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LE JOURNAL DU DIMANCHE - 15/07/2018 - N° 3731

50 le journal dudimanche
dimanche 15 juillet 2018

Plaisirs Expositions

Galants
et libertins
ROCOCO Le musée Fragonard pendant la sieste, la poitrine dé-
de Grasse rend hommage à la couverte. Le Déjeuner interrompu,
peinture de genre d’avant la attribué à Nicolas René Jollain (vers
Révolution aux sous-entendus 1785-1788), laisse deviner un joyeux
coquins soigneusement codifiés intermède derrière les plis d’un ri-
deau. L’Indiscret, de Louis Léopold
Que serait Grasse sans Fragonard ? Boilly (vers 1789-1793), évoque un
Une ville moyenne assoupie comme moment d’intimité entre une ser-
il y en a tant. La cité du parfum, vante et sa maîtresse. Le Bouquet
dans l’arrière-pays niçois, doit (1783-1784), signé à quatre mains
beaucoup à la société fondée en par Fragonard et Marguerite Gé-
1926 en hommage au peintre Jean- rard, est chaste en apparence mais
Honoré Fragonard (1732-1806). Elle le geste de présenter une rose avec
y a installé son usine, des boutiques le poignet cassé cache une invita-
et, depuis 2011, un musée. Voulu tion érotique. Petit chien dressé sur
par Jean-François Costa, l’ancien les pattes arrière, cruche penchée,
dirigeant de la maison et passionné bouton de rose sont autant d’allu-
d’artistes grassois, ce lieu gratuit sions qui n’échappaient pas aux
continue d’enrichir ses collections. acheteurs de l’époque.
Ainsi L’Oiseau chéri, œuvre de 1785
du maître rococo, vient de rejoindre Émancipation féminine
ses cimaises après des mois d’une « Le premier mécène des années
délicate restauration. 1780 était le duc d’Orléans, en
En marge de la collection perma- lutte artistique contre son cou-
nente, le musée accueille jusqu’au sin Louis XVI, explique Carole
23 septembre l’exposition « Par- Blumenfeld. Comme Choderlos
fums d’interdit », une compilation de Laclos [l’auteur des Liaisons « L’Amour
de peintures de genre représentant dangereuses] ou Mirabeau, poli- frivole », de
des scènes équivoques sans avoir ticien mais aussi écrivain libertin, Jean-Frédéric
l’air d’y toucher. Réunies par Carole ces peintres menaient un mouve- Schall
Blumenfeld, elles restituent une ment de sape du régime, qui a été (1782-1785).
époque prérévolutionnaire où la interrompu par la Révolution. » Musée Cognacq-
liberté des mœurs s’exprimait en Celle-ci éloignera les artistes des Jay / Roger-
toute insouciance. « Mais que font sujets légers, accusés de porter Viollet
les femmes seules dans leur boudoir ? atteinte aux bonnes mœurs, et
C’était souvent le point de départ de Jacques-Louis David déclarera
ces tableaux », souligne la commis- en 1794 : « Apprenez que la vraie la coquetterie, de Pauline Auzou un sous-texte de cette exposition dévoile ce qui est habituellement
saire, qui publiera en septembre richesse est de posséder beaucoup (1804), où une très jeune fille s’ini- pleine de surprises. caché : jupons, corsets ou encore ces
une thèse sur Marguerite Gérard, d’enfants qui, forts et courageux, tie à la féminité. Les femmes sont À quelques mètres de là, le Musée pantalons en flanelle rouge portés
belle-sœur de Fragonard et artiste seront un jour les défenseurs de la d’ailleurs à l’honneur tout au long provençal du costume et du bijou, sous les vêtements, le summum de
à redécouvrir. patrie. » du parcours comme modèles et projet de l’épouse de Jean-François la mode dans les années 1860. g
Il faudra attendre le Direc- comme artistes, notamment dans Costa, Hélène, propose « Secrets
Invitation érotique toire (1795-1799) et le Consulat Jeune Femme peintre tressant une de silhouettes, les dessous de la Pascale Caussat
Dans L’Amour frivole, de Jean Fré- (1799-1804) pour voir le retour couronne de fleurs, de Michel Gar- mode en Provence du XVIIIe au « Parfums d’interdit », musée Fragonard
déric Schall (1782-1785), une jeune de tableaux à « double entendre » nier (1789). Sans être le cœur du début du XXe siècle ». En écho aux de Grasse (Alpes-Maritimes). Jusqu’au
fille aux joues roses est surprise comme Le Premier Sentiment de propos, l’émancipation est aussi « Parfums d’interdit », le parcours 23 septembre. fragonard.com/fr

Zao Wou-Ki, libres rêveries


ABSTRACTION Une quarantaine eurs où des tourbillons de gouttes opposition à l’abstraction « géo- apportant « un retour à un climat arbres stylisés. Mais l’exposition
de grands formats lyriques d’encre noire vous emportent, métrique », plus froide, reflétant d’apaisement », selon la fondation commence délibérément avec ses
du peintre franco-chinois pour peu qu’on se laisse aller à la moins des émotions). Zao Wou-Ki. Le temps est à pré- premières grandes toiles abstraites,
sont exposés au musée d’Art rêverie. Le musée d’Art moderne Zao Wou-Ki a connu un grand sent à la contemplation des œuvres, très terreuses, comme La Traversée
moderne de la Ville de Paris de la Ville de Paris présente une succès dans les années 1980 et paisibles ou effervescentes, jouant des apparences (1956). Le qualifica-
quarantaine de grands formats du 1990 avec ses grands triptyques sur les textures, avec une peinture tif de paysages abstraits ne lui plai-
À l’heure des œuvres virtuelles peintre franco-chinois Zao Wou- atmosphériques. Mais ces der- dense, empâtée parfois, contrastant sait pas trop, il préférait davantage
projetées sur les sols, les murs et Ki (1920-2013), dont des encres de nières années, son nom revenait avec des espaces fluides, lumineux, parler de « nature ». « J’aime que
les plafonds, il est bon de constater 2006 jamais exposées. Depuis 2003 davantage à la rubrique judiciaire : où la couleur vibre. l’on se promène dans mes tableaux
que des tableaux du siècle précé- et une grande rétrospective au Jeu comme chez les Hallyday, un en- comme je m’y promène moi-même
dent, en deux dimensions seule- de Paume, il n’y avait plus eu à Paris fant issu d’un précédent mariage « Enveloppement hypnotique » en les faisant », disait-il.
ment, peuvent aussi provoquer d’exposition consacrée à cet artiste contestait l’héritage en faveur de Au musée d’Art moderne, dans l’aile Certaines œuvres ne portent pas
une immersion. Une absorption rattaché au mouvement de l’abs- la dernière épouse de l’artiste. est du Palais de Tokyo, les commis- de titre, juste une date. D’autres
mentale dans des paysages intéri- traction lyrique ou gestuelle (par Un accord a été trouvé en 2015, saires de « L’espace est silence » évoquent clairement les goûts du
ont choisi de ne présenter que peintre, qui rend, par exemple,
des œuvres non figuratives. Zao hommage au compositeur Edgar
Wou-Ki est arrivé en France en Varèse. Ou retranscrivent des
1948 pour un séjour qui ne devait moments de sa vie, tel le très
durer qu’un an ou deux. L’artiste noir En mémoire de May (1972),
de 28 ans, issu d’une famille de let- exécuté après la mort de sa deu-
trés, était soutenu financièrement xième épouse. Ses toiles ont un
par son père, banquier à Shanghai. « pouvoir d’enveloppement hyp-
La révolution chinoise de 1949 en notique », selon Fabrice Hergott,
décida autrement. Wou-Ki (pré- le directeur du musée, mais restent
nom qui signifie « sans limite ») des énigmes. Comme le dit la réa-
changea son nom de famille en lisatrice Agnès Varda, son amie,
Zao, se noua d’amitié à Paris avec dans une vidéo projetée dans le
de nombreux artistes, dont le poète parcours : « Nous n’avons pas le code
Henri Michaux. Il resta en France de son cheminement. » g
et mourut à 93 ans en Suisse.
Au départ, influencé par Matisse Marie-Anne Kleiber
et Klee, le jeune artiste exilé réalise « Zao Wou-Ki, L’espace est silence »,
des portraits, des natures mortes, musée d’Art moderne de la Ville de Paris.
« Quadriptyque » (1989-1990). Jean-Louis Losi Zao Wou-Ki © ADAGP, Paris, 2018 des lithographies comme ces Jusqu’au 6 janvier. mam.paris.fr

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