LE JOURNAL DU DIMANCHE - 08/07/2018 - N° 3730
dimanche 8 juillet 2018
spritz
qui le
détrônera ?
COCKTAILS La boisson orange
venue d’Italie est devenue
une des stars de l’été au risque
de lasser. D’autres accords
renouvellent l’intérêt pour
les saveurs amères
Il a conquis les terrasses fran-
çaises, rivalisant avec l’indétrô-
nable mojito. Apparu il y a moins
de dix ans dans notre pays, l’Ape-
rol Spritz se vendait à 3 millions
d’unités en 2010. Sept ans plus
tard, 50 millions de cocktails à
base d’orange, d’eau gazeuse et
de prosecco se déversaient dans
les gosiers français. Ce mélange
serait né en Vénétie au XIXe siècle
sous l’influence des soldats autri-
chiens qui souhaitaient atténuer la
teneur en alcool des vins locaux
en les diluant à l’eau de Seltz.
L’Aperol lui-même, création de la
famille Barbieri à Padoue, fêtera
ses 100 ans en 2019.
La couleur chatoyante du spritz
fait merveille sur les réseaux so-
ciaux, sa saveur amère séduit les
palais lassés des boissons sucrées,
sa recette courte le rend facile à
reproduire à la maison. « Soixante
pour cent de la consommation se font
à domicile », précise Stéphane Cro-
nier, directeur marketing spiritueux
de Baron Philippe de Rothschild
(RFD), le groupe qui a assuré la
percée d’Aperol dans les bars et
les supermarchés français. Si les
jeunes n’aiment pas l’amertume, on
l’apprécie davantage avec l’âge, c’est
physiologique. Le cocktail bénéficie
aussi de la mode des produits ita-
liens, dans l’art, le luxe et la cuisine.  qu’ils vont commander lorsqu’ils
« Le gin a
le vent en
poupe pour
ses notes de
poivre rose
et d’agrumes »
Et pourtant, trop de spritz tue le
spritz et la lassitude guette déjà.
« Cela devient difficile de trouver
un bon spritz à Paris, note le chef
barman Stephen Martin. Quand
on pense que certaines cartes le
le journal du dimanche 41
Plaisirs Tendances
À gauche, St-Raphaël, crème de fruits et Schweppes sur glace pour un spritz à la française. Ci-dessus, Aliga
To’Nic, cocktail à base de Roku Gin, kumquat frais, Berto Aperitivo, sirop thym-citron, baies roses et tonic. DR
proposent à 12 euros alors mune de Paris, a créé La Pomme du gin, redécouvert par les barmans thym-citron fait maison, des baies
que le coût matière est de sourde, clin d’œil au whisky sour, dans des versions aromatiques et roses et du tonic. « Le gin a le vent
80 centimes… » Respon- un mélange de calvados VS jeune, texturées, comme le Roku Gin de en poupe pour ses notes de poivre
sable de la nouvelle recette de sirop de cidre infusé aux baies Suntory, élu meilleur gin du récent rose et d’agrumes. Pour moi, c’est le
de St-Raphaël, l’apéritif de roses, de jus de citron, de Cap Corse salon Cocktail Spirit, au Palais de spiritueux de l’été, affirme-t-elle. Je
l’entre-deux-guerres à base (apéritif au quinquina), de menthe Tokyo, à Paris. Il se compose de six recherche ce côté épicé et acidulé, le
de quinquina, l’expert a créé et de concombre. « Les calvados ingrédients typiquement japonais sucre n’intéresse plus beaucoup les
un spritz à la française jeunes apportent une acidité (de la fleur de cerisier au yuzu) barmans. » Attention cependant, le
en ajoutant une bien adaptée à l’été, distillés séparément, et se présente spritz n’a pas dit son dernier mot :
crème de les vieux ont une dans une magnifique bouteille ou- « Il s’en vend en Italie cinq à six fois
fruits et du rondeur et des vragée hexagonale. Marie Picard, plus qu’en France, il est toujours en
Schweppes, arômes boisés barmaid de Maison Bréguet, dans phase de croissance », se rassure Sté-
présenté qui conviendront la capitale, l’a adopté pour compo- phane Cronier. Une seule condition :
dans un à l’automne », pré- ser le cocktail Aliga To’Nic avec du chercher le bon ! g
verre piscine cise Sullivan Doh. kumquat frais, du Berto Aperitivo
avec de la glace. « Dans À surveiller aussi, le retour (liqueur de gentiane), du sirop Pascale Caussat
la boisson française il y avait de
l’amer, comme le St-Raphaël, qui
se servait avec de l’eau de Seltz pour
ouvrir l’appétit, mais aussi la Suze
ou l’Avèze, rappelle Stephen Mar-
tin. Ce sont les Américains, avec
Coca-Cola après la guerre, qui
nous ont apporté la dépendance au
sucre. Aujourd’hui, sans revenir aux
apéritifs de nos grands-parents, on
redécouvre que l’amertume peut
être gourmande, désaltérante et
aromatique. »
Ce goût pour des saveurs plus
« adultes » se retrouve chez Mar-
tini, dont le cocktail de l’été se
nomme Fiero e Tonic, une boisson
aux notes d’orange et de manda-
rine, faible en alcool, à la jolie robe
rouge, parfaite pour la saison. « La
tendance de l’amertume vient des
barmans, ce sont eux les premiers
prescripteurs, souligne Jérôme
Kaftandjan, ambassadeur Martini.
Nos études montrent que 60 % des
consommateurs ne savent pas ce
entrent dans un établissement. C’est
le savoir-faire du barman qui va
les orienter vers des propositions
moins convenues. » Chez RFD,
outre le spritz, on mise aussi sur
le Campari accompagné de tonic.
« C’est le grand frère d’Aperol, af-
firme Stéphane Cronier. Si celui-ci
permet de recruter sur l’amertume,
Campari concerne une cible un peu
plus âgée, les 35-45 ans. »
Autre apéritif vintage qui revient
sur le devant de la scène, le calva-
dos se redécouvre en cocktail, de
même que les autres dérivés de la
pomme, le cidre et le pommeau.
Sullivan Doh, cofondateur des
bars spécialisés dans les alcools
français Le Syndicat et La Com-