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Laneyrie-Dagen, Nadeije: review of: Georges Didi-Huberman,


L’image ouverte. Motifs de l’incarnation dans les arts visuels, Paris:
Gallimard, 2007, in: Annales, 2008, 6 - Arts visuels, p. 1405-1406,
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First published: Annales, 2008, 6 - Arts visuels

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COMPTES RENDUS

Georges Didi-Huberman L’auteur s’en explique dans une préface


L’image ouverte. Motifs de l’incarnation inédite de plus de soixante pages. Suivant une
dans les arts visuels ligne de clivage assez à la mode ces dernières
Paris, Gallimard, 2007, 408 p. années, il s’oppose à la traditionnelle interpré-
tation des arts visuels initiée ou portée à son
Georges Didi-Huberman est un historien de comble par Erwin Panofsky : une histoire de
l’art. Mais sa pratique est celle d’un philosophe l’art qui considère la production visuelle comme
– ses références sont Henri Bergson, Maurice un enfant de la raison, et l’artiste comme un
Merleau Ponty, Edmund Husserl, Jacques maître qui domine entièrement son œuvre,
Lacan –, celle d’un anthropologue, autant que donnant une forme idéale à sa puissance créa-
celle d’un historien d’art. L’art fait l’objet de trice – autrement dit à son génie mélancolique.
ses recherches, mais celles-ci croisent son inté- G. Didi-Huberman, pour sa part, se refuse à
rêt non moins constant pour le corps. L’orga- examiner l’image du seul point de vue d’un
nique, la chair, les troubles de ceux-ci et la « sens » maîtrisé. L’histoire de l’art, pour lui,
capacité que possèdent en retour les images n’est pas une sémiologie. L’analyse de l’image
de troubler les spectateurs dans leur corps et se rapprocherait plutôt d’une étude des
dans leur chair : voilà qui est au cœur des tra- symptômes. En invoquant la figure d’Aby
Warburg, à qui il a consacré un ouvrage,
vaux que G. Didi-Huberman publie, depuis
G. Didi-Huberman réclame qu’on ménage
L’invention de l’hystérie, sur Jean-Martin Charcot,
dans l’image la part des pulsions, d’un non-
en 1982, jusqu’à Ex-voto. Image, organe, temps
dit, ou plutôt d’un non-peint ou non-sculpté ;
en 2005, en passant par une réflexion sur les
qu’on mette en évidence, dans l’artefact, la
images ultimes des victimes des camps d’ex-
part de ce qui n’a pas été voulu, lucidement
termination.
assumé ; qu’on ne réduise pas les arts visuels
La continuité, l’obsédante cohérence de
au projet d’imiter ni à celui de donner une
cette thématique se trouvent confirmées par forme idéale au réel, mais qu’on y cherche
le sujet de son dernier ouvrage. Il s’agit d’un l’élément irrationnel.
recueil de huit articles, publiés dans des revues Très loin de la mise en évidence et
spécialisées entre 1984 et 1987. L’unité du en valeur d’un point d’équilibre, G. Didi-
recueil ne vient pas du corpus étudié : un Huberman guette dans les images les signes
ensemble fait d’œuvres distinctes par le thème d’une tension et d’un déséquilibre. Là où
(mythologique comme l’Aphrodite anadyo- il choisit les mots de « crise de la représenta-
mène, religieux comme la stigmatisation tion » et, mieux, de « malaise dans l’imitation »,
de saint François), le matériau (peinture, on pourrait parler aussi de refoulé, d’une pré-
sculpture, photographie), le statut (pièces de sence, dans l’œuvre, de ce que la méthodolo-
musées d’art ou iconographie médicale) ou gie « humaniste » de E. Panofsky n’y reconnaît
l’époque (de l’Antiquité à la fin du XIXe siècle). pas ou ne veut pas y connaître : un refoulé qui
Elle tient à la manière d’aborder ces œuvres, est l’inquiétante réalité d’un corps connu seu-
en les considérant au-delà de ce qu’elles repré- lement en surface et maîtrisé partiellement,
sentent, et en quelque sorte en dépit de leur un corps dont l’intérieur – les organes – à la
caractère figuratif. fois fascine et met mal à l’aise. 1405
COMPTES RENDUS

Les deux premiers chapitres s’appuient sur et artistes se sont obstinément préoccupés
une lecture, fondatrice pour l’auteur, des au Moyen Âge de détourner l’art d’un projet
textes antiques : les fables qui concernent la qui serait seulement imitatif. La louange des
peinture et la sculpture et dont G. Didi- belles matières, or ou pierres vives des calices ;
Huberman découvrit la force fantasmatique à la vénération de l’abbé Suger pour la couleur
l’occasion de la réédition du Recueil Milliet 1, et et la lumière qui filtre pas les vitraux ; ou
les écrits de Tertullien sur le théâtre d’une encore, au XVe siècle, le soin mis par les fres-
part, sur les statues d’autre part. L’auteur s’y quistes italiens à peindre des marbres pré-
convainc de la puissance de la pulsion sco- cieux : tout cela, souligne G. Didi-Huberman,
pique, autrement dit du désir de regarder, et a une fonction anagogique. Il s’agit, plutôt
plus particulièrement de regarder l’œuvre que d’imiter le monde visible, d’orienter l’âme
d’art : la voluptas spectandi et la vis picturae. Il par la médiation des yeux, vers la conscience
constate que, dès l’époque païenne, la capacité de la magnificence de Dieu ; d’en donner un
expressive de l’image ne tient pas à la préci- équivalent qui ne soit pas une contrefaçon.
sion de l’imitation obtenue par le talent ou la Dans les trois derniers chapitres, l’intérêt
science de l’artiste. L’émotion ressentie vient se déplace des images, qui contiennent des
de la matière même et de la façon dont elle équivalents de l’organique, vers les corps qui
s’impose – dans la projection du pigment par font eux-mêmes images. Sous les termes de
une éponge jetée au hasard, par exemple, pour « férocité mimétique », G. Didi-Huberman
figurer l’écume de la mer ou la bave d’un che- étudie le spectacle que donne le corps des
val. Pour G. Didi-Huberman, les premiers déments – le sujet, des convulsionnaires de
chrétiens se soucient de fonder un art qui Saint-Médard à l’iconographie de la Salpêtrière,
n’imite pas le réel mais qui dise l’incarnation. est moins neuf que dans les années 1980. Sous
Ils cherchent la ressemblance non dans la le qualificatif de « corps clichés », il s’attarde
similitude avec les formes du réel, mais dans sur les phénomènes d’écritures ou de signes
la matière : dans les humeurs d’un corps souf- qui apparaissent quelquefois sur la peau
frant dans l’acte du martyre, c’est-à-dire dit (dermographisme), ou plutôt sur l’acharne-
dans la réitération spectaculaire des souffrances ment avec lequel des médecins s’efforcèrent
du Christ, ou encore par un attouchement avec de susciter ce symptôme, le manipulèrent et
le corps déchiqueté de Jésus, alors que, agoni- le mirent en images. Le livre s’achève par un
sant ou mort, il laisse s’écouler ses humeurs sur chapitre consacré à Georges Bataille, sous le
une toile (icônes acheiropoïètes de Véronique titre qui donne son nom au recueil, « L’image
ou du Saint Suaire). ouverte ». Le texte est centré sur la photo de
Dans les chapitres qui suivent, G. Didi- Louis Carpeaux, offerte en 1925 à Bataille,
Huberman explore la place tenue par l’hu- du supplice public de Fou-Tchou-Li : image
meur par excellence, le sang christique, dans effroyable d’un corps déchiqueté dont, de
l’art et les fantasmes des chrétiens du Moyen nouveau, on sait assez bien aujourd’hui quelle
Âge. Il analyse le culte des reliques du Saint influence décisive elle exerça sur l’écrivain.
Sang, les légendes concernant des images qui Mais la vision de ce corps jeune, frémissant et
saignent, et l’épisode de la stigmatisation de vivant, littéralement ouvert, conserve un siècle
saint François. Il s’intéresse en particulier aux après sa mise à mort la même efficacité et la
plaies du Christ, à la manière dont elles sont même terrible violence : une violence qui
décrites et montrées, à la façon dont la souil- rappelle celle-là même – vis (force) – que peut
lure devient une composante de l’image, contenir quelquefois l’acte de voir – videre –
composante sensible et non esthétique. Et il ou de donner à voir.
s’attache au cas du Saint Suaire, examinant les
analyses et tentatives de reconstitution qui ont NADEIJE LANEYRIE-DAGEN
marqué l’examen « scientifique » de la pièce
de lin conservée à Turin, jusque tard dans le 1 - Adolphe REINACH, Textes grecs et latins rela-
cours du XXe siècle. G. Didi-Huberman montre tifs à la peinture ancienne : recueil Milliet, éd. par
1406 aussi plus généralement comment théologiens A. Rouveret, Paris, Éditions Macula, 1985.

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