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L'Homme

L'esclavage comme institution


Alain Testart

Citer ce document / Cite this document :

Testart Alain. L'esclavage comme institution. In: L'Homme, 1998, tome 38 n°145. De l'esclavage. pp. 31-69;

doi : 10.3406/hom.1998.370415

http://www.persee.fr/doc/hom_0439-4216_1998_num_38_145_370415

Document généré le 29/03/2016


L'esclavage comme institution

Alain Testart

À la mémoire de Moses I. Finley

L. a définition de l'esclave dans l'Antiquité classique ne pose pas de


problème : c'est un homme sans droit, sans personnalité (juridique). Rien de
plus simple. Mais cette définition n'est pas généralisable : pour ne citer
que cet exemple, en droit musulman1, l'esclave a certains droits, il ne peut
être mis à mort, il est protégé par les pouvoirs publics contre un maître
trop inhumain, etc.

Introduction au problème de la définition de l'esclavage

Statut (juridique), condition (de vie), servitude


Le statut de ce que les historiens, ethnologues, orientalistes, etc., ont
appelé « esclave » est extrêmement variable à travers le monde, à tel point
qu'on a pu se demander s'il y avait véritablement quelque chose de
commun à tous ces esclaves et si cette commune appellation ne venait pas
seulement d'une illusion d'optique. Un fait au moins est certain : on ne peut
pas définir (le seul problème concernant une définition générale) l'esclave
en dressant une liste minimale des incapacités juridiques dont seraient
frappés tous ceux que l'on a appelés « esclaves ». En effet, ni l'incapacité à
témoigner en justice, ni l'absence de droit à un patrimoine, encore moins Q
la possibilité d'être impunément mis à mort par le maître ne sont des traits to
universels du phénomène esclavagiste. Pas plus d'ailleurs que le droit illi- LU
mité du maître sur le travail de l'esclave ; ce trait d'ailleurs ne suffirait pas ^8
à différencier l'esclave du serf à propos duquel il faut se souvenir qu'il est

1. Pour ce qui concerne le statut de l'esclave en droit islamique, je renvoie une fois pour toutes aux
exposés de Milliot & Blanc (1987 : 227-228), Schacht (1983 : 109-111), et à l'article « 'ABD » de
l 'Encyclopédie de l'Islam (Brunschvig 1 960) .

L'HOMME 145/ 1998, pp. 31 à 69


« corvéable à merci » —, ce qui signifie bien que toute sa force de travail
appartient de droit à celui dont il dépend.
Néanmoins, et il faut le souligner, bien que nous ne puissions dire en
toute généralité en quoi consiste le statut de l'esclave, il est certain que
toute forme d'esclavage est caractérisée par un statut. D'une société à l'autre
ce statut varie, mais partout il existe un statut. C'est une première
constatation, un premier élément de définition.
Cet élément est insuffisant, ainsi que nous allons le montrer, mais en
lui-même il est déjà suffisamment important pour que nous en tirions
quelques leçons. Bien des observateurs ont été frappés, sinon troublés, par
le fait que les esclaves pouvaient, dans une même société, remplir des rôles
très différents : certains mènent une vie misérable et travaillent sous le fouet
tandis que d'autres deviennent ministres et vivent dans le luxe. La même
constatation semble valoir pour tous les anciens empires : on connaît des
ministres esclaves à la cour pharaonique comme on en connaît qui
occupent des positions élevées dans les royaumes africains ou dans les États
musulmans ; on connaît même des dynasties d'origine servile, telle celle des
Mamluks en Egypte. Pensera- t-on que tout cela n'est qu'une dérive propre
aux seuls Etats, au despotisme oriental, à l'Islam ou à quelqu' autre
particularité ? Nullement car on retrouve la même dualité dans les sociétés ligna-
gères africaines : dans la même société l'esclave peut être immolé sur la
tombe du maître, affecté aux tâches les moins gratifiantes ou encore
assumer le rôle de chef de lignage2. Cette diversité de condition' est un phénomène
général. Et il n'y a pas lieu de s'en étonner, car l'esclavage ne se définit pas
comme une condition de vie mais comme un statut4. Ce statut est toujours
très bas et il met toujours plus ou moins l'esclave dans la main du maître,
à sa merci, pour qu'il en fasse ce qu'il veut : il peut en faire un noble comme
il peut en faire un domestique, il peut le faire travailler dans les mines ou
le vendre s'il a besoin d'argent, il peut aussi lui faire gérer ses affaires si le
maître est un commerçant, il peut encore l'épouser si l'esclave est de l'autre
sexe. Aucune profession, aucun rôle social, aucune tâche, aucun mode de
vie n'est typique de la condition esclavagiste : ce qui est typique n'est pas ce
que fait l'esclave, ni comment il vit, car cela dépend du bon plaisir du
maître ; ce n'est même pas ce que le maître en fait, c'est qu'il puisse en faire
ce qu'il veut, c'est le droit qu'il a d'en faire ce qu'il veut. Ce n'est jamais le
fait qui définit l'esclave, c'est le droit. Et c'est bien parce que ce droit du
maître est, non pas toujours sans limites, mais toujours très étendu, que

2. Vansina 1973 : 367, pour les BaTéké (ancien royaume Tio, bas Congo).
3. Dans toute cette section, nous employons « condition » au sens de condition de vie et non au sens de
condition juridique.
4. J'emploie toujours « statut » au sens juridique et non au sens des sociologues.

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l'on peut faire jouer à l'esclave une multitude de rôles bien différents. C'est
le droit qui est premier, car c'est lui qui explique le fait — et sa diversité — et
c'est de lui qu'il faut partir pour définir le phénomène esclavagiste. Toute
autre considération s'abîmera dans la constatation morose de la diversité
infinie des faits et rejoindra le scepticisme stérile qui étreint les sciences
sociales en cette fin de siècle. Il en résulte également que nous ne saurions
envisager l'esclavage dans la perspective qui fut un temps en vogue du
« mode de production esclavagiste », car s'il est évident qu'une société qui
pratique l'esclavage peut développer un mode de production esclavagiste
— en affectant la majorité de ses esclaves à la production et en faisant de
ce mode le mode prédominant -, il est non moins évident que ce n'est là
qu'une possibilité, d'ailleurs rarement réalisée au cours de l'histoire5.
Fermons cette parenthèse critique et revenons donc au statut dont nous
disions que nous ne pouvions le définir en extension, en dressant la liste
des droits et des incapacités qu'il implique. Dans chaque société, l'esclave
est frappé d'un certain nombre d'incapacités qui sont propres à son statut,
c'est-à-dire lui font défaut un certain nombre de droits dont disposent les
autres membres de la société. Ainsi se définit l'opposition entre deux
statuts, deux catégories : la servitude et la liberté, les asservis et les hommes
libres. Mais cette opposition reste trop générale et ne suffit pas à définir
l'esclavage. Le serf de notre Moyen Âge est en servitude, mais il n'est pas
esclave ; pas plus que l'hilote à Sparte. L'esclavage est un cas particulier de
servitude qu'il reste à définir ; ou encore, ce qu'il reste à définir, c'est la
spécificité de l'esclavage au sein de la grande catégorie de la servitude6.
On s'accorde en général à dire que l'esclavage consiste en une forme
extrême de servitude. C'est un bon point de départ pour notre réflexion.

Préalable critique : l'esclave défini comme propriété


II existe au sein des sciences sociales une tendance persistante7 à définir
l'esclave comme une forme de propriété. Cette manière de faire nous
semble inacceptable pour une multitude de raisons.

5. Sur la rareté du mode de production esclavagiste, Finley (1981, passim), ne retenant comme exemple
d'un tel mode, à juste titre pensons-nous, que l'Antiquité classique et les sociétés hispano-américaines des
temps modernes. Sans doute faudrait-il ajouter certaines sociétés de l'Asie du Sud-Est insulaire (en
particulier le royaume Acheh) et plusieurs sociétés d'Afrique occidentale.
6. À ceux qui prétendraient que je joue sur les mots, puisque l'esclave se dit servus en latin et que notre
mot « servitude » dérive de ce radical, je répondrai que je ne suis pas le premier et que les Romains, qui S£2
s'y entendaient sur la question, distinguaient parfaitement servum esse (être esclave) et serviré ou in ser- 3
vitude esse (être en servitude). La remarque est de Wallon 1988 : 367, n.4. uj
7. Parmi les travaux les plus récents, Finley 1968 : 307, Watson 1980 : 8, reprenant Nieboer 1900 : 7. ^J
C'est là une manière de faire tout à fait traditionnelle, et fort répandue, en ce qu'elle épouse de très près JO
les conceptions romaines. On trouvera dans Nieboer {ibid. : 5) et dans Bongert (1963 : 190-191) des Q
listes — non exhaustives — de tous ceux qui, sociologues, historiens ou juristes, s'en sont tenus à cette ¡3
conception ; ces deux auteurs d'ailleurs s'y tiennent quoique le second avec une certaine réserve. ^Ul

L'esclavage comme institution


La première et la principale — elle est à notre sens décisive - est que
la propriété est une chose fort complexe, fort variable à travers les
sociétés, et qu'elle est en elle-même une chose beaucoup plus difficile à
définir que l'esclavage. Si bien que nous dirons que définir l'esclave par
référence à la propriété, c'est tomber de Charybde en Scylla. Tout
d'abord faudrait-il dire de quelle propriété l'on parle. Fait-on référence
à notre conception de la propriété qui est dans le droit fil de la
conception romaine ? La définition fournie s'appliquera alors certes à l'esclave
romain (défini dans les termes mêmes du droit romain comme une res
in mancipio — le mancipium étant une des principales formes de
propriété à Rome) mais s' appliquera- t-elle aux esclaves en Afrique,
continent qui connaît des formes de propriété complètement différentes des
nôtres ? Ce qui frappe le plus dans ces tentatives de définition de
l'esclave par référence à la propriété, c'est la naïveté avec laquelle elles sont
formulées, pour ne pas dire l'ignorance qu'elles traduisent de la
variabilité culturelle de la notion de propriété. Ces définitions eussent valu
d'être examinées sérieusement si elle avaient été formulées en précisant
que l'esclave se définissait dans chaque société par la propriété au sens où
cette société l'entend. Peut-être une telle formulation est-elle exacte, je ne
sais et nous ne pouvons le savoir tant que le recensement des diverses
formes de propriétés n'a pas sérieusement été entrepris. En tout cas, il ne
l'a pas été par ceux qui proposent de définir l'esclave par la propriété, pas
plus qu'ils ne signalent le problème.
Cette première objection suffirait largement à notre sens à rejeter
pareille définition. Mais si l'on doit présenter d'autres objections, elles ne
manquent pas. Doit-on entendre que pour ces auteurs l'esclave est en
propriété dans le sens plein du terme ? La propriété en ce sens se décompose
classiquement en trois droits réels : droit d'usus (d'user), droit de fructus
(de recueillir les fruits, ce qui en termes juridiques signifie aussi le gain
éventuel) et droit d'abusus, lequel comprend celui de détruire l'objet en
propriété et celui de l'aliéner — c'est-à-dire d'en transférer la propriété à
un autre par un don, une vente ou n'importe quel autre mode. L'esclave
romain est en pleine et entière propriété parce que le maître a sur lui tous
ces droits ; mais déjà la formule ne s'applique pas en droit islamique
puisque le maître, n'ayant pas le droit de tuer son esclave, ni celui de
l'abandonner, etc., ne dispose pas complètement sur lui du jus abutendi—,
il n'en dispose que partiellement, ayant le droit de l'aliéner. Doit-on
comprendre alors que nos auteurs, dont on peut supposer qu'ils ont fait un
minimum de recherche comparative et donc qu'ils savent parfaitement
que le maître n'a pas droit de vie et de mort sur son esclave en droit
islamique, ont voulu dire que ce qui caractérisait l'esclave était un élément du

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droit de propriété8 ? Mais là, nous allons vite rencontrer des contradictions
insurmontables. Tout d'abord, une première question se pose : quel
élément de propriété caractérise l'esclavage ?
Mettons que ce soit la possibilité d'aliénation qui semble tant avoir
retenu l'attention de nombreux chercheurs, principalement le droit
d'aliéner à titre onéreux, c'est-à-dire le droit de vendre. Mais ce n'est nullement
une caractéristique distinctive de l'esclavage. À Rome, le paterfamilias a le
droit de vendre son fils à un autre paterfamilias sans pour autant le réduire
en esclavage : c'est une sorte de louage de service, mais un louage
permanent, le fils ainsi vendu étant désormais dans la puissance de cet autre pater,
qui a également le pouvoir de le revendre9. C'est ce qui est connu en droit
romain comme une aliénation in mancipio. Autre exemple que l'on oublie
souvent : les droits du seigneur sur le serf pouvaient aussi être aliénés,
donnés ou vendus10, comme en témoigne encore le héros du roman de Gogol
Les âmes mortes. Peut-être ne voudra- t-on pas recevoir ces objections en
arguant qu'à Rome le fils a un statut notoirement comparable à celui de
l'esclave et que les droits sur le serf proviennent de ceux sur l'esclave. Alors
on peut dire encore ceci : dans la société contemporaine, une agence
d'intérim achète à un travailleur sans emploi sa force de travail et la revend à
l'entreprise qui en a besoin. Soulignons que ce n'est pas l'entreprise qui
paye le travailleur intérimaire, elle paye l'agence qui paye le travailleur. Il y
a bien aliénation, en l'occurrence transfert à titre onéreux d'un droit (droit
d'usage) sur les services d'un travailleur, il n'y a évidemment pas esclavage
— bien que le sens commun voit dans ce trafic quelque chose qui s'y
apparente. Concluons : le droit d'aliéner est une chose fort générale et ne
saurait nullement constituer un critère distinctif de l'esclavage.
Mettons maintenant, comme pour donner une chance à ceux que nous
critiquons, que 1'« élément de droit » dont ils voulaient parler soit le droit
d'usage sur la force de travail. Il faut préciser que ce droit est illimité, car
un patron dispose bien d'un droit réel (droit d'usage, et donc élément du
droit de propriété) sur la force de travail du salarié, mais seulement
pendant un certain temps, le temps du contrat, éventuellement renouvelable
par tacite reconduction, mais un droit qui de toute façon n'est pas par
nature illimité. Mais même ainsi précisé cet élément de droit censé
s'exercer sans limite de durée ni d'intensité n'est nullement caractéristique de
l'esclavage. C'est seulement dans la forme salariée qu'il ne se retrouve pas, to

9.
article
tions
8. Girard
10.CeDans
par
que
de vente,
Tessier
sa
1929,
ditgrande
explicitement
donation
1 (1959)
: 143-144.
étudeest
ou
surtout
Finley
échange,
la servitude,
entier
1968voir
consacré
: 307.
Bloch
Petot à1937
(1983,
une :vente
156.
I : 304)
de serfs.
mentionne
Plus généralement,
un cas de donsurde les
serfs
aliéna-
; un 4U
<^J
uo
q
p

L'esclavage comme institution


mais il se retrouve dans une multitude de formes de dépendance. Par
exemple, dans le servage puisque le serf est « taillable et corvéable à
merci ». Par exemple, encore, dans l'enfant ou l'adulte mis en gage pour
dette en Afrique, ou placé in mancipio à Rome, car ces dépendants, sans
être esclaves, doivent tout leur temps de travail ou presque à celui dont ils
dépendent. Concluons que le droit illimité sur la force de travail du
dépendant n'est en aucune façon distinctif de l'esclavage.
Finalement nos auteurs auraient-ils voulu dire qu'il y avait toujours
dans l'esclavage au moins un élément de propriété, de quelque nature
qu'il soit, et sans qu'il soit besoin, d'une société à l'autre, que ce soit
toujours le même ? Dans ce cas, n auraient-ils rien dit qu'une chose très
exacte, mais beaucoup trop générale. Car la discussion précédente a
suffisamment montré que l'on retrouve des « éléments » de propriété
dans maintes formes de dépendance et que l'on ne saurait se contenter
d'une caractéristique aussi vaguement formulée pour définir la
spécificité de l'esclavage.

Éléments pour une définition

Deux éléments nous paraissent importants pour définir la notion


d'esclavage. Le premier est relatif au statut dont nous soulignions l'importance.

1) L'exclusion
La caractéristique la plus évidente du statut de l'esclave antique est qu'il
est marqué par l'exclusion : exclu de la cité, exclu même de la grande
catégorie des hommes libres, l'esclave est un homme sans droit, une « chose
animée » selon la célèbre définition d'Aristote, une « chose » (res) selon le
droit romain.
Les deux caractéristiques les plus évidentes de l'esclave de l'antiquité
classique sont : premièrement qu'il est sans droit, deuxièmement qu'il
est un exclu de la communauté des citoyens qui forment ce que les
antiquisants appellent la cité ou la cité-État. La première caractéristique
n'est pas généralisable, nous en avons déjà fait la remarque. Qu'en est-il
de la seconde ?
L'esclave en droit islamique, à coup sûr, est un exclu : exclu de la
communauté des croyants, parce qu'aucun musulman ne peut être réduit en
esclavage, seuls les infidèles peuvent l'être. Il est exclu de par sa propre
folie, de par son aveuglement, son incapacité à reconnaître l'enseignement
du Prophète, exclu par sa faute avant d'être réduit en esclavage, exclusion
fondamentale antérieure au mal qui le frappe, et qui suffit à justifier
l'institution de l'esclavage.

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Comment se définit un esclave en Afrique noire ? Les BaCongo disent
qu'il est mwana gata « enfant du village »n — un peu comme nous dirions
un « enfant de la rue », c'est-à-dire en quelque sorte « anonyme », ou mieux
encore « public », au sens de « fille publique ». Car tous les autres, les
hommes libres, sont fils d'un tel ou d'un tel, ils appartiennent à un lignage,
à un clan : ils ont un nom, une identité lignagère. On ne peut qu'être
frappé par la ressemblance de ces données avec celles qui nous viennent de
l'Antiquité : seuls les citoyens romains ont un nom, ou plutôt en ont-ils
trois, le trinomen, dont le nom de clan, le nom de gens. Ici et là les hommes
libres sont fils de clan, ils ont un pedigree, ils sont définis par une identité
parentale ; les esclaves sont fils de rien en quelque sorte, on leur attribue des
noms, bien sûr, pas celui de leur père ou de leur mère, mais des surnoms
d'esclaves, des sobriquets choisis par leurs maîtres. On les appelle « enfants »,
mwana chez les Congo, puer chez les Romains. On ne les appelle pas
« esclaves », on ne les appelle pas servi à Rome, ce serait trop insultant. Ils
sont des enfants, mais ils sont des enfants à vie (à moins d'adoption ou
d'affranchissement) et ils ne sont pas les enfants de quelqu'un, ni fils de leur
clan, ni fils de leur père. L'utilisation de termes de parenté entre les maîtres
et les esclaves12 est purement métaphorique ; ou alors, si elle indique
quelque chose, c'est le fait que si l'esclave doit un jour avoir un homme qui
joue pour lui le rôle de père (ce qui se produit en cas d'affranchissement),
ce ne sera pas son géniteur ou son ancien père, ce sera son maître. Ici et là,
l'esclave a d'abord été sorti de la parenté, sorti de sa parenté d'origine —
entendons bien qu'il n'est pas seulement coupé de son géniteur, il est coupé
de liens sociaux de la parenté13. Il retrouvera peut-être un père dans la
personne de son maître, mais il ne retrouvera pas son père d'origine, ni son
identité première. Ainsi l'esclave, dans les sociétés lignagères d'Afrique que
nous venons d'évoquer, est-il tout autant un exclu qu'à Rome ; ici et là, il
est exclu du contexte principal qui définit chacune de ces sociétés : ici, de
la parenté, du lignage, là, de la gens et de la cité.
Qu'il s'agisse de la parenté dans les sociétés lignagères, de la citoyenneté
dans l'Antiquité, ou de la communauté des croyants dans le droit
islamique, l'esclave est toujours, dans chaque société, exclu d'une des
dimensions (sociales) considérée comme fondamentale par cette société. C'est une des

11. Balandier 1982 : 306, 312.


12. Utilisation d'ailleurs réciproque puisque l'esclave appelle son maître « père » ; dans les sociétés matri- 52
linéaires, il l'appelle « oncle maternel ». 5
13. Sur cet aspect bien connu des esclaves africains, il suffira de rappeler le mot de Bohannan (1963 : ¡3
180) qu'ils sont « unkinned » (« comme dépouillés de leur parenté »), ou encore le texte de Kopytoff& cç
Miers (1977). Selon Miller (1977 : 211) « les Imbangala définissaient les esclaves comme des personnes t/>
qui avaient perdu leurs noms auxquels ils avaient droit de naissance... » ; ils ont des noms distincts des q
noms de lignages. Perrot (1969 : 489) dit à propos de l'esclave qui vient d'être acquis que son « entrée p
dans la cour de son maître équivaut à une nouvelle naissance ». Hjj

L'esclavage comme institution


dimensions qui, dans cette société, fonde l'identité (sociale) de chacun en
même temps que son appartenance à la communauté : l'esclave a subi une
perte d'identité. L'esclave est un homme sans identité.
Nous pensons que nous retrouvons partout dans le phénomène
esclavagiste ce même phénomène de l'exclusion, et d'une exclusion
fondamentale qui fait de l'esclave un homme sans identité. Mais elle prend, bien sûr,
selon les sociétés, des formes différentes.
Ce critère suffit à départager l'esclave du serf qui n'est en aucune
façon un exclu sans identité : il a droit au nom, porte celui de son père,
a donc une parenté, se marie, etc. Rappelons également que la femme,
qui fait figure d'exclue à bien des égards, n'est en aucune façon exclue de
la dimension principale de la société : si les femmes sont généralement
exclues du sacré et du sacrifice, elles ne le sont pas de la religion ; si la
femme romaine est exclue de l'exercice de droits politiques, elle est
néanmoins citoyenne ; etc. Si l'on peut parler d'exclusion pour le serf ou pour
la femme, en rapport avec leurs incapacités, et relativement à une
dimension fondamentale de la société, ce ne sont néanmoins que des
exclusions partielles, tandis que celle de l'esclave est, relativement à cette
dimension14, totale.

2) Un dépendant dont peut faire son profit


La précédente discussion sur la propriété aura au moins rappelé que
l'esclave est quelqu'un dont on peut faire son profit, ce qui peut être
réalisé de plusieurs façons différentes :
— en utilisant la force de travail de l'esclave,
— en disposant de ses acquêts éventuels,
— en le vendant (aliénation à titre onéreux),
— ou encore de toute autre façon (en le plaçant en gage, en le
substituant au maître dans des épreuves ordaliques, en l'abandonnant pour
faute, en le donnant, etc.).
Ces diverses façons n'ont pas besoin d'être présentes toutes ensemble
quoique nous ne voyions pas d'exemple où le maître n'aurait pas le droit
de faire travailler son esclave, pas plus que nous n'en voyions où il serait
privé du droit de l'aliéner15. Nous ne supposons pas plus que l'une ou
l'autre de ces possibilités devrait être illimitée : le droit du maître sur le tra-

14. Il est totalement exclu de cette dimension, ce qui ne veut pas dire qu'il le soit de toutes les
dimensions. Même l'esclave romain a une dimension religieuse, etc. (sur ce sujet, voir les remarques ci-après).
15. N'entre pas en considération le cas particulier, prévu par le droit hébreu, le droit islamique et
certains droits africains, du maître qui a épousé une esclave ou lui a fait un enfant et se voit en conséquence
interdire de l'aliéner. Les quelques exemples que l'on signale pour lesquels il n'y aurait pas de vente des
esclaves sont sujets à caution, c'est plutôt l'absence d'une pratique qui se constate que la négation du
droit d'aliéner proprement dit.

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vail de l'esclave est, quoique toujours important, limité dans de
nombreuses sociétés. Nous disons seulement qu'il n'y a pas d'esclavage sans la
possibilité pour le maître d'en tirer quelque avantage matériel ou
pécuniaire. L'esclavage est toujours marqué par un certain caractère vénal.
Cet élément de définition, qui paraît banal, ne l'est pas. Il ne permet
certes pas de différencier l'esclave des autres formes de servitude, de tous
ces asservis dont on peut faire d'une façon ou d'une autre son profit. Ce
qui différencie l'esclave au sein de la grande catégorie de la servitude, c'est
l'exclusion. Mais d'un autre côté, ce même élément permet
immédiatement de différencier l'esclave d'autres formes de dépendants, ceux dont on
ne peut pas faire son profit. C'est le cas du vassal, par exemple, qu'aucun
seigneur n'a imaginé envoyer curer les fossés du château, non seulement
parce que cela ne fait pas partie du service vassalique mais encore parce
que c'est incompatible avec la dignité de ce service. Le service vassalique
n'est pas un service « servile », c'est, comme on dit au Moyen Âge, un
« service noble ». L'esclave est du côté de la servitude, pas le vassal. Et
pourtant, ils ont quelque chose en commun. La dépendance vassalique est
un cas de dépendance forte, puisque la fidélité envers le seigneur peut
amener le vassal à y perdre la vie. L'esclave, comme le vassal, frôle la mort.
On en dirait autant des captifs qui, ramenés à la capitale par les Aztèques,
sont voués à être sacrifiés ; ce sont des sortes de dépendants, des gens en
tout cas sur lesquels on a droit de vie et de mort, mais dont on ne tire
aucun avantage matériel, des victimes mais pas des asservis. Un homme
que l'on a capturé à la guerre ou un homme qui s'est rendu16 n'est encore
qu'un captif, nullement un esclave. Mais qu'on l'astreigne à travailler ou
seulement qu'on le vende, on en tire profit, et c'est déjà un esclave.

Définition
L'esclave est un dépendant
1) dont le statut (juridique) est marqué par l'exclusion d'une
dimension considérée comme fondamentale par la société
2) et dont on peut, d'une façon ou d'une autre, tirer profit.

Remarques de méthode
II n'y a pas de critère simple de l'esclavage. S'il est vrai que nous
définissons l'esclave par l'exclusion d'une des relations sociales considérée ^
comme fondamentale par la société, nous ne pouvons dire aussi générale- JÎ
ment de quelle relation il se trouve exclu dans telle ou telle société. Cela uî
dépend des cas : exclusion de la parenté dans les sociétés primitives, exclu- „,
S
et16.l'esclave.
Nous reviendrons sur la distinction, explicite en droit romain, entre celui qui s'est rendu, le déditice, H*J
p

L'esclavage comme institution


sion de la cité dans les sociétés antiques, exclusion de la communauté
religieuse dans les civilisations islamiques. Nous dirons que la forme de
l'exclusion varie. Il n'est pas si aisé de prévoir, ni même de comprendre, la
forme particulière que va revêtir l'exclusion dans telle société particulière.
On ne peut le faire que sur la base d'une connaissance minimale de la
société considérée et des rapports sociaux fondamentaux qu'elle implique ;
il y faut au moins une certaine intuition de la façon dont les acteurs
conçoivent leur société.
Prenons l'exemple thaï amplement documenté par la prodigieuse étude
de Lingat (1931). Les Occidentaux ont pris l'habitude de désigner par le
terme commun d'« esclave » deux types de dépendants distingués dans
le droit thaï : les « esclaves » redimibles qui conservent la capacité de se
racheter éventuellement contre la volonté de leur maître et les autres, les
esclaves dits « à vie », qui peuvent en réalité être rachetés mais seulement
si leur maître y consent, exactement comme un propriétaire qui n'est
jamais forcé de vendre son bien même si un acheteur solvable se présente.
Bien des observateurs ont relevé que le premier type ressemblait fort peu
à l'esclave de l'Occident17. Le point décisif nous paraît être celui-ci : les
esclaves redimibles restent soumis à la corvée royale tandis que les esclaves
à vie n'y sont pas18. Or les esclaves ne sont jamais soumis à l'impôt : il se
peut que le maître soit imposé sur son esclave comme il l'est sur ses biens,
mais l'esclave ne paye pas d'impôt, n'étant un dépendant que de son
maître mais non le citoyen d'un État ni le sujet d'un roi. Ce point est si
évident qu'une spécialiste19 de l'Egypte ancienne peut arguer du caractère
imposable d'un certain type de dépendant pour montrer qu'il n'était pas
un esclave. La Chine antique a connu une période pendant laquelle les
plus démunis entraient massivement en esclavage auprès de puissants pour
échapper à l'impôt. Un esclave ne paye pas d'impôt et ledit « esclave »
redimible du droit thaï n'en est pas un du seul fait qu'il est corvéable20. Quant
à l'autre type de dépendant, il en est bien un. Pourquoi ? Parce qu'il est
dans le royaume exclu de la relation sociale qui lie chacun comme sujet au
roi, ce par quoi le roi est en droit d'exiger impôts, corvées, et redevances
diverses. C'est cette relation qui nous paraît dans ce cas fondamentale,
comme sans doute dans bien d'autres royaumes.

17. En réalité, sa condition est exactement celle du gagé (voir plus loin).
18. L'esclave redimible « restait assujetti au service royal. Il devait partager son temps entre ce service et
celui de son maître. Primitivement, l'esclave fiduciaire [redimible] devait la moitié de son temps à son
maître et l'autre moitié au service royal [...] Quant à l'esclave à vie, il] ne doit plus de services qu'à son
maître. Il est rayé des rôles de la population corvéable » (Lingat 1931 : 84-85 ; voir aussi Turton 1980 :
270-271).
19. Menu 1977 : 393.
20. Il nous paraît significatif que Lingat (1931, ibid) identifie le caractère corvéable au statut de libre :
« ... un homme astreint aux corvées, c'est-à-dire tout homme libre... » (mes italiques ; A.T.).

Alain Testart
S'il n'y a pas de critère heuristique général, nous pouvons néanmoins
admettre que lorsqu'il existe un droit absolu de vie et de mort sur un
dépendant, c'est-à-dire un droit de disposer de sa vie selon le gré du maître
et pas seulement un droit de le punir de mort, cela prouve suffisamment21
que ce dépendant est un exclu en quelque sorte et doit donc être considéré
comme un esclave. En dehors de la relation esclavagiste, nous ne voyons
en effet que deux cas dans lesquels un maître dispose de semblable
pouvoir sur un dépendant : le père investi d'une patria potestas à la romaine
sur un fils ou le despote oriental sur ses sujets. Mais personne ne
confondra ces relations avec la relation de maître à esclave22.

(Rôle et fonction de) l'esclavage dans la société

Différence entre fonction (utilisation) et institution

Nous revenons une dernière fois sur l'utilisation de l'esclave, et tout ce


qui en dépend: les conditions matérielles et morales de vie des esclaves,
l'utilisation massive ou réduite que la société en fait, l'existence d'une
stratification sociale importante fondée sur la distinction entre libres et serviles,
l'existence d'un mode de production esclavagiste, etc. Cette utilisation,
ainsi que nous le rappelions plus haut, est fort diverse. L'esclavage comme
institution, au contraire, nous paraît avoir une unité certaine. Le rapport
entre utilisation et institution est régi par cette loi sociologique générale :
l'utilisation que fait une société de ses esclaves dépend de l'allure
d'ensemble de cette société, c'est-à-dire des rapports sociaux fondamentaux qui
structurent cette société.
L'esclave est un joker dont l'utilisation dépend des stratégies, définies
ailleurs, de la société.
L'existence de l'esclavage ne définit pas un type de société, c'est la
société qui définit le type d'esclavage.
Ou encore : il y a autant de formes d'esclavage qu'il y a de types de
société pour lesquels l'esclavage existe.
C'est la méconnaissance de cette loi - que nous tenons pour évidente —
qui a conduit à douter de la réalité de l'esclavage à chaque fois que l'on ne
rencontrait pas les images de misère que nous lui associons
communément. Or il faut le répéter : l'esclave est un joker que chaque société
utilise selon sa logique propre, chacune, pourrait-on dire, selon ses besoins. a

21. Compte tenu de ce qui précède (et encore de ce qui va suivre), le lecteur comprendra que c'est là une ^J
condition suffisante mais nullement nécessaire. i/î
22. On me dira peut-être que beaucoup ont fait cette confusion puisqu'elle était à la base de la théorie q
soviétique de 1'« esclavage généralisé », formule qui devait rendre compte des despotismes orientaux. 3
Mais je ne pense pas que quiconque soutiendrait aujourd'hui pareille conception. >ig

L'esclavage comme institution


Parenthèse critique : les deux sens d'« intégration »

Le mot « intégration », employé de façon vague, a souvent été utilisé


pour nier la réalité de l'esclavage dans les sociétés lignagères ou du moins
pour avancer l'idée que l'esclavage y était radicalement différent dans ces
sociétés et dans les sociétés antiques.
Deux points doivent être soulignés :
1) le terme « intégration » ne saurait avoir de sens si l'on ne précise pas
dans quel type de groupement a lieu cette intégration, si l'on ne
différencie pas famille (unité domestique) et groupe de parenté :
— l'esclave antique, en effet, est intégré à la famille, par définition de la
familia qui est l'ensemble des hommes, choses et bêtes qui se trouvent sous
la dépendance du paterfamilias et résident dans la même domus ;
— mais il n'est, bien sûr, pas intégré au groupe de parenté, c'est-à-dire à
l'ensemble des agnats, ni à la gens.
2) l'esclave antique est donc à la fois inclus et exclu.
Rien ne sert non plus de dire que l'esclave est dans les sociétés
lignagères intégré ou inclus : il faut savoir à quel groupe il l'est et une fois cette
précision apportée, on s'apercevra à la lecture des textes ethnographiques,
chaque fois qu'ils le permettent, que l'esclave dans les sociétés lignagères
africaines est, exactement comme dans l'Antiquité, inclus dans le groupe
domestique et exclu du groupe de parenté.
Prenons l'exemple des Nuer à travers la description classique d'Evans-
Pritchard (1968 : 250-257). La question d'un éventuel esclavage ne se
pose qu'à propos des Dinka, population voisine largement méprisée par les
Nuer. Il existe différents types de Dinka en pays nuer : ceux qui ne font
que passer et viennent rendre visite à des parents captifs ; ceux qui sont
venus s'installer volontairement en pays nuer pour échapper aux razzias
des Nuer dans leur pays et sont entrés dans une certaine relation — la
relation jaang— avec un homme nuer ; ceux qui, réduits par la conquête, sans
être absorbés par la société ni la civilisation nuer, y forment des sortes
d'enclaves territoriales en pays nuer ; enfin, les captifs. Chacune de ces
catégories semble jouir d'une certaine reconnaissance juridique et
bénéficier (à l'inverse des Dinka restés dans leur pays qui sont les ennemis
héréditaires) d'une certaine protection de la part des Nuer. On le voit bien par
le prix du sang que les Nuer leur reconnaissent en cas de meurtre de l'un
de leurs membres : un Dinka en visite ne vaut que 6 têtes de bétail tandis
qu'un captif ramené de la guerre en vaut déjà 16, un homme libre quant
à lui, Nuer forcément, en valant 40. Ces chiffres varient d'une région à
l'autre ; ailleurs, un Dinka établi vaut 30 têtes, mais 20 seulement s'il n'a
pas fondé de ferme. On voit la logique de ces évaluations : plus l'étranger

Alain Testart
est intégré dans les communautés nuer, plus son prix se rapproche de celui
d'un Nuer véritable.
Qu'en est-il maintenant de ces « captifs » à propos desquels ni Evans-
Pritchard ni les commentateurs subséquents ne parlent en général
d'esclavage23 ? « Une fois reconnue leur appartenance à une communauté, leur
statut juridique est le même que celui d'un Nuer né libre » {ibid. : 253).
Toute la suite du texte montre qu'une des finalités de la capture des Dinka
est l'intégration aux lignages nuer : « sans doute la plupart des captifs dinka
ont-ils été adoptés dans les lignages nuer » et Evans-Pritchard insiste
beaucoup sur cette incorporation. Mais il y a une différence entre être intégré
dans une unité résidentielle (dans la communauté locale, le cieng; dans la
maisonnée ou la famille étendue, le gol) et être intégré dans le lignage (ce
par quoi on devient thok dwiel ou. thok mac, ce qui permet d'avoir des
relations buth)24 — distinction identique à celle entre domus et gens dans le
monde romain. Seule l'intégration dans le lignage a valeur d'adoption et
fait du captif un homme libre ; l'autre intégration n'est que l'incorporation
ordinaire de n'importe quel esclave à l'unité résidentielle de ses maîtres.
La « plupart » des captifs sont adoptés, nous dit Evans-Pritchard, ce qui
implique que certains ne le soient pas, c'est-à-dire restent exclus du lignage.
Tout le texte sur l'adoption est d'ailleurs relatif à de jeunes Dinka ; qu'en
est-il des moins jeunes ? En tout cas, pour les jeunes filles, Evans-Pritchard
est explicite : « on ne [les] reçoit pas dans le lignage »25 {ibid. : 254). Mais
peut-être ne comprend-on pas bien ce que cela veut dire d'être membre de
la maison sans être adopté comme membre du lignage. Evans-Pritchard,
dont l'ethnographie est toujours de qualité, nous le dit tout crûment :
« l'homme qui tue un Dinka membre de sa propre maison, mais non
adopté et né hors du pays nuer, ne doit aucune réparation [...] Dol, qui est
justement d'origine dinka, m'a dit : " si vous maudissez un Dinka de votre
maisonnée, eh bien, vous le maudissez, voilà tout. S'il se fâche, vous lui
dites que vous allez le tuer et qu'il ne se passera rien. Vous nettoierez tout
simplement votre lance dans la terre et la pendrez " » {ibid. : 251).

Ainsi, sur ces captifs qui ne sont pas encore adoptés dans le lignage
même s'ils le seront un jour, sur ces captives qui ne le seront jamais, le

23. Le mot est utilisé une fois par Howell (1954 : 56), qui par ailleurs se sépare très peu d'Evans-
Pritchard, uniquement pour dire que les Dinka capturés n'étaient pas des esclaves au sens courant du S2
terme parce qu'ils étaient rapidement assimilés à la société nuer. 5
24. La distinction est beaucoup plus clairement exposée dans le second livre d'Evans-Pritchard, Parenté 2
et mariage chez les Nuer (1973 : 17-18), que dans Les Nuer. Il y a intérêt à relire tous les passages sur les ^
captifs dinka à la lumière de cette distinction. v>
25. Bien qu'on leur permette de « recevoir » la compensation matrimoniale, ce dont elles ne bénéficient pas q
elles-mêmes, bien sûr, puisque cette compensation n'est jamais destinée à l'épouse mais à ses parents. Ce p
sont ses maîtres qui en bénéficient. Il en va de même pour la compensation pour le meurtre d'un captif. >íu

L'esclavage comme institution


maître dispose d'un droit absolu. Et ces exclus sur lesquels on dispose d'un
droit de vie et de mort, on en fait aussi son profit. Car ce captif que vous
pouvez tuer, si un autre le tue, vous lui demanderez une compensation
pour meurtre, inférieure à celle d'un homme libre26, mais significative
néanmoins. Et cette captive qui ne sera jamais reçue dans le lignage, vous
la marierez à un homme dont vous demanderez la compensation
matrimoniale. Le profit que tire une société lignagère d'un dépendant ne peut
pas prendre les mêmes formes que dans une société latifundiste, il n'en
existe pas moins. Lorsque ces trois conditions — exclusion, mort, profit — sont
réunies à propos d'un dépendant, c'est ce que nous appelons un esclave.

Société esclavagiste et société avec esclavage

De la discussion précédente il résulte que :


1) l'esclave est par définition toujours un exclu,
2) son utilisation consiste forcément à l'inclure dans un groupe ou une
structure, quels qu'ils soient, groupe domestique ou structure de
production associée à une latifundia.
Ce double caractère est intrinsèque à la condition d'esclave ; c'en est
une donnée structurelle.
Mais il a aussi une dimension temporelle. Tout esclave, qui n'est pas tel
simplement parce qu'il est enfant d'esclave, passe nécessairement par les
phases suivantes (fig. 1 et 2) :
lre phase : rupture originelle avec sa société ou son groupe, ce qui le
prive de sa protection ;
2e phase : phase de circulation, plus ou moins longue, qui consomme
cette rupture par un éloignement géographique et social (vente ou autre
transfert à l'extérieur du groupe, revente, etc.) ;
3e phase : intégration comme esclave, c'est-à-dire comme exclu, par le
dernier acquéreur au groupe ou à la société de ce dernier.
Cette intégration prend deux formes :
— soit le maître l'intègre à titre permanent \ son groupe domestique, à ses
gens, à sa suite personnelle ou à une équipe de travailleurs,
— soit le maître l'intègre comme esclave de façon temporaire dans la
perspective de finalement l'intégrer à part entière - c'est-à-dire de l'adopter,
l'assimiler, l'intégrer comme libre —, lui ou ses enfants, à son propre groupe
de parenté.
Ce sont là deux stratégies différentes. Cette alternative s'explique par la
loi dont nous faisions état ci-dessus, à savoir que l'esclave est utilisé confor-

26. Inférieure à peu près de moitié, ce qui rappelle fort la législation musulmane sur le prix de l'esclave, estimé
à la moitié d'un homme libre ; c'est évidemment, comme chez les Nuer, le maître qui en reçoit le prix.

Alain Testart
45

esclaves
libres

Fig. I . Stratégie esclavagiste.

temps d'assimilation i

Fig. 2. Stratégie lignagère.

L'esclavage comme institution


mément aux besoins de la société. La seconde stratégie, qui vise l'adoption,
est typique de la société lignagère, société dans laquelle le succès dépend du
nombre de ses apparentés et de ses dépendants, où chacun donc cherche
avant tout à accroître ce nombre. L'acquisition d'esclaves s'inscrit dans cette
stratégie. L'adoption est la finalité de l'institution.
La rupture originelle est toujours suffisamment importante pour que
l'esclave ne puisse être immédiatement intégré comme libre dans le
nouveau groupe : il faut lui refaire une identité. D'où cette
4e phase (qui n'existe que dans la seconde stratégie) : temps
d'intégration ou, mieux dit peut-être, pour différencier cette phase de la troisième,
temps d'assimilation. Elle est plus ou moins longue et elle peut ne
concerner que la seconde génération ; elle peut être soumise à certaines
conditions, seul l'esclave qui sert bien son maître pouvant être assimilé.
Selon les stratégies adoptées, les sociétés prennent des allures très
différentes. Celles qui maintiennent les esclaves dans une situation servile
permanente peuvent avoir un grand nombre d'esclaves ; l'opposition entre la
catégorie des libres et celle des serviles est très apparente. Peut-être ces
sociétés méritent-elles seules d'être appelées « esclavagistes » — au sens où nous
parlons de sociétés « capitalistes » seulement pour celles qui ont fait du capital la
base de leur organisation et de leur vie sociale, et non pour toutes celles,
beaucoup plus nombreuses, qui connaissent une forme ou une autre de capital.
Les sociétés qui visent à l'assimilation de leurs esclaves ne peuvent en
détenir un très grand nombre (à vrai dire ce nombre, toutes choses égales
par ailleurs, en particulier le taux d'approvisionnement, est inversement
proportionnel au temps d'assimilation). La différence de mode de vie entre
les libres et les esclaves ne peut être trop flagrante, car il serait illogique de
maltraiter outre mesure ceux que l'on devra un jour considérer comme ses
parents ; beaucoup d'observateurs indiquent qu'en arrivant dans un village
africain on ne peut distinguer ceux qui sont libres et ceux qui ne le sont pas.
Nous dirons que de telles sociétés connaissent l'esclavage, que ce sont des
sociétés à esclavage, mais non des sociétés esclavagistes.
Entre ces deux extrêmes, l'Afrique fournit probablement des exemples
de toute la gamme de variations. Dans la région sahélo-soudanienne, sur
les lieux où s'étaient développés les plus anciens États — le royaume du
Ghana, ceux du Sénégal, les empires du Mali et de Gao —, plus au sud et
jusqu'à la côte, parmi les puissants États qui se constituèrent en liaison
avec la traite négrière, on rencontrait au XIXe siècle, juste avant la
colonisation, de véritables sociétés esclavagistes : les esclaves y représentaient
jusqu'à 30 à 50 % de la population27. La condition de l'esclave n'y était pas

27. Pour ces estimations, voir Meillassoux (1975a : 17) et Kopytoff& Miers (1977 : 60).

Alain Testart
aussi extrême que dans l'Antiquité méditerranéenne, la différence
principale résidant dans ce statut évolutif, présent dans presque toutes ces
sociétés, et qui faisait du fils d'esclave un dépendant, mais avec des droits et une
amélioration sensible de son statut par comparaison avec celui de son père.
On peut y voir comme l'écho affaibli de la vieille conception des sociétés
lignagères selon laquelle l'esclave devait finalement être intégré au lignage.
On décèle aussi dans maints exemples de ces sociétés l'influence du
modèle islamique, beaucoup plus clément vis-à-vis des esclaves que le
modèle romain ou grec. Néanmoins ces esclaves contribuent à la
production, ils alimentent la traite négrière et forment une couche importante
et permanente de la société. À l'autre extrême, des populations vaincues,
dominées, ou encore installées dans une relative marginalité, certains
peuples de la forêt atlantique, d'autres plus guerriers ou plus épris
d'égalité, n'avaient-ils tout au plus que quelques esclaves.
Par delà ces différences très apparentes, qui ne retiendront pas plus
longtemps notre attention, il y a bien, partout, une société à deux niveaux,
différenciant deux statuts, celui d'homme libre et celui d'esclave. C'est ce
phénomène minimal qui définit la société à esclavage.

Société à esclavage, société sans esclavage

II faut toujours prendre garde lorsqu'on définit une notion de vérifier


qu'on définit bien aussi son contraire.
Qu'est-ce qu'une société sans esclavage ?
C'est très simple, c'est une société qui ne fait pas de prisonnier. Les
Australiens ignorent l'institution de l'esclavage : ils tuent. C'est cohérent
avec tout ce que l'on connaît par ailleurs des Aborigènes, car ils n'emmènent
en captivité ni les hommes ni les animaux ; il n'y a pas de domestication
animale, pas non plus d'animaux « captifs », ainsi que l'on en connaît en
différents points de l'Amérique du Nord et de la Sibérie. Les Aborigènes ne
connaissent pas non plus le sacrifice, car on ne sacrifie en général que des
animaux domestiques ou des êtres humains, vaincus ou esclaves.
Deux précisions néanmoins.
Les Australiens se distinguent par le fait qu'ils donnent la mort de façon
immédiate. On peut aussi la différer et cela ne change rien au problème
pourvu qu'il soit certain que celui dont on conserve la vie doive à plus ou „,
moins brève échéance trouver la mort. Il est alors en sursis et c'est un cap- 55
tif voué à la mort, non un esclave. Deux raisons peuvent expliquer que l'on ***
diffère la mort de quelqu'un : soit pour administrer une mort lente, par la </»
torture, soit pour permettre de la donner dans des conditions rituelles de §
temps et de lieu qui ne sont pas immédiatement réunies, comme dans le JU

L'esclavage comme institution


sacrifice ou dans l'anthropophagie rituelle. Le premier cas se rencontre chez
de nombreux Indiens d'Amérique du Nord, le second est bien connu des
48 peuples aztèques ou maya, polynésiens et de certains peuples tupinamba
des côtes d'Amérique du Sud. Dans chacun de ces cas où le captif est voué
à la mort et où il n'y a pas de servitude, il ne saurait être question d'esclavage.
Les uns et les autres parmi les peuples que nous avons évoqués tuent,
de façon immédiate ou différée, mais ils ne tuent que les hommes. Ils
capturent les femmes des vaincus et c'est peut-être à ce propos que la question
de la distinction entre esclavage et non-esclavage se pose avec le plus
d'acuité. Car la femme capturée est adoptée, épousée, assimilée par les
vainqueurs un peu à l'image de ce que nous disions pour l'esclave dans la
société lignagère. Dans les deux cas, il y a rupture avec le groupe d'origine.
Qu'est-ce qui diffère ? Premièrement, le fait qu'il n'y ait rien d'analogue à
la deuxième phase, pas de circulation ; deuxièmement, le fait qu'il n'y ait
pas non plus de quatrième phase, pas de phase progressive d'assimilation,
parce que la femme est immédiatement adoptée (fig. 3). Autrement dit la
femme est intégrée comme femme, dans une nouvelle communauté certes,
mais pas avec un statut spécial.
Il existe d'ailleurs un élément, au moins dans le cas de l'Australie, qui
me semble tout à fait décisif et qui fera ressortir de façon éclatante la
différence entre la femme capturée et la femme esclave. Il est notoire que les

Fig. 3. Intégration d'une femme capturée à la guerre


dans une société sans esclavage.

Alain Testart
femmes esclaves en Afrique peuvent être épousées par le maître ou
n'importe quel membre de son lignage, et cela constitue même un des plus
puissants motifs à l'acquisition de femmes esclaves : cette possibilité vient de ce
qu'elles n'ont plus d'identité lignagère — elles ont perdu leur identité, sont
exclues de la parenté. Or toutes nos sources l'indiquent : la femme
australienne capturée au cours d'un affrontement armé ne perd pas sa position
dans le système de parenté ni dans l'organisation sociale (sections ou
moitiés), car il est toujours précisé que les guerriers ne peuvent emmener (et
épouser) que celles qui sont dans des catégories compatibles (épousables)
avec les leurs. Perte ou conservation d'une identité - toujours stipulée dans
les termes de la parenté dans ces sociétés —, tel est le critère qui permet de
distinguer l'esclave du non-esclave. On pourrait dire encore qu'en Australie
il n'y a pas d'esclavage et qu'il ne peut y en avoir dans la mesure où les
catégories de la parenté sont immuables, intangibles et inaliénables. C'est ce qui
définit le statut de la liberté aborigène tout aussi bien que la déclaration des
droits de l'homme. Chacun y naît parent et demeure parent. Dans une
société où la parenté est dominante, l'esclavage ne peut prendre que la
forme d'une exclusion de la parenté ; quand, de plus, la non-parenté n'y est
pas concevable, l'esclavage y est également inconcevable.

Quelques autres formes de dépendance

Entre esclavage et liberté


Finley, dans plusieurs de ses articles28, s'est attaché à montrer la
diversité considérable des formes de dépendance dans l'Antiquité et a souligné
que ces formes n'étaient en aucune façon réductibles à l'esclavage. L'un de
ces articles reprend dans son titre une expression qui provient d'un Grec
alexandrin écrivant vers le IIe siècle de notre ère et qui, pour décrire un
certain nombre de statuts serviles difficiles à classer, utilisait, faute de mieux,
la rubrique : « Entre les hommes libres et les esclaves. » Cette expression
montre au moins deux choses. D'abord, que cette diversité était reconnue
par les membres de la société eux-mêmes. Ensuite qu'en cette matière, les
Anciens ne s'y retrouvaient guère plus que nous. La dichotomie mise en
avant par toute l'Antiquité classique, mode de pensée dont nous héritons
et dont nous dépendons, ne parvient pas à subsumer toutes les formes
reconnues, ne serait-ce que dans l' Antiquité et même dans ses périodes les
plus classiques. C'est un fait qu'il faut toujours garder en tête pour nous 5
prémunir contre l'idée que les sociétés étudiées par les ethnologues ou les w
orientalistes seraient plus complexes sous le rapport de la dépendance que „,
Q
28. Aux titres tous significatifs : « La servitude pour dette » (1965), « Entre l'esclavage et la liberté (1984a) P
et « Les statuts serviles en Grèce ancienne » (1984b). Soulignons le pluriel dans le dernier titre. "4U

L'esclavage comme institution


les sociétés esclavagistes de l'Antiquité. Rappelons seulement le
phénomène hilotique, caractéristique de Sparte, et que les auteurs grecs voyaient
bien comme irréductible au modèle de l'esclavage tel qu'il était par
exemple pratiqué à Athènes ; il en allait de même des pénestres de
Thessalie. Les Grecs n'assimilaient pas plus à l'esclavage les statuts anciens
dont les appellations avaient été léguées par la tradition, mais dont
personne à l'époque classique ne pouvait plus dire en quoi ils consistaient
parce qu'ils avaient été abolis par Solon, comme les hectomères
(généralement traduits par sixteniers). L'ambiguïté touchait également la position —
on hésite ici à parler de statut — de certaines personnes pendant la période
classique. Voici par exemple ce que Ménandre29 fait dire dans une de ses
comédies à des esclaves qui parlent entre eux à propos d'une fille placée en
service en raison des dettes de son père :
— Est-elle esclave ?
— Oui — en partie — d'une certaine manière.
Qu'il y aient à Athènes des gens qui soient esclaves seulement en
partie, c'est peut-être ce que nous n'avons pas encore appris à reconnaître.
Soulignons que l'action de la pièce est censée se dérouler au IVe siècle avant
notre ère, dans une période classique donc, et cela suffira à introduire
notre propos.
Qu'il existe dans une société un statut marqué par une certaine forme
d'exclusion, cela n'empêche pas qu'il puisse exister dans cette même société
d'autres, bien d'autres, formes de dépendance. Elles peuvent être tout aussi
importantes pour l'idée que l'on se fait de cette société, tout aussi graves
pour celui qui s'y trouve pris, et, enfin, doit-on dire, tout aussi peu
remarquées tellement notre mentalité moderne semble obnubilée par l'esclavage.
Les notations qui suivent — elles ne prétendent certainement pas à l'ex-
haustivité sur un sujet aussi vaste — n'ont d'autre prétention que de
rappeler cette diversité, pour ne plus confondre esclavage et n'importe quelle
forme de dépendance du seul fait qu'elle nous paraît insupportable. Peut-
être montrerons-nous également la pertinence du critère de l'exclusion.
Laissons tout d'abord de côté ceux qui, contre rémunération, se sont mis
au service de quelqu'un comme domestiques, mercenaires ou travailleurs.
C'est l'exemple même de ce que nous appelons le travail libre (à l'issue
d'un engagement lui-même dit « libre »), c'est selon notre conception le
contraire de l'esclavage. Mais on ne le voit pas forcément ainsi dans une
société qui pratique l'esclavage, a fortiori dans une société esclavagiste au
sens où nous avons entendu ce terme, où toute personne qui travaille pour
quelqu'un d'autre et se met à son service risque d'être assimilée à un esclave,

29. Cité in Finley 1984b : 206.

Alain Testart
où sa condition risque d'être vue comme participant de l'esclavage. La
remarque en a été maintes fois faite par les spécialistes de l'Antiquité30.
Notre langage en témoigne dans son ambiguïté : être au service de
quelqu'un ou être en service, ce n'est pas être en servitude, ce n'est pas être servus
(esclave), mais toutes ces situations que nous distinguons sont néanmoins
désignées à partir de la même racine. À cela s'ajoutent des conditions
juridiques incompatibles avec notre conception du contrat, des engagements à
très long terme, des dispositions qui défavorisent systématiquement
l'engagé, une soumission de fait et une dépendance d'autant plus accentuée
que le salarié vit chez son patron et le sert tout comme les esclaves servent
leur maître. Néanmoins, il est clair que ces gens ne sont pas des esclaves.
Mettons encore de côté le gagé31 (en anglais pawn), le placé en gage
pour dette, institution bien connue, tout au moins bien repérée dans les
travaux africanistes. Le gagé doit tout son temps de travail ou presque au
créancier gagiste chez lequel il est placé ; sa force de travail revient de
plein droit à ce créancier tant que la dette n'est pas payée ; enfin, et c'est
le plus important, le travail fourni ne vient pas en déduction du montant
de la dette. C'est donc une forme de dépendance forte, particulièrement
forte, d'autant plus que dans de nombreuses sociétés la dette ne sera
jamais remboursée, la dette (et donc la condition de gagé) sera transmise
à ses héritiers, et enfin, le gagé sera, au bout d'un certain temps, lorsqu'il
paraîtra évident à tous qu'il n'y a aucune chance que la dette soit un jour
remboursée, purement et simplement assimilé à un esclave. Le gagé est
donc comme un esclave et a bien souvent l'esclavage comme destinée,
mais il n'est pas un esclave. Partout où nous avons des informations
suffisantes, les informateurs sont formels : le gagé, désigné par un terme
distinct de celui d'esclave, reste, tout le temps où il est considéré comme tel,
un homme rattaché à sa parenté, un homme qui a des droits puisque le
créancier gagiste ne peut ni attenter à ses jours ni le vendre. Concluons
en disant que le gagé est un homme dont on peut largement tirer profit,
et s'il est comme un esclave quant à sa condition matérielle, il ne l'est pas
quant à son statut juridique32. Il n'est pas un esclave parce qu'il n'est pas
un exclu, et ne l'a jamais été.

30. Par exemple Veyne (1991 : 260 sq.) à propos des domestiques dans l'empire romain.
31. Sur ce sujet, nous nous permettons de renvoyer à notre article (Testart 1997).
32. La façon la plus concise d'exprimer ces différences serait de dire qu'il est en servitude mais qu'il n'est Í2
pas en esclavage. On parlerait ainsi de « servitude pour dette ». C'est ce que propose Finley dans son JJ
article « La servitude pour dette » (1965). Toutefois, la distinction est beaucoup plus claire en anglais qui JQ
dispose de deux termes, slave et bondsman. Ce dernier terme, largement utilisé pour désigner les diffé- <yj
rentes sortes d'engagés pour dettes {debt bondsmen « ceux qui sont liés par la dette »), est tout à fait intra- t/i
duisible en français. Il n'est certainement pas d'une grande précision, les auteurs d'expression q
anglo-saxonne l'utilisant pour désigner des catégories juridiques différentes, mais il a le mérite de souli- p
gner la différence avec l'esclavage : il indique au moins qu'il existe un problème. *Uj

L'esclavage comme institution


Il nous faut maintenant envisager les cas de ceux qui, sans l'être plus ou
sans l'être tout à fait, ont été exclus d'une façon ou d'une autre.
52
Les ambiguïtés de l'affranchissement
L'existence d'un statut évolutif par lequel la condition de l'esclave
s'améliore progressivement crée un espace intermédiaire, une zone
ambiguë dans laquelle l'esclave en marche vers la liberté, mais une liberté qui
peut rester lointaine et toujours hypothétique parce qu'elle dépend du bon
vouloir du maître, reste encore un exclu tout en se voyant concéder à titre
précaire certains droits, des droits sur les produits de son travail et/ou des
droits familiaux. Le phénomène est bien décrit pour l'Afrique : une de ses
étapes principales est l'établissement de l'esclave sur une terre qui lui est
concédée par son maître et auquel il reverse une partie de sa production.
L'esclave « établi » ne vit plus dans la maison du maître, ce n'est plus un
serviteur, un domestique, il ne doit plus son travail mais une part des
résultats de son travail, il fournit une rente en nature et de ce fait, même
si cette rente est forte, sa condition ressemble plus à celle du métayer ou
du fermier qu'à celle de l'esclave de latifundia ou d'esclave domestique ; il
a une certaine autonomie dans l'organisation de son travail, un certain
droit, même s'il reste précaire, au produit de son travail qu'il conserve une
fois la rente versée ; il a une maison à lui, il peut fonder un foyer au moins
au sens limité où il peut cohabiter avec une femme de même condition
que lui mais sans avoir de droits familiaux. Cette évolution peut prendre
des formes très différentes, peut ne concerner qu'une minorité ou la
grande masse des esclaves, être rapide ou lente (ne concerner que la
seconde génération), enfin, il n'y a pas de raison que l'amélioration de la
condition matérielle aille de pair avec l'octroi d'un véritable droit de
propriété et encore moins avec la concession de droits familiaux reconnus (en
particulier sur la progéniture). Gardant en tête toutes ces variations, le
phénomène de l'établissement de l'esclave se retrouve en Asie, en
particulier dans les « hill tribes » de Birmanie33. Il semble correspondre également
dans l'Antiquité classique au phénomène bien connu du servus casatus
(littéralement l'esclave établi) caractéristique du bas empire romain ; je ne
suis pas certain qu'on ne retrouverait pas son équivalent dans la Grèce
classique, l'utilisation courante de l'esclave étant, outre sa location auprès d'un
entrepreneur, son établissement en tant que petit artisan ou commerçant.
Le phénomène de l'établissement est donc très général et ne saurait être
tenu pour caractéristique d'aucun continent ni d'aucun type de société.

33. Par exemple chez les Lakher (groupe méridional de la famille Chin) où l'opposition établi/non établi
est bien rendue par la dualité des termes saiza et sei (Parry 1932 : 224). J'interpréterai de la même façon
l'opposition entre ngong mayam et tinung mayam chez les Kachin (Green cité in Leach 1972 : 344 sq.).

Alain Testart
Une autre étape vers la liberté, c'est l'affranchissement. Je le décris comme
« une étape vers... » et non comme l'acquisition de la liberté car il est bien
rare que l'affranchi soit libéré de toute sujétion. C'est le moment de
rappeler le cas de l'affranchi romain34 : la manumissio (littéralement
l'enlèvement de la main sur l'esclave) libère l'esclave de la tare servile (il est
désormais de statut libre), il prend le nom (nomen) de son ancien maître,
mais il n'en devient pas pour autant un citoyen romain à part entière. Il
reste sous la dépendance de son maître, une dépendance forte, une
dépendance de droit, codifiée et reconnue par le droit romain : il doit X obse-
quium, c'est-à-dire le respect à son ancien maître, a également l'obligation
de continuer à lui rendre des services, etc. Il est une sorte de client, terme
très général que les Romains appliquaient à quantité de relations sociales
différentes et qui en général ne fait pas l'objet d'une codification dans le
droit romain, tandis que c'est le cas pour l'affranchi. Autre différence, les
clients, à ce qu'il semble, entrent librement en relation de clientèle vis-à-
vis d'un patron tandis que, pour l'affranchi, cette relation est imposée.
Tous les observateurs le notent : il y a peu de différence entre l'esclave et
l'affranchi, sinon celle-ci, mais qui paraît toute nominale, qu'il est
désormais dit « libre ». Même la langue est ambiguë : il est liber certes, mais pas
ingenuus « ingénu », c'est-à-dire pas libre de naissance (naissance au sein
d'une gens) ; il est seulement libertus, « nouveau libre » pourrait-on dire,
avec cette nuance péjorative que la nouveauté peut avoir comme lorsqu'on
parle de « nouveau riche ». Classé dans la grande catégorie des libres, il ne
l'est toutefois que dans une de ses sous-catégories, celle qui marque encore
la trace de ses origines serviles.
Une ambiguïté analogue se retrouve en Afrique, chez les Soninké par
exemple35. Un esclave, kome, qui vient d'être acquis, acheté ou capturé,
travaille aux champs sous la direction de son maître et sert dans sa
maison ; établi, au sens où nous avons pris ce terme, il est alors woroso ; il peut
ensuite se racheter, et il devient alors kome xoore, condition adéquatement
rendue par Meillassoux lorsqu'il en parle comme d'un « client », analogue
en effet au client romain dans la mesure où il continue à rendre de
multiples services à son ancien maître mais possède des droits, patrimoniaux
et familiaux, dans la mesure encore où il peut posséder des esclaves. Mais
cet affranchi36, la langue soninké l'appelle kome xoore et non hoore, elle le
range encore dans la grande catégorie des komo (par opposition aux hooro), </>

34. Encore une fois il faut se garder de généraliser, ne serait-ce qu'à l'Antiquité classique, le cas athénien {J
étant notoirement différent du cas romain. ^
35. D'après Meillassoux 1975b : 236-242. </>
36. Meillassoux {ibid. : 241, n.l) parle à ce propos d'émancipation (pour l'opposer à une libération plus q
authentique) là où je parle d'affranchissement (pour souligner le parallèle avec Rome), mais c'est là une S
simple divergence de mots qui ne tire pas à conséquence. mj

L'esclavage comme institution


dans les strates supérieures, il est vrai : là où la langue latine faisait de
l'affranchi un libre inférieur, la terminologie soninké en ferait plutôt un
esclave supérieur, « grand esclave », pourrait-on dire, xoore signifiant
« grand »37. Évidemment la tare servile, la tare de ses origines ne s'efface
pas si facilement, mais il y a autre chose, une ambiguïté qui dépasse les
problèmes de langue. L'esclave romain est en fait doublement exclu, et de
la liberté, et de la citoyenneté38: l'affranchi acquiert la liberté, non la
citoyenneté pleine et entière puisque son statut est marqué par certaines
incapacités, celle d'exercer une magistrature ou même celle de voter
pendant l'empire (précisons que le terme « liberté » ne veut rien dire d'autre
ici que le fait de se voir reconnaître des droits : c'est en ce sens que
l'affranchi est « libre >>39). Je pense qu'il en va de même chez les Soninké et,
disons, de toutes les sociétés qui ne sont plus des sociétés lignagères mais
dans lesquelles l'idiome de la parenté reste fondamental : l'esclave est exclu
doublement, et de la liberté (au sens précédent) et de la parenté (avec les
hooro). Deux exclusions, donc deux paliers à franchir. Aussi l'esclave qui
s'est racheté, le kome xoore, a-t-il bien acquis la liberté (il a désormais des
droits), mais il n'est pas pour autant hoore, ce que l'on ne devient qu'en
devenant parent d'un hoore. Seule une femme esclave franchira aisément
cette dernière étape si, concubine du maître, elle a conçu de lui : elle
devient, de par une disposition du droit islamique, libre et en même temps
parente. Pour l'homme, l'affaire est beaucoup plus difficile, il lui faut
obtenir la main d'une fille de son ancien maître.
À ces ambiguïtés intrinsèques à la condition d'affranchi s'en ajoutent
d'autres. Celui qui a racheté sa liberté n'a peut-être pas fini de payer la
sienne, ni celle de sa femme : il peut être de surcroît endetté vis-à-vis de
son ancien maître et désormais patron. La chose est courante et n'a pas
besoin d'être soulignée.

Réfugiés, adoptés et autres déracinés

II faut ici faire une parenthèse sur un phénomène bien connu en


Afrique. Des bannis, des déracinés, quelle qu'en soit la raison, condamnés

37. Cette inversion montre aussi par parenthèse qu'il ne saurait y avoir de correspondance stricte entre
la terminologie latine et celle des Soninké : servus ne traduit pas kome. C'est d'ailleurs ce que notait
Meillassoux {ibid. : 226 ; mes italiques) : « Au sens général, kome désigne tout individu assujetti, quel que
soit son statut social, dépendant ou inférieur, homme libre ou esclave. » Bref, le terme kome ne peut être
rendu par « esclave » qu'en toute première approximation. Ni les kome xooro, ni a fortiori les kome gallu
{ibid. : 243, n. 64, réfugiés dont nous reparlerons), ne sont sociologiquement des esclaves.
38. La différence entre les deux concepts est parfaitement explicite dans le monde de la cité et de toute
façon assurée par la très large catégorie des étrangers (peregrins à Rome, métèques à Athènes) qui ont un
statut propre, n'étant ni esclaves ni citoyens.
39. Tout comme le pérégrin ou le métèque, non en tant que citoyen mais en tant qu'il est placé sous la
protection de la cité.

Alain Testart
dans leur société, exilés, poursuivis par la menace d'une vengeance de
sang, endettés, ou encore anciens esclaves en cavale, aventuriers, ambitieux
ayant échoué, tous ces gens peuvent venir se jeter aux pieds de quelque
personnage puissant, roi ou chef de lignage, demander asile et protection.
Ils deviennent des dépendants, sans être des esclaves et bien que leur
condition les en rapproche.
D'abord, dans la mesure où ils viennent seuls et coupés de leur société
d'origine, ils se présentent comme les esclaves, sans parenté. À vrai dire,
ils pourraient être réduits en esclavage si ce n'était, d'une part, une
certaine tradition d'hospitalité et, d'autre part, l'intérêt même des chefs qui
y voient une occasion favorable de grossir le nombre de leurs dépendants.
Buxton (1967) a décrit en détail le phénomène, qu'elle propose
d'appeler « clientèle », chez les Mandari. Je ne sais s'il existe dans cette
population quelque chose que l'on serait en droit d'appeler esclavage mais
je suis néanmoins frappé par le parallèle évident qui existe entre le destin
de ces réfugiés et celui des esclaves ailleurs. Le statut de ces clients, timit,
« implique la perte de la parenté » ; chaque timit prend le nom de lignage
de son patron, ses enfants auront le même, et ce n'est qu'après des
générations qu'il aura un nom en propre. Tout se passe comme si, après avoir
perdu son nom, son identité et sa parenté — ce en quoi nous voyons le
phénomène générateur de l'esclavage —, il avait été réintégré dans le
lignage de son patron mais plus vite qu'un esclave dans la logique ligna-
gère. Beaucoup plus vite en fait puisqu'il n'a jamais été esclave à
proprement parler, tout se passant comme s'il avait été admis directement, en
sautant les étapes, au niveau de l'affranchi. Quelles sont les raisons de
cette promotion particulièrement rapide ? C'est un engagé volontaire, à
la différence des esclaves achetés ou capturés ; sa bonne volonté est
assurée et sa fidélité probable. On le fait accéder directement à un niveau où
l'esclave acquis contre son gré ne pourra parvenir qu'une fois que ses
maîtres auront pu vérifier sa fidélité. Il nous semble ainsi être comme un
affranchi, à cette différence près qu'il n'a jamais été esclave. Les
obligations qui pèsent sur lui et les avantages qu'il retire de sa situation sont
comparables à ceux qui touchent le kome xoore des Soninké ou le libertus
des Romains : il assiste son patron, joue vis-à-vis de lui le rôle de garde,
de portier, de messager, ou encore cultive à l'occasion ses champs, et
reçoit de lui protection, aide financière ou militaire si besoin est. Mais il g
est de plus grevé d'une dette : après avoir reçu de son patron une épouse, 5
pour laquelle celui-ci a dû payer le prix de la fiancée, il lui remettra la plus |*j
grande part du paiement reçu à l'occasion du mariage de ses propres filles. jjj
On le voit, tout cela ne nous fait pas sortir du cercle de la dépendance qui §
caractérise l'affranchi. 43

L'esclavage comme institution


Peut-être en va-t-il un peu différemment ailleurs et sans doute faut-il
envisager ici une large gamme de variations. Je n'en mentionnerai que
deux. D'abord, celle dans laquelle le réfugié ne perd pas son nom
patronymique, comme les Dogons réfugiés dans le royaume saman, selon
Holder (1998 : 92), celle dans laquelle le réfugié devient F« homme du
roi », catégorie un peu particulière qu'il nous faut maintenant envisager.

Anciens esclaves et « captifs royaux »

II n'y a pas de politique générale ni commune des royaumes en matière


d'esclavage : rien que pour l'Afrique de l'Ouest, on en trouve qui
pratiquent l'esclavage à grande échelle en liaison avec la traite négrière, celui
d'Abomey étant le plus connu, d'autres pour lesquels on peut parler de
mode de production esclavagiste comme le royaume abron40, et à l'autre
extrémité d'autres qui ne conservent pas d'esclaves, comme le royaume
mossi du Yatenga. Mais on peut dire qu'il existe, relativement aux esclaves,
une stratégie typique des royautés : la transformation des esclaves en
personnages d'un statut particulier, et d'un statut somme toute privilégié en
raison de leur proximité avec le pouvoir, personnages improprement
assimilés à des « esclaves » par la plupart des commentateurs du seul fait de
leur origine. Comme Izard a été un des rares à notre connaissance à
souligner la spécificité de cette catégorie sociale en refusant de parler
d'esclaves à leur propos pour préférer l'appellation « captifs royaux », c'est
cette terminologie que nous utiliserons.
La raison de cette stratégie ne fait pas mystère. Pour briser une noblesse
royale toujours prompte à contester la légitimité du roi, rien de plus sage
ni de plus courant que de s'appuyer sur des hommes partis de rien. La
chose est, je crois, connue et de toute façon aisée à comprendre comme à
repérer dans maints exemples historiques41 : ces gens partis de rien seront
les plus fidèles serviteurs du roi du fait qu'ils ont tout reçu de lui et que
leur qualité ne leur permet pas de prendre sa place.

40. Terray 1995 : 759 sq.


41. Voici comment elle est résumée (et fort bien) par un spécialiste du monde musulman comme Lewis
(1990 : 67-68), à propos du corps des janissaires, corps d'élite de l'armée ottomane, d'origine captive :
« Pour un autocrate, un des principaux problèmes est de sauvegarder son pouvoir face aux limitations
que pourrait lui imposer une classe gouvernante indélogeable, avec tous les dangers d'une telle situation.
Même s'il n'existait pas de classe de propriétaires puissante économiquement, une élite militaire ou
bureaucratique pouvait réussir à se couler dans des privilèges de fait, sinon héréditaires. Prévenir la
formation de telles élites, ou, si elles existaient, les garder sous un étroit contrôle, a toujours été l'objectif de
nombreux despotes, en Orient comme en Occident. Pour y parvenir, le despote avait besoin d'un groupe
d'hommes sans racines ni loyautés en dehors de le servir... » Après avoir évoqué divers systèmes dont le
recours aux eunuques en Chine, à certaines époques à Rome et à Byzance, ou encore à ces sortes
d'« eunuques pour l'amour de Dieu » que furent les gens d'Église en Europe, il termine : « L'exemple le
plus achevé de ce type d'organisation a incontestablement été celui de l'armée et de fonctionnaires
esclaves en Islam. »

Alain Testart
Ce que l'on a moins vu, semble-t-il, c'est que cette stratégie supposait un
changement de statut. Le roi ne peut faire un fidèle, c'est-à-dire un
dépendant personnel, d'un simple esclave, d'un homme exclu de tout. Il faut qu'il
l'attache à sa personne et le moyen symbolique de cet attachement, la
métaphore générale du lien social, c'est — tout au moins dans les sociétés
africaines auxquelles nous limitons notre analyse — la parenté. Chez les Mossi,
le captif royal reçoit le nom patronymique du roi42 ; même chose chez les
Saman où le captif royal est « mis dans la main » du clan Kampo (le clan
attaché au service de l'autel royal), « reçoit un prénom qui confirme son
appropriation par le clan royal et prend le patronyme Kampo »43. Parent en
quelque sorte du roi qui est lui-même en quelque sorte sans parents. Une
parenté métaphorique, une parenté fictive, un lien conçu sur le modèle de
la parenté. Ce n'est pas la parenté au sens du lignage, mais peu importe, le
roi finalement n'applique dans cette affaire rien d'autre que la stratégie ligna-
gère : là-bas l'esclave était intégré au lignage comme nouveau parent d'un
lignage parmi d'autres, ici il l'est au lignage royal. Si ce n'était la spécificité
de ce lignage et le pouvoir du roi, on pourrait se contenter de dire que le
captif royal n'est pas plus esclave que celui qui a été adopté dans une société
lignagère : il a été esclave, il ne l'est plus. Mais il est trop évident que le
captif royal n'est pas comme un homme libre ordinaire dans une société
lignagère : le lien avec la royauté l'élève au-dessus des hommes du commun tout
en resserrant son asservissement car la proximité du pouvoir implique des
contraintes qui ne valent pas pour le commun. C'est un statut spécifique, et,
encore une fois, qui ne peut être résumé par le seul fait qu'il soit un ancien
esclave44. Les éléments de ce statut ce sont : la parenté putative avec le
roi, l'existence d'un lien personnel avec ce même roi, l'aptitude à remplir
diverses fonctions de l'appareil d'État dont certaines lui sont réservées, et
enfin le caractère irréversible de ce statut, l'affranchissement étant exclu.
Quelques mots encore sur une certaine catégorie de serviteurs ou de
domestiques du royaume moundang, les iiey-(z) atalê, bien décrits par
Adler (1969). Par leur origine ils sont rien moins que des captifs, étant
des engagés volontaires, des hommes libres du royaume qui ont été
offerts par leur père, ou encore de ces réfugiés que nous évoquions
précédemment : ils n'ont jamais été capturés45. Mais par leur statut, son

42. D'autres éléments militent en faveur de cette interprétation, rapprochent et opposent les captifs et i2
les nakombse, les membres du lignage royal : « On est tenté d'assimiler le groupe des captifs à une famille 3>
utérine du roi, les nakombse formant sa famille agnatique » (Izard 1975 : 294). Par ailleurs il est clair que [Q
le captif a perdu son nom, son identité et n'a plus ni ascendants ni descendants {ibid. : 289, 292, 294). ^J
43. Holder 1998: 101.
44. Izard (1987 : 91) parle du monde des captifs comme d'un « ordre ». q
f/j
45. Dans un article subséquent, toutefois, Adler (1987 : 148) indique que tout jeune captif peut être p
intégré à ce groupe. Cela ne fait qu'atténuer encore l'opposition que nous établissons. Hj4

L'esclavage comme institution


caractère irréversible, les fonctions qui leur sont réservées, le fait qu'ils
soient « fils du roi », le lien personnel qu'ils entretiennent avec lui, ils
sont comme les captifs royaux. On n'a pas lieu de s'en étonner car il n'y
a aucune raison qu'une classification selon les origines recouvre
exactement une classification selon les statuts. Les sociétés peuvent agencer
différemment les unes et les autres, et ainsi voyons-nous, pour arriver aux
mêmes fins et leur faire jouer le même rôle, le royaume du Yatenga
recruter les captifs tandis que le royaume moundang les recrute, quant à
lui, parmi les volontaires.
La transformation d'un ancien esclave en un personnage au statut
spécifique comme le « captif royal » est un phénomène qui se retrouve
sans doute dans maints royaumes, africains ou non. Gardons-nous
pourtant de trop généraliser et de penser que tout esclave, du seul fait
qu'il est intégré à un appareil d'État, serait automatiquement nanti
d'un statut du type « captif royal ». À Athènes, la police était assurée
par un corps spécial d'archers scythes qui étaient esclaves et rien
n'indique que leur statut était différent de celui des autres esclaves, si ce
n'est la nuance qu'introduit le fait d'être esclave d'État et non
simplement esclave d'un particulier. Dans l'Islam médiéval, les esclaves-
soldats jouèrent un rôle militaire de premier plan avant de jouer un
rôle politique : rien n'indique qu'ils échappaient pour autant à leur
statut d'esclave46. Il faut donc se demander pour finir si l'émergence d'un
statut spécifique de « captif royal » tel que nous l'avons défini, en
particulier par ce lien de parenté putatif avec le roi, n'est pas le propre de
royaumes dont la société est encore largement organisée sur une base
lignagère.

Le statut : analyse comparative

Introduction/problématique

L'esclave est marqué par l'existence d'un statut, terme que nous
employons, rappelons-le, exclusivement dans le sens juridique. Il faut
le préciser contre certaines thèses qui soutiennent ou laissent entendre
le contraire. Henri Lévy-Bruhl (1934), par exemple, dans un article
célèbre, soutient l'identité foncière de l'esclave et de l'étranger : tout
esclave à Rome est un étranger et réciproquement tout étranger serait un
esclave. La première proposition est peut-être vraie, mais pas la seconde.

46. Les témoignages historiques montrent qu'encore au XVe ou au XVIII' siècle ils peuvent être aliénés,
donnés ou vendus (Lewis 1982 : 80, 82). Il est vrai que ces faits ne concernent que les 'abd, terme qui,
au sens restreint, s'applique aux Noirs, et non les mamluks, esclaves blancs, le plus souvent d'origine
turque ou circassienne, qui ont fondé en Egypte la dynastie du même nom.

Alain Testart
Un précepte bien connu, qui dit qu'un Romain peut s'emparer de tout
étranger (non lié à Rome par un traité de paix ni d'amitié) et en faire son
esclave, est mal interprété par Lévy-Bruhl {ibid. : 26-27). Il signifie que
tout étranger sans protection peut légitimement être réduit en esclavage :
il peut l'être, il ne l'est pas. La différence entre l'esclavage et la qualité
d'étranger vient de ce que le premier est un statut reconnu à Rome
tandis que le second n'en est pas un47. On dirait de même pour l'homme
sacer, sorte de hors-la-loi qui peut être tué par tout un chacun, qui peut
aussi être réduit en esclavage, mais n'a pas le statut d'esclave ; on dirait
de même du déditice48. Les parallèles africains ne manquent pas. Les
réfugiés, avant d'être agréés comme tels, ne sont que des hors-la-loi,
nullement des esclaves et en général ils ne le deviendront pas ; tout comme
les vagabonds ou les hommes errants en territoire samo seront quant à
eux réduits en esclavage49 mais, avant de l'être, ils n'étaient que des
vagabonds, nullement des esclaves.
Un raisonnement sociologique élémentaire aboutirait à la même
conclusion. On entre en esclavage par des rituels appropriés (le rasage de
la tête ou l'absorption d'une drogue étant les plus courants en Afrique) ;
on en sort par d'autres rituels (celui de l'adoption) ou par des procédures
publiques à Rome. L'esclave en tant que dépendant est intégré à la société,
nous l'avons dit : à Rome il fait partie de la familia, partout ailleurs il fait
partie d'une unité politique, résidentielle, productive, etc. Être exclu d'une
des dimensions fondamentales par laquelle se définit et se conçoit la
communauté, ce n'est pas être exclu de la société. L'esclave a une place dans la
société, comme tout dépendant d'ailleurs (sinon il ne serait pas
dépendant), mais pas le vagabond, l'étranger, V homo sacer. Cette place dans la
société, c'est, traduite en termes de droit, le statut.
Les éléments de ce statut sont extrêmement variables d'une société à
l'autre. Nous en avons déjà touché un mot. Voici plus généralement quels
sont les principales questions qui se posent :
— le maître a-t-il un droit absolu de vie et de mort sur son esclave ? Nous
entendons par droit absolu un droit qui peut s'exercer quelle qu'en soit la
motivation et qui napas besoin d'être justifié, à distinguer soigneusement du
droit de punir (donc seulement en cas de faute), punition qui
éventuellement peut entraîner la mort de l'esclave ;

47- Je ne parle pas bien sûr des peregrins, cas particulier d'étrangers protégés par Rome, qui ont un statut. 55
48. Le dediticius, c'est celui qui s'est rendu sans condition, qui s'est livré à la merci de Rome, ayant com- 2
battu Rome et ayant été défait : il n'est pas esclave, il peut être réduit en esclavage par les Romains, il ^J
peut être tué, il peut aussi avoir un statut différent, tout cela au bon plaisir du vainqueur. La différence «/>
entre le déditice et l'esclave est que le premier n'a pas de statut : il n'y a pas de statut de déditice, car c'est Q
seulement en étant transformé en esclave, en allié, etc., qu'il acquiert un statut. P
49. Héritier 1975 : 487 sq. s3

L'esclavage comme institution


— l'esclave dispose-t-il d'une certaine protection émanant d'un tiers (roi,
temple refuge, personnage influent) contre son maître ?
— a-t-il la capacité de témoigner en justice ?
— a-t-il droit au patrimoine, c'est-à-dire a-t-il un droit de propriété
reconnu et protégé sur certains biens ?
— existe-t-il une limite légale ou coutumière quant au temps de travail
qu'il doit fournir au maître ?
Il est bien rare que nous disposions de données suffisamment précises
nous permettant de répondre adéquatement à ces questions pour toutes
les formes de dépendance qu'il nous semble légitime d'appeler «
esclavage ». Ces limites toutefois ne doivent pas nous empêcher de poser la
question : comment et en fonction de quoi varie le statut de l'esclave
d'une société à l'autre ?

L'exemple de l'Afrique : brèves notes comparatives

Alors qu'il existe de nombreux travaux d'ensemble sur la traite négrière,


il n'y a aucune synthèse comparative sur l'esclavage autochtone tel qu'il
était pratiqué en Afrique noire50. Il faut donc prendre les notes qui vont
suivre pour ce qu'elles sont, de simples notes.
L'esclavage n'est pas attesté pour l'Est africain nilotique, disons en gros
le long d'une bande qui va des Nuer aux Masaï, et dans une large part du
sud-est bantou de l'Afrique, au sud du Zambèze51. En dehors de ces deux
régions qui conservent leur spécificité propre, l'esclavage comme institution
semble général52 en Afrique.
En dépit du caractère très limité de nos informations, on croit
discerner dans la région sahélo-soudanaise une aire marquée par l'influence du
modèle islamique :
— il n'y a pas d'esclavage interne, en particulier il n'y a pas d'esclavage pour
dette, et c'est là un phénomène important qui contraste avec la plupart des

50. Les deux ouvrages de références restent ceux de Meillassoux (1975, éd.) et de Miers & Kopytoff, eds.
(1977). Sans vouloir faire justice d'une documentation abondante mais fort inégale, signalons les
contributions importantes de Rattray (1929), remarquable par sa précision toute juridique, et celle de Smith
et Dale (1920) qui consacrent chacun un chapitre entier à la question de l'esclavage. Le livre de Nieboer
(1900), en dépit de son ancienneté, fournit un aperçu toujours valable sur la répartition du phénomène
esclavagiste en Afrique. Enfin, il convient de ne pas négliger les codes de Y Ethnographie Atlas de Murdock
qui, relativement à l'esclavage, au moins en ce qui concerne l'Afrique, fournit des indications correctes.
Reportés sur une carte, ils permettent de visualiser aisément la répartition de l'esclavage. Cette carte étant
en cours de révision, nous ne l'avons pas reproduite ici.
5 1 • Ni non plus chez les Khoisan et autres chasseurs-cueilleurs.
52. Y compris dans des sociétés où on l'attend le moins : chez les Samo, ainsi que le montre F. Héritier
(1975), chez les Dogons pour lesquels il était noté par D. Paulme (1940 : 107-109), mais on peut
désormais lire les informations fournies par Holder (1998), non pas chez les Fang pour lesquels il n'a pas été,
du moins à ma connaissance, signalé mais chez les Beti au Cameroun (Laburthe-Tolra 1981 : 343-344,
363-364). Nous ne pouvons néanmoins exclure que quelques sociétés aient pu faire exception.

Alain Testart
autres sociétés africaines ; à noter qu'il est quelquefois fait mention de
condamnation à l'esclavage pour crime, mais c'est alors là l'effet d'une
condamnation par les autorités politiques53 ;
- le maître dispose certes d'un droit de punition quasiment illimité en
lui infligeant au besoin des châtiments si sévères que la mort puisse
s'ensuivre pourvu qu'elle n'ait pas été préméditée54 ; mais il n'a pas un droit
absolu de vie et de mort sur l'esclave55 ;
- il existe certaines prescriptions en faveur d'une esclave prise comme
concubine par son maître et pour ses enfants56 ;
- en revanche, l'esclave n'a jamais droit au patrimoine57, et en
conséquence ne peut tester ;
- il ne peut témoigner dans un procès ni poursuivre son maître en justice.
Tous ces traits correspondent à la législation islamique. Ils concernent
d'ailleurs la région des royaumes anciennement islamisés (ancien Ghana,
Mali, empire des Songhay, cités hausa), les Peuls du Fouta-Djalon, les
Wolof et les Sereer, etc. ; nous ne pouvons exclure bien entendu que
ce modèle ait pu avoir une influence très au-delà de l'aire d'extension
proprement dite de l'islam.
Hormis ces vastes régions dans lesquelles l'influence islamique se fait
sentir, le reste de l'Afrique semble fortement homogène : partout où nous
avons des données suffisantes il existe un esclavage interne. D'abord, un
esclavage pour dettes, éventuellement à la suite d'une mise en gage.
Presque partout la possibilité pour les parents, père ou oncle maternel
selon les cas, de vendre en esclavage (ou mettre en gage) un parent.
Par ailleurs, nous enregistrons une distinction tout à fait nette entre :
1) le statut de l'esclave au sein de puissants États où le roi dispose d'un
pouvoir absolu : le maître n'y a en général pas le droit de vie ou de mort sur

53. Pour le sultanat de Damagaram (confins des actuels États du Nigeria et du Niger), Dunbar (1977 :
162) indique très nettement ce contraste : « aucun individu ne peut réduire un autre en esclavage pour
dettes » (entendons : aucun particulier) mais le vol (toujours très fortement réprimé en Afrique de
l'Ouest) peut être puni par la réduction en esclavage (et c'est alors une punition infligée par les autorités
publiques). Fisher & Fisher (1970) qui commentent le journal de voyage de Nachtigal font également
mention de punition de crime par la réduction en esclavage.
54. Chez les Peuls du Fouta-Jalon, le maître ne peut tuer « délibérément » son esclave ; mais si un
fugitif repris et puni pour sa tentative de fuite (fouet et supplice des fers) mourait à la suite de ces sévices,
« son maître ne faisait l'objet d'aucune poursuite » (Baldé 1975 : 199-200). Législation analogue dans la
loi hébraïque (Ex. 21, 20-21) : lorsqu'un maître frappe un esclave et qu'il meurt sous sa main, il répond
de ce meurtre, mais si l'esclave ne meurt que le lendemain, le maître est réputé innocent - probablement
parce qu'il n'a pas eu l'intention de le tuer. 52
55. L'absence de sacrifice des esclaves en pays musulman est un fait noté par tous. v\
56. Chez les Wolof et les Sereer, la concubine qui a des enfants du maître est libre (Klein 1977 : 347). uj
Au Fouta-Jalon, les enfants d'une concubine sont libres (Baldé 1975 : 206). Ici encore, ces prescriptions ^J
rappellent celles du droit hébreu : une esclave d'origine étrangère prise comme concubine ne peut plus {O
être vendue (Dt. 21 10-14). Q
57. Et donc le rachat de sa liberté par l'esclave ne peut intervenir que grâce à une fiction juridique : le ?
maître laisse l'esclave accumuler une somme d'argent qu'il remettra à un tiers qui effectuera le rachat. ^Ui

L'esclavage comme institution


son esclave, ce droit étant réservé au roi, lequel accorde une protection aux
esclaves qui peuvent même se voir reconnaître une capacité juridique58 ;
2) le statut de l'esclave dans des sociétés lignagères ou encore dans des
royautés où le pouvoir politique du roi est sérieusement limité : le maître
dispose d'un droit absolu de vie et de mort59 sur son esclave qui peut être :
— sacrifié aux dieux,
— mis à mort sur la tombe du maître pour l'accompagner dans l'autre
monde, phénomène extrêmement courant dont il faut souligner qu'il n'est
nullement limité à une aire spécifique puisqu'il se retrouve à la fois dans
les forêts guinéennes, au Nigeria et dans la région du bas Congo,
— substitué au maître ou à un de ses parents pour subir les épreuves orda-
liques,
— et, enfin, puni de mort.
À cette image d'ensemble que nous croyons pouvoir dégager, il y a certes
des exceptions. Mais il semble au moins légitime de dire que les sociétés
lignagères, lorsqu'elles connaissent l'institution esclavagiste, la pratiquent
sous sa forme la plus extrême, avec droit absolu de vie et de mort60.
En outre, on croit discerner une tendance à l'amélioration du statut de
l'esclavage dans les royaumes, dans des Etats que l'on a l'habitude — à juste titre
croyons-nous — de qualifier de « despotiques ». C'est presqu'un paradoxe. Mais
c'est un fait, et un fait qui se retrouve sans peine dans la Rome impériale61,

58. En tout premier lieu chez les Ashanti et dans les autres royaumes du monde akan : l'esclave acheté
sur un marché extérieur peut être tué sur le chemin mais pas une fois arrivé dans le royaume ; seuls les
grands chefs ont le droit d'exiger que leurs esclaves les accompagnent dans la mort, les hommes du
commun devant, s'ils veulent jouir du même privilège, en demander la permission aux autorités légales ; de
même, si le maître veut punir son esclave, il doit demander la permission à ces mêmes autorités qui
enverront leurs bourreaux ; l'esclave dispose du droit de propriété, peut se marier, agir en justice, etc.
(Rattray 1929 : 35 sq. ; Terray 1975 : 406-407). Même monopole royal de la mise à mort chez les Margi
(Vaughan 1977 : 98) ou dans le puissant royaume des Bamoum (Tardits 1980 : 468, 469, 525-526, le
maître n'ayant pas le droit de tuer un esclave mais celui de le faire suivre dans sa tombe). En revanche,
le maître, semble-t-il, conserve son droit de vie et de mort dans le royaume Nupe (Nadel 1971 : 171) et
chez les Bambara (Aubert 1939 : 37) : notons que ces populations ne pratiquent pas - sauf cas
exceptionnel - le sacrifice humain ni la mise à mort lors du décès du maître et que l'esclave ne peut donc être
tué qu'au titre de punition pour faute grave.
59. Chez les Vai, aux confins du Sierra Leone et du Libéria (Holsoe 1977 : 291 ; tandis que chez les
Sherbro, l'esclave ne peut être mis à mort parce que le sang souillerait la terre (MacCormack 1977 : 188) ;
chez les Yoruba (Talbot 1926, III : 699 ; Forde 1951 : 26) ; chez les Ibo (Forde & Jones 1950 : 23) ; chez
les Douala au Cameroun (Austeen 1977 : 315-316) ; chez les Beti (Laburthe-Tolra 1981 : 343, 363-
364) ; chez les BaCongo (MacGaffey 1977 : 241-242) ; chez les Kukuya (BaTéké) (Bonnafé 1975 :
550) ; chez les Baila (Tuden 1970 : 54), etc.
60. Comme on sait par ailleurs qu'une des stratégies typiques des sociétés lignagères est l'intégration à
plus ou moins long terme des esclaves au lignage, il en résulte une curieuse ambiguïté. Elle se traduit par
ces divergences d'opinion relevées par Laburthe-Tolra (1981 : 364 et n. 10) à propos des Beti : les uns
prétendent que l'esclave ne doit pas survivre au maître, doit être exécuté le jour où meurt son patron pour
le suivre dans sa tombe et un chef s'indigne même qu'il puisse en aller autrement ; les autres pensent tout
naturel que les bons esclaves soient adoptés.
61. Les premières lois de protection de l'esclave datent du tout début de l'empire : interdiction de livrer
l'esclave aux bêtes dès 19 ap. J.-C, puis défense faite à un maître d'abandonner un esclave vieux et
malade, assimilation du meurtre de l'esclave à un homicide, etc.

Alain Testart
en Chine, etc. Nous montrerons ailleurs62 toute la généralité de ce phénomène
et en rendrons compte.
Pour le moment, il nous suffira d'expliquer pourquoi c'est au sein des
sociétés lignagères (ou du moins celles qui ne connaissent pas d'États forts
de type despotique) que l'institution esclavagiste prit des formes qui
ressemblent fort à celles qui prévalaient dans l'Antiquité classique, c'est-à-
dire dans le monde des cités.

Remarques sur l'Afrique

Deux précisions pour finir et dissiper deux malentendus.


On mentionne souvent comme une chose étonnante, et spécifique à
l'Afrique, la possibilité que possède l'esclave de changer de maître s'il le
souhaite. Cette possibilité est quasiment institutionnalisée : il suffit à l'esclave
de commettre quelque méfait63 à l'encontre de celui qu'il souhaite avoir
pour maître, ce qui permettra à ce dernier de réclamer le fautif en
réparation du dommage subi. Mais on a tort de penser qu'il s'agirait là d'une
spécificité africaine car une possibilité analogue se rencontre en droit romain :
c'est une conséquence de l'abandon noxal, c'est-à-dire l'abandon aux mains
de l'offensé de la personne du coupable. Les auteurs anciens avaient déjà
noté ce paradoxe que l'esclave, par une faute volontaire de sa part commise
à l'encontre d'un tiers, pouvait échapper à son maître.
Comme on prétend souvent que l'esclave romain est une « chose », on
pourra peut-être faire valoir que l'esclave africain est au contraire reconnu
comme un être humain à part entière, et ce particulièrement parce que la
dimension religieuse ne lui est jamais refusée : ainsi est-il initié64 au même
titre que les hommes libres, il a droit à une sépulture, etc. Mais on se
méprend gravement sur la traduction du terme latin res utilisé pour
désigner l'esclave : le mot s'emploie dans un contexte juridique où il désigne
Y objet ¿s. droit (par opposition au sujet de droit) et ne signifie rien d'autre
que le fait que l'esclave, étant seulement objet de droit, n'est donc — du
point de vue juridique, mais seulement de ce point de vue — qu'une chose.
Il n'implique pas la négation de l'humanité de l'esclave65. De fait, les

62. Testart 1998.


63. Dans tout le Soudan, chez les Wolof et les Sereer, les Peuls, les Touaregs, etc., le méfait est
traditionnellement pratiqué contre le cheval de celui que l'esclave souhaite avoir pour maître : par exemple, il lui
coupe une oreille (Klein 1977 : 347-348). Cette possibilité est très largement attestée en Afrique mais elle Í2
y prend des formes différentes : Smith & Dale (1920, I : 370) et Tuden (1970 : 57) la signale pour les lia 3J
chez lesquels l'esclave insulte une personne d'importance en lui lançant des cendres à la figure : cela coû- J3
tera au maître deux bêtes en amende ou l'abandon de l'esclave aux mains de celui qui a été insulté. ^j
64. Par exemple chez les Sherbro (MacCormack 1977 : 190), chez les Sena (Isaacman 1977 : 111). «/»
65. « Le mot res revêt dans les textes juridiques une valeur classificatoire et, selon toute apparence, ne q
s'oppose
" chose " jamais, en français,
dansavec
la sémantique
les mots équivalents
latine, au dans
caractère
diverses
humain,
autres contrairement
langues » (Dumont
à ce qui
1987
se :passe
97). avec H*l
p

L'esclavage comme institution


esclaves romains ont une vie religieuse : ils participent traditionnellement
au culte des ancêtres de leur maître et il est coutumier (bien que ce ne soit
pas un droit du point de vue de l'État romain) de leur faire des funérailles,
la tombe de l'esclave ayant comme celle de n'importe quel être humain le
caractère de res religiosa66.

Forme de l'exclusion et contenu juridique du statut

Exclusion — ce par quoi nous avons défini l'esclave — ne signifie pas


exclusion du droit : tout dépend de la forme de cette exclusion. Une
exclusion de type religieux, qui paraît caractéristique de l'islam, est compatible
avec la reconnaissance de droits à l'esclave. L'exclusion de la qualité de
sujet, dans l'exemple thaï que nous avons commenté, n'empêche pas le roi
d'étendre sa protection aux esclaves. Ni même l'exclusion de la parenté
dans le royaume ashanti.
Dans quels cas l'exclusion signifie-t-elle en même temps absence de
tout droit pour l'esclave et donc67 pouvoir pour le maître de disposer
arbitrairement de sa vie ? Nous n'en voyons que deux : l'Antiquité et des
sociétés lignagères.
Dans l'Antiquité, plus exactement dans le régime des cités-États, avant
l'instauration des monarchies hellénistiques ou de l'empire à Rome,
l'exclusion qui est la marque de l'esclave est double : à la fois de la cité, polis
ou civitas, et du droit. Pourquoi ? Sans doute parce que dans la conception
politique des Anciens l'un ne peut aller sans l'autre, parce que la
communauté se pense et se définit comme communauté soumise à des lois ou à
des règles juridiques. Il n'est pas nécessaire de rappeler ici l'importance des
nomoi dans la pensée grecque ni celle du jus dans les conceptions
romaines. La notion même de peuple n'est définie, constituée pourrait-on
dire, que par cette référence toute juridique. Cicerón ne dit-il pas : « Par
peuple il faut entendre, non tout assemblage d'hommes groupés en
troupeau d'une manière quelconque, mais un groupe nombreux d'hommes
associés les uns aux autres par leur adhésion à une même loi et par une
certaine communauté d'intérêts. »68

66. Girard (1929, 1 : 104-105) qui mentionne ces données, si fiable par ailleurs, y voit à tort des indices
de reconnaissance de la personnalité de l'esclave. Mais c'est confondre personnalité et humanité : ces
deux notions sont certes indissociables dans le droit moderne mais pas dans le droit romain. L'esclave
romain n'a pas de personnalité (juridique) mais c'est un être humain (qualité à la fois biologique et
ontologique, avec toutes les conséquences religieuses que cette qualité implique).
67. L'exclusion de l'esclave du droit implique pour le maître le droit de vie et de mort sur son esclave,
mais l'absence de ce droit pour le maître n'implique pas la reconnaissance de droit pour l'esclave. Auguste
put très bien interdire aux propriétaires d'esclaves de les livrer aux bêtes sans pour autant reconnaître à
l'esclave aucun droit. La reconnaissance de la personnalité juridique de l'esclave devra à Rome attendre
plus longtemps et se fera essentiellement pour d'autres raisons que celles de l'intérêt de l'esclave.
68. De Rep. XXVII, Cicerón 1965 : 31-32 (mes italiques).

Alain Testart
Les sociétés lignagères ne se conçoivent certainement pas de cette façon.
Elles pensent parenté. Corrélativement elles pensent l'esclave comme étant
65
exclu de l'ordre de la parenté. Dans de telles sociétés, qui sont en même
temps des sociétés sans État, il n'existe de droit que garanti par ceux qui
sont solidaires, c'est-à-dire par le lignage, par les parents. Ne pas avoir de
parents, c'est ne pas avoir de droit. Un homme sans parent, c'est un homme
sans personne pour le défendre, c'est un homme sans droit. Et un homme
sans parents ou sans droit, on peut toujours le tuer impunément 69.
Avec l'État, les données du problème se trouvent profondément
modifiées. Non pas n'importe quel type d'État, non pas un État conçu, ainsi
qu'il en va dans le cas des cités antiques, comme l'ensemble même des
citoyens, non pas un État qui s'identifie à la communauté politique. Mais
avec un État qui s'incarne dans la personne du souverain, lequel est au-
dessus de la communauté. C'est désormais un jeu à trois, entre le roi,
l'esclave et son maître70. L'esclave peut bien être exclu de la communauté des
hommes (que l'on appellera « libres » ou au contraire « sujets » selon les
goûts) et en même temps être protégé par le roi contre son maître.
D'une société à l'autre, change le statut (juridique) de l'esclave ; change
aussi, d'un type de société à l'autre, la forme ou la nature (sociale) de
l'exclusion par laquelle se définit l'esclave. C'est la forme de l'exclusion et,
plus généralement, le type de société qui commandent le statut.

MOTS CLÉS : esclavage — anthropologie comparative — institutions — Afrique noire.

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69. « Ce qui caractérise les hommes en servitude par opposition à ceux qui sont libres, c'est l'absence de
parents susceptibles de les soutenir — « ils n'ont personne dans leur dos », comme diraient les Tonga des
lacs (Van Velsen 1964 : 262, n. 2) —, personne qui pourrait défendre leurs droits ou appuyer leur action. I
Et la sanction ultime qu'un maître avait sur ses dépendants était sa liberté de les tuer sans risquer des
représailles de la part de ses parents » (Mitchell 1970 : 308).
70. Toute cette problématique n'ayant bien sûr de sens que lorsque le maître est distinct du roi, dans le cas de
l'esclavage « privé », pourrait-on dire en reprenant le titre de l'ouvrage déjà commenté de Lingat. Nous avons tu
8
3
noté comment les dits « esclaves royaux » relevaient, au moins dans certains cas, d'un statut spécial.

L'esclavage comme institution


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Alain Testart
RÉSUMÉ/ABSTRACT
Alain Testart, L'esclavage comme institution. — Alain Testart, Slavery as an Institution. —
Cet article s'inscrit dans une recherche plus Corning out of a broader research project on 69
vaste sur les formes de dépendance. Son forms of dependence, this methodological
propos est méthodologique ; il s'attache avant tout article primarily seeks to provide a
à fournir une définition de l'esclave sufficiently general definition of slaves so as to
suffisamment générale qui permette de différencier differentiate slavery from other forms of
cette forme de dépendance d'autres formes dependence with which it is often confused.
avec lesquelles elle est souvent confondue. Il On the basis of data mostly from precolonial
s'achève sur des considérations comparatives black Africa and ancient Greece and Rome,
concernant la façon dont le statut juridique comparative considerations are brought to
de l'esclave varie en fonction du type de bear about how the legal status of slaves
société. Les principales données utilisées sont varies as a function of the type of society.
celles de l'Afrique noire précoloniale et celles
de l'Antiquité classique.

L'esclavage comme institution

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