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Micheau Françoise. Ibn Baţţūţa à Constantinople la Grande. In: Médiévales, n°12, 1987. Toutes les routes mènent à Byzance.
pp. 55-65;
doi : 10.3406/medi.1987.1057
http://www.persee.fr/doc/medi_0751-2708_1987_num_6_12_1057
3. Voir notamment les remarques de St. YERASIMOS (pp. cil, t. II, p. 43-45) et les
interrogations de F. LEMERLE, L'émirat d'Aydin, Byzance et l'Occident. Recherches sur
«La Geste d'Umur Pacha », Paris 1957, p. 133. Aucune étude particulière n'a été consacrée
à la relation du voyage d'Ibn BaftûÇa vers Constantinople, hormis un petit article de M.
IZEDDIN, « Ibn Battouta et la topographie byzantine », Actes du VIe Congrès international
d'Études Byzantines, Paris 1948, t. II, p. 191-196. Le très récent ouvrage de Ross E. Dunn,
The adventures of Ibn Battûta, a muslim traveler of the 14th century, London & Sydney,
Croom Helm, 1986, est une agréable présentation des Voyages, mais qui n'apporte pas de
lumière nouvelle sur les problèmes posés par ce passage.
4. Les noms propres ne livrent aucune indication. Tacfûr est un titre, sans doute dérivé
de l'arménien Tagavor, donné dans la littérature arabe aux Empereurs de Byzance. Bayalûn
est un nom générique porté par les princesses mongoles. Voir B. SPULER, Die Goldene
Horde. Die Mongolen in Russland 1223-1502, Leipzig 1943, p. 85 et P. PELLIOT, Notes
sur l'histoire de la Horde d'Or, Paris, 1949, p. 83-4.
5. Voir A. Th. PAPADOPOULOS, Versuch einer Généalogie des Palaiologen, 1259-1453,
Amsterdam 1962, p. 43 et 50-1.
6. Déjà Marie Paléologue, fille naturelle d' Andronic II, avait été mariée en 1292 au prince
tartare Toktaj pour juguler toute menace de ce côté. Mais il est impensable que cette même
princesse, remariée à Uzbeg, fût celle d'Ibn Battûta, comme le suggère IZZEDIN, op. cit
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10. Cette rencontre présente d'autres incohérences : Ibn Battûta dit qu'il s'agit du père,
au lieu du grand-père, de l'Empereur régnant et l'appelle Gurgls, c'est-à-dire Georges, alors
qu'il prit en religion le nom d'Antonios. Ces invraisemblances restent inexpliquées. Faut-il
penser, comme St. YERASIMOS (op. cit., t. II, p. 45), qu'un interprète futé a cherché à
répondre au désir d'Ibn Battûta de rencontrer de grands personnages ?
11. Voici le détail de ces indications : 19 jours de marcne depuis le jour où la caravane
a quitté le sultan (c'est-à-dire le lendemain du départ) jusqu'à l'entrée du désert en passant
par Ukak, Sûdâq et Bâbâ Saltûq, la dernière ville du pays des Turcs ; 18 jours pour la traversée
du désert jusqu'à l'arrivée à la forteresse de Mahtûlî, la première province des Rums; 22 jours
depuis cette forteresse jusqu'à Constantinople dont 16 jours jusqu'au halï§ et 6 de ce halïg
à Constantinople.
12. Un passage de Mas'ùdï (traduction PELLAT § 456), repris par plusieurs géographes
arabes, apporte une caution au récit d'Ibn Battûta puisqu'il précise qu'il y a du pays des
Bulgars (de la moyenne Volga) à Constantinople pas moins de deux mois de marche à travers
des terres cultivées et des déserts.
13. J'ai eu le plaisir de présenter ce passage des Voyages d'Ibn Battûta lors de deux séances
du séminaire que dirige Hélène AHRWEILER. Des byzantinistes, spécialistes de géographie
historique, Jean-Claude CHEYNET, Elisabeth MALAMUT, Annie PRALONG, ont bien
voulu s'intéresser aux problèmes posés par ce texte et nous en avons discuté à plusieurs
reprises. Je les remercie très vivement pour leur aide.
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14. Je laisse de côté les problèmes que pose l'itinéraire en Russie méridionale, en
particulier le passage par Sûdàq en Crimée qui apparaît comme un détour inexpliqué.
15. Par exemple, il mentionne à Sûdâq la rivalité entre Turcs et Rûms, entendu ici comme
les Vénitiens.
16. La topographie historique des régions danubiennes n'a pas fait l'objet d'un travail
définitif. Voir G. BRATIANU, Recherches sur Vicinia et Cetatea Aïba. Contributions à
l'histoire de la domination byzantine et tartare et du commerce génois sur le littoral roumain
de la Mer Noire, Bucarest 1935 ; A. ÉLIAN, « Les rapports byzantino-roumains »,
Byzantinoslavica XIX (1958), p. 212-225 ; V. LAURENT, « La domination byzantine aux
bouches du Danube à l'époque des premiers Paléologues », Revue Historique du Sud-Est
européen XXII (1945), p. 183-198 ; M. BALARD, « Les Génois dans l'Ouest de la Mer
Noire », Actes du XIVe Congrès international des Études Byzantines Bucarest 1971, Bucarest
1975, p. 21-32.
17. La seule objection concerne Bâbâ Saltûq, dont Ibn Battûta dit qu'elle est la dernière
ville du pays des Turcs avant le désert. Or Sari Saltûq est un derviche venu en Dobruja à
la fin du XIIIe siècle et dont le tombeau serait situé à Babadaghi au nord de la Dobruja.
Voir l'article « Babadaghi » dans Encyclopédie de Vislam, nouvelle édition, t. II, p. 865-6
(B. LEWIS). Mais il ne peut s'agir de la ville traversée par Ibn Battûta ; or on sait aussi
que ce saint vécut dans la steppe et il est possible que cette ville soit située en Russie
méridionale, quelque part près du bas Dniepr, comme le suggèrent GIBB (op. cit., t. II,
p. 499 note 310) et HRBEK (op. cit., p. 479). Voir discussion de ce point dans Maria
HOLBAN, Calatoristraini despre tarile romane, Bucarest 1968, p. 9-11 (article en roumain
qui m'a été communiqué par P. NASTUREL).
18. Littéralement quitta sa mosquée. Il faut comprendre que la princesse avait adopté
les formes extérieures de l'Islam à la cour mongole mais gardé la foi chrétienne dont elle
reprit les pratiques dès son entrée en territoire chrétien.
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Turc qui faisait la prière avec nous. Les sentiments intimes se modifièrent
du fait que nous étions entrés dans le pays des infidèles. La frontière est
ainsi marquée par le changement de souveraineté et par le changement
de rite.
La progression à travers les territoires chrétiens conduit en deux
semaines (19) à la forteresse de Maslama située au pied d'une montagne
sur un large fleuve appelé Astafîlï et, dès le surlendemain, au rivage ce
qu'Ibn Battûta appelle le halïg et que Defrémery et Sanguinetti ont traduit
par « canal ». Dans la mesure où le récit décrit la traversée successive
de trois halïé et un ensemble pierreux et sablonneux d'une largeur de douze
milles, tous les commentateurs ont identifié ces « canaux » avec les
bouches du Danube. Une autre hypothèse doit être avancée. Le terme halïg,
qui signifie golfe, fleuve, rive, canal, est la transcription courante chez les
géographes arabes du grec KoÀ/iroç pour désigner la mer de Marmara (20).
La distance parcourue depuis Mahtûlï, la proximité de Constantinople,
puisque la caravane fut accueillie par un important cortège byzantin dans
la ville située sur le troisième de ces golfes, la description de villes riantes,
avec vergers, jardins et pour l'une d'elles un palais impérial, l'arrivée peu
après dans la capitale byzantine, autant de points qui permettent de
suggérer que le halïg ne peut être le Danube, mais bien la mer de Marmara
dont la caravane a franchi plusieurs baies successives (21). Cette hypothèse
trouve confirmation dans l'identification d'Astafilï ; ce terme est en effet
la transcription du grec 'AcrTcuptJÂ/iq la Phylè (c'est-à-dire la tribu) des
Astai ; la forteresse de Maslama traversée deux jours avant d'arriver au
halïg serait Bizyé, la capitale des Astai, située au pied d'une montagne,
sur une grande rivière qui portait encore le nom des Astai (22). L'ensemble
de l'itinéraire parcouru par Ibn Battùta retrouve alors une réelle cohérence.
Quoi qu'il en soit de la route parcourue et des embûches rencontrées,
nous voici aux portes de Constantinople la Grande. Deux délégations
successives, sorties de la capitale, sont venues en grande pompe au devant
de la princesse et le cortège fait une entrée triomphale, vers l'heure de
19. Car Ibn Battûta indique 16 jours depuis Mahtûlï et situe cette forteresse à 2 jouis
de marche avant le halï£.
20. Voir A. MIQlTCL, op. cit., t. II, p. 412-413.
21. On pourra s'étonner des notations de notre voyageur sur le flux et le reflux. Mais
Mas'ùdï (traduction PELLAT § 739) décrivait le flux et le reflux sensibles dans la mer de
Marmara et A. MIQUEL a expliqué comment des hommes habitués à la Méditerranée étaient
surpris par ces eaux étranges (op. cit., p. 413).
22. Je dois cette judicieuse identification à Elisabeth MALAMUT. Voir STRABON, éd.
JONES, t. 3, p. 369. On peut aussi lire dans le mot arabe la transcription du grec Astapolis,
la cité des Astai. La référence à Maslama, le célèbre fils du Calife 'Abd al-Malik, qui
commandait l'expédition contre Constantinople en 716-7, n'est pas pour nous étonner dans
la mesure où cette expédition a laissé de nombreuses traces dans la légende. Voir
M.CANARD, « Les expéditions des Arabes contre Constantinople dans l'histoire et dans
la légende », Journal Asiatique 1926, p. 61-121 ; rééd. dans Byzance et les Musulmans, 1973.
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23. Ibn Battûta avait entendu pour la première fois les cloches alors qu'il débarquait
dans le comptoir génois de Caffa. Il avait été effrayé par ce bruit nouveau et avait alors
ordonné à ses compagnons de lire le Coran et de faire l'appel à la prière.
24. Voir M. BALARD, La Romanie génoise (XIIe-début du XVe siècle), Paris-Rome 1978
(Bibliothèque des Écoles Françaises d'Athènes et de Rome, 235), en particulier p. 1 14, 194
et 462 (et note 20 : discussion du passage sur le choix du komes-podestat).
25. honnis la phrase : J'y ai vu environ cent navires.
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26. Cela peut correspondre aux murs de l'Augusteon qui était en effet moins une place
qu'une cour fermée. Voir R. GUILLAND, « L'Augusteon », Études de topographie de
Constantinople byzantine, Berlin-Amsterdam 1969, t. II, p. 40-54.
27. Ibn Battûta dit que cet espace ressemble à un maswar qui, d'après DOZY, Supplément
aux dictionnaires arabes, t. I, p. 800, est un terme maghrébin pour désigner un grand carré,
entouré de murs, ordinairement découvert et orné, dans lequel les souverains donnent des
audiences publiques. La traduction par salle d'audience de DEFREMERY et SANGUI-
NETTI donne l'idée inexacte d'un lieu couvert.
28. R. JANIN, Constantinople byzantine, développement urbain et répertoire
topographique, 2e édition, Paris 1964, W. MÛLLER-WIENER, Bildlexicon zur Topographie Istanbuls,
Byzantion-Konstantinopolis-Istanbul bis zum Beginn des 17, Jahrhunderts, Tubingen 1977.
29. GIBB (op. cit. t. II, p. 509 note 336).
30. IZEDDIN, op. cit.
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31. Nous avons dit plus haut qu'il ne pouvait s'agir d'Andronic II.
32. Dans l'un des manuscrits de Paris, le mot mâristân est tellement familier au copiste,
à côté du mot étranger, mânistâr, qu'à plusieurs reprises il écrit le premier pour le second !
33. Là s'arrêterait pourtant le parallèle ; en effet, dans une zaouïa, il n'y a ni règle, ni
vœux, ni obligation de célibat, ni astreinte à une résidence définitive.
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34. Voir J. SUBLET, « Les frontières chez Ibn Batuta », Actes du 8* Congrès de l'Union
Européenne des Arabisants et Islamisants (1976), p. 305-308.
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Battûta : capitale chrétienne résumée, ici comme ailleurs, dans les éléments
qui l'intéressent et le valorisent : les lieux et les hommes du pouvoir et
de la religion qu'il a approchés. C'est mal connaître notre voyageur que
de se demander pourquoi il ne dit rien du Palais, de l'Hippodrome, des
colonnes du Forum, des marchés. Sa description de Constantinople est
semblable à celle des autres villes : fragmentaire, mais ici déformée par
le prisme des différences de langue et de religion. Dans cette perspective,
le voyage d'Ibn Battûta à Constantinople, s'il nous apprend peu sur la
capitale des Paléologues, nous montre plutôt comment sa réalité est perçue
par un musulman du XIVe siècle : non plus le mirage de la ville à
conquérir (35), mais une image dans le miroir d'un sunnisme tranquille
et assuré.
35. L. MASSIGNON, « Le mirage byzantin dans le miroir bagdadien d'il y a mille ans »,
Mélanges H. Grégoire. II, 1950, p. 429-448. Rééd. dam Opera Minora, 1. 1, 1969, p. 126-141.