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ASPECTS DE L'INTERCESSION DANS LE JUDAÏSME

ANCIEN

PAR

R. LE DÉAUT
Rome

Le theme de l'intercession a fait l'objet de nombreuses etudes,


soit dans 1'AT soit dans le NT, et les theologies bibliques classiques
lui r6servent quelques pages 1). Nous entendons ici le terme irrter-
cession au sens d'intervention auprès de Dieti en faveur de quelqu'un dans
la priere 2). Les exemples de I' A T sont bien connus et nous les retrou-
verons presque tous en examinant les conceptions de 1'epoque
intertestamentaire qui nous occupe. A travers les 6crits bibliques
eux-memes, on peut relever une evolution dans la fa?on de presenter
l'intercession: c'est ainsi que Dt. 9 peut 6tre consid6r6 comme une
relecture d'Ex. 32 (fait encore plus frappant si l'on consid?re la
LXX), et que des touches propres au Code Sacerdotal apparaissent
dans les presentations successives de l'image de Moise 3). Le proph?te,
dont l'une des fonctions principales était celle d'interc6der en faveur

1) L. KÖHLER,Theologiedes AT, Tübingen 1947, pp. 81, 204; W. EICHRODT


Theologiedes AT, Göttingen, II/III 1961, pp. 312-314 (et passim); G. voN RAD
Theologiedes AT (passim). Voir aussi les monographies de P. A. H. DE BOER,
De Voorbedein het Oude Testament (Oudt. Studiën III) Leiden 1943; F. HESSE,
Die Fürbitte im AT (Erlanger theol. Diss. 1949), Hamburg 1951; J. SCHARBERT,
Heilsmittler im Alten Testamentund im Alten Orient (Quaestiones Disputatae 23/24),
Freiburg 1964. Cf. aussi J. SCHARBERT, 'Die Fürbitte in der Theologie des AT',
Theol.und Glaube 50 (1960) pp. 321-338.
2) 'Das Eintreten für andere im Gebet' (B. KIRSCHNERet M. JOSEPH,dans
JüdischesLexicon II Berlin 1928, p. 848). L'intercession peut être considérée comme
une fonction de la médiation et elle est parfois étudiée dans ce cadre: ainsi dans
l'article 'Médiation' du Supplémentau Dict. de la Bible (vol. V). Peut-être serait-il
préférable de lui réserver un traitement spécial puisque, nous le verrons, elle
s'étend à des personnages qui ne sont pas à proprement parler des ,Médiateurs";
d'autre part, la médiation peut s'accomplir sous d'autres formes que la prière.
Nous n'abordons point les problèmes de l'expiation et du mérite,pourtant connexes :
cf. A. MARMORSTEIN, The Doctrine of Merits in Old Rabbinical Literature, 1920
(réédité à New York en 1968) ; S. SCHECHTER, Some Aspects of Rabbinic Theology,
London 1909, pp. 170-198 (The Zachuthof the Fathers).
3) J. SCHARBERT, Op.cit., pp. 96-98.
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du peuple 1), semble, avec j6r6mie et Ézéchie1, se solidariser de plus


en plus avec les responsabilit6s comme avec le destin de ceux qu'il
repr6sente 2). On voit aussi s'elargir, d6s les 6crits bibliques, le groupe
des intercesseurs limite d'abord à des personnages ,,fficiels", tels
les rois, les proph6tes et les pretres ; les exemples d'intercessions
d'hommes pieux se multiplient, celle des anges apparait a son tour
et l'on arrive meme A la conviction que les grands intercesseurs du
pass6 continuent dans l'autre monde a intervenir en faveur du peuple
de Dieu 3). L'6volution du concept de l'immortalit6 (premiere
attestation dat6e vers 164, dans Dan. 12, 1-3) permet meme d'arriver
a l'id6e d'une intercession pour les morts, d'une pri6re associ6e a un
sacrifice, pouvant leur assurer 1'expiation pour leurs fautes (2 Macc.
12, 41-46).
Parfois 1'etude de l'intercession dans le NT s'amorce directement
a ces données bibliques en omettant un chainon, à notre sens capital,
celui des conceptions juives contemporaines 4). Or le processus

1) G. VONRAD, TheologieI, 194; 291-293; II, 63 ss. Récemment, H. W. HERTZ-


BERG, 'Sind die Propheten Fürbitter?', Tradition und Situation, Festschrift A.
Weiser, ed. E. WÜRTHWEINet O. KAISER,Göttingen 1963, pp. 63-74) a réagi
contre cette conception, faisant de la transmission de la Parole de Dieu la fonction
essentielle de l'institution prophétique. On ne peut nier toutefois que l'inter-
cession soit un trait caractéristique de la vocation prophétique. Même après la
disparition de la prophétie, la tradition juive conservera vivante cette connexion,
comme nous le verrons.
2) J. SCHARBERT, Heilsmittler pp. 288 ss.; Fürbitte p. 334 a souligné le passage
du "Je" au "Nous" dans la prière prophétique et parle, avec F. HESSE(op. cit.,
138-142), d'une "Entwicklung von der 'exklusiven' zur 'inklusiven' Fürbitte",
en donnant toutefois à ces termes un sens différent (p. 334, n. 89). L'AT n'offre
pas de changement notable dans les conditions morales requises pour le succès
de l'intercession: celles-ci sont seulement de plus en plus mises en lumière (ibid.
p. 335). N. JOHANSSON, (Parakletoi- Vorstellungenvon Fürsprechernfür die Menschen
vor Gott in der alttestamentlichenReligionim Spätjudentumund Urchristentum, Lund
1940) avait aussi souligné le changement de situation du prophète par rapport
à Dieu et son peuple (e.g. p. 16): la formule "ton Dieu" de 1 Sam. 12, 19 (p. 12)
est significative à cet égard.
3) Cf. le songe de Judas à propos d'Onias et de Jérémie (2 Macc. 15, 11-14).
4) Cf. A. GEORGE,'Les fondements scripturaires de l'intercession de Marie',
Recherchessur l'intercessionde Marie I, Fondements et premiers développements
(Bulletin de la Société française d'études mariales) Paris 1966, pp. 19-35. Voir
les remarques de S. MOWINCKEL,'Die Vorstellungen des Spätjudentums vom
heiligen Geist als Fürsprecher und der johanneische Paraklet', ZNW 32 (1933),
p. 98, et l'observation de P. GRELOTdans RB 60 (1963), p. 44: "Dans la confron-
tation du Nouveau Testament avec l'Ancien, il me paraît toujours nécessaire de
ne pas omettre l'intermédiaire de l'exégèse juive, vis-à-vis de laquelle les auteurs
de l'âge apostolique devaient toujours prendre position lorsqu'ils donnaient une
exégèse chrétienne des textes sacrés". Il y a là une question de méthodologie
dont l'application permettrait de connaître mieux à la fois le Judaïsme ancien et
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d'evolution qu'on decc'le des I'AT ne s'est nullement arrete; les


6crits non-bibliques attestent bien au contraire des d6veloppements
consid6rables en ce domaine et il est au moins probable que certaines
données du NT prennent le relais de ces conceptions 6volu6es. On
peut souscrire a ce sujet a ce que R. H. CHARLES 6crivait en general
de la doctrine des Apocryphes:

,,The ethical teaching on these subjects in apocalyptic is a vast


advance on that of the O.T., and forms the indispensable link which
in this respect connects the O.T. with the N.T." 1).

Il n'est pas possible de donner une presentation systematique des


id6es concernant l'intercession attest6es dans la litterature du temps,
tout d'abord parce qu'elles sont souvent contradictoires et un examen
approfondi de chacune d'elle exigerait une vaste etude. Mais de la
confrontation de multiples textes se d6gagent des tendances qui,
a leur mani?re, prouvent combien le Judaisme ancien était poly-
morphe, mais se reconnaissait dans un certain nombre d'id6es et
d'attitudes communes. Certains de ces aspects ont d6jA fait l'objet
d'6tudes particuli6res, mais il nous semble preferable de les inclure
bri6vement dans 1'expos6 pour donner un tableau plus complet des
conceptions contemporaines. Parfois il s'agit de d6veloppements de
1'AT, de relectures - ou de r6interpr6tations - des anciens textes,
et ici le t6moignage des versions bibliques est particulierement
pr6cieux, parfois d'616ments originaux, dus a des influences 6trang6res
qu'il est malaisé de pr6ciser.
Nous illustrerons ces tendances nouvelles de quelques exemples 2),
sans pr6tendre 6tre exhaustif. On aura soin d'6viter de g6n6raliser,
par exemple 1'ex6g6se d'un passage biblique (qui peut 6tre une simple
allusion ou le fait d'un commentateur isol6) 3) ou les affirmations

le Christianisme primitif. D. FLUSSERécrit justement: "The latter-day Judaism


as well as Christianity did not evolve from the religion of Israel in the Old Testa-
ment, but from the Jewish religiosity that flourished during the intertestamental
period. This type of religiosity is no longer identical with the creed reflected
in the Old Testament" (HThR 61, 1968, p. 109).
1) The Apocrypha and Pseudepigraphaof the Old TestamentII Oxford 1913, p. XI.
2) On pourra compléter par l'ouvrage déjà cité de N. JOHANSSON dont nous
sommes largement tributaire ou, pour les écrits apocryphes, par H. J. WICKS,
The Doctrine of God in the Jewish Apocryphal and Apocalyptic Literature, London
1915, qui étudie la conception des rapports entre l'homme et Dieu et aborde
souvent celle de l'intercession.
3) Sur la distinction entre allusion et authentique exégèse, cf. la note de J.
JEREMIAS dans W. ZIMMERLI-J.JEREMIAS, The Servant of God, revised ed., London
1965, p. 52 (avec une liste d'auteurs qui profèrent un caveat analogue) et p. 67.
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d'6crits (tels les Apocryphes) dont il importerait de savoir d'abord


l'ampleur des couches du Judaisme ancien qu'ils ont pu atteindre 1).
Nous avons essaye de classer un materiel immense en relevant
quelgues aspects caract6ristiques.

1. Le groupe des intercesseurs s'élargit; mais, tandis que les exemples


d'intercession se multiplient, quelques divergences de vue se font jour

Les textes anciens de 1'AT avaient presente des intercesseurs en


quelque sorte attitr6s: des amis de Dieu, tels Abraham (Gen. 18,
16-33; 20, 7.17), Moise (Ex. 32; Nombr. 14); des proph6tes, tels
Samuel (1 Sam. 7, 5-9; 12, 19-23) 2), l3lie (1 Rois 17, 20-22) ou
?lisee (2 Rois 4, 33; 6, 17), Jeremie surtout 3) et l3z£chiel (9, 8;
11, 13 ; 22, 30) 4); des rois, tels David (2 Sam. 7, 18-25; 14,17) ou
Salomon (1 Rois 8, 22-61) et Ezechias (2 Rois 19, 15-21) etc. L'inter-
cession des anges était affirm6e dans Job 5, 1; 33, 23-28; Zach. 1,
12-13; Tob. 12, 12.15. Ces conceptions vont se trouver d6velopp6es
et explicit6es.
L'intercession des anges connait une extension considérable dans
les 6crits apocryphes 5) (1 H6noch 9; 15,2; 39,5; 40, 6; 47, 2; 68, 4;

1) La question que JOHANSSON soulève à propos de 3 Hénoch (op. cit., p. 122)


se pose aussi pour les autres écrits. Combien de gens en Palestine étaient au fait
des idées défendues par un ouvrage aussi important que les jubilés?
2) Cf. l'intervention d'un "homme de Dieu" pour Jéroboam dans 1 Rois 13,6.
SCHARBERT ('Fürbitte', p. 327) hésite à voir un cas d'intercession dans 1 Sam. 15, 11
(e contra JOHANSSON, op. cit., p. 12). Le Targum traduit: "Et il pria (wsly)devant
Yhwh toute la nuit".
3) 10, 23-25; 14, 8.21 ; 18, 20; 27, 18; 37, 3; 42, 2-4: dans tous ces cas, Tg
rend littéralement TM, ainsi que dans les passages où Dieu défend au prophète
d'intercéder (7, 16; 11, 14; 14, 11). En 15, 11, le grec mentionne la prière pour
les ennemis: Tg, plus proche de TM, montre au contraire les ennemis venant
prier le prophète. Il est remarquable que 29, 7, le seul endroit où l'on voit recom-
mandée la prière pour des ennemis (cf. W. EICHRODT,TheologieII/III, p. 169)
dans l'AT, ait été traduit littéralement par Tg; 15, 1 montre que la représentation
de Moïse et Samuel comme intercesseurs est ancienne, et Jérémie se verra associé
à eux (2 Macc. 15, 14). Tg rend 15, 1 littéralement, mais notons que certains
manuscrits grecs nomment ici Aaron au lieu de Samuel (cf. W. RUDOLPH, Jeremia,
Tübingen 1958, p. 95: influence du Ps. 99, 6?).
4) Cf. JOHANSSON, p. 18; SCHARBERT, 'Fürbitte', p. 331. Pour 9, 8; 11, 13 Tg
= TM. En 22, 30 (et 13, 5) il y a une variante intéressante que nous verrons
plus loin. L'expression "se tenir sur la brèche" pour prier sera reprise dans Ps.
106, 23 (où Tg supprime l'image en conservant le sens: "il s'obstina dans la
prière - w'tqp bslw").
5) JOHANSSON,pp. 75-95. Pour la datation des Apocryphes on trouvera,
commodément résumées, les positions récentes de la critique dans D. S. RUSSELL,
The Method and Messageof Jewish Apocalyptic, London 1964, pp. 36-69. Pour les
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99, 3; 104, 1 ; Test. Levi 3, 5; 5, 6.7; Test. Dan 6, 1-2). D'apr?s


H. J. WICKS 1) cette doctrine serait d'origine purement palestinienne
et apparaitrait surtout dans les couches anciennes de 1 H6noch (au
IIe siecle avant notre 6re), a nouveau au siecle suivant dans 1 H6noch
91-104; 37-70, pour se faire ensuite tr6s rare dans les Apocryphes
(a part un passage douteux de 2 H6noch 7, 5) 2). Notons encore les
pri6res des anges pour Adam dans 1'Apocalypse de Moise (33-35)
et leur intercession dans 3 Baruch (11-13) sous la direction de 1'ar-
change Michel dont le role est de tout premier plan dans la litt6rature
de 1'epoque 3).
La litt6rature targumique accorde elle aussi une grande place aux
anges 4). Mais on peut y d6celer une certaine reticence motiv6e par
des exag6rations probables dans leur culte et la crainte de voir placer
pr6s de Dieu des etres trop puissants. Ainsi T. Ex. 20, 23 declare :
,,Mon peuple, enfants Vous ne fabriquerez point pour
l'adorer de representation du soleil, de la lune, des 6toiles ni des
planetes ni des anges qui servent devant moi!" 5).
Cette reaction est en tout cas tr6s nette dans un dire de R. Judan
(IVe s.) faisant afhrmer a Dieu meme que si quelqu'un se trouve

sections d'Hénoch attestées à Qumrân cf. C. BURCHARD,Bibliographie zu den


Handschriften vom Toten Meer II, Berlin 1965, p. 333.
1) Op. cit., pp. 123-124.
2) Ibidem et p. 329. Le passage ne contient qu'un refus d'Hénoch de prier
pour les anges! S. MOWINCKEL écrit: "Die Vorstellung von dem Fürbitterengel
ist allgemein verbreitet im Spätjudentum" (art. cit., p. 111); mais il fait aussi
appel à des textes d'origine plus tardive. Pour la littérature rabbinique, on con-
sultera les références de P. BILLERBECK,Kommentar I, 453; 785; II, 560-561;
III, 807.
3) Voir la note de CHARLES,Apocrypha II, p. 539 et l'excellente monographie
de W. LUEKEN(non Leuken comme l'écrit JOHANSSON, p. 75 ss.), Michael, Eine
Darstellung und Vergleichungder jüdischenund der morgenländischen-christlichen
Tradition
vom Erzengel Michael, Göttingen 1898. Toutes les recensions du Targum pales-
tinien de Gen. 38, 25 (Ps-Jon.; Codex Neofiti 1; Fragments du Caire - ms. D
et E) font intervenir Michel dans la délivrance de Tamar. Sur l'ange du
Test. Dan 6, 2 cf. JOHANSSON, p. 84. Pour les vues divergentes concernant les
anges de chaque nation cf. O. BÖCHER,Der johanneischeDualismus im Zusammen-
hang des nachbiblischenJudentums, Gütersloh 1965, p. 44: l'auteur s'est surtout
occupé des Testaments des XII Patriarches.
4) L'angélologie du Targum serait à comparer avec celle des Apocryphes;
voir les noms cités à Gen. 6, 4 et Deut. 34, 6 (Ps-Jon.). Pour une vue générale
de l'état actuel des recherches targumiques, nous nous permettons de renvoyer
à notre article: 'Les études targumiques', dans EThLov 44 (1968), pp. 5-34.
5) Ps-Jon. Nous traduisons le manuscrit Brit. Mus. add. 27031, édité, avec des
inexactitudes sans nombre, par M. GINSBURGER, Pseudo-Jonathan,Berlin 1903.
Comparer Mekhilta ad loc.
40

dans le besoin, il ne doit point recourir a Michel ou Gabriel, mais


directement a lui 1). Tout comme Abraham choisit Dieu lui-meme
comme seul d6fenseur (Test. h6b. Nephtali 9, 5), ainsi, au Sinai,
Israel refuse le patronage des anges (Deut. R. a 6, 4).
Pour la meme p6riode, on a 6galement signal6 le d6veloppement
de la conception de l'Esprit intercesseur, - du moins
pr6parant
d'apr6s nombre d'auteurs - l'emploi du terme dans le
7tiXp&XÀ't]'t"oe;
NT 2). Le terme meN¡ de Job 33, 23 est rendu par prqlyi' dans le
Targum. Mais, pour parler de l'Esprit, la litt6rature rabbinique
emploie .rnygwr en r6action sans doute contre l'usage
chr6tien de paraclet 3). Toutefois les exemples propos6s ne nous
semblent pas tr6s explicites sur le role de l'Esprit comme intercesseur
(Test. Levi 2, 3-4; Test. de Juda 20) et MOWINCKEL doit supposer
un transfert du role et du titre des anges intercesseurs, bien attest6s
quant a eux, a l'Esprit de Dieu 4). L'exemple qu'il donne de Lev. R.
a 5, 1 est plus 6clairant; mais le passage est attribue a un rabbin du
d6but du IVe siecle et P. BILLERBECK n'a pu relever qu'une seule
interpretation analogue, elle-m6me tardive 5).
Une cat6gorie sp6ciale de justes vient aussi s'ajouter aux inter-
cesseurs traditionnels: les marryrs qui, en donnant leur vie durant les
persecutions pour rester j&deles a leur Dieu 6), lui demandent d'etre
propice a son peuple (cf. 2 Macc. 7, 37-38; 4 Macc. 6, 28-29). Dans
la priere d'intercession d'Esdras, celui-ci fait appel aux m6rites de
ceux qui, malgr6 les tortures, sont rest6s attaches a 1'Alliance, sans
doute les martyrs de 1'epoque maccab6enne (4 Esdr. 8, 27). Nous
pensons qu'il est difhcile de ne pas soup?onner l'influence d'Is. 53

1) J. Ber. 13 a. Texte dans G. F. MOORE, Judaism I, p. 439 (cf. aussi III, p. 134)
ou JOHANSSON, p. 146, qui cite aussi Abod. Zar. 42 b (à rapprocher de T. Ex.
20, 23).
2) Vue d'ensemble dans TWNT V, 809 (J. BEHM).On trouvera un exposé
de la question dans S. MOWINCKEL, 'Die Vorstellungen des Spätjudentums vom
heiligen Geist ...', ZNW 32 (1933), p. 97-130; N. JOHANSSON, op. cit., pp. 84-95;
157-161. Textes rabbiniques dans P. BILLERBECK II, 562. Pour une explication
nouvelle de l'origine du Paraclet du NT cf. O. BETZ, Der Paraklet. Fürsprecher
im häretischenSpätjudentum,im johannes-Evangeliumund in neu gefundenengnostischen
Schriften (AGSU 2), Leiden 1963. L'auteur ayant consacré une large section de
son travail à 'Fürsprecher und Fürbitte in der Qumransekte' (pp. 36-116), nous
renvoyons à ses analyses pour tout ce qui concerne les doctrines de la secte de
la mer Morte, sur la prière et l'intercession.
3) S. MOWINCKEL,art. cit., p. 102.
4) Ibid., p. 115: à cause du rapprochement entre ruah et le pluriel r�h�n désignant
les anges.
5) II, 562 (cf. aussi p. 138).
6) JOHANSSON, p. 71.
41

sur le d6veloppement d'une pareille conception. C'est aussi dans la


meme ligne de pensee qu'il faut situer les innombrables commentaires
sur 1'Aqedah d'Isaac. Dans le Targum, l'holocauste manqué de Gen. 22
est suivi d'une pri?re d'Abraham pour les descendants d'Isaac: cette
priere se trouve dans toutes les recensions palestiniennes et a meme
laiss6 une trace dans Onqelos (22, 14) 1).

"Je t'en prie, par ta miséricorde, Yhwh! Toutes choses sont mani-
dès leetpremier
festes devant ou
connues moment toi. tu11 m'as
n'y aditpasdeeusacrifier mon en
de partage filsmon duede
Isaac,

le reduire en matin et cendre devant toi. Mais aussitot je me suis


leve de
avec joie, et accompli
grand matin et ton
prestement
commandement.
j'ai mis aEtexecution
maintenant,
tes paroles,
lorsque

fils de
l'aqédah
ses se trouveront
leur père Isaac
dans un
et entends
temps la de voix dede leur
souviens-toi
supplication.
de
Exauce-les et delivre-les de toute tribulation ...".

L'antiquite d'une telle interpr6tation nous parait assur6e par le


Pseudo-Philon (32, 1-4) et par le commentaire de Jos6phe (Ant. Jud.
I, 13, 1-4 §§ 222-236) 2). Le IVe livre des Maccab6es, qui montre
pr6cis6ment les martyrs faisant de leur mort volontaire une inter-
cession pour Israel, évoque le sacrifice d'Isaac dans des termes
voisins de ceux qu'emploie le Targum (13, 12; 16, 20). Il est aise de
voir pourquoi de telles conceptions se doivent d'etre examinees dans
une etude de la th6ologie de la Redemption dans le NT 3).
A cote des intercesseurs oficiels (proph?tes, rois et hommes de
Dieu) apparaissent des exemples de plus en plus nombreux et expli-
cites d'interventions en faveur d'Israel. Avec Dan. 9, 4-19, il faut
mentionner la pri?re d'Azarias dans la Bible grecque (Dan. 3, 34-43)
et celle de Judith 9. Baruch, dans la ligne de son maitre Jeremie, se
voit d6peint lui-meme comme celui a qui il incombe de prier Dieu

1) Recension du Neofiti 1. Nous reprenons la traduction que nous avons


donnée dans A. DÍEZ MACHO, Ms. Neophyti 1, I-Génesis, Madrid-Barcelona
1968, p. 406. La glose marginale offre des variantes intéressantes: "Je t'en prie
par ta miséricorde, Yhwh Dieu! Quand les fils d'Isaac entreront dans le temps
de l'angoisse, tu te rappelleras en leur faveur l'aqédah d'Isaac, leur père. Tu leur
remettras et leur pardonneras leurs péchés et les délivreras de toute angoisse".
2) Pour une étude détaillée de ce texte du Targum cf. G. VERMES,Scripture
and Tradition in Judaism, Leiden 1961, pp. 193-227; R. LE DÉAUT,La nuit pascale,
Rome 1963, pp. 131-212. Pour le rôle de l'Aqédah dans la liturgie juive et la
littérature cf. G. F. MOORE, Judaism I, pp. 540-541; A. MARMORSTEIN, The Doctrine
of Merits ..., p. 76.
3) Cf. La nuit pascale, pp. 202-208. Sur le caractère cultuel et sacrificiel de la
scène de l'Aqédah, cf. ibid., pp. 160 ss.
42

pour Sion (2 Baruch 34; 48) 1). Nous lisons dans l'Assomption de
Moise (4, 1-4) une pri6re pour les exiles que 1'auteur met, semble-t-il,
sur les levres de Daniel. Quant a Esdras, il promet de ne point cesser
d'interc6der pour Sion (4 Esdr 12, 48).
Aux anciens patriarche.r eux-mêmes, on attribue nombre d'exemples
d'intercession dont la Bible ne parle pas. Ainsi No6, apr?s le deluge,
prie pour ses descendants (jubil6s 10, 3) et selon jos6phe (Ant. jud.
I, 3, 16 § 96) accompagne son sacrifice d'expiation (cf. Jub. 6, 1-2)
d'une supplication pour que jamais plus 1'humanite ne connaisse
semblable destruction, mais une prosperite continuelle 2). Joseph
demande a son p6re de prier que Dieu n'impute point leur faute à
ses fr6res (Test. Benj. 3, 6) 3). On voit meme Abraham obtenir par
sapriere la resurrection de ses serviteurs (Testament d'Abraham 14, 5).
Mais ce sont surtout les Targums qui r6interpr6tent la Bible en inse-
rant des mentions explicites d'intercessions. Ainsi Ps-Jon. (Gen. 26,
27-31) attribue a Isaac une intervention en faveur d'Abimelech,
analogue a celle de son p6re Abraham decrite en Gen. 20:

"Lorsque Isaac fut sorti de Gerar, leurs puits se tarirent ... 4) (Ils
viennent vers Isaac qui leur dit:) Pourquoi êtes-vous venus vers moi
pour que je prie pour vous ... ? Puis Isaac pria pour eux et ils furent
gueris".
On trouve aussi l'influence de la pri6re d'Abraham pour Abimelech
dans l'intercession que le patriarche pr6sente à Dieu en faveur de
Pharaon dans 1 Q GenApoc (20, 21.28) 5). Dans le Targum de Gen.
30, 1 (Ps-Jon.), Rachel dit a Jacob: "Prie devant Yhwh pour qu'il
me donne des enfants." Et Jacob, selon le Neofiti (p. 430), repond:
"Cela vient-il de moi le fruit des entrailles? Voici que moi et toi nous

1) 2 Baruch 34: "Je vais aller maintenant au Saint des Saints pour prier (d'b<>)
pour vous et pour Sion". CHARLES,Apocrypha, p. 499 traduit: "to inquire ...
concerning you". Il nous semble que le syriaque est mieux rendu par P. RIESSLER,
Altjüdisches Schrifttum ausserhalbder Bibel, Augsburg 1928, p. 75: "Ich gehe ...
und lege Fürsprach beim Allmächtigen für euch und Sion ein". Pour une datation
haute (vers 63 avant J.C.) de cet écrit, cf. J. HADOT,'La datation de l'Apocalypse
syriaque de Baruch', Semitica 15 (1965), pp. 79-95. L'article contient aussi des
vues intéressantes sur 4 Esdras et le Pseudo-Philon.
2) Cf. J. P. LEWIS,A Study of the Interpretation of Noah and the Flood in Jewish
and Christian Literature, Leiden 1968, p. 29.
3) La prière de Jacob est d'ailleurs souvent mentionnée dans les Testaments
(Ruben 1, 7; 4, 4; Juda 19, 2; Gad 5, 9): cf. O. BÖCHER,op. cit., p. 69.
4) Gen. R. à 26, 26 connaît aussi la tradition d'un châtiment du roi de Gerar.
5) Voir aussi la prière de 20, 12 ss., mais qui est autant pour Abraham lui-même
que pour Sarah. Pour les parallèles cf. J. A. FITZMYER,The Genesis Apocryphon
of Qumran Cave I, Rome 1966, pp. 114 et 119; O. BETZ,op. cit., p. 87 s.
43

irons prier en presence de Yhwh qui (t'a refuse) le fruit des entrailles".
Il s'agit IA sans doute de 1'extension de 1'exemple de la pri6re d'Isaac
pour R6becca (Gen. 25, 21).
L'intercession des prophètes est aussi parfois plus explicite dans le
Targum. Ainsi Amos 7, 2 devient:
"Reçois ma pri?re, Yhwh Dieu. Pardonne (Jbwq) donc les p6ch6s
(hivby) du reste de la maison de Jacob. Qui se l?vera et priera pour
leurs p6ch6s (yb y 'I

Le Targum de Job d6couvert a Qumran offre un exemple surement


ancien de cette conception d'une intercession en faveur des fautes
d'autrui. L'efficacit6 de la priere de Job pour ses amis est deja suggeree
par le TM (42, 8) et la LXX dit par deux fois qu'elle obtint le pardon
de leurs p6ch6s : gxucrev Tiv ?t.fLiXp't"liXV ot4Toiq 8sa Iwp (v. 9) ;
oc6,roZqTiv ?t.fLiXP't"tiXV
(v. 10). Cette paraphrase du grec a son exact
correspondant a Qumran: mf(b]q lhu?n b.t?ybwn b4Jlh: "et il leur remit
leurs p6ch6s a cause de lui" 1). Comment ne pas rappeler le Targum
d'Is. 53 :,,C'est pourquoi il priera pour nos p6ch6s (yby) et à cause
de lui (bdylyh) nos fautes seront remises (sbq)" (v. 4) - ,Il priera pour
les p6ch6s d'un grand nombre et a cause de lui il sera pardonn6 aux
rebelles"? Dans 4 Baruch (= Paralipomena Jeremiae) 2, 3 il est
rappel6 comment tant de fois j6r6mie, la t6te couverte de cendre,
,,a pri6 pour le pardon des p6ch6s du peuple" 2).

1) Texte dans J. VANDERPLOEG,Le Targum de Job de la grotte 11 de Qumrân


(11 QtgJob)- Première communication, Amsterdam 1962. Il a été étudié par
A. DUPONT-SOMMER dans Semitica15 (1965) pp. 71-74. La lecture Šbqqu'il propose
nous paraît aussi s'imposer en raison de la phraséologie targumique. Il rappelle
la formule analogue de la Prière de Nabonide (1, 4) et rapproche cette phrase
de Mt. 9, 2. La lecture du Targum de Job connu jusqu'ici est très différente:
wnsybmymr' dyyy yt'py 'ywb. En ce qui concerne la version grecque, notons qu'au
v. 8, c'est Job lui-même qui offre le sacrifice: . L'expression
est classique dans le Lévitique au terme d'un rite d'expiation
(4, 20; 5, 6; 19, 22 etc.).
La Septante accorderait-elle à Job un sorte de caractère sacerdotal qu'elle
refuse d'autre part au Serviteur de Yahvé? Selon G. GERLEMAN, Studies in the
Septuagint I : The Book of Job, Lund 1946, p. 74, la version grecque de Job serait
des environs de 150 avant J.C. Pour le lien que la Bible établit entre intercession
et sacrifice dans Job 42, cf. W. EICHRODT,Theologiedes AT 2/3, p. 311 ss.
2) Sur la doctrine de l'intercession dans ce petit ouvrage cf. G. DELLING,
Jüdische Lehre und Frömmigkeit in den ParalipomenaJeremiae, Berlin 1967, pp. 20;
63; 70. Dans la lettre que Jérémie adresse à son disciple Baruch, il lui demande
de prier Dieu pour lui et le peuple "parce que tu as été trouvé juste devant Lui"
(7, 23.28). Rapprocher 2 Baruch 2, 2 (CHARLES II, p. 481) où les prières de Jérémie,
Baruch et autres justes sont comparées à une solide muraille pour la cité. Pour
le thème du juste intercesseur dans Philon cf. A. JAUBERT,'Le thème du "Reste
44

Dans les ecrits apocryphes il convient de relever le role d'inter-


cesseur attribu6 a H6noch dans l'ample litt6rature rattach6e a son
nom (1 H6noch 13, 4; 83, 10; 2 H6noch 64, 5) 1). Qu'il sufhse de
citer la conclusion de 1'etude de N. JOHANSSON pour 6voquer les
probl?mes compliqu6s qui sont ici en cause 2) :
"Die Gestalt des Henoch-Menschensohns im dthiopischen Henoch-
buch ist nach denselben Vorstellungen von Fursprechern der Menschen
vor Gott gezeichnet wie die Gestalt des Ebed YHWH, sicherlich unter
literarischer Abhdngigkeit von der Schilderung der letzteren Gestalt
im Jesajabuch".

H6noch, confondu avec Metatron 3), continue son role d'intercesseur


dans 3 H6noch (h6breu) et la litt6rature midrashique 4).
On peut donc afhrmer, semble-t-il, un developpement de la
doctrine de l'intercession et une extension du groupe des interces-
seurs. Une certaine hesitation, voire des affirmations contradictoires,
prouvent a leur mani6re que le probl6me était d'actualit6, si l'on
peut dire. Cela vaut surtout de la possibilité pour les justes d'intervenir
apr?s leur mort en faveur des vivants. 2 Baruch (85, 1-2) 6nonce
avec regret:

,,Jadis nos peres eurent pour aides des justes et des prophetes ;
ils nous aidaient quand nous pechions et ils interc6daient pour nous
auprès de celui qui nous a faits, parce qu'ils se confiaient en leurs
ceuvres et le Fort les exauçait. Mais maintenant les justes s'en sont
alles et ils sont morts ..." 5)

Sauveur" chez Philon', Philon d'Alexandrie (Colloques nationaux du Centre


national de la Recherche scientifique), Paris 1967, pp. 243-253. Le sentiment de
l'efficacité de la prière d'un homme de Dieu se perçoit dans la demande de Simon
le Mage à Pierre (Act. 8, 24).
1 JOHANSSON signale qu'en ce qui concerne l'intercession les divers ouvrages
du cycle hénochien renchérissent les uns sur les autres (op. cit., p. 120).
2) Ibid., pp. 118-119. Pour une position très réservée au sujet de cette affirmation
de l'auteur (et de la position voisine de J. JEREMIAS)cf. E. SJÖBERG,Der Men-
schensohnim äthiopischenHenochbuch,Lund 1946, pp. 128-130, approuvé par H. H.
ROWLEY(critiquant JEREMIAS)dans 'The Suffering Servant and the Davidic
Messiah', Oudt. St. 8 (1950), p. 126.
3) Metraton apparaît dans le Targum à Gen. 5, 24; Deut. 34, 6 etc. Sur ce
personnage cf. H. ODEBERG,3 Henoch or The Hebrew Book of Henoch, Cambridge
1928, pp. 79-147; G. SCHOLEM, Jewish Gnosticism,Merkabah Mysticismand Talmudic
Tradition, New York 1965, pp. 43-55; W. O. E. OESTERLEY and G. H. Box,
The Religionand Worshipof the Synagogue,1907, pp. 170-178. Sur la réaction rabbi-
nique devant l'importance trop grande donnée à Metraton cf. A. COHEN,Le
Talmud, Paris 1950, p. 97 et JOHANSSON, op. cit. p. 139.
4) On trouvera les textes admirablement présentés dans JOHANSSON, pp. 131-143.
5) Traduction de J. BONSIRVEN dans La Bible Apocryphe, Paris 1953, p. 318.
45

Ce texte reconnait bien le role de l'intercession dans le pass6, mais pour


conclure que le fid6le ne peut d6sormais compter que sur sa fidelite
a Dieu et a sa Torah 1). Meme point de vue dans les Antiquit6s
Bibliques du Pseudo-Philon (33, 5):
,,While a man yet liveth he can pray for himself and for his sons;

but after
man. his end hope
Therefore, not in
he willnot be your to entreat for nor
able fathers, theyto remember
will not profit
any
you unless ye be found like them" 2).

Quoi qu'il en soit, au jugement final qui marquera la proche fin des
temps, il n'y aura plus place pour la conversion, la pri6re et l'inter-
cession (2 Baruch 85, 12). C'est aussi le point de vue de 2 Henoch
53, 1 3) et de 4 Esdr 7, 102-112, dans un texte celebre qui met dans
la bouche d'Esdras la liste de ceux que l'on consid6rait dans son
milieu comme les intercesseurs-types: Abraham, Moise, josu6
(cf. Jos. 7), Samuel, David, Salomon, £lie et Ezechias (cf. 2 Rois.
19, 15-19): au - dies irae - chacun ne
dernier jour pourra compter
que sur sa justice et la niis6ricorde de Dieu 4).

1) L'idée de l'intercession des morts pour les vivants semble pourtant com-
munément reçue au IIe siècle avant J.C., comme on peut le voir dans 1 Hénoch
22, 12; 97, 3.5; 99, 16, ainsi que dans 2 Macc. 15, 14, écrit de tendance phari-
sienne. Elle est attestée dans Philon (De Exsecr. 9), et supposée dans Josèphe
(Ant. Jud. I, 13, 3 § 231). L'apocalypse de Sophonie (de l'époque hérodienne et
romaine) montre même les Patriarches et les justes priant pour les hôtes de la
Géhenne (17): sur ce texte cf. A. LODS,Hittoire de la littérature hébraïqueet juive,
Paris 1950, pp. 943-944. En Baruch 3, 4: "Écoute donc la supplication des morts
d'Israël", la Bible de Jérusalementend: "les Israélites, proches de la mort". Mieux
vaut supposer, avec WHITEHOUSE (CHARLES,Apocrypha I, 587), une erreur de
lecture des traducteurs grecs qui ont lu au lieu de ' (hommes). Solution
admise aussi de H. J. WICKS,op. cit., p. 311.
2) Trad. M. R. JAMES,The Biblical Antiquities of Philo, 1917, p. 180. "Adhuc
vivens homo potest orare pro se et pro filiis suis, post finem suum non poterit
orare, sed nec memor esse alicujus (var: sanctorum mortuorum nulla est pro
nobis intercessio). Propterea nolite sperare in patribus vestris. Non enim vobis
proderunt, nisi similes inveniamini eis" (Cf. G. KiscH, Pseudo-Philo's Liber
Antiquitatum Biblicarum, Notre Dame, Indiana 1949, pp. 208-209).
3) "Ne dites pas: notre père est auprès de Dieu et intercède pour nous. Car
il n'y a personne qui puisse aider quiconque a péché". Voir les variantes dans
CHARLESII, p. 462 et sa note, à propos de laquelle L. GINZBERG(The Legends
of the JewsV, 1925, p. 419) fait observer que les sources rabbiniques (pharisiennes)
mettent aussi en garde contre une confiance inconsidérée dans les mérites des
Pères.
4) Cf. G. H. Box dans CHARLESII, pp. 556 et 590: ce texte provoqua une
réaction de Jérôme (Contra Vigil. 7) ainsi que l'épuration du Codex Sangerma-
nensis (d'où dérive la plus grande part des mss latins). Le problème posé par
la damnation du grand nombre trouve sa réponse en 8, 1-3, après l'éloquent
commentaire midrashique que fait Esdras d'Ex. 34, 6-7. Voir aussi la prière
46

2. L'accent est de plus en plus mi.c .rur le rôle d'interce.r.rion qui revient au
,racerdoce

La fonction d'intercesseur qui semblait aller de pair avec la charge


de grand prêtre (cf. Zach. 3, 7) devient en quelque sorte caract6ristique
de ce dernier 1). Sagesse 18, 21-22, commentant Nombr. 17, 12,
montre Aaron d6tournant par sa priere le fl6au qui d6cimait les
tribus. 2 Macc. 15, 12 exalte la sainteté du grand pr6tre Onias et la
puissance de son intercession pour Israel, voire pour un ennemi de
Dieu (3, 31) 2). C'est surtout autour de la liturgie de Kippur, et cela
probablement dej a a date ancienne, que se d6velopperont les themes
de l'intercession sacerdotale 3). Le Targum en viendra meme à
6tablir une relation directe entre la pri6re du grand pretre ce jour-la
et les meurtres commis en Israel durant I'ann6e ecoulee, 1'estimant
coupable de ne les avoir point emp?ch6s par sa pri?re. Ainsi T.
Nombr. 35, 25:

,,(Le meurtrier habitera dans la ville de refuge) jusqu'à la mort du


grand pr6tre que le sagan (= chef des pr6tres) aura oint de 1'huile de
l'onction. (Si le grand prêtre meurt) c'est parce qu'il n'aura pas pri6,
le jour des Expiations, dans le Saint des Saints, au sujet des trois
transgressions graves, pour que le peuple de la maison d'Israel ne soit
point (induit) a tomber dans l'idolatrie, l'inceste et 1'effusion de sang
innocent, alors qu'il était en son pouvoir de les 6carter par sa prière
et qu'il n'a point pri6; pour cela il sera condamne a mourir cette
année-Ià" 4).

d'Esdras et la réponse divine dans 8, 17-40. Pour un commentaire de cette théo-


logie d'Esdras, cf. A. LODS,op. cit., pp. 990-992, et J. W. BOWKER,'Intercession
in the Qur'an and the Jewish Tradition', JSS 11 (1966) p. 78.
1) L'apparition d'Aaron aux côtés de Moïse comme intercesseur dans le Code
Sacerdotal (cf. Nombr. 17) est déjà significative à cet égard.
2) Flavius Josèphe (Ant. Jud. XI, 8, 4 § 326) mentionne une intercession du
grand prêtre avant l'arrivée d'Alexandre à Jérusalem. Cf. A. BÜCHLER,Types
of Jewish-PalestinianPiety from 70 B.C.E. to 70 C.E., London 1922 (réédit. New
York 1968), p. 260: il note que le grand prêtre n'est pas médiateur seulement par
le sacrifice, mais aussi par la prière (cf. Judith 4, 14-15).
3) K. HRUBY,'Le Yom ha-Kippurim ou Jour de l'Expiation', L'Orient syrien
10 (1965), p. 41-74; 161-192; 413-442. Pour l'intercession sacerdotale dans la
littérature rabbinique cf. N. JOHANSSON, op. cit., p. 173 s. La Mishnah donne le
texte des prières d'intercession du grand prêtre à Kippur (Yoma IV, 2; VI, 2;
VII, 1).
4) Ps-Jonathan. Au lieu de sagan, la Polyglotte de Walton lit sgy' qu'il faut
évidemment corriger avec le ms de Londres. Cette paraphrase n'est pas donnée
par Neofiti 1. Mais la mention du Saint des Saints pourrait indiquer que nous
avons ici un commentaire ancien. Cf. Makkoth 11a.
47

Dans l'episode fameux de Nombr. 25, ou son z6le 1) pour Yahv6


établit les droits de Pinhas a un sacerdoce perp6tuel, le Targum
ajoute une mention explicite de sa pri?re pour Israel. Dieu declare dans
T. Nombr. 25,13 (Ps-Jon.):

"Parce qu'il a saisi la lance dans sa main (litt: son bras), a frappe la
Madianite au ventre... et qu'il a pri6 de sa bouche pour le peuple de
la maison d'Israël, les pr6tres obtiendront (= mériteront d'avoir) les
trois dons (pr6vus par Deut. 18, 3), 6paule, machoire et panse" 2).

Le midrash (Sifr. N. a 25, 13), en lisant le verbe comme un

imparfait, en viendra a attribuer a l'action de Pinhas une valeur


d'expiation "jusqu'a la resurrection des morts" 3).
Le livre de la Sagesse (18, 22) 6voquait dej 1'efficacit6 de la priere
d'Aaron. A l'occasion de sa mort, le Targum (Nombr. 20, 29) revient
sur cette caracteristique de sa fonction sacerdotale. Selon la tradition 4),
la nuee lumineuse ayant 6t6 octroy6e a Israel en vertu des merites
d'Aaron, elle disparait lorsqu'il meurt sur la montagne de Hor.
Moise, en descendant tout 6plor6, s'exclame:

"Malheur moi ? a cause de toi, Aaron mon fr?re, colonne de la


-"
pri6re d'Israel - ?mmd slwthwn (Ps-Jon.). 5)

1) Ps-Jon. appelle Pinhas "le zélote" - - (v. 11), ainsi que Sifré (ad loc.:
= Matt. 10, 4). Le commentaire midrashique est une glorifi-
cation des Zélotes et se situerait bien aux environs de 70 (comparer Sanh. IX, 6).
Cf. K. G. KUHN, Der tannaitischeMidrarch Sifre zu Numeri, Stuttgart 1959, pp.
519 et 525. Ce parallélisme permet peut-être de faire remonter à une date ancienne
l'exaltation de Pinhas dans la paraphrase targumique, farcie de traditions popu-
laires. Neofiti = TM. Sur la valeur de la citation d'Is. 53, 12 dans Sifré 25, 13,
cf. KUHN,p. 527.
2) Hullin 134b. Cf. aussi T. Psaume 106, 30: "Pinhas se leva et pria et le fléau
fut stoppé."
3) Par la permanence de l'efficacité d'un acte posé une fois (cf. dans
Hebr.), et non par une intercession continue, d'après G. KITTEL(dans KUHN,
p. 528). On retiendra toutefois l'importance de sa prière dans le Targum. Au
v. 12 (Ps-Jon.), Yahvé dit: "J'en ferai l'ange de l'alliance (Mal. 3, 1) et il vivra à
jamais pour annoncer la rédemption à la fin des jours". Ce passage devra être
étudié dans le contexte du développement du Messianisme juif pour pouvoir
être daté.
Dans ce contexte de l'intercession sacerdotale, on peut mentionner aussi le
Targum d'Is. 53 et ses trois allusions à une prière du Serviteur (53, 4.11.12), car
la formulation évoque ce que nous lisons dans le rituel d'expiation du Lévitique
(e.g. T. Lev. 4, 20.26.31.36). Nous y reviendrons.
4) Sur son antiquité cf. R. LE DÉAUT, 'Miryam, soeur de Moïse, et Marie,
mère du Messie', Biblica 45 (1964) p. 211. Parallèles rabbiniques dans A. MARMOR-
STEIN,The Doctrine of Merits, p. 61.
5) Sur l'image de la colonne cf. A. JAUBERT, 'L'image de la colonne (1 Timothée
3, 15)', dans Studiorumpaulinorum Congressus... vol. II, Rome 1963, pp. 101-108.
48

Neofiti 1 traduit ici litt6ralement I'h6breu, mais une glose marginale


(fol. 312 a) conserve, dans une forme qui nous parait plus pure,
une recension connue par le Targum fragmentaire:

"Malheur a moi, à cause de toi, Aaron mon fr?re, colonne de la


priere des enfants d'Israel, car tu (ou: toi qui) faisais 1'expiation pour
eux une fois chaque ann6e" 1).

L'attention accordee a l'intercession sacerdotale dans le Judaisme


ancien est un element important pour 1'etude des doctrines analogues
que l'on peut rencontrer dans le NT. Mais ce n'est pas notre propos
ici d'examiner les contacts ou les divergences.

3. L'intercession perd de plus en plus l'aspect juridique qu'elle a dans les


traditions plus anciennes
Le vocabulaire meme de l'intercession suggerait un sens juridique,
ainsi que l'ont souligne JOHANSSON2) et, plus r6cemment, O. BETZ 3).
L'emploi de la racine '?'7B et IN, des termes et U'''7p1B est fr6quent
dans les exemples anciens d'intercession ou celle-ci prend souvent
le visage d'un veritable plaidoyer d'un d6fenseur du peuple, conjurant
la colere de Dieu provoqu6e par les p6ch6s d'Israel. Malgr6 l'utili-
sation du meme vocabulaire, l'intercession perd quelque peu cette
connotation juridique, comme le montrent les exemples ou l'on voit
les orants demander pour autrui toutes sortes de biens et non plus
seulement le pardon divin, et par les mentions de plus en plus nom-
breuses d'interventions en faveur des autres 4). Éléazar prie pour le
roi Ptolemee (Arist6e 185); un sage juif rappelle la nécessité de la

Le mot 'mwd a aussi, dans le Targum, le sens de "chef, potentat" (LEVY,Chal-


däisches WörterbuchII, p. 222 rend T. Gen. 46, 28 par "die Mächtigen"). Cette
signification secondaire est aussi intéressante pour le NT.
1) wwyly 'lyk 'hrn `hy `mwdslwtbwndbny y�r'l dhwwtmkpr `lyhmnhd zmn bkl Šnh.
Cela correspond pour l'essentiel aux recensions du Fragmentaire (e.g. Vat. Ebr.
440, fol. 217a; le ms 110 de la Bibl. Nationale de Paris omet: bkl Šnh).Pour un
début d'évaluation des gloses du Neofiti cf. S. LUND,'The Sources of the Variant
Readings to Deuteronomy I 1-29 17 of Codex Neofiti 1', In Memoriam Paul
Kahle, Berlin 1968, pp. 167-173; R. LE DÉAUT,'Lévitique XXII 26-XXIII 44
dans le Targum palestinien. De l'importance des gloses du codex Neofiti 1', VT
18 (1968), pp. 458-471.
2) Op. cit., pp. 43-48; 297.
3) Der Paraklet, pp. 36-116 (passim).
4) Cf. JOHANSSON, pp. 68; 75. L'intervention auprès de Dieu n'est plus réservée
à certains personnages, comme Moïse à qui Pharaon demande de prier pour
lui (Ex. 8). Voir la promesse de prières pour le gouverneur de Judée dans le
papyrus de 408 av. J.C. publié par A. COWLEY, Aramaic Papyri of the Fifth Century
B.C., Oxford 1923, pp. 113-114.
49

pri6re des parents pour leurs enfants (ibid., 248; cf. Tobie 8, 17).
Dans le Test. de Nephtali 6, 8 L6vi assume l'intercession pour le
salut de ses fr6res et, dans 3 H6noch 15 B (ODEBERG, p. 41), on voit
apparaitre jusqu'a 1800 intercesseurs (snygwgn) à côté de Metraton
etc.... Ce qui est significatif, c'est le sentiment commun que l'on
peut prier les uns pour les autres (Baruch 1, 13; cf. 2 Macc. 1, 2-6).
D. FLUsSER 1) a note (en relation avec le theme de l'amour du
prochain comme soi-meme) l'importance d'un passage de 2 Henoch
61, 1: "Ce qu'un homme demande au Seigneur pour son Ame, ainsi
le fera-t-il pour toute Ame vivante" (tr. A. VAILLANT, p. 59). Il voit
IA 1'eclosion d'une sensibilite nouvelle a l'int6rieur du Judaisme,
1'AT ne contenant aucune prescription au sujet de la priere pour
autrui, bien qu'il connaisse des cas d'intercession, meme en faveur
de paiens 2).

4. Beaucoup de textes mentionnent explicitement les mirites de celui qui


intercede
Comme Abraham, l'ami de Dieu de I'AT, l'intercesseur doit être
persona grata aupres de la divinite qu'il entend fl6chir. La doctrine de
l'intercession connaitra donc les courbes et les fluctuations de celle
du mirite, 6tudi6e par A. MARMORSTEIN, auquel nous renvoyons 3).
Quelques rappels suffiront.
A propos des pri6res de Mardoch6e et d'Esther, dans la Bible
grecque, A. BARUCH observe qu'elles "sont toutes p6tries de la piete
de l'A.T., avec, toutefois, une analyse des sentiments de l'orant,
pr6occup6 de sa propre justification, que l'on ne retrouve pas dans
les textes plus anciens" 4). Dans le cas de l'intercession d'Aaron en

1) Jesus, Hamburg 1968, p. 68. Dans le Testament d'Abraham 12, la demande


que fait le patriarche que les pécheurs soient anéantis par les bêtes sauvages ou
le feu du ciel nous paraît un cas isolé (cf. Luc. 9, 54).
2) Gen. R. à 20, 17 ("Abraham pria ...") fait observer que c'est la première
fois qu'on trouve une telle formule dans la Bible i.e. au sens où quelqu'un prie
pour un autre (cf. note de l'édition de J. THEODOR-CH.ALBECK,p. 553).
3) The Doctrine of Merits in Old Rabbinical Literature (réédité à New York en
1968 avec un Prolegomenonde R. J. ZWI WERBLOWSKY). Cela vaut aussi du rappel
des mérites des Patriarches dans les prières d'intercession. Comparer la prière de
Dan. 9, 18 ("Ce n'est pas en raison de nos oeuvres justes que nous supplions")
et celle de Baruch 2, 19 ("Nous ne nous appuyons pas sur les mérites de nos
pères et de nos rois"). Cf. B. N. WAMBACQ, 'Les prières de Baruch (1, 15-2, 19)
et de Daniel (9, 5-19)', Biblica 40 (1959) p. 474.
4) La Sainte Bible (de Jérusalem), Paris 1956, p. 528. Dans Judith 9 le même
auteur (p. 516) reconnaît la religion des "pauvres" de l'AT. On n'y voit pas de
fait ce souci de justification personnelle. Remarquons toutefois qu'en lui deman-
Journal for the Study of Judaism, I 4
50

Sag. 18, on a soin de noter que le champion de la cause du peuple


est un homme ,irr6prochable - OCfLEfL7tTOe;"21) et 2 Macc. 15, 12
(v.
6num6re les qualit6s et vertus d'Onias avant de le montrer "etendant
les mains et priant pour toute la nation des Juifs". L'intercession des
saints et des proph?tes dans 2 Baruch 85, 2 est motiv6e par les oeuvres
sur lesquelles ils peuvent s'appuyer. En 63, 1-5, 1'cfBcacite de la pri6re
d']?z6chias est explicitement conditionn6e par sa justice 1). Dans 4
Esdr. 8, 26-29, l'orant s'appuie sur les m6rites des justes et de ceux
qui sont rest6s fidèles a Yahv6. En 4 Baruch 7, 23 on souligne la force
de la pri6re du juste (cf. Jac. 5, 16) et 3 Henoch, en rappelant les
intercessions de Moise et de Samuel, dit qu'en revanche Dieu ne voit
plus ni juste ni pieux sur terre (48, 5).
Cette conception a trouv6 mainte occasion de s'exprimer dans le
Targum. Les "gardes" d'Is. 62, 6, qui designent sans doute les inter-
cesseurs d'Israel 2), sont interpr6t6s des "oeuvres justes des p6res" 3).
Is. 59, 16 devient: "Il fut revele devant Lui qu'il n'y avait point un
homme qui e6t de bonnes ceuvres et connu devant Lui qu'il n'y avait
personne pour se lever et interc6der pour eux" (id. 63, 5) 4). T.
Ezechiel 13, 5 et 22, 30 accompagne la formule expressive "se tenir
sur la breche" (pour interc6der) de la mention des bonnes ceuvres
indispensables pour une telle fonction. Dans la pri6re d'Abraham
cit6e plus haut, le patriarche met aussi en avant ses dispositions
parfaites et celles de son fils a l'occasion du sacrifice d'Isaac 5).

5. Par influence riciproque des textes et des traditions, une sorte de rituel
de la prière d'interce.r.rion s'itablit
Dans 1'AT la pri6re d'intercession est souvent associee a une
confession des p6ch6s (1 Rois 8; Neh. 1, 5-6; Dan. 9, 4-20); on ne
dant d'intervenir Ozias dit: "Puisque tu es une femme pieuse -
(8, 31).
1) Cf. A. BÜCHLER,Typesof Jewish-PalestinianPiety, pp. 260 ss.
2) J. SCHARBERT, 'Die Fürbitte ...', p. 332.
3) Sur les œuvres comme "intercesseurs" cf. E. SJÖBERG,Gott und die Sünder
im palästinischen Judentum, Stuttgart-Berlin 1939, p. 162 ss.; N. JOHANSSON,op. cit.,
pp. 174-178; P. BILLERBECK II, 561-562.
4) P. GRELOT(RB 70, 1963, pp. 371-380) a montré que T. Is. 63 a contenu
une interprétation messianique, avant la révision rabbinique. Pour une compa-
raison de cette conception et de celle qui apparaît dans 1 Jean 2, 1, cf. S. Mo-
WINCKEL,'Die Vorstellungen ...', p. 120.
5) Yebamoth 64 a, qui compare la prière de Rébecca et d'Isaac, dit que seule
celle de ce dernier fut exaucée, car il ne suffit pas d'être soi-même juste; il faut
encore être fils de juste (cf. R. MACH,Der Zaddik in Talmud und Midrasch, Leiden
1957, pp. 128-129). Pour d'autres références à la littérature rabbinique, voir
A. MARMORSTEIN, pp. 43 ss.; 60; 78; 84; 153; 161.
51

s'6tonnera donc point qu'elle comporte un rituel pénitentiel et asc6-


tique (nettement amorc6 dans Deut. 9-10) ou le jeune apparait de
plus en plus habituel. Il est mentionne dans Esther 4, 16 (cf. Neh.
1, 4), mais le texte grec s'arr6te a d6crire la penitence de la reine avant
de transcrire sa pri6re (cf. Judith 9). Un schema d'intercession
solennelle tend a se former: lamentations, usage du sac (cf. Test. de
Nephtali 6, 8) et de la cendre, ainsi qu'on le voit dans Dan. 9, 3.
Le Targum ajoutera spontan6ment le jeune a des scenes bibliques
d'intercession: ainsi T. Ex. 17,12 (Ps.-Jon.) dit que les mains de
Moise "resterent etendues dans la foi, la pri6re et le jeune jusqu'au
coucher du soleil" 1). Dans 3 H6noch (15 B) Moise pratique 121
jeunes avant de commencer a prier pour Israel et pour lui-meme 2).

6. Hésitations concernant la doctrine de l'interce.r.rion


Si celle-ci connait un developpement considerable et varié, nous
avons deja eu l'occasion de noter au passage quelques r6ticences
occasionnelles devant telle ou telle conception, hesitations dues au
souci de couper court à des interpretations th6ologiques inexactes:
la souverainet6 absolue de Dieu pouvait paraitre menac6e par la
presence pr6s de lui de mediateurs trop puissants 3), et, en ce qui
concerne l'intercession pour les morts, on répugnait a donner
l'impression de faire revenir Dieu sur une juste sentence. Des moti-
vations analogues ont 6t6 relev6es par J. W. BOWKER dans la tradition
islamique dont il compare les fluctuations avec celle des 6crits juifs:
"There is ... in the Jewish tradition a considerable uncertainty or
hesitation about intercession, and it is an uncertainty which corres-
ponds closely to that which exists in the Qur'an" 4).
C'est ainsi que, dans le cas de Moise, se d6veloppe, parall6lement
a une exaltation croissante du personnage dans la tradition, la tendance
a réduire son role. Nous pouvons illustrer par le Targum cette double

1) Sur cette triple attitude cf. RH 16b - - tradition


). Même
dans la Mekhilta, ad loc. Celle-ci note, comme le Targum, que Moïse veut déli-
bérément souffrir avec Israël; mais elle précise qu'il doit faire appel aux mérites
des Pères, signe peut-être d'une réaction contre l'importance du rôle de Moïse.
Le Codex Neofiti 1 (fol 147 a) mentionne aussi la foi des patriarches et des ma-
triarches.
2) Edit. ODEBERG,p. 40. Le lien entre jeûne et prière est aussi explicite dans
le NT: Luc. 2, 37; Act. 13, 3; 14, 23 (cf. les variantes de Mc. 9, 29 et Matt. 17, 21).
3) Il y avait aussi la crainte de suggérer l'existence d'une pluralité de dieux:
cf. Gen. R. à 1, 26; Ex. R. à 20, 2. Les controverses avec les chrétiens ont certaine-
ment développé la sensibilité juive à cet égard (G. F. MOOREIII, p. 166).
4) 'Intercession in the Qur'an and the Jewish Tradition', p. 81.
52

tradition Sa fonction biblique d'intercesseur est soulignée de


diverses mani?res. Parfois, c'est en introduisant la mention d'une
pri6re IA ou 1'hebreu utilise une autre formule: ainsi a Ex. 17, 4
Onqelos, Ps-Jon., Neofiti (fol 146 a) disent: "il pria", au lieu de:
"il cria" du TM A Ex. 32, 30, une p6riphrase glose le verbe kpr
(expier) du TM (et Onqelos):
Ps-Jon.: "Maintenant je vais monter pour prier devant Yhwh.
Puisse-je parvenir a expier vos fautes!"
Neofiti 1 (fol. 180b): "Maintenant je vais monter pour implorer
miséricorde de devant Yhwh. Peut-6tre pourrai-je expier
pour vos p6ch6s!" 3)
Dans le Targum de Deut. 10, 10, l'intervention de Moise est d6crite
comme une intercession prolongee:

Ps-Jon.: "Quant a moi, je me tenais sur la montagne, implorant et


priant, comme les jours precedents, quarante jours et
quarante nuits. Et Yhwh, cette fois encore, accueillit ma
pri?re" 4).
Les dures paroles que Yahv6 prononce en Ex. 32, 10 et Deut. 9, 14:
"Laisse-moi que je les d6truise ..." sont ainsi paraphrasees: "Laisse
ta pri6re et n'implore point en leur faveur devant moi" (Ps-Jon.)
ou bien: "Arrete-toi de demander devant moi mis6ricorde pour
eux" (Neof.).

1) Sur l'importance de l'intercession de Moïse dans les Apocryphes cf. Jo-


HANSSON, pp. 161-166. Notons seulement l'Assomption de Moïse 11, 17; 12, 6;
Jubilés 1, 20-21 (cf. O. BETZ,op. cit., p. 58 s.). Pour la littérature rabbinique, on
peut voir R. BLOCH,'Quelques aspects de la figure de Moïse dans la tradition
rabbinique', Moïse,l'hommedel'Alliance, Paris 1955, pp. 123-127. Dans la tradition
samaritaine les sources qui développent l'intercession de Moïse sont tardives
(cf. J. MACDONALD, The Theologyof the Samaritans, London 1964, pp. 211, 376 ss.).
2) Mekhilta ad loc. précisera que, bien que les Israélites n'aient cessé de chercher
querelle à Moïse, il n'a pas refusé pour autant "d'implorer la miséricorde pour
eux". T. Deut. 9, 25 ajoute deux fois "en prière" (Ps-Jon.; Neofiti fol. 382 a).
3) La dernière phrase, omise dans le texte, est donnée par la marge. Ex. R.
ad loc. donne un très long commentaire de la prière de Moïse. Éphrem insiste
beaucoup sur celle-ci dans son commentaire: cf. R. M. TONNEAU,Sancti Ephraem
Syri in Genesimet Exodum commentarii(CSCO 153), Louvain 1965 p. 132 s. Signa-
lons aussi une Tosephta d'introduction au Targum d'Osée rappelant l'intercession
de Moïse (texte dans A. SPERBER, The Bible in Aramaic, vol. III: TheLatter Prophets
According to TargumJonathan, Leiden 1962, p. 385).
4) Comparer 9, 18: "Je me mis à implorer la miséricorde de Yhwh" (LXX:
Cet accent mis sur la prière douloureuse de Moïse favorise un rappro-
chement entre Moïse et le Serviteur (cf. G. VONRAD,op. cit. II, p. 289, N. JOHANS-
SON,p. 59). Noter aussi T. Ps. 99, 6 (qui regroupe en un verset les grands inter-
cesseurs): "Moïse et Aaron, parmi ses prêtres, qui ont livré leurs âmes pour le
53

Une 16gende conserv6e dans Ps-Jonathan (Deut. 9, 19) montre de


fa?on dramatique comment Moise parvint à sauver le peuple menace
d'extermination :

"En ce temps-la furent envoy6s de devant Yhwh les cinq anges


exterminateurs: Aph (= colère), lj6mah (= fureur), Q6seph (= ire),
Mashith (= exterminateur) et Haron (= courroux) pour d6truire
Isra?l 1). Lorsque Moise, le maitre d'Israel, 1'apprit, il alla et rappelaa
le Nom grand et glorieux et fit lever de leurs tombeaux Abraham,
Isaac et Jacob qui se tinrent en priere devant Yhwh: sur-le-champ
trois d'entre eux furent retenus (stoppes) et deux (seulement) resterent,
Aph et H6mah. Molse invoqua la miséricorde (de Yhwh) et ces
deux-l? aussi furent

Ces quelques exemples, que l'on pourrait multiplier a l'infini, mon-


trent clairement la grandeur du role d'intercesseur de Moise. D'autres
en revanche pourraient manifester le souci de ramener Moise a sa
fonction subordonn6e d'instrument de Yahv6. Ainsi ce commentaire
d'Ex. 14, 15:

Ps-Jon.: "Yhwh dit à Moise: Pourquoi te tiens-tu toi en prière


devant moi? Voici que la priere de mon peuple a devance
la tienne."
Neofiti (fol 138b): "Jusques 3 quand te tiendras-tu la a supplier
devant moi? Voici que ta priere a ete entendue devant moi.
Du reste, la priere des enfants d'Israel a precede la tienne" 2).

Cette sorte de r6primande est reprise dans la Mekhilta, avec le rappel


des m6rites d'Abraham, de la foi du peuple et surtout de l'amour de
Dieu pour Israel comme raison derni?re du prodige qui va s'op6rer
en sa faveur au passage de la mer Rouge 3). En plusieurs circonstances,

peuple - dmsrwnpŠhwnmtml 'm' - (cf. T. Is. 53, 12!), et Samuel qui a prié pour
eux devant Yhwh, ainsi que les patriarches qui prient en son Nom; ils priaient
devant Yhwh et lui les exauçait". Voir J. BOWMAN, The Gospelof Mark, Leiden,
1965 ch. 6: 'The Targum of Isaiah 53 and the Messiah', pp. 65-76. Il admet que
le targumiste s'est inspiré de l'image de Moïse (p. 69).
1) Comparer T. Nombr. 17, 11 (Ps-Jon.). Cf. L. GINZBERG,op. cit. III, p. 124;
VI, p. 53, n. 274.
2) Idem dans Targum fragmentaire (avec: "les prières de monpeuple"). On veut
peut-être rappeler que Dieu est toujours prêt à entendre son peuple: Is. 55, 24;
cf. Sira 48, 20.
3) Même insistance sur la foi du peuple dans l'épisode de Rephidim et celui du
serpent d'airain dans Mekhilta Ex. 17,11. Il n'est pas certain qu'il y ait là seulement
l'intention de faire ressortir "le caractère instrumental du rôle de Moïse" (R.
BLOCH,art. cit., p. 119 s.). Sur les points de vue divergents concernant son
rôle dans le don de la manne, cf. B. MALINA,The Palestinian Manna Tradition,
Leiden 1968, p. 88.
54

l'intercession de Moise parait se fonder en dernier ressort sur les


m6rites des P6res, ce que I'AT suggerait deja (Ex. 32, 11-13; Deut.
9, 27) 1) ; mais le Targum a d6velopp6 ce trait, comme le montrent
les textes deja cites d'Ex. 17, 12 (id. Mekhilta) et Deut. 9,19. Dans
le grand discours de Moise a Deut. 28, Ps-Jonathan insere cette
aggadah ou seul intervient le m6rite des patriarches (v. 15) 2) :
"Lorsque Molse, le prophète, commença 3 prononcer ces paroles
de reproche, la terre fut secouee, les cieux tremblerent, le soleil et
la lune s'obscurcirent et les 6toiles firent cesser leur éclat. Les patriar-
ches criaient de leurs tombes, tandis que toutes les creatures faisaient
silence et que les arbres ne faisaient plus bouger leur feuillage. Les
patriarches prenaient la parole et disaient: Malheur 3 nos fils lorsque,
ayant p6ch6, ces maledictions arriveront sur eux! Comment pourront-
ils les supporter? Peut-6tre seront-ils frappes d'extermination et notre
m6rite ne pourra les proteger et (peut-Etre) n'y aura-t-il point d'homme
qui se lève pour prier en leur faveur. Une voix (bath q6l) tomba du
haut des cieux qui parla ainsi: N'ayez crainte, 6 patriarches! car,
meme si venait a manquer le m6rite de toutes les generations, votre
merite ne manquera pas et l'alliance que j'ai 6tablie avec vous ne
sera point abolie et les prot6gera".

En ce qui concerne Abraham, notons que la presentation targumi-


que de son intercession pour Sodome (Gen. 18) souligne que le
patriarche prescrira de fait a ses fils de marcher dans la voie de Yahv6
(Neofiti v. 19) et qu'il est 1'ami de Dieu (v. 17): mais on fait aussi
allusion a une possible conversion des gens de Sodome 3) (v. 21),
et Ps-Jon. inclut une pri6re des justes de la ville (,,Que s'il se trouve
cinquante justes qui prient": v. 24; cf. 26.30), qui sont m6me
supposes s'associer a l'intercession d'Abraham (v. 32). Mais il peut
s'agir IA moins de minimiser son role que de mettre en relief la
longanin-iit6 divine, la possibilité d'intercession des justes pour leurs

1) Shabbat 30a fait observer qu'au Sinaï Moïse multiplia en vain prières et
intercessions, mais ne fut entendu qu'après le rappel des patriarches (cf. G. F.
MOORE, Judaism I ; p. 537). Opposant le mérite des trois patriarches à l'intervention
de Moïse, Rashi fait dire à Dieu dans son commentaire à Ex. 32, 13: "Si un siège
(ks') à trois pieds ne peut tenir devant toi à l'heure de ta colère, a fortiori un
siège avec un seul pied"! Il est remarquable que la Sagesse ne mentionne pas
les intercessions de Moïse, même pas à 11, 4, où la prière du peuple lui-même
remplace l'intervention de Moïse et Aaron (Ex. 17, 1-7; Nombr. 20, 1-13).
2) Le texte est traduit dans A. MARMORSTEIN, op. cit., p. 153.
3) Neofiti 1, p. 395: "Pécheurs ils sont, mais s'ils cherchent à faire pénitence
et désirent au-dedans de leurs âmes que leurs oeuvres mauvaises ne soient pas
révélées devant moi, voici qu'elles seront devant moi comme si je ne les connais-
sais pas". (cf. Ps-Jon.)
55

compatriotes, meme pervers. Ce texte r6v6le en tout cas une longue


r6flexion sur la nature des rapports entre l'homme et Dieu.

7. L'expiation concue comme une intercession


Ce point ayant 6t6 bien mis en lumi6re par S. LYONNET il sufnra
de rappeler comment le Targum l'applique Al'intercession de plusieurs
personnages de l' A. T.
En ce qui concerne Aaron, Sagesse 18, 22, interpr6tait de la pri6re
1'expiation dont il était parle dans Nombr. 17,13ss. 2). Le Targum lui
aussi souligne l'intercession proprement dite qui accompagne les
rites accomplis par le grand pretre :

Ps-Jon.: "(Aaron) mit donc 1'encens aromatique et fit 1'expiation sur

le peuple. Aaron
1'encensoir, une séparation
se tint entre
entre les
au morts
milieu et les fit,
et il vivants
avec
et le fi6au fut stopp6."
Neofiti (fol 305a) : "Il fit 1'expiation sur le peuple. Il se tint 3) entre
les morts, implorant miséricorde pour les vivants."

Nous avons cite plus haut la meme recension (Nombr. 20, 29) appelant
Aaron "colonne de la priere des enfants d'Israel" parce qu'il "faisait
pour eux 1'expiation une fois chaque ann6e".
Meme conception en ce qui regarde l'interpr6tation de 1'expiation
de Moise apr6s le p6ch6 du veau d'or (T. Ex. 32, 30 d6j cite), et
l'action glorieuse de Pinhas que le Targum accompagne d'une pri6re
pour le peuple (T. Nombr. 25, 13). Celle-ci est de nouveau mentionnee
dans le Ps. 106, 30 et c'est aussi la fagon dont la Vetus Latina a rendu
le E?vaaaTO de la LXX: "Stetit Phinees et exoravit". Du reste les
versions latines sont a cet 6gard significatives 4). La Vulgate a ainsi

1) 'Expiation et intercession. A propos d'une traduction de saint Jérôme',


Biblica 40 (1959) pp. 885-901; De Peccato et RedemptioneII, Rome 1960, pp. 70;
90-94.
2) Quoiqu'il en soit de la symbolique encens = prière dans l'AT (cf. LYONNET,
'Expiation', p. 887, note 3), l'allusion à une prière dans notre texte s'explique
surtout par une conception évoluée des moyens de reconquérir la faveur divine.
La tradition palestinienne le prouve, avec laquelle Sagesse a par ailleurs bien des
traits communs (cf. R. LE DÉAUT,Liturgie juiveet Nouveau Testament,Rome 1965,
p. 66 s.).
3) La glose marginale propose de lire: "(Et) Moïse (se leva)". Est-ce la trace
d'une tradition qui aurait attribué l'expiation à Aaron et l'intercession à Moïse,
ou une pure erreur?
4) S. LYONNET, 'Expiation et intercession. Note complémentaire : le témoignage
des anciennes versions latines', Biblica 41 (1960), pp. 158-167. Selon cet auteur,
Philon comprendrait aussi l'expiation avant tout comme une intercession (Biblica
40 (1959), pp. 895 s.).
56

introduit syst6matiquement les verbes orare ou rogare ou le rituel du


L6vitique utilisait la racine kpr: 4, 20.26.31.35; 5, 6.10.13.16.18 ;
12, 7; 14, 19; 16, 17 etc. Quant au Targum d'Isaie 53, 12 ("Il priera
pour les p6ch6s d'un grand nombre et, a cause de lui, il sera pardonn6
aux rebelles"), le targumiste "a purement et simplement insere la
formule qui dans le Rituel du L6vitique cl6t tous les sacrifices d'ex-
piation, a la seule difference qu'il n'a pas employ6 le verbe kappar,
mais un verbe signifiant la pri6re ou l'intercession exactement donc
comme 1'a fait saint j6r6me" 1) en traduisant: "et pro transgressoribus
rogavit". Relevons enfin que dans 1'61oge de Pinha.r de Sir. 45, 23,
le texte hebreu utilise kpr (comme Nombr. 25, 13), le grec e?v&6«TO,
mais le syriaque b" (prier) 2).
P. SEIDELIN a fait observer que, si le Judaisme ancien admet que
l'on puisse prier les uns pour les autres, l'id£e d'un Messie-intercesseur
est "ganz vereinzelt" 3). Il faut d'autant plus soigneusement relever
l'importance d'un texte comme T. Is. 53, 12, puisque 1'ex6g6se de ce
chapitre est une adaptation d6lib6r6e du TM et que le contexte
introduit trois mentions d'une intercession, aux vv. 4.7.11 4). S.
MOWINCKEL remarquait que le texte hebreu d6jA signalait l'inter-
cession comme un trait du Messie futur, mais qu'il n'y avait IA rien
de nouveau par rapport a ce que les conceptions anciennes accordaient
au roi (David, Salomon, Ézéchias) 5). 11 est donc important de relever
les progr6s de la tradition juive en ce domaine et certaines reactions
rabbiniques laissent supposer que des conceptions anciennes ont
peu a peu ete abolies, qui seraient d6cisives pour interpreter le
Messianisme du NT. Si la tradition rabbinique applique Is. 53, 12

1) S. LYONNET, ibid., p. 891. Nous avons signalé le lien entre prière et pardon
dans T. Job 42. Pour l'interprétation d'Is. 53 à la lumière des versions anciennes
cf. H. HEGERMANN, Jesaja 53 in Hexapla, Targum und Peschitta, Gütersloh, 1954.
G. DIP a souligné le caractère sacerdotal et liturgique de la figure du Messie
dans le Targum: 'Plegaria y sufrimiento del Siervo de Yavé', Est. Eccl. 4 (1966),
pp. 303-350.
2) Synopse des textes dans F. VATTIONI,Ecclesiastico,Napoli 1968, pp. 246-248.
3) 'Der Ebed Jahwe und die Messiasgestalt im Jesajatargum', ZNW 35 (1936),
p. 212. La LXX a même oblitéré l'idée d'intercession du TM à Is. 53, 12. Sur
l'antiquité de l'interprétation messianique de T. Is. 53, cf. HEGERMANN (passim);
W. ZIMMERLI-J.JEREMIAS,The Servant of God, pp. 67-72; R. A. AYTOUN,'The
Servant of the Lord in the Targum', jThSt 23 (1922), p. 176.
4) En 53, 4, on a lu (au sens de ) pour . Cf. HEGERMANN, pp. 59;
82; 123. En Gen. 18, 23, le verbe est interprété par Ps-Jon.: et par Neofiti:
Notons que pour HEGERMANN, p. 91, il s'agirait en 53,12 des pécheurs
d'Israël, non des nations.
5) He That Cometh,Oxford 1956, p. 332.
57

a Moise (Sotah 14 a), ce peut 6tre par reaction antichr6tienne, mais


aussi sans doute parce que les conceptions du Judaisme ancien
pouvaient servir trop ais6ment les apologètes de la religion nouvelle 1).
Ce sont IA quelques aspects sous lesquels se pr6sente l'intercession
dans le Judaisme ancien. Nous estimons qu'il valait mieux assembler
ces di.rjecta membra sans tenter une synth6se ,th6ologique" des
doctrines et meme en rechercher les 6volutions; ce travail serait
pr6matur6 du fait de la datation incertaine des textes, leur 6tat frag-
mentaire et parfois leur obscurite. Ces exemples pourraient 6tre
multiplies et approfondis: mais ils suf?sent a prouver qu'existait
dans le monde juif un sens aigu de la solidarite humaine face a la
divinite et ils jettent quelque lumi6re sur la conception de l'homme
et celle de Dieu en perpetuel face a face.
Il resterait a 6tudier l'apport en ce domaine du NT lui-meme,
comme l'un des documents les plus explicites en la mati6re. Mais
articles et ouvrages sur la pri6re dans le NT - celle du Christ en
- ce theme a l'envi 2). Les
particulier developpent probl6mes qu'on
rencontre doivent du moins Etre replaces dans un cadre de pensee
plus vaste, dans un milieu de foi populaire dont nous avons relev6
quelques expressions. Dans la mesure ou celles-ci renvoient un echo
fid6le des conceptions du temps, on peut afhrmer que l'id6e de
l'intercession y tenait une place considerable, place qui sera beaucoup
plus mesur6e dans les 6crits rabbiniques pour des raisons a la fois
"theologiques" et pol6miqueS 3). Mais jamais on n'oubliera les grands
exemples bibliques (cf. Ber. 32 a) qui ont marqu6, meme par leur
style, les pri6res s6culaires de la synagogue 4).

1) Sur Sotah 14a cf. R. BLOCH,'Quelques aspects de la figure de Moïse',


p. 155; ZIMMERLI-JEREMIAS, Op.cit., p. 65; G. F. MOORE,III, p. 166; P. BILLER-
BECK,I p. 483.
2) Voir par exemple J. MAUCHLINE,'Jesus Christ as Intercessor', Exp. Times
64 (1953), pp. 355-360.
3) Cf. JOHANSSON, pp. 120; 138.
4) J. HEINEMANN, Prayer in the Period of the Tanna'im and the Amora'im, 2 édit.,
Jerusalem 1966, p. 125. - On complétera ce que nous avons dit plus haut, sur
le sacrifice d'Isaac, par les observations (dont nous n'avons pu tenir compte en
rédigeant cet article) de N. A. DAHL ('The Atonement-An Adequate Reward
for the Akedah? Rom. 8:32', dans Neotestamenticaet Semitica, Studies in honour
of M. Black, Edinburgh 1969, pp. 15-29) et de J. BOWKER, The Targums andRabbinic
Literature, Cambridge 1969, pp. 231-233).

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