Le Statut juridique de l'enfant dans la legislation allemande 327
Allemands du francais au XVIIIe siecle pour designer « toutes les person-
Le Statut juridique de l'enfant
dans la legislation allemande
Ulrich Kobbe*
En 1991 s'est constitue un groupe franco-allemand de travail clinique
pour aborder le sujet d'une comparaison des textes juridiques et des pra-
tiques concernant le Placement Familial (Familienpflege) en France et en
Allemagne. Notre groupe s'est pourtant vite trouve handicape par le fait
qu'un catalogue terminologique ne contenait pas des significations iden-
tiques/comparables et qu'ainsi il ne suffit pas de tenter une traduction
litterale de certaines expressions, lois ou decrets. Car « pour un traduc-
teur avec une conscience autocritique c'est lui-meme la base de depart de
son travail et l'auteur le point de mire (et pas l'inverse) »'. II nous a
semble plutöt qu'il faudrait essayer de donner d'abord une esquisse de la
structure et de la legislation des aides sociales en RFA pour pouvoir situer
les donnees dans un contexte adequat. Ceci implique sans aucun doute
une certaine idee de la famille (die Familie) qui n'est pas du tout identique
en Allemagne et en France2, meme si le terme a ete adopte par les
* Psychotherapeute en psychiatrie judiciaire (Allemagne).
1. Dedecius Karl, Vom Übersetzen. Theorie und Praxis, Suhrkamp, Frankfurt a.M., 1986, p. 149.
2. Müller Bernd-Dietrich, Familie, en : Leenhardt, J. ; R. Picht (Ed.) Esprit/Geist. Wü
Schlüsselliegriffefür Deutsche und Franzosen, Piper, München/Zürich, 1990, pp. 311-315.
nes qui vivent dans une mesme maison sous un mesme chef » [Diction-
nairede l'Academiefranfaise, 1694].
Je presenterai d'abord la nouvelle loi concernant l'aiäe sociale aux en-
fants et a la jeunesse [Kinder- und Jugendhifegesetz]3 qui s'est substituee ä
une loi de bienfaisance de la jeunesse (Jugendwohlfahrtsge-setz) datant de
1922 et qui n'etait plus du tout conforme avec le developpement et le
changement de la societe (ouest-)allemande et de ses familles. Dejä
l'orientation de cette ancienne loi peut etre caracterisee par une pensee
dans les categories d'un droit disciplinaire [Wiesner, 1990, 2]4. Le röle de
l'Etat se limitait ä des controles et des interventions correctrices sans que
l'enfant ou l'adolescent, sä famille et leur environnement social n'aient
vraiment ete concernes et respectes.
« Puissance » - un marais semantique
Cette nouvelle loi est adoptee depuis le 1er janvier 1991 et implique
des changements peu discutes dans l'opinion allemande qui vont pour-
tant loin dans leurs intentions. Nous trouvons par exemple que le terme
oscillant de la puissance parentale (elterliche Gewalt), qui nous rappeile la
puissance paternelle en France, n'y parait plus. Rendons-nous compte
que le terme « Gewalt » a son origine dans le mot « walten »/« ver-wal-
ten » ce qui veut dire « mini-strer »/« ad-ministrer » en francais et prend
le sens de « regner »/« gouverner » au lieu d'exercer un puissant pouvoir.
Vu le fait que la puissance parentale a ete remplacee en France par l'auto-
rite parentale, nous trouvons en Allemagne maintenant le terme de
« Personensorgerecht » ce qui se laisse approximativement traduire par
droit de soins pour une (certaine) personne. Ce remplacement implique que
l'ancien droit de garantie (du pouvoir) des parents a ete relaye par un
droit qui inclut ainsi le droit de l'enfant (l'adolescent) ä des soins ; ainsi le
droit des parents de les donner/exercer tend ä etre un droit de garantie
pour les enfants. C'est-ä-dire que nous trouvons un changement de pers-
pective non percu par le public qui se trouve(ra) confronte ä une devalo-
risation du role parental et ä une idee idealiste prenant le caractere d'une
Obligation.
II s'agit lä, non seulement d'une autre perspective, mais d'un chan-
gement discursif de paradigme devenant un peu plus clair dans l'analyse
de la nouvelle loi concernant la curatelle en Allemagne : dans l'ancienne
loi il n'y avait qu'une tuteile (Vormundschaft) ou le tuteur etait le porte-pa-
role (Vormund) aussi de l'adulte infantilise de cette facon, comme au
3. Bundesminister für Frauen und Jugend BMFJ. Das neue Kinder- und jugendhilfegesetz, Bonn
1.01.1991. (La nouvelle loi d'nüle ä l'enfunce et ä la jeunesse}.
4. Wiesner (Red.), Das neue Kinder- und Jugendhilfegesclz |Commentaire du ministere pour la
Jeunesse, la famille, les femmes et la sante]. BMJITG, Bonn, 1.07.90.
 Le Placement Familial, im Heu commun ?
32«
stade d'avant 7 ans oü l'infans n'a pas la parole. Cette pratique et cette
definition impliquaient d'une certaine maniere une Image de l'enfant
comme grande personne qui n'a simplement pas encore evolue et qui
rappelle les concepts du Moyen Äge. La transformation, ä partir du 1er
janvier 1992, de cette loi de tuteile pour adultes en une loi d'assistance
(Beistandschaft) suppose qu'il existe — comme en France — une tutelle
pour enfants et une curatelle pour adultes, et que la vision de l'enfant et
de l'adulte ait change en RFA au cours des dernieres decennies — une
affirmation qui reste ä prouver...
Quant au pouvoir des parents, leur autonomie n'est plus du tout ga-
rantie de la meme fac,on qu'en France. Le ministere constate que l'option
de contrats entre les parents d'origine et les parents d'accueil n'a pas ete
acceptee par les parents d'origine ; U definit alors, conformement aux re-
flexions du 54e colloque national des juristes allemands (54. Deutscher
Juristentag) une autorisation supposee (vermutete Bevollmächtigung) des
parents d'accueil pour tout ce qui concerne l'accueil, les soins et l'« abri »
(Obhut) de l'enfant [Wiesner 1990, 9]5, c'est-ä-dire que les parents n'ont
plus toute l'autorite parentale dans ces cas.
Un principe de subsidiarite
Un but de la nouvelle loi eclaire les conceptions de l'aide sociale en
Allemagne : dejä la loi precedente interdisait la concurrence entre les ser-
vices publiques et les associations « libres » de bienfaisance (« freie » Wohl-
fahrtsverbände) qui recoivent — de nouveau — par la nouvelle loi, une
garantie de financement par le secteur public, ainsi qu'une Obligation
d'utiliser cet argent d'une fac.on economique et conforme ä leur mission
[Wiesner 1990, 13-14]5. II s'agit d'un principe de subsidiarite (Subsidiari-
tätsprinzip) qui remonte au dogme social reformule par Pie XI en 1931, et
qui signifie que l'entite sociale doit « esse subsidario » = etre une aide ä
ses membres, eile doit leur faciliter — peut-etre meme rendre possible —
la realisation de ce que le Createur a mis dedans comme dispositions
[Neumann/Schaper 1983, 38]7. La societe elle-meme est comprehensible
comme structure construction en gradins de differents groupes sociaux.
L'etage basal et principal est la plus petite communaute « naturelle », la
famille, qui a des devoirs egalement « naturels », notamment l'education
des enfants, qui sont leurs privileges. C'est seulement quand la famille
n'est pas ä la hauteur de cette täche que cette doctrine sociale prevoit
l'intervention de secours (« subsidiaire ») par le groupe suivant. Et ce
5. Wiesner (Red), op. cit.
6. Ibid.
7. Neumann, L.F.; K. Schaper, Die Sozialordnung der Bundesrepublik Deutschland, Coll.
Schriftenreihe der Bundeszentrale für politische Bildung 176, Bonn, 1983.
Le Statut juridique de l'enfant dans la legislation allemande 329
n'est que si cette aide n'est pas süffisante que le prochain groupe social
pourra intervenir [Ahlheim et al. 1974,198-199]8.
Cette mention des organismes libres de bienfaisance montre un trait
structural important de l'assistance ä la jeunesse en RFA ; nous trouvons :
a) des organismes qui sont diriges, et pour une certaine part finances, par
les Eglises catholiques (Deutscher Caritasverband), protestantes (Diako-
nisches Werk) et juives (Zentralwohlfahrtsstelle der Juden in Deut-
schland) ; b) d'autres grandes organisations « la'iques » comme Arbeiter-
wohlfahrt AYVO (bienfaisance des travailleurs), Deutscher Paritätischer
Wohlfahrtsverband DPWV (association paritaire de bienfaisance) et
Deutsches Rotes Kreuz DRK (Croix-rouge en Allemagne). La Charge cen-
trale de bienfaisance des juifs et la Croix-rouge ne jouent aucun röle dans
le Systeme d'admission provisoire (Freiwillige Erziehunghilfe FEH) et d'as-
sistance educative (Fürsorgeerziehung FE) en Allemagne [Ahlheim et al.
1974, 194]9. Ces organismes classiques sont accompagnes par des asso-
ciations, initiatives d'entraide, comites de soutien prives, locaux et divers,
et forment dans l'ensemble la « colonne vertebrale » des aides sociales
pour enfants.
Ce principe de subsidiarite inclut que tous travaux, engagements et
aides qui peuvent etre realises par ces organisations restent de leur res-
ponsabilite et que l'Etat y intervient — ä part le financement obligatoire
— seulement par des Services publiques s'il n'y a aucun organisme non-
etatique qui veut s'y engager. C'est-ä-dire que le principe de subsidiarite
peut etre compris comme mise en demeure de l'Etat de secourir les petits
groupes sociaux, en particulier la famille, mais egalement de soutenir des
initiatives de petits groupes d'entraide et d'organismes de bienfaisance
comme representants legitimes de la protection sociale en RFA
[Neumann/Schaper 1983, 77]10. Cette construction garantit une partici-
pation des citoyens dans les soins et affaires sociales et leur donne aussi
une influence sur l'aide sociale pour enfants par l'intermediaire des orga-
nisations de bienfaisance dejä mentionnees. L'aide sociale pour enfants
est de cette fagon en Allemagne une administration beaucoup plus
grande qu'en France et eile s'occupe aussi des devoirs qui sont en France
la mission du ministere de la Jeunesse et des sports, etc.
Une Ideologie de la participation des citoyens
La structure de l'aide sociale prevoit la participation des represen-
tants de 1'administration ainsi que de ceux des organismes de bienfai-
8. Ahlheim, R.; W. Hülsemann ; H. Kapczynski; M. Kappeier ; M. Liebel; C. Marzahn ; F.
Werkentin, Gefesselte Jugend. Fürsorgeerziehung im Kapitalismus, Suhrkamp, Frankfurt a.M.,
1974.
9. R. Ahlheim et al., op. cit.
10. L.F. Neumann, K. Schaper, op. cit.

330 Le Placement Familial, im Heu comnntn ?
sance classiques qui se trouvent tous dans l'obligation, la responsabilite et
la possibilite de realiser l'assistance ä la jeunesse. Ce principe donne aussi
acces aux initiatives dites « alternatives » qui s'occupent par exemple
d'adolescents s'etant enfui de chez eux et qui s'engagent, entre autres,
dans le secteur de petits groupes d'accueil pedagogiques. J'ai supervise le
travail d'une de ces organisations « alternatives » pendant onze ans et je
peux temoigner de leurs conflits avec l'administration de l'aide sociale
pour enfants ainsi que de leur travail individuel Oriente sur la reintegra-
tion des adolescents dans la societe. L'engagement des citoyens surgit
d'une maniere exemplaire par une petite annonce dans le quotidien de la
petite ville oü j'habite : « L'aide sociale pour enfants cherche un
couple/une famille d'accueil pour un gargon de neuf ans qui a besoin
d'un placement specialise ».
La relation entre Etat et citoyens se laisse egalement demontrer par
des paragraphes dans la loi concernant l'aide sociale ä la jeunesse oü les
parents ont droit ä (Anspruch auf) differentes aides, par exemple soutien
(Unterstützung), conseil (Beratung) et certaines prestations (Leistungen)
qui revetent meme le caractere d'une offre de prestations (Leistungsan-
gebot). Ceci est comprehensible par les implications du principe de sub-
sidiarite : le droit ä une aide active resulte du fait que les devoirs
« naturels » des petits groupes sociaux doivent etre respectes et proteges
par les groupes plus grands. Et la Subvention d'un organisme de bienfai-
sance n'aura pas lieu pour donner secours au beneficiaire de l'assistance
sociale, mais pour assister cet organisme altruiste dans son besoin
d'amour de son prochain [Ahlheim et al. 1974,198]11.
Ä cöte de ces chances et possibilites existe le revers de la medaille
sous la forme des grands organismes religieux de bienfaisance mention-
nes. Dejä la vie politique en Allemagne est fortement influencee par deux
partis soi-disant « chretiens », l'Union chretienne-democrate (Christlich-
Demokratische Union - CDU) et l'Union chretienne-sociale (Christlich-
Soziale Union - CSU) en Baviere, qui ont ete des partis gouvernementaux
pendant beaucoup d'annees et qui le sont de nouveau depuis 1982. Cette
« Ideologie chretienne » n'est neanmoins pas une simple formule sans
substance fonctionnelle : eile est un important facteur integratif qui se
montre par exemple dans differentes tendances « confessionalisantes »
[Fürstenberg 1978, 124]12 dans la societe allemande. Ceci peut etre inter-
prete selon Fürstenberg [1978, 118]13 comme premier pas nivelant sur le
chemin d'une repartition proportionnelle des confessions, d'une religion
seculaire moderne. Le developpement transposerait les cultes ä l'usage de
11. Ahlheim et al., op. dt.
12. Fürstenbert, Friedrich, Die Sozialstruktur der Bundesrepublik Deutschland. Ein soziologisdier
Überblick, Coll. Studienbücher zur Sozialwissenschaft, 24 Westdeutscher Verlag, Opladen,
1978.
13. Ahlheim et al., op. dt.
Le Statut juriditfue de l'enfant dans la legislation allemande 337
l'Etat et de la societe et les legitimerait plus qu'il serait conforme ä la
vertu d'obligation religieuse des Eglises populaires.
Les cultes prennent petit ä petit une grande influence sur le contenu
« chretien » du travail, imposent certaines conditions aux enfants, aux pa-
rents d'origine, ainsi qu'ä d'administration publique et n'embauchent que
des assistants sociaux ou educateurs specialises qui sont « membres » de
leur Eglise. Comme on peut formellement quitter l'Eglise en RFA en se
declarant devant un bureau du tribunal d'instance et se liberant de cette
faqon aussi des impöts d'Eglise, les nouveaux non-membres perdent im-
mediatement leurs postes dans ces entreprises dites « tendancieuses »
(Tendenzbetrieb). II se trouve une Separation de l'Etat et de l'Eglise sui-
vant la constitution qui implique neanmoins la cooperation des cultes
dans les partis et dans le secteur social et medical.
Un principe fedcral
La RFA etant un etat federal, nous trouvons ces structures föderales
aussi dans le secteur de l'assistance sociale et de l'assistance a la jeunesse,
structures de nouveau soulignees dans la nouvelle loi concernant l'aide
sociale aux enfants et ä la jeunesse. Les devoirs des aides sociales pour en-
fants dans les communes et les Länder (comme equivalent des departe-
ments en France) ne sont pas strictement separes : leur responsabilite
s'oriente maintenant vers la complexite de l'aide necessaire, alors que
toutes les aides educatives (comme soutien et conseil des familles, admis
provisoires (Freiwillige Erziehungshilfe FEH) et assistances educatives
(Fürsorgeerziehung FE) vont etre concentrees au niveau communal
[Wiesner 1990,11-13]14.
La structure federale apporte egalement des des-avantages en ce qui
concerne la politique sociale des Länder ; il existe par exemple une
coalition de ces länder (accrue par l'Union democratique-chretienne ou,
en Baviere, par l'Union chretienne-sociale) avec les organismes de
bienfaisance portes par les Eglises. Donc le projet de lancer un
Programme de meres de jour (Tagesmütter) connaissait en 1976 des
discussions vives et des resistances considerables dans ces regions
« conservatrices », parce que l'image dominante du röle de la femme, de
ses devoirs comme mere restant ä la maison, de la famille, et en con-
sequence toute la doctrine du principe de subsidiarite, paraissait etre mise
en cause. Ces mesures de meres de jour sont pourtant maintenant
contenu integral de la nouvelle loi ainsi que toutes les aides temporaires,
preventives et complementaires soulignees dans cette nouvelle politique
sociale.
14. Wiesner (Red), op. dl.