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Les Alcooliques anonymes, Quatrième édition: Le « Gros Livre » officiel des Alcooliques anonymes
Les Alcooliques anonymes, Quatrième édition: Le « Gros Livre » officiel des Alcooliques anonymes
Les Alcooliques anonymes, Quatrième édition: Le « Gros Livre » officiel des Alcooliques anonymes
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Les Alcooliques anonymes, Quatrième édition: Le « Gros Livre » officiel des Alcooliques anonymes

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About this ebook

Connu sous le nom de « Gros Livre », le texte de base des Alcooliques anonymes a aidé des millions de personnes dans le monde entier à devenir et à rester abstinents depuis la parution de la première édition en 1939. Les premiers chapitres expliquent le programme de rétablissement de l’alcoolisme des AA – les Douze Étapes d’origine – et raconte les histoires personnelles des cofondateurs des AA, Bill W. et le Dr. Bob.
Dans les pages qui suivent, plus de 40 membres des AA partagent sur comment ils ont arrêté de boire et trouvé un mode de vie plus sain et plus serein au sein du Mouvement des Alcooliques anonymes.
Qu’il en soit lu des passages lors de réunion, qu’on le lise de manière privée pour des réflexion personnelles, ou que l’on travaille dessus avec un parrain ou une marraine, le Gros Livre peut être une source d’inspiration et de réconfort, et un guide sur le chemin du rétablissement. .
Cette quatrième édition du livre Les Alcooliques anonymes a été approuvée par la Conférence des Services généraux.
LanguageFrançais
Release dateJan 27, 2014
ISBN9781940889009
Author

Alcoholics Anonymous World Services, Inc.

Alcoholics Anonymous World Services, Inc. (A.A.W.S.) is the corporate publishing arm of Alcoholics Anonymous, a worldwide fellowship that today numbers over two million individuals recovering from alcoholism. Best known as the publisher of the "Big Book," A.A.W.S.’s mission is to carry the message of recovery from alcoholism through print, ebooks, audio books, video, PSAs and more.

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    Les Alcooliques anonymes, Quatrième édition - Alcoholics Anonymous World Services, Inc.

    PRÉFACE

    Voici la quatrième édition du livre « Les Alcooliques anonymes », une traduction fidèle du livre d’origine « Alcoholics Anonymous ». La première édition a paru en avril 1939 et au cours des seize années qui ont suivi, plus de 300 000 exemplaires ont été mis en circulation. La deuxième édition, publiée en 1955, a été publiée à plus de 1 150 500 exemplaires. Le tirage de la troisième édition qui a paru en 1976 était de 11 698 000.

    Comme ce livre est devenu le texte de base de notre Association et qu’il a aidé un si grand nombre d’hommes et de femmes alcooliques à se rétablir, une forte opinion veut qu’aucun changement radical ne soit apporté dans le livre. La première partie de ce livre qui décrit notre programme de rétablissement AA n’a donc subi pratiquement aucun changement au cours des deuxième, troisième et quatrième éditions¹ ; la section intitulée « L’opinion du médecin » a été conservée intacte, tout comme elle a été écrite à l’origine en 1939 par le regretté Dr William D. Silkworth, un médecin qui fut un grand bienfaiteur de notre Association.

    Dans la deuxième édition, on a ajouté les appendices, les Douze Traditions et le moyen de communiquer avec les AA. Le changement le plus important fut dans la section des histoires personnelles, qui ont augmenté pour refléter la croissance du Mouvement. « L’histoire de Bill », « Le cauchemar du Dr Bob » et une autre histoire personnelle tirée de la première édition ont été reproduites sans changement ; trois histoires ont été éditées et une autre porte un nouveau titre ; deux histoires ont été réécrites avec de nouveaux titres ; trente histoires toutes nouvelles ont été ajoutées ; la section des histoires a été séparée en trois parties, avec les mêmes rubriques utilisées aujourd’hui.

    Dans la troisième édition, la Partie I (« Les pionniers AA ») n’a pas été changée. Neuf des histoires de la Partie II (« Ils ont arrêté à temps ») ont été conservées de la deuxième édition ; huit nouvelles histoires ont été ajoutées. Dans la Partie III, (« Ils ont presque tout perdu ») huit histoires ont été retenues et on en a ajouté cinq nouvelles.

    La quatrième édition comprend Les Douze Concepts du Service mondial et la révision suivante des trois sections des histoires personnelles. Une nouvelle histoire a été ajoutée à la Partie I et deux de celles qui paraissaient avant dans la Partie III ont été déplacées dans cette partie ; six histoires ont été enlevées. Six des histoires dans la Partie II ont été retenues, onze nouvelles ont été ajoutées et onze enlevées. La Partie III comprend maintenant douze nouvelles histoires ; huit ont été enlevées (en plus des deux qui ont été replacées dans la Partie I).

    Tous les changements apportés au cours des années dans le Gros Livre (les membres des AA aiment beaucoup appeler ainsi ce livre) ont été faits dans le même but : représenter plus fidèlement le membership actuel des Alcooliques anonymes pour ainsi atteindre plus d’alcooliques. Si vous avez un problème d’alcool, nous espérons que vous pourrez prendre le temps de lire une des quarante-deux histoires personnelles pour vous dire : « Oui, cela m’est arrivé » ; ou mieux encore : « Oui, c’est ainsi que je me sentais » ; ou plus important : « Oui, je crois que ce programme peut m’aider, moi aussi. »

    ¹ La traduction française a été corrigée pour s’adapter au français international.

    AVANT-PROPOS DE LA PREMIÈRE ÉDITION DE « ALCOHOLICS ANONYMOUS »

    L’avant-propos qui suit est celui qui apparaissait dans le premier tirage de la première édition parue en 1939.

    Nous, les Alcooliques anonymes, sommes au-delà d’une centaine d’hommes et de femmes qui nous sommes remis d’un état physique et mental apparemment désespéré. Le but principal de ce livre est de montrer à d’autres alcooliques comment, exactement, nous nous sommes rétablis. Nous espérons qu’ils trouveront ces pages assez convaincantes pour qu’aucune autre preuve de notre rétablissement ne soit nécessaire. Ce compte rendu de nos expériences devrait, selon nous, aider chacun à mieux comprendre l’alcoolique. Nombreux sont ceux qui ne saisissent pas que l’alcoolique est une personne très malade. Par ailleurs, nous sommes certains que notre mode de vie peut profiter à tous.

    Il est important que nous restions anonymes car nous sommes trop peu nombreux actuellement pour répondre au nombre considérable de sollicitations personnelles qui pourraient faire suite à la parution de ce livre. Et comme la plupart d’entre nous sommes des hommes d’affaires ou des gens de professions libérales, nous ne pourrions pas bien nous acquitter de nos tâches dans une telle éventualité. Les gens doivent comprendre que notre œuvre auprès des alcooliques constitue une activité parallèle.

    Chaque fois que, publiquement, l’un de nos membres doit s’exprimer verbalement ou par écrit sur l’alcoolisme, nous lui conseillons vivement de ne pas mentionner son nom et de se présenter plutôt comme un « membre des Alcooliques anonymes ».

    De la même façon, nous insistons auprès de la presse pour qu’elle observe cette consigne, sans quoi nous serions grandement embarrassés.

    Nous ne formons pas une organisation au sens traditionnel du terme. Nous n’imposons aucuns frais ni droits. Le désir sincère de cesser de boire est la seule condition pour devenir membre. Nous ne sommes ni rattachés ni opposés à aucune religion, secte ou confession. Nous désirons simplement venir en aide à ceux qui sont affligés.

    Nous encourageons ceux que ce livre a secourus à communiquer avec nous, en particulier ceux qui ont déjà commencé à intervenir auprès d’autres alcooliques. Nous aimerions leur apporter notre aide.

    Nous recevrons avec plaisir les demandes de renseignements venant des milieux scientifique, médical et religieux.

    Les Alcooliques anonymes

    AVANT-PROPOS DE LA DEUXIÈME ÉDITION DE « ALCOHOLICS ANONYMOUS »

    Les statistiques données dans cet avant-propos sont celles de notre association en 1955.

    Depuis 1939, année de la rédaction de l’avant-propos original de ce livre, un véritable miracle s’est produit. Dans la première parution, nous exprimions l’espoir « que tout alcoolique qui doit se déplacer puisse trouver l’association des Alcooliques anonymes à son point de destination. Déjà, disait encore le texte d’origine, des groupes de deux, trois et cinq membres sont apparus dans d’autres localités. »

    Seize ans se sont écoulés depuis la première édition de ce livre et la sortie de la deuxième édition en 1955. Pendant ce bref intervalle, les Alcooliques anonymes se sont multipliés pour former près de 6 000 groupes qui totalisent bien au-delà de 150 000 alcooliques rétablis. Des groupes existent dans tous les États américains et dans chaque province du Canada. Le mouvement des AA s’est étendu également à la Grande-Bretagne, aux pays scandinaves, à l’Afrique du Sud, à l’Amérique du Sud, au Mexique, à l’Alaska, à l’Australie et à Hawaï. Somme toute, les AA connaissent des débuts prometteurs dans quelque 50 pays étrangers et possessions américaines. Certains groupes prennent naissance maintenant en Asie. Nous recevons les encouragements de plusieurs de nos amis qui affirment que ce n’est là qu’un début, un simple présage des grandes réalisations à venir.

    L’étincelle dont est né le premier groupe des AA a jailli à Akron dans l’Ohio, en juin 1935, au cours d’une conversation entre un courtier en valeurs mobilières de New York et un médecin d’Akron. Six mois auparavant, le courtier avait été délivré de son obsession de boire grâce à l’expérience spirituelle qu’il avait vécue à la suite d’une rencontre avec un ami alcoolique qui avait été en contact avec les groupes Oxford de l’époque. Il avait aussi grandement bénéficié de l’aide du regretté Dr William D. Silkworth, de New York, médecin spécialiste de l’alcoolisme que les membres des AA vénèrent aujourd’hui comme une sorte de saint de la profession médicale et dont le récit sur les premiers jours de notre association apparaît dans les pages qui suivent. Le courtier avait appris de ce médecin la gravité du mal qu’est l’alcoolisme. Même s’il n’avait pas pu accepter toute la philosophie des groupes Oxford, il était convaincu de la nécessité de l’inventaire moral, d’avouer ses défauts, de réparer les torts causés autour de soi, de venir en aide aux autres et aussi de croire en Dieu et de s’en remettre à Lui.

    Avant son voyage à Akron, le courtier avait beaucoup travaillé auprès d’un grand nombre d’alcooliques, fort de la théorie voulant que seul un alcoolique peut venir en aide à un autre alcoolique, mais il n’avait réussi qu’à demeurer lui-même abstinent. Il était allé à Akron pour des négociations d’affaires qui avaient échoué, ce qui lui avait fait grandement craindre de retourner boire. Il a soudain pris conscience que s’il voulait s’en tirer, il devait transmettre son message à un autre alcoolique. Cet alcoolique, il le trouva en la personne du médecin d’Akron.

    Ce médecin avait tenté à maintes reprises de recourir à des moyens spirituels pour se sortir de l’impasse de l’alcoolisme, mais sans succès. Cependant, lorsque le courtier lui a donné la description de l’alcoolisme et de sa nature désespérée, telle que le Dr Silkworth la voyait, le médecin s’est mis à chercher une solution spirituelle avec une détermination jamais démontrée auparavant. Il est devenu abstinent et n’a jamais touché à l’alcool jusqu’à sa mort, en 1950. Cet événement semblait donc prouver qu’un alcoolique peut en influencer un autre comme aucun non-alcoolique ne peut le faire. Il indiquait également que le travail acharné d’un alcoolique auprès d’un semblable était essentiel à un rétablissement permanent.

    C’est presque avec frénésie que les deux hommes se sont mis à l’œuvre auprès des alcooliques qui arrivaient à l’hôpital d’Akron. Leur tout premier patient, un cas désespéré, s’est rétabli immédiatement pour devenir le troisième membre des AA. Il n’a jamais repris d’alcool. Ce travail entrepris à Akron s’est poursuivi pendant tout l’été de 1935. Les échecs étaient nombreux, mais il se produisait ici et là des succès réconfortants. Lorsque le courtier est retourné à New York à l’automne de 1935, le premier groupe des AA avait été formé, même si personne n’en avait pris conscience à ce moment-là.

    Un deuxième petit groupe avait rapidement pris forme à New York, suivi, en 1937, d’un troisième à Cleveland. Par ailleurs, des alcooliques dispersés un peu partout avaient saisi les principes de base à Akron ou New York et tentaient à leur tour de former des groupes des AA dans d’autres villes. Vers la fin de 1937, le nombre de membres ayant acquis une durée d’abstinence substantielle avait suffit à convaincre les membres qu’une lumière nouvelle brillait sur le monde ténébreux de l’alcoolisme.

    Le temps était venu, pensaient ces groupes valeureux, de diffuser dans le monde leur message et leur expérience unique. Cette décision a porté ses fruits au printemps de 1939, quand ce livre a été publié. À ce moment-là, le Mouvement comptait une centaine d’hommes et de femmes. On a commencé à désigner cette association naissante, jusque-là sans nom, du nom de Alcooliques anonymes, comme le titre du livre qu’elle avait publié. La période de tâtonnements prenait fin et les AA entraient dans une nouvelle phase de leur évolution.

    Beaucoup de choses se sont produites après la parution du livre. Le célèbre homme d’Église Harry Emerson Fosdick l’a examiné et approuvé. À l’automne de 1939, Fulton Oursler, alors éditeur du magazine Liberty, a publié dans ses pages un article intitulé « Alcoholics and God ». Ce texte a entraîné une avalanche de 800 demandes d’aide désespérées au petit bureau de New York qui avait été mis sur pied entre-temps. On prenait la peine de répondre à chacune des demandes ; on expédiait livres et brochures. Les gens du milieu des affaires qui voyageaient dans des endroits où il n’y avait pas de groupes ont été dirigés auprès de ces membres éventuels. De nouveaux groupes ont été formés et on a constaté, au grand étonnement de chacun, que le message des AA pouvait être transmis aussi bien par la poste que par le bouche à oreille. À la fin de 1939, on estimait à 800 le nombre d’alcooliques en voie de rétablissement.

    Au printemps de 1940, John D. Rockefeller fils a offert un dîner pour un grand nombre de ses amis et à cette occasion, il avait invité des membres des AA à venir raconter leur histoire. La nouvelle de cet événement a atteint les agences de presse du monde entier ; les demandes ont abondé à nouveau et de nombreuses personnes sont allées dans des librairies pour acheter le livre Alcoholics Anonymous. Au mois de mars 1941, le nombre de membres avait bondi à 2000. Jack Alexander écrivait alors, dans le Saturday Evening Post, un article dans lequel il dressait pour le public un portrait tellement convainquant des AA que les alcooliques qui avaient besoin d’aide nous ont submergés de demandes. À la fin de l’année 1941, les AA comptaient 8000 membres. Le phénomène de multiplication était en plein essor. Les AA étaient devenus une institution nationale.

    Notre association est alors entrée dans une période de croissance à la fois exaltante et inquiétante. Des questions se posaient : Ces nombreux alcooliques imprévisibles d’hier pouvaient-ils se réunir et travailler ensemble avec succès ? Y aurait-il des querelles à propos d’admission, de direction ou d’argent ? Les membres se disputeraient-ils le pouvoir ou le prestige ? Des dissensions surviendraient-elles qui diviseraient les AA ? L’association a dû rapidement faire face à ces problèmes particuliers sur tous les plans et dans tous les groupes. Mais de cette effrayante et déroutante première expérience il en est ressorti la conviction de plus en plus ferme que les AA devaient survivre ensemble ou mourir chacun de leur côté. Notre Mouvement devait demeurer uni ou disparaître de la scène.

    De la même façon que nous découvrions les principes selon lesquels un alcoolique peut vivre, nous devions développer des principes qui permettraient à l’ensemble des groupes et des membres des AA de survivre et de fonctionner efficacement. On a pensé qu’aucun alcoolique, homme ou femme, ne serait exclu de notre association ; que nos chefs pourraient servir sans jamais gouverner ; que chaque groupe devrait être autonome et qu’il n’existerait pas de thérapie faite par des professionnels. Il n’y aurait ni cotisation ni droit d’entrée ; nos dépenses seraient payées par nos propres contributions volontaires. Il y aurait le minimum d’organisation, même dans nos centres de service. Nos relations publiques seraient fondées sur l’attrait plutôt que sur la réclame. Il a été décidé que tous les membres devraient rester anonymes dans leurs rapports avec la presse, la radio, la télévision et le cinéma. Et en aucun cas nous ne devrions appuyer quelque cause, créer des alliances ou nous engager dans des controverses publiques.

    C’était en substance les Douze Traditions des AA dont on trouve le texte intégral à la page 626 de ce livre. Même si aucun de ces principes n’avait force de loi, on les avait tellement adoptés en 1950 qu’ils ont été entérinés par notre première Conférence internationale tenue à Cleveland. Aujourd’hui, la remarquable unité des AA est l’un des atouts les plus précieux de notre association.

    Pendant que les difficultés internes de notre période d’adolescence s’aplanissaient, le public à pas de géant, acceptait les AA. Il y avait deux raisons à cela : le nombre considérable d’alcooliques rétablis et de foyers réunis. On le remarquait partout. Parmi les alcooliques qui se sont joints aux AA et qui ont fourni un véritable effort, 50 % sont devenus abstinents immédiatement et le sont demeurés ; 25 % sont parvenus à l’abstinence après quelques rechutes, et les autres qui ont continué de fréquenter les AA ont fait des progrès. Des milliers d’autres ont assisté à quelques réunions des AA et ont rejeté le programme dans un premier temps. Mais un grand nombre d’entre eux – deux sur trois environ – sont progressivement revenus.

    L’accueil si généralement favorable fait aux AA s’explique encore par les interventions de nos amis – nos amis des milieux de la médecine, de la religion et de la presse, en plus des innombrables autres personnes qui sont devenues des défenseurs compétents et persévérants de notre cause. Sans leur appui, les AA n’auraient progressé que très lentement. Certaines des recommandations données aux AA par des amis médecins ou religieux sont présentées plus loin dans ce livre.

    Les alcooliques anonymes ne sont pas une organisation religieuse. Nous n’endossons non plus aucun point de vue médical particulier, bien que nous collaborions largement avec le monde médical et avec le monde religieux.

    L’alcoolisme n’établit pas de distinctions sociales : nous constituons un bon échantillonnage de la société américaine et, à l’étranger, on constate actuellement les mêmes résultats. Dans le rassemblement de religions que forment nos membres, nous réunissons des catholiques, des protestants, des juifs, des hindous et quelques musulmans et bouddhistes. Plus de 15 % de nos membres sont des femmes.

    À l’heure actuelle, le nombre de membres des AA augmente d’environ vingt pour cent par année. Jusqu’à maintenant, nous n’avons qu’effleuré le problème global de plusieurs millions d’alcooliques actifs ou éventuels dans le monde. Nous n’atteindrons probablement jamais qu’une fraction raisonnable du mal de l’alcoolisme dans toutes ses ramifications. Nous ne détenons certainement pas le monopole quant à la thérapie à appliquer à l’alcoolique. Mais nous n’en espérons pas moins vivement que tous ceux qui n’ont pas encore trouvé de solution puissent en entrevoir une dans les pages de ce livre pour finalement se joindre à nous sur la voie d’une liberté nouvelle.

    AVANT-PROPOS DE LA TROISIÈME ÉDITION DE « ALCOHOLICS ANONYMOUS »

    En mars 1976, au moment où la présente édition allait sous presse, le nombre total de membres des Alcooliques anonymes dans le monde était estimé, au bas mot, à plus d’un million d’hommes et de femmes répartis dans 28 000 groupes actifs à travers plus de 90 pays.

    Les sondages effectués auprès de groupes aux États-Unis et au Canada indiquent que les AA non seulement atteignent de plus en plus de gens, mais que la portée de leur action est de plus en plus étendue. Maintenant, les femmes constituent plus du quart des membres de l’association ; parmi les nouveaux, près du tiers sont des femmes. Sept pour cent des AA interrogés ont moins de trente ans – parmi eux, plusieurs ont moins de vingt ans.

    Il semble que les principes de base du programme des AA sont efficaces pour les gens ayant des modes de vie différents, tout comme le programme a permis le rétablissement à des personnes de diverses nationalités. Les Douze Étapes qui résument le programme peuvent s’appeler los doce pasos dans un pays, the Twelve Steps dans un autre, mais la voie qu’elles tracent vers le rétablissement est exactement la même que celle qui a été défrichée par les tout premiers membres des Alcooliques anonymes.

    Malgré l’augmentation du nombre de ses membres et de l’étendue de sa présence, notre association conserve sa simplicité et son caractère intime. Chaque jour, quelque part dans le monde, un alcoolique commence à se rétablir parce qu’il a reçu l’aide d’un autre alcoolique qui a partagé avec lui son expérience, sa force, son espoir.

    AVANT-PROPOS DE LA QUATRIÈME ÉDITION DE « ALCOHOLICS ANONYMOUS »

    CETTE quatrième édition de « Alcoholics Anonymous » est sortie des presses en novembre 2001, au début d’un nouveau millénaire. Depuis la publication de la troisième édition en 1976, le nombre de membres des AA du monde entier a presque doublé, pour s’élever à deux millions ou plus, répartis dans 100 800 groupes à travers environ 150 pays dans le monde.

    Les publications ont joué un grand rôle dans la croissance des AA et un phénomène remarquable constaté au cours du dernier quart de siècle a été l’explosion de traductions de notre documentation de base dans plusieurs langues et dialectes. Dans chaque pays où la semence des AA a été plantée, le Mouvement a pris racine, d’abord lentement, puis il a grossi à pas de géant quand les publications ont été disponibles. Le livre « Les Alcooliques anonymes » est actuellement traduit dans quarante-trois langues.²

    En même temps que le message de rétablissement atteignait plus de personnes, il a aussi touché la vie d’une plus grande variété d’alcooliques qui souffrent. Quand a été écrite en 1939 la phrase « Nous sommes des gens qui normalement, ne nous fréquenterions pas », il était question d’une Association composée en grande partie d’hommes (et de quelques femmes) issus de milieux très semblables sur le plan social, culturel et économique. Comme tant de choses dans le texte de base des AA, ces mots se sont avérés beaucoup plus visionnaires que ne l’auraient imaginé les membres fondateurs. Les histoires ajoutées à cette édition représentent un membership aux caractéristiques – âge, sexe, race et culture – élargies et plus approfondies pour inclure pratiquement tous ceux que les cent premiers membres auraient voulu atteindre.

    Bien que nos publications aient préservé l’intégrité du message des AA, des changements radicaux dans l’ensemble de la société se reflètent dans les nouvelles habitudes au sein du Mouvement. Par exemple, la nouvelle technologie permet aux membres des AA équipés d’un ordinateur de participer à des réunions en ligne, de partager avec des amis alcooliques à travers le pays ou autour du monde. Dans toute réunion, partout, les AA partagent leur expérience, leur force et leur espoir les uns avec les autres afin de demeurer abstinents et d’aider d’autres alcooliques. Que ce soit de modem à modem ou face à face, les AA parlent le langage du cœur dans toute sa puissance et sa simplicité.

    ² En 2012, Les Alcooliques anonymes sont traduits en 67 langues.

    L’OPINION D’UN MÉDECIN

    Nous, des Alcooliques anonymes, croyons que l’opinion d’un médecin sur le programme de rétablissement décrit dans ce livre pourra intéresser nos lecteurs. S’il est un témoignage convaincant, c’est bien celui apporté par les médecins qui ont pu se rendre compte de la souffrance de nos membres et qui ont été témoins de leur retour à la santé. Voici la lettre écrite par un médecin célèbre, directeur médical d’un hôpital réputé du pays, spécialiste dans le traitement de l’accoutumance à l’alcool et à la drogue.

    À qui de droit :

    Je suis spécialisé dans le traitement de l’alcoolisme depuis plusieurs années.

    À la fin de 1934, j’ai traité un patient qui, bien qu’il eût été un homme d’affaires compétent et capable de gagner beaucoup d’argent, était alcoolique à un degré que j’en étais venu à juger désespéré.

    Au cours de son troisième traitement, cet homme a acquis certaines idées au sujet des moyens possibles de se rétablir. Dans le cadre de son rétablissement, il a commencé à exposer ses idées à d’autres alcooliques, insistant auprès d’eux pour qu’ils agissent de même envers d’autres. De là a pris naissance une association formée de ces hommes et de leur famille qui s’est développée rapidement. Cet homme et plus d’une centaine d’autres semblent s’être rétablis.

    Personnellement, je connais de nombreux cas où d’autres méthodes avaient été totalement infructueuses.

    Ces faits semblent avoir une extrême importance sur le plan médical ; à cause des extraordinaires possibilités de croissance rapide inhérentes à ce groupe, il se pourrait que nous soyons à l’aube d’une ère nouvelle dans les annales de l’alcoolisme. Il est fort possible que ces hommes puissent apporter un remède à des milliers d’autres dans la même condition.

    Vous pouvez absolument vous fier à tout ce que ces gens racontent au sujet d’eux-mêmes.

    Très sincèrement vôtre,

    William D. Silkworth, m.d.

    Le médecin qui, à notre demande, nous a remis cette lettre, a eu la bonté de préciser davantage son point de vue dans un autre texte qui est reproduit plus loin. Il y confirme ce que nous, qui avons enduré la torture de l’alcoolisme, devons croire, que l’alcoolique a un physique aussi anormal que son esprit. Il ne nous suffisait pas de nous entendre dire que nous ne pouvions pas maîtriser notre consommation d’alcool simplement parce que nous étions mal adaptés à la vie, que nous étions coupés de la réalité ou que nous étions des malades mentaux. Ces choses se vérifiaient jusqu’à un certain point, en fait totalement pour certains d’entre nous. Mais nous avons la conviction que notre corps aussi était affecté. Selon nous, toute description de l’alcoolique qui néglige cet aspect physique de la maladie est incomplète.

    La théorie du médecin selon laquelle nous sommes allergiques à l’alcool présente un intérêt pour nous. En tant que profanes en matière de médecine, notre opinion sur cette théorie est, bien sûr, peu valable. Mais comme ex-buveurs, nous pouvons dire que cette explication est sensée. Elle répond à plusieurs questions qui autrement resteraient sans réponse.

    Même si la solution que nous préconisons est autant spirituelle qu’altruiste, nous conseillons à l’alcoolique atteint de forts tremblements, ou dont l’esprit est très embrouillé, de se faire hospitaliser. La plupart du temps, il importe que le malade recouvre totalement l’esprit, car il aura alors une meilleure chance de comprendre et d’accepter ce que nous avons à lui offrir.

    Ainsi s’exprime le médecin :

    Le sujet traité dans ce livre me semble d’une importance capitale pour les personnes atteintes d’alcoolisme.

    J’affirme cela après plusieurs années d’expérience comme directeur médical de l’un des plus anciens hôpitaux traitant de dépendance à l’alcool et à la drogue dans ce pays.

    Par conséquent, c’est avec une grande satisfaction que j’ai accepté la demande d’écrire quelques mots sur un sujet traité, dans ces pages, avec une telle maîtrise du détail.

    Les médecins ont constaté depuis longtemps qu’une certaine forme de psychologie morale était extrêmement importante pour les alcooliques, mais la mise en pratique de cette méthode présente des difficultés qui dépassent notre entendement. Malgré nos normes ultramodernes d’évaluation, notre approche scientifique devant tous les problèmes, peut-être sommes-nous quelque peu démunis pour tirer parti des forces du bien qui existent en dehors de nos connaissances théoriques.

    Il y a plusieurs années, l’un des plus importants participants à la rédaction de ce livre s’est trouvé soigné dans notre hôpital et pendant son hospitalisation, il a acquis certaines idées qu’il a immédiatement mises en pratique.

    Plus tard, il a sollicité la permission de raconter son histoire à d’autres patients hospitalisés ici et malgré notre inquiétude, nous avons accepté. L’évolution des cas que nous avons suivis était des plus intéressante ; en fait, plusieurs sont étonnants. La générosité de ces hommes, que nous sommes venus à connaître, l’absence totale d’intérêt pécuniaire et leur esprit de communauté sont en effet une source d’inspiration pour celui qui œuvre depuis longtemps et péniblement dans ce monde de l’alcoolisme. Ils croient en eux-mêmes et encore plus en une Force capable de ramener à la vie normale des alcooliques chroniques autrement voués à une mort certaine.

    Certes, un alcoolique doit être libéré de son besoin physique d’alcool, et cela requiert souvent un traitement à l’hôpital avant que des mesures d’ordre psychologique puissent être pleinement profitables.

    Nous croyons, et nous l’avons dit il y a quelques années, que les effets de l’alcool sur ces alcooliques chroniques sont une manifestation de type allergique ; le phénomène d’un besoin maladif d’alcool se limite à cette catégorie de personnes et ne se produit pas chez les buveurs modérés. Les victimes de cette réaction allergique ne peuvent jamais prendre d’alcool sous quelque forme que ce soit en toute tranquillité ; une fois qu’ils ont contracté l’habitude de boire et découvert qu’ils ne peuvent plus s’en défaire, une fois qu’ils ont perdu confiance en eux-mêmes et en toute valeur humaine, leurs problèmes s’accumulent et deviennent étonnamment difficiles à régler.

    Une approche émotive superficielle suffit rarement. Le message susceptible d’intéresser et de retenir l’attention de ces alcooliques doit être intense et puissant. Dans presque tous les cas, leurs idéaux doivent être fondés sur une force plus grande qu’eux-mêmes s’ils veulent être en mesure de refaire leur vie.

    S’il y en a pour qui nous donnons l’impression de verser dans le sentimentalisme en qualité de psychiatres à la direction d’un hôpital, nous invitons ces gens à venir sur la ligne de front avec nous assister aux tragédies, voir les conjointes désespérées, les jeunes enfants. Qu’ils consacrent une partie de leurs activités quotidiennes et même de leurs heures de sommeil à résoudre ces problèmes ; alors les plus cyniques comprendront pourquoi nous avons accepté et encouragé ce mouvement. Après de nombreuses années d’expérience, il semble que nous n’ayons rien trouvé qui contribue davantage à la réhabilitation de ces hommes que l’action désintéressée qui prend maintenant de plus en plus d’ampleur dans leur milieu.

    Hommes et femmes boivent essentiellement parce qu’ils aiment l’effet produit par l’alcool. L’impression d’évasion qu’il procure est telle que même si les buveurs admettent son effet nuisible sur la santé, ils ne peuvent plus, après un certain temps, différencier ce qui est bon de ce qui ne l’est pas. Pour les alcooliques, la vie qu’ils mènent est la seule qui soit normale. Ils sont impatients, irritables et mécontents aussi longtemps qu’ils ne ressentent pas de nouveau cette sensation d’aise et de confort que leur procurent quelques verres – ces verres que d’autres prennent impunément sous leurs yeux. Après qu’ils ont une fois de plus succombé au désir de boire, comme il arrive à un si grand nombre, et que le phénomène de l’obsession s’accentue, les alcooliques traversent les étapes bien connues de la cuite, dont ils émergent bourrés de remords et fermement résolus à ne plus jamais boire. Ce scénario se répète encore et encore et, à moins que cette personne puisse vivre l’expérience d’un changement psychique total, il y a peu d’espoir qu’elle se rétablisse.

    Par ailleurs, et si étrange que cela puisse paraître à ceux qui ne comprennent pas, une fois qu’un changement psychique s’est produit, cette même personne qui semblait condamnée et dont les problèmes étaient tellement nombreux qu’elle désespérait de les résoudre, réussit soudainement sans difficulté à surmonter son besoin d’alcool simplement en s’efforçant d’observer quelques règles simples.

    Des hommes m’ont lancé cet appel sincère et désespéré : « Docteur, je ne peux continuer ainsi ! J’ai toutes les raisons de tenir à la vie ! Il faut que je cesse de boire, mais j’en suis incapable ! Il faut que vous m’aidiez ! »

    Face à ce problème, il doit arriver parfois qu’un médecin, s’il est honnête avec lui-même, reconnaisse sa propre impuissance. Même s’il donne tout ce qu’il peut, souvent ce n’est pas assez. On a le sentiment que quelque chose au-delà de la force humaine est nécessaire pour produire le changement psychique essentiel. Bien que le nombre de personnes rétablies grâce à l’intervention d’un psychiatre soit considérable, nous, médecins, sommes forcés d’admettre que nous avons marqué très peu de points dans la solution du problème pris dans son ensemble. Nombreux sont les alcooliques qui ne peuvent pas répondre à l’approche psychologique traditionnelle.

    Je ne suis pas d’accord avec ceux qui voient en l’alcoolisme uniquement un problème de maîtrise mentale. J’ai connu plusieurs hommes qui, par exemple, avaient travaillé pendant des mois sur une question ou sur une affaire dont le dénouement, prévu pour un jour précis, devait être en leur faveur. Ces hommes ont pris un verre à environ un jour de la date fixée et dès lors, le besoin irrésistible de boire a pris le dessus sur toute autre chose, de sorte que la rencontre importante n’a jamais eu lieu. Ces hommes ne buvaient pas pour fuir la réalité ; ils buvaient pour satisfaire un besoin de boire au-delà de tout entendement.

    Il arrive souvent que les situations résultant de ce besoin impérieux amènent certains hommes à faire le sacrifice suprême plutôt que de continuer à lutter.

    La classification des alcooliques semble une tâche des plus difficiles, et la faire avec force détails dépasse l’objet de ce livre. Il y a bien sûr les psychopathes, qui sont émotionnellement instables. Nous connaissons bien cette catégorie de patients. Ceux-ci se mettent toujours « au sec pour de bon ». Ils sont rongés par le remords et prennent plusieurs résolutions, mais jamais de décisions.

    Il y a le genre d’homme qui refuse d’admettre son incapacité à prendre de l’alcool. Il pense à diverses façons de boire. Il varie ses consommations ou change d’environnement. Il y a le type d’alcoolique qui demeure convaincu qu’après une longue période d’abstinence, il sera capable de prendre un verre sans risque. On rencontre également le style maniaco-dépressif, qui est peut-être le moins compris par ses amis et sur qui on pourrait écrire tout un chapitre.

    Puis il existe des personnes qui se comportent normalement sur tous les plans, sauf en ce qui concerne l’alcool. Ils sont souvent talentueux, intelligents et aimables.

    Toutes ces personnes, ainsi que beaucoup d’autres, ont un symptôme en commun : elles sont incapables de boire sans contracter un goût immodéré pour l’alcool. Ce phénomène, comme nous l’avons suggéré, pourrait être la manifestation d’une allergie qui différencie ces gens et les place dans un groupe à part. Cette réaction face à l’alcool n’a jamais été enrayée de façon permanente par aucun traitement connu quel qu’il soit. Le seul remède que nous pouvons conseiller est l’abstinence totale.

    Cela nous précipite au milieu d’un chaud débat. De nombreuses opinions ont été émises, les unes en faveur de l’abstinence, les autres contre ; mais dans le milieu médical, l’opinion générale est que la plupart des alcooliques chroniques sont condamnés.

    Quelle est la solution ? Je ne saurais sans doute mieux répondre qu’en décrivant l’une de mes expériences.

    Environ une année auparavant, un homme a été admis à l’hôpital pour alcoolisme chronique. Il s’était partiellement rétabli d’une hémorragie gastrique et semblait présenter des symptômes de détérioration mentale pathologique. Il avait perdu tout ce qui compte dans la vie ; seul le goût de l’alcool semblait le maintenir en vie. Il admettait ouvertement qu’il n’y avait plus d’espoir pour lui. Après la période de désintoxication, on n’a pas trouvé de dommage permanent causé à son cerveau. Il a accepté de suivre le programme exposé dans ce livre. Une année plus tard, il a demandé à me voir et j’ai alors ressenti une sensation très étrange. Je connaissais cet homme de nom et je reconnaissais quelque peu ses traits, mais là s’arrêtait toute ressemblance. L’individu tremblant, désespéré et à bout de nerfs, avait fait place à un homme débordant d’aise et d’assurance. Je me suis entretenu avec lui pendant un moment, mais je ne pouvais toujours pas me convaincre que j’avais déjà connu cet homme. Lorsqu’il m’a quitté, je ne l’avais toujours pas reconnu. Beaucoup de temps s’est écoulé depuis sans qu’il ne retouche à une goutte d’alcool.

    Lorsque j’ai besoin de me remonter le moral, je me rappelle le cas d’un autre homme qu’un éminent médecin de New York m’avait adressé. Le patient avait établi lui-même son diagnostic, puis, ayant conclu que sa condition était sans espoir, s’était caché dans une grange abandonnée, déterminé à mourir. Il a été trouvé par une équipe de recherches et conduit chez moi dans une condition désespérée. À la suite de sa réhabilitation physique, il m’a dit franchement qu’il considérait son traitement comme peine perdue, à moins que je ne puisse lui assurer – ce que jamais personne n’avait fait – que dans l’avenir, il démontrerait « assez de volonté » pour résister à l’envie de boire.

    Sa condition d’alcoolique était tellement compliquée et son état dépressif tellement avancé que nous avons cru que son seul espoir résidait dans ce que nous appelions alors la « psychologie morale » ; même cela, croyions-nous, n’aurait peut-être aucun effet.

    Cependant, il en est venu effectivement à adopter les idées contenues dans ce livre. Il n’a pas pris un verre depuis très longtemps. Je le vois de temps à autre et son comportement est comparable à celui que l’on souhaite trouver chez tout homme.

    Je recommande vivement à tous les alcooliques de lire ce livre jusqu’à la dernière page, et s’il s’en trouve parmi eux qui le font avec l’intention de se moquer, il pourrait arriver que ceux-là mêmes restent pour prier.

    William D. Silkworth, m.d.

    Chapitre 1

    L’HISTOIRE DE BILL

    LA fièvre de la guerre était grande dans la petite ville de Nouvelle-Angleterre où, jeunes officiers frais émoulus de Plattsburg, nous avions été cantonnés. Comme nous étions flattés lorsque les notables nous ouvraient la porte de leur maison, nous donnant le sentiment d’être des héros ! Tout chantait l’amour, le triomphe, la guerre ; moments sublimes ponctués d’intervalles des plus joyeux. Enfin je participais à la vie et, au milieu de l’allégresse, j’ai découvert l’alcool pour la première fois. J’avais oublié les sévères mises en garde et les préjugés de ma famille au sujet de l’alcool. Le moment venu, nous nous sommes embarqués pour « là-bas... outre-mer ». Comme je m’ennuyais beaucoup, je me suis de nouveau tourné vers l’alcool.

    Nous avons débarqué en Angleterre. J’ai visité la cathédrale de Winchester. Très ému, je suis allé me promener. Mon attention fut attirée par une épitaphe gravée sur une vieille pierre tombale :

    Ci-gît un grenadier du Hampshire

    Qui passa de vie à trépas

    Parce qu’il buvait trop de bière.

    On n’oublie pas un bon soldat

    Qu’il meure par le mousquet

    Ou par le pichet.

    C’était là un sinistre avertissement que je n’ai pas su prendre au sérieux.

    Lorsque je suis enfin rentré au pays, à vingt-deux ans, j’étais déjà un vétéran des guerres à l’étranger. Je croyais en mes qualités de chef : les hommes de mon bataillon ne m’avaient-ils pas donné un témoignage spécial d’appréciation ? Mes aptitudes de meneur me hisseraient – je me plaisais à le croire – à la tête de vastes entreprises que je dirigerais avec la plus grande assurance.

    J’ai suivi un cours du soir en droit et par la suite, j’ai décroché un emploi comme inspecteur dans une société de cautionnement. La course à la réussite était commencée. J’allais prouver au monde entier que j’étais quelqu’un. Mon travail m’a amené à Wall Street et, peu à peu, je me suis intéressé au marché des valeurs. Beaucoup y perdaient de l’argent, mais d’autres y faisaient fortune. Pourquoi pas moi ? J’ai étudié l’économie et les sciences commerciales en plus du droit. En raison de mon penchant pour l’alcool, j’ai failli échouer à mon cours de droit. Je me suis présenté à l’un des derniers examens trop ivre pour écrire ou même penser. Même si je ne buvais pas encore de façon continue, ma femme s’inquiétait. Nous avions de longues conversations au cours desquelles je tentais de la rassurer en lui disant que les hommes de génie avaient eu leurs meilleures idées sous l’effet de l’alcool... que les plus sublimes théories philosophiques étaient nées de la même façon.

    À la fin de mon cours de droit, je savais déjà que je n’étais pas fait pour cette discipline. J’étais envoûté par le tourbillon de Wall Street. Les bonzes de la finance et du monde des affaires étaient mes héros. Mêlant alcool et spéculation, j’ai commencé à forger l’arme qui un jour se retournerait contre moi, comme un boomerang, et me réduirait en pièces. En réduisant nos dépenses, ma femme et moi avions économisé 1 000 dollars. Cet argent a servi à acheter des titres alors bon marché et peu recherchés. J’avais pensé, avec raison, que ces titres prendraient beaucoup de valeur un jour. Je n’avais pas réussi à convaincre mes amis de la bourse de m’envoyer examiner la gestion d’usines et d’entreprises, mais j’ai décidé avec ma femme d’y aller quand même. J’avais développé la théorie voulant que la plupart des gens perdaient de l’argent à la bourse à cause de leur ignorance des marchés. Plus tard, j’allais découvrir beaucoup d’autres raisons.

    Nous avons quitté nos emplois pour partir à l’aventure sur une motocyclette dont nous avions chargé le side-car d’une tente, de couvertures, de vêtements de rechange et de trois énormes annuaires de références boursières. Nos amis nous disaient fous à lier. Ils avaient peut-être raison. Grâce à quelques spéculations heureuses, nous avions un peu d’argent de côté, mais il nous est arrivé une fois de devoir travailler dans une ferme pendant un mois pour éviter de puiser dans notre petit capital. Je n’allais pas connaître avant fort longtemps un autre travail manuel honnête. En une année, nous avons couvert tout l’Est des États-Unis. Les rapports que j’avais envoyés à Wall Street pendant ce temps m’ont valu à notre retour un poste associé à un compte de frais. Cette année-là, l’exercice d’un droit d’option a donné lieu à des rentrées de fonds supplémentaires qui se sont traduites par un profit de plusieurs milliers de dollars.

    Au cours des quelques années qui ont suivi, la chance m’a apporté argent et honneurs. J’avais réussi. Nombreux étaient ceux qui adoptaient mes idées et se fiaient à mon jugement dans cette ronde des millions sur papier. La grande vague de prospérité de la fin des années vingt déferlait sur le monde économique. Prendre un verre était devenu une chose importante pour moi et mettait du piquant dans ma vie. En ville, on parlait haut et fort dans les boîtes de jazz. On dépensait des milliers et on parlait en millions. Les railleurs pouvaient bien se moquer et aller au diable. Je m’étais fait une foule d’amis des beaux jours.

    Ma consommation d’alcool a augmenté sérieusement. Je buvais continuellement le jour et presque tous les soirs. Les remontrances de mes amis dégénéraient en disputes et je me suis retrouvé tel un loup solitaire. Il y a eu de nombreuses scènes malheureuses dans notre somptueux appartement. Je n’avais jamais été réellement infidèle à ma femme car ma loyauté envers elle, parfois aidée par mon état extrême d’ébriété, me gardait de ces ennuis.

    En 1929, j’ai eu la fièvre du golf. Nous nous sommes aussitôt installés à la campagne où ma femme m’applaudissait pendant que je tentais de surpasser les exploits de Walter Hagen. L’alcool a cependant pris le dessus plus vite que je n’ai pu rattraper Walter. J’ai commencé à être saisi de tremblements le matin. Le golf constituait une occasion de boire tous les jours et tous les soirs. Je prenais plaisir à évoluer sur le parcours du club sélect qui m’avait tant impressionné lorsque j’étais jeune. J’affichais le magnifique bronzage des biens nantis. Le banquier de la localité me regardait déposer et encaisser de gros chèques avec un scepticisme amusé.

    Puis, en octobre 1929, brusquement, l’enfer s’est déchaîné à la bourse de New York. À la fin d’une de ces journées infernales, je passais en titubant du bar d’un hôtel à un bureau de courtage. Il était huit heures, la bourse avait fermé ses portes cinq heures plus tôt. Le télégraphe fonctionnait encore. Je fixais un bout de papier sur lequel était inscrit XYZ-32. Le matin du même jour, ce titre cotait à 52. J’étais ruiné et plusieurs de mes amis aussi. Les journaux rapportaient que des hommes s’étaient suicidés en se jetant du haut des tours de la bourse. Cela me révoltait. Moi, je ne me suiciderais pas. Je suis retourné au bar. Mes amis avaient perdu plusieurs millions depuis dix heures le matin. Et alors ? Demain était un autre jour. Tout en buvant, je me suis senti envahi à nouveau par la même détermination féroce de gagner que j’avais autrefois.

    Le lendemain matin, j’ai téléphoné à un ami de Montréal. Il lui restait encore beaucoup d’argent. Il croyait que je ferais mieux d’aller m’installer au Canada. Le printemps suivant, ma femme et moi avions repris notre train de vie habituel. Je me sentais comme Napoléon au retour de l’île d’Elbe. Pas d’île Sainte-Hélène pour moi ! Mais l’alcool m’ayant rattrapé, mon généreux ami fut contraint de se séparer de moi. Cette fois, nous allions rester sans argent.

    Nous sommes allés vivre chez les parents de ma femme. J’ai trouvé un emploi que j’ai perdu par la suite à cause d’une querelle avec un chauffeur de taxi. Heureusement, personne ne pouvait deviner que pendant cinq ans, j’allais demeurer sans emploi véritable et ne pas dégriser un seul instant. Ma femme avait trouvé du travail dans un grand magasin et quand elle rentrait à la maison épuisée, elle me trouvait soûl. Chez les courtiers, où je traînais, j’étais devenu un indésirable.

    L’alcool n’était désormais plus un luxe mais une nécessité. Deux et parfois trois bouteilles de gin de contrebande par jour avaient fini par constituer ma ration coutumière. De temps en temps, une petite transaction me rapportait quelques centaines de dollars ; j’acquittais alors mes dettes dans les bars et les casse-croûte. Le même manège se répétait sans cesse et j’ai commencé à m’éveiller très tôt le matin, secoué de violents tremblements. Il me fallait boire au moins un grand verre de gin et six bouteilles de bière avant d’être en mesure de prendre mon petit déjeuner. Néanmoins, je demeurais convaincu de pouvoir maîtriser la situation et je traversais des périodes de sobriété qui redonnaient espoir à ma femme.

    Les choses se sont détériorées peu à peu. Le créancier hypothécaire a saisi la maison, ma belle-mère est morte, ma femme et mon beau-père sont tombés malades.

    C’est alors qu’une affaire prometteuse s’est présentée. Les actions étaient à leur plus bas niveau pour l’année 1932 et j’avais réussi tant bien que mal à former un groupe d’acheteurs. Je devais toucher une part généreuse des profits. Une cuite magistrale m’a fait perdre cette occasion.

    Ce coup m’a ouvert les yeux. Il fallait que ça cesse. Je me suis rendu compte que je ne pouvais plus prendre même un seul verre. J’en avais fini pour toujours. Jusque-là, j’avais fait quantité de belles promesses, mais ma femme a senti, tout heureuse, que j’étais vraiment sérieux cette fois. Effectivement, je l’étais.

    Peu de temps après, je suis rentré ivre à la maison. Je n’avais même pas résisté. Qu’était-il donc arrivé de ma grande résolution ? Je n’en avais pas la moindre idée. Je n’y avais même pas pensé. Quelqu’un m’avait tendu un verre et, tout bonnement, je l’avais pris. Étais-je fou ? Je commençais à me le demander ; tant d’inconséquence me semblait frôler la démence.

    J’ai renouvelé ma résolution et j’ai essayé de nouveau. Après un certain temps, la confiance que j’avais acquise a commencé à faire place à la présomption. Je pouvais tourner le dos aux bars et à l’alcool. J’avais désormais ce qu’il fallait ! Un jour, je suis entré dans un café pour téléphoner. En un rien de temps, j’étais au bar, martelant le comptoir en me demandant comment c’était arrivé. À mesure que le whisky me montait à la tête, je me disais que je m’en tirerais mieux la prochaine fois mais que pour l’instant, il valait mieux prendre un bon coup. Ce que j’ai fait.

    Je ne pourrai jamais oublier le remords, l’horreur et le désespoir que j’ai ressentis aux premières lueurs du jour. Le courage de combattre n’y était tout simplement pas. Je n’arrivais pas à mettre de l’ordre dans ma tête agitée et j’avais le sentiment terrible d’une catastrophe imminente. Il faisait à peine jour. Je n’osais traverser la rue de peur de m’effondrer et d’être écrasé par un camion. Je suis entré dans un établissement ouvert toute la nuit pour y boire une douzaine de verres de bière. Mes nerfs crispés se sont enfin calmés. En lisant le journal du matin, j’ai appris que le marché avait encore une fois coulé à pic. Comme moi. Le marché s’en remettrait, mais pas moi. Cette pensée m’a fait mal. Me suicider ? Non, pas maintenant. Puis, mon esprit s’est embrouillé et alourdi. Un gin arrangerait les choses. Alors, j’ai pris deux bouteilles et... tout est tombé dans l’oubli.

    Le corps et l’esprit sont de merveilleuses machines car les miens ont résisté à cette agonie pendant deux autres années. Parfois, lorsque la terreur et la folie du matin s’emparaient de moi, je volais de l’argent dans le maigre porte-monnaie de ma femme. Puis, étourdi et vacillant, j’allais à la fenêtre ouverte ou jusqu’à l’armoire à pharmacie où était rangé du poison et là, je me traitais de poule mouillée. Ma femme et moi faisions des aller et retour de la ville à la campagne pour chercher à fuir cette situation. Un soir, la torture physique et mentale est devenue si atroce que j’ai eu peur de sauter par la fenêtre. Pour échapper à la tentation, j’ai traîné tant bien que mal mon matelas jusqu’à l’étage inférieur. Un médecin est venu m’administrer de puissants sédatifs. Le lendemain, je mêlais gin et sédatifs. Ce cocktail eut vite fait de me terrasser. On craignait pour ma santé mentale. Moi de même. Lorsque je buvais, je ne mangeais rien ou presque rien et j’étais quarante livres au-dessous de mon poids normal.

    Grâce à la sollicitude de ma mère et de mon beau-frère médecin, j’ai été admis dans un hôpital reconnu dans tout le pays pour son programme de réhabilitation physique et mentale pour alcooliques. Sous les effets d’un traitement à la belladone, mon esprit s’est éclairci. L’hydrothérapie et de légers exercices m’ont aussi fait du bien. Mieux encore, j’ai connu un médecin compréhensif : il m’a expliqué que si j’étais incontestablement égoïste et écervelé, j’avais néanmoins été gravement malade, physiquement et mentalement.

    J’ai été quelque peu soulagé d’apprendre que chez les alcooliques, la volonté est étonnamment faible lorsqu’il s’agit de combattre l’alcool alors que, souvent, elle est ferme dans d’autres domaines. Je trouvais enfin une explication à mon comportement incroyablement en désaccord avec mon désir intense de cesser de boire. Comprenant enfin ma condition, je suis parti, plein d’espoir. Pendant trois ou quatre mois, l’optimisme m’a donné des ailes. J’allais en ville régulièrement et j’ai même fait un peu d’argent. La connaissance de soi, voilà où se trouvait sûrement la réponse.

    Ce n’était pas la bonne réponse car le jour terrible est venu où j’ai bu de nouveau. Ma santé morale et physique a coulé à pic. Après un certain temps, je suis retourné à l’hôpital. J’ai eu l’impression que c’était la fin, le tomber de rideau. Ma pauvre femme, exténuée et désespérée, a été prévenue de mon état : j’allais mourir d’une défaillance cardiaque au cours d’une crise de delirium tremens, ou bien devenir un cas d’imprégnation éthylique peut-être en moins d’un an. Bientôt, elle devrait se résoudre à me confier aux soins des pompes funèbres ou d’un hôpital psychiatrique.

    Personne n’avait besoin de me le dire. Je le savais déjà, et j’en étais presque heureux. C’était un coup mortel porté à mon orgueil. Voilà que moi, qui avais une si haute opinion de moi-même, de mes aptitudes et de ma capacité à surmonter les obstacles, j’étais finalement battu. J’allais maintenant plonger dans le noir, me joignant au défilé sans fin des idiots qui étaient déjà passés par là. Je pensais à ma pauvre femme. Nous avions été très heureux malgré tout. Qu’est-ce que je n’aurais pas fait pour me faire pardonner ! Mais il était désormais trop tard.

    Il n’y a pas de mots pour décrire la solitude et le désespoir que j’ai vécus dans l’amère noirceur de l’apitoiement. Je me sentais comme entouré de sables mouvants. J’avais trouvé un adversaire à ma mesure. J’étais vaincu. L’alcool était devenu mon maître.

    Lorsque j’ai quitté l’hôpital en tremblant, j’étais un homme brisé. La peur m’a empêché de boire un moment. Puis, le jour de l’Armistice en 1934, l’insidieuse aberration de ce premier verre m’a repris et encore une fois, j’ai recommencé. Tous s’étaient résignés et acceptaient l’éventualité certaine de mon internement ou de ma fin misérable. Comme il fait noir avant l’aurore ! En fait, je vivais le début de ma dernière débâcle. J’étais sur le point d’être catapulté dans ce qu’il me plaît d’appeler la quatrième dimension de l’existence. J’allais découvrir le bonheur, la paix et une raison d’être grâce à un mode de vie qui se révèle incroyablement plus merveilleux de jour en jour.

    Un de ces tristes après-midi de la fin de novembre, je prenais un verre, assis dans ma cuisine. J’étais assez content de penser qu’il y avait suffisamment de gin caché dans la maison pour me permettre de passer la nuit et le jour suivant. Ma femme était au travail. Je me demandais si j’oserais cacher une bouteille de gin près de la tête de notre lit. J’en aurais besoin avant le jour.

    Le téléphone a interrompu ma rêverie. D’une voix remplie de bonne humeur, un ancien camarade d’école me demandait s’il pouvait passer me voir. Il était à jeun. Je ne me souvenais pas qu’il soit venu à New York dans cet état depuis des années. J’étais abasourdi. La rumeur avait couru qu’il avait dû être enfermé pour démence alcoolique. Je me demandais comment il avait pu s’en sortir. Bien sûr, il dînerait à la maison et alors je pourrais boire avec lui sans me cacher. Peu soucieux de son bien-être, je pensais seulement à retrouver l’ambiance des jours passés. Un jour, nous avions affrété un avion pour terminer une cuite ! Sa venue me semblait une oasis dans le triste désert de ma vie insignifiante. C’était bien cela, une oasis ! Les buveurs sont ainsi faits.

    Lorsque la porte s’ouvrit, il se tenait là, le teint frais et l’air épanoui. Il avait quelque chose de particulier dans le regard. Il était différent, sans que je puisse expliquer comment. Que s’était-il passé ?

    Je lui ai tendu un verre. Il a refusé. Déçu mais curieux, je me demandais ce qui était arrivé à mon ami. Il n’était pas lui-même.

    « Voyons, qu’est-ce qui se passe ? » ai-je demandé.

    Il m’a regardé droit dans les yeux. Simplement, mais en souriant, il m’a dit : « J’ai trouvé la religion. »

    J’étais horrifié. C’était donc ça : l’été dernier, cinglé de l’alcool, maintenant, j’en avais bien l’impression, cinglé de la religion. Il y avait de l’émerveillement dans ses yeux. Mon ancien copain s’était bel et bien enflammé pour la religion. Mais je voulais bien le laisser discourir ! Et puis mon gin durerait plus longtemps que son sermon.

    Mais il a parlé sans emphase. Posément, il m’a raconté comment deux hommes s’étaient présentés à la cour et avaient persuadé le juge de suspendre sa sentence d’internement. Ils avaient fait mention d’une idée simple fondée sur la religion et d’un programme d’action à mettre en pratique. Cela s’était produit deux mois auparavant, et le résultat était éloquent. Ça marchait !

    Il était venu me faire bénéficier de son expérience, si je le désirais. J’étais renversé, mais la chose m’intéressait ! Bien sûr qu’elle m’intéressait ! Je ne pouvais faire autrement car je n’avais plus d’espoir.

    Il a parlé pendant des heures. Les souvenirs de mon enfance me revenaient à l’esprit. Il me semblait entendre, comme autrefois lors de paisibles dimanches, le prédicateur dont la voix me parvenait au loin, sur la colline où j’étais assis ; j’ai pensé au vœu de tempérance que je n’avais jamais prononcé, au mépris bonhomme de mon grand-père pour certaines gens d’Église et leurs agissements ; je me rappelais comment mon grand-père croyait à la musique des sphères célestes mais refusait aux prédicateurs le droit de lui dire comment l’écouter et son absence de peur alors qu’il parlait de ces choses juste avant de mourir. Tous ces souvenirs refaisaient surface. J’en avais la gorge serrée.

    J’ai repensé à ce jour de la guerre où j’avais visité la cathédrale de Winchester.

    J’avais toujours cru en une Puissance supérieure. J’avais souvent réfléchi à ces choses. Je n’étais pas athée. Peu de gens le sont réellement car l’athéisme implique une foi aveugle dans l’hypothèse étrange que cet univers est sorti du néant et ne mène nulle part. Mes idoles intellectuelles – les chimistes, les astronomes et même les évolutionnistes – supposaient que de grandes lois et de grandes forces régissaient ce monde. En dépit d’indices qui laissaient croire le contraire, il me semblait évident qu’un principe et un ordre puissants sous-tendaient tout cela. Comment pouvait-il exister tant de lois précises et immuables sans l’intervention d’une forme d’intelligence ? Je ne pouvais faire autrement que de croire en un Esprit de l’univers, lequel ne connaissait ni temps ni limites.

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