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LAHCEN OULHAJ
PROFESSEUR DE SCIENCES ECONOMIQUES
1. Introduction
Vu le contexte, dans notre région méditerranéenne, il n’est pas du tout difficile
de deviner qu’un papier sur le theos, venu, en ce début de 2018, d’un marocain
profondément laïc, ne peut viser qu’à contribuer, un tant soit peu, à éloigner notre
jeunesse nord-africaine des démons qui ont fait d’une partie de ses éléments des
bombes de destruction massive, extrêmement préjudiciables pour l’image interna-
tionale du Maroc et destructrices, à plus ou moins long terme, pour le progrès de
son économie et la cohésion de sa société.
Ces jeunes vivant aux marges de la modernité, en sont désespérés et la tiennent en
grande horreur. Ils sont à la fois dedans et dehors, d’où leur attitude paradoxale
à son égard. D’un côté, ils font, comme les modernes, de l’accès aux moyens du
bonheur la fin ultime de la politique. De l’autre, ils ont définitivement, pour ce
qui les concerne, expulsé le paradis de la terre et l’ont renvoyé vers leurs fantasmes
concernant l’au-delà. Mais, à n’en pas douter et à ne pas perdre de vue, c’est
pour permettre à leurs commanditaires, politiques et/ou idéologiques, de dominer
le monde une fois ”purifié” des valeurs universelles de liberté et d’égalité et des êtres
qui les portent et chérissent.
Cette triste réalité nous rappelle de manière extrêmement douloureuse que les idées,
en l’occurrence religieuses, exercent un immense pouvoir réel dans l’histoire. Elle
nous incite à remettre sérieusement en question la thèse marxiste selon laquelle les
idées religieuses ne sont que le reflet des conditions socio-économiques.
La conception qu’on a du divin importe beaucoup, à notre sens. C’est pour cela
qu’il est urgent de réfléchir sur la question et de tenter de réinsérer dans la modernié
les éléments non encore perdus de notre jeunesse et, surtout, assurer l’intégration
des générations futures dans le monde réellement existant, car le mal nous semble
profond et se situe tant dans l’éducation que dans la politique religieuse de l’Etat.
L’urgence vient de ce qu’il est impossible pour notre pays de continuer indéfini-
ment à recevoir des touristes et des investissements directs étrangers s’il n’opère
pas une mutation culturelle salutaire et s’il ne révise pas de fond en comble son
système éducatif et toute l’action de l’Etat en matière religieuse. Il est temps, à
notre avis, que l’Etat renoue avec son rôle de vecteur de modernisation de la société
des années 1960 et qu’il abandonne son rôle présent de ”traditionnalisation” qu’il
a adopté, dans un premier temps, pour contrer les mouvements protestataires de
gauche des années 1960-1970 et, dans un second, pour soit-disant doubler la vague
islamiste qui déferle, depuis les années 1980, à partir du Moyen-Orient, à la faveur
du renchérissement des hydrocarbures.
Pour le grand penseur américain, d’origine allemande, Eric Voegelin 1 (1901-1985),
qui a écrit à la fin des années 1950, son immense ”Order and History”, le développe-
ment des totalitarismes communiste, fasciste et surtout nazi et l’holaucauste ne
pouvaient signifier que la crise de la modernié, laquelle s’enracine, pour lui, ”dans
la tentative politique violente de faire descendre le paradis sur terre et de faire de
l’accès au bonheur sur terre la fin ultime de toute politique”. Ceci est compréhen-
sible dans le contexte de l’époque et, surtout, pour quelqu’un qui a échappé de
1. Cf. Voegelin Eric, Order and History, 5 volumes, Edited and Intro by Ellis Sandoz, University
of Missouri Press, USA, 1956. Le premier volume est consacré à ”Israel and Revelation”, le II ième
à ”The World of the Polis”, le III ième à ”Plato and Aristotle”, le IV ième à ”The Ecumenic Age”
et le V ième à ”In Search of Order”. Seuls les 3 premiers volumes ont été publiés par l’auteur de
son vivant et par ses soins.
THEOS DES BERBÈRES 3
c’est donc à la fois Elohim, Yahvé, Platon, Allah, Akkouch et beaucoup d’autres
divinités. ”Dieu” ne figure pas dans cette liste, car nous considérons que ce nom
est générique depuis Zeus et Ammon. On peut toutefois s’étonner que nous ayons
mis ici en avant Platon. La raison à cela est, au moins, triple. D’abord, Platon
était, lui-même, considéré par ses concitoyens comme, au moins, un demi-dieu.
Ensuite, Platon et Socrate sont parfois associés à la grande figure du patriarche
Abraham, dans le Judaïsme biblique 3. Platon a aussi exercé, à travers les grands
pères de l’église catholique, dont surtout Saint Augustin, une immense influence
sur la doctrine de celle-ci. Platon, à travers Plotin, a été au centre des discussions
philosophiques au sein de l’islam, du V III ième au X ième siècles. Enfin, la pensée
de Platon est celle qui représente le mieux, avec la théorie des formes et l’allégorie
de la caverne, développée dans le livre La République, la conception sémitique ou
”abrahamique” du divin transcendant.
Platon, c’est donc toute la philosophie et la théologie antiques qui n’ont pas cessé
d’exercer leur influence, dans le bassin méditerranéen, sur la théologie révélée, c’est-
à-dire sur la pensée de l’invisible, donc de l’intelligible, selon cette théorie platoni-
cienne 4. Platon mérite donc grandement sa place au panthéon méditerranéen.
Dieu de l’Islam, Allah, figure bien entendu dans ce panthéon. Sa place, aujourd’hui,
plus ou moins prépondérante dans le theos berbère n’est que trop évidente pour né-
cessiter quelque justification de sa présence.
Et Akkouch, alors ! Que vient-il faire dans ce panthéon berbère ? A vrai dire,
nous utilisons ce nom, faute de mieux, pour représenter les composantes, étages
ou aspects du divin berbère, autres que ceux constitués par Yahvé, Elohim, Dieu
du Christ, Allah ou Platon. Cette utilisation n’est pas totalement illégitime, car
le mouvement amazigh (berbère) laïc contemporain désigne souvent le divin par
ce nom. Dans le royaume ”hérétique” berbère des Iberghwaten du Tamesna (744-
1058), Dieu était désigné par ce nom, lequel avait remplacé ”Allah” dans toutes les
formules religieuses et dans le texte sacré de leur religion, dérivée, semble-t-il, du
Kharidjisme. Au delà des Iberghwaten, les Almoravides ”sunnites” ont donné pour
nom à leur capitale fondée par leur chef militaire Youssef Ben Tachfine, vers 1062,
”Amour ou Mour n Akkouch”, légèrement déformé en Mourakkouch, Marrakech,
Marruecos(h)... signifiant ”terre, pays ou cité de dieu Akkouch”.
Un aspect important de notre présent papier est précisément constitué par ”Akkouch”
ou la conception qu’ont les Berbères du divin. L’image qu’avaient les Iberghwaten
d’Akkouch n’est pas très claire. Nous n’en disposons pas d’écrit direct, mais seule-
ment de ce qui en a été rapporté par Ibn Idhari et Ibn Khaldoun. Cela en a fait une
copie plus ou moins conforme du dieu de l’islam, Allah, à la différence près que le
messager de ce dieu était berbère. C’est pour cela qu’il faut chercher ailleurs cette
conception qu’avaient les Berbères du theos.
3. Les kabbalistes pensent que leur pensée remonte aux débuts des temps et que leur livre, la
Genèse, est vieux de 4000 ans. Ils considèrent que les grands philosophes grecs, comme Platon,
ont été influençés par la Kaballah qu’ils ont étudiée et dont le principal ouvrage, le Zohar, a été
écrit 2000 ans auparavant. La véité est que c’est plutôt le néoplatonisme qui a beaucoup influencé
la Kabbalah. C’est que la Genèse ne date que du 2ème ou 3ème siècle av. J.-C., soit durant la
période du platonisme moyen avec notamment Philon d’Alexandrie, et que le Zohar n’a été écrit
(par Moïse de Leon, qu’au 13ème siècle, en Espagne.
4. Pour Platon, le monde visible et apparent est chaotique. Il est inintelligible. C’est ce qui
est invisible, les concepts ou les idées, qui sont intelligibles
THEOS DES BERBÈRES 5
Précisons de prime abord, comme une sorte d’avertissement au lecteur, que, dans
notre papier, il ne sera à aucun moment question de Dieu absolu sur lequel nous
n’avons absolument rien à dire de pertinent et d’intéressant 5. Il ne sera question
ici que des images que les humains se font et se racontent 6 de cet inacessible Dieu.
L’image que les sociétés développent de leur dieu reflète largement leurs cultures
respectives. Mais, cette image n’est point un reflet passif des structures culturelles
de la société qui l’a engendrée. Au contraire, cette image fige ces structures et
entrave le changement.
Les sociétés n’ayant pas engendré une image élaborée comme doctrine absolue et
exportable et qui reçoivent de l’extérieur une telle image, à la faveur de contacts
pacifiques ou de conquêtes violentes, procèdent nécessairement à une révision et à
une adaptation à leur culture de cette image subie ou importée 7.
La culture d’une société, c’est l’ensemble des croyances, attitudes et pratiques cul-
turelles (chants, danses, fêtes, sports, cérémonies, jeux, ...) communes aux membres
de cette société. Ces croyances, attitudes et pratiques sont déterminées par ce qu’on
appelle les valeurs de la société.
Porter des valeurs, c’est, en quelque sorte, penser le monde et le comportement
humain, de façon manichéenne, ou en mode de contradictions entre deux termes
dont l’un est perçu positivement et l’autre négativement.
Selon l’anthropologue de la culture Geert Hofstede, une culture nationale est un
espace des valeurs à quatre ou cinq dimensions (déterminantes).
La première dimension est notre rapport au pouvoir et aux inégalités. Certaines
sociétés considèrent que les inégaliés et le pouvoir qu’ont certains sur les autres sont
tout à fait naturels, alors que d’autres sociétés chérissent l’égalité et abhorrent le
pouvoir.
La deuxième dimension a trait aux rapports qu’entretient l’individu avec le groupe
ou la collectivité. Certaines sociétés mettent la collectivité au-dessus de l’individu.
Elles sont collectivistes. Dautres sociétés considèrent que l’individu est roi et que
le groupe n’a aucun droit sur lui. Ces sociétés sont plutôt individualistes.
La troisième dimension concerne la conception qu’a une société de la masculinité
et de la féminité. Certaines sociétés sont plutôt masculinistes, tandis que d’autres
sont fermement féministes, ou pour une franche égalité entre les sexes. Dans les
sociétés traditionnelles archaïques, le masculin et la virilité correspondent au terme
5. Abou Al-Ala Al Maarri (973-1057), poète et philosophe ascète, va plus loin, en disant dans
un poème que tout ce qui se dit à propos du Dieu suprême n’est que mensonge :
وما درى بشؤون الله إنسان يخبرونك عن رب الع كذبا
.... يخبرونك عن رب الع،أنظر ديوان المعري
6. Voir cette belle formule du penseur juif allemand Franz Rosenzweig (1886-1929) qui dit : ”Le
bon Dieu n’a pas créé la religion, il a créé le monde”. Cf. Lévinas Emmanuel, Franz Rosenzweig :
une pensée juive moderne, in Revue de théologie et de philosophie, Zurich, 1965.
7. Cf. M. E. Michaux-Bellaire, Conférences, Archives Marocaines, Vol. XXVII, Paris, 1927.
Au début de sa conférence sur ”l’islam marocain”, de 1924, (page 115), il écrit ce qui suit : ”si les
religions modifient les peuples, les peuples modifient les religions, si ce n’est dans leurs dogmes, au
moins dans leurs conséquences : il arrive même souvent que la conversion de certains peuples n’est,
au fond, pas autre chose qu’une sorte d’adaptation parfois superficielle de la religion nouvelle, aux
mœurs et aux coutumes locales, sans que ces mœurs et ces coutumes soient d’ailleurs sensiblement
modifiées. La religion n’est certainement pas le seul facteur de l’éducation des peuples, la seule
cause du niveau de leur civilisation : elle est elle-même comprise et partiquée selon ce niveau de
civilisation, auquel elle peut sans doute contribuer dans une certaine mesure et dont il ne faudrait
pas, je crois exagérer l’importance.”
6 LAHCEN OULHAJ
Le grand spécialiste des langues berbère et arabe, René Basset (1855-1924), di-
recteur de l’école supérieure des lettres d’Alger, a publié en 1910, dans la ”revue de
l’histoire des religions” (dirigée par René Dussaud et Paul Alpandéry), un article
(long d’une cinquantaine de pages) intitulé ”recherches sur la religion des Berbères”.
Cet article a été numérisé et mis en téléchargement gracieux sur http:/www.algérie-
ancienne.com, puis il a été publié sous forme de livre par Belles-Lettres à Alger, en
2011. 8
Cet important article commence par la phrase suivante que je me permets de re-
produire, in extenso, pour son importance dans le contexte :
Quelle que soit l’opinion sur l’origine complexe des populations qui sous le nom
général de Berbères ont occupé et occupent encore tout le nord de l’Afrique septen-
trionale, de la Méditerranée au Soudan et de l’Atlantique à l’Egypte, elles forment
une unité linguistique et c’est en se plaçant à ce point de vue qu’on peut essayer de
reconstituer leur religion dans le passé.
Pour cette reconstitution, Basset s’appuie, d’un côté, sur les ”maigres renseigne-
ments” fournis par les étrangers, antiques tels que Hérodote (V ième siècle av. J.-C.),
Pline l’Ancien (au tournant du I er siècle), Strabon (idem), Maxime de Tyr (II ième )
et Caïus Julius Solin (III ou IVème) ou médiévaux pour les Iles Canaries restées à
l’écart des religions abrahamiques jusqu’à la conquête espagnole au XV ième siècle,
comme Martianus Capella (XV ième ) et Juan de Abreu Galindo (XV II ième ), et, de
l’autre côté, sur les inscriptions libyques, difficilement déchiffrables, fournies par les
fouilles archéologiques.
Il ressort de son analyse que : ”A côté des montagnes, des rochers, des grottes et
des rivières, les Berbères adoraient aussi les astres, et en première ligne, le soleil.”
8. Cf. Basset René, La religion des Berbères, de l’antiquité jusqu’à l’Islam, Belles-Lettres,
Alger, 2011.
8 LAHCEN OULHAJ
La divinisation du soleil est loin d’être propre aux anciens Berbères. Pratiquement
tous les anciens peuples pour lesquels on dispose de données, en Europe, en Afrique,
en Inde, au Moyen et en Extrême-Orient , ont édifié des monuments mégalithiques
en direction du soleil. C’est dire qu’ils vouaient un culte au soleil. Les nombreuses
divinités solaires vont ainsi du Râ égyptien, au Mithra indien, du Shamash ba-
bilonien à Amaterasu japonaise, du Kinich Ahau des Mayas à Xihe la Chinoise, du
Huitzilipotchli l’Aztèque au Hélios grec.
En Mésopotamie, l’ancienne civilisation sumerienne, vieille de 6 mille ans, le Dieu
du soleil Utu ou Hutu intervient pour apporter une fin heureuse à l’épopée du héros
Gilgamesh 9 parti à la recherche des cèdres au ”pays des vivants” (au Liban ou en
Afrique du Nord ?) pour vaincre la mort. A la fin, il s’avoue vaincu, se résigne
et rentre chez lui à Uruk. Il se tourne vers le Dieu soleil et accomplit l’acte rituel
funèbre. Le peuple en larmes jure alors de le célébrer pour les siècles des siècles.
Toujours en Mésopotamie, après Sumer 10, il y a eu les Assyriens au nord et les
Babiloniens au sud. Ces derniers adoraient après le Dieu du ciel, Marduk, le
Dieu du soleil Shamash qui a donné son nom à l’astre chez les Hébreux, comme
chez les Arabes. Le célebre roi législateur Hammourabi est représenté en position
d’adoration de ce Dieu.
Plus près de nous, en Egypte, l’importance des dieux solaires, il y a 5 mille ans,
était générale à la vallée du Nil et au-delà. Le Dieu du Soleil, Râ 11 apparaît le
matin et prend le nom Khepri. Il prend le nom de Râ une fois au zénith, puis il
descend pour se coucher sous le nom d’Atoum. Il effectue ainsi perpetuellement
son cycle de naissance, de plénitude et de mort, puis de résurrection. Pour rendre
immortels le Pharaon, les prêtres et enfin tout le peuple, il faut s’associer à ce cycle
et s’addoner au culte du Soleil, dans la ville du soleil, Heliopolis et à Menphis et
partout en Egypte. Le Roi des dieux, le Dieu Amon était le Dieu Amon-Ragh adoré
comme un Dieu suprême. C’est surtout le pharaon Aménophis IV qui prend le nom
d’Akhenaton 12, qui va imposer au 14ème siècle av. J.-C., à toute l’Egypte, le culte
du Dieu unique le Soleil pour en faire une religion d’Etat 13
La philosophie égyptienne rapportait, ainsi, que RAGH, en se posant sur la ” colline
primitive ”, avait créé le monde visible.
9. Cf. Gilgamesh, adaptation de Léo Scheer, Librio, Editions Léo Scheer, Paris, 2006
10. Rappelons que le mot amazigh ”asammer”, l’opposé de ”amalou”(ombre) signifie ensoleille-
ment, comme le mot ”arabe” ”asmer” veut dire bruni ou bronzé (par le soleil !)
11. Très probablement ”Ragh” voulant dire en amazigh ”se chauffer”, chaleur du soleil.
L’ouverture centrale dans le toit des maisons par lequel passent les rayons solaires s’appelle tou-
jours au Maroc, au moins, ”aragh”. Seulement, les Hébreux n’ont pas le son ”gh” qu’ils remplacent
ע
souvent par le son hébreu correspondant au son ع arabe
12. En fait c’est Akhe n Aton, n signifie en égyptien ancien, comme en amazigh ”aghe” ”celui
qui ressemble à”, donc ”frère” en hébreu et aussi en arabe d’aujourd’hui. La préposition ”n”
correspond en amazigh comme en ancien égyptien à ”de” en français. Aton ou Adon, don, dona,
signifie toujours ”seigneur” en hébreu : Adonaï signifie ”monseigneur”. Akhenaton signifie donc
celui qui ressemble à Aton, celui qui l’aime, son frère...
13. On trouve dans le Livre des Morts le bel hymne suivant au Dieu Soleil Aton :
Tu apparais en beauté, à l’horizon du ciel,
Disque vivant, qui as inauguré la vie ...
Tes rayons nourrissent la campagne,
Dès que tu brilles, les plantes vivent et poussent par toi.
Tu fais les saisons pour développer ce que tu as créé.
Platon fera plus tard, au 14ème siècle av. J.-C, écho à ce premier monothéisme, en disant : ” le
démiurge de tout ce qui a été fait, c’est le grand géomètre et arithmète de l’Univers, le soleil ”
THEOS DES BERBÈRES 9
Sur les résultats des récents travaux archéologiques en Afrique du Nord concernant
la théologie des anciens Berbères, une synthèse lumineuse de Marcel Le Glay a été
publiée en 2006 14.
La théologie des Anciens Berbères n’est pas qu’ancienne. Elle a laissé des traces
manifestes importantes dans la pensée religieuse des Nord-Africains d’aujourd’hui.
Cette théologie là qui est toujours vivace comporte des aspects relevant de l’animisme
et des aspects qui se rattachent sùrement à la pensée égyptienne ancienne.
Pour ce qui est de l’animisme, il n’échappe à personne que le rôle joué par les esprits,
rebaptisés ”djinns”” ou ”jnoun” depuis l’arrivée de l’islam, dans la vie et la pensée
nord-africaine ne correspond absolument pas au statut du ”djinn” dans le Coran.
Ce rôle souvent maléfique ou qui correspond parfois à l’instrument de réalisation
du bonheur, ne peut être mis que sur le compte des anciennes croyances africaines,
abusivement qualifiées d’animistes. L’omniprésence de ces êtres, les précautions
prises la nuit pour éviter de les blesser avec de l’eau chaude, par exemple, la peur
qu’inspire le cimetierre, les histoires des Aicha Kandicha... tout cela ne relève pas
de l’islam originel 15, mais bien de la pensée africaine primitive. Le culte des arbres,
des amas de pierres (akerkour), des sources..., relève du même registre.
Quant à la pensée égyptienne ancienne, nous l’appelons ainsi parce que c’est en
Egypte ancienne que cette pensée a été consignée dans des manuscrits, il y a
bien des millénaires pour les plus vieux d’entre eux, pour être conservés dans les
pyramides, dans les sarcophages et dans les cercueils, pour être redécouverts au-
jourd’hui. Autrement, on pourrait l’appeler pensée nord-africaine, au sens large,
dans la mesure où beaucoup de ses aspects font partie des la pensée religieuse con-
temporaine des nord-africains (au sens strict). Il est difficile de savoir si cette pensée
était exclusivement égyptienne avant d’être exportée vers l’ouest nord-africain (et
vers la Grèce) ou si elle était commune aux deux peuples ”frères”, égyptiens et
berbères.
Ce qui complique la question des origines de cette pensée, c’est que la littérature
islamique postrérieure au Coran et à la Sounna, reprend beaucoup d’aspects de la
pensée égyptienne ancienne, notamment tout ce qui concerne la vie après la mort et
le rôle de l’ange de la mort, dont le nom ”Azraïl” est, comme par hasard, commun
aux traditions juive, musulmane, sikhe et égyptienne ancienne. Cet ange ”Azraïl”
a été rapproché du prêtre Esdras. Il n’est pas difficile d’y voir aussi un lien avec
”Osiris”.
Cette pensée égyptienne relative à la vie dans le monde souterrain d’en-bas, appelé
alors ”Duat” et toujours ”dduyt” en amazigh (langue berbère), crève les yeux dans
la religion populaire nord-africaine. Les rôles d’Isis, Horus et Maat n’y sont point
étrangers. Le rôle de manuel du mort joué par les formules du Livre des Morts 16
pouvant le guider dans son comportement pour échapper à l’enfer et revoir ainsi le
jour, est un aspect toujours vivace dans la pensée populaire.
14. Cf. Le Glay Marcel, Le Paganisme en Numidie et dans les Maurétanies sous l’Empire
Romain, Antiquités Africaines, t. 42, 2006, p.57-86.
15. Ces aspects de la pensée nord-africaine, souvent appelés superstitions, ont été vigoureuse-
ment combattus et condamnés par l’islam salafite, né avec Mohammad Abd Aalwahhab au 18ème
siècle à Najd et introduit au Maroc par le sultan Moulay Slimane.
16. Cf. Le Livre des Morts des Anciens Egyptiens, traduit et annoté par PIERRET Paul, Ed.
Ernest Leroux, Paris, 1882.
10 LAHCEN OULHAJ
17. Si les rédacteurs de la constitution, dont l’auteur était membre, ont préféré la dimension
hébraïque à celle du judaïsme, c’est parce qu’ils se situaient sur le plan culturel et non sur le plan
religieux. On sait, bien évidemment, qu’il est difficile de séparer les deux aspects dans le cas qui
nous intéresse ici.
18. Cf. Sabbah, Messod et Roger, Les secrets de l’exode, l’origine égyptienne des Hébreux, édit.
Jean-Cyrille de Godfroy, Paris, 2000.
19. Sur l’histoire des Juifs et du Judaïsme au Maroc, voir, entre autres : l’étude de Nahum
Slouschz dans Archives Marocaines, (Publication de la Mission scientifique du Maroc, Vol. 14 et
16, 1908
20. Le terme ”dieux”, au pluriel, est mentionné dans 204 versets dans la bible
THEOS DES BERBÈRES 11
Juifs ne s’applique qu’aux juifs. Les autres peuples ont nécessairement leurs dieux
respectifs 21.
C’est à la cié nord-africaine, Alexandrie, ”que revient le mérite d’avoir opéré la
jonction, plus encore la synthèse de la raison grecque et de la justice hébraïque
pour aboutir à un syncrétisme indispensable au devenir de la pensée humaine” 22.
Concernant la présence millénaire du judaïsme en Afrique du Nord et, particuliè-
ment au Maroc, on peut se référer à Nahum Slousch pour les aspects historiques et
à Haïm Zafrani 23 pour une histoire beaucoup plus riche sur la culture, la religion,
la magie, l’économie, la société et la vie intellectuelle et rituelle.
Cette longue présence juive en Afrique du Nord a beaucoup influencé la culture et
la pensée des autres Nord-Africains, comme ces derniers ont influencé la vie sociale,
culturelle et même religieuse des juifs.
Concernant l’influence dans le premier sens, c’est-à-dire des juifs sur les non-juifs,
nous pouvons citer des éléments qui risquent de paraître anecdotiques, mais qui ont
leur importance à nos yeux. Il va sans dire que cette influence mutuelle n’aurait pas
eu lieu si la communaué juive n’était pas importante numériquement. Rappelons
un seul chiffre à ce sujet, celui de 300 mille israïlites au Maroc, en 1956, lorsque
la population totale comptait près de 8 millions. Cette communauté a subi une
grande érosion à travers les siècles, du fait des conversions plus ou moins forcées et
de tueries, massives parfois, comme avec l’avènement des Almoravides et des Almo-
hades et pas seulement. Il est aussi vrai qu’il y a eu des apports ayant accompagné
la conquête omayyade ou ayant résulté des expulsions de la Reconquista.
Le premier élément frappant est que le Dieu de l’Islam est davantage appelé Rabbi
qu’Allah en Afrique du Nord. Le nom d’Allah est beaucoup moins usité par la pop-
ulation. Non pas que Rabbi est inconnu de l’arabe, il figure même dans le Coran,
mais au sens de maître ou seigneur et non de la déité suprême, Allah. Ce dernier ne
peut pas avoir d’associé, mais rabbi est toujours rabbi de quelqu’un ou de quelque
chose, ”rabbou al bayt”, le maître de la Ka’aba. Allah est trop transcendant aux
yeux des Berbères, alors que Rabbi est concret et presque humain.
Le deuxième élément est que les prénoms bibliques (masculins) sont très répandus,
surtout au Maroc : Brahim, Moussa, Daoud, Slimane, Yacob, Ishaq, Yechchou,
Yahya... Plusieurs tribus portent ces noms, notamment dans le Moyen et Haut At-
las. Comment expliquer cela ? Est-ce simplement un héritage sans conséquence du
passé juif de certaines tribus berbères désormais musulmanes ? Comment expliquer
alors que dans certaines tribus du Moyen Atlas, le travail de la laine est toujours
socialement proscrit le samedi ? Comment expliquer que le chant ”tamawayt” en
appelle toujours à Ishaq et Yacob ? Est-ce un vestige ou une nostalgie ? Comment
expliquer que la fête du nouvel an amazigh (13 janvier) est appelée, dans certaines
régions du Maroc ”ha gouza”, l’amande en hébreu, du fait que la fève de la galette
des rois est parfois remplacée, dans ces régions, par une amande dans le couscous ?
Le troisième élément est la connaissance populaire de la Bible et de ses récits. Le
récit bibilique de Nabi Joseph est souvent raconté dans les familles, comme dans les
traditionnelles scènes publiques en cercle (halqa) des grandes villes impériales du
Maroc, bien au-delà des détails rapportés par le Coran. Comment expliquer cette
21. Cf. Rifflet Jacques, Les mondes du sacré, Etude comparée des voies du sacré en Occident et
en Orient, Edit. Mols, Bierges, Belgique, 2000
22. Guernier, L’apport de l’Afrique..., op. cit. p. 171
23. Cf. ZAFRANI, Haïm, Deux mille ans de vie juive au Maroc, Editions Eddif, Casablanca,
1998.
12 LAHCEN OULHAJ
culture commune des fquihs musulmans nord-africains et des rabbi, haxam et hazan
juifs, relative à la numérologie (ou symbolisme des chiffres et des lettres), laquelle
a des origines lointaines tant berbères et grecques avec l’astrologie répandue chez
les premiers et l’arithmancie pythagoricienne que juive à travers la guématrie et la
kabbale ?
Tout cela est normal tant il y avait une coexistence tantôt pacifique et paisible,
tantôt mouvementée et trouble entre juifs et musulmans. Ils parlaient les mêmes
langues (berbère et darija) 24, écrivaient la mème langue arabe, se nourrissaient des
mêmes produits de la même terre et s’habillaient de la même façon (burnous et
jellaba pour les hommes et kaftan pour les femmes). Notons aussi que le lévirat,
dont l’origine est difficile à fixer même s’il est mentionné dans la Torah, était pra-
tique commune aux deux communautés juive et musulmane. En plus, beaucoup
d’éléments de la bible ont été repris par le Coran.
Pour ce qui est maintenant de l’influence dans l’autre sens, l’influence nord-africaine
sur le judaïsme, disons pour aller vite et sans tomber dans la caricature, que le ju-
daïsme développé par Moïse Ben Maymoune (Maïmonide) est le produit de l’époque
et de la culture almohades. Cette théologie maïmonidienne s’écarte de la doctrine
qui se dégage de la bible sur plusieurs aspects, lesquels vont d’ailleurs faire l’objet
de la critique de dévoiement adressée par Baruch Spinoza (1632-1677) au judaïsme
importé d’Espagne par les rabbins. Cette théologie adopte la vie dans l’au-delà
(étrangère à la bible), telle qu’elle figure chez les anciens égyptiens, les grecs, dans
le christianisme et dans l’islam. Cette théologie de Maïmonide élabore une sorte
de profession de foi du juif, comme si le judaïsme était une religion à laquelle on
pouvait se convertir, alors qu’on naît juif et qu’on ne le devient pas. Et si on est
né juif, on le reste, même lorsqu’on devient laïc ou athée.
L’influence mutuelle, entre judaïsme et autres confessions d’Afrique du Nord était
donc profonde et à la mesure de la longue coexistence et de l’ampleur des échanges
interculturels.
2.3. Du christianisme en Afrique du Nord Antique.
Le titre ci-dessus de la section suggère que le theos chrétien s’est d’abord formé
à l’extérieur et qu’il a été introduit par la suite dans la Berbérie. Cela ne corre-
spond pas tout à fait à la manière dont les choses se sont déroulées.
On peut en effet penser que le christianisme s’est entièrment formé en Palestine
avant qu’il ne s’exporte vers l’extérieur et, en l’occurrence, vers l’Afrique du Nord.
La vérité est que la Palestine, et plus largement la Syrie ou le Levant, comme
l’Egypte et la Berbérie faisaient à l’époque parties intégrantes du même empire
romain et que les échanges humains et culturels étaient denses entre les différentes
parties de l’empire. En plus, les Judaïsmes et la pensée hellène ayant ”engendré” la
nouvelle religion se trouvaient bel et bien, à travers la diaspora juive, dans toutes
ses parties, d’autant plus que l’autonomisation du christianisme par rapport au Ju-
daïsme a été un long processus, auquel Alexandrie, Carthage et toute la Numidie,
en Afrique du Nord, ont pris une part active.
En réalité, l’Egypte, et surtout sa partie nord, ou la Basse-Egypte, et la Berbérie,
forment un ensemble uni anthropologiquement, linguistiquement et culturellement.
Les anciens Egyptiens ont écrit dans leur Livre des Morts qu’ils venaient de l’ouest,
24. Des fragments de la Haggada en langue amazighe ont été découverts à Tinghir, au sud-est
du Maroc.
THEOS DES BERBÈRES 13
25. Cf. Lefebvre Gustave, Grammaire de l’égyptien classique, Imprimerie de l’Institut Français
d’Archéologie Orientale, Le Caire, 2ème édition, 1955
26. Cf. Laronde André. Alexandrie et Cyrène. In: Alexandrie : une mégapole cosmopolite.
Actes du 9ième colloque de la Villa Kérylos à Beaulieu-sur-Mer les 2 & 3 octobre 1998. Paris :
Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1999. pp. 91-112. (Cahiers de la Villa Kérylos, 9)
27. Cf. Dumont Jean-Paul, La philosophie antique, PUF, Collection Que sais-je, Paris, 1962,
chapitre 3
14 LAHCEN OULHAJ
28. Cf. Couloubaritsis Lambros, Aux origines de la philosophie européenne, De Boeck, Bruxelles,
2003, chapitre 8,pp. 629 et suiv.
29. A l’époque, le schisme ne s’était pas encore produit. Le christianisme était uni autour des
conclusions du Concile de Nicée. C’est beaucoup plus tard, en 1054, qu’a eu lieu la première
rupture entre les deux églises de Rome et de Constantinople, suite à des querelles théologiques,
comme celle du Filioque (Pour Rome, le Saint-Esprit procède du Père et du Fils, tandis que pour
les Orthodoxes, il procède du seul Père).
30. Cf. Guernier Eugène, L’apport de l’Afrique à la pensée humaine, Payot, Paris, 1952. La
partie III y est consacrée à l’apport de la Berbérie.
31. La doctrine d’Arius, qui préfigure l’islam, se résume en ces quatre propositions : i) Dieu
est unique et non engendré. Tout ce qui est en dehors de lui est créé ex nihilo par sa volonté ;
ii) Le Logos est un intermédiaire entre Dieu et le monde, antérieur au monde mais non éternel :
il fut un temps où le Logos n’existait pas ; iii) Le Logos est donc créé, il est engendré mais cet
engendrement doit s’entendre comme une filiation adoptive (Dieu inspire le Logos, le Christ, le
Fils de l’Homme mais il est une créature naturelle et mortelle que Dieu a « pris sous son aile »
; iv) Le Logos est alors faillible par sa nature, mais sa droiture morale l’a gardé de toute chute.
Il est inférieur à Dieu, mais il est une créature si parfaite qu’il n’en peut être créée qui lui soit
supérieure.
THEOS DES BERBÈRES 15
32. La doctine d’Alexandre est à la base de la doctrine catholique trinitaire. Elle peut se résumer
par les principes suivants qui figurent dans la profession de foi préparée par Ossius de Cordoue
à l’attention d’Arius afin que celui-ci renie sa doctrine et qu’il rallie celle de ses adversaires, au
Concile d’Antioche, en 325 : i) Il reconnaît un seul Seigneur Jésus-Christ (en quoi la seigneurie
se déplace du Père vers le Fils), qui est fils unique engendré et non créé ; ii) Le Fils existe depuis
toujours (on reconnaît l’influence de la théologie de Jean) ; iii) Il est immuable et inaltérable (en
quoi on reconnaît l’influence du néo-aristotélisme) ; iv) Il est l’image non de la volonté mais de
l’existence réelle du Père. Arius avait refusé cette profession.
33. Faute de place, nous ne pourrons pas parler du mouvement berbère des Circoncelliens et de
Firmin qui relèvent de la même tentation de schisme, pour résoudre une question sociale à travers
la théologie. C’est dire que le principal pour les Berbères n’est pas la religion, mais le social.
16 LAHCEN OULHAJ
34. Cf. Abbé Vincent Serralda et André Huard, Le Berbère... Lumière de l’Occident, Nouvelles
Editions Latines, Paris, 1989. Voir aussi Collectif, Prévot et ali., L’Afrique romaine, 69-439,
Atlande, 2006.
35. Rappelons que Martin Luther avait appartenu à l’ordre des Ermites Augustiniens, de 1505 à
1521, avant de lancer la Réforme en 1521, sur la question des Indulgences, une question d’Ethique,
un peu comme une revanche des Donatistes sur les Augustiniens, une revanche de l’unification de
l’Eglise et de l’Etat sur leur séparation.
36. Notons que la trinité n’est pas étrangère à Platon dont la philosophie accorde une place
particulière au chiffre 3. Pour lui, comme la condition humaine (on naît, on vit, puis on meurt,
toujours en trois phases, presque tout, âme, corps, société... se divise en trois composantes. Ce
caractère sacré du chiffre 3 va être repris par l’islam.
37. Cf. Guernier Eugène, L’apport de l’Afrique à la pensée humaine, op.cit.
THEOS DES BERBÈRES 17
38. Ibn Khaldoun parle au XIV ième de petit royaume chrétien dans le Tafilalt. D’un autre côté,
une tribu zénète de confession semi chrétienne, semi kharidjite, en tout cas anti-musulmane,les
Zkara, a été découverte au Maroc, dans la région d’Oujda, en 1904. Voir Auguste Mouliéras, Une
tribu zénète anti-musulmane au Maroc, les Zkara, Ed. Augustin Challamel, Paris, 1905.
39. Voir pour cela Guernier, op. cit.
40. Mohammed ben Jaafar El Kettani rapporte, dans sa Selwat Al-Anfas(), la légende des sept
hommes Ragraga qui se seraient rendus à la Mecque et qui se seraient entretenus avec le prophète
de l’islam en langue berbère et qui seraient revenus au Maroc pour répandre la nouvelle foi. Cette
légende esr répandue et présente plus d’une version. Michaux-Bellaire, op. cit., dans sa conférence,
sur ”l’islam marocain”, émet l’hypothèse vraisemblable que les sept Regraga se seraient rendus
plutôt à Azemmour, capitale des Berghwata, pour rencontrer le prophète de ces derniers qui
leur aurait effectivement parlé berbère. Evidemment, après la victoire définitive de l’islam des
Almohades sur les Berghwata, la Mecque devait remplacer Azemmour.
D’un autre côté, Michaux-Bellaire, op. cit. écrit dans la conférence citée ce qui suit (p. 121) :
”En 628, le Prophète s’était emparé du territoire des juifs de Khaïbar, dans le Yémen, et il en
avait chassé les habitants, les obligeant même à quitter l’Arabie. Les uns se retirèrent dans l’Iraq
et dans la Syrie, les autres passèrent en Afrique, et après avoir traversé le désert où quelques uns
d’entre eux s’établirent, ils finirent par arriver au Maghreb El-Aqça (le Maroc)”.
41. Cf. El Kettani, en arabe :
، ث ثة اجزاٍء،تحقيق محمد بن علي الكتاني... سلوة ا نفاس ومحادثة ا كياس،محمد بن جعفر الكتاني
2005 نشر بالرباط في
42. Guernier Eugène, La Berbérie, l’Islam et la France, Editions de l’Union Française, Paris,
1950, 2 tomes.
18 LAHCEN OULHAJ
43. Cf. Gardet Louis et Anawati M.-M., Introduction à la théologie musulmane, essai de théolo-
gie comparée, Librairie Philosophique J. Vrin, Paris, 1948
44. بسم الله الرحمن الرحيم إنما المسيح عيسي ابن مريم رسول الله وكلمته ألقاها إلى مريم وروح منه
.
THEOS DES BERBÈRES 19
53. Ces événements sont directement liés à l’émergence du royaume des Berghwata. Ils ont
aussi un rapport avec l’effondrement de la dynastie des Omayyades à Damas et la montée des
Abbassides à Baghdad, vers l’est et plus loin de l’Afrique du Nord, en 750.
THEOS DES BERBÈRES 21
54. Cf. La thèse de doctorat de Dar Al Hadith de Mohamed Ben Hassan Chourhabili, 1978 :
١٩٩٥ طبعة، يحي ابن يحي الليثي و روايته للموطأ جامعة القرويين أكادير،محمد بن حسن شرحبيلي
55. En réalié, le premier Calife almohade était le chef religieux Mohamed Ibn Toumart, décédé
en 1128-30 et dont la mort aurait, selon Ibn Khaldoun, été cachée durant deux ans, pour que
l’étranger à la tribu, Abdelmoumen, ne lui succède pas.
56. Notons que les Turcs ont introduit le rite Hanafite au Maghreb central et oriental.
57. Voir les travaux de Michaux-Bellaire, Archives Marocaines, op. cit.
22 LAHCEN OULHAJ
Pendant cette quatrième période, l’islam populaire a connu une grande décentral-
isation et un redéploiement des théories chi’ites et mystiques. Dans cet islam,
plusieurs couches se sont superposées, chacune provenant d’une phase donnée de la
longue histoire, plus ou moins continue, de l’Afrique du Nord, dans la mesure où
les Berbères ont souvent essayé d’éviter les ruptures. Pour s’en convaincre, il suffit
de voir comment Dihya, se sachant condamnée, a ordonné à son fils de rejoindre
l’ennemi, ou plus près de nous, comment Mouha Ouhammou Izzeyyi et Assou ou
Baslam sont passés de la période précoloniale au Protectorat ou encore comment
El Glaoui est passé de ce dernier au Maroc indépendant.
58. Youssef Ou Talakatin serait le 8ième Imam, dans le cadre de la doctrine ismaïlite fatimide,
dominante à l’époque.
THEOS DES BERBÈRES 23
les faiblesses que les forces de cette culture. Parmi les aspects négatifs relevés fig-
urent le romantisme incurable, la tendance à la rhétorique et au refus de toute
critique extérieure, la propension au conflit interne et aux dissensions entre pays
arabes, le rejet de toute responsabilité de leurs maux sur les autres (impérialisme,
sionisme, Amérique...), rejet des valeurs de l’”Occident” et recherche de sa tech-
nologie (ils veulent la technologie de la télévision, mais pas les programmes de TV
de l’Occident). Le savoir ne se construit pas pour eux, il se transmet. C’est qu’il
avait été donné une fois pour toute. Les arabes magnifient leur passé imaginé. Ils
ont tendance à substituer leurs désirs à la réalité.
A côté de ces défauts, il existe bien sùr des vertus telles que la génorisité, le courage,
l’hospitalité et la cohésion familiale. Un aspect qu’il est difficile d’apprécier, mais
qui constitue, à coup sùr, un facteur de blocage, est le sens de l’honneur et l’hyper
sensibilité à l’humiliation sexuelle.
Tout cela est lié à la vision qu’ont les arabes du monde ; qu’ils divisent en deux
parties, eux-mêmes et les autres (ce qu’ils appellent l’Occident), le bien et le mal.
Cette vision est également liée à l’eschatologie désastreuse musulmane, laquelle sem-
ble avoir connu une rupture avec la disparition du prophète dont la mort paraissait
devoir coïncider avec la fin du monde ou ”L’heure” 59. Toute cette culture-religion
du Moyen-Orient était étrangère à l’Afrique du Nord, jusqu’en 1979. A partir de
cette date, les choses vont commencer à changer.
Ainsi, tant que l’Afrique du Nord était isolée du proche orient et de l’Arabie, tout se
passait à peu près sans problème, du moins pour l’islam populaire. Ce dernier était
spécifique et avait cessé dêtre conquêrant, au moins, depuis le XV I ième siècle. Il
était assez pluriel, divisé en plusieurs confréries et théologiquement peu homogène.
Dans l’islam populaire, on pouvait trouver des ingrédients de toutes sortes. Il y
avait de la pensée et des rites chiites. Il y avait du kharedjisme. Il y avait du
malékisme adapté. Il y avait des croyances et une connaissance de la bible, au-
delà de ce qu’on pouvait trouver dans le Coran. Cet islam populaire était paisible
dans la mesure où il ne prétendait aucunement s’imposer aux non-musulmans. On
peut même dire que la vie dans les campagnes largement démographiquement dom-
inantes était une vie plutôt sécularisée, en ce sens que ce n’était pas le ”fquih” ou
le pouvoir religieux local, ”zaouiya” ou mosquée, qui régissait la vie, mais plutôt
la ”jmaa” ou le conseil profane du village ou de la tribu qui dominait. Même dans
les villes, c’était les ”amines” profanes qui organisaient la vie des différents métiers.
Toutefois, les citadins étaient plus proches du pouvoir religieux et des Oulémas que
ne l’étaient les ruraux.
A côté de cet islam des masses, il y avait un islam des ”lettrés” beaucoup plus
perméable aux enseignements et prescriptions des sources et des fondements et de
leurs tenants au moyen-orient. Pour la plupart de ces Oulémas, les références re-
ligieuses se trouvaient toujours au Moyen Orient et à la Porte Sublime, depuis le
XV I ième siècle, même si l’empire ottoman n’a jamais pu occuper le Maroc, lequel
a su conserver son indépendance politique par rapport au Calife.
L’émergence de la pensée fondamentaliste des Frères Musulmans en Egypte, à par-
tir de 1928, n’a pas pu se développer à l’extérieur de ce pays, avant les années 1980,
sauf peut-être en Algérie à cause de sa politique d’éducation qui consistait à ara-
biser l’enseignement dès les années 1960 en recourant massivement aux enseignants
59. Cf. Casanova Paul, Mohamed et la fin du monde, étude critique sur l’islam primitif, Librairie
Paul Geuthner, Paris, 1911.
24 LAHCEN OULHAJ
Pour les pays de l’Afrique du Nord et, plus particulièrement pour le Maroc,
nous avons déjà fait des propositions 60 de voies pour sortir de la crise théologique
présente. Ces propositions consistent à :
(i) Amener la jeunesse marocaine à considérer que l’islam est une religion et non la
religion ;
(ii) Libérer l’islam du nationalisme arabe ;
(iii) S’attacher à l’esprit de l’islam et se départir de sa lettre qui est datée et local-
isée ;
(iv) Réinsérer l’islam dans l’histoire ;
(v) Résoudre la question du mal et de la justice divine, laissée entière dans l’islam
;
60. Cf. OULHAJ, Lahcen, Propositions pour séculariser la société et normaliser l’islam au
Maroc, dans Abouddahab et Reifeld, Pauvreté, religion et identité nationale, les voies marocaine
et indienne vers la démocratie, Ed. Konrad Adenauer Stiftung et UM5, Rabat, 2016.
THEOS DES BERBÈRES 25
61. Peut-être, pour être plus juste, faudrait-il remplacer ici l’élément égyptien par l’africain, au
moins au sens de l’Afrique du Nord
62. Système de pensée qui se réclame de l’ambition prométhéenne de dominer le monde et la
nature
26 LAHCEN OULHAJ
(2) La seconde est la lutte idéologique, tant au sein des pays développés que
dans les pays musulmans. Un enseignement de l’histoire des religions et
des religions comparées doit être imposé à ces derniers et le respect de la
liberté de religion devrait être une condition sine qua non à l’admission des
pays dans le concert des nations.
Cette seconde stratégie vise davantage l’islamisme officiel que le terrorisme is-
lamiste. A n’en pas douter, les deux vases sont communicants. Le premier est
le lit du second. Il n’y a plus un islam modéré et un islam extrémiste. L’islam est
désormais un et un seul 63. Il y a les islamistes qui veulent assurer la domination par
le prêche et le contrôle ou l’interdiction des libertés religieuses et il y a les islamistes
qui veulent l’assurer par des moyens violents.
A ces derniers, on ne peut opposer que la violence publique légitime et aux seconds,
qui se confondent souvent avec des Etats, les Etats du monde libre doivent imposer
des réformes draconiennes des contenus de l’éducation et du discours des médias
ainsi que l’instauration de l’égalité des sexes et la non-discrimination ainsi que les
libertés religieuses.
Par ailleurs, les Etats qui ont le plus diffusé, dans le monde, l’islamisme de la haine
et du jihad, sont les Etats pétroliers de l’Arabie, depuis surtout les années 1973-74
avec la hausse spectaculaire des prix. Face à cela, les Américains ont bien compris
l’enjeu, depuis 2001. La stratégie mise en place d’indépendance à l’égard du pétrole
du moyen-orient a largement porté ses fruits, depuis 2014. L’Europe a une autre
stratégie à appliquer. Il s’agira d’accélérer la transition énergétique pour sortir le
plus vite possible de l’ère des énergies fossiles et priver ainsi le terrorisme islamiste
de ses moyens de financement, tout en préservant l’environnement.
Références
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رياض النفوس في طبقات علماء القيروان و افريقية و زهادهم و نساكهم
[2] Abou Bakr Al Maliki,
1994 ،بيروت، جزءان، دار الغرب ا س مي،و سير من أخبارهم وفضائلهم و أوصافهم
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[4] Henri Atlan, Croyances, comment expliquer le monde ? Editions Autrement, Paris,
2014
[5] Jacques Attali et Pierre-Henry Salfati, Le destin de l’Occident, Athènes, Jérusalem,
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[8] Casanova Paul, Mohamed et la fin du monde, étude critique sur l’islam primitif, Li-
brairie Paul Geuthner, Paris, 1911.
[9] Couloubaritsis Lambros, Aux origines de la philosophie européenne, De Boeck, Brux-
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[10] Dumont Jean-Paul, La philosophie antique, PUF, Collection Que sais-je, Paris, 1962
[11] El Kettani, Selwat Al-Anfas (en arabe, Rabat, 2005)
[12] Fabbri Renaud, Du djihadisme comme «maladie spirituelle», Causeur.fr, 22 janvier
2016 ; Voir également son livre : Eric Voegelin et l’Orient : Millénarisme et religions
politiques de l’Antiquité à Daech, l’Harmattan, Paris, 2016.
63. Mis à part l’islam chiite, capable d’évolution, puisqu’il dispose d’un clergé.
THEOS DES BERBÈRES 27
[13] Gardet Louis et Anawati M.-M., Introduction à la théologie musulmane, essai de théolo-
gie comparée, Librairie Philosophique J. Vrin, Paris, 1948
[14] Guernier Eugène, La Berbérie, l’Islam et la France, Editions de l’Union Française,
Paris, 1950, 2 tomes.
[15] Guernier Eugène, L’apport de l’Afrique à la pensée humaine, Payot, Paris, 1952.
[16] Ibn Abd Al Hakam, L’histoire de la conquête de l’Egypte, de l’Afrique du Nord et de
l’Espagne 1994 ، مكتبة الثقافة الدينية،فتوح مصر والمغرب
[17] Ibn Ar-Raqiq Al Qayrawani , Tarikh Ifriqiyya wal-Maghrib تاريخ إفريقية والمغرب للرقيق
1990 ، بيروت، دار الغرب ا س مي،القيرواني
[18] Ibn Idhari Al Murrakuchi, Al Bayan Al Mughrib البيان ال ُم ْغرِب في اختصار أخبار ملوك
1998 ، بيروت، دار المفردات،ا ٔندلس والمغرب
[19] Ibn Khaldoun, Kitab Al Ibar العبر وديوان المبتدأ والخبر في أيام العرب والعجم والبربر ومن