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Couverture : Roy Palomino
Maquette : Gerardo Centenera
Mise en page: Erik Le Gall
Révision : Sofía Mateos Gómez et ERI

En application des articles L. 122-10 à L. 122-12 du code de la propriété intellectuelle, toute


reproduction à usage collectif par photocopie, intégralement ou partiellement, du présent
ouvrage est interdite sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie
(CFC, 20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris). Toute autre forme de reproduction,
intégrale ou partielle, est également interdite sans autorisation de l’éditeur.

Droits réservés
© 2019, Eduardo Ramos-Izquierdo

ISSN : 2264-2943

Publication en ligne

3
Table des matières

Présentation 5

I. Julio Cortázar 7
De Rayuela 9

Caroline Lepage, Vera Broichaggen et Sabrina Wajntraub


De la ligne à la constellation : le cas de 56. (56 ou le statut de la frontière entre « Del otro
lado »/« Del lado de acá » et les « Capítulos prescindibles » : l’excipit de la partie «
imprescindible ») 11

Olga Lobo
Julio Cortázar: autor en busca de un lector… cómplice 33

Paul-Henri Giraud
Peinture et écriture dans Rayuela 49

José García-Romeu
Affinités littéraires : du chapitre 62 de Rayuela au chapitre IV des Affinités électives 59

A Queremos tanto a Glenda 67

Victoria Ríos Castaño


Queremos tanto a Glenda en palabras de Julio Cortázar: algunas notas sobre su génesis,
proceso de creación e intenciones 69

Joaquín Manzi
Cortázar en su galería de espejos 77

Sandra Gondouin
La “Historia con migalas” de Julio Cortázar, una telaraña de voces y silencios 85

II. Les Orients péruvien et bolivien 95

Morgana Herrera
Los viajeros a los Orientes amazónicos en Perú y Bolivia desde las independencias hasta
la época del caucho. Algunas reflexiones 97

François Bignon
Une lecture géopolitique des Orients péruvien et équatorien. Délimitation et militarisation
des frontières internationales (1933-1945) 105

Emmanuelle Sinardet
Oriente, nation building et imaginaire collectif en Équateur : comment la question
amazonienne est devenue la question des frontières amazoniennes 113

Bibliographie des ouvrages cités 123

4
Présentation

Le volume qui suit reproduit des communications présentées lors des Journées d’Etudes
« L’Amérique latine aux concours » consacrées à deux questions de l’Agrégation externe et
interne : la prose de Julio Cortázar et les Orients péruvien et bolivien. Ces journées organisées
par Caroline Lepage (Université Paris Nanterre), Paul-Henri Giraud (Université de Lille,
IdA), Jean-Baptiste Thomas (École Polytechnique, IdA), Erik Le Gall et moi même
(Sorbonne Université) ont eu lieu à l’Institut d’Etudes Ibériques et Latino-américaines de la
Sorbonne et à la Maison du Mexique les 7 et 8 décembre 2018.
Le premier objectif de ces journées était de nature pédagogique afin de contribuer à la
préparation des agrégatifs sur les sujets au programme. Aussi, ce sont des collègues
enseignants-chercheurs chevronnés, spécialistes de ces enseignements dans leurs universités
respectives qui les ont animées, avec des lectures qui constituent un apport important pour la
recherche scientifique. En conséquence, nous avons le plaisir de publier dans ce volume —qui
comprend deux volets, certes, distincts— la riche pluralité conceptuelle des articles des
collègues en respectant toujours leurs points de vue et leurs argumentations.

Le premier volet, dédié à la prose de Julio Cortázar, comprend à son tour deux étapes
consacrées à Rayuela et à Queremos tanto a Glenda. L’article initial, fruit de la collaboration
de Caroline Lepage, Vera Broichaggen et Sabrina Wajntraub, propose une analyse fort
approfondie du chapitre 56 de Rayuela, un des moments essentiels du roman. Ce chapitre-
frontière éclaire à une micro-échelle les mécanismes de combinaison diégétique et discursive
des différents parcours de lecture prévus par le « tablero de dirección » et démontre l'intérêt
des lectures plurielles de l'œuvre : en ligne, en marelle, en spirale, en constellation.
Le texte de Olga Lobo s’intéresse à ce qu’elle signale comme une « nouvelle géométrie
du roman », où le personnage principal n’est autre que le « lecteur complice », ce destinataire
d’une série d'altérations de l’ordre narratif qui causent sa propre transformation. A travers ce
concept dynamique, au-delà de la camaraderie entre auteur et lecteur empiriques, l’article vise
à définir une « herméneutique cortazarienne ».
Paul-Henri Giraud dans son article nous montre comment le rapport qui se noue dans
Rayuela entre peinture et écriture affecte directement les deux personnages principaux du
roman, Horacio et la Maga, ainsi que leur ami Etienne, le peintre « tachiste ». La peinture est
successivement envisagée comme « fenêtre » sur le monde, comme vision transformante,
comme pré-texte à la fable, enfin comme réconciliation avec le silence.
La partie consacrée à Rayuela s’achève par une analyse fine et lucide de José García-
Romeu sur les déterminations chimiques de la pensée humaine en imaginant des personnages
dépourvus de libre arbitre dans le chapitre 62 de Rayuela et le chapitre IV de la Première
partie des Affinités électives de Goethe. Cette concordance thématique lui permet d’examiner
le rapport d’influence qui pourrait lier ces deux chefs-d’œuvre de la littérature universelle.
Pour commencer la partie consacrée à Queremos tanto a Glenda, Victoria Ríos Castaño
présente une contextualisation du volume des récits à partir des déclarations de Cortázar dans
un choix de lettres et d’entretiens. Parmi d’autres sujets, son article aborde les sens du titre,
l’importance du métro et de l’art dans la rédaction de « Graffiti » ainsi que la réflexion de
Cortázar sur le débat qu’il aspirait à susciter avec « Recortes de prensa ».
A partir d’une analyse détaillée des marques et des figures de l’auteur dans Queremos
tanto a Glenda, Joaquín Manzi propose, à son tour, une approche de l’espace du livre et une
définition de sa place dans l’ensemble de l’œuvre de Julio Cortázar.
Et pour conclure cette partie, Sandra Gondouin présente une lecture néo-fantastique de
“Historia con migalas” qui réside dans le non-dit. Ainsi, une nouvelle-toile d’araignée, aux

5
fils suspendus entre silences tacites ou explicites, glisse le monstrueux dans l’interstice entre
voix et silence ; et fusions et dédoublements ouvrent une lecture parallèle où les jeunes
femmes de « l’autre côté » ne seraient pas des voix extérieures mais intérieures : la conscience
des mygales.

Pour ce qui est de la partie consacrée au sujet des Orients péruvien et bolivien, nous publions
trois articles. Dans le premier, Morgana Herrera propose une « boîte à outils » pédagogique
sur le sujet des voyages aux orients amazoniens au Pérou et en Bolivie, des Indépendances au
« boom du caoutchouc ». Après des réflexions générales sur l'effet des voyages en Amazonie,
sur la construction de cet espace, nous une série d’exemples de voyageurs classifiés selon leur
profession.
François Bignon à son tour examine comment au début des années 1930, les enjeux
géopolitiques devinrent centraux dans la gestion des orients pour le Pérou et l’Equateur. Par
conséquent, à un rythme inconnu jusque-là, la frontière fut délimitée, cartographiée, et
militarisée bien que de manière plus favorable aux Péruviens, et ce rapide processus
reconfigura les relations sociales dans la région, notamment pour les peuples natifs.
Pour conclure la partie qui concerne la civilisation, Emmanuelle Sinardet étudie
comment la question frontalière, réactivée par les tensions avec le Pérou, « orientalise »
l’équatorianité et réduit le territoire amazonien à sa bordure. Ce cas illustre une dynamique
nationaliste de construction d’un imaginaire collectif, inséparable du processus du nation
building, par conséquent, l’article examine l’État-nation depuis et à la lumière de ses marges,
orientales en l’occurrence.
À la fin du volume, le lecteur trouvera deux bibliographies concernant chacun des sujets
étudiés qui réunissent toutes les publications citées dans les articles.
Tous mes remerciements vont à Erik Le Gall pour les premières lectures, la préparation
des bibliographies et le premier montage du volume. Je remercie également : Victoria Ríos
Castaño pour la révision des traductions ; Roy Palomino pour la réalisation de la couverture ;
et Sofía Mateos Gómez pour la mise en page et la soigneuse révision finale du volume ainsi
que pour sa mise en ligne.

ERI

6
Julio Cortázar

7
De Rayuela

9
De la ligne à la constellation : le cas de 56
(56 ou le statut de la frontière entre « Del otro lado »/« Del lado de acá » et
les « capítulos prescindibles » : l’excipit de la partie « imprescindible »)

Caroline Lepage
c.lepage@parisnanterre.fr

Vera Broichaggen
vera.broichhagen@sciencespo.fr

Sabrina Wajntraub
sabri2982@gmail.com

Université Paris Nanterre — Études Romanes

Résumé :
L'étude du chapitre 56, moment clé de Rayuela (à la frontière entre les deux premières parties
du parcours 1a et la troisième partie du parcours 1b), éclaire à une micro-échelle les
mécanismes de combinaison diégétique et discursive des trois parcours de lecture prévus par
le « tablero de dirección » pour souligner l'intérêt d'une lecture de l'œuvre en ligne, en
marelle, en spirale, en constellation.

Mots-clés :
Marelle, chapitre 56, seuil, montage, projets littéraire et philosophique

Resumen:
Nuestro estudio del capítulo 56, momento clave de Rayuela (en la frontera entre las dos
primeras partes del recorrido 1a y la tercera del recorrido 1b), aclara, a nivel de micro-escala,
los mecanismos de combinación diegética y discursiva que ofrecen los tres recorridos de
lectura previstos en el “tablero de dirección”. Destacamos el interés de una lectura lineal, por
saltos, en espiral y en constelación.

Palabras clave:
Rayuela, capítulo 56, umbral, montaje, proyecto literario y filosófico

Abstract:
This paper examines a key moment of Rayuela; chapter 56 (just at the fine line between the
two first parts of 1A and the third part of 1B). It discusses, by applying a very small scale
focus, combinational mechanisms of diegetic nature and discourse, as provided by the three
reading proposals of the “tablero de dirección”. Special emphasis is placed upon the reading
possibilities of the work as a straight line, a hopscotch, a spiral and a constellation.

Keywords:
Hopscotch, chapter 56, threshold, assembly, literary and philosophical project

11
À la mémoire d’Arcadio

À en croire les inédites instructions données dans le fameux « Tablero de dirección », le


lecteur de Rayuela serait à peu près seul maître du jeu qui s’ouvre à lui puisqu’ « invitado a
elegir », il aurait le loisir d’opter pour un « libro » ou un autre « libro », d’ailleurs jamais
présentés que comme des « posibilidades », de surcroît parmi quantité d’autres (« este libro es
muchos libros ») et, en fin de parcours, transgression ultime, de lire ou de ne pas lire au-delà
de « tres vistosas estrellitas que equivalen a la palabra Fin » (Cortázar, Rayuela 9). Une
grandiose et sciemment tonitruante cession des clés du royaume certes grisante pour qui doit
habituellement subir l’ordre et la loi de qui raconte l’histoire et écrit le roman, jusqu’à ce
qu’une fois alignées puis fusionnées l’instance narrataire et l’instance lecteur, le destinataire
devienne de son plein gré (croit-il ou feint-il de croire) un adepte de la religion du texte et un
prêcheur des discours du narrateur-auteur… et tout de même déjà à la fois ambiguë (quel
statut attribuer à cet apparemment innocent usage de l’italique précisément au moment de
désigner le choix — a elegir ? Faut-il y voir une distanciation ? S’agit-il de suggérer que ça
n’est jamais qu’une façon de parler ?) ; contradictoire (la première phrase, qui s’ouvre sur la
prolifération — « muchos libros » — ne contient-elle pas sa propre dénégation eu égard à
l’importance de ce « pero » d’autant plus restrictif qu’associé à « sobre todo » ? Ne faut-il pas
juste comprendre qu’étant donné sa manière — « a su manera », est-il bien dit — de procéder
par récupération-agglomération-régurgitation, Rayuela est concrètement deux livres contenant
autant de livres auxquels il donne un sens autre [le passage de la catégorie de texte A à texte
C dans la métamorphose par le texte B] dans l’inclusion de leurs lignes, parfois de leurs
pages, en leur sein) ; et aussi beaucoup plus étroitement balisée qu’il y paraît par les malgré
tout très programmatiques adjectifs (« primer »/« segundo ») associés à ces deux livres et,
comme si cela ne suffisait pas, mis en relief par le saut de ligne… Le lecteur sera d’autant
plus enclin à respecter la succession naturelle 1 avant 2 qu’alors que tout semble simple et
rassurant du côté du parcours 1 — « se deja leer » et se présente « en la forma corriente » —,
la complexité de 2 est martelée, l’air de rien, et ne peut que la lui faire spontanément remettre
à plus tard. Il y a d’abord le gros bloc de plusieurs lignes de chiffres, incompréhensibles dans
leur succession et simplement dans leur raison d’être. Et puis le but n’est-il pas
d’impressionner et de repousser ? À quoi s’ajoute le risque inquiétant de « confusión u
olvido », qui obligera le lecteur à interrompre sa lecture pour revenir au mode d’emploi, en
somme à tripoter le livre en tous sens et tout le temps. Dans ces conditions, comment croire
sérieusement à l’hypothèse d’un primo-lecteur qui choisirait le parcours 2, sans prendre
préalablement connaissance du parcours 1 ? Et d’ailleurs, quel parcours 1 ? Les parties 1 et
2 ? Ou les parties 1 et 2 avec l’ajout des chapitres « prescindibles », car en réalité, ce sont bien
au minimum trois livres qui sont hébergés au sein d’un seul et même texte — le parcours 1
hors chapitres facultatifs (parcours 1a), le parcours 1 avec chapitres facultatifs (parcours 1b)
et le parcours 2 ?
Une question bien plus incidente qu’il y paraît sur ce que prétend afficher cette page de
paratexte. On pourrait effectivement s’interroger à l’envi sur les raisons et la portée de cette
ambiguïté, de cette contradiction et de ce faux aléatoire qui sèment quoi qu’il en soit la
suspicion systématique face à ce qui prend désormais la forme d’un contrat terriblement
frelaté. De là à déduire que loin d’avoir généreusement reçu les clés du royaume, le lecteur
sera en réalité l’esclave du/dans le texte… au carré puisque ce sera à au moins deux reprises,
il n’y a qu’un pas. Mais on s’en tiendra à dire qu’une fois le nettoyage de la rhétorique de
captation ou de libération-asservissement opéré, on se retrouve bien avec un texte contenant
trois livres depuis le même texte, à lire dans le sens 1a-1b-2… Et cela génère des
interrogations sur le statut de chacun de ces trois livres, pris séparément et dans le type de
rapports narratifs et de réseaux de sens qui se tissent entre eux. Quel est, notamment, le statut

12
et le rôle des parcours 1 et du parcours 2 ? Sont-ils facultatifs dans leurs combinaisons 1a-1b-
2 ou même 2-1a-1b ?
Pour répondre à ces questions, nous avons retenu un point stratégique du texte, le
chapitre 56, qui clôt le parcours 1a, pour observer et analyser sa place, son rôle et son sens
dans les trois parcours.

Pour le situer du côté du contre-roman ou même, plus radical, du côté de l’anti-roman, la


critique a souvent argué que Rayuela présentait la principale spécificité de ne pas raconter une
histoire à proprement parler ou alors de ne pas la raconter comme on raconte dans les autres
romans — entendre les « vrais » romans. S’il est indéniable que le texte multiplie les
décalages, les décrochages, les délinéarisations, les contre-pieds, les pièges, etc. pour déjouer
les attentes trop élémentaires du fameux lecteur passif1, il nous semble qu’en réalité le contrat
est respecté pour l’essentiel, c’est-à-dire ce qui compte vraiment au moment de bâtir un
roman, un « vrai » roman : ces lieux du texte à voir comme les pierres angulaires de l’édifice.
Cela nous semble significativement visible dans le chapitre 56. Car à bien y regarder, ces
pages — l’un des ensembles les plus longs, avec 23, 28 et 41, comme pour signifier que finir
prend du temps et qu’on prend justement bien le temps de le faire, pour tirer tous les fils
jusqu’au bout — achèvent bel et bien la partie « imprescindible », y compris et d’abord du
point de vue de cette donnée basique, mais en effet consubstantielle au genre roman, qu’est la
diégèse. Et le fait qu’il s’agisse d’une fin « ouverte » (et pour cause, puisqu’il faut laisser
l’espace du prequel et du sequel) n’y change rien.
Le triangle amoureux de la deuxième partie, Traveler/Talita/Horacio — doublon du
triangle amoureux de la première partie, Horacio/Maga/Gregorovius —, ainsi que le flux
d’attractions, séductions et tensions qui en a résulté et a alimenté et en grande partie structuré
le récit, trouve une conclusion avec le face-à-face ultime entre les deux hommes 2 , entre
Horacio et Traveler. Un véritable duel de western spaghetti amplement détaillé et longuement
scénographié 3 pour intensifier la dramatisation, plus ou moins parodique, d’ailleurs, et en
faire quoi qu’il en soit le point culminant de l’anecdote du texte. Avec, au bout du compte, et
pour bien sceller l’affaire, le retrait d’Oliveira de la scène — il sort littéralement de
l’encadrement de la fenêtre, symboliquement du cadre de l’histoire. Il n’est plus dans le
tableau, au sens figuré, presque vaudevillesque du terme. Son changement de position
(« inclinarse apenas hacia fuera y dejarse ir » [Cortázar, Rayuela 375]) combiné à sa chute
prennent la forme d’un point, scellé d’autant plus étroitement avec cette présence
emblématique de la fenêtre — un huis, pour marquer comme il se doit le lieu et le temps du
franchissement du seuil du roman, l’excipit, c’est-à-dire le passage de l’intérieur du monde
clos de la fiction vers l’extérieur, le monde du réel… et avec ce concret « paf se acabó » et
paf, on retombe — on est supposés retomber — dans la réalité. L’onomatopée « paf »
transmet certainement la réalité de la chute d’Horacio de la fenêtre, tout comme le font à leur
façon les trois étoiles puisqu’on pourra faire un lien entre estrella-estrellarse. À quoi s’ajoute
que ce « paf » peut aussi évoquer le bruit du livre que le lecteur referme, étant arrivé au terme
de sa lecture. Et ces trois étoiles, qui ferment à leur tour le roman avec autre chose que des

1
On préférera cette formule à celle de « lector hembra », plus appropriée eu égard à la distance que Cortázar a
ultérieurement pris quand on lui a reproché la dimension sexiste d’une telle combinaison. Sur ce sujet, on lira
avec profit : Alicia H. Puleo, Mujer y sexualidad en la obra de Julio Cortázar, DEBATS, 85 (verano 2004): 78-
85.
2
Une intéressante lecture croisée pourrait être faite entre cette séquence et le dialogue précisément entre Horacio
et Gregorovius au chapitre 57.
3
La présence d’un revolver côté Traveler, de boulons, fils et cuvettes côté Horacio, la précision qu’Horacio a
peur [« no valía la pena seguir preocupándose cuando estaba en juego la vida » (Cortázar 353)], ainsi que la
manière dont temps et espace sont travaillés – afin de créer le suspens et diviser la chambre en territoires à
défendre ou à conquérir – ne peuvent être anodines.

13
mots, évoquent aussi les triangles/trios/trinités que nous quittons avec la partie
« prescindible » ; elles viennent clore le parcours 1a comme une redondance typographique
des derniers mots qui les précèdent et donnent en somme une confirmation visuelle du statut
d’excipit du chapitre 56.
Un point, donc, pour la trajectoire narrative déroulée dans les parties 1 et 2, mais pas un
point final. Pour s’en convaincre, il suffira de se reporter aux chapitres 131 et 135. Il paraît en
effet tout à fait légitime d’y voir un important supplément d’informations au récit déroulé
dans les deux premières parties et dans ces conditions, il y aurait bel et bien débordement de
l’histoire dans la partie 3, c’est-à-dire au-delà de la frontière naturelle du roman, en
l’occurrence une frontière que l’on découvre rétrospectivement parsemée de brèches, à savoir
l’incipit qu’était ou du moins qu’est partiellement le chapitre 56. Il serait suggéré dans le
chapitre 131 (où un Traveler, visiblement inquiet, est en train de parler à un Horacio mal en
point, allongé sur le sol) et dans le chapitre 135 (entièrement consacré à la description des
soins et menues attentions prodigués par Gekrepten à Horacio), que le protagoniste aurait bel
bien sauté, aurait été blessé et aurait besoin qu’on s'occupe de lui…
De sorte que Rayuela parcours 1b fait déjà vaciller le chapitre 56 en tant que pierre
angulaire de l’architecture du roman, le prive d’une partie de ses « prérogatives » en tant que
seuil/clôture — qu’il ne peut avoir que dans un Rayuela parcours 1a.
Un phénomène qui prend toute son ampleur et tout son sens quand le parcours 2 s’ajoute
au montage. Car inséré dans cette troisième forme du livre et donc dans la troisième option de
lecture, le chapitre 56 se retrouve immédiatement privé de son rôle, déchu d’une part, de son
statut particulier d’excipit-point d’orgue (le temps des grandes révélations) de la diégèse des
parties 1 et 2, d’autre part, de son statut singulier de pré-incipit de la troisième partie, et
redevient un chapitre comme un autre, en 147e position. Est-ce à dire relégué aux oubliettes
de l’arrière et des accessoires, ou malgré tout désigné comme important au moment de finir,
quelles que soient les configurations du texte/quel que soit le livre du / dans le texte ? Le fait
est que le chapitre 56 demeure il est vrai un épisode marquant dans la diégèse également du
parcours 2, précisément à cause/grâce à la paroxystique scène du duel. Il se trouve juste que,
telle une partition de jazz, le parcours 2 change les accents et donc le rythme. Le « paf » de la
chute ne coïncide plus avec le « paf » du mot fin », limite de la « mesure » du texte, mais se
trouve à cheval entre deux accents du rythme de l’histoire, représentant ainsi, d’une
perspective musicale, une syncope, mot qui, rappelons-le, signifie également évanouissement,
tel l’évanouissement/l’absence d’un Horacio qui aurait sauté. Il n’est pas inutile de rappeler
que du point de vue rythmique la syncope est la caractéristique dominante du jazz, et donc
liée aussi à l'improvisation et aux variations. Cortázar casse les codes du roman 4 en
réorganisant l’ordre des chapitres, plus exactement en déplaçant leur position, avec plus ou
moins d’incidence, et, en l’occurrence, en modifiant leur rôle, là encore avec plus ou moins
d’incidence, nous conduisant ainsi à décatégoriser les éléments constituants du texte et
finalement à juger qu’il vaut encore mieux ne plus les catégoriser du tout puisqu’une simple
variation dans les règles du jeu peut tout faire changer. Le véritable aboutissement étant peut-
être celui-là. Il est vrai qu’outre introduire la mobilité dans les chapitres, Cortázar fusionne
dans le parcours 2 les trois parties du parcours 1b dans un tout qui abolit les anciens seuils —
comprendre : ce qui avant faisait seuil et ce qu’on attendait que soit le seuil. Avec pour

4
À l’instar de Schubert, qui cassa les codes du genre du lied en inventant une nouvelle forme et déséquilibra le
quatuor classique en introduisant dès le début du morceau les explosions musicales censées arriver à la fin.
Comme autre modèle de Cortázar, Schubert est significativement évoqué dès le chapitre 2, c’est-à-dire à la fois
tôt dans le récit et presque simultanément dans le parcours 1 et dans le parcours 2, où il succède aux chapitres 73
et 1, comme pour bien annoncer qu’il y a nouvel accent et nouveau rythme, mais avec une nouveauté à entendre
sous la forme d’une stricte variation du même, qui s’insère dans un enchaînement inédit, celui du parcours de la
marelle qui lui confère la place et le rôle d’une longue syncope.

14
résultat l’empêchement du verrouillage du sens ou la célébration d’une vérité finalement
dévoilée dans un mouvement dialectique qui donne toujours le beau rôle à l’aboutissement,
réduisant tout le reste au statut de fioriture argumentative.
Il est par ailleurs fort intéressant de noter la mise en abyme dans le chapitre 56 de
l’incidence qu’ont pour pour lui les chapitres 127 et 135 dans le parcours 2, à travers deux des
métaphores les plus prégnantes pour l’interprétation de ces pages dans le parcours 2 : d’une
part, les faisceaux de lumière violette qui débordent du couloir pour s’infiltrer sous la porte de
la chambre d’Oliveira plongée dans l’obscurité, d’autre part, le fil noir et les fils de couleurs.
Où les faisceaux de lumière violette nous font comprendre que si 56 peut révéler de nouveaux
sens, ce sera grâce à l’éclairage généré en son sein par une autre mitoyenneté ; la lumière est
encore ténue, mais elle représente l’espoir d’une ouverture là où la porte était jusque-là
fermée à tout ce qu’il y avait eu avant la chambre, notamment l’asile et avant lui, le monde-
asile. Il n’est sans doute pas anodin qu’il s’agisse d’une lumière violette, couleur non primaire
résultant d’un mélange de bleu et de rouge, de même que l’autre sens qui émergera du
parcours 2 sera le produit de la juxtaposition des chapitres 127, 56 et 135. Où les fils colorés
qu’Oliveira aime rassembler pour ensuite les intercaler entre les pages de ses livres (« juntar
hilos de colores y meterlos entre las páginas de los libros » [Cortázar 352]) nous font
comprendre la genèse de la construction du parcours 2, puisqu’ils renvoient clairement aux
chapitres de la troisième partie du parcours 1b intercalés entre les chapitres des parties 1 et 2,
confirmant ainsi, une fois de plus, le rôle de révélateur de sens des chapitres « prescindibles »,
en quelque sorte démultiplié dans la délinéarisation d’un fil unique tendu entre un point et un
autre. Et cette fonction se voit encore renforcée quand on rappelle que c’est effectivement un
unique fil, noir de surcroît, qu’Oliveira accroche à la poignée de la porte pour fermer cet
espace-chapitre 56 dans sa fonction d’excipit au sein du parcours 1a. À travers l’obscurité et
le noir, la mort du chapitre 56 du parcours 1a est bel et bien actée. Le parcours 2 a alors la
fonction de lui donner une seconde vie.
C’est en fait dès la première ligne du chapitre 127 et ensuite ponctuellement jusqu’à la
fin que la continuité diégétique avec le chapitre 56 est savamment assurée, à travers un
maillage très étroit pour offrir au parcours 2 une cohérence « naturelle » (que n’avaient
justement pas toujours les parcours 1, ceux de la logique linéaire). Les exemples sont
nombreux pour illustrer la manière dont le lecteur est doucement, mais sûrement conduit vers
l’espace diégétique du chapitre 56.
En voici quelques-uns :
1. la présence de La Cuca, de Remorino (« Remorino, que seguiría trabajando como
enfermero » [Cortázar 529]) et d’Oliveira ;
2. le fait que la scène se déroule dans la pharmacie de La Cuca, espace qui annonce
métonymiquement l’environnement médical plus vaste dans lequel le lecteur se
retrouvera au chapitre suivant (135), à savoir l’hôpital ;
3. le détail que La Cuca est la femme de Ferraguto, c’est-à-dire le nouveau propriétaire
de l’hôpital ;
4. le fait que le trio de « monstruos » articulé autour d’Oliveira anticipe le trio
Oliveira/Traveler/la Maga-Talita au cœur du chapitre 56.
Le mystère est intentionnellement entretenu autour de l’identité des deux autres
personnages du chapitre 127 et cela génère une ambiguïté — si les conversations littéraires
autour de Morelli, auteur admiré par les membres du Club, nous conduisent à opter pour le
trio Oliveira/la Maga/Gregorovius, l’épisode de la pharmacie, les mentions à La Cuca, à
Remorino et à la grande référence pataphysique, Ceferino Piriz, ancrent la scène dans le
contexte spatio-temporel « del lado de acá », nous poussant vers le trio
Oliveira/Talita/Traveler. Mystère et ambiguïté qui facilitent l’établissement de la continuité
diégétique en donnant carte blanche au chapitre 56 pour poser un nom sur les deux inconnus

15
du chapitre 127, et en apportant ce complément d’information apparemment anodin à
l’anecdote, ils ouvrent un autre champ d’interprétation au chapitre qui le précède (et n’avait
qu’un sens flou dans les parcours 1). Car le lien étant établi sur le « où ? » et le « qui ? », le
lecteur confronté à l’ambiguïté quant au « quoi ? » (cette complicité n’est-elle pas beaucoup
trop fusionnelle pour n’être qu’amicale ?), se voit révéler les tenants et les aboutissants de
l’énigme dans la dernière phrase : « y los tres soltaban la risa y se avergonzaban enormemente
de haberse mirado así sin estar jugando al truco y sin tener amores culpables. A menos
que » (Cortázar 530). Presque plus de doute, il s’agit bien d’un triangle amoureux. Et dès lors,
qui plus est en fin de chapitre, la conjonction de subordination, « a menos que », non
seulement achève de transformer une forte probabilité en une quasi-certitude, mais dramatise
les circonstances de la diégèse, inscrivant ainsi le duel entre Oliveira et Traveler dans une
parfaite continuité avec la montée de la tension qu’elle-même vient de créer. Cependant, nous
l’avons souligné, cet affrontement comprend également une dimension parodique, entre
western spaghetti et vaudeville. Ce qui explique pleinement la raison et le sens de
l’introduction dans le chapitre 127 d’une scène de théâtre, où se mêlent, dans un flot
ininterrompu de paroles, didascalies et répliques au style indirect libre et au style direct, et qui
met en scène deux amoureux hauts en couleur. A priori, l’objectif est d’établir un point de
comparaison, pour mieux saisir cette « manera especial e inexplicable » de se regarder qu’ont
Oliveira et ses complices : « es decir mirarse de una manera especial e inexplicable, como
ciertas miradas en el truco o cuando un hombre que ama desesperadamente tiene que
sobrellevar un té con masas y varias se oras y hasta un coronel retirado que explica las causas
de que todo ande mal en el país, y metido en su silla el hombre mira por igual a todos »
(Cortázar 529). Certes, mais comment s’en tenir à cet unique rôle de comparatif lorsque la
théâtralité paraît anormalement développée et vire au vaudeville, dans un total décalage avec
le sujet — l’intensité des regards — qu’elle était initialement chargée d’illustrer : « y si los
hombres de hoy fueran verdaderos hombres, joven, y no unos maricas de mierda (« ¡Pero
Ricardo! » « Está bien, Carmen, pero es que me subleva, me su-ble-va lo que pasa con el
país ») » (Cortázar 530) ? Le véritable rôle de cette scène ne serait-il pas aussi et surtout
d’annoncer le ton de celle à suivre, dans le chapitre 56 ?
Ainsi, en précédant le long chapitre 56, le court chapitre 127 — un des rares « chapitres
narratifs5 » de la partie 3 du parcours 1b — semble assurer le lien diégétique et jouer le rôle
d’une bande-annonce du film-chapitre 56. Comme monté à partir d’une série de plans choisis,
tous extraits du film annoncé, le chapitre 127 s’articule autour d’images-clé — l’univers
médical, Remorino l’infirmier et le trio que forment « los monstruos », trio uni par des
« amores culpables » (Cortázar 530) — permettant au lecteur-spectateur de se forger une
première idée sur le contenu et le genre de ce qu’il va lire/voir. Raison pour laquelle nous
pourrons interpréter la conjonction de subordination, « a menos que », placée seule à la fin du
chapitre 127, suivie d’aucun développement, en somme coupée en pleine ascension
dramatique, comme élément de cette pratique qu’on désigne aujourd’hui sous l’étiquette de
teasing.
Si l’encore plus bref chapitre 135 (à la suite du long chapitre 56) qui dépeint une scène
de couple sur le ton de la farce, cette fois, plus encore que du vaudeville (avec donc une
dégradation évidente), espèce de « vignette » qui rappelle les œuvres de théâtre (notamment
Nada a Pehuajó) dans lesquelles Cortázar s’amuse de situations absurdes, ne donne pas
d’indication précise quant à la place que tiennent ces six répliques échangées entre Gekrepten
et Horacio dans la diégèse — puisqu’on pourrait estimer qu’elle se situe avant le basculement
concret et symbolique d’Horacio du chapitre 56 ou alors après, qu’ayant survécu soit à son
5
Selon l'expression employée par Danielle Constantin dans son article « Rayuela de Julio Cortázar : intertexte,
avant-texte, épitexte », Catherine Viollet et Véronique Montémont (dir.), Le Moi et ses modèles. Genèse et
transtextualités, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, coll. « Au coeur des textes », 2009, 204 p.

16
accès de folie, soit à sa chute de la fenêtre, il s’est effectivement réfugié chez la femme
soumise et terre-à-terre qu’est Gekrepten pour une scène banale et assez bouffonne de la vie
quotidienne, dans un cas comme dans l’autre, l’idée que la fin conclue est tournée en dérision
dans la parodie du grandiose et du grandiloquent du dénouement. Retrouver le personnage
d’Horacio en train de savourer tranquillement des « tortas fritas » (Cortázar 557) désoriente le
lecteur qui le cherchait déjà dans la morgue de l’hôpital et le personnage ridicule de
Gekrepten (qui peine à suivre Horacio dans son allusion aux cosmonautes et aux fusées, « los
meten en una cápsula o algo así, verdad? » [Cortázar 557]) donne au chapitre la touche du
comic relief, en relation avec les épisodes comiques placés entre deux parties sérieuses ou
tragiques, notamment dans les pièces de Shakespeare, et ce afin de provoquer un relâchement
de la tension nerveuse. Pari tenu, en l’occurrence : le lecteur rit de la bêtise de la femme qui
s’occupe d’Horacio en lui préparant de délicieux beignets et en lui administrant des
compresses froides, même s’il ne sait pas si c’est pour le guérir de sa maladie existentielle ou
d’une blessure plus physique due à la chute d’un deuxième étage.
Une clôture/réouverture côté diégèse, on le voit, à la fois très élaborée et complexe ;
avec, on s’en doute, une portée démonstrative forte. Outre clore la narration, le chapitre 56
parachève en effet le projet d’écriture mené dans Rayuela ou même qu’est en soi Rayuela. Et
contre toute attente, cela se fait de façon également « classique » puisqu’il s’agit qu’il soit le
lieu des ultimes explications-révélations — d’où, là encore, sans doute, l’importance du
critère de la longueur de ces pages —, à l’instar de ce qu’il se passe dans un final le plus
rigoureusement théâtralisé et ritualisé d’un roman d’énigme à la Agatha Christie. Comme si,
en bout de parcours de lecture et d’expérience de méta-lecture, on nous laissait pénétrer de
l’autre côté de l’histoire, pour découvrir l’envers du décor, les coulisses, la machinerie, bref
tout ce qui a participé à préparer la découverte de la véritable identité des uns et des autres, de
ces figures qui ont peuplé telle et telle situation, le véritable sens de tel et tel dialogue, la
véritable raison de la présence de tel ou tel objet, etc., du texte. Même si la forme de cette
« explication » est allégorique, et donc voilée, l’intention didactique est indéniable eu égard à
la position terminale de ce temps presque anagogique6. Certains aspects structurels renforcent
ce côté pédagogique, comme par exemple la localisation de cette scène précisément dans une
chambre close (comme réplique de la chambre mi-close occupée dans la première partie par
Horacio-Maga), située entre les rues d’un Paris-tunnel — où l’on se rend malade de ne pas
savoir lire-déchiffrer les signes — et les couloirs de l’hôpital-tunnel — où l’on ne peut se
guérir de mal interpréter les signes lus. Deux mondes clos dans lesquels on ne peut re-rentrer
une fois qu’on s’en est extrait (d’où, pour la partie 1, la rupture avec Maga, scellée par
l’absence d’Horacio à l’enterrement de Rocamadour et le déménagement définitif qui s’en
suit ; d’où, pour la partie 2, l’insistance sur le verrouillage, avec tours et tours de fils noirs, de
la porte qu’il a refermée sur lui) parce qu’on ne pourrait plus y séjourner-lire comme on y
séjournait-lisait auparavant et qui nous poussent en somme nécessairement vers l’après, la
sortie du tunnel, l’espace ouvert… Soit vers le rien, « paf se acabó » (Cortázar 375), soit,
éventuellement, vers les chapitres « prescindibles », soit, éventuellement, vers le parcours 2.
Et, toujours du point de vue du projet littéraire, le dénouement paraît d’autant plus
orchestré pour être et pour s’auto-désigner précisément en tant que dénouement
herméneutique qu’il constitue une vaste et très élaborée mise en abyme de sa propre structure,
d’abord, et de l’ensemble du roman, ensuite. Du roman à la fois en tant que langue et écriture,
en tant que forme, en tant que genre, et, surtout, en tant qu’architecture, puisque l’architecture
constitue ce qui bouleverse à la fois la langue, le style, la forme et le genre.

6
« […] era bastante divertido que la palangana con agua y los piolines se encontraran al final del razonamiento y
no al principio, pero aquí Horacio se permitía conjeturar que el orden de los razonamientos no tenía a) que seguir
el tiempo físico, el antes y el después, y b) que a lo mejor el razonamiento se había cumplido inconscientemente
para llevarlo de la noción de piolín a la de palangana acuosa » (Cortázar 353).

17
Penchons-nous tout d’abord sur la mise en abyme de l’ensemble du roman dans un
chapitre, le 56, relié à tous les autres, comme attaché à eux par la multitude de fils et de
cordelettes de cette installation d’Oliveira. À ce titre, l’absurde apparent de ses occupations
prend sens comme prenaient sens les pratiques pataphysiques 7 et la longue description de
l’aménagement de la pièce n’est certainement plus vaine. Pas de remplissage creux ni de
fioritures esthétiques pour fermer les parties 1 et 2.
Le chapitre 56 montre ainsi son architecture, l’architecture du tout comme élément
majeur de l’auto-réflexivité, quand Cortázar pose la question « ¿qué venía primero, el piolín o
la palangana? » (Cortázar 353) ; car l’interrogation devient dans le même temps méta-
narrative en ce qu’elle concerne à la fois la génération et la composition d’un roman comme
Rayuela. En ce sens, le chapitre aurait fait une bonne « figure » (au sens où l’entend Cortázar)
dans la troisième partie. Lorsqu’en guise de réponse — d’abord le fil ou d’abord la
cuvette ? —, nous apprenons que « Como ejecución, la palangana, pero el piolín había sido
decidido antes » (Cortázar 353), difficile de ne pas voir là une allusion à la manière dont le
texte s’est généré : il serait né à partir d’un chapitre-piolín, « la araña », chapitre zéro que
Cortázar a ensuite décidé de supprimer, mais qui a déterminé l’histoire de Talita et Traveler,
la deuxième partie. De même, cela interroge de manière encore plus théorique sur la
composition d’un récit et donc l’ordre du discours qu’il produit : faut-il poser en premier le
récit (les chapitres présentés comme « essentiels ») ou bien les passages moins narratifs
(présentés comme « prescindibles »), au risque, dans ce dernier cas, de désorienter, de créer
chez le lecteur « surprise, terreur et colère » (pour reprendre les propres termes du texte) ?
Car, entre autres lectures possibles, les chapitres de la troisième partie peuvent être interprétés
comme des cuvettes d’eau qui lavent, diluent puis effacent, peut-être aussi purifient, le sens
premier (établi avec uniquement la lecture des parties 1 et 2) et obligent à revoir l’intégralité
des autres chapitres.
Le chapitre 56 affiche surtout son architecture, l’architecture du tout comme mouvance
extrême, puisque Cortázar tend en outre discrètement des « fils » vers d’autres chapitres et
pose-propose une presque infinité d’autres réseaux de significations-resignifications à travers
les numéros désignant les chambres des patients de l’hôpital. Est-ce un hasard si dès le
premier paragraphe du chapitre 6 — chapitre 6 mentionné dans le 56 parce que la patiente de
la chambre 6 fournit justement les fils de couleur qui composeront partie du système de
défense d’Horacio —, il soit justement question de fils (« En estos tiempos [Oliviera] leía
poco, ocupadísimo en mirar los árboles, los piolines que encontraba por el suelo […] »
[Cortázar 45]) ? Cela indique que dans Rayuela, les fils à tirer pour aller jusqu’au sens sont
(potentiellement) partout, disséminés sur le sol-la page du roman, à parcourir pour les repérer
et les ramasser au milieu des autres éléments beaucoup plus visibles de l’espace-texte : les
arbres (à comprendre comme paysage de l’histoire). Et est-ce un hasard si dans le chapitre 18
— qui renvoie clairement à l’omniprésent, serviable et actif patient numéro 18 du chapitre
56 —, d’une part, le motif des fils est significativement aussi évoqué, de surcroît dès le
deuxième paragraphe8, et encore une fois en tant qu’indices à assembler le moment venu pour
aller par-delà la surface des choses ; d’autre part, si, dans les dernières pages, se trouve
également une allusion aux cuvettes d’eau9 ? La cuvette évoque ici explicitement le lieu du
7
Pour l’anecdote, Cortázar a indiqué dans Último Round qu’au moment où il écrivait ce chapitre, Marcel
Duchamp faisait une installation avec des fils à Buenos Aires.
8
« Si hubiera sido posible pensar una extrapolación de todo eso [...], entender cada piolincito saliendo de las
cosas y llegando hasta su dedos, cada títere o cada titiritero, como una epifanía; entenderlos no como símbolos
de otra realidad quizá inalcanzable, pero sí como potenciadores […] » (Cortázar 87).
9
« no estaba tan borracho para no sentir que había hecho pedazos su casa, que dentro de él nada estaba en su
sitio pero que al mismo tiempo […] en el suelo o el techo, debajo de la cama o flotando en una palangana había
estrellas y pedazos de eternidad, poemas como soles y enormes caras de mujeres y de gatos donde ardía la furia
de sus especies… » (Cortázar 90).

18
dérèglement des sens et de l’ordre (« […] nada estaba en su sitio » [Cortázar 90]), le lieu ou le
faux sentiment de stabilité et centralité dans lequel nous embarque la raison cartésienne et sa
langue est joyeusement nié.
Et finalement, 56 montre son architecture (façon meccano ou rubiks cube), l’architecture
du tout, comme volontairement très — trop ? — sophistiquée dans la multiplicité de ses
assemblages internes (parcours 1b) et sa complémentarité structurelle (parcours 1 +
parcours 2), à la fois eu égard à la catachrèse retenue (fils/cuvettes-dispositif de défense et
pièges) et au fait que la combinaison par alignement (d’abord des fils, en ligne droite d’un
point à un autre point, ensuite des cuvettes, rondes ou carrées, mais en tant que contenant,
agglomérantes des contenus 10 , dans lesquelles on plongera les pieds 11 , puis par réseaux
entremêlés (des fils en même temps que des cuvettes) qui décrit déjà Rayuela dans ces trois
livres à envisager ici comme indissociables dans leurs effets combinés, avec la primauté
clairement donnée au parcours 2 (« la obtención de las palanganas era mucho más
importante » [Cortázar 353]), avec une annulation du critère de la chronologie (« De todas
maneras, ¿qué venía primero, el piolín o la palanga? Como ejecución, la palangana, pero el
piolín había sido decidido antes »). Si la première et la seconde lignes (les fils et les cuvettes)
font un écho clair au « tablero de dirección » (« primer libro »-parcours 1, à envisager comme
livre-fils — « segundo libro »-parcours 2, à envisager comme livre-cuvette où le contenant
roman agglomère tous les contenus), on comprend que la seconde a pour vocation d’assurer
l’efficacité de la première : « ensayando las posibilidades de avance, la eventual caída de la
primera línea y la eficacia de la segunda ». Car jusque-là, le lecteur-Traveler n’a guère voyagé
dans le roman, comme le personnage-Traveler n’a guère voyagé, est-il précisé à maintes
reprises et comme s’il s’agissait d’un trait distinctif du personnage. Il s’en est tenu à arpenter
sa ville natale en familier et symbolise le lecteur qui arpente le roman avec le même type de
familiarité passive — toujours le même trajet et le même paysage. Traveler, donc, entre dans
la chambre, se prend les pieds dans les fils et dans les cuvettes, mais ne va jamais jusqu’à
l’espace ouvert de la fenêtre. On peut effectivement voir dans ce chapitre une méticuleuse
mise en scène des potentiels pièges dans lesquels pourrait tomber le lecteur. Une allégorie
dans laquelle le lecteur (Traveler) est attendu par l’auteur (Horacio) dans une entéléchie
sophistiquée et très réfléchie, qui relève de l’absurde puisque les activités minutieusement
menées n’ont aucune finalité apparente, et qui fait se rejoindre, comme dans un ruban de
Möbius, la raison et la folie. Dans cette allégorie, le rôle du sens (le réel que l’auteur souhaite
transmettre au lecteur) est occupé par le baiser échangé entre Talita et Horacio dans la
morgue. Avec son système de défense, Horacio se protège d’une interprétation trop hâtive (le
baiser adultère, la trahison de l’épouse) pour aller vers un sens autre (« miró a Traveler […]
Cómo transmitirle algo de eso que en el territorio de enfrente llamaban un beso, un beso a
Talita, un beso de él a Talita, […]. Si por lo menos Manú fuera capaz de sentir que nada de lo
que estaba pensando tenía sentido del lado de la ventana, que sólo valía del lado de las
palanganas y los rulemanes… » [Cortázar 366]). C’est bien à ce sens autre que la triade
identitaire (enfant/fou/poète) incarnée par Oliveira renvoie. Il n’est plus cet être pétri d’une
raison logique, euclidienne, mathématique, conceptuelle des premiers chapitres (tant dans les
parcours 1 que dans le parcours 2), mais cet être autrement raisonnable, marqué par ce que
Lewis Carroll appelait le nonsense. Et telle Alice, c’est par une porte que Traveler pourra
accéder au pays des merveilles, à la chambre autrement sensée qu’occupent Oliveira et son
installation follement réfléchie. Comme ce sera également par plus d’une cinquante de portes-
« capítulos prescindibles » intercalés dans le parcours 2, que le lecteur aura autant d’occasions

10
À ce propos, il n’est pas inutile de rappeler que ces palanganas et escupideras, il a fallu aller les chercher un
peu partout dans l’hôpital – en référence à la fois à l’intratextualité et à l’intertextualité.
11
« había que ir llenando las palanganas y las escupideras, disponiéndolas en una primera línea de defensa algo
más atrás de la primera barrera de hilos » (Cortázar 355).

19
d’appréhender l’autre sens du réel. Ouvrons les portes et allons jouer : « De una manera u otra
todos la buscan, todos quieren abrir la puerta para ir a jugar » (Cortázar 403). Allons
apprendre à lire par-delà les signes visibles et immédiats. À partir de ce postulat d’une
allégorie, les éléments et actions du chapitre prennent un sens précis, comme lorsqu’on lit :
« Le gustaba que todo lo que hacía estuviera lo más lleno posible de espacio libre, y que el
aire entrara y saliera, y sobre todo que saliera; cosas parecidas le ocurrían con los libros, las
mujeres y las obligaciones, […] » (Cortázar 352). Cette phrase peut être lue comme le
programme même du livre que l’on tient en main : libérer les chapitres, leur permettre, par le
biais d’une combinatoire, de s’entourer à loisir de nouveaux voisins, de nouveaux « espaces »
représentant autant de caisses de résonance, de prismes ou de loupes sur lesquels construire
un sens en perpétuel mouvement. Cette inconsistance du sens est figurée par les « fils » ténus
et fragiles qui ont la préférence d’Oliveira : « se preguntó si la fragilidad de los hilos no le
daba algo así como una perversa satisfacción… » [Cortázar 352]). Les bassines d’eau
représentent également cette instabilité, ou ce qui, dans un texte, produit chez le lecteur
« sorpresa, tal vez terror, en todo caso la cólera ciega que sigue a la noción de haber metido
un zapato… » [Ibid.]), ce qui l’empêche de s’installer dans une lecture ronronnante et
confortable. Cette approche allégorique permet également de voir une autre forme de lecteur
contre-modélique avec une figure de lectrice encore plus « passive » en Gekrepten —
« Difícil explicarle [a Gekrepten] que cuanto más frágil y perecedero el armazón, más
libertad para hacerlo y deshacerlo » (Ibid.). Or, cette double référence au lecteur contre-
modélique (Traveler et Gekrepten) constitue un avertissement final, puisque le chapitre 56
envisage la possibilité que le lecteur d’une part, ne poursuive pas sa lecture avec la troisième
partie. Sans doute cela explique-t-il qu’on soit entré dans cette chambre-roman par une porte,
comme d’habitude (l’incipit de la première page) et qu’on nous incite à en sortir de manière
beaucoup moins conventionnelle, par une fenêtre-excipit, sachant que dans le chapitre 41, le
lecteur a appris que quand on passe par une fenêtre, c’est non pas pour sortir, mais pour entrer
dans une autre pièce par une autre fenêtre… Cette autre fenêtre, c’est le titre « miroir », « De
otros lados », et cette autre pièce, c’est effectivement la troisième partie. Et le chapitre 56
envisage d’autre part, la possibilité que le lecteur ne perçoive pas la nécessité du parcours 2
ou y soit purement et simplement rétif. C’est dans cette perspective que s’inscrit le compte-
rendu du patient 18 à Horacio : « Dijo que había espiado a Remorino, y que Remorino tenía
tanto trabajo con la 31, el 7 y la 45, que ni pensaría en subir al segundo piso. Lo más probable
era que los enfermos se hubieran resistido indignados a las novedades terapeúticas que
pretendía aplicarles Remorino, y el reparto de pastillas o inyecciones llevaría su buen
rato ». (Cortázar 357) Néanmoins, il serait aussi injuste qu’incorrect de réduire ce constat à un
aveu d’échec. Remorino ne renonce pas et projette de s’engager au contraire dans une
nouvelle tournée-distribution de « pastillas e inyecciones » aux patients du premier étage,
c’est-à-dire, donc, aux lecteurs des parcours 1, afin de lever leurs réticences et de les amener à
poursuivre leur lecture-guérison, avec le parcours 2. Il est intéressant ici de noter que c’est
bien Horacio qui a monté le coup : ne voulant pas que Remorino monte au deuxième étage et
interfère avec son plan, il lui a livré un compte-rendu faux, inventé de toutes pièces, l’incitant
à prodiguer mille soins aux patients du premier, et prétextant un besoin de sommeil urgent
pour ceux du deuxième. Le compte-rendu (« parte ») d’Horacio prend, au niveau diégétique,
la place d’un tableau d’instructions, mise en abyme du « Tablero de dirección » du roman, et
qui incite le lecteur-Remorino à ne pas s’aventurer trop tôt au deuxième étage — au parcours
2. Tel est par conséquent le pari que fait cette fin, voulue à la fois comme fermeture et comme
réouverture — fermeture de la porte derrière soi, ouverture de la fenêtre devant soi. Si le
patient/étage 1-lecteur/parcours1 a résisté à toutes les « novedades terapeúticas » de cette
« obra terapeútica » (selon l’expression de Luis Harss dans Los Nuestros), y compris à la mise
en abyme didactique du chapitre 56 qui, en lui dévoilant les coulisses de l’architecture et de la

20
construction de Rayuela dans la chambre-livre d’Oliveira, lui laisse entrevoir les multiples
possibilités du livre et donc les multiples raisons de poursuivre la lecture, le moment semble
en effet venu de (re)-administrer les chapitres 31, 7 et 45 — ces chambres-chapitres des
patients de l’étage 1 — par cachet. Le constat de Remorino résonne désormais non plus
comme une simple mise en abyme du comportement de l’auteur qui ne renonce pas à son
projet littéraire malgré la forte résistance du lecteur, mais aussi comme la révélation de son
programme d’action défensive.
Le lecteur avale alors son premier cachet—chapitre 31 : il retrouve Gregorovius et
Oliveira dans une discussion animée, née d’une remarque personnelle du premier sur le
second : « Parecía especializarse en causas perdidas. Perderlas primero y después largarse
atrás como un loco » (Cortázar 200). Comment ne pas y voir une métaphore d’un Oliveira-
auteur-docteur, double de Remorino, qui ne s’avouerait pas vaincu devant les résistances de
son lecteur-malade ? Le programme de soins intensifs a commencé. Et si le lecteur croit
n’avoir pris qu’un nouveau cachet de (re)lecture du chapitre 56, il a en réalité également reçu
une injection : la manipulation du livre. Pour passer du chapitre 56 au chapitre 31, il a tourné
des pages, développant ainsi un véritable contact charnel avec Rayuela, avec ce livre dont
l’auteur espère qu’il ne sera pas jeté par la fenêtre. Et l’infiltration de se poursuivre quand le
lecteur tourne de nouveau les pages pour atteindre et avaler son deuxième cachet : le
chapitre 7. Place cette fois à une scène charnelle, voire érotique, entre deux entités anonymes
dont les corps s’enlacent jusqu’à fusionner, telles les entités lecteur et objet-livre. N’est-il pas
vrai qu’après deux cachets-relectures de chapitres et une longue injection de manipulation du
livre, le lecteur a non seulement Rayuela dans le sang, mais aussi dans la peau ? En même
temps que le lecteur lit et découvre les coulisses de la réalisation de son propre programme
thérapeutique, il est aussi en train d’en faire l’expérience, d’avancer d’un nouveau pas vers la
guérison. Le dire et le faire, le lecteur et Rayuela, voilà les deux couples qui s’entrelacent
dans ce chapitre 7. Et telle également la partie 3 avec les parties 1 et 2 du parcours 1a — à la
fois dans les parcours 1 par re-significations successives et de manière complètement
symbiotique dans le parcours 2 où la mixtion est si forte que les catégories mêmes de parties
n’existent plus — et, enfin, tels les parcours 1 et le parcours 2.
L’infiltration charnelle se poursuit : le lecteur tourne à présent les pages jusqu’à prendre
son dernier cachet-chapitre 45 et retrouver Traveler, en pleine réflexion devant les deux
planches-pont qui sont toujours là entre son appartement et celui d’Oliveira 12 . Après le
premier échec partiel de Talita à traverser le pont, une seconde chance semble être offerte au
lecteur. Il est encore temps. Au chapitre 56, le soleil ne s’est pas encore levé. Ultime cachet
du traitement, dernier pas vers la guérison : le lecteur arrive au bout de sa maladie et est aux
portes/à la fenêtre du parcours 2. Excipit du parcours 1a et réouverture sur le parcours 1b puis
sur le parcours 2, ces deux rôles assumés par le chapitre 56 dans le parcours 1a ne semblent
plus à prouver. De même que nous ne pouvons plus douter de l’engagement de l’auteur dans
un véritable processus de défense de son projet, comme un nouvel écho ou une déclinaison de
l’installation défensive dans la chambre d’Oliveira.
En effet, comment ne pas se demander si cette construction, comme nous l’évoquions
précédemment, au-delà de révéler l’(anti-)architecture de Rayuela, ne révèlerait pas
l’architecture du chapitre même, alliant ainsi de nouveau le dire au faire ? Avouons que
l’ambiguïté des propos d’Oliveira est troublante :

12
« Prácticamente equivalía a dar por sentado que ni Horacio ni él habían retirado los tablones. De una manera u
otra había pasaje, se podía ir o venir. Cualquiera de los tres, sonámbulo, podía pasar de ventana a ventana,
pisando el aire espeso sin temor de caerse a la calle. El puente sólo desaparecería con la luz de la ma ana, con la
reaparición del café con leche que devuelve a las construcciones sólidas y arranca la telara a de las altas horas a
manotazos de boletín radial y ducha fría » (Cortázar 298)

21
ale decir que frente a su pieza empezaba el territorio, y atacar el territorio era desaconsejable
puesto que los motivos del ataque dejaban de tener inteligibilidad o posibilidad de ser intuidos
por parte del territorio. En cambio si él se parapetaba en su pieza y Traveler acudía a atacarlo,
nadie podría sostener que Traveler ignoraba lo que estaba haciendo, y el atacado por su parte
estaba perfectamente al tanto y tomaba sus medidas, precauciones y rulemanes, sea lo que fueran
estos últimos » (Cortázar 356).

Outre la lecture purement littérale et la mise en abyme de l’action de l’auteur dans la


totalité de l’œuvre, il semble difficile de ne pas aussi y lire, a posteriori, une mise en abyme
du chapitre 56 dans lequel les réflexions d’Oliveira-auteur sur Traveler-lecteur de Rayuela ne
seraient en réalité qu’une nouvelle mise en abyme par synecdoque des réflexions d’Oliveira-
auteur sur Traveler-lecteur du parcours 1a aux portes du chapitre 56. La chambre-livre est
devenue chambre-chapitre 56 ; le système défensif-architecture du livre est devenu le système
de défense du projet littéraire-architecture du chapitre 56. Inutile d’attaquer le lecteur du
parcours 1a, de le contraindre frontalement à s’engager dans le parcours 1b puis le parcours 2.
Celui-ci, encore lecteur passif, encore lecteur malade, n’en comprendrait pas les raisons.
Mieux vaut se retrancher et défendre. En revanche, si c’est le lecteur qui se lance de son plein
gré dans le dernier chapitre, s’il attaque la lecture du chapitre 56, ce sera à ses risques et
périls ! Comme pour Traveler-lecteur de Rayuela, nul ne sait si Traveler-lecteur du parcours
1a poussant la porte du chapitre 56 se prendra les pieds dans les cuvettes13. Peut-être ira-t-il
jusqu’à avaler les cachets-relecture des chapitres 31, 7, 16 et 45, par exemple. Qui sait ?
Et si tel est le cas, pouvons-nous conclure que la prise de traitement garantirait le succès
de la défense du projet littéraire de Cortázar ? En d’autres termes, la prise des 3 cachets-
relectures de chapitres associée à une injection-contact charnel avec le livre seront-elles
suffisantes pour pousser le lecteur à se lancer dans une nouvelle traversée du pont, à passer
aux parcours 1b puis au parcours 2 ? Et si le véritable génie de Cortázar n’était finalement pas
d’avoir déjà mis son lecteur sur les planches, de l’avoir conduit à faire une première
expérience de l’intratextualité, fondement même des parcours 1b et 2 ? Et si une fois de plus,
le vrai sens n’était pas ce qui visiblement paraît ? Il serait en effet trompeur — et bien naïf,
étant donné l’auteur qu’est Cortázar — de croire que l’auteur-docteur administre au lecteur-
malade une relecture du même chapitre 31, du même chapitre 7 et du même chapitre 45, déjà
lus. Si en apparence les cachets portent les mêmes numéros, leur contenu n’en est pas moins
totalement différent : ces cachets A sont devenus des cachets C, tel le chapitre 31-texte A
dans le parcours 1 est devenu chapitre 31-texte C dans la relation intratextuelle constituée par
le parcours intermédiaire 56-31-7-45. Et si, en apparence, le chapitre 56 semble être un excipit
— aveu d’échec du parcours 1a et réouverture sur le parcours 1b puis la parcours 2 —, il
marque alors aussi et déjà le succès du projet littéraire de Cortázar, vers lequel nous a conduit
l’énigmatique patient 18, ce fou seulement identifié par le numéro de sa chambre et
totalement dévoué à Oliveira dans la construction d’un système défensif efficace. Par son
numéro — 18 = 2x9 —, ne serait-il pas le mieux à même pour nous mener en fin de
cheminement (c’est-à-dire au parcours 2), pour nous mener au ciel, à ce sens autre, la case
n° 9 de la marelle ? Ne serait-il pas celui qui détiendrait le savoir, celui qui connaîtrait les
liens cachés, les ponts à traverser et serait chargé de les signaler au lecteur, de le guider de la
fin du parcours 1a jusqu’au parcours 2, tel le chat du Cheshire guidant Alice sur le chemin du

13
« Cuando Traveler abriera la puerta pasarían varias cosas y podrían pasar muchas otras. Las primeras eran
mecánicas y fatales, dentro de la estúpida obediencia del efecto a la causa, de la silla al piolín, del picaporte a la
mano, de la mano ala voluntad, de la voluntad a… por ahí se pasaba a las otras cosas que podrían ocurrir o no,
según que el golpe de la silla en el suelo, la rotura en cinco o seis pedazos del cenicero Martini, y la caída del
cajón del ropero, repercutieran de una manera o de otra en Traveler y hasta en el mismo Oliveira » (Cortázar
359)

22
Pays des Merveilles (« […] aconsejó un amontonamiento de rulemanes entre las dos líneas de
palanganas, a fin de completar la sorpresa del agua fría con la posibilidad de un resbalón de la
madona » [Cortázar 357-358]) ? Grâce aux précieux conseils et à l’aide du patient 18-chat, le
lecteur ne vient-il pas de faire l’expérience de « un resbalón de la madona » entre les 2 lignes
de cuvettes, du parcours transitionnel 56-31-7-45 vers le parcours 1b puis le parcours 2 ? Si le
rôle de réouverture vers le parcours 1b puis le parcours 2 du chapitre 56 est de nouveau ici
réaffirmé, son rôle de mise en abyme de sa propre architecture apparaît aussi clairement, de
manière presque transparente, comme nous l’avait laissé supposer, dès les premières lignes, le
goût d’Oliveira pour la construction de « gigantesco dodecaedro transparente » (Cortázar
352).
Quant à la comparaison du patient 18 avec le chat, elle ne s’arrête pas au seul rôle de
guide que l’on retrouve aussi dans la citation suivante : « Para la parte de los hilos el 18
resultó muy útil, porque apenas lo informó sucintamente de las necesidades estratégicas,
entornó sus ojos verdes de una hermosura maligna y dijo que la 6 tenía cajones llenos de hilos
de colores » (Cortázar 353). En effet, comme le chat qui joue avec les pelotes de laine, le
patient 18 est lié aux fils. Ajoutons encore à cela l’insistance, dans tout le chapitre, sur son
regard vert intense14. La présence du chat, son aide dans la construction d’un système défensif
efficace et son rôle de guide vers le nonsense ne font aucun doute. Toutefois, auront-ils été
suffisants pour assurer le succès de la défense du projet littéraire de l’auteur ? Si certains
lecteurs, comme nous venons de le démontrer, prendront leurs cachets-relecture et glisseront
sans difficulté vers le parcours 2, en passant par le parcours 1b, d’autres continueront de
résister à ces « novedades terapeúticas » et resteront malades, mettant ainsi en échec le
processus de défense. À moins que là encore, l’habileté de Cortázar soit de cacher un succès
sous un échec apparent. Car, quels que soient les effets qu’aura eu cette toile d’araignée
défensive sur le lecteur du chapitre 56, qu’il se prenne les pieds ou non dans les fils et les
cuvettes, force est de constater que ce lecteur a lu ce dont il était en train de faire l’expérience,
a découvert par la lecture les coulisses de la construction du chapitre en même temps qu’il les
traversait lui-même par le faire, par ses choix (prise ou non du traitement de soins). Sous
l’échec visible de défense de son projet littéraire (le lecteur malade ne s’est pas pris les pieds
dans les cuvettes, n’a pas ingurgité les cachets-relecture) se cache en réalité un premier succès
de son projet philosophique : le lecteur expérimente, le lecteur vit ; le lecteur malade se trouve
déjà sur le chemin de la métamorphose en lecteur actif, actif pour bien davantage qu’un
« simple » projet littéraire.
Il se trouve que si le chapitre 56 joue son rôle de clôture de l’anecdote centrale de la
diégèse et, dans les proportions que l’on a vues, de clôture-ouverture du projet littéraire et
méta-littéraire, Rayuela produit une autre couche de sens, à savoir la réflexion philosophique,
également mise en abyme dans ces dernières pages du parcours 1a pour produire son
achèvement et la condition à la fois de sa continuation (à travers le parcours 1b) et son
recommencement (dans le parcours 2).
Pour bien saisir et prendre la mesure de l’ambition de Cortázar dans Rayuela, on se
souviendra de ce que posait déjà son essai Teoría del túnel (1947), à lire à la fois comme
manifeste et comme programme15 : chaque étape du long et tortueux rite initiatique qui sous-
tend le roman dans sa nouvelle version et lui donne sa principale raison d’être (notamment

14
Un motif tenace chez Cortázar puisqu’on pourra assimiler le patient 18 au chat de la première nouvelle du
recueil de 1980 Queremos tanto a Glenda, « Orientación de los gatos », où l’on retrouve l’idée du chat au regard
vert qui oriente et guide :« Me miran de frente, Alana su luz azul y Osiris su rayo verde » (2007, 31).
15
Saúl urkievich, critique littéraire et ami personnel de l’auteur, écrit dans son introduction à Teoría del túnel
qu’il « enuncia el propio programa novelesco, postula la poética que desde el principio –desde Divertimento
(1949)– regirá la novelística de Julio Cortázar. Formula el proyecto que, aplicado a tres intentos previos, culmina
quince años después con Rayuela, la cuarta acometida ».

23
pour la forme si particulière qu’il prend et qui n’est certes pas qu’élucubration ou caprice) a
pour objectif non seulement de conduire le lecteur vers un sens caché du texte, au-delà du
sens littéral, pour véritablement ré-apprendre à lire, mais aussi, simultanément, de l’amener au
réel dans sa globalité multiple, c’est-à-dire dans toutes ses dimensions, au-delà du seul
tangible, pour ré-apprendre à comprendre son rapport au monde. Comme le suggère le sous-
titre de Teoría del túnel, « Notas para una ubicación del surrealismo y del existencialismo »,
non seulement la révolution esthétique-technique et la révolution philosophique-métaphysique
sont indissociables, mais ce sont effectivement le surréalisme et l’existentialisme qui donnent
à Cortázar les points cardinaux de son projet. À l’instar des surréalistes, Cortázar a l’intuition
qu’il existe des mondes autres du/dans le réel et son obsession — comme celle de son alter
ego, Horacio — est de les percevoir (par l’exaltation débridée des sens et non par la rigueur
figée des idées, donc) pour y accéder, en faire l’expérience et ensuite, via une écriture
affranchie de toutes ses frontières et règlements, de la partager avec le lecteur. Or, c’est
précisément le but assigné au chapitre 56, tissé en un dense réseau de lignes renvoyant à une
constellation de sens et de « messages » cachés. Ce qui explique la place fondamentale
occupée par le motif de la vue dans ces pages. Voir au-delà du visible, voilà exactement ce
que posait déjà le chapitre 1 de Rayuela, quand sont évoquées les errances d’Horacio et la
Maga : « Pero otras veces seguíamos hasta la Porte d’Orléans, conocíamos cada vez mejor la
zona de terrenos baldíos que hay más allá del Boulevard Jourdan, donde a veces a
medianoche se reunían los del Club de la Serpiente para hablar con un vidente ciego, paradoja
estimulante » (Cortázar 20-21). Il y a donc bien une ligne de démarcation, le boulevard
Jourdan, et c’est au-delà qu’on trouve le voyant aveugle avec qui apprendre à (re)-voir. La
référence intertextuelle à Rimbaud16 est implicite, mais claire. Il n’est d’ailleurs pas anodin
que Rimbaud, modèle parmi les modèles pour Cortázar, ne soit explicitement mentionné que
dans la partie 3 (aux chapitres 60, 116 et 141), en une association métaphorique et symbolique
entre le poète-voyant et la révélation du sens caché, dans l’autre dimension du texte (les
chapitres « prescindibles »), à lire, donc, comme porte d’entrée à l’autre dimension de
l’histoire et du réel à laquelle elle donne accès. L’autre sens du roman/l’autre réalité se
trouverait bel et bien là, juste à côté, derrière cet écran de fumée de nos préjugés, dans ce que
l’on néglige généralement de prendre en compte, parce que considéré « prescindible ».
Cet objectif posé, reste à l’atteindre. Comment « être voyant, se faire voyant » ? La
réponse est là aussi donnée dans le duel-dichotomie du chapitre 56 entre Traveler et Horacio,
les personnages et tout ce qu’ils portent-représentent. Pensons au mépris d’Horacio quand il
reproche à Traveler d’avoir besoin d’explications pour tout, et comme tout le monde : « vos
que adorás las explicaciones como todo hijo de los cinco mil años » (Cortázar 372), alors que
lui-même veut se « nettoyer » (de nouveau la cuvette d’eau) de l’emprise de la raison et se
placer au-delà en agissant tel un animal — un chat ? : « Antes de volverse a la ventana metió
la cara en el agua del lavatorio y bebió como un animal, tragando y lamiendo y resoplando »
(Cortázar 372-373).
La scission entre pensée depuis la raison et pensée depuis les sens paraît martelée dans le
chapitre ; par exemple, quand occupé à se barricader pour empêcher Traveler, le raisonnable,
d’envahir le côté de la passion, comme autre forme de la raison, Horacio voit sa « materia
mental », décrite comme « algo entre noción y sentimiento », partagée entre ses savants
calculs stratégiques et des pensées d’un autre ordre : « A esa hora le ocurría llenarse de
pensamientos ajenos, dona nobis pacem, que el bacán que te acamala tenga pesos duraderos,
cosas así » (Cortázar 355). Dualisme entre Horacio et Traveler, mais également entre deux
Horacio, qui nous incite à établir un lien avec deux moments du roman, en effet mis

16
Qui, rappelons-le, écrivait en 1871 à Paul Demeny une lettre, dite « du voyant » dans laquelle il disait : « il
faut être voyant, se faire voyant »).

24
directement en relation avec les « conclusions » du chapitre 56 sur cette question, notamment
en préparant déjà le lecteur au questionnement sur les contours du raisonnement : d’abord, la
fin de la première partie, « Del lado de allá », close par le fameux chapitre 36, où Horacio
éprouvait une « nostalgia vehemente de un territorio donde la vida pudiera balbucearse desde
otras brújulas y otros nombres » (Cortázar 225) ; ensuite, le chapitre précédent (55, dans les
parcours 1) — après l’expérience du baiser échangé avec Horacio, Talita s’étant sentie
complètement démunie au moment d’en rendre compte à Traveler avec des mots, les rares
qu’elle trouvait encore se révélant contradictoires, trop peu explicites, il ne lui était plus resté
qu’une curieuse et anarchique pantomime amoureuse17. Or, la symétrie avec ce qu’éprouve et
ce que fait Horacio dans le chapitre 56 est claire quand on le voit s’évertuer, à travers une
anarchique pantomime guerrière, à dépeindre à Traveler une expérience qui, si elle devenait
mots, tomberait, au mieux dans le ridicule et la caricature, au pire dans le crime. Signalons
que ces chapitres 55 et 56 ne sont rien moins que la décomposition du chapitre initial, mais
finalement écarté, « la araña », dans lequel Traveler prend au piège une Talita endormie en la
liant avec d’innombrables fils aux murs et meubles de la chambre conjugale, telle une
araignée qui serait au centre de sa toile, pour ensuite passer avec elle à des ébats aussi
passionnés qu’entravés par lesdits fils. Avec 55 et 56, qui remplacent ce chapitre originel, le
roman s’achève sur la double démonstration de la mise en échec du langage — outils et
véhicule de la raison — dans sa capacité à dire l’être, et, subséquemment, sur la nécessité
d’avoir recours à des moyens d’expression nouveaux, des moyens ne débouchant pas sur la
raison et donc le raisonnable. Mieux vaut encore des pantomimes anarchiques et
apparemment aussi absurdes que vaines, en l’occurrence le toucher et les caresses, pour l’une,
les belliqueux fils et cuvettes remplies d’eau, pour l’autre. N’importe quels extrêmes
passionnels en somme pour sortir à tout prix des sentiers battus de la pensée conceptuelle
dépassionnée et briser « la dura costra mental » (pour reprendre Traveler au chapitre 55) qui
fige la pensée et donc la perception et son expression. Le chapitre 55 avait là aussi déjà
préparé le terrain d’un discours oscillant entre la réflexion et d’autres formes d’appréhension
de la réalité et de soi, en l’occurrence par les sens et l’émotion physique18.
Dans cette perspective, la guerre de territoires entre Horacio et Traveler prend un tout
autre sens, plus exactement une autre dimension qu’une stricte situation de vaudeville pour la
conquête de la belle19. La « masa negra » qu’est Traveler dans son affrontement avec celle
d’Horacio métaphorise la lutte entre deux manières d’être au monde : d’abord, celle de
Traveler, logée du côté de la pensée occidentale, raisonnante et raisonnable, qui laisse
triompher la logique ; ensuite, celle d’Horacio, qui permet un être-là hyper-sentant et non plus
pensant. Même si les « masses noires » sont récurrentes dans le chapitre, montrées comme
autant d’espaces flous, les phénomènes qui, s’ils occupent de la place dans le texte, ne
pourront pas pour autant prendre la forme de concepts existants, il faut préciser que l’objectif
n’est pas d’accorder puis d’orchestrer la victoire d’un côté ou de l’autre (cela aurait pour
résultat de faire retomber dans une dialectique). Significativement, la situation d’Oliveira, qui
a tout de même le statut de personnage principal, est ambiguë dans l’interprétation à en
donner : ses occupations surprenantes sont-elles le résultat d’un début de folie, ou, au
contraire, d’une extrême lucidité ? La réponse est d’autant plus délicate quand on se souvient
17
« […] trató de explicar el beso, y como no encontraba las palabras iba tocando a Traveler en la oscuridad, su
manos caían como trapos sobre su cara, sobre sus brazos, le resbalaban por el pecho, se apoyaban en sus rodillas,
y de todo eso nacía como una explicación que Traveler era incapaz de rechazar… » (350)
18
« Nada de todo eso podía pensarse, pero en cambio se dejaba sentir en términos de contracción de estómago,
territorio, respiración profunda o espasmódica, sudor en la palma de las manos… […] gritos silenciosos que
reventaban como masas negras en la garganta (siempre había alguna masa negra en ese juego) » (356-357)
19
Rappelons qu’Horacio a embrassé Talita dans la chambre froide de la morgue et, cloîtré dans sa chambre où
on présume qu’elle verra la mort de l’un ou l’autre des duellistes, attend l’arrivée de Traveler, dont il craint la
vengeance et contre lequel il ourdit un plan qui consiste surtout en une paranoïaque défense territoriale.

25
de sa complicité avec le patient 18, qui ne remet pas un instant en question les activités
d’Horacio dans sa chambre et y adhère même complètement et efficacement (c’est lui qui
propose l’ajout des boulons et de la Heftpistole au dispositif défensif). Rencontre et fusion de
deux raisons ou de deux déraisons ? La frontière étant définitivement effacée entre ces
catégories lorsque l’occupant de la chambre 18 évoque la déraison de la patiente de la
chambre 6 : « El 18 sostenía que la 6 estaba loca, lo que complicaba la incursión en su
aposento » (Cortázar 353). Dire si l'hôpital se moque ici de la charité ou non est juste une
question de point de vue et de circonstances, et ce qui est envisagé est que folie et raison,
comme les hospices mentionnés, sont essentiellement la même chose. Pour parachever le
raisonnement, si la raison s’oppose à la folie de manière récurrente dans l’ensemble du
chapitre, Horacio essaie déjà d’effacer la frontière entre les deux en faisant venir Traveler de
l’autre côté de la porte, l’amener de la lumière du couloir/de la raison à l’obscurité/la pensée
autre de la chambre. Par ailleurs, on ne sait en fin de compte pas de quel côté se trouve
l’instance d’énonciation (c’est sans doute le sens de la ligne de lumière sous la porte qui
montre la continuité entre déraison et raison) et donc, si c’est depuis la raison ou la folie que
se situe l’orchestration du récit, qui clôt le roman. On le comprend, l’objectif est de postuler
une « unidad », terme qui revient significativement à plusieurs reprises 20 . Intéressante
précision qu’il faille se tenir dans la fenêtre pour penser à l’unité (la phrase clé est celle-ci :
« Vale decir que frente a su pieza empezaba el territorio » [Cortázar 356]), mais que dans le
même temps, l’étape de la fenêtre n’en donne pas encore un plein accès. Le narrateur se
surprend lui-même d’ailleurs à retomber dans la dialectique, le système qui distingue et
catégorise, qu’il refuse : « pero era bueno haberse sentido profundamente ahí durante un
tiempo inconmensurable, sin pensar nada, solamente siendo eso que estaba ahí; […] eso
contra el territorio, la vigilia contra el sueño. Pero decir: la vigilia contra el sueño era ya
reingresar en la dialéctica, era corroborar una vez más que no había la más remota esperanza
de unidad » (Cortázar 357) La question sur laquelle s’achève ce chapitre est donc la suivante :
comment faire triompher la deuxième manière d’être dans le monde, sans avoir recours à la
lutte, à la dialectique, à la hiérarchie, à des notions qui créent pouvoir et violence ? D’un point
de vue philosophique, il est effectivement essentiel qu’Oliveira soit justement en train de
rassembler le matériel nécessaire à la construction de son système défensif quand, à travers
ses réflexions, est révélée la teneur de sa quête philosophique : « A Oliveira le iba a doler
siempre no poder hacerse ni siquiera una noción de esa unidad que otras veces llamaba
centro » (Cortázar 356). Parvenir à l’unité, c’est-à-dire faire la synthèse entre des contraires
apparents, réunir ce que toute la logique dialectique a séparé et jugé inconciliable, est semble-
t-il bien l’ambition de l’auteur, l’unique moyen de véritablement appréhender le réel. Cette
idée sera d’ailleurs martelée par Oliveira, qui la reprend presque mot pour mot tandis qu’il
attend l’arrivée de Traveler : « Algo como la vigilia contra el sueño (las horas del sueño y la
vigilia, había dicho alguien un día, no se habían fundido todavía en la unidad), pero decir
vigilia contra sueño era admitir hasta el final que no existía esperanza alguna de unidad »
(Cortázar 360).
De sorte que, comme il clôt la diégèse avec un face à face inéluctable après la montée de
la tension dramatique au sein du triangle amoureux, le chapitre 56 clôt la crise existentielle et
métaphysique que traverse Oliveira, écartelé entre deux pôles opposés. Le fait que dès le
début des parcours 1, il ait recours à des expressions contradictoires (souvenons-nous de ce
« vidente ciego » croisé au chapitre 1) dont il aspire intuitivement à réconcilier le sens dans
une fusion sémantique, et le fait qu’il soit confronté à des perceptions sensorielles

20
« Entre tanto se podía estar en la ventana fumando […] y pensando en la unidad tan puesta a prueba por el
conflicto del territorio versus la pieza. A Oliveira le iba a doler siempre no poder hacerse ni siquiera una noción
de esa unidad que otras veces llamaban centro, que a falta de contorno más preciso se reducía a imágenes como
la de un grito negro, un kibbutz del deseo… » (356) [c’est nous qui mettons en gras]

26
divergentes 21 , révèlent sa quête douloureusement maladive d’unité. Une quête comme
toujours dans Rayuela renforcée par la signification apportée via l’intratextualité et
l’intertextualité ou la transmédialité ; en l’occurrence à travers la mention de Toulouse-
Lautrec dans le chapitre 922. Outre une allusion à la manière particulière de marcher de la
Maga, avec la palette des symboles qui l’accompagne (eu égard à ses « déficiences » —
claudications intellectuelles — ou ce que les autres personnages voient de la sorte) et le
système analogique établi entre l’artiste, précisément un peintre, et la femme, il faut y voir
une référence au mouvement pictural du cloisonnisme, duquel se revendique Toulouse-
Lautrec. Son ambition de chercher à cerner chaque motif d'un trait en général noir pour rendre
l'œuvre plus synthétique et décorative est ici l’illustration parfaite de l’union possible des
contraires — d’abord cloisonner pour, in fine, mieux synthétiser.
De sorte que si à première vue, ces oxymores dans le langage et dans les émotions
ressemblent à des contradictions aussi violentes qu’insensées, ils apparaissent au contraire, en
bout de parcours, comme la vérité même, le réel même. La vraie violence est celle qui
cherche à les opposer, tend à nier le territoire de l’autre. C’est aussi le sens de la mise en
abyme du duel entre Traveler et Oliveira et sa conclusion dans la prise de conscience de
l’inutilité de toute lutte23. Et lorsqu’Oliveira se prend à rêver à une unité entre son territoire et
celui de Traveler, il n’y a plus aucune violence : « podía suceder que la llegada de Traveler
fuera como un punto extremo desde el cual intentar una vez más el salto de lo uno en lo otro y
a la vez de lo otro en lo uno, pero precisamente ese salto sería lo contrario de un
choque » (Cortázar 361). Dans l’idéal d’Oliveira, l’union devient fusion, nous conduisant à
apercevoir un autre sens caché du chapitre 7 : les entités anonymes qui s’enlacent ne
pourraient-elles pas également être interprétées comme une projection fantasmée de la fusion
des deux territoires d’Oliveira et Traveler ?
Par la mise en abyme du cachet-relecture du chapitre 7 dans le cadre du programme de
soins intensifs, le chapitre 56 porte bel et bien en lui un rêve secret : la fusion de ces deux
territoires contraires, seule synthèse permettant d’accéder au réel. L’incapacité d’Oliveira à
atteindre la case 9 de la marelle en lançant son mégot nous laisse alors penser qu’au terme du
parcours 1a, le personnage n’est malheureusement pas parvenu à transformer son doux
fantasme en réalité et demeure aussi « malhumorado » que dans le chapitre 924. Il ne réussit
tout au plus qu’à passer d’un territoire à l’autre : « todo el tiempo estoy yendo y viniendo de
tu territorio al mío » (Cortázar 371). Jusqu’au chapitre 56, Oliveira aura convoité le centre —
est-ce cette unité qu’il cherche encore en plongeant sa tête au fond du lavabo ? —, mais on ne
peut que constater que le chapitre 56 se clôt sur un désir d’unité inassouvi et pourtant à portée
de main puisqu’il se trouve là, sous sa propre fenêtre, comme le révèle cette image finale :

21
Alors qu’ils se rendent à une réunion du Club et que la Maga se serre contre lui, cela fait naître en Horacio un
nouveau sentiment d’apparente contradiction chez celui-ci : « Sintió una especie de ternura rencorosa, algo tan
contradictorio que debía ser la verdad misma. Había que inventar la bofetada dulce, el puntapié de abejas. Pero
en este mundo las síntesis últimas están por descubrirse. Perico tiene razón, el gran Logos vela. Lástima, haría
falta el amoricidio, por ejemplo, la verdadera luz negra, la antimateria que tanto da que pensar a
Gregorovius » (51).
22
« Si la Maga hubiera podido comprender cómo de pronto la obediencia al deseo lo exasperaba, inútil
obediencia solitaria había dicho un poeta, tan tibia la cintura, ese pelo mojado contra su mejilla, al aire Toulouse
Lautrec para caminar arrinconada contra él » (Cortázar 50).
23
« Si una Heftpistole era por completo ineficaz contra el territorio, puesto que según el 18 venía a ser una
abrochadura o algo por el estilo, ¿qué valor podía tener un cuchillo Traveler o un puñetazo Traveler, pobres
Heftpistole inadecuadas para salvar la insalvable distancia de un cuerpo a cuerpo en el que un cuerpo empezaría
por negar al otro, o el otro al uno? » (361)
24
« encendía otro cigarrillo con el pucho del anterior y tiraba el pucho de manera que cayese en la novena
casilla, y lo veía caer en la octava y saltar a la séptima, pucho de mierda » (359-360)

27
Talita estaba parada sin darse cuenta en la casilla tres, y Traveler tenía un pie metido en la seis,
de manera que lo único que él podía hacer era mover un poco la mano derecha en un saludo
tímido y quedarse mirando a la Maga, a Manú, diciéndose que al fin y al cabo algún encuentro
había, aunque no pudiera durar más que ese instante terriblemente dulce en el que lo mejor sin
lugar a dudas hubiera sido inclinarse apenas hacia fuera y dejarse ir, paf se acabó » (Cortázar
374-375).

Il est maintenant temps de dire au revoir à ce couple désuni, chacun enfermé dans sa
case. Il est temps d’admettre, dans ce dernier chapitre, un échec partiel de la quête
philosophique qui aura animé Oliveira tout au long du parcours 1a. Quel dommage lorsqu’on
a l’intuition que l’union des deux, la réunion de ces contraires, de la pensée magique et la
pensée rationnelle, aurait permis d’atteindre le ciel — 3+6 = 9.
Or, le processus de guérison du lecteur-homme rationnel devient processus de
métamorphose dans le parcours 2. Le lecteur du parcours 2 est engagé dans un mouvement
perpétuel qui dément l’idée même d’un ordre, d’un centre que l’on pourrait atteindre pour y
rester, d’une géométrie immuable 25 . Oliveira/Cortázar fustige ici la bêtise de vouloir
reproduire la réalité par une géométrie, quelle qu’elle soit — triangle, carré, sphère ou
octogone. Tout modèle ou système n’est que primitive analogie, qui infligera forcément une
déformation grotesque au réel mouvant et infiniment complexe qu’elle tente de représenter ou
d’expliquer. D’où l’impératif de se méfier des limites, des frontières, des seuils, car tous
s’inscrivent dans cette fâcheuse habitude de la pensée occidentale de hiérarchiser des portions
du monde arbitrairement découpées, de les unir par des liens d’une causalité peut-être
illusoire. D’où aussi le refus d’un seul et unique seuil pour entrer dans l’univers de Rayuela,
où même un objet aussi simple qu’une feuille d’automne ramassée au détour d’une
promenade peut contenir un monde. Toute notion de structure, de frontières stables entre
territoires, se délite, et il est possible — il est urgent semble dire Cortázar — d’envisager de
nouvelles configurations, des figuras, qui pourront émerger, à condition que soient cassés les
schémas grossiers. Comme dans le jeu de la marelle, où la pierre ne suit pas l’ordre des cases
inscrites sur le sol, mais est soumise au pied qui l’envoie loin de là, voire en dehors de toute
case, dans ce roman-marelle, le lecteur qui joue le jeu ne suivra pas l’ordre des cases, mais
celui des pierres. On remarque d’ailleurs qu’à l’instar des fils et des cordelettes, de petites
pierres blanches sont semées tout au long du roman, sous diverses formes : un morceau de
sucre, un caillou que la Maga trouve dans la rue… Elles accompagnent la lecture, des petits
thèmes ou leitmotiv musicaux. Cette petite musique, en apparence anodine, s’installe dans
l’oreille du lecteur, lui soufflant que c’est peut-être en suivant ce fil-là, en poussant cette
petite pierre-là, qu’il se rapprochera de l’essentiel :

… doblar una pierna y empujar un tejo de la primera a la segunda casilla, de la segunda a la


tercera… y asomar una noche en Buenos Aires para repetir en la Rayuela la imagen misma de lo
que acababan de alcanzar, la última casilla, el centro del mandala, el Yggdrasil vertiginoso por
donde se salía a una playa abierta, a una extensión sin límites, al mundo debajo de los párpados
que los ojos vueltos hacia adentro reconocían y acataban (Cortázar 346-347).

25
« Acabo siempre aludiendo al centro sin la menor garantía de saber lo que digo; cedo a la trampa fácil de la
geometría con que pretendemos ordenar nuestra vida de occidentales. Eje, centro, razón de ser, Omphalos,
nombres de la nostalgia indoeuropea... A veces me convenzo de que la estupidez se llama triángulo, de que ocho
por ocho es la locura o un perro » (Cortázar 29).

28
Cortázar rêvait que ses lecteurs s’installent dans cette fameuse case 9, aussi
inconsciemment que spontanément. L’écrivain souhaitait d’ailleurs pour Rayuela une
couverture qu’il décrivait ainsi :

quedamos en que tu mano izquierda sostiene el libro. Parte de la palma y la raíz de los dedos se
apoyan en la carátula, es decir en la tierra. Pero la parte más espiritual de tu mano, la punta de los
dedos, la sed y la ansiedad que viven en la punta de tus dedos, buscan del otro lado el Cielo, tal
vez alcanzan a rozarlo, a entrar por un momento en él. Sentís la cosa? Tu mano también lee el
libro, con esa visión extrarretiniana de que hablan los hombres sabios, y que en realidad es otra
tentativa de aprehender lo que, dentro del libro, buscan tus ojos (Cartas 1, 2000 550-551).

Cortázar aurait en somme voulu que tout au long de la lecture, la main droite du lecteur
feuillette le texte, que ses yeux le parcourent, tandis que les doigts de sa main gauche
s’installeraient dans la dernière case de la marelle inscrite sur la quatrième de couverture du
livre, frôlant le ciel du doigt.
À la question posée par Morelli dans une note découverte par Gregorovius au chapitre
97, « ¿Quién está dispuesto a desplazarse, a desaforarse, a descentrarse, a descubrirse? »
(Cortázar 464), la réponse serait le lecteur du parcours 2, celui que postule déjà Morelli quand
il écrit « Ese lector carecerá de todo puente, de toda ligazón intermedia, de toda articulación
causal » (Cortázar 458).
Dans cette perspective, nous comprenons une autre dimension de l’ambiguïté entretenue
sur l’identité des deux complices d’Oliveira dans la pharmacie de La Cuca (au chapitre 127)
et la suggestion de deux trios possibles — Oliveira/la Maga/Gregorovius ou
Oliveira/Talita/Traveler à travers le parcours 2. En superposant potentiellement les deux trios
qui ont successivement structuré les deux parties du parcours 1a, en les réunissant
virtuellement dans les mêmes coordonnées spatio-temporelles de la diégèse, Cortázar cherche
à réaffirmer la spécificité du parcours 2, à savoir l’absence de toute fragmentation, de tout
seuil, la fusion des trois parties en un tout unique, où seraient réunis les deux trios dont les
ressemblances ont si souvent été soulignées dans les parcours 1. Et par conséquent, ne tenons-
nous pas là l’explication de la confusion quasi systématique que fait Oliveira entre la Maga et
Talita, depuis sa fenêtre dans le chapitre qui suit ? L’abolition de toute séparation au profit
d’une fusion dans un tout unique, tel semble être le projet que réaffirme ici Cortázar.
Si l’on revient à la conjonction de subordination-teasing « a menos que » (chapitre 127),
on voit qu’elle joue également un rôle clé dans les tenants et les aboutissants du projet
littéraire et à travers lui, du projet philosophique tels qu’ils sont formulés dans le parcours 2.
Pour déterminer de quelle manière, examinons les références intertextuelles et intratextuelles
explicites justement présentes dans le chapitre 127, notamment le rôle que joue le nom de
Ceferino Piriz.
Le projet extravagant de résolution des problèmes du monde que Piriz présenta lors d’un
concours organisé par l’UNESCO n’est pas sans rappeler — ou plutôt annoncer, en
l’occurrence — celui d’Oliveira. L’analogie entre le fou génial uruguayen de la réalité et la
déraison du personnage de fiction est claire, prolongée par le parallèle établi entre d’un côté
(celui de Piriz), le découpage du globe en zones de couleurs auxquelles seraient distribués des
armements en fonction de leur superficie et de l’importance numérique de leur population, et
de l’autre côté (celui d’Oliveira), l’installation défensive d’une chambre et la segmentation de
l’espace en territoires délimités par des fils colorés et cartographiés par des cuvettes et autres
accessoires. Un peu à la manière de l’encyclopédie chinoise de Borges, le texte de « Cefe »,
pour reprendre le terme affectueux employé par les trois « monstruos », est un exemple de
l’absurde auquel peut conduire la raison poussée à l’extrême. Néanmoins, rappelons que les
amis s’entretiennent avec le plus grand sérieux de Piriz ; cela prouve qu’ils y trouvent un sens

29
— un sens autre que celui (mal) défini par les logiciens. Tout comme nous pouvons trouver,
assez facilement et naturellement, un sens poétique à des expressions qui sont, selon les
critères logico-linguistiques, dépourvues de sens, le texte de Ceferino ou les agissements en
apparence futiles d’Oliveira s’inscrivent dans le terrain de la multitude de sens autres que la
logique écarte. Outre la réversibilité, de nouveau, entre rationalité et irrationalité, il est surtout
intéressant de voir que c’est de l’absurde que naît une folle utopie. Et il est important que cela
concentre toute l’attention du trio-lecteurs — « hablaban de Ceferino con gran
seriedad » (529) — parce qu’à l’évidence, il s’agit de signifier au lecteur du texte B (Rayuela)
comme glose du texte A (le projet de Piriz), que la manifestation de l’absurde se situera pour
lui dans la construction défensive d’Oliveira, dans la tentative d’attirer Traveler au-delà des
conflits qui hérissent le chemin entre eux (le territoire-femme, le territoire-appréhension du
réel, le territoire-modalité de pensée…) et que c’est précisément sur cet élément qu’il devra se
focaliser, de surcroît avec le plus grand sérieux, donc, pour y lire une extravagance, mais
aussi et surtout une vaste utopie. On le voit avec l’exemple de Piriz, les références
intertextuelles disposées dans le chapitre 127 jouent le rôle de « mise en condition » du
lecteur afin de le préparer à une meilleure réception et compréhension de la mise en abyme
immensément riche de sens qu’il trouvera au chapitre 56. Ce qui change ici, c’est la portée de
l’action d’Oliveira, absolument programmatique… d’un point de vue littéraire et d’un point
de vue philosophique, puisque Rayuela apparaît à son tour comme cet immense montage
extravagant, apparemment absurde, voire complètement fou, et en réalité absolument
utopique, pour si ce n’est résoudre les problèmes de la littérature (plus précisément du lecteur
dans la littérature) et du monde (plus précisément de l’Homme dans le monde), du moins
effacer les frontières symboliques, les barrières physiques et par voie de conséquence, les
différenciations qui les génèrent.
Il n’en demeure pas moins que, comme l’initiative politique de Piriz est restée lettre
morte, il se peut que celle, ontologique, d’Oliveira, et celle, littéraire et philosophique, de
l’auteur, demeurent hermétiques au destinataire-lecteur, du fait de la complexité de
l’installation fils-cuvettes-accessoires et du roman à fils, à cuvettes et à accessoires. Il est bien
évident que si Cortázar cherche à garantir le succès de la révélation totale (en une sorte
d’épiphanie) des multiples sens cachés dans la construction absurde d’Oliveira et de son
propre roman, une simple invitation à bien ouvrir l’œil pourrait s’avérer insuffisante. Sans
doute est-ce là que l’épisode diégétique décrivant le moment de complicité entre les trois
monstres trouve sa véritable raison d’être. En recourant de nouveau à l’analogie, mais à
travers une mise en abyme moins exigeante, moins « enchevêtrée » avec/grâce à l’évocation
littérale d’une proximité tellement fusionnelle entre trois regards qu’il y a pleine
compréhension, accès au sens et à la vérité, l’auteur ne livre-t-il pas déjà sa quête idéale
d’unité ? Le développement soigné de cette fusion de regards du trio, doublée par une
comparaison avec la fusion des regards entre le colonel, sa belle et sa famille, semble préparer
didactiquement la bonne réception de son projet philosophique porté par un projet littéraire
d’envergure. Et si bonne réception il y a, si le lecteur accède aux sens cachés, l’auteur ne sera-
t-il pas parvenu à la rencontre complice avec son lecteur, à cette rencontre de deux esprits
désormais aptes à fusionner ? Et dans un ultime vertige, sous nos yeux de lecteur fasciné, un
nouveau sens caché émerge. Sous le couvert d’une mise en abyme basique dont le rôle se
limiterait a priori à faciliter l’accès au sens de la future mise en abyme complexe du chapitre
56, l’auteur dévoile sa quête la plus ambitieuse : créer les conditions d’une complicité
fusionnelle avec son lecteur. Dans un mouvement similaire à celui des regards des trois
protagonistes du chapitre 127, le lecteur est invité à prendre de la hauteur, à détacher ses yeux
du texte littéral, le sens premier, pour rencontrer le regard de l’auteur, ses idées et parvenir
enfin à cette complicité tant désirée : « y cada tanto les ocurría mirarse de una manera

30
especial, por ejemplo levantando la vista al mismo tiempo y dándose cuenta que los tres
hacían lo mismo » (Cortázar 529).
Il est intéressant que dans le chapitre 135, contrairement au 127, les personnages soient
identifiés d’emblée et que, donc, la question de l’identité ne se pose pas, en particulier sous la
forme d’une interrogation d’ordre philosophique. En tant que mère nourricière un peu niaise,
Gekrepten ne pourrait jamais se superposer à la Maga ou à Talita et par là bâtir un système
d’analogies dans lesquelles les figures ou constellations, et les sens qu’elles produisent, sont
plus importantes que l’identité. Il n’y a pas ici lieu de questionner la correspondance stable et
constante entre une personne ou une chose, et son nom — que ce soit Gekrepten, Oliveira ou
les « tortas fritas ». En revanche, dès qu’on se détache un peu de la terre et du concret,
Gekrepten est perdue : comment parler de choses que l’on n’a pas vues et qu’il s’agit
d’imaginer ? Horacio comprend cela, et il s’en moque assez cruellement en s’empressant de
remettre les astronautes dans le seul univers familier à Gekrepten (« Sí, y les dan tortas fritas
con mate »). C’est ainsi que, dans ce minuscule chapitre, Cortázar prend le contrepied des
grandes interrogations philosophiques sur l’identité et la connaissance de soi et du monde,
questions qui, dans les chapitres précédents, faisaient l’objet de dialogues inspirés et enlevés,
et qui trouvent ici leur envers caricatural. Si le chapitre 127 se présentait comme une
« chambre avec vue » — sur le cosmos, la littérature universelle… —, le chapitre 135
fonctionne, au contraire, comme un espace clos, voire claustrophobique. La répétition du
thème, de surcroît trivial, des « tortas fritas », illustre la tautologie stérile que peut produire le
langage lorsqu’il s’associe avec la paresse ou l’incapacité intellectuelles. Et si Gekrepten
couvre de compresses froides les yeux de son ami (« Es muy raro comer con los ojos
cerrados, che » [Cortázar 135]), n’est-ce pas justement pour illustrer cette incapacité à
regarder au-delà des limites étroites et concrètes de sa chambre ? Le nom même du
personnage, Gekrepten, vocable imprononçable est à l’image de ce verrouillage arbitraire et
tautologique du sens dans un mot, qui empêche toute autre dimension et tout autre sens.
Le parcours 2 illustre ainsi l’idée exprimée par Oliveira quand il déclare que les idées
n’ont pas nécessairement à suivre un ordre déterminé par le temps physique26. Ce moment fait
allusion aux deux grandes valeurs de la pensée propositionnelle, le fondement même de toute
la pensée occidentale. Il y est évoqué l’ordre dans le temps (avant/après) qui donne les
syllogismes du type « Socrate est un homme, tous les hommes sont mortels », etc. Horacio
« se permet » (« se permitía ») de douter de cette loi, et avec elle, de plusieurs millénaires de
certitudes intellectuelles, pour envisager, ô scandale, qu’un raisonnement peut tout aussi, et
même avec profit, se faire dans une temporalité autre : d’abord la conclusion, ensuite les
prémisses. Et n’est-ce pas bien là l’idée du parcours 2, qui, à bien y regarder, n’est jamais
qu’un syllogisme « dans le désordre », où un phénomène est appréhendé par le lecteur sans
avoir été au préalable expliqué à l’aide d’énoncés logiques et respectueux d’une causalité
conventionnelle ? La deuxième idée scandaleuse d’Horacio est qu’un raisonnement peut se
faire « de manière inconsciente » (« que a lo mejor el razonamiento se había cumplido de
manera inconsciente » [Cortázar 352]). L’inconscient, si soigneusement écarté de toute notion
de raisonnement logique dans les manuels de psychologie, serait-il une voie possible vers le
raisonnement et donc la connaissance ? Et, surtout, certains raisonnements ne s'imposent-ils
pas en dehors de toute maîtrise de l’individu qui les subit ? Les agissements d’Horacio dans le
chapitre 56, par exemple, ne sont-ils pas le résultat d’une force inconsciente qui lui dicte ce
qu’il a à faire ? Le fait que son entreprise de fils et de cuvettes ne s’inscrit pas clairement dans
un projet cohérent, qu’il est dépourvu d’un objectif clair et compréhensible, renforce encore
cette notion d’homme-pantin à la merci d’une présence qui n’a pas les contours exacts
26
« […] aquí Horacio se permitía conjeturar que el orden de los razonamientos no tenía a) que seguir el tiempo
físico, el antes y el después, y b) que a lo mejor el razonamiento se había cumplido inconscientemente para
llevarlo de la noción de piolín a la de la palangana acuosa » (Cortázar 352).

31
d’« Horacio Oliveira ». oilà comment tout en questionnant l’ordre syllogistique et le
caractère conscient de tout raisonnement, Horacio met en doute la notion même d’identité
personnelle, comprise comme stable et constante, aux contours précis et définis, et à la
volonté indépendante. Mais cette idée est-elle seulement possible dans un univers où la Maga
et Talita se fondent en une même personne, où Horacio s’adresse à Traveler en le désignant
comme son « Doppelgänger » (Cortázar 354), et où plusieurs triangles amoureux (Horacio/la
Maga/Gregorovius, Horacio/la Maga/Pola, Horacio/Talita/Traveler) se superposent,
participant à ce qui semble être la même histoire et annulant de fait des distances spatiales et
temporelles importantes ? « Acércate, Maga » (Cortázar 363), dit Oliveira, perché sur le bord
de sa fenêtre, et à Talita : « Desde aquí sos tan parecida que se te puede cambiar el nombre »
(Ibid.). Si le texte est deux options, qui n’en est qu’une, il est aussi, deux femmes, Maga et
Talita, qui n’en sont qu’une. Et qui sont aussi « muchos libros/muchas mujeres », si l’on en
croit la phrase suivante : « A esa hora y con esa oscuridad lo mismo hubiera podido ser la
Maga que Talita o cualquiera de las locas, hasta Pola si uno se ponía a pensarlo »
(Cortázar 362). Le « tablero de dirección » avait prévenu le lecteur : ce livre n’a pas une
identité et une seule. Il est non seulement double, mais multiple, au point que rien ne se laisse
sceller, visser à un sens stable. Tout — chaque chapitre, chaque personnage, etc. — devient
ainsi l’espace potentiel d’un éclairage nouveau, et donc d’un sens inédit. À l’image de ce que
nous observons dans la voie lactée où une étoile ne se reconnaît pas à son aspect, mais à la
place qu’elle occupe dans la constellation, dans le parcours 2, les possibles sens autres
n’émergeront que dans la relation que chaque chapitre construira avec les chapitres
environnants. Qu’en est-il alors d’Horacio dans cette configuration mouvante ? Ne représente-
t-il pas l’opportun pivot qui mettrait un peu d’ordre, un peu de permanence ou de continuité,
dans cette mer orageuse ? Le fait que dans le chapitre 127, il apparaisse nommé suggère
assurément que, même s’il n’a pas plus que les autres une identité très nette, il se laisse
envahir par des pensées qui sont à peine les siennes.

32
Julio Cortázar: autor en busca de un lector… cómplice

Olga Lobo
Université Grenoble Alpes ILCEA4

Olga.lobo-carballo@univ-grenoble-alpes.fr

Résumé :
Julio Cortázar propose dans Rayuela une nouvelle géométrie du roman : le personnage
principal n’est autre que le « lecteur complice », destinataire d’une série d'altérations de
l’ordre narratif qui causent sa propre transformation. Nous proposons d'autres interprétations
de ce concept dynamique, au-delà de la camaraderie entre auteur et lecteur empiriques, pour
définir l’herméneutique cortazarienne.

Mots-clés :
Julio Cortázar, Rayuela, ordre narratif, lecteur complice, herméneutique cortazarienne

Resumen:
Julio Cortázar propone en Rayuela una nueva geometría de la novela: el protagonista no sería
otro que el “lector cómplice”, destinatario de una serie de transformaciones del orden
narrativo, orientadas a transformar al lector mismo. Proponemos otras interpretaciones de este
concepto dinámico, que superan la de camaradería entre autor y lector empíricos, para definir
la hermenéutica cortazariana.

Palabras clave:
Julio Cortázar, Rayuela, lector cómplice, hermenéutica cortazariana

Abstract:
In Rayuela, Julio Cortázar conceives a new narrative geometry: the protagonist would be none
other than the “accomplice reader”. This reader is the repository of a series of transformations
of the narrative order, which seek to transform readers themselves. This study proposes new
interpretations of this dynamic concept, which go beyond comradeship between empirical
author and reader, in order to define Cortázar’s hermeneutics.

Keywords:
Julio Cortázar, Rayuela, narrative order, accomplice reader, Cortázar’s hermeneutics

33
[…] la vida es siempre un poco eso, buscar cosas que
no existen. Quizá, buscándolas, las creamos, las
sacamos de la nada. Y además ¿quién nos quita el
paseo?
Julio Cortázar1

Non seulement l’enfant a des impressions plus vives,


mais il comprend avec une pénétration instinctive qu’il
perd en devenant adulte. Même ce qu’il ne comprend
pas, il le comprend mieux que quand il le comprendra.
Seul les enfants savent lire.
Michel Zinc, Seuls les enfants savent lire

Julio Cortázar es quizás uno de los autores que, al menos en lengua española, más tinta haya
utilizado para referirse al lector — “el verdadero y único personaje” que le interesa a Morelli
(#97) 2. Es de hecho en Rayuela donde los capítulos dedicados a la reflexión y teorización
sobre la novela, que forman parte de los capítulos prescindibles, como se sabe — consagran
buena parte a una idea de lector que conocemos con el nombre de lector cómplice. En efecto,
en el #79 los miembros del Club de la Serpiente encuentran, entre las notas de Morelli, las
características de la novela cómica, que el escritor-personaje imagina como futuro de la
novela, y en las que se establecen las coordenadas de su lector ideal: aquel que conviene a un
texto que “no agarre al lector pero que lo vuelva obligadamente cómplice al murmurarle, por
debajo del desarrollo convencional, otros rumbos más esotéricos”. Opuesto al lector hembra3
este lector cómplice se revela a primera vista como una suerte de coautor de la obra literaria,
ante la cual debe mantener una posición activa, gestáltica, que le permita completar la labor
que el autor, generador de textos, dejó inconclusa o abierta.
Es así como, podemos decir, la crítica ha identificado al lector cómplice de Julio
Cortázar con una suerte de “camarada de camino” cuya lectura atenta, vigilante y
participativa, le permitiría, con mayor o menor exigencia, un acercamiento a las verdades del
texto y su disfrute; suscitando, según un principio que se asemeja al del esteta o el vanidoso,
cierta imagen del lector como elegido: aquel capaz de penetrar siempre con consecuencias
felices en los oscuros mundos que el poeta le plantea. Lector fantástico, como lo llamaría
Macedonio Fernández, un semejante, un hermano, como quería Baudelaire, el lector cómplice
sería el privilegiado capaz de sumarse a la materia en gestación de la escritura y penetrar en
los arcanos del autor; el privilegiado que cuenta con todas las armas, que descubre todos los
enigmas, que adivina todas las estrategias, haciendo de la lectura una verdadera participación

1
Carta a Jorge Bolechover del 28 de Julio de 1965. Bernárdez, Aurora (ed.). Cartas 1964-1968. Madrid:
Alfaguara, 2000. 913.
2
Citaremos por la edición de 2017. Cortázar, Julio, Rayuela, México, Alfaguara, 2017. Las citas de la novela
estarán precedidas del signo #, al que seguirán el número del capítulo y para mayor precisión la página
correspondiente.
3
Concepto que pertenece asimismo, como es sabido, a la terminología cortazariana y por cuyas connotaciones
machistas, pidió disculpas. No obstante, queremos señalar de inmediato que si Cortázar formuló el concepto
lector hembra, nunca habló del lector macho, sintagma que hemos venido encontrando con frecuencia atribuído
ilegítimamente al autor. (cf.: por ejemplo, Goyalde Palacios. La interpretación, el texto y sus fronteras. Madrid:
UNED, 2001. 149; Berriot. Julio Cortázar l’enchanteur. Paris: Presse de la Renaissance, 1988. 190; Shaw.
Nueva narrativa hispanoamericana. Boom, postboom, postmodernismo. Madrid: Cátedra, 1999. 102). A este
respecto se expresa el autor: “Yo hablé en Rayuela de un tipo de lector pasivo que se deja hipnotizar por una
novela, que la lee del principio al final sin mayor sentido crítico, que se deja atrapar por la novela, y lo llamo el
lector hembra. Nunca hablé del lector macho; el lector macho es una invención que nace automáticamente por el
hecho de que hablé de lector cómplice, que es muy distinto” (entrevista publicada en Leviatán, II época, 3,
1981).

34
en la creación de una obra que exige del lector la responsabilidad de establecerse como último
eslabón del círculo hermenéutico. La lectura, desde esta perspectiva, sería el resultado de una
efectiva y eficaz fusión de horizontes4. Así, para unos, decir lector cómplice vale tanto como
decir ejecutante de una partitura.
Si la lectura cómplice se interpreta principalmente como una fusión de horizontes entre
las verdades del autor o del texto y el lector, el tiempo del lector estaría irremediablemente
sometido al del autor a través de una experiencia regida por el entramado textual. Esta sería la
interpretación habitual del traslado al tiempo del autor que Morelli propone en su nota y que
haría de Rayuela una novela en la que, a imagen de lo que hiciera Macedonio Fernández,
Cortázar pone en juego al “lector salteado”, obligándolo a restablecer una combinatoria que
dé sentido a la obra y la complete (Borinski, 1996 435s)5. Es en esta recreación puramente
textual donde la lectura se vuelve una suerte de acto ontológico en el que leer equivale a
generar respuestas, encontrarle el sentido al texto, como si de un puzzle, un enigma o un
código secreto se tratara.
Decir, así, lector cómplice equivale a definir el lector como el hacedor que, bien en
connivencia con el autor, bien en connivencia con el texto, tendría en sus manos la
responsabilidad del fracaso o éxito de un ciclo6, concluyendo un modo de lectura basada en la
colaboración que haría del crítico el lector ideal, aquel a quien, como expresaba J. Ricardou
(1967 20), le corresponde la alfabetización del lector común: el que sabe leer y enseña a los
otros a hacerlo. La lectura se convierte, finalmente, en instancia de la escritura, en
acontecimiento por el que el receptor asume la creación literaria y hace de la lectura crítica un
fin en sí: la búsqueda de una verdad objetiva, instituida por el autor en el texto o por el texto a
través del autor. El lector, intérprete privilegiado, encarna el locus de este proceso de
desciframiento mediante el cual los elementos heterogéneos designan, gracias a la
intervención de una lectura que hace emerger el sentido, una coherencia. Por una u otra razón,
decir lector cómplice genera, automáticamente y en todos los casos, bien confianza, bien
dependencia, pero en cualquier caso la obligación de una voluntad de camaradería7 que nos
4
A partir del pensamiento de Heidegger, Husserl y Dithley, Gadamer elabora su concepto de “círculo
hermenéutico”, proceso de la comprensión según el cual la relación texto-lector se plantea como una lógica de
pregunta-repuesta que llevaría idealmente a una “fusión de horizontes” entre lo que el receptor proyecta en el
texto y las cuestiones que el texto le va planteando a lo largo del proceso de la lectura. La comprensión se daría
en la medida en que somos capaces de dar respuesta, encontrar, el horizonte de preguntas que el texto implica.
Cf.: Gadamer, H.G., “Texto e interpretación”, en: Diálogo y deconstrucción. Los límites del encuentro entre
Gadamer y Derrida. Gómez Ramos (ed.). Madrid: Cuaderno Gris, Ediciones de la Universidad Autónoma de
Madrid, 1998. 17-41; así como: Cuesta Abad. Teoría hermenéutica y literatura. Madrid: Visor, 1991. 38s;
Bürger. Estética de la recepción. Madrid: Arco Libros, 1987. 17; y En conversaciones con Hans-Georg
Gadamer. Hermenéutica, Estética, Filosofía Práctica. Carsten (ed.). Madrid: Tecnos, 1998. 48-49.
5
Alicia Borinski establece en su estudio un paralelo entre los lectores ideales de ambos autores. Ambos
compartirían una común obstinación por conmocionar al lector, sacarlo de sus casillas (dirá Cortázar)
estableciendo casi de manera idéntica los criterios de esta conmoción. El lector que ellos sueñan, el lector de
sueños, “lo único real que el arte tiene” (Museo-Corregidor, 47), único personaje que interesa (Museo-
Corregidor, 39; #97 464), debe renunciar a la alucinación (Museo-Corregidor, 39) y para esto los autores se
encargan de quebrarle los hábitos (#99 471). El lector seguido, “calaña lectora”, obsesionado por el desenlace de
la novela y por conocer el argumento (Museo-Corregidor, 77-79) se sentirá pronto decepcionado, constreñido a
“seguir al autor que salta” (Museo-Corregidor, 129). Macedonio inaugura, dice (Museo-Corregidor, 29), la
literatura salteada y al lector salteado le dedica la novela del “sabio entreleer” (Museo-Corregidor, 129).
6
Es lo que Cortázar denomina en “Algunos aspectos del cuento” (OC/2 377) el lector-juez implacable: “como
último término del proceso, como juez implacable, está esperando el lector, el eslabón final del proceso creador,
el cumplimiento o el fracaso del ciclo. Y es entonces que el cuento tiene que [...] dar el salto final que proyecte la
significación inicial, descubierta por el autor, a ese extremo más pasivo y menos vigilante y muchas veces hasta
indiferente que llamamos lector” (subrayado nuestro).
7
Mario Benedetti (Crítica cόmplice. Madrid: Alianza, 1988) apologista de una complicidad basada en una
comunicación ideal y en el amor, se lamenta de hecho de que el término cómplice no aparezca en los
diccionarios sino asociado al crimen: “verdaderamente es una lástima (y tal vez una carencia) que los

35
acerca al que supuestamente nos tiende la mano, sin dejarnos imaginar, por un momento, que
la aventura que se nos propone sea en grado alguno arriesgada ni que oculte, en su
llamamiento a la complicidad, una trampa tan mortal y turbadora como la advertencia al
lector de un Lautréamont8.
No obstante, hemos de constatar que la expresiόn de la idea de lector en Cortázar no se
limita a las pocas líneas extraídas de Rayuela. Algunos textos de La vuelta al día en ochenta
mundos (1967), las publicaciones póstumas de ensayos como Teoría del túnel (OC/1 1994) o
Imagen de John Keats (1996), además de otros artículos aparecidos originalmente en revistas
y recogidos en la compilación de la Obra Crítica (OC/2 y OC/3) o aún ciertos poemas de
Salvo el crepúsculo (1984, publicación preparada por el autor antes de su muerte), así como,
por último, las numerosas entrevistas del autor, se suman a nuestro empeño crítico ampliando
la perspectiva en torno a una idea de lector que, lejos de establecerse como definición
monolítica en tanto expresión de un acuerdo inexorable del lector con un sentido instituido, es
posible explicar también como realidad dinámica con diferentes características.
Si su idea de la lectura se plantea en las numerosas referencias como una suerte de
dialéctica entre el autor y el lector9 que se traduciría en una “ósmosis” (OC/3 203), es decir,
en un compartir el mismo objetivo liberador que apunta a una “dialéctica de la vida”10, no
debemos ignorar que tal dialéctica exige, como veremos, un posicionamiento crítico por parte
del lector que transciende el mero placer estético de una operación intelectual; actitud crítica
que, a su vez, va más allá de la “alucinación realista” y supera la necesidad de aprehender la
realidad o verdad literaria del autor como visión a la que adscribirnos. Dicho de otro modo, la
literatura es, para Cortázar, un acto dialógico antes que dialéctico11, en la medida en que no
implica necesariamente una síntesis, es decir, un acuerdo entre autor (texto) y lector, aunque,
sin embargo, aspire, a partir del “diálogo” y la confrontación, a la búsqueda de pasajes o
apertura a una experiencia que podemos denominar aventura, es decir, en su sentido
etimológico, lo que me adviene en el acto de lectura.
Vamos entonces a explorar, en los párrafos siguientes, esta aventura a la que nos invita la
hermenéutica cortazariana y en la que la idea de lector, como decimos, se establece en tanto
realidad dinámica con diferentes características.

diccionarios solo admitan la complicidad para el delito, como si todavía no hubiera llegado a las provincias
académicas esa incanjeable complicidad que es el amor” (12).
8
Decía el Conde: “Plût au ciel que le lecteur, enhardi et devenu momentanément féroce comme ce qu’il lit,
trouve, sans se désorienter, son chemin abrupt et sauvage, à travers les marécages désolés de ses pages sombres
et pleines de poison ; car, à moins qu’il n’apporte dans sa lecture une logique rigoureuse et une tension d’esprit
égale au moins à sa défiance, les émanations mortelles de ce livre imbiberont son âme comme l’eau le sucre. Il
n’est pas bon que tout le monde lise les pages qui vont suivre : quelques-uns seuls savoureront ce fruit amer sans
danger. Par conséquent, âme timide, avant de pénétrer plus loin dans de pareilles landes inexplorées, dirige tes
talons en arrière et non en avant. Ecoute bien ce que je te dis : dirige tes talons en arrière et non en avant…”
(Isidore Ducasse. Les chants de Maldoror [1869]. Paris: Flammarion, 1990. Chant I.
9
Cf. : “America Latina: exilio y Literatura”, en OC/3, 161-180. Especialmente, el apartado dedicado a “El lector
y el escritor”, 172-180.
10
Que describe como: “Una pulsación isocrónica de la búsqueda y el gusto, del conocimiento y el placer, mejor
ajustada a todo eso que tenemos tan al alcance de la mano que casi no vemos: el gran latido cósmico, el diástole
y el sístole del día y de la noche, del flujo y el reflujo del océano” (“Reencuentros con Samuel Pickwick”, OC/3
302.
11
Para el concepto de dialogismo véase: Todorov. M. Bakhtine, le principe dialogique. París: Seuil, 1981. El
concepto de dialogismo sería válido para Cortázar en la medida en que, tal y como lo explica Todorov, supone
un proceso de implicaciόn y transformación del lector en el curso de la lectura. Ahora bien, dicho proceso no
significa necesariamente, como explicaremos, la inter-subjetividad en el sentido en que ésta exige, un encuentro,
una comunicación ideal inter-humana, como se desprende de, por ejemplo, del mismo autor, La Conquête de
l’Amérique. París: Seuil, 1982 o Nous et les Autres. París: Seuil, 1989.

36
1. La lectura en Rayuela o cómo “quebrar hábitos”: implicaciones del “Tablero de
dirección”

Es, como vimos, en el #79 donde, al referirse a la novela cómica, que opone a la romántica o
a la realista, Morelli-Cortázar 12 imagina una transformación del lector que busca volverlo
cómplice, atributo que define primero diciendo lo que no es: un lector que ni busque
comprender al autor, ni desentrañar un determinado mensaje; en la medida en que la escritura,
la literatura, para Cortázar no es ni comunicación de una vivencia personal —como en la
novela romántica— ni enseñanza más o menos moralizante —como en la novela realista—,
sino “autocreación del autor por su obra” (#79 423), es decir una manera de ir de la escritura
al yo y no al revés. Si escribir es una forma de acceso a un yo renovado, dicha escritura,
declara Morelli en su “nota pedantísima”, implica una tercera posibilidad en la relación con el
lector que busca:

Hacer del lector un cómplice, un camarada de camino. Simultaneizarlo, puesto que la lectura
abolirá el tiempo del lector y lo trasladará al del autor. Así el lector podría llegar a ser copartícipe
y copadeciente de la experiencia por la que pasa el novelista, en el mismo momento y en la
misma forma […] la novela cómica […] deberá transcurrir como esos sue os en los que al
margen de un acaecer trivial presentimos una carga más grave que no siempre alcanzamos a
desentrañar. En ese sentido la novela cómica debe ser de un pudor ejemplar: no engaña al lector,
no lo monta a caballo sobre cualquier emoción o cualquier intención, sino que le da algo así
como una arcilla significativa, un comienzo de modelado, con huellas de algo que quizá sea
colectivo, humano y no individual. Mejor, le da como una fachada, con puertas y ventanas detrás
de las cuales se está operando un misterio que el lector cómplice deberá buscar (de ahí la
complicidad) y quizá no encontrará (de ahí el copadecimiento). Lo que el autor de esa
novela haya logrado para sí mismo, se repetirá (agigantándose, quizá, y eso sería
maravilloso) en el lector cómplice. En cuanto al lector hembra, se quedará con la fachada y
ya se sabe que las hay muy bonitas, muy trompe l’oeil, y que delante de ellas se pueden seguir
representando satisfactoriamente las comedias y las tragedias del honnête homme [...] (#79 423.
Cortázar subraya, nosotros destacamos en negrita).

Más adelante, Etienne, en conversación con sus camaradas del Club de la Serpiente,
interpreta las intenciones de Morelli como la voluntad de “quebrar los hábitos del lector” (#99
471) liberándole de la “hegemonía de la palabra”. Este lector cómplice sería además
coparticipe de una búsqueda (es decir que deberá, como lo hiciera el autor, buscar sus propios
caminos de renovación —de ahí que hable de un traslado del tiempo del lector al “tiempo del
autor” 13 ) y copadeciente (de las dificultades y los fracasos a los que la búsqueda pueda
eventualmente llevarles). Frente a la posición del lector cómplice, el lector hembra se quedará
satisfactoriamente en la superficie, al actuar como ese tipo que “no quiere problemas sino
soluciones, o falsos problemas ajenos que le permiten sufrir cómodamente sentado en un
sillón, sin comprometerse en un drama que también debería ser el suyo” (#99 467),
mereciendo abiertamente el absoluto desprecio del autor que no dudará, en otra célebre

12
Asumo, como explicó Cortázar mismo (“Cuando fui también un tal Morelli y lo dejé hablar en un libro…”,
“Encuentros a deshora”, La Vuelta 67) que Morelli es Cortázar en la medida en que las ideas que ambos
desarrollan sobre la novela, teorizadas por Cortázar en varios textos conocidos (i.e. Teoría del túnel), coinciden.
Evidentemente Morelli-personaje no es el Cortázar empírico, sino, en todo caso, un personaje cuya función sería
transmitir las ideas de un autor, en este caso, implícito.
13
El tiempo del escritor es también descrito en “Encuentros a deshora” (67) como una “diacronía que basta por
sí misma para desajustar toda sumisión al tiempo de la ciudad. Tiempo de más adentro o de más abajo:
encuentros en el pasado, citas del futuro con el presente, sondas verbales que penetran simultáneamente el antes
y el ahora y los anulan”.

37
ocasión, a matarlo simbólicamente enfrentándolo a los riesgos que conocemos de este tipo de
lectura, sobre todo si el sillón es de terciopelo verde…
El método que expone para llevar a cabo dicha transformación, dicho resquebrajamiento
de los hábitos del lector, es “la ironía, la autocrítica incesante, la incongruencia, la
imaginación al servicio de nadie” (#79 422). Es decir el desplazamiento o inversión de un
orden que Morelli teoriza en Rayuela y cuya teorización define la naturaleza especular,
autoreflexiva, de la novela. Rayuela, novela del lenguaje14, establece, por último, una relación
con la realidad que supera y exige superar la mimesis realista, de mero reflejo referencial,
para proponer una mimesis en la que el lenguaje sea vivencia, residencia (#99 470), un
lenguaje que sirva como incitación para generar esa realidad, crearla, no imitarla, inventarla,
como el fénix… (“el mundo es una figura, hay que leerla, por leerla entendamos generarla”,
#71 405-406).
En definitiva, Morelli imagina una literatura que aspira a una doble liberación: la de, por
un lado, la palabra, que pretende liberar de la tiranía referencial y, por otro, del lector,
sometido a la hegemonía de esta palabra tiránica, perra negra. De este modo, así como el
escritor busca crear un nuevo lenguaje, des-escribiendo, “destruyendo la literatura” (#99 470)
para después re-vivirlo (y no re-animarlo) e inventar un lenguaje capaz de inventar al hombre
nuevo, es decir, al hombre que supere al denunciado homo sapiens, el lector deberá leer según
un nuevo código que implica un ethos, una acción (#99 467) en el mero acto de leer.
Devolverle, al fin y al cabo, al autor como al lector, la libertad (y con ella su propia
hegemonía) frente a la hegemonía de la palabra (entendida como orden impuesto) en la misma
forma y en el mismo tiempo.
Pues bien, es en este sentido, creemos, donde toda la dimensión lúdica y exploratoria del
lenguaje en la novela nos orienta más allá de una mera experiencia original o incluso
extravagante, ya desde la estructura propuesta por el tablero de dirección. En efecto, Cortázar
nos incita, en primera instancia y en el mero hecho de invitarnos a una opción alternativa a la
lectura habitual, a una acción por el movimiento. Con la lectura salteada, nos saca,
físicamente, de la pasividad de una lectura lineal, transformándonos en lectores-flâneurs a
cada ida y vuelta. Pero además, gracias a esta lectura errante, se transforma el libro mismo,
físicamente también, en un espacio igualmente dinámico, espacio de una nueva geometría
imaginada para una novela que busca superar los parámetros de la novela tradicional. El
nuevo marco espacio-temporal propuesto y materializado en Rayuela diseña con su figura una
transmutación del espacio-tiempo del relato lineal, teleológico, en una suerte de espacio-
tiempo hiperbólico15 en el que la escritura y con ella la lectura transcurrirá en forma de un
desplazamiento-búsqueda que se vuelve infinito, a pesar de los límites que impone el libro
como continente, invitándonos a leer según las coordenadas de una nueva geometría no-
euclidiana16, o lo que es lo mismo, según un principio que, tal y como lo expresará más tarde
14
Cf. : Becerra. Pensar en el lenguaje; escribir la escritura. Experiencias de la narrativa hispanoamericana
contemporánea. Madrid: Universidad Autónoma, 1996. El crítico afirma la autoreflexividad como una de las
características principales de la novela latinoamericana contemporánea.
15
Ejemplo de representación de espacio hiperbólico es, en matemáticas, el disco de Poincarré, representación de
una geometría no euclidiana. Escher compone igualmente (ver, por ejemplo, sus Limite Circulaire I, II y III)
representaciones de universos infinitos al interior de un límite circular: un espacio a la vez finito e infinito
rodeado por la nada. Por otro lado la figura dibujada por la forma en espiral de los arrondissements parisinos por
los que deambulan los personajes, no es ajena, pensamos, a esta idea de espacio no euclidiano que sería metáfora
de la novela misma, como afirma de hecho Gregorovius en el #26: “En el fondo —dijo Gregorovius—, París es
una enorme metáfora.”. El mandala, primer título imaginado, como sabemos, para Rayuela podría considerarse
como una nueva figura o representación gráfica de este espacio infinito y no lineal de la novela, representación
igualmente de un tipo de lectura asemejable a la contemplación que implica la “lectura” de un mandala.
16
En una larga digresión (#125) el narrador (¿Horacio?) ataca de nuevo los principios de una visión binaria del
mundo, rechazando la síntesis de la dialéctica racional en pos de una búsqueda, a la vez ontológica, metafísica,
pero también estética, que la supere y proponga una alternativa integradora, que conciliaría la contradicción sin

38
Andrés en el Libro de Manuel, defiende la creencia según la cual sería posible “liquidar la
línea recta como la menor distancia entre dos puntos”, puesto que para Andrés —como para
Cortázar— “cualquier geometría no euclidiana se me [le] antojaba más aplicable a mi [su]
sentimiento de la vida y del mundo” lo que llevará a Andrés a exclamar finalmente “No.
Euclides no, carajo.” (LM 157).
Quebrando de este modo nuestros hábitos, cada desplazamiento de las páginas,
retrocesos y avances, parecen anular — o cuando menos dilatar — la marcha hacia un fin;
impedir, en definitiva, una lectura teleológica, orientada hacia un final objetivo, definitivo;
obligándonos a instalarnos en este espacio en el que termina por encerrarnos, dada la
circularidad de los dos capítulos finales. La ausencia de un fin, es decir, la infinitud de la
espiral de Rayuela en el interior del “libro-círculo” hace de la estructura lectora del tablero la
representación de una transformación del gesto de la lectura por el que se nos está señalando
un camino, el de esa nueva geometría que Cortázar imagina para la novela y que es
paradigma, a su vez, de una transformación mas profunda.
En efecto, esta transformación física de los hábitos lectores representa la primera
materialización de esa búsqueda, inscrita en Rayuela, de renovación del lenguaje, conditio
sine qua non para liberar al hombre de su racionalidad opresora. Como lo expresa el propio
Julio Cortázar (Harss, 1968 288): “Siempre me ha parecido absurdo hablar de transformar al
hombre si a la vez o previamente el hombre no transforma sus instrumentos de conocimiento
¿Cómo transformarse si se sigue empleando el lenguaje que ya empleaba Platón?”.
Implicarnos en la renovación de un lenguaje que busca traspasar los límites de la palabra
frente a una realidad cambiante, movediza, hacernos, así, actores de dicha transformación, es
la manera que tiene Rayuela de trasladarnos al tiempo del escritor, de hacernos cómplices de
una búsqueda que no es otra cosa, al fin y al cabo, que una “incitación a salirse de las huellas”
(#99 475), a buscar lo inexistente, esto es, a crearlo. Leer es también aceptar acceder a ese
espacio en el que renacer transformados, donde generar nuevas propias posibilidades de
inventar mundos, universos infinitos.

2. La lectura, un combate del que no se puede salir indemne.

En su conferencia titulada “Algunos aspectos del cuento” 17, la lectura aparece caracterizada
en forma de un combate entre texto y lector (OC/2 312); tal y como lo expresa igualmente
Cortázar en diálogo con uno de sus lectores más cercanos, Jean Barnabé en carta del 8 de
mayo de 1965:

Precisamente su actitud frente a mi libro ha sido tan activa, tan exasperada, tan polémica, que
nada podría haberme alegrado más […] créame que tanto Horacio como Morelli se han sonreído
felices. Porque eso, y sobre todo eso, es lo que quieren de sus lectores: un diálogo violento,
exasperado, con insultos si es necesario, con amor si también es necesario, pero en todos los
casos con libertad, con independencia, en una lucha fraternal y necesaria (Bernárdez, 2000 871).

anularla, a la manera de, justamente, “una geometría no euclidiana”… Contra la racionalidad se afirma también
en el #79 “¿qué hacer ya con el puro entendimiento, con la altiva razón razonante? Desde los eleatas hasta la
fecha el pensamiento dialéctico ha tenido tiempo de sobra para darnos sus frutos. Los estamos comiendo, son
deliciosos, hierven de radiactividad. Y al final del banquete, ¿por qué estamos tan tristes, hermanos de mil
novecientos cincuenta y pico?”.
17
Casa de las Américas, 69 (1967): 261-276, texto recogido hoy en OC/2 365-385.

39
En la adhesión a la metáfora pugilística, Cortázar estaba admitiendo que el encuentro
entre lo escrito y su receptor supone un enfrentamiento cuerpo a cuerpo que tendría como
resultado deseable un vuelco irreversible del espectador-lector, un lector, eso sí, que se atreve
a saltar las cuerdas. En este combate, el autor, boxeador astuto, dirige nuestros movimientos,
nos hace bailar a su antojo, de un lado al otro de la historia, dibujando una laberíntica espiral
de sentidos que termina con nosotros en el más deslumbrante desconcierto. Esto parece
evidente para sus cuentos (cuando un cuchillo se nos clava en la espalda, como en
“Continuidad de los parques”, los puentes nos llevan de Buenos Aires a Budapest, como en
“Lejana”, nos perdemos sin remedio al final de una autopista, como en “La autopista del sur”,
contemplamos estupefactos un fantasma de carne y hueso en “Silvia” o nos paralizamos
aturdidos ante las felinas miradas de Alana y Osiris) pero también en sus novelas (cuando
saltamos del tablón en la ventana de Traveler a una aristócrata que se rompe una pierna en
Rayuela o leemos estremecedoras noticias que nos llegan desde Argentina mientras le
hacemos cosquillas a Manuel en El libro de Manuel). En cualquiera de las lecturas de la obra
cortazariana, no podemos dejar de sentir que, de alguna manera y a pesar de nuestros
esfuerzos, alguien está jugando con nosotros, o bien que, en algún momento, hemos dejado
escapar algo esencial, nos hemos distraído o errado el rumbo. Y es que esta es la primera
cláusula del pacto de lectura que los textos cortazarianos nos imponen: aceptar un combate sin
ambages del que ni siquiera la mayor de nuestras destrezas nos permitirá salir ilesos. En este
sentido, si es cierto que para Cortázar el diálogo es, como señala Alazraki, “el rasgo distintivo
y más poderoso de toda su obra” 18 , este diálogo apunta hacia otro lado que se muestra
agazapado en un acceso que el propio Cortázar designaría como la vía poética (OC/2 224) de
la novela19.
En el combate —que en algún momento dividimos en tres rounds20, para ingresar en la
vía poética de la novela, el lector debe enfrentarse primeramente a dos estrategias textuales
imbricadas: una estrategia de seducción y una estrategia de decepción o fracaso21. Si, en un
primer tiempo, el texto, mediante diferentes recursos pero fundamentalmente a través de la
voz narrativa principal, busca persuadirnos, implicarnos en el texto, ganar nuestra confianza, a
menudo esta estrategia de seducción prevé su propio fracaso y, por tanto, nuestra decepción,
al hacernos dudar de la capacidad de la voz narrativa para ordenar el relato o responder a las
expectativas creadas, y terminar, por tanto, por descalificar a esa voz narrativa 22. En efecto,
tras convencernos para seguirle, el narrador cortazariano abandona su tarea inicial de
“demiurgo” y se convierte en lo que Booth (1961)23 llamara un narrador no fiable (unreliable
narrator) o indigno de confianza (según la terminología de Ricœur), que lo transforma en una

18
Cf.: “Cortázar antes de Cortázar: Rayuela desde su primer ensayo publicado: Rimbaud (1941)”, Rayuela-
Archivos, 581.
19
Recordemos que la poesía es considerada, en la Teoría del túnel, como el futuro de la novela.
20
Cf. Lobo. “Sous la menace de Lautréamont : le lecteur complice de Julio Cortázar”, La Licorne, 60 (2002) :
201-216.
21
Nociones de Paul Ricœur en Temps et récit III, Le temps raconté. Paris : Seuil, 1985.
22
De hecho la figura del narrador en Cortázar es a menudo una figura problemática y problematizada.
Navegando entre una omniscencia nonchalance, indiferente a su posición, la ubicuidad de una tercera persona
que se confunde con la primera o la indeterminación total, como experimentara en cuentos tales como “Las
babas del diablo”, “La señorita Cora” o “Usted se tendió a tu lado” y de manera paradigmática en 62 modelo
para armar, verdadera novela sobre la pregunta del sentido y la verdad, como se explicita en su preliminar, es
decir, sobre la hermenéutica cortazariana que definiremos en el apartado final, el narrador de Rayuela no sólo
no nos orienta hacia una respuesta sino que pone en cuestión, constantemente, la posibilidad de que exista.
23
Booth. The rhetoric of fiction [1961]. Chicago: Chicago UP, 1983. 428-431. Eric Sullà (Teoría de la novela.
Barcelona: Grijalbo Mondadori, 1996. 258), traduce el término de “reliable” y “unreliable” como narrador
“fiable” o “no fiable”, nosotros preferimos la traducciόn de Ricœur: el narrador digno de confianza (digne de
confiance), quien, como dice Ricœur (Temps et Récit III 235): “introduit dans le pacte de lecture une note de
confiance qui corrige la violence dissimulée en toute stratégie de persuasion”.

40
suerte de héroe fallido al no lograr dar respuesta a sus propias preguntas. El texto, y esto
ocurre también con Rayuela, traiciona nuestras expectativas iniciales, contradice la “norma”
de la obra y convierte en narrador no digno de confianza a un narrador sobre el que pesa la
responsabilidad última de la ruptura del pacto inicial y de nuestro consecuente desconcierto 24.
En efecto, en el caso de Rayuela, las preguntas iniciales concentradas en ese interrogante de
apertura “¿Encontraría a la Maga?” (#1) nos orientan hacia una búsqueda que nada deja
presagiar que quedará sin respuesta, en el desencuentro final de una novela inacabada, tanto
en la historia como en el relato, tanto en su estructura externa, como interna. Así, seguir la
mano que nos es tendida para seducirnos, desemboca finalmente en un fracaso del pacto de
lectura inicial (que es la respuesta a las preguntas, puesto que toda pregunta planteada genera
una expectativa de respuesta), y que, en cambio, nos incita a implicarnos en otro viaje que
exigirá de nosotros no ya una postura pasiva (seguir las huellas del narrador) sino un
posicionamiento: nuestro propio cuestionamiento frente al texto. La primera transformación
interna del lector consiste entonces en desplazarlo de la lectura como viaje apacible, en
compañía de un narrador fiable, a la lectura como combate con el autor implícito, o lo que es
lo mismo, en ese traslado, que ya comentamos, del tiempo del lector al tiempo del escritor,
esto es, al tiempo de la creación, al tiempo de la pregunta.
Embarcados en la lectura y obedientes a las instrucciones que nos dictaron, nos vemos, a
la manera de Rice25, acorralados en escena, y descubrimos que lo que se nos había planteado
en términos de un “haga usted lo que le venga en gana”, parece esconder, en realidad, una
falsa libertad de acción, a menos que seamos capaces de encontrar nuestro propio camino. A
ese lector que se deja llevar demasiado fácilmente, como le ocurre al protagonista de
“Continuidad de los parques”, por los recovecos de la estrategia textual, que espera fácilmente
una respuesta al final de la lectura, cómodamente sentado en su sillón, se le impide, en efecto,
el acceso, se le opone una resistencia, limitándolo al escepticismo del acabamiento del texto
en una experiencia de agonía del sentido. La dramatizaciόn de la serie de instancias
demiúrgicas desautorizadas, que pone en escena en último término la muerte misma del autor
en su función de poseedor y organizador de la verdad, forma parte, de este modo, de una
retórica destinada a incrementar y consolidar la dificultad de atribuirle un sentido al relato,
generando una desconfianza frente a la violenta ruptura del pacto y al impasse que supone el
silencio o vacío del texto. El lector, perversamente manipulado, es objeto de una agresión

24
Dice Ricœur (237) “A la différence du narrateur digne de confiance, qui assure son lecteur qu’il n’entreprend
pas le voyage de la lecture avec de vains espoirs et de fausses craintes concernant non seulement les faits
rapportés, mais les évaluations explicites ou implicites des personnages, le narrateur indigne de confiance
dérègle ces attentes, en laissant le lecteur dans l’incertitude sur le point de savoir où il veut finalement en venir”.
25
Protagonista, como se recordará, del cuento “Instrucciones para John Howell”, CC/1 570-579. Tras asistir a la
representación de un primer acto de la pieza de la que es espectador, Rice, a pesar de una inicial desconfianza, es
obligado a entrar en escena y ocuparse del rol principal en el tercer acto; primero temeroso pero obediente, se da
cuenta al final de que todo es una trampa y así, en el cuarto acto comienza a violar progresivamente las
instrucciones y a divertirse con su nuevo papel, razόn por la cual, en el quinto acto, es expulsado de la escena y
regresa a la platea, para finalmente tener que salir huyendo de un perseguidor amenazante. El cuento es más
complejo, pero podría perfectamente leerse como parodia de la situación de un lector confrontado a las
estrategias de un narrador que pretende usarle para sus propios fines. Así, también el protagonista de
“Continuidad de los parques” (CC/1 291-292), otro lector “inmiscuido”, esta vez por voluntad propia, recibirá un
castigo por su osadía. El cuento ha sido interpretado como la escritura de una experiencia catártica de la lectura
(Greimas. De l’imperfection. Périgueux: Pierre Faulac, 1987) o, en otros términos, como estructura metaléptica
según la cual es el personaje de la novela (ficción en la ficción del cuento) quien traspasa las fronteras que separa
los dos niveles de ficción (cuento y novela dentro del cuento) y se sale de ella, de la novela, para agredir a su
lector convertido, así, en protagonista de la trama novelesca (Genette. Métalepse, de la figure à la fiction. Paris:
Seuil, 2004. 25); pero podríamos explicarlo justamente al revés: es el lector de la novela quien, demasiado
absorto en la lectura, hasta el punto de identificarse con la historia, traspasa la frontera y, como decimos, se
implica en exceso en la novela, en su historia, en la suerte del protagonista-víctima, atrevimiento por el que es
castigado, como insinuábamos en el guiño en el apartado anterior de nuestro texto.

41
pero, con ella, se verá implicado (complicado), finalmente, en la reorganización de su
posiciόn frente al texto; exigencia de posicionamiento que es, por otro lado, una marca de la
complejidad estética propia del texto26. La estrategia de decepciόn tiene así incidencia directa
en el nivel de compromiso que se le exige al lector (Ricœur, 1985 236). Como le decía
Cortázar a Luis Harss con ese tipo de bromas que “tocan el fondo de la cosa”: “No puede ser
que un escritor trabaje años en una novela para que después haya individuos que la lean en un
par de horas” (Harss, 1968 281).
La segunda estrategia, segundo combate, comienza, entonces, con el lector dispuesto a
convertirse en copadeciente de la experiencia de creación de un sentido, al lado y ya no tras
los pasos, de ese autor que Picón Gardfiel (1978 17) denominara escritor cόmplice y que
resultaría ser “la primera víctima de sus efectos”. El lector copadeciente, liberado al fin de las
restricciones de un sentido pre-establecido — en una supuesta verdad a la que el autor nos
llevaría en connivencia con el narrador, puede ahora recorrer el laberinto textual superando la
actitud servil y pasiva hacia una participación en la práctica exegética que le haga finalmente
dueño de su experiencia. Una vez des-autorizado el narrador (y con él al autor implícito) en
tanto enseña de una verdad, es en la propia búsqueda, como actitud estética, pero también
como valor en sí mismo, donde autor y lector se vuelven comunidad, comparten, coparticipan,
codirigen una acción y no, necesariamente, en el acuerdo en una Verdad, cualquiera que ésta
sea: antes en el viaje, entonces, que en la llegada a una Ítaca a la que quizás nunca (pero
tampoco importa) tengamos acceso.
Como decimos, el circuito normal de la comunicación no se resuelve o completa en un
círculo hermenéutico ideal que nos conduciría a la reconstitución exitosa de un sentido
previamente instituido en el texto por su emisor, sino que se abre a una energía que, a su vez,
atrae al lector hacia una espiral de sentidos, hacia una dispersión de centros. Imponer al texto
una lectura unitaria, un sólo centro organizador de la verdad, equivale, por tanto y en términos
de Derrida, a una castración (Derrida, 1972 365-367), un modo de intentar vanamente
restringir, en un gesto crítico que corre el riesgo de volverse obsesivo, paranoico, su
iterabilidad. El sentido del texto se muestra, justamente, en el enigma que propone, esto es, en
la huella que deja su silencio, advirtiéndonos no ya de su naturaleza polisémica sino de su
diseminación: la capacidad, de reminiscencias nietzscheanas, de repetirse infinitamente, de
hacerse infinitamente presente y engendrar sentidos nuevos27.
Este es el tiempo del autor por el que el lector va a transfigurarse en copadeciente de una
misma experiencia: la de un combate, sin tregua, esta vez, con el lenguaje, intentando realizar
nuestras propias tentativas de solución posible al enigma planteado, condenados así, nosotros
también, a una eterna re-escritura del texto a través de sus claves, abriendo la lectura textual a
otras experiencias inter-trans-meta-hiper-textuales. El vacío (o los vacíos) del texto se
vuelven, de este modo, activos. Es en este estadio de la lectura donde los textos de Cortázar y
Rayuela como paradigma de ello, aceptan la interpretación propiamente dicha, sea esta
metaliteraria, simbólica, ideológica, o de cualquier otra naturaleza: puesto que “nada” se ha
dicho, “todo” puede ser dicho; interpretar se vuelve, en connivencia con la estrategia textual,
participación de una celebraciόn, la de la lectura gozosa, la de Babel dichosa28.

26
En este sentido queremos llamar la atención sobre la etimología de la palabra “cómplice”, que comparte con la
voz “complejo” [del cultismo “plicare” y después (siglo XVIII) “complicare”], y que curiosamente encierra ya
ese doble movimiento de embate y agresión. Del deponente latino complecti/complexus sum, contiene, como
decimos, el triple sentido de unión, abarcamiento (abrazo) y combate cuerpo a cuerpo, una de las acepciones
que, aunque más rara, contempla la traducción latina del término “complexus”.
27
Para los conceptos de diseminación, iterabilidad, diferancia, etc. Todos ellos, como es sabido, de Derrida cf.:
Derrida. La Dissémination. Paris : Seuil, 1972. 409, 425-428, 443.
28
Cf.: Barthes. Le plaisir du texte. Paris : Seuil, 1973. 10: “le sujet accède à la jouissance par la cohabitation des
langages, qui travaillent côte à côte : le texte de plaisir, c’est Babel heureuse”.

42
Rayuela nos abre, según los principios de una hermenéutica escéptica, que se niega a
aceptar la existencia de una verdad, a una multiplicidad de lecturas, según los distintos niveles
de una fruición que dependerá — aunque sin limitarla, puesto que todo disfrute es posible —
de nuestra competencia y habilidades de lectores para navegar en la saturación de referencias
intertextuales. La interpretación, en tanto cooperación en la producción de verdades, resulta,
así, una experiencia de creación donde texto y lector interactúan (Iser, 1985 198). Las
estrategias de seducción y decepción nos conducen así a una nueva estrategia de cooperación
prevista por el texto: estrategia de sinergia cooperativa entre producción y recepción que
ofrece al lector, con vistas a transformarlo, una liberación, no sólo de la actitud servil y pasiva
del lector de mensajes o dogmas sino, como anunciábamos, de una voluntad de verdad que no
ha hecho más que limitarlo o frustrarlo.
De hecho en Rayuela, el drama que Horacio padece implica, directa o indirectamente, un
conflicto con la verdad. Oliveira, como sabemos, se pasa toda la novela buscando una
respuesta que no encuentra o que, de alguna manera conoce pero no quiere ver. La lectura, en
cierto sentido, escéptica, que Horacio realiza de la premisa surrealista: “Nuestra verdad
posible tiene que ser invención” (#73 314) 29 encierra, a su vez, una denuncia de la falsa
libertad de la que el homo sapiens disfruta al deber elegir un camino, encontrar una verdad.
No obstante, frente a su propio drama, Horacio y con él Rayuela, parece apuntar hacia
otra posible salida a ese conflicto con la verdad y al escepticismo como alternativa de
respuesta. Es esta hipótesis de lectura la que queremos proponer, en el último apartado de
nuestro artículo, para definir la hermenéutica cortazariana, independiente de las
hermenéuticas canónicas (idealista o escéptica) y que diseña una nueva dimensión del lector
cómplice.

3. El más allá de la experiencia: La lectura como aventura del encuentro con sí mismo.

La búsqueda que encierra la pregunta: “¿Encontraría a la Maga?” (#1 11) traduce el anhelo
más profundo de Horacio: aprender a ver. Ver, como lo hace la Maga — de la que se afirma
también “no era en la cabeza donde tenía el centro” (#4 29)30, se revela, en este sentido,
paradigma de un modo óptimo de aprehensión de la realidad a la que Horacio aspira en su
voluntad de autenticidad y por la que se nos incita asimismo a optar: renunciar a la
experiencia puramente intelectual de la búsqueda teleológica de una verdad, aceptar la
progresiva sustituciόn del comprender por el mirar, por una participación por la que
contemplar(nos)31 activamente, puesto que, como proclamaba Cortázar con la ayuda de Keats,
“el conocimiento último, el de “el otro lado de las cosas”, se da por la imaginación y no por la
intelecciόn” (IJK 103).

29
En otro capítulo se hace de nuevo referencia al surrealismo en los siguientes términos: “Los surrealistas
creyeron que el verdadero lenguaje y la verdadera realidad estaban censurados y relegados por la estructura
racionalista y burguesa de occidente. Tenían razón, como lo sabe cualquier poeta, pero eso no era más que un
momento de la complicada peladura de la banana” (#99 363).
30
A propósito de esto léase nuestro análisis de la relación Oliveira-Maga en “El ojo Cortázar: de las maneras de
ver (en) la obra cortazariana”. Les Ateliers du SAL 10 (2017): 101-115. Web. 16 enero 2019.
<https://lesateliersdusal.com/numeros-anteriores/segunda-epoca-2/numero-10/articulos-numero-10/el-ojo-de-
cortazar-de-las-maneras-de-ver-en-la-obra-cortazariana/>
31
En carta a J. Alazraki del 28 de septiembre de 1981 (C/3 1743), comenta Cortázar: “Cuando empleas el
término participaciόn, creo que afirmás algo que siempre fue mi esperanza y mi razón de escribir esas cosas;
desde muy joven sentí como mía aquella carta de John Keats donde dice que al mirar un gorriόn en el jardín
llega un instante en que él mismo es el gorrión y picotea en el suelo. Curioso: en primera acepciόn, ‘mirar’ es
más intencional y deliberado que ‘ver’; pero en ese estado de participación instantánea, el hecho de mirar se
vuelve sόlo el vehículo que nos lleva a ver, y el acento cambia bruscamente”.

43
En “Para una poética”32, el autor, partiendo de las teorías del antropólogo Lévy-Brül
sobre el pensamiento primitivo (y, no lo olvidemos, de la poética de J. Keats 33), se declara
partidario de un modo de conocimiento que renuncia a la objetivación a cambio de una
participación en la experiencia identitaria del otro. Conocer significa entonces comprender,
en los dos sentidos, al otro de sí mismo 34 ; comprender no es, como le ocurría al lector
romántico, adentrarse empáticamente en el ego profundo del poeta, ni tampoco, como le
ocurría al lector clásico, aprender (y aprehender) la verdad profunda del mensaje del poeta,
sino participar de un sí mismo en el que la identidad se hace diversidad, apertura, como
dijimos, a la aventura. Así, aprehender las verdades, las esencias, de algo que es
fundamentalmente inaprehensible se le ofrece, no obstante, al que quiera no poseerlo sino
verlo (OC/2 138).
Quebrar los hábitos del lector busca, en última instancia, provocar en nosotros la
necesidad de una mirada que nos devuelva, parafraseando al propio escritor, a un tiempo
previo al cacareante imperio de la hegemonía racional (IJK 524). El texto funcionaría así
como energía, fuerza impulsora que coloca al lector frente a un abismo, provocando en él un
movimiento que no se detiene en la experiencia intelectual de la cooperación interpretativa, en
la reconstrucción de una sintaxis según las condiciones de sentido impuestas por las
operaciones semántica y pragmática del efecto estético, un movimiento que no reduce nuestra
experiencia a un conformarse con una verdad instituida que nos resulte más o menos útil, más
o menos convincente, sino que nos incita, nos conduce, hacia una experiencia reflexiva de
participación, no en las verdades objetivables de un “yo” cogitativo, sino a una aventura de
encuentro con sí mismo.
Todas las estrategias del texto, previstas por el texto, que nos llevan a la frustración si
“buscamos soluciones” o a cierta “libertad” en las múltiples interpretaciones que los silencios
del texto nos permiten, son etapas previas, por tanto, de la verdadera transformación que
pretende Morelli-Cortazar al “incitarnos a salirnos de las huellas”, llevarnos a la experiencia
(o aventura) por la que pasa el novelista, esto es, a la construcción del yo por el lenguaje (y no
al revés): el acceso a una experiencia que traduciría la medida en que el texto actúa sobre mí y
me afecta.
La lectura, a imagen de la escritura creadora del ser, deja de ser experiencia intelectual,
deudora de una retórica del texto, para volverse, de este modo, aisthesis, la medida en que el
texto actúa sobre mí y me afecta. La lectura supone, de este modo, la necesidad, la a-ventura
propiamente hermenéutica de responder a la pregunta primordial que me implica realmente:
¿Qué me dice el texto y qué le digo yo al texto?35. La “comunicación” que el texto pone en

32
Donde podemos leer: “Conocer es, en general, objetivar; objetivar es proyectar fuera de sí, como algo extraño,
lo que se ha de conocer. Por el contrario, ¡qué comunión íntima aseguran las representaciones colectivas de la
mentalidad prelógica entre los seres que participan unos de otros! La esencia de la participación consiste
precisamente, en borrar toda dualidad a despecho del principio de contradicción, el sujeto es a la vez él mismo y
el ser del cual participa [...] no se trata aquí solamente de analogía o de asociación sino más bien de identidad
[...] Desde le punto de vista del pensamiento lógico esas identidades son y permanecen inteligibles. Un ser es el
símbolo de otro, pero no este otro. Desde el punto de vista de la mentalidad prelógica esas identidades se
comprenden: son identidades de participación” (OC/2 126, subrayado nuestro).
33
Cf.: IJK 517- 524.
34
El sí mismo (y no consigo mismo) implica una idea de sujeto dinámico, en perpetua construcción, que se
situaría entre un yo más o menos establecido y el yo que surgiría en contacto con “otro” (sea este una otredad o
“lo otro”, como explica Ricœur en Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990). A este sujeto dinámico lo
denominamos en otra ocasión sujeto ucrónico. Véase a este respecto: Lobo. “Fundamentos filosóficos y poéticos
del sujeto ucrónico en la obra de Julio Cortázar”. Le sujet en question. Ce qu’en pensent la littérature et la
philosophie. Juan Manuel Aragüés, Thiery Capmartin, Nadia Mékouar-Hertzberg, et Alfredo Saldaña (éds.).
Berne : Peter Lang. 2018. 41-60.
35
A este respecto comenta Ricœur: “Il apparaît ainsi que l’affection du soi par l’autre que soi trouve dans la
fiction un milieu privilégié pour des expériences de pensée que ne sauraient éclipser les relations ‘réelles’

44
marcha, el traslado al tiempo del autor al que hacía referencia Morelli en #79 de Rayuela no
es, por tanto, el desplazamiento a ese tiempo de la transmisión de un mensaje, tiempo de un
Julio Cortázar portador de ese mensaje y de la verdad del texto, ni se limita a las distintas
verdades diseminadas en el texto, sino el acceso a ese tiempo de participación donde el sujeto
se crea, se inventa, se transforma al acoger al otro, a lo otro. La “comunicación” a la que
aspira el texto no es otra, en definitiva, que la de grabarse en nuestra memoria para incidir
transformadoramente en nuestro futuro, transcendiendo la mera anécdota, la mera transmisiόn
de mensajes; nos dice Cortázar:

Piensen en los cuentos (y en las novelas también, podemos añadir nosotros) que no han podido
olvidar y verán que todos ellos tienen la misma característica: son aglutinantes de una realidad
infinitamente más vasta que la de su mera anécdota, y por ello han influido en nosotros con una
fuerza que no haría sospechar la modestia de su contenido aparente, la brevedad de su anécdota
(“Algunos aspectos de cuento”, OC/2 375).

La problemática del sentido y el conflicto con la verdad que se inscribe en la idea de


lector teorizada en Rayuela, ocupa el espacio de un contrato de lectura que implica, en última
instancia, un cuestionamiento radical de la posición del lector delante del texto. Al obligar al
sujeto que lee a decidir, ya desde el tablero de dirección, qué tipo de lector desea ser, es decir,
al pedirle que se posicione frente a una pregunta que se le plantea abiertamente,
explícitamente, la novela desplaza la atención y, por ende, el protagonismo, tanto de la
instancia autorial como de la autonomía textual hacia una recepción, a su vez, problematizada,
entrando, por el mismo movimiento, en colisión con la «norma», es decir, con la
presuposición del texto como marco estructurante del sentido —sea éste único o (se
encuentre) disperso— y regulador, por tanto, de sus mecanismos y condiciones de
producción.
La novela de Morelli transgrede, va aún más allá, como hemos visto, de sus propios
principios constitutivos como novela anti-psicológica, anti-novela de caracteres, anti-novela
de héroes, al pretender provocar un resquebrajamiento total de la autoridad del autor y del
texto, que hace de sus mecanismos una hábil coartada para implicarnos en, primero, las meras
estrategias del texto y hacer de nosotros, después, sujetos concernidos por el texto, toda vez
que este nos enfrenta a una encrucijada donde lo que se nos pide es, finalmente, decidir
nuestra manera de resolver el conflicto, decidir nuestra manera de leer. La lectura representa
de este modo un combate que conducirá, finalmente, al lector a un ponerse él mismo delante o
frente el texto36 , iniciación por tanto a una lectura donde la búsqueda del sentido afecta, en
definitiva, a ese “yo· que se busca transformar, esto es, el lector.
La naturaleza de su transgresión sitúa al texto, por ende, en tanto discurso de vanguardia
al desafiar, desde el interior mismo de las convenciones de la anti-novela, el status quo de un
inmanentismo textual, de un lenguaje autoreferencial y autosuficiente, que se vuelve inestable
y se entrega a una recepción que transciende el mero proceso intelectual: porque si el trabajo
del texto pone en evidencia los códigos narrativos, este no agota, sin embargo, la experiencia
de la lectura o lecturas que se ofrecen como posibles. Y así, según vimos, las distintas
estrategias configuran un texto que, al exhibir el proceso de sus propias contradicciones, entra
a formar parte, efectivamente, del “club de los textos que cuentan historias relativas al modo
en que se construyen las historias” (Eco 306) pero al hacerlo se vuelve, como insinúa Eco,

d’interlocution et d’interaction. Bien au contraire, la réception des œuvres de fiction contribue à la constitution
imaginaire et symbolique des échanges effectifs de parole et d’action. L’être-affecté sur le mode fictif
s’incorpore ainsi à l’être affecté du soi sur le mode ‘réel’” (1990 381).
36
Cf. Ricœur, Temps et Récit III 238.

45
peligroso37 en la medida en que “tales textos son mucho menos inofensivos de lo que parecen:
su objeto crítico es la máquina de la cultura, la misma que permite manipular las creencias,
producir ideologías y acariciar la falsa conciencia” (Eco 305).
Exigirnos optar es, entonces, el modo que el texto tiene de implicarnos en cuanto sujetos
lectores en nuestro propio conflicto con la verdad y el sentido, es decir, de pro-vocar, de
afectar nuestra propia identidad axiológica a través de la pregunta que el texto nos plantea y
hacer así, del lector, un protagonista de su propia experiencia. Superada la etapa romántica o
clásica de un lector de verdades autoriales, superada igualmente la etapa de la autonomía del
texto o de su deconstrucción, en última instancia, la autonomía efectiva del lector a la que
aspira Morelli-Cortázar, es, no ya a la libertad y complicidad del lector en tanto instancia
implícita en el texto, sino como sujeto empírico afectado por el texto.
Por eso, en otro de sus textos fundadores, Cortázar decide, intuitivamente, hablar de
“cavar un túnel” y no de “tender un puente”: si el puente une dos puntos distantes, sorteando
los obstáculos; el túnel, por su parte y principalmente, conduce, ahondando en ellos y
conquistando, desde dentro, nuevas posibilidades de entrada38. Al imponer un más allá del
texto, Cortázar hace, entonces, bascular, como anunciábamos, su retórica transgresora en
experiencia hermenéutica, ofreciéndonos una tercera posibilidad, tercera vía, a las sucesivas
crisis del cogito y del anti-cogito, que no es ni ruptura apocalíptica con el sentido, con el
otro/lo otro, al fin y al cabo, ni comuniόn amistosa, sino apertura, pasaje, intersticio.

Mucho de lo que escribo se ordena bajo el signo de la excentricidad, puesto que entre vivir y
escribir nunca admití una clara diferencia; si viviendo alcanzo a disimular una participación
parcial en mi circunstancia, en cambio no puedo negarla en lo que escribo puesto que
precisamente escribo por no estar o por estar a medias. Escribo por falencia, por descolocación;
y como escribo desde un intersticio, estoy siempre invitando a que otros busquen los suyos y
miren por ellos el jardín donde los árboles tienen frutos que son, por supuesto, piedras preciosas
(“Del sentimiento de no estar del todo”, La vuelta 21; destacado nuestro).

El tiempo del autor al que Morelli quería invitar al lector implica, finalmente, una ética
de la lectura, que, como en la escritura, exige un posicionamiento abierto, permeable, a una
transformación que nos construya y nos permita, desde la lectura, enfrentar el mundo, la vida,
con otra actitud, otra mirada. Acceder, en efecto, a una experiencia por la que la creación
(tanto en su fase de escritura como de lectura) se revela capaz de transformar al sujeto.
Literatura, en definitiva, en la que escritura y lectura deben ser un perpetuo cuestionamiento
del yo y una igualmente constante refundación de ese yo por un lenguaje igualmente
transformado.
Morelli proyecta, en definitiva, en su nota pedantísima, una hermenéutica que podemos
definir, con el auxilio de Paul Ricœur, en tanto hermenéutica diacrítica, esto es, tal como la
define Richard Kearney39, una hermenéutica “que evita a la vez la comunión amistosa que
resulta de una fusión de horizontes y la no-comunión engendrada por una ruptura apocalíptica

37
Sobre la peligrosidad del relato moderno, véase también: Ricœur. Temps et Récit III. 237-238.
38
Nos referimos, claro, a su Teoría del túnel. Actitud (cavar y no tender) que define, por otro lado, su crítica
positiva, como venimos explicando: “[la] agresiόn contra el lenguaje literario, esta destrucción de formas
tradicionales, tiene la característica propia del túnel; destruye para construir [...] este avance en túnel [...] avanza
hacia la instauración de una actividad en la que lo estético se ve remplazado por lo poético, la formulaciόn
mediatizadora por la formulaciόn adherente, la representación por la presentación”, OC/1, 66-67. También en
una nota de Morelli se afirma: “Ese lector carecerá de todo puente, de toda ligazón intermedia, de toda
articulación causal [...]”: #97: 359.
39
Kearney. “Entre soi-même et un autre : l’herméneutique diacritique de Ricœur”. Ricœur. Revault d’Allones,
M. et Azouvi, F. (dir.), Paris : L’Herne, 2004. 205.

46
[…]”40 para proponer una relación al otro que es vibración, respuesta expresiva. Esta relación
expresiva se opera desde un devenir y nos impele a un encuentro “carnal”, como explicaría
Merleau-Ponty (2011), que nos saque de nuestra (o)posición —completamente exterior o
completamente interior— y nos instale efectivamente en el intersticio. Es en este intersticio
donde Rayuela se vuelve texto de acción41 y donde interpretar supone, en última instancia, un
combate consigo mismo. Texto de acción donde comprender es, en definitiva,
comprender(se), generarse, delante del texto42, con la capacidad de asombro de un niño, ser
en devenir por antonomasia, aquel que, como decía Borges, es, por definición, un descubridor
(1998: 7).

40
En el original: « qui évite à la fois la communion amicale qui résulte de la fusion d’horizons et la non
communion engendrée par une cassure apocalyptique…. » (Kearney 244).
41
Para un alcance antropolόgico del texto-actor en Cortázar, cf.: Gaudez, F. Pour une socio-anthropologie du
texte littéraire, (Approche sociologique du Texte-Acteur chez Julio Cortázar). Paris : L’Harmattan, 1997.
42
“Se comprendre, pour le lecteur, c’est se comprendre devant le texte et recevoir de lui les conditions
d’émergence d’un soi autre que le moi, et que suscite la lecture” (Ricœur, Réflexion faite, Autobiographie
intellectuelle 60).

47
Peinture et écriture dans Rayuela

Paul-Henri Giraud
Université de Lille

p.h.giraud@orange.fr

Résumé :
Le rapport qui se noue, dans Rayuela, entre peinture et écriture, affecte directement les deux
personnages principaux du roman, Horacio et la Maga, ainsi que leur ami Etienne, peintre
« tachiste ». La peinture est ici successivement envisagée comme « fenêtre » sur le monde,
comme vision transformante, comme pré-texte à la fable, enfin comme réconciliation avec le
silence.

Mots-clés :
Peinture, écriture, vision, poème en prose, silence

Resumen:
En Rayuela, la relación entre pintura y escritura, afecta directamente a los dos personajes
principales de la novela, Horacio y la Maga, así como a su amigo Etienne, pintor
« manchista ». En este artículo, se contempla la pintura sucesivamente como “ventana” sobre
el mundo, como visión transformante, como pro-texto a la fábula, y finalmente como
reconciliación con el silencio.

Palabras clave:
Pintura, escritura, visión, poema en prosa, silencio

Abstract:
The relationship between painting and writing in Rayuela directly affects the two main
characters of the novel, Horacio and la Maga, as well as their friend Etienne, a “tachist”
painter. Painting here is successively envisaged as a “window” on the world, as a
transforming vision, as a pre-text to the fable, and finally as a reconciliation with silence.

Keywords:
Painting, writing, vision, prose poem, silence

49
« l’azur l’azur l’azur l’azur, plaf vidrio roto »
(chapitre 28, Rayuela 368)

« Tus colores no son más seguros que mis palabras,


viejo »
Horacio à Etienne (chapitre 28, Rayuela 309)

Julio Cortázar fut un grand « dévorateur » de « turas ». Entendons par ce terme tous les types
de culture énumérés au chapitre 73 de Rayuela — chapitre inaugural du roman si l’on tient
compte du « mode d’emploi » (« Tablero de direcciones ») fourni par l’auteur :

Nuestra verdad posible tiene que ser invención, es decir escritura, literatura, pintura, escultura,
agricultura, piscicultura, todas la turas de este mundo. Los valores, turas, la santidad, una tura, la
sociedad, una tura, el amor, pura tura, la belleza, tura de turas (Rayuela 545).

L’art que Cortázar considérait comme le plus proche de son écriture fut certainement la
musique, comme en témoignent la nouvelle « El perseguidor » (1959) et bien sûr Rayuela
(1963), avec ce que l’on peut appeler le cycle du jazz (chapitres 10 à 18). Mais cela
n’empêche pas l’intérêt précoce et continu de l’auteur pour la peinture, comme le montrent les
chapitres 1 à 9 et tant d’autres références parsemées dans le roman, dans les œuvres
complètes, dans la correspondance, notamment dans les lettres de Cortázar à son ami le
peintre Eduardo Jonquières : « Aquí la pintura me ha atrapado con sus diez uñas,
restableciendo un equilibrio que en Buenos Aires […] se quebraba a favor de la música. […]
devoro cuadros y museos, necesito ver y aprendo a ver, y un día sabré ver » (31.10.52, Cartas
a los Jonquières 121). Cortázar reconnaîtra même, a posteriori, une profonde « influence » de
la peinture sur son écriture : « Yo creo que fuera de la literatura la influencia más fuerte que
yo he tenido es la música pero la pintura está profundamente presente también », déclare-t-il
en 19831. L’installation de Cortázar à Paris en 1951 lui permet de longues et méthodiques
visites du Musée du Louvre — « Yo me tuteo con el Louvre, entro en él con el aire del que
vuelve a su casa, y hasta el hecho de no pagar (bendito laisser-passer!) ayuda a sentirse at
home » (20.09.52, Cartas a los Jonquières 108) — et la visite de nombreux autres musées,
expositions, galeries et églises, tant à Paris qu’en Italie, où il vit une partie de l’année 1954,
puis à l’occasion d’un séjour annuel à ienne et à enise.
Le rapport qui se noue, dans Rayuela, entre peinture et écriture, est suffisamment
important pour affecter et même définir les deux personnages principaux du roman, Horacio
et la Maga. Au chapitre 19, en effet, la Maga déclare à Oliveira : « vos sos más bien un
Mondrian y yo un Vieira da Silva » (Rayuela 212). En s’appuyant sur l’étude que María de
Lourdes Dávila a consacrée à « la imagen en la literatura de Julio Cortázar », Olga Lobo
écrit :

Mondrian, como comenta Dávila, es ‘topografía de la unidad’, geometría, absoluto, armonía,


pureza; ieira da Silva es ‘apertura espacial, destrucción de límites, ubicuidad’ [Dávila 47], un
espacio en metamorfosis, pluralidad de perspectivas donde las ‘geometrías invocan un juego
continuo, y sin resolución, entre superficie y profundidad’ […]. La Maga-Da Silva es la mirada
interior, inmersión, Horacio-Mondrian observador-perseguidor de un orden superior inalcanzable
que lo invalida frente a lo inmediato […] (Lobo, « El ojo Cortázar » 107).

1
Interview réalisée à Mexico en 1983 dans la librairie « El Juglar » (Lobo, « El ojo Cortázar » 110). Je remercie
Olga Lobo de m’avoir transmis les deux articles cités dans ce travail, dont un encore à paraître.

50
Ou pour le dire en d’autres mots : « La Maga-Da Silva vs Horacio-Mondrian, explosión
vs orden, inteligible vs sensible » (Lobo, « Cortázar/Godard » n/p).
Ces deux approches possibles de l’œuvre d’art me fourniront les deux premières étapes
de cette réflexion. Dans un premier temps, donc, une approche « intelligible » ou
intellectuelle de la peinture. Le regardeur se place face à un tableau comme face à une
« fenêtre » — selon la fameuse comparaison avancée par Leon Battista Alberti — et analyse
ce qui se passe dans le cadre de cette fenêtre. Dans un deuxième temps, une approche plutôt
« sensible », où l’écrivain s’efforce de faire siennes les visions et expériences présentes dans
la peinture. Pareille appropriation est possible quand le regardeur se libère en partie de la
raison, s’abandonne à l’imagination, finalement passe le seuil — ou plus exactement l’allège
— de la fenêtre et pénètre dans le tableau, en oubliant le cadre. Cette expérience de la
peinture comme vision transformante s’oppose à la peinture comme fenêtre, comme La
Maga-da Silva s’oppose à Horacio-Mondrian.
On pourrait ajouter un troisième type d’approche de la peinture : quand celle-ci
fonctionne comme un appel, ni principalement à l’intelligence ni seulement à la sensibilité et
à la rêverie, mais à la création littéraire. Cette émulation entre peinture et écriture réactualise
l’ut pictura poesis énoncé par Horace dans son Art poétique — Horace, lointain ancêtre
d’Horacio Oliveira — en une formule qui féconda toute la tradition renaissante et classique
sur le dialogue entre les arts2. « Todo es escritura, es decir fábula », peut-on lire au chapitre
73 (Rayuela 545) avant l’énumération des « turas ». Ce troisième type d’approche revient
donc à considérer la peinture comme pré-texte, prétexte à la fabulation3. Enfin — quatrième et
dernière approche —, la peinture ne nous offre-t-elle pas aussi et avant tout une sortie des
limites du langage, une « libération » de ses pièges, une immersion dans les couleurs de
l’enfance, une réconciliation avec le silence, l’existence et le monde ?

1. La peinture comme fenêtre

Selon Miguel Herráez, la peinture constitue dans Rayuela l’une des « múltiples incrustaciones
culturalistas, desde el jazz a la poesía, la pintura, el glíglico, el cine, la ciudad de París o la
literatura » (Herráez 146). La peinture de différentes époques, mais principalement celle de la
Renaissance italienne et flamande et celle du XXe siècle, comme le suggère Horacio dès le
premier chapitre, à travers l’évocation des goûts picturaux qu’il partageait avec la Maga :
« […] conocíamos nuestros domicilios, cada hueco de nuestras dos habitaciones de falsos
estudiantes en París, cada tarjeta postal abriendo una ventanita Braque o Ghirlandaio o Max
Ernst contra las molduras baratas y los papeles chillones […] » (Rayuela 120). Cette « petite
2
« […] ‘ut pictura poesis’, soit ‘la poésie est comme la peinture’, ou encore ‘il en va de la poésie comme de la
peinture’. Au départ, la sentence pose en principe la reconnaissance de la réciprocité des deux arts, la poésie
étant une peinture douée de parole, la peinture une poésie muette. Selon l’auteur latin, la peinture fournit un
modèle à partir duquel trouve à se définir le poème et vice-versa. Dès la Renaissance néanmoins la citation a été
en partie détournée de sons sens, quand les théoriciens classiques ont voulu renverser le schéma comparatif pour
faire de la littérature le modèle de toute peinture, mais surtout pour démontrer la supériorité de la littérature sur
la peinture. […] Léonard de inci fait figure de solitaire en démontrant la prédominance de la peinture par
rapport à la littérature, parce qu’elle ne fragmente pas ce qu’elle représente mais restitue la totalité du réel
représenté, totum simul, alors qu’un texte est obligé de le morceler » (Dethurens 8).
3
C’est la méthode que Cortázar suivra dans le livre Territorios (1978), où il envisage de façon très personnelle
l’œuvre plastique de dix-sept créateurs. Antonio Urrutia en donne la liste alphabétique, de Leo Agüero à Alois
Zötl, en passant par Pierre Alechinsky, Jacobo Borges, Salvador Dalí, Marcel Duchamp, Antonio Saura, Julio
Silva et Antoni Tàpies (Urrutia 618). Voir aussi Julio Cortázar, Silvalandia (1975), sur des peintures de Julio
Silva.

51
fenêtre » ouverte par chaque reproduction d’un tableau renvoie implicitement à la théorie de
l’humaniste florentin Leon Battista Alberti, artiste cité par Etienne au chapitre 142 et auteur
du traité De pictura (1535). Selon cette théorie, un tableau est avant tout un « rectangle », un
« cadre », une « fenêtre à partir de laquelle on peut contempler l’histoire 4 » — l’histoire
racontée dans le tableau.
L’habitude d’épingler au mur des cartes postales pourrait laisser penser à un
œcuménisme esthétique proche du Musée imaginaire (1947) d’André Malraux. Bientôt,
pourtant, au chapitre 9, une version plus polémique de l’histoire de l’art se fait jour, au sujet
de l’art moderne, à travers l’opposition entre les peintres Klee et Mondrian :

Perico creía que sí, y Etienne creía que Mondrian.


—Fijate un poco en Mondrian —decía Etienne—. Frente a él se acaban los signos mágicos de un
Klee. Klee jugaba con el azar, los beneficios de la cultura. La sensibilidad pura puede quedar
satisfecha con Mondrian, mientras que para Klee hace falta un fárrago de otras cosas. Un
refinado para refinados. Un chino, realmente. En cambio Mondrian pinta absoluto. Te ponés
delante, bien desnudo, y entonces una de dos: ves o no ves. El placer, las cosquillas, las
alusiones, los terrores o las delicias están completamente de más.
—¿Vos entendés lo que dice? —preguntó la Maga—. A mí me parece que es injusto con Klee.
[…] Pero por qué dice que todas esas cosas tan hermosas no sirven para Mondrian.
—Quiere decir que en el fondo una pintura como la de Klee te reclama un diploma ès lettres, o
por lo menos ès poésie, en tanto que Mondrian se conforma con que uno se mondrianice y se
acabó.
—No es eso —dijo Etienne.
—Claro que es eso —dijo Oliveira—. Según vos una tela de Mondrian se basta a sí misma. Ergo,
necesita de tu inocencia más que de tu experiencia. Hablo de inocencia edénica, no de estupidez.
Fijate que hasta tu metáfora sobre estar desnudo delante del cuadro huele a preadamismo.
Paradójicamente Klee es mucho más modesto porque exige la múltiple complicidad del
espectador, no se basta a sí mismo. En el fondo Klee es historia y Mondrian atemporalidad. Y
vos te morís por lo absoluto. ¿Te explico? (Rayuela 164-165)

En opposant Klee à Mondrian, Horacio semble opposer une sensibilité terrestre,


sensorielle, en quelque sorte impure, à la « sensibilité pure », idéelle, intellectuelle, satisfaite
par Mondrian. Il oppose donc le relatif à l’absolu, et « l’expérience », historique ou
biographique, à l’« innocence édénique ». Cortázar et son personnage se souviennent ici du
poète-peintre William Blake et de son volume illustré des Songs of Innocence and of
Experience (1789). Si innocence et expérience étaient, selon Blake, « les deux états contraires
de l’âme humaine », Horacio critique Etienne, peintre « tachiste »5, pour son « préadamisme »
suspect de naïveté — d’« innocence », en un certain sens —, et il a l’air de reprocher à son
ami de « mourir pour l’absolu ». Mais n’est-ce pas justement ce qui finira par lui arriver, à lui,
Horacio, une fois qu’il sera privé des « signes magiques », non pas de Klee mais de celle qui
comprend si bien Klee — la Maga elle-même ?
Les jugements d’Horacio sur Klee et Mondrian sont à la fois brillants et péremptoires,
donc discutables. La Maga, justement, émet des doutes, au nom d’une expérience plus intime
des œuvres. Dans le chapitre 3, déjà, elle reprochait à son ami-amant de rester extérieur aux
œuvres, tandis que des êtres plus « innocents » et plus charnels — Rocamadour, Etienne, la
Maga elle-même — étaient selon elle capables de les ressentir de l’intérieur. Comme si eux-
mêmes étaient des tableaux plutôt que leurs « témoins » :

4
Selon la traduction proposée par Daniel Arasse de la célèbre phrase du De pictura (Arasse 84).
5
« el amigo francés era manchista » (chapitre 154, Rayuela 734).

52
Vos sos como un testigo, sos el que va al museo y mira los cuadros. Quiero decir que los cuadros
están ahí y vos en el museo, cerca y lejos al mismo tiempo. Yo soy el cuadro, Rocamadour es un
cuadro. Etienne es un cuadro, esta pieza es un cuadro. Vos creés que estás en esta pieza pero no
estás. Vos estás mirando la pieza, no estás en la pieza (Rayuela 144).

Cette extériorité du contemplateur est peut-être plus grave qu’elle ne paraît : le rapport
d’Horacio aux œuvres d’art n’est-il pas révélateur de l’imperméabilité dont il fera preuve face
au drame de l’existence ? Ainsi, c’est en esthète qu’Oliveira jaloux va revenir à la chambre de
la Maga, au chapitre 28, au moment où le drame se noue :

La Maga prendió una lámpara y la puso en el suelo, fabricando una especie de Rembrandt que
Oliveira encontró apropiado. Vuelta del hijo pródigo, imagen de retorno aunque fuera
momentáneo y fugitivo, aunque no supiera bien por qué había vuelto subiendo poco a poco las
escaleras y tirándose delante de la puerta para oír desde lejos el final del cuarteto y los
murmullos de Ossip y la Maga (Rayuela 293-294).

Le clair-obscur de la pièce évoque à Oliveira « une espèce de Rembrandt » ; son retour


sur les lieux de ses amours fait de lui une sorte de « fils prodigue » — figure peinte,
justement, par Rembrandt6. À Paris comme à Buenos Aires, Horacio aime à s’identifier à
cette figure (« Pero yo, con qué derecho... El del hijo pródigo, en todo caso », chapitre 78,
Rayuela 556). Or cette interprétation rembranesque de la scène, loin de le faire agir avec
l’humanité, la compassion, la magnanimité du père face à son fils, le paralyse. Horacio, qui,
malgré qu’il en ait, jouait un peu le rôle de père d’adoption pour Rocamadour, n’aura pas su
éviter la mort de l’enfant. La Maga avait donc vu juste : Horacio reste ici un « témoin », qui
contemple le drame comme s’il s’agissait d’un tableau. Celui qui se qualifiera plus tard de “—
hijo (de puta) pródigo—” (chapitre 54, Rayuela 479) est irrémédiablement resté extérieur à la
scène, jusqu’à ce que le magie Rembrandt finisse par se dissiper et le clair-obscur par
s’éteindre : « ¿Quién había apagado la lámpara Rembrandt? No se acordaba, un rato atrás
había habido como un polvo de oro viejo a la altura del suelo […] » (chapitre 28, Rayuela
301).

2. La peinture comme vision transformante

Après le parallèle entre Klee et Mondrian, le second match pictural du roman a lieu au
chapitre 19 ; il oppose Mondrian à Vieira da Silva :

—Yo creo que te comprendo —dijo la Maga, acariciándole el pelo—. Vos buscás algo que no
sabés lo que es. Yo también y tampoco sé lo que es. Pero son dos cosas diferentes. Eso que
hablaban la otra noche... Sí, vos sos más bien un Mondrian y yo un Vieira da Silva.
—Ah —dijo Oliveira—. Así que yo soy un Mondrian.
—Sí, Horacio.
—Querés decir un espíritu lleno de rigor.
—Yo digo un Mondrian.
—¿Y no se te ha ocurrido sospechar que detrás de ese Mondrian puede empezar una realidad
Vieira da Silva?
—Oh, sí —dijo la Maga—. Pero vos hasta ahora no te has salido de la realidad Mondrian. Tenés
miedo, querés estar seguro. No sé de qué... Sos como un médico, no como un poeta.

6
Cf. Le Retour du fils prodigue, vers 1668, Saint-Pétersbourg, Musée de l’Ermitage.

53
—Dejemos a los poetas —dijo Oliveira—. Y no lo hagás quedar mal a Mondrian con la
comparación.
—Mondrian es una maravilla, pero sin aire. Yo me ahogo un poco ahí adentro. Y cuando vos
empezás a decir que habría que encontrar la unidad, yo entonces, veo cosas muy hermosas pero
muertas, flores disecadas y cosas así (Rayuela 212).

Les postures semblent presque s’inverser par rapport au chapitre 9. Ici, c’est la Maga qui
critique Mondrian, et Horacio qui prend sa défense. La Maga reproche à Horacio la soif
d’absolu que celui-ci reprochait à Etienne.
Le commentaire de Lourdes Dávila permet de mieux cerner le complexe mondrianesque
dont Horacio va souffrir de plus en plus dans la suite du roman :

La Maga construye y deconstruye a Horacio en una metáfora visual que sintetiza dos formas de
organizar y desorganizar el mundo, de percibir la realidad, de ordenar o desordenar el espacio.
[…] Las pinturas geométricas de Mondrian […] demuestran el deseo de articular la realidad
accediendo a sus ‘leyes internas’, de alcanzar la unicidad dentro del caos que es el mundo
(Dávila 44-45).

Et d’ajouter, au sujet de ieira da Silva :

Apertura espacial, destrucción de límites, ubicuidad […] aunque trabaja también desde una
geometría estructurante, tiene como objeto lo opuesto a la unidad totalizadora; su espacio es un
espacio en constante metamorfosis, una multiplicidad de perspectivas que busca negar la
posibilidad de una unidad final (Dávila 47).

La faute d’Oliveira, à la fois éthique et esthétique, ce serait donc de rechercher dans


l’existence même cette « unité finale » qui n’est postulable que « yonder », au-delà de cette
existence.
Les réflexions d’Etienne, aux chapitres 99, 96 et 142, nous donnent le point de vue du
praticien, du peintre, et permettent de donner raison à Vieira da Silva contre Mondrian et à la
Maga contre Horacio. Etienne confirme que la « véritable réalité » ne peut se ressentir que de
l’intérieur, dans l’acte même de peindre ou de regarder. Dans l’acte de peindre, d’abord :

Lo que llamamos realidad, la verdadera realidad que también llamamos Yonder (a veces ayuda
darle muchos nombres a una entrevisión, por lo menos se evita que la noción se cierre y se
acartone), esa verdadera realidad, repito, no es algo por venir, una meta, el último peldaño, el
final de una evolución. No, es algo que ya está aquí, en nosotros. Se la siente, basta tener el valor
de estirar la mano en la oscuridad. Yo la siento mientras estoy pintando (Chapitre 99, Rayuela
618).

Etienne ressent aussi la « réalité » dans l’acte de regarder, de regarder d’une certaine
manière. Au chapitre 96, chez Morelli, c’est Babs qui est disqualifiée, elle qui n’a pas su voir
“un huevo frito entre podrido y petrificado, hermosísimo para Etienne, cajón de basura para
Babs […] —Tiró la naturaleza muerta a la basura —dijo Etienne, rabioso—” (Rayuela 604-
605).
La Maga, en revanche, savait voir, selon Etienne, et donc « était capable de bonheurs
infinis », comme il l’explique au chapitre 142 :

54
Sí, sí, pero en cambio era capaz de felicidades infinitas, yo he sido testigo envidioso de algunas.
La forma de un vaso, por ejemplo. ¿Qué otra cosa busco yo en la pintura, decime? Matándome,
exigiéndome itinerarios abrumadores para desembocar en un tenedor, en dos aceitunas. La sal y
el centro del mundo tienen que estar ahí, en ese pedazo del mantel. Ella llegaba y lo sentía. Una
noche subí a mi taller, la encontré delante de un cuadro terminado esa mañana. Lloraba como
lloraba ella, con toda la cara, horrible y maravillosa. Miraba mi cuadro y lloraba. No fui bastante
hombre para decirle que por la mañana yo también había llorado. Pensar que eso le hubiera dado
tanta tranquilidad, vos sabés cuánto dudaba, cómo se sentía poca cosa rodeada de nuestras
brillantes astucias (Rayuela 718-719).

Aux « brillantes astuces » du Club du Serpent, mais surtout d’Horacio, la Maga n’a à
opposer que ses larmes face à la peinture, ses larmes qu’elle ne retient pas tandis qu’Etienne,
lui, les cache.
Personnage emblématique du peintre qui réfléchit sur la peinture, Etienne parvient
dialectiquement à faire la synthèse entre les approches d’Horacio et de la Maga, et donc entre
Mondrian et Vieira da Silva. Sa première approche est analytique, comme celle d’Horacio ;
mais il sait renoncer aux détours du logos quand il a atteint la vision, la vision transformante
— comme jadis, à Rome, face à un Andrea del Sarto :

No me acuerdo cuándo, fue en Roma, en la galería Barberini, estaba analizando un Andrea del
Sarto, lo que se dice analizar, y en una de esas lo vi. No me pidas que explique nada. Lo vi (y no
todo el cuadro, apenas un detalle del fondo, una figurita en un camino). Se me saltaron las
lágrimas, es todo lo que te puedo decir (Chapitre 142, Rayuela 719-720).

Dans ce tableau d’Andrea del Sarto, Etienne a vu l’indicible (“lo”). Il l’a vu dans une
« figure » : un personnage, certes, à peine ébauché dans le lointain (« una figurita en un
camino ») ; mais plus fondamentalement un dispositif, un rébus, une énigme, un signe, ou
simplement un creux, un creux dans un « mur ». Une figure à la fois impénétrable et
illuminatrice, comme celle évoquée par Morelli pour « l’une des nombreuses fins de son livre
inachevé » :

Proyecta uno de los muchos finales de su libro inconcluso, y deja una maqueta. La página
contiene una sola frase: “En el fondo sabía que no se puede ir más allá porque no lo hay.” La
frase se repite a lo largo de toda la página, dando la impresión de un muro, de un impedimento.
No hay puntos ni comas ni márgenes. De hecho un muro de palabras ilustrando el sentido de la
frase, el choque contra una barrera detrás de la cual no hay nada. Pero hacia abajo y a la derecha,
en una de las frases falta la palabra lo. Un ojo sensible descubre el hueco entre los ladrillos, la
luz que pasa (Chapitre 66, Rayuela 531).7

Le mot « lo », chiffre de l’indicible, est la justification ultime de ce « mur » qu’est une


page ou un tableau. Mais ce « lo » ne saurait apparaître dans l’œuvre, la « lumière » ne saurait
briller entre les briques, que si le mur a été écrit ou peint. Avant le recours au silence (« paf se
acabó », chapitre 56, Rayuela 509), le roman nous propose donc quelques détours par le
discours.

7
Passage qui fait l’objet de tout le premier chapitre de Dávila (17-75).

55
3. La peinture comme pré-texte à la fable

Il est, dans Rayuela, des passages où Cortázar semble inventer un tableau et nous faire
pénétrer en lui. Des passages où écrire équivaut à peindre. Ainsi au début du chapitre 73 :

Sí, pero quién nos curará del fuego sordo, del fuego sin color que corre al anochecer por la rue de
la Huchette, saliendo de los portales carcomidos, de los parvos zaguanes, del fuego sin imagen
que lame las piedras y acecha en los vanos de las puertas, cómo haremos para lavarnos de su
quemadura dulce que prosigue, que se aposenta para durar aliada al tiempo y al recuerdo, a las
sustancias pegajosas que nos retienen de este lado, y que nos arderá dulcemente hasta
calcinarnos. Entonces es mejor pactar como los gatos y los musgos, trabar amistad inmediata con
las porteras de roncas voces, con las criaturas pálidas y sufrientes que acechan en las ventanas
jugando con una rama seca. Ardiendo así sin tregua, soportando la quemadura central que avanza
como la madurez paulatina en el fruto, ser el pulso de una hoguera en esta maraña de piedra
interminable, caminar por las noches de nuestra vida con la obediencia de la sangre en su circuito
ciego (Rayuela 544).

Long passage lyrique plein d’assonances et d’allitérations, passage métaphorique,


anaphorique, épiphanique, mystérieux (qui est ce « nous » ?), interrogatif (« quién »,
« cómo »), où l’oxymore s’allie au chiasme (« quemadura dulce », « arderá dulcemente »), où
l’image à peine entrevue échappe à toute fixité trop visualisable (« fuego sin color », « el
pulso de una hoguera »). Tout le contraire d’un récit.
On pourrait appliquer à ce passage l’exégèse elle-même lyrique de Saúl Yurkievich :

Cortázar se sirve de la novela en función de una empresa antinovelesca para provocar por
contraste entre lo lírico/epifánico y lo histórico/anecdótico el choque abridor del sentido. Quiere
que la progresión novelesca sirva de preparativo a esos precipitados antropofánicos que son los
pasajes más vehementes donde la escritura efervesce y se desmide y se trastorna por la síncopa
de esa pujanza innominable que le llega del centro de la vida (Yurkievich 180-181).

« Un choc qui ouvre le sens », certes. Sauf que l’incipit du chapitre 73 — et du roman
lui-même, selon le « mode d’emploi » — n’est pas préparé par la fable : c’est lui qui la
prépare. L’énigme, la figure, le « précipité anthropophanique », servent de sas à une réflexion
sur les « turas » qui précède l’entrée dans la fiction. Celle-ci ne commence qu’après le
chapitre 73, au chapitre 1.
Le premier paragraphe de ce préambule au roman qu’est le chapitre 73, nous offre, en
fait, l’équivalent scriptural d’un tableau de ieira de Silva8 ou encore d’un morceau de jazz ;
la fusion improbable du swing et de la couleur, du quadrillage et de l’espace illimité, en une
« vibrante coïncidence » :

La quemadura central, aquello que enardece toda tura, atañe al swing, estado de vibrante
coincidencia entre oscuro e imperioso designio, infuso cúmulo interior y vehículo expresivo,
entre materia palpitante y forma que con ella confundida la representa (Yurkievich 181).

8
On pourrait penser aux toiles intitulées Bibliothèque (1949), Paris la nuit (1951) (cf. Dávila 48), Papillons
(1951-1952).

56
Cortázar a donc choisi, au seuil de son (anti-)roman, le « desorden dinámico » (Lobo,
“Cortázar/Godard” n/p) d’un véritable poème en prose. Entrée en matière pour le moins
hétérodoxe, anti-mimétique, sur-réaliste, poétique, figurée et jazzée.
Dans l’économie du roman, toutefois, c’est le jazz, et non la peinture, qui le premier
nous donne d’entrevoir un « centre », au chapitre 12 :

Y había más que eso, había la intercesión, el acceso por las ilusiones a un plano, a una zona
inimaginable que hubiera sido inútil pensar porque todo pensamiento lo destruía apenas
procuraba cercarlo. Una mano de humo lo llevaba de la mano, lo iniciaba en un descenso, si era
un descenso, le mostraba un centro, si era un centro, le ponía en el estómago, donde el vodka
hervía dulcemente cristales y burbujas, algo que otra ilusión infinitamente hermosa y
desesperada había llamado en algún momento inmortalidad. Cerrando los ojos alcanzó a decirse
que si un pobre ritual era capaz de excentrarlo así para mostrarle mejor un centro, excentrarlo
hacia un centro sin embargo inconcebible, tal vez no todo estaba perdido y alguna vez, en otras
circunstancias, después de otras pruebas, el acceso sería posible. ¿Pero acceso a qué, para qué?
(Rayuela 180)

Inutile, selon ce texte, de trop chercher à définir ce « centre » « impensable » et


« inconcevable » dont Oliveira ressent ici la manifestation à la fois puissante et fugace. Après
l’opposition entre Oliveira et la Maga — après la « figure » dessinée par leur dualité —, c’est
une nouvelle confrontation avec Etienne, le peintre, qui peut nous être utile.

La peinture comme réconciliation avec le silence

Au chapitre 19, Horacio envisage le centre dans des termes qui font songer à Piero della
Francesca. Ce peintre, qui apparaît par ailleurs au chapitre 93 dans un monologue intérieur du
personnage (Rayuela 595), a su donner forme plastique au rêve de clarté absolue et de
perspective géométrique que fit en Italie la Renaissance. Quelques années avant Rayuela,
Cortázar avait voué un véritable culte à Piero : « Fuimos a Arezzo, donde Aurora comprendió
por qué yo me pongo pálido y tiemblo cuando me hablan de Piero », écrit-il à Eduardo
Jonquières le 3 avril 1954 (Cartas a los Jonquières 220). Or ce culte réapparaît chez Horacio,
au chapitre 19, à travers l’allusion à « une immense pièce à sol dallé » :

Y ese centro que no sé lo que es, ¿no vale como expresión topográfica de la unidad? Ando por
una enorme pieza con piso de baldosas y una de esas baldosas es el punto exacto en que debería
pararme para que todo se ordenara en su justa perspectiva. “El punto exacto”, enfatizó Oliveira,
ya medio tomándose el pelo para estar más seguro de que no se iba en puras palabras. “Un
cuadro anamórfico en el que hay que buscar el ángulo justo […]” (Rayuela 214-215).

Une fois l’anamorphose résolue, l’énigme dissipée, l’image monstrueuse, absurde, que
nous offrent le roman et ses multiples emblèmes — « La esperanza, esa Palmira gorda »
incarnée dans la clocharde Emmanuelle (chapitre 36, Rayuela 354) —, cette image semble
pouvoir retrouver la simplicité, l’harmonie, l’équilibre d’une figure à la fois géométrique et
initiatique — d’un mandala.
Mandala : titre envisagé par Cortázar pour son anti-roman. Morelli, au chapitre 82, en
fait une image de son écriture-dessin : « Escribir es dibujar mi mandala y a la vez recorrerlo »
(Rayuela 564). Comme le signale un auteur proche de Cortázar dans les années soixante,
Octavio Paz, au sujet de son long et hermétique poème intitulé Blanco (1966), un mandala est

57
« una representación simbólica del universo, […] que sirve como un apoyo visual para la
meditación » (Paz 120). Et cette représentation est de forme carrée : « La structure de base du
mandala, telle que la tradition l’a fixée avec une grande précision, représente un palais carré
avec un centre et quatre portes orientées vers les quatre points cardinaux » (Dictionnaire de la
sagesse orientale 347-348). Si l’on remonte avant Mondrian, la notion de mandala nous
renvoie, dans Rayuela, à la recherche picturale de Malevitch, évoquée par Etienne au chevet
de Morelli, au chapitre 154 — ce chapitre où Morelli donne à Etienne et Horacio la clé de son
appartement et peut être du roman (« esa llave a la alegría […] a lo mejor demasiado pronto,
todavía inmerecida, pero entonces, tal vez, vielleicht, maybe, forse, peut-être, ah mierda,
mierda […] a lo mejor todavía… Una llave, figura inefable. Una llave », Rayuela 738-739).
Et cette clé, c’est peut-être, en effet, Carré blanc sur fond blanc (1918), « le carré de
Malevitch » :

—Hay que tener cuidado —dijo Morelli, cerrando los ojos—. Todos andamos detrás de la
pureza, reventando las viejas vejigas pintarrajeadas. […] Pero cuidado, amigos, a lo mejor lo que
llamamos pureza...
—El cuadrado de Malevich —dijo Etienne.
—Ecco. Decíamos que hay que pensar en Hermes, dejarlo que juegue (Rayuela 738).

Etienne peint, donc joue, ou plutôt laisse jouer Hermès.


Le « centre » du mandala recherché par Horacio peut tout au plus se concevoir comme le
lieu de la rencontre, de l’illumination, du blanc ou bien la couleur — à condition que ce soient
les couleurs de l’enfance. Ces couleurs utilisées par Malevitch dans d’autres « Carrés »9, et
évoquées par Horacio, en rêve, au chapitre 123, au sujet de la maison de Burzaco :

[…] situarse más bien en esa zona donde otra vez se proponía la casa de la infancia, la sala y el
jardín en un presente nítido, con colores como se los ve a los diez años, rojos tan rojos, azules de
mamparas de vidrios coloreados, verde de hojas, verde de fragancia, olor y color una sola
presencia a la altura de la nariz y los ojos y la boca (Rayuela 669).

Malevitch, donc, avait anticipé la « pureté » d’un Mondrian, tout en conservant, comme
après lui Vieira da Silva, « parfum, odeur et couleur une seule présence à hauteur du nez, des
yeux et de la bouche » (Marelle 568).

9
Voir en particulier les toiles de 1915 intitulées Carré rouge, Carré noir et carré rouge, Suprématisme.

58
Affinités littéraires : du chapitre 62 de Rayuela au chapitre IV des Affinités
électives

José García-Romeu
Université de Toulon — Laboratoire Babel (EA 2649)

Professeur des Universités

jose.garcia-romeu@univ-tln.fr

Résumé :
Le chapitre 62 de Rayuela de Cortázar et le chapitre IV de la Première partie des Affinités
électives de Goethe considèrent le problème des déterminations chimiques de la pensée
humaine en imaginant des personnages dépourvus de libre arbitre. Cette concordance
thématique nous conduit à examiner le rapport d’influence qui pourrait lier ces deux chefs-
d’œuvre de la littérature universelle.

Mots-clés :
Goethe (Johann Wolfgang), Cortázar (Julio), influences littéraires, Les Affinités électives,
Marelle

Resumen:
El capítulo 62 de Rayuela de Cortázar y el capítulo IV de la Primera parte de Las afinidades
electivas de Goethe contemplan el problema de las determinaciones químicas del pensamiento
humano e imaginan personajes desprovistos de libre albedrío. Esta concordancia temática nos
lleva a examinar la relación de influencia que podría vincular dichas obras maestras de la
literatura universal.

Palabras clave:
Goethe (Johann Wolfgang), Cortázar (Julio), influencias literarias, Las afinidades electivas,
Rayuela

Abstract:
Chapter 62 of Cortázar’s Rayuela and the First Part of chapter I of Goethe’s Elective
Affinities deal with chemical affinities of human thought and conjure up the existence of
characters bereft of free will. This thematic similarity leads to an examination of the influence
that could link these two masterpieces of world literature.

Keywords:
Goethe (Johann Wolfgang), Cortázar (Julio), literary influences, Elective Affinities,
Hopscotch

59
Affinités littéraires : l’expression pose la question des effets d’influence dans la littérature.
Elle peut être abordée à l’échelle des écoles, des courants et des générations, mais également
des écrivains en tant qu’individus disposant d’une bibliothèque personnelle susceptible de
révéler leur goût et leurs sources d’inspiration. On se trouve donc au croisement de deux
échelles, celle de l’Intertexte général où une œuvre se comprend comme la pièce d’un vaste
ensemble lié par des rapports métatextuels1, et celle de la biographie d’un auteur particulier,
formé à l’écriture par l’exploration de la bibliothèque familiale d’abord et par des choix
personnels de lectures ensuite, qui seront rapportées, ou non, dans des entretiens, des
mémoires, des journaux et des autobiographies comme étant à l’origine d’une esthétique.
Jorge Luis Borges évoque cette question de l’influence selon une approche paradoxale,
caractéristique de ses jeux intellectuels, dans le court texte « Kafka y sus precursores ». Il y
renverse l’évident rapport chronologique et évolutif de toute histoire de la littérature pour
montrer que la lecture de certains auteurs ayant précédé Kafka (Léon Bloy, Lord Dunsany,
Robert Browning…) est éclairée par l’œuvre postérieure de Kafka, de sorte qu’il peut écrire :
« El hecho es que cada escritor crea a sus precursores » 2 (Borges, 1996b 89). Ce
renversement est possible, car Borges place au centre de l’activité littéraire la réception plutôt
que l’écriture, cette réception se faisant à travers le bagage intellectuel d’un lecteur qui, lisant
Browning après avoir lu Kafka, interprètera l’auteur britannique à la lumière du tchèque et lui
attribuera des propriétés kafkaïennes.
Dans le cadre de cette problématique des influences, l’œuvre de Julio Cortázar, qui fut à
la fois un lecteur d’une rare érudition et un écrivain porté à une grande audace novatrice, pose
un grand défi critique. Le catalogue de ses lectures peut être partiellement dressé grâce au
fameux entretien qu’il accorda à Sara Castro-Klarén en 1980, à la consultation de sa
bibliothèque personnelle (déposée aujourd’hui à la fondation Juan March de Madrid), au
dépouillement de ses lettres (si bien éditées par Aurora Bernárdez et Carles Álvarez Garriga
dans cinq volumes disposant d’un index onomastique fort pratique) et enfin à l’étude de ses
essais (prolixes en mention d’écrivains divers). Le critique pourra extraire de l’ensemble de
ces textes une liste d’influences reconnues et affichées par l’auteur. Surgiront alors de
nombreux noms, comme ceux de John Keats, d’Alfred Jarry, de Roberto Arlt, de Jorge Luis
Borges, de Leopoldo Marechal…
Quant à moi, en raison d’une intuition qui me frappa lors de la relecture récente du
chapitre 62 de Rayuela, j’ai souhaité suivre la méthode de Borges et jouer à l’envers.
Dans ce chapitre, Morelli évoque une force supérieure et invisible qui réduirait la
conscience et le libre arbitre des hommes à leur insu. Cette idée s’appuie en partie sur des
théories scientifiques longuement exposées dans un article du magazine L’Express, cité en
note de bas de page, l’appel de la note en question étant rattaché — cela est significatif — à
l’expression de Morelli « una teoría química del pensamiento » (Rayuela 522). En raison de
cette référence à la chimie, ce fragment m’a rappelé quelques lointaines réminiscences des
Affinités électives (1809) de Johann Wolfgang Goethe, que je n’avais pas lu, mais dont je
connaissais de façon un peu diffuse une des thèses centrales, à savoir que les relations
affectives entre les personnes s'apparentaient à des correspondances de type chimique,
étrangères à la pure conscience. Voilà quelle était mon intuition : ce chapitre 62 devait
probablement entretenir une relation d’influence avec le roman de Goethe.
Pour éclaircir cette intuition, je choisis d’abord de me considérer comme un cobaye-
lecteur et d’observer les effets de la réception des Affinités électives à la lumière de celle de
Rayuela, la chronologie de mes lectures renversant celle de la composition de ces romans. Je

1
« […] je nomme métatextualité […] la relation, on dit plus couramment de ‘commentaire’, qui unit un texte à
un autre texte dont il parle, sans nécessairement le citer (le convoquer), voire, à la limite, sans le nommer […] »
(Genette 10).
2
C’est Borges qui souligne.

60
comptais ainsi expérimenter le processus d’influence rétrospectif que Borges met en pratique
dans « Kafka y sus precursores », avant de revenir, comme nous le verrons, à une analyse plus
conventionnelle et académique de ces influences.
Avant de comparer les deux œuvres, il convient de rappeler que le chapitre 62 expose ce
que j’ai appelé récemment le « dispositif 62 » (García-Romeu 120), qui servira plus tard à
générer le roman 62. Modelo para armar. Dans Rayuela, outre sa description dans ce
chapitre, nous pouvons observer qu’il préside à la cérémonie funéraire du chapitre 28, où les
personnages agissent probablement conditionnés par une force surnaturelle dont ils ignorent
l’existence, et qu’il est également intuitivement perçu par Talita au chapitre 45 : « —Pero
parecería que algo habla, algo nos utiliza para hablar. ¿No tenés esa sensación? ¿No te parece
que estamos como habitados? » (433).
Morelli envisage un temps d’écrire un roman sous la contrainte de ce dispositif afin de
liquider le vieux récit psychologique et de rendre compte d’une force collective déterminant
les interactions de personnages naïvement convaincus de disposer de leur entière liberté :

[…] al margen de las conductas sociales, podría sospecharse una interacción de otra naturaleza,
un billar que algunos individuos suscitan o padecen, un drama sin Edipos, sin Rastignacs, sin
Fedras, drama impersonal en la medida en que la conciencia y las pasiones de los personajes no
se ven comprometidas más que a posteriori. Como si los niveles subliminales fueran los que atan
y desatan el ovillo del grupo comprometido en el drama. […] basta una amable extrapolación
para postular un grupo humano que cree reaccionar psicológicamente en el sentido clásico de esa
vieja, vieja palabra, pero que no representa más que una instancia de ese flujo de la materia
inanimada, de las infinitas interacciones de lo que antaño llamábamos deseos, simpatías,
voluntades, convicciones, y que aparecen aquí como algo irreductible a toda razón y a toda
descripción […] (523-524).

Les observations de Morelli sont donc suscitées par les recherches d’un savant suédois,
Viktor Holger Hydén (1917-2000), sur l’origine chimique de la pensée. Au chapitre 99, qui
décrit les débats du Club du Serpent chez Morelli, Horacio évoquera de nouveau les théories
de Hydén : « un sueco acaba de lanzar una teoría muy vistosa sobre la química cerebral »
(621). Concluant à la destruction de l’idée de conscience et d’âme par la science moderne et
ses interprétations électromagnétiques et chimiques, il confirmera ainsi l’importance de cette
notion dans Rayuela.
Cette description faite, je reviens à ma démarche comparative qui a consisté d’abord à
confronter les deux textes pour voir quels rapports pouvaient être établis, sur la base de cette
intuition initiale, entre l’œuvre de Cortázar et celle de Goethe. Il était important que cette
confrontation se fît de façon brute, par le simple relevé, dans le texte allemand que je devais
lire sans aucun recours à la critique savante, des éléments qui, d’une façon ou d’une autre, me
rappelleraient autant d’éléments cortazariens.
Dans une deuxième étape, je m’interrogeais sur la probabilité d’une lecture de Goethe
par Cortázar et sur les vraies correspondances entre leurs théories respectives.
L’esprit profondément imprégné par l’étude méthodique de Rayuela que je venais
d’achever peu avant, je me suis mis à lire les Affinités électives dans la traduction française de
Pierre du Colombier, réalisée pour l’édition de 1954 de Gallimard. Je ne lirais donc pas
l’auteur allemand comme je l’aurais fait après avoir parcouru les pages de Tintin au Congo ou
celles de quelques aventures de Conan le barbare. J’allais le décrypter en y cherchant
volontairement, de façon maniaque et obsessionnelle, les ombres projetées par le Rayuela de
Cortázar et de Morelli.

61
Et les rapports entre les deux œuvres ne manquèrent pas de se présenter en nombre. Le
plus frappant était effectivement celui que l’on pouvait établir entre le chapitre 62 de Rayuela
et le IV de la Première partie des Affinités électives.
La similitude entre les deux chapitres tient pour l’essentiel à la théorie présentée dans
l’article de L’Express d’une part et à celle exposée par le capitaine et le baron Édouard,
personnages de Goethe, d’autre part. Dans les deux cas, on soutient que les comportements
humains ne résultent pas de décisions individuelles, tels que les vieilles notions de la
conscience, du libre arbitre et de la psychologie les auront fondés, mais de procédés
chimiques divers. Dans l’article de L’Express, il s’agit plus particulièrement d’expliquer le
rôle des protéines dans le fonctionnement des neurones et dans les prises de décisions du
cerveau. Dans les propos du capitaine et du baron, il s’agit d’établir les correspondances
secrètes entre plusieurs âmes humaines, correspondances expliquées au moyen d’une analogie
avec la chimie.
Mais là ne s’arrêtent pas les similitudes mises au jour entre les deux chefs-d’œuvre.
Ainsi, l’obstination des personnages de Goethe à aménager le domaine du baron Édouard et
de sa femme Charlotte selon des normes à la fois esthétiques et rationnelles traduit une
volonté ingénue de maîtriser l’espace grâce aux préceptes optimistes des Lumières et afin de
donner un sens à une nature désordonnée, labyrinthique et peu adaptée à l’homme, à ses goûts
et à ses capacités physiques de promeneur nonchalant 3 . L’analogie entre les deux œuvres
apparaît lorsque cette tentative de régler la nature en jardin 4 échoue à deux occasions, après
que le projet d’ordonnancement classique du capitaine et de Charlotte a été altéré par la fièvre
romantique d’Édouard (Paul, par. 16-17). Ces occasions sont toutes deux liées aux pulsions
amoureuses entretenues par le baron et Odile, qui libèrent la force meurtrière de l’eau et
provoquent la noyade de deux enfants, un premier qui sera sauvé in extremis, un deuxième
qui mourra. Espace, labyrinthe, tentatives infructueuses et inconséquentes pour dominer la
sauvagerie d’un territoire traversé par des forces secrètes, transformation de l’espace physique
en espace mental : voilà qui est parfaitement cortazarien (voir García-Romeu 168-172 et
Mora 127-128). Il est même possible de considérer que le jardin et le paysage constituent le
roman goethéen dans un rapport autoréférentiel, de même que le labyrinthe, le mandala et la
marelle constituent le roman cortazarien.
Les analogies possibles se multiplient lorsque la théorie chimique des Affinités électives
tourne, sous l’influence d’un spiritualisme romantique, à une curieuse alchimie imprégnée de
surnaturel. Ainsi, le nourrisson noyé, dont la mort rappellera celle de Rocamadour (et celle,
par noyade également mais jamais confirmée, de la Maga), est le résultat d’une conception
magique. Il est bien le fils du baron Édouard et de la baronne Charlotte, mais il a les yeux
d’Odile, que le baron aimait au moment de la conception, et les traits du capitaine, qui était à
ce moment même aimé par Charlotte. Il serait alors une sorte de fils naturel du capitaine et
d’Odile, qui pourtant ne s’aiment pas, mais qui se croisent magiquement à travers l’amour du
baron pour Odile et de la baronne pour le capitaine. Cette géniale trouvaille de Goethe ne
renvoie, autant que je puisse en juger, à aucun événement concret de Rayuela. Elle participe
pourtant à manifester les forces qui réalisent un dessein secret en contrôlant les personnages et
en agissant au-delà de leur volonté objective. Cela est encore très cortazarien. Le jeu actantiel
mis en place par l’écrivain allemand révèle ainsi la fonctionnalité magique du carré amoureux
— « sumamente trismegístico » comme dirait Horacio Oliveira (chapitre 46, 439-440) — qui
rappelle les relations ambiguës des triangles et des carrés amoureux de Rayuela. À ce propos,
Horacio juge ainsi ses relations avec Talita et Traveler : « —Ustedes, che, a lo mejor son ese

3
À propos du paysage dans le roman de Goethe, voir Jean-Marie Paul.
4
Régler la nature en jardin, c’est également ce que propose le chapitre 134 de Rayuela, qui reproduit les conseils
de jardinage de l’Almanach Hachette.

62
coagulante de que hablábamos hace un rato. Me da por pensar que nuestra relación es casi
química, un hecho fuera de nosotros mismos » (chapitre 46, 439).
La lecture relève encore d’autres similitudes : la fragmentation auctoriale produite dans
le roman de Goethe par le journal d’Odile et diverses lettres, dans celui de Cortázar par la
reproduction des notes de Morelli et de nombreux articles de journaux ; la relation des fêtes et
des réunions de salon où l’on débat, en Allemagne, avec autant d’esprit que dans les
appartements parisiens5, etc.
En suivant le mouvement de retour chronologique proposé par Jorge Luis Borges, la
lecture des Affinités électives à travers la clé cortazarienne aura permis d’interpréter ainsi
l’esthétique goethéenne selon un prisme peu conventionnel, probablement discutable aux
yeux du spécialiste en littérature romantique allemande, mais parfaitement légitime au regard
de la théorie borgésienne de la souveraineté de l’interprétation. Elle aura surtout mis en
évidence des rapports dont il convient d’analyser plus précisément la nature.
Il reste donc à savoir s’il est également légitime, après cette lecture renversée, de revenir
à la chronologie historique positive et de se demander, non si la lecture première de Cortázar
détermine de façon éclairante la lecture seconde de Goethe, mais si les analogies entre les
deux romans sont le produit d’une influence réelle et directe de l’écrivain allemand sur
l’argentin, question secondaire si l’on suit les préceptes de Borges, mais à laquelle il convient
de sacrifier par respect envers la démarche critique académique.
L’analogie la plus frappante, je le répète, concerne le chapitre 62 de Rayuela et le
chapitre IV de la Première partie des Affinités électives. Une première étape de notre
raisonnement consistera donc à éprouver la pertinence de notre intuition initiale en nous
rapportant à ces deux chapitres. Dans Goethe, l’exposition de la théorie des affinités électives
s’amorce après qu’Édouard a entrepris de partager avec sa femme et le capitaine la lecture
d’un traité de minéralogie qui développe la question des affinités chimiques. Distraite,
Charlotte associe ces affinités aux relations humaines. Surprise ensuite lorsqu’elle comprend
que le terme est appliqué à des objets inanimés, elle demande à ses amis, plus avertis qu’elle
dans le domaine des sciences naturelles, de lui en expliquer le sens. Il s’ensuit une
conversation spirituelle qui permet d’établir une analogie entre les inclinations amicales et
amoureuses des êtres humains et les réactions de composition et de décomposition des
éléments chimiques, si bien que les personnages finissent par évoquer les relations entre
quatre éléments qui se décomposent et recomposent, annonçant les relations entre Édouard,
Charlotte, Odile et le capitaine, qui subiront analogiquement les mêmes effets :

[…] quatre substances, unies jusque-là deux à deux [déclare le capitaine], sont mises en contact,
elles abandonnent leur ancienne union, et en contractent une nouvelle. Dans cette façon de se
quitter et de se prendre, dans cette fuite et cette recherche, on croit réellement voir une
détermination supérieure, on attribue à ces êtres une sorte de volonté et de choix, et l’on tient
pour entièrement justifié le terme scientifique d’affinités électives (64).

Dans un bel article consacré à la source scientifique de l’inspiration de Goethe, Bernard


Joly rappelle ceci :

5
Le lecteur de Cortázar sera également sensible à l’épisode romantique des tableaux vivants qui évoquera, non
seulement les jeux esthétiques des personnages de Rayuela, mais également le jeu des « attitudes » et des
« statues » de « Final del juego », nouvelle éponyme du recueil publié pour la première fois en 1956 et de
nouveau dans une édition augmentée en 1964.

63
Goethe avait […] lui-même indiqué, dans une lettre de juin 1809 à un […] de ses amis, qu’il
avait emprunté son titre à un traité du chimiste suédois Torbern Bergman publié en latin en 1775,
De attractionibus electivis, et traduit en allemand dès 1782 sous le titre Die
Wahlverwandtschaften, ce qui est le titre même du roman (Par. 7).

Joly démontre ensuite certaines analogies terme à terme entre passages de ce traité et
passages du chapitre IV des Affinités électives (par. 15, 16 et 17). Je retiendrai surtout cette
idée, qui vise à démontrer que Goethe croit en une détermination des actions humaines qui
échappe à la conscience et au libre arbitre :

[Dans une annonce de son roman] Goethe signale l’origine anthropomorphique du concept
d’affinité, mais en même temps il justifie la pertinence du rapprochement [avec les phénomènes
chimiques], qui ne peut donc pas se réduire à une métaphore (Gleichnisrede), en invoquant
l’unité de la nature dont les lois font sentir leur nécessité jusqu’au cœur des libres décisions
rationnelles. […] si les lois de la physique et de la chimie sont aussi celles des relations entre les
êtres humains, et donc de la morale et de la politique, ce n’est pas que les secondes se réduisent
aux premières, mais plutôt que les unes et les autres sont l’expression de lois de la nature plus
fondamentales (Par. 12).
Ainsi, la seule chose qui distingue les êtres humains des molécules d’acide ou de métal, c’est que
la conscience qu’ils ont de leur situation leur donne l’illusion qu’ils pourraient s’opposer aux lois
de l’affinité, alors que leur bonheur ne peut être que dans l’adhésion aux forces naturelles qui les
entraînent contre toute raison et contre toute loi humaine (Par. 33).

Joly observe par ailleurs que le débat entre les personnages concernant ces affinités
chimiques annonce la façon dont leurs sentiments réciproques vont par la suite se constituer.
S’ils ne mesurent pas exactement toutes les implications prédictives de ces analogies, ils ont
bien conscience de leur existence, puisqu’Édouard et Charlotte sont les premiers à produire
l’analogie entre rapport chimique et rapport d’amitié. Joly en déduit qu’il n’est « pas si
fréquent que dans un roman les personnages évoquent les procédés littéraires qu’utilise
l’auteur pour les faire exister » (par. 2). Cortázar, en tout cas, le fera dans Rayuela. Les
triangles et carrés amoureux qui obéissent à des tensions surnaturelles et qui se projettent dans
la matière du roman argentin sont donc bien présents, déjà, dans le roman allemand.
Tant de similitudes et de correspondances métatextuelles devraient trouver, en toute
logique, une explication fort simple : Cortázar tire directement son inspiration de Goethe.
Déterminer l’influence d’un écrivain A sur un écrivain B n’est pourtant pas si simple.
Pour y parvenir, le critique dispose des créations littéraires de B où il pourra déceler des
traces de A, comme je viens de m’y exercer. Par ailleurs, B aura pu également offrir des
commentaires (essais, mémoires, entretiens…) révélant expressément son tribut envers A.
Mais si les traces relevées dans le texte littéraire sont implicites et si les commentaires ne
confirment pas l’influence décelée, alors, le critique sera réduit à élaborer des hypothèses plus
ou moins convaincantes. Je rappelle par ailleurs que relever ces traces requiert de la part du
critique une certaine culture livresque. Cortázar ne l’ignore pas, quand il déclare en 1980 à
Sara Castro-Klarén :

[…] mis libros […] provocan la necesidad de pensar en libros como objetos abiertamente
intertextuales […]. Una persona con un nivel cultural más o menos primario leerá un libro sin
comprender la intertextualidad […]. En tanto en un nivel superior de cultura […], todas las
guiñadas de ojo, las referencias, las citas no directamente citadas pero evidentes, pues, deberán
serle claras […] (Castro-Klarén 34).

64
À titre d’exemple, il faut avoir en tête une phrase écrite en 1924 par André Breton
(Breton 24) pour interpréter justement cette pensée du protagoniste de Rayuela : « las horas
del sueño y la vigilia, había dicho alguien un día, no se habían fundido todavía en la unidad »
(chapitre 56, 495). De même, la citation « Animula vagula, blandula » (chapitre 3, 142) risque
de laisser perplexe un large public. Il n’est donc pas exclu que certaines influences et
certaines références implicites échappent au lecteur de Cortázar. Et l’écrivain ne s’émeut pas
de ce risque, l’identification des références savantes faisant partie d’un jeu intellectuel grâce
auquel l’auteur récompense l’interprète appartenant à la même classe intellectuelle que lui6.
Il reste à savoir si le commentaire d’un texte de Breton exprime une influence esthétique
solide qui mériterait d’être analysée en tant que telle, ou un simple clin d’œil, un signe
permettant de manifester une identité intellectuelle entre le lecteur et l’écrivain. Aussi, une
fois identifiée la référence, faut-il encore mesurer son impact dans l’œuvre cible avant de
pouvoir conclure à l’existence d’une influence effective.
Si la reconnaissance des références implicites n’est pas commode et si elle ne permet pas
de distinguer avec certitude l’hommage ponctuel de l’influence véritable, c’est que l’auteur B
est rarement disposé ou même capable d’offrir, dans ses commentaires, une représentation
objective et claire des influences en jeu dans son œuvre. En effet, par rapport à un écrivain A
l’ayant inspiré, l’auteur B suivra selon les cas diverses stratégies plus ou moins conscientes :
(1) Il pourra le citer et lui rendre hommage, comme le fera souvent Cortázar avec
Borges, Arlt, Marechal, Jarry…
(2) Il pourra également taire son nom de façon délibérée afin de ne pas reconnaître une
influence qui risquerait de réduire ses propres mérites ou qui pourrait lui nuire à un moment
particulier de sa carrière où il souhaite dissimuler cette influence pour diverses raisons. C’est
encore ce que fait Cortázar en 1982, et de nouveau avec Borges, dans sa réponse à un
questionnaire (Zanetti 461) où il omet de nommer le maître argentin au moment où il
revendique par ailleurs, sous l’effet d’une conception exigeante de la responsabilité politique,
un engagement intellectuel fort éloigné de la frivolité que Borges entretient dans ce domaine.
Voilà qui démontre que citer ou ne pas citer, reconnaître une filiation ou ne pas la reconnaître,
obéit à des logiques mouvantes, discontinues, déterminées par une conjoncture particulière et
par l’image que l’écrivain B souhaite donner de lui-même à un moment précis.
(3) Il reste une troisième possibilité — problématique pour le critique, car elle peut être
difficile à détecter — qui représente l’un des principaux ressorts de la constitution de
l’Intertexte général : l’écrivain B peut se placer sous l’influence de diverses lectures plus ou
moins oubliées ou plus ou moins approfondies qui l’inspirent et agissent sur son œuvre,
parfois à son insu. Ces influences peuvent provenir : (1) de livres lus et oubliés, partiellement
ou entièrement ; (2) de livres non lus, mais dont l’auteur a une connaissance indirecte grâce
au système de commentaires propre à l’Intertexte… À ce propos, on se rapportera avec intérêt
à l’essai de Pierre Bayard, Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ?, étude qui
s’applique à fonder les notions de savoir lecteur et de bibliothèque intérieure — y compris en
considérant l’influence probable des livres qu’on n’a pas lus — qui pourrait servir à décrire
les sources d’inspiration intertextuelles des écrivains. Ce travail du critique français révèle en
effet les nombreuses voies par lesquelles un lecteur averti peut prendre connaissance, sans le
lire, d’un livre donné7. Bayard observe ainsi que plus on a lu, moins on a besoin de continuer
à lire pour connaître les textes non lus en raison de la capacité gagnée à extrapoler et à relier
les livres entre eux à partir de simples indices. Mais de même, plus on a lu, plus on est

6
Cet interprète averti n’est autre que le « lecteur complice » dont parle Morelli au chapitre 79 de Rayuela.
7
« […] de nombreux livres apparemment non lus ne sont pas sans exercer des effets sensibles sur nous, par les
échos qui nous en parviennent » (Bayard 16).

65
susceptible d’oublier ce que l’on a lu. Et Cortázar aura été, nous le savons, un jeune lecteur
boulimique. Dans le cas qui nous intéresse, celui de sa lecture ou de sa non-lecture des
Affinités électives, il est probable, en raison de sa vaste culture livresque, qu’il ait, sinon lu les
Affinités électives, tout au moins pris connaissance de la théorie chimique concernant les
inclinations sentimentales qui y sont exposées. Mais, dans les faits, l’auteur argentin n’a cité
l’écrivain allemand que très rarement. Dans Rayuela même, si son nom est mentionné deux
fois (aux chapitres 6 et 84), rien de précis n’est dit de son œuvre. Dans une lettre du 4 janvier
1939 adressée à Luis Gagliardi (Cartas 1 45), Cortázar rapporte qu’il est en train de lire
Faust. Plus tard (49), parvenu au bout de sa lecture, il opine que Goethe est un grand écrivain,
qui a cependant mal vieilli. Dans sa correspondance à son ami poète Arnaldo Calveyra (9 août
1967, Cartas 3 483), il déclare qu’il a assisté à une représentation du Triomphe de la
sensibilité, œuvre de théâtre de Goethe mise en scène par Jorge Lavelli. Outre que cette
dernière référence est postérieure à la publication de Rayuela, elle n’éclaire pas sur la
connaissance que Cortázar avait de l’ensemble de l’œuvre de Goethe. Quant au catalogue de
la bibliothèque parisienne de Cortázar qui se trouve à la Fondation Juan March, il n’enregistre
aucun titre de l’auteur allemand8. Ainsi, rien ne prouve que Julio Cortázar ait construit son
chapitre 62 sous l’influence des Affinités électives.
Aussi, suis-je condamné à élaborer trois hypothèses, toutes difficiles à confirmer :
(1) La première hypothèse est celle d’une référence délibérée : Cortázar, du fait de sa
voracité de lecteur et de sa vaste culture générale, connaissait la théorie des affinités de
Goethe qu’il avait probablement découverte dans le texte même ou dans des citations et
études diverses, une œuvre pouvant ainsi être connue sans avoir été lue. Il écrivit donc le
chapitre 62 en ayant en tête l’œuvre de Goethe.
(2) La deuxième hypothèse est celle de la coïncidence : Cortázar tombe sur une théorie,
celle du chercheur (suédois) Viktor Holger Hydén, qui rappelle celle de Goethe, basée sur
celle du chimiste (également suédois) Torbern Bergman. Tout comme Goethe, il se pose la
question du libre arbitre et des forces qui guident l’homme dans ce que celui-ci croit être des
initiatives et des sentiments propres. C’est une question de fond que Goethe et Cortázar ont
pour inquiétude commune et qui relève d’un paradigme philosophique durable, déjà ancien,
que les théories de deux chercheurs suédois, à 150 ans de distance, vont soudain projeter sous
les yeux des deux écrivains.
Ces deux hypothèses ne s’excluent pas nécessairement, l’écrivain argentin ayant pu
activer, du fait de sa curiosité pour les questions soulevées par les recherches de Viktor
Holger Hydén, une réminiscence plus ou moins précise et consciente de Goethe.
(3) En tout dernier lieu, il reste l’hypothèse de l’interprétation déterminée par le parti pris
de l’expérimentateur : il est en effet envisageable que ce jeu d’analogies n’ait été mis au jour,
comme les hrönir que Jorge Luis Borges attribue aux archéologues de Tlön 9, que par ma
réception, conditionnée par des a priori qui pourraient être parfaitement infondés et dont je
me suis convaincu de la pertinence à partir d’une vague et fragile intuition. Après tout, la
physique quantique nous a enseigné que le regard de l’expérimentateur modifiait l’objet de
l’expérience.
Je laisse le lecteur trancher, ou ne pas trancher, entre ces hypothèses.

8
Voir le site de la Fundación Juan March : <https://www.march.es/bibliotecas/repositorio-
cortazar/index.aspx?l=1>. Consulté le 3 décembre 2018.
9
Dans l’univers non cartésien de Tlön, les hrönir sont des vestiges archéologiques dépourvus d’existence
tangible qui se matérialisent au moment de leur exhumation après avoir été imaginés par l’archéologue (Borges,
1996a 439-440).

66
A Queremos tanto a Glenda

67
Queremos tanto a Glenda en palabras de Julio Cortázar: Algunas notas
sobre su génesis, proceso de creación e intenciones

Victoria Ríos Castaño


Coventry University

ad1508@coventry.ac.uk

Résumé :
L’objectif de cette brève étude est la contextualisation de Queremos tanto a Glenda selon les
déclarations de Cortázar dans certaines lettres et entretiens. Parmi d’autres sujets, l’essai
aborde le titre, l’importance du métro et de l’art dans la rédaction de « Graffiti » ainsi que la
réflexion de Cortázar sur le débat qu’il aspirait à susciter avec « Recortes de prensa ».

Mots-clés :
Correspondance, entretiens, métro, art, politique

Resumen:
El objetivo de este breve estudio es el de contextualizar Queremos tanto a Glenda de acuerdo
con las declaraciones que Cortázar vierte en diversas cartas y entrevistas. Entre otros temas,
descubrimos el porqué del título, la importancia del metro y del arte en la redacción de
“Graffiti” y la reflexión de Cortázar en torno al debate que esperaba suscitar con “Recortes de
prensa”.

Palabras clave:
Correspondencia, entrevistas, metro, arte, política

Abstract:
This brief study seeks to contextualize Queremos tanto a Glenda following Cortázar’s
declarations in several letters and interviews. Among other topics, the essay concerns with the
title, the importance of the underground and art in the composition of “Graffiti”, and
Cortázar’s reflection on the debate that he aspired to encourage with “Recortes de prensa”.

Keywords:
Correspondence, interviews, underground, art, politics

69
Cuenta Cortázar, en una entrevista anónima publicada en el mismo año de Queremos tanto a
Glenda (1981), que esta obra se salvó del “canasto de los papeles” por tratarse de una
colección en la que sometió cada uno de sus cuentos a “una serie de pruebas” antes de
determinar cuál “era publicable” (Cortázar, “Julio Cortázar” 101). Lejos de bajar la guardia, el
escritor consagrado se había vuelto a enfrentar a sí mismo mediante la relectura y reescritura
de unos relatos que, aun siguiendo la misma línea de “todos los que he escrito hasta hoy”,
como afirma en otra entrevista con Miguel Gil, “son más meditados, más reflexivos”
(Cortázar, “Queremos tanto a Cortázar” 78). Tal afirmación podría defenderle de la sospecha
que cernía sobre él en aquel momento, ya que Gil le pregunta si teme que la intensidad de sus
compromisos políticos esté eclipsando su actividad literaria. Cortázar, tajante, manifiesta su
capacidad para establecer una “necesaria distancia y trat[ar] de conservar un mínimo de
tiempo para [su propia] tarea” (Cortázar, “Queremos tanto a Cortázar” 76). Como prueba
fehaciente nos ofrece Queremos tanto a Glenda y su firme convicción de seguir “escribiendo
y trabajando […], en temas que no tienen nada que ver con la política” mientras “ha[ce] lo
posible por la defensa de los valores de la democracia en América Latina” (Cortázar,
“Queremos tanto a Cortázar” 76). Así pues, en ese mismo año el autor subraya su
involucración en las reuniones de la CADHUS (Comisión Argentina de Derechos Humanos)
y confirma que ha logrado: “una especie de utilización del tiempo que me permite […]
aprovechar algunas semanas o algunos días y concentrarme en lo mío, dejando un poco de
lado otro tipo de actividades” (Cortázar, “Queremos tanto a Cortázar” 76).
En la correspondencia que manejamos de la época, desde finales de los setenta hasta la
publicación de Queremos tanto a Glenda, se puede extraer información sobre ese trabajo
definido como “mío”—entendemos que su actividad literaria—así como sobre la
imposibilidad de consagrarle tiempo1. Sus destinatarios de la época son, como lo somos ahora
nosotros, receptores del momento biográfico en el que los cuentos de Queremos tanto a
Glenda se conciben y pasan por “una serie de pruebas”, como afirma el escritor. Rescatamos,
a continuación, algunos ejemplos que nos ponen en la órbita de este contexto. En carta
fechada en mayo de 1977 a la crítica norteamericana Evelyn Picón Garfield, Cortázar repite
por enésima vez que sus compromisos políticos están haciendo mella en su labor como
escritor de ficción. “Estoy en París”, le dice, “trabajando mucho aunque no en literatura. Chile
y Argentina me llevan mucho tiempo en numerosas actividades que puedes imaginarte, y que
además suponen viajes, mesas redondas, artículos” (Cortázar, Cartas 5, 53). Esta situación se
extiende hasta el verano, en Saignon, otrora refugio literario. En otra carta de agosto de 1977,
a su amiga boliviana Rosario Santos, Cortázar escribe que trabaja: “como un loco para
quitarme de encima un montón de obligaciones y poder partir [a Canadá] con la conciencia lo
más tranquila posible […]; cuatro textos diferentes me esperan de aquí a mi partida”
(Cortázar, Cartas 5, 75). De su correspondencia se desprende que tres de esos “cuatro textos”
a los que alude serían: la adaptación radiofónica Adiós, Robinson, la puesta a punto final de
Territorios (1978) y, quizá, su ponencia en el Rencontre québecoise des écrivains de
Montreal, del 2 al 7 de octubre, titulada “El escritor y el lector en América Latina”.
Comenzado ya 1978, Cortázar transita, una vez más, en doble sentido; por una parte
como personaje público y comprometido con actividades políticas y, por otra, como escritor
con obligaciones hacia sus lectores críticos. Así, en febrero de 1978, Cortázar se disculpa ante
su amigo, Jaime Alazraki, con quien suele intercambiar comentarios analíticos que el crítico
le realiza sobre su obra, por contestar “con un majestuoso retardo”: “La culpa no la tengo
enteramente yo”, prosigue el escritor, “sino gentes que se llaman Videla, Pinochet, etc. Vivo
entre dos aviones o dos trenes: Cuba, Argelia, Bruselas, Toulouse… Reuniones, comisiones,

1
Remitimos al quinto volumen de la selección de cartas de Cortázar, editada por Aurora Bernárdez y Carles
Álvarez Garriga.

70
mesas redondas destinadas a informar al público europeo de lo que pasa en nuestros países”
(Cortázar, Cartas 5, 103). Esa manera de “informar al público” se traduce en ponencias, como
la leída en Cerisy, titulada “América Latina: exilio y literatura” (1978), así como en
colaboraciones periódicas con la agencia EFE y Papel Literario (sección del periódico El
Nacional de Caracas). Sabemos, por ejemplo, que en julio de 1978 Cortázar se compromete
con Luis María Ansón, director de la agencia EFE en Madrid, a enviar “una colaboración por
mes sobre un tema libre, de una extensión aproximada de tres folios a máquina, a doble
espacio” (Cortázar, Cartas 5, 115). Con respecto a Papel Literario, Cortázar le haría llegar a
su director, Luis Alberto Crespo, artículos varios como “Cuba: ausencias y presencias”, “Bajo
nivel”, “Ventanas a lo insólito” y “Veinte años después”2.
En este vaivén de viajes, reuniones, artículos, ponencias y ensayos periodísticos, a
Cortázar le ronda por la cabeza la futura publicación de un nuevo volumen de cuentos. Uno
de los relatos que se sienta a escribir se titula “Ciao, Verona”, como le cuenta a Alazraki en
1978, y no superará las “pruebas” a las que Cortázar lo somete—recordemos que se integra
póstumamente en Papeles inesperados. Se trata, en palabras del autor, de un cuento largo que
le había costado concluir, con el que había sufrido, debido a su carga autobiográfica. El autor
compensa el esfuerzo con la redacción simultánea de otros microcuentos, con los que, según
le sigue explicando a Alazraki: “me he divertido […] [;] se van juntando despacito, y […]
espero podrás leer[los] pronto” (Cortázar, Cartas 5, 103). La cita nos revela que como en
ocasiones anteriores—pensemos en el período de redacción simultánea de 62, Modelo para
armar y La vuelta al día en ochenta mundos—Cortázar juega a dos bandas. Equilibra su
balanza creativa mediante la redacción de un texto que le incomoda, que le supone esfuerzo—
”Ciao, Verona”—, y a su vez la de otro con el cual da escape a su creatividad literaria—Un
tal Lucas.
Una vez depositados en imprenta—Un tal Lucas se publica en 1979—, Cortázar
aprovecha el verano, como había sido habitual en su calendario antes de entregarse a causas
políticas, para pulir su nuevo volumen de cuentos, ya esbozados, que titulará Queremos tanto
a Glenda. En este sentido merece la pena citar unas líneas de la carta que el escritor le envía a
su amigo, el académico y traductor norteamericano Gregory Rabassa, a principios de julio de
1979. Cortázar y su pareja, la escritora canadiense Carol Dunlop, van a pasar seis semanas en
la casa que su exmujer, la traductora Aurora Bernárdez, les ha cedido en Deià (Mallorca). En
este escenario idílico Cortázar espera: “terminar de revisar un libro de cuentos y ponerme al
día en materia de lecturas” (Cortázar, Cartas 5, 189). Durante el verano el escritor sigue
confiando, además, en la crítica constructiva de sus más fieles amigos. Dos de los cuentos que
le resultan, en sus propias palabras, “difíciles de juzgar por ahora” (Cortázar, Cartas 5, 189),
se los remitirá a Bernárdez en ese mismo mes de julio: “Anillo de Moebius” y “Clone”3.
La labor de sus vacaciones estivales da sus frutos. Cortázar se muestra satisfecho con los
comentarios de sus primeros lectores críticos y Queremos tanto a Glenda ve la luz en 1980,
dividido en tres secciones, por una razón que el autor esclarece en una entrevista concedida un
año después de la publicación a la periodista Hortensia Campanella. Cortázar sostiene que no
existe:

2
Consultables en el sexto volumen de Galaxia Gutenberg, que recoge la obra crítica escrita por Cortázar.
3
Otro de sus receptores había sido su amigo Juan Carlos Onetti. Al escritor uruguayo le había hecho llegar
“Queremos tanto a Glenda” un año antes, en septiembre de 1978, con la siguiente advertencia: “Uno de los
lectores lo encuentra frío y esquemático. Yo pienso que si bien tiene la forma de un rapport un tanto seco, lo otro
circula por debajo. En todo caso a mí me gusta” (Cortázar, Cartas 5, 140). Cortázar ya le había intentado “colar”
la lectura de este cuento anteriormente. En julio de 1978 Onetti le había pedido un relato inédito para la revista
en la que trabajaba, La Estafeta Literaria, y Cortázar prueba a sacar el máximo rédito posible: “Desde luego
acepto con alegría […] la invitación de colaborar en la estafeta literaria. Tengo un cuento inédito [“Queremos
tanto a Glenda”] [S]i en vez de 300 me pagaran 400 dólares, me parecería bastante justo, pero si no se puede,
decímelo vos mismo y yo estaré de acuerdo” (Cortázar, Cartas 5, 122).

71
unidad en cuanto a temas; creo que existe la unidad que debe haber en todos mis libros de
cuentos: se siente que es el mismo escritor que los escribió a todos, aunque después sean muy
diferentes como intenciones, propósitos e incluso resultados. Su posible unidad viene de dos
cosas: primero, que yo los ordeno lo mejor posible, de manera que el lector pase de uno a otro
sin choques excesivos, o tal vez con choques, pero que yo provoco, y, en segundo lugar, lo que te
decía, la unidad de estilo (Cortázar, “Hago el amor con el idioma” 43).

Nuestro breve estudio no alberga la esperanza de descifrar esa “unidad estilística” ni el


porqué de la inclusión o falta de choques entre cuentos a los cuales se refiere Cortázar, sino
que pretende reanudar la línea establecida hasta ahora, es decir, la de aportar algunas notas
sobre la génesis, proceso de creación e intenciones de algunos de estos cuentos, según las
palabras del propio Cortázar. Nos proponemos cumplir con este objetivo mediante el rescate
de algunas de las declaraciones realizadas por Cortázar tanto en su correspondencia como en
las entrevistas concedidas al poco de publicarse la colección.
Como ocurrió en el caso de Alguien que anda por ahí—publicado por la editorial
Hermes en México en 1977, tras el intento de censura por parte de la Junta Militar argentina
de dos de sus cuentos, “Segunda vez” y “Apocalipsis de Solentiname”—, Queremos tanto a
Glenda se imprime por primera vez fuera de Argentina, en otra editorial mexicana, Nueva
imagen. Así se lo cuenta a su madre, de soslayo, en una carta de abril de 1980: “terminé en
París un nuevo libro de cuentos, que serán publicados dentro de pocos meses por una editorial
mexicana. Esta vez no puedo darlos a mi editor argentino porque hay algunos cuentos que no
podrían publicarse en las condiciones actuales, de modo que tengo que recurrir a otro editor”
(Cortázar, Cartas 5, 251). De sobra es conocido que tres de esos cuentos que denuncian “las
condiciones actuales”— la Junta Militar y el drama de los desaparecidos—se titulan “Texto
en una libreta”, “Graffiti” y “Recortes de prensa”. Sobre la concepción e intenciones de este
último Cortázar aporta detalles clave en dos entrevistas de 1981.
En la primera, anónima, Cortázar responde a la pregunta de cómo le ha nacido una vez
más, tras la experiencia de “Segunda vez” y “Apocalipsis de Solentiname”, una clara
intencionalidad política:

Por la prensa me llegó la noticia que está reproducida exactamente en el cuento. Cuando leí esa
noticia, que es la crónica de una de las muchas monstruosidades cometidas contra la población
civil argentina: la historia de una madre que perdió prácticamente a toda su familia, a la que
mataron su hija en condiciones monstruosas y a la que mostraron las manos de su hija en un
frasco con alcohol como único resto de su cuerpo. Tú puedes comprender el efecto que esto me
produjo. Es una noticia más entre otras miles, pero no puedo decir por qué esa noticia tuvo en mí
un efecto muy profundo y me trabajó, por así decirlo, durante días y días. Entonces, lentamente,
me puse en la situación de alguien a quien se le crease un estado de ánimo tal que entrara en una
situación como la que sucede en el cuento. Es decir, que bruscamente se pasa de un clima
totalmente realista como es esa noticia, a una situación de relato fantástico (Cortázar, “Julio
Cortázar” 98).

En la segunda entrevista, concedida al periodista y escritor colombiano Antonio


Caballero, Cortázar va más allá de la génesis y el proceso de creación y revela su cometido
final. “Recortes de prensa” es un relato que “le caerá mal a la gente”, sostiene el escritor:

porque es una tentativa por evitar los maniqueísmos: los torturadores de un lado, las víctimas del
otro: los torturadores todos malos, las víctimas todas buenas, sin estudiar las múltiples

72
ambivalencias que hay en ese juego, sin descubrir en nosotros tantos componentes turbios… Es
un rechazo a la posición de muchos exiliados —el argentino de la tarjeta de visita—, que es la
muy cómoda de considerarse ángeles, víctimas totales, admirables por el hecho de ser víctimas
(Cortázar, “La condición del exilio” 101-102).

Una de las ideas generales que se desprende de ambas citas es el compromiso político
que Cortázar le concede al cuento. Sin embargo, no debemos caer en la tentación de
generalizar. En otra entrevista de 1981 a la periodista Blanca Berasategui, Cortázar se
distancia de la imagen que podríamos conjurar de él como escritor que ha entregado su pluma
a causas políticas, y advierte que, por el contrario, huye de ser un escritor “de los que llaman
comprometido”:

porque si un hombre, una persona, pone su literatura al servicio de un mensaje ideológico,


sacrifica esa literatura. No hay duda de ello. Así, cuando escribo ahora un cuento ajeno a mis
preocupaciones políticas, que son, como te digo, de primer orden, en estos momentos, me siento
muy feliz. Además, posiblemente esté consiguiendo así algo más positivo que cuando escribo,
por ejemplo, “Recortes de Prensa”, el cuento que incluyo en este último libro (Cortázar,
“Frondoso y apacible Julio Cortázar” 43).

Estas declaraciones nos remontan al comienzo del presente estudio, en el que


presentábamos ese pulso constante entre política y literatura. Observamos que la balanza se
inclina hacia su vena creadora ya que confiesa sentirse más “feliz” o satisfecho con la
creación de un texto apolítico4. De hecho, Cortázar continúa la entrevista argumentando que
sus cuentos puramente literarios—podríamos conjurar que de corte fantástico—, sirven de
mayor apoyo que aquellos en los cuales subyace el mensaje político. “Yo sé que me leen en
todas partes”, afirma, “que llego a las cárceles argentinas, que mis compatriotas están
conmigo cuando me leen, a lo mejor más que si escribiera panfletos políticos. Porque tú sabes
muy bien que la literatura es una de las formas de llegar más a todos los frentes” (Cortázar,
“Frondoso y apacible Julio Cortázar” ix).
Su intención de “llegar a todos los frentes” se manifestaría en el hecho de que los relatos
que conforman Queremos tanto a Glenda no sólo incorporan un mensaje político sino que
convocan además viejos temas cortazarianos: el metro, los recortes de prensa—que Cortázar
colecciona y que le sirvieron para escribir Rayuela y Libro de Manuel—, la música5, los
4
A este respecto afirma en la entrevista anónima de 1981: “Yo soy un creador de ficciones, soy un hombre que
se mueve en un mundo de lo fantástico y de lo imaginativo con más soltura que dentro del realismo. Entonces el
problema básico está en introducir, cada vez que sea legítimo hacerlo, o sea, cada vez que yo siento la necesidad
de hacerlo, un contenido de tipo ideológico, un mensaje de tipo político; pero sin forzarlo jamás. Es decir, que
cuando eso viene, es necesario para el relato, entonces yo lo agrego; y tengo la impresión de que a veces consigo
lo que me propuse [...]. Lo importante en ‘Recortes de prensa’ es que no sacrifico la política a la literatura y
mucho menos la literatura a la política. Es un problema muy difícil que yo defino como un problema de
convergencia, de aproximar los dos elementos sin que el uno perjudique al otro, y sobre todo, sin que uno exija
el sacrificio del otro. Tú sabes lo poco y lo malo que dio el llamado realismo socialista, en donde las calidades
estéticas fueron rebajadas, disminuidas en el campo de la prosa y en el campo de la poesía” (Cortázar, “Julio
Cortázar” 98-99).
5
Así se refiere Cortázar, por ejemplo, a la redacción de “Clone”: “Soy un gran oyente de música, amo mucho la
música y escucho horas y horas, cuando tengo tiempo, música. Entonces, claro eso se siente en la literatura. Es
una especie de consuelo. Yo soy un poco músico con las palabras, después, escribiendo cuentos donde el tema es
musical. “El perseguidor” es un cuento bastante definitorio en ese plano. Y este cuento, “Clone”, responde al
hecho de que escuchando la “Ofrenda musical” de Bach, que es una obra que yo amo mucho, esa estructura, tan
precisa y tan libre a la vez, de la obra, me hizo pensar en la posibilidad de establecer una especie de paráfrasis
literaria. Ahí ya no había nada de onírico, es realmente un trabajo de preparación. Y entonces, poco a poco, fui
encontrando el camino, es decir, asimilar las voces de los instrumentos a personajes psicológicos que responden

73
sueños6 y la estimulación artístico-visual. Recordemos que Cortázar canaliza su vena artística
colaborando en la creación de las portadas de sus libros así como en la de “libros-objeto”—
realizados en un mano a mano con amigos como el artista Julio Silva—, o dedicando ensayos
a artistas y obras, como en el caso de Territorios (1978). En Queremos tanto a Glenda, un
ejemplo que ilustra esa estimulación visual lo constituye “Graffiti”. En junio de 1980,
Cortázar le comenta al por entonces joven crítico Héctor Yankelevich que su origen se
remonta a sus experiencias artísticas y a las sensaciones, de nuevo, experimentadas en el
metro. Reproducimos de su intercambio epistolar una cita de gran carga informativa en toda
su extensión:

Tal vez le interese saber la génesis del relato. El pintor Tàpies 7 me pidió un texto para su
catálogo de pinturas, y como no soy crítico de arte (ni de nada), me pasé bastante tiempo
mirando obras de Tàpies y hojeando álbumes con reproducciones de sus dibujos. De golpe sentí
que sus pinturas eran casi siempre graffitis, y que la emoción que me traían era la misma que
muchas veces nace cuando se mira distraídamente un panel de publicidad de la cual han sido
arrancados varios carteles y los restos se mezclan formando maravillosas combinaciones del puro
azar. El metro, viejo lugar alucinatorio para mí, es aquel que me proporciona con más frecuencia
esos encuentros de los cuales salgo […] sintiendo que alguien o algo ha querido transmitirme un
mensaje que no siempre soy capaz de alcanzar (Cortázar, Cartas 5, 279).

No deja de resultar curiosa la interpretación de Cortázar; considera que en la génesis de


“Graffiti” subsiste un elemento exterior, ya sean las pinturas de Tàpies u otra situación vivida
en el metro, que le ha enviado un mensaje. Ocurre también, como apreciaremos a
continuación, que la idea o iniciativa para comenzar un cuento le llega de otra
experimentación audiovisual, nada más y nada menos que de la actuación de una actriz en una
obra de teatro. Con esta sugerente idea pasamos a analizar, aunque sea brevemente, el origen
del cuento que da nombre a la colección.
La génesis de “Queremos tanto a Glenda” empieza a desmadejarse gracias a las
indicaciones incluidas en el relato epistolar de Deshoras (1983): “Botella al mar. Epílogo a un
cuento”. El narrador, alter ego de Cortázar, remite una carta a la actriz británica Glenda
Jackson—conocida también en la actualidad por su faceta política, como exmiembro del
partido laborista. Evidentemente, Glenda Jackson es la musa inspiradora de la Glenda Garson
de “Queremos tanto a Glenda”. En esa carta, ese epílogo a un cuento, el narrador-Cortázar le
explica a Jackson por qué había titulado su volumen anterior de cuentos, y por ende uno de
sus cuentos, en honor a su persona: “[S]e debe simplemente a que ninguno de los otros
cuentos tenía para mi esa resonancia un poco nostálgica y enamorada que su nombre y su
imagen despiertan en mi vida desde que una tarde, en el Aldwych Theater de Londres, la vi
fustigar con el sedoso látigo de sus cabellos el torso desnudo del marqués de Sade” (Cortázar,
Cuentos completos 2, 326)8.

un poco a la naturaleza de un violín, de un fagote o de un clavecín. Poco a poco fue saliendo el cuento”
(Cortázar, “Queremos tanto a Cortázar” 78).
6
Cortázar afirma que “Historias que me cuento”: “es una especia de alianza total entre un mundo onírico y
semionírico. Es decir, la imaginación del narrador antes de dormirse, las cosas que él se cuenta a sí mismo y su
relación con la vida de hombre despierto, de hombre cotidiano […]. Del sue o o los sue os me han llegado
muchos elementos de lo que he escrito. Una buena parte de los cuentos son resultados de sueños, a veces de
pesadillas, a veces de sueños agradables. Pero es una especie de indicación de todo un mundo profundo que
luego yo me siento obligado a escribir; si no lo hiciera, tendría una especie de sentimiento de traición” (Cortázar,
“Queremos tanto a Cortázar” 78).
7
Cortázar mantuvo amistad con el artista Antoni Tàpies (Barcelona, 1923-2012), a quien dedica el cuento.
8
Cortázar hace alusión a la representación teatral de The Persecution and Assasination of Marat as Performed
by the Inmates of the Asylum of Charenton under the Direction of the Marquis de Sade, traducción y adaptación

74
Para comprender cómo y cuándo Cortázar pudo haber concebido por primera vez
“Queremos tanto a Glenda” trasladamos al escritor a unas nuevas coordenadas espacio-
temporales: París y Londres, entre finales de 1964 y principios de 1965, 16 años antes de la
publicación del volumen en el que integra finalmente el relato. En diciembre de 1964,
Cortázar busca sensaciones, temas, para los cuentos que terminaría incorporando en Todos los
fuegos el fuego (1966). En la correspondencia conocida que cubre esas fechas, dirigida a
amigos como su antigua traductora Edith Aaron, a su agente literario Francisco Porrúa, y al
también escritor argentino afincado en París, Arnaldo Calveyra, Cortázar cuenta que se ha
estado preparando “espiritualmente” para un viaje a Londres del 6 al 16 de diciembre. Es
decir, se ha sumergido tanto en la lectura de la Encyclopedia of Murder de Colin Wilson and
Pat Pitman—donde figuran por orden alfabético algunos de los asesinos en serie más
conocidos en aquella época, desde Jack el destripador hasta el italo-francés Gaston
Dominici—, como en la novela de Colin Wilson, Ritual in the Dark, que retoma el tema del
destripador londinense. Pero hay más; en esas cartas de finales de diciembre de 1964 y
principios de 1965, Cortázar describe la impactante experiencia que “sintió” en el Aldwych
Theatre londinense. Así le retrata Cortázar a Porrúa la “sacudida” de Marat/Sade, una obra
que le había hecho salir: “partido en mil pedazos, caminé hasta ahora en que he vuelto al hotel
a descansar un poco. Me pregunto si podré dormir, pero qué importa” (Cortázar, Cartas 2,
617). Cortázar se entrega a la tarea de recomponerse de esa experiencia imborrable con la
redacción inmediata de un cuento, “Instrucciones para John Howell”, el cual enviará en mayo
de 1966 a otro amigo, el escritor Ángel Rama, para que se lo publique en la revista Marcha.
Así le describe Cortázar la génesis del relato:

la idea nació mientras yo estaba en el Aldwich [sic] Theater, todavía bajo la terrible y
maravillosa impresión del Sade-Marat dirigido por Peter Brook. Es tal la participación que Brook
exige del público, que de golpe no me pareció absurda la posibilidad de que me vinieran a buscar
para meterme en el escenario. El cuento estaba prácticamente escrito cuando salí del teatro para
ir a reponerme un poco a un pub (Cortázar, Cartas 3, 106).

A la luz de las declaraciones vertidas tanto en la carta-cuento de “Botella al mar” como


en la correspondencia de Cortázar formulamos la siguiente pregunta: ¿es posible que esta
experiencia tan reveladora de Marat/Sade llevara a Cortázar a plantearse otro cuento más
aparte de “Instrucciones para John Howell”? En otras palabras, ¿podría Cortázar haber
esbozado “Queremos tanto a Glenda” en 1965 y pospuesto una revisión final para otro
volumen? Con el fin de responder a esta pregunta planteamos una segunda respuesta que nos
conduce a reflexionar sobre el origen del club elitista de cinéfilos que se forma en torno a
Glenda Garson. Como sabemos, Cortázar tenía experiencia en transvasar las conversaciones y
las actividades de sus grupos o círculos de amistades a la ficción; pensemos, por ejemplo, en
el Club de la Serpiente de Rayuela y en el de la Joda de Libro de Manuel. La singularidad del
grupo en “Queremos tanto a Glenda” radica, no en su nivel intelectual ni en su misión
político-revolucionaria, sino en su pasión por la filmografía de Glenda Garson. Resulta
curioso, en este sentido, que por las fechas en las que podría haber pergeñado “Queremos
tanto a Glenda” Cortázar había entrado en contacto, precisamente, con un grupo de cinéfilos.
De su correspondencia se desprende que en marzo de 1965, justo unos meses después de su
viaje a Londres, Cortázar prosigue sus lecturas sobre vampiros, hombres-lobo y otros

del director británico Peter Brook de la pieza teatral del dramaturgo alemán Peter Weiss, Die Verfolgung und
Ermordung Jean Paul Marats, dargestellt durch die Schauspielgruppe des Hospizes zu Charenton unter
Anleitung des Herrn de Sade, representada por primera vez en 1963. La obra se conoce con el título abreviado de
Marat/Sade.

75
monstruos, alentado por un grupo de cinéfilos que se reunían para ver y hablar de películas de
terror en Saint-Germain-des-Prés. Cortázar afirma, en concreto, que los miembros de este
grupo le facilitan libros de Frankenstein, de “diversos dráculas”—que podemos interpretar
como diferentes versiones del mito—y de King Kong. En otras palabras, cabe la posibilidad
de que Cortázar proyectara en la redacción de su relato algunas de las conversaciones e
incluso las relaciones y características personales que observó entre los miembros. A falta de
pruebas, nos quedamos con la imagen del grupo en la ficción, que Mauricio Zabalgoitia
examina en “Una lectura posmoderna de Queremos tanto a Glenda”:

el personaje que en realidad lleva a cabo los acontecimientos de la narración es “el núcleo”, ese
personaje colectivo que posee unos códigos culturales y sociales muy claros. Estamos hablando
de una burguesía, educada, refinada, con un poder adquisitivo alto, con preocupaciones no
precisamente banales, de un núcleo, que como todo grupo ideológico y de poder, como todo
discurso, posee distintos elementos, que llevan a cabo a su vez distintas funciones. Esta “élite” de
selectos admiradores del arte cinematográfico, bien podría ser una parodia de esa clase cultural y
social que por su condición escapa de las preocupaciones mundanas (Zabalgoitia 8-9).

Desconocemos si Cortázar se propone recrear o más bien parodiar a esa “élite” de


selectos admiradores de películas de terror de Saint-Germain-des-Prés. Lo que sí es cierto es
que el elemento biográfico vuelve a planear sobre el origen del relato, como es habitual en la
obra de Cortázar.
Llegamos a una breve conclusión con la esperanza de haber sembrado las semillas para
un posible debate. Hemos sugerido que la idea inicial de “Queremos tanto a Glenda” podría
haberse concebido durante la redacción de los cuentos para Todos los fuegos el fuego (1966) y
que Cortázar lo habría guardado en el cajón, como había hecho en otras ocasiones—pensemos
en cuentos como “Ciao, Verona”—para retomarlo más adelante. Quizá lo habría pospuesto
para no incluir dos cuentos inspirados en una misma fuente (“Queremos tanto a Glenda” e
“Instrucciones para John Howell”). Lo que sí podemos afirmar es que, como parte integrante
de la colección de Queremos tanto a Glenda, el relato destaca por su valor literario, al igual
que lo hacen el resto de las historias en las que Cortázar vuelve, una vez más, a demostrar su
capacidad para mezclar lo fantástico con la denuncia política, su recreación de la realidad y de
las experiencias vividas, y su fascinación por el arte, la música, el teatro y el cine. Cortázar es
consciente de que la injerencia de sus compromisos políticos está mermando la cantidad de su
producción literaria y se cuida de que no afecte a la calidad; por eso se asegura de que los
cuentos que forman Queremos tanto a Glenda pasan por “una serie de pruebas”, como
citábamos al comienzo de este estudio. En un momento de su vida en el que la literatura le
sigue ofreciendo una válvula de escape, Cortázar opta, igualmente, por escribir cuentos que le
devuelven, tanto a él como a al lector, a sus temas recurrentes.

76
ortá ar en su aler a de espe os

Joaquín Manzi
Sorbonne Université

joachim.manzi@sorbonne-universite.fr

Résumé :
A partir de l’étude des marques et des figures de l’auteur dans Queremos tanto a Glenda, cet
article propose une approche de l’espace du livre et une définition de sa place dans l’ensemble
de l’œuvre de Julio Cortázar.

Mots-clés :
Julio Cortázar, auteur, livre, figures, conte

Resumen:
A partir del estudio de las marcas y figuras del autor en Queremos tanto a Glenda, el artículo
propone un acercamiento al espacio del libro para definirlo dentro de la obra de Julio
Cortázar.

Palabras clave:
Julio Cortázar, autor, libro, figuras, cuento

Abstract:
This study begins with an analysis of the author’s marks and figures in Queremos tanto a
Glenda in order to approach the inner space of the book and define its place in Cortázar’s
literary work.

Keywords:
Julio Cortázar, author, book, figures, short stories

77
1. Dos líneas de fuerza, una línea de fuga

Queremos tanto a Glenda es un libro bisagra entre los últimos volúmenes de cuentos
publicados en vida por Julio Cortázar. Los acercamientos críticos que le han sido dedicados
hasta hoy se pueden reagrupar en torno a dos líneas de fuerza mayores: por un lado, una
escritura de la violencia propia al terrorismo de estado (Morello-Frosch) y al androcentrismo
(Schmidt-Cruz); por otro, el diálogo establecido ahí entre la literatura y las artes de la pintura,
la escultura, la música y el cine (Ramos Ruiz 352-359).
Para enlazarlas y completarlas entre sí, voy a proponer otra, menor, respecto a las
anteriores, pero muy recurrente en tanto que línea de fuga: la representación del escritor a
través de algunas figuras frecuentes: la del soñador despierto, el amante de las mujeres y de
las artes, el sitiado o perseguido por algún enemigo. Estas y otras figuras ficcionales de la
identidad se traman frente a una otredad (femenina o masculina, propia o ajena, benéfica o
maléfica), sin la cual carece de materia y de espesor. Si algunas pocas de ellas consolidan el
perfil público del escritor, uno de las más visibles de la literatura argentina del siglo XX
(Giordano), otras lo cuestionan, señalando un cambio de estética que ha sido poco estimado.
Para llegar a ese punto, uno de los ápices de la obra, veamos enseguida cómo aparece
representada la figura autorial hasta dilucidar algunos secretos tramados en la sucesión de
estos diez cuentos.

2. Cortázar en Queremos tanto a Glenda

En este libro Cortázar practica una escritura poliédrica de la figura autorial, marcada a la vez
por su aversión de la autobiografía y su tendencia lúdica a exponerse de manera parcial pero
múltiple y a veces excesiva (Manzi, Aversiones).
Para observar breve y claramente ese juego literario e icónico, volvamos al retrato
fotográfico realizado por el artista belga Pol Bury, incluído en la página 9 de Último round.
Comparando ese retrato y la foto original, conservada en el Fondo Cortázar de la universidad
de Poitiers, se percibe un trabajo de recorte y montaje, una cinetización, reproducida y
analizada detalladamente en otro artículo (Manzi, Cortar). El retrato cinetizado transforma
totalmente la imagen autorial primera y, aunque hoy esté depositada en aquel archivo, la da
por ausente y perdida, corroborando la imposibilidad de asir cualquier imagen duradera de la
propia identidad personal. Mediante los recortes concéntricos y sus desplazamientos laterales,
el retrato cinetizado publicado en el libro consigue agrandar y desplazar los círculos
recortados en torno al ojo derecho hasta deformar el resto del rostro del escritor, entonces
lampineo. Accesoriamente, cabe recordar que por aquellos años el escritor empezó un
tratamiento hormonal para aumentar su pilosidad, lo cual modificó profundamente su rostro.
En los cuentos, Cortázar realizó un trabajo de recorte y borramiento semejantes con
varios discursos autoriales y géneros íntimos según principios poéticos claramente formulados
desde fines de los años 40:
- el rechazo de la autobiografía: “Se es autobiográfico como se es antisemita: por flojera”
(Imagen de John Keats 501).
- La voluntad de renovarse a sí mismo y transformar la realidad a través del intento de
transponer el arte en la vida: “No soy yo quien vuelve a sí mismo”, (Imagen de John Keats
493).

78
- La concepción poética de la escritura, sea cual sea su actualización discursiva: “Así por
la escritura bajo al volcán, me acerco a las Madres, me conecto con el Centro —sea lo que
sea” (Rayuela capítulo 82 330).
Estos principios rigen también en Queremos tanto a Glenda; aquí la figura autorial
aparece fragmentada, multiplicada y desdoblada. Por un lado están los rastros autoriales no
ficcionales, situados en los umbrales de cinco cuentos y, por otro, están las proyecciones
ficcionales del autor, sus sosías narradores y/o escritores, integrados a la diégesis de otros
cinco cuentos. Todos ellos poseen rasgos comunes:
- parciales, rehúyen de cualquier retrato fehaciente y completo,
- oblicuos, deformados o indirectos,
- plurales, contradictorios entre sí.
Veamos enseguida las formas discursivas adoptadas por esas figuras en los principales
textos del libro.

3. Desdoblándose en varios nombres

“Clone”, el séptimo cuento, está dividido en dos partes: el relato ficcional homónimo y una
“Nota sobre el tema de un rey y la venganza de un príncipe”. Para desentrañar el sentido de
este último título, metatextual, es necesario recordar primero la historia de la Ofrenda musical
transpuesta ficcionalmente en la trama del primero.
En efecto, en un primer plano, histórico y referencial, se encuentran el rey de Prusia,
Federico el Grande, y Johan Sebastian Bach, el músico invitado al palacio para recibir el reto
de improvisar dos fugas en torno a un motivo de invención real, el thema regium. El músico
sumó un trío-sonata y una serie de cánones a las fugas. Cuando anotó en esa partitura regis
iussu cantio et reliqua canonica arte resolute, es decir el tema proporcionado por el rey, con
adiciones, resuelto en estilo canónico, el músico se convirtió en príncipe, persona
sobresaliente entre los demás según la octava acepción del Diccionario de la Real Academia
Española (en línea). Por lo demás, esa nota corresponde al acrónimo ricercar, término
musical sinónimo en aquel entonces de fuga.
En un segundo plano, simbólico y metatextual, la nota posfacial de Cortázar presenta el
modo en que el rey de los compositores, Bach, ha desafiado al escritor, quien se convierte en
príncipe logrando componer una trama ficcional a partir de aquella partitura. El epílogo
metaliterario refiere las circunstancias de redacción y composición del cuento que precede.
Así, Cortázar expone una figura magnificada de sí mismo como creador eximio, enteramente
dueño del arte de cuentista melómano.

Cuando llega el momento, escribir como al dictado me es natural; por eso de cuando en cuando
me impongo reglas estrictas a manera de variante de algo que terminaría por ser monótono. En
este relato la “grilla” consistió en ajustar una narración todavía inexistente al molde de la
Ofrenda Musical de Juan Sebastián Bach. […] Imaginar una acción dramática en ese contexto no
era difícil; plegarla a los sucesivos movimientos de la Ofrenda Musical contenía el reto, quiero
decir el placer que el escritor se había propuesto antes que nada […] (Queremos 393).

Si la apertura de esta nota es seria, no ficcional, su cierre remite al personaje de Mario y


al relato ficcional anterior. Se establece así un doble movimiento de revelación y de
ocultamiento característico de la representación autorial. Cortázar aparece ambiguamente en
esta segunda parte, utilizando la primera persona del singular y luego la tercera para afirmar la
aventura y la libertad que ejerció en ese cuento. También introduce accesoriamente rasgos

79
autobiográficos bien conocidos, aunque presentándolos de modo contradictorio: escribir al
dictado/escribir con moldes; melomanía/incompetencia musical; libertad/violencia (Lachman
3-5).
Esta nota corresponde al pensamiento poético analógico del autor, pero expresa
claramente también su ambivalencia frente a una escritura en primera persona, escindida y
desdoblada finalmente con un reenvío de clausura a Mario, el director del octeto vocal de la
primera trama. Los rasgos autoriales reflexivos y distanciados, entran en conflicto con la
fascinación de éste y demás madrigalistas por Carlo Gesualdo, apodado il principe dei Musici,
cuyas composiciones interpretan.
Clon fracturado de Cortázar, el cuento en su conjunto se cristaliza en el cruce entre la
Ofrenda musical de Bach y la desaparición misteriosa de Franca, quizás víctima de los celos
de Mario. Esa cristalización adopta textualmente en ambas mitades textuales la metáfora
constructiva de la telaraña, hecha de hilos transparentes y huecos donde atrapar al lector, su
presa:

Entonces, con una maravilla que por suerte todavía no me ha abandonado cuando escribo, vi que
el fragmento final tendría que abarcar a todos los personajes menos a uno. […] Esto vale también
para las referencias a Gesualdo, cuyos madrigales me acompañan desde hace mucho. Que mató a
su mujer es seguro; lo demás, otros posibles acordes con mi texto, habría que preguntárselo a
Mario (Queremos 395-396).

El reenvío performativo de la nota al desenlace del cuento inserta el relevo del narrador
autodiegético al personaje: Mario asesina a Franca, así como el escritor la hace desaparecer
del cuento, desde el inicio, como una decisión capital de la grilla. Si bien el cuento todo se
asienta en múltiples analogías, insiste y expone las diferencias en el seno de ellas para que el
lector dé el salto en pos de la identidad completa entre el cuento y la sonata, entre la figura
autorial escindida y su imagen del escritor.

4. Deslizándose por los umbrales

Junto con esa nota posfacial, otros paratextos hacen surgir rastros autoriales: las dedicatorias
del primero y el octavo cuento, el epígrafe metatextual del quinto. En “Recortes de prensa”, el
epígrafe es una advertencia autorial en cuanto al carácter documental del artículo leído por el
personaje del escultor, y el carácter ficcional del segundo artículo, leído también por él, pero
luego de la violencia ejercida por Noemí, la protagonista escritora. Así Cortázar pone en
evidencia la interdiscursividad de la intriga con el testimonio de Laura Beatriz Bruschtein,
Bonaparte de soltera, publicado en El País el domingo 8 de octubre de 1978 bajo el título
“Morir en Argentina” (Ramos Ruiz 169). En el cuento, la cita exacta, pero recortada y
referida por el escultor, predomina la dimensión ficcional y literaria por encima de la
testimonial.
De Laura, la firmante del artículo, se conoce sólo lo denunciado, pero de su condición de
exiliada se deduce que debió de salir del país. Los nombres de sus familiares desempeñan un
papel fundamental en el cuento: ratifican el discurso no ficcional dentro de la invención
literaria y dan a las víctimas una presencia a través de las esculturas para las cuales Noemí
logra finalmente escribir un texto. Así, en la escena final, Noemí pregunta por el apellido de
la niña que encontró en la calle y la llevó hasta su madre, torturada, para incluirlo en su texto
y transgredir el anonimato de la víctima.
El artículo periodístico, citado parcialmente, así como el texto ficcional, que Noemí va
escribiendo a medida que avanza la trama, quedan vinculados por el espejo o quiasmo de sus

80
principales componentes temáticos (González 239): las mujeres, argentinas y exiliadas,
víctimas de las violencias del terrorismo de Estado y de las de género, con funciones
actanciales intercambiadas: Laura, la madre, denunciante del asesinato de su hija, su ex-
esposo y otros familiares; Noemí, la escritora, conmovida por el testimonio de Laura, se
vuelve incidentalmente cómplice de la venganza de otra madre torturada y autora de un texto
para un catálogo de esculturas. Noemí se conecta con el escritor a través de un adverbio y un
intertexto anglófono: “ahora que tengo que recordarlo y que tengo que escribirlo mi maldita
condición y mi dura memoria me traen otra cosa indeciblemente vivida pero no vista”
(Queremos 367). Ese deíctico temporal hace confluir la narración informal del recuerdo
femenino con la reescritura elíptica de “Lost Face” de Jack London (Ramos Ruiz 173-174).
“Recortes de prensa” establece una serie de simetrías implícitas entre el personaje de Noemí y
el perfil intersticial del escritor para reunirlos en una misma práctica vital y exorcista de una
escritura literaria abierta a los llamados del arte y a las demandas de justicia.

5. Multiplicándose en personajes ficcionales

Veamos otra estrategia de representación autorial a través del sexto cuento, “Tango de
vuelta”, cuya puesta en escena narrativa inicial plasma una lenta fluidez digresiva:

Uno se va contando despacito las cosas, imaginándolas al principio a base de Flora o una puerta
que se abre o un chico que grita, después esa necesidad barroca de la inteligencia que la lleva a
rellenar cualquier hueco hasta completar su perfecta telara a y pasar a algo nuevo. […] A mí me
gusta escribir para mí, tengo cuadernos y cuadernos, versos y hasta una novela, pero lo que me
gusta es escribir y cuando termino es como cuando uno se va dejando resbalar de lado después
del goce, viene el sueño y al otro día ya hay otras cosas que te golpean en la ventana, escribir es
eso, abrirles los postigos y que entren, un cuaderno detrás de otro; yo trabajo en una clínica, no
me interesa que lean lo que escribo, ni Flora ni nadie; me gusta cuando se me acaba un cuaderno
porque es como si hubiera publicado todo eso, pero no se me ocurre publicarlo, algo golpea en la
ventana y así vamos de nuevo, lo mismo una ambulancia que un nuevo cuaderno (Queremos
370).

A través de este escritor ficcional, anónimo y secreto, Cortázar plasma un modo modesto
de referir su práctica de la escritura, pensada como un acto informal y descolocado (La vuelta
21-22).
En realidad, lejos de la improvisación e impericia del aficionado, el enfermero transcribe
por escrito la perspectiva de Flora, desflorada por Milo, quien testimonia de la historia de
Matilde, asesina de Milo y suicida. Del tercer párrafo en adelante, surgen los pensamientos y
percepciones de esta última a través de los anacolutos típicos del autor argentino. En el
desenlace raudo confluyen los cuatro niveles narrativos y concretan melodramáticamente un
deseo de retorno a la tierra patria con ritmos tangueros semejantes a los de Trottoirs de
Buenos Aires, el disco del Cuarteto Cedrón que musicalizó en 1980 varios poemas de
Cortázar.
Respecto del enfermero, escritor aficionado gozoso y vital, el escribiente de “Texto en
una libreta” es una suerte de reflejo negativo: escribe minuciosa y simplemente para informar
a su superior jerárquico. Contrariamente a este burócrata, suicida quizás (Ramos Ruiz 159),
otros personajes narradores refieren desencuentros vitales (Sicard), en particular los
impuestos por figuras femeninas. Los narradores de “Orientación de los gatos” e “Historias
que me cuento” asumen otros relatos egocéntricos, que suplen discursivamente la frustración
de ser mirados, oídos y sobre todo amados por las mujeres deseadas. Por más que una de

81
ellas, Niágara, nombre dos veces al inventor del psicoanálisis (Queremos 403-404), las
dinámicas pulsionales quedan negadas y transfiguradas en fantasías de sustitución
sistematizadas muy tempranamente por Sigmund Freud en tanto que substrato de toda
invención literaria (Le créateur 29-46). Porque esas fantasías resultan insistentes y sugieren
correspondencias de un cuento a otro, es hora de explorarlas sistemáticamente.

6. Creando y desechando sosías

A partir de la distribución de los diez cuentos en tres subsecciones, se pueden practicar


distintos recorridos por el espacio del libro. El primero, linear, subraya ciertos temas o
constantes comunes a cada subsección sin conseguir a pesar de todo una aproximación global
convincente (Ramos Ruiz 221). El segundo, simbólico, tampoco logra mucho transponiendo
los mandamientos bíblicos o los consejos quiroguianos del perfecto cuentista a cada cuento.
En cambio se abren interpretaciones sugerentes volviendo al carácter pulsional del
“Queremos tanto a Glenda”, la frase repetida diez veces en el cuento homónimo. Esa letanía,
o mejor, ese leitmotiv pasional, es una indicación que invita a considerar a la vez el
emplazamiento de cada cuento en el conjunto y también la dinámica deseante solitaria o dual
de la narración.
En el cuadro siguiente, los cuentos impares aparecen presentados en negrita a la
izquierda, y los pares a la derecha, con una breve mención de las marcas y máscaras autoriales
correspondientes.

A la izquierda, entre los cuentos impares, notamos en el centro los dos dotados de rasgos
autoriales más evidentes: “Recortes de prensa” y “Clone”.
En el extremo superior e inferior, otros dos narrados por personajes disminuidos frente a
la alteridad femenina: “Orientación de los gatos” e “Historias que me cuento”.

82
En el centro, a la derecha, entre los textos pares, sobresalen dos asumidos por figuras
ficcionales disminuidas del escritor: “Texto en una libreta” y “Tango de vuelta”.
Por fuera, también a la derecha, notamos otros dos asumidos por personajes narradores
ligados al arte: “Queremos tanto a Glenda” y “Graffiti”.
Ahí, y con otros cuatro cuentos, utilizo la palabra sosías para referir de manera abreviada
varios rasgos comunes al personaje narrador y el escritor. La instancia narradora de esos cinco
cuentos, en primera persona y anónima, o dudosa con el Marcelo Macías de “Historias que
me cuento” (Queremos 402), facilita la analogía entre la figura ficcional y la autorial.
Cada sosías actualiza semejanzas “[…] pero no se lo imagine como un calco. Más bien
una figura análoga […]” como advierte el protagonista de “Una flor amarilla” (Final del
juego 337). Ante estos sosías, dotados de algún reflejo suyo parcial y menguado por falta de
espesor psicológico, el escritor puede refugiarse en un más allá que lo legitima en tanto que
fabricante de ficciones autónomas, distantes y lejanas de él una vez escritas, como lo propuso
Mercedes Blanco (“Topologie” 472).
Los sosías faltan en “Historia con migalas” y “Anillo de Moebius” porque precisamente
ambos concretan la fantasía de la muerte ajena que obsede de una manera u otra a los demás
cuentos. Concretando la muerte elíptica o detalladamente, ambos cuentos resultan simétricos
e inversos desde perspectivas femeninas y masculinas respectivamente. Ambos asumen
además una forma delictiva fuertemente transgresiva debido a las “Relaciones sospechosas”
del escritor con los asesinos (La vuelta 159-166).
Entre “Historia con migalas” y “Anillo de Moebius” se efectúa entonces otro tipo de
salto: el pasaje de un estado ontológico a otro, de lo sólido a lo líquido, de lo humano a lo
animal. En ambos se despliegan “los pasajes entre espacios que la percepción normalizada
mantiene escindidos”, característicos de la prosa cortazariana según Beatriz Sarlo (“Una
literatura” 265). La reunión póstuma de Robert y Janet realiza el homenaje de la dedicatoria a
los protagonistas de la historia real, cuyas iniciales aparecen en cursiva en el paratexto. Con
este décimo cuento, polémico y superador, se rompen la armonía, o el equilibrio ternario de
las tres subsecciones del libro. También se falsean las expectativas del lectorado femenino,
que Cortázar buscaba seducir o complacer mínimamente luego de Rayuela. Prueba de esa
ambigüedad, esta cita proveniente de la carta a Jaime Alazraki del 6 de julio de 1981, capital
para acceder a su propia lectura del libro:

Creo con vos que “Anillo de Moebius” tiene algo de imposible y escribirlo fue una extraña
experiencia […] Me divertí con tu referencia a la crítica feminista posible sobre la violación,
porque ya mi traductora francesa me saltó encima con todas las uñas. Siempre me parecerá una
lástima que violar y ser violado no coincidan en el plano del placer; pero si así fuera, claro, no
habría violación y es mejor dejar las cosas sin más comentarios (Cartas 1732).

Porque consigue unir al personaje masculino en y con el femenino, este último cuento
efectúa un reenvío implícito y circular al primer cuento, en el otro extremo del rectángulo
abierto por la diagramación de los diez cuentos. Sin pasar por ninguna mediación pictórica o
animal, esta cinta textual de dos componentes y un solo lado logra finalmente anular la
distancia casi ontológica que separa a Janet de Robert, pero también, según el primer cuento,
a Alana del narrador y, por extensión, a la mujer del hombre.

83
7. Paseando por la galería

Yendo de “La barca, o nueva visita a Venecia”, de Alguien que anda por ahí, a “Diario para
un cuento”, el último de Deshoras, vemos cómo Cortázar se inscribe en primera persona no
sólo en los paratextos de varios cuentos, sino también en desarrollo mismo de su puesta en
escena escritural, fundante de Salvo el crepúsculo, el último poemario.
Si recordamos que “Botella al mar”, el primero de Deshoras, despliega una estrategia
discursiva semejante para servir de coda a “Queremos tanto a Glenda”, del contario anterior,
podemos pensar que el escritor logra ubicarse también en algunos intersticios clave entre sus
últimos libros. Allí el escritor reafirma sus principios poéticos pero también reflexiona
retrospectivamente acerca de sus fallos y aciertos literarios.
Mientras que los cuentos de apertura y cierre de Deshoras logran establecer una “mirada
recíproca” (Frölicher 242-248), los del libro anterior, una bisagra decisiva de la obra de
conjunto, rechazan abiertamente esa articulación de puntos de vista complementarios entre los
personajes femeninos y los sosías del escritor. Rompiendo la metáfora constructiva por venir
del texto en tanto que espejo donde acoger la mirada ajena, los cuentos aquí estudiados
parecen piezas de un conjunto mayor dispuesto por un amo de llaves celoso, dueño de las
claves del libro.
Lejos de ser casual o arbitraria, la arquitectura macrotextual de otros volúmenes de
cuentos fue pensada y organizada muy cuidadosamente por Cortázar a partir de esquemas
abstractos: octogonal en Octaedro y tripartito también en Final del juego. El objeto final de
todos estos ordenamientos es el de favorecer los saltos familiares al lector de Rayuela, aunque
postulándolos implícitamente, por medio de las correspondencias ya evocadas. Por su
diagramación espejada y cerrada, un rectángulo, el espacio del libro podría tener una función
mnemónica semejante a la buscada por ciertas obras clásicas estudiadas por Frances Yates
(1966): a través de los recorridos de lectura por entre los cuentos, el escritor recuperó y
observó retratos fragmentados e inactuales de sí mismo. Por las fechas en que estos cuentos
fueron escritos, no cuesta inscribirlos en las inmediaciones traumáticas, íntimas y políticas, de
mediados de los años setenta (González Bermejo 29), e incluso cuarenta para “Texto en una
libreta”, según lo sugerido por el autor en “Bajo nivel” (Papeles inesperados 410-417).
El libro es entonces otra galería donde realizar diversas fantasías entre las cuales la
coincidencia ya citada en el plano del placer entre el violar y el ser violado. Como aquella
empresa cinéfila y clandestina que corrige viejos largometrajes a pesar de ser denunciada por
uno de sus miembros díscolos, esta es también una “galería de espejos onanistas” (Queremos
335). Y si el escritor eligió “Queremos tanto a Glenda” como título del libro, fue
precisamente porque el colectivo cinéfilo ataca dos de los pilares clásicos de la estética, bien
activos en el resto del libro: la inmutabilidad de la obra de arte y el carácter demiúrgico del
artista.
Yendo aún más lejos, Deshoras despliega esa crítica de la modernidad hasta el
inconcluso “Diario para un cuento”, esbozo de un relato jamás escrito por imposible y
perdido. Comenzado con “Botella al mar”, de fines de septiembre de 1980 en San Francisco,
donde dictó sus Charlas de literatura, Deshoras se abre entonces totalmente a otra estética.
Este último libro, publicado en 1982, se inscribe plenamente en coordenadas íntimas y
colectivas que habían cambiado mucho luego de 1977, con el amor de Carol Dunlop y el
triunfo sandinista. Con este contario final, Cortázar logró llevar al cuento algunas de sus
audaces invenciones poéticas (Mesa Gancedo) y novelísticas (Juan-Navarro). Durante esos
años intensos y renovadores, el horizonte creativo del escritor se amplió a tal punto que fue
posible mirarlo todo otra vez, fuera de hora, en un trastiempo posmoderno.

84
La “Historia con migalas” de Julio Cortázar, una telaraña de voces y
silencios

Sandra Gondouin
Université de Rouen Normandie, ERIAC

sandra.gondouin@univ-rouen.fr

Résumé :
Dans “Historia con migalas”, le néo-fantastique réside dans le non-dit. La nouvelle-toile
d’araignée, aux fils suspendus entre silences tacites ou explicites, glisse le monstrueux dans
l’interstice entre voix et silence. Fusions et dédoublements ouvrent une lecture parallèle : les
jeunes femmes de « l’autre côté » ne seraient pas des voix extérieures mais intérieures : la
conscience des mygales.

Mots-clés :
Julio Cortázar, nouvelle, toile d’araignée, silence, dédoublement

Resumen:
En “Historia con migalas” lo neofantástico constituye lo “no dicho” en un cuento con forma
de telaraña, edificio de hilos suspendidos. En el intersticio entre voces y silencios explícitos o
tácitos se desliza lo monstruoso. Juegos de fusión y desdoblamiento abren una lectura paralela
donde las muchachas del “otro lado” no son voces exteriores sino interiores: la conciencia de
las “migalas”.

Palabras clave:
Julio Cortázar, cuento, telaraña, silencio, desdoblamiento

Abstract:
In “Historia con migalas” the “neofantastic” is conveyed through the unsaid, in a short story
shaped as a spider’s web, a building made of suspended threads. The monstrous slides
through the interstice of voices and explicit or tacit silences. Games of fusion and split
personality open a parallel reading, where the girls “on the other side” are not exterior voices
but interior ones: the conscience of the “migalas”.

Keywords:
Julio Cortázar, short story, spider’s web, silence, split personality

85
Heard melodies are sweet, but those unheard
Are sweeter; therefore, ye soft pipes, play on;
Not to the sensual ear, but, more endear'd,
Pipe to the spirit ditties of no tone

John Keats, “Ode on a Grecian urn”, 1820

“Historia con migalas” es un cuento en el que, como no lo indica su título, la dimensión


auditiva desempeña un papel fundamental: en una isla martiniquesa, las voces y los silencios
de dos parejas de mujeres ocupan las dos alas contiguas de un bungalow de vacaciones. Por
un lado, una pareja de jóvenes turistas norteamericanas, por otro, una pareja misteriosa que
asume la narración del cuento —una estructura que convoca el motivo del doble tantas veces
declinado bajo la pluma del autor argentino. La voz homodiegética que narra el relato tiene la
originalidad de ser un “nosotros”, que sólo se revelará ser un “nosotras” en las últimas líneas
del cuento. En una trabajada alternancia entre día y noche, las voces y los murmullos de las
unas van a coincidir de modo creciente con el silencio agazapado de las otras, hasta un clímax
que devolverá toda su potencia al carácter visual del título. Dicho título revela una influencia
neo-fantástica latente, tácita, que se insinúa desde el umbral del relato al caracterizar
peligrosamente a sus personajes —como en “Circe”, por ejemplo, cuento en que el nombre de
la maga homérica queda ausente del cuerpo del relato, pero impregna implícitamente al
personaje de Delia Mañara. Lo monstruoso emana del personaje de Delia como de la pareja
de migalas, pero desde un enfoque narrativo distinto. Mientras que en “Circe” la narración
está a cargo de un testigo que recuerda los acontecimientos enfocándose en el personaje de la
víctima (Mario), el personaje monstruoso es él que asume la narración en “Historia con
Migalas”. José García-Romeu destaca al respecto que el cuento “altera una de las
convenciones del cuento fantástico” (García-Romeu, Cortázar 204) dejando el relato a cargo
del monstruo:

Habituellement, le fait extraordinaire qui provoque la rupture scandaleuse de la continuité


rationnelle est décrit selon le point de vue d’une victime ou d’un témoin. […] Dans “Historia con
migalas”, l’instance narrative est […] prise en charge par le monstre. Mais ce monstre connaît,
dès le début, sa condition et le lecteur ne la découvrira pas brutalement à la chute, car le narrateur
ne cesse de distiller des indices inquiétants qui éveillent des soupçons : Erik, la grange, le puits,
Michael nu sous la lune, le refoulement des souvenirs… Tout cela trace un tableau dont les
contours sont voilés par le brouillard des non-dits, mais qui dessinent bien une atmosphère de
terreur (204).

Nos interesa particularmente esta presencia de lo “no dicho” en el cuento, pues si las
narradoras de “Historia con migalas” indican su propensión a “jugar las infinitas carambolas
de la asociación mental” (36), lo mismo está haciendo Julio Cortázar con sus lectores/as, en
particular en torno a la imagen de las “migalas” y de su doble inofensivo. Así, aunque esta
especie de arácnido “vive generalmente en cuevas que cava en la tierra” (María Moliner1), la
imagen de la telaraña está presente en el cuento por “asociación mental”. Hasta queremos
avanzar la idea de que la telaraña le está confiriendo al cuento su estructura: la de un edificio
cuyos hilos se tejen en el vacío, tal y como trazan su camino las voces en el silencio. Así
como el vacío es parte integrante de la arquitectura de la telaraña, el silencio es constitutivo
del cuento de Cortázar.

1
María Moliner, Diccionario del uso del español, Madrid: Gredos, 1966.

86
Por otra parte, el tratamiento tan particular del espacio en este cuento convoca juegos
sutiles en torno a los temas de la fusión y el desdoblamiento. En efecto, la simetría de las dos
alas del bungalow subraya la que existe entre las dos parejas de mujeres. Sin embargo, lejos
de reflejarse la una en la otra, estas dos parejas se oponen o se complementan en muchos
aspectos. Mientras que las narradoras revelan desde un trasfondo de silencio un pasado de
posibles asesinas seriales, las otras parecen ser jóvenes e inocentes turistas que vinieron a
aprovechar las vacaciones. Sin embargo, en el extraño decorado planteado por Julio Cortázar,
en el que “todo estaba vacío y a la vez extrañamente habitado” (26), o sea un espacio
posiblemente embrujado, ¿no se podría proponer una lectura paralela del cuento, en la que las
muchachas del “otro lado” no son sino la conciencia de las narradoras? Queremos mostrar
pues cómo los silencios y las voces de esta “Historia con migalas” llegan a conformar
complejos juegos de fusión y desdoblamiento, confiriendo al cuento una estructura de telaraña
en que las apariencias se rasgan para dejar paso a otra realidad.

1. ¿En dónde anida lo monstruoso? Silencios explícitos y tácitos.

Queremos destacar en este cuento dos tipos de silencios, que llamaremos silencios
“explícitos” y “tácitos”. Los silencios explícitos son los que expresa la instancia narrativa, o
sea silencios que quedan mencionados “y no solamente insinuado o dado por sabido” (María
Moliner), como en estas frases, por ejemplo:

Todavía no sentimos montar los recuerdos, esa necesidad de inventariar el pasado que crece con
la soledad y el hastío. Es precisamente lo contrario: bloquear toda referencia a las semanas
precedentes, los encuentros en Delft, la noche en la granja de Erik. Si eso vuelve lo ahuyentamos
como a una bocanada de humo, el leve movimiento de la mano que aclara nuevamente el aire
(27).

El silencio aquí es producto de una decisión consciente de parte de los personajes que se
comunica a los/las lectores/as. Hasta adquiere cierta materialidad mediante la comparación de
reminiscencias indeseables con el humo de un cigarrillo que se disipa con la mano. El silencio
es esta aparente claridad del aire, una tranquilidad falsa sólo permitida por la censura de los
recuerdos. El silencio es este vacío lleno de sentido, un intersticio entre palabras cuya
inmaterialidad no es más que apariencia: en el vacío se tienden los hilos de la telaraña. Y este
vacío no sólo se materializa en el cuento mediante silencios explícitos, sino también tácitos, o
sea “lo que no se dice porque queda ya entendido por lo que se ha dicho antes o por otras
causas” (María Moliner). Queda como tácito lo que callan o sobrentienden los personajes o
las narradoras, y el ejemplo más impactante es el knock out final del cuento:

A la hora de dormir nos habíamos puesto como siempre los camisones; ahora los dejamos caer
como manchas blancas y gelatinosas en el piso, desnudas vamos hacia la puerta y salimos al
jardín. No hay más que bordear el seto que prolonga la división de las dos alas del bungalow; la
puerta sigue cerrada pero sabemos que no lo está, que basta tocar el picaporte. No hay luz
adentro cuando entramos juntas; es la primera vez en mucho tiempo que nos apoyamos la una en
la otra para andar (38).

87
En estas líneas es preciso seguir con cuidado los hilos tendidos por la narración para
entender lo tácito en ella, lo que confiere al texto su sentido más profundo e inquietante. La
escena ocurre de noche, “a la hora de dormir”, y se resalta el contexto de oscuridad —”No
hay luz adentro”. Tanto en el conjunto del cuento como en el tópico fantástico, la noche
corresponde con el misterio y la posibilidad de desliz hacia lo desconocido y el horror. La
ruptura del orden cotidiano es indicada por los marcadores temporales. La expresión “A la
hora de dormir” y la locución adverbial “como siempre” evocan una rutina relegada en el
pasado por el uso del imperfecto. En cambio, el adverbio “ahora” se opone en la misma frase
a la tranquilidad prevista, abriendo paso a un presente macabro. Los camisones de noche
simbolizan cierta forma de inofensiva familiaridad, la cotidianidad apacible del sueño. Al
quitárselos, la pareja no sólo revela su desnudez y su identidad de mujer —el adjetivo
“desnudas” es el primer elemento gramatical que indique su género— sino que libera su
potencial erótico y amenazante. El hecho de desnudarse para salir es de por sí extraño, una
inversión de las prácticas habituales. Pero además, se desprende de la vista de unas “manchas
blancas y gelatinosas” una inquietante extrañeza. Esa imagen de pesadilla puede evocar las
medusas, en eco a una de las representaciones míticas de la mujer fatal — conociendo el
interés de Cortázar por el mito2.
Las dos mujeres, que llevan varios días al acecho de una voz masculina, dejan su nido
para pasar a la acción, o sea salir de caza —las migalas son animales nocturnos. La imagen
del seto, o sea un “cercado hecho de matas o arbustos, o de palos o varas entretejidos”
(DRAE), que “prolonga la división de las dos alas del bungalow” queda tendido en el espacio
narrativo como el hilo de una telaraña cuyo centro queda formado por las dos partes del
bungalow. Ahora bien, las narradoras aparecen como dueñas de ese espacio que se torna en
una trampa —”no hay más que”, “la puerta sigue cerrada pero sabemos que no lo está”. La
fusión de las protagonistas-narradoras culmina en la última frase del cuento a través del
adjetivo “juntas”, que no solo dice la cercanía sino acaso la unión de los cuerpos, dos cuerpos
que, apoyados el uno en el otro “para andar”, suman ocho miembros… En ninguna parte
queda escrito que esas extrañas narradoras se transforman en migala gigantesca para ir a
devorar su presa masculina en el bungalow contiguo, en un acto de canibalismo sexual que
caracteriza a arañas como la viuda negra. No queda escrito, no, y sin embargo… Destaca
Rosalba Campra la particularidad del silencio en la narrativa fantástica:

Orden y selección del material representan la posibilidad de un saber que la voz narrante
comunica al lector. Este es un proceso que en la narrativa, por lo general, tiene la función de
significar la relevancia de lo dicho y la prescindibilidad de lo omitido. En la narrativa fantástica,
en cambio, el silencio delimita espacios de zozobra: lo no dicho es precisamente lo indispensable
para la reconstrucción de los acontecimientos (126-127).

Así, los silencios explícitos y tácitos del texto crean estos “espacios de zozobra”. La
tensión latente entre Eros y Tánatos, los indicios sembrados en espiral para delatar la
peligrosidad del monstruo, el juego de “las infinitas carambolas de la asociación mental”, en
fin, lo sugerido por lo que calla la narración, todo nos lleva a imaginar la metamorfosis final
de la bestia. Ya sabemos que Cortázar cuenta con la complicidad de sus lectores/as para llenar
los silencios de la narración y acompañarlo en sus intersticios. Por lo tanto, el autor no nos
abandona en la telaraña del cuento, sino que nos entrega cantidad de indicios para orientarnos,

2
Cortázar se refiere a la mitología como “ese cómodo sistema de referencias mentales al que puede acudirse con
la ventaja de prescindir de explicación al lector medianamente cultivado, cuyas personificaciones se despojan de
contingencia temporal para conservar sólo sus motivaciones primarias a modo de transparente símbolo”
(Cortázar, 1994 40).

88
en particular a través de los silencios explícitos del cuento. Estos silencios tienen pues un
valor explicativo: destilan informaciones sobre lo que las narradoras-protagonistas prefieren
callar. Así, el rehusar todo tipo de diálogo en torno a ciertos acontecimientos traumáticos
delata el pasado de agresoras de la “migalas”. Delft, “la granja de Erik”, “Michael desnudo
bajo la luna” y “el pozo” son imágenes obsesivas. Regresan en espiral en la consciencia
intranquila de las narradoras que se niegan a mencionarlas:

Curiosamente no nos afecta pensar en Michael, en el pozo de la granja de Erik, cosas ya


clausuradas; casi nunca hablamos de ellas o de las precedentes aunque sabemos que pueden
volver a la palabra sin hacernos daño, al fin y al cabo el placer y la delicia vinieron de ellas, y la
noche de la granja valió el precio que estamos pagando (29).

El adverbio “curiosamente” vuelve a subrayar la extrañeza de esta pareja inseparable,


que se entiende sin decir palabra como si su mente fuera una sola. Su unión es tal que no
aparece ningún momento de individuación en el cuento, lo cual prefigura la posible
metamorfosis final. De hecho, la imagen del pozo, clasificada entre “cosas ya clausuradas”,
recuerda que las migalas pueden cerrar la puerta de sus cuevas en caso de necesidad. Cortázar
deja que el/la lector/a llene los silencios de la narración, pero lo/la guía en las “carambolas de
la asociación mental”. ¿Qué obtenemos al sumar una granja (el aislamiento), la noche
(momento propicio a la emergencia de lo oculto), un hombre desnudo que dos mujeres-
migalas ven huir bajo la luna (¿cómo no pensar en un juego erótico que se habrá vuelto
peligroso?) y un pozo (el tópico de la caída)? Claro que, con un poco de imaginación, las
posibilidades de variaciones son infinitas. Sin embargo, ¿acaso no aparece como una
evidencia pensar que Erik se ha caído, o más bien que ha sido arrojado al pozo? Pues ¿por qué
insistir en esa imagen si no es para orientarnos hacia esta conclusión? Piensa mal y acertarás:
el silencio que nos lleva a reconstruir los acontecimientos también nos lleva inevitablemente a
imaginar lo peor. A mayor razón porque el cuento no es aislado, sino que es la parte de un
todo: no sólo la recopilación — Queremos tanto a Glenda—, sino la obra de Cortázar y su
conocido carácter neo-fantástico.
Además, nuestra natural propensión a imaginar lo peor es alentada por el carácter de
estas inquietantes narradoras-protagonistas y su ambigua relación con sus vecinas. Su
indiferencia frente a las acciones reprehensibles que cometieron —están en fuga y se entiende
que deberían sentir culpa o compasión hacia Michael— las deshumaniza. El cuento da a
entender que si tuvieran compasión, el peso de sus actos bastaría para contemplar el suicidio,
una perspectiva descartada con una ironía que revela una frialdad desalmada 3. Ahora bien, si
se menciona aquí “el precio que [están] pagando”, se pasa bajo silencio en qué consiste. ¿Tal
vez las pesadillas, la necesidad de esconderse, o más bien la compulsión a seguir
reproduciendo los mismos actos? Pues hubo “precedentes”, una palabra que puede hacer
pensar en asesinas seriales. En cambio, su perversidad se hace explícita en la mención
pleonástica del “placer y la delicia” que vinieron de estas “cosas ya clausuradas”, la
satisfacción morbosa del deseo, la unión entre Eros y Tánatos. Sutilmente, los silencios
explícitos y tácitos quedan como una puerta abierta hacia una otredad que produce
fascinación a la vez que angustia. En su artículo “Recorrer el silencio desde la palabra” —
citado por Luisa Valenzuela— la crítica argentina Cecilia Graña apunta que:

3
“¿Un suicidio colectivo? Nos miramos irónicamente, no es una idea que pueda abrirse paso en nuestra manera
de ver las cosas. No estaríamos aquí si alguna vez la hubiéramos aceptado” (33).

89
Cortázar con su escritura pone de relieve una encrucijada: señala, a través de la negatividad, el
momento en que el Silencio se vuelve Palabra, o el estado liminal en que la palabra se transforma
nuevamente en Silencio. Indica el instante del acceso a lo simbólico, un ámbito distinto de lo
propio, de lo “familiar”. Y esa huida es “coincidir” con alguien/algo que es “otro de sí mismo”
(Valenzuela, s. p.).

Resulta interesante esta idea de un umbral entre la voz, las palabras pronunciadas, y el
silencio como “instante del acceso a lo simbólico”, a la otredad. De hecho, Julio Cortázar
cuida particularmente la composición de este intersticio entre voz y silencio, que se confunde
a veces en unos límites borrosos, dando más espesor a ese umbral simbólico. Es en este
intersticio donde anida lo monstruoso, ocultado a la vez que revelado por los silencios del
relato. Anida lo monstruoso en una trama sutil hecha de voces y de silencio, una trama
espacio-temporal bajo forma de trampa.

2. Cuando voces confusas tejen su telaraña espacio-temporal

En la mayor parte del cuento —la que transcurre en el espacio interior del bungalow— la
presencia de las “muchachas” es incorpórea: no es más que una voz, o dos voces que se unen
de modo tan inseparable como lo hacen las narradoras —”Imposible reconocer palabras,
incluso voces, tan semejantes en su registro que por momentos se pensaría en un monólogo
apenas entrecortado”. De hecho, la palabra “monólogo” puede hacer pensar en un “monólogo
interior”, el que se establecería en la consciencia de estas extrañas narradoras caleidoscópicas.
En el espacio exterior, ellas hacen corresponder las voces misteriosas con dos cuerpos, por
este instinto tan fuerte que parece guiar todos sus actos y pensamientos —”Sin saber por qué
nos obstinamos en hacer coincidir las dos muchachas de la playa con las voces del bungalow”
(30). Se establece así un límite muy marcado entre estos dos espacios. En un juego de simetría
invertida, el espacio interior alberga voces sin cuerpo, el exterior cuerpos sin voces, y nada
prueba que la correspondencia sea exacta. Esto delata ya la extraña naturaleza de esta pareja
tan discreta y cuestiona su existencia racional. Por lo tanto, podríamos interpretar su presencia
como una proyección de las narradoras, de su consciencia. En ese caso, adquieren un sentido
particular las palabras siguientes: “Si en algún momento se acercaran para pedir fuego, para
saber la hora… Pero el tabique de bambúes parece prolongarse hasta la playa; sabemos que
no nos molestarán” (33). El empleo del verbo “molestar” hace eco a la contradicción que
habita las narradoras desde el principio: vienen en busca de un reposo que son incapaces de
experimentar, pues su instinto de depredadoras no les permite estar en paz. Saben que, al fin y
al cabo, su consciencia no les molestará pues su vocación de cazadoras es más fuerte. Como a
través de la imagen del seto en la escena final, el cuento teje aquí otro hilo, haciendo del
bungalow el centro de una telaraña que se extiende hasta la playa. Situado en el centro de la
telaraña o del laberinto, el bungalow alberga secretos indecibles. En cambio, la playa es un
lugar sereno en que la mente de las narradoras puede relajarse, en una oposición cortazariana
entre un centro mágico, peligroso, y una periferia racional.
A nivel temporal, el presente domina en la narración que salta sin embargo de modo
recurrente a un pasado muy cercano (la noche anterior), un poco más lejano (la noche en la
granja de Erik y la planificación del viaje) o aún más lejano (el pasado letrado de las
narradoras-protagonistas, por ejemplo). Cada salto temporal corresponde con indagaciones
elípticas en los recuerdos de las narradoras y ninguno es inocente: completan la tela de
indicios que permiten a los/las lectores/as acceder a la dimensión neo-fantástica del cuento.
Tampoco es inocente que el relato ocurra en el período de Navidad —”nos decimos que esta

90
Navidad responderá perfectamente a nuestro deseo” (28). Aunque las migalas se desentienden
del asunto —”Cristo acaba de nacer de nuevo; por nuestra parte podemos dormir” (28)— la
noche de Navidad corresponde en la cultura cristiana con el momento en que Jesús se encarna
en la tierra. Viene seguida a los pocos días —el 6 de enero— por la epifanía, o sea la
conmemoración de la adoración de los Reyes Magos. Por extensión, la epifanía también
designa toda “Manifestación, aparición o revelación” (DRAE), o sea la presencia en nuestro
mundo de otra realidad. Ahora bien, en el cuento, la presencia de un hombre en el ala
contigua del bungalow se manifiesta en la noche de Navidad. Las narradoras lo recuerdan a la
mañana siguiente, en la playa, cuando su memoria común emerge desde un trasfondo de
silencio —”nos acordamos al mismo tiempo, nos miramos”, “Sólo habíamos hecho un
comentario” (29) (comentario cuyo contenido no se revelará a la/al lector-a). A los pocos días
vuelve el hombre provocando el paso a la acción de las migalas, como en un extraño paralelo
a la adoración de los Reyes Magos… Así, la metamorfosis final de las migalas podría
interpretarse como un momento de epifanía mística.
Por otra parte, si la alternancia entre día y noche estructura el relato, también se imbrican
muchas veces en una misma frase a través del recuerdo. Así ocurre, por ejemplo, cuando las
migalas evocan sus pesadillas: “Nos contamos los sueños donde larvas, amenazas inciertas, y
no bienvenidas pero previsibles exhumaciones tejen sus telarañas o nos las hacen tejer” (29).
Al utilizar el presente para evocar la situación de rememoración tanto como el sueño pasado,
las vivencias diurnas se funden en los recuerdos nocturnos, desgarrando la normalidad del día.
Este desliz temporal hacia lo fantástico no sólo reitera la imagen de la telaraña sino también el
tema de la reflexividad —”tejen sus telarañas o nos las hacen tejer”. ¿Quién enreda a quién en
su tela? La noche aparece entonces como un momento de desasosiego y la calidad del sueño
de las narradoras va degradándose conforme se acrecienta el interés por sus vecinas —
¿conforme su consciencia las viene a inquietar? De noche, se modifica su percepción del
entorno, habitado por las voces de la naturaleza:
Levantarse con el sol, jugo de guayaba y café en tazones. La noche ha sido larga, con ráfagas de
lluvia confesadamente tropical, bruscos diluvios que se cortan bruscamente arrepentidos. Los
perros ladraron desde todos los cuadrantes, aunque no había luna; ranas y pájaros, ruidos que el
oído ciudadano no alcanza a definir pero que acaso explican los sueños que ahora recordamos
con los primeros cigarrillos (28).
Se opone aquí la normalidad del día —una frase corta y su promesa de un desayuno
soleado— a la amenaza de la noche. Es en la oscuridad y desde la dimensión auditiva como se
manifiesta el carácter salvaje del entorno natural. Esta naturaleza inquietante, percibida desde
el bungalow, se opone a la descripción de la playa, espacio exterior y diurno, apacible y
familiar, que viene descrito de modo visual —”Unos pocos muchachos nadan y juegan,
cuerpos negros o canela danzan en la arena. A lo lejos una familia —metropolitanos o
alemanes, tristemente blancos y rubios— organiza toallas, aceites bronceadores y bolsones”
(27). No se mencionan voces en la playa, pero de haberlas serían alegres. En cambio, las
voces de la noche se expresan desde una isotopía de la violencia —”ráfagas de lluvia”,
“bruscos diluvios”, “se cortan bruscamente”. Términos como “confesadamente” o
“arrepentidos” sugieren una naturaleza personificada, que se expresa también mediante la
presencia animal. Los gritos animales pueblan la noche e influyen en el carácter intranquilo
de las migalas así como en la tensión erótica del cuento —”También el coro de perros (un
horizonte de perros, imposible no recordar el poema) y en la maleza el amor de las gatas
lacera el aire” (35). De hecho, la alusión al poema de Federico García Lorca —”La casada
infiel”— hace eco a la sensualidad de amores prohibidos mientras inserta el cuento en otra
telaraña espacio-temporal, la de la intertextualidad. Además, la presencia de un texto en otro
es como otra declinación de los juegos de fusión y desdoblamiento presentes en esta “Historia
con migalas”.

91
3. Las voces de las muchachas entre fusión y desdoblamiento: ¿voces exteriores… o
interiores?

La idea de la dualidad ya se desliza en la forma más anodina desde el umbral del cuento, que
empieza señalando “Llegamos a las dos de la tarde” (25). Esta cifra marca después toda la
organización del espacio y su percepción por las narradoras, divididas entre un anhelo de
unidad y la vivencia de una dualidad constantemente puesta en abismo, desdoblada hasta
constituir un verdadero caleidoscopio. Así, indican al escuchar las voces por primera vez: “no
sabemos por qué esperábamos una soledad total aunque habíamos visto que cada bungalow
(hay cuatro entre macizos de flores, bananos y cocoteros) es doble” (26). La presencia de
cuatro bungalows ilustra otro desdoblamiento del espacio que ocupan las narradoras, un
espacio encantador con sus inocuos “macizos de flores, bananos y cocoteros”. Sin embargo,
se señala desde el segundo párrafo la misteriosa sensación de que “todo estaba vacío y a la
vez extrañamente habitado (26)”, un eco al tópico del lugar embrujado.
Julio Cortázar también sugiere el carácter inquietante del espacio a través de referencias
intertextuales. Siempre mediante las “carambolas de la imaginación”, convoca, por ejemplo,
la mansión ruinosa y aislada de Other voices, other rooms (1948, Truman Capote), “El
misterio de la pieza de al lado”, que podría evocar El misterio del cuarto amarillo (1907,
Gaston Leroux) y su enigmático castillo du Glandier, o los fantasmas que desfilan frente al
palacio de Antonio y Cleopatra, en Alejandría, en el poema de Constantino Cavafis (1911).
Más significativamente aún, desarrolla la analogía entre el espacio del cuento y un barco
fantasma (la Mary Celeste). Al escoger una anécdota histórica, el autor estrecha aún más los
vínculos entre ficción y realidad y plantea la coexistencia neo-fantástica entre varios planos
de realidad. Estos hilos narrativos tendidos hacia otras obras se reúnen para tejer un espacio
propicio a fenómenos extraños. Como, tal vez, el espacio en que se desdoblara la consciencia
de las narradoras, para hablarles “desde el otro lado del tabique”… El bungalow representaría
entonces la mente de esta instancia narrativa monstruosa, la metáfora de un espíritu escindido,
intranquilo, dividido entre una voluntad de sosiego y un impulso maligno. Así, al final del
cuento, las “migalas”, abandonada por las muchachas, se recluyen en la oscuridad y el
silencio, deshumanizándose progresivamente. Ya no usan la terraza sino que se agazapan en
su cueva, dejan de comer para fumar y tomar café como en una modificación de su
corporeidad. Racionalmente, su comportamiento parece absurdo. Ya no pueden concentrarse
en las voces del otro lado, y sin embargo su acecho se agudiza:

No hacemos más que fumar y esperar lo inesperable; ni siquiera nos es dado jugar como al
principio con la idea de que las muchachas podrían imaginarnos como migalas al acecho; ya no
están ahí para atribuirles nuestra propia imaginación, volverlas espejos de esto que ocurre en la
oscuridad, de esto que insoportablemente no ocurre (36).

La última parte de la frase es particularmente ambigua. Estipula que algo está ocurriendo
“en la oscuridad”, precisamente en un momento en que nada parece estar ocurriendo. Lo cual
queda subrayado mediante la variación “de esto que insoportablemente no ocurre”, que puede
entenderse como el ansia de que llegara la presa tan deseada. Sin embargo, bastaría añadir una
sola letra —cambiar la negación “no” en pronombre reflexivo “nos” (un desliz cuya tentación
es propiciada por la aliteración de la “s” en las líneas anteriores) para descifrar la fantasía de
que las muchachas vieran, ¿y que detuvieran, tal vez?, “esto que insoportablemente nos
ocurre”, o sea la metamorfosis de las migalas. Notemos la fuerza del adverbio,
“insoportablemente”, que lleva a imaginar que unas fuerzas ocultas guían a las narradoras. De

92
hecho, ellas confiesan en un momento dado: “necesitábamos distanciarnos de lo otro, de los
otros. Desde luego no es fácil renunciar a costumbres, a reflejos condicionados”. La mención
de “lo otro” y de una conducta “condicionada” apunta hacia la idea de un comportamiento
compulsivo o la obediencia a una potencia misteriosa. Por otra parte, si consideramos que las
muchachas son la consciencia de las migalas, su partida impide todo control sobre lo que les
está ocurriendo. Ya no tienen esta posibilidad de “volverlas espejo” de sus pensamientos, de
verse reflejadas en una imagen que detenga sus oscuros propósitos. La expresión “ya no están
ahí para atribuirles nuestra propia imaginación” conforta la idea de que estas vecinas tan
discretas correspondían con una proyección de las migalas.
En este juego de espejos, creemos que la fuerte dicotomía interior/exterior que
caracteriza el espacio del cuento también se refleja en sus personajes. Los cuerpos de las
muchachas serían pues la materialización (externa) de las voces interiores de las migalas. De
hecho, aunque la presencia de voces aparece como un leitmotiv en “Historia con migalas”, las
palabras pronunciadas nunca resuenan en el espacio narrativo. No aparece ningún diálogo en
el cuento, ninguna palabra es pronunciada en estilo directo, y siempre queda la duda acerca de
la identidad de las misteriosas vecinas. Así, bien podría ser que las cuatro muchachas no sean
más que la declinación de una única entidad que no necesita hablar para entenderse: la pareja
narradora, de la que las “muchachas” no son más que una proyección, su doble inocente, su
consciencia. En efecto, las palabras pronunciadas por las vecinas espiadas nunca llegan a
distinguirse, su poder de comunicación no es mayor que el del silencio, pero obsesionan a las
vecinas agazapadas en la oscuridad y las reduce a la inacción. En cambio, una vez que las
muchachas se han marchado, las migalas ya pueden pasar a la acción, como libres de sus
remordimientos. No obstante, la partida de las muchachas es vivida con nostalgia, como si las
migalas observaran lo que hubieran podido ser y no serán nunca, la imposibilidad de vivir en
armonía con su consciencia.
El tema de la dualidad se declina también en datos simbólicos como la presencia de las
gatas: “Amistades: una gata mansa y pedigüeña, otra negra más salvaje pero igualmente
hambrienta” (26). No sólo se perciben en adjetivos como “pedigüeña” o “hambrienta”
incipientes metáforas de un deseo sexual posiblemente carnívoro, sino que las dos gatas
parecen reflejar sendas parejas: la gata “mansa” evoca a las muchachas, mientras que la
“negra más salvaje” parece hecha a la medida de las narradoras-protagonistas. El símbolo del
ajedrez, metáfora del hábil juego de las criminales para escapar a la justicia4 también conlleva
la idea de una dualidad. Su falsa simetría con polaridades opuestas, en blanco y negro, puede
recordar todas las dicotomías que instaura el cuento entorno a la dualidad entre muchachas y
migalas: día y noche, luz y oscuridad, exterior e interior, periferia y centro, normalidad y
peligro, desdoblamiento y fusión, consciencia e instinto maligno, reflejo y realidad, lo
cotidiano y lo fantástico, voces y silencios. Esquematizada así, tal trama podría parecer
forzada o maniquea, si no fuera por la sutileza con la que se manifiesta en el cuento, mediante
este uso magistral del silencio, un no decir más de la cuenta que confiere al edificio narrativo
la delicadeza y la eficacia de una telaraña y que nos lleva en la espiral de lo ineluctable. Así,
las viudas negras capturan finalmente a su presa envolviéndola en una telaraña narrativa
hecha de variaciones en torno al motivo de la repetición:

en algún momento nos acercaremos sin consultarnos, sin tratar siquiera de mirarnos, sabemos
que estamos pensando en Michael, en cómo también Michael volvió a la granja de Erik, sin
ninguna razón aparente volvió aunque para él la granja ya estaba vacía como el bungalow de al
lado, volvió como ha vuelto el visitante de las muchachas, igual que Michael y los otros

4
“nunca hemos llegado a un destino sin prever el próximo o los próximos. […] eso forma parte de un ajedrez
infinitamente más complejo en el que el modesto movimiento de un peón oculta jugadas mayores (32)”.

93
volviendo como las moscas, volviendo sin saber que se los espera, que esta vez vienen a una cita
diferente (37-38).

Observamos aquí el políptoton del verbo “volver” —”volvió” tres veces repetido, “ha
vuelto”, “volviendo” dos veces repetido— y una acumulación de comparativos —”también”,
“como” repetido tres veces, “igual que”. También se repiten los motivos obsesivos “Michael”
(tres veces) y “la granja” (dos), y se establece un paralelismo entre varias proposiciones
negativas referidas a lo ineluctable, como si actuaran fuerzas ocultas. Dos de estas
proposiciones conciernen a las migalas e ilustran su instinto de apego que prescinde de toda
palabra —”sin consultarnos”, “sin tratar siquiera de mirarnos”, y otra, afirmativa, refuerza la
misma idea “sabemos que estamos pensando en Michael”. Luego, tres proposiciones
negativas se refieren a las presas, a su instinto de víctimas que corren hacia su propia pérdida
—”sin ninguna razón aparente”, “aunque para él la granja ya estaba vacía”, “sin saber lo que
se los espera”. En el centro de esta red de repeticiones, quedan aislados “el bungalow de al
lado” y “el visitante de las muchachas” o sea los elementos centrales del desenlace del cuento,
las coordenadas del crimen: el lugar y la víctima. Así, el texto envuelve a su presa “como las
moscas” en una telaraña. Estas variaciones en torno a la repetición, a la comparación,
desembocan en una conclusión elíptica pero sugerente en que la diferencia “esta vez vienen a
una cita diferente”— hace eco a novelas o películas de terror y marca la ruptura en la
normalidad, la apertura hacia lo neo-fantástico.

Conclusión

Cada palabra cuenta en los cuentos de Julio Cortázar, que teje cuidadosamente sus redes de
sentido entorno a los/las lectores/as. Cada pincelada participa en la composición de este
paisaje tropical de una belleza “demasiado tentadora” que bien puede desgarrarse
repentinamente y abrirse hacia la oscuridad. En esta “Historia con migalas”, el manejo de los
silencios, sean tácitos o explícitos, revela abismos de misterio en los que lo no dicho abre la
puerta a las interpretaciones más diversas, a lo fantástico y hasta al horror. Pero el silencio no
existe sin su contrapunto vocal, sin las palabras pronunciadas, sin la voz. Y es precisamente
en el umbral entre voces y silencios, en este intersticio misterioso, donde se produce el acceso
a la otredad. Allí anida lo monstruoso, en el tabique entre las dos alas del bungalow (una llena
de voces, la otra de silencios), que bien podría representar la escisión en la mente de este ser
desdoblado, el espacio intermedio entre los dos hemisferios de su cerebro. Así, el bungalow
sería a la vez el centro neurálgico del monstruo y el centro de una telaraña narrativa, laberinto
hecho de voces y de silencios. Cortázar vuelve a dibujar la imagen de una feminidad
peligrosa, de la mujer fatal depredadora de hombres, pero a través de un juego de fusión y
desdoblamiento. Como en muchos de sus cuentos, el motivo del doble se vuelve peligroso y
lleva a un desenlace funesto. En fin, si los silencios cortazarianos participan de la sutileza de
su escritura, el placer de la lectura también consiste en llenarlos. Así, después de haber
investigado este extraño caso, ¿me atreveré a sugerir la posible identidad de la víctima?
Sabiendo que todo elemento de un cuento es imprescindible, ¿de qué serviría “el joven
gerente” que “acude fiel a la cita” (25) al principio del relato, si no fuera para volver a la cita
final, cerrando de modo circular la telaraña de esta “Historia con Migalas”?

94
II. Les Orients péruvien et bolivien

95
Los viajeros a los Orientes amazónicos en Perú y Bolivia desde las
independencias hasta la época del caucho. Algunas reflexiones.

Morgana Herrera
Universidad Toulouse Jean Jaurès

morgana.herrera@univ-tlse2.fr

Résumé :
Cet article est conçu comme une « boîte à outils » pour les candidats à l’agrégation
d’espagnol, sur le sujet des voyages aux orients amazoniens au Pérou et en Bolivie, des
Indépendances au « boom du caoutchouc ». Après des réflexions générales sur l'effet des
voyages en Amazonie sur la construction de cet espace, nous proposons une série d’exemples
de voyageurs classifiés selon leur profession.

Mots-clés :
Voyageurs, Pérou, Bolivie, Amazonie, XIXème siècle

Resumen:
Este artículo constituye una “caja de herramientas” para los estudiantes de agrégation. Se
centra en los viajeros a los Orientes amazónicos en Perú y Bolivia, desde las independencias
hasta el “boom del caucho”. Tras unas reflexiones generales sobre cómo los viajes han
contribuido a construir la Amazonía como espacio, proponemos el análisis de una serie de
viajeros, clasificados profesionalmente.

Palabras clave:
Viajeros, Perú, Bolivia, Amazonía, siglo XIX

Abstract:
This article is conceived as a “toolbox” for agrégation students. It focuses on the subject of
explorers in Peruvian and Bolivian Amazonia, from the Independence to the “rubber boom”.
After offering general reflections on the construction of the Amazonian space as a
consequence of these journeys, the study analyses a series of explorers, classified according to
their professions.

Keywords:
Explorers, Peru, Bolivia, Amazonia, XIXth century

97
Introducción

Para adentrarnos al tema de los viajes a los Orientes amazónicos de Perú y Bolivia durante un
período que se caracteriza por la construcción de las nuevas repúblicas latinoamericanas
siguiendo un modelo de Estado-Nación, quiero empezar con una cita de Víctor Andrés
Belaúnde, diplomático e historiador peruano especialista en cuestiones de límites. En 1942,
tras el final de la guerra peruano-ecuatoriana de 1941 en torno, entre otras regiones, al
amazónico Maynas, escribe Belaúnde a modo de balance sobre la peruanidad de la Amazonía:

La posesión peruana de la región amazónica hay que verla, por consiguiente, no sólo en las
ciudades y puestos fluviales, sino en la obra de los exploradores y pioneros. Esta es la obra que
trata de desconocer el Ecuador, por cuanto no han existido ni existen exploradores y pioneros
ecuatorianos en las selvas amazónicas (Belaúnde 357).

Fuera de la última parte de la cita bastante falaz y que se explica por el contexto belicoso
con Ecuador, me interesa partir de este momento pensado como un cierre de las fronteras
amazónicas peruanas para señalar que, para las élites políticas peruanas encarnadas aquí en el
discurso de Belaúnde, no se puede pensar la integración nacional del Oriente sin el aporte de
los exploradores que viajan a este espacio. El mero hecho de haber explorado espacios que
fueron mucho tiempo considerados terra incognita es para Belaúnde un argumento
contundente a favor de la soberanía nacional peruana en el Maynas.
Empiezo con esta cita sobre la misión de los exploradores puesto que considero que, en
el caso específico de la Amazonía, la palabra de “viaje” y la de “exploración” tienen una
relación de cuasi sinonimia dado el carácter particular de este territorio: la carencia de rutas y
de mapas precisos a lo largo del siglo XIX hacen de todo viaje al Oriente una expedición.
Hasta hoy en día, un viaje por la Amazonía es vendido por la mayoría de las agencias de
turismo como una aventura1. Así pues, para el caso de los Orientes en el siglo XIX e inicios
del XX, emplearé las palabras de viajero y de explorador como sinónimos. No seguiré la
definición consagrada por el historiador francés Jean-Georges Kirchheimer de viajero en el
sentido de “une personne qui s’est déplacée pour un motif quelconque pour se rendre dans un
pays qui n’est pas celui où il est né” (10) puesto que la Amazonía siendo el territorio de lo
desconocido, tanto los peruanos como los bolivianos que se desplazan a las zonas orientales
de sus países corresponden a la definición de viajeros.
Dado que este artículo fue realizado en el marco de la preparación de la agrégation, con
el fin de ayudar a los candidatos con ejemplos concretos que puedan ser utilizados en distintas
problemáticas del temario, propongo por un lado brindar algunas pautas generales sobre la
cuestión del viaje — sobre todo en territorio de confines — y las producciones textuales2 que
se generan a raíz de estos desplazamientos que son como otras tantas maneras de apropiarse
1
Afirma por ejemplo Oriol Beltran Costa en un estudio sobre el turismo en el Madre de Dios, departamento
amazónico del sur peruano fronterizo con Bolivia: “En los productos brindados por los operadores se resalta la
autenticidad y la posibilidad de vivir experiencias impactantes. La naturaleza es puesta a la venta como una
riqueza por descubrir, un patrimonio universal, un lugar para la aventura y para las sensaciones donde, junto a un
gran número de especies endémicas, habitan los últimos humanos que viven en su entorno” (124).
2
Por cuestiones de espacio no entraré en el tema de las producciones visuales que se generan durante los viajes
de exploración a los Orientes amazónicos a pesar de ser estas centrales y multiplicarse con los avances técnicos a
finales del siglo XIX que permite incluir en los relatos de viaje ya no solo grabados, sino fotograbados al igual
que fotografías. Ver por ejemplo Juan Carlos La Serna Salcedo y Jean-Pierre Chaumeil. El bosque ilustrado:
diccionario histórico de la fotografía amazónica peruana (1868-1950). Lima: CAAAP, IFEA, CEREA, PUCP,
2016. O para un estudio de caso específico, Jean-Pierre Chaumeil. “Primeros clichés. Las tribulaciones del
doctor Crevaux en Amazonia”. Fermín del Pino-Díaz, Pascal Riviale y Juan J.R. Villarías-Robles. Entre textos e
imágenes. Representaciones antropológicas de la América indígena. Madrid: CSIC, 2009. 213-225.

98
de un espacio; por otro lado, ofrecerles una vista panorámica de los distintos tipos de viajeros
a los Orientes amazónicos de Perú y Bolivia.

1. Reflexiones generales sobre el viaje a la Amazonía como redescubrimiento / reinven-


ción de este espacio

Tras las independencias y a lo largo siglo XIX, el viaje a la Amazonía se vuelve un tópico.
Existen dos grandes antecedentes a estos viajes decimonónicos, centrados sobre todo en un
interés científico por la topografía, botánica y fauna que no sólo abren la vía a todos los viajes
futuros, sino que serán referente en la producción de relatos de viaje: me refiero al viaje de
Charles Marie de La Condamine por el Amazonas en 1743-1744 para volver a Europa
después de su misión geodésica en Quito y al viaje de Alexander von Humboldt y Aimé
Bonpland en 1799-1800 para cartografiar con precisión el Orinoco y confirmar su conexión
con el Amazonas. Los testimonios de ambos exploradores son señalados como los primeros
de científicos europeos que destaquen el potencial económico de la región amazónica. Fuera
de estas notables excepciones, el siglo XIX es habitualmente pensado como el gran siglo de
los viajes y puede ser considerado siguiendo a los historiadores Michel Bertrand y Laurent
Vidal 3 , como el siglo del “re-descubrimiento de América” en el sentido en el que con la
creación de los nuevos estados independientes, se multiplican distintos viajes de exploración
por una necesidad de fijación de nuevas fronteras a la vez que con el desarrollo de los saberes
científicos, los expertos europeos buscan nuevos objetos de conocimiento. Volviendo a la
Amazonía, lo que se vuelve tópico es el hecho de cruzar el continente a la manera de La
Condamine, es decir, partiendo del oeste para llegar al este, desde del océano pacifico hasta la
costa atlántica, pasando por los ríos de la hoya amazónica. De ahí que muchos de los relatos
de viaje lleven títulos típicos de este recorrido. Citaré solo dos ejemplos: la obra de José
Manuel Valdez y Palacios Viaje del Cuzco a Belén en el Gran Pará (Por los ríos Vilcamayo,
Ucayali y Amazonas) publicada en Río de Janeiro en 1844 y Du Pacifique à l’Atlantique par
les Andes péruviennes et l'Amazone de Olivier Ordinaire publicado en París en 1892. Estos
títulos plasman la Amazonía como la última etapa del viaje cuando no, como la parte central y
el objetivo final de la expedición. Cruzar el continente suramericano de oeste a este nace de
un objetivo comercial claro para los viajeros extranjeros: encontrar la ruta interoceánica mas
adecuada.
La principal producción de los viajeros es la producción de información textual, a
menudo acompañada de imágenes como grabados, fotograbados o fotografías, siguiendo las
evoluciones técnicas de impresión. Los relatos de viajeros en el Oriente han sido una fuente
privilegiada para los historiadores. Sin embargo, esta fuente tiene que ser leída con
precaución ya que los viajeros construyen los espacios que atraviesan como territorio de lo
transitorio, los relatos de viajes son a menudo el resultado o bien de impresiones fugitivas o
bien la recopilación de información entregada por informantes autóctonos invisibilizados por
el viajero que se presenta como el único protagonista de su expedición y héroe de su propia
aventura. De esta manera, si Bertrand y Vidal hablan de “redescubrimiento” en el hecho de
explorar, se puede hablar de “reinvención” en el hecho de relatar, un concepto forjado por la
crítica Mary Louise Pratt en su obra sobre relatos de viajes Imperial eyes: travel writing and
transculturation. Con este título, Pratt invita a tomar en cuenta la responsabilidad del que
mira, del que ve: el viajero — a pesar de presentarse, según ella, como un “anti-conquistador”
en el sentido en que establece una relación de pasividad respecto a lo que describe — está
colonizando por el mero hecho de ver. El “ojo imperial”, a la vez que observa, toma posesión
3
Me refiero al titulo del libro Michel Bertrand et Laurent Vidal (eds.), A la redécouverte des Amériques : les
voyageurs européens au siècle des indépendances. Toulouse: Presses universitaires du Mirail, 2002.

99
del espacio al ordenar el mundo salvaje de la Amazonía en categorías heredadas de las
ciencias naturales o simplemente describiendo la naturaleza, sus habitantes y costumbres de
manera organizada. Este discurso reinventa la selva amazónica como el lugar que necesita de
una organización racional a la vez que plasma este territorio como la suma alteridad que
necesita de una misión civilizadora europea capaz además de explotar sus recursos naturales.
Dicho en palabras de Pratt, “narrating inland travel and exploration aimed not at the discovery
of trade routes, but at territorial surveillance, appropriation of resources, and administrative
control (39)”.

2. Tipología de los principales viajeros a los Orientes amazónicos

Tras estas reflexiones generales sobre la manera en la que se pueden interpretar los viajes a
los espacios de confines como la Amazonía, haré una esquematización de casos concretos de
viajeros. Los viajeros son principalmente extranjeros en el s. XIX ya que las expediciones a
los Orientes tienen ante todo un objetivo técnico y dada la escasez de científicos nacionales,
los gobiernos peruanos y bolivianos que necesitan información sobre estos espacios
desconocidos apoyan empresas lideradas por foráneos. Sin embargo, a la lectura de informes
o relatos producidos por viajeros, la diferencia entre extranjero y nacional es difícil de notar:
por un lado, porque la mayoría de los nacionales viajeros no conocen los Orientes y, por otro
lado, porque muchos de los viajeros extranjeros colaboran con los gobiernos nacionales o con
intelectuales y científicos locales. De igual manera, las distintas profesiones de los viajeros
que sirven en parte para caracterizar los objetivos de sus expediciones, no generan mayores
diferencias a la lectura de sus informes o relato de viaje ya que las variadas categorías
profesionales se van solapando a la hora de la escritura. Distinguiré así las siguientes
categorías de viajeros:
Los científicos en el sentido lato de la palabra, es decir, aquellos viajeros que tienen
como objetivo principal identificar recursos naturales que se puedan explotar e inventariar.
Los viajes de científicos tienen también a menudo como objetivo encontrar nuevas vías de
acceso al río Amazonas y, por ende, al espacio atlántico. En caso de que se tratara de
científicos extranjeros, este tipo de expedición podía ser financiado por una sociedad
científica como una sociedad de geografía. Sin embargo, estos objetivos iniciales podían
servir otros intereses. Citemos por ejemplo en el caso de Bolivia a alguien como Alcide
d’Orbigny, naturalista y paleontólogo francés, quien viajó al noroeste boliviano en 1826, cuyo
trabajo tenía un claro objetivo de clasificación científica y un interés particular por la
producción de quinina pero cuya obra Descripción eo ráfica, istórica Estadística de
Bolivia publicada en 1845 fue difundida para atraer colonos europeos una vez creado el
departamento del Beni en 1842 (García Jordán 182).
Los misioneros que realizan exploraciones se interesan más por las poblaciones
indígenas en sus viajes de exploración y sus testimonios pueden ser leídos como una
incipiente etnografía de poblaciones amazónicas teniendo cuidado con el interés de los
misioneros en presentar a los indígenas de misiones como en proceso de civilización y
oponerlos a los de “monte” descritos al contrario según las categorías que construyen la figura
del salvaje, creando así una dicotomía que no toma en cuenta situaciones de fronteras, del
entredós. Por otro lado, dado el papel de nacionalización de los Orientes delegado a los
misioneros como lo ha demostrado Pilar García Jordán, los relatos de viaje de los misioneros
pueden ser también interpretados como defensas de la soberanía nacional en espacios de
conflictos. Es el caso del padre franciscano Nicolás Armentia quien tras sus viajes de
exploración por los ríos Beni, Madre de Dios, y sus tributarios, además de varias

100
publicaciones de gran interés etnográfico, se vuelve uno de los principales defensores de los
derechos bolivianos en Apolobamba (Villar).
Por el contrario, en relatos de expediciones lideradas por militares cuyo principal
objetivo era por lo general entregar informes para establecer estrategias defensivas en zonas
de frontera o realizar mapas en estos territorios de potencial conflicto con los países vecinos,
vemos aparecer informaciones que no sirven forzosamente un objetivo militar y de defensa
nacional. Pilar García Jordán cita así el ejemplo de José Manuel Pando, quien antes de ser
presidente de Bolivia, realizó varias expediciones en la región de Madre de Dios fronteriza
con Perú entre 1893 y 1898 con claros fines de defensa territorial pero que dibuja también en
sus relatos de expedición e informes oficiales un retrato socioeconómico de la zona (227).
Varios eran los ingenieros que realizaban exploraciones para estudiar la viabilidad de
construcción de caminos o ferrocarriles y así conectar los Orientes con el resto del país. En el
caso del Perú, los distintos proyectos de vías de penetración a la selva amazónica desde los
centros poblados de la costa y la sierra son de hecho alicientes para varios viajeros desde la
segunda mitad del siglo XIX. El caso concreto del ingeniero peruano César Cipriani combina
varias preocupaciones nacionales orientalistas de inicios del siglo XX. En su informe de 1906
a favor del acceso al Oriente por la vía central que parte de Lima hasta el río Perené que
permite luego conectar con el Ucayali, principal afluente del Amazonas, Cipriani privilegia
esta vía como el seguimiento del antiguo proyecto de prolongación del ferrocarril central que
data de antes de la Guerra del Pacífico, pero con un motivo suplementario del interés de
conectar la capital, Lima, con la zona de explotación cauchera. En el prefacio de su informe,
nos informa que el objetivo de su viaje es elaborar: “el vasto plan de construcción de líneas
férreas, figurando en primer término la que está destinada a llenar la singular misión de unir el
mejor puerto y capital de la República con el corazón de la zona amazónica. (3)”. Por otro
lado, Cipriani vincula esta preocupación comercial con un interés militar ya que:

mediante la prolongación del ferrocarril Central hasta un punto navegable del Ucayali con las
fronteras por el lado del Yurua, Purús y Madre de Dios y también con los del Ecuador y
Colombia, a donde podrá convergir en cualquier tiempo y circunstancias el poder militar de la
nación entera con mas eficacia y seguridad que por cualquier otra vía (10).

El viajero, y sobre todo el viajero ingeniero vial, es aquí el que abre camino para
potenciales campañas militares en zonas de fronteras difíciles de proteger.
Hago caso aparte de los exploradores vinculados con la economía del caucho durante el
boom de su explotación, un período que supone una multiplicación de viajes en búsqueda de
nuevas vías de acceso al Amazonas. El interés económico por la explotación del jebe hace que
los viajes financiados por los gobiernos peruano y boliviano se multipliquen (sobre todo por
cuestiones de delimitaciones de fronteras en zonas caucheras) a la vez que aumentan los
viajes realizados por iniciativa propia de los grandes explotadores del caucho interesados en
expandir sus negocios. Pienso por supuesto en Carlos Fermín Fitzcarrald quien consiguió
conectar el mercado de la goma del norte de Perú con la vía del sur del Madre de Dios
después del descubrimiento del famoso istmo que lleva su nombre. Se puede igualmente citar
al explorador norteamericano y médico oficial de la Madeira Mamoré Railway Company,
Edwin Heath. Al abandonarse este proyecto de ferrocarril en 1879, Heath decide explorar el
bajo Beni, porción del río considerado innavegable por contar con numerosos rápidos.
Apoyado por el barón del caucho Antonio Vaca Diez, consigue navegarlo en 1880 conectando
así el río Beni con el Marmoré. Su descubrimiento de la navegabilidad de la llamada Cachuela
Esperanza le permitirá a Nicolás Suárez construir su imperio cauchero en esta zona antes
considerada como peligrosa (Fifer 120-128). Fuera de los viajes con el objetivo de la

101
expansión de los dominios caucheros, una modalidad especifica de viaje al oriente durante el
periodo se da con el surgimiento del llamado “escándalo del Putumayo”. Desde las primeras
denuncias realizadas por el periodista iquiteño Benjamín Saldaña en contra de Julio César
Arana y las condiciones inhumanas en las que son sumidas las poblaciones indígenas
esclavizadas por la empresa Arana, los viajes de investigación a esta región fronteriza entre
Perú y Colombia se multiplican y mediatizan. El ingeniero estadounidense Walter Ernest
Hardenburg quien había inicialmente viajado a la región en 1908 en busca de trabajo termina
por ser el primer reportero internacional de los sucesos publicando una serie de artículos en la
revista británica Truth y fijando la imagen de un “paraíso del diablo” para describir el
Putumayo. Del mismo modo, el cónsul británico Roger Casement investiga en la zona y
publica un informe a pedido del Parlamento inglés en 1910. Por último, no se puede dejar de
citar el viaje de la comisión consular de 1912 organizado por la propia Peruvian Amazon
Company, viaje durante el cual Julio César Arana guía al cónsul británico George B. Mitchell
y al cónsul estadounidense Stuart J. Fuller por su explotación, escenificando el supuesto éxito
“civilizador” de la empresa Arana. El viaje a zonas de confines como la Amazonía que se
podía entender hasta la fecha como una manera de constatar con sus propios ojos una realidad
inaccesible para la mayoría de personas, es aquí una mentira propagandística a favor de la
defensa de los caucheros cuyo resultado más patente es el álbum de fotografías del viaje
consular (Chirif et al.).
Hacia el final del período podríamos hablar también de viajeros reporteros. Podríamos
argüir incluso que todo explorador que haya producido un relato de viaje por entrega, en
particular en revistas de difusión fuera del ámbito científico — como las conocidas revistas
francesas Le Tour du monde o La Revue des Deux Mondes — que por su modalidad de
publicación invita el explorador a incluir a un lector europeo con afán de exotismo en su
proceso de escritura4. Este tipo de escrito contribuye a reinventar las tierras amazónicas como
lo más alejado a lo europeo y cultiva el gusto por la aventura asociado a este espacio a la vez
que construye al viajero como a un aventurero. Así pues, vemos que un mismo viaje puede
producir dos tipos de producciones textuales: un informe oficial pensado para los pares de
sociedades científicas y un relato de viaje pensado para un público receptor mucho más
amplio. Es el caso de Marcel Monnier, explorador francés que realiza en 1886 un viaje por el
Huallaga. Su relato de viaje De los Andes hasta Pará. Ecuador — Perú — Amazonas
publicado en París en 1890 está impregnado por reflexiones políticas y observaciones sobre la
actualidad que descubre al llegar al Perú de la posguerra del Pacífico, destruido por el
conflicto y a la vez en pleno auge de un pensamiento regeneracionista respecto a su Oriente.
Monnier retoma este tipo de discurso de los miembros de la élite política e intelectual que
frecuenta en Lima y que le brindan consejos para que el francés realice su expedición:

Aujourd’hui encore des publicistes, de vaillants explorateurs, les Raimondi, les Martin Albornoz,
les Saamanez y Ocampo, pour ne citer que ceux avec lesquels je me suis trouvé en relation, ne
cessent de dirent à leurs concitoyens : « Là [en Amazonie] est le salut, le relèvement, le retour de
la prospérité perdue » (Monnier 130).

A lo largo de su relato de viaje por el Huallaga, Marcel Monnier se interesa más en este
viaje en el contexto histórico y en comentar la actualidad con gran sentido del humor que en
recaudar datos científicos. Distingue así su diario de viaje del informe que presenta ante la
Sociedad de geografía de París el 4 de mayo 1888 y en el que se concentra casi

4
Como bien lo recordó Erick Langer en la presentación de este trabajo, los diarios de viaje en el siglo XIX eran
un género literario en sí y los exploradores tomaban en cuenta el potencial de best-seller que podían tener sus
relatos a la hora de redactarlos.

102
exclusivamente en explicar las dificultades de navegación del Huallaga. En cambio, De los
Andes hasta Pará, premiada por la Academia francesa recalcando así el valor literario es un
texto que se asemeja más a un reportaje y que convencerá de hecho el diario francés Le Temps
de contratar a Marcel Monnier como corresponsal iniciando así oficialmente su carrera
periodística.

Conclusión

Con esta lista de ejemplos de viajeros, constatamos por un lado que las exploraciones de los
Orientes amazónicos sirven propósitos muy claros de control de territorio desconocido por los
gobiernos bolivianos y peruanos a la vez que responden a un interés comercial por descubrir
nuevos productos y vías de comercialización para las potencias extranjeras. Sin embargo,
reducirlos a una misión preestablecida es olvidar la individualidad de algunos viajeros. Si he
clasificado a estos viajeros por sus actividades profesionales no quiero dejar de recordar que
existen varios casos atípicos y razones diversas de viajar al Oriente. Cito por ejemplo el caso
del explorador cuzqueño, José Manuel Valdez y Palacios, emigrado político en 1843 que huye
de persecuciones adentrándose a la selva amazónica del sur peruano haciendo una vez más de
la Amazonía una tierra fuera de la ley y espacio privilegiado para los prófugos. Su huida deja
en parte de serlo para transformarse en exploración del Oriente cuando Valdez y Palacios
redacta el testimonio de su experiencia: Viaje del Cuzco a Belén en el Gran Pará (Por los ríos
Vilcamayo, Ucayali y Amazonas).
La Amazonía seguirá siendo tierra del viaje y de la exploración por antonomasia a lo
largo del siglo XX, entre otros motivos, cuando se abre la era de los grandes viajes de
antropólogos extranjeros a la vez que el gusto por el otro y por lo exótico fomentado por los
relatos de viaje, pero también por la circulación de postales con fotografías de grupos
indígenas a finales del siglo XIX, será argumento de venta de un incipiente turismo
amazónico en la segunda mitad del XX y hasta el día de hoy.

103
Une lecture géopolitique des Orients péruvien et équatorien
Délimitation et militarisation des frontières internationales
(1933-1945)

François Bignon
Université de Rennes, Arènes UMR 6051

francois.bignon@univ-rennes2.fr

Résumé :
Au début des années 1930, les enjeux géopolitiques devinrent centraux dans la gestion des
orients de la part du Pérou et de l’Équateur. À un rythme jamais connu auparavant, la
frontière était délimitée, cartographiée, et militarisée bien que de manière plus favorable aux
Péruviens. Ce rapide processus reconfigura ainsi les relations sociales dans la région,
notamment pour les peuples natifs.

Mots-clés :
Amazonie, diplomatie, démarcation, militarisation, frontières

Resumen:
A principios de 1930, los aspectos geopolíticos se volvieron centrales en el manejo de los
Orientes por parte de Perú y Ecuador. La frontera fue delimitada, cartografiada y militarizada
a un ritmo hasta entonces desconocido, aunque de forma favorable para los peruanos. Así,
este rápido proceso reconfiguró las relaciones sociales en la región, en particular entre los
pueblos nativos.

Palabras clave:
Amazonía, diplomacia, demarcación, militarización, fronteras

Abstract:
In the early 1930's, geopolitical issues became crucial in Peru and Ecuador’s management of
the Oriente. At a pace not seen before, the border was delimited, mapped, and militarized,
even though it happened in an advantageous way for Peruvians. This quick process
reconfigured social relations in the region, especially those among indigenous peoples.

Keywords:
Amazon forest, diplomacy, demarcation, militarization, borders

105
La lecture géopolitique (diplomatique et militaire) des processus de nationalisation des
Orients péruvien et équatorien au XIXe siècle est souvent reléguée à un plan secondaire,
comparée à l’étude des dynamiques économiques et religieuses. Plusieurs facteurs peuvent
l’expliquer. Le fait que la frontière internationale ne coïncide pas encore avec le front interne
d’exploitation des Orients limite en premier lieu les contacts entre les représentants militaires
de chaque pays, et partant les conflits. C’est aussi le résultat d’une documentation difficile à
exploiter en raison de sa dispersion ou de ses aspects caricaturaux et rébarbatifs, comme c’est
le cas de la documentation diplomatique destinée à prouver les droits de chaque pays sur
d’immenses territoires encore mal connus. Enfin, les principaux ouvrages de synthèse
pratiquent une césure chronologique dans les années 1930 (García Jordan, Cruz y arado ;
Heymann, L'Oriente péruvien). Or, ces dernières constituent justement une décennie au cours
de laquelle les acteurs diplomatiques et militaires tentent de s’imposer dans la gestion des
Orients des deux pays, face à d’autres acteurs mieux implantés.
En effet, en septembre 1932, un groupe de Loretanos prenaient le port colombien de
Leticia et déclenchaient de fait une crise internationale, remettant en cause l’accord
auparavant secret qu’avait contracté le président Augusto Leguía avec les Colombiens. Après
une guerre larvée aux multiples rebondissements, les négociations de Rio de Janeiro en 1934
confirmaient la souveraineté colombienne sur le trapèze amazonien. Les aspects militaires
récemment étudiés tendant à minimiser la qualification de « guerre du caoutchouc » qui est
généralement accolée à ce conflit (Camacho Arango, El conflicto de Leticia). En revanche, les
événements de 1932-1933 ont été perçus comme un échec de la part des Péruviens qui n’ont
pas su organiser efficacement leur défense militaire, quand bien même ils disposaient
théoriquement de forces bien supérieures à celles de la Colombie. Par ailleurs, ces mêmes
événements déclenchèrent un intérêt très vif des Équatoriens, voisins des deux belligérants,
qui souhaitèrent faire partie des négociations pour ces territoires traditionnellement disputés
entre les trois Républiques. S’ils n’obtinrent pas gain de cause, les négociations bilatérales
avec les Péruviens qui étaient auparavant gelées reprirent à Lima, ce qui enclencha un
nouveau cycle de rivalité aiguë entre les deux pays au lourd passif dans cette région. En une
douzaine d’années, du règlement de la question de Leticia en 1934 aux années qui suivirent
immédiatement la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce conflit séculaire trouva ainsi son
dénouement quasi-complet dont la rapidité convient d’être interrogée au regard des
négociations diplomatiques puis de l’occupation militaire des Orients.

1. Développement et résolution partielle du conflit

1.1 Les phases diplomatiques du différend frontalier

Les origines du conflit pourraient remonter à la période coloniale, voire précolombienne pour
certains auteurs, mais nous nous bornerons à indiquer les trois grandes étapes de gestion
diplomatique entre le début du XIXe siècle et le milieu du XXe siècle (figure 1).
Avec les Indépendances, la délimitation des frontières restait floue, malgré le principe
d’uti possidetis qui devait conserver aux États nouvellement indépendants les mêmes
possessions territoriales qui incombaient aux administrations coloniales dont elles avaient pris
la place. Assez rapidement entre le Pérou et la Grande Colombie, des différends virent le jour
quant à cette délimitation, et une première guerre intervint en 1828, qui ne changea pas
fondamentalement les données du problème. Après l’indépendance de l’Équateur (1830) se
construisirent au cours des discussions bilatérales les discours juridico-historiques qui
s’affrontèrent par la suite, chaque partie s’appuyant sur des documents lui reconnaissant la
possession, tout en niant la validité ou la portée des documents employés par l’adversaire.
Quito revendiquait ainsi l’intégralité de la rive gauche du Mara ón et de l’Amazone, tandis

106
que Lima se considérait possesseur de tout le bassin amazonien, jusqu’au Piémont des Andes,
à quelques encablures de la capitale équatorienne. Malgré ces positions irréconciliables, les
nouveaux États confrontés à d’immenses difficultés portèrent un intérêt très relatif à ces
périphéries, ce qui limita pour un temps les conflits de grande ampleur.
Au cours des années 1850 cependant, un regain d’intérêt pour les Orients mena à de
nouveaux affrontements entre les deux pays. L’Équateur, en tentant de céder à des créanciers
étrangers des territoires amazoniens revendiqués par les Péruviens, provoqua l’occupation
d’une partie de son territoire par le Pérou de Ramón Castilla. Le transfert fut annulé et la
situation laissée pendante.
À la fin du XIXe siècle, le regard des deux Républiques se tourna à nouveau vers cette
région. D’une part les missions y trouvaient l’occasion de s’illustrer dans un contexte de
marginalisation politique au sein de chaque pays, surtout au Pérou. L’engouement venait
d’autre part du boom du caoutchouc faisant entrevoir des perspectives de rentrées fiscales
importantes. Les deux pays s’entendirent alors pour soumettre le conflit à l’arbitrage du roi
d’Espagne, qui en tant que monarque de l’ancienne puissance coloniale, disposait de la
neutralité et de la connaissance des enjeux nécessaires à mener cette mission à bien (Martínez
Riaza). L’arbitrage signifiait que le jugement serait sans appel et le processus avançait pour
cette raison à pas très lents. Entretemps, les deux pays tentèrent encore une fois de s’entendre
bilatéralement mais l’accord, comme bien d’autres, ne fut jamais appliqué par manque de
ratification du Congrès péruvien. Quant à l’arbitrage espagnol, il n’eut jamais lieu. En 1910,
devant une décision qu’il estimait défavorable à ses intérêts, l’Équateur se retirait avant que
ne soit rendue public la décision du monarque, menant ainsi les deux pays au bord de la
guerre.
Ce fut l’occasion pour les États-Unis, puissance régionale montante, d’imposer l’idée
d’une médiation en lien avec d’autres États hémisphériques (principalement le Brésil et
l’Argentine, plus tard le Chili), soit en présentant des propositions concrètes aux deux pays
tout en leur laissant la décision finale, soit en améliorant simplement la cordialité des relations
entre les deux voisins pour faciliter le dialogue (politique de « bons offices »). C’est cette
modalité de gestion multilatérale panaméricaine qui, tout en composant avec des phases
bilatérales fréquentes, s’imposa bon an mal an tout au long du XXe siècle, dans les moments
de crise (1941) comme de résolution du conflit (1998).
Les tentatives de fixation de la frontière dans les Orients depuis le XIX e siècle jusqu’aux
années 1930 ont donc été une succession d’échecs basés sur une série de facteurs structurels.
La faible connaissance géographique des espaces en question ne permettait pas de fixer une
ligne claire et admise par tous, tant sur le papier que sur le terrain. L’attitude parfois hostile
des populations indiennes, notamment dans le Haut-Marañón, empêchait des établissements
définitifs. Enfin le sentiment national des négociateurs et des opinions publiques ne permettait
aucun compromis qui aurait immédiatement été interprété comme une trahison à la patrie.

107
Figure 1 : chronologie du différend frontalier péruano-équatorien (1802-1942)

Tentatives de définitions bilatérales

• 1802 : Cédule royale qui aurait transféré les provinces de Maynas et Quijos de
Quito à Lima
• 1821 : la province de Jaén se déclare indépendante de l'Espagne et se rattache
au Pérou. Bolivar accepte cette séparation de fait mais caresse l'espoir de
rattacher ultérieurement la province à la Grande-Colombie
• 1828 : guerre entre la Grande-Colombie et le Pérou, remportée par la
première. Le traité de Girón (2 février 1829) qui faisait de la frontière entre les
deux vice-royautés en 1809 la frontière officielle, est rejetée par le nouveau
Président péruvien. Traité de Guayaquil (29 septembre 1829) favorable à
Quito
• 1841-1842 : l’Équateur réclame pour la première fois la réintégration de Jaén
et Maynas
• 1853 : Création du département de Loreto par les Péruviens, et protestation
contre la déclaration équatorienne de libre circulation sur les rivières au Nord
de l’Amazone
• 1857-1860 : les Équatoriens tentent de solder une dette aux Britanniques par
cession de territoires contestés. En rétorsion, les Péruviens exercent un blocus
sur les ports péruviens, puis occupent Guayaquil. Traité de Mapasingue, qui
annule l'usage de territoires disputés comme paiement aux créanciers et
rétablit la frontière définie par la Cédule de 1802. Les Équatoriens contestent
ensuite la validité de ce traité signé avec un caudillo local

Tentative d’arbitra e espa nol (1887-1910)

• 1890 : Traité García-Herrera, très favorable à l’Équateur, dénoncé par le


Congrès péruvien
• 1903 : incident d’Angosteros
• 1904 : incident de Torres Causano
• 1910 : Échec de l’arbitrage

Tentative de médiation des États-Unis (après 1910)

• 1924 : Protocole (appliqué seulement en 1936) par lequel les parties décident
de se mettre d'accord sur les territoires qui seront soumis à l'arbitrage du
Président des États-Unis
• 1936-38 : Établissement d'un « statu quo de 1936 » correspondant aux
positions de fait. Début puis échec des négociations de Washington. Aucun
territoire n'est soumis à l'arbitrage de Roosevelt
• 1941 : seconde proposition de médiation tripartite des États-Unis, du Brésil et
de l'Argentine. Guerre. Les Équatoriens sont défaits et la province de El Oro
occupée.
• 1942 : protocole de Rio favorable aux Péruviens

108
1.2 Délimitation et démarcation de la frontière : la fin du mystère amazonien

Les événements de Leticia en 1932-1933 débloquèrent la situation. Après deux années de


pénibles discussions bilatérales à Lima, le Pérou et l’Équateur signaient en 1936 l’Acte de
Lima par lequel ils s’engageaient à poursuivre les négociations à Washington (terrain
considéré comme neutre) et à soumettre à l’arbitrage du Président des États-Unis les
territoires sur lesquels l’accord mutuel était impossible. Dans le même temps, les deux pays
s’engageaient à ce que leurs forces militaires respectent les positions qu’elles occupaient au
moment de la souscription de l’accord, suivant ainsi un Statu quo temporaire. Ces auspices
favorables à une entente historique ne durèrent cependant que très peu de temps. Les
négociations de Washington achoppèrent sur l’intransigeance des négociateurs, et les
Péruviens se retirèrent unilatéralement en 1938.
Dans un contexte de tensions mondiales en rapport avec la Seconde Guerre mondiale,
une courte guerre mena alors les Péruviens à une victoire nette sur des Équatoriens mal
préparés et divisés (Bignon, Jeux d'échelles). Le Protocole de paix, d’Amitié et de Limites
aussi appelé Protocole de Río, signé à Rio de Janeiro en janvier 1942, établit définitivement la
frontière entre les deux pays. Au cours des années qui suivirent, une campagne importante de
démarcation de cette frontière au sol fut menée avec difficulté par des commissions mixtes
composées de Péruviens, d’Équatoriens, et d’observateurs d’autres puissances, qui
délimitèrent la quasi intégralité de la frontière, sauf une petite portion de 80 km, la fameuse
« Cordillera del Condor » appelée jouer un rôle de première importance dans les conflits
postérieurs.
Au cours de celle délimitation de la frontière sur le papier puis de la démarcation sur le
terrain, des territoires encore très mal connus au début des années 1930 ont été parcourus et
cartographiés. Encore en 1936, le géographe en chef du ministère des affaires étrangères
équatorien pouvait s’avouer incapable de situer non seulement les positions de l’ennemi, mais
encore les propres positions des bases équatoriennes ! La situation péruvienne n’était que
légèrement meilleure, puisqu’au cours du conflit avec la Colombie, la majorité des cartes
s’étaient avérés erronées. Or, depuis plusieurs années, des efforts cartographiques avaient été
déployés pour mieux connaître ces territoires. Le Pérou de Leguía par exemple avait fait venir
des cartographes de l’armée française, malgré l’échec relatif de leur mission (Dagicour,
Construir el Estado). Dans les années 1930, cette cartographie s’accéléra en raison des
nécessités imposées par les négociations de Washington : il fallait disposer de cartes fiables
pour trancher sereinement. La campagne de démarcation après le protocole de Rio clôtura ce
processus grâce à l’utilisation de techniques extrêmement innovantes de cartographie
employées par l’armée des États-Unis, en particulier la photographie trimétrogone et la
reconnaissance par radar, qui coûtèrent d’ailleurs la vie à 14 techniciens au cours de deux
accidents d’avion (McBride et Yepes, Mito y realidad).
La années 1930 ont donc permis une avancée remarquable dans la connaissance des
territoires frontaliers. Les tentatives de reconnaissance du terrain, avant la guerre, loin de
régler immédiatement la question cependant, attisèrent au contraire les tensions à la frontière
dans un contexte de militarisation rampante.

2. La militarisation effective ou désirée de l’espace ama onien

2.1 Une présence militaire ancienne quoique oscillante dans les Orients

La présence militaire dans la région n’était certes pas une nouveauté. Sans remonter aux
premières expéditions du temps de la Conquête, l’action de Ramón Castilla au milieu du XIX e

109
siècle avait déjà été décisive dans l’organisation administrative et l’exploitation économique
du Nororiente péruvien. La présence ponctuelle de soldats des deux pays s’était ensuite
traduite dans la région du fleuve Napo par les Incidents d’Angosteros et de Torres Causano en
1904 et 1905, qui aboutirent à plusieurs dizaines de morts. La région amazonienne avait
néanmoins connu un relatif désinvestissement militaire depuis au moins les années 1920. La
chute des cours du caoutchouc, le souci de ne pas armer des velléités séparatistes, de même
que la stratégie de Leguía d’obtenir des frontières fixes, fusse au prix de renoncements
territoriaux, avaient limité la présence de garnisons. Les soldats postés dans ces régions
devaient par ailleurs composer avec des populations natives parfois hostiles. En 1913, une
garnison péruvienne en avait fait l’expérience au cours de « la matanza del Morona ». Les
indiens Wampi, suite à la capture et aux mauvais traitements infligés à leurs femmes par les
soldats péruviens, avaient attiré la garnison dans un piège en plein jour. Quatorze soldats et
deux officiers y avaient laissé la vie, les autres fuyant par terre et par rivière. Malgré la féroce
répression qui semble avoir suivi ce fait d’arme, la démonstration de force indienne avait
retardé la colonisation militaire de la zone pendant deux décennies (Guallart, Entre pongo y
cordillera 197-200). En dépit de toutes ces difficultés, un nouvel élan colonisateur semble
avoir occupé les forces armées péruviennes et équatoriennes au cours des années 1930.

2.2 Un nouvel intérêt de la part des militaires

Chez les Péruviens, cet élan s’est traduit en premier lieu par un travail intellectuel de la part
des officiers et sous-officiers sur l’adaptation de la doctrine militaire aux réalités de la forêt
tropicale. Les cadres de l’armée de terre étaient formés depuis la fin du XIXe siècle par des
missions militaires françaises qui avaient créé les structures d’enseignement de l’institution.
De nombreux manuels de garnisons péruviennes étaient ainsi des traductions intégrales de
manuels français, contenant des instructions relatives à du matériel que les Péruviens ne
possédaient pas toujours. Ce décalage avait été rendu flagrant par le conflit de Leticia, les
soldats et officiers disposant de matériel, d’ordres et de tactiques non adaptés.
Le conflit avec la Colombie réglé, une série de publications visa alors à combler cet
impensé tactique. Des articles de la Revista militar del Perú, quelque essais plus longs, des
conférences, ainsi que des publications de la Marine, qui jusque-là avait été la branche
principale des forces armées en charge de l’Amazonie, arrivèrent à former un corpus
doctrinaire cohérent, dont on ne citera que deux références caractéristiques (Romero, Las
fuerzas de la Marina; Torres V., Las operaciones militares). Toutes ces études tentaient de
mettre en place une nouvelle doctrine de l’armée en Amazonie qui reposerait sur un matériel
plus léger, maniable et résistant à l’humidité, une tactique de déplacement par petits groupes
en approche déguisée, en lien avec la Marine, par une lutte adaptation à l’environnement
grâce à des mesures prophylactiques destinées à éviter les maladies tropicales. Enfin plusieurs
auteurs plaidèrent pour un programme ambitieux de colonisation militaire via l’enracinement
de petites agglomérations urbaines autour de garnisons composées de paysans-soldats.
Si l’intégralité de ce programme n’a pas été réalisée, l’intérêt nouveau porté par les
cadres militaires péruviens pour le Nororiente a connu des conséquences concrètes. De
nombreuses garnisons ont été renforcées ou avancées (figure 2), notamment à partir de 1936,
ce qui indique un lien avec les négociations à Washington qui commencèrent cette année-là,
le Pérou et l’Équateur essayant de gagner du terrain avant que les positions ne soient figées.

110
Figure 2 : Création et renforcement des garnisons péruviennes de la Quinta División
(1930-1941)

1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 1937 1938 1939 1940 1941
Secteur
Putumayo- El 28 de Santa
Curaray Infante Arica Curaray Julio Rosa
Arica
Teniente
Secteur Yanez
Tigre- Capitán Soldado
Pastaza Sargento Soplin Coronel Bezada Luna
Lores Borja Portillo Carbajal Santo
Batra Tomas
Secteur Subte- Sargento
Morona- Vargas Teniente niente Puño Chavez
Santiago Barranca Guerra Pinglo Castro Chávez Valdivia
Valdivia

Source : Zanabria Zamudio, Luchas y victorias 164-195, élaboration propre.


Du côté équatorien, il ne semble pas y avoir eu d’intérêt doctrinaire équivalent de la part
des forces armées, mais des efforts très clairs de militarisation de la gestion de l’orient sont en
revanche patents. On observe d’abord une tentative de réorganiser les forces en présence en
redessinant les découpages administratifs des bataillons au cours des années 1920 et 1930. Il y
a ensuite une militarisation de l’administration dédiée à l’Oriente, notamment lorsqu’en 1936
la Dirección de Oriente, administration civile en charge des questions amazoniennes, fut
transformée en Cuarto Departamento del Ministerio de Defensa Nacional, à fonctionnement
donc militaire. Par ailleurs, ces efforts étaient accompagnés d’incitation financière pour les
effectifs présents dans la région, ainsi que de tentatives de colonisation militaire (Macías
Núñez, El ejército ecuatoriano). Effectuées dans des conditions souvent rocambolesques et
marquées du sceau du secret et du manque de moyens, ces implantations ont été le plus
souvent des échecs, et les efforts équatoriens de militarisation de l’Amazonie, quoique réels,
ont eu une portée bien moindre que ceux du voisin péruvien, moins divisé et aux ressources
plus élevées.
2.3 Une présence militaire renouvelée mais déséquilibrée

Les effectifs des deux pays ont ainsi cru dans des proportions asymétriques des deux côtés de
la frontière au cours des années 1930. Les Équatoriens disposaient peut-être de 700 soldats
dans tout leur Orient avant la guerre de 1941, tandis que les Péruviens pouvaient compter sur
un effectif environ deux fois supérieur (1246 soldats en avril 1941). Au moment des
événements de Leticia, moins d’une dizaine d’années auparavant, ils n’étaient que 350 soldats
de l’armée péruvienne à garder la frontière. Numérique, l’asymétrie entre les troupes
péruviennes et équatoriennes portait aussi sur les conditions de vie : les premières étaient
mieux dotées en vivres et en matériel grâce au réseau fluvial qui les reliait à Iquitos, même
s’il fallait parfois plusieurs semaines pour faire l’aller-retour. Les Équatoriens étaient quant à
eux beaucoup plus démunis, ce que la fiction a rendu palpable (León León, Mono con
Gallinas). L’éloignement des principaux centres d’ordres et de matériels obligeait même
parfois les garnisons équatoriennes à dépendre de la garnison péruvienne la plus proche pour
s’alimenter. Malgré ces écarts entre les deux pays, l’augmentation régulière du nombre de

111
personnels de l’armée avait à la fin des années 1930 constellé les bassins du Marañón et de
l’Amazone, ainsi que leurs affluents septentrionaux, de garnisons d’importance variable.
Cette présence non massive mais pérenne et régulière eut alors des effets sur les
configurations sociales de la région. Autour des garnisons de taille importante se nouèrent des
relations personnelles entre soldats et officiers des deux pays, ainsi qu’avec leurs familles qui
vivaient souvent dans les alentours, avec les commerçants ou encore avec les quelques
aventuriers de passage. À Rocafuerte/Pantoja, double garnison équatorienne et péruvienne sur
le Napo, se trouvait ainsi la plus forte concentration militaire de la région. Jusqu’à 1000
personnes pouvaient y être présentes, dont au moins 150 soldats péruviens et 150 équatoriens.
Cette proximité, voire promiscuité, n’était pas sans attiser des tensions. En 1938, le
commandant de la garnison équatorienne (Rocafuerte) décida en effet d’interdire aux
commerçants équatoriens de vendre leurs marchandises aux militaires péruviens, meilleurs
clients en raison de la différence de monnaie, ce qui déclencha des heurts, quelques morts, un
incident international commenté dans la presse de New York à Buenos Aires et même discuté
en marge de la Société Des Nations à Genève. Les accrochages de ce type se multiplièrent
tout au long de la décennie, installant un climat de défiance entre les deux camps.
L’autre conséquence importante de cette présence militaire fut l’intensification des
échanges avec les peuples originaires. Les Indiens, principalement Quichua du Pastaza ou
Jivaros (Shuar, Achuar, Awajun, Wampi) étaient en effet présents de part et d’autre de la
frontière. Ils contrôlaient de cette manière l’information, connaissaient les lieux et les
chemins, et vivaient pour certains au contact direct de la troupe dans des habitations proches
du camp, auquel ils fournissaient souvent de la nourriture en échange de produits
manufacturés. Mis devant la nécessité de s’attirer leurs bonnes grâces, les militaires des deux
pays pratiquèrent un semblant de nationalisation de ces populations : dans le discours d’abord,
en les considérant de plus en plus comme des compatriotes à protéger des mauvais traitements
infligés par le pays voisin. Dans la pratique ensuite, avec la volonté assumée d’engager ou au
moins d’user des services des Indiens. Il semble que le Pérou ait mieux réussi cette stratégie,
qui dans la deuxième moitié du XXe siècle devint plus systématique, comme le montre le
recours à la notion de fronteras vivas qui tend à considérer les Indiens comme les gardiens
naturels de la frontière internationale (Guallart, Fronteras vivas). Il faut noter aussi le fait que
les Indiens qui travaillaient le plus étroitement avec les troupes étaient ceux qui avaient des
noms chrétiens et qui étaient donc passés par le prisme de l’évangélisation. Dans d’autres cas,
ils travaillaient pour un colon local, ancien cauchero. Il y avait donc complémentarité plutôt
que concurrence entre l’armée et les autres vecteurs traditionnels de nationalisation de
l’Amazonie que furent les missions et les acteurs économiques.
Conclusion

La militarisation de l’espace amazonien a donc été une réalité aux conséquences géopolitiques
mais aussi sociales dans la région. Il faut cependant souligner que les Équatoriens ont eu
tendance, pour des raisons tant de ressources que de tradition, à continuer de s’appuyer
principalement sur l’héritage missionnaire, comme le montre cette remarque de 1932 d’un
commandant péruvien à l’encontre d’un missionnaire salésien : « antes de que él funde la
capilla, pondré Guarnición, para sacarlo a palos cuando llegue este Fraile » (Mendez Núñez,
Informe que presenta el explorador). Le succès des Péruviens dans la guerre de 1941 peut
alors en partie être interprété comme le résultat de cette politique plus volontariste et
cohérente que celle du voisin équatorien. Avec le règlement diplomatique de 1942 et la
campagne de démarcation qui suivit, la phase historique qui avait commencé avec la prise de
Leticia avait placé au centre du débat sur les Orients des deux pays les acteurs et les enjeux
diplomatiques et les militaires, phénomène qui se renforcerait dans la seconde moitié du
siècle.

112
Oriente, nation building et imaginaire collectif en Équateur : comment la
question amazonienne est devenue la question des frontières amazoniennes

Emmanuelle Sinardet1
Université Paris Nanterre

CRIIA - Centre d’études équatoriennes, EA 369 — Études romanes

emmanuellesinardet@yahoo.fr

Résumé :
La question frontalière, réactivée par les tensions avec le Pérou, « orientalise » l’équatorianité
et réduit, substitue le territoire amazonien à sa bordure. Ce cas illustre une dynamique
nationaliste de construction d’un imaginaire collectif, inséparable du processus du nation
building. Il importe alors de penser l’État-nation depuis et à la lumière de ses marges,
orientales en l’occurrence.

Mots-clés :
Équateur, Amazonie, frontière, Pérou, nationalisme

Resumen:
La cuestión fronteriza, reactivada por las tensiones con Perú, “orientalizó” la ecuatorianidad y
redujo el territorio amazónico a sus fronteras. El caso ecuatoriano ilustra la dinámica
nacionalista de un imaginario colectivo, inseparable del proceso de construcción de una
nación. Este estudio reflexiona sobre el Estado-nación desde, y a la luz de sus márgenes,
orientales, en este caso.

Palabras clave:
Ecuador, Amazonía, frontera, Perú, nacionalismo

Abstract:
The question of borders, reactivated by conflicts with Peru, “orientalised” the Ecuadorianity
and reduced the Amazonian territory to its border. Ecuador exemplifies the nationalistic
dynamics of a collective imaginary, which is inseparable from the nation-building process.
This study reflects on the State-Nation from and in the light of its margins; eastern margins in
this case.

Keywords:
Ecuador, Amazonia, border, Peru, nationalism

1
Ce texte est d’abord une réflexion problématisée traitant de la question au programme, même si nous avons
effectué des travaux de recherche sur le sujet. Nous indiquons dans la bibliographie les principales références sur
lesquelles nous nous appuyons ; elles ne sont pas exhaustives.

113
« El Ecuador ha sido, es y será país amazónico » a été une phrase-slogan incontournable en
Équateur à partir de 1942, répétée dans tous les discours publics, reproduite sur tous les
documents officiels et dans tous les textes scolaires, à l’issue de la signature du protocole de
Rio de Janeiro en 1942 qui a signifié, pour l’Équateur, la perte de près de deux tiers de ses
territoires amazoniens au profit du Pérou. Malgré la signature de l’accord de paix avec le
Pérou en 1998, cette phrase-slogan à caractère nationaliste apparaît toujours sur certains
documents officiels dans les années 2010. D’ailleurs, en 2009, le 12 février est proclamé Día
del Oriente pour célébrer l’Amazonie d’Équateur, une région désormais divisée en 6
provinces. Les discours prononcés à cette occasion vantent sa beauté et ses richesses dans des
termes qui rappelleraient ces discours en vogue au XIXe siècle que les candidats à
l’agrégation connaissent bien. Le choix du 12 février est parlant : il commémore le 12 février
1542, date de la découverte du fleuve Amazone par l’expédition de Francisco de Orellana.
Parce que Quito est le lieu de l’organisation de l’expédition puis de son départ, l’imaginaire
national qui se met en place à partir du XIXe siècle considère cette découverte comme un
exploit « équatorien » — en dépit de l’anachronisme ; il est ainsi admis que l’Amazone, tout
comme le Napo qui a guidé l’expédition depuis Quito, ont un caractère équatorien. Depuis la
naissance de la République de l’Équateur en 1830, cette représentation historique sert à assoir
la légitimité des revendications du pays sur la région du Napo et une partie des rives de
l’Amazone.
Je me permets cette entrée en matière par le 21e siècle, pour souligner la place
déterminante qu’occupe el Oriente dans l’imaginaire collectif national et dans la définition
même de la ecuatorianidad, cette identité nationale aux contours parfois flous et mouvants,
redéfinie et reformulée depuis 1830. Le différend frontalier entre le Pérou et l’Équateur a
occasionné différents conflits armés, mais celui de 1941 est déterminant à cet égard. Du point
de vue équatorien, la guerre équatoriano-péruvienne de 1941 résulte d’une invasion pure et
simple de la part du Pérou en vue d’une annexion arbitraire de l’Orient équatorien. Du point
de vue péruvien, en revanche, le conflit de 1941 aurait été provoqué par une agression
équatorienne. Nous n’entrerons pas dans la polémique. Remarquons seulement que la perte
des territoires en 1942 2 , qui rend tangible l’ampleur de la défaite, est vécue comme un
véritable traumatisme, non seulement comme une injustice et une terrible humiliation, mais
comme le symptôme même de la vulnérabilité de la nation Équateur. En ce qui nous
concerne, ce traumatisme national est en soi le signe de l’existence d’une équatorianité
« orientalisée » à la fin de la période définie par la question au programme de l’agrégation, les
années trente. D’ailleurs, le slogan mentionné plus haut (« El Ecuador ha sido, es y será país
amazónico ») tend à essentialiser l’équatorianité dans son orientalité, en posant une continuité
historique ininterrompue à travers l’association passé-présent-futur. Cette essentialisation est
à l’œuvre dès le XIXe siècle, même si l’Oriente est alors un territoire à peine exploré et non
intégré à l’espace national. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, un genre
« orientalisant » sui generis voit même le jour, consolidant cette orientalité de l’équatorianité :
la historia de los límites, l’histoire des frontières équatoriennes d’Amazonie. Ce genre, sur
lequel nous reviendrons également, contribue à subsituer à l’histoire de l’Amazonie celle de
ses frontières. Cette substitution, ou plus exactement cette réduction d’un territoire à sa
bordure, illustre une dynamique nationaliste constitutive de la construction d’un imaginaire
collectif, inséparable du processus du nation building équatorien durant la période étudiée. Le
cas équatorien éclaire ainsi un axe de la problématique sous-jacente à la question au
programme : penser l’État-nation depuis et à la lumière de ses marges, de ses marges
orientales en l’occurrence.
2
Le 29 janvier 1942, le protocole de Rio de Janeiro définit de nouvelles frontières entre les deux pays.
L’Équateur perd non seulement des territoires sur la Côte, près de Tumbes, et dans les Andes, au sud de Zamora,
mais aussi et surtout presque deux tiers de ses territoires amazoniens.

114
1. Problématisation de la question au programme

Le nation building comme processus est rarement appréhendé depuis les espaces marginaux,
depuis ces espaces articulés tardivement avec le centre, un centre qui n’est d’ailleurs pas
nécessairement géographique, mais politique et identitaire. En Équateur, comme dans les cas
péruvien et bolivien, les territoires marginaux coïncident avec les espaces limitrophes entre
pays, des espaces de surcroît mal définis, posant le problème de la délimitation des frontières
d’une part, et la question de l’exercice effectif de la souveraineté de l’État d’autre part. À cet
égard, le sujet d’agrégation articule la complémentarité mais aussi la mise sous tension du
binôme centre/périphérie.
En effet, il questionne les processus de nationalisation des territoires orientaux,
processus qui ne posent pas seulement la nécessité de leur désenclavement (une notion
géographique, principalement) mais de leur « incorporation » selon la terminologie de
l’époque (c’est-à-dire de leur intégration politique, institutionnelle et identitaire). D’ailleurs,
le choix de nommer ces marges des « Orients » dans l’intitulé même du sujet au programme
nous invite ici à penser la périphérie amazonienne dans ses relations avec un lieu
géographique compris comme le centre, un centre hégémonique. Car ce sont ces centres, les
capitales des jeunes États, qu’il s’agisse de Quito ou de Lima, qui orientalisent la marge et qui
instituent l’Amazonie, à l’Est, comme un « Orient ». Toutefois, la problématique liée aux
relations centre-périphérie est présentement beaucoup plus dynamique que la simple
opposition souvent associée à ce binôme conceptuel, comme l’illustre à son échelle le cas
équatorien. L’étude des « Orients » en tant qu’espaces à la marge des territoires étatiques
montre que, malgré leur marginalité, ils jouent un rôle primordial dans la production d’un
imaginaire collectif national. Ils fonctionnent, pour l’historien, comme des repères, rendant
compte de l’avancée des constructions identitaires. En d’autres termes et depuis cette
perspective, ils sont loin d’être marginaux, comme nous tenterons de le montrer.
Ainsi, dans le cas équatorien, l’Amazonie n’est pas seulement une composante
territoriale, mais un référent symbolique, identitaire qui plus est, permettant de cerner ce que
les élites au pouvoir considèrent comme le principal défi à relever au XIX e siècle, à l’issue de
l’indépendance : construire la nation autour et via l’État. Tout au long du XIXe siècle, les
élites considèrent qu’il existe des frontières internes nuisant à la consolidation de l’État-
nation. Pour elles, la construction nationale ne sera pleinement réalisée que lorsque ces
frontières intérieures auront disparu, c’est-à-dire lorsqu’elles coïncideront avec les frontières
extérieures telles qu’elles sont représentées sur les cartes, les frontières nationales. Ce qui a
plusieurs implications. Évidemment, cela implique premièrement de délimiter clairement les
frontières avec les États voisins, des frontières âprement discutées et objets de nombreux
litiges. Les voisins, dès les indépendances, sont considérés comme une menace externe pesant
sur la survie de nations encore très fragiles. Deuxièmement, cela construit également une
certaine représentation voire définition de l’Amazonie. Celle-ci serait un territoire « vide » ;
lorsque ses habitants sont évoqués, ils relèvent d’une barbarie primitive forcément excluante,
celle de sauvages qui ne sauraient faire partie de la nation, pensée comme nécessairement
« civilisée ». En l’absence de représentants de l’État — porteurs de la « civilisation » —, on
parlera alors de « désert ». Le roman de Juan León Mera, Cumandá, publié en 1877, en est
une illustration ; le titre complet est d’ailleurs Cumandá o un drama entre salvajes. Il en
découle la négation des droits des peuples autochtones d’Amazonie, négation légitimée par un
discours où le binôme centre-périphérie recoupe le binôme civilisation-barbarie.
Par ailleurs, les élites au pouvoir, conservatrices comme libérales, doivent lutter contre
les risques de fragmentation, d’implosion, de dislocation du territoire national sous l’effet de
puissants régionalismes. L’équatorianité doit devenir le ciment unissant des groupes aux

115
identités différentes et aux intérêts divergents, pour dépasser cette menace interne pesant sur
la survie de l’État-nation. Le pays est confronté à une forme de bicéphalisme Sierra-Costa
pour reprendre l’expression de Deler, et l’Orient représente ce troisième terme invitant à le
surmonter, symboliquement bien sûr, puisque cette troisième région reste, durant toute la
période étudiée, dans les faits, mal intégrée et mal articulée à l’espace national. Les marges
amazoniennes, l’Orient géographique, servent de référents nationalistes pour créer des
ennemis de l’extérieur, permettant en même temps de créer un « nous » interne totalisant et
homogénéisateur. En d’autres termes, la périphérie consolide le centre et son étude rend
bien compte du processus de nation building à l’œuvre.
J’ai tenté ici de problématiser mon propos depuis la perspective posée par la question au
programme, en cernant des points communs entre les trois États, Équateur, Pérou, Bolivie. Il
me semble toutefois qu’il existe une spécificité équatorienne : l’Orient y est doublement en
marge. Certes, comme dans les cas péruvien et bolivien, il se trouve à la périphérie, aux
frontières, dans un lointain inconnu quoique présent dans l’imaginaire collectif à partir de la
seconde moitié du XIXe siècle, nous le verrons. Mais il est aussi marginal en ce sens qu’il
échappe à la dynamique d’intégration au marché capitaliste mondial qui s’accélère à partir des
années 1870 en Équateur. Celle-ci s’effectue sous l’effet de ce qu’il est convenu d’appeler le
boom du cacao, lequel se produit sur la Côte pacifique et non en Amazonie. L’Équateur ne
connaît pas de véritable boom du caoutchouc, même s’il existe des cultures d’hévéa. La
principale richesse du pays est la production et l’exportation du cacao, surnommé à juste titre
la pepa de oro3. Par conséquent, la marge qui cesse d’en être une dans la seconde moitié du
XIXe siècle, par rapport au centre qu’est la région andine, la Sierra, et à son cœur, Quito, c’est
la Costa. Je renvoie d’ailleurs le lecteur à cet autre roman fondateur de la littérature nationale,
au titre éclairant, A la Costa de Luis A. Martínez, publié en 1904, où l’Eldorado attirant les
migrants, c’est la Côte, et non l’Amazonie. Et pourtant, l’Orient s’affirme dans l’imaginaire
collectif naissant, comme l’indique toujours la littérature, cet excellent indicateur des
constructions identaires. En Équateur, l’Oriente entre en littérature avant même la Costa :
Cumandá, publié en 1877, est salué déjà comme le premier roman national, alors qu’il faut
attendre 1904 pour que la Costa entre à son tour en littérature, avec le roman de Luis A.
Martínez.

2. Orient, nation building et imaginaires collectifs : les étapes dans le cas équatorien

Durant le XIXe et les premières décennies du XXe siècle, en Équateur comme chez ses
voisins, l’Orient est investi par l’imaginaire collectif en formation. Pour le dire brièvement, il
y est un territoire fantasmé comme une issue (voire une solution) aux problèmes économiques
et politiques du pays. On peut y voir le prolongement des mythes et légendes hérités de la
période coloniale, de celle de El Dorado notamment. L’Orient est décrit comme une promesse
à travers ses multiples richesses, or, caoutchouc, cannelle, bois précieux, quina, entre autres.
Dans le cas équatorien, en outre, l’Orient est également fantasmé comme un axe de
communication vital. Rappelons que les élites au pouvoir, avant l’ouverture du Canal de
Panama, tendent à se vivre comme isolées de l’Europe, une Europe qui demeure à leurs yeux

3
Le cacao représente 55% du total des valeurs des exportations en 1879 ; il atteint 70% à partir de 1880 et
approche les 80% en 1900 (Ortiz Crespo, La incorporación del Ecuador 188). En 1899, le pays exporte le
cinquième de la production mondiale (Chiriboga et Piccino, La producción campesina cacaotera 15). Les
haciendas cacaoyères, situées pour la plupart dans l’hinterland de Guayaquil, peu peuplées et nécessitant une
main d’œuvre abondante pour satisfaire la demande soutenue, attirent alors des migrants venus des Andes,
région qui avait été jusque-là la matrice de la naissante équatorianité. La pepa de oro a ainsi pour effet un
processus de rééquilibrage entre la Costa, moins peuplée, et la Sierra, même s’il faut attendre 1974 pour que la
Costa représente 50% de la population nationale.

116
la référence ultime — le centre — en termes de civilisation. Il existe néanmoins une voie
naturelle reliant Quito à l’Atlantique et au monde européen, le Napo et l’Amazone, empruntés
par Orellana au 16e siècle. L’Orient, grâce à ses voies fluviales, fonctionne symboliquement
comme un cordon ombilical : il relie à la civilisation une jeune république avide de progrès,
selon ses élites euro-centrées.
Les enjeux économiques, politiques et symboliques liés à l’Amazonie expliquent la
formulation de projets appelant, dès le milieu du XIXe siècle, de façon pressante, à
l’installation de colons et de représentants de l’État central en Oriente. La nationalisation —
l’équatorianisation en l’occurrence — des territoires amazoniens est un débat public récurrent
durant la période étudiée, quoiqu’à des degrés divers, nous allons le voir. Ces projets ne sont
pas toujours le fait des gouvernants. Ils peuvent être le fruit d’initiatives individuelles, celles
de citoyens déclarant se mettre au service de la nation et à la défense de ses intérêts. Ils sont
parfois produits par les élites locales, dans les provinces andines voisines de l’Orient. Celles-
ci tentent ainsi, à plusieurs reprises, de promouvoir des voies d’accès devant aussi bénéficier à
l’économie de leur province. Je ne reviendrai pas ici sur les initiatives menées depuis le
Tungurahua, l’Azuay ou le Chimborazo notamment ; soulignons juste que leur étude éclaire
aussi l’évolution des relations et rapports de force entre pouvoir local et pouvoir central, ainsi
que les difficultés de ce dernier à assoir son autorité dans un pays marqué — pour ne pas dire
divisé — par les régionalismes. Dans tous les cas, la question des frontières est insistante dans
ces projets, associant très tôt la question amazonienne à celle de l’intégrité territoriale.
Je distinguerai plusieurs étapes. La première correspond aux années 1830-1860, à l’issue
de la naissance de la république de l’Équateur, avec la mise en place d’une organisation
administrative qui, dans le cas amazonien, délègue aux missionnaires catholiques la fonction
« d’incorporer » à la nation les Indiens, en l’occurrence de les « évangéliser » et de les
« civiliser ». Même si l’Orient représente alors des territoires enclavés et même inconnus, la
question frontalière se pose déjà de façon aiguë. L’évêque Plaza conduit dans les années 1850
un voyage exploratoire afin de planifier l’installation de missions. Dans un rapport assez
alarmiste, il en appelle à un « sentimiento nacional » salutaire pour lutter contre une probable
intrusion de voisins péruviens et brésiliens. Il interprète notamment la signature du traité de
commerce et de navigation entre ces deux pays, en 1851, comme une menace pesant sur les
possessions équatoriennes. Les différends frontaliers sont à l’origine d’une première crise
grave avec le Pérou, qui devient même une crise nationale. En 1857, lorsque l’Équateur signe
un accord devant lui permettre de liquider une partie de sa dette extérieure en accordant à une
compagnie anglaise des concessions sur la Côte mais aussi en Amazonie, le Pérou proteste et
bloque le port de Guayaquil, le plus important du pays. Le traité de Mapasingue est alors
signé entre le représentant du Pérou et le Jefe Supremo del Gobierno de Guayaquil qui
reconnaît la souveraineté du Pérou sur les territoires réclamés par l’Équateur. Le traité
provoque immédiatement la fureur de plusieurs groupes politiques qui s’unissent contre le
gouvernement de Guayaquil, menaçant de dislocation le territoire national, en 1859. Cette
crise, parce qu’elle est autant nationale qu’internationale, met en évidence, pour ce qui nous
intéresse, non seulement les délimitations frontalières floues et instables, la faiblesse de
l’autorité de l’État central, mais aussi l’émergence de l’Orient dans les discours à caractère
nationaliste qui se mettent en place progressivement.
La seconde étape correspond à la période 1860-1890 qui précède peu ou prou le boom du
caoutchouc péruvien (1880-1910). La menace de l’invasion du voisin péruvien devient
centrale dans la façon d’appréhender l’Amazonie, posant la question d’une souveraineté
effective sur les régions frontalières. Le conservateur ultramontain Gabriel García Moreno,
lors de ses deux présidences (1861-1865 puis 1869-1875), formule un projet de colonisation
des territoires amazoniens reposant sur l’immigration étrangère et la construction
d’infrastructures. Les résultats sont décevants ; les représentants de la « civilisation » restent

117
principalement des missionnaires. García Moreno a concédé le monopole de l’évangélisation
des Indiens aux Jésuites, celle-ci étant devenue une priorité absolue à ses yeux, afin de mettre
fin à la résistance autochtone, notamment celle des Shuars des régions de Gualaquiza et de
Zamora, résistance considérée comme un obstacle majeur à l’équatorianisation de l’Oriente.
À partir des années 1880 et avec la pression économique croissante sur la région, des conflits
surgissent entre les premières réelles entreprises d’exploitation des richesses locales (le quina
ou quinquina autour du Napo, en particulier) et les missions qui s’opposent à leurs activités au
nom de la protection des Indiens. Avec la politique laïque de la révolution libérale de 1895,
les jésuites seront expulsés ; les conservateurs accuseront d’ailleurs Eloy Alfaro, le leader
libéral, d’avoir, ce faisant, fragilisé la présence équatorienne et facilité l’avancée péruvienne.
Une troisième étape, les années 1890-1920, correspond au boom du caoutchouc qui
provoque une pression péruvienne inédite sur les zones limitrophes ; elle correspond aussi peu
ou prou à la période libérale (1895-1925). L’Oriente devient un facteur de cohésion interne,
en ce sens qu’il participe de la construction de cet « autre », de ce « eux » péruvien, qui
consolident a contrario un « nous » équatorien unificateur. La question frontalière se trouve
désormais au cœur de la préoccupation amazonienne, une préoccupation qui vire à l’obsession
à la fin du XIXe siècle, alors que toute présence péruvienne est perçue comme une intrusion.
Faute d’espace, je me limiterai à quelques exemples rendant compte de l’exacerbation des
tensions entre les deux pays.
En 1891, le missionnaire dominicain Enrique acas Galindo, accusé d’espionnage, est
retenu par les autorités péruviennes à Yurimaguas. Il parvient à s’enfuir en empruntant
l’Amazone et rejoint l’Atlantique. Il rédige alors un essai véhément alertant sur la menace
péruvienne et l’urgence d’équatorianiser l’Oriente. À la fin du XIXe, l’Équateur proteste
contre des adjudications de terres effectuées par le Pérou autour du fleuve Santiago, puis
contre d’autres adjudications, à la Sociedad Unión Amazonas, sur les rives du Mara ón ;
Quito exige des dédommagements, en vain. Les incidents se multiplient, de plus en plus
violents. Sur les rives du Curaray, en 1893, la propriété de l’exploitant de caoutchouc Juan
Rodas, qui est aussi le gouverneur de la province d’Oriente, est attaquée par José María
Mouron, représentant de l’autorité du Pérou dans la zone du Napo. Mouron est accompagné
d’un officiel d’Iquitos et de quatre soldats péruviens qui auraient proféré des insultes contre
l’Équateur ; ils remontent ensuite le Napo pour tenter de planter le drapeau péruvien dans le
village de Coca. Sur les bords du Morona, au début du XXe siècle, le Pérou établit une
avancée militaire près du village de Macas et fait fuir les employés de la Compa ía Franco-
Holandesa qui devaient entamer les travaux préalables à la construction d’une voie de chemin
de fer transamazonien. Des escarmouches militaires meurtrières entre Équatoriens et
Péruviens dans le bas Napo — à Angoteros en 1903 et à Solano en 1904 — achèvent de
scandaliser l’opinion publique. L’exaltation patriotique se manifeste dans un courant que je
qualifierais d’orientaliste, où des citoyens entendent contribuer à l’équatorianisation de
l’Oriente à travers des associations et des sociétés patriotiques. En 1904, par exemple, est
créée une Junta Patriótica Especial dont l’objectif est de commémorer les soldats morts dans
les combats avec les Péruviens. Le problème régional prend une ampleur nationale, en tant
que préoccupation partagée mobilisant l’ensemble des citoyens.
Après les crises de Angoteros et de Solano, une démilitarisation du Napo est décidée.
L’issue du conflit est soumise à un arbitrage international, celui de l’Espagne en l’occurrence.
Cet arbitrage mobilise les efforts des juristes et diplomates les plus réputés du pays, pour une
cause considérée comme nationale. Mais en 1910, des informations filtrent, révélant que
l’arbitrage serait favorable au Pérou, ce qui déclenche une levée de boucliers, propice à des
déclarations nationalistes souvent guerrières. Ce n’est plus seulement la souveraineté mais
l’honneur national qui est alors en jeu. L’Amazonie est unanimement la grande cause, objet
d’une propagande patriotique. Par exemple, la Sociedad de Orientalistas est créée en 1912 à

118
Quito, la Sociedad Orientalista del Pichincha en 1917, la Asociación Patriótica rientalista
en 1919 et un Comité de Colonización Práctica del Oriente Ecuatoriano en 1927. Ces
associations promeuvent des projets de construction de routes et de voies ferrées, ainsi que
des plans de colonisation et de développement pour l’Amazonie. D’autres ont un caractère
plus culturel, montrant l’articulation historique de l’Oriente à l’équatorianité ; elles rappellent
toutes la geste fondatrice d’Orellana, parti de Quito pour découvrir l’Amazone.
Pour revenir à la problématique du sujet d’agrégation, les frontières amazoniennes
deviennent des frontières intérieures, intérieures au sens d’intime, de personnel ; autrement
dit, les frontières extérieures sont imaginées comme la projection d’une personnalité
collective intérieure que chacun porte en soi. Nous pensons évidemment à Fichte dans ses
Discours à la nation allemande de 1808, lorsqu’il observait combien les frontières — même
les plus éloignées, comme ici — jouent un rôle dans la définition de l’identité nationale. Ces
frontières intériorisées permettent d’habiter le temps et l’espace de l’État-nation comme un
lieu qui a toujours été et qui sera toujours « chez soi », de façon intemporelle, même si cet
État est récent comme dans le cas équatorien. Les frontières s’instituent alors en repères pour
la conscience collective et favorisent la construction identitaire. Ils sont des signifiants, au
même titre que le nom de la nation, le drapeau ou l’hymne, sur lesquels peuvent se transférer
le sentiment du sacré, les affects du sacrifice et de l’amour.

3. La historia de los límites, genre sui generis : quand l’histoire des frontières
ama oniennes se substitue à celle de l’Ama onie

L’articulation effective des projets amazoniens avec les politiques de construction nationale et
de consolidation de l’autorité de l’État est en définitive assez tardive en Équateur. Elle est en
partie le fruit de l’accentuation de la pression des voisins péruviens, en quête de caoutchouc
notamment. Le boom du caoutchouc aura peu joué dans l’économie équatorienne, tournée
vers le cacao, nous l’avons vu ; mais il aura eu, indirectement, un impact sur la création d’un
consensus parmi les autorités nationales et locales, de tous bords politiques : la question
amazonienne est devenue la question des frontières amazoniennes. Celle-ci dépasse les
clivages, elle transcende les divisions. Dès lors, il n’est pas étonnant que, de façon simultanée,
à partir de la fin du XIXe siècle, surgisse un genre singulier entièrement consacré au sujet : la
historia de los límites. Des historiens, des diplomates, des juristes, des religieux aussi, se
penchent sur les questions de droit territorial afin de parfaire l’argumentaire à présenter aux
nations œuvrant comme intermédiaires dans la résolution du litige avec le Pérou. Ainsi, la
perspective de l’arbitrage par l’Espagne donne lieu à de nombreuses publications — je me
limiterai de nouveau à quelques exemples représentatifs, faute d’espace.
Le salésien Segundo Álvarez Arteta est l’auteur de La cuestión de límites entre la
República del Ecuador y el Perú, apuntes y documentos, publié en 1901, un « encargo
oficial » qui lui est confié par les autorités libérales (VII), alors même que les relations entre
conservateurs ultramontains et libéraux laïques sont particulièrement tendues. Dans l’avant-
propos justement, l’auteur, un religieux opposé à la laïcité et se réclamant du parti
conservateur, justifie sa collaboration avec le jeune régime libéral. Il déclare avoir suivi la
« línea de conducta que le aconsejaron sabiamente a [su] dignidad de Sacerdote y de
Ecuatoriano [su] sincero amor a la paz y [su] conciencia » (VII). La résolution du litige
frontalier est bien comprise comme une mission supérieure à tous les différends idéologiques.
D’ailleurs, l’auteur cite également les paroles du ministre libéral Peralta, attaqué à son tour
pour avoir confié cette mission importante à un conservateur, religieux de surcroît. Peralta
invoque également l’intérêt suprême de la patrie : « El Señor Alvarez Arteta es adecuado para

119
la misión que se le confía; y como no se trata de la utilidad de un partido, SINO DE LA
NACIÓN ENTERA, poco importa que militemos en bandos contrarios4 » (VIII).
Reprenant les termes d’Álvarez Arteta, nous pourrions définir le genre de la historia de
los límites non seulement comme une littérature à la fois historique, géographique et
juridique, mais comme un plaidoyer nationaliste ayant pour seul et unique objet « […] el
estudio de nuevos hechos que aumenten y amplíen el inagotable caudal de las razones que al
Ecuador le asisten, al probar que ha vindicado sus derechos conforme a indeclinable justicia y
a la más inflexible verdad » (XI).
Après les incidents de Angoteras en 1903, la situation s’envenime dangereusement entre
l’Équateur et le Pérou, et pour éviter une guerre, les deux pays prient le roi d’Espagne de
rendre un arbitrage, nous l’avons vu. L’Espagne désigne Ramón Menéndez Pidal pour
examiner les enjeux du litige ; il arrive en 1905 dans un climat particulièrement tendu,
puisque des troupes péruviennes sont accusées d’avoir attaqué une garnison équatorienne.
C’est à ce moment que le Père Enrique Vacas Galindo publie La integridad territorial de la
República del Ecuador, ouvrage qui reçoit l’approbation officielle de la Junta Patriótica
Nacional. Il s’agit également d’une œuvre rédigée ad hoc, à la demande de Remigio Crespo
Toral, avocat de la délégation équatorienne concernant le litige frontalier. Pour sa part, en
1905 également, Luis Antonio Chacón fait paraître Apuntaciones para el estudio de límites
del Ecuador con el Perú. L’ouvrage a été rédigé en 1900, à l’initiative de l’auteur, mais il
n’avait alors pas trouvé d’éditeur. En 1905, le débat étant devenue la grande cause nationale,
c’est El Telégrafo, le grand quotidien de Guayaquil, qui le publie.
Une seconde vague d’expansion du genre correspond à la période 1910-1915, alors que
le pays connaît un regain de tension avec le Pérou. Le litige n’est toujours pas résolu,
l’Espagne ayant renoncé à son rôle d’arbitre. Les escarmouches frontalières se multiplient et
donnent lieu à des troubles anti-péruviens en 1910. Le consulat du Pérou est attaqué à
Guayaquil, ainsi que des établissements commerciaux et un navire de commerce péruviens.
Eloy Alfaro lui-même envisage la guerre. Il faut la médiation des États-Unis, du Brésil et de
l’Argentine pour éviter le conflit. Soucieux d’informer ces États de la teneur du litige et de
leur soumettre un argumentaire en vue, de nouveau, d’une décision qui leur soit favorable, les
diplomates et juristes équatoriens, à la demande de leur ministère de tutelle, reprennent la
plume. Le diplomate Clemente Ponce publie ainsi en 1911 Límites entre el Ecuador y el Perú:
memorandum para el Ministerio de Relaciones Exteriores de la República de Bolivia,
ouvrage réédité en 1915.
Les discours tenus dans les ouvrages de historia de los límites contribuent à façonner
l’imaginaire collectif. L’Instruction publique et laïque, création majeure de la révolution
libérale, y participe particulièrement en instaurant, en 1921, l’histoire des frontières comme
une matière à part entière des programmes scolaires — au même titre que la géographie ou les
mathématiques. Elle le restera jusqu’à la signature du traité de paix avec le Pérou en 1998. Le
manuel scolaire devant servir de support à cet enseignement est l’ouvrage de Modesto Franco
Chávez, publié en 1922, Cartilla Patria, epítome de historia y geografía referentes a las
fronteras entre Ecuador y Perú, de 1531 a 1921. Il fait entrer le genre de la historia de los
límites, dont il relève, dans les salles de classe. En effet, il en reprend les argumentaires, le
vaste corpus de cédules et traités, les conclusions imparables et l’immanquable appel au
patriotisme des lecteurs. Il entend « formar el alma nacional » (13) selon les termes de
l’introduction, une âme indissociable des frontières amazoniennes et, partant, orientalisée.
Les discours de ce genre singulier dépeignent le Pérou comme une nation s’appuyant
depuis sa naissance sur la seule force pour faire valoir ses arguments, d’une insolente et
scandaleuse mauvaise foi dans la contestation des preuves présentées par l’Équateur. A

4
Nous conservons la typographie originale.

120
contrario, l’Équateur apparaît comme une nation pacifique, honnête, respectueuse de ses
engagements et de ses voisins. N’est-il pas scandé dans tous ces ouvrages que « el Ecuador
jamás ha disputado al otro nada de su territorio » (Chávez 13) ? L’Équateur se construit
progressivement un ennemi collectif qui est présenté comme un ennemi héréditaire fourbe et
malfaisant : le Péruvien. En construisant cet « autre », ce « eux », les discours nationalistes
consolident un « nous » équatorien valorisant, homogénéisé et homogénéisant. L’Oriente
comme cause patriotique est devenu un facteur de cohésion interne.
La question de l’Orient, dans cette dynamique centre-périphérie remarquablement
continue dans le temps, contribue à éclairer l’édification de la nation selon la perspective du
nation-building. Elle montre bien (telle est, du reste, la définition de ce dernier) une série de
processus par lesquels un État utilise ses pouvoirs pour développer un sentiment
d’appartenance parmi ses citoyens, un sentiment qui prend forme principalement à travers une
identité nationale — du moins, ce qui est présenté comme étant l’identité nationale. Force est
de le constater, les discours sur la marge contribuent à consolider le centre. Ils assoient la
légitimité et l’autorité de l’État central, à Quito, parce qu’ils conduisent les citoyens à partager
suffisamment d’intérêts et de points communs pour ne pas — ou ne plus, le cas échéant —
souhaiter se séparer les uns des autres ; ils les amènent à accepter plus facilement la tutelle de
l’État et son projet. Ces dynamiques centre-marge et leurs échelles région-nation participent
de la construction d’une communauté « imaginée » selon l’expression de Benedict Anderson.
Pour Anderson, la construction du sentiment national passe par l’élaboration d’une
communauté imaginée dans la mesure où, même si un individu ne peut pas connaître tous les
membres de la communauté nationale, il est toutefois capable de se représenter celle-ci. En
Équateur, nous l’aurons compris, il se la représentera aussi comme orientale.

Conclusion

S’agissant de l’Équateur, la période étudiée devrait se prolonger jusqu’en 1942, lorsqu’est


signé le protocole de Rio de Janeiro. Le traumatisme est tel que politiques et intellectuels
s’interrogent sur la viabilité de la nation Équateur ; l’équatorianité même est questionnée.
Parmi eux, citons Benjamín Carrión (1897-1979) qui fonde en 1944 la Casa de la Cultura
Ecuatoriana en réponse à cette terrible crise identitaire. Son ambition consiste à faire de
l’Équateur une « grande nation par la culture », puisque le pays ne saurait y prétendre ni par la
taille, ni par la puissance militaire, comme l’ont montré la douloureuse défaite de 1941 puis
l’humiliation de 1942. L’ambitieux projet culturel pour la nation porté par Carrión est, d’une
certaine façon, le fruit des enjeux régionaux amazoniens.
Dans les décennies qui suivent, l’Orient reste au cœur du discours nationaliste
équatorien, le pays peinant à accepter les conséquences du protocole de 1942. En témoigne la
permanence des territoires perdus sur les cartes officielles ; ils y demeureront représentés
jusqu’à la signature du traité de paix avec le Pérou. Il existe ainsi deux cartes jusqu’en 1998,
celle utilisée dans le pays, officielle, avec les territoires amputés, et celle utilisée à l’extérieur
du pays, avec les frontières redéfinies en 1942. Cette carte officielle destinée aux Équatoriens
rend bien visibles — ils sont hachurés — ces territoires perdus associant encore l’Amazonie à
ses frontières. Les hachures, en effet, soulignent les contours et renforcent la limite plutôt que
le dedans, si bien que la question amazonienne reste, au XXe siècle, la question des frontières
amazoniennes.

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