Professional Documents
Culture Documents
www.mediapart.fr
1
1/5
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
2
le déploiement de l’entreprise n’est pas encore lisible. acteurs et ses témoins ont eu besoin de comprendre,
Enfin, ces Mémoires n’existaient pas sous cette forme, dans un léger après-coup, combien cet événement
car ils incluent des textes que Beauvoir avait situés avait tourné leur vie (1).
dans une forme de marge ou d’écart par rapport à Pour Beauvoir, la première grande césure a lieu à la
son autobiographie : à commencer par Une mort très Libération. Elle quitte définitivement la posture de
douce, court texte de 1964 consacré à la maladie et dégagement par laquelle elle avait cru pouvoir définir
à la mort de sa mère, à la fin de l’année précédente, son être au monde dans les années 1930 pour lier
et qu’elle avait intitulé « récit » ; et ils posent aussi son existence à son temps. Elle s’engage aux côtés
la question du statut de La Cérémonie des adieux, de Sartre dans Les Temps modernes, participe à un
présentant les dix dernières années de la vie de Sartre certain nombre d’actions publiques, en France et à
vues à travers ses yeux. l’étranger, publie des textes de philosophie morale
Ce coup de force éditorial est une chance de l’œuvre, et surtout cherche une forme pour exprimer la force
qui désormais s’ouvre sur cette phrase : « Je suis née de ce lien. Elle la trouve provisoirement dans le
à 4 heures du matin, le 9 janvier 1908, dans une roman, avec Les Mandarins, publié en 1954 et qui
chambre aux meubles laqués de blanc, qui donnait sur obtient le prix Goncourt la même année, tout en
le boulevard Raspail. » Elle s’achève 2 500 pages plus couvrant journellement tous les champs de l’écriture
loin sur une autre, très mémorable, écrite en 1980 juste personnelle : lettres, journal – qu’elle commence
après la mort de Sartre : « Sa mort nous sépare. Ma comme Sartre pendant la guerre –, notes, carnets…
mort ne nous réunira pas. C’est ainsi ; il est déjà beau
que nos vies aient pu si longtemps s’accorder. » Entre
les deux se déploient une vie, deux vies et beaucoup
de vies.
Comme le signale Jean-Louis Jeannelle dans
l’introduction, beaucoup de contemporains ont
souligné cette concordance des existences, même les
Simone de Beauvoir, Sylvie Le Bon et Sartre, piazza Navona à Rome,
moins aimés de l’auteure. Ainsi Mauriac, à la sortie de 1970. Coll. S. Le Bon de Beauvoir. © F. Hanoteau/© Éditions Gallimard.
La Force des choses, sait dire à quel point en parlant C’est une seconde césure historique qui va faire surgir
d’elle, Beauvoir parle de « nous » : « Cet adversaire la trouvaille : le commencement de la guerre d’Algérie
qui n’écrit mon nom qu’avec hostilité ou mépris, écrit- la révèle à elle-même autant qu’il lui révèle la nécessité
il dans Le Figaro littéraire du 14 novembre 1963, d’incorporer le monde extérieur dans son œuvre. C’est
et dont presque toutes les options s’opposent avec à cette date qu’elle décide de poursuivre l’entreprise
violence aux miennes, rien ne peut faire que son de remémoration et d’incorporation d’une époque
histoire ne soit mon histoire : revenir à ses souvenirs, historique commencée avec les Mémoires d’une jeune
c’était revenir aux miens. » Cette lecture généreuse est fille rangée en racontant sa jeunesse dans La Force de
aussi celle à laquelle ces volumes nous invitent. Ils font l’âge.
de Beauvoir un témoin majeur de l’histoire du XXe Vient ensuite, avec La Force des choses, le moment
siècle. où le temps de l’écriture rejoint le temps de la vie,
Le genre des mémoires se distingue de dans lequel on peut voir l’accomplissement de toute
l’autobiographie non parce qu’il serait forcément plus entreprise de mémorialiste. En cet instant troublant, où
éloigné de l’intime mais parce qu’il se centre moins une conscience est pleinement engagée dans l’histoire
sur l’individu que sur la relation de la vie au siècle. qu’elle raconte et sur laquelle elle pose un regard
Il connaît son plein essor après la Révolution, tant ses
2/5
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
3
distancié ou critique, les lecteurs sont placés devant le et de Jean-Louis Jeannelle, qui contient un certain
temps. Ils comprennent alors leur existence historique nombre de lettres et de textes inédits et de belles
en voyant l’être aux prises avec les événements. contributions.
Par un effet de courbe extrêmement bouleversant, plus (1) Très bien montré par Damien Zanone dans Écrire
le temps presse et s’apprête à manquer, plus il est son temps. Les Mémoires en France de 1815 à 1848,
présent et impose au lecteur sa présence de présent. Presses universitaires de Lyon, 2007.
C’est particulièrement vrai dans La Cérémonie des
adieux. Ce livre a été beaucoup critiqué pour le portrait
abîmé qu’il donnait de Sartre et pour l’image d’un
corps souffrant qui abandonnait à la fois une figure et
un nom. Mais ainsi placé comme terme des Mémoires
de Beauvoir, il met devant l’événement pur. Pour
Beauvoir, la mort de Sartre est sans après-coup. Elle
clôt l’entreprise des Mémoires parce qu’elle prive
d’accord avec le temps.
Albert Thibaudet a appelé « temps des mémoires »
le moment où, avant que les historiens ne posent un
regard distancié sur eux, les écrivains ou les acteurs
reviennent sur les événements dont ils ont été les
témoins. Simone de Beauvoir s’est pleinement révélée
dans ce temps et elle a compris que sa vie ne prenait
sens que dans son exemplarité. L’exemplarité n’est pas
la singularité. Elle se dit dans la langue de tous et dans
un récit qui ne renonce pas à être plat.
On peut trouver à la longue que, par rapport à d’autres
œuvres qu’on aime, Simone de Beauvoir a une écriture
d’institutrice, qu’elle conduit son récit de vie comme
on ferait une bonne rédaction. Mais elle a mis dans
sa vie tellement de fantaisie, de frénésie, même si,
comme elle le raconte dans les Mémoires d’une jeune
fille rangée, la rencontre avec Sartre lui a révélé toute
la tiédeur qu’il pouvait y avoir dans ses fièvres, que
son histoire nous emporte, nous passionne et continue
à raconter l’Histoire. C’est toute la grandeur de cette
édition que de l’avoir compris, que de l’avoir montré,
en prouvant au passage que les œuvres ne sont pas de
la seule responsabilité de leur auteur.
Signalons, en même temps que ce massif mémorial,
la parution du riche Album de la Pléiade Simone de
Beauvoir, écrit par Sylvie Le Bon de Beauvoir et, il
y a quelques mois, du Cahier de l’Herne Simone de
Beauvoir, sous la direction d’Éliane Lecarme-Tabone
3/5
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
4
4/5
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
5
Directeur de la publication : Edwy Plenel Rédaction et administration : 8 passage Brulon 75012 Paris
Directeur éditorial : François Bonnet Courriel : contact@mediapart.fr
Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Téléphone : + 33 (0) 1 44 68 99 08
Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Télécopie : + 33 (0) 1 44 68 01 90
Capital social : 24 864,88€. Propriétaire, éditeur, imprimeur : la Société Editrice de Mediapart, Société par actions
Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des simplifiée au capital de 24 864,88€, immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS,
publications et agences de presse : 1214Y90071 et 1219Y90071. dont le siège social est situé au 8 passage Brulon, 75012 Paris.
Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Laurent Mauduit, Edwy Plenel Abonnement : pour toute information, question ou conseil, le service abonné de Mediapart
(Président), Sébastien Sassolas, Marie-Hélène Smiéjan, Thierry Wilhelm. Actionnaires peut être contacté par courriel à l’adresse : serviceabonnement@mediapart.fr. ou par courrier
directs et indirects : Godefroy Beauvallet, François Bonnet, Laurent Mauduit, Edwy Plenel, à l'adresse : Service abonnés Mediapart, 4, rue Saint Hilaire 86000 Poitiers. Vous pouvez
Marie-Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société Doxa, également adresser vos courriers à Société Editrice de Mediapart, 8 passage Brulon, 75012
Société des Amis de Mediapart. Paris.
5/5