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AUTRUI EST-IL MON SEMBLABLE ?

Les notes en italiques sont des indications méthodologiques; Il ne faut en aucun cas les
intégrer dans votre analyse .C’est ici un sujet classique de philosophie en terminale, permettant de
réaliser un travail à la fois sur les concepts, et sur une problématique qui permet de faire progresser
l’interrogation sur la figure d’autrui. Il ne s’agissait donc pas de réaliser une simple description des
différences et des ressemblances entre moi et autrui. Le travail philosophique consiste à élaborer
une analyse qui met en lumière les difficultés et les enjeux d’une telle situation.
Cette dissertation et en grande partie rédigée. Elle tâche de reprendre pratiquement que des
éléments que nous avons vus en classe. Donc le but est de vous montrer comment réorganiser vos
connaissances par rapport à un problème singulier, qui est posé par le sujet de dissertation. Cela
veut donc dire qu’un sujet n’est jamais un thème (autrui) qui doit servir de prétexte pour réciter ce
que vous savez, mais un problème original qu’il faut penser pour lui-même. Pourquoi s’interroger
sur « autrui est-il mon semblable ? » ? Vous devez vous demander ce qui légitime cette question.
Dans mon introduction, j’aurais souligné un paradoxe qui me taraude (car tout penseur est sans
cesse taraudé par des questions… Je vous laisse chercher dans le dictionnaire ce que veut dire
tarauder) : Les Dix Commandements comportent cette injonction : Aime ton semblable comme tu
t’aimes toi-même. Or cette pensée louable est battue en brèche sans cesse par la réalité, où les
hommes se massacrent, se méprisent et se détestent. Les faits contredisent donc le droit divin tel qu’il
est exposé dans l’Ancien Testament. Est-ce que cela veut dire que définitivement l’autre m’est un
étranger ? Qu’est-ce que cela veut dire « être mon semblable » ? Est-ce simplement celui qui me
ressemble ? L’idée d’humanité est-elle impossible ? Les faits (guerres, massacres, et autres
génocides) sont-ils légitimes ? Ou le droit (les Dix Commandements ou la Déclaration Universelle
des droits de l’homme) peuvent-ils réguler ces faits ?
En posant ces questions dans l’introduction, je réalise qu’il y a un problème, et je vais pouvoir
organiser mon plan autour de ce problème.

Conceptualisons les différents termes du sujet (c'est-à-dire voyons quel sens nous allons leur
donner) Autrui est l’autre, celui qui n’est pas moi, l’être que je rencontre, qui s’oppose à moi, tout en
étant le même. Il s’impose comme sujet face à ma liberté. Ce n’est donc pas l’ensemble des individus
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composant l’humanité, ni même les hommes d’une manière générale. Il faut penser autrui comme
une rencontre.
Ce sujet ne permettait pas, sauf en cas de devoir pauvre, de le construire sur le modèle thèse/
antithèse. Il s’agissait de penser mon rapport à l’autre, mon lien avec autrui. Kant aurait pu parler de
la catégorie de la communauté. (Critique de la Raison Pure, analytique transcendantale.) Le
semblable pose la légitimité de la sympathie, de la compassion - ce que nous pouvons appeler la
contagion des consciences- de la reconnaissance - sentiment majeur dans la rencontre avec autrui
selon Hegel et Sartre- ou du respect - qui est la distance accordée à toute personne reconnue comme
une fin en soi selon Kant. Le semblable n’est pas l’identique, ou l’égal. Il n’y a en aucun cas
confusion entre moi et l’autre, ni même identité.
Cela nécessitait un travail d’élucidation du concept, ce qu’on appelle habituellement la
conceptualisation. Ce n’est pas uniquement un jeu de définition. Il faut poser les enjeux de telles
significations, les problèmes qui en ressortent. Par ex. : le semblable est un paradoxe, celui de la
pluralité au sein d’une unité. Autrui et moi nous ne sommes pas un, mais nos caractéristiques peuvent
se penser au sein d’une nature humaine, qui reste une idéalité abstraite dans sa compréhension, car
c’est un terme générique, mais concrète dans ma relation à autrui -je le comprends parce qu’il me
ressemble.
La simple description était stérile, et doit être toujours évitée, car elle ne permet pas de
déterminer de nouveaux concepts, et donc à la réflexion de progresser. Une dissertation ne peut pas
être un constat. Ce n’est pas un relevé distinguant à l’aide de quelques conjectures les arguments
pour ou contre. En aucun cas il vous est permis de réaliser des inductions (partir de quelques cas
particuliers pour dégager des lois générales), qui ne sont que de simples spéculations le plus souvent
basées sur des préjugés. Il vous sera beaucoup plus profitable de prudemment vous interroger à
l’aide des références philosophiques.
Mais la base de toute dissertation est la problématique (Pourquoi se pose-t-on une telle
question ?) Ici nous pouvons reprendre l’interrogation de Husserl, dans les Méditations
Cartésiennes : L’autre s’impose non seulement comme objet perçu dans mon univers perceptif, mais
aussi comme un élément indépassable de ma structure culturelle, sociale, et affective. Autrui est celui
avec qui je partage. Et pourtant il est l’autre, qui ne me reconnaît comme sujet libre, mais au contraire
me choséïfie. Comment saisir le véritable lien que j’entretiens avec autrui ? Est-ce mon prochain,
mon double, ou juste un éternel étranger ?
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I. L’Enfer, c’est les autres. (bien entendu il ne faut écrire les titres de parties
de cette manière. Je ne le fais que pour rendre plus lisible le corrigé, et surtout vous
montrer que j’organise la dissertation autour d’un problème central.)

À travers cette formulation, Sartre pose toute la figure paradoxale de l’autre, non pas comme
l’ennemi, l’étranger, mais comme celui qui est sans cesse présent dans mon existence, même lorsqu’il
n’y a pas une présence physique d’autrui.

1) Autrui, c’est l’autre, celui qui n’est pas moi, et qui en ce sens s’oppose totalement à moi. Il
reste l’objet principal néanmoins de mon univers perçu ; c'est-à-dire ainsi que l’explique Deleuze
dans la préface de Vendredi autrui représente une structure qui me permet de construire ma propre
identité, de par sa différence. Parce qu’il est autre, autrui est celui qui me distingue et qui me
témoigne de ma propre existence. « Et ma solitude n’attaque pas que l’intelligibilité des choses. Elle
mine jusqu’au fondements même de leur existence. » écrivait Robinson, seul sur son île. Mais dans le
même temps il reste celui qui m’objectivise, me prend pour objet de sa propre perception, et dans ce
sens il me prive de ma liberté de sujet. C’est donc un paradoxe que Sartre a très bien
souligné: « Autrui est le médiateur entre moi et moi-même » mais il reste celui qui me juge, qui me
vole ma singularité, et donc qui s’oppose à moi. À cause d’autrui je dois être lâche, de mauvaise foi,
jouer sans cesse un rôle, pour me masquer, me préserver de son regard, qui n’est pas le mien, et qui
dés lors me dévisage. Autrui est celui que je ne suis pas, par lequel je suis, et contre lequel je suis.

2) D’ailleurs Hegel, dans La Phénoménologie de l’Esprit, a très bien exprimé cela au travers
du célèbre passage de la dialectique du maître et de l’esclave, ou lutte des consciences. Le philosophe
matérialiste anglais du 17ème siècle, Hobbes, avait analysé que les relations les plus naturelles entre
les hommes étaient conflictuelles, car basées sur trois passions primaires : la méfiance, la rivalité et la
fierté. Et à l’état de nature de nature, les hommes connaissent une perpétuelle guerre de chacun
contre chacun (cf. son ouvrage politique majeur, Le Léviathan (le texte se trouve dans votre
manuel).). Hegel traduisit cela avec l’idée de reconnaissance. L’autre ainsi est vécu comme la
conscience que je dois nier, le rationnellement négatif, pour pouvoir m’assumer dans ma liberté. Si je
ne suis reconnu par l’autre je ne me peux saisir ma propre réalité, et je ne vis que sur le mode
sensible. "Pour se faire valoir et être reconnue comme libre, il faut que la conscience de soi se
représente pour une autre comme libérée de la réalité naturelle présente. Ce moment n’est pas
moins nécessaire que celui qui correspond à la liberté de la conscience de soi en elle-même."
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(Propédeutique philosophique) Autrui ne peut en aucun cas être mon semblable, car je veux me
différencier pour m’affirmer. L’opposition est plus naturelle que l’accord. Je ne peux me confondre
avec l’autre.

3) Cela est d’ailleurs parfaitement illustré dans la recherche cartésienne de la vérité, qui
déboucha sur le cogito. A la fin de la 1ère Méditation Métaphysique, Descartes tombe dans un réel
désespoir, car il ne peut s’appuyer sur une seule des certitudes qu’il possédait auparavant. Il a rejeté
entre autre l’existence d’autrui, mais il éprouve la sienne au sein de la liberté du doute : « […] Il
n’est en mon pouvoir de parvenir à la connaissance d’aucune vérité, à tout le moins il est en ma
puissance de suspendre mon jugement. » Cette solitude face à un Malin Génie qui peut le tromper
entièrement est sa seule puissance. C’est parce que Descartes lui se sait être un individu, différent des
autres, qu’il peut douter de leur existence sans douter de la sienne ; et c’est parce qu’il s’isole des
autres qu’il peut ainsi éprouver la réalité de ses connaissances. Ce doute indubitable va lui permettre
ensuite, à l’aube de la seconde méditation, de reconnaître la certitude de son existence, par le je
pense, je suis. Puis c’est grâce à L’analogie qu’il pourra comprendre qu’autrui existe tout comme lui.
« Mais je juge que ce sont des hommes, et ainsi je comprends, par la seule puissance de juger qui
réside en mon esprit, ce que je croyais voir de mes yeux. » (2ème Méditation Métaphysique) Husserl
précisera dans cinq conférences prononcées à la Sorbonne consacrée à l'œuvre de Descartes [les
Méditations Cartésiennes (1929)] que c’est au travers de l’expérience corporelle, celle du toucher de
mon propre corps, des sensations de douleur, que je comprends qu’autrui n’est pas simplement un
objet, mais un être qui me ressemble, dont je suis proche, car il réagit comme moi. Mais cette
analogie implique que je sois différent de manière symétrique d’autrui. Pour qu’il soit mon miroir,
pour que je le juge identique, il faut que j’éprouve son individualité, mon individualité, et donc notre
différenciation, notre altérité. C’est là la résolution du premier paradoxe énoncé : autrui est différent
de moi dans la réalité, et dans la construction de mon image, mais il est semblable dans mon
jugement qui le comprend au travers de l’analogie. Il s’agit de deux dimensions différentes, celle
de l’existence -je vis sur le mode du pour-soi-, et celle de la connaissance -qui tend naturellement
vers la communauté des consciences.
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II. Autrui, structure du champ perceptif Deleuze.

Son commentaire de Vendredi ou les Limbes du Pacificique offrait l’occasion à Gilles Deleuze
d’analyser le rôle de la présence d’autrui. Nous allons pouvoir non pas suivre sa réflexion pas à pas,
mais nous en inspirer pour comprendre le lien qui nous unit à autrui, lorsque nous avons compris
-suite à la première partie de la dissertation- que l’altérité (caractère de ce qui est autre) est
nécessaire pour que je puisse me construire face à autrui. Deleuze cherche à expliquer le mystère
d’autrui qui n’est ni sujet ni objet à part entière lorsque je le perçois. Car il est tout d’abord un être
que je perçois. J’en fais l’expérience lorsque je le rencontre. Mais pour détourner une célèbre formule
de Kant, si toute ma connaissance d’autrui débute avec l’expérience, cela ne prouve pas qu’elle
dérive toute de l’expérience. Il se peut que qu’autrui représente le monde dans lequel je vis, et ainsi
celui qui me ressemble, qui vit comme moi, qui vit ce que je pourrais vivre, et qui d’une part
m’assure la réalité de ce que je ressens, d’autre part la certitude de ce qu’il serait possible de
ressentir.
Michel Tournier fait écrire à Robinson une des significations des personnages humains dans un
paysage peint: « Lorsqu’un peintre ou un graveur introduit des personnages dans un paysage ou à
proximité d’un monument, ce n’est par goût de l’accessoire. les personnages donnent l’échelle et, ce
qui importe davantage encore, ils constituent des points de vue possibles qui ajoutent au point de
vue réel de l’observateur d’indispensables virtualités. » (Vendredi ou les limbes… p53, éd folio.)
Qu’est-ce à dire ? Simplement qu’autrui est indispensable car je ne peux me contenter de mon seul
point de vue. Il est trop pauvre pour que ma conscience du monde, elle bien plus riche au travers de
mes souvenirs et de mon imagination, ne vacille pas, car alors je tomberais dans l’incessante angoisse
d’avoir perdu ce que je connaissais.

Nous allons étudier comment s’organise ce lien :

1) L’autre est celui avec qui je m’accorde au travers du langage, qui est une rencontre
originaire des consciences. C'est-à-dire que le langage ne correspond pas à une harmonie préétablie à
l’origine du monde par un quelconque dieu ; mais le fait que nous puissions tous nous comprendre à
l’intérieur d’une communauté implique que notre intelligence et notre perception du monde aient été
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formées sur le même schéma constructif. Nous ne pensons pas tous de la même manière -fort
heureusement d’ailleurs, car cela serait assez ennuyeux, mais nous pensons dans le même monde
rempli de sens. Autrui ne plaque pas un mot sur un objet qu il aurait pensé auparavant, et qu’il me
transmet comme un code artificiel, tel que le morse. Cela laisserait un langage très limité. Chaque
mot est au contraire porteur d’un sens si riche, si subtil, que je ne pourrais le comprendre si je ne
vivais pas dans le même univers qu’autrui. « Ce n’est pas avec des « représentations » ou avec une
pensée que je communique d’abord, mais avec un sujet parlant, avec un certain style d’être et avec
le « monde » qu’il vise. » explique Merleau-Ponty dans La Phénoménologie de la perception (p214,
éd Tel.)

2) Husserl, dans la 5ème Méditation Cartésienne, appréhende encore davantage le


problème de l’existence d’autrui, en n’analysant pas le fait que ce soit un sujet conscient, mû par une
intentionnalité, par ce mouvement qui converge avec ma propre intentionnalité dans le langage
notamment, mais c’est aussi un objet qui pose problème dans mon champ perceptif. Car je partage
autre chose que des couleurs, des formes et des sons avec autrui. Il est celui qui m’entoure
culturellement, socialement, affectivement. Leibniz avait construit le concept de monade qui serait
une substance simple, caractérisée par sa faculté à percevoir, et on peut dire que chaque monade
perçoit l’univers à sa façon. Nous sommes tous des monades raisonnables qui se comprennent grâce
à une harmonie préétablie par Dieu. (Leibniz explique tout cela dans un ouvrage intitulé La
monadologie.) Husserl appelle cela L’intersubjectivité. Autrui n’est pas un être qui est identique à
moi, ou même qui est égal à moi (il ne faut donc pas confondre les catégories du semblable, de
l’identique, et de l’égalité), mais il est mon alter ego, c'est-à-dire un autre moi devant le monde. "Le
sens d’une communauté des hommes (…) implique une existence de l’un pour l’autre" précise
Husserl, ce qui veut dire que le monde de l’autre me touche, donne du sens à mon expérience du
monde. On ne peut pas comparer deux consciences, comme le concept d’identique pourrait nous y
inviter, car deux consciences ne se mesurent pas. Mais le monde de l’intersubjectivité, qui est celui
de la rencontre, saisit la réalité communautaire entre moi et mon alter ego. Nous ne vivons pas les
uns à côté des autres, mais les uns avec les autres. L’art d’ailleurs est là pour nous le démontrer. Le
fait que nous soyons sensibles aux mêmes représentations esthétiques illustre notre communauté
d’esprit (par ex. la mode montre que je partage une même sensibilité).

3) Nous pouvons dés lors introduire le concept de sympathie, communion des pathos ; la
compassion, et les sentiments de respect, d’amour, qui ne se réalisent que dans le cadre d’une
communauté, donc lorsque autrui est mon semblable. Il est faux de dire que la pitié, par exemple, que
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Rousseau considérait comme un sentiment moral naturel, soit basée sur une simple analogie. Ce n’est
pas à partir d’une réflexion, recul raisonnable mais étendu dans le temps, et surtout partie d’un
égoïsme conscient (j’ai pitié de l’autre, car je m’imagine dans la même situation, et c’est cela qui me
fait mal.). la pitié est davantage une compassion nourrie par la contagion des consciences, qui
déborde le solipsisme, la solitude métaphysique héritée du cogito, pour participer littéralement à la
douleur de l’autre. De même la sympathie est cette capacité à reconnaître dans l’autre un semblable
qui ressent, qui pense, qui s’émeut tout comme moi. Le respect enfin est cette reconnaissance de
l’autre non plus comme un opposé à moi-même, de manière symétrique ou non, une image reflétée
dans mon miroir lorsque je m’admire, mais une personne qui possède sa propre finalité et qui existe
au même titre que moi.

III. Autrui, mon prochain ; et le concept d’humanité.

1) Posée ainsi, l’humanité reste une réalité dont moi et autrui nous ne sommes que les
expressions. Effectivement ce concept pose problème sur le plan ontologique. Il n’y a que les
individus qui sont réels, que je peux rencontrer, que je peux expérimenter, et l’humanité est un
Universel, effet du langage. Guillaume d’Occam (1285-1347), philosophe scolastique, pensait
d’ailleurs qu’il ne fallait jamais multiplier les êtres sans nécessité. Et donc l’idée d’humanité, même
si elle est belle, reste inutile. Il est clair que la morale retravaillée sous cet angle peut changer
radicalement. Mais l’analyse husserlienne de l’intersubjectivité montre que moi et mon alter ego,
nous pouvons nous penser uniquement à partir d’un nous supérieur, qui n’a rien de métaphysique,
comme l’harmonie préétablie leibnizienne, ou même de théologique, comme l’idée du genre humain
crée par Dieu ; mais qui est la réalité du monde objectif, c'est-à-dire celui que je perçois, qu’autrui
perçoit, et qui forme un champ commun. L’humanité est cette réalité qui englobe tous les points de
vue possibles des consciences qui communiquent, qui se comprennent. Dire que nous sommes les
expressions de cette réalité signifie que nous sommes non pas autant d’éléments d’un groupe, mais
que nous représentons une partie d’une communauté de consciences. Je ne peux penser à partir de
moi, de mon ego seul, de mon individualité, mais à partir de ce lien supra individuel.
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2) Dans ce sens, l’autre devint un véritable alter ego, une figure fraternelle. Je peux le nommer
mon prochain. C’est une figure fraternelle envers laquelle je suis engagé. Je ne puis être indifférent.
Cette question développe ainsi une dimension morale, qui dépasse la simple intersubjectivité. Mon
alter ego est celui que je dois privilégier dans mon univers perçu, et je dois le mettre au-dessus du
reste du monde, au dessus de la nature. C’est pour cela, comme le notait déjà Malebranche, qu’il faut
préférer son ami à son chien, que le plus mauvais cocher mérite meilleur traitement que son cheval.
L’humanité fait d’autrui celui qui est avec moi, avec lequel je partage. Il ne doit servir de moyen pour
parvenir à mes fins, et il ne doit pas être négligé comme simple élément au milieu de mes desseins.
Le concept de semblable permet donc clairement d’introduire une morale humaniste, qui place la
personne au sens kantien du terme (qui comporte sa propre finalité) au centre de mon action : "Agis
toujours de telle que tu considères l'humanité aussi en ta personne que celle d'autrui non pas comme
un moyen mais comme une fin".

3) Cependant cette compréhension de la dimension morale du semblable n’exclut pas un


dernier problème : Descartes parvient tout au long de ses Méditations Métaphysiques à oublier la
présence pourtant fort probable d’autrui, pour la considérer comme fausse ; et il réussit à reconstruire
la conscience de soi, la conscience de Dieu, et la conscience du monde extérieur, avant d’admettre
que les"capes et chapeaux" ne couvrent pas raisonnablement des automates, mais bel et bien des
hommes. Il n’a nul besoin d’autrui ! L’altérité est représentée par Dieu. Certes il ne s’agit pas du
semblable, car Descartes avoue ne pas pouvoir connaître Dieu. Mais si Descartes réussit à s’isoler des
autres, à douter de leur existence, c’est qu’il pensait la sienne dans un rapport à Dieu. Pour suivre
rigoureusement le cheminement du doute méthodique, il s’oppose-il y a d’ailleurs là l’idée d’une
volonté de reconnaissance- au Malin génie, qui le trompe infiniment. Et Descartes éprouve la réalité
de son existence au travers de sa pensée. Une pensée solitaire, où les autres n’ont pas besoin d’être
présents, car c’est la puissance du Malin Génie qui lui assure que ce n’est pas une illusion ; autrement
il tomberait dans un doute perpétuel, celui des sceptiques. C’est donc la présence de cet Autre, et
dans une certaine forme de communication avec lui, qu’il éprouve la réalité de son être. Mais en
dehors de cette démarche intellectuelle particulière appelée solipsisme, Autrui est nécessaire, car
fondement de toute conscience. Il reste celui qui m’affirme que j’existe, que je suis.

Husserl en 1929 écrivit une conférence dans laquelle il reprenait le projet cartésien des
Méditations. Mais il voulut introduire la problématique d’autrui en refusant de fonder l'altérité
sur le personnage de Dieu. En effet sa démarche était phénoménologique, c'est-à-dire qu’elle
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étudiait le développement de notre conscience d’être comme un phénomène saisi de l’extérieur,


observé. Descartes lui développait une recherche intérieure.
Husserl ne pouvait observer la non-existence du monde, donc il préfère au doute une
simple mise entre parenthèse - Epoqué- du monde (époquè voulant dire en grec la suspension
du jugement.) Dés lors ni Dieu, ni le Malin Génie interviennent dans ce qui sera publié sous le
titres des Méditation Cartésiennes. Et Autrui joue un rôle considérable, étudié durant toute la
cinquième méditation. Si vous avez rien à faire lors d’une soirée, lisez-la…

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