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Tout citoyen doit savoir surmonter les obstacles qui l’empêchent d’aller voir de l’autre
côté du miroir pour sortir de l’ignorance dans laquelle les pouvoirs étatiques et
médiatiques cherchent à l’enfermer. Rechercher la vérité avec honnêteté, avec
courage, et qu’elles qu’en soient les conséquences pour soi-même, est le devoir de
tout être humain et, particulièrement, de tout journaliste. 0ffrir une information
indépendante et honnête, mettre à nu les diverses formes d’oppression contre des
peuples laissés sans défense, peut contribuer à sauver des vies, à alléger des
souffrances, à promouvoir la paix. Il faut savoir aller vers ces peuples humiliés, que
des gouvernements brutaux martyrisent, alors qu’ils aspirent à être reconnus en leur
simple humanité et leur besoin de liberté. Car c’est de ce côté-là, que la vérité nous
attend.
Chacun de nous réalise tôt ou tard qu’il y a deux mondes qui regardent la même
chose mais ne la voient pas avec les mêmes yeux. Il y a, d’un côté, des gens
humbles, ouverts, sensibles à la souffrance et qui, voyant des armées aller
bombarder des peuples entiers se sentent profondément bouleversés et indignés.
Il est impératif que les journalistes révèlent publiquement les mensonges et les
visées criminelles que des politiciens particulièrement effrontés aidés par des agents
de propagande, s’emploient à camoufler.
Il est vrai que cela n’est pas sans risque. Des professeurs, des journalistes, des gens
tout à fait honorables, ont été insultés, traînés dans la boue, accusés abusivement
d’« antisémitisme », de "conspirationnisme" ou de « négationnisme », licenciés. Rien
de plus facile pour ceux qui veulent discréditer des gens tout à fait honorables, dont
les vérités dérangent, que de les associer à une période terrifiante de l’histoire, le
nazisme ; induisant ainsi en erreur l’opinion publique.
Rien ne doit nous retenir de continuer de nous battre pour dénoncer les crimes
commis en notre nom. De plus en plus de gens comprennent aujourd’hui que ceux
qui se servent de l’anathème de l’antisémitisme pour intimider et faire taire, ont un
objectif peu louable : empêcher l’opinion publique de comprendre que les nouvelles
victimes d’exclusion et de persécution.
Conscient que le Maroc ne pouvait échapper aux évolutions qui traversaient la société
marocaine, Hassan II a en réalité parié sur une ouverture contrôlée. Pour autant, un vent de
libertés souffle sur le Maroc. Youssoufi a permis à la presse de s’exprimer, même si celle-ci
s’abstient de porter un jugement sur la personne du roi et permis une émergence d’une société
civile avec l’explosion d’une multitude d’associations. Les droits de l’homme sont plus
respectés que par le passé même s’il reste beaucoup à faire dans ce domaine… De fait, dans le
Maroc d’aujourd’hui, deux conceptions sont en train de s’affronter : celle d’une monarchie
rénovée par l’État de droit qu’avance prudemment Youssoufi et celle reposant sur le
Makhzen, ce pouvoir fondé sur les féodalités locales et les clientélismes. Alors question,
Mohammed VI qui, dit-on, déteste cordialement Driss Basri va-t-il se séparer de cet
encombrant ministre de l’intérieur ? Et ce faisant va-t-il reconduire Youssoufi dans ses
fonctions en lui accordant une plus grande autonomie d’action afin que le Maroc engage des
réformes politiques dont il a un besoin urgent ? " Mohammed VI et Youssoufi forment un
couple idéal. Ils se respectent mutuellement ", note un diplomate occidental. Ce couple aura-t-
il raison des résistances qu’oppose la force du Makhzen ?
Contrairement à une idée reçue, l’islamisme n’a cessé de progresser au Maroc, notamment à
l’Université où il contrôle le principal syndicat étudiant, l’UNEM (Union nationale des
étudiants marocains) qui fut depuis sa création sous le contrôle de l’USFP et à un degré
moindre des communistes et autres courants marxistes.
À l’Université, les intégristes marocains font régner une réelle terreur. Ils interdisent toute
manifestation culturelle ou politique en contradiction avec leurs objectifs, souvent en usant de
moyens violents. Al Adl oua el Ishasane (justice et bienfaisance) de Cheikh Yassine,
actuellement en résidence surveillée à Salé (Rabat), est la principale organisation intégriste.
Yassine ne reconnaît aucune légitimité à la monarchie marocaine et conteste le titre de "
commandeur des croyants " au roi Hassan II, au motif que ce dernier refuse une réislamisation
totale de la société marocaine. Sa fille Nadia Yassine a qualifié la mort de Hassan II de " non
événement politique ". En revanche, Abdellah Benkirane, figure de proue de l’islamisme
légal, a préféré jouer le jeu de la légalité. Son parti le MPDC (Mouvement populaire
démocratique et constitutionnel) dispose de dix députés au Parlement. Benkirane joue la carte
de l’islamisation en douceur de la société marocaine. Troisième force islamiste du Maroc, le
PJD (Parti de la justice et de la démocratie) d’Abdelkrim Khatib, qui recherche l’alliance avec
les partis conservateurs marocains, prône également une islamisation en douceur et une
arabisation de la société marocaine. Le PJD tout comme le MPDC s’opposent au Parlement
aux réformes de modernisation de la société notamment en ce qui concerne le droit des
femmes, que veut initier le gouvernement Youssoufi.
Si jusqu’à présent le roi Hassan II, fort de son titre de " commandeur des croyants " et de
descendant du prophète Mohammed, a su habilement exploiter la religiosité des Marocains et
préserver le Maroc du danger islamiste, rien ne permet d’affirmer que son fils et successeur
ait les capacités de son père pour contrer cet intégrisme rampant qui se nourrit sur le terreau
de la misère sociale et de la corruption qui rongent le royaume.
Avec une population de 29 millions d’habitants dont 36 % ont moins de quinze ans, un revenu
par habitant de 1 260 dollars, le plus bas du Maghreb, Mohammed VI a du pain sur la
planche. Le chômage touche officiellement 21 % de la population (2 millions de personnes).
Mais ce taux, du fait d’un appareil statistique peu performant, est loin de refléter la réalité
autrement plus dramatique que ne le laissent supposer ces chiffres.
S’ajoutent à ce tableau les inégalités sociales qui font que moins de 10 % de la population
disposent de plus de 80 % des richesses du pays. Le roi Hassan II, lui-même, est à la tête
d’une des plus grosses fortunes de la planète (lire l’article sur Hassan II). Un Marocain sur dix
vit dans une extrême misère. La dette extérieure du Maroc, 22 milliards de dollars,
compromet toute possibilité de relance sur le court terme. Le service de la dette (loyer de
l’argent) absorbe 30 % des recettes d’exportations d’un montant de 7 milliards de dollars.
Pour relancer l’économie, le gouvernement Youssoufi, suivant les recommandations du FMI
et de la Banque mondiale, a opté pour une économie de rigueur et une modernisation
administrative du pays (une suppression de lois datant des années vingt, un système fiscal
efficace, un mode de passation des marchés transparent…). " Nous ne sommes pas au pouvoir
pour jouer les Père Noël ", a déclaré Youssoufi pour justifier sa politique. Aussi son
gouvernement s’est-il fixé en 1999 pour objectifs de ramener le déficit budgétaire à moins de
3 %, et l’inflation à 2,5 %. Une politique qui passe par une réduction drastique du budget de
fonctionnement consacré essentiellement au paiement des salaires d’une fonction publique
pléthorique (700 000 salariés) afin de dégager les ressources nécessaires aux investissements
qui, pour l’heure, représentent à peine 20 % du budget de l’État. D’autant que, pour 1999, la
croissance du PIB sera presque nulle (0,2 %) contre 6,2 % en 1998 et qu’une croissance du
chômage est attendue dans les grandes villes : un peu plus de 100 000 personnes.
Cette politique d’inspiration libérale se heurte à l’impatience d’une population qui attendait
beaucoup de ce gouvernement. Impatience notamment de la part des diplômés en chômage -
ils sont plusieurs dizaines de milliers - que n’ont pas manqué de courtiser les islamistes, qui
profitant du vent de libertés qui souffle sur le Maroc, ont vite encadré les mouvements
protestataires. Or, pour Youssoufi, le besoin de mener ses réformes institutionnelles à terme
est également dicté par le fait qu’en 2010, les droits de douanes auront totalement disparu
entre le Maroc et l’Union européenne. C’est à cette date qu’entrera en application l’accord
d’association de libre-échange prévu par le traité de Barcelone (l’espace euro méditerranéen)
en 1995. Et qui plus est, du fait d’une dette extérieure pesante, tous les économistes
s’accordent pour dire que sans une aide financière extérieure, il sera difficile à Youssoufi de
mener à terme sa politique de relance et de modernisation. Mohammed VI, dont on dit qu’il
est plus sensible aux questions sociales que ne l’était son défunt père, apportera-t-il son appui
aux réformes qu’envisage le gouvernement socialiste ?
Avec la disparition du roi Hassan II et l’avènement sur le trône de son fils Mohammed VI, ce
n’est pas seulement une page de l’histoire de la monarchie chérifienne qui se tourne, mais une
page de l’histoire du Maroc lui-même. Elle ne pourra plus être comme avant. Et quoi qu’il
advienne désormais, le chapitre de l’avenir ne reproduira pas les chapitres du passé. Qui ne
s’est pas efforcé hier d’en deviner les lignes en scrutant, avec espoir ou angoisse, la foule
fervente aux cent mille visages qui accompagnait la dépouille du chef de l’État dans les rues
de Rabat ? Un mot en effet la disait toute : la jeunesse. Et on peut imaginer que la pléiade des
chefs d’État et de gouvernement qui suivaient le cortège rendait non seulement hommage au
disparu, mais se penchait déjà sur les lendemains de la nation marocaine, et par-delà sur le
destin du Maghreb, du Proche-Orient et de tout un monde marqué au fer rouge de la pauvreté.
Et si ce paysage-là était en plein bouleversement ?
Il n’est pas une voix au Maroc pour poser la question du principe monarchique. Mais toute la
société marocaine - ou presque - assiège les bastilles du féodalisme : sa pratique a été érigée
en système depuis des décennies, sous la magistrature de Hassan II. Déjà, il y a longtemps,
Jacques Berque, le grand connaisseur affectueux de l’islam en général et du Maroc en
particulier notait, après l’indépendance : " une classe dirigeante trop ancienne, trop pareille à
elle-même, a récupéré les privilèges de la colonisation ". Le prix en a été lourd pour les
Marocains.
On n’en finirait pas d’égrener le martyrologe, depuis trente ans, des victimes de l’oppression
politique, livrés à des bourreaux féroces, condamnés à la mort lente dans les caves
d’immondes bagnes, traqués, soumis ou chassés. Et reste toujours le mystère de ce mort sans
sépulture, Mehdi Ben Barka le révolutionnaire : faut-il donc que ce pauvre cadavre fasse
encore trembler, trente-quatre ans après ? On n’en finirait pas non plus de dresser le catalogue
des principes les plus élémentaires de la vie publique foulés au pied sans vergogne. On n’en
finirait pas de rédiger l’acte d’accusation de l’affairisme triomphant, inspiré et pratiqué par les
plus hauts personnages. Certes, la Bourse de Casablanca brille de quelques feux pour
quelques-uns, mais l’on meurt de faim, et l’on meurt tout court, sans ressources, sans soins,
sans mots, dans les bidonvilles des grandes cités et dans les villages proches de l’âge de
pierre. Le produit national brut par habitant est d’environ 7 500 francs par an : en Algérie, il
est supérieur, c’est dire… Quant au processus d’alphabétisation, il en est resté à un état
dramatiquement déplorable.
Un Marocain sur trois a moins de quinze ans. Cette immense jeunesse, dont on a aperçu hier
les visages exaltés à la télévision, tient en partie dans ses mains le destin du Maroc. Déjà,
depuis des mois, le pays avait bougé, l’étau se desserrait, les prisons se vidaient de leurs
innocents, la démocratie installait quelques arpents, la condition de la femme évoluait, une
nouvelle génération apparaissait sur le devant de la scène, un nouveau chef de gouvernement
prenait un meilleur élan… C’était de bon augure, mais le chantier est si vaste.
Tazmamart, Kenitra, Dar el Mokri, Moulay Cherif… Ces noms résonnent comme des lieux
d’enfer d’un régime qui a été responsable de la mort et de la torture de milliers de Marocains
démocrates ou ayant tout simplement osé mettre en cause le monarque de droit divin.
Le silence international officiel a été de règle sur les exactions et la terreur durant des dizaines
d’années et seuls des défenseurs des droits de l’homme évoquaient, sans être entendus, les
crimes commis par Hassan II et ses sbires. De la révolte du Rif aux émeutes de Fès, en
décembre 1990, en passant par l’état d’exception de 1965 à 1970, le règne de Hassan II aura
été largement marqué par l’omniprésence d’un appareil répressif impitoyable. L’enlèvement à
Paris de Mehdi Ben Barka - le dirigeant de l’Union nationale des forces populaires et leader
tiers-mondiste mondialement reconnu - puis son assassinat en octobre 1965 avec la complicité
de barbouzes français, révéla à l’opinion publique l’ampleur des réseaux de tueurs du roi, au
point de provoquer une brouille, temporaire, avec les autorités françaises.
Les centres de torture de Dar el Mokri à Rabat puis de Moulay Cherif à Casablanca étaient
des lieux où l’on faisait mourir à petit feu des opposants, étudiants, syndicalistes ou encore
opposants politiques comme Abraham Serfati. On ne compte pas les simulacres de procès où
les avocats étaient interdits de paroles et où les prévenus comparaissaient marqués par la
torture.
Ce n’est qu’au début des années 1980 que fut révélée l’existence d’un bagne sans nom, à
Tazmamart dans le sud marocain. Des dizaines d’hommes - ceux qui avaient " disparu " après
la répression du coup d’État manqué de Skhirat, mais aussi des opposants politiques - y
étaient enterrés dans un oubli total, mourant de misère physique et morale sous les coups des
geôliers. C’est en avril 1987, que retentit le terrible appel au secours des enfants d’Oufkir,
échappés des oubliettes au bout de dix-sept ans et qui durent attendre encore deux ans leur
liberté.
La pire des répressions de masse, celle de la révolte de la faim des bidonvilles - ce mot est né
au Maroc - de Casablanca en juin 1981 qui coûta la vie à des centaines de personnes, des
enfants souvent, reste gravée dans la mémoire. Marrakech, janvier 1984 : une autre révolte de
la misère écrasée par les chars. Dans les banlieues de ces villes, des fosses communes
attendent encore et en vain la visite d’improbables enquêteurs internationaux sur des crimes
contre l’humanité.
Hassan II et les années de plomb
Vendredi 29 octobre 1965, à 12 h 15, Mehdi Ben Barka est interpellé devant la brasserie Lipp,
boulevard Saint-Germain à Paris, par deux policiers français de la brigade mondaine, Louis
Souchon et Roger Voitot. Exhibant leur carte de police, ils invitent Ben Barka à monter à bord
d'une voiture où se trouve également Antoine Lopez, un agent du SDECE (les services du
contre-espionnage français de l'époque).
Il est conduit à Fontenay-le-Vicomte dans la villa d'un truand, Georges Boucheseiche. Dès
lors, on perd sa trace. Son corps ne sera jamais retrouvé et l'affaire Ben Barka n'est toujours
pas véritablement élucidée, malgré plusieurs instructions judiciaires en France et au Maroc.
HASSAN II :
Hassan II a su séduire les grandes puissances par son jeu diplomatique. L’" ami " des grands
de ce monde régnait par la terreur sur son peuple. Il s’est constitué l’une des plus grandes
fortunes du monde.
On raconte que lors de la répression du soulèvement de la population de Casablanca contre
l’ordre colonial français, début décembre 1952, le prince Moulay Hassan, alors âgé de vingt-
trois ans, traversa la ville mise à feu et à sang par les policiers et les colons français, avec une
bande de fêtards à bord de voitures de luxe où l’on sablait le champagne. Son père, le sultan
Mohammed ben Youssef, pendant ce temps, refusait d’abandonner ses dernières prérogatives
au proconsul français, le résident général Guillaume. Officiellement, le Maroc n’était pas une
colonie, mais un protectorat français.
Après une adolescence passée à Rabat puis à Bordeaux (France), où il obtint en 1951 un
diplôme d’études supérieures en droit public (de complaisance, dit-on), il suit son père -
déposé par les autorités coloniales - en exil forcé en Corse puis à Madagascar. Cet
éloignement, qui durera près de trois ans, fit de la future famille royale marocaine un symbole
quasi-divin de la résistance et, dans le même temps, de la sacralité retrouvée de la dynastie
alaouite descendante en ligne directe, selon la tradition, de la fille du prophète Mahomet et du
khalife Ali.
Le 15 août 1957, Mohammed ben Youssef devient roi du Maroc indépendant depuis quelques
mois, sous le nom de Mohammed V. Alors que le mouvement nationaliste, dont l’Istiqlal,
rêvait d’une monarchie constitutionnelle, Mohammed V, nimbé de l’auréole populaire, refuse
toute concession de pouvoir et s’installe comme monarque absolu. Le prince héritier Moulay
Hassan, est nommé à la tête des Forces armées royales (FAR).
C’est à l’école de son père que le futur Hassan II se forma à la pratique du pouvoir.
Mohammed V, craignant la trop grande puissance de l’Istiqlal - parti urbain - encourage la
création du Mouvement populaire dirigé par Mahjoubi Aherdane. En octobre 1958,
l’assassinat par des miliciens de l’Istiqlal d’un ancien résistant très populaire, provoque le
soulèvement paysan du Rif, avec à sa tête Aherdane. Le piège se referme : un gouvernement
istiqlal désigné par le roi est chargé d’assumer la répression du mouvement lancé par
Aherdane. Celle-ci sera sanglante, dirigée par Moulay Hassan et par le commandant Oufkir
son " ami ". Les deux hommes, raconte Gilles Perrault, dans Notre ami le roi (1), ont " en
commun le courage " et " posent sur la vie le regard froid du vrai cynique. Ils aiment l’alcool
et les filles, dont ils font grande consommation. ". Oufkir, l’aîné de onze ans, a derrière lui
une déjà longue histoire. À la tête des " Maures ", il avait aidé Franco à conquérir le pouvoir.
Enrôlé quelques années plus tard dans les Forces françaises libres, il participa en 1944 à la
bataille de Cassino en Italie et s’illustra par la suite en Indochine où il faisait partie du corps
expéditionnaire français.
Devenu à son tour roi le 3 mars 1961 à la mort de son père, Hassan II fit d’Oufkir son homme
lige, son tortionnaire en chef dont la cruauté présida à la mort de milliers de victimes. Pour
conserver l’absolu pouvoir, le roi utilisa systématiquement la technique des faux complots, de
la terreur suivie d’une apparente mansuétude, n’acceptant que la soumission du plus faible.
Une méthode qui le conduisit parfois au bord de la catastrophe mais qui lui réussit. Ainsi
Oufkir se retourna contre lui au lendemain de la tentative de coup d’État, organisé par le chef
des cadets de l’armée, qui s’était soldé par un bain de sang au palais royal de Skhirat le 10
juillet 1971. Le général en chef, rêvant sans doute de devenir le dictateur militaire à la place
du roi, avait fomenté un complot contre Hassan II. Le 16 août 1972, ce dernier échappa à la
mort dans son avion attaqué par cinq F-5 de l’armée de l’air. Oufkir sera assassiné le
lendemain dans le palais royal avec l’aide de son adjoint, Dlimi. Sa femme et ses enfants
furent jetés dans des oubliettes du sud-marocain d’où les enfants seuls s’évaderont seize ans
plus tard.
Craignant une armée a priori dangereuse, Hassan a une idée de génie. Le 6 novembre 1975, il
lance la " Marche verte ". Plus de 350 000 Marocains avec pour seules armes le Coran et le
portrait du roi, pénètre au Sahara occidental, l’ancienne colonie espagnole où le front
Polisario revendique l’indépendance. L’aviation et les chars suivirent discrètement pour
chasser les quelque cent mille Sahraouis qui se réfugièrent en Algérie après une effroyable
marche dans le désert qui coûta la vie à des milliers de personnes. Là encore se révèle le génie
politique du despote : faisant d’une pierre deux coups, il enterre l’armée marocaine au Sahara
et enferme l’opposition dans l’union sacrée de la reconquête du Sahara occidental.
Hassan II a su gérer, rendre son régime acceptable aux puissants. Jouant à fond la carte de la
position stratégique de son pays " le battant sud de la porte de la Méditerranée ", comme il
disait, le roi a bénéficié d’une indulgence que nombre de dictateurs lui ont enviée. Coupable
de nombreux crimes contre l’humanité, il sut ainsi rester l’ami des plus forts. Il fut ainsi un
intermédiaire précieux dans le conflit du Proche-Orient. En septembre 1982, lors du sommet
de Fès, il obtient l’unanimité des chefs d’État arabes pour l’adoption d’un plan de paix
reconnaissant implicitement l’existence de l’État d’Israël et affirmant le droit du peuple
palestinien à l’autodétermination. En juillet 1986, il rencontre à Ifrane le premier ministre
israélien Shimon Peres, afin de relancer le processus de paix au Proche-Orient.
Hassan II considérait le Maroc et ses " sujets " comme sa propriété. Les fastes du régime, ses
frasques et ses orgies sont célèbres. Une vingtaine de palais au Maroc comme à l’étranger
sont le patrimoine de l’un des hommes les plus riches de la terre. La famille royale a des
dizaines de comptes en banque, et est l’un des grands propriétaires immobiliers de New York.
Le palais royal possède les terres le plus riches du pays, récupérées des anciens colons.
Hassan II a aussi organisé un véritable racket de la population en organisant une "
contribution volontaire " pour la construction de la " plus grande mosquée du monde " à
Casablanca. Si au cours des dernières années, Hassan II fit preuve de " libéralisation " en
fermant les bagnes et en appelant un dirigeant respecté de l’Union socialiste des forces
populaires, Abderrahmane Youssoufi, au poste du premier ministre, le pouvoir réel demeure
entre les mains dociles du ministre de l’Intérieur successeur de Dlimi, Driss Basri.
Opinions
JACQUES CHIRAC : Dès l’annonce du décès du souverain, le chef de l’État a exprimé son "
immense peine. Je voudrais dire aux Français qu’ils ont perdu ce soir un homme qui aimait
notre pays et qui les aimait. Il nous reste maintenant à assumer son départ et à respecter la
nouvelle vision du Maroc de demain incarnée par sa majesté Mohammed VI ".
LIONEL JOSPIN : Pour le premier ministre, " sa vie a été à certains égards tumultueuse dans
la mesure où sortir de la colonisation, affronter le monde moderne, être confronté à des enjeux
de pouvoir a été un parcours difficile. Le roi Hassan a fait le choix avec sagacité de la
démocratie et de l’alternance. Une transition sereine s’amorce. Je pense naturellement à la
peine des Marocains, et à celle de ceux qui vivent dans notre pays et qui sont nombreux ".
ROBERT HUE : " C’est une des figures du monde contemporain les plus fortes mais aussi les
plus contestées qui disparaît ", a déclaré le secrétaire national du Parti communiste. " Les
communistes français mesurent le chemin parcouru par le Maroc ces dernières années. Nous
avons été aux côtés des démocrates marocains victimes de l’autoritarisme, de l’arbitraire et de
violations graves des droits de la personne. Il faut souhaiter que les attentes de changement
exprimées par le peuple marocain puissent se concrétiser vraiment dans tous les domaines. "
EHUD BARAK : Le premier ministre israélien a salué samedi un " grand dirigeant pour son
peuple. C’était un homme qui voyait loin, un ami des gouvernements d’Israël dans leur
voyage vers la paix avec le peuple arabe ".
YASSER ARAFAT : Le président palestinien a estimé " qu’il avait perdu un véritable ami, un
homme courageux, qui a travaillé depuis le début pour la paix entre les Arabes et Israël ".
ABDELAZIZ BOUTEFLIKA : Le président algérien a souligné son affliction. " Le roi
Hassan, mon frère d’armes et mon ami d’honneur, était et restera dans mon cour et dans le
cour de tous les Algériens ".
BILL CLINTON : " Il a offert ses conseils avisés à tous les présidents américains depuis John
F. Kennedy ", a tenu à rappeler le président des États-Unis. " Il a ouvré à la suppression des
barrières entre les peuples du Proche-Orient, ouvrant courageusement le dialogue avec Israël,
aidant à organiser le voyage historique du président égyptien Sadate à Jérusalem, recherchant
une plus grande tolérance et une plus grande stabilité dans la région. "
Jean-Paul II :
"Les personnes âgées rappellent à tous et particulièrement aux jeunes, que la vie sur terre est
une parabole avec un début et une fin", a-t-il déclaré en dénonçant leur "marginalisation" du
fait qu’elles sont considérées comme "non productives" : "D’un côté elles sont de moins en
moins intégrées dans le tissu social et de l’autre, leur rôle est toujours plus important, surtout
pour l’aide et l’éducation de leurs petits-enfants."
La corruption au Maroc
Le Maroc a subi un revers dans sa lutte contre la corruption, selon les chiffres récemment
publiés par Transparency International. L'Indice de Perception de la Corruption classe en effet
que le Maroc 80ème sur 180 pays étudiés, soit une chute de huit places par rapport à 2007. Ce
score provient de six enquêtes menées sur le terrain, conduites par des agences internationales
indépendantes.
Rachid Filali Meknassi, le secrétaire général de Transparency Maroc, a déclaré lors d'un point
de presse mardi 23 septembre que la corruption était devenue systémique. "La chute qu’a
enregistrée le Maroc est due à la non application effective des réformes annoncées par le
gouvernement pour lutter contre ce phénomène", a-t-il déclaré.
La justice et l’administration figurent parmi les secteurs les plus touchés. L'association
appelle les pouvoirs publics à fournir "plus d'efforts pour combattre la corruption dans le
pays".
Transparency estime que parmi les mesures qui doivent être prises pour lutter contre la
corruption doit se trouver une composante juridique. Il faut prévoir d’incorporer dans le
système juridique des mesures appropriées pour assurer la protection contre tout traitement
injustifié des personnes qui signalent aux autorités compétentes, de bonne foi et sur la base de
soupçons raisonnables, tout fait concernant une infraction, selon les termes de la convention
des Nations Unies contre la corruption.
Selon le gouvernement marocain, ce classement ne se fonde pas sur une analyse objective de
la corruption, mais sur une simple étude de perceptions de celle-ci. Le gouvernement souhaite
ardemment éradiquer ce phénomène, citant la création d'une instance centrale de lutte contre
la corruption, ainsi que les mesures légales déjà en place, telles que l'adoption de lois relatives
au blanchiment d'argent, la gestion déléguée ou la déclaration du patrimoine.
Néanmoins, il faudra des résultats concrets pour pouvoir atteindre les objectifs escomptés. Un
plan d’action gouvernementale est en discussion depuis 2006, censé améliorer le classement
du Maroc à l’indice de perception. Il s’assigne pour objectif de simplifier les procédures
administratives, d’enraciner les valeurs et les normes d’éthique et de moralisation, de
renforcer la transparence dans la gestion des marchés publics, d'améliorer le système de suivi,
de contrôle et d’audit, d'éduquer, de sensibiliser et de communiquer.
Une autre affaire rappelle curieusement l'histoire de "Madame Claude", célèbre maquerelle
qui fournissait de très jolies filles aux personnalités du monde politique et des affaires pour
satisfaire leurs fantasmes sexuels dans la plus grande discrétion. Le nom de "Madame
Claude", qui a fait l'objet de films et de romans infinis, est resté lié à l'univers glauque du
proxénétisme, du trafic de drogue, des passe-droits et des liaisons douteuses avec de hauts
responsables. cette grosse affaire de drogue et de proxénétisme a éclaté ces derniers jours à
Rabat. Un scandale qui commence à faire tomber de hauts cadres de la DGSN.
On se retrouve avec le même schéma ou presque dans l'affaire qui secoue Rabat depuis
quelques jours. Au centre de cette affaire, une dame qui n'est autre que la fille d'un ancien
ministre. Elle est accusée d’être à la tête du réseau démantelé. Maria de son nom, s'est déjà
illustrée en 2003 par un forfait qui a failli coûter la vie à un agent de la circulation. En effet,
cet agent, une femme policier, voulait l'arrêter pour avoir commis une contravention mais a
failli passer sous la roue de la "dame de fer" qui, comme si cela n'avait pas suffi, était
descendue de sa voiture pour infliger à l'agent une véritable "correction" (une gifle !). Quatre
ans plus tard, le nom de cette même dame est cité dans une affaire qui commence à faire
tomber de hauts responsables de la police à Rabat.
Soupçonnée de diriger un réseau de "prostitution qualifiée" dans la capitale, d'écouler de la
cocaïne au profit de ses "clients", marocains et non marocains, dont de grandes personnalités
de la politique et du milieu des affaires, Maria Benjelloun aurait bénéficié de la "protection"
de hauts gradés des services de la sécurité, dont notamment le préfet de police de Rabat,
Mustapha Moufid, et du directeur des ressources humaines Abdelaziz Samel. Des accusations
qui font l’objet d’une enquête judiciaire. Une enquête qui a pour but de déterminer la nature
des relations que des cadres de la police entretenaient avec la principale accusée. C’est ce qui
a poussé la DGSN à prendre la décision de suspendre le préfet de la capitale de ses fonctions
jusqu’à la fin de l’enquête judiciaire. Une mesure normale dans ce genre d’affaires.
Des instructions ont été données par le directeur général de la Sûreté nationale de la DGSN,
Charki Draïss, pour procéder à une enquête administrative interne afin de recenser tous les cas
des éléments de la police nationale que la "dame de fer" aurait fait transférer pour pouvoir se
livrer à ses présumées activités délictuelles en toute liberté et impunité. Une bonne quantité de
cocaïne aurait d'ailleurs été saisie au domicile de celle qui a été à l’origine de l’éclatement du
scandale, une certaine Loubna « Chinouiya ».
Maria Benjelloun, qui se trouve actuellement à la prison civile de Salé, a été arrêtée au
lendemain de "révélations" faites aux services de sécurité par « Chinouiya » qui est accusée
d’être la gérante de tout le circuit de proxénétisme à Rabat.
Elle aurait eu la charge d'amener les "clients" étrangers dans une villa située dans le quartier
"Ryad" à Rabat, dont de grandes personnalités des affaires en provenance des pays du Golfe.
Elle aurait également été derrière un réseau de prostitution qui opérait aux Emirats arabes
unis. À ce propos, une enquête serait en cours pour faire la lumière sur la dimension
internationale du réseau démantelé.
Mardi dernier, les services de sécurité ont procédé à l'arrestation d'un deuxième complice de
la dame en question, tandis qu'une confrontation entre l'accusée principale et deux autres filles
arrêtées dans la villa de Hay Ryad, en possession de photographies de personnalités prises
dans des positions jugées compromettantes. En ce qui concerne le préfet de police, il aurait
jusqu'ici été entendu à quatre reprises au sujet des "mutations forcées" infligées à des policiers
dont le "délit" aurait été de vouloir simplement accomplir leur devoir professionnel.
Dans ce sens, des sources policières relèvent que le mouvement des "mutations disciplinaires"
avait augmenté de manière notoire durant les derniers mois de mars à juillet. L'enquête en
cours risque de faire tomber d'autres "têtes" qui auraient trempé dans l'affaire dite de "la dame
de fer", à qui certains milieux voudraient prêter des "problèmes psychiques" pour la tirer
d'affaires, évoquant, à l'appui de cette thèse, ses voyages répétitifs aux Etats-Unis pour "se
faire soigner".