habillement, de la chaussure et des chapeaux (CNUCED 2000).
Les lacunes et les retards accumulés dans la mise en oeuvre des engagements pris par les pays industrialisés dans le cadre du cycle de
l'Uruguay font apparaître les sacrifices consentis par les PED encore plus douloureux. Les PED n'avaient accepté qu'avec réticence les
accords sur les droits de propriété intellectuelle (TRIPS)(6), en échange de la promesse de démantèlement de l'AMF. Ces accords
limitent en effet l'accès des économies émergentes à certaines technologies. Dans l'arbitrage entre le souci de rendre l'innovation
disponible au plus grand nombre de pays et celui de protéger l'innovation de façon à l'encourager, les PED estiment que l'accord a
tendance à privilégier le deuxième objectif. Certes, l'acceptation de ces accords peut aussi leur faire espérer de parvenir à attirer des
IDE grâce à un environnement juridique sécurisé, mais rien n'est moins sûr (Jacquet et al, 1999)
L'accord sur la protection des droits de propriété intellectuelle présente en outre certains risques, c'est en effet le premier accord
conclu au sein de l'OMC qui statue sur des normes en matière de politique domestique et non sur la réduction de droits en faveur de la
libéralisation. C'est la raison pour laquelle les PED estiment qu'il constitue un précédent dangereux, en ouvrant la porte à des
ingérences toujours plus importantes dans la conduite de leurs affaires intérieures. D'autre part, en alignant les normes de protection
sur les normes les plus élevées, l'accord impose aux PED de faire l'essentiel des efforts d'ajustement.
Le dernier problème auquel se heurtent les PED tient à l'importance des coûts induits par la mise en conformité de leurs législations
avec les engagements contractés lors du cycle de l'Uruguay. Tout d'abord la plupart des PED se heurtent à des contraintes humaines,
institutionnelles et financières dans la mise en oeuvre des accords de l'OMC. Par ailleurs, l'application des obligations contractées
dans le cadre du cycle de l'Uruguay apparaît particulièrement coûteuse pour les PED, dans la mesure où elle entraîne des risques de
dislocation de certains secteurs mis sous pression concurrentielle. A cet égard, la brièveté des périodes de transition (cinq ans pour
appliquer les obligations des TRIPS par exemple) fait l'objet de nombreuses critiques.

Vous avez dit " services " ?


L'Accord général sur le commerce des services (AGCS) a pour objectif explicite de faciliter et d'accroître la participation des PED aux
échanges internationaux de services. Toutefois l'ampleur réelle des engagements en matière d'accès au marché du commerce des
services souscrits par les pays varie considérablement selon les secteurs et les modes de fourniture. En particulier les conditions
d'accès dans le cas de la présence commerciale ont été privilégiées plutôt que le mouvement des personnes physiques en tant que
fournisseurs de services (CNUCED 2000). Or c'est cette deuxième mesure qui aurait été la plus favorable aux PED. Ceux-ci possèdent
en effet un véritable avantage comparatif dans l'exportation de services ou de main-d'oeuvre qualifiée dans certains domaines de
services, comme la comptabilité, la production de logiciels ou encore dans le secteur de la construction. De telles demandes émanent
en particulier de pays comme l'Inde ou les Philippines. Pour les PED, c'est dans cette direction que les négociations devraient
aujourd'hui s'orienter, rien n'est moins sûr toutefois car les pays industrialisés sont particulièrement réticents et sensibles sur toutes les
questions touchant de près ou de loin l'immigration même temporaire de main-d'oeuvre. C'est ce qui explique l'asymétrie persistante
entre la libéralisation du commerce des biens et des services d'une part et celle des services à forte intensité de main-d'oeuvre d'autre
qui pénalise particulièrement les PED.
L'une des seules raisons de penser que les pays industrialisés feront droit à cette demande des PED est qu'elle pourrait faire l'objet
d'un marchandage. En échange de l'inclusion du mouvement des personnes physiques dans les futures négociations de l'OMC les PED
accepteraient peut-être d'engager les discussions sur un accord multilatéral sur l'investissement, à condition toutefois que celui-ci ne
concerne que les investissements directs étrangers et accorde la priorité à l'objectif du développement et non aux intérêts des
multinationales.

L'inégalité devant l'ORD et l'OMC


La création d'un Organe de règlement des différends (ORD) constitue l'une des principales innovations de l'Accord final de
Marrakech. Bien que ce mécanisme offre en principe aux membres de l'OMC quels qu'ils soient un moyen efficace de défendre leurs
droits en matière d'accès aux marchés, des inégalités demeurent quant à la capacité des pays membres de tirer pleinement profit de
cette opportunité. En particulier, les PED ont du mal à assumer le coût financier de la participation au mécanisme de règlement des
différends. L'ORD reste particulièrement difficile d'accès pour les PMA le manque d'expertise technique, le coût des consultations
juridiques ou économiques nécessaires sont un réel obstacle à l'utilisation intensive du mécanisme par les pays pauvres. Depuis l995
seuls vingt PED ont engagé une procédure auprès de l'ORD, et parmi ceux-ci aucun des PMA
La professionnalisation croissante de l'ORD constitue une deuxième source d'inquiétude pour les PED. Jusqu'à présent, l'ORD
fonctionne sur la base de " panels " de représentants auprès de l'OMC, choisis pour leur impartialité dans l'affaire traitée. Compte
tenu de la complexité croissante des questions abordées, ces représentants sont conduits à faire appel à des conseillers juridiques
appartenant au secrétariat de l'OMC. Or, comme ces derniers sont en général issus des pays industrialisés, on peut légitimement
craindre que les décisions des panels reflètent avant tout les intérêts des pays industrialisés. Tous les pays ne sont donc pas vraiment
égaux devant l'ORD et cette inégalité est d'autant plus inquiétante que le risque est grand de voir s'accroître l'importance d'une
législation par la jurisprudence en cas d'imprécision des règles.
Participer à la définition des règles du jeu apparaît donc particulièrement nécessaire aux PED pour deux raisons, d'une part pour que
leurs intérêts soient pris en compte et d'autre part pour prévenir le risque de législation par voie de jurisprudence. C'est ce qui
explique qu'ils aient été particulièrement actifs avant la conférence de Seattle et que bon nombre des propositions soumises à la
négociation aient été le fruit de leur initiative. Ils avaient même menacé de ne pas donner leur accord à des propositions auxquelles ils
n'auraient pas activement participé (Khor, 2000). Comme il n'y a finalement pas eu de décision, leur détermination n'a pas pu être
testée mais ils semblent prêts à participer de manière plus active à la détermination des ordres du jour et donc à tout mettre en oeuvre
pour ne plus être marginalisés.
En dépit de ces protestations, les PED demeurent de facto en retrait dans les négociations des règles du jeu. C'est ainsi qu'ils
continuent d'être tenus à l'écart des négociations des green rooms (non décidées par l'ensemble des membres). A Seattle par exemple
seuls quelque vingt-cinq des cent-trente-cinq pays membres de l'OMC étaient représentés dans ces négociations restreintes.

Nouvelles lignes de fracture Nord-Sud


Les PED s'opposent aussi aux pays industrialisés quant au tour à donner à un éventuel nouveau cycle de négociations commerciales
multilatérales. La ligne de fracture Nord-Sud persiste sur nombre de dossiers comme les secteurs textile et agricole ou encore les
TRIPS et les services mais aussi sur l'insertion de nouveaux domaines dans le champ de compétence de l'OMC. Les PED sont plutôt
favorables à s'en tenir à l'ordre du jour intégré tel qu'il a été défini dans l'Accord de Marrakech et non à étendre les négociations à
d'autres domaines en particulier les questions de développement non directement liées à la dimension commerciale devraient selon
eux rester hors du champ de l'OMC. Les préoccupations divergentes des deux parties débouchent sur des priorités radicalement
différentes.

Où l'on reparle de la clause sociale


L'inclusion d'une clause sociale dans les textes de l'OMC a été rejetée au cours du cycle de l'Uruguay à l'instigation des PED et l'idée a
simplement débouché sur la proposition faite à la conférence ministérielle de Singapour en décembre 1996 de collaborations plus
étroites entre l'Organisation internationale du travail (OIT) et l'OMC. La question n'est pas définitivement évacuée pour autant et de
nouvelles tentatives ont été faites en ce sens, en particulier par les États-Unis à la veille de la réunion de Seattle(7). Les PED sont
résolument hostiles à l'insertion d'une telle clause(8). Dans ce débat qui met essentiellement l'accent sur le travail des enfants, le lien
entre faiblesse des normes sociales et pauvreté (c'est parce que le pays est pauvre que les enfants sont obligés de travailler) tend à être
occulte par des considérations morales (il est inadmissible de faire travailler des enfants). Ce raisonnement s'appuie sur une
comparaison fausse celle qui oppose la situation actuelle à une situation idéale, or dans la réalité le choix est tout autre et il serait sans
doute pire que les enfants ne travaillent pas. Le remède préconisé n'est donc pas approprié, empêcher les enfants de travailler ne
résout pas le problème de la pauvreté, bien au contraire. Il semble en outre que l'on se trompe de cible selon l'OIT, en effet, l'essentiel
du travail des enfants dans les PED concerne le secteur agricole des biens non échangés. L'application de sanctions commerciales
pour éradiquer le travail des enfants ne serait donc pas efficace.
Par ailleurs la sélectivité de la clause sociale (elle ne porterait par exemple que sur le travail des enfants, mais pas sur les conditions
de travail des travailleurs émigrés par exemple) est suspecte et suggère que les motivations de ses partisans sont de nature
protectionniste. Les responsables des pays industrialisés craignent pour certains secteurs de leur économie, et pour certains groupes "
défavorisés ", et cherchent à les protéger. Le problème est extraordinairement complexe, étant donné qu'à vouloir défendre " leurs "
pauvres c'est-à-dire les ouvriers peu qualifiés en concurrence directe avec ceux des pays à bas salaires les pays industrialisés
sanctionnent finalement les pauvres du reste du monde et entravent même les chances de développement dans ces pays, en
restreignant l'accès de leurs produits aux marchés du monde développé. Un cercle vicieux s'installe alors par lequel la réussite
économique des PED avive les réactions protectionnistes dans les pays industrialisés, qui risquent de remettre en cause la dynamique
de croissance dans les PED (Deardorff, 2000).

La montée des préoccupations environnementales


Les PED sont également hostiles à l'inclusion de préoccupations environnementales dans les attributions de l'OMC. Les contraintes
imposées par des normes environnementales jugées trop élevées porteraient atteinte à la compétitivité de leurs entreprises. A l'inverse,
les pays industrialisés jugent indispensable la mise en place de normes internationales pour éviter un dumping environnemental et
prévoient de sanctionner ceux qui ne les respecteraient pas.
Les choses sont en la matière assez complexes. Il peut paraître a priori justifié de chercher à imposer des normes pour les exportations
de produits pouvant mettre en danger l'environnement ou la santé des consommateurs du pays importateur. Celte possibilité existe à
vrai dire déjà dans les dispositions de l'OMC, qui autorisent les gouvernements nationaux à restreindre les échanges dans de tels cas.
La véritable opposition porte sur le lien établi entre normes environnementales et sanctions commerciales
Les accusations de dumping portées par les pays industrialisés ne paraissent pourtant pas vraiment fondées, en particulier car il
n'existe pas de preuve que la faiblesse des réglementations environnementales dans les PED confère un quelconque avantage aux
producteurs de ces pays. Ce problème est là encore lié au niveau de développement et au manque de moyens dans ces économies. Il
s'agit donc plutôt d'un problème de développement que d'un problème commercial. Comme dans le cas de la clause sociale, les
intentions des pays industrialisés sont probablement de nature protectionniste sous couvert de préoccupations écologiques. Si
l'intention était vraiment le souci de la protection de l'environnement, alors l'instrument choisi n'est pas le bon, car ce n'est pas en
interdisant aux produits des PED l'accès aux marchés des pays industrialisés que l'on résout le problème de la dégradation de
l'environnement dans les pays d'origine, bien au contraire. En effet, dans la mesure où l'on observe une corrélation positive entre
croissance économique et amélioration de la qualité de l'environnement, tout au moins au delà d'un certain seuil de revenu par tête(9),
la meilleure des stratégies de sauvegarde de l'environnement consisterait à encourager la libéralisation des échanges qui est source de
croissance.
Les divergences d'opinions sur ces deux questions reflètent certes des divergences en matière de priorités et d'objectifs économiques
entre les deux parties, mais aussi de conception quant au rôle que l'OMC peut et doit jouer. Du côté des pays industrialisés, la
tentation est forte de chercher à utiliser le pouvoir de coercition de l'ORD pou faire respecter un code de bonne conduite même dans
des domaines non directement liés au commerce(10). La principale raison de soumettre de telles questions à cet organe tient au fait
qu'il est un lieu unique d'arbitrage des conflits entre États, et de production sous forme de jurisprudence d'un droit dérivé (Allard,
2000). Pour les raisons évoquées plus haut, les PED sont pour leur part logiquement hostiles à une évolution en ce sens, qui
déboucherait sur des décisions et des règles à la légitimité à leurs yeux, contestable.

Les nouvelles données du rapport de force

Déçus par les résultats du cycle de l'Uruguay, les PED apparaissent aujourd'hui désireux à la fois de participer de manière plus active
à la détermination de l'ordre du jour des futures négociations commerciales mais aussi de promouvoir la libéralisation commerciale. A
l'inverse, certaines tentations protectionnistes se font jour du côté des pays industrialisés que reflètent des incohérences de leur
discours.

Le traitement spécial et différencié : vers plus de flexibilité


En matière de traitement différencié, le cycle de l'Uruguay marque un tournant très net les PED acceptent désormais de se plier aux
disciplines multilatérales plutôt que d'y faire exception. Les PED sont devenus aujourd'hui les plus ardents défenseurs de la clause de
la nation la plus favorisée car ils ont compris que les gains qu'ils pouvaient retirer du traitement préférentiel qui leur était accordé
étaient insuffisants pour compenser les coûts engendrés par la discrimination dont leur commerce faisait par ailleurs l'objet. Le
mouvement actuel reflétant le désir de participer plus activement à la définition des règles du jeu est la suite logique de ce
changement d'approche. Le traitement différencié présente deux aspects : il autorise d'une part le maintien de la protection dans
certains domaines (en d'autres termes la non application de la discipline de l'OMC aux PED) et de l'autre il impose aux pays
industrialisés de traiter les PED de manière favorable (accès au marché facilité par exemple et donc non réciprocité). Le risque est
cependant grand qu'il contribue à pérenniser le situations de dépendance.
Les PED semblent être aujourd'hui conscients que la marginalisation qu'ils avaient acceptée, voire exigée, par le biais du traitement
spécial et différencié, s'est avérée plus coûteuse que bénéfique. Tout d'abord, en les empêchant de s'intégrer dans les circuits
d'échanges internationaux, cette politique a probablement contraint leur potentiel de croissance(11). Par ailleurs, même si l'effet
positif de l'ouverture commerciale sur la croissance demeure contesté, les PED ont probablement intérêt à renoncer au traitement
spécial et différencié tel qu'il a été pratiqué jusqu'à présent, car c'est le seul moyen pour eux de gagner en pouvoir de négociation.
La nature essentiellement discrétionnaire de l'application du traitement différencié pose en effet problème. Puisque les pays
industrialisés " choisissent " d'octroyer un accès préférentiel à certains produits en provenance des PED, ils ont toute liberté pour
exiger une contrepartie à cette concession. Si par le passé, certains domaines, pourtant d'une importance primordiale pour les PED,
ont été exclus du champ d'application du GATT (agriculture, textiles, etc.) afin de protéger les intérêts des pays industrialisés, et si
cette exclusion apparaissait en quelque sorte légitime, ou tout au moins acceptable, c'est parce qu'elle était accordée en échange
d'avantages consentis aux PED dans le cadre du traitement spécial et différencié(12). Les coûts d'un tel traitement sont donc
particulièrement élevés pour les PED en termes de perte de pouvoir de négociation(13). Les pays industrialisés se donnent bonne
conscience en accordant une faveur aux PED, même si les mesures ont peu de chances de contribuer à l'accélération du
développement et à l'éradication de la pauvreté dans les pays concernés. En revanche, ils disposent d'une bonne excuse pour s'octroyer
certaines mesures de faveur dans des domaines qui les intéressent. En acceptant de se plier à la discipline imposée par l'OMC, les
PED devraient plus aisément pouvoir traiter d'égal à égal avec leurs partenaires industrialisés.
Cela ne signifie pas que la spécificité de la situation des PED, en particulier des pays les moins avancés (PMA) ne doive pas être prise
en compte, mais la logique qui prédomine aujourd'hui est celle de la flexibilité et non de l'absence de réciprocité. C'est ainsi qu'il est
prévu de ménager des périodes de transition pour l'application de certaines obligations. Une telle pratique permet en particulier
d'éviter certains effets négatifs de l'ouverture à la mondialisation - fragmentation sociale, coûts d'ajustement élevés... - (Krueger,
1999). Les clauses de sauvegarde sont précisément destinées à faciliter les ajustements induits par l'ouverture du secteur des services à
la concurrence étrangère en particulier.
Les ambiguïtés du discours des pays industrialisés

A l'inverse, la position des pays industrialisés reflète la persistance de tentations protectionnistes et un certain
désintérêt.
Tout d'abord, leur discours est empreint d'une certaine hypocrisie, puisqu'il prône les vertus du libre-échange et encourage l'ouverture
des marchés des PED, tout en pratiquant parallèlement une ouverture sélective de leurs propres marchés. Cette incohérence ne fait
qu'aggraver les ressentiments. Les pays industrialisés ont pourtant intérêt à la poursuite de la libéralisation des échanges au niveau
mondial, qui seule permettra, non seulement de leur ouvrir les marchés des PED, mais aussi, et surtout, d'accroître la prospérité
globale. Dans le discours, ces deux objectifs apparaissent mêlés mais en général c'est le premier qui est privilégié par rapport au
second.
Par ailleurs, la montée en puissance de certains groupes de pression défendant les intérêts de groupes défavorisés, qui apparaissent
victimes de la mondialisation, place les responsables des pays industrialisés en position délicate pour répondre favorablement aux
demandes des PED.
Enfin, l'intérêt des pays industrialisés, et en particulier des États-Unis, pour de nouvelles négociations commerciales multilatérales
semble être en net recul, ce qui contraste avec l'intérêt manifesté en direction de certaines régions (notamment la Chine) ou de
certains secteurs d'activités jugés prioritaires (Mattoo et al., 2000). Une explication possible à cet apparent désintérêt, et à
l'affaiblissement de l'engagement des pays industrialisés en faveur de la libéralisation par le biais de négociations multilatérales, tient
au fait que la dynamique de libéralisation unilatérale de la part des PED est entretenue par d'autres biais, et en particulier sous l'effet
des programmes du FMI et de la Banque mondiale par exemple, ou encore dans le cadre d'accords régionaux impliquant des pays
industrialisés et des PED.
Les défis d'un " cycle du développement "
Le leitmotiv, du côté des PED, est de faire du prochain cycle de négociations commerciales multilatérales un véritable cycle du
développement, qui tiendrait mieux compte des intérêts spécifiques des PED et mettrait le développement au centre des
préoccupations de l'OMC. Au delà de la rhétorique, largement acceptée par les pays industrialisés, le défi consiste à prendre des
mesures concrètes pour que la participation des PED au commerce international contribue à résoudre leurs problèmes de
développement, or ce ne sera pas chose aisée car la poursuite de cet objectif peut se heurter, aux intérêts de certains groupes,
particulièrement vulnérables, au sein des pays industrialisés.
Le marchandage est délicat, avec d'un côté les pays industrialisés, pour lesquels l'objectif de libéralisation n'est apparemment plus
vraiment prioritaire, et de l'autre les PED qui réclament la libéralisation dans des secteurs jugés sensibles par leurs partenaires
industrialisés. Seule une approche globale devrait permettre de résoudre ce problème, c'est pourquoi la voie des négociations
multilatérales est sans conteste préférable à des solutions bilatérales.
Source :Les cahiers français, n° 299 Françoise Nicolas (maître de recherche à l'IFRI et maître de conférences associé, Université de
Marne-la-Vallée) .

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