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La métamorphose moderne du Winterreise

Hans ZENDER (*1936) : Schubert’s Winterreise – a composed interpretation for tenor and small
orchestra

Julian Prégardien (tenor), Deutsche Radio Philharmonie, Robert Reimer (direction) – 84’03 – Textes
de présentation en français, anglais et allemand – Alpha 425

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Au début des années 1990, le compositeur et chef d’orchestre allemand Hans Zender écrit une
« interpretation composée » du Winterreise. Loin de ne proposer qu’une simple orchestration dans
un style romantique proche de celui de Schubert, Zender transporte la musique de ce chef-d’œuvre
dans les terres fertiles de l’orchestration moderne, fortement inspiré par les mondes sonores
expressionnistes de Mahler, tout en insérant plusieurs courtes sections composées de sa propre
main. Cette « transformation créatrice » a déjà été interprétée, enregistrée, et mise en scène par une
pléthore d’artistes renommés tels que Ian Bostridge, Mark Padmore, Simon Rattle, et Christoph
Prégardien. Le fils de ce dernier, Julian Prégardien, présente une interprétation convaincante de ce
fameux cycle de lieder pour Alpha Records, accompagné par la Deutsche Radio Philharmonie sous la
direction de Robert Reimer.

On découvre ainsi une interprétation osée Winterreise. Plusieurs instruments inhabituels dans un
contexte orchestral (guitare, accordéon…) sont mis en valeur dans cet ensemble hétéroclite de
seulement 25 musiciens et plusieurs combinaisons instrumentales nous plongent dans de superbes
ambiances (le col legno sinistre des cordes mélangé aux harmoniques de la harpe dans Gute Nacht
entre autres). La voix claire mais affirmée du ténor Julian Prégardien convient parfaitement aux
exigences de l’adaptation de Zender. La diction est impeccable dans tous les registres et toutes les
nuances, même lors des passages déclamés, hurlés, ou chuchotés. On saluera son investissement
dans ce rôle qu’il endosse depuis plusieurs années à travers l’Europe !

En dépit de son inventivité évidente et son aboutissement technique, l’orchestration peut paraître
étrangement bipolaire, tant sur l’ensemble du cycle qu’au sein même des lieds. L’ampleur
symphonique d’une plage s’alterne joliment avec l’intimité chambriste d’une autre, mais lorsqu’au
sein même d’un lied se succèdent expressionisme moderne du XXème siècle et limpidité
schubertienne, les transitions (quand il y en a) sont pour le moins déstabilisantes.

Malheureusement, la subtilité de l’art de Schubert se perd dans l’exacerbation des contrastes et de


l’expression des poésies de Wilhelm Müller. Quand le texte parle de pas lourds traversant la neige,
de chiens errants hurlant, du vent qui joue avec la girouette, l’orchestration les suggère… ou plutôt
les illustre très explicitement. Trop explicitement ?

Tout dépend du point de vue de l’auditeur. S’il cherche à entendre Schubert et son langage subtil du
non-dit dans une orchestration historiquement informée, on en est loin du compte – il entendra
seulement une caricature excessive de ce chef-d’œuvre, semblable au surjeu d’un comédien. À
l’inverse, ravi sera le mélomane aventureux qui cherche à découvrir ce même monde hivernal sous le
prisme d’une orchestration inventive et expressionniste signée Hans Zender.

Pierre Fontenelle, Reporter de l’IMEP

Mot-clés : Julian Prégardien, Hans Zender, Schubert, Winterreise, Alpha

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