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Namur (Salzinnes)
Catherine MILLER
catherine.miller@imep.be
Unité d’Enseignement « Culture générale » – Second cycle : Bloc 1
L’évaluation transversale de l’UE se fera lors d’un examen oral global durant la session de juin, devant un jury com-
posé des 2 professeurs de l’UE. Cet examen évaluera :
Contenu du cours
séances de cours d’introduction à des thèmes n’ayant pas encore été abordés lors du premier cycle, avec un
accent mis sur la musique comprise entre 1850 et 1950 (ex : l’impressionnisme, la musique russe, la Seconde
école de Vienne, la mélodie française, le Groupe des Six, etc.) Après trois années de cours d’histoire de la
musique, l’étudiant doit avoir acquis les notions de base de l’histoire de la musique depuis l’ère baroque jus-
qu’à la fin du 19e siècle (époques, périodes stylistiques, genres, formes, grands compositeurs, œuvres ma-
jeures). Il est donc prêt à approfondir et à compléter cette ligne du temps par certains sujets liés à la musique
du 20e siècle.
séances de travail en médiathèque dans le but de rédiger un programme écrit destiné aux évaluations artis-
tiques de janvier. Ayant appris, au cours du premier cycle, à maîtriser les techniques de base de la recherche
documentaire, l’étudiant pourra mettre à profit cette méthodologie dans un exercice pratique et utile qui lui
servira de préparation au TFE exigé en dernière année.
Évaluation du cours
rédaction du programme écrit pour l’évaluation artistique de janvier
examen oral sur la matière abordée au cours cf modalités d’évaluation de l’UE Culture générale
Pour toute question liée au planning du cours, aux examens, aux dispenses éventuelles, etc. vous pouvez me joindre
par e-mail : catherine.miller@imep.be
Messe, Motet, Madrigal, Opéra, Oratorio, Cantate Poème symphonique, Éclatement des
Chansons polyphoniques (formes vocales) Lied, Mélodie, genres et des formes
(formes vocales) Sonate, Concerto, Brèves pièces piano,
Symphonie, Quatuor Sources populaires,
(formes instrumentales) nationales
« La musique est un art libre, jaillissant, un art de plein air, un art à la mesure des éléments, du vent, du ciel, de la mer ! »
Claude Debussy, l’un des musiciens les plus isolés qui soient, a introduit, à l’aube du 20e siècle, une concep-
tion musicale, temps et espace, absolument neuve et d’une extrême richesse. Cette conception le démarque
des compositeurs précédents et sa musique opère un basculement dans le nouveau
siècle.
Debussy passe pour l’un des réformateurs du langage musical à l’aube du 20e siècle.
Il conteste les règles de l’harmonie classique et élargit le langage tonal en puisant
dans la modalité et en utilisant de nouvelles gammes (pentatonisme, gamme par
tons).
Au niveau formel, Debussy ne développe pas les formes classiques, mais il construit
ses œuvres sur base de quelques motifs, épisodes qu’il « colle » les uns aux autres
de façon tout à fait personnelle.
1 J.-N. von der Weid, La musique du XXe siècle, Hachette Littératures, 2005, p. 23.
2 Cité dans J.-N. von der Weid, op. cit., p. 26.
M. Croche – Pelléas
Après le succès des Nocturnes commencent les activités de critique de Debussy, derrière le pseudonyme de
Monsieur Croche. Il définit alors une critique musicale qui dépasse le commentaire analytique :
« J’essaie de voir à travers les œuvres, les mouvements multiples qui les ont fait naître et ce qu’elles contiennent
de vie intérieure ; n’est-ce pas autrement intéressant que le jeu qui consiste à les démonter comme de curieuses
montres ? » M. Croche
Événement capital dans la carrière de Debussy, la création de son opéra Pelléas et Mélisande à l’Opéra-Comique
a lieu le 30 avril 1902, après dix ans d’élaboration difficile. Debussy avait enfin trouvé le livret rêvé, en accord
avec son idéal esthétique. Il s’était en effet exprimé bien des années plus tôt sur la définition du librettiste
idéal :
« Celui qui, disant les choses à demi, me permettra de greffer mon rêve sur le sien ; qui concevra des personna-
ges dont l’histoire et la demeure ne seront d’aucun temps, d’aucun lieu : qui ne m’imposera pas la scène à faire
et me laissera libre, ici ou là, d’avoir plus d’art que lui, et de parachever son ouvrage… »3
Le drame de Maeterlinck – pour lequel le compositeur avait demandé au poète l’autorisation de le mettre en
musique, dès 1893 – permit à Debussy d’écrire une œuvre absolument neuve dans le domaine dramatique : pas
d’envolées lyriques ni de virtuosité vocale, le texte est déclamé dans un style continu proche du parlando, aux
ambitus restreints et dans des tessitures qui n’exigent pas du chanteur un effort où risquerait de se perdre la
compréhension du texte. Mais cette prosodie particulière heurte le public de l’époque, habitué à l’opéra italien,
et la création de l’œuvre se fait dans le bruit et les ricanements. Scandale pour les uns, révélation pour les au-
tres ; les avis au lendemain de la première sont contrastés :
« C’est informe et c’est infâme ! » Jean Lorrain (écrivain)
« Ce fut un coup de foudre. Dès les premières mesures, j’eus la révélation, et, si je puis dire, l’éblouissement de
cette musique… si sensible, intelligente, aiguë et tendre, originale, harmonieuse, divine. » Fernand Gregh dans
L’Âge d’or.
Ses amis le défendent avec une belle ardeur. Avec leurs articles naît le « debussysme », tandis que ses ennemis
parlent de « pelléastres » pour stigmatiser la mode nouvelle de jeunes gens pâles et languides !...
3 Cité dans R. de Candé, Dictionnaire des compositeurs, Seuil, 1966, pp. 116-117.
Pelléas et Mélisande
Drame lyrique en 5 actes et 12 tableaux, sur un texte de Maurice Maeterlinck
L’intrigue se déroule au Royaume imaginaire d’Allemonde, gouverné par le vieil Arkel. Après avoir rencontré Mélisande,
créature fragile et énigmatique, au cours d’une chasse en forêt, le Prince Golaud l’a épousée sans rien savoir d’elle, puis l’a
présentée à son demi-frère Pelléas. Entre Mélisande et Pelléas, un lien secret s’est d’emblée tissé, fait de regards et de
complicité, d’amour peut-être ? Golaud se met à épier Pelléas et Mélisande : il recommande d’abord à son demi-frère
d’éviter son épouse, puis ne tarde pas à menacer fermement, dévoré peu à peu par la jalousie. Pelléas et Mélisande finissent
par s’avouer leur amour : au moment où ils s’embrassent, Golaud sort son épée et tue Pelléas, laissant Mélisande s’enfuir.
En présence d’Arkel et d’un Golaud rongé par les remords, la mystérieuse Mélisande s’éteindra lentement, sans que son mal
soit clairement identifié et que Golaud ne parvienne à percer la vérité sur les liens profonds qui l’unissaient à Pelléas.
Vers 1910, les premières manifestations d’un cancer affectent profondément sa santé : de nombreux projets
doivent être abandonnés, parmi lesquels la composition de plusieurs opéras. La Guerre interrompit aussi les
tournées, et, à côté de la maladie et des problèmes financiers, s’ajoute également l’accueil réservé à ses œuvres
depuis quelques années : le public et la critique ont du mal à comprendre son évolution. Durant ces quatre
années de Guerre, Debussy revendique avec force son attachement aux valeurs de la pensée française. Son
humeur alterne entre euphorie et détresse. Il compose encore les Douze Études pour piano, la Sonate pour vio-
Les Douze études datent de 1915 et appartiennent à la dernière phase créatrice de Debussy. Elles représentent
l’aboutissement de ses recherches dans le domaine pianistique. Au contraire des Études de Chopin ou de Liszt,
le but recherché n’est pas la vélocité, la puissance ou l’endurance, mais la souplesse et l’agilité acrobatique dans
des positions insolites. Le compositeur écrit ses Études alors qu’il travaille à la révision des Œuvres complètes
de Chopin pour l’éditeur Durand (1915-1917). Le premier recueil traite de problèmes pianistiques particuliers
définis par les titres (Pour les cinq doigts, d’après Monsieur Czerny, Pour les Quartes, etc.), tandis que le second livre
présente une étude des sonorités et des timbres.
La première étude est un hommage ironique au vieux maître de la mécanique du piano, Carl Czerny. Avec
humour, Debussy y présente les cinq premières notes de la gamme de do majeur (avec l’indication « sage-
ment » !), entrecoupées de dissonances au ton irrévérencieux.
Conclusion
Debussy était trop original pour imiter qui que ce soit. Mais il est vrai que, parmi les influences qui ont stimulé
la formation de son propre style, l’on peut citer la richesse de l’harmonie et de l’instrumentation wagnériennes,
la qualité expressive de la déclamation mélodique moussorgskienne, la couleur inhabituelle des musiques orien-
tales ou le non-conformisme et la fausse naïveté d’un personnage comme Erik Satie.
La profonde originalité du style de Debussy, son caractère d’exception, lui permettent d’échapper à toute clas-
sification. C’est pourquoi il faut être prudent lorsqu’on tente un parallèle avec la peinture impressionniste ou la
poésie symboliste. Cependant, dans une première période de son œuvre, Debussy se montre le plus pur, le
plus authentique des « impressionnistes » : les contours mélodiques s’estompent dans le chatoiement
d’harmonies lumineuses qui suggèrent une infinité de chants possibles, la sensation remplace la forme, le ryth-
me intérieur se substitue à l’organisation arithmétique des durées.
Dans une seconde « période », Debussy adopte un style qui lui est propre et qui ne trouve d’équivalent ni en
musique ni dans les autres arts : style qui paraîtra longtemps « moderne » et dont les meilleurs exemples se
trouvent dans les Préludes et les Études pour piano, ou dans Jeux.
L’eau, sous toutes ses multiples formes, n’a cessé de hanter l’esprit de Debussy, à l’instar des poètes symbolis-
tes. Que l’on pense à La Mer, mais aussi à Ondine, Poissons d’or, La Cathédrale engloutie, Jardins sous la pluie, Reflets
dans l’eau, etc., même s’il ne la met pas directement en scène, il s’attache à ses esprits et ses légendes.
L’œuvre de Debussy a fait souffler sur la musique un vent de liberté, bouleversant les lois de l’harmonie, igno-
rant les conventions formelles, créant également une nouvelle technique pianistique. Son langage semble bien
être la liberté, puisée dans la nature. Debussy étouffait sous les règles – de la fugue, du contrepoint, voire de la
vie sociale. Au Conservatoire, à Émile Réty lui demandant quelles règles il utilise pour résoudre des accords
dissonants, il fait cette réponse cinglante : « Mon plaisir ! ». L’esthétique debussyste apparaît comme une réac-
tion contre la contrainte des règles. Mais il n’est pas pour autant un anarchiste libertaire. Il a le souci de la for-
me, comme en témoignent ses dernières œuvres qui reviennent toutes au genre de la Sonate, mais qui, surtout,
s’intègrent dans un cadre traditionnel inspiré entre autres de l’ancienne Suite française. Écrites durant la Pre-
mière Guerre mondiale, les Sonates de Debussy démontrent son nationalisme, lui qui se définit comme « musi-
cien français ».
« Je ne révolutionne rien, je ne démolis rien. Je vais tranquillement mon chemin, sans faire la moindre propagan-
de pour mes idées, ce qui est le propre des révolutionnaires. » Debussy
À écouter : Émission radiophonique sur France Culture, disponible sur You Tube :
« Une Vie, une Œuvre – Claude Debussy (1862-1918) : un homme au songe éveillé » (10.03.2012)
L’impressionnisme apparaît en musique aux environs de 1890. Son nom est un emprunt au vocabulaire de la
critique de peinture car, tout comme les peintres, les musiciens de ce courant se laissent guider par les « im-
pressions » subjectives que leur inspire un sujet.
Mais ce mouvement musical s’inspire bien plus du symbolisme littéraire que de l’impressionnisme pictural. Il
représente l’apogée de la musique française à l’aube du 20e siècle, avec des compositeurs comme Claude De-
bussy, Paul Dukas (1865-1935), Erik Satie (1866-1925), Albert Roussel (1869-1937), Maurice Ravel (1875-1937).
Cette nouvelle génération de compositeurs va imprimer sa marque personnelle sur le devenir musical, en par-
ticulier grâce à ses audaces et raffinements harmoniques, son emploi délibéré de mélodies modales et son ou-
verture sur les musiques exotiques.
Dans le romantisme, l’individu était au centre du
monde et la nature reflétait et exprimait ses passions.
Dans l’impressionnisme, l’individu est également au
centre du monde et de la nature, mais celle-ci est
souveraine et le compositeur ne fait qu’enregistrer et
subir les impressions : d’où la notion d’un univers
statique et immobile, proche d’un tableau pictural.
Contemporain du Groupe des Cinq dont il s’était rapproché à la charnière des années
1860-70, Tchaikovsky représente une tendance différente, cosmopolite, unissant dans
son œuvre des éléments nationaux et étrangers (allemands, italiens, français). Composi-
teur très éclectique, il a pratiqué à peu près tous les genres existants et il est l’auteur
notamment de 11 opéras (sujets historiques comme La Pucelle d’Orléans ; sujets psycho-
logiques comme La Dame de Pique ou Eugène Onéguine), 8 symphonies, 4 suites pour
orchestre, des concertos ou pièces concertantes pour piano, violon violoncelle, 3 bal-
lets, 106 mélodies, des pièces de musique de chambre et une centaine de pièces pour
piano. Même si ses ouvrages lyriques ont remporté de larges succès, c’est dans ses
œuvres symphoniques (ouvertures, poèmes symphoniques, dont Roméo et Juliette et
Francesca da Rimini, concertos, symphonies) qu’il a donné le meilleur de lui-même. Il est
également le créateur du ballet symphonique (Le Lac des Cygnes, La Belle au Bois Dor-
mant, Casse-noisette).
Tchaikovsky est le seul véritable romantique russe : d’une sensibilité exacerbée aggravée
par des problèmes personnels, il est d’une sincérité sans réserve, au point d’en perdre
parfois le sens de la mesure. D’où le reproche de mauvais goût qui lui a souvent été adressé, mais qu’on pour-
rait aussi faire à la plupart des « post-romantiques ».
Éléments biographiques
Second de six enfants, Tchaikovsky naît dans un milieu d’industriels aisés. Sa mère, Alexandra d’Assier, appar-
tient à l’aristocratie d’origine française. Comme il est de coutume chez les Russes fortunés, Pyotr a une gou-
vernante d’expression française, Fanny Dürbach, d’origine suisse. Il reçoit très jeune des cours de piano.
En 1848, suite à la mise à la retraite de son père, la famille s’installe à Moscou, puis à Saint-Pétersbourg, et
enfin, dans l’Oural, où au mois de mai 1852, naissent ses frères jumeaux Modeste et Anatole. Il est envoyé à
Saint-Pétersbourg et entre, en 1852, à l’École de droit. Il prend des cours de chant et aussi de piano, chante
dans une chorale. Sa mère décède du choléra en 1854. En 1859, il est secrétaire au ministère de la justice.
En 1863, il quitte son emploi au ministère et s’inscrit au Conservatoire de Saint-Pétersbourg, qui a ouvert ses
portes depuis un an, sous les auspices de la Société russe de musique et la direction d’Anton Rubinstein. Il y
suit les cours de composition, d’orchestration, de flûte et d’orgue, et présente en fin d’étude une Cantate sur
An die Freunde de Schiller.
Le frère d’Anton, Nicolas Rubinstein, fonde le Conservatoire de Moscou et invite Tchaikovsky à y enseigner
l’harmonie, ce qu’il fera de 1866 à 1878. Il est logé au Conservatoire ; Nicolas le chaperonne et l’entraîne dans
sa vie mondaine agitée.
En 1867, il compose sa Première symphonie qui est créée avec succès le 3 février 1868. La même année il ren-
contre à Saint-Pétersbourg les musiciens du « Groupe des Cinq »5 (Balakirev, Rimsky-Korsakov, Cui, Borodin,
Moussorgsky) qui accueillent sa musique favorablement, car elle est « russe ». Mais entre eux et lui, le fossé se
creusera vite.
En 1871, il quitte son appartement du Conservatoire et emménage à l’écart en engageant un domestique, Alio-
cha Sofronov, qui reste à son service jusqu’à sa mort. La même année, il écrit son Premier quatuor à cordes. Il
5 Le Groupe des Cinq prônait une musique spécifiquement nationale basée avant tout sur les traditions populaires russes et
détachée des standards occidentaux. En un sens, ils représentaient le mouvement romantique nationaliste russe, poursui-
vant les mêmes objectifs que le cercle d’Abramtsevo et le Renouveau russe dans le domaine des beaux-arts et de
l’architecture. Les membres du groupe, tous autodidactes, se basèrent sur l’idéal de Glinka (1804-1857), considéré par
beaucoup comme le fondateur de l’école musicale russe. Rimsky-Korsakov reste le membre le plus influent et le plus connu
du groupe, et orchestre plusieurs œuvres d’autres membres après leur mort. Il en formera les successeurs (Glazounov,
Prokofiev, ou Stravinsky) via son poste de professeur au Conservatoire de Saint-Pétersbourg.
En 1876, Tchaikovsky est à Bayreuth comme critique musical. Il y rencontre Liszt mais Wagner ne le reçoit pas.
La même année, suite à une commande, il inaugure une importante correspondance avec Nadejda von Meck,
une veuve fortunée, mère de 11 enfants, qui aime jouer de la musique, fait donner des cours à ses enfants, et
engage régulièrement de jeunes musiciens pour organiser la vie musicale de sa maison. Cette riche admiratrice,
avec laquelle Tchaikovsky va entretenir une correspondance régulière, lui verse une pension annuelle, et ce
jusqu’en 1890, ce qui lui permet de se consacrer exclusivement à la composition ; il démissionne alors de son
poste au Conservatoire.
En 1877, pour faire taire les rumeurs naissantes sur son homosexualité, Tchaikovsky décide de donner à la
société de son temps une image respectable, en se mariant, le 18 juillet 1877, avec une de ses anciennes élèves,
Antonina Miliukova. L’union est un échec lamentable et elle se solde par une tentative de suicide en septembre,
puis une séparation à l’amiable négociée par Rubinstein. C’est aussi à cette époque que le compositeur ren-
contre Tolstoï.
Vers 1880, la réputation des œuvres de Tchaikovsky se renforce considérablement en Russie, et son nom
commence à être connu à l’étranger, comme il peut le constater lors des voyages qu’il effectue cette même
année. Il y remporte de nombreux succès et rencontre les grands compositeurs de son temps. En 1886, il
commence aussi à se produire comme chef d’orchestre, et effectue une tournée de concerts en Europe, deux
ans plus tard ; ses œuvres y rencontrent un accueil triomphal.
Une nouvelle tournée de concerts, aux États-Unis cette fois, est marquée de nombreux succès. Le 5 mai 1891,
il participe à l’inauguration de Carnegie Hall, à New York, en y dirigeant ses œuvres. La même année, Marius
Petipa lui commande un deuxième ballet. Ce sera Casse-Noisette d’après un conte d’Hoffmann.
Fait Docteur Honoris Causa de l’Université de Cambridge (en même temps que Saint-Saëns, Bruch et Grieg),
en juin 1893, Tchaikovsky meurt le 6 novembre de la même année, à Saint-Pétersbourg, dans des circonstances
étranges non élucidées à ce jour (choléra ? empoisonnement ? suicide ?) : officiellement, il meurt du choléra
Ballets
Avec ses 3 ballets, composés entre 1875 et 1892, Tchaikovsky va donner ses lettres de noblesse à la musique
de ballet, ajoutant une dimension symphonique à un genre auparavant considéré comme musicalement mineur.
Avec lui, le ballet devient une œuvre de qualité en soi. Il prépare en cela la venue du chorégraphe Serge de
Diaghilev qui fera du ballet une œuvre d’avant-garde.
Premier ballet composé par Tchaikovsky, Le Lac des Cygnes, commandé par le théâtre impérial, est un échec
total lors de sa création en mars 1877, à Moscou (au Bolchoï), sans doute en raison d’une mise en scène inadé-
quate. L’œuvre sera ainsi écartée du répertoire pendant de nombreuses années avant de connaître le succès
qu’elle remporte encore aujourd’hui.
En 1888, le directeur des Théâtres impériaux de Saint-Pétersbourg, Ivan Vsevolojski, fait part à Tchaikovsky
d’une idée au sujet d’un ballet basé sur le conte de La Belle au bois dormant de Charles Perrault. Tchaikovsky
accepte la commande sans la moindre hésitation, malgré le peu de succès de son précédent ballet. Le scénario
qu’il reçoit est alors basé sur la version des Frères Grimm du conte, intitulée Dornröschen, dont la fin diffère
quelque peu de celle de Perrault : les parents de la Princesse (le Roi et la Reine) ont survécu aux cent ans de
sommeil pour célébrer le mariage de leur fille. Vsevolojski ajouta aussi des personnages d’autres contes dans le
troisième acte. Tchaikovsky travaille en collaboration avec le chorégraphe Marius Petitpa, qui écrivit une liste
d’instructions détaillées concernant les morceaux dont il avait besoin pour les danses.
Ce ballet en un prologue, trois actes et cinq tableaux est représenté pour la première fois le 15 janvier 1890 au
Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg, où il reçut un accueil plus favorable que Le Lac des Cygnes auprès de la
presse. Le tsar Alexandre III et sa famille assistèrent à l’une des répétitions générales du ballet. Avant de partir,
le tsar fit la simple remarque « très joli », qui sembla avoir irrité Tchaikovsky, qui s’était attendu à une réponse
plus favorable.
En 1903, le ballet est classé deuxième des ballets les plus représentés du répertoire du Ballet impérial et a été
représenté environ 200 fois en dix ans. C’est le ballet le plus long de Tchaikovsky : il dure presque quatre
heures et est donc souvent abrégé lors des représentations.
L’histoire met en évidence le conflit entre le Bien (la Fée des Lilas) et le Mal (la Fée Carabosse), représentés
chacun par un leitmotiv repris plusieurs fois au cours du ballet, et servant de fil conducteur à l’intrigue sous-
jacente. Ces deux leitmotive ne réapparaissent plus dans le troisième acte, pour laisser place aux danses des
nombreux personnages.
♫ Tchaikovsky, La Belle au bois dormant : Valse de l’Acte I (op. 66)
♫ Tchaikovsky, La Belle au bois dormant : Pas de deux, Aurore et le Prince, Acte III (op. 66)
Dernier ballet de Tchaikovsky, Casse-Noisette, en deux actes (soit trois tableaux et 15 scènes), est présenté
pour la première fois le en décembre 1892, au Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg, sous la direction de
Riccardo Drigo et chorégraphié par Lev Ivanov.
Le livret d’Ivan Vsevolojski et Marius Petitpa s’inspire de la version d’Alexandre Dumas d’un conte
d’Hoffmann : Nußknacker und Mäusekönig (Casse-Noisette et le Roi des souris). La musique est certainement l’une
des musiques de ballet les plus populaires aujourd’hui et l’une des œuvres de Tchaikovsky les plus appréciées.
Le soir de Noël, Clara reçoit de son oncle un casse-noisette. Pendant la nuit, une merveilleuse féerie commence : dans le
salon, les jouets s’animent et le casse-noisette se transforme en prince…
Éléments biographiques
Né dans la province de Novgorod, en Russie, dans une famille de six enfants, Serge
Rachmaninov montre très jeune des dons prodigieux pour la musique. Son grand-
père était un excellent pianiste amateur et son arrière-grand père un violoniste
accompli. Il étudie au Conservatoire de Saint-Pétersbourg, puis à Moscou, où il est
l’élève de Nikolaï Zverev.
Zverev accueillait à Moscou trois pensionnaires durant leur formation musicale
auxquels il soumettait une discipline sévère et un travail intensif. L’homme était un
formidable pianiste, d’apparence austère et d’une droiture inaltérable. Il organisait et
réglait la vie de ses élèves de manière très rigoureuse. Mais ce régime de vie s’avéra
efficace puisqu’en très peu de temps Rachmaninov fit des progrès considérables. Le
dimanche après-midi, Zverev avait l’habitude de recevoir des artistes renommés,
comme Nicolas et Anton Rubinstein ou Tchaikovsky, qui apprécia et encouragea le
jeune Sergueï immédiatement. De plus, les pensionnaires se rendaient très fré-
quemment au théâtre, au concert et à l’opéra, sous l’œil expérimenté de leur pro-
fesseur qui par-là même prolongeait leur formation musicale en formation culturelle. Rachmaninov semble avoir
appris de son maître ce désir d’ordre et de méthode qu’il manifestera toute sa vie durant dans la gestion de ses
affaires. Mais tandis que son talent se précisait de plus en plus, le goût du jeune Russe pour la composition
augmenta. C’était cependant en total désaccord avec les intentions de Zverev pour qui un réel talent de pia-
niste ne pouvait que se gâcher à travers la composition. En octobre 1889, une violente dispute éclata entre les
deux hommes, dispute qui aboutit finalement à la rupture.
Toujours inscrit au Conservatoire, le jeune Rachmaninov était doué d’une mémoire musicale si exceptionnelle
et d’un jeu si excellent qu’il demanda de sauter une année pour préparer son diplôme de compositeur. Ses
premiers ouvrages datent de ses dernières années de Conservatoire ; et il acquit rapidement la réputation de
pianiste-compositeur le plus brillant de sa génération. L’un de ses proches, Alexandre Goldenweiser, écrivit à
l’époque :
« Les dons musicaux de Rachmaninov, sans parler de sa puissance créatrice, surpassent tous ceux que j’ai pu
rencontrer jusque là. Ils sont voisins du merveilleux, tels ceux de Mozart dans sa jeunesse. La rapidité avec la-
quelle il mémorise de nouvelles compositions est tout à fait remarquable. Je me souviens du jour où Siloti (dont
nous étions tous les deux élèves à l’époque) demanda à Rachmaninov d’apprendre les célèbres variations de
Brahms sur un thème de Haendel. C’était un mercredi. Trois jours après seulement, Rachmaninov les jouait
comme un maître. »
Diplôme en main, artiste libre, Rachmaninov est immédiatement entraîné vers la composition et réalise, en
1892, son Premier concerto pour piano. L’œuvre reçoit un accueil enthousiaste sous les doigts du compositeur
lui-même, à Moscou, le 17 mars 1892 (elle a été achevée un an plus tôt, les deux derniers mouvements furent
d’ailleurs composés et orchestrés en à peine deux jours et demi). Au printemps 1892, il compose le Prélude en
ut dièse mineur, dont le succès sera si immense et durable (on le lui demandera à pratiquement chaque concert)
qu’il finira par dégoûter le compositeur lui-même…
♫ Rachmaninov, Prélude pour piano en ut dièse mineur (op. 3/2)
En octobre 1893 le frappent deux décès successifs et particulièrement difficiles à affronter : celui de son ancien
professeur Zverev et celui de son mentor et de son modèle, Tchaikovsky, à qui il venait de dédier sa première
et poétique Suite pour deux pianos. Il compose à la mémoire de ce dernier un Trio élégiaque en ré mineur, opus 9,
d’une grande puissance passionnelle. La réputation du jeune artiste se répand alors très rapidement dans les
cercles musicaux de l’époque, si bien que Rachmaninov décide qu’il lui faut à présent conquérir définitivement
le public en composant une grande œuvre orchestrale qui frapperait les esprits : une symphonie.
En 1902, il épouse Nathalie Satine, sa cousine, et leur première fille prénommée Irina naît l’année suivante. À
cette époque, il est aussi chef d’orchestre, au Théâtre Mamontov puis au Bolchoï. En 1907, année où naît sa
seconde fille, Tatiana, il emménage à Dresde. Là-bas, il va écrire, dans un climat musical plus européen, de très
belles pages, comme sa Deuxième symphonie en si mineur, manière d’effacer rapidement et superbement le sou-
venir de sa première œuvre symphonique ; la Sonate pour piano en ré mineur, d’après le Faust de Goethe ; et sa
terrible et impressionnante Île des Morts, poème symphonique qui évoque un tableau du peintre suisse Arnold
Böcklin (5 versions peintes entre 1880 et 1886).
Dans ce poème symphonique, Rachmaninov s’attache tout particulièrement à recréer l’atmosphère lugubre du
tableau de Böcklin. La célébrité de l’œuvre tient à son thème principal, illustrant le clapotis de l’eau et le balan-
cement du bateau mortuaire : la partition décrit l’approche silencieuse et furtive du bateau, le voyage à travers
la nuit, le brouillard dense, les adieux passionnés au bonheur terrestre, la douce libération de la mort ; puis,
après avoir déposé son fardeau, le passeur retraverse l’eau et disparaît. Rachmaninov y profile le thème du dies
irae médiéval – qu’il utilisera aussi dans la Rhapsodie sur un thème de Paganini et dans les Danses symphoniques,
montrant par là sa crainte constante de la mort.
♫ Rachmaninov, Île des Morts op. 29
En 1909, il reçoit une proposition pour une tournée de concerts aux États-Unis. Juste avant son départ, il com-
pose en quatre mois une de ses plus grandes œuvres, comme un présent offert au public américain, le magistral
et célèbre Troisième concerto pour piano en ré mineur. Créé par l’auteur à New York, ce concerto est de propor-
tions beaucoup plus vastes que le Deuxième concerto et d’une facture pianistique particulièrement chargée – ce
qui en fait l’une des œuvres les plus périlleuses de tout le répertoire.
♫ Rachmaninov, Concerto pour piano n° 3 en ré mineur op. 30
https://www.rtbf.be/auvio/detail_finale-concours-reine-elisabeth-2013-boris-giltburg?id=1827726
https://www.rtbf.be/auvio/detail_queen-elisabeth-2016-piano-lukas-vondracek-finale?id=2113686
S’il connaît un succès remarquable en tant que pianiste, sa santé se dégrade peu à peu, et avec elle son moral. Il
fait de plus en plus de séjours en cure et à l’hôpital. L’atmosphère politique inquiétante qui régnait en Europe
commençait alors à se faire de plus en plus apparente. À son arrivée à Chicago se déclare le cancer du poumon
qui l’emporte quelques semaines plus tard, le 25 mars 1943, à Beverly-Hills, quatre jours avant son 70e anniver-
saire, et quelques jours seulement après avoir été naturalisé américain.
Contemporain de Scriabine, Ravel et Bartók, Rachmaninov, immuablement attaché au système tonal, est sans
conteste le dernier compositeur romantique dans la lignée de Chopin, Liszt et Tchaikovsky, ses trois principaux
modèles. Si cela explique le peu d’estime que lui portent les musicologues, sa faveur auprès des mélomanes et
des interprètes n’en a jamais souffert. Son lyrisme tourmenté, tumultueux, douloureux, n’est pas une prise de
position délibérée par rapport à un courant esthétique, mais le reflet direct de sa personnalité nerveuse, an-
goissée et introvertie.
« Comme nous continuerons à aimer, à pleurer et à mourir, la musique de Rachmaninov gardera toujours pour
nous une force et une signification universelle. » Vladimir Ashkénazy
À l’occasion d’un voyage à Londres, en 1914, Prokofiev rencontre le chorégraphe Serge de Diaghilev ; il espère
l’intéresser à un projet d’opéra d’après Le Joueur de Dostoïevski, mais Diaghilev lui commande un ballet « sur
un sujet russe ou préhistorique ». Ce sera Ala et Lolly, dont la partition déplaît à Diaghilev, qui la refuse. Proko-
fiev la retravaille et en fait la Suite Scythe. Œuvre d’une violence rarement atteinte, parcourue de visions fantas-
magoriques, s’achevant sur un terrible crescendo évoquant le lever du soleil, la Suite scythe est la réponse de
Le refus de Diaghilev n’a pas découragé Prokofiev d’une collaboration avec lui, et ils choisissent ensemble un
nouveau sujet de ballet : Chout (« le bouffon »), extrait d’un recueil de contes russes. Mais ce projet ne trouve-
ra sa concrétisation que six ans plus tard.
En 1916-17, Prokofiev compose dans les genres les plus divers : il écrit ses 3e et 4e sonates pour piano, son Pre-
mier concerto pour violon, le cycle des vingt Visions fugitives (1915-1917). Pour ces vingt pièces brèves pour piano,
Prokofiev s’inspire de vers du poète symboliste Constantin Balmont : « Dans chaque vision fugitive, je vois des
mondes pleins de jeux changeants et irisés. ».
♫ Prokofiev, Visions fugitives op. 22
Révolutionnaire en musique, mais peu intéressé par la politique, Prokofiev ne voit guère de possibilités de faire
carrière en Russie au lendemain de la Révolution, et demande au commissaire du peuple à l’Instruction,
l’autorisation de sortir du pays pour raison de santé. En mai 1918, il part pour les États-Unis, en passant par le
Japon, où il donne quelques récitals. Il s’impose assez rapidement aux États-Unis, malgré la malveillance de cer-
tains critiques.
En avril 1920, Prokofiev quitte les États-Unis pour la France. Il entre dans le cercle de Diaghilev, aux côtés de
Stravinsky, Poulenc, Milhaud, de Falla, Ravel. Entrecoupé de deux nouveaux voyages aux États-Unis, le séjour
parisien de Prokofiev est marqué par la représentation de Chout (mai 1921). La même année voit naître le Con-
certo n° 3 en ut majeur (commencé en 1917), d’une structure plus rationnelle et d’un dynamisme plus contrôlé
que le précédent. C’est le plus populaire des cinq concertos. Prokofiev le créa à Chicago, le 16 décembre 1921.
Selon lui, le public « ne le comprit guère, mais le soutint tout de même. »
1. Andante–Allegro – 2. Tema con variazioni – 3. Allegro, ma non troppo
♫ Prokofiev, Concerto pour piano n° 3 en ut majeur op. 26
L’année 1921 est aussi marquée par la création de son opéra L’Amour des trois oranges, dont il rédige lui-même
le livret en russe sur base d’une fable de Carlo Gozzi, auteur du 18e siècle. Ce livret entremêle plusieurs in-
trigues, introduit des personnages féeriques et de la Commedia dell’arte, pour atteindre un niveau de loufoque-
rie rarement vu à l’opéra. Mais c'est en version française que l'opéra est créé le 30 décembre 1921 à l'Opéra
lyrique de Chicago sous la direction du compositeur et grâce au soutien de la nouvelle directrice, Mary Garden
(la créatrice de Pelléas et Mélisande). Le succès public fut grand, mais la critique acerbe reprochait l'absence de
mélodie. L'opéra fut ensuite représenté à Cologne (1925), Berlin (1926), puis en version russe à Saint-
Pétersbourg et Moscou (1927).
L’opéra retrace les aventures d’un prince très peureux que Truffaldino, spécialiste en farces et attrapes, est chargé de guérir
par le rire. Il est aidé par le pitoyable mage Tchélio qui s’oppose à l’efficace Fata Morgana, sorcière associée à Léandre et
Clarice (ils veulent prendre la place du prince dès son décès).
Fata Morgana impose au Prince la conquête de l’amour des trois oranges, gardées par une horrible cuisinière. Le Princ e y
parvient avec l’aide de Truffaldino et les oranges font place à trois belles princesses dont deux meurent rapidement de soif.
Grâce à l’intervention du chœur des « Ridicules », la troisième jeune fille, la princesse Ninette, est sauvée de la mort. Mais
alors que le Prince s’en va pour lui chercher une robe digne de la cour, elle est transformée en rat par Fata Morgana aidée
de son esclave Sméraldine. Après quelques ultimes péripéties, la princesse Ninette retrouve une forme humaine et épouse
le Prince.
♫ Prokofiev, L’Amour des trois oranges
En 1922, Prokofiev s’installe à Ettal dans les Alpes bavaroises, où il travaille à un nouvel opéra, L’Ange de feu ; le
sujet en est un cas de « possession diabolique » au 16e siècle. En même temps, le compositeur continue à don-
ner des concerts dans les capitales occidentales (Londres, Berlin, Bruxelles). Son nom commence à être connu,
tant grâce à ses propres efforts qu’à ceux du chef d’orchestre Koussevitski, récemment émigré, qui est un
propagateur actif de la musique russe.
En 1923, Prokofiev revient à Paris. C’est l’année de son mariage en premières noces avec Carolina Codina,
jeune femme d’origine mi-franco-polonaise, mi-espagnole. De ce mariage naîtront deux fils, Sviatoslav et Oleg.
Carolina (Lina) et Prokofiev se sépareront en 1941. En 1948, Prokofiev épousera en secondes noces Myra
Mais c’est en URSS, dont il n’est pourtant pas encore citoyen, que Prokofiev reçoit, dès 1933, les commandes
les plus intéressantes, à commencer par la musique du film de Feinzimmer, Lieutenant Kijé, qui marque son re-
tour à un style plus classique, afin de se mettre à la portée des masses.
En 1936, Prokofiev réalise pour les enfants Pierre et le loup, alors qu’il avait écrit l’année précédente ses Douze
Pièces de piano pour enfants (op. 65) et travaillait déjà aux Trois Chants d’enfants (op. 68), qu’il terminerait en
1939. C’est dire quelles étaient ses préoccupations pédagogiques à l’époque. Ici, cependant, le propos didac-
tique – faire connaître à de jeunes auditeurs les principaux instruments de l’orchestre – ne limite en rien
l’imagination musicale, ni n’affaiblit la spontanéité toute poétique des thèmes attachés aux différents person-
nages de ce conte musical. C’est bien cette qualité de poésie qui assure le succès persistant de l’œuvre. La
création eut lieu le 2 mai 1936 à la Philharmonie de Moscou, sous la direction de l’auteur.
♫ Prokofiev, Pierre et le Loup
La même année, il élabore avec le metteur en scène Radlov un grand ballet, Roméo et Juliette (créé à Brno en
1938), son premier ballet soviétique, et sa première grande référence à un thème de la littérature classique. Le
ballet donne lieu à trois suites symphoniques (ce que Prokofiev fait de la plupart de ses œuvres scéniques) et à
une série de pièces pour piano.
En 1937, Prokofiev se voit confirmer la citoyenneté soviétique. Par malchance, il renoue avec son pays au mo-
ment où le contrôle du pouvoir s’étend à tous les domaines culturels. Et, de plus en plus, les artistes qui déplai-
sent pour une raison ou une autre se voient taxés de « formalisme », tare suprême définie comme « le sacrifice
du contenu social et émotionnel de la musique au profit de la recherche d’artifices avec les éléments de la mu-
sique : rythmes, timbres, combinaisons harmoniques ». Tandis que nombre de musiciens russes (Rachmaninov,
Chaliapine, Tchérepnine, Medtner, Glazounov) ont choisi d’émigrer, refusant l’avenir soviétique, afin de conser-
ver leur passé russe et leur liberté, Prokofiev fait le choix inverse : il sacrifie sa liberté pour revenir à la Russie
comme à une source indispensable, et pour devenir un compositeur soviétique officiel, subissant tous les avan-
tages et les inconvénients de ce statut.
En décembre 1939, pour le soixantième anniversaire de Staline, il se joint au chœur des panégyristes en écri-
vant la cantate Zdravitsa (« bonne santé »). La même année, il compose son premier opéra soviétique, Siméon
Kotko, inspiré de la guerre civile en Ukraine. En même temps, il commence à travailler à trois nouvelles sonates
pour piano (nos 6, 7 et 8, dites « les sonates de guerre »), œuvres monumentales qui constituent le sommet de
sa production pianistique. Les deux premières sont créées par Sviatoslav Richter (1943), qui révèle également
aux Soviétiques le 5e concerto ; la 8e sonate est jouée par Guilels (1944).
Entre 1907 et 1909, alors qu’il était élève au Conservatoire de Saint-Pétersbourg, Prokofiev a écrit six sonates
pour piano, dont aucune ne fut publiée telle quelle. Deux sont perdues ; quant aux quatre autres, leur matériau
a été réutilisé par la suite pour les Sonates n° 1, n° 2, n° 3 et n° 4.
Alors que la Première sonate doit encore beaucoup au post-romantisme et à Schumann, Rachmaninov ou Skrya-
bin, la Deuxième sonate montre l’évolution du compositeur en l’espace de quatre ans, même si elle est partiel-
lement issue d’une sonate de jeunesse. Tout Prokofiev s’y trouve déjà : dans le lien tracé entre le classicisme et
le modernisme, comme dans les contrastes accusés entre la vigueur des rythmes et des harmonies, et un ly-
risme teinté par moments de couleur nationale. C’est l’une des sonates les plus jouées de Prokofiev.
1. Allegro non troppo – 2. Allegro moderato – 3. Andante – 4. Vivace
♫ Prokofiev, Sonate pour piano n° 2 en ré mineur op. 14
De fait, le terme « barbare » n’est pas inapproprié à la Sonate n° 6, dans laquelle Prokofiev retrouve une vio-
lence ainsi qu’un radicalisme du langage qu’on ne lui a guère connu depuis son retour en URSS, et qui est direc-
tement lié à l’imminence du conflit mondial.
1. Allegro moderato – 2. Allegretto – 3. Tempo di valzer lentissimo – 4. Vivace
♫ Prokofiev, Sonate pour piano n° 6 en la majeur op. 82