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Recueil Dalloz

Recueil Dalloz 2015 p.2541

« Ceci n'est pas une pipe » : l'association de malfaiteurs et la bande organisée selon la Cour
de cassation

Raphaële Parizot, Professeur à l'Université Paris Ouest Nanterre La Défense, Centre de droit
pénal et de criminologie

« Trahison » des notions, tel est le sentiment que fait naître la décision de la chambre criminelle de
la Cour de cassation du 8 juillet 2015 relative à la criminalité organisée. Si, sur le sujet, le débat se
concentre habituellement plutôt sur le terrain procédural, en tout cas sur les dispositions du code de
procédure pénale - quand bien même elles seraient relatives à des aspects substantiels (1), ici ce
sont les deux dispositions phare du code pénal en la matière (l'infraction d'association de
malfaiteurs et la circonstance aggravante de bande organisée) qui attirent l'attention. Trahissant la
loi, la Cour de cassation considère qu'association de malfaiteurs et bande organisée renvoient à
deux notions différentes.

En l'espèce, à l'issue d'une information ouverte pour vols en bande organisée, destructions par
incendie en bande organisée et association de malfaiteurs, le juge d'instruction écarte la
circonstance aggravante de bande organisée (qui aurait entraîné une qualification criminelle),
requalifie les faits en vols aggravés, destructions par incendie et association de malfaiteurs (de
nature délictuelle) et rend une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, dont
l'intéressé fait appel.

Il est intéressant de souligner une curiosité procédurale qui consiste, pour la personne voulant
contester son renvoi devant un tribunal correctionnel, à soutenir la qualification criminelle des faits
qui lui sont reprochés. En effet, si l'ordonnance de mise en accusation peut faire l'objet d'un appel
devant la chambre de l'instruction (art. 186 c. pr. pén.), il n'en va pas de même pour l'ordonnance
de renvoi devant le tribunal correctionnel, sauf dans l'hypothèse où la personne mise en examen
estime « que les faits renvoyés devant le tribunal correctionnel constituent un crime qui aurait dû
faire l'objet d'une ordonnance de mise en accusation devant la cour d'assises » (art. 186-3 c. pr.
pén.). La contestation de la correctionnalisation judiciaire, a priori pourtant favorable à l'intéressé,
est donc l'unique moyen pour faire appel de l'ordonnance de renvoi devant un tribunal
correctionnel. En l'espèce, au soutien du pourvoi en cassation formé contre l'arrêt de la chambre de
l'instruction de Nancy, confirmatif de l'ordonnance de renvoi, la personne mise en examen soulève
l'incohérence de l'arrêt qui a tout à la fois écarté la circonstance aggravante de bande organisée
(entraînant une qualification criminelle) et retenu le délit d'association de malfaiteurs.

De façon surprenante, la Cour de cassation confirme l'arrêt de la chambre de l'instruction qui


énonce « que la seule constitution d'une équipe de plusieurs malfaiteurs ne peut suffire à qualifier
la bande organisée dès lors que cette équipe ne répond pas au critère supplémentaire de structure
existant depuis un certain temps ; (...) qu'en outre les équipes de malfaiteurs n'étaient pas toujours

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constituées de la même manière mais de façon variable avec trois, quatre ou cinq membres » ; elle
ajoute que « la bande organisée suppose la préméditation des infractions et, à la différence de
l'association de malfaiteurs, une organisation structurée entre ses membres ». En distinguant ainsi
bande organisée et association de malfaiteurs, notions pourtant superposables, la Cour de cassation
s'expose à la critique sur un plan substantiel que ne peut atténuer l'objectif procédural recherché :
éviter la cour d'assises. En d'autres termes, la fin poursuivie (II) ne justifie pas le moyen employé
(I).

I - Le moyen : la dénaturation des notions de bande organisée et d'association de malfaiteurs


Les mots n'étant pas les mêmes, on pourrait logiquement considérer que la bande organisée et
l'association de malfaiteurs se définissent différemment. Or, si la bande organisée et l'association
de malfaiteurs doivent être qualifiées distinctement (circonstance aggravante dans le premier cas,
délit dans le second cas), elles se définissent de la même manière. Il suffit de comparer les textes
du code pénal applicables pour s'en assurer. Selon l'article 132-71 du code pénal, « constitue une
bande organisée au sens de la loi tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la
préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'une ou de plusieurs infractions ».
Selon l'article 450-1 du code pénal, « constitue une association de malfaiteurs tout groupement
formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels,
d'un ou plusieurs crimes ou d'un ou plusieurs délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement ».
Les deux notions sont synonymes. La circulaire du 2 septembre 2004 de présentation des
dispositions relatives à la criminalité organisée de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant
adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ne dit d'ailleurs pas autre chose : la
circonstance aggravante de bande organisée « doit (...) s'analyser comme la prise en compte, après
l'infraction, de l'existence d'une association de malfaiteurs qui avait pour objectif de commettre
cette infraction » (2).

Les éléments constitutifs de la bande organisée/association de malfaiteurs, tels qu'ils ressortent des
textes et tels qu'ils sont interprétés par la circulaire du 14 mai 1993 commentant les dispositions de
la partie législative du nouveau code pénal (3) et la décision du Conseil constitutionnel du 2
mars 2004 (4), sont par conséquent les mêmes : pluralité de participants, préparation de
l'infraction, structure et préméditation. Il est vrai que l'histoire du délit de participation à une
association de malfaiteurs montre la tendance à l'abandon de la condition d'organisation, de
structure. Alors que le texte initial (l'art. 265 c. pén. de 1810) exigeait explicitement la condition de
l'organisation, les moutures postérieures à la loi des 18-19 décembre 1893 ne mentionnent plus
cette condition (5), faisant écrire à M. Garçon que « l'évolution législative a eu pour conséquence
de substituer à l'association criminelle que nos ancêtres ont connue, l'entente parfois passagère, qui
précède la perpétration des crimes, afin de donner à la justice des armes plus maniables et plus
efficaces pour la répression des activités criminelles » (6). On pourrait donc se réjouir a priori de
ce que la Cour de cassation, dans cette affaire, associe à la condition de « groupement formé » ou
d'« entente établie » posée dans les articles 132-71 et 450-1 du code pénal l'exigence d'une «
organisation structurée entre ses membres » (« structure existant depuis un certain temps » selon la
chambre de l'instruction). Malheureusement, cette exigence ne vaut que pour la bande organisée
que la Cour de cassation, sans raison valable, dissocie expressément (« à la différence de
l'association de malfaiteurs ») et pour la première fois de l'association de malfaiteurs.

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Ce faisant, la Cour de cassation s'expose à plusieurs critiques. D'abord, la décision opère la
distinction entre association de malfaiteurs et bande organisée sur le critère de « l'organisation
structurée », nécessaire pour la bande organisée, inutile pour l'association de malfaiteurs (et, en
l'espèce, d'ailleurs, « les équipes de malfaiteurs n'étaient pas toujours constituées de la même
manière mais de façon variable avec trois, quatre ou cinq membres »), tout en continuant à exiger
dans les deux cas la préméditation du groupe, ce qui, on en conviendra, n'est pas très facile en
théorie et encore moins en pratique.

Par ailleurs, si cette dissociation, qui s'arrête au nom des notions sans égard pour leur contenu (7),
redonne à la bande organisée sa véritable signification, elle déclasse corrélativement l'association
de malfaiteurs quasiment au rang de la réunion (8). Et, ainsi, elle pose la question du devenir de la
jurisprudence désormais établie - et elle aussi critiquable - selon laquelle, à l'encontre de la règle de
l'absorption, on peut cumuler les qualifications d'infraction commise en bande organisée et
d'association de malfaiteurs en vue de commettre cette infraction (9) ? En effet, si la solution de
l'arrêt ici commenté s'installait, elle devrait entraîner une application plus rare de la jurisprudence
autorisant la double déclaration de culpabilité puisque la bande organisée, dans les cas où elle est
légalement prévue, ne serait plus systématiquement caractérisée là où il y a association de
malfaiteurs. Dans le même temps, la jurisprudence est tellement peu claire et convaincante sur le
sujet qu'il est difficile d'anticiper ses prochains coups...

Enfin, en détachant pour la première fois deux notions qui ont toujours été liées, cette décision
pose une inévitable question procédurale : si n'est organisée que la bande organisée, est-il encore
légitime que l'association de malfaiteurs participe de la définition de la criminalité organisée (art.
706-73, 706-73-1 et 706-74 c. pr. pén.) ? C'est qu'en effet fond et forme sont liés, comme l'illustre
d'ailleurs bien cette décision, dont la solution sur le fond semble nettement guidée par des
considérations procédurales.

II - La fin : l'évitement de la cour d'assises


Au niveau de l'instruction, la question de la qualification revêt une importance considérable en ce
qu'elle détermine la juridiction compétente. En l'espèce, la juridiction compétente est la cour
d'assises ou le tribunal correctionnel selon que l'on retient ou non la circonstance aggravante de
bande organisée. En effet, les vols en bande organisée et les destructions par incendie en bande
organisée, chefs fondant, en l'espèce, l'ouverture de l'information judiciaire, sont des crimes (art.
311-9 et 322-8 c. pén.), tandis que les vols aggravés par la réunion, la dégradation et la
dissimulation de visage, qualification retenue dans l'ordonnance du juge d'instruction, sont des
délits (art. 311-4 c. pén.), de même que l'association de malfaiteurs (art. 450-1 c. pén.).

On comprend dès lors que la déformation des notions de bande organisée et d'association de
malfaiteurs aboutit à l'évitement de la cour d'assises, voire sert une « stratégie » judiciaire de
contournement de la cour d'assises. Sans que l'on nous donne évidemment de raison à ce choix, on
peut avancer l'idée (déjà présente au moment de la correctionnalisation législative de l'association
de malfaiteurs par la loi Sécurité et Liberté du 2 févr. 1981) qu'il vaut mieux en matière de
criminalité/délinquance organisée saisir une juridiction professionnelle plus rapide et considérée
plus fiable (10), sachant par ailleurs que la triple aggravation du vol permet en l'espèce
d'approcher, devant le tribunal correctionnel, les maxima associés à la bande organisée devant la

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cour d'assises (dix ans d'emprisonnement et 150 000 € d'amende pour le vol en réunion, à visage
couvert, assorti de dégradation - art. 311-4 c. pén. - contre quinze ans de réclusion criminelle et 150
000 € d'amende pour le vol en bande organisée - art. 311-9 c. pén.).

Même si le procédé resterait en tout état de cause condamnable (11), cette correctionnalisation
judiciaire ne pouvait-elle être atteinte sans sacrifier la cohérence des notions de bande organisée et
d'association de malfaiteurs ? Si, probablement. Il aurait suffi pour cela de ne pas dissocier bande
organisée et association de malfaiteurs et de les écarter toutes deux en l'espèce au motif que la
condition d'organisation structurée exigée pour toute organisation criminelle (qu'on la nomme
bande organisée ou association de malfaiteurs) n'était pas caractérisée, la pluralité de délinquants
étant par ailleurs prise en compte au titre de la circonstance aggravante de réunion. Mais il est vrai
alors que les moyens procéduraux dérogatoires (art. 706-73 s. c. pr. pén.) n'auraient pu être
employés (12).

Serait-ce déplacé de gager que, fort commodément, l'association de malfaiteurs détachée de la


bande organisée (et qui, sans être organisée, relève tout de même de la criminalité organisée...),
tout à la fois permet une saisine du tribunal correctionnel et justifie le recours aux dispositions
procédurales dérogatoires ? Le surréalisme aurait-il pénétré la Cour de cassation ?

Mots clés :
ASSOCIATION DE MALFAITEURS * Bande organisée * Qualification * Plusieurs équipes de
malfaiteurs * Association structurée * Existence depuis un certain temps

(1) L'art. 706-73 c. pr. pén. créé par la L. n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions
de la criminalité (dite loi Perben 2), qui liste les infractions relevant de la criminalité organisée (et auquel il faut
d'ailleurs adjoindre les art. 706-73-1 et 706-74), a, en effet, depuis 2004, été modifié pas moins de douze fois, avec en
particulier une remarquable valse du délit d'escroquerie en bande organisée, qui a été successivement inclus (L. n°
2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance), exclu (L. n° 2007-1598 du 13 nov. 2007 relative à
la lutte contre la corruption), inclus (L. n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du
droit), exclu (L. n° 2015-993 du 17 août 2015 portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union
européenne, faisant suite à une déclaration d'inconstitutionnalité du Conseil constitutionnel du 9 oct. 2014 - n° 2014-
420/421 QPC, D. 2014. 2278 , note A. Botton ), ou plutôt déplacé dans le nouvel art. 706-73-1 issu de la loi du 17
août 2015, qui maintient la possibilité d'appliquer au délit d'escroquerie commis en bande organisée les dispositions
procédurales dérogatoires attachées à la criminalité organisée, à l'exclusion de celles relatives à la garde à vue.

(2) CRIM 2004-13 G1/02-09-2004.

(3) « La bande organisée suppose en effet, à la différence de la réunion, que les auteurs de l'infraction ont préparé, par
des moyens matériels qui sous-entendent l'existence d'une certaine organisation, la commission du crime ou du délit, ce
qui signifie donc qu'il y a eu préméditation » [124].

(4) Cons. const., 2 mars 2004, n° 2004-492 DC, D. 2004. 2756 , obs. B. de Lamy , 956, chron. M. Dobkine ,
1387, chron. J.-E. Schoettl , et 2005. 1125, obs. V. Ogier-Bernaud et C. Severino ; RSC 2004. 725, obs. C.
Lazerges , et 2005. 122, étude V. Bück ; RTD civ. 2005. 553, obs. R. Encinas de Munagorri (loi portant
adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité) : la bande organisée « suppose la préméditation des infractions

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et une organisation structurée de leurs auteurs » (consid. 13).

(5) Sur ce point, V. notre thèse, La responsabilité pénale à l'épreuve de la criminalité organisée. Le cas symptomatique
de l'association de malfaiteurs et du blanchiment en France et en Italie, LGDJ, Bibliothèque des sciences criminelles,
2010, n° 131 s.

(6) E. Garçon, Code pénal annoté, Sirey, Nouvelle édition refondue et mise à jour par M. Rousselet, M. Patin et M.
Ancel, tome 1 (art. 1 à 294), 1952, n° 15, p. 931, ss les art. 265 s.

(7) Doit-on s'attendre au même type de raisonnement pour la circonstance aggravante de guet-apens (art. 132-71-1 c.
pén.) et le délit d'embuscade (art. 222-15-1 c. pén.), qui tous deux, bien qu'ayant un champ d'application différent, se
définissent comme le fait d'attendre un certain temps une ou plusieurs personnes dans un lieu déterminé pour
commettre à leur encontre une ou plusieurs infractions ? Sur ce point, V. C. de Jacobet de Nombel, L'originalité de la
circonstance aggravante de guet-apens, RSC 2010. 545 s.

(8) Circonstance aggravante caractérisée par « plusieurs personnes agissant en qualité d'auteur ou de complice ». Ce
déclassement de l'association de malfaiteurs se note déjà dans une décision de la Cour de cassation qui confirme la
condamnation de plusieurs individus pour participation à une association de malfaiteurs et vol aggravé par la double
circonstance d'effraction et de réunion, la circonstance de bande organisée étant expressément écartée (Crim. 2 oct.
2012, n° 11-81.730).

(9) Cette double qualification est envisagée devant les juridictions d'instruction : Crim. 10 juill. 2002, n° 02-83.243
(importation de stupéfiants en bande organisée et association de malfaiteurs) ; 27 juin 2012, n° 11-86.773 (escroquerie
en bande organisée et association de malfaiteurs) ; 2 juin 2015, n° 15-8.1585 (assassinat en bande organisée - sic : la
circonstance aggravante n'est pas prévue pour l'assassinat... - et participation à une association de malfaiteurs). Mais, et
c'est plus critiquable encore, elle est aussi retenue par les juridictions de jugement : Crim. 19 janv. 2010, n° 09-84.056,
AJ pénal 2010. 201 (évasion en bande organisée et association de malfaiteurs) ; 30 juin 2010, n° 10-80.559
(escroquerie en bande organisée et association de malfaiteurs : en réalité, dans cette affaire, la chambre criminelle a
cassé l'arrêt de la cour d'appel qui avait retenu la première qualification et exclu la seconde au motif - condamnable
selon la Cour de cassation - que les mêmes faits « ne peuvent être retenus à la fois comme élément constitutif d'un délit
et comme circonstance aggravante d'une autre infraction »).

(10) W. Jeandidier, La correctionnalisation législative, JCP 1991. I. 3487, n° 10.

(11) Le procédé de correctionnalisation judiciaire est largement critiqué en doctrine : A. Darsonville, La légalisation de
la correctionnalisation judiciaire, Dr. pén. 2007. Étude 4 ; B. Bouloc, Procédure pénale, Dalloz, 25e éd., 2015, n° 662 ;
J. Pradel, Procédure pénale, Cujas, 18e éd., 2015, n° 120.

(12) En effet, le principal repère de ce qu'est la criminalité organisée est le critère de la bande organisée et de
l'association de malfaiteurs (art. 706-73 à 706-74 c. pr. pén.). La circonstance aggravante de réunion ne suffit pas à
faire entrer une infraction dans le champ de la criminalité organisée et ne permet donc pas le recours à une procédure
pénale dérogatoire.

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