Professional Documents
Culture Documents
Dominique REY
Travailler
avec les Chinois
8 c lé s o p é r a tio n n e lle s
p o u r ré u s s ir
TO3
c
rj
Q
O
fN
D.
O
(J
DUNOD
DES MEMES AUTEURS
Chloé Ascencio
Manager en Chine, L’Harmattan, 2007 .
Working successfully with the Chinese (avec D. Rey), InterculturelChine Publishings, 2014 .
Dominique Rey
Piloter la stratégie par la culture d'entreprise, Étude stratégique/Les Échos, 2007 .
Culture d'entreprise : un a c tif stratégique (avec O. Devillard), Dunod, 2008 .
Working successfully with the Chinese (avec C. Ascencio), InterculturelChine Publishings,
2014 .
Management et communication inter culturels, Afnor, 2016 .
x:
DI © Dunod, 2 0 1 5
>-
Q.
O 5 rue Laromiguière, 7 5 0 0 5 Paris
U
ISBN 9 7 8 -2 -1 0 -0 7 4 5 0 3 -6
L eC od ed e la p rop riété in te llectuelle n'au to risa nt, aux te rm esd e l'a rticle
L.1 2 2-5,2 °e t3 °n ), d 'u nep a rt, q uele .s«c o p ie.so ure pro du ctions stric te m en t
ré se rv éesàl'u sagep rivéd uc op istee tn ond e stin ée sàu neu tilisationc o lle c tiv e»
e t,d 'autrep art,q uele sa nalyse se tlesc ourtesc ita tionsd an su nb u td 'ex e m p lee t
d 'illu stration, «to utere p rése n
ta tio no u re pro d u c tio n intégraleo up a rtie llefa ite
sa n s lec onsente m e n td e l'a u
te u ro ud ese sa y a nts droit o ua y ants c a u see st
illic ite»(a rt.L.1 22 -4).
C e ttere présenta tiono ure pro duc tion ,p arq ue lq u ep rocédéq uec eso it,c o nstitu e
ra itd o ncu nec o ntre fa ço nsa n ctio nnéep ar le sa rticlesL .3 3 5 -2 e tsu iv a n ts d u
C o d ed elap ro priétéin tellectuelle .
TABLE DES MATIERES
Remerciements XI
Introduction 1
PARTIE I
La logique d e face 7
« Moi » occidental et « face » chinoise :
deux conceptions de l’identité 7
La face, un œil social 9
Donner pour recevoir 11
L’harmonie des relations : une valeur centrale 12
Questions de politesse 14
Les « Barbares » n’ont pas besoin de face 15
Pas de droit à l’erreur 16
La logique d e g u a n xi 31
D.
O
La réciprocité, un système de pensée 32
(J
Les Chinois ne sont pas « collectivistes » ! 34
Une société familiale et hiérarchique 35
\.Qgmnxi comme antidote à l’absence de droits 37
Lorsque professionnel et privé se confondent 37
La confiance : un processus lent et prudent 38
Le cadeau symbole de l’engagement moral 39
Comment se constituer un guanxi ? 41
L'efficacité chinoise 63
Au jour le jour... 63
La relation prime sur le planning 64
Tout est relatif 65
Rien ne sert de forcer 67
Deux conceptions de l’efficacité : le comment et le pourquoi 68
PARTIE II
13 La m ultinationale chinoise ;
T3
O
laboratoire d'hybridation m anagériale 145
c
:d La discipline comme principe d’efficacité 146
Û
Un mode de management presque militaire 148
Pression, compétition, gratifications et punitions 149
@ Ü Récompenses et pénalités financières 151
Un cas limite : Foxconn 152
5- La permanence du leadership paternaliste 153
Q.
O
U Des traits de fonctionnement daoistes 154
E-economy : ferment d’un nouveau management ? 155
PARTIE III
Conclusion 265
Bibliographie 271
TO3
c
rj
Q
O
fN
D.
O
(J
■о
о
с
3
Û
о
fN
>-
О.
о
и
REMERCIEMENTS
■a
O
c
rj
Q
O
fN
>-
Q.
O
U
■о
о
с
3
Û
о
fN
>-
О.
о
и
INTRODUCTION
« Nous, on pense global. On ne va pas changer des process qui sont validés
au niveau corporate et appliqués à toutes nos filiales partout dans le monde.
Si ça marche au Brésil, ça doit marcher en Chine »
Propos du DRH d’un grand groupe français
Pour qui travaillent les Chinois, puisque ce n’est pas pour leur entreprise ?
Comment les motiver ? Les Chinois sont-ils au fond des individualistes ou
bien ont-ils l’esprit d’équipe chevillé à l’âme ?
Pourquoi les Chinois donnent-ils l’impression de ne pas vouloir assumer
les responsabilités et l’autonomie ?Alors qu’ils revendiquent d’être consultés
sur les décisions, pourquoi est-il si difficile d’obtenir qu’ils donnent leur
opinion ? Faut-il s’astreindre à tenir des réunions, souvent aussi frustrantes
pour les Chinois que pour leurs collègues occidentaux ?
Qu’est-ce donc que cette « efficacité chinoise » qui fait fi de nos outils de
gestion du temps et de résolution des problèmes ? En quoi les process de
contrôle et le reportingmtxx&nx-As les salariés chinois si mal à l’aise ?
Pourquoi ces singularités ? Mais aussi comment faire pour résoudre ou
désamorcer les obstacles et les freins qu’évoquent tous les témoignages des
dirigeants, managers, acteurs de terrain ?
>-
О.
о
и
_________P A R T IE I_________
CO M PRENDRE
LES C O M PO R TEM EN TS
D E S C H IN O IS
TO
3
crj
Q
O
fN
CL
O
(J
■о
о
с
3
Û
о
fN
>-
О.
о
и
C h a p itre I
UK LOGIQUE DE FACE
La face, c’est ainsi non pas un masque social, une image comme nous
serions tentés de le penser dans une optique occidentale, mais bel et bien la
seule identité que se reconnaisse un Chinois (même si le sujet, sensible par
définition, n’est que très peu abordé dans les sciences humaines en Chine
continentale). Et ce lieu où il place son Moi, où il l’investit et le capitalise,
est fait de couches superposées de regards de considération.
Il existe deux termes chinois pour désigner la face : m ia n z i ( H i ) et lia n
(Bè)* Leur définition, distincte à l’origine, tend à se confondre dans les
conversations courantes*. Au sens propre, ils désignent l’un et l’autre la face
physique. Mais au sens figuré, l’un est lié à la performance individuelle et
l’autre à la conduite morale. En effet, m ia n z i désigne le prestige acquis par
l’individu ; il s’agit donc d’un ego de reconnaissance dépendant de
l’environnement extérieur. L ia n a trait au respect du groupe pour un
individu de bonne réputation morale ; il représente donc à la fois une
sanction sociale qui met en application les standards moraux et une
évaluation intériorisée par la personne. La perte de m ia n z i entraîne la honte
vis-à-vis des autres, la perte de lia n provoque la honte vis-à-vis de soi-même.
De ce fait, la face fonctionne à la fois comme une contrainte sociale et
psychologique. Elle est « le bien le plus précieux de l’individu » et en même
temps « une geôle pour lui »^. Lin Yutang, l’un des premiers interculturalistes
chinois, ajoute : « Ce n’est pas là une face qu’on lave et qu’on rase, mais une
face qui peut être « concédée », « perdue », « conquise par la force » et
« offerte en présent », ce qui en fait à ses yeux la clé de compréhension de
tous les rapports sociaux chinois^.
TO
3 On voit bien la difiFérence entre cette conception foncièrement situationnelle,
c interactive, relationnelle du Moi, et celle, essentielle, intangible, peut-être
rj
Q
éternelle pour peu qu’on l’identifie à l’âme, des Occidentaux.
O
(N Alors, moins sensible le Moi occidental ? En tous cas moins exposé à
@ l’opinion d’autrui et aux aléas des échanges ! De fait, cette localisation du
Moi chinois, source d’une relative fragilité et vulnérabilité aux avanies de la
O
Q.
vie en société, explique bien des attitudes et des précautions. Bien des
U
politesses aussi, à l’origine d’autant de malentendus avec les étrangers. Nous
y reviendrons. Car autour de la face se nouent les enjeux cruciaux touchant
au Moi chinois : le besoin existentiel est d’abord d’empêcher, par tous les
1. Chan Alvin, « The Chinese concepts of Guanxi, Mianzi, Renqing and Bao : their
interrelationships and Implications for International Business », Australian and New
Zealand Marketing Academy, 2006, www.conferences.anzmac.org.
2. Zheng Lihua, Les Chinois de Paris et leurs je u x de face, L’Harmattan 1995.
3. Lin Yutang, La Chine et les Chinois, Payot 1937, réédité en 2003.
La logique de face
U
à l’intérieur d’une communauté ou d’un réseau.
Ce conformisme, cet œil social très prégnant est renforcé par « l’esprit des
liens de sang qui veut que l’honneur ou le déshonneur, l’ascension ou la
chute d’une personne se voient étroitement reportés sur les autres membres
de la famille ou du groupe.^ » Ainsi, un jeune cadre français d’origine
chinoise raconte que dans la communauté chinoise de Lyon, lorsque
1. Fernandez Juan, Liu Shengjun, C hina CEO, a case guide fo r Business Leaders in China, John
Wiley & Sons (Asia) Ltd, 2007.
La logique de face
1. ren zhe r e n y e ) \ ^ \ _ J ^ , cité par Cheng Anne & Qiu Kong, Les Entretiens, Points, 1981.
COMPRENDRE LES COMPORTEMENTS DES CHINOIS
qu’en retour ils aient le prestige de l’autorité, faire rejaillir sur eux la lumière
de son propre succès et par là même leur donner « plus d’existence ».
De même, l’échange de face représente pour les Chinois une forme de
« contrat social ». Rendre un service endette l’autre à mon égard et crée une
obligation morale car une face donnée doit toujours être rendue. C’est le
moyen proposé par Confucius pour garantir l’harmonie interpersonnelle,
la paix sociale.
Prenons l’exemple du directeur de la branche chinoise d’un groupe belge,
chargé de la difficile tâche de transformer la j o i n t venture de Shanghai en
filiale à 100 %. Même si le rapport de force ne permettait pas au partenaire
chinois de s’y opposer, il refusait néanmoins de signer le contrat de
« séparation ». Le syndicat menait aussi campagne contre le projet. Le
directeur belge a même reçu des menaces... Jusqu’au jour ou, raconte-t-il,
« j’ai appris que le fils du patron de la JV, qui venait d’émigrer au Etats-
Unis, ne parvenait pas à y trouver de travail. J’ai décidé de m’en occuper :
j’ai remué ciel et terre et finalement obtenu que la filiale américaine de mon
groupe recrute ce jeune Chinois. Tout d’un coup, je suis devenu le grand
« ami étranger ». Les négociations se sont accélérées et nous avons pu signer
un compromis équitable. C’est à ce moment que j’ai pu vérifier le principe
selon lequel « toute face donnée doit être rendue. »
(J
s’agit de « gagner sans chercher à vaincre » totalement l’adversaire car alors
l’équilibre des forces serait rompu et l’engrenage infernal des représailles
serait enclenché. Les vainqueurs ne pourraient pas « dormir sur leurs deux
oreilles ».
1. Bo Shi, Trente six stratagèmes chinois : com m ent vivre invincible i Quimétao, 2001, à partir
d’un recueil de stratégie militaire anonyme découvert en 1939 et datant probablement de
l’époque de la dynastie des Ming ( 1366-1610).
2. Lin Yutang, op. cit.
3. Sunzi, V A rtd e la guerre, Pocket agora, 2002 (texte datant du V f siècle avant J.-C.).
4 COMPRENDRE LES COMPORTEMENTS DES CHINOIS
QUESTIONS DE POLITESSE
PAS DE DROITAŒRREUR
A cet égard, il faut bien sûr faire une distinction —qu’opère Confucius —
entre les dirigeants et les gens du commun. Les premiers ne sont pas
comptables de leurs erreurs et échappent à la règle tandis que les seconds sont
punis sans égard pour leur face. Cela induit l’idée essentielle d’une inégalité
quant à la face : plus on est haut placé dans la hiérarchie, plus on a de la face et
plus les inférieurs se doivent de protéger cette face dont dispose le chef, et de
lui en donner encore plus. Mais la réciproque n’est pas vraie : dans la relation
hiérarchique, le supérieur ne se soucie pas de la face des subordonnés, sauf s’il
est bienveillant (comme prévu par l’idéal utopique de Confucius)....
La B ien veillan ce
TO
3 On traduit souvent fC ren (bienveillance) par humanisme, avec le risque de
c
rj l’assimiler à l’humanisme occidental. Mais la bienveillance confucéenne n’est
Q ni universelle ni individualiste, elle est paternaliste ; le leader doit traiter ses
subordonnés comme ses propres enfants, avec bonté et sévérité, en échange
de leur loyauté absolue.
x
:
DI C’est une interdépendance (combinaison du caractère humain Av avec
>-
Q. le chiffre 2 ^ er) qui s’accommode bien de hiérarchie, de fortes inégalités
O
U sociales, de clientélisme (favoritisme) voire d’asservissement.
« Communiquer efficacement avec les Chinois »). Chaque fois que Гоп a
affaire à un comportement ou à un discours qui semble incongru, que Гоп
n a pas pu anticiper - parce qu’on ne partage pas les mêmes évidences
invisibles que les partenaires chinois —il y a deux questions à se poser :
• Quelle est la crainte im p licite de l’interlocuteur chinois derrière son
comportement un peu étrange ? Cette crainte qu’il ne peut pas dire
ouvertement est toujours liée au risque de perte de face pour soi ou
pour l’interlocuteur. Les causes possibles sont : ne pas pouvoir avouer
une faute, une impuissance, formuler un refus (puisque dire « non » est
impoli)...
• Quelle est la d e m a n d e im p lic ite ? Les gens n’osent pas toujours la
formuler s’ils pensent courir le risque de se voir opposer un refus, ce
qui entraîne aussi une perte de face.
Dans tous les cas, lorsqu’on ne comprend pas l’attitude ou le message
de l’interlocuteur chinois, il ne faut surtout pas insister ! Souvent, la
première réaction d’un Français va être de se dire : « Il n’a pas compris, je
vais répéter, reformuler ». Rarement aura-t-il le réflexe de remettre en
question la forme ou les implications de son message, de relire son e-mail
ou s’interroger sur les attentes de son interlocuteur. Il est pourtant urgent
de ne rien faire, de ne pas insister en cas de blocage ou dysfonctionnement
de la communication. Le volontarisme et les questions fermées sont à
proscrire, même s’ils sont perçus par les Occidentaux comme « plus
efficaces » car directs. Il faut impérativement prendre du recul et analyser
тз
о
le contexte : pourquoi ne puis-je obtenir la réponse ou réaction que
с
Г)
Q j’attendais ? Quelle est sa crainte ou sa demande implicite ? Que ne dit-il/
elle pas ? Qu’aurait-il/elle dû dire ?
о
гм
Voici deux témoignages très éclairants :
@
SZ
D1
« Parfois les autres départements nous envoient des spécifications qui ne
а.
о
и sont pas claires. Quand on leur a demandé une ou deux fois de préciser
leurs besoins et qu’on n’a toujours pas reçu de réponse, on n’insiste pas pour
leur sauver la face, et on se débrouille sans les informations ».
Un chef de projet IT chinois
L’écoute et l’observation du contexte sont les conditions sine qua non d’une
véritable communication. En effet, les questions récurrentes, les questions
de détails et aussi les questions «idiotes », celles dont la réponse semble évidente
ne doivent pas être prises au pied de la lettre, mais interprétées comme les
messages implicites d’un désaccord qui ne peut pas s’exprimer ; un désaccord
X5
O
c
qui se rapporte soit au projet en lui-même (objectifs, déroulement...), soit à la
:d relation qui manque de confiance et de réciprocité. Mais les Chinois ne le diront
Û
jamais directement, par politesse, et attendront de vous qu’en personnes
civilisées, vous en tiriez les conclusions qui s’imposent...
@ Ü
Globalement ce qui caractérise le style de communication moderne
5- occidental, bien qu’il existe des différences entre Europe du Nord (neutralité
Q.
O
U émotionnelle) et Europe du Sud (expansivité), c’est le fait que le contenu du
message passe avant la relation entre les deux interlocuteurs. Ce message va
donc être plutôt direct (je dis les choses comme elles sont, sans détour) et
explicite (je donne toutes les informations). Bien entendu certaines cultures
sont plus implicites que d’autres : en France, on procède beaucoup par allusions
et sous-entendus alors qu’aux Etats-Unis on reste au premier degré, selon la
distinction entre communication à «contexte riche » et à « contexte pauvre »'.
1. Chen Zhenjiao, Zhang Xi, Zhao Dingtao « Leadership effectiveness in the Chinese
3
Û enterprises : the roles of Chinese leadership and employees individual orientation »,
© InternationalJournal o f Chinese Chulture a n d M anagement, vol.l, n°3, 2008.
24 COMPRENDRE LES COMPORTEMENTS DES CHINOIS
L'IMPOSSIBILITÉ DE CRITIQUER
Pourquoi la critique ne peut-elle pas être constructive en Chine ? Dans
les cultures occidentales, l’expression des sentiments négatifs est admise car
elle repose sur une valeur importante, la franchise. C’est une culture qui,
sauf dans certains métiers très contraints (diplomates, grands patrons...)
valorise l’expressivité émotionnelle : mon sentiment se lit sur mon visage, il
est facile de savoir ce que je pense.
Pour les Chinois, l’expression des sentiments négatifs est impolie puisqu’elle
menace la face de l’Autre. Elle est socialement dangereuse car elle trouble
l’harmonie et partant, la paix qui est l’obsession de la culture chinoise depuis
Confucius. L’individu doit être capable de contenir ses sentiments négatifs et
sur son visage, on ne doit pas pouvoir lire ce qu’il ressent ou pense vraiment
chaque fois que cela représente un danger pour la face.
D’ailleurs, dans une culture de face dépourvue d’un « droit à l’erreur », il
est impossible de reconnaître explicitement son tort. Cela ne signifie pas
que l’individu n’a pas conscience de son insuffisance, au contraire. Il l’a
intériorisée et en souffre (à moins qu’il ne veuille pas de face !), mais devant
les autres, dans son discours, il niera ou accusera le manque de chance. En
contexte professionnel, quand un collaborateur a fait une erreur ou n’a pas
X5
O
c
atteint ses objectifs, il a conscience de son tort, mais ne peut, pour sa survie
:d
Û sociale, le reconnaître. D’où la violence décuplée des « auto-critiques »
O instaurées pendant la Révolution Culturelle. Il s’agissait probablement de
(N
casser l’individu traditionnel, avec ses réflexes confucéens, pour forger un
homme nouveau, mais l’Histoire montre qu’on ne change pas des traits de
culture fondamentaux par le seul volontarisme.
D.
O
(J
1. Sheh Seow Wah, Chinese Leadership. M oving fro m classical to contemporary. Times Editions,
2003.
Un style de communication indirect et implicite 25
concurrent », d’où la conclusion hâtive que seul l’argent motive les salariés
chinois. Mais quand on interroge les gens lors des enquêtes qualitatives, on
obtient des réponses différentes : ils reconnaissent partir soit parce que les
perspectives de carrières ne les satisfont pas, soit parce que la relation avec le
manager direct n’est pas « bonne » (notion fondamentale que nous
étudierons plus loin).
Les salariés chinois passent beaucoup de temps à essayer d’interpréter ce
que leur patron, leurs collègues ou partenaires ont pu signifier : il est en
effet impoli de mettre les points les « i », d’être trop explicite car c’est
potentiellement menaçant. Les Chinois nomment w u x in g cette
perspicacité qui permet de comprendre l’implicite.
Le risque de mauvaise interprétation, de malentendu, est décuplé quand
ils cherchent à décoder les intentions d’un Occidental issu d’une culture
directe et explicite. Les salariés chinois d’entreprises occidentales sont
soulagés de n’avoir pas, avec lui, à « faire attention aux sentiments » (c’est-à-
dire à la face), mais en même temps ils ont tendance à sur-interpréter tout
de même alors qu’il n’y a pas de message caché.
INCOMPREHENSIONS ET MALENTENDUS
« Le plus difficile avec les Chinois, c’est de savoir ce qu’ils pensent. Pour
avoir de l’info, il faut la leur extirper. Ils ne sont pas francs, il y a un problème
de « mensonges ».
Ils tournent toujours autour du pot, sans jamais dire directement ce qu’ils
pensent ou ce qu’ils veulent dire. Impossible d’obtenir une réponse claire.
En général, en réunion ils restent en retrait, ils évitent de donner leur
opinion, même pour dire qu’ils ne savent pas. Ils ne disent pas qu’ils n’ont
pas compris, ils cachent les problèmes. Souvent ils disent oui mais en fait ils
reviennent sur leurs engagements le lendemain. »
5-
Q. Au fond, nous ne sommes pas assez à l’écoute des interlocuteurs chinois
O
U et de leurs « signaux faibles », tandis qu’eux le sont presque trop à nos
messages directs. Nous n’interprétons pas assez leurs messages tandis qu’ils
sur-interprètent les nôtres, d’où un risque redoublé de malentendus.
La réduction de ces malentendus et l’amélioration de la compréhension
mutuelle, indispensables au bon fonctionnement quotidien comme à la
prise et à la mise en œuvre de décisions importantes, passent par une
vigilance particulière et un minimum d’entrainement au décodage. Le
feedback y joue un rôle particulier : nous verrons comment contourner la
difficulté dans la partie III consacrée aux bonnes pratiques du management.
28 COMPRENDRE LES COMPORTEMENTS DES CHINOIS
UN MANQUE DE RECONNAISSANCE
Les Chinois se plaignent de la réticence des Français à reconnaître - et
récompenser —les compétences :
« Les Français sont francs, mais surtout pour faire des reproches. Ils vous
disent tout de suite ce qui ne va pas. C’est bien pour l’entreprise, mais
difficile à accepter. »
« Quand on travaille bien, les Français trouvent ça normal. Quand on
fait une erreur par contre ils critiquent. »
X5 « Mon patron français me laisse très libre de faire à ma manière, mais il
O
c critique toujours quand c’est fini, jusque dans les détails. »
Û
On retrouve ici des défauts souvent repérés - en France même - dans le
management des équipes. Les Chinois ressentent d’autant plus vivement ce
sz
O) défaut classique du management français. Il est le produit de cet « esprit
CL
O critique » qui constitue presque une marque de fabrique, mais est souvent
U mal vécu par les autres cultures, et fait passer les Français pour des arrogants.
Q.
O
U
lA LOGIQUE DE O U AN X!
En être ou pas
@ autres car la confiance fait totalement défaut. A moins d’être introduit par
DI
une personne qui est déjà à « l’intérieur » et sera garante de votre probité.
's_
D.
Cet intermédiaire qui permet le passage de l’extérieur vers l’intérieur est lui-
O
(J même appelé un g u a n x i.
Pour un entrepreneur il sera ainsi indispensable d’avoir un g u a n x i dans
les administrations importantes, c’est-à-dire des fonctionnaires « amis »
{pengyou M A) qui lui permettront d’avoir les informations nécessaires et
l’aideront à obtenir tel formulaire ou telle autorisation en échange de
cadeaux, d’invitations, de temps passé ensemble... On appelle souvent ce
phénomène h o u m en l ^ n : « la porte de derrière » car il est informel et
court-circuite les procédures bureaucratiques officielles (voir le paragraphe
sur la corruption).
32 COMPRENDRE LES COMPORTEMENTS DES CHINOIS
TO
3
c
Û
O
(N
@
SI
DI
D.
O
U
1. Yang L. S., The concept ofPao as a basis fo r Relations in China, University of Chicago Press,
1957.
2. Chan Alvin,
La logique de guanxi 33
Famille + intimes
confiance forte
Amitié calculée :
« Je te renverrai l’ascenseur »
X5
O confiance
c
:d
Û
O Consommateur anonyme
(N
@ pas de confiance
5-
Q.
O
U
Dehors = inconnu = loi du plus
fort, impolitesse, pas d’engagement
méfiance
Figure 3 - Le g u a n x i
1. Hwang Kwang-Kuo, « Face and Favor: the Chinese Power Game », American Journal o f
Sociology, 92(4), 1987.
34 COMPRENDRE LES COMPORTEMENTS DES CHINOIS
TO
3
LES CHINOIS NE SONT PAS « COLLECTIVISTES » I
c
:d
Û Cette imbrication, originale à nos yeux occidentaux, d’aspects
O
(N
individuels, familiaux, et relationnels, est caractéristique de la mentalité
(5) chinoise. Elle est loin des stéréotypes que l’adhésion des masses chinoises à
la révolution communiste en 1949 et les péripéties du régime maoïste, avec
Q.
la Révolution Culturelle des années 1966-1976, ont pu inspirer à l’Ouest :
O
U le collectivisme n’est pas un mode d’organisation et de perception
caractéristique des Chinois, même s’ils ont pu s’y rallier dans des
circonstances historiques bien particulières.
Au contraire, l’attitude de base en dehors d u g u a n x i est fondamentalement
individualiste, dépourvue de solidarité ou d’égards pour le prochain
« inconnu » —tant qu’on n’a pas établi de relation avec lui. Dans la vie
courante chinoise, saluer lorsqu’on entre dans un magasin ou tenir la porte
(J
UNE SOCIÉTÉ FAMILIALE ET HIÉRARCHIQUE
La pratique des cadeaux est un autre aspect qui fait que les Occidentaux
ont du mal à entrer dans l’échange de face et de services visant à l’entretien
d’un h o n g u a n x i : c’est le cas en particulier avec les administrations chinoises
ou les partenaires de business. Cet échange est très loin d’aller de soi pour
les Occidentaux car il est assimilé chez nous à une forme plus ou moins
légère de corruption. De nombreux Français sont également mal à l’aise
quand leurs collègues chinois, et a fortiori leurs fournisseurs chinois, leur
T3 font de petits (ou gros) cadeaux. Ils se demandent pourquoi, et comment
O
c réagir : faut-il le refuser, acheter un cadeau en retour, et si oui, quel genre de
rj
Q cadeau ? En fait, ils cherchent inconsciemment à briser la dépendance, à
effacer la dette (de face) créée par ce présent. C’est le contraire exact de la
(G) 2 conception des Chinois, qui recherchent justement cette situation de dette
DI réciproque et de dépendance, et pour lesquels la signification du cadeau est
's_
D à la fois «je souhaite avoir une bonne relation avec toi » et un investissement
O.
(J dans l’avenir « j’espère que le jour où j’aurai besoin d’aide, je pourrai
compter sur toi ».
Il s’agit en particulier pour le Chinois de faire du bénéficiaire de ce cadeau
son g u a n x i (au sens de « point d’entrée ») dans l’entreprise, le département
1 . xianjiao pengyou, hou zuo shengyi dicton très souvent entendu par
les Occidentaux, mais rarement bien compris...
2 . Tsui Anne S., Bian Yanjie, Cheng Leonard Kwok-Hon, Chinas Domestic Private Firms:
Multidisciplinary Perspectives On Management A nd Performance, M.E. Sharpe, 2006.
40 COMPRENDRE LES COMPORTEMENTS DES CHINOIS
1 . Ascencio Chloé, Manager en Chine, Les managersfrançais vus par leurs collaborateurs chinois - clés
delà motivation, L’Harmattan, 2007.
42 COMPRENDRE LES COMPORTEMENTS DES CHINOIS
Bâtir des relations de confiance avec les partenaires chinois est toujours
difficile pour un Occidental du fait qu’il ne parle pas la même langue, n’a
pas la même vie, les mêmes valeurs, les mêmes goûts et hobbies. Il en est de
même des sujets de conversation favoris des Français tels que la politique
qui embarrasse les Chinois.
Quand les Français invitent des Chinois à 20 heures pour dîner, ces
derniers soit meurent de faim, soit ont déjà mangé à 18 heures. Rire et boire
ensemble est très important pour créer un bon g u a n x i, mais se fait après le
repas qui dure rarement longtemps chez les Chinois.
Bien sûr tout cela est anecdotique. Ce qui compte, c’est de parvenir à
réellement s’intéresser à l’autre et lui témoigner cette considération. En un
mot, faire preuve d’empathie et toujours se demander : « qu’attend-il de
moi ? » La réponse étant en général : « pouvoir me faire confiance ». En
d’autres termes, il attend que je me montre capable et désireux d’enclencher
avec lui un échange de face et services mutuel, dans lequel il se sente respecté
et valorisé.
Beaucoup d’incompréhensions ou de blocages peuvent être évités dès
lors qu’on a conscience des enjeux et de la signification des comportements
inspirés par ces logiques de la face et à n g u a n x i.
On conçoit qu’avec un tel investissement de confiance et d’appui le
X5
O
c g u a n x i puisse constituer un atout stratégique important pour qui entend en
Q tirer tout le potentiel. Il décuple les forces mobilisables sur chaque péripétie
O de la vie professionnelle. Il compense, mais aussi contribue à accentuer la
fN
@ défiance chinoise à l’égard des institutions. Il nous faut maintenant aborder
le rapport particulier que les Chinois entretiennent avec la loi et les règles.
5-
Q
O.
U
________________ C h a p i t r e 4 ________________
L'UTOPIE CONFUCEENNE
Officiellement, les légistes n’ont pas réussi à imposer leurs vues aux
fonctionnaires-lettrés confucéens, mais dans la pratique, ces derniers s’en sont
beaucoup inspirés.
Tout d’abord, le premier Empereur qui a unifié la Chine déchirée des Royaumes
Combattants a agi selon les préceptes légistes. Qin Shi Huangdi (221-206 av.
J.-C.) a aboli le féodalisme et l’a remplacé par une monarchie bureaucratique
fortement centralisée et hiérarchisée. Il a mis en place l’administration
préfectorale et un système judiciaire implacable dont la brutalité sera ensuite
tempérée avec leur reprise en main par les fonctionnaires-lettrés.
Ces derniers accaparent rapidement la réalité du pouvoir et mettent fin à l’idéal
légiste d’une monarchie absolue car, enfermé dans son palais, l’Empereur ne
dirige plus vraiment le pays.
Le confucianisme reprend donc le dessus mais reste mâtiné de légisme. Dans
le conflit millénaire entre les deux écoles, se trouve le dilemme entre la règle du
sentiment {renqing J \!^ ) et celle de l’équité {gongdao entre subjectivité
et objectivité, entre relations clientélistes et professionnalisme, dilemme qui
est d’actualité dans les entreprises chinoises d’aujourd’hui.
Dans ce contexte d’une culture qui place la famille et les liens clientélistes
au cœur des relations, la corruption est un corollaire plus qu’inévitable :
presque « naturel ». De sorte que ce n’est que quand le degré de corruption
dépasse certaines proportions que la critique morale apparaît.
Le succès du Parti Communiste chinois en 1949 correspond à un rejet
profond de la corruption associée à l’Empire, et du confucianisme associé
aux fonctionnaire-lettrés. L’Armée Populaire de Libération s’est violemment
attaquée à la corruption des fonctionnaires locaux. Mais les tendances
lourdes du confucianisme —y compris ses défauts —n’ont jamais disparu ;
elles ont perduré sous un autre nom. Le PCC a reconstitué une bureaucratie,
qui combinée à la culture d u g u a n x i a laissé renaître la corruption.
T3
Ocrj
Q
O
fN
a.
O
(J
■о
о
с
3
Û
о
fN
>-
О.
о
и
________ C h a p i t r e 5 ________
lA RELATION PERSONNELLE
PO U R SÉCURISER LE C O N TR A T
Quelle que soit la force du code moral qui cimente les relations A c g u a n xi,
encore faut-il entretenir ces relations. Ne pas le faire, c’est signifier qu’on
souhaite s’en dégager - en général parce qu’on est mécontent de l’échange.
Si tel n’est pas le cas, il est impératif de maintenir un courant de réciprocité.
Tel est le but des échanges de signes de convivialité et de cadeaux, qui
peuvent sembler à des Occidentaux un peu formels, « parce que nous y
voyons une entrave à la spontanéité et à la sincérité de la relation à l’autre.
Alors que pour les Chinois, tout l’avantage est dans cette régularité, le plaisir
est dans le sentiment de tranquillité, de protection quelle procure. Une
obligation très naturelle qui est vécue comme libératrice parce quelle met
entre parenthèses les états d’âme, les désaccords ... »5
Les cadeaux et les échanges de services doivent impérativement être
complétés par des rencontres régulières. Leur objectif est d’attester par une
présence personnelle le sentiment de familiarité {q in q ie g a n que
l’on entend maintenir et de réduire au maximum la distance pour entrer
dans une relation quelque peu fusionnelle, intime, ressemblant autant que
possible au modèle des relations familiales. D’où la pratique de ces
rencontres, sans contenu d’affaires décisif et tenues de préférence dans un
temps et un espace non-professionnel. Tous les Occidentaux qui ont une
réelle expérience des affaires en Chine en savent l’importance :
5- Un industriel français
Q
O.
(J
Dans cet exemple on perçoit l’importance accordée au repas du soir,
considéré comme plus informel que le déjeuner car il appartient au temps
privé, extra-professionnel. On s’y sent d’ailleurs plus à l’aise car on peut
boire et l’effet cathartique crée cette proximité propice à la confiance.
De même, quand vous arrivez pour la première fois dans une maison
chinoise, les parents de votre hôte vous pressent de question plutôt
« indiscrètes » : «Tu as mangé ?», « Où es-tu allé ? », « Quel âge as-tu ?Tu es
marié(e) ? Combien de personnes vivent chez toi ?». Non pas qu’ils
cherchent vraiment à tout savoir sur votre vie privée. Ce sont en fait des
salutations typiques qui visent à créer rapidement une relation détendue,
naturelle. Et d’ailleurs les enfants vous surnommeront immédiatement
« tante » {ayi ou « oncle » {shushu Pour introduire un inconnu
dans le g u a n xi, il faut absolument réduire la distance qui le sépare de
l’intérieur, pour mieux conjurer la méfiance.
On franchit ainsi des strates qui, à l’intérieur ¿\xguanxiy vont des relations de
shuren vers le noyau familial intime. Les codes évoluent naturellement d’une
strate à une autre : au sein du noyau intime, la politesse est inutile et même
malvenue du fait du formalisme quelle induit. Ainsi, entre parents ou entre
vrais amis, il n’est nul besoin de se dire merci : ce serait poser une distance.
Dans le même ordre d’idée, les Chinois ont beaucoup de mal à faire
comprendre aux Occidentaux ce « besoin relationnel » qui prévaut dans les
relations d’affaires en Chine :
« Quand j’ai réussi à remettre la main sur mon ex-prospect, au lieu de lui
dire que j’étais déçu et en colère, j’ai dit : “je ne sais pas trop quoi faire à
propos de ce problème” afin de laisser la porte ouverte, de ne pas casser la
Chine qm g
TO3
c
Qrj
(G) ■
' §
DI
's_
D
O. Règles
(J
Critique
Modération Contrats
Figure 5 - Trois logiques directrices
qui, travaillant dans la même entreprise que soi, partage a priori les mêmes
valeurs. Pour les Chinois, cette confiance « formelle » ne suffit pas, elle doit
être personnalisée pour garantir la bonne application des accords et des
process.
Un Français, excédé par ce qu’il considère être la mauvaise foi de son
partenaire chinois, brandit le contrat qui unit leurs deux entreprises et
s’écrie : « Mais enfin, ce contrat, il porte bien le cachet de votre groupe,
non ? » Mais le Chinois secoue la tête : « En tout cas ce n’est pas ma
signature. Je n’ai jamais signé ce contrat ».
On est ici aux antipodes des sociétés très «juridicisées », comme les Etats-
Unis, qui n’ont pas besoin de confiance personnelle puisque les relations
interpersonnelles sont contractualisées à l’extrême. Les Chinois, à l’inverse,
ne peuvent pas compter sur la loi. Le g u a n x i leur apporte une solution, qui
complique le business avec les Occidentaux mais le facilite plutôt dans
l’entre-soi de la famille, du réseau relationnel, ou encore de la diaspora
chinoise à l’étranger. Même de très grands groupes français ont fini par
accepter de travailler parfois sans contrat sous peine de ne pas faire de
business en Chine :
Tel est particulièrement le cas avec les Chinois nés dans les années 1960 :
à leurs yeux, chaque fois qu on parle contrat, cela sous-entend que la
confiance n’est pas suffisante (« pas besoin d’un morceau de papier entre
nous !»).
Une simple feuille déclarant que les partenaires vont travailler ensemble
et trouveront un compromis chaque fois que le contexte évoluera, pourra
apparaitre plus probante et plus réaliste aux yeux de ces champions du
pragmatisme et de l’opportunisme. D’où la lenteur extrême des partenaires
chinois à signer les contrats, souvent proportionnelle à l’épaisseur de
ceux-ci. Ou bien leur tendance à retarder la signature de l’accord en posant
des questions de détail...
Une étude de terrain réalisée dans le Guangdong’ montre que les patrons
d’usines chinoises entretiennent des liens privilégiés avec une partie de leurs
gros clients et fournisseurs, liens si forts qu’ils créent une solidarité de fait.
Allier souplesse et cohésion fournit évidemment un avantage considérable.
Les entreprises privées chinoises comptent sur leur « capital social », au sens
de relations personnelles, pour obtenir des prêts bancaires, trouver des
clients et des fournisseurs de confiance qui ne les trahiront pas, et ceci en
l’absence de contrat écrit.
1. Ruffier Jean, Faut-il avoir peur des usines chinoises L’Harmattan, 2008
2 . Tsui Anne S., Bian Yanjie, Cheng Leonard Kwok-Hon, op.cit.
La relation personnelle pour sécuriser le contrat 59
Et c’est aussi pour ces raisons que la coopération avec les entreprises
chinoises est émaillée de mauvaises surprises, déceptions et échecs, qui
souvent s’expliquent par le manque de compréhension de la culture du
g tia n xi, et auraient pu être mieux anticipées, voir évitées.
(y) ^
UNE SEULE APPARTENANCE, LA FAMILLE
CT « La piété filiale est la base de toute vertu et l’origine de toute culture.
Q
O. [...] Elle commence aux devoirs envers les parents, mène au service
U
du souverain et aboutit à la formation du caractère'. »
« Dans mon entreprise, celui que chacun appelle mon boss n’est pas
nécessairement son hiérarchique actuel. Bien souvent c’est celui à qui il doit
son embauche des années auparavant ».
Ces réseaux clientélistes ont une véritable solidarité active : ils permettent
à un patron d’être soutenu dans les moments difficiles et inversement de
rappeler à lui ses hommes de confiance quand il est promu. Bien entendu,
cette logique ne nous est pas étrangère, en France comme dans les autres
pays, mais elle joue à la marge, car la seule légitimité ouvertement acceptable
et défendable dans la tradition républicaine occidentale reste celle de
l’institution, de ses règles écrites et de ses intérêts.
Ces attitudes chinoises heurtent notre universalisme et éventuellement
notre éthique (refus du clientélisme, mépris de la vénalité). De nombreux
Occidentaux ainsi que les Japonais, célèbres pour leur sens du collectif et
leur capacité à se sacrifier pour l’entreprise, se plaignent d’ailleurs de ce
manque de fidélité, accusant les Chinois de ne travailler que pour l’argent,
et de quitter l’entreprise « pour 200 yuans de plus ». Accusation parfois
infondée (sauf pour les ouvriers), puisque, comme nous le verrons dans la
partie III, la qualité de relation avec le supérieur est souvent la véritable
raison.
Certes, le maoïsme a inventé la d a n w e i totalitaire qui gérait et contrôlait
la vie professionnelle, sociale et intime de chacun. Mais ce n’était pas une
appartenance choisie : l’Etat décidait de l’affectation des personnes une fois
pour toutes et il n’existait pas de « marché du travail », lieu d’échange de
X
O3 l’offre et de la demande.
c
Û Il existe cependant, dans l’économie chinoise d’aujourd’hui, une
O exception, qui concerne les salariés de champions nationaux tels que China
fN Chem ou Lenovo : ceux-ci ont souvent le sentiment patriotique de tracer le
chemin de l’internationalisation et de la reconnaissance de la puissance
5- chinoise, et sont fiers de donner l’exemple au reste du pays.
Q.
O
U Cette divergence fondamentale des logiques de pensée et d’action
chinoise et occidentale se manifeste encore dans d’autres domaines,
notamment dans la conception de ce qu’est l’efficacité, qui fait l’objet du
chapitre suivant.
■о
о
с
3
Û
о
fN
>-
О.
о
и
C h a p itre 6
L'EFFICACITÉ CHINOISE
AU JOUR LE JOUR...
« Certains salariés chinois ont du mal à planifier leur travail. Ils ont
tendance à tout faire à la dernière minute. »
« Nos commerciaux chinois ne savent pas faire de prévisions
sur les exercices budgétaires annuels. A chaque fois, ils disent : « Mais ça, ce
n’est pas sûr. » car ils ont peur de s’engager. »
que soit l’heure. Ce qui montre bien que, pour les Chinois, c’est la relation
qui détermine la priorité - plus que le planning qui leur paraît moins
concret :
uns sont parfois les démons des autres, mais il y a aussi des annexions et des
emprunts.
La conséquence fondamentale est qu’il n’y a pas de vérité unique pour les
Chinois, mais un relativisme absolu. Et pas de sentiment d’appartenance à
une chapelle plus qu’à une autre ce qui va de pair avec un grand pragmatisme.
Ainsi la religion revêt-elle une conception presque «utilitaire »h Les Chinois
font appel à des moines bouddhistes ou à des daoshi daoïstes selon les
besoins de la situation (funérailles, fêtes familiales, célébrations
agricoles...)^. Les multiples dieux (daoïstes et bouddhistes) sont honorés
non par amour, mais pour obtenir quelque chose en échange. Les dieux
sont là pour servir les hommes qui en échange les logent dans un autel et les
nourrissent d’offrandes :
SDII Cette influence daoïste sur les mentalités chinoises se traduit donc
D dans la stratégie et la conception de l’action : il s’agit du wu er wei ^ M
O.
(J ^ : le « non agir », qui ne signifie pas non-action mais plutôt non-
activisme, l’idée qu’il est contre-productif de forcer les choses. En cela,
il s’oppose radicalement au volontarisme occidental. Ainsi une fable
bien connue de Mencius^ conclut qu’on ne fait pas pousser les radis en
tirant dessus.
Il y a bien deux conceptions radicalement opposées de l’efficacité qui
s’affrontent - et les entreprises en sont naturellement un théâtre privilégié.
« Les Français adorent faire des réunions pour parler des problèmes
pendant des heures, ils sont « bavards-compliqués. »’
« Pour les Français, les process sont plus importants que les résultats. »
En effet, l’analyse causale est pour un Français la condition sine qua non
de la résolution « une bonne fois pour toutes » du problème, alors que pour
les Chinois, elle est souvent perçue comme une perte de temps : il faut
chercher vite une solution en phase avec le contexte. Quitte à devoir refaire
ce bricolage pragmatique si le problème, non traité au fond, se manifeste à
nouveau. Bien évidemment, chaque démarche intellectuelle a ses points
forts et ses inconvénients.
O
X5
c:d Les Français, entraînés à l’abstraction par leur tradition et leur système
Û
éducatif, aiment les concepts et les principes. Dans un monde en mutation
O
(N permanente, les Chinois préfèrent rester dans le concret et suivre les
(5) modèles qui ont déjà fait leurs preuves. De nombreux professionnels des
affaires confirment qu’en Chine, on convainc rarement avec un
>-
O
Q. raisonnement, ou une démonstration sur Powerpoint, mais plutôt avec des
U
faits, des preuves et des images de succès passés.
Loin du « one best way » des techniciens américains, les Chinois estiment
plus efficace d’observer l’évolution des choses, et d’appliquer une solution
pragmatique dans une optique opportuniste où l’on exploitera au maximum
les forces en présence pour économiser au maximum ses propres forces. On
est ici à l’opposé de l’attitude de maîtrise du monde coutumière aux
Occidentaux, et des efforts qu’ils prodiguent en permanence pour
contraindre les choses et les gens, pour redresser les dérives, pour planifier
l’incertitude ...
L'efficacité chinoise 71
Il est difficile pour des Français de faire confiance à une solution s’ils
n’ont pas la preuve quelle est le résultat d’une démarche suffisamment
rationnelle et rigoureuse. Les enjeux industriels sur les tests et la construction
de la qualité sont d’ailleurs tels que la tenue du process peut compter autant
que le résultat. Au contraire, pour les Chinois, la confiance en une solution
vient du fait que sa pertinence a été validée par l’expérience.
Ainsi, on constate comme souvent que chaque culture est persuadée
de la supériorité de son mode de raisonnement, alors que capacité de
modélisation et pragmatisme sont complémentaires. C’est d’ailleurs
ce que tentent de concilier certaines méthodes nouvelles, telles que le
« développement agile », auxquelles l’industrie occidentale s’ouvre au vu des
performances coréennes ou chinoises. On peut représenter ces deux visions
de l’efficacité sur le schéma suivant :
O
T3
crj
Q Opérations sur le terrain Stratégie
(G) 2 Figure 6 - Deux modes de raisonnement et d'efficacité
SI
DI
D.
O Les approches chinoises ont un indéniable avantage de pragmatisme et
(J
de réactivité aux réalités du terrain. Elles se révèlent souvent très adaptées,
notamment dans les situations incertaines et peu planifiables de la
compétition mondialisée, comme en témoigne la prodigieuse émergence
économique de la Chine depuis quelques années.
Dans les entreprises chinoises, les managers «jonglent » continuellement
avec les diverses priorités relatives, en fonction des événements, du contexte,
et du statut social de leurs interlocuteurs (le patron, le client sont
Û prioritaires), ne déterminant l’action qu’en fonction des résultats de
3
© l’observation immédiate.
72 COMPRENDRE LES COMPORTEMENTS DES CHINOIS
X3
O
c
Û
O
(N
(5)
>-
Q.
O
U
_________ P A R T IE I I _________
L A P R A T IQ U E C H I N O I S E
DU M ANAGEM ENT
T3
O
cZi
Q
O
fN
CL
O
(J
■о
о
с
3
Û
о
fN
>-
О.
о
и
La pratique chinoise du management 75
T3
O
c
Qrj
O
fN
@
SI
DI
O
D.
(J
C h a p itr e 7
1, Cette attitude est soulignée dans le film Entre les murs de Laurent Cantet, 2008.
Une éducation toujours confucéenne 79
Ce qui frappe dans ces propos, c’est le décalage culturel des points de vue
sur le rôle de l’éducation —et sans doute sur les ressorts de « l’efficacité » —
entre l’universitaire française et ses élèves-ingénieurs chinois.
Lorsqu’on demande à des étudiants chinois partis se former aux États-
Unis, en Australie ou en Europe, ce qui les a le plus étonnés, ils répondent
souvent :
T3
O
crj « Les professeurs nous demandaient toujours notre avis, ce qui nous
Q
mettait mal à l’aise. Il fallait faire des exposés et s’exprimer en public alors
O
fN que nous n’en avions pas l’habitude ».
@
от
'l.
Remarques également courantes de la part d’étudiants chinois venus
O
Q.
L éducation par le je u d e Go
À l’efFort demandé aux enfants s’ajoute la très forte influence de la famille sur
les décisions majeures des jeunes : choix des études, lieu de résidence, choix du
partenaire, décision de procréer ou pas... En effet, la piété filiale confucéenne
implique qu’on ne vive pas pour soi, mais pour les siens. Ainsi de nombreux
candidats au recrutement dans des entreprises françaises doivent-ils obtenir la
permission de leurs parents pour accepter ou non un poste.
X5
O
c L'EPREUVE LA PLUS DIFFICILE DE TOUTE UNE VIE
rj
Q
Réintroduit en 1977, ce concours d’entrée à l’université {gaokao) est le
symbole de l’élitisme méritocratique chinois. Le régime a fait un gros effort
xD:I pour construire des facultés, démocratisant ainsi le système mais provoquant
's_ du même coup un chômage massif des jeunes diplômés qui perdaient la
D.
O
(J
garantie d’emploi dans une entreprise d’Etat à la sortie de leurs études.
Le développement du système universitaire a été foudroyant, typique du
dynamisme chinois des années 2000 : en 1999, il n’y avait que 1,4 million
de places à l’université pour 4 millions d’élèves passant l’examen. En 2004,
on est passé à 3,5 millions de places pour 7,2 millions de candidats au
g aokao ^, puis en 2007 à 5,7 millions de places pour 10 millions de candidats.
1. Éric Meyer, « Gaokao, petit ascenseur pour le paradis », Le vent de la Chine, n° 22, du 11 au
17 juin 2007.
82 IA PRATIQUE CHINOISE DU MANAGEMENT
Les effectifs se sont ensuite stabilisés, avec 6,7 millions de places en 2013
pour 9 millions de candidats, chiffre qui est d’ailleurs à rapporter aux
1 500 millions de Chinois de la RPCC. Ces données quantitatives
recouvrent des disparités considérables de qualité et de réputation de
l’enseignement, qui reproduisent les inégalités de prospérité et de
développement entre campagnes et villes plus ou moins grandes, et
mobilisent les parents pour faire accéder leur enfant unique aux meilleures
filières.
Mais le gaokao demeure dans les esprits « l’épreuve la plus cruciale de
toute une vie », même s’il offre désormais bien plus de chances d’accéder à
l’enseignement supérieur qu’autrefois. C’est que la compétition pour l’accès
aux emplois est devenue redoutable, avec pour critère majeur le standing,
extrêmement divers, de l’université dont on est issu.
Beaucoup d’employeurs écartent d’entrée de jeu les candidatures de
diplômés issus d’universités de second rang, ce qui donne une
importance décisive à une admission dans l’une des universités
d’excellence (— Yi l i u d a x u e ), d’autant que ces institutions
d’élite ne représentent qu’une faible proportion des effectifs du
supérieur. De sorte que la démocratisation du g a o ka o , pour positive
quelle soit, aboutit aussi à priver des millions de jeunes gens de
débouchés concrets à la hauteur de leurs efforts et des sacrifices consentis
par leurs familles.
Cette question de l’accès à l’emploi des jeunes diplômés pourrait devenir
explosive à long terme.
TO3
crj
Q
UN ENSEIGNEMENT INADAPTE
O
fN AUX BESOINS DES ENTREPRISES
®
C’est d’ailleurs le paradoxe du marché de l’emploi chinois, puisqu’il existe
Q.
O simultanément un grave déficit en employés qualifiés, que les entreprises
(J
recherchent désespérément. Ce hiatus souligne les lacunes de cet enseignement
magistral, et son inadéquation aux besoins des entreprises : outre qu’il ne
développe pas l’autonomie et la capacité à résoudre des problèmes, il pêche
par l’esprit de compétition individuelle et l’excès de théorie, en décalage avec
les exigences professionnelles des entreprises.
Jusqu’au début des années 2000, les étudiants chinois ne faisaient ni
stage ni travail de groupe, ce qui les rendait de fait très peu opérationnels à
leur arrivée en entreprise, comme le regrettait ce professeur il y a quelques
années :
Une éducation toujours confucéenne 83
Un chercheur conclut :
1. Zhang Zhixue, « Making Sense of China: An expert in Chinese management explains why the
country isn’t as foreign as it seems to Western business people », Gallup ManagementJournal, 10
July 2008, http://gmj.gallup.com/content/108664/making-sense-china.aspx.
2. Chu Zhaohui, chercheur à l’Institut National des Sciences de l’Éducation, cité dans le
China Daily, 25 novembre 2013.
84 PRATIQUE CHINOISE DU MANAGEMENT
LES « FOURMIS » ;
REBUTS DU SYSTÈME ÉLITISTE CHINOIS
@ enfant unique.
Ce « Peuple des Fourmis » constitue une épine dérangeante au cœur du
5-
Q.
développement chinois : le pacte méritocratique y est remis en question, et
O
U avec lui la promesse que l’effort est toujours récompensé.
Le refus ou l’impossibilité de ces jeunes diplômés sans travail d’entrer
dans des emplois subalternes témoigne bien de l’importance du statut
dans la Chine post-maoïste : ce n’est pas la même chose d’être un « col
blanc » ou un « col bleu ». Les écoles professionnelles sont méprisées : des
« écoles pour paysans », qui n’ont pas bénéficié des investissements
volontaristes effectués par le régime pour l’enseignement général, et sont
toujours classées en bas de la hiérarchie dans cette société de statuts sinon
de classes.
Une éducation toujours confucéenne 85
XJ
O
c
rj
Q
O
fN
SI
CT
Cl
O
U
■о
о
с
3
Û
о
fN
>-
О.
о
и
C h a p itr e 8
@ La Voie du Milieu est une philosophie de la vie qui laisse chaque point de
xO:) vue coexister sans parti pris ni préjugé : chacun de ces points de vue a son
's_
D.
utilité selon les circonstances. Elle incite en permanence à régler les problèmes
O
U en fonction de la situation plutôt que de règles fixes. Très chinoise donc,
tournant le dos à l’Occident, à ses règles formelles et leur universalisme.
Ainsi le « socialisme à caractéristiques chinoises » (you zhongguo tese de
shehui z h u y i W doctrine actuelle du régime.
1. La pensée floue {Fuzzy T h in k in g est cette form e de pensée, plus intuitive et systémique que
la pensée cartésienne, qui est de plus en plus utilisée en intelligence artificielle, et qui a de
longue date sa place dans la culture chinoise, en contraste avec la recherche occidentale de
définitions très précises des concepts et des rapports de causalité.
L'hybridation de la pensée chinoise et des méthodes de gestion occidentales 9
1. Zeng SQ, « Zhongyong Management : M Theory and its application » Beijing University
Press (en chinois), 2010.
2. Lin Yutang, La Chine et les C hinois , 1936, Payot.
3. Cyrille J-DJavary, Y i (grand commentaire, époque des Han), Albin Michel, 2012.
92 LA PRATIQUE CHINOISE DU MANAGEMENT
1. C ette malléabilité chinoise (et la m étaphore de l’eau) se retrouve lorsque des témoins
occidentaux voient un collègue chinois tenir des discours divergents voire contradictoires
dans deux enceintes différentes : c’est seulement qu’il a changé de rô le ...
L'hybridation de la pensée chinoise et des méthodes de gestion occidentales 93
UN MANAGER ZHONGYONG
Il est l’exact contraire du « w in n e r » sans complexe, agressif, sans
concession, « droit dans ses bottes » et éventuellement héroïque souvent
associé au leadership volontaire et conquérant à l’américaine, notamment
dans sa version caricaturale du « to u g h g u y », du « macho ». A l’inverse, ceux
qui se font remarquer sont mal vus en Chine, considérés comme porteurs
de risques pour le collectif ou pour leurs supérieurs.
« Un responsable chinois peut bien avoir l’air gentil, alors qu’il détient
l’autorité absolue et que de chacune de ses expressions et de ses actions
émane un pouvoir et une dignité suprêmes »
M. Ma, DRH, China Mobile Communications Co
Le m anager caméléon
C’est ainsi qu’une entreprise chinoise qui voulait utiliser pour une évaluation
de managers quadragénaires des tests de personnalité américains a jugé
indispensable d’ajouter un profil type adapté au contexte chinois. Aux 4 images
d’animaux du test américain, le tigre, le paon, la chouette et le koala représentant
respectivement des personnalités de type sanguin, irritable, mélancolique et
flegmatique, il a fallu ajouter un cinquième animal, le caméléon :
T3
O
c Cette capacité dépend bien sûr du niveau social et d’éducation,
■3
Û conformément aux principes de Confucius qui explique que c’est par
O
(N
l’étude qu’on devient un « homme de bien », \ m j u n z i
®
DI
's_
«Les ouvriers d’usines, de faible niveau d’éducation, ont tendance à dire
D.
O
ce qu’ils pensent et à prendre position, tandis que les gens qui travaillent
U dans les bureaux ou dans les administrations n’ont pas les mêmes
comportements. Plus éduqués, ils savent masquer leurs sentiments et leurs
émotions, et ils le font. Mieux on connait le code d’éthique, mieux on a
compris et intégré les règles de zhongyong^ et moins on est direct. »
M. Fang, DG, American Yidi Co
1. Li Yuan et Chia Robert, « The effect of Chinese traditional fuzzy thinking on Human
Resources practices in Mainland China », Chinese M anagem ent Studies, 2011, Volume 5,
issue 4, Emerald Publishings,
L'hybridation de la pensée chinoise et des méthodes de gestion occidentales 95
« S’ils ne sont pas d’accord avec leur évaluation, les plus virulents vont
contester ouvertement auprès de leur manager. Mais les Chinois de plus de
30 ans préféreront garder le silence pour éviter toute forme de confrontation.
Avec l’âge, les rudes et complexes réalités s’imposent aux gens. Le temps et
X5
O l’expérience arrondit leurs angles et les amène à saisir l’essence profonde de
c
rj zhongyong. »
Q
M. Lu, DRH, Huada Electronics Co
(G) 2 Il est prudent de penser que même les plus extravertis des managers
SI
O)
‘l_ chinois (ceux souvent choisis par les entreprises occidentales, selon leurs
Q.
O critères habituels, pour être recrutés et promus) conservent derrière leur
U
assertivité relative un fonds culturel où zh o n g yo n g et hexie maintiennent
une forte empreinte.
3
Û 1. Ibidem.
© 2. N otre expérience d’anim ation pour un com ité de direction chinois.
96 ÎA PRATIQUE CHINOISE DU MANAGEMENT
1. Gallo Franck T., Business Leadership in China, how to blend Best Western Practices with
Chinese Wisdom, John Wiley & Sons (Asia) Ltd., 2008.
98 PRATIQUE CHINOISE DU MANAGEMENT
@
5-
Q.
O
U
1, Zhang Zhixue, Chen Chao-Chuan, Liu Leigh Anne & Liu Xuefeng « Chinese traditions
and Western theories : influences on business leaders in China », in Chen Chao-Chuan &
Lee Yueh-Ting, Leadership a n d M anagem ent in China, Cambridge, 2008.
■о
о
с
3
Û
о
fN
>-
О.
о
и
C h a p itre 9
Le sage Yeou dit : « Celui qui est respectueux de son père et de sa mère
et de son frère aîné ne se décidera que rarement à désobéir aux autorités, »
LE TRIANGLE DU PATERNALISME
O
T3
crj
Q
O
(N
@
5-
O
Q.
U
D E i l LA VERTU MORALE
REN f Z LA BIENVEILLANCE
Y A N f^ U K SÉVÉRITÉ
1. Cheng B.S. & Farh J.L., « Authority and Benevolence: employees’ responses to paternalistic
Leadership in China », Z;?Tsui Anne S., Bian Yanjie, Cheng Leonard Kwok-Hon, op.cit.
Hiérarchie et leadership paternaliste 107
O
Q. Cette forme d’engagement personnel est plus motivante pour les
U
employés chinois que l’approche occidentale formelle qui consiste à suivre
les procédures et process prévus par l’entreprise »E
Li Jianbo, Vice President of Human Resources, Cisco Systems
-O
c 1 . Fauré Sophie, op. cit.
Û3
c
2. Hwang Kwang-Kuo, « Face and Favor : the Chinese Power Game », American Journal o f
© Sociology,92 (4), 1987.
0 I7\ PRATIQUE CHINOISE DU MANAGEMENT
Revendication
d’équité
Mise à l’écart
5-
Q.
O La logique « Face contre Faveur » implique, de la part du collaborateur, un
U
renoncement à l’expression de son individualité au profit de « l’harmonie »
- exactement comme dans le cadre familial. L’écart (ou « dissonance
émotionnelle ») entre ce qu’il pense vraiment et ce qu’il exprime dans ses
paroles et ses comportements était considéré comme allant de soi dans la
société traditionnelle chinoise et a fortiori dans le maoïsme totalitaire. Cet
écart est de moins en moins bien toléré par la nouvelle génération, comme le
prouvent nos enquêtes auprès d’anciens salariés chinois d’entreprises locales.
C’est précisément pour échapper au management « Face contre Faveur »
que beaucoup d’entre eux, ayant expérimenté le management occidental et
Hiérarchie et leadership paternaliste
UN LEADERSHIP AUTORITAIRE
O
X5
c
:d
a
o
CM
@
5-
Q.
O
U
C h a p itre 1 0
unique, dont la présence est devenue obligatoire dans toutes les entreprises
privées y compris étrangères, est systématiquement favorable à la
direction. Il est par contre soucieux de préserver l’emploi local, et il
dispose d’un droit de contrôle en cas de licenciements massifs. Il sert donc
principalement à éviter les conflits et joue pour le reste le rôle d’un comité
d’entreprise.
Le rapport de force n’est pas en faveur de ces « cols bleus » (sauf dans le
Guangdong et dans les provinces orientales autour de Shanghai, qui
manquent de main-d’œuvre non-qualifiée). Ils ont beaucoup de motifs
d’insatisfaction mais peu de poids, de sorte que l’argent reste la source
première de leurs préoccupations et donc de leurs motivations.
La migration de l’activité industrielle moderne depuis les zones initiales
de l’Est (Shenzen, Guangdong, Shanghai, Suzhou, etc.) vers de grandes
villes de l’intérieur et de l’Ouest, les sous-traitances confiées à des pays
pauvres de l’Asie (Vietnam), contribuent à maintenir ce rapport de force
défavorable, même si les salaires restent orientés à la hausse.
1 . « Chinese Employees Don’t Feel They Have a Voice at Work », Gallup, 2009.
Attentes et motivations des salariés chinois 1 17
pour s’acculturer, mais, non sans paradoxe, dans l’idée de réaffirmer par
leur vitalité une forte identité chinoise.
C’est dans cette perspective qu’en réaction aux injustices du système
chinois, les balinghou revendiquent la reconnaissance du mérite individuel,
l’équité, et des règles identiques pour tous.
Effet secondaire de la Révolution Culturelle qui pendant 10 ans a privé
les Chinois du système méritocratique de réussite par les études, la pénurie
de professionnels qualifiés et de dirigeants très expérimentés (seniors)
marque la GRH en Chine. On considère qu’à poste égal, les Chinois ont en
moyenne aujourd’hui 10 ans de moins que leurs homologues occidentaux.
D ’ailleurs, dans la Chine d’aujourd’hui, on est considéré comme senior
avec cinq ans d’expérience !
Les jiulinghou, encore dans leur vingtaine, vont plus loin dans
l’individualisme malgré la « contrainte confucéenne » qui pèse également
sur eux. Bien que la génération Y soit « une « génération moi » baignant
dans la high-tech, les jeux vidéo et les cafés latte du Starbucks, ils ne laissent
pas de côté les valeurs chinoises [...] ; ils ne sont pas occidentalisés »’.
Ils placent au contraire la réussite sociale et la famille au sommet de leurs
priorités :
X5
O Ces puissants réflexes de soutien des ascendants familiaux ne signifient
c
Û d’ailleurs pas que la communication intergénérationnelle soit très intense
pour autant : les sujets intimes et les détails de l’histoire familiale par
exemple sont souvent tabous à la maison.
Autre aspect caractéristique :
a .
O
(J « Quand ils sont confrontés à un nouvel environnement, ils cherchent
tout d’abord à se faire de nouveaux amis. »
1 . Ibidem.
Attentes et motivations des salariés chinois
« Les étrangers disent qu’ils travaillent pour leur entreprise. Les Chinois
sont différents. Depuis l’Antiquité, on demande aux enfants chinois d’être
Chu Ren Tou Di lB c’est-à-dire “Une tête plus haut que les autres”.
La plupart des Chinois ne sont pas satisfaits de travailler pour une entreprise,
même s’il s’agit d’une multinationale. Ils veulent travailler pour eux-mêmes,
et créer leur propre entreprise, ce sont des entrepreneurs ! »
X5
O
c
■3 La « sauterelle mercenaire »
Û
O C’est le tiaocao : « saute-mangeoire », qui change d’entreprise tous
(N
@ les 2 ans (et même tous 18 mois en moyenne pour un manager à Shanghai),
pour maximiser sa rémunération à court terme. Du fait de la pénurie de
CT
's_ personnel qualifié, les appels du pied des chasseurs de tête sont nombreux.
D.
O
(J Changer de travail permet d’augmenter son salaire.
Ce modèle de réussite aux CV interminables contribue à donner une image
de mercenaires à l’ensemble des salariés chinois qui, aux yeux de nombreux
patrons occidentaux, « sont prêts à lâcher leur job pour 20 euros de plus ».
C ’est donc selon ces diverses logiques et attentes que les salariés s’insèrent
dans le monde du travail chinois, qui reste dominé par trois grands modèles
d’organisation et de fonctionnement :
• l’entreprise d’Etat, héritage des périodes antérieures, mais engagée à
û3
© différents stades dans de profondes restructurations et évolutions ;
20 U\ PRATIQUE CHINOISE DU MANAGEMENT
O
fN
JC
ZT
>-
CL
O
U
________ C h a p i t r e 1 1 _________
1. Eyraud Corinne, L’entreprise d ’État chinoise : de l’institution sociale totale vers l’entité économique ?,
û3 L’Harmattan, Paris, 1999.
© 2. O n en comptait 120 en 2014.
22 IA PRATIQUE CHINOISE DU MANAGEMENT
ou Avic, ont plutôt pris le rôle de « champions nationaux » dans des secteurs
stratégiques tels que les télécoms, l’énergie ou l’aéronautique.
1. Une autre catégorie de dirigeants mérite d ’être m entionnée : celle des enfants de leaders
politiques, qu’on surnom m e les A c i ta izi (Petits Princes), qui disposent d ’une voie royale
pour entrer en beauté dans le m onde des affaires, sinon dans la politique.
L'entreprise d'État restructurée 123
n’imaginerait pas ici une action fondée, comme celle de l’Union européenne,
sur l’application rigoureuse de principes (libéraux) abstraits et volontaristes.
Cette intervention en souplesse, loin des anciens dirigismes, de l’Etat
chinois dans l’économie et même à l’international, par l’intermédiaire de
ces grandes çy.-danwei modernisées, a de fait beaucoup d’avantages pour le
pays en termes d’efficacité, de capacité à construire une industrie diversifiée
à la fois solide et compétitive à son stade actuel de développement. Ce
capitalisme d’Etat est réputé contribuer à atteindre l’objectif d’une
« prospérité modeste » xiaokang/\\^ évoquée par DengXiaopingen 1979,
et qui renvoie à l’antique « Classique des Rites ».
Mais ce même capitalisme d’État, avec ses limites poreuses, donne aussi
prise à des tentations de corruption stimulées par le développement et
l’enrichissement rapides de la Chine.
A côté de ces grands champions nationaux, beaucoup d’anciennes danwei
n’ont pas su suivre l’évolution des techniques et de l’économie chinoise.
Certaines ont été dissoutes, d’autres se maintiennent en s’adaptant, malgré
les faibles productivités inhérentes à leur modèle maoïste tel qu’il a été en
partie conservé.
Il est intéressant d’analyser leur mode de management qui, pour tous les
managers de plus de 45 ans, constitue la référence de leurs premières
expériences professionnelles. Mais aussi parce que ces danwei sont souvent
rachetées en tout ou partie par des groupes internationaux, désireux de
disposer rapidement d’implantations industrielles ou de réseaux de
distribution.
XJ
O Un exemple précis permet de prendre la mesure des habitudes et
c
rj
Q particularités de fonctionnement de ces danwei.
(y) 2
x:CT L'EXEMPLE DE GREATMILL ;
HISTOIRE DU RACHAT D'UNE USINE D'ÉTAT CHINOISE
D.
O
(J
Pour répondre à ce double objectif, nous exposons ici le cas d’une usine
d’État chinoise^ rachetée par une grande entreprise française. À l’occasion
de plusieurs formations « Manager en Chine » que nous avons animées
pour les cadres expatriés acteurs de cette opération, nous avons pu voir de
près les facteurs et les effets de ce choc culturel, observer de l’intérieur le
fonctionnement d’une danwei en restructuration, et prendre la mesure des
-O
O
c
3
Û
© 1. Le nom de l’entreprise a été changé.
24 IA PRATIQUE CHINOISE DU MANAGEMENT
Sur le terrain, ce processus mené au pas de charge a suscité très vite des
résistances. Il mettait sous forte pression tous les protagonistes : employés
et cadres chinois de la danwei, managers « biculturels » nouvellement
recrutés et expatriés français et américains chargés de l’intégration. Ces
derniers n’avaient quasiment aucune prise sur le fonctionnement réel de
l’entreprise, du fait de leur méconnaissance de la langue chinoise et de
leur impréparation quant à la réalité d’une danwei. Ils s’en plaignaient
amèrement :
L'entreprise d'État restructurée 125
Logiques familiales
La nouvelle direction française a également découvert le phénomène de
l’hérédité des emplois. Plus de 70 % des employés âgés de 30-40 ans
faisaient partie de la seconde voire de la troisième génération de GreatMilL
Les familles s’y étaient donc développées. La plus nombreuse, celle du
directeur général adjoint, comptait plus de cent personnes...
L’accès des enfants à l’école était fonction de la hiérarchie des postes
occupés par leurs parents qui, lorsqu’ils travaillaient tous les deux dans
l’entreprise, bénéficiaient d’une prise en charge quasi totale des frais de
scolarité. Les retraités venaient traîner dans les bureaux pour passer le temps
et n’hésitaient pas à donner un coup de main dans l’atelier si nécessaire.
« GreatMill a un gros client, une entreprise d’État également, qui n’a pas
payé ses factures depuis très longtemps. Et pourtant, nos commerciaux
continuent de prendre des commandes auprès de ce mauvais payeur parce
que s’ils réclamaient le paiement des dettes, cela briserait la relation.
D’ailleurs, leur rémunération n’est pas liée au recouvrement des créances
comme cela se fait en Occident. »
Le DAF américain
signer dans différents départements. À midi, ils jouent aux cartes puis
rentrent chez eux pour faire la sieste. Souvent des retraités passent et restent
longtemps dans le bureau. »
Un manager français
Lenlisement
On conçoit bien que dans ces conditions la réalisation du projet
d’intégration se heurtait à de multiples freins.
Les managers intermédiaires se plaignaient d’un manque de confiance de
la part du groupe français. Ils s’appuyaient en revanche sur l’audit pour
réclamer un système de rémunération différencié (à la performance) en
rupture avec les promotions à l’ancienneté et au « piston » (lié au guanxi)
X3 qui prévalaient avant la création de joint venture.
O
c
Quant aux cadres chinois « biculturels », ils n’apportaient pas la
Û
contribution attendue à l’intégration de GreatMill. Ils avaient été recrutés
O
(N par la partie française, souvent en raison de leur bonne maîtrise de l’anglais
(5) et d’une expérience antérieure dans des groupes internationaux leur
assurant un certain degré d’acculturation à la mentalité occidentale. Mais
>-
Q.
O l’écart était trop grand entre la réalité de la danwei, les logiques de pensée et
U
de comportement chinois et les valeurs et process du groupe français. Les
Chinois « biculturels » ne parvenaient à s’intégrer ni à l’une, ni à l’autre et ne
jouaient pas leur rôle de médiateurs culturels.
Ainsi, le DRH chinois formé aux États-Unis était dépassé par l’ampleur
des réformes. Il ne cessait de reporter ses missions prioritaires : l’évaluation
des compétences et des besoins de formation, et la construction d’une grille
de salaire transparente et équitable, qui bien entendu remettait en question
toute l’organisation clientéliste de la danwei. Par contre, il organisait chaque
semaine un dîner avec ses collaborateurs du département RH et trinquait
L'entreprise d'État restructurée 129
avec eux jusqu’à rouler sous la table... Cela ne veut pas dire qu’il perdait son
temps puisqu’il était bel et bien en train d’essayer de gagner la confiance de
ses collaborateurs et de constituer un guanxi, qui de fait était un vrai
préalable à un travail efficace. Mais les dirigeants français ne l’ont pas
interprété ainsi et ont estimé qu’il manquait à la fois de compétences et de
« courage managérial », de sorte qu’il fut licencié au bout de cinq mois.
O
X5
c
Û
xC:T
>-
Q.
O
U
C h a p itre 1 2
U
LA FORCE DE L'ENTREPRISE VIENT DE SON GUANXf
1. Ruffier Jean,
2. g u a n x ijiu shi shengchanli J j-
L'entreprise privée patriarcale 133
dans le Guangdong^ sont presque tous fondés sur des liens personnels et
familiaux et non pas formels, professionnels.
De fait, les managers des PME privées sont souvent focalisés sur
l’extérieur (leur marché, les relations avec l’administration, les clients et
fournisseurs) au détriment de l’efficacité interne (contrôle des coûts,
productivité, ...) qui passe souvent au second plan. De même, les centres
de pouvoir au sein de l’entreprise sont concentrés sur les fonctions ventes et
achats (comme dans la d a n w e i du reste), tandis que la fonction financière
est de préférence confiée à un membre de la famille.
ORGANISATION ET MANAGEMENT
O
T3
£==
Û J
sz
CT
>-
Q.
O
U
Reste de l’entreprise :
la plupart des salariés
Figure 9 - La culture « privée patriarcale » : l'exemple de y ttJ Guangli
U
Ce style de management confucéen, volontiers autoritaire et arbitraire,
dépourvu de règles formalisées et transparentes, se retrouve dans les
entreprises privées chinoises de toute l’Asie du Sud-est.
I
-O
c
Comme dans les d a n w ei, mais de manière moins paradoxale, les
c
3
û
entreprises privées chinoises se caractérisent par une quasi-absence de
© procédures écrites et de process standardisés. « On observe une faible
36 U\ PRATIQUE CHINOISE DU MANAGEMENT
«Je fais confiance à mes yeux, et je suis capable de juger une personne au
premier regard. »
Un DG chinois
DI Comme dans les PME du monde entier, le patron chinois contrôle tout ce
O
Q. qui se passe dans son entreprise. On retrouve souvent dans la réalité chinoise
U
l’un des types extrêmes du management paternaliste, celui du « leader
dictatorial ». Selon nos 3 pôles du leadership paternaliste, il n’est donc ni
moral ni bienveillant, seulement autocratique et sévère. Il ne tient pas compte
des besoins des subordonnés qui en conséquence ne s’identifient pas à lui, lui
obéissent sans le respecter, et manifestent peu d’engagement dans leur travail.
Les entreprises taïwanaises —qui gèrent désormais des dizaines de milliers
de lignes d’assemblage en Chine - sont souvent perçues comme
3 particulièrement autoritaires par leurs salariés : «Les structures managériales
Û
C
1. Chang Ching-Yen, Hempel Paul, « Reconciling traditional Chinese Management with high
tech Taiwan », H u m a n Resources M anagem ent Journal, Volume 12, août 2006.
L'entreprise privée patriarcale 139
demande leur avis, leurs yeux deviennent blancs. Puisque je suis le chef, je
dois avoir la solution. Si je ne l’ai pas ou que je leur demande leurs
suggestions, ils le prennent comme un signe de faiblesse. Parfois ils sont
surpris d’apprendre que leur suggestion a été validée et mise en place.
O
X5
c
Û
O)
JC
>-
Q.
O
U
■о
о
с
3
Û
о
fN
>-
О.
о
и
C h a p itr e 1 3
LA MULTINATIONALE CHINOISE ;
LABORATOIRE D'HYBRIDATION MANAGÉRIALE
1. Lin Thomas, << OEC Management-Control System helps China Haier Group Achieve
Competitive Advantage », M anagem ent Accounting Quarterly, Spring 2005, vol.6 n°5.
2. Taylor R, The Principles o f Scientific M anagement, Qosimo,2t)t)G.
La multinationale chinoise : laboratoire d'hybridation managériale 147
Pour motiver les salariés chinois, Haier a instauré une méthode appelée
OEC, qui renvoie sans équivoque à la sentence de Confucius prônant l’auto
discipline : « Il faut chaque jour s’examiner 3 fois ». Les initiales d’OEC
signifient : O pour Overall (partout), E pour Everyone, Everything, Everyday
(chacun, tout, chaque jour), C pour Control & Clear (contrôler et traiter). Ce
qui donne : « Chaque jour, terminer sa tâche, chaque jour se corriger, chaque
jour plus haut ».
D’ailleurs le contrôle automatisé affiche en permanence, d’heure en heure, la
performance de chaque ouvrier.
Haier a fait l’objet de nombreuses études et même d’un film car ce champion
national a battu en brèche l’image de «mauvaise qualité »qu’avaient à l’époque
les produits chinois et réussi l’impossible : une expansion mondiale très
rapide sur un marché saturé et contrôlé par de grands groupes occidentaux et
japonais. En 15 ans, son dirigeant Zhang Ruimin est parvenu à transformer
une danwei mourante en une multinationale de premier plan.
Il est très intéressant de noter que le PDG chinois fait référence à l’approche
individualiste de l’Occidental, assimilée au fond à de l’indiscipline, du laxisme
paresseux et un esprit contestataire qui menacent «les efforts de team b u ild in g
de Huawei. » Or nous avons vu que, paradoxalement, le groupe exacerbe
l’individualisme absolu, bien sûr dans le respect de l’autorité et des règles. Il
est clair qu’il ne s’agit pas du même individualisme ! Ce que l’Australien défie
et menace, ce n’est pas l’esprit d’équipe, rarement valorisé chez Huawei où
chacun est seul contre tous. Ce serait plutôt l’harmonie, c’est-à-dire la face des
hiérarchiques et l’obéissance des salariés qui conditionnent cette « unité » si
importante aux yeux des Chinois.
La discipline est également très marquée ailleurs, par exemple chez
Lenovo, ce groupe informatique entré sur la scène internationale par un
coup d’éclat en rachetant la branche Personal Computer d’IBM :
Le point commun de toutes les MNC chinoises est la pression très forte
exercée sur les collaborateurs.
À l’extrême, on observe une forme de darwinisme social qui organise
l’insécurité permanente de l’emploi et prend le contre-pied du « bol de riz
c3 1. Cité par Franck T. Gallo, Business Leadership in China, how to blend Best Western Practices with
Û
© Chinese Wisdom, John Wiley ôd Sons (Asia) Pte. Ltd., 2008.
50 IA PRATIQUE CHINOISE DU MANAGEMENT
«Chez nous, dès que les ventes de sa zone sont en dessous des objectifs,
le commercial reçoit un SMS sur son portable. Il doit entamer une action
corrective immédiatement. »
Un ancien DRH de TCL
<( Dans notre groupe, les décisions sont ultra centralisées : toutes les
décisions des middle managers remontent au sommet et doivent être
validées, ce qui rend les process très bureaucratiques. »
Une RRH française d’un groupe chinois en France
Par ailleurs, les cadres des multinationales chinoises sont soumis à des
examens mensuels ou trimestriels, qui évaluent non pas leur performance
mais leurs connaissances d’un produit, d’un marché ou d’un process. Il
s’agit donc d’évaluations « objectives » de leur compétence :
■O O
cr3 «La mesure de la performance des key account managers par des examens
Q trimestriels est considérée comme indispensable pour savoir si on garde un
O salarié ou pas. »
fN Un RRH d’un groupe chinois en France
>- «Chez nous, les cadres ont une peur bleue des évaluations mensuelles. »
Q.
O
U Un ancien DRH de TCL
Cette pratique s’exporte mal en Europe : interdite par les lois du travail
elle est jugée dégradante par les intéressés qui n’apprécient pas de voir
remettre en question leurs compétences à 40 ans passés...
Il en est de même de certaines exigences à l’égard des salariés. Par rapport
à ce qui est considéré comme acceptable en Occident, il en résulte un
déséquilibre vie privée/professionnelle au profit de l’entreprise, qui
demande un engagement total de l’individu :
La multinationale chinoise : laboratoire d'hybridation managériale
« Celui qui prend des congés se trouve pénalisé, c’est mal vu chez nous.
Mais en contrepartie, il y a des formations contre le stress. Les gens
travaillent tard, mais ils font la sieste à midi. Le soir ils sortent dîner
ensemble puis ils reviennent travailler. »
Un ancien DRH de TCL
100 000 salariés), et que ses conditions de travail sont objectivement les
meilleures du Guangdong.
Le suicide au travail est tout sauf un fait nouveau en Chine, où les ouvriers
de base ne bénéficient d’aucun droit au sens occidental du terme. Dans
l’industrie du bâtiment, où les salaires sont payés une fois par an, les faillites
frauduleuses conduisent fréquemment au désespoir des travailleurs
migrants, qui ne se voient pas retourner vers leur famille les mains vides.
• x in(honnêteté et loyauté).
T3
O
c Il présente sa philosophie du management comme centrée sur le
rj
Q collaborateur et l’humain. Lorsqu’il l’a mise en place, il a expliqué aux
salariés qu’il garantissait leurs salaires, tout en exigeant un strict respect des
instructions. On retrouve en effet les termes du deal confucéen fondamental
(les cinq relations cardinales w u lu n obéissance absolue contre
5-
Q. protection du patron-père).
O
U
Qui dit confucianisme dit « bienveillance » paternaliste. On observe
néanmoins de grandes disparités dans la prise en compte de « l’humain »
chez ces nouveaux champions de l’industrie chinoise : certaines de ces
multinationales chinoises ont par exemple conservé une responsabilité
sociale de maintien de l’emploi local.
Ainsi, ChinaChem, groupe public qui a progressivement racheté plus
d’une centaine d’entreprises chimiques chinoises dont Bluestar, a créé une
chaîne de restauration rapide pour embaucher les 10 000 xiagang
(« sortis du poste ») dont elle a dû se séparer au fil des rationalisations engagées.
54 U\ PRATIQUE CHINOISE DU MANAGEMENT
a.
O « Dans notre groupe, il n’y a pas de stratégie précise avec ses étapes. Ni
(J
de plan ni de feuille de route pour parvenir à l’objectif Et pourtant c’est très
ambitieux. Pendant 10 ans nous avons essayé de mettre en place des
pratiques occidentales, mais nous n’y sommes jamais parvenus. Nous
faisons des budgets, mais ils ne sont jamais tenus. Notre directeur général
est très chinois. Dès qu’il y a trop de procédures, il dit : « Mettons un peu
plus d’humanité là-dedans » et quand les choses deviennent désordonnées,
il dit : «- Cela manque de discipline, il faut des process. »
« C’est ça, la Voie du Milieu. »
Le président chinois d’une filiale Europe
La multinationale chinoise ; laboratoire d'hybridation managériale 155
Dans ce témoignage, on voit bien que le process est facilement perçu par
les leaders chinois comme un élément potentiellement inhibant et
stérilisant, même s’il peut rendre des services lorsqu’on a besoin d’ordre et
de discipline. Il reste donc suspect, à n’utiliser qu’avec acuité ivuxing)^
sous peine de rigidifier l’action (on retrouve cette hantise chinoise) et en fin
de compte de «déshumaniser» le management.
Le process devient illégitime dès qu’il apparaît inadapté à une réalité
toujours mouvante. Alors que dans la culture occidentale, il constitue
justement le remède contre l’incertitude, contre l’instabilité des choses et
des humains, réputé assurer la cohérence et l’équité, et protéger de
l’arbitraire. Il a toute sa place dans une vision du temps plus linéaire et du
monde, plus stable : il permet de contrôler ce qui reste d’incertitude et
prétend anticiper l’avenir.
C’est dans cette perspective très particulière que les entreprises chinoises
acclimatent une gamme très variable d’une entreprise à une autre de process
empruntés à l’étranger, sans perdre de vue leur philosophie de l’action
propre à la culture chinoise.
1. Internet oblige les groupes chinois à renverser la pyram ide hiérarchique, http://chloeascencio.
corn/fr/category/m anagem ent-chinois/
56 LA PRATIQUE CHINOISE DU MANAGEMENT
« Internet c’est plus qu’un outil, c’est une nouvelle façon de penser, et
cela implique de respecter les clients. »
Liu De, fondateur’
T3
O
c
rj
Q Il sera intéressant de voir jusqu’où se déploiera ce respect du client par les
grandes marques chinoises, et s’il induira, de manière systémique, celui des
O
(N employés qui assurent le contact direct avec les clients. C’est en tous cas ce
(5) que suggèrent les propos de grands patrons chinois de l’économie
numérique, notamment Jack Ma, le fondateur d’Alibaba.
>-
Q.
O
U
Nous évoquerons bien entendu ces questions à propos des pratiques
^ em p o w erm en t la Partie III.
X5
O
c
Û
sz
CT
'l.
>
Q.
-
O
U
■о
о
с
3
Û
о
fN
>-
О.
о
и
P A R T IE I I I
8 CLÉS P O U R M A N A G E R E N C H IN E
T3
O
c
rj
Q
O
fN
CL
O
(J
■о
о
с
3
Û
о
fN
>-
О.
о
и
8 clés pour manager en Chine 161
û 1. Témoignage typique recueilli lors d’une de nos formations « Manager une équipe chinoise ».
© 2. laoban : patron, ou petit chef.
62 8 CLÉS POUR MANAGER EN CHINE
1. D ans le cas de notre étude, une relation personnelle de gu an xi établie avec un nom bre
représentatif de collaborateurs chinois salariés d ’entreprises internationales dans toutes les
villes de premier rang.
66 8 CLES POUR MANAGER EN CHINE
@
UNE RÉMUNÉRATION ÉQUITABLE
>-
Q.
O
U Même si l’argent ne doit pas masquer tous les autres enjeux, la gestion
des rémunérations et leur juste évaluation sont bien sûr très importants en
Chine. Il est essentiel de demeurer à l’écoute des évolutions rapides du
marché de l’emploi et de faire preuve de réactivité pour ne pas risquer de
perdre les talents de l’entreprise. En effet, les Chinois sont destinés à porter
un lourd fardeau (leurs deux parents mais aussi les quatre grands parents) et
doivent pouvoir commencer rapidement à épargner. Si les augmentations
de salaires tardent à arriver, les collaborateurs chinois ont tendance à
l’interpréter comme le signe qu’il est temps de démissionner.
Comment gérer les ressources humaines chinoises 167
INCITER À D\ PERFORMANCE
Les rémunérations individualisées et intégrant une part variable
dépendant de la performance sont devenues très courantes dans les pays
occidentaux. Elles sont toutefois loin d’être généralisées, même dans les
T3
fonctions qui s’y prêtent bien, et l’ampleur de la part variable est
o
c
rj extrêmement diverse d’une entreprise à une autre.
Q Ces systèmes se sont développés à des rythmes très différents, avec des
résistances, notamment dans certaines cultures, comme la culture française,
moins prêtes à la diversification individuelle des rémunérations.
x:
En contexte culturel chinois, la situation est radicalement inverse. La
>-
Q.
O revendication d’équité est très forte, et s’oppose nettement aux principes
U occidentaux d’égalité formelle. Elle s’accompagne d’un rejet de l’arbitraire
ou du flou subjectif qui prévalaient dans les entreprises d’État {danweî) et
qui subsistent dans la plupart des PME chinoises. Il y a désormais en Chine,
dans ce climat, une forte demande de systèmes de rémunération à la
performance, ancrés sur des indicateurs objectifs.
On observe donc une réelle adéquation entre les attentes des collaborateurs
chinois de la jeune génération et les exigences de performance des entreprises
modernes. Alors qu en France les indicateurs de performances sont parfois
considérés avec distance, ils sont pris très aux sérieux par les Chinois car ils
mettent fin au favoritisme. La « gestion par les hommes » confucéenne est
maintenant considérée comme injuste tandis que la « gestion par les règles »
est plébiscitée par une partie de la jeune génération pour la reconnaissance
équitable des efforts et des mérites qu elle instaure.
1. CH-ina, Swisscham, Swiss Center Shanghai, Business Network Switzerland, op. cit.
Comment gérer les ressources humaines chinoises 169
U autres en essayant de garder le secret..., ce qui est quasi illusoire car les
Chinois parlent ouvertement de leur salaire entre eux !
Les responsables des ressources humaines doivent ainsi prendre en
compte la situation particulière du recrutement : la difficulté à recruter telle
personne, sa rareté sur le marché, l’état de la concurrence et le risque de
perdre la personne. Etant donné la surchauffe et l’hétérogénéité du marché
3
Û 1. D ’Iribarne Philippe et Herrault Christian, « Gérer en Chine : tnvcç. guanxi et bureaucratie
© céleste », op. cit.
70 8 CLÉS POUR MANAGER EN CHINE
U
Un DRH en Chine
Aux yeux des jeunes Chinois, l’attrait des entreprises américaines réside
pour beaucoup dans le savoir-faire de celles-ci pour reconnaître et valoriser
la performance. Cet excellent stimulant est au demeurant abondamment
utilisé dans les multinationales chinoises (« employé du mois », « empreintes
de pieds » chez Haier, bonus, etc.).
Il est donc indispensable d’organiser la reconnaissance des succès {success
awards) dans l’entreprise, à travers la communication interne et l’action de
la direction des ressources humaines : on peut par exemple citer les succès
sur l’intranet, afficher les performances individuelles et collectives, etc.
Le « challenge des RH en Chine » s’est résumé pendant les premières
décennies du boom chinois à « augmenter les salaires et les bonus ». Certains
groupes américains n’hésitaient pas à offrir à leurs cadres dirigeants des
appartements et des salaires exorbitants. Mais de plus en plus d’entreprises
et de managers occidentaux réussissent à manager efficacement leurs
collaborateurs de valeur sans entrer dans la spirale infernale des
récompenses : ils considèrent la délégation, la formation et la montée en
compétences et en responsabilités comme des clés efficaces d’un turn-over
réduit et d’un haut niveau de performance.
Encore une fois, les enquêtes RH le confirment : l’argent n’est plus depuis
longtemps l’unique facteur qui pousse les cols blancs chinois à changer
d’entreprise. Et un salaire compétitif n’est plus le seul levier d’attractivité
des postes.
La génération Y, notamment, se préoccupe encore plus des perspectives
et des opportunités de carrière que des rémunérations. C’est quelle est
O
X5
c confrontée au chômage massif des jeunes diplômés, et cherche avant toute
Û chose à s’insérer sur le marché de l’emploi. La promesse d’un développement
de carrière rapide est ainsi très alléchante même si la rémunération est
en-dessous du niveau du marché.
x:
DI Quant à la génération X, l’intérêt du poste devient de plus en plus
>-
Q. important pour elle, et un niveau de responsabilité important peut
O
U
compenser un salaire un peu décevant. Mais pas trop longtemps...
L’entreprise est donc jugée sur sa capacité à proposer des plans de carrière
attrayants et de nombreuses opportunités de formations. Nombre d’entre
eux veulent devenir managers plutôt pour le statut social que ce titre procure
que par vocation spécifique, d’où le succès des MBA.
D’après nos enquêtes, les collaborateurs chinois expriment souvent une
perception pessimiste de leur futur dans l’entreprise française qui les
emploie. Certes ils reconnaissent l’attrait d’un style de management moins
directif et plus axé sur l’individu, une certaine liberté de parole, de
l’autonomie. Ils apprécient le respect des droits salariés et l’attention portée
à l’équilibre de la vie privée et professionnelle. Les entreprises françaises
engagées dans des politiques ambitieuses de développement des talents
attirent aussi les jeunes diplômés. Néanmoins, un réel sentiment de blocage
se fait sentir, souvent exprimé par une formule-choc : « Il est impossible de
devenir numéro un dans une entreprise française ».
De fait, les sociétés françaises manquent de confiance dans les capacités
d’un manager chinois :
U
formés dans des entreprises étrangères. Seule la moitié des 37 groupes
du CAC 40 présents en Chine ont nommé au moins une fois un
président ou un directeur général chinois ou d’origine chinoise. Cette
tendance amorcée en 2004, souvent dans le cadre joint-ventures, s’est
cependant accélérée à partir de 2010 (Alstom, Axa, Pernod-Ricard,
Airbus, EDF, Schneider, Essilor...). Par contraste, les groupes
3 américains avaient commencé la « localisation » des postes dirigeants
3O3I
c3
Û
© 1 . Li Chunyuan, Réussir sur le marché chinois, Eyrolles, 2015.
74 8 CLÉS POUR MANAGER EN CHINE
Et, bien entendu, le haut degré d’émulation qui entoure ces questions de
développement de carrière, avec leurs enjeux de face, augmente encore la
susceptibilité et la tension des jeunes diplômés chinois :
« Puisque les relations sont très importantes, chaque fois que Гоп promeut
quelqu’un, la face est en jeu. Nous risquons de perdre les autres. D’une certaine
manière, les gens se mesurent les uns aux autres, ce qui est culturellement
logique ici, d’autant plus que le marché est extrêmement compétitif »'
Paolo Gasparinni, ex-PDG de l’Oréal Chine
1 . Ibid.
2. Ibid.
3. Grant Thornton firm, 2013 survey « Women in senior management: setting the stage for
growth ».
4. Voir A story ofDulalds Promotion f tííÍ Í Í Í ^ I R íB , une série télévisée de 2011 qui raconte
l’ascension fulgurante d’une jeune Chinoise ambitieuse dans une entreprise américaine à
Shanghai http://www.viki.com/tv/4512c-a-story-of-lalas-promotion.
76 8 CLES POUR MANAGER EN CHINE
QUE FAIRE?
1. Valoriser le rôle du D R H ; il est absolument stratégique, en Chine
plus encore qu ailleurs. C’est donc une fonction qui doit être elle-
même valorisée et valorisante.
2 . Rendre les prom otions structurées et prévisibles : ce qui implique
non seulement de définir responsabilités et descriptions de postes
mais aussi de les rendre publiques et transparentes.
3. Concevoir des plans de carrière com portant beaucoup de petites
étapes très structurées. Il ne s’agit pas pour autant de créer des titres
et des libellés de fonctions vides de sens : ils doivent comporter
chaque fois effectivement plus de responsabilité, de rémunération
et d’autorité. Par exemple :
- sales associate ;
- senior sales representative ;
- sales specialist ;
- sales supervisor ;
- assistant sales manager ;
- sales manager.
O
X5
c
Û 4. Jo u er sur l’intitulé des postes. Ainsi, pour fidéliser les bons
O ingénieurs qui n’ont pas la fibre managériale, le groupe suisse Geberit
rsl
(5) a créé une échelle de carrière motivante qui va de « ingénieur junior »
jusqu’à « expert technique »’. Les cinq niveaux correspondent à des
>- rémunérations différentes et présentent des intitulés valorisants
O
Q.
1. CH-ina, Swisscham, Swiss Center Shanghai, Business Network Switzerland, op. cit.
Comment gérer les ressources humaines chinoises 177
1 1 . Com m encer la form ation dès la période d’essai pour les nouvelles
recrues : ils en auront un grand besoin pour combler les lacunes
du système éducatif et développer plus rapidement l’autonomie,
l’initiative et l’assertivité.
5-
O
Q.
U
______________ C h a p i t r e 1 5 _______________
i tous ces éléments de GRH que nous venons d’analyser sont autant de
S facteurs importants de l’implication des salariés dans les entreprises en
Chine, c’est bien la relation managériale qui en est la colonne vertébrale :
c’est le grand enjeu, tout particulièrement en Chine où la relation humaine
est première.
C’est qu’on est ici au point central du fonctionnement humain d’une
entreprise : celui de l’exercice de l’autorité hiérarchique par laquelle passe et se
démultiplie la délégation des tâches à réaliser, la fixation et le suivi des objectifs,
les formes et le style du contrôle exercé, le soutien et le perfectionnement des
subordonnés. Un ensemble de rôles et d’interactions complexes, qui se jouent
avec une grande variété possible de styles et de positionnements dans cette
relation de coopération très particulière, inégalitaire par définition, qu’est la
relation hiérarchique. Indéniablement un domaine hautement culturel...
Avec des questions évidemment essentielles pour le chef comme pour le
O
T3
c subordonné : Qu’est-ce qui est délégué (des tâches, des objectifs, ou des
rj
Q missions ?), et dans quels termes ? Comment est-ce contrôlé ? Quelle
reconnaissance donne-t-on aux résultats obtenus, aux réussites et aux
(G) 2 erreurs, quelles gratifications ou sanctions ? Qui décide, et comment ?
DI Doit-on appliquer à la lettre ? Peut-on en discuter ? etc.
's_
O
D. Or, avec des salariés chinois, toutes ces questions tendent à converger
(J
vers la relation managériale - une relation de personne à personne
particulièrement impliquante pour eux. Tout ce que nous avons décrit en
Partie II montre la charge d’investissement, d’implication personnelle,
d’attentes, dont cette relation est porteuse dans une culture où le modèle
fondamental de fonctionnement social est celui de la famille.
Lorsqu’une entreprise internationale s’implante en Chine, lorsqu’un
cadre dirigeant, un expert ou un manager occidental y est nommé, ils
arrivent avec en tête et dans leurs expériences antérieures des habitudes et
des évidences très différentes concernant cette relation managériale. Au-delà
80 8 CLÉS POUR MANAGER EN CHINE
+ —
Par les règles & Les règles sont assimilées, Subies, peu intégrées, obéissance
process intégrées, légitimes passive, châtiments durs.
masquage des erreurs
+ ++
Par des incitations Logique des intérêts ; M otivation forte
aux résultats En France : fonctionne,
TL3J mais certaines réticences
c
rj + +++
Q
L
tH
D Par les hommes Utile pour la reconnaissance. Essentiel : relation hiérarchique
O (relation l’appartenance, l’animation réciproque asymétrique ;
@ 1 managériale) de l’équipe Soutien, Protection
§ S Délégation, autonomisation
^^ «J
Q . 'г)(U
O -2 + 0
33 Par le sens Im portant pour : Vision, Trop abstrait
rt
C
O (leadership) Consultation, Réalisation O n travaille pour soi-même
C
C et pour son patron
.2
U
33
-TO Rapport O n sait le déléguer pour Ne se partage pas.
1 au pouvoir démultiplier sa puissance Facteur de Statut et de Face
1. MacGregor Douglas {op.cit.) oppose deux préjugés : la « théorie X » qui professe que
l’homme est naturellement lâche et paresseux; et la « théorie Y » qui veut que l’Homme soit
de bonne volonté et prêt à travailler de son mieux, pour peu qu’on le traite aimablement.
84 8 CLES POUR MANAGER EN CHINE
Un réflexe d'obéissance
Et du côté des collaborateurs chinois ? Nous avons vu qu’ils aspiraient au
soutien de leur manager pour monter en compétences, et gravir les barreaux
de la hiérarchie. « Mais ce qu’ils visent est souvent plutôt le statut de
manager que les responsabilités qui vont avec » regrettent de nombreux
professionnels occidentaux en Chine. Ils souhaitent prendre des
responsabilités mais en même temps ils appréhendent le risque de l’échec et
ses conséquences - perte de face et sanctions.
LEADERSHIPVERSUS PATERNALISME
>-
Q.
« Fait en sorte que les gens se sentent valorisés ». Seulement les personnes ayant
O
U un guanxi avec le manager.
« Entraîne les individus et les équipes vers une plus Satisfaction du patron.
grande satisfaction d ’eux-mêmes »,
« Les managers chinois n’ont pas envie de développer leur équipe. S’ils
ne sont pas contents de quelqu’un, ils préfèrent le licencier —sans en discuter
O
X5 avec lui. »
c
Û Une DRH chinoise d’une entreprise française de luxe en Chine
1. « Making Sense of China : An expert in Chinese management explains why the country isn’t
as foreign as it seems to Western business people », Q&A with Zhang Zhixue, Associate
Professor of Organization Management at Guanghua School of Management, Pekin
University (http://gmj.gallup.com/content/108664/making-sense-china.aspx).
2. Ibid.
88 8 CLES POUR MANAGER EN CHINE
O
X5
crj
Q UNE FORTE PROXIMITE PERSONNELLE
Cette relation avec le manager suppose une proximité beaucoup plus
sz importante qu’en Occident, et les Chinois attendent beaucoup plus de leur
CT supérieur en termes de formation, gestion de carrière, développement
>-
O
Q.
U
professionnel et même assistance pour des problèmes personnels, ce qui ne
veut pas dire que ces attentes sont toujours comblées par les managers chinois,
surtout s’ils restent calés sur le style traditionnel de forte distance hiérarchique.
En retour les supérieurs chinois attendent beaucoup plus de leur staff - en
termes de respect, loyauté et engagement. Des deux côtés la frontière entre
1. Recherche de 5 ans auprès de 150 diplômés chinois de MBA travaillant dans Ats joint
-O
O ventures à Shanghai (Pudong) : Graen G.B., « Linking Chinese Leadership theory and
Q
3
c
practice to the world: leadership secrets of the Middle Kingdom», in Chen Chao Chuan and
© Lee YueTing, op.cit.
90 8 CLÉS POUR MANAGER EN CHINE
Û
Les employés chinois des entreprises occidentales sont souvent très
demandeurs de contact avec leur patron laowai (étranger) mais ils ne
savent pas comment s’y prendre. Ils s’inquiètent de ce que leur patron peut
a.
penser d’eux, sont soucieux de lui plaire. Ils parlent du patron, ils
O
(J l’examinent, l’analysent, passent en revue tout ce qu’il a dit et fait.
« Ils voient les managers occidentaux à la fois comme des êtres étranges
sur qui l’on ne peut pas compter, parce qu’ils sont trop différents et qu’ils
vont bientôt repartir dans leur pays, mais aussi comme des oncles
bienveillants de qui ils voudraient apprendre le business et le management
international. Ils attendent beaucoup d’eux mais manquent de
confiance ».
Un patron de PME américain à Shanghai
92 8 CLÉS POUR MANAGER EN CHINE
« Leur attente est de passer du temps avec leur manager étranger pour
apprendre sur le business et votre culture. Si vous dites que vous êtes “trop
occupé”, vous leur envoyez un signal négatif : “tu n’es pas important”. »
Pour son manager direct, à condition qu’il ait une « bonne relation » avec
ce dernier, fondée sur la confiance et la réciprocité, ce qui implique que :
• son manager passe du temps avec lui et l’aide à se développer... ;
• afin qu’en retour il soit motivé et prêt à se dépasser pour son manager (et
indirectement pour l’entreprise).
QUE FAIRE ?
La relation managériale a tant d’importance en contexte culturel
O
X5
c chinois qu’il vaut la peine d’apporter tous ses soins à s’adapter aux
Û logiques de perception et de comportement des salariés chinois. Si elle
O
(N
est suffisamment vitalisée dans sa dimension de personne à personne,
@ elle permettra de bénéficier pleinement des capacités de travail et
d’efficacité du subordonné chinois. Les préconisations qui suivent visent
Q.
à rassembler les éléments et les comportements du manager de nature à
O
(J susciter cette vitalité, et à aider les managers chinois et occidentaux à
tirer le meilleur de leurs équipes chinoises de tous niveaux.
Voici un ensemble de points clés dont aucun pris isolément ne sera
décisif, mais dont l’action conjointe fera bouger les modes de
fonctionnement, les pratiques collectives et les comportements :
1 . Personnaliser les relations
Ne pas tenter d’engager une délégation sans se connaître suffisamment.
------------------------------------------------- ^---------- -------------------1DS=L
Comment réussir la relation managériale 195
VW
Et, plus particulièrement pour les managers occidentaux amenés à
encadrer des collaborateurs chinois :
O
T3
c
Q3
O
fN
SOI)
's_
>-
O
Q.
U
■о
о
с
3
Û
о
fN
>-
О.
о
и
___________ C h a p i t r e 1 6 ___________
C O M M E N T GÉRER U N E É Q U IP E C H IN O IS E
■OO
c
Mais s’en tenir à cette description formelle serait bien réducteur. De plus en
(y) ^plus, les clés de la performance que recherchent les entreprises se situent à un
autre niveau : celui de la mobilisation et de la motivation des salariés que peut
>-
O
Q. apporter, si elle est bien managée, la situation d’équipe. Lorsqu’une équipe
U
fonctionne bien, dans un bon climat, elle apporte en effet à ses membres :
• une réponse à leurs besoins d’appartenance, de reconnaissance, de
protection contre l’insécurité face aux changements et incertitudes de
l’époque ;
• une solidarité et un soutien mutuel dans les difficultés et les échecs ;
• un effet majeur d’entrainement et de mobilisation.
3 C’est ainsi que lorsque l’équipe fonctionne bien en termes humains, elle
Û
© produit à la fois des réponses importantes aux besoins et attentes des
200 8 CLES POUR MANAGER EN CHINE
« Ils ont tendance à garder pour eux leurs connaissances car ils les
perçoivent comme un capital qui peut augmenter leur performance
individuelle et leur valeur sur le marché. »'
« Je perds mon sang, je perds ma sueur mais je ne laisse pas couler mes
larmes ; je me laisse écorcher, je me laisse arracher la chair, mais je ne laisse
pas tomber mon équipe. »
« Que notre entreprise soit en mesure de nous rassembler et de nous
transformer en une équipe de héros !
1 . CH-ina, Swisscham, Swiss Center Shanghai, Business Network Switzerland, op. cit.
2 . Faure Sophie, op. cit.
202 8 CLES POUR MANAGER EN CHINE
1 - ft^lÎdM yongbufangqi\
2. 1]W}^jiayou\W/^jiayou\
3. http://www.chinayouthbeat.com/the-most-intense-awesomest-chinese-employee-team-
building-exercise-ever/
Comment gérer une équipe chinoise 205
sont criés, et une stricte discipline est exigée. Autant dire qu on est très loin
d’une cordiale séance de défoulement ou de détente.
En chinois, team b u ild in g peut être traduit par tu a n d u i
jia n sh e . Cependant, l’expression couramment utilisée, et plus juste, est
« activité collective » q u n ti huodong. Les Chinois n’ont pas
attendu les travaux américains sur les dynamiques d’équipe, ou les exemples
japonais, pour organiser ces sorties informelles de détente, qui constituent
un pré requis absolu de la confiance mutuelle dans l’équipe, la condition
(pas forcément suffisante) de toute possibilité de coopération.
Puisque les Chinois n’ont pas de confiance de principe dans le système,
dans l’entreprise et ses règles, le comportement par défaut du collaborateur
est la méfiance, la rétention d’information, une indifférence froide et une
intense compétition. C’est pourquoi les salariés chinois ont besoin
d’interactions interpersonnelles afin de bien se connaître et de construire ce
sentiment de familiarité appelé la « petite ambiance » xiao qifen,
procurant une sensation de sécurité « comme à la maison », entre « amis »
quand les collègues inconnus sont enfin devenus des «familiers » shuren.
>-
O
CL « Chaque semaine j’emmène mes commerciaux dîner et boire des bières.
U
C’est lors de ces repas qu’ils échangent sur ce qu’ils ont fait pendant la
semaine, les problèmes qu’ils ont rencontrés, et qu’ils partagent des
informations et des conseils. C’est contraignant pour moi, mais c’est la
seule manière de les faire travailler ensemble ! »
Un directeur commercial finlandais à Pékin
aux yeux des collaborateurs chinois. Cela passe par des événements
fédérateurs, des activités de team b u ild in g et tout ce qui contribue à
humaniser les relations professionnelles. Et Гоп retrouve souvent la
référence à la famille comme lieu de solidarité et d’entraide :
«Pour les Chinois, l’entreprise est «comme une famille ». [...] L’idée est :
“je me donne à Siemens. Maintenant vous devez vous occuper de moi.” »
D' Ernst Behrens,
top manager de Siemens China
QUE FAIRE ?
Développer un g u a n x i qui englobe idéalement tous les membres de
l’équipe.
U suivi individuel.
1pgr
6. Encourager le partage d’informations et les échanges «horizontaux »
plutôt qu « en étoile ». Organiser au sein de l’équipe des groupes de
travail, et des échanges (valorisants) sur les pratiques.
1 2 . Réunir toute l’équipe (au m oins deux fois par an) pour un
TOD « séminaire de cohésion d ’équipe » ; lieu dépaysant et valorisant,
c activités récréatives permettant d’assumer ensemble un challenge
Û
collectif, temps d’échanges informels et de connaissance mutuelle,
O
fN et aussi discussions sur l’organisation et les modes de travail, les
® relations au sein de l’équipe et avec les partenaires extérieurs, les
O)
's_ plans d’action, etc.
>-
Q.
U
O
■о
о
с
3
Û
о
fN
>-
О.
о
и
C h a p itre 1 7
« If you want to win in the 2 P' century, you have to [...] empower others,
making sure other people are better than you are. Then you will be successful. »’
Jack Ma, fondateur d’Alibaba
1. « Si vous voulez être gagnant dans ce XXI^ siècle, il vous fau t... donner le pouvoir d’agir
à autrui, veiller à ce que d’autres soient meilleurs que vous. C ’est là que vous aurez
réussi », forum de Daros 2015.
Tc3 2. En mai 2015 dans le cadre de 1’« Initiative Internet Plus » du premier Ministre Li Kejiang.
û3
c
3. Voir notamment à ce sujet : Bacqué Marie-Hélène & Biewener Carole, L’empowerment,
© une pratique émancipatrice^ La Découverte, 2013.
210 8 CLES POUR MANAGER EN CHINE
Le pouvoir au terrain
1 . Ascencio Chloé, « Les managers français vus par leurs collaborateurs chinois », étude réalisée
chaque année depuis 2005.
212 8 CLÉS POUR MANAGER EN CHINE
« Ils veulent toujours tout faire valider, même quand ça ne relève que
d’eux, et qu’ils sont les seuls à savoir ce qui est pertinent. »
« Ils manquent d’autonomie - ils restent dépendants de leur manager.
Ils attendent toujours de savoir ce que le hiérarchique va dire. »
__ _________^ 1. Obéissance
8. Sentiment ' r ________ , ) et souci
de de plaire :
supériorité réticence
à s’exprimer Ç
2. Tendance
7. Crainte de la
à être plus
punition et
directif qu’en
démotivation
France
-----------------------
O
T3
crj
3. Crainte de
prendre des
Q initiatives et
rétention
O
(N
d’informations
sz
CT
'l.
4. M icro
>- management :
O
Q.
U J
« je dois tout
décider et tout
faire à leur
place ! »
Collaborateur chinois
Tentation du micro-management
Un manager français raconte ses expériences et déconvenues avec son
équipe de développeurs informatiques chinois qui ne comprennent pas ce
qu’il attend d’eux et ne parviennent pas à planifier leur propre travail.
Constat classique avec de jeunes collaborateurs chinois manquant
d’expérience... L’expatrié décide donc de les « micro-manager », c’est-à-
dire, explique-t-il, de s’impliquer beaucoup plus, de mieux détailler
chaque tâche et de renforcer le suivi. Sans doute ce souci fort logique
s’est-il accompagné d’une tendance à tout contrôler, et à prendre toutes
les microdécisions en lieu et place des intéressés. Car il s’aperçoit vite
d’ « une baisse d’implication de leur part sur mes projets. Ils
accomplissaient leur tâche sans faire preuve d’innovation », c’est-à-dire
d’initiative...
La tentation du micro-management est extrêmement courante chez les
expatriés en Chine, surtout s’ils ont un profil plus technique que
managérial : « puisqu’ils ne savent pas faire, je vais le faire moi-même pour
O
T3
c gagner du temps. » Rapidement, les managers intermédiaires chinois
rj
Q préfèrent alors «remonter» tous les problèmes, et laisser le patron prendre
les risques de la décision. Plus il est omniscient et omniprésent, plus ils sont
passifs et dépendants - et plus il s’épuise.
Le pire dans tout cela est que cette dérive du management altère du même
5-
O
Q. coup la satisfaction de chacun dans son travail et la confiance mutuelle...
U
On est bien dans un « cercle vicieux » :
« C’est plus agréable de manager des Chinois que des Français : ils sont
obéissants, ne contestent jamais une décision, et on n’est pas embêté par le
syndicat ! »
U
en faveur du client final chinois.
Ils ouvrent du même coup un nouvel espace de communication qui
rapproche le client chinois du fabricant, et satisfait son besoin relationnel et
son appétit de « face ». D’ailleurs, les marques sont entrées résolument dans
ce jeu : elles communiquent intensément avec le consommateur et font le
nécessaire pour le connaître très bien —individuellement même.
© de l’entreprise avec ses clients, puis avec ses salariés en contact avec ces
220 8 CLES POUR MANAGER EN CHINE
clients. Il y a là en effet, selon la formule de Liu De, « plus qu’un outil, une
nouvelle façon de penser ».
Avec l’économie numérique, les conditions semblent s’ouvrir pour
\ empowerment^ et du même coup pour des modes de management moins
directifs et plus responsabilisants que dans les habitudes et la culture
chinoises, en cohérence avec les nouveaux dialogues et relations qui
s’installent avec les clients. L’extension à d’autres secteurs des entreprises
chinoises risque, malgré l’exemple que donnera cette avant-garde, d’être
assez lente, compte tenu des freins culturels à cette pratique.
QUE FAIRE ?
O
T3
c
3
Q
O
(N
>-
O
Q.
U
■о
о
с
3
Û
о
fN
>-
О.
о
и
_________C h a p i t r e 1 8 _________
C O M M E N T O B TEN IR L'EXPRESSION
DES SALARIÉS C H IN O IS
O
X5 L'ACCUEIL MITIGE DU « MANAGEMENT PARTICIPATIF »
c
rj
Q
Le « management participatif » est justement l’un des aspects qui attirent
les cols blancs chinois vers les entreprises occidentales. Ils apprécient voire
revendiquent la possibilité de donner leur avis et de participer à la
O)
JC
préparation de décisions relevant du niveau de leur manager - lequel en
>-
O
Q. conserve l’entière responsabilité.
U
Ce mode de management qui s’est répandu en France à partir des
années 1980, consacrant la fin du management directif voire autoritaire qui
était courant jusque-là, a apporté de sérieux progrès dans de nombreuses
entreprises : progrès dans la pertinence des décisions, dans la qualité de leur
mise en œuvre, et enfin dans la reconnaissance et l’engagement des
collaborateurs.
Tc3
Û3
c
1 . Cf. les besoins exprimés par un groupe de managers expatriés, cités en ouverture de la
© Partie III.
224 8 CLES POUR MANAGER EN CHINE
DESCENDRE DU PIEDESTAL ?
«Parfois notre patron nous fait prendre une décision en groupe ou bien
il nous fait sentir que c’est une décision de groupe quand lui-même n’est pas
sûr du résultat et veut que nous en partagions la responsabilité au cas oîi
cela échouerait. »^
Un employé d’un hôtel chinois
O
X5
c
:d
Û Tous ces risques pour la face du chef sont bien entendu perçus par les
O
(N
collaborateurs chinois, et leur donnent un sentiment de malaise. A la
@ résistance des managers s’ajouterait ainsi beaucoup d’autocensure des
subordonnés vis-à-vis d’une pratique remettant en cause leur vision
5- hiérarchique, et même la politesse élémentaire consistant à ne pas empiéter
O
Q.
U sur le territoire d’autrui.
«Personne n’ose donner son opinion avant que le patron ait parlé, même
pour un détail. Il faut s’assurer de ne pas être vu en train de contredire le
patron en disant quelque chose qui ne serait pas en ligne avec ce que le
patron a en tête. Il n’y a pas moyen de deviner ce qu’il va dire. La meilleure
stratégie c’est d’attendre que le patron ait d’abord donné son opinion. De
cette manière vous êtes toujours en sécurité.
Un employé chinois
1. Ihid.
2. Li Chunyuan, ihid.
-aO 3. Farh Jiing-Lih, Abstract based on the full article, « Psychological Antecedents of Promotive
cd and Prohibitive Voice: A Two-Wave Examination » Academy o f Management Journal, Vol.
Û
© 55, 2 0 1 2 . http://www.iacmr.org/v2en/CMI/Vol3Issuel/eCMI_7.pdf
226 8 CLES POUR MANAGER EN CHINE
Û
LA DYNAMIQUE DU DEBAT
«Les Français parlent beaucoup en réunion, mais ils écoutent peu. Ils se
disputent, chacun défend sa propre opinion sans tenir compte de celle des
autres et il n’y a pas d’harmonie. »
Un salarié chinois d’une entreprise française en Chine
1 . Cf. le livre d’Iribarne Philippe, La Logique de l ’honneur. Le Seuil, 1989, et ses autres
ouvrages.
228 8 CLÉS POUR MANAGER EN CHINE
« Les Français, qui ont l’habitude de s’interrompre les uns les autres dans
le feu du débat, ont tendance à ne pas consulter les Chinois. Comme ces
derniers se taisent, on croit qu’ils n’ont pas d’opinion ! En fait ils sont
offensés de ne pas avoir été consultés et s’opposeront aux décisions prises
après la réunion. »
Un manager chinois salarié d’une entreprise française en Chine
@
La réunion est en effet dans la pratique chinoise l’une des figures imposées
5- du leadership paternaliste à forte distance hiérarchique.
Q.
O
U La logique de la réunion en Chine est rigoureusement top-down. Son
objectif est d’informer l’équipe des décisions de la direction. Souvent
longue et fastidieuse, elle est à sens unique : les directives énoncées par le
chef ne font l’objet d’aucun débat, ni même de questions-réponses.
A fortiori de réactions critiques ou de négociation (sur les conditions
d’application par exemple). Le comportement attendu de tous est
généralement d’écouter et d’opiner de la tête diantou.
Qr3
Un directeur chinois de la filiale Europe
d’un groupe chinois
(y) ^
Cela fait beaucoup de raisons pour expliquer le silence gêné qui s’installe
O
Q. lorsque d’aventure un manager occidental tente d’ouvrir une discussion en
U
groupe. A supposer qu’il obtienne des réponses, il lui sera d’ailleurs difficile,
sans formation préalable, de décoder la communication implicite et
indirecte dont useront ses collaborateurs dans leurs réponses à ses
questionnements, ce qui videra l’exercice de son intérêt.
3
c
Û
©
230 8 CLÉS POUR MANAGER EN CHINE
Indispensable décodage
En général, les Occidentaux qui n ont pas encore suivi de formation ad
hoc’ sont bien incapables de décoder les messages implicites, les non-dits,
les « oui » qui veulent dire « non ». Leur plus grande difficulté vient du fait
qu’ils ne parviennent pas à obtenir du feedback de leurs interlocuteurs
chinois faute de savoir décrypter les comportements ou messages indirects.
Les exemples suivants donnent la mesure du problème :
• Quelques exemples de « Non » chinois :
- « It’s difficult to say. »
- « We’ll see later. »
- « I will think about it. »
- « Maybe we don’t see the problem the same way. »
voire même :
- « OK, no problem. »
• Quelques comportements d’évitement (destinés à exprimer le désaccord
ou l’insatisfaction, voire la colère) :
- Couper les cheveux en quatre, soulever des questions de détails.
- Emettre un rire « spécial » (sans joie et dans un contexte non drôle).
- Changer de sujet.
- Poser une question « stupide ».
O
T3 - Poser une question répétitive.
crj
Q - Ne pas répondre (mais c’est déjà une réponse), voire disparaître...
O
fN - Répondre à « côté ».
@ - Répondre de façon neutre alors qu’on demande une opinion
SI
DI personnelle.
O
D.
(J
Un rituel de cohésion
La réunion interne à la chinoise n’a donc rien de véritablement interactif
Elle est souvent le moyen de faire passer le message de décisions déjà prises par
les dirigeants et surtout d’en acter la mise en vigueur devant la communauté
de travail. Elle a un rôle informatif et crée un consensus de pure forme.
1 . http://chloeascencio.com/fr/atelier-de-communication-negociation-1 2 -journee/
Comment obtenir l'expression des salariés chinois 23
«Mes collaborateurs chinois sont brillants, ils aiment performer. Ils sont
assez fins pour sentir ce que le manager souhaite. Mais j’ai fait le deuil de
l’esprit de challenge. Je ne peux pas challenger mes équipes chinoises en
réunion comme je le fais avec d’autres équipes. En Chine personne ne lève
le doigt.»
Un patron de marque français de la grande distribution
Il leur est cependant difficile, du fait des freins culturels déjà évoqués,
d’exprimer un désaccord ou une opinion tranchée en réunion. Plus souvent,
ce sera dans la relation individuelle avec le hiérarchique, que la
Tc3 1 . McKinsey Quarterly, interview with Yingyi Qian, the dean of Qinghua University’s School
Û3
c
of Economics and Management, July 2013, http://www.mckinsey.com/insights/leading_
© in_the _ 2 1 st_century/developing_chinas_business_leaders
232 8 CLÉS POUR MANAGER EN CHINE
« Pendant deux années entières, quand nous faisions une réunion, une
seule personne parlait, le représentant du parti communiste. Les autres ne
disaient rien d’autre que “C’est une bonne idée”.
C’est un processus graduel, mais les gens ont commencé à émettre leurs
propres opinions. Nous avons créé un environnement ou les gens
s’approprient leur travail et ont de l’influence sur leurs jobs. Les gens aiment
travailler à GM car ils peuvent prendre des décisions. »’
O
T3
c Il est ainsi possible, avec une dose suffisante « d’acculturation » mutuelle,
Qrj
d’expérience commune et de confiance, de parvenir à créer du débat en
O réunion. Comme chez Lenovo, qui s’est donné les moyens de réussir la
fN
@ périlleuse intégration de la Division PC d’IBM en investissant beaucoup
DI
dans les formations à la communication interculturelle :
's_
O
Q.
U
« Chez Lenovo, les managers américains et chinois sont aussi directs
les uns que les autres en réunion. Ils ont reçu des formations
interculturelles pour apprendre à se comporter de manière respectueuse
mais très franche. »
Une responsable de formation chinoise
QUE FAIRE ?
1. Personnaliser les relations pou r créer un clim at de confiance.
- passer du temps informel avec chaque collaborateur ;
- assurer un suivi fréquent, leur transmettre du savoir-faire et des
conseils.
x:
DI Et une fois cette confiance mutuelle et cette exemplarité bien
instaurées :
O
D.
(J
6 . Consulter les collaborateurs chinois de façon individuelle et
informelle (autour d’ un café, d ’un thé ou d ’un repas).
lisr
— Eviter notamment les questions fermées, inefficaces car elles
mettent de la pression, telles que : « Will you finish the job by
tomorrow f »
- Préférer les questions ouvertes du type : « How do you want to do
it ? »
>-
О.
о
и
C h a p itre 1 9
/ 9
COMMENT BENEFICIER DE L'EFFICACITE CHINOISE
« Nos objectifs sont très ambitieux: nous voulons devenir leaders sur
notre marché. Mais nous n’avons pas conçu les étapes pour y parvenir. »
Le dirigeant chinois
d’une multinationale chinoise en France
O
« Il faut prendre en compte le modèle chinois Do & Fix (faire puis
>■ corriger) quand on planifie un projet ou plus exactement quand on les
O
Q.
« Dans notre groupe, on fait de la planification : elle figure parmi les best
practices par mimétisme avec les groupes occidentaux. Seulement elle n’est
pas appliquée ! Ce qui n’empêche pas l’efficacité car on finit les projets à
toute vitesse malgré le manque d’organisation apparent. »
Un cadre dirigeant français
d’une multinationale chinoise
-ac 1. Parfois, cette hâte a des conséquences graves comme en juillet 2011 lorsque le TGV chinois
Q
3
c
qui avait pulvérisé le record de vitesse mondiale (350 km à l’heure) est tombé d’un pont suite
© à une panne du système de communication.
240 8 CLÉS POUR MANAGER EN CHINE
« Est vrai ce qui réussit, est faux ce qui échoue », ce proverbe du Hunan
cité par Mao en 1935 à l’issue de la Longue Marche^ est typiquement
daoïste. Il s’opposait ainsi à un marxiste américain convaincu que cette
idéologie n’incarnait rien moins que la « vérité ».
1 . Cité par Cyrille Javary dans La Souplesse du dragon. Albin Michel, 2014
Comment bénéficier de l'efficacité chinoise 241
LE RETOUR DU LEGISME ?
x:
DI
>-
Q.
Cependant, la nouvelle génération de cadres chinois a à cœur d’assimiler
O
U les méthodes et les outils occidentaux. Elle a intégré notamment la
Planification comme un outil incontournable de l’entreprise, au risque d’en
faire, en néophytes d’une nouvelle discipline, une application parfois
rigide ; plus rigide notamment que les Français, qui prennent volontiers des
libertés par rapport aux règles !
De sorte que les critiques se font parfois à front renversé, les jeunes
Chinois s’étonnant de cette latitude d’ajustement que s’autorisent les
Français (souvent au nom d’excellentes raisons techniques), en contraste
avec des Américains ou des Nordiques :
Comment bénéficier de l'efficacité chinoise 243
QUE FAIRE ?
Pour convaincre ou former un collègue chinois (et cela marche aussi
en négociation !), on peut suggérer plusieurs recommandations :
O
T3
c
Q3
O
fN
SOI)
's_
>-
O
Q.
U
C h a p itre 2 0
« Nous avons besoin que les collègues chinois collectent les données de
terrain pour les entrer dans le système. Mais ils disent que chaque province,
voire chaque client est spécifique et n entre pas dans un “modèle” ».
« Les Chinois nous reprochent de ne pas répondre assez vite à leurs
questions. C’est vrai qu’eux sont encore connectés à minuit. »
« Les Chinois ont du mal à gérer les priorités, ils insistent pour qu’on
réponde à leurs questions sur des sujets qui ne sont pas prioritaires. En tout
cas pas pour nous... »
« Nous n’arrivons à obtenir des collègues chinois qu’ils fassent le travail
qu’en passant par la voie hiérarchique : en mettant en copie l’expatrié
français qui les manage »
« Mes collègues chinois me harcèlent de questions mais par « chat », ce
n’est pas professionnel ! Alors j’ai été obligé de couper le « chat » car je
préfère qu’on m’envoie des mails bien structurés. Du coup je n’ai plus aucun
feedback. »
(J
WeChat, pour instaurer une réciprocité de type guanxi qui sécurise les
engagements.
• Comprendre le mode de raisonnement des collègues chinois : analogique,
visuel, empirique et adapter les supports de formation et la manière de
communiquer.
• Dans un second temps nous leur avons donné des clés de décodage et
des éléments de communication moins directe et donc plus efficace.
Le projet aurait pu fonctionner de manière plus fluide si quelques
précautions avaient été prises en amont.
Comment gérer les projets en Chine 249
QUE FAIRE ?
Pour faciliter la réalisation des projets en contexte culturel chinois, et
permettre d’obtenir un bon niveau d’intégration et d’adhésion des
collaborateurs chinois dans cette forme de travail, nous formulons les
recommandations suivantes :
1. Réaliser des actions de team b u ild in g en début de projet et
régulièrement par la suite, afin que les membres du projet se
connaissent personnellement, se fassent mutuellement confiance et
puissent collaborer sans nécessairement de lien hiérarchique.
2. Etablir ou entretenir les relations personnelles en profitant
de toutes les occasions : déplacements professionnels, réunions,
séminaires...
3. Dessiner la carte des g u a n x i(mapping relationnel): qui connaît
qui ? et faire appel au réseau des participants pour établir les liens
nécessaires avec d’autres entités ou équipes et obtenir de ceux-ci
plus facilement informations et facilités utiles au projet.
4. Program m er du suivi individuel pour s’assurer que les personnes
ont bien compris, qu’ils ne sont pas en difficulté, et leur donner
ainsi un espace de dialogue qui renforce la relation de confiance
interpersonnelle.
O
X5
c
Û 5. D onner de la face : encourager et récompenser l’implication dans le
projet ; marquer et célébrer fréquemment les avancées et les jalons.
6. Affirm er clairement le droit à Terreur et le prouver par Texemple :
sz
CT
's_
personne ne sera sanctionné pour avoir commis une erreur ou un
D.
O échec dans le cadre de l’avancement du projet.
(J
>-
О.
о
и
________ C h a p i t r e 2 1 ________
>-
O
Q. « Je n’arrive pas à obtenir un reporting écrit. D’ailleurs ils cachent les
U
problèmes, ils n’hésitent pas à mentir ! »
« J’exige toujours des rapports de contrôle. Sans cela, je ne suis jamais
sûr qu’ils ont fait le travail. Et même avec les rapports de contrôle, il arrive
que le travail n’ait pas été fait correctement et qu’ils essayent de nous
tromper. Je ne leur fais pas confiance, alors je demande toujours une
preuve. »
3
c
Û 1. D ’Iribarne Philippe et Herrault Christian « Gérer en Chine : entre guanxi et bureaucratie
© céleste », Conférence organisée par l’École de Paris du Management, 15 mai 2009..
254 8 CLÉS POUR MANAGER EN CHINE
1 , Ibid.
Comment assurer le contrôle 255
« laxiste » des managers étrangers parce qu elle n’a pas la rigueur absolue
qu’ils en attendent.
L’idéologie actuelle qui prédomine en Chine fait souvent rimer fort contrôle
avec efficacité, en réaction à la gabegie qui régnait et règne encore dans certaines
entreprises d’Etat danwei : absence de procédures, de règles, d’objectifs
individuels ainsi que de critères d’évaluation et d’indicateurs de performance.
1 . Critères occidentaux qui ne sont d’ailleurs peut-être pas immuables : les doutes sur la
pertinence des évaluations et de leurs sources d’indicateurs semblent se multiplier dans les
DRH internationales. Au point qu’Accenture a décidé en 2015 de renoncer à l’examen
3
c
Û annuel des performances de ses 330 000 salariés (Article « La fin des évaluations »,
© Normandin François, wwsv.revuegestion.ca, 7 août 2015).
256 8 CLÉS POUR MANAGER EN CHINE
Q3
— lui proposer un soutien pour résoudre le problème.
O
fN
4 . Bannir les questions « agressives » !
— Exemple : Pourquoi cela ne marche-t-il pas ^
O
Q.
U
— Pourquoi êtes-vous en retard ê
il arrive souvent que les compliments ne soient donnés que si les performances
sont vraiment exceptionnelles et dépassent les attentes. Les collaborateurs
chinois attendaient plus de compliments et d’encouragements {positive
reinforcement}^ à titre d’encouragement à augmenter leur productivité'.
Il est d’autant plus important de rappeler ce fait paradoxal : la plupart des
managers chinois ne donnent pas de feedback du tout : ni négatif, ni positif.
Ils laissent leurs n-1 dans le doute et l’incertitude ce qui oblige ces derniers à
« deviner » ce que pense le patron.
C’est dans ce contexte que les salariés chinois attendent d’un manager
occidental une formule particulière : une relation de confiance et un
feedback bienveillant qui leur permette de se développer.
Il semble que malgré leur communication très directe, les Américains
trouvent plus aisément que les Européens la bonne manière de remplir ce
« cahier des charges ». Sans doute parce qu’ils manifestent plus de confiance
a priori et présentent un œil moins critique, mais aussi parce qu’ils savent
donner de fréquents signes de satisfaction et d’encouragement tout au long
d’une mission.
C ’est l’une des raisons qui expliquent pourquoi le management à
l’américaine est aussi attractif pour les jeunes Chinois avides de positive
reinforcement. À l’inverse, les Français, souvent culturellement plus réservés
et avares de compliments ne donneront jamais trop de face car ils partent de
loin avec leur « esprit critique ».
Si le manager ne donne pas suffisamment de feedback positif quand il est
satisfait du travail du collaborateur, le déficit de reconnaissance de ce dernier
■OO se manifestera de manière indirecte mais avec des effets bien concrets :
c
>-
O
Q.
1. Molinsky Andy, Harvard Business Review’s blog : “Giving Feedback Across Cultures”, 15
février 2013, https://hbr.org/2013/02/giving-feedback-across-cultures
Comment assurer le contrôle 259
O
XJ
c:d
a
O
fM
@
5-
O
Q.
U
■о
о
с
3
Û
о
fN
>-
О.
о
и
RECAPITULATIF ;
LES 8 CLÉS DU MANAGEMENT EN CHINE
Pratiques du
Clés pour la Chine et les salariés Chinois
management
Valoriser le rôle du D R H
Rendre les promotions structurées et prévisibles
Concevoir des plans de carrière com portant beaucoup
de petites étapes
Jouer sur les intitulés de postes
Faire du people development un KPI
Concevoir des plans de formation individualisés
Identifier les hauts potentiels {people review)
M ettre en place des programmes de développement
1. des hauts potentiels
Mener des entretiens de suivi biannuels (ou plus)
Clés de la GRH, Recruter en interne
de la motivation Com m encer la formation dès la période d ’essai
et de la fidélisation pour les nouvelles recrues
Organiser le mentoring àts jeunes managers
Développer les « sofi skills » (communication
X
O3 interculturelle)
c Organiser la mobilité internationale des managers
Û chinois
Accompagner l’expatriation des managers chinois
(y) 2 en France
SI Siniser le Com ité de direction (briser le plafond
CT
>- de verre)
Q.
O
U Satisfaire le « besoin de face » ;
• Valoriser les compétences : reconnaître et récompenser
les comportem ents attendus
2. • D onner au contrôle et à l’évaluation un caractère
« bienveillant »
Clés de l’engagement • Garantir le développement personnel
et du leadership • Com m uniquer sur le système de promotions
Satisfaire le « besoin relationnel » :
• Personnaliser les relations
3
û
©
• Intensifier le suivi individuel
1
®= —‘
262 8 CLÉS POUR MANAGER EN CHINE
Pratiques du
Clés pour la Chine et les salariés Chinois
management
Personnaliser les relations
Instaurer dans la rém unération un intéressement
au résultat collectif
Assurer l’équité
Programmer une réunion d ’équipe hebdomadaire
co-animée avec un équipier (à tour de rôle)
3. Apprendre aux équipiers à s’écouter et dialoguer
Clés de l’équipe Encourager le partage d ’informations et les échanges
et de la coopération « horizontaux »
harmonieuse Reconnaître et récompenser l’esprit d’équipe
dans ses manifestations
Organiser du team building fréquent de l’équipe
Généraliser l’utilisation de l’application W eChat
Organiser un dîner d ’équipe chaque mois
Réunir toute l’équipe (au moins deux fois par an)
pour un « séminaire de cohésion d ’équipe ».
Pratiques du
Clés pour la Chine et les salariés Chinois
management
Personnaliser les relations pour créer un climat
de confiance
Passer du temps informel avec chaque collaborateur
Assurer un suivi fréquent, leur transmettre
du savoir-faire et des conseils
Supprimer les réunions (sauf informations et team
building
Pour les autres sujets, la réunion est une perte de temps
5. Former les collaborateurs chinois à la comm unication
Clés de l’expression interculturelle avec des Occidentaux
et de la participation Former les managers occidentaux au décodage
des Chinois de la com m unication indirecte et implicite
D onner l’exemple, valoriser le feedback
Consulter les collaborateurs chinois de façon
individuelle et informelle, ou en groupes de travail
Poser des questions ouvertes
Apprendre à se taire, à ménager des temps de silence
Organiser la consultation sur le modèle du ® [ d]
Nemawashi
Organiser un brainstorming ssccîs le manager
Tc3
c
3
û
©
264 8 CLES POUR MANAGER EN CHINE
es-
Pratiques du
Clés pour la Chine et les salariés Chinois
management
Réaliser des actions de team building de l’équipe-projet
Établir ou entretenir les relations personnelles
Dresser la carte des guanxi {mapping relationnel) :
qui connaît qui ?
Programmer un suivi individuel de soutien
7.
et de dialogue
Clés de la conduite D onner de la face et célébrer les avancées et les jalons
de projets en Chine Affirmer clairement le droit à l’erreur et le prouver
par l’exemple
Veiller aux différences de perception du temps,
de l’efficacité, etc.
... et ne pas m anquer de faire usage des approches
particulières chinoises lorsqu’elles sont mieux placées
pour atteindre l’objectif
X3
Tous leurs témoignages concordent : les Chinois ne se coulent pas dans
O
crj les process d’organisation et de management qui fonctionnent peu ou
Q prou un peu partout dans d’autres régions du monde. Le sentiment qui
domine est celui d’une déperdition considérable d’efficacité, de
(G) 2 cohérence, de motivation, faute de trouver les bonnes relations, les bonnes
SI
DI pratiques, les bons leviers. Les personnes ne sont pas en cause, ni leur
D. bonne volonté, mais plutôt l’importance des décalages culturels dans le
O
(J
cas de la Chine et l’inadéquation de pratiques importées d’Europe ou
d’Amérique du Nord.
Face à ces témoignages, comment soutenir l’hypothèse de la valeur
universelle de ces pratiques, ou d’une inévitable convergence des cultures
avec le temps ? Même le mot d’ordre « T h in k g lo b a l, A c t lo c a l » montre sa
limite, en laissant penser que le siège peut définir dans sa sagesse et pour le
monde entier des process, des normes et des outils, à charge pour les
responsables expatriés ou locaux d’accommoder ces standards à des logiques
Û
© culturelles qui les mettent en défaut, sinon en échec.
266 CONCLUSION
T3
- un besoin relationnel fort qui doit être pris en compte dans la
O
c
rj gestion des équipes ;
Q
- l’adaptation du mode de consultation et de participation au style
indirect et implicite de communication ;
(G) 2
A scencio Chloé, Manager en Chine. Les managers français vus par leurs
collaborateurs chinois-clés de la motivation, L’Harmattan, 2007.
B alasz Étienne, La bureaucratie céleste, Gallimard Tel, 1968.
B acqué Marie-Hélène, B iewener Carole, Z ’empowerment, une pratique
émancipatrice, La Découverte, 2013.
B ishop James, C hen Xiangming et S cott D ow, « What drives Chinese toward
teamwork ? A study of US-invested companies in China », University O f
Illinois at Chicago, 1999, (www.uic.edu/depts/soci/xmchen/teampaper.pdf).
Bo Shi, Trente six stratagèmes chinois : comment vivre invincible i, Quimétao, 2001.
CERI, Entreprendre en Chine : contexte politique, management, réalités sociales,
n°128-129, septembre 2006.
C hairasmisak Korsak, Enseignements d'un dirigeant asiatique, traduction Sophie
Faure, Éditions d’Organisation, 2005.
C hina Labour Bulletin, « Is corporate “Wolf culture” devouring Chinas over
worked employees ? », à partir d’une enquête de Xinmin Zhoukan,
L'hebdomadaire du peuple nouveau, 27 Mai 2008, www.china-labour.org.hk.
C han Alvin, « The Chinese concepts of Guanxi, Mianzi, Renqing and Bao : their
■O
O interrelationships and Implications for International Business », conferences.
c
Û anzmac.org, Australian and New Zealand Marketing Academy.
C hen Chao-Chuan et L ee Yueh-Ting, Leadership and Management in China,
(y) ^
Cambridge university press, 2008.
C hen Xiangmin et B arshes Warren, « To team or not to Team ? », China Business
>-
Q Review, Mars-avril 2000 (www.chinabusinessreview.com/public/0003/chen.
O.
U html).
C hen Zhenjiao, Z hang Xi, Z hao Dingtao, « Leadership effectiveness in the
Chinese enterprises : the roles of Chinese leadership and employee’s individual
orientation », InternationalJournal o f Chinese Chulture and Management, vol. 1,
n°3, 2008.
CH-INA, Swisscham, Swiss Center Shanghai, Business Network Switzerland, The
China Human Resources Paradox, Dealing successfully with people shortage
in the land of billions, 2008.
C heng Anne et Qiu Kong, Les Entretiens, Points, 1981.
272 BIBLIOGRAPHIE
G allo Franck T., Business Leadership in China, how to blend Best Western Practices
with Chinese Wisdom, John Wiley & Sons (Asia) Ltd., 2008.
G allup, « Inside the mind of Chinese Consumer », Harvard Business Review, mars
2006.
G allup, « The Chinese : A New Wave of Entrepreneurs ? » 26 décembre 2007,
www.gallup.com.
G allup 2009 survey, « Chinese Employees Don’t Feel They Have a Voice at Work ».
G allup, State of the Global Workplace 2013, http://www.gallup.com/
strategicconsulting/164735/state-global-workplace.aspx.
G raen G.B., « Linking Chinese Leadership theory and practice to the world:
leadership secrets of the Middle Kingdom», in Chen ChaoChuan and Lee
YueTing, Leadership and Management in China, Cambridge university press,
2008.
G ranet Marcel, La Religion des Chinois, Albin Michel, 1992.
G rant Thornton firm, 2013 survey « Women in senior management: setting the
stage for growth ».
G rousset René, Histoire de la Chine, Payot, 2000.
H all David L. et A mes Roger T , Thinkingfrom the Han —self, truth, transcendence
in Chinese andWestern culture. State University of New York Press, 1998.
H all ^.T., Au-delà de la culture. Seuil, 1979.
H an Fei Zi, LArt de gouverner. Presses du Châtelet, 2010.
H ersey P. et B lanchard K.H., Management o f Organizational Behavior : Utilizing
X
O 5
c
Human Resources, Englewood Cliffs (USA), Prentice Hall, 1977.
:d
Û H erzberg Frederick, The Motivation to Transaction Publishers, 1993.
H ewitt Associates, http://www.aon.com/apac/human-resources/thought-leadership/
(G) 2
asia-connect/2013-mar/magnetic'talent.jsp (a survey among a large panel of
CT foreign companies).
Q
O. H wang Kwang-Kuo, « Face and Favor : the Chinese Power Game », American
U
Journal o f Sociology, 92 (4), 1987.
H wang Kwang-Kuo, « Filial Piety and Loyalty: two types of social identification
in Confucianism », Asian Journal o f Social Psychology, Vol 2, Issue 1,2002.
H wang Kwang-Kuo, « Guanxi and Mientze : Conflict resolution in Chinese
society », Intercultural Communication Studies, VII: 1, 1997-1998.
H wang Kwang-Kuo, « Moral face and social face: contingent self-esteem in
C
3
Confucian society », Internationaljournal o f Psychology, vol: 41, août 2006.
û
© J avary J-D Cyrille, Yi Jing, Albin Michel, 2012.
274 BIBLIOGRAPHIE
Y ang L.S., The concept ofPao as a basis for Relations in China, University of
Chicago Press, 19 5 7.
Y ang Xiaomin, La Fonction sociale des restaurants en Chine, L’Harmattan, 2006.
Y oshihara Hideki et O uyang Taohua, « Market economy model of Chinese
Management — Case o f H A IER », 2002 http://www.rieb.kobe-u.ac.jp/
academic/ra/dp/English/dp 1 3 1 .PDF.
Z hang Zhixue, C h en Chao-Chuan, Liu Leigh Anne et Liu Xuefeng « Chinese
traditions and Western theories : influences on business leaders in China », in
Chen Chao-Chuan Si Lee Yueh-Ting, Leadership and Management in China,
Cambridge, 2008.
Z hang Zhixue, « Making Sense of China : An expert in Chinese management
explains why the country isn’t as foreign as it seems to Western business
people», Gallup ManagementJournal, 10 juillet 2008, http://gmj.gallup.com/
content/108664/making-sense-china.aspx.
Z heng Lihua, Les Chinois de Paris et leursjeux deface, L’Harmattan, 1995.
Z eng SQ, Zhongyong Management : M Theory and its application, Beijing
University Press (en chinois), 2010.