You are on page 1of 3

DICTIONNAIRE

CRITIQUE ET
INTERDISCIPLINAIRE
DE LA
PARTICIPATION Not ions

Proximité géographique
Yankel FIJALKOW
Professeur t it ulaire
Sociologie urbaine
ENSAPLV - École Nat ionale Supérieure d'Archit ect ure Paris Val de Seine

juin 2013

Ceux qui s’at t achent à mobiliser les act eurs des t errit oires ont souvent rencont ré la not ion
de proximit é géographique. N’est -ce pas sur le fondement du proche que sont const ruit es
les polit iques de la part icipat ion et du développement local : proximit é des individus, des
groupes, des act ivit és économiques, des affinit és int ellect uelles. On at t end beaucoup de la
proximit é géographique : développement économique, social, synergie des volont és,
démocrat ie. Mais peut -elle vraiment t enir t out es ces promesses ? À quelles condit ions ?

L a proximit é géographique correspond à la dist ance ent re deux ent it és différent es


(individus, ménages, lieux, espaces…). Pour les géographes, cet ent re deux lieux est la
nat ure même de l’espace (Brunet , 1992). Elle peut êt re mesurée sur un plan mét rique mais
aussi prendre en compt e le t emps ou le coût du t ransport ainsi que le franchissement de
limit es. La not ion de proximit é comport e deux propriét és essent ielles. Elle est graduelle (on
est plus ou moins loin de, plus ou moins près de) et elle est relat ive, not amment aux
moyens de t ransport .

Bien que souvent object ivée dans des cart es, des st at ist iques et des schémas, la
proximit é n’est pas une donnée object ive. Elle relève de l’opinion des groupes sociaux se
jugeant plus ou moins éloignés les uns des aut res qu’ils s’en félicit ent ou le déplorent . Ainsi
la proximit é est -elle une donnée symbolique qui mobilise différemment l’espace bât i selon
les cult ures nat ionales (Hall, 1984 [1966]). Elle affect e aussi les rapport s int erindividuels
st ruct urés par des jeux de mises à dist ances et de product ion de rôles (Goffman, 1973).

Trois débat s quest ionnent cet t e not ion. D’une part , les chercheurs et les prat iciens du
t errit oire s’int errogent sur la capacit é de la proximit é géographique à produire du lien social.
D’aut re part ils se quest ionnent sur l’efficience de la proximit é géographique dans le monde
act uel caract érisé par l’act ion à dist ance grâce aux nouvelles t echnologies. Mais quelle que
soit la réponse à ces deux quest ions, l’inégalit é des individus et des groupes sociaux a une
influence sur leur capacit é d’accès aux ressources t errit oriales, dont la proximit é
géographique est part ie prenant e.

La quest ion de savoir si la proximit é produit du lien, du conflit ou de l’indifférence a animé de


nombreux débat s en urbanisme. La ville se caract érisant par sa densit é physique et sociale,
les sociologues de l’école de Chicago ont considéré dès les années 1930 qu’elle produit à la
fois des relat ions superficielles et segment aires (Simmel, 1979) et des communaut és
locales fondées sur des liens sociaux fort s. Ainsi, le ghet t o décrit par Louis Wirt h (1980)
correspond à une fort e proximit é des agent s sociaux. Néanmoins, des débat s plus récent s
ont mont ré que la proximit é spat iale ne réduisait pas la dist ance sociale voire la creusait . Tel
est par exemple le résult at de l’enquêt e de Chamboredon et Lemaire (1970) sur les grands
ensembles des Trent e glorieuses, alors qu’ouvriers et cadres ét aient t enus de cohabit er
dans les quart iers d’habit at social. Chacun t enant à se comparer et à s’évit er des
mécanismes de micro ségrégat ion ét aient à l’œuvre dans les lieux et équipement s publics.
Aujourd’hui, ce résult at est souvent opposé aux polit iques souhait ant développer la mixit é
sociale en considérant que la proximit é spat iale de populat ions différent es const it ue une
manière de promouvoir les plus déshérit és (Simon et Lévy, 2005). Au-delà de la discussion
de la not ion de mixit é, l’argument de la proximit é mobilisé dans ce débat relève d’une
idéologie spat ialist e, selon laquelle les configurat ions spat iales (ici la proximit é
géographique de t ous avec t ous) peuvent agir direct ement sur les comport ement s sociaux.
C’est dans cet t e veine que se t isse aujourd’hui le concept de démocrat ie de proximit é, qui
a, en France, fait l’objet d’une loi (2002) const it uant le quart ier au t ravers du conseil de
quart ier comme une échelle propice au développement de la prise de parole des habit ant s,
même consult at ive (Blondiaux, 2000). Dans ce cadre le danger que peut const it uer, dans un
cont ext e de gent rificat ion, la dominat ion cult urelle d’un groupe social local sur un aut re est
minimisée (Bacqué et Fijalkow, 2006).

Néanmoins, la t hèse de Maurice Halbwachs selon laquelle l’espace peut êt re influant en


fonct ion de la percept ion qu’en ont les act eurs sociaux rest e d’act ualit é (Fijalkow, 2007).
Pour se rapprocher de cet t e hypot hèse fondament ale et se préserver du spat ialisme
(Busquet , 2009), des géographes soulignent que l’on doit sort ir de la pensée euclidienne qui
st ruct ure la mét rique t radit ionnelle et int roduire d’aut res mesures de la proximit é, comme
not amment les not ions de mét rique t opographique et t opologique (Lévy, 2008). En effet , si
l’espace est relat if et relat ionnel, la proximit é est fonct ion des voisinages qui const it uent
des ident it és spat iales cont inues ou discont inues. Les enquêt es sur l’ent ourage des
ménages vont dans cet t e direct ion et int errogeant les t raject oires des individus (Bonvalet
et Lelièvre, 1995). Elles s’appuient sur les écrit s des sociologues pour lesquels la proximit é
consist e à la fois dans la gest ion de la dist ance physique et de la relat ion à l’aut re. Ainsi
dans le monde post moderne de l’individu mobile (Urry, 2005) la proximit é géographique qui
est bouleversée par la t élécommunicat ion se t raduit par des coprésences spécifiques ce
qui modifie les rapport s à la mobilit é et aux affiliat ions élect ives dans des groupes
d’appart enance. L’ut ilisat ion des réseaux sociaux const it ue le meilleur exemple de ce
renversement de la not ion de proximit é. Il conduit à envisager aut rement la mondialisat ion
qui en diminuant les dist ances, rapproche les individus t out en provoquant , par craint e de
l’homogénéisat ion, une recherche ident it aire. Un raisonnement ident ique anime les
économist es urbains, qui, après avoir souligné la force des processus d’agglomérat ion
conduisant les act ivit és économiques à se regrouper sur un même espace pour bénéficier
de la cont iguït é et des aménit és de la ville (Rémy, 1966), sont amenés aujourd’hui à
développer des clust ers (ou des t echnopoles et des villes créat ives…) prenant aussi en
compt e la spécificit é des ressources locales et la proximit é int ellect uelle des act eurs
(Velt z, 2002).

Ces t ransformat ions import ant es ne doivent t out efois pas nous conduire à négliger
l’import ance de la not ion de proximit é géographique. Chaque année apport e son lot de
milliers de personnes réfugiées de cat ast rophes économiques, polit iques et nat urelles
cherchant à se rapprocher des lieux product eurs de bien êt re mat ériel. Pour ceux-ci la
quest ion fondament ale est celle de l’accès. Or l’accès à t elle ou t elle ressource spat iale est
inégalement dist ribué : cert aines villes réclament un droit d’ent rée mat ériel ou symbolique,
d’aut res ent it és se referment sur leurs membres. Selon Grasland et Pot rykowska (2002) les
organisat ions sociales offrent à leurs membres des facilit és pour int eragir, ce qui est
propice à leur développement . Ces facilit és relèvent de la proximit é organisat ionnelle qui
permet à deux membres d’une organisat ion d’êt re proches l’un de l’aut re parce qu’ils se
ressemblent et qu’ils part agent un même syst ème de représent at ions. De la même façon,
la proximit é géographique peut êt re redout ée, not amment face aux risques qu’ils soient
t echnologiques ou nat urels. La cont agion, par exemple, conduit chacun à redout er la
coprésence de l’aut re, les objet s et les espaces qu’il aurait fréquent é, donc souillé (Fijalkow,
1998). Dans ce cadre, la quest ion cent rale n’est plus l’accès mais la possibilit é de sort ir et
de s’enfuir. Cet t e capacit é d’échapper de la proximit é géographique n’est pas non plus
inégalement dist ribuée, elle affect e les plus dominés, ce qui const it ue l’aut re face du
ghet t o. Dans les deux ext rêmes que sont la difficult é d’accès et de sort ir, la cent ralit é de la
problémat ique de la proximit é géographique int erroge la nécessit é d’une cont inuit é de
l’espace commun et une réelle reconnaissance de l’alt érit é (Lévinas, 1961).

Po ur citer cet article

Yankel FIJALKOW, « Proximit é géographique », in CASILLO I. avec BARBIER R., BLONDIAUX L.,
CHATEAURAYNAUD F., FOURNIAU J-M., LEFEBVRE R., NEVEU C. et SALLES D. (dir.), Dictionnaire
critique et interdisciplinaire de la participation, Paris, GIS Démocrat ie et Part icipat ion, 2013,
ISSN : 2268-5863. URL : ht t p://www.dicopart .fr/fr/dico/proximit e-geographique.

Biblio graphie

BACQUÉ M-H., FIJALKOW Y., 2006, « En at t endant la gent rificat ion de la Gout t e d’Or (1982-
2000). Discours et polit iques », Sociétés contemporaines, no 63, p. 63-83.
BLONDIAUX L., 2000, « La Démocrat ie par le bas : prise de parole dans les conseils de
quart ier du vingt ième arrondissement de Paris », Hermès, no 26-27.
BONVALET C., LELIÈVRE E., 1995, « Du concept de ménage à celui d’ent ourage : une
redéfinit ion de l’espace familial », Sociologie et sociétés, vol. 27, no 2, p. 177-190.
BRUNET R., 1992, Les Mots de la géographie : dictionnaire critique, Paris, Reclus.
BUSQUET G., 2009, « Le spat ialisme et la pensée polit ique progressist e sur la ville », in
BAUDIN G., BONNIN P. (dir.), Faire territoire aujourd’hui, Paris, Éd. Recherches, p. 281-299.
CHAMBOREDON J-C., LEMAIRE M., 1970, « Proximit é spat iale et dist ance sociale. Les grands
ensembles et leur peuplement », Revue française de sociologie, vol. 11, no 1, p. 3-33.
FIJALKOW Y., 1998, La Construction des îlots insalubres, Paris, 1850-1945, Paris,
L’Harmat t an.
FIJALKOW Y., 2007, Sociologie des villes, Paris, La Découvert e, « Repères ».
G OFFMAN E., 1973, La Mise en scène de la vie quotidienne, la présentation de soi, t . I,
[t rad. par A CCORDO A., 1983], Paris, Éd. de Minuit , « Le sens commun ».
G RASLAND C., P OT RYKOWSKA A., 2002, « Mesures de la proximit é spat iale : les migrat ions
résident ielles à Varsovie », L’Espace géographique, t . XXXI, p. 208-226.
HALL E., 1984 [1966], La Dimension cachée [t rad. par PETITA A.], Paris, Seuil.
LÉVINAS E., 1961, Totalité et infini, Essai sur l’extériorité, La Haye, M. Nijhoff.
LÉVY J., 2008, Échelles de l’habiter, Paris, Plan urbanisme const ruct ion archit ect ure, «
Recherches ».
RÉMY J., 1966, La Ville, phénomène économique, Paris, Éd. Vie ouvrière.
SIMMEL G., 1979, « Digressions sur l’ét ranger », in GRAFMEYER Y., JOSEPH I., L’École de
Chicago, naissance de l’écologie urbaine, Paris, Éd. Champs urbains.
SIMON P., LÉVY J-P., 2005, « Quest ions sociologiques et polit iques sur la "mixit é sociale" »,
Contretemps, no 13, p. 83-92.
URRY J., 2005, Sociologie des mobilités : une nouvelle frontière pour la sociologie ?, Paris,
Armand Colin.
VELT Z P., 2002, Des lieux et des liens. Politique du territoire à l’heure de la
mondialisation, Paris, Éd. de l’Aube.
WIRT H L., 1980, Le Ghetto [t rad. par ROJTMAN P-J.], Presses universit aires de Grenoble, «
Champs urbains ».

Groupement d’intérêt scientifique Participation du public, décision, démocratie


participative
Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord - 4 rue de la Croix Faron - 93210 Saint -Denis la Plaine
Tél : 01 55 93 10/93 00 | gis-dep@mshparisnord.fr | ht t p://www.part icipat ion-et -democrat ie.fr

You might also like