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Nicole-Edith Thévenin
La catégorie d’aliénation est souvent tenue pour allant de soi chez Marx. Pourtant,
comme le montre Nicole-Édith Thévenin dans ce texte, même le jeune Marx propose un
concept d’aliénation largement ambivalent. Dans la continuité d’Althusser, Thévenin
propose une relecture critique du concept, qui divise sa portée entre une acception
dominante, perméable au réformisme, et une conception révolutionnaire. S’appuyant
sur Lacan et la critique marxiste du droit, elle montre que l’aliénation n’appelle pas,
pour les sujets, à une reconquête des produits de leur travail, mais à briser les rapports
marchands et juridiques qui les chevillent à la jouissance capitaliste.
La catégorie d’aliénation telle qu’elle est utilisée par le jeune Marx, est une catégorie
issue de la philosophie de l’histoire, elle s’adosse à la dialectique hégélienne et au
renversement feuerbachien. Chez Marx, l’aliénation n’est pas celle de la conscience, de
l’esprit mais comme chez Feuerbach, celle de l’essence humaine. Dans tous les cas, en
tant que projection d’une unité qui se développe, se connaît en scissionnant, cette
philosophie prend ses racines idéologiques dans la relation du sujet et de l’objet,
relation qui structure toute la philosophie classique et qui est l’expression déguisée d’un
rapport qui soutient en dernière instance son discours : le rapport juridique de
propriété1. Je voudrais démontrer comment la théorie marxiste interprétée du point de
vue de la philosophie de l’aliénation, se trouve ramenée « sous l’idéologie bourgeoise du
sujet », c’est-à-dire sous la Forme-sujet (Althusser) relevant en dernière instance de la
Forme-sujet-de-droit (Edelman). Un sujet fondé sur la propriété de sa personne et qui
lie sa liberté et son « autonomie » à sa capacité de « se » vendre et d’acheter, en un
mot de posséder. Là gît on le verra, l’aliénation subjective fondamentale du « moi-
sujet » à l’Autre du capital. Elle explique la relation fantasmatique et passionnelle qui lie
« le » sujet à « son » objet, et par conséquent le point aveugle de la philosophie de
l’aliénation dont le fondement idéologique (qui est « rejeté » de sa conscience), se
constitue à partir de la catégorie juridique d’aliénation et met l’ « homme » au centre de
son discours.
Si Hegel nous lègue un « procès sans sujet » (Althusser), c’est que le sujet (comme
esprit), devient le mouvement en tant que mouvement s’autonomisant et se posant soi-
même, préfigurant le procès du capital qui, au nom de la propriété, exproprie tous les
propriétaires pour devenir l’unique propriétaire du monde. N’abolissant pas la propriété
privée mais lui donnant la forme du tout, la philosophie de Hegel dont la dialectique se
déploie comme système jusqu’au savoir absolu, annonce la possibilité du discours sur la
« fin de l’histoire ». Tout l’effort théorique de Marx sera de revenir au réel de cette
histoire, à sa matérialité pour en démontrer, non pas la fermeture mais le travail de
réouverture, de dégagement d’un déterminisme imposé par le discours de la classe
dominante. En ce sens s’il y a une fin de l’histoire pour Marx ce n’est que celle d’une
certaine histoire, celle du capitalisme qui fait partie de ce qu’il considère comme la pré-
histoire de l’humanité. Se tenir alors dans le mouvement réel du communisme, c’est
quitter le discours de l’aliénation qui se projette dans un idéal, pour aller à la rencontre
d’une autre « réalité », celle de la lutte des classes. Quitter le discours de la philosophie
classique pour s’établir dans un autre champ, celui de la connaissance des causes et des
processus réels tels qu’ils s’articulent sous nos yeux mais que l’on ne voit pas, que l‘on
ne comprend pas, faisant d’une méconnaissance idéologique construite rigoureusement
par le champ social, économique et politique, le socle de nos certitudes et de notre
servitude, c’est-à-dire de notre aliénation.
Que veut dire ce mot, aliénation ? De quoi nous parle-t-il ? Nous en suivrons les
différentes interprétations, vicissitudes dans l’œuvre de Marx, les enjeux idéologiques et
politiques qu’il porte. Du jeune Marx au Marx de la maturité, l’aliénation comme
« concept », se voit ramené au statut de catégorie idéologique renvoyant à une
philosophie de la représentation et une « vision » de l’histoire et en dernière instance à
celui d’une catégorie juridique réglant les échanges marchands et la circulation
monétaire. Révélant du même coup, c’est-à-dire dans l’après coup, la vérité de ce qui
anime les discours « humanistes » de la philosophie de l’aliénation, l’idéologie juridique.
D’où l’importance que revêt la « coupure épistémologique » entre le jeune Marx et le
Marx de la maturité que pose Althusser, voulant marquer ce qui sépare à jamais la
théorie révolutionnaire de Marx, de son interprétation à partir du champ de l’idéologie
dominante. Mais dans les analyses que Marx fait du fonctionnement du capital et de ses
effets psychiques, on peut voir émerger un troisième sens du mot aliénation lui donnant
le statut d’un concept opératoire, qui peut trouver sa place dans une théorie de
l’idéologie articulée à une théorie des formations de l’inconscient et du sujet de
l’inconscient. Ce que Lacan fera émerger à partir d’une théorie de l’identification, puis de
la logique du discours, de son lien avec la jouissance.
Voyons les termes du débat. Pour Hegel, le processus d’aliénation est un processus de
négation positive nécessaire : le sujet pour se reconnaître en tant que sujet et
développer toutes ses potentialités, doit se séparer de lui-même, devenir autre
(s’aliéner) en tant qu’objet. Il ne saurait y avoir de sujet sans un objet qui le
représente, dans lequel il s’objectivise et qu’il récupère dans un deuxième temps dans
une logique de développement de son propre être. Le monde comme monde d’objets
est la réalisation de l’esprit devenu le sujet-se-posant. Si le monde est sa propre
réalisation, alors l’objet fait intrinsèquement partie du sujet, il est le sujet-devenant-
monde, son mouvement propre d’extériorisation. La séparation est à chaque fois
surmontée dans une réintégration où le « manque » d’être que l’aliénation fait surgir,
est aboli par un nouveau progrès. L’extérieur devient une nouvelle intériorité enrichie
par un objet qui relance le processus de négation jusqu’au savoir absolu.
Chez Marx comme chez Feuerbach ou Hegel, l’objet reste une dimension nécessaire du
sujet, sa rencontre avec l’autre de lui-même sans lequel il ne saurait se connaître. Le
mot « objet » doit ici être entendu dans son double sens : objet matériel et objet-
monde social. L’objet est ce qui exprime mon être dans un devenir-étranger et qui
s’opposant à moi me renvoie mon propre message sous sa forme inversée (pour
reprendre une expression de Lacan). Le sujet se définit à partir d’une extériorité, d’un
« déchirement » (Hegel) « la conscience de l’objet est la conscience de soi de l’homme »
écrit Feuerbach, qui appréhende l’objet non pas par auto-position de l’esprit dans une
logique historique qui s’arrache du néant comme chez Hegel, mais à partir de sa nature
matérielle-sensible. Tel est le sens du « renversement » feuerbachien qui part de
l’homme comme genre et non de l’esprit, inaugurant la philosophie critique comme
critique du processus d’aliénation non dans une analyse de l’histoire, mais dans une
analyse de la fonction imaginaire (c’est-à-dire psychique) de la religion. Notons qu’il
repère sans le savoir, le processus d’identification à l’œuvre dans l’idéologie. Dieu est
une projection du genre humain, une projection idéalisée de sa propre puissance.
Le conflit (et non la réalisation), devient le concept central d’une philosophie critique qui
cherchera à dépasser ce conflit en retrouvant l’unité perdue du sujet et de l’objet dans
un effort de réappropriation, c’est-à-dire dans un processus de négation de la négation
qui caractérise aussi bien la dialectique hégélienne. Le rapport conflictuel (comme
« opposition réciproque ») est lutte entre deux entités se faisant face, dont l’une est la
représentation de l’autre. Dans cette dialectique de « réciprocité », le capital est le
produit direct du travail de l’ouvrier et leur opposition révèle le lien qui les unit en
miroir. En toute logique, le capital comme « accumulation du travail » (telle est la
définition de l’économie politique), pure « dépense » de travail de l’ouvrier représente
l’essence de l’ouvrier, il est cette essence ! L’enjeu de la lutte entre ces deux entités
dans la critique du jeune Marx, sera donc un enjeu de ré-appropriation par la classe
ouvrière d’un « produit », d’un objet qui lui a été soustrait. Remarquons que leur
affrontement se définit par leur communauté d’appartenance à un même champ de
représentation idéologique où l’ouvrier, se trouve identifié à la figure du capital comme
son être « aliéné » c’est-à-dire dépossédé, dominé, devenu objet entre les mains de la
classe bourgeoise et se retournant contre lui. Tels sont encore pour Marx les termes
(repris de l’économie classique et de la philosophie de l’aliénation), dans lesquels il
exprime la relation capital/travail.
Arrêtons-nous sur cette question de la « jouissance » que Lacan reproche tant à Marx
de n’avoir pas relevée, de ne pas en avoir fait le fondement du discours capitaliste (et
du monde capitaliste), et le moteur de la plus-value. Lacan souligne que cette
jouissance porte les prolétaires à soutenir le maître qu’ils contestent, participant ainsi à
leur propre exploitation. Jouissance mortifère, masochique qui témoigne de l’existence
d’un pulsionnel que Freud théorise dans la deuxième topique, en posant la thèse d’un
antagonisme dialectique entre « pulsion de vie » et « pulsion de mort ». Dans la pulsion
de mort, Freud reconnaît une jouissance qui porte les hommes à désirer la mort au-delà
du « principe de plaisir » (et du conatus spinoziste) où l’homme semble courir avec
passion vers sa propre destruction, dissolution (visant au retour fusionnel vers un objet
« barré », impossible à atteindre). Telle est la fonction « d’excès » de la jouissance que
Lacan va identifier sous le concept d’objet a et qui manque à Marx dit-il, pour être
pleinement matérialiste. Pourtant Lacan se trompe en partie (et tous les psychanalystes
qui l’ont suivi sans avoir lu Marx au préalable). S’il n’en fait pas la théorie, et il est vrai
qu’une théorie de la jouissance manque à Marx (il n’est pas Freud), c’est bien les formes
de cette aliénation comme jouissance que Marx repère dans sa lecture de la plus-value
et de la relation de l’ouvrier au « capital ». Dans les Manuscrits de 44, il la relie à la
fonction de la propriété privée, et par la suite dans Le Capital, à la structure des
rapports de production capitalistes, qui donne à la propriété privée sa fonction aliénante
d’activer la « soif » du capitaliste (Marx) et de tous les individus, et qui culmine dans le
fétichisme de la marchandise.
En effet, Marx pour suivre les catégories de l’économie classique jusqu’à leur faire
rendre gorge, prend à bras le corps la condition réelle de l’ouvrier. Cette prise à bras le
corps, l’amène à mettre en lumière la manière dont l’ouvrier se trouve noué au
processus et au discours capitaliste (l’un n’allant pas sans l’autre), et ce qui en résulte
pour l’ouvrier lui-même. L’aliénation y trouve déjà une toute autre interprétation, une
toute autre place que celle qu’elle endosse dans le discours philosophique. Elle pointe
vers l’analyse de la dimension subjective et sociale que revêt la « dépendance » du
sujet – compte tenu de la séparation de l’ouvrier d’avec ses outils de travail –, les
conséquences politiques qui s’en suivent. Car cette dépendance, cet « asservissement »
se retourne en attachement, et le voue à partager avec le maître la passion de la
jouissance. Ici l’aliénation s’ébauche comme concept permettant de comprendre
l’articulation entre conditions sociales et économiques et affects inconscients. C’est la
main de fer de la propriété privée nous dit Marx, et c’est le Droit qui donne au capital
cette puissance et « attache » économiquement et subjectivement l’ouvrier à sa
condition.
C’est là son point d’Archimède. Marx nous ouvre des pistes pour tenter de comprendre
comment se noue la subjectivité aux conditions de production et de reproduction d’un
mode de production4. Ce point de départ l’oppose à Lacan, dans la mesure où la
jouissance ne part pas de la plus-value mais en est sa conséquence. Encore que Marx
reconnaît dans la nature humaine un pulsionnel en excès qui traverse l’histoire5. Cet
excès prend dans le système capitaliste, la forme de la plus-value. Chacun des auteurs
partant de lieux différents, l’un social et l’autre psychique, c’est dans l’articulation de
leurs champs que nous reposerons la question de l’aliénation. Non plus comme
catégorie idéologique mais comme concept opératoire ou relevant d’une « opération
logique » comme le propose Lacan dans sa théorisation du sujet de l’inconscient, des
destins de l’identification, du désir et de la pulsion quand ils s’articulent aux conditions
sociales de la domination.
La transposition du lien de propriété qui définit l’aliénation comme forme juridique (telle
est la place que Marx lui donnera dans le Capital sous la forme du capital porteur
d’intérêt)6, en vision idéologique de la relation du sujet et de l’objet et de la projection
du sujet dans l’objet, a des conséquences immédiatement politiques. Ce qui nous a été
enlevé, arraché sous la forme du capital est traduit en termes de « vol », et le conflit de
classes s’exprime dans la revendication d’une « restitution » et « récupération », d’une
« redistribution plus juste ». C’est dans le cadre du Droit et dans des termes juridiques
que se structure le discours du « socialisme petit-bourgeois », dont relève il faut bien le
dire la théorie philosophique de l’aliénation, à vouloir revenir vers un lieu que Marx a dû
quitter et dont il nous montre les voies de dégagement.
Voyons par contre le combat que Marx mène dans les Manuscrits de 44. Il reprend le
langage de l’économie classique comme il le dit lui-même mais pour, en suivant leur
raisonnement, arriver à voir ce qui ne s’y trouve pas, ce qui manque. « Nous avons
accepté son langage… »7. Un mode d’analyse qui se base sur des notions issues de la
circulation et du développement « industriel » (ce monde de production d’objets pour
des sujets), et non pas encore sur une analyse concrète d’un mode de production. Marx
marque le point de départ de sa critique, la critique de la propriété privée, sur le terrain
du discours de l’idéologie bourgeoise, en employant ses concepts. Mais, comme l’écrit
Bottigelli dans sa présentation (remarquable), et c’est là le moteur du déplacement de
Marx, « Marx aborde l’économie classique en socialiste, comme l’avait fait Engels,
voyant dans la suppression de la propriété privée la condition de la libération
humaine ». Marx s’appuie sur un point de vue politique, en opposition avec l’idéologie
dominante. Ce déplacement idéologique permet à Marx de voir ce que les économistes
classiques n’ont pas vu. Cette « prise de parti » désigne le point de fuite qui le fera se
déplacer du terrain de la philosophie, vers le terrain de l’analyse des contradictions d’un
mode de production, du terrain de l’engagement socialiste, au terrain de l’engagement
communiste, d’une analyse fondée sur la notion de travail en général (qu’il critiquera
durement), aux concepts de force de travail et de plus-value et en conséquence, au
concept de « rapports de production ».
Mais dans les Manuscrits, il ne voit encore que l’« inégalité » entre ouvriers et
capitalistes, pas encore la forme de l’exploitation, et comme les économistes classiques,
il part du travail et non de la force de travail, c’est dire qu’il n’a pas encore dégagé le
processus particulier de l’exploitation et de la formation de la valeur. Mais il a repéré le
rôle de la propriété privée et son lien avec le « système de l’argent » qui met en route
l’aliénation du travail dans le salaire payé à l’ouvrier. Car le salaire révèle la réalité de
son aliénation dans la double séparation qu’il a avec l’objet qu’il produit : a/au niveau de
la production en tant que les outils du travail ne lui appartiennent pas, b/au niveau de la
consommation dans l’obligation qu’il a de devoir acheter ce qu’il a produit, de devenir
consommateur. Marx en arrive à la conclusion que c’est la propriété privée qui fonde
cette séparation.
Mais déjà dans Les Manuscrits, le rapport réciproque travail/capital, (l’ouvrier produit le
capital, le capital produit l’ouvrier) comme simple rapport de face à face se trouve
subsumé sous un autre rapport surdéterminé du côté du capital, du fait même de la
propriété privée. Car Marx relève que le capital produit de son côté un ouvrier « pour »
le capital. Ce « pour » désigne la soumission réelle de l’ouvrier au capital, et cette
soumission renvoie, non plus à la production simple telle qu’elle existait avant le capital,
mais au point de vue de la reproduction. Et la reproduction demande que soit formé un
sujet qui corresponde aux exigences du capital. Leur opposition ne saurait être une
opposition simple, elle ne saurait définir une interaction, mais elle est toujours-déjà-
prise dans un rapport de force inégal où l’ouvrier est soumis à une domination qu’il doit
intégrer et qui le modèle. Ce processus d’intégration et d’ adaptation relève de
l’ instance idéologique. C’est alors une domination qui se doit d’allier une main de fer
dans un gant de velours. La violence du commandement dans la production va se
soutenir d’un pouvoir « soft » dans la consommation où le désir du sujet se trouve capté
et démultiplié. Aussi, par la jouissance qui lui est concédée et sur lequel il se trouve
branché, le sujet se constitue sur une division entre opposition au capital et soutien au
capital. N’est-ce pas la structure même de notre aliénation ?
Ce n’est pas la marchandise en tant que telle qui caractérise le monde capitaliste nous
dira Marx dans Le Capital, mais ce point unique, essentiel que la « force de travail »
devient une marchandise. C’est parce que la force de travail devient une marchandise,
que l’extorsion de la plus-value devient possible. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela
veut dire que la forme-sujet-de-droit devenant universel, le sujet se définit comme
s’appartenant à lui-même, et comme propriétaire peut aller porter sur le marché sa
force de travail comme n’importe quelle marchandise. Le Capital théorise ce qui avait
été appréhendé dans les Manuscrits comme « incorporation » par le sujet de la
propriété privée. La vente et l’achat de cette force de travail, fait du contrat de travail
comme simple réalisation de la liberté des sujets (au niveau de l’échange, nous n’avons
pas l’ouvrier et le capital, mais des sujets égaux en droit), le point de départ de la
production. La liberté de l’échange met en route le procès du capital comme
« exploitation », et non plus comme « dépense » de travail. Et c’est à partir de ce
nouage spécifique entre circulation (échange) et production que l’on peut expliquer
l’effet-aliénation de la conscience, l’effet-fétichisme de la marchandise. Car tel est
l’impératif capitaliste qui est un tour de force économique et idéologique d’un même
mouvement, qu’il lui faut « développer la transformation de l’argent en capital sur la
base des lois immanentes de l’échange de marchandises, de sorte que l’échange
d’équivalents soit valablement tenu pour point de départ »11. Pour que l’échange des
marchandises soit tenue pour point de départ il a fallu que le Droit « constitue le réel »
(Edelman) et qu’ainsi l’essence de l’homme soit définie par la propriété privée et que le
sujet de la société bourgeoise soit saisi, « interpellé » comme sujet de droit. Dès lors la
conscience universelle devient conscience universelle du droit de s’appartenir et d’en
tirer bénéfice. C’est ce que Lacan désigne sous l’appellation ironique des « droits de
l’hommiste ».
En effet, l’égalité des sujets de droit passant contrat, permet au capitaliste de faire
travailler la force de travail à son profit et légalement, sans que la plus-value
n’apparaisse jamais dans le procès de production dans la mesure même où la force de
travail comme n’importe quelle marchandise, est payée à sa valeur. En ce sens, le
processus capitaliste ne contredit pas la forme-marchandise mais en est sa pleine
réalisation. « Pleine réalisation » veut dire qu’il universalise, accélère l’extension de la
marchandise et que l’homme lui-même devenu marchandise, son « essence » ne
s’accomplit que sous forme de marchandise et le monde qu’il perçoit et projette prend
lui-même la forme marchandise. Dès lors, là où la production et la circulation se
trouvent nécessairement liés, la circulation surdétermine la perception de l’ensemble du
procès. C’est ainsi que dans la vie quotidienne, ce qui est « donné » comme premier,
comme « naturel », c’est l’universalité du rapport d’échange et la circulation abstraite de
la monnaie comme représentation de la valeur. Le procès de la circulation semble
dominer l’ensemble du procès de la production et de la reproduction et produit l’illusion
du sujet d’être à l’« origine » de la production. Mais ce « semblant » n’est pas un faux-
semblant, c’est un semblant « valable », réel, légitimement réalisé par les lois du
marché. C’est pourquoi l’illusion idéologique est aussi bien indicée d’une valeur de
réalité. Pour l’économie classique la division du travail apparaît elle-même comme
reproduction de l’individualité particulière et confirme la liberté des sujets au lieu de la
supprimer. Ici Marx parle bien de « l’aliénation réciproque », mais au sens juridique de
vente et d’achat généralisé qui inclue celle de la force de travail comme marchandise, et
cette forme juridique produit l’illusion de la liberté du sujet. Cette liberté est dit-il, la
« réalisation pleine et entière de l’égalité sociale »12. L’argent en constitue son
expression concrète.
Il faut dit-il, y repérer la « forme » dans laquelle les connexions apparaissent dans
l’ensemble du procès de production, qui s’inclue comme procès de reproduction. Or cet
ensemble du procès ne peut se comprendre qu’à partir de sa mise en relation avec les
rapports de production, mais ce sont précisément ces rapports qui doivent être occultés
pour que l’ensemble fonctionne. Et cette occultation soulignons-le, n’est pas un masque,
ne cache pas une essence derrière les apparences, mais elle est au contraire la pure
extériorisation d’un nouage spécifique entre circulation et production où ce qui est
donné « à voir » est le marché universel. Mais il n’y a de marché universel qu’à
condition de l’existence de la plus-value. Et ce sont les rapports de production qui en
permettent l’extraction, qui se trouvent ainsi occultés. Si cette occultation est
nécessaire, elle s’exhibe comme logique structurelle et non comme défaut ou manque.
Pour en comprendre le fonctionnement, il nous faut à l’analyse linéaire, substituer le
dispositif d’une topique, se donner les moyens de comprendre la fonction-idéologie par
quoi s’articulent l’infrastructure et la superstructure, de comprendre l’efficace propre de
la superstructure sans laquelle aucune reproduction des conditions de la production
n’est possible.
Car les conditions de la production doivent assurer l’invisibilité des antagonismes réels
(où l’invisible structure le domaine du visible). Et ces conditions renvoient à la fonction
de l’État, à l’appareil politique et juridique, aux formations idéologiques. Venant en
complément et soutien de l’appareil répressif d’État, l’idéologie dominante assure la
formation d’un sujet adapté au mode de production capitaliste et à sa forme de pouvoir.
Ce sujet doit répondre aux « valeurs » du marché et se définir comme sujet libre et égal
à tout autre. C’est à cette seule condition que sa force de travail est exploitable
légalement. En conséquence on peut dire que l’idéologie dominante est en dernière
instance une formation de l’idéologie juridique qui subsume tous les individus sous la
forme-sujet-de-droit. Autant dire que l’idéologie juridique donne à « voir » le primat des
formes de l’échange égalitaire entre sujets, où l’extorsion de la plus-value fonctionne
comme « point aveugle ». Or un point aveugle est toujours indispensable à la vision
elle-même. Ce qui signifie que la vision ne part pas du sujet, mais que le sujet est pris
dans un ensemble qui structure sa vision à partir de ce point aveugle. L’organisateur de
ce point aveugle est l’ordre juridique. Comme l’écrit Edelman,
« Concrètement » veut dire que le Droit, comme participant d’une part à l’appareil
d’État par son code, sa jurisprudence et ses tribunaux et d’autre part aux appareils
idéologiques d’État sous la forme d’une idéologie qu’il produit lui-même, l’idéologie
juridique, assure par sa « position d’efficacité » (Althusser) la reproduction des rapports
de productions. L’« homme » de la philosophie de l’aliénation est bien en dernière
instance « l’homme aux écus », ce sujet de droit qui convertit toute valeur morale en
bénéfice.
Un sujet défini dans sa capacité de posséder et de jouir, confirmé dans sa toute-
puissance de propriétaire jusqu’à consentir à faire de lui-même une marchandise tel que
le Droit le lui permet. Plus même, le Droit ne fonctionne qu’à l’impératif sous lequel il
subsume le sujet, qu’étant à lui-même son propre capital il se doit de le mettre « en
valeur ». Les droits de la « personne » concernent une personne toute entière définie
comme propriété d’elle-même. Aussi sa vision se trouve-t-elle en prise avec cette
jouissance d’objets et le capital s’accroît « sous l’effet d’une excitation particulière de la
pulsion d’enrichissement »16. Une pulsion qui, partant du procès du capital, soutenue
par le Droit s’empare de toute la société. Si les marchandises ne peuvent aller toutes
seules au marché et demandent un « conducteur » et un « gardien », le sujet
propriétaire dont la cause devient cette pulsion d’enrichissement, disparaît lui-même
dans l’échange de marchandises qui semblent circuler de par leur propre mouvement,
réduisant la production à n’être qu’un « intermédiaire ». Dans le fétichisme achevé de la
circulation financière, la production comme intermédiaire disparaît à son tour, ne reste
que le procès abstrait A-A’ de la jouissance monétaire qui semble n’être limitée par
aucune exigence de production matérielle. Il faut bien sûr des crises pour voir
s’effondrer la fiction.
Ainsi, le discours capitaliste ne peut fonctionner qu’à être porté par l’efficace d’un
ensemble de niveaux de reproduction articulés, mais aussi en se branchant sur l’objet a
de la jouissance. L’impasse massif sur la fonction du Droit et de la superstructure qui se
repère dans les commentaires sur la théorie de Marx et sur la question du passage au
communisme, manifeste l’efficacité de l’idéologie dominante. Elle favorise une
interprétation anthropologique et économiste du procès du capital qui occulte les
rapports de force et la lutte des classes parce qu’elle occulte en dernière instance les
rapports de production ne laissant la parole qu’au marché. Par voie de conséquence à
l’économique sous sa forme « industrielle » et au développement des forces productives
(censées « correspondre » ou ne pas correspondre aux rapports de production). La
révolution reviendrait à attendre un « ajustement » des forces productives avec les
rapports de production. Elle occulte du même pas les véritables rouages de cette
scission qui traverse le sujet et structure ses démêles avec sa propre servitude, le
véritable lieu de son aliénation.
Car l’« égalité » au niveau de la circulation i.e de l’échange qui réalise l’idéologie du
sujet, a une conséquence que Marx sans la théoriser, décrit dans un de ses effets, l’effet
jouissance : « la hausse du salaire excite chez l’ouvrier dit-il, la soif d’enrichissement du
capitaliste, mais il ne peut le faire qu’en sacrifiant son esprit et son corps »17. Il y a une
impasse au niveau du choix de l’ouvrier : s’il ne vise pas la hausse de salaire, il meurt,
s’il poursuit la hausse de salaire, il meurt (en se tuant au travail). Nous avons là
esquissé, le vel de l’aliénation déployé par Lacan au niveau de la division du sujet et de
la logique du langage, dont on peut voir un « équivalent » dans la logique du discours
capitaliste que Marx déploie. À ce point d’ailleurs, que l’on peut se demander si Lacan ne
s’est pas inspiré de Marx, bien plus qu’il ne l’admet. L’aliénation dans le registre de la
logique du langage pour Lacan, « condamne » le sujet à n’apparaître que dans cette
division « d’une part comme sens de l’autre comme aphanasis »18. C’est dire qu’à
choisir un terme, il perd toujours une part de lui-même. Sous le régime capitaliste tout
choix pour la vie est un choix pour la mort. Le ou bien… ou bien se transforme alors
pour l’ouvrier en ni… ni qui l’immobilise, le coince dans un impossible à vivre (même
sous le masque de la joie au travail). Si ce choix est « aliéné », c’est qu’il est en
impasse, c’est-à-dire « contraint ». C’est un choix dont les deux termes sont imposés
par la structure et répondent à la nécessité de la structure. Si la seule forme de
résistance est un ni… ni, elle n’ouvre sur aucun ailleurs et se bloque en répétition de
l’impuissance. Ce faux choix est activé par la structure antagonique qui lie
nécessairement circulation et production. Au niveau de la circulation la forme-sujet-de-
droit institue tous les individus dans un rapport d’égalité alors que dans la production,
ouvrier et capitaliste sont en opposition. La lutte au niveau de la production si elle se
tient dans sa logique, se confronte à cet irrémédiable des rapports de production et fait
disparaître le sujet de la consommation. L’écart peut devenir maximal jusqu’au
franchissement révolutionnaire si un troisième terme qui sert de point de fuite vient
rompre l’enchantement mortel. Mais à l’inverse, le désir du sujet cédant, les compromis
dans le cadre légal vont renouer comme l’écrit Marx la « chaîne d’or que le salarié s’est
lui-même forgé »19.
L’égalité mettant en route l’exploitation, ce que l’on peut espérer « gagner » et maîtriser
en tant que sujet de l’échange, est intrinsèquement démenti par les rapports de
production et la lutte des classes. Cette structure sociale de division passe à l’intérieur
des sujets, opposant à l’expérience ouvrière de l’exploitation, le rêve du self made man
de pouvoir « égaler » le capitaliste, de pouvoir être reconnu comme un interlocuteur
« légitime » et le battre sur son propre terrain. Tel est en tous les cas le discours dans
lequel il est pris et qu’il fait sien, croyant ainsi sauver sa peau et accéder au rêve de
l’égalité universelle qui, articulée dans le système marchand-capitaliste signifie,
jouissance universelle. Elle attache ensemble capitaliste et salarié, capitalisme et
citoyen et reproduit pour tout sujet sa servitude « volontaire ».
Cet « effet société » veut dire que la société ne peut se penser naturellement « contre »
l’État, qu’elle ne se tient pas en face de l’État, mais qu’elle est une production des
rapports de production dont l’État est le garant. La classe ouvrière fait partie de
l’ensemble « capitalisme ». Elle s’y trouve constituée et ne saurait échapper au mode de
reproduction qu’elle contribue à produire. Aussi la protestation, la mobilisation qui ne
partent pas de la lutte de classes, ne posent pas la question de l’État, la question de sa
fonction, de son fonctionnement et de son abolition ne participent pas du mouvement
réel vers le communisme mais au contraire, le bloquent dans un légalisme réformiste.
Restent le réel de la lutte des classes, de la condition ouvrière et salariale, des nouvelles
formes d’exploitation sauvage qui poussent chacun à se mobiliser, pour venir démentir
les idées « humanistes » – qui doublent la vision économiste des luttes – d’une
appropriation progressive d’un espace et d’une liberté qui nous ferait atteindre par un
saut de l’ange un communisme proclamé. Car le capital et la bourgeoisie, qui ne font
pas de cadeau, savent récupérer, détourner, détruire les mouvement d’émancipation,
tous les droits « acquis » et l’État se mobiliser en « état d’urgence ». Il met ainsi en
scène le réel de sa puissance.
Aussi l’État bourgeois, en s’adaptant sans toucher aux rapports de production, aménage
sa sauvegarde et la sauvegarde du capitalisme en tant qu’il devient de plus en plus son
plus fidèle exécutant. La destruction actuelle des États par le capitalisme mondial qui a
besoin d’écraser toute forme de résistance, ne veut pas dire que l’État disparaît mais
qu’il doit subsister en tant qu’appareil d’État (tourné vers la répression et le contrôle des
populations), au service direct des grands groupes. Mais il se doit d’aménager en même
temps une certaine stabilité des rapports de classes en faisant disparaître ce rapport
dans les revendications de la personnalité individuelle. Rappelons que la défaite de la
Commune de Paris oblige Marx à théoriser la fonction de l’État et sa destruction
nécessaire, impérative, comme mouvement réel vers le communisme. Cette destruction,
il en donne le concept, « dictature du prolétariat » ou autrement dit, pour reprendre les
premières expériences de la révolution d’octobre, « tout le pouvoir aux soviets », cette
forme nouvelle de démocratie (totale) où la question politique détermine le cours des
conditions économiques.
Au contraire, la projection d’un « dépassement » de l’État par « appropriation »
graduelle d’espaces autonomes de production et de distribution, qui en sauvegarde
l’existence (la plupart du temps sous forme de « blanc » dans les discours), organise
par avance l’impuissance des masses. Elle répond même à la stratégie du capital qui
laisse au social le soin de « réparer » ses excès. L’extension des « communs » se heurte
toujours in fine à la propriété capitaliste (et c’est valable pour la production
« immatérielle »). Ce « blanc » dans le discours caractérise l’idéologie petite-
bourgeoise, dont Marx a bien montré qu’elle porte de manière refoulée ce qu’il appelle
le « fétichisme de l’État ». Ce fétichisme culmine dans la mythification du régime
« démocratique » que l’on prend comme « idéal » sans analyser ses fondements, sa
constitution et ses mécanismes comme appareil d’État. Dès lors la seule critique actuelle
que l’on puisse porter c’est de se plaindre d’une « dé-démocratisation » !
L’appel à un « État dit social » comme recours et non comme idéal d’émancipation, peut
avoir son aspect positif à la seule condition qu’il corresponde à un état de la lutte des
classes. C’est ainsi qu’ il a permis d’étendre les droits sociaux c’est-à-dire de
« récupérer » pour le salarié une partie de la plus-value capitaliste. En même temps il a
étendu la « légalisation de la classe ouvrière », il a promu cette soif d’égalisation dans la
jouissance, propulsant la classe ouvrière dans les rangs de la petite-bourgeoisie, la
petite-bourgeoisie dans le rêve de la moyenne bourgeoisie et ainsi de suite, sans ouvrir
de perspectives révolutionnaires. Notons avec Marx, que « les révolutions ne se font pas
avec des lois » et que le passage au socialisme ne peut se passer par voie parlementaire
car il relève d’une mobilisation des masses comme le rappelle Althusser. La domination
n’est pas simple, mais elle se dissémine dans tout le corps social en recrutant, en
interpellant chacun en tant que sujet libre, tenu de remplir ses « obligations » et ses
« devoirs » de citoyen, lui promettant alors sécurité, bonheur et réussite.
Qu’il y ait des besoins vitaux, certes. Mais une politique menée au seul niveau des
besoins, se trouve piégée dans le discours capitaliste. Pour Marx, la première aliénation
de l’homme est d’être réduit à ses besoins. Car cette « réduction », en activant les
assouvissements immédiats, enchaîne l’homme à ce qui l’asservit, à la voix féroce du
surmoi qui active l’impératif de la jouissance.
❝ Et tout comme l’industrie spécule sur le raffinement des besoins, elle spécule
sur leur grossièreté, mais sur leur grossièreté provoquée artificiellement. La
véritable joie que procure les besoins grossiers consiste donc à s’étourdir, elle
est donc cette satisfaction apparente du besoin, cette civilisation à l’intérieur
de la grosse barbarie du besoin29.
La notion de besoin est issue de l’idéologie de l’échange comme nous le rappelle Hegel
qui définit la « société civile » comme la « sphère des besoins ». Réduire l’homme à ses
besoins, c’est le réduire à correspondre au marché capitaliste, à la consommation, mais
aussi aux nécessités de la production. Ce qui se révèle dans le discours dominant repris
par les syndicats et les partis de gauche, lorsqu’on passe de la revendication d’une
augmentation de salaire à celui d’un « pouvoir d’achat » qui efface d’autant plus le lien
à l’exploitation et à la dépendance salariale.
Partir des « besoins » pour mettre un peuple en mouvement, n’est-ce pas partir des
besoins propres à la reproduction de la force de travail, l’écraser sous le seuls signifiants
de la lutte contre le chômage ou contre l’austérité, dès lors le fixer à un « avoir » et
couper cours à la pulsion révolutionnaire qui ne porte pas sur un objet mais traverse le
sujet et le porte vers un « point de fuite » ? Elle correspond à l’une des figures de la
pulsion de mort dont parle Freud lorsqu’il rappelle dans « Considérations actuelles sur la
guerre et sur la mort » la devise de la Hanse, « il est nécessaire de naviguer, il n’est pas
nécessaire de vivre » (rappelant que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue si la mort,
« risque suprême », n’est pas mise en jeu). Il me semble qu’ici, comme je l’ai déjà écrit,
« se pointe la question politique à l’arête même de ce qu’un sujet pour rester vivant doit
à la pulsion anarchiste, à cette force de refus et de rejet, d’affirmer désespérément la
vie quitte à en mourir »30. Cette pulsion révolutionnaire, il arrive à Marx de la désigner
sous le mot de « besoins radicaux ». S’en tenir à la lutte économique c’est au contraire,
convoquer le prolétariat et le peuple à ne s’identifier qu’à une place négative en
opposition inversée au discours capitaliste qui sait mobiliser le désir en faisant miroiter
(vainement) un objet toujours au-delà du besoin. Un superflu, un luxe nécessaire à
l’appétit toujours « en excès » de la pulsion.
Le sujet récupère ainsi dans la consommation et les « droits sociaux » ce qu’il perd dans
la production. Il constitue la représentation qu’il a de lui-même comme moi, à travers
les différentes formes de « reconnaissance » que lui offrent l’État, les institutions et
l’entreprise, compensant ainsi son asservissement. La demande de reconnaissance ne
nie pas la différence de classes, au contraire elle la reconnaît (Franck Fischbach). La
classe ouvrière elle-même a trouvé dans les partis (structurés sur le même mode que
les partis bourgeois), une « échelle sociale » qui lui a permis de dépasser son
« infériorité » politique et économique. D’où les places fortes tenues par ceux qui se
retrouvent aux commandes et se vivent comme des fonctionnaires de l’appareil.
L’idéologie dominante y est reproduite avec parfois plus de férocité. La reproduction de
l’idéologie bourgeoise par ces appareils qu’Althusser nomme « appareils idéologiques
d’État » (AIE), se fait par une gestion des masses qui intègre d’autres formes premières
et préexistantes de domination, comme la domination patriarcale ou le racisme. La
domination patriarcale fait partie de la structure de classes et des formes de la lutte des
classes. Elle n’est pas seulement une « composante » de la structure sociale, mais elle
se définit elle-même comme une structure spécifique qui détermine et même
surdétermine les formes de la lutte des classes. Parce qu’elle est le socle sur lequel se
sont formées et se forment toutes les formes de la domination et de l’exploitation. C’est
pourquoi le mouvement de libération des femmes a produit un concept, celui de
« structure patriarcale ».
❝ qu’une domination des hommes sur les femmes soient maintenue, et c’est
toute la hiérarchie et le système de la domination qui se maintient et se
reconstruit, annulant le procès de la révolution. Poser la question de la relation
entre les femmes et les hommes comme constitutive du devenir
révolutionnaire de la révolution, c’est faire entendre qu’on ne saurait séparer
ce devenir, du « devenir révolutionnaire des gens » (G. Deleuze), de la
transformation de la subjectivité (des hommes comme des femmes), dans son
désir d’avoir le pouvoir, c’est-à-dire dans les formes de sa jouissance32.
Et la gestion de cette jouissance comme pouvoir des hommes sur les femmes,
scotomise la question du « féminin »33 que Freud met du côté des forces de déliaison et
de subjectivation. Elle fait jouer la différence sexuelle comme pure différence qui
démassifie la compacité fusionnelle de l’identification à un seul sexe et divise le sujet.
Dès lors l’égalité réelle entre femmes et hommes se concrétise dans la libération de la
parole et la relance des contradictions et des malentendus suffisamment vivants pour
qu’une association libre des producteurs prenne un sens réel et ne se referme pas à
nouveau sur un pouvoir solidifié. Cette surdétermination de la question de
l’émancipation des femmes et de leur lutte qui conditionne aussi bien la libération des
hommes, les révolutions ne l’ont pas reconnue, reculant devant l’inconnu d’une nouvelle
forme de désir. Cette angoisse du féminin qui barre l’accès des hommes (et aussi des
femmes) au signifiant de leur propre jouissance, porte en creux la question de la
subversion de la subjectivité nécessaire dans le mouvement communiste. Telle est la
butée sur laquelle s’échoue la pratique « dite » révolutionnaire qui témoigne de sa
« double aliénation », au discours capitaliste et au discours patriarcal.
Dans le nouveau cadre théorique que Marx construit dans Le Capital, il ne s’agit plus de
vouloir qu’un objet, le fruit du travail, nous soit restitué, mais d’analyser, de dévoiler la
spécificité de la structure dans laquelle s’organise la lutte des classes dont l’État est le
support et le garant. Le procès du capital ne se découvre pas dans la projection
dialectique linéaire de l’aliénation, mais il se révèle comme « fait structurel » à
dominante (Althusser), et non dans la relation sujet-objet. Il ne s’agit plus de partir
d’une catégorie philosophico-idéologique, mais d’analyser l’articulation spécifique des
différents niveaux d’un mode de production, qui renvoie à ce qui structure cette
articulation et « surdétermine » les contradictions, les tendances et contre-tendances.
La réalité de la lutte des classes l’emporte sur la vision-projective et dès lors la
catégorie d’aliénation change de place et de fonction. Ce n’est plus le thème de
l’appropriation qui est première mais, et les Écrits Politiques sont ici déterminants au
regard de l’analyse du Capital, celui de la destruction, de la rupture. L’État est approché
sous sa forme de machine, d’appareil à « détruire » et non pas à dépasser (en le
conservant transformé). Car Marx, dans Le Capital, quitte le niveau de l’analyse
économique pensée comme simple relation duelle en miroir, pour rentrer dans la réalité
d’un mode de production. Analysant le procès du capital, il ne part pas de la catégorie
abstraite du « travail » (dont il ne cessera de dire que c’est une catégorie du discours
bourgeois), mais de la force de travail. Ce n’est plus l’« essence » de l’homme,
renvoyant à une supposée « nature humaine », qui est aliénée mais sa force de travail.
L’aliénation y perd son statut philosophique pour retrouver son sens premier, juridique
de cession d’un objet, ici la force de travail qui est cédée à celui qui l’achète. Cette
capacité de cession demande un sujet propriétaire. De quoi ? De sa personne.
La propriété ne prend plus ici la figure linéaire d’une production d’objet(s) comme
capital, mais renvoie à la forme structurale que prend l’antagonisme entre propriété
privée des moyens de production d’un côté et propriété de la seule force de l’autre.
C’est le rapport de classes qui détermine le rapport circulation marchande/production de
plus-value et va permettre à Marx de répondre à la question de la forme valeur. Le
mode de production capitaliste se spécifie non pas de sa forme marchande seule, mais
de ce que sa forme marchande, en révélant un surplus de valeur dans la circulation, doit
répondre à la question : d’où vient ce surplus ? Le secret de la circulation se trouve,
nous dit Marx, dans la répétition. Car le processus ne peut se renouveler, se reproduire
qu’à la condition de se trouver augmenté. Nous ne sommes plus dans une temporalité
linéaire, mais en boucle ouverte où la rétroaction prime sur l’action. Dès lors l’échange
égalitaire entre marchandises ne peut s’articuler qu’à un « hors circulation », à
l’exploitation et à l’extraction de la plus-value dans la production. La reproduction du
procès du capital ne se comprend que dans la « rencontre » de la force de travail et des
moyens de production et non pas dans l’échange entre sujets égaux, elle n’est pas non
plus reportée sur le seul développement des forces productives, mais sur le « primat »
des rapports de production sur les forces productives .
Si Marx parle de « rencontre », c’est qu’il montre qu’il a changé de terrain. Le capital ne
résulte pas directement du travail, mais pour devenir capitalisme, procès économique
spécifique, il a dû se constituer (comme accumulation primitive), indépendamment de la
force de travail et constituer la force de travail comme « libre » (en l’arrachant à la
terre), indépendante de toute sujétion pour pouvoir se l’approprier. L’exploitation est
donc strictement nouée à la liberté du sujet et à l’égalité universelle telle que le Droit
les fixe. C’est donc l’articulation de l’infrastructure à la superstructure qui nous permet
de saisir la reproduction de la répétition et la question de la position du sujet. Ainsi Marx
a pu le premier énoncer cette logique implacable, qu’à vouloir choisir entre la liberté ou
le capital, si je choisis la liberté je meurs, il me faut donc pour sauver ma vie et au nom
de la liberté, la perdre en me vendant au capital. En un mot, « la liberté ne se prouve
que par l’aliénation de soi, et l’aliénation de soi par la liberté »34. C’est qu’elle, la liberté,
est la liberté du capital. Seule le choix de la mort, ajouterait Lacan, prouve ma liberté.
C’est conclure qu’il ne saurait y avoir de libération (de la liberté elle-même) sans en
passer par l’acceptation du risque de mourir.
Dès lors, les individus ne s’affrontent qu’en tant que « valeurs d’échanges
subjectivisées, i.e équivalents vivants, valeurs égales »36.
S’il est vrai comme l’écrit Althusser, que l’idéologie n’est pas le reflet direct de la réalité
mais « représente le rapport imaginaire des individus à leur condition d’existence »38,
alors se pose la question « pourquoi la représentation que se font les individus de leur
rapport (individuel aux rapports sociaux… est-elle nécessairement imaginaire ? Et quelle
est la nature de cet imaginaire ? »39. Althusser répond parce que l’idéologie n’est pas un
système d’idées qui existe dans la tête, mais elle est « matérielle », elle existe dans des
pratiques elles-mêmes insérées dans des appareils. La nécessité du rapport imaginaire
vient du fait que la réalité dans laquelle les individus naissent et se socialisent est
toujours-déjà-interprétée, codifiée et reproduite par ces individus eux-mêmes. À quelles
conditions et par quel fonctionnement ces individus reproduisent-ils nécessairement ce
rapport imaginaire ? Sous la condition d’être constitués en tant que « sujets ». D’où la
thèse althussérienne « il n’y a d’idéologie que par les sujets et pour les sujets »40.
Comment fonctionne cette constitution ? Par l’interpellation : l’idéologie « recrute » des
individus en les interpellant en tant que « sujets » et cette interpellation est opérante du
fait que « les individus sont-toujours-dejà-des sujets ».
Penser avec Althusser que l’idéologie « fonctionne à l’inconscient », ne veut pas dire à
l’inverse que l’inconscient soit réductible à une intériorisation de l’idéologie effaçant par
là même le fonctionnement propre de l’appareil psychique41. Dès lors la question se
pose, le sujet est-il condamné à n’être qu’un support des signifiants qui le constituent,
condamné à rester suspendu entre les deux termes de l’énoncé qui lui sont
« proposés » ? Pourtant comme le note Althusser dans « le jeune Marx », Marx « a fui »
l’Allemagne pour aller à la rencontre de la classe ouvrière, en France. Il a donc bien fallu
à Marx en tant qu’individu singulier, « se saisir » d’une conjoncture et non pas
seulement la subir. Marx, c’est l’acte d’une coupure signifiante qui institue le sujet
politique. Et cet acte pourrait-on dire, se fonde d’un signifiant tiers porté par la lutte des
classes : le communisme. N’est-il pas ce qui le désidentifie de l’interpellation idéologique
dominante et lui permet de changer de terrain et de problématique? Dès lors qu’un
autre « discours » se met en place, il articule autrement le rapport de l’imaginaire et du
symbolique. Parce qu’il s’appuie sur le réel de la lutte des classes et non plus sur
l’idéologie de son escamotage. Dans la nécessité de ce rapport imaginaire, il y a à
prendre en compte la subjectivation des conditions d’existence dans le fonctionnement
de l’inconscient, telle qu’elle est inaugurée par la découverte freudienne.
Or que découvre Freud ? Que ce rapport est réglé par la demande et désir, c’est-à-dire
qu’il est foncièrement « hallucinatoire ». Rappelons que la première « réalité » que le
bébé rencontre, n’est pas celle d’une réalité matérielle brute mais celle d’un
environnement humain. Tel est le premier « filtre » à partir duquel se construit le monde
pour l’enfant qui est le filtre du « langage » (au sens large du terme donc comprenant
les expressions corporelles). Dans cette « prématuration » qui caractérise l’individu
humain, le bébé est dépendant des soins maternels, de la sollicitude parentale. Cette
situation de « détresse » (qui se trouve au centre de la philosophie kantienne) le livre à
la volonté d’un grand Autre qui va se construire pour lui, à la fois comme protection,
point idéal et injonction surmoïque. C’est dans cette impuissance primordiale que se
situe le ressort de la soumission et de l’« attachement passionnel » (Judith Butler) que
tout être humain porte à un Autre dont sa vie dépend. Mais un bébé, un enfant n’est
pas seulement « passif » (étant entendu que la passivité elle-même est dynamique) et
la constitution du corps psychique pulsionnel lui permet d’élaborer peu à peu la réalité
selon ce qui lui convient ou pas. Cette constitution d’un choix inconscient d’un moi qui
rejette et d’un moi qui incorpore, Freud en a élaboré la dialectique dans son article sur
« La négation ». Au « sujet de l’idéologie » théorisé par Althusser qui reste dans
l’incapacité de se séparer de ce qui le soumet, s’oppose « le sujet de l’inconscient »
posé par Lacan qui est un sujet divisé entre conscient et inconscient, entre les différents
signifiants qui le constituent, et non pas tout entier subsumé au discours de l’Autre.
Ce qui a manqué à Althusser (et qui n’a pas manqué à Marx qui l’a « indicé », même s’il
ne l’a pas « théorisé »), c’est la fonction de la pulsion et de l’objet a, son lien à
l’identification pour penser la « prise » entre l’inconscient et les formations sociales et
donc l’efficace de l’idéologie, mais aussi la théorisation d’une possibilité du remaniement
de l’ordre symbolique et de la fonction de l’imaginaire, pour ouvrir la structure
d’assujettissement (et son effet-aliénation) sur sa possible remise en question. Sortir de
l‘identification hypnotique à ce grand Autre (ce point idéal), c’est abolir la toute-
puissance du sur-moi, c’est-à-dire pouvoir s’en séparer, amorcer ce mouvement de
retrait d’une jouissance subie acceptée… par moitié. « Le paradoxe, écrit Pierre Bruno,
est que c’est en renonçant à son innocence que l’analysant dissout son sentiment de
culpabilité, parce qu’il reconnaît ainsi dans symptôme sa part propre. Ayant reconnu sa
part, il se soustrait au fait d’être, comme naissant, joui par ses parents… »42. Dire que
le sujet est effet-de-langage, c’est reconnaître qu’il n’est pas cause de lui-même. Mais la
causalité se distingue du déterminisme en ce qu’elle ne renvoie à rien de repérable et de
coordonnable, mais se donne dans l’immanence de ses effets qui traverse le sujet. La
cause du sujet lui échappe (elle surgit comme symptômes, lapsus…) et c’est là son
aliénation primordiale qui assure du même pas les conditions de sa liberté. En ce que la
relation du sujet à l’Autre n’est pas de correspondance mais « s’engendre tout entière
dans un processus de béance »43.
L’Autre n’est pas ici un sujet, le sujet de l’idéologie qui se définit comme Un, mais l’Autre
du langage. Dès lors « la caractéristique du sujet de l’inconscient est d’être, sous le
signifiant qui développe ses réseaux, ses chaînes et son histoire, à une place
indéterminée »44. Cette indétermination dans le langage lui ouvre la possibilité du choix
qui est dans le vel de l’aliénation un non-choix, un choix toujours « écorné ». Ainsi dans
l’injonction : la liberté ou la vie, si je choisis la liberté, je perds la vie, si je choisis la vie,
ma liberté se trouve amputée. Je ne choisis donc pas vraiment, c’est dire que mon choix
est sous contrainte vitale (létale) telle qu’on a vu Marx le déployer. Seule l’injonction de
choisir entre la liberté ou la mort précise Lacan, donne au choix une structure différente
car la mort entre en jeu. Dans les deux cas j’aurai les deux. La seule liberté serait de
choisir la mort « car là vous démontrez que vous avez la liberté de choix ».
À partir de cette place indéterminée, le sujet peut trouver le point de fuite qui le déloge
de son coinçage entre deux éléments auxquels l’assigne le signifiant maître et l’impératif
de la jouissance qui lui est imposée, pour que ça marche. Cette indétermination du fait
du réseau des signifiants et de la métonymie du désir laisse le sujet en proie aux
intervalles et à la « rétroactivité » du discours, à l’alternance de sa présence-absence,
en proie à l’énigme de l’Autre, à l’énigme de son désir qui fait trou et engendre pour lui
une perte. Dès lors quelque chose d’« irréductible » ne se sait pas qui ouvre au sujet la
question « Il me dit ça, mais qu’est-ce qu’il veut ? ». Ainsi « le désir de l’Autre est
appréhendé par le sujet dans ce qui ne colle pas, dans tous les manques du discours de
l’Autre, et tous les pourquoi… »45. Dans tous ces « pourquoi » un point d’inconnu est
maintenu et relancé. Il donne au jugement son activité de négation et de séparation, au
pulsionnel sa puissance de mouvement, de mise en risque. Ainsi « Personne qui n’ait sa
chance d’insurrection à se repérer de la structure, puisqu’en droit elle fait la trace du
défaut d’un calcul à venir »46.
La classe ouvrière, comme les femmes, s’est trouvé « aliénée » au discours et aux
conditions du maître au prix une « destitution subjective » historique. Mais cette même
« destitution subjective » qui l’a réduite à l’impuissance est aussi ce qui lui donne sa
force révolutionnaire. Cette force de séparation ne naît que par et dans la lutte des
classes. Elle n’est pas donnée d’avance, elle n’est jamais acquise. Il lui faut parfois une
« défaite », pour que chute durement l’illusion – distillée par le discours dominant – qui
la porte, de pouvoir compter sur une « fraternité » des maîtres et des esclaves ou de
pouvoir partager les mêmes « intérêts ». Dans « Les luttes de classes en France » Marx
évoque la révolution de 1848 : la classe ouvrière croyant se battre pour elle-même se
bat en fait au profit de la classe dominante. Elle n’a pas conquis son autonomie mais
lutte avec les mots d’ordre de la bourgeoisie, sur son terrain. « Partout où le prolétariat
parisien passait à l’action, il agissait au service de la république bourgeoise en voulant
croire qu’il agissait au nom de la république sociale » (36). La défaite pour Marx, paraît
alors salutaire pour déchirer « le voile » idéologique, forcer le prolétariat à voir « clair ».
La Commune de Paris seule, en tire la leçon. Défaite après défaite, où en sommes-nous
aujourd’hui ? Dans cette répétition de l’histoire qui ne nous lâche pas, pour comprendre
la puissance du discours dominant le concept d’« aliénation » paraît faible s’il ne
s’articule pas à la question de la jouissance, à la question de l’inconscient. Car on peut
la comparer à une « toxicomanie » que le fétichisme de la marchandise porte à son
comble. Certains auteurs pensent que le fétichisme de la marchandise continuera à
fonctionner dans le communisme, du fait même de la circulation des marchandises. Je
ne le pense pas. D’autres « aliénations », d’autres « fétichismes » seront inventés, mis
en place. Car tel est, comme le dit Althusser, la nécessité pour chaque mode de
production de produire une idéologie, pour fonctionner. Mais le fétichisme de la
marchandise concerne strictement le mode de production capitaliste car il relève comme
on l’a vu, d’une « structure » propre qui renvoie aux rapports de production et d’un
procès fondé sur l’extorsion de la plus-value. C’est au réel de cette extorsion qu’il faut
escamoter, que renvoie la forme du nouage entre production et circulation et la
nécessaire captation fétichisante du sujet.
Nicole-Edith Thévenin
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Carlino, Andrea Cavazzini)
› Entretien avec François Maspero : « Quelques malentendus » (François Maspero)
› Idéologie juridique et idéologie bourgeoise (Idéologie et pratiques artistiques) (Nicole-
Edith Thévenin)
› Un texte inédit de Louis Althusser – Conférence sur la dictature du prolétariat à
Barcelone (Louis Althusser)
› Marx Global – entretien avec Jan Hoff (Jan Hoff)
› Althusser, un optimisme communiste. Entretien avec Panagiotis Sotiris (Panagiotis
Sotiris)
› Le socialisme et la mer : Allan Sekula, 1951-2013 (Steve Edwards)
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