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Agents anesthésiques halogénés : De la cuve aux neurones

Agents anesthésiques halogénés : De la cuve aux neurones


Nathalie Nathan-Denizot
Département d’anesthésie Réanimation chirurgicale, CHU Dupuytren, Limoges

L’objectif de tout anesthésiste est de délivrer avec la plus grande précisons un agent
anesthésique dont il connaîtrait précisément les effets et la concentration au niveau cérébral.
La vitesse d’endormissement dépend de la vitesse d’obtention d’une concentration cérébrale
donnée en agents halogénés. Le passage de l’agent anesthésique vers le cerveau est le résultat
d’une succession de transferts entre plusieurs compartiments. Du vaporisateur au circuit, du
circuit d’anesthésie à l’alvéole pulmonaire, de l’alvéole vers le sang, du sang vers le cerveau.
La vaporisation des gaz et la pharmacocinétique des agents halogénés est certes connue, mais
la remise à l’honneur des techniques d’induction par inhalation chez l’adulte et la mise à
disposition de nouveau modes d’administration des agents halogénés rendent nécessaires de
revoir l’étape de vaporisation et de distribution des gaz pour mieux comprendre les difficultés
ou erreur techniques qui peuvent survenir en pratique clinique. De même si le mécanisme des
effets hypnotiques des agents par inhalation n’est toujours pas clairement élucidé, les progrès
des sciences fondamentales permettent d’envisager de nouvelles hypothèses et d’entrevoir un
effet protecteur cérébral des agents anesthésiques. Cet effet est cependant tempéré par les
effets de ces agents sur la circulation cérébrale, la pression intracrânienne ou l’électrogenèse
cérébrale dans certaines conditions.

1. De la cuve au circuit
Classiquement, les agents halogénés sont délivrés par un vaporisateur à calibration en
concentration placé en dérivation sur le débit de gaz frais et possédant une chambre de
vaporisation balayée par un débit de gaz frais (figure 1). La vaporisation des gaz est sous la
dépendance des lois physiques et des caractéristiques des gaz (pression de vapeur saturante et
température d’ébullition) (tableau 1). Plus la pression de vapeur saturante est élevée et plus le
liquide est volatil. La pression de vapeur saturante augmente avec la température (figure 2).
Le phénomène de vaporisation des gaz consommant de l’énergie, la température du gaz à
l’état liquide diminue au fur et à mesure de la vaporisation (chaleur de vaporisation : quantité
d’énergie thermique nécessaire pour transformer 1 g de liquide en vapeur à température
constante – cf. tableau 1) et la vaporisation diminue dans le vaporisateur de façon non
linéaire. La température du liquide augmentera de nouveau en fonction de sa chaleur
spécifique (table 1) et des échanges thermiques entre la cuve et le gaz à l’état liquide (quantité
d’énergie à délivrer pour augmenter de 1°C un g de ce liquide). La chaleur spécifique
conditionne la quantité de chaleur que doivent transmettre les parois du vaporisateur pour
empêcher son refroidissement pendant la vaporisation. La masse métallique élevée des
vaporisateurs leur permet d’avoir une conductivité thermique faible et d’être des réservoirs de
chaleur afin d’éviter les variations de température lors de leur utilisation.
Le point d’ébullition est la 2ème caractéristique des gaz conditionnant leur vaporisation. Le
point d’ébullition est la température pour laquelle la pression de vapeur saturante égale la
pression ambiante. Plus le point d’ébullition est bas et plus la vaporisation des gaz sera élevée
à température ambiante. Ainsi, le desflurane dont le point d’ébullition est proche de la
température ambiante doit être délivré par un vaporisateur spécial dont la température et la
pression sont contrôlées pour maintenir constante la quantité de liquide transformée en gaz.
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Tableau 1 : Propriétés physicochimiques des agents halogénés actuellement utilisés


Halothane Isoflurane Desflurane sévoflurane
Pression de vapeur
saturante 243 238 664 160
mm Hg, 20°C
Point d’ébullition 50 49 24 59
°C , 760 mm Hg
Chaleur spécifique 0,19
Cal/ml
Chaleur latente de 65 (20°C) 62 (25°C)
vaporisation cal/ml
λ sang/gaz 2,54 1,46 0,42 0,68
λ Sang/muscle 3,38 2,92 2,02 3,13
λ Sang cerveau 1,94 1,57 1,29 1,70
La concentration de gaz est exprimée en pression partielle de gaz ou en volume %. La
pression partielle de gaz est la fraction de pression totale exercée par chacun des gaz contenus
dans le mélange. La somme des pressions partielles de gaz égale la pression ambiante (la
pression atmosphérique). La pression partielle de gaz ne varie pas avec la pression
atmosphérique mais avec sa température (cf. pression de vapeur saturante). La concentration
de gaz exprimée en vol% est le nombre d’unités de volume de gaz par rapport à un total de
100 unités de volume du mélange gazeux total.
Pression partielle = volume %
Pression totale 100
Ceci explique pourquoi en cas de pression barométrique basse, la pression totale diminue et sa
concentration en vol% augmente lors de l’utilisation de vaporisateurs calibrés en
concentration et la valeur délivrée est plus importante que celle indiquée sur le vaporisateur.
A l’inverse, lorsqu’elle augmente (notamment, en cas de pression > 1ATA) la concentration
en volume % diminue proportionnellement.
Les vaporisateurs actuels sont des vaporisateurs à by-pass variables (appelés encore à
calibration de concentration) par opposition au vaporisateur calibré en débit. Avec les
vaporisateurs à calibration de concentration, le débit de gaz traversant la chambre de
vaporisation est fonction de l’ouverture du bouton de réglage gradué en vol% et calibré
spécifiquement pour chaque agent anesthésique. Ces vaporisateurs possèdent une valve de
compensation qui module la quantité de gaz balayant l’intérieur de la chambre de vaporisation
en fonction de la température (figure 1). Ce système permet de compenser la baisse de
température induite par la vaporisation en augmentant le débit de gaz admis dans la chambre
de vaporisation. De plus l’augmentation de masse métallique des vaporisateurs permet
d’augmenter leur stabilité thermique ce qui évite les variations de température à l’intérieur de
la chambre de vaporisation au gré de la vaporisation et des variations climatiques.
Ces vaporisateurs conçus initialement pour être utilisés avec un débit de gaz frais élevé ont
une précision qui varie avec le débit de gaz frais. Deux phénomènes doivent être connus de
l’utilisateur :
- A faible débit de gaz frais, la quantité proportionnelle de gaz vaporisé augmente ce qui est
source d’un possible sous évaluation par le bouton de réglage de la concentration à la
sortie du vaporisateur.
- Lors du rajout de N2O au mélange en cours d’utilisation, un phénomène analogue à l’effet
2ème gaz peut être observé et se traduit par une diminution de vaporisation et une sous
évaluation de la concentration de sortie de l’halogéné. Lors de l’arrêt d’administration de
N2O l’effet inverse se produit.
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Ces deux phénomènes justifient donc de toujours utiliser un analyseur de gaz avec ces
vaporisateurs.
Des modifications récentes ont été effectuées sur les vaporisateurs à by-pass variable
actuellement utilisés pour éviter l’effet de pompage lié au reflux de gaz et la surpression dans
la chambre de vaporisation notamment en cas de ventilation contrôlée ou de l’utilisation du
by-pass d’O2 (réduction de la taille de la chambre de vaporisation, tube d’admission à la
chambre de vaporisation spiralé ou de grand diamètre, clapet/valve antiretour pour éviter),
l’erreur de remplissage (valve de détrompage, couleur spécifique du vaporisateur), la
mauvaise position et la mise en fonction simultanée de plusieurs vaporisateurs (rampe
sélectatec), le reflux de liquide dans la chambre de vaporisation en cas d’inclinaison du
vaporisateur (système de chicane interne ou système de verrouillage), mise en fonction
involontaire (bouton de débrayage). Les caractéristiques physiques du desflurane (pression de
vapeur saturante proche de 1 ATA et point d’ébullition proche de la température ambiante)
ont conduit les constructeurs à concevoir le vaporisateur TEC 6 pressurisé et thermostaté. Le
remplissage de la cuve se fait grâce à un système de remplissage muni d’un ressort et non
grâce à un système d’entonnoir pour éviter la vaporisation du desflurane dans l’atmosphère
lors du remplissage. Il n’existe pas de chambre de vaporisation à proprement parler car le
desflurane est directement vaporisé dans une chambre de chauffage et la concentration
délivrée dépend du rapport entre le débit de gaz frais traversant le réducteur de débit et le
débit de desflurane gazeux passant au travers de la résistance variable (figure 3).
De nouveaux vaporisateurs ont été mis à disposition de l’utilisateur depuis la fin des années
90 il s’agit du système à cassette de l’appareil ADU de Datex et le vaporisateur du respirateur
Kion de chez Siemens (figures 4 et 5).
Avec le système à cassette, la température dans la chambre de vaporisation est mesurée et
régulée entre 17 et 20°C permettant une stabilité du phénomène de vaporisation. Il existe une
valve d’entrée et de sortie de la chambre de vaporisation ainsi qu’une valve de surpression en
cas de trop plein ou de surpression dans la cassette. La quantité en vol% délivrée par le
vaporisateur est réglée par une valve proportionnelle qui fait varier électroniquement le débit
sortant de la chambre de vaporisation en direction d’une chambre de mélange. Les débits de
gaz frais shuntant ou passant par la chambre de vaporisation sont aussi mesurés par un capteur
électronique. Lors de la mise en place de la cassette un tag magnétique placé à l’arrière de
l’appareil permet la reconnaissance de l’agent halogéné et la clé de remplissage est spécifique
de chaque agent.
Le vaporisateur du desflurane du Kion de chez Siemens est basé sur le principe du
carburateur. L’agent halogéné est injecté par une buse sous forme liquide, à partir d’une
chambre de stockage pressurisée à 110 KPa. Le bouton de réglage de concentration module
mécaniquement le débit de gaz frais qui va se charger en desflurane. Le système n’est pas
chauffé comme dans le Tec 6. Avec ce système, l’analyse des gaz est un impératif quel que
soit le débit de gaz frais compte tenu du risque de surdosage en anesthésique comme c’était le
cas avec le vaporisateur du respirateur Elsa dont le dysfonctionnement de la valve
électromécanique avait conduit par le passé à un surdosage mortel.
Enfin l’injection sous forme liquide dans le circuit grâce à une seringue à piston constitue le
3ème mode de délivrance des agents halogénés. Ce mode d’administration directe permet de
s’affranchir des contraintes de débit de gaz frais observé avec les systèmes placés en parallèle
du débit de gaz frais et de réaliser une véritable anesthésie à objectif de concentration car la
concentration cible est directement obtenue au niveau de la branche expiratoire du circuit. Il
est utilisé par le physioflex et par le système Zeus bientôt commercialisé.
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2. De la cuve à l’alvéole : Ou comment endormir le respirateur avant le malade – Notion


de constante de temps
Si on utilise le circuit filtre pour l’induction de l’anesthésie, le mélange gazeux contenu à
l’intérieur du circuit doit être enrichi au maximum en vapeurs anesthésiques. Cependant, La
position en parallèle des vaporisateurs ralentit l’obtention d’une concentration inspirée
superposable à celle délivrée par le vaporisateur. Ce délai est d’autant plus court que le débit
de gaz frais est élevé et le volume du circuit faible. Si l’utilisateur agit sur le seul débit de gaz
frais, le surcoût et la pollution peuvent être élevé. Réduire le volume du circuit à saturer en
agent anesthésique est une solution élégante et rapide. Ainsi, l’affaissement du soufflet et/ou
du ballon réservoir permet de le réduire environ de moitié. Calculer a priori et précisément la
durée optimale de saturation du circuit est aussi une nécessité économique pour éviter de
prolonger la durée de saturation du circuit plus que nécessaire. Ce calcul est basé sur la notion
de constante de temps. L’évolution des concentrations à la sortie d’une enceinte de volume V
balayée par un débit de gaz de valeur Q permet de définir la constante de temps de cet espace
comme étant le rapport V/Q. En pratique, la concentration de sortie égale 95% de la
concentration d’entrée au bout de 3 constantes de temps. Sachant que le volume d’un circuit
est de 4 l en moyenne, le simple calcul de 3 fois la constante de temps permet de savoir dans
quel délai minimal peut être commencée l’induction en fonction des différents débits de gaz
frais (tableau II). Le tableau montre clairement que l’affaissement du soufflet et/ou du ballon
réservoir du respirateur réduit de moitié le délai et la consommation de gaz alors que
l’augmentation du débit de gaz frais est la technique certes la plus simple à réaliser mais la
plus coûteuse. En pratique, avec un débit de gaz frais de 8 l.min-1, la concentration des gaz
recherchée sera atteinte en environ 1min à 2 min.

Tableau II :
Préparation du circuit : Délai d’obtention d’une concentration de sortie égale à 95 % de
la concentration d’entrée et consommation de sévoflurane (ml de liquide)
Volume estimé du circuit et du respirateur = 4 L
Réglage du vaporisateur = 8 vol %
Un ml de sévoflurane liquide se vaporise en 183 ml de gaz

Débit de gaz 1 l.min-1 4 l.min-1 6 l.min-1 8 l.min-1 12 l.min-1 Consommation


frais de gaz
Soufflet 6 min 1 min 30 1 min 45 sec 30 sec 2,6 ml
affaissé (480 ml)
Soufflet non 12 min 3 min 2 min 1 min 30 1 min 5,25 ml
affaissé

3. De l’alvéole au sang et du sang au cerveau : Importance de la solubilité des gaz et du


coefficient de partition sang / gaz ou sang / cerveau et de la concentration délivrée
Une fois parvenu à l’alvéole, l’agent passe la barrière alvéolo-capillaire. Le passage de l’agent
va dépendre de la différence entre les 2 compartiments de pression partielle de gaz (rôle de la
concentration de gaz), de solubilité de l’agent dans ce compartiment (effet du coefficient de
partage) et de débit sanguin d’organe. Au niveau de l’alvéole le gaz anesthésique se dilue
dans la CRF. Plus la CRF est basse (enfant, obèse) et plus rapide est la vitesse
d’endormissement. La technique de capacité vitale qui consiste à mobiliser les volumes de
réserves est donc une technique qui permet théoriquement d’accélérer la vitesse d’induction.
Cependant l’efficacité de cette technique, limitée par la coopération du sujet, n’est pas
retrouvée par tous les auteurs. Elle est limitée par le délai incompressible de transfert de
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l’agent anesthésique de l’alvéole jusqu’au cerveau et probablement par la distribution de


l’agent vers les différents compartiments de l’organisme. Ainsi, à partir du compartiment
alvéolaire, l’agent halogéné est transféré vers trois compartiments de transfert. Le premier
compartiment est constitué par le groupe des organes richement vascularisés de faible volume
mais perfusés avec un débit élevé et rapidement saturé ; ce groupe inclut les organes cibles de
l’effet pharmacologique recherché ou non comme le cœur, le cerveau, les reins, le foie. Le
deuxième compartiment comporte le groupe muscle-peau assimilable à une citerne de plus
grand volume mais alimenté par un plus faible débit de perfusion. Ce compartiment moins
rapidement saturé constitue une zone de stockage rapide de l’agent halogéné. Enfin le
troisième compartiment dit « profond », de très grand volume mais très faiblement
vascularisé, inclut le tissu graisseux, les tendons.
Plus la différence de pression partielle de gaz est élevée et plus la vitesse d’endormissement
est rapide. L’augmentation de pression partielle peut être obtenue par une délivrance de gaz
élevée (C ° élevée réglée sur le vaporisateur, hyperventilation) ainsi que par l’utilisation
d’agent moins soluble. En effet, plus l’agent est soluble dans le compartiment et plus lente est
la croissance des pressions partielles de gaz. Le faible coefficient de partition sang-gaz des
agents les moins liposolubles permet d’expliquer une vitesse d’endormissement plus rapide
comme avec le sévoflurane ou une maniabilité plus grande comme avec le sévoflurane et le
desflurane par comparaison à l’isoflurane. Cependant, bien que le sévoflurane soit 2 fois plus
soluble que l’isoflurane, la vitesse d’endormissement n’est pas 2 fois supérieure. Deux raisons
peuvent être avancées :
- La concentration utilisée est un facteur plus important que la solubilité sang gaz de l’agent
utilisé dans la cinétique d’endormissement.
- De même la vitesse d’endormissement dépend aussi du transfert du sang vers le cerveau.
Or le coefficient de partage sang-cerveau du sévoflurane est similaire voire légèrement
supérieur à celui de l’isoflurane ce qui aboutit à une constante de transfert sang/cerveau
similaire et à un ralentissement de la vitesse d’endormissement. Avec le desflurane par
contre l’adaptation du niveau d’anesthésie est plus rapide car sa constante de transfert est
trois fois supérieure [1, 2].
Du fait de ce décalage entre la pression partielle de gaz au niveau du sang et celle au niveau
du cerveau, le délai d’endormissement ne peut être apprécié par la concentration alvéolaire.
L’analyse de la concentration expirée ne peut donc pas aider à déterminer la profondeur
d’anesthésie lors d’une induction par inhalation ou moins de 2 min après une adaptation de
posologie. En pratique clinique, il est classique de considérer que seul le compartiment
richement vascularisé influence la cinétique d’endormissement. Ceci supposerait que les
compartiments ne sont mis en fonction que progressivement. Ceci n’est évidemment pas vrai
notamment chez les sujets possédant un compartiment musculaire fortement développé et/ou
alimenté par un débit cardiaque d’autant plus élevé que le sujet est stressé ou est augmenté
lors des gestes douloureux (intubation par exemple). Un endormissement rapide suivi d’un
réveil transitoire a été observé chez des sujets jeunes au cours de l’induction au masque. Ces
phases de réveil secondaires pourraient s’expliquer par une redistribution de l’agent
anesthésique du cerveau vers les autres compartiments. D’autres hypothèses sont cependant à
envisager comme l’existence d’une activité pointe onde au niveau cérébral induite par cette
technique et responsable d’une élévation réflexe de la pression artérielle et de la fréquence
cardiaque.

4. Au niveau du cerveau : Quel mode d’action des agents halogénés ?


Le mode d’action des agents halogénés reste incomplètement élucidé. Les techniques
d'imagerie médicale, tomographie à émission de positons et imagerie par résonance
magnétique, ont permis de montrer que les agents halogénés modifiaient l'activité
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métabolique cérébrale de zones cérébrales spécifiques, comme le thalamus et la formation


réticulée. Ces modifications suggèrent que l’effet anesthésique des agents halogénés résulte
d’une modification du fonctionnement physiologique des neurones cérébraux de zones
spécifiques. Outre cette activité au niveau cérébral, les agents halogénés inhibent aussi
l'activité neuronale de la moelle en bloquant la transmission synaptique des voies
somesthésiques et motrices. L'effet hypnotique global des agents halogénés résulte de l’effet
conjoint sur les structures spinales et supra-spinales. En effet, la CAM des halogénés est
augmentée chez l'animal lorsque sa circulation médullaire a été isolée et n'est plus soumise à
l'effet des agents anesthésiques.
A l’échelle du neurone, les agents halogénés inhibent in vitro la transmission de l’influx au
niveau synaptique, et à plus fortes concentrations la propagation axonale de l’influx nerveux.
Cette inhibition se traduit par une diminution de libération de catécholamines, de glutamate
ou au contraire une augmentation de glutamate dans certaines populations neuronales. Cette
dernière pourrait expliquer l'effet excitant ou des convulsions induites par certains halogénés
comme l’enflurane. Avec le sévoflurane, une activité pointe onde a été aussi observée dans de
nombreuses circonstances.
Les halogénés utilisés pour l'anesthésie potentialisent l'effet inhibiteur du GABA sur la
fréquence de décharge spontanée des neurones corticaux. A l'inverse, les agents halogénés
dénués d'effet anesthésique n'ont pas cette propriété. Les agents halogénés augmentent, de
plus, la sensibilité des récepteurs du GABA à leurs agonistes et prolongent la désensibilisation
de ces récepteurs. Cette action sur le récepteur du GABA se traduit cliniquement par une
potentialisation des halogénés par les benzodiazépines.
D’autres récepteurs sont aussi impliqués. Ainsi, les agents anesthésiques halogénés
désensibilisent le récepteur nicotinique à l'acétylcholine (récepteur appartenant à la même
famille que le récepteur GABAergique) à l'inverse des agents halogénés non anesthésiques.
Un effet similaire est observé pour les récepteurs muscariniques.
Les neurones gliaux pourraient aussi participer à l'effet hypnotique des halogénés, comme le
suggère l'augmentation de captation du glutamate par les astrocytes.
Les modifications de fonctionnement des neurones corticaux et gliaux induites par les agents
halogénés pourraient être liées au blocage des conductances neuronales sodiques, calciques
voltage dépendantes et potassiques notamment par blocage d’un sous type de canal
potassique à l’origine d’une dépolarisation membranaire et la libération spontanée de
dopamine ou de GABA par un effet présynaptique. Plusieurs hypothèses ont été mises en
avant pour expliquer les mécanismes d'action des halogénés au niveau membranaire. La
relation existant entre liposolubilité et puissance d'un anesthésique halogéné, connue sous le
nom de loi de Meyer-Overton, suggérait une action directe des agents halogénés au niveau des
membranes cellulaires. Cette hypothèse d'un site d'action hydrophobe et unitaire des
halogénés, certes séduisante, souffre de nombreuses exceptions. Comment expliquer ainsi la
différence d'efficacité des isomères (enflurane et isoflurane), l'effet convulsivant induit par la
localisation terminale de l'halogénation ou la rupture d'effet liée à l'augmentation de taille du
squelette de l'hydrocarbure. Elle ne permet pas non plus d'expliquer le déterminisme
génétique de l'action des halogénés à l'origine des différences interindividuelles (notamment
des sujets roux à l’effet des agents anesthésiques) ou celles liées au sexe. Le site d'action
membranaire des halogénés reste inconnu. Plusieurs sites d'action, notamment protéiques,
pourraient aussi expliquer l'action anesthésique des agents halogénés. Deux hypothèses sont
actuellement prédominantes. En modifiant la conformation de la double couche lipidique, les
agents halogénés pourraient modifier le fonctionnement de certains récepteurs membranaires
de nature protéique, comme celui de lysophosphatidate et ainsi la transmission
transmembranaire du signal. L’absence d’effet de la conformation stéréospécifique de l’agent
halogéné contredit cette théorie. Selon une autre hypothèse, la fixation intramembranaire
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directe de l'agent sur les protéines (voire à l'intérieur) des canaux ioniques serait à l'origine de
la modification de fonctionnement du récepteur au GABA ou à l'acétylcholine.

5. Au niveau du cerveau : Les agents halogénés ont-ils un effet neuroprotecteur ou un


effet délétère ?
L’effet neuroprotecteur des agents halogénés a été démontré depuis de nombreuses années sur
des modèles in vitro et sur l’animal entier. Cet effet neuroprotecteur expérimental se traduit
par des lésions cérébrales moins étendues, par un pH intracellulaire moins altéré, et par une
récupération plus rapide des stocks d’ATP après ischémie cérébrale. De plus, l’halothane,
l’enflurane, l’isoflurane et le sévoflurane réduisent la libération de glutamate, d’aspartate et de
dopamine induite par l’ischémie de neurones en culture ou chez l’animal entier. Chez des rats
soumis à une ischémie par hypotension hémorragique et ligature de la carotide, un effet
neuroprotecteur est observé pour 1 CAM d’isoflurane et de desflurane associée à une moindre
libération de catécholamine et de glutamate intracérébrale, qui sont incriminés dans la genèse
des lésions ischémiques [3]. En l’absence d’hypotension associée et sous halogénés, ces taux
intracérébraux de catécholamine sont moins élevés et les lésions moins étendues [4]. Un effet
antioxydant des halogénés a été écarté. Parallèlement, l’effet protecteur cérébral est associé à
une moindre augmentation des taux de calcium intracellulaire [5]. Le rôle des récepteurs
potassiques n’a pas été analysé au niveau cérébral.
Cet effet neuroprotecteur peut être contrebalancé chez l’homme par des effets variables selon
l’agent considéré sur l’électrogenèse cérébrale, sur l’hémodynamique ou la cinétique du LCR.

5.1. Effets sur l’électrogenèse cérébrale


L’Isoflurane et le desflurane n’ont pas d’effets proconvulsivants. Des anomalies électriques
de types pointe-ondes ou ondes delta à front raide ont été observées lors de l’utilisation du
sévoflurane pour l’induction chez l’adulte et l’enfant. De façon inconstante, sont associés des
mouvements anormaux et une perte d’urine en faveur d’une crise d’épilepsie. De même, ces
anomalies sont contemporaines d’une élévation de tension artérielle et de fréquence
cardiaque, potentiellement délétère chez les sujets à risque cardiovasculaire. Ces crises EEG
sont observées en moyenne 2 à 3 min suivant le début de l’induction anesthésique, délai
compatible avec le transfert cérébral et l’obtention d’une forte concentration cérébrale de
l’halogéné. Ces crises sont réduites par une prémédication avec une benzodiazépine et
paradoxalement par l’usage de N2O. Attribuée initialement à une augmentation brutale de
sévoflurane à forte concentration, ces crises ont été décrites récemment lors de l’induction
avec du sévoflurane augmenté progressivement par paliers. L’incidence de ces anomalies
chez le sujet sain n’est pas connue et son retentissement sur le réveil, bien qu’apparemment
inexistant, n’a pas été évalué. Des petites séries chez le sujet souffrant d’épilepsie n’ont pas
retrouvé d’anomalie EEG lors de l’utilisation de sévoflurane pour l’entretien de l’anesthésie.
Cet agent n’est donc pour le moment pas contre-indiqué chez cette catégorie de patient.

5.2. Effets sur la circulation cérébrale


Tous les agents halogénés ont un effet vasodilatateur cérébral concentration dépendant mais
avec des degrés divers (Halothane > isoflurane = desflurane = sévoflurane). L’effet
vasodilatateur est contrebalancé par l’hypocapnie modérée induite par l’hyperventilation avec
les 3 halogénés les plus récents mais pas avec l’halothane grâce à un maintien de
l’autorégulation cérébrale entre 1 et 1,5 CAM (mais pas 2 CAM) y compris chez des patients
souffrant d’ischémie cérébrale chronique [6]. Une étude en PET-scan chez des sujets sains a
montré que le sévoflurane réduisait la consommation d’oxygène de l’ensemble du cortex
cérébral alors qu’il existait une réduction de débit sanguin cérébral localisée à certaines zones
cérébrales suggérant un découplage métabolique [7]. Ainsi, il existe une redistribution sous-
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corticale du flux sanguin et une réduction du débit dans certaines zones du cerveau comme le
thalamus et les amygdales cérébelleuses, le lobe pariétal à 1 CAM de sévoflurane puis frontal
à 2 CAM.
En cas de pathologie intracrânienne (tumeur cérébrale, hémorragie méningée, traumatisme
crânien), la perte de l’autorégulation dans les territoires lésés et dans la zone de pénombre, se
traduit par une vasodilatation en cas d’utilisation de tous les agents halogénés. En dessous de
1 CAM de sévoflurane, de desflurane et d’isoflurane en condition clinique (avec maintien de
la PAM, hyperventilation modérée), l’utilisation de ces agents semble sûre chez le patient de
neurochirurgie en l’absence d’hypertension intracrânienne manifeste.

5.3. Effets sur la PIC


Contrairement au sévoflurane et l’isoflurane, une augmentation de pression intracrânienne due
à une augmentation de volume du LCR a été observée avec le desflurane avant l’ouverture de
la dure-mère chez des patients opérés d’une tumeur sus- tentorielle [8]. Cet effet n’a pas été
retrouvé lors de trois études plus récentes dans des conditions d’hypocapnie modérée avec ou
sans N2O, ce qui permet de ne pas contre-indiquer le desflurane pour la chirurgie tumorale
cérébrale [9-11].

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8. Muzzi DA, Losasso TJ, Dietz NM, Faust RJ, Cucchiara RF, Milde LN. The effect of
desflurane and isoflurane on cerebrospinal fluid pressure in humans with supratentorial
mass lesions. Anesthesiology1992; 76: 720-724.
Agents anesthésiques halogénés : De la cuve aux neurones

9. Ornstein E, Young WL, Fleischer LH, Ostapkovich N. Desflurane and isoflurane have
similar effects on cerebral blood flow in patients with intracranial mass lesions.
Anesthesiology 1993; 79 : 498-502.
10. Fraga M, Rama-Maceiras P, Rodino S, Aymerich H, Pose P, Belda J. The effects of
isoflurane and desflurane on intracranial pressure, cerebral perfusion pressure, and
cerebral arteriovenous oxygen content difference in normocapnic patients with
supratentorial brain tumors. Anesthesiology 2003; 98: 1085-1090.
11. Kaye A, Kucera IJ, Heavner J, Gelb A, Anwar M, Duban M, Arif AS, Craen R, Chang
CT, Trillo R, Hoffman M. The comparative effects of desflurane and isoflurane on lumbar
cerebrospinal fluid pressure in patients undergoing craniotomy for supratentorial tumors.
Anesth Analg 2004; 98: 1127-1132.

Pour en savoir plus :


- Dorsch JA, Dorsch SE : Matériel d’anesthésie. pradel eds, Paris 1995 (pp 91-147).
- Otteni JC et coll. Physique des vapeurs et des gaz appliquée à l’anesthésie par inhalation.
Encycl Med Chir, Paris. Anesthésie, 36100 B-20, 1994.
- Mantz J : Mode d’action des anesthésiques généraux et théorie de l’anesthésie générale. In
Dalens B, Traité d’anesthésie générale, Partie II, chapitre 1. Arnette Eds.
- Nathan N. Agents anesthésiques par inhalation et systèmes de délivrance. In Samii K.
Anesthésie Réanimation Chirurgicale. 3ème ed. Medecine Sciences Flammarion eds, pp 95-
113.
Agents anesthésiques halogénés : De la cuve aux neurones

Figure 1 : Vaporisateur à by-pass variable et « à léchage » (flow over)


Agents anesthésiques halogénés : De la cuve aux neurones

Figure 2 : Effet de la température sur la pression de vapeur saturante


Agents anesthésiques halogénés : De la cuve aux neurones

Figure 3 : Vaporisateur Tec 6 pour le desflurane


Agents anesthésiques halogénés : De la cuve aux neurones

Figure 4 : Vaporisateur à by-pass variable et à injection du desflurane


pour le respirateur Kion

Vaporisation du desflurane/ Kion


Bouton de
réglage Clapet antiretour
Raccord de
S de régulation de P sortie
à ressort
Buse
d ’injection
réservoir Canaux
110kPa d ’acheminement
Agents anesthésiques halogénés : De la cuve aux neurones

Figure 5 : Vaporisateur à cassette de l’ADU de datex

Vaporisateur électronique à cassette


unité de commande électronique + vaporisateur à cassette Aladin

Avantage : reconnaissance auto de la cassette + agent - position


pendant le transport indifférente - hors service si DGF < 150ml/min
-arrêt vaporisateur si panne électrique-

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