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Les médiathèques

D’autres bibliothèques

de comités d’entreprise
à l’horizon 2010
L
es médiathèques de comités Une histoire particulière
d’entreprise connaissent une
évolution particulièrement in- Les bibliothèques de comités d’en-
téressante en ce début de xxie siècle. treprise se distinguent par leur histoire
Au cœur d’un processus complexe qui particulière dans le développement de
Philippe Pineau bouleverse les mondes du travail, les la lecture publique en France et une
CE Thales Avionics champs culturels et les réflexions sur présence désirée dans la sensibilité du
philippe.pineau9@wanadoo.fr les bibliothèques publiques, les biblio- mouvement social.
thèques et médiathèques de comités Les BCE sont donc le fruit d’une
Philippe Pineau est responsable de la d’entreprise (que nous désignerons double singularité qui en fait une ins-
médiathèque du comité d’établissement de dans cet article par les abréviations titution précieuse à plus d’un titre. Il
Thales Avionics à Châtellerault. BCE et MCE) apparaissent comme un n’est pas indifférent de garder en mé-
analyseur privilégié d’un espace ins- moire qu’aux origines des BCE, il y a,
titutionnel où la séparation entre le au xixe siècle, les bibliothèques dans
temps d’activité professionnelle et le l’entreprise, initiatives de quelques pa-
temps libre ne connaît pas de bornes. trons philanthropes, notamment dans
La qualité essentielle des MCE est la l’Est de la France, et la création des
proximité, qualité longtemps traduite bibliothèques populaires animées par
comme la spécificité des bibliothèques des courants religieux ou laïques.
de comité d’entreprise dans le réseau La loi du 21 mars 1884 sur la libre
de la lecture publique. constitution d’organisations profes-
La MCE reste le centre culturel sionnelles favorise l’émergence des
au sein de l’entreprise, permettant au pratiques de lecture et, à partir de
salarié de ne pas être étranger à lui- 1886, des bourses du travail sont
même dans une structure qui produit créées qui réservent un espace pour
à la fois satisfaction et souffrance. la bibliothèque. En 1895, c’est la nais-
Si, au xixe siècle, la bibliothèque des sance à Limoges de la Confédération
bourses du travail était le fruit d’une générale du travail (CGT). Après la
exigence prolétarienne déclinant les Première Guerre mondiale, cet intérêt
concepts d’enseignement intégral, de pour la lecture se précise à travers des
refus de parvenir et d’émancipation institutions comme la Librairie du tra-
des travailleurs, aujourd’hui, la MCE vail fondée en 1919, le Musée du soir
porte le désir d’autonomie des salariés en 1934, et, dans la foulée du Front
et le souci d’appartenance au corps populaire qui associe droit au travail
social, en vue de vivre l’émancipation et droit à la culture, la publication,
sociale, culturelle et citoyenne et de en 1937, année où le Centre confédé-
revendiquer l’émancipation durable. ral d’éducation ouvrière de la CGT
Cet enjeu moderne des MCE connaît ouvre une école de bibliothécaires, du
cependant quelques entraves à son ac- Rapport sur l’organisation de la lecture
complissement. Mais la vigueur d’une publique, du commerce du livre et de la
belle institution ne tient-elle pas à sa propagande collective pour la lecture et le
manière de vivre le paradoxe ? livre. À cette époque, des bibliothèques
existent à l’extérieur de l’entreprise,
mais aussi à l’intérieur puisque certai-

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Les médiathèques de comités d’entreprise à l’horizon 2010 :

nes directions d’entreprise proposent


aux délégués du personnel de gérer les
bibliothèques avec cependant le main-
tien pour la direction du contrôle des
achats et de l’organisation des collec-
tions.

Les comités d’entreprise,


création de 1946
L’ordonnance du 22 février 1945
et la loi du 16 mai 1946 rendent obli-
gatoire la création de comités d’entre-
prise constitués de représentants élus
du personnel, dans toutes les entrepri-
ses de plus de 49 salariés 1. Dans l’es-
pace de travail sont introduits le droit
pour les salariés de gérer les œuvres
sociales (on dira « activités sociales
et culturelles » en 1982) et celui de
contrôler la marche de l’entreprise.
C’est une étape décisive dans l’ap-
propriation par le mouvement syndi-
cal des questions sociales et culturel-
les, quand bien même la question de
la propriété des moyens de production
ne connaît pas, à l’issue des débats
parlementaires, de bouleversement
majeur. Dans ce contexte, les biblio-
thèques sont la manifestation concrète
et tangible que la culture reste in-
séparable de l’autre grande activité
humaine : le travail. Les BCE devien-
nent les lieux par excellence à partir
desquels se déploie une activité vers
le théâtre, la musique, les arts plasti-
ques, dans une circulation incessante
entre l’extérieur et l’intérieur de l’en-
treprise. Elles sont des milliers à offrir,
dans les années 50, des collections qui Médiathèque du CE d’Air France Industrie à Blagnac. Photos : Martine Bodereau
comportent, à côté des livres, d’autres
documents comme les disques vinyle,
tandis que des médias comme le film,
la radio et plus tard la télévision sont expression professionnelle et écono- Mai 68 et après
reconnus pour essentiels dans le déve- mique. La BCE devient alors un espace
loppement de la sensibilité et de l’in- de premier ordre pour la conquête de Mai 68 marque un tournant pour
telligence. nouveaux droits dans l’entreprise. De les comités d’entreprise, avec la re-
Des générations entières de lec- fait, la BCE possède une nature par- connaissance juridique des sections
teurs fréquenteront les BCE. Situées ticulière au regard de la bibliothèque syndicales au sein de l’entreprise. Une
en grande proximité des travailleurs, institutionnelle de lecture publique. nouvelle impulsion est donnée par les
elles jouent un rôle décisif dans la Elle interpelle bientôt le milieu pro- syndicats. Aux côtés des bénévoles qui
construction d’une identité person- fessionnel des bibliothécaires, qui la assurent, sur des heures de délégation
nelle et sociale, complémentaire de considèrent souvent comme un pal- ou non, le service de lecture et l’ani-
celle offerte par l’entreprise dans son liatif dans une organisation générale mation de la bibliothèque, des biblio-
insuffisante du réseau de la lecture thécaires professionnels sont recrutés,
1. Ces dispositions fondent toujours
publique. de l’extérieur en privilégiant les titu-
l’organisation des comités d’entreprise dans le laires du CAFB (certificat d’aptitude
droit français (Ndlr). aux fonctions de bibliothécaire), ou de

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Le réseau
• La médiathèque de Championnet, située
près de la Porte de Clignancourt, Paris 18e
D’autres bibliothèques

Sur 55 m2, deux bibliothécaires accueillent le

des bibliothèques public du lundi au vendredi de 8 h 45 à 11 h 30


et de 12 h à 16 h 45, sauf le mardi matin. Choix
de livres, de CD et de DVD avec un fonds spé-

du comité de la régie cifique de DVD documentaires.

Cinq bibliothèques « Points lecture »

d’entreprise RATP De taille plus réduite, chacune d’entre elles


est parrainée par une des trois médiathèques.
Un bibliothécaire gère pour chacune les « re-
lèves » des agents RATP, le choix et le traite-
ment des documents et se déplace une fois
Le comité de la régie d’entreprise RATP (Régie est ouverte les lundis, jeudis et vendredis de toutes les deux semaines afin d’assurer une
autonome des transports parisiens) a fêté ses 11 h à 17 h, les mardis de 11 h à 18 h 30 et les permanence au prêt, de rencontrer les agents
60 ans en 2007. mercredis de 8 h 30 à 18 h 30. Le mercredi, et de répondre à leurs questions.
Dès le début des années 50, le CRE a mis en elle accueille de nombreuses familles dont les Depuis 2007, chaque bibliothèque sélectionne
place des prêts de livres pour les agents de la enfants suivent des cours à l’école de musique une quarantaine de DVD de son fonds afin de
RATP. De 1 800 livres mis à disposition dans située au 2e étage du centre. les mettre en prêt temporaire sur les points
14 points de desserte, nous sommes passés • La médiathèque de Bercy, située dans la lecture. Ce choix est réactualisé chaque mois.
à 31 000 CD, 51 000 livres, 2 500 DVD et Maison de la RATP, face à la gare de Lyon, Ainsi, en attendant d’avoir un budget DVD
200 cédéroms. Paris 12e propre à chaque site, les points lecture ont pu
Actuellement, le réseau des bibliothèques du L’espace, déjà restreint, est partagé entre la enfin bénéficier du prêt des DVD.
CRE RATP est composé de 8 bibliothèques billetterie et la médiathèque. Sur 35 m2, le • La bibliothèque de Bobigny – ateliers MRF
de différentes tailles, réparties en région rangement a été optimisé au maximum afin (matériel roulant ferroviaire) de Bobigny
parisienne, la plupart du temps à proximité d’offrir des livres, CD et DVD, avec un fonds • La bibliothèque Lucie-Aubrac – ateliers
d’un restaurant d’entreprise. Une équipe de spécifique de DVD musicaux. La bibliothèque MRF de Massy
13 bibliothécaires en assure la gestion, aidée est ouverte du lundi au vendredi de 8 h 45 à • La bibliothèque de Point du Jour – métro
par des agents de la RATP détachés par leur 16 h 45, fermée le mardi matin. Porte de St-Cloud
employeur et rémunérés par le comité d’en- En septembre 2008, des travaux vont être en- • La bibliothèque de Pleyel – ateliers MRF de
treprise quelques heures par semaine afin de trepris afin de permettre le doublement de la St-Denis
tenir des permanences de prêt sur les points surface. La bibliothèque d’environ 70 m2 pré- • La bibliothèque de Porte d’Orléans – centre
lecture. sentera trois postes de travail pour les biblio- bus de Porte d’Orléans.
thécaires et un poste de consultation pour le Ces bibliothèques proposent des livres, des
Trois médiathèques importantes public. L’accès aux documents sera facilité par CD, des revues et des DVD. Elles sont ouver-
dominent le réseau un mobilier adéquat. Ce lieu stratégique situé tes entre 11 h 30 et 14 h 30, une, deux ou trois
• La médiathèque Aragon située dans le cen- dans la maison mère de l’entreprise pourra fois par semaine. Elles sont situées aux abords
tre culturel Auguste-Dobel, 9 rue Philidor, enfin accueillir les agents comme il se doit. du restaurant ou de la cafétéria et accueillent
Paris 20e
Ce centre culturel, inauguré en 2004, héberge
l’école de musique, des ateliers d’art plastique,
un centre de loisirs pour les enfants d’agents,
ainsi que l’Harmonie du personnel de la RATP,
l’orchestre philharmonique et la troupe de
théâtre Aurore. Au rez-de-chaussée, les agents
peuvent réserver leurs billets de spectacle ou
leurs séjours de vacances auprès de la billette-
rie. Tout le 1er étage est dédié à la médiathèque
et aux bureaux de l’administration du centre
culturel. Sur 250 m², la médiathèque propose
aux adhérents un large choix de livres et de do-
cuments multimédias. Elle est abonnée à une
cinquantaine de titres de périodiques et à cinq
quotidiens et propose deux postes de consul-
tation internet pour le public. Trois bibliothé-
caires et un adjoint en assurent la gestion. Elle Le centre culturel Auguste-Dobel du CRE RATP. Photo : Bernard Rondeau – CRE RATP

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Les médiathèques de comités d’entreprise à l’horizon 2010 :

les collègues des agents RATP qui


s’investissent.

Une plate-forme logistique


Située près du cimetière du Père-
Lachaise, fermée au public, elle
comprend un garage pour le mé-
diabus et des bureaux et salles de
stockage d’environ 70 m2.
Trois missions lui ont été assi-
gnées : accueil du médiabus et
« base arrière », réception des
commandes et traitement cen-
tralisé de tous les documents,
site de préparation des dota-
tions de livres pour les centres
de vacances enfants et adultes
du CRE RATP. Un gros travail de
sélection d’ouvrages est fait lors
des quatre sessions de vacances
scolaires. En effet, le Service en-
fance jeunesse envoie au Service
du livre le profil des enfants La médiathèque Louis-Aragon du CRE RATP. Photo : Bernard Rondeau – CRE RATP
partant sur chaque site. Les bi-
bliothécaires créent alors des dotations de ration qui a permis la mise à disposition d’un Le fonds DVD retrace l’histoire du cinéma :
livres en fonction de l’âge, du sexe, du lieu de Opac pour le public et d’un portail intranet les plus grands réalisateurs, les acteurs célè-
séjour, du thème de la colonie. En moyenne, pour diffuser les informations du réseau. bres, des films de différents pays, des films
on envoie deux livres par enfant, soit environ Avec la même carte, les agents RATP peuvent primés à Cannes, à Venise… Nous souhaitons
8 000 livres sélectionnés parmi les albums, emprunter dans toutes les bibliothèques du faire découvrir à nos adhérents les œuvres du
romans, documentaires, et bandes dessinées réseau. Il leur est demandé de rendre les do- patrimoine cinématographique mondial.
jeunesse. cuments dans le site où ils les ont empruntés.
Certains centres de vacances adultes deman- Ils peuvent emprunter 6 livres, 4 CD, 2 revues, Actions culturelles
dent également à recevoir un choix de livres 1 cédérom (à Aragon) pour trois semaines et La médiathèque Aragon accueille une fois
pour leur saison. Ils préfèrent en effet avoir 2 DVD pour une semaine. Ils acquittent une par mois un café littéraire, de 12 h 30 à 14 h.
une bibliothèque renouvelée chaque année en cotisation de 5,80 euros pour emprunter des C’est un moment de convivialité qui permet
fonction de l’actualité, comprenant des titres livres, CD et revues ou 11 euros pour tous les aux agents de rencontrer des acteurs du livre :
récents et des livres en très bon état. documents. éditeurs, libraires, auteurs, dessinateurs de
Le choix des documents est réalisé par les bandes dessinées, autour d’une collation et
Un médiabus prévu en 2009 bibliothécaires qui se réunissent une fois d’un café.
Un ancien bibliobus tournait jusqu’à l’au- toutes les cinq ou six semaines pour dresser, Un mercredi par mois également, les enfants
tomne 2005. Il a été arrêté du fait de sa vé- à l’aide des critiques de la presse qu’ils ont peuvent assister à une heure du conte à
tusté et devrait être remplacé en 2009 par un dépouillée, la liste des titres qui seront ache- l’issue de laquelle ils dégustent un petit goû-
médiabus qui proposera le prêt de tout type tés en plusieurs exemplaires pour le réseau. ter. Différentes thématiques ont été traitées :
de documents (livres, CD, DVD, revues) ainsi Les bibliothécaires de chaque site proposent la gourmandise, Noël, la Bretagne…
que la mise à disposition des informations du également des compléments de fonds en Des animations sont aussi organisées par cha-
CRE. fonction de l’actualité, des thématiques qu’ils que médiathèque : le vin, la bande dessinée,
veulent mettre en avant ou des suggestions l’Inde… Nous accueillons des expositions,
Le Service du livre des adhérents. organisons des débats, des ventes signatures
Conscient de l’importance de la diffusion Chaque médiathèque prête des livres de fic- avec des auteurs, des quizz, etc.
du livre et de l’action culturelle auprès des tion (romans, romans policiers, SF…), des Tout est fait afin de diffuser la culture et pro-
agents RATP, le CRE investit dans ses biblio- documentaires classés selon la Dewey et mouvoir la lecture en offrant un espace de li-
thèques. abordant tous les domaines de la connais- berté et d’échange au cœur de l’entreprise.
En 2007, le logiciel des bibliothèques a été sance, des bandes dessinées, des livres pour
changé. Depuis 2001, les bibliothèques enfants, des documents sonores rangés selon Patricia Bader
étaient équipées du logiciel Opsys 8.21. De la classification de Massy, illustrant tous les Responsable des bibliothèques
conception ancienne, il a été remplacé en courants musicaux et des périodiques choisis du CRE-RATP
2007 par Carthame, logiciel de nouvelle géné- en fonction de leur thème et du public visé. patricia.bader@ce.ratp.fr

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l’intérieur en proposant à des salariés dre implication des élus de comités mes de raideur hiérarchique à des pra-
de l’entreprise de se reconvertir. Les d’entreprise dans le développement de tiques d’auto-management. Les sala-
bibliothécaires bénéficient aussi des la lecture et des activités culturelles. La riés apprécient d’exercer leurs métiers
D’autres bibliothèques

formations offertes par les syndicats et question qui est alors sur toutes les lè- (si c’est un emploi, c’est déjà diffé-
sont accueillis en 1975 dans la profes- vres des bibliothécaires est la suivante : rent), s’épanouissent parfois dans leur
sion par l’Association des bibliothécai- les activités sociales et culturelles dont vie professionnelle. Mais ils connais-
res français où ils s’organisent en une les comités d’entreprise possèdent sent aussi le stress, le harcèlement, la
sous-section des bibliothèques d’entre- l’entière gestion et la complète respon- souffrance. La citoyenneté sociale n’est
prise au sein de la section des biblio- sabilité sont-elles vouées à devenir une pas encore acquise dans l’entreprise
thèques publiques. Le groupe, très dy- addition de « formules chèques » : et la dignité humaine n’est pas tou-
namique, réalisera plusieurs enquêtes chèques Vacances, chèques Lire, chè- jours honorée sur les lieux de travail.
et travaillera à faire reconnaître par ques CD, chèques Culture, et seule- Dès lors, il importe que soit créé un
les pouvoirs publics les bibliothèques ment cela, ou bien continueront-elles espace de convivialité encourageant le
en milieu de travail. Cette reconnais- à connaître des politiques culturelles travailleur à exercer son droit à la for-
sance officielle intervient en février originales à partir du centre culturel mation, à l’information et au bien-être
1986 avec la publication de La lecture de l’entreprise, la médiathèque ? personnel. La médiathèque rend effec-
en entreprise : les bibliothèques de comités tive cette citoyenneté si recherchée ;
d’entreprise éditée par la Direction du elle crée un lien social et humain là
livre et de la lecture du ministère de la Le sens moderne où les difficultés provoquent tension,
Culture. de la médiathèque énervement, amertume, affrontement,
Bibliothèques en accès direct, gra- concurrence avec les autres. La média-
tuites, aux collections plurielles et en-
de comité d’entreprise thèque permet de faire de la relation à
cyclopédiques, les bibliothèques de à l’horizon 2010 la culture une aventure quotidienne et
comités d’entreprise, lit-on, jouent un non pas seulement un investissement
rôle considérable dans l’approche et la Des réflexions surprenantes ont ponctuel, aussi riche soit-il.
pratique de la lecture chez des popula- surgi en ce début de xxie siècle. Par Par ailleurs, penser/imaginer la
tions qui ne fréquentent pas le réseau exemple : qu’est-ce que cela signifie médiathèque dans l’entreprise signi-
institutionnel de la lecture publique. de promouvoir la lecture publique, au fie aussi rendre au travail sa puissance
Enquêtes, colloques, journées d’études quotidien, dans un environnement culturelle. Le travail conçu comme
insisteront sur le sens de la bibliothè- qui n’est pas fait pour ça, qui est fait une pratique sociale pour le salarié et
que en entreprise axé sur la proximité pour le travail, pour l’homme au tra- non contre lui est une manière en acte
avec les travailleurs et leurs familles, vail, pour le travailleur ?... Bien sûr, de dépasser une situation qui apparaît
le ferment de citoyenneté qu’elle offre les bibliothèques de CE ont accompli comme insatisfaisante. La médiathè-
et la capacité qu’elle donne aux sala- un travail remarquable, mais le réseau que offre au salarié de résister à l’en-
riés de s’approprier une structure qui des bibliothèques de lecture publique fermement dans des tâches précises,
reste un formidable outil d’émanci- a fait un véritable bond en avant dans techniques, minutieuses, qui le sépa-
pation. En 1992, la Charte pour le les vingt dernières années ; elles doi- rent de sa condition d’homme libre, la
développement de la lecture en en- vent pouvoir intéresser les salariés… Et liberté de travailler étant toute relative.
treprise est signée par les cinq confé- enfin, la démocratisation de la culture Elle transforme donc, à sa manière, le
dérations syndicales représentatives a échoué… D’autres propos pourraient regard porté sur le travail et du même
(CFDT, CFTC, CGC, CGT, CGT-FO 2 ) être évoqués, mais nous allons nous coup le travail.
et l’Association des bibliothécaires arrêter à ces trois-là et tenter d’appor-
français. Elle reste le grand texte de ré- ter quelques réponses.
férence sur le sujet. Le « hors les murs »
En l’an 2000, l’Ires, Institut de de l’entreprise
recherches économiques et sociales 3, L’entreprise espace de vie
publie une enquête sur la culture au Les médiathèques du réseau de
travail. Cette enquête rend compte des Pourquoi faudrait-il ouvrir des mé- lecture publique doivent pouvoir inté-
bouleversements dans le cadre de la diathèques à l’intérieur des entrepri- resser les salariés. Les bibliothèques
mondialisation, mais aussi de la moin- ses ? L’entreprise est un espace de tra- municipales ou d’agglomération ont
vail pour les hommes. Elle a vocation à compris que, pour mener à bien cette
créer des richesses et à faire du profit. mission, elles devaient accompagner
2. CFDT, CFTC, CGC, CGT, CGT-FO : Les hommes apportent leurs savoir- l’offre des services dans les murs
Confédération française démocratique du faire, leurs connaissances, leurs tech- d’une politique hors les murs. De
travail, Confédération française de travailleurs niques dans un environnement orga- même qu’elles mettent en œuvre des
chrétiens, Confédération générale des nisé pour des finalités industrielles, formules pour les publics étrangers
cadres, Confédération générale du travail,
Confédération générale du travail – Force
commerciales ou de services. Certes. au livre et à la lecture et pour les pu-
ouvrière. Mais le management des hommes, blics empêchés, elles ont parfois établi
3. www.ires-fr.org devenu très sophistiqué, mêle des for- des relations avec les comités d’entre-

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Les médiathèques de comités d’entreprise à l’horizon 2010 :

considération la culture sur le lieu de


travail. Si une politique vigoureuse de
soutien aux comités d’entreprise avait
été mise en œuvre, il n’est pas cer-
tain que l’on aurait pu parler d’échec.
Le service public de la culture aurait
connu vraisemblablement un essor
important.

Inverser le processus
Nous avons tenté de formaliser
en quelques lignes une critique des
trois propos avancés pour comprendre
les raisons d’une sorte de désintérêt
aujourd’hui pour les médiathèques de
comités d’entreprise et donner à voir
comment dépasser cette conception.
Résumons : réussir la démocratisa-
Bibliothèque du CIE Le Bélieu : Faurecia, site de Beaulieu Mandeure (Doubs). Photo : Virginie Lapprand tion de la lecture signifie approuver
l’institutionnalisation des médiathè-
ques sur le lieu de travail et penser
prise. Aussi n’est-il pas rare de voir des horaires ou des jours d’ouverture qui cette institutionnalisation comme un
conventions signées entre collectivités résoudra fondamentalement le pro- pôle fondamental du réseau de la lec-
locales et comités d’entreprise pour blème. ture publique. Il n’est pas trop tard
permettre aux salariés de bénéficier pour contrecarrer la tendance actuelle
des services de la médiathèque muni- qui ne va pas dans le sens du progrès.
cipale ou d’agglomération. Cependant Démocratisation de la culture Pour inverser ce processus, il importe
les relations restent souvent limitées de préciser les responsabilités des
au paiement par le comité d’entreprise L’échec de la démocratisation de institutions parties prenantes. Nous
de l’inscription du salarié à la média- la culture et de la lecture est couram- pouvons nous appuyer sur la Charte
thèque de la collectivité. Celle-ci peine ment invoqué. Tous les moyens sem- pour le développement de la lecture en
à assurer sa mission. blent pourtant avoir été mis en œuvre entreprise pour décliner cinq acteurs
Pour comprendre la difficulté pour que l’offre culturelle puisse essentiels.
des médiathèques du réseau institu- concerner tous les citoyens considérés
tionnel à atteindre ces publics, il faut dans la diversité de leurs histoires, de a) Le comité d’entreprise
tenir compte de la question cultu- leurs pratiques culturelles, individuel- Il possède de droit l’entière res-
relle. Mutatis mutandis, la situation les et collectives. Et malgré cela les ré- ponsabilité de la gestion des activités
qualitative est la même que celle des sultats ne paraissent pas à la hauteur sociales et culturelles. Il lui appartient
années 60. Avec certainement une des investissements consentis. Les de mettre en œuvre les modalités de
incompréhension majeure accentuée pouvoirs publics, principaux fournis- ce qui est de son ressort. Il importe
par le fait que les médiathèques offer- seurs des moyens, peuvent en tirer la d’affecter 10 % du budget du CE à la
tes aux citoyens sont plus nombreu- conclusion que la démocratisation de médiathèque. Il est souhaitable qu’à
ses, mieux adaptées, plus belles aussi. la culture a échoué. partir de 500 salariés, le poste de bi-
Incompréhension due à l’évidence C’est un problème difficile à trai- bliothécaire soit un temps plein.
que les structures sont des espaces ter. Disons d’un mot que les straté-
non marchands et donc par définition gies adoptées pour tenter la démo- b) L’employeur des salariés, c’est-à-
accueillants et exempts de considéra- cratisation de la culture ont souffert dire la direction de l’entreprise
tions mercantiles. Incompréhension de processus contradictoires. Dans Il doit mettre à disposition du co-
enfin parce que la médiathèque publi- le domaine des bibliothèques, il a mité d’entreprise un local spacieux et
que est vécue avec raison comme l’es- manqué une loi qui aurait permis situé sur le passage des salariés. Il doit
pace par excellence de déploiement un développement cohérent et rai- faciliter la libre circulation des sala-
des sensibilités citoyennes. Malgré sonné des structures sur l’ensemble riés.
tout cet effort républicain, il reste que du territoire national. Mais la lecture
la médiathèque de la collectivité ter- publique, c’est aussi des populations c) Le bibliothécaire
ritoriale n’intéresse qu’une minorité et des cultures, comme nous l’avons Il exerce son métier dans le cadre
de la population en âge de travailler. vu. Et la démocratisation de la culture, de la politique définie par les élus du
Et ce n’est pas l’élargissement des c’est encore la capacité à prendre en comité d’entreprise.

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Paris, t. 53, no 5
Le Service du livre
Atout Livre. Les livres sont achetés avec une
remise négociée, maximum 9 %. Certains
D’autres bibliothèques

éditeurs facturent les frais de port. Le SLB se

et des bibliothèques charge de toutes les déclarations relatives à la


loi sur le droit de prêt (Sofia, Dilicom).
Le budget est entièrement délégué au SLB,

du comité central mais l’achat local est toujours possible. Dans


ce cas, c’est le service qui paie la facture pour
l’établissement.

d’entreprise de la SNCF La bibliothèque régionale fait office de tête de


réseau régional. Un responsable y est chargé
de centraliser les achats et de coordonner les
animations.

Vacances et maisons familiales


La Société nationale des chemins de fer fran- bliothèques 1 gérées par les comités d’éta- Les bibliothécaires du SLB sélectionnent et
çais a aujourd’hui le statut d’Epic, établisse- blissements qui ont choisi la délégation au expédient des ouvrages dans les 80 centres
ment public à caractère industriel et commer- SLB. Celles-ci passent ensuite commande au de vacances enfants de l’entreprise (7 500 li-
cial. Ce qui était auparavant désigné comme SLB, qui achète les ouvrages, assure leur trai- vres/an). Les livres sont choisis en fonction
les œuvres sociales de l’entreprise créée en tement – plastification des couvertures (par de l’âge, du nombre d’enfants, de la spécia-
1937 a fait l’objet, lors du changement de trois centres d’aide par le travail), rédaction lité du centre (musique, théâtre, sports…) et
statut, d’un transfert de charges. Il y a un co-
mité d’établissement par région SNCF et un
par direction. Le comité central d’entreprise
(Cheminot CCE) fédère les comités d’établis-
sement (CE) pour jouer à l’échelon national le
rôle économique reconnu aux représentants
du personnel dans l’entreprise.
À la SNCF, la dotation au comité d’entreprise
prévue par la loi de 1946 représente 1,7 % de
la masse salariale, et elle est répartie en fonc-
tion des personnels desservis. Les CE sont
indépendants dans leur gestion et maîtres de
leurs dépenses. Ils peuvent ainsi décider ou
non de travailler avec le CCE.
Le SLB, Service du livre et des bibliothèques
du comité central d’entreprise (secrétaire :
Sylvain Brière), assure un certain nombre de
prestations en direction des cheminots et de
leurs ayants droit (familles, retraités). Il est
dirigé par Pierrette Bras et emploie 38 sala-
riés.
Actuellement, 22 CE sur 26 travaillent avec le
Service du livre. Ils lui reversent une part de Plaquette de présentation du Service du livre et des bibliothèques. Conception réalisation : comtown
leur dotation dévolue au seul achat de livres,
que le service gère pour eux. des fiches signalétiques – et les expédie aux du thème annuel retenu par les élus du CCE,
établissements. L’acheminement est pris en en 2008 « la Cité idéale ». Des ouvrages sont
Sélection bibliographique charge par la SNCF. Il est également possible également expédiés dans les maisons familia-
et centrale d’achat aux bibliothèques de passer commande au les (2 500 livres/an).
À partir d’un travail de sélection dans l’édi- SLB de titres « hors liste ».
tion, fait par une équipe de bibliothécaires, Les fournisseurs sont les distributeurs ou les Bibliothèque centrale de prêt
sept listes-conseils annuelles, auxquelles éditeurs en direct. Depuis 2004, deux librai- par correspondance
s’ajoutent deux listes thématiques, une liste ries sont également utilisées : Le Divan et Le service assure le prêt gratuit par corres-
Romans de la rentrée, une liste spéciale pondance aux lecteurs isolés, qui ne peuvent
Polars et des listes d’actualités, soit au total bénéficier d’une bibliothèque de CE, à partir
une offre de près de 3 000 titres chaque 1. 260 bibliothèques émaillent le territoire na- de listes de nouveautés périodiques, et de
année, sont adressées aux quelque 220 bi- tional. catalogues remis à jour régulièrement. Le

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Les médiathèques de comités d’entreprise à l’horizon 2010 :

fonds de la bibliothèque représente actuel- de la SNCF, un excellent outil de mise en et le SLB ne peuvent ignorer les menaces qui
lement 39 000 titres et 135 000 volumes, et œuvre des animations et programmes cultu- pèsent aujourd’hui sur le devenir de beau-
assure plus de 150 000 prêts annuels à 8 500 rels initiés par les élus du comité central d’en- coup de grandes entreprises publiques, avec
inscrits. treprise. Dans le paysage des bibliothèques le risque de démantèlement des structures
d’entreprise aujourd’hui, le SLB fait figure de mises en place. Les années à venir sont plei-
Le fonds cheminot modèle, avec quelques rares autres structures nes d’incertitude.
Centre de documentation spécialisé consacré coopératives, souvent dans le secteur public,
à l’histoire sociale et culturelle des chemi- ou issu de celui-ci : Air France, EDF, RATP, Yves Alix
nots, il propose 4 000 ouvrages, 33 titres de Snecma, etc. Pour autant, Pierrette Bras, di- Avec le concours de Pierrette Bras
revues, des photos, cassettes, plans, affiches rectrice du service, ne cache pas les difficul- pbras@ccecheminots.com
et dossiers documentaires. Il accueille les che- tés actuelles : les ressources financières des
minots et ayants droit, mais aussi chercheurs, CE étant en baisse continue, les choix sont
étudiants, syndicalistes et associations. délicats et la bibliothèque est en concurrence Service du livre et des bibliothèques
avec d’autres services, en particulier du côté Cheminot CCE
Journées d’étude des loisirs : billetterie, colonies de vacances, 140 rue de Bercy, 75012 Paris
Deux à trois journées d’étude sont organisées etc. À cela s’ajoute la baisse manifeste du Tél. 01 43 45 54 19
chaque année à l’intention des bibliothécaires, militantisme culturel, que l’engagement des
animateurs culturels et élus de l’entreprise. élus du CCE ne peut compenser qu’en partie. Sur internet :
Parmi les derniers thèmes traités, citons : la Dans les achats, on sent aussi une domina- www.ccecheminots.com, rubrique lecture
littérature arabe classique et contemporaine, tion croissante du divertissement : les listes
le livre et la censure, le polar, Mai 68… proposent 60 % de documentaires et 40 % Fonds Cheminot
de fiction, les commandes inversent ces pro- Contact : msvergeade@ccecheminots.com
Bulletin d’information portions 2 ! Encore préservé, le réseau SNCF
Très lié à l’actualité éditoriale et culturelle, il
accompagne chaque liste-conseil. Les actes
des journées d’étude y sont publiés. 2. Lire à ce sujet Bernadette Seibel, « La lecture
cheminote », BBF, no 1, 1991. L’article rend compte
Très bien structuré et équipé, le SLB fonc- d’une étude, menée à la demande du comité central
tionne comme une petite entreprise et son d’entreprise de la SNCF, d’octobre 1988 à juin 1989, cette entreprise publique, que celles-ci s’effectuent
efficacité est appréciée. C’est aussi, au sein des pratiques de lecture des agents en activité dans dans ou hors de la vie de travail.

d) Les pouvoirs publics e) Le partenariat inter-médiathèques travailler ; elles contribuent au réseau.


Les ministères et les collectivités Il se comprend à un double niveau. Les médiathèques du réseau institu-
territoriales possèdent la capacité d’in- Le premier doit rapprocher les comités tionnel offrent la possibilité d’accueillir
tervenir en concertation avec les par- d’entreprise qui possèdent les moyens des usagers des médiathèques de CE ;
tenaires mentionnés ci-dessus pour financiers de développer une politique elles présentent les qualités d’un sec-
contribuer à la création ou au dévelop- culturelle à partir de la médiathèque teur non marchand ; elles bénéficient
pement des médiathèques de CE, à la et ceux qui manquent de moyens. Il d’une reconnaissance publique qui
formation des personnels et à la dif- appartient aux élus d’établir des rela- leur assure la pérennité.
fusion des modes d’action culturelle. tions de solidarité sous forme d’accord
Bien que de droit privé, les MCE ne d’association. Les sites sous forme de
sont pas hors du droit commun et par ZI (zone industrielle), de ZAC (zone Professionnalisation
conséquent doivent pouvoir bénéficier d’aménagement concerté) sont propi-
des subventions qui leur permettent ces à favoriser ces accords. L’Association des bibliothécaires
d’être un pôle culturel reconnu dans Le second partenariat concerne de France a réalisé un travail impor-
le réseau de la lecture publique. De les médiathèques de comités d’entre- tant depuis l’an 2000 pour sensibiliser
même que l’entreprise reçoit de la part prise et celles du réseau institution- sur cette question les parties responsa-
des pouvoirs publics des aides pour nel de lecture publique. Elles ont un bles. Enquête, journées d’étude, parti-
les activités qu’elle génère, de même intérêt commun à établir des accords cipation à des colloques, recensement
le comité d’entreprise doit pouvoir re- de coopération. Les MCE offrent la ri- (1 500 MCE en 2007), articles de re-
cevoir les crédits qui lui permettent de chesse d’un monde culturel où culture vues sont à son actif dans un contexte
mener à bien sa mission. et travail sont imbriqués étroitement ; où les représentants du mouvement
elles permettent d’inclure dans le lec- social manquent de dynamisme et où
torat les personnes en situation de les pouvoirs publics ne se manifestent

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Démocratie culturelle
citoyenneté, l’émancipation, qui constituent
les questions fondamentales. La création des
D’autres bibliothèques

comités d’entreprise a permis une nouvelle

et entreprise dynamique et d’investir davantage encore le


champ culturel à travers le théâtre, le cinéma
et la lecture... Mais vers 1968, cette concep-
tion d’une offre de culture qu’on « apporte »
Entretien avec Jean-Pierre Burdin à la classe ouvrière montre ses limites. L’ir-
ruption de la culture de masse, et les ambi-
guïtés qu’elle entretient avec la marchandi-
sation opèrent une rupture avec l’entreprise.
Sur le plan culturel, le développement de
Pour un observateur extérieur, le rôle des co- part la difficulté à obtenir des données sta- nouvelles pratiques sociales non légitimées,
mités d’entreprise dans l’action culturelle au tistiques nationales fiables) correspond au le changement des pratiques de lecture, mo-
sein du monde du travail est parfois difficile schéma d’organisation des fédérations et des difient en profondeur le rapport des salariés
à appréhender. Plusieurs raisons peuvent ex- confédérations syndicales,
pliquer cette difficulté : méconnaissance du qui comprend des syndicats
cadre institué par les textes de 1945 et 1946 d’entreprise et/ou d’établis-
(voir l’article de Philippe Pineau ci-contre), sement, regroupés en fédé-
de l’articulation entre l’échelon local (comité rations, elles-mêmes consti-
d’entreprise, comité d’établissement) et les tuant la confédération 2.
organisations syndicales au niveau national,
enfin absence de réelle prise en compte du
fait culturel dans l’entreprise par les ministè- Un héritage
res, tant celui du Travail que celui chargé de
la Culture. Depuis plusieurs années, les trans- – Quelle place la CGT
formations profondes vécues par le monde du fait-elle à l’action
travail ont encore obscurci le paysage. Pour culturelle dans
tenter de cerner un peu mieux les évolutions l’entreprise ?
en cours, nous avons rencontré Jean-Pierre – La CGT est la seule cen-
Burdin, conseiller technique du secteur cultu- trale à avoir mis en place
rel de la CGT 1. une commission et un sec-
teur culturels au niveau
Comme le prévoit la loi, et comme le rappelle confédéral. Elle est l’héri-
Philippe Pineau dans son article, la création tière d’une tradition qui s’est
et l’entretien d’une bibliothèque relèvent établie même avant la mise
localement du comité d’établissement issu en place du syndicalisme
des élections professionnelles. Lorsque l’en- confédéré dans un rapport
treprise a des implantations multiples, elle fort à l’émancipation. Les
peut avoir un comité central d’entreprise, qui Bourses du travail, on ne le
prend en charge certaines prestations et joue, sait pas assez, ont été sou-
parfois, un rôle à la fois fédérateur et coor- vent le premier laboratoire
donnateur de certaines activités sociales et de ce qui deviendra l’ensei- Couverture du livre d’art intitulé Labeur édité à l’occasion
culturelles. C’est le cas par exemple à la SNCF gnement technique. du 48e Congrès confédéral de la CGT à Lille en avril 2006.
(voir encadré p. 14). Le plus souvent cepen- Mais le rapport du monde Texte de François Bon et dessins de Mélik Ouzani.
dant, la bibliothèque d’un site relève du local, ouvrier avec la culture, dès Imprimé par l’atelier du Livre d’art et de l’estampe
c’est-à-dire du comité d’établissement. Cette l’origine, est un rapport de l’Imprimerie nationale.
autonomie de gestion (qui explique pour une compliqué, un « je t’aime
moi non plus » : pour les ouvriers dépossé- avec l’offre que peut apporter le CE. Il faut en
dés et exploités, ceux qui savent lire et écrire tenir compte, s’inscrire dans le mouvement,
1. La Confédération générale du travail s’est sont aussi ceux qui ont le pouvoir. Cet héri- sans sacrifier pour autant la mission cultu-
dotée au milieu des années 70 d’une commission tage culturel s’exprime à la fois par la soli- relle, tâcher de dépasser les comportements
confédérale chargée d’impulser et de coordonner darité, qui permet d’assurer le vital, et par la standardisés ou consuméristes, sans les stig-
la réflexion des organisations de la CGT, fédé- matiser.
rations et organismes, en matière de politique
culturelle. Consulter le site de la Confédération : 2. Lire René Mouriaux, Le syndicalisme en France
www.cgt.fr Contact sur les questions culturelles : depuis 1945, nouvelle édition mise à jour, Paris, La
culture@cgt.fr Découverte, coll. Repères, 2008.

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Une action à refonder – Un chapitre du document d’orientation lieu d’inviter à réfléchir à des partenariats et
adopté par la CGT lors de son 48e congrès à des coopérations au niveau des territoires.
– Au niveau confédéral, quelles actions (Lille, 2006) est intitulé « Pour une Enfin, et si j’en fais le constat c’est bien pour
marquantes ont été menées ou sont démocratie culturelle ». Il appelle le regretter, la crise économique comme la
menées en faveur de la lecture ? à promouvoir « lecture et écriture, baisse du syndicalisme ont affaibli cette dy-
– Je soulignerai tout d’abord que la dernière pratiques musicales, théâtrales et namique positive. Ainsi, la Charte de 1992
grande action produite en commun avec les artistiques, à toutes les étapes de invitait à professionnaliser les bibliothèques
autres confédérations syndicales a été la si- la vie et dans les différentes sphères d’entreprise ; il est clair que c’est de plus en
gnature de la Charte pour le développement sociales ». L’émancipation du salarié y plus difficile, mais cela arrive. La politique
de la lecture en entreprise en 1992. C’est un est revendiquée et, pour la gagner, « il confédérale impulse l’attachement fort à la
texte important, puisqu’il manifeste la vo- faudra mobiliser le système éducatif et lecture et à la présence du livre dans l’entre-
lonté des élus confédéraux de soutenir la lec- les services publics culturels, associer prise, mais tout repose néanmoins sur l’inves-
ture et les bibliothèques dans les entreprises. les mouvements d’éducation populaire tissement personnel des élus des CE. S’il fai-
Au-delà, il faut cependant reconnaître que avec une exigence toute particulière pour blit, rien n’est plus possible. Cela dit, il reste
l’intervention au niveau des confédérations les comités d’entreprise ». Cependant, beaucoup de leviers. Des pratiques d’action
demeure essentiellement symbolique. Les bi- dans la pratique, ce qui frappe le plus culturelle qui nous paraissent fondamentales
bliothèques, comme ont l’a vu, restent sous l’observateur aujourd’hui, c’est la moindre peuvent être portées par la bibliothèque : lec-
l’autorité des fédérations. Or, tandis que la visibilité des bibliothèques d’entreprise. tures, ateliers d’écriture, par exemple. La bi-
société et le monde du travail subissent des – C’est vrai. Ce défaut de lisibilité s’explique bliothèque est aussi le lieu privilégié où peut
mouvements violents (le monde ouvrier res- par plusieurs facteurs : comme rien n’est cen- se conserver l’histoire de l’entreprise, celle
sent très fortement la façon dont ces mouve- tralisé, même s’il existe des réseaux internes, des salariés et de leurs luttes. La fréquenta-
ments et les douleurs qui les accompagnent plus ou moins structurés, de coopération tion de la bibliothèque, sa vie, sont une sorte
sont exposés dans un registre compassionnel, dans de grandes entreprises comme la SNCF, de bilan social vivant.
par les politiques ou par les médias), les col- EDF, Air France, la Snecma… on n’a pas de
lectivités de salariés voient leurs moyens de vue d’ensemble, ni de statistiques fiables et Propos recueillis par Yves Alix en juillet 2008.
plus en plus contraints, sous la pression de la à jour. Le ministère de la Culture, quant à lui,
crise économique mais aussi de la faible syn- semble avoir abandonné le monde du travail À lire : Jean-Pierre Burdin, « Le rôle des comi-
dicalisation, et doivent de surcroît agir dans comme lieu de la culture depuis le milieu des tés d’entreprise », Cahiers de l’Iforep, no 105,
un cadre légal qui n’a pas changé depuis 1946 années 80. Ajoutons que, pour les bibliothè- dossier « Des mots, des livres, des images :
et ne correspond plus à la situation actuelle. ques, le développement de la lecture publique savoir c’est pouvoir », 2003. Disponible sur
« institutionnelle » a sans doute marginalisé le site de www.iforep.fr (consulté le 21 juillet
les mouvements associatifs et militants, au 2008).

guère. Aujourd’hui la profession porte Émancipation durable L’individualisation des tâches ne doit
les couleurs de la lecture publique en pas déboucher sur un isolement de la
entreprise. Elle n’a pas vocation à faire En guise de conclusion, nous di- personne. La médiathèque sur le lieu
cela toute seule. Mais elle prend ses rons que les médiathèques de CE de travail permet le développement
responsabilités. Début 2008, l’ABF a possèdent une identité singulière : personnel intégral et offre l’opportu-
écrit aux comités d’entreprise possé- la proximité avec les salariés et leurs nité à tous de défendre et faire valoir
dant des médiathèques pour les invi- familles en fait des lieux de culture à les droits universels et indivisibles
ter à créer des postes de bibliothécai- nul autre pareils. Elles sont à la fois correspondant aux valeurs humaines
res là où des salariés de l’entreprise, un patrimoine, une nécessité, une fondamentales. Un apport essentiel
militants de la lecture publique, vont ambition, une liberté, un plaisir, un aux missions de la bibliothèque publi-
se trouver en cessation définitive d’ac- droit dans un univers où la dialectique que telles qu’elles sont définies dans le
tivité. Pourront-ils être remplacés par
d’autres salariés ? Rien n’est moins sûr
contrainte/épanouissement connaît
de fortes turbulences. L’enjeu pour
Manifeste de l’Ifla/Unesco 4. •
dans un contexte de « juste à temps » chaque salarié est l’accomplissement Juillet 2008
qui scande le temps professionnel d’une émancipation durable où l’enri-
et permet difficilement d’établir des chissement de la personnalité de cha-
plannings. Les comités d’entreprise cun sera source de profit pour la col-
devront donc engager des bibliothécai- lectivité. La modernité de l’enjeu tient
res. Une décision contraire ne serait à cette actualité de la médiathèque de
pas sans effet sur la qualité du mouve- comité d’entreprise à une époque où
ment social. le travail s’est culturellement modifié. 4. www.ifla.org/VII/s8/unesco/fren.htm

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