ils font l'objet sont profondément injustes.
ciaire ; sept sont laissées en liberté à la suite
M. Jean Daniel dénonce e ce qui se passe
dans la tête des juges ». N'eût-il pas mieux
fait d'examiner de plus près les motivations
(juridiques) des jugements qu'il conteste —
c'est-à-dire les attendus clairement exprimés
d'une sentence publique --, plutôt que de
spéculer sur des motivations (psychologiques)
que nul ne peut connaître'?
Abandonnons les supputations pour les faits.
Le 23 mars, des exactions ont été commises
ce sont autant d'infractions. La police pro-
cède, sur place et dans l'instant, à de nom-
breuses interpellations : plus d'une centaine.
Sur ce nombre, le Parquet de Paris ne retient
que quarante-huit individus. Plus de la moitié
des personnes interpellées regagnent librement
leur domicile, à l'abri de toute poursuite. Bien
qu'il y eût sans doute parmi eux plus d'un
« casseur » le parquet avait estimé insuffisam-
ment probantes les charges retenues.
Le Parquet se fait présenter les quarante-
huit personnes restantes. Il étudie les procé-
dures établies contre elles par la policé judi-
La manifestation du 22 mai à Paris
Il faut revenir à la définition qu'on donne, en démocratie, de l'innocence
au nom desquels M. Alain Peyrefitte s'ex-
prime avec la solennité de la diversion. Si
bien que, pressé d'en arriver à l'essentiel,
et pour rester dans le ton de mon honorable
interlocuteur, je serais bien enclin à pro-
clamer, tel César dans la pièce de Marcel
Pagnol, à la fin de la célèbre partie de
cartes : « Mais je l'aime, moi, la magistrature
française, je l'admire Au risque d'ail-
leurs de m'entendre faire la non moins célè-
bre réponse d'Escartefigue. Soyons sérieux :
M. Peyrefitte, au début et surtout à la fin
de sa réponse, veut qu'on parle des magis-
trats 1 Eh bien, soit. Parlons-en.
Extirpons, pour déblayer le terrain, la mau-
vaise herbe de sa conclusion — in cauda
venenum. Nomerier, dit-il, c'est déjà mena-
cer. Or je n'ai nommé aucun des magis-
trats qui ont prononcé un verdict. J'ai cité
deux noms, ceux des procureurs Beteille et
Sadon. Ce ne sont pas, que je sache, des
juges. Il se trouve, au surplus, que je n'ai
pas mis en cause leur probité mais le
mettre de mieux préparer leur défense. A ces
de cet examen. Dans neuf autres cas, le Par-
quet estime nécessaire l'ouverture d'informa-
tions ; des juges d'instruction sont saisis. Au
terme de ce minutieux filtrage, les trente-deux
qui demeurent font l'objet de procédures de
flagrants délits. Le Parquet a estimé que les
faits reprochés à ces trente-deux personnes
étaient manifestes, qu'elles avaient été pour
•ainsi dire prises « la main dans le sac ».
Qu'on cesse donc de cultiver l'image de
magistrats saisissant et frappant au hasard.
Le Parquet a joué, dans cette affaire, son
rôle normal de contrôle et de discernement.
Et ensuite ? Voyons les choses de plus près.
Les trente-deux prévenus ont comparu devant
le tribunal, le 26 mars ; quatre ont été jugés
le même jour ; treize ont été remis en liberté,
les audiences de jugement étant fixées au
4 avril ou, pour trois d'entre eux qui ont
fait l'objet d'expertises psychiatriques, au
28 mai. Le tribunal en a maintenu quinze
•en détention, en renvoyant aux 2, 3 et 4 avril
l'examen au fond de leur cas, pour leur per-
fait qu'ils étaient informés des risques de
la procédure des flagrants délits et • que
M. Sadon avait même cru devoir la justifier.
Mais parlons des juges eux-mêmes. Ils
ont évidemment droit à cette justice que
réclame pour eux M. Peyrefitte. Mais il
•appartient à l'opinion, et donc à la presse,
de contrôler la façon dont ils exercent leur
fonction. Ils ont des comptes à rendre non
seulement à leur conscience mais à la.na-
fion. Comment un garde des Sceaux peut-
il négliger le fait que c'est, précisément,
pour permettre un contrôle populaire que
les législateurs ont exigé la publicité des
débats ? Affirmer, comme le fait plus ou
moins explicitement M. Peyrefitte, qu'on
porte atteinte à l'honneur de la magistrature
lorsqu'on exerce ce contrôle populaire, c'est
être infidèle 'à l'esprit comme à la lettre de
la constitution. L'audience publique ayant
révélé les bases de l'accusation et de la
défense, nous avons pu, conformément à la
loi, nous prononcer sur l'une et sur l'autre.
dates, le tribunal a rendu ses décisions. Peut-
on dire que c'était sous le coup de l'émotion ?
La cour a statué sur certains appels les
23 avril, 10 et 23 mai. Elle examinera les
autres affaires le 1" juin. Parler, dans ces
conditions, de décisions hâtives, faussées par
la passion, c'est franchir les bornes. Il n'y a
pas de flagrant délit en appel.
Je ne peux admettre non plus les déclara-
tions du genre : « Depuis le 30 mars, des inno-
cents sont emprisonnés pour l'exemple ». D'au-
tant plus qu'une lecture attentive de l'article
où je relève ces mots montre que son auteur
prend ce mot d'innocent en un certain sens,
qui n'a rien... d'innocent. L'innocence n'est
pas, dans cet article, la non-culpabilité ; l'in-
nocence, ce serait un mélange de naïveté,
d'esprit de révolte et d'inexpérience. Qui
seraient ces « innocents » ? e Ceux qui, par
entraînement, contagion, mimétisme, auraient
désormais tendance à considérer les terroristes
comme de nouveaux héros. »
Qui ne voit que c'est là jouer sur les mots ?
Et ce jeu est grave, puisque sur lui s'appuie
l'accusation selon laquelle des juges auraient
condamné sciemment des « innocents » ! Un
délinquant, fût-il jeune, naïf, plein d'illusions
et vierge d'expérience, n'est pas un innocent,
mais un délinquant.
Certains considèrent sans doute que les
infractions commises par des jeunes doivent
échapper au jugement commun ; nombre des
réactions actuelles s'expliquent parce que
plusieurs des condamnés sont lycéens ou étu-
diants.
Il faut donc rappeler que la jeunesse fait
partie de la société, et qu'elle doit en respecter
Abordons enfin l'essentiel. Je ne discu-
terai pas le rappel des faits auquel procède
le ministre. Il n'y a rien à reprendre, non
plus, paraît-il, au cours de droit administra-
tif irréprochable qu'il nous inflige. M. Pey-
refitte a décidé de parler de la Justice telle
qu'elle devrait être. Nous nous sommes mis
en tête de parler de la Justice telle qu'elle
est. Il est normal dans ces conditions que
nous ne nous rencontrions pas. Mais, si nos
chemins sont différents, on verra que ce
n'est pas un hasard. J'ai dit et je maintiens
qu'il faut revenir à la définition qu'on donne
en France, et en démocratie, de l'innocence
c'est un homme dont la culpabilité n'a pas
été prouvée. C'est un accusé à qui le doute
doit profiter — et non, comme ce fut le cas
récemment, à qui_le doute doit nuire. La lo-
cution « bénéfice du doute.» est suffisam-,
ment expressive. M. Peyrefitte ne dit rien'
sur ce point.
J'ai dit — et je maintiens — qu'en accep-
tant de recourir à la procédure des flagrants
délits pour appliquer la loi anti-casseurs,
,
c'est-à-dire pour juger des délits suscep-
tibles d'entraîner de lourdes sanctions, on
prenait délibérément le risque de condam-
ner des innocents, au sens précédemment
défini de ce terme. Pourquoi ? Parce que l'ar-
restation même d'une personne prise en fla-
grant délit — « la main dans le sac », selon
l'expression du garde des Sceaux — consti-
tue déjà une accusation, une instruction, une
condamnation. Nous avons donné des exem-.
pies précis (et nous continuerons d'en don-
ner) où les droits de la défense n'avaient pas
été respectés, où l'instruction du dossier
Le Nouvel Observateur 55