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JE des Doctorants Allph@ - 2019

Appel à communications pour la 5ème Journée d’études des doctorants ALLPH@


Vendredi 5 Avril 2019

« Scandale et tabou »

Le mot « tabou » a pour origine le mot polynésien « tapu » désignant « ce qui est
interdit », mais aussi « ce qui est sacré », deux définitions complémentaires que l'on retrouve dans
le sens actuel du substantif masculin. En effet, le tabou peut désigner une « personne, animal, chose
qu'il n'est pas permis de toucher parce qu'il (elle) est investi(e) momentanément ou non d'une
puissance sacrée jugée dangereuse ou impure », mais aussi un « interdit d'ordre culturel et/ou
religieux qui pèse sur le comportement, le langage, les mœurs. » (CNRTL) En d'autres termes, le
mot « tabou » désigne à la fois une entité sur laquelle pèse un interdit et cet interdit lui-même.
Il semble impossible de parler de « tabou » sans être amené à se poser les questions
suivantes : d'où vient le tabou ? D'où vient cette notion d'« interdit » ? Les intellectuels sont divisés
sur la question : en effet, si certains pensent que le tabou est naturel, d'autres au contraire
soutiennent que le tabou est essentiellement culturel, notamment Freud, qui donne une définition
intéressante du terme dans son célèbre ouvrage Totem et Tabou (1913) : « La base du tabou est un
interdit ancestral, imposé de l'extérieur (par une autorité) et dirigé contre les désirs les plus forts de
l'être humain. L'envie de le transgresser subsiste dans son inconscient ». Si la définition donnée par
Freud a retenu notre attention, c'est parce qu'elle fait apparaître une notion supplémentaire,
donnée comme absolument consubstantielle à celle d'« interdit » : c'est bien sûr celle de
« transgression », qui nous permet d'en venir à la notion de « scandale ». En effet, le terme
« scandale », qui désigne le « grand retentissement d'un fait ou d'une conduite qui provoque la
réprobation, l'indignation, le blâme » ou encore, d'un point de vue religieux, « ce qui est cause de
trouble, de perplexité, de rejet ; ce qui incite à pécher » (CNRTL), découle logiquement de la
notion de « tabou » : celui qui enfreint les tabous ne peut que provoquer le scandale. De la petite
rumeur locale à la grande affaire d’État, le scandale, plus ou moins important, met dans tous les cas
directement en péril les fondements culturels, moraux et religieux sur lesquels repose notre société,
et son infraction implique une punition pour le coupable.

Qu’il s’agisse de caricatures journalistiques, de procès médiatisés, d’affaires d’État, de


scandales internationaux (environnementaux, financiers, religieux), l’objet du scandale peut varier
mais il a pour invariant une indignation collective. Seront bienvenues les communications sur la
notion de corruption : elle est à la fois taboue car contraire aux lois ou à l’idéal démocratique, et
devient scandale lorsqu’elle est révélée au public. On pourra aussi s’intéresser aux scandales
politiques : allant des Bacchanales de la Grèce Antique aux Panama Papers du XXIe siècle, en
passant par le Watergate, le scandale politique se mêle parfois à la littérature comme lorsqu’en 1898
Émile Zola lia éternellement son nom à l’affaire Dreyfus en proclamant « J’accuse ! »

La littérature, à l’instar d’autres formes d’art, reflète des scandales et des tabous qui varient -
ou non - selon la période dans laquelle elle s’inscrit. Certains transcendent les âges et sont
relativement universels, tandis que d’autres sont symboliques d’une époque, d’une mouvance
particulière. A la fois transgressive et dénonciatrice, la littérature révèle les désirs et les peurs d’une
société tout en soulignant ses dysfonctionnements. Pour ce faire, elle a recours à beaucoup de
procédés linguistiques de dissimulation, qui permettent de voiler un sujet ou un objet considéré
comme tabou tout en soulignant paradoxalement sa présence au sein d’un texte. Euphémismes,
tournures elliptiques, descriptions lacunaires et silences sont autant de signes révélateurs qu’un
tabou est à l’œuvre dans le récit et qu’il influence la structure des dialogues et de la narration. Ainsi,
il sera judicieux d’observer comment les textes ajustent leurs modalités stylistiques afin de révéler
qu’il y a tabou, tout en le préservant, le dissimulant, ne l’abordant que très indirectement et par des
biais discrets. De façon complémentaire, on pourra mettre en lumière les différentes façons dont le
texte peut faire scandale : au niveau de sa réception critique peut-être, mais aussi dans un éventuel
traitement subversif de sujets sensibles ou tabous qui donnerait à envisager différemment un mode
d’être ou de pensée conventionnel. Il sera intéressant de voir comment le scandale met en péril la
notion de norme en la transgressant, mais aussi comment il en consolide paradoxalement les assises
en constituant la dérive exceptionnelle qui en réaffirme l’existence et la nécessité. Sur le plan
linguistique, on pourra considérer la mise en place d’une rhétorique séditieuse à travers des
fonctionnements discursifs déviants, transgressifs : registres de langue provocateurs,
agrammaticalités, crudité du lexique et renversements syntaxiques devront être repérés. Mais une
stylistique marquée par la réserve et la retenue devra aussi attirer l’attention, car le voile du tabou
laisse toujours entrevoir un scandale en genèse.

Au regard des nombreuses affaires ayant ébranlé Hollywood et le monde ces derniers mois,
à la suite du scandale Weinstein, l’importante place des arts visuels dans le dialogue politique et
culturel n’en est que plus évidente. Dans l’univers du show business les scandales ne manquent pas,
et beaucoup abreuvent les tabloïds. Plus qu’une étincelle du star system, le scandale et la controverse
sont les moteurs de l’industrie, au cœur notamment du cinéma d’exploitation dont le succès
dépend souvent de l’effet choc d’images obscènes et de sujets d’actualité abordés afin d’impliquer
émotionnellement les spectateurs. Si les retombées d’un récit filmique provocateur sont plus
notables dans notre modernité médiatique, il n’en reste pas moins que le cinéma a toujours
participé à la négociation ou réaffirmation des interdits. Ainsi, les limites d’une représentation
taboue sont-elles redéfinies une fois disséquées par la caméra, les cinéastes interrogeant
continuellement par les récits et les formes cinématographiques les frontières du visible et du
dicible. Mais dans les arts, le scandale, c’est aussi le scandale de la forme. La Nouvelle Vague a par
exemple bouleversé les normes formelles du cinéma français de son temps en désobéissant aux règles
préétablies, brisant notamment le quatrième mur. Nous invitons donc aussi bien des travaux de
recherche qui envisagent les discours provocants que les problématiques de représentation des
sujets tabous.
Les scandales, lorsqu’ils font irruption dans l’espace public, ont un pouvoir de révélation
dont les formes, les fonctions et objectifs sont susceptibles de varier selon les contextes et les
configurations socio-discursives dans lesquels ils s’inscrivent. Ils peuvent faire événement, générer
des polémiques, des controverses, qui conditionnent leur inscription dans le débat public, ainsi que
des crises plus ou moins profondes. Ils affectent dès lors les schèmes et représentations initiales,
qu’ils les renforcent, les transforment ou les remettent profondément en cause. Ils peuvent ainsi
produire des effets variés au gré des configurations, remettant en cause la légitimité, la crédibilité, la
réputation, d’une institution, d’un acteur, d’un système, d’un ordre du discours. Ils peuvent aussi
s’insérer dans des stratégies socio-discursives et générer la constitution d’un nouveau problème
public.
Mais les scandales peuvent également, paradoxalement, contribuer à invisibiliser d’autres
objets dès lors que leur surgissement et leur mise en visibilité médiatique tendent à accaparer
l’attention publique. Ils seraient dès lors porteurs de tensions : entre invisibilité et visibilité des
discours et des réalités qu’ils mettent en sens et en lumière ; entre renforcement ou éclatement de
cadrages antérieurs. Leur mise en récit implique par ailleurs des procédures de cadrage, qui
façonnent des intelligibilités et des niveaux de compréhension spécifiques, plus ou moins pluriels,
qui traduisent tant leur traduction que leur (ré)inscription dans le monde.

Naturellement, les pistes proposées ici sont non-exhaustives et nous considérerons toute
proposition de communication qui se concentrerait sur des enjeux sous-jacents à la question de «
Scandale et Tabou » dans les toutes les disciplines SHS qu’accueille notre École Doctorale. Nous
espérons ainsi entendre une diversité de sujets afin de varier les échanges autour de la question, et
invitons les jeunes doctorants de tous les laboratoires d’ALLPH@ à nous présenter leurs travaux
pour faire de cette journée une expérience enrichissante et conviviale.

Modalités de soumission :

Les propositions de communication (titre et résumé de 300 mots, accompagnés d’une brève
notice biographique indiquant le sujet de votre recherche, votre fonction, votre laboratoire de
recherche, ainsi qu’une courte bibliographie) sont à envoyer à l’adresse électronique des élus
doctorants ALLPH@, organisateurs de la journée d’études : reallph@univ-tlse2.fr.
Date limite de soumission : 10 Décembre 2018

Date de la JE : 5 Avril 2019

Toute soumission d’une proposition de communication équivaut à un engagement de


participation à la journée d’étude. Les communications dureront 20 minutes et seront suivies de 10
minutes d’échange.

Comité d’Organisation : Comité Scientifique :


Ana Artiaga Ana Artiaga
Sarah Conil Sarah Conil
Charlène Huttenberger Charlène Huttenberger
Lucie Jammes Lucie Jammes
Chloé Monasterolo Chloé Monasterolo
Natacha Souillard Natacha Souillard
Gian Luca Troisi Gian Luca Troisi

Bibliographie

BOLOGNE, Jean Claude, Histoire du scandale. Paris, Éditions Albin Michel, 2018.
DAMPIERRE, Eric, « Thèmes pour l'étude du scandale » dans Annales, 1954, p. 328-336.
FREUD, Sigmund, Totem et Tabou, Paris, Payot & Rivages, 2001 (1913).
NEVEU, Eric & Louis QUÉRÉ, « Le temps de l’événement » dans Réseaux, 14 (75), 1996, p. 7-21.
QUÉRÉ, Louis, « Entre fait et sens, la dualité de l’événement » dans Réseaux, (5), 2006, p. 183-218.
CANU, Roland & Valérie BONNET, « L’ordre des discours de la crise : un agencement hétérogène »,
Mots. [En ligne], 115 | 2017, consulté le 06 novembre 2017. URL : http://mots.revues.org/22923
CHAMPAGNE, Patrick, « Le coup médiatique” dans Sociétés & Représentations, (2), 2011, p. 25-43.
BOYER, Robert, « Les crises financières comme conflit de temporalités » dans Vingtième
Siècle. Revue d’histoire, n° 117, 2013, p. 69-88.
CHARAUDEAU Patrick, Le débat public. Entre controverse et polémique. Enjeu de vérité, enjeu de pouvoir, Limoges,
Lambert-Lucas, 2017.
FOUCAULT, Michel, L’Ordre du discours, Paris, Gallimard, 1971.
GODIN, Christian, Dictionnaire de philosophie, Paris, Fayard Éditions du temps, 2004, p. 1175.
CAILLOIS, Roger, L’Homme et le Sacré, Paris, Éditions Gallimard, 2015.

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