Pour comprendre le caractère énigmatique de la défaite finale d’Hannibal, il faut d’abord saisir l’énormité de la défaite romaine à Cannes. Tous les généraux, le consul de 217 Gnaeus Servilius Geminus, alors à la tête des forces terrestres romaines, le maître de cavalerie Marcus Minucius, 29 tribuns, 80 sénateurs (sur 300) et magistrats, plusieurs centaines de chevaliers – épine dorsale de l’économie – sont morts. Les suivent dans le trépas 60000 à 70000 soldats romains et alliés. N’ont échappé au massacre qu’environ 3000 fantassins et 670 cavaliers. En y ajoutant les pertes de la Trébie et de Trasimène, en dix-huit mois, le bilan monte à 150 000 morts ! C’est l’équivalent, et même un peu plus, de ce que perdra la France pendant toute la guerre de 14-18, à savoir 20 % des hommes en âge de porter les armes ! La classe politique est décapitée, les finances anéanties et une armée ennemie invaincue se présente à 50 km de la capitale. Comme si, là encore toutes proportions gardées, en 1940, l’Allemagne avait réussi son débarquement en Angleterre, battu les dernières unités britanniques et cerné Londres.
La situation est même pire encore pour les Romains. Au moins, les Britanniques auraient-ils pu compter sur leur empire et leur allié naturel, les États-Unis. Or, le désastre de Cannes donne aussi le signal d’une débandade diplomatique. Le complexe réseau d’alliances et de conquêtes qui avait permis à Rome, en un siècle de luttes, de dominer toute la péninsule, a explosé. Au nord, les turbulentes tribus celtes ont quasiment toutes profité des victoires d’Hannibal pour rejeter le joug romain. Leurs guerriers sont venus gonfler les troupes puniques, apportant leur mépris du danger, la fureur de leur charge et,