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LES NOCES DB MAXIME TZÈRNOïÉVITCH. 25


deux litra,al'l de vin, et qui est faite de pur or Condu. Ce
ne sera pas là tout, frère, ce que tu auras de moi: je te
donnerai ma jument fauve, qui met bas des poulains fou-
gueux et ardents comme le feu; à ta ceinture je suspendrai
mon sabre, qui vaut trente bourses. » Ainsi l'accord fut
conclu, on ôta l'aigrette à Maxime, l'aigrette arrondie et
le plumet doré, et on les mit à Miloch Obrenbégovitch,
tandis que Maxime fut relégué à l'écart; vers ce temps
ils atteignirent le rivage, et s'embarquèrent sur la mer
grise.
Grâce à Dieu et grâce à la fortune qui vient de lui, la
traversée fut heureuse; ils arrivèrent à bon port sous les
murs de Venise et occupèrent la plaine. Les portes de la
ville s 'ouvrirent, et jeunes et vieux en sortirent pour faire
accueil aux svats, pour les regarder curieusement et pour
voir s'ils reconnaitraient le gendre du doge, si ce qu'on
racontait de lui était vrai: qu'il n'avait pas son pareil en
beauté ni parmi les gens de la noce ni parmi les Latins.
Reconnaitre le gendre, c'était chose facile, au plumet et à
l'aigrette qu'il portait, à sa taille et à son visage; quand
011 vit qu'Ivan n'avait rien dit que de vrai, les fils du

doge s'en vinrent saluer leur cher beau-frère: ils l'em-


brassent d'un côté et de l'autre, puis ils l'emmènent dans
un élégant ~avillon; après quoi, les invités furent dis-
tribués dans des logements par trois et par quatre, de la
manière qui devait leur être la plus commode.
Chez les Latins, il y avait une coutume étrange: la
famille de l'épousée assistait aux noces, et on laissait re-
poser chevaux et cavaliers S8. Ils demeuraient là depuis
trois à quatre jours quand, le quatrième, à l'heure ou
parut le soleil et ou tonnèrent les canons de la ville, le

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I.

LA NAISSANCE DE MARKO
(LE MARIAGE DU ROI VOUKACIIINE)

Il, 25

Georges Voukachine écrit une lettre dans le blanc


Scutari sur la Boïana, et il renvoie en Hertzégovine vers
le blanc château du Pirlitor, le Pirlitor en fac~ du Dour-
mitor 1. La lettre est adressée à Vidosava, l'épouse de
Momtchilo, secrètement il l'écrit, secrètement il l'envoie,
et voici ce qu'il y disait.
« Vidosava, épouse de Momtchilo, que fais-tu là-bas
dans la glace et dans la neige? Quand, du château, tu
regardes au-dessus de ta tête, tu n'as rien de beau à
voir: rien que le blanc Dourmitor, enseveli sous la glace
et sous la neige, en plein été comme au cœur de l'hiver.
Si, au-dessous du château, tu jettes les yeux dans le
précipice, au fond coule la Tara, troubl~ et mugissante,
roulant des arbres et des pierres; on ne voit sur elle ni
barques ni ponts, et elle est bordée de sapins et de ro-
chers.
« Ainsi donc empoisonne le voïvode Momtchilo, em-
poisonne-le, ou livre-le moi, pour descendre ensuite dans

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MARKO KRALIÉVITCH. 57
pourras les regarder à ton aise. » Puis il s'étend et
s'abandonne au .sommeil.
Momtchilo dort, son épouse ne dort point, elle écoute
sur son lit, attendant que les premiers coqs chantent; et
dès que la première voix se fait entendre, la jeune femme
saute de la molle couche, allume une chandelle qu'elle
met dans la lanterne, puis prend du suif et du goudron,
et s'en va tout droit à l'écurie neuve. Or, comme l'avait
dit Momtchilo, déjà les ailes d'Iaboutchilo se montraient,
elles lui tombaient jusqu'aux pieds. Elle alors d'oindre
les ailes du cheval, de suif et de goudron, d'y mettre le
feu avec la chandelle, et de les consumer j ce que le feu
n'avait pu brûler, elle le &erra fortement sous la sangle.
Alors elle court à la dépense, prend le sabre de Momt-
chilo, le plonge dans du sang mêlé de sel; puis retourne
s'étendre sur la molle couche.
Le matin, de bonne heure, quand l'aube commença à
blanchir, Montchilo se leva: « Vidosava, ma fidèle
épouse, dit-il, quel songe étrange j'ai eu cette nuit' Il
s'élevait, du pays maudit des Vaçoïévitch, un brouillard
floconneux, qui peu à peu enveloppa le Dourmitor j je
m'enfonçai dans ce brouillard avec mes neuf frères, mes
douze cous~ns et quarante soldats du château; la brume,
femme, nous sépara, nous sépara et nous ne parnes nous
retrouver j Dieu le sait, il n'arrivera rien de bon. - Sois
sans crainte, cher Seigneur, lui répond Vi dosa va j son.ge
est mensonge, et Dieu est vérité. »
Momtchilo le voïvode s'apprête, et descend du blanc
donjon; Au bas ses neuf frères l'attendaient, avec ses
douze cousins et quarante soldats du château; son épouse
lui amena le cheval blanc, tous sautèrent en selle sur

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CHA:-ITS AXClEXS. D'ÉPOQUES DIVERSES. 145
tomber! Ce n'est pas la un officier impérial, mais bien
mon seigneur, le ban Strahinia. Ne reconnais-je pas son
front et sous le front ses deux yeux, sa double moustache
noire, et sous lui son cheval blanc, et son lévrier fauve
Karaman? Ne plaisante pas, seigneur, il y va deta tête.»
Quand le Turc, Ali le Valaque, a entendu ces mots, la
fureur le rend fou, d'un bond il est sur ses pieds légers,
il met sa riche ceinture, y enfonce des poignards acérés,
puis il attache son sabre tranchant, et ses yeux ne quit-
tent plus Je coursier blanc.
Cependant le ban arrive devant la tente; c'était un
homme sage, et pourtant il commet une faute; on était
au matin, et il ne souhaite pas le bonjour, ni ne salue en
turc, mais il apostrophe outrageusement Ali : « Te voila
donc, bâtard! bâtard rebelle au sultan 1 quelle maison
as-tu pillée? quelle famille as-tu emmenée en esclavage?
l'épouse $le qui caresses-tu là sous la tente? Sors, que
nous nous battions bravement. »
Le Turc s'élance comme un fou furieux, d'un bond il
atteint son cheval, d'un autre il se jette en selle, et il
ramène a lui les rênes. Mais Strahinia non plus ne perd
pas de temps, il pique des deux et darde sa lance de
guerre, les deux guerriers se ruent l'un sur l'autre. Ali
le Valaque a étendu le bras, de la main il saisit au vol
la lance du ban, et puis lui adresse ces paroles: « Vil
bâtard, ban Strahinia, de quoi donc, manant, t'es-tu
avisé? Tu n'as pas affaire a une vieille femme de la
Choumadia, qu'on chasse devant soi en l'injuriant, mais
tu as affaire au fort Ali le Valaque, qui ne craint ni
sultan ni vizir, a qui toute l'armée impériale fait l'effet
de fourmis dans l'herbe; ct c'est avec lui, rustre! que
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206 L "EPOPEE
, SBRBE.

en grand nombre et commettaient des meurtres et des


vols fréquents, les Turcs mettaient toute la population
sur pied pour leur donner la chasse. Quand la battue
n 'avait point de résultat, les Turcs avaient recours au
teftich, c'est-à-dire que quelque fonctionnaire se meLtait
à parcourir le pays avec un nombre d'hommes assez con-
sidérable, et qu'au moyen de la prison, des coups et
d'amendes, il contraignait les kmètes ·(chefs des villages)
et les parents des haïdouks à chercher les recéleurs et à
capturer les haïdouks eux-mêmes j mais hors le cas de
teftich, les parents des haïdouks aussi bien que leurs
femmes et leurs enfants n'étaient inquiétés par personne,
et vivaient au contraire en paix dans leurs maisons.
« Lorsqu'un haïdouk se lasse du métier, il se rend, .
c'est-à-dire qu'il mande aux: kmètes de lui obtenir du
pacha une leUre de pardon (bourountia), après quoi il
reparaît en public, et personne dès lors n'oserait parler
en sa présence de ce qu'il a fait étant haïdouk. Dans cette
situation, ils deviennent le plus souvent pandours (gardes
de police), car ils ont perdu l'habitude des travaux agri-
coles; il n'y a du reste que les fonctions de kmète qu'ils
ne puissent pas remplir.

dont les lois pénales ont, à cet égard, un caractère de sé-


vérité draconienne. Dès que l'autorité a connaissance d'un
haïdouk, ce qui ne signifie plus qu'un hrigand ordinaire,
elle convoque, exactement comme quand il s'agit d'un loup,
les paysaus de la localité, quelquefois en très grand nomhre,
.", qui, sous le commandement du natchaillik ou du capitaine
'du district, procèdent à la hattue (haïka). Si le haïdouk, à la
première sommation, refuse de mettre has les armes et de
se rendre, on tire dessus immédiatement (t859).

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216 L'ÉPOPÉE SERBE.

se mit à dire: « Eh! mon frère, Starina Novak, nouS


n'avons plus ni vin ni tabac; il ne nous reste ni paras ni
dinars. - N'aie point de crainte, brave Radivoï, répon-
dit Novak ; s'il n'y a plus ni vin ni tabac, et s'il ne nous
reste plus d'argent, nous avons encore Grou'itza, l'ado-
lescent, qui est plus beau qu'une fille. Habillons-nous en
marchands, mettons à Grouïtza des vêtements misérables,
et allons le vendre à Saraïevo, puis qu'il s'enfuie comme
il pourra; seulement que nous ayons de l'argent, et nous
trouverons du vin et du tabac. » Cela plut fort à Radi-
voï. Tous deux sautèrent sur leurs pieds légers et s'habil-
lèrent en marchands, puis, ayant mis à Grouïtza des
vêtements misérables, ils s'en allèrent pour le vendre à
Saraïevo,
Là, une fille turque racheta, et offrit pour lui deux
charges d'or. Comme elle était partie pour aller chercher
la somme, le diable amène une veuve turque, la veuve
de Djafer-Bey, qui offre pour lui trois charges d'or, avec
trois chevaux pour les porter. La fille turque s'emporte
en malédictions: « Emmène l'esclave, femme de Djafer
Bey 6, et puisses-tu ne pas l'avoir longtemps: une nuit
seulement ou deux! »
La veuve emmène l'esclave cher-acheté 1 et le conduit
à sa blanche maison. Elle apporte de l'eau et du savon
et, après avoir lavé le jeune Grouïtza, elle l'habille et lui
sert un magnifique souper. Grouïtza s'assied et mange
son repas, mais la Turque ne peut y toucher, ne son-
geant qu'à regarder l'adolescent; puis, le souper fini, elle
étend un lit délicat, et Grouïtza se couche avec elle sur
le matelas.
Le matin, quand le jour parut, la femme de Djafer-

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222 L'ÉPOPÉE SERBE.

Malheur à tout héros qui n'écoute point un plus âgé


que lui!

v
GROUITZA ET LE NÈGRE
III, ~

Novak est à boire du vin avec Radivoi, dans la mon-


tagne, sous un vert sapin; le jeune Tatomir leur sert le
vin, tandis que Grouïtza l'adolescent Cait la garde. Et
Novak dit à son frère: « Radivoi, toi qui es né du même
père que moi, nous avons purgé le pays de tous les
oppresseurs, il ne reste que le Nègre qui va par les
chemins à la rencontre des noces, enlève les fiancées
dans leurs atours, et après en avoir joui pendant une
semaine, les vend pour de l'or. Que dis-tu de ceci, Crère?
Si nous rassemblions des messieurs comme pour une
noce, et si nous revêtions le jeune Grouïtza d'un costume
de mariée, en le ceignant d'un sabre par-dessous son voile;
puis, si nous passions à cheval par le chemin, devant la
maison du Nègre, pour essayer si Grouïtza ne pourrait
tromper ce débauché, le tromper et le tuer. »
Cela plut fort à Radivoï. On rassembla, comme pour
une noce, des gens de distinction, on couvrit le jeune
Grouïtza d'un voile de mariée, et, sous le voile, on le
ceignit d'un sabre, puis tous, chevauchant par le chemin,
passèrent devant la maison du Nègre. Mais le Nègre n'y
était pas, il était au cabaret, à boire du vin, tandis que
sa sœur gardait la maison. Or, sa sœur courut au caba-

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304 L'ÉPOPÉE SERBE.

Vladika de Tzétigné l'a su, et il leur a fait un don : à


Novitza, il a donné une capitainerie j il a confirmé Kara-
Chouïo dans ses fonctions de voïvode, pour les exercer
à Drobniak ainsi que l'ont fait ses anciens j et Mirko a
reçu deux pistolets, tous deux d'argent pur, et plongés
dans une écume d'or. - Les trois bans sont de retour à
Drobniak, et dans leur blanche tour à Touchina, ils boi-
vent de l'eau-de-vie jaune, songeant à mal, Smaïl-Aga,
et cherchant comment ils auront et ma tête et la tienne.
Mais écoute, cher pobratime 1 rassemble des troupes à
Gatzko, pas en trop grand nombre, de crainte d'effrayer
les raïas, et amène-les dans la plaine de Drobniak, vers
Douji et ma blanche maison : peut-être pourrons-nous
tromper les trois bans, et faire tomber leurs têtes blondes j
alors nous ferions dans notre Drobniak, nous ferions à
notre guise, et nous laisserions en vie les petits enfants,
pour être de vrais ra'ias et obéir aux Turcs. . . . . . . * »
Smaïl-Aga apprend que le bey Miralaï-bey est arrivé;
aussitôt il donne des ordres à ses serviteurs, et fait char-
ger plusieurs chevaux de poudre, de plomb et des au-
tres provisions qui lui seront nécessaires; puis il appelle
son saïs Martin, et commande qu'on lui amène son éta-
lon, il monte sur le coursier et se dirige vers la plaine de
Gatzko, suivi" du seigneur cadi. Quand ils arrivèrent

* V. 105 à v, 229. A la réceptio~ de cette lettre, Smail-


Aga se hâte lui-même d'en écrire trois à Ali-pacha Rizvan-
begovitch, de Mostar, Ahmet-Baouk, de Nikchitch, et Mouiagn
Mouchovitch, de Kolachine, en les priant <Je se rendre cha-
cun avec un certaiu nombre d'hommes armés dans le terri-
toire de Drobniak, et d'occuper des points qu'il leur désigne.
Ali-pacha envoie à sa place son fils Miralai-bey.

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310 L'ÉPOPÉE SERBE.

dire: « Ami Chouïo Karadjitch! déjà la nuit sombre


nous a quittés et le jour blanc nous a surpris, n'essayons
point d'attaquer l'aga aujourd'hui, mais attendons la
nuit prochaine. » Mais quand Chouïo a entendu ce dis-
cours: « Honte à vous, Mirk~ et Novitza! leur dit-il,
ou j'attaquerai à l'instant l'aga, ou je perdrai ma tête. »
Puis il prend dix, douze compagnons, va voler sous les
tentes les chevaux, et parmi eux, l'étalon tacheté de
l'aga et les emmène dans la montagne. Aussitôt trois
cents fusils partent et les balles font voler la tente de l'aga.
Smaïl-Aga était couché; il dormait, alors il s'élance sur
ses pieds, saisit deux pistolets argentés, les décharge en
l'air, puis les jette sur l'herbe, et appelant .son palefre-
nier Martin, il demande son étalon. Mais le saïs Martin
lui dit: « Comment l'amener, quand déjà les gens des
Bèrda l'ont volé 1 - Donne-moi ton petit cheval !:.oir,
ton cheval noir, puissent les chiens manger sa mère! »
Les gens disent et racontent qu'il lui était facile de fuir,
mais le Turc est trop brave, il n'en a pas le cœur; faisant
volter le petit cheval noir, il tire son sabre forgé afin de
couper des têtes serbes. Un jeune garçon l'ajuste, -Dieu
clément, qui était-ce donc? Mirko Damianovitch, de 1\1a-
limki,- et fait feu de son fusil rapide; il a bien visé l'aga,
au front, entre les deux yeux et le renverse à bas de son
coursier. Le Turc tombe et Mirko se jette sur lui, puis
tirant son couteau de la ceinture, il lui tranche la tête.
Alors les vo'jvodes coupèrent des têtes, ils en coupèrent
quatre-vingts; Novitza, celle du seigneur Cadi, Kara-
Chouïo celle du vieux Kariman, qu'il saisit par la barbe
et emporte. Ils dépouillèrent les Turcs, et firent du
butin autant que la bande en pouvait porter, puis ils cou-

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