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MUSÉE DE BIBRACTE

EXPOSITION MAI-NOVEMBRE 2010


Page de garde :
Clavettes d’essieu en fer et bronze
Vers 300-250 av.J.-C.
Orval (Manche), « Les Pleines », tombe à char
Musée de Normandie, dépôt de la DRAC de Basse-Normandie. Ht. :15cm ; L. max : 5,5 cm
(voir page 14)

Les Gaulois font la tête, livret édité à l’occasion de l’exposition du musée de Bibracte.
Lacapelle-Marival : Archéologie Nouvelle / Glux-en-Glenne : Bibracte, 2010.  
(L’archéologue ; n° hors série).

ISSN :

© Archéologie Nouvelle / Bibracte 2010

ISSN
© Bibracte/Archéologie Nouvelle 2010

Sauf mentions contraire les photographies sont d’Antoine Maillier/Bibracte.

2
INTRODUCTION

J
«  ’ai de mes ancêtres gaulois l’œil bleu blanc, la cervelle étroite et la maladresse
dans la lutte. Je trouve mon habillement aussi barbare que le leur. Mais je ne beurre
pas ma chevelure. […] » proclame Arthur Rimbaud au début de Mauvais Sang, un de
ses plus célèbres poèmes. Il manifeste ainsi sa révolte en s’octroyant une ascendance
barbare qui puise dans des poncifs deux fois millénaires, popularisés par maints auteurs
du XIX e siècle, comme Henri Martin et son Histoire de la France populaire. Cette image
du Gaulois blond aux yeux bleus, hirsute et menaçant, est bien sûr un cliché, qui
cristallise tous les contraires du « civilisé » gréco-romain. Les sources antiques doivent
donc être utilisées avec la plus grande précaution si l’on recherche à reconstituer la
physionomie des Celtes des derniers siècles avant le changement d’ère.

C’est aussi un lieu commun (et un critère éminent de barbarie aux yeux des
Grecs) que les Gaulois répugnaient à donner figure humaine à leurs dieux. De fait, ils
n’imaginent pas, à l’instar de leurs voisins méridionaux, un monde divin organisé de
façon analogue à celui des hommes. Il en découle qu’ils ne considèrent pas le corps
humain comme l’idéal artistique. Pourtant les témoignages sont nombreux qui exaltent
non pas le corps dans son entier mais la tête humaine ; ils utilisent les supports les
plus divers : sculpture en pierre, bijouterie, monnayage…

Les observateurs grecs et romains ont encore relevé, avec force insistance, que
les Gaulois coupaient les têtes de leurs ennemis morts sur le champ de bataille.

Cet ensemble de faits a progressivement attiré l’attention des auteurs modernes.


Adolphe Reinach, en 1913, compilait les sources relatives au rite des têtes coupées.
Pierre Lambrechts tentait en 1954 une première synthèse des sources littéraires et des
données iconographiques dans son essai sur L’exaltation de la tête dans la pensée et
dans l’art des Celtes.

C’est le but premier de cette exposition que de montrer la diversité de ces


témoignages et de s’interroger sur leur signification, à l’évidence incomprise des
observateurs gréco-romains, et en premier lieu de Jules César qui, par exemple,
identifia à Mercure des effigies qui relevaient bien plus probablement du culte des
ancêtres, tout comme il s’efforça de décrire le panthéon gaulois à partir du modèle de
la religion gréco-romaine, provoquant un mal-entendu durable.

« Cet art est-il religieux ? » s’interroge d’ailleurs Paul-Marie Duval (dans Les Celtes,
1977). « C’est trop dire, poursuit-il, car il y manque la morale et la spiritualité, du moins

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dans les œuvres, presque toutes mineures, qui nous sont parvenues. Nous ne lui
connaissons pas non plus de caractère funéraire ni à proprement parler votif mais, à
coup sûr, il est imprégné presque toujours de magie protectrice ou agressive et partout
proche du mystère et de l’énigme, usant même sans doute d’un symbolisme dont le
secret nous échappe. C’est un art fait surtout pour les vivants, pour leur agrément, leur
prestige et leur sécurité. Dans une décoration purement végétale, la suggestion d’une
face humaine ou d’une tête d’animal amorcée propose au spectateur un exercice de
déchiffrement et crée en lui un léger trouble en suggérant une métamorphose, en
évoquant le surnaturel toujours présent, jusque dans une flore qui rejoint la faune et
le genre humain, et inversement. S’il use souvent du masque, ce n’est pas par facilité
technique (les profils monétaires sont là pour le prouver) : c’est que le regard des deux
yeux doit être vu de face pour exercer plus sûrement son pouvoir. » Nous en resterons
sur cette position mesurée.

Les têtes figurées dans l’art celtique (et surtout les bustes en pierre), alliées à
différents autres indices, comme les objets de parure, permettent aussi de s’interroger
sur la physionomie des Gaulois, avec un constat frappant : la sophistication des
coiffures (masculines au moins autant que féminines).
L’archéologie montre enfin que les manipulations de restes humains étaient
familières aux Gaulois, notamment sur les sanctuaires, et que celles-ci concernent
plus souvent les crânes que le reste du squelette. Les témoins relatifs au rite guerrier
des têtes coupées sont les plus abondants. Laissons encore un grand historien de
l’art, Max-Pol Fouchet, interpréter avec beaucoup de sensibilité cet usage : « Les
Gaulois, nos ancêtres – on le dit sans sourire – savaient, d’expérience naturelle, que
le plus court chemin d’un point à un autre n’est pas la ligne droite, mais le songe.
Leur premier songe était que la vie se poursuivait après la mort. Elle durait, justement,
dans le crâne, réceptacle précieux. Leurs rites de décapitation, loin d’y contredire
ou de témoigner d’une obtuse barbarie, attestaient la confiance de leur civilisation
dans l’invisible, à quoi répugnaient leurs conquérants légistes, administrateurs et
légionnaires. Ainsi les Celtes emportaient-ils souvent avec eux la tête d’un guerrier
valeureux et attendaient d’elle, au cours de leurs expéditions, des conseils. » (in : La
Tête, catalogue d’exposition, Paris : Galerie Jacques Kerchache, 1966).

Les deux pratiques – représentations de têtes humaines isolées et manipulations


de crânes – sont-elles effectivement des manifestations complémentaires d’une
même idéologie ? C’est la question que l’on se pose ici. Les témoignages choisis se
rapportent à la période des III e – I er siècles avant J.-C. Plusieurs raisons à cela : de
cette période datent la plupart des témoignages littéraires grecs et romains sur le sujet,
ainsi que d’abondants témoignages archéologiques dont on ne trouve pas l’équivalent
pour la période antérieure. On a aussi évacué d’emblée toute représentation tardive
relevant de la « romanisation », avec laquelle la société gauloise bascula dans de tout
autres formes de spiritualité et d’idéologie.

Allégories de la Gaule, sur deux deniers romains


frappés en 48 avant J.-C.
Coll. Part.
Cl. Archéologie Nouvelle.

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LES GAULOIS
VUS PAR LES AUTRES
Celtes et Gaulois avaient une culture de tradition orale. S’ils ne nous ont laissé aucun
témoignage de leur littérature, ils sont en revanche abondamment cités par les auteurs
grecs et latins depuis le Ve s. av. J.-C. Mais comme les peuples méditerranéens les
rencontraient surtout lors de conflits armés, s’est très vite forgé le cliché du barbare
belliqueux. En France, les fouilles de Napoléon III sur les sites de la guerre des Gaules
ont encore renforcé cette image guerrière.
Le cliché du valeureux combattant gaulois résistant à l’envahisseur romain a la vie dure :
la peinture d’histoire, la sculpture officielle et aujourd’hui la publicité privilégient cette
image stéréotypée, alors que l’archéologie a établi qu’elle était caricaturale.

Gaulois mourant (détail)


Rome, musée du Capitole
Cette célèbre sculpture pourrait être un élément
original du groupe érigé à la fin du IIIe siècle avant
J.-C. à Pergame (Asie mineure) pour célébrer une
victoire du roi Attale Ier sur les Galates.
Cl. Archéologie Nouvelle.

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LE GAULOIS,
MIROIR DE NOUS-MÊMES
Le Gaulois belliqueux nourrit l’imaginaire collectif depuis l’Antiquité.
De haute stature, excessivement musclé, combattant nu, il s’illustre
aussi par son penchant pour la beuverie. En un mot, il représente
l’image parfaite de l’Autre, qui met en valeur les qualités propres à la
civilisation gréco-romaine.
Le XIXe siècle, romantique et nationaliste, a ajusté cette image, faisant
du Gaulois tantôt un surhomme, tantôt un héros vaincu. Le Gaulois
d’aujourd’hui demeure toujours aussi réfractaire à l’ordre établi, mais,
devenu bon vivant, il aime la bonne chère. Il est populaire parce qu’il
représente ce que notre société ultra-réglementée et mondialisée nous
interdit d’être. Si la Gauloise est presqu’absente des textes antiques,
la publicité l’évoque parfois : elle l’imagine, à l’instar de son époux,
grande et blonde, bien dans sa tête et dans son corps.
Ces images ancrées dans nos têtes sont donc le miroir de nos
préoccupations. Cherchons à nous en affranchir en examinant les traces
laissées par les Gaulois eux-mêmes.

« Les Celtes, parfois, pendant leur repas, organisent de vrais duels. Toujours
armés dans leur réunion, ils se livrent des combats simulés et luttent entre
eux du bout des mains ; mais parfois aussi, ils vont jusqu’aux blessures ;
irrités alors, si les assistants ne les arrêtent pas, ils en viennent à se tuer »
(Poseidonios d’Apamée, Histoires, XXIII, traduction E. Cougny).

« Les Gaulois Insubres et les peuples voisins des Alpes avaient un naturel
de bêtes sauvages et une taille plus qu’humaine. Mais l’expérience a montré
que si, au premier choc, ils sont supérieurs à des hommes, au second, ils
sont inférieurs à des femmes. Leurs corps, nourris sous le climat humide des
Alpes, présentent certaines ressemblances avec les neiges du pays. » (Florus,
II, 4).

« Effrayant était aussi l’aspect et le mouvement de ces hommes nus du


premier rang, remarquables par l’éclat de leur vigueur et de leur beauté. Tous
ceux des premières lignes étaient parés de colliers et de bracelets d’or. »
(Polybe, Histoire, II, 26, 7-8)

Vercingétorix (détail) « Non seulement ils portent des parures d’or (colliers au cou, bracelets
Statue de bronze d’A. Millet érigée en 1865
sur le site d’Alésia. aux bras et aux chevilles), mais les personnages de haut rang portent des
Cl. E. Rabeisen. vêtements de couleur brillante brodés d’or. » (Strabon, Géographie, IV, 4, 5)

Affiche pour le pétrole lampant Gallia


par Charles Tichon, vers 1897-1898.
Cl. D. Geoffroy /Musée Alésia, Conseil Général de la Côte-d’Or.

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Fibule en bronze
Vers 300-250 av. J.-C.
Orainville (Aisne), « La Croyère », tombe 3
Musée de Soissons (inv. : 2000.1.19)
L. : 14, 2cm ; D. : 9,9 cm
Biblio. : Desenne et al. « La nécropole d’Orainville La Croyère
(Aisne), un ensemble attribuable au Aisne-Marne IV », in :
Hommages à Claudine Pommepuy, textes recueillis par
Ginette Auxiette et François Malrain, Revue archéologique de
Picardie, n° spécial 22, 2005, p. 233-270.

Fibule issue d’une riche tombe féminine. Elle est


constituée de trois éléments recyclés provenant
d’objets distincts, dont un disque à décor de
visages. Ces visages « anthropo-zoomorphes »
présentent un long nez et des sourcils en volutes
rappelant le museau et les cornes du bélier.
La fixation du pied de la fibule a nécessité le
découpage d’un des masques. La petite perle en
os à décor de côtes fixée à l’une des extrémités du
ressort témoigne du souci du détail de l’artisan.
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LES GAULOIS
VUS PAR EUX-MÊMES
Dans le monde gréco-romain, le peuple divin est conçu comme analogue à celui des
hommes. D’innombrables statues, en pierre et en bronze, célèbrent les dieux, et le
corps humain est l’idéal artistique. Rien de comparable chez les Gaulois, du moins
du IVe au IIe s. av. J.-C. et en dehors de régions périphériques telles que la Provence,
qui sont marquées par des influences spécifiques. L’art celtique du second âge du Fer
ne représente presque jamais le corps humain dans son entier. La tête est toujours
privilégiée.
À qui appartiennent ces visages ? À des divinités dont la représentation est réduite
à la partie du corps qui manifeste le mieux la personnalité de chacune ? À des
défunts héroïsés, ancêtres de lignées fameuses, ou plus simplement à des vivants
particulièrement importants ? Il est d’autant plus difficile de répondre à ces questions que
ces faces, hiératiques et sobrement traitées, sont peu différenciées.
Constatons du moins que la tête occupe une place privilégiée dans la pensée et dans l’art
des Gaulois.

Attache d’anse de seau


anthropomorphe en bronze
Ier s. av. J.-C.
Orval (Manche), « Les Pleines », dans un puits
de la fin du Ier s. av. J.-C.
Musée de Normandie, dépôt de la DRAC de
Basse-Normandie (inv. D.2009.3.4)
H. : 5,5 cm ; l. max : 2,2 cm
Biblio. : inédit

Attache moulée à la cire perdue. L’anneau de


suspension, à tête humaine, était riveté au
cerclage supérieur et aux douelles du seau. La tête
présente une coiffure côtelée, délimitée par un
ressaut en haut du front, des yeux et paupières en
amande légèrement obliques, un nez trapézoïdal
et plat, une bouche surmontée d’un liseré figurant
une moustache.
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DE BOIS, DE PIERRE
ET DE BRONZE
« [ propos d’un bois sacré] Une eau abondante tombe des noires fontaines ;
les mornes statues de dieux sont sans art et se dressent, informes,
sur des troncs coupés. » (Lucain, Pharsale, III, 399-452)

Les représentations de tout ou partie de corps humains par les Gaulois


du second âge du Fer (Ve/Ier s. av. J.-C.) sont peu abondantes mais elles
s’expriment sur des matériaux et des objets diversifiés. La rareté des
sculptures en bois doit simplement s’expliquer la nature périssable de ce
matériau, qui avait la faveur des Gaulois pour l’architecture, au contraire
de la pierre. Que l’on connaisse quelques dizaines de bustes sommaires
en pierre où la représentation de la tête tient une place privilégiée laisse
donc imaginer que ceux en bois étaient bien plus abondants encore.
Des visages stylisés, souvent minuscules et insérés dans des
compositions complexes, ornent aussi une grande variété d’objets en
métal : armes, ceintures et agrafes de vêtements, vaisselle.

Epingle à tête
humaine en bronze
IIe/Ier s. av. J.-C. ?
Mouliets-et-Villemartin
(Gironde), agglomération gauloise
de Lacoste
Musée d’Aquitaine, Bordeaux (inv.
2006.17.10.1)
H. : environ 3 cm
Biblio. : Inédite Fibules en bronze
Fin du IIe s. / début du Ier s. av. J.-C.
Epingle à cheveux dont la tête Vienne (Isère), colline Sainte-Blandine
anthropomorphe porte une Musée des Beaux-arts et d’Archéologie, Vienne (inv. 1957/2 Sb150)
chevelure figurée en mèches L. du plus grand fragment : 8,4 cm
tombantes de part et d’autre d’une Biblio. : Chapotat G., Vienne gauloise. Le matériel de la Tène III trouvé sur la colline de Sainte-Blandine, Lyon, 1970, p.
raie. Les orbites très creusées et 58-60, pl. V-VI.
très larges, la figure ronde, le front
bas, évoquent le buste en pierre Chacune des trois fibules est ornée d’un visage humain minuscule (7 mm de hauteur). Sur deux
découvert à Levroux (Indre). d’entre elles, le visage a un œil fermé. Il n’y a pas de doute que ce détail a été voulu par l’artisan.
Le cou, massif, est orné d’un torque La raison nous en échappe, mais la littérature médiévale irlandaise nous offre une anecdote
fermé. concernant le héros Cuchulainn qui, pris de colère, a un œil qui rapetisse et l’autre qui enfle.

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Buste en chêne (copie)
50 av. J.-C. (date dendrochronologique)
Yverdon-les-Bains (Suisse), dans un fossé,
à proximité d’une voie menant à l’oppidum
d’Eburodunum
Musée cantonal d’archéologie et d’histoire,
Lausanne
Original : musée d’Yverdon-les-Bains (inv. MY.
LT/1991/1)
H. : 70 cm
Biblio. : Kaenel G., « La statue en chêne d’Yverdon-les-
Bains ». In : Plouin S., Dunning C., Jud P. (dir.), Trésors
Celtes et Gaulois. Le Rhin supérieur entre 800 et 50 av. J.-C.,
Colmar 1996, p. 236-239. ; Brunetti C., « Statue et
mandibules, un dépôt votif de l’âge du Fer à Yverdon-les-
Bains ? » Archäologie der schweiz, 24 : 4, 2001, p. 24-33.

Rare exemple de sculpture en bois, complète. Elle


montre un personnage hiératique dont seule la tête
est traitée avec précision, notamment la coiffure
au bol, flanquée d’une mèche épaisse retombant
sur l’épaule droite, et le cou orné d’un torque. Le
buste parallélépipédique est vêtu d’une sorte de
tunique courte pointant sur le côté droit. Une
ébauche de bras tendu est visible sur le côté droit,
la main tenant un torque à tampons. La base effilée
indique que cette sculpture était fichée en terre ou
insérée dans un socle.

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Pointe de lance
en fer
IVe-IIe s. av. J.-C.
Saunières (Saône-et-Loire),
Tête sculptée en lamprophyre dans le lit de la Saône.
Musée Denon, Chalon-sur-
IIe/Ier s. av. J.-C.
Saône (inv. 73521)
Oppidum de Bibracte, « La Pâture du Couvent »
L. : 49,1 cm
Musée de Bibracte (inv. 1994.2.401.1) Biblio. : Bulard A., « Une pointe de
H. : 19,3 cm ; l. 16,5 cm ; E. : 13,5 cm lance laténienne ornée de Saunières
Biblio. : Inédite (Saône-et-Loire) », Etudes celtiques,
XV, n° 2, Paris, 1978, p. 483-489.
Les traits, brouillés par des altérations, émergent à peine du bloc. Seuls les éléments principaux, nécessaires à
l’identification d’un visage, sont figurés : les yeux en amande, le nez en trapèze, la bouche comme un simple trait, La douille de la lance présente
les oreilles elliptiques, la chevelure à peine esquissée. La dureté du matériau et l’utilisation d’outils peu adéquats un décor complexe qui se répète
peuvent expliquer ce traitement sommaire. Mais on peut au contraire soutenir que l’économie du façonnage sur chaque face : encadré de
est liée à une volonté délibérée de lier le visage à la matière brute : la valeur de la représentation est dès lors motifs en S entrelacés, un visage
symbolique. aux yeux ronds surlignés de
La base a été creusée de manière à dégager l’occiput et la mâchoire, ce qui indique que cette sculpture a été conçue sourcils en volutes évoquant les
telle quelle. Cette tête était certainement exposée en hauteur. Le front court et les yeux placés dans le tiers cornes d’un bélier. L’association
supérieur du visage corroborent cette hypothèse. de visages humains à des
caractères empruntés au règne
animal est récurrente dans les
arts du métal du second âge
du Fer.

Techniques et outillage du second âge du Fer


Travail du bois : ce matériau permet la sculpture en ronde-bosse et les reliefs très dégagés de leur support. L’outillage
disponible comprend : haches, scies, herminettes, planes, gouges, ciseaux, marteaux, coins en fer et en bois.

Travail de la pierre : ce matériau permet lui aussi la sculpture en ronde-bosse et les reliefs dégagés de leur support.
L’outillage comprend : marteaux, massettes, têtus-taillants, broches, gouges, ciseaux, gradines, ripes, percuteurs en pierre,
pierres à poncer, coins.

Travail des métaux fusibles (bronze, or, argent) : la technique de la cire perdue permet de produire avec une grande
facilité des décors en ronde-bosse. L’objet est modelé en cire d’abeille, puis enrobé d’argile. Le moule est chauffé, déciré,
puis cuit. Le métal en fusion y est alors introduit. Après refroidissement, le moule est cassé et l’objet peut être fini à froid.

Travail du fer : ce matériau est peu propice aux décors à la ronde-bosse. Gravure et ciselure sont réalisées à froid avec un
outillage qui comprend marteaux, burins, ciseaux et limes.

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DES TÊTES DISSIMULÉES
« [Brennos] se mit à rire de ce qu’on avait supposé aux dieux des formes humaines et
qu’on les avait représentés en bois et en pierre »
(Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XXII, 9).

L’anecdote du Celte Brennos riant à la vue de statues de dieux lors du


pillage du sanctuaire de Delphes, en 279 avant J.-C., s’accorde bien avec
les témoignages archéologiques du IIIe siècle av. J.-C. Cette époque
voit l’apogée des ornements végétalisants si caractéristiques de l’art
celtique. Ces compositions complexes refusent délibérément
la symétrie de l’art classique et exploitent avec virtuosité les possibilités
offertes par la technique du bronze à la cire perdue. De petits visages,
le plus souvent de face, apparaissent parfois sur les objets ornés dans
ce style, mais de façon fugace, enfouis dans les entrelacs végétaux,
comme si l’on se répugnait à évoquer trop explicitement la figure
humaine.

Garniture en bronze
Vers 300-250 av. J.-C.
Orval (Manche), « Les Pleines », tombe à char
Musée de Normandie, dépôt de la DRAC de
Basse-Normandie (inv. D.2009.3.3)
Clavettes d’essieu en fer et bronze H. : 3 cm ; l. max : 2,8 cm
Vers 300-250 av. J.-C. Biblio. : Lepaumier H., Giazzon D., Chanson K., « Orval
Orval (Manche), « Les Pleines », tombe à char (Manche), une tombe à char », L’Archéologue, 102, juin-juillet
2009, p. 28-30.
Musée de Normandie, dépôt de la DRAC de Basse-Normandie (inv. D.2009.3.1
et D.2009. 3.2)
Cet accessoire complétait l’équipement du char de
H. : 15 cm ; l. max : 5,5 cm
Biblio. : Lepaumier H., « Orval, une tombe à char en Cotentin », Rapport d’activité INRAP, 2006, la tombe d’Orval. On connaît quelques exemplaires
p. 82 ; Servat J, rubrique « Découverte », L’Archéologue, 91, Aout-septembre 2007, p. 52-53 ; de tels équipements de grande qualité, ornés à la
Lepaumier H., Giazzon D., Chanson K., « Orval (Manche), une tombe à char », L’Archéologue, cire perdue dans le style exubérant typique de la
102, juin-juillet 2009, p. 28-30. fin de La Tène ancienne.
La représentation oscille entre l’homme et
Ces deux clavettes maintenaient les roues sur l’essieu d’un char, enseveli dans l’animal : des cornes sont fixées de part et d’autre
une tombe avec un défunt de rang élevé. Elles portent chacune une plaque de cette tête au visage étiré ; les arcades arrondies
rectangulaire de bronze pourvue d’un exceptionnel décor traité en bas-relief : et très proéminentes sont surmontées d’une
trois têtes humaines, une au centre représentée de face et, de part et d’autre, coiffure en mèches parallèles ; les yeux, ourlés de
deux profils regardant vers l’extérieur. paupières épaisses, sont particulièrement grands
et globuleux. Le nez est très fin, les pommettes
extrêmement saillantes, les joues creuses. Le
menton prognathe évoque un museau de bovidé.

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Pendeloque anthropomorphe
Ve/IVe s. av. J.-C.
Vasseny (Aisne), « Le Dessus des Groins », tombe féminine
Musée de Soissons (inv. 2003.3.1)
L. : 3,7 cm ; L de la chaînette : 14 cm
Biblio : Breton C., « La nécropole de Vasseny (Aisne) », L’Archéologue,
65, avril-mai 2003, p. 50-52 ; Gricourt D., Hollard D., « Lugus, dieu
aux liens : à propos d’une pendeloque du Ve s. av. J.-C. trouvée à Vasseny
(Aisne) », Dialogues d’Histoire ancienne, 31, 1, 2005, p. 51-78.

Pendeloque singulière, originellement suspendue à un


torque. Elle a la forme d’un personnage stylisé, dont la tête
en forme d’anneau est attachée à la chaîne de suspension.
Ses avant-bras, ornés de bracelets, sont dressés à la verticale
et terminés par des boules. Le corps, tronconique, est
décoré d’incisions horizontales et les jambes prennent la
forme d’une lyre, terminée par trois cercles évidés.

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Attache d’une ceinture en bronze
Vers 250-200 s. av. J.-C.
Dormans (Marne), « Les Varennes », tombe 8
Musée d’Epernay (inv. P.G.08.01)
L. : 4,7 cm ; l. 2,4 cm
Biblio. : Charpy J.-J., Roualet P., Les Celtes en Champagne, catalogue de l’exposition,
Epernay, 1992, p. 264-265, n° 323.

Les ceintures dans lesquelles alternent segments de cuir et anneaux


de bronze sont typiques de l’équipement féminin du IIIe s. av. J.-
C. L’attache est ici ornée de deux hauts de visages.

Torque en bronze
Vers 300-250 av. J.-C.
Villeseneux (Marne), « La Barbière », tombe 2
Musée d’Epernay (inv. 14944B)
D. : 15,1 cm
Biblio : Charpy J.-J., Roualet P., Les Celtes en Champagne,
catalogue d’exposition, Musée d’Epernay du 23 juin au
3 novembre 1991, Musée d’Epernay, 1992, p. 263-264,
n° 322 ; Charpy J.-J., « Le style plastique en Champagne
française », in : Müller F. et al., L’art des Celtes, 700 av. J.-C.,
700 ap. J.-C., catalogue de l’exposition, Berne, 2009,
p. 19-20.

Torque en bronze plein, fondu à la cire perdue,


d’un type caractéristique de la Champagne. Le
jonc lisse est décoré d’un motif, répété trois fois,
qui se compose d’une protubérance centrale
décorée d’un visage humain aux yeux ronds et
pommettes saillantes, et dont le contour est
formé par deux esses. Celles-ci se développent
en volutes au-delà du menton et se rejoignent
dans la partie supérieure pour former le long
nez. Deux autres visages, simplifiés, sont placés
perpendiculairement, de part et d’autre du visage
central.

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Attache en bronze
IIIe s. av. J.-C.
Loisy-sur-Marne (Marne), « La Clôture des
Visages », tombe 17
Musée de Châlons-en-Champagne (inv.
930.10.1073)
L. : 5,4 cm ; l. 2,3 cm
Biblio. : Charpy J.-J., Roualet P., Les Celtes en Champagne,
catalogue de l’exposition, Epernay, 1992, p. 266, n° 324.

Cette ceinture féminine entièrement métallique


comporte une chaîne et trois anneaux d’attache
auxquels sont suspendues deux pendeloques
moulurées et une attache à décor complexe.
Celui-ci présente un visage humain au long
nez tombant, aux yeux en amande ourlés de
paupières et aux oreilles arrondies.

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PORTRAITS OU FIGURES IDÉALES ?
« Vercingétorix, fils de Celtillos, jeune homme qui était parmi les plus puissants
du pays…. » (César, Guerre des Gaules, VII, 4)

Le nom de Vercingétorix apparaît sur de très rares monnaies en or, associé à


un visage masculin imberbe qui paraît correspondre à l’âge du chef arverne
au moment des événements de Gergovie et Alésia. L’apparence est toutefois
trompeuse. Tandis que les Romains taillent dans la pierre et gravent leurs
monnaies avec des portraits d’un réalisme saisissant, les milliers d’effigies connues
sur les monnaies celtiques semblent désincarnées. L’iconographie monétaire
gauloise oscille en effet entre deux approches plastiques, l’une « classique »,
inspirée de modèles grecs et romains, l’autre beaucoup plus libre, transformant les
éléments anatomiques en motifs décoratifs. Stylisés, les visages restent lisibles,
alors que le traitement ornemental des coiffures est poussé à l’extrême : tantôt les
mèches s’envolent, tantôt elles forment des rouleaux, des esses ou des torsades.
Ces figures désignent-elles des divinités, à l’instar de la tête d’Apollon des statères
de Philippe II de Macédoine, souvent copiés par les Gaulois ?

Monnaie arverne en or Monnaie arverne en or Imitation de statère Monnaie d’or des Parisii
de Vercingétorix anépigraphe en or de Philippe II de IIe s. av. J.-C.
Milieu du Ier s. av. J.-C. Première moitié du Ier s. av. J.-C. Macédoine (copie) Musée Danicourt, Péronne
Trésor de Pionsat (Puy-de-Dôme) ? Musée Dobrée, Nantes (inv. N-252) IIIe s. av. J.-C. (inv.1887.A.194)
(Musée Danicourt, Péronne D. : 18 mm Musée de Bibracte D. : 12 mm
(inv. 1887.A.108) Biblio : Delestrée L.-P., Nouvel atlas des monnaies Biblio. : Gruel K., La monnaie chez les Gaulois,
Original : Bibliothèque nationale de Paris, 1989, p. 89 ; Delestrée L.-P., Nouvel atlas
D. : 19 mm gauloises, III. La Celtique, du Jura et des Alpes à la
façade atlantique, Saint-Germain-en-Laye, 2004, p.
France des monnaies gauloises, I. de la Seine au Rhin , éd.
Biblio : Colbert de Beaulieu J.-B., Lefèvre G., « Les (inv. BN 3614)
146-147, pl. XXV, n° DT 3572 ; Nieto S., La place Commios, Saint-germain-en-laye, 2002, p. 41, pl.
monnaies de Vercingétorix », Gallia, 23, 1965, p. 40, Cl. musée Dobrée / Conseil général de Loire-
du monnayage arverne dans le monnayage gaulois IV, n° DT 77.
n° 16 ; Nieto S., La place du monnayage arverne dans Atlantique
le monnayage gaulois du centre et du sud de la Gaule du centre et du sud de la Gaule au IIe s. et au Ier s.
av. J.-C., Thèse de doctorat de l’Université de Paris D. : 19 mm Quart de statère plus récent dérivant
au IIe s. et au Ier s. av. J.-C., Université de Paris IV- Biblio. : Delestrée L.-P., Nouvel atlas des monnaies
Sorbonne, Paris, 2003, p. 32, série 1 B. IV-Sorbonne, Paris, 2003, p. 41, série 2A2. lui aussi des monnaies macédoniennes.
gauloises, III. La Celtique, du Jura et des alpes à la
façade atlantique, éd. Commios, Saint-germain-en- Il appartient à une série fameuse par
On connaît deux douzaines seulement Monnaie ne comportant pas d’inscription. laye, 2002, p. 39, pl. 1, n° DT 3002. l’exubérance de son style. Elle présente au
de monnaies qui portent la légende Le visage du droit présente une tête droit une tête au visage marqué d’une croix,
(souvent tronquée) VERCINGETORIXS. de profil tournée à gauche, avec l’œil Les monnaies d’or de la dynastie évoquant une cicatrice ou un tatouage. Le
Cette variante présente, au droit, une tête largement ouvert et la coiffure en mèches macédonienne furent véritablement visage, tourné à droite, possède un grand
de jeune homme aux traits fins et réguliers, bouclées qui semble flotter au vent. les dollars de l’Antiquité. Elles servaient œil ourlé de paupières, un nez droit et une
tournée à gauche. La chevelure bouclée Le style de la gravure, très proche de celui à payer les mercenaires. Il n’est donc pas bouche lippue. La coiffure complexe se
tombe en mèches droites sur la nuque. de la monnaie de Vercingétorix, surprenant qu’elles aient été parmi les compose d’une mèche épaisse en volute et
est typiquement arverne. monnaies les plus copiées par les peuples de petites mèches dressées.
du nord des Alpes. Cette imitation ancienne
reste fidèle au prototype. Le droit présente
un profil d’Apollon lauré à chevelure
bouclée. Seul le menton, rond et lourd,
lui donne une allure celtisante.

18
Monnaie en bronze des Osismes
IIe/Ier s. av. J.-C.
Musée Dobrée, Nantes (inv. N-152)
D. : 20 mm
Cl. musée Dobrée / Conseil général de Loire-
Atlantique
Biblio : Delestrée L.-P., Nouvel atlas des monnaies
gauloises, II. De la Seine à la Loire moyenne, Saint-
Germain-en-Laye, 2004, p. 70, pl. IX, n° DT 2204.

Monnaie armoricaine avec , à l’avers, un profil à la


chevelure exubérante environné de petites bêtes. Au
revers, un cheval androcéphale marchant à gauche
au-dessus duquel se trouve un profil humain regardant
vers le haut. Celui-ci est relié par une natte ou un
cordon à une croix bouletée, disposée en avant de
l’animal.
Un personnage coiffé d’une lourde natte est couché
entre ses pattes.

19
Monnaie de potin du Monnaie de potin Monnaie de potin des Monnaie d’argent
centre-est de la Gaule des Rèmes au personnage Rèmes au personnage des Allobroges
“à la grosse tête” assis en tailleur courant Ier s. av. J.-C.
Ier s. av. J.-C. Ier s. av. J.-C. Ier s. av. J.-C. Oppidum de Bibracte
Oppidum de Bibracte Oppidum de Bibracte Oppidum de Bibracte Musée de Bibracte (inv. 994.2.408.8)
Musée de Bibracte (Inv. 986.5.19.309) Musée de Bibracte (inv. 992.8.276.14) Musée de Bibracte (inv. 992.2.331.14) D. : 15 mm
D. : 19 mm D. : 20 mm D. : 21 mm Biblio. : Gruel C. et Popovitch P.,
Biblio. : Gruel C. et Popovitch P., Biblio. : Gruel C. et Popovitch P., Les monnaies Biblio. : Gruel C. et Popovitch P., Les monnaies Les monnaies gauloises et romaines de l’Oppidum
Les monnaies gauloises et romaines de l’Oppidum de gauloises et romaines de l’Oppidum de Bibracte, gauloises et romaines de l’Oppidum de Bibracte, de Bibracte, collection Bibracte, 13, 2007, p. 155
Bibracte, Glux-en-Glenne, 2007, p. 211, n° 94.10. collection Bibracte, 13, 2007, p. 224, n° 123.1. collection Bibracte, 13, 2007, p. 224, n° 121.1. n° 6.1.

On connaît de multiples variantes de ces Monnaie de la région de Reims, Autre monnaie de la région de Reims à Au Ier s. avant J.-C. les peuples gaulois des
monnaies de faible valeur, non pas frappées représentant, ce qui est très inhabituel, l’iconographie inhabituelle, présentant bassins du Rhône et de la Saône s’inspirent
mais coulées dans un alliage de cuivre et un personnage figuré en entier et de face, au droit un personnage courant à droite. parfois de prototypes frappés à Rome.
d’étain à bas point de fusion, le potin. La assis en tailleur. La tête occupe néanmoins Un grand œil rond occupe pratiquement C’est le cas avec cette tête casquée de
simplification du profil du droit découle de la majeure partie de l’espace. Le visage tout son visage. Il est coiffé d’une longue facture très classique, qui reproduit la
la technique de fabrication. présente un nez trapézoïdal, des yeux en torsade, se soulevant sous l’action du tête de Minerve que l’on trouve très
Le menton est en galoche, la bouche amande et une bouche figurée ouverte. Le mouvement. Il tient une lance de la main fréquemment au droit des deniers… mais
lippue, le nez droit. Un petit œil en creux, personnage semble montrer fièrement sa droite et un torque de la main gauche. en lui ôtant tout caractère distinctement
placé très haut dans l’axe de l’arête du nez, chevelure faite de deux longues torsades féminin.
touche le double bandeau lisse. Le front tombant de part et d’autre de la tête ainsi
est inexistant. Le cou est marqué de deux que le torque tenu dans sa main droite.
barres, représentant peut-être les tampons Celui-ci est surmonté d’un globule.
d’un torque.

Monnaie d’or des Vénètes


IIe/Ier s. av. J.-C.
Montigny (Deux-Sèvres)
Musée d’Art et d’histoire, Cholet (Inv. 886.016)
D. : 21 mm
Biblio. : Santrot M.-H., Santrot J (dir.), Nos ancêtres les Gaulois. Aux marges de
l’Armorique, catalogue d’exposition, Nantes, 1999, p. 111, n° 208.

Célèbre monnaie de l’estuaire de la Loire, de style typiquement armoricain,


présentant sur le droit une tête tournée à droite, reposant sur une hampe
à l’extrémité pointue et ornée d’une chevelure en esses d’où partent quatre
cordons perlés terminés par d’autres petites têtes semblables, qui évoquent
des têtes coupées.
Au revers, un aurige dirigeant un cheval androcéphale et brandissant un
torque, sous le cheval, un personnage ailé couché.

20
21
DES TÊTES REPRÉSENTÉES
POUR ELLES-MÊMES
« Le dieu qu’ils honorent le plus est Mercure. Ses statues sont les plus nombreuses… » (César,
Guerre des Gaules, VI, 17)

Ce témoignage ethnographique de César semble à première vue en contradiction


avec l’épisode du Gaulois Brennos se gaussant des statues de Delphes. Il peut
pourtant s’expliquer : Mercure est l’équivalent romain de Hermès, dieu grec du
commerce, des voyageurs et de la bonne fortune, dont la représentation la plus
traditionnelle prend la forme d’un pilier de bois ou de pierre dont sont seulement
dégagés par le sculpteur la tête… et le sexe proéminent. Ces piliers étaient si
fréquents en Grèce que le mot hermès a fini par désigner toute représentation
divine (voire funéraire) en forme de pilier. Il faut donc simplement comprendre que
la Gaule de César était peuplée de tels piliers et surtout ne pas prendre à la lettre
leur identification au dieu du commerce. Les effigies gauloises en pierre et parfois
en bois, dont seul le haut du corps émerge de la matière brute, correspondent
parfaitement à ce modèle.

Buste en calcaire (copie)


Première moitié du IIe s. av. J.-C.
Levroux (Indre), agglomération gauloise des Arènes, dans une fosse
datée de 100-80 av. J.-C.
Original : Musée de Moulins-sur-Céphons
H. : 23,5 cm ; l. 14,8 cm ; E. : 10 cm
Biblio. : S. Krausz, C. Soyer, O. Buchschenschutz, « Une statue de pierre
anthropomorphe à Levroux (Indre) », RACF, 28, 1989, p. 77-88.

Petit buste surmonté d’une tête sphérique dont la coiffure à mèches très
fines, tombant bas sur le front, est unique dans le répertoire de la statuaire
gauloise. Le cou massif est bien dégagé : peut-être était-il orné d’un torque ?
Le tronc quadrangulaire, aujourd’hui cassé, semble avoir été taillé plus
grossièrement : seule une main, sculptée avec soin et disposée à plat sur le
ventre, émerge de la matière.
22
23
UN AIR DE FAMILLE
Les Gaulois font la tête : ce titre souligne un caractère récurrent des représentations
figurées de la fin de l’âge du Fer. De fait, tous ces visages de pierre ou de bronze
représentés frontalement ont la même expression sévère et figée, par leurs yeux
en amande agrandis au-delà des proportions naturelles, leur long nez trapézoïdal
et leur bouche aux lèvres serrées. L’anatomie faciale ne montre par ailleurs aucune
cohésion structurelle. Elle isole les différents plans et les traite presque comme des
éléments séparés. Elle dénote une conception antinaturaliste de la représentation,
révélatrice d’une culture artistique qui n’est pas sans comparaisons avec certaines
tendances de la sculpture du XXe s.

Applique en bronze
IIe/Ier s. av. J.-C.
Krivoklàt (Bohême, République tchèque)
Musée national, Prague (inv. H1-126981)
H. : 1,5 cm
Biblio : Duval P.-M., Les Celtes, Paris, 1977, p. 183.
Applique en bronze (copie)
IIe/Ier s. av. J.-C. Applique, probablement fixée à l’origine sur du bois.
Oppidum de Manching (Bavière, Allemagne) Elle présente un masque humain en fort relief. La
Original : Prähistorische Staatsammlung, Munich (inv. 1985,2921) bouche résolument pincée donne une expression de
H. : 5,1 cm gravité à la tête.
Biblio : Van Endert D., Die Bronzefunde aus dem Oppidum von Manching, 13, Stuttgart, 1991, Nr. 234,
pl. 9, 42, 43.

Applique composée d’une plaque rivetée décorée de volutes gravées et d’une tête
humaine en relief. Le visage sévère a les yeux clos, la bouche fermée et convexe.
Sa ressemblance avec une sculpture de tête coupée découverte à Entremont incite à
penser que l’on est face à une figuration mortuaire.

24
Paire d’attaches d’anse en bronze ornées
d’un visage grimaçant
Vers 100 av. J.-C.
St-Laurent-La-Conche (Loire), « Bel Air », dans une tombe à
incinération avec éléments de char
Service régional de l’Archéologie de Rhône-Alpes, Lyon
H. : 4 cm
Biblio. : Georges V., Schönfelder, « Un char, un bûcher : la tombe aristocratique ségusiave
de La Tène finale » Archéopages, 19, 2007, p. 16-17 ; pour une comparaison :
Van Endert D., Die Bronzefunde aus dem Oppidum von Manching, Stuttgart, 1991, p.
44-46, 122, pl. 9, 44.

Ces deux visages de face avec un sourire « jusqu’aux oreilles » contrastent


avec les visages sévères qui sont la norme dans l’art du second âge du
Fer. Ce type de représentation est très rare
(seulement trois sont connues à l’échelle du monde celtique).
Leur source d’inspiration probable est le visage grimaçant de Silène
(père adoptif et précepteur de Dionysos et aussi dieu personnifiant
l’ivresse), qui orne fréquemment l’anse des cruches à vin gréco-romaines.

25
DE LA TÊTE AU CORPS
Les sculptures gauloises en pierre du Ier siècle avant J.-C. témoignent d’une
évolution du style des représentations. Si la tête reste l’élément privilégié, sur
lequel toute l’attention est focalisée, le corps et les membres des personnages
sculptés se dégagent de la masse. Les compositions deviennent plus réalistes et
plus animées, s’éloignant progressivement du caractère hiératique propre aux
représentations humaines du second âge du Fer. L’art figuré prend ainsi la même
voie que celle observée en Gaule méridionale deux siècles plus tôt. Avant même la
conquête de César, les esprits s’ouvrent à une idéologie nouvelle. L’art gallo-romain
est en marche.

Buste en grès
Ier s. av. J.-C.
Rodez (Aveyron)
Musée Fenaille, Rodez (inv. 938.5.1)
H. : 55 cm ; l. 55 cm ; E. : 25 cm
Biblio : Balsan L., « Le dieu au torque de Rodez », Revue
archéologique, 1947, p. 492-493 ; Duval A., « Personnage au
torque de Rodez », in : Bertrand I., Maguer P. (dir.), De pierre et de
terre, les Gaulois entre Loire et Dordogne, catalogue de l’exposition,
Chauvigny, 2007, p. 184.

Les bras, les avant-bras et les mains serrées sur un


torque se veulent plus réalistes que les représentations
plus anciennes. Le coude droit ressortant à l’arrière
rompt avec la frontalité traditionnelle de la sculpture
en pierre gauloise, ce qui donne un air plus vivant au
personnage. Une mèche épaisse, tombant dans le dos,
se détachait sur quelques centimètres du bloc de pierre,
grâce à l’emploi d’une technique de sculpture novatrice.

26
27
28
LA VRAIE APPARENCE PHYSIQUE
DES GAULOIS
Les auteurs grecs et latins, largement relayés par les artistes et les illustrateurs
modernes, ont gravé dans notre cerveau l’image de Gaulois grands, blonds, hirsutes
et moustachus. Mais pouvait-il arriver à des Gaulois d’être petits et bruns ? D’avoir les
cheveux courts ? Et les Gauloises, totalement ignorées des mêmes auteurs, étaient-elles
aussi hirsutes que leurs époux ?
Le décodage attentif des représentations figurées que nous ont livrées les Gaulois eux-
mêmes, l’étude des assemblages d’objets vestimentaires retrouvés dans les tombes et
l’analyse des restes osseux permettent de répondre à cette interrogation.

Poignard
anthropomorphe
en fer et bronze
Milieu du Ier s. av. J.-C.
Châtillon-sur-Indre (Indre), « Le
Moulin de la Grange », dans une
tombe aristocratique
(voir légende complète p.44)

29
MIROIR, DIS-MOI…
« Penché sur l’onde, il [Narcisse] contemple ses yeux pareils à deux astres étincelants,
ses cheveux dignes d’Apollon et de Bacchus, ses joues colorées
des fleurs brillantes de la jeunesse, l’ivoire de son cou, la grâce de sa bouche,
les roses et les lis de son teint : il admire enfin la beauté qui le fait admirer. » (Ovide,
Métamorphoses, III, 407-603).

De nos jours, chacun se regarde chaque matin dans sa glace. Ce geste n’était
pourtant pas banal pour nos Gaulois. Les miroirs, faits de métal poli, étaient des
objets de prestige, du moins jusqu’au changement d’ère. S’y trop contempler
portait d’ailleurs malheur, comme le pauvre Narcisse peut en témoigner, qui,
amoureux de son image, finira par en périr. Les Gaulois se sont d’ailleurs méfiés
des miroirs, qu’ils n’ont jamais fabriqués eux-mêmes et qu’ils importaient avec une
grande parcimonie : on en connaît seulement quelques unités pour l’ensemble du
monde celtique.
La surface brillante d’une cruche de bronze ou d’une flaque d’eau était le seul miroir
facilement disponible. Se voir constituait donc une expérience rare et fugace.

Manche de miroir en bronze Miroir en bronze


Fin du Ier s. av. J.-C./début du Ier s. ap. J.-C. Fin du Ier s. av. J.-C.
Compiègne Oppidum de Bibracte, domus du Parc aux Chevaux
Musée Rolin, Autun (inv. 2002.60.159.0.0.1) Musée de Bibracte (inv. 992.7.5107.1)
L. : 13,5 cm D. : 93 mm ; E. : 1,5 mm
Biblio. : Guillaumet J.-P., Schönfelder M. , « Un manche Biblio : inédit
de miroir de type britannique provenant de Compiègne : un
nouveau témoignage des contacts à travers la Manche », Ce type de miroir bombé, qui sera fréquent dans la
Antiquités nationales, 33, 2001, p. 125-128.
Gaule romaine, est connu dès le IIe s. av. J.-C. dans la
riche tombe féminine de Dühren, près de Karlsruhe.
Manche de miroir, d’un type dont un seul autre
Probablement formé par martelage comme en
exemplaire a été retrouvé sur le continent, mais
témoignent de larges fissures, il porte des traces
en revanche bien connu dans des tombes du
d’étamage (application d’étain) sur les deux faces mais
sud-est de l’Angleterre. Le miroir lui-même,
seule la face convexe a été polie. Par son petit diamètre
disparu, était formé d’un disque de bronze poli.
et sa surface bombée, il renvoyait à son propriétaire
Au revers habituellement gravé de motifs
une image bien médiocre de son visage !
végétalisants (comme sur l’exemple de Great
Chester ford (Essex) d’après Fox 1960, à
gauche)

30
SOBRIQUETS CELTIQUES…
Le nom que l’on donne à un individu est d’abord un mot vivant. Affecté à un être
singulier et à lui seul, il a pour fonction de le distinguer. Certains sont construits
avec des noms communs, comme notre « Legrand ». C’était aussi le cas chez les
Gaulois, dont le nom propre était très souvent ce que nous appelons un sobriquet.
Beaucoup se rapportent à un détail de l’apparence physique. Ils montrent la même
variété que nos noms de famille : Donnias et Roudios sont l’équivalent de nos
Lebrun et Leroux ; Bricia est sans doute La Rousse ; Combaromarus « Grosse-Tête »
et Cunobarrus « Tête-de-Chien » sont moins flatteurs…
Certains sobriquets peuvent aussi identifier un peuple. Les Calètes sont « les
Durs » et les Cadurques « les Sangliers de bataille » (ce qui montre que l’on était
très attaché aux valeurs guerrières) ; d’autres noms correspondent à un trait de
l’apparence physique, comme « les Crépus » (les Véliocasses) ou « Qui ont trois
boucles (ou tresses) » (les Tricasses).

Avia Billicc (os)


« Petite fille » « Bon, beau »
(Lambert et Luginbühl 2005, n° 3, p. 180) (Lambert et Luginbühl 2005, n° 4, p. 180)

Blan (os)
« Séduisant »
(Lambert et Luginbühl 2005, n° 5, p. 180)

Bric-,Briccius, Bricia Curra


« tacheté(e), tavelé(e) » « Naine »
(Lambert et Luginbühl 2005, n° 7, p. 181) (Lambert et Luginbühl 2005, n° 14, p. 183)

Nerto- Vrac (a ?)


« Fort » « Veille femme, Sorcière »
(Lambert et Luginbühl 2005, n° 57, p. 199) (Lambert et Luginbühl 2005, n° 23, p. 187)

Ioventa Nerta Anthroponymes gaulois, issus de graffiti


« Jeune » « Forte » découverts à Bibracte
(Lambert et Luginbühl 2005, n° 55, p. 198) (Lambert et Luginbühl 2005, n° 18, p. 185)
Biblio. : Lambert P.-Y., Luginbühl T., « Les graffites de Bibracte. Apports des inscriptions
mineures à l’histoire des habitants de Bibracte », « Catalogue des graffites sur céramique de
Bibracte », dans : Etude sur Bibracte, Bibracte-1, Glux-enGlenne.

De nombreux graffites gaulois en écriture grecque ou latine ont été


découverts depuis la reprise des fouilles sur le Mont Beuvray. Près
de quarante noms propres sont dénombrés, complets ou en partie
restituables, presque tous gaulois.
Donicca
« Brune »
(Lambert et Luginbühl 2005, n° 9, p. 181)

31
PILOSITÉ CONTRÔLÉE
« Quant à la barbe, certains se la rasent, d’autres la laissent pousser modérément. Les
nobles, eux, se rasent de près les joues, mais laissent pousser leurs moustaches, au
point que leur bouche en est cachée… : aussi lorsqu’ils mangent, leur moustache est
embarrassée d’aliments, et, lorsqu’ils boivent,
la boisson circule à travers elle comme à travers un filtre. » (Diodore de Sicile,
Bibliothèque historique, V, 28)

Les coiffures sophistiquées des Gaulois et autres Celtes ont fasciné les Grecs
et les Romains, adeptes des chevelures courtes et des joues rasées de frais.
Le traitement élaboré des coiffures sur les effigies des monnaies gauloises
montre à sa manière l’intérêt que l’on portait à ce trait de l’apparence physique.
Quels que soient leur matériau et leur taille, les sculptures évoquent
la chevelure mais il est habituellement difficile de faire la part de la réalité
dans ces représentations stylisées. Pas d’hésitation en revanche pour la célèbre
tête de Mšecké Žehrovice : ces superbes bacchantes ne sont pas seulement
une facétie de statuaire mais bel et bien un ornement pileux, qui devait être la fierté
de son propriétaire.

Tête sculptée en calcaire


(copie)
IIIe/IIe s. av. J.-C.
Mšecké Žehrovice (Bohême), enfouie
en quatre fragments dans une fosse à
proximité immédiate d’une enceinte
rectangulaire de 90 x 190 m, parmi des
poteries datables du IIe s. av. J.-C.
Musée national de Prague
Original : Musée national de Prague
H. : 25 cm
Biblio. : Megaw R., Megaw J.V.S., « The stone head
from Mšecké Žehrovice, an essay on the human
head in early Celtic art », in : Venclová N., Mšecké
Žehrovice in Bohemia, Archaeological background
to a Celtic hero 3rd-2nd Cent. B.C., Sceaux, 1998,
p. 281-292.

Cette tête est la plus saisissante sculpture


du second âge du Fer, sans doute parce
que c’est elle exprime avec le plus de
force la façon dont les Celtes se voyaient.
Elle présente aussi l’intérêt d’avoir été
retrouvée sur un site archéologique
bien caractérisé (sanctuaire ou plus
probablement habitat aristocratique).
La taille est maîtrisée et la surface bien
lissée témoigne d’un travail de finition
particulièrement poussé.

32
33
ÉTRANGES COIFFURES
« Se lavant sans cesse les cheveux avec un lait de chaux, ils les relèvent
des tempes vers le sommet de la tête et la nuque, de sorte que leur aspect ressemble à
ceux des Satyres et des pans : car leurs cheveux s’épaississent
du fait de ce traitement, au point de ne différer en rien d’une crinière de cheval. »
(Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, V, 28)

L’iconographie des monnaies gauloises montre des coiffures exubérantes, mais


il est difficile d’évaluer si elles sont le reflet fidèle d’une mode ou seulement un
artifice ornemental. Les têtes d’Entremont et de Mšecké Žehrovice, en revanche,
affichent l’une et l’autre une chevelure traitée avec suffisamment de réalisme
pour confirmer les déclarations de maint auteur gréco-romain sur l’art gaulois de
la coiffure. Sur la première, un rouleau de mèches court sur le haut du front, d’une
oreille à l’autre, comme un diadème. Sur l’autre, il semble que la nuque soit rasée,
ne laissant qu’un bandeau de cheveux sur le haut du crâne. Comme la tonsure
désigne le moine au Moyen Âge, on a proposé de voir dans cette étrange coiffure le
signe distinctif d’une catégorie sociale comme celle des druides.

Tête sculptée en calcaire


(copie)
IIIe/IIe s. av. J.-C.
Mšecké Žehrovice (Bohême), enfouie
en quatre fragments dans une fosse à
proximité immédiate d’une enceinte
rectangulaire de 90 x 190 m, parmi des
poteries datables du IIe s. av. J.-C.
Musée national de Prague
Original : Musée national de Prague
H. : 25 cm
Biblio. : Megaw R., Megaw J.V.S., « The stone head
from Mšecké Žehrovice, an essay on the human
head in early Celtic art », in : Venclová N., Mšecké
Žehrovice in Bohemia, Archaeological background
to a Celtic hero 3rd-2nd Cent. B.C., Sceaux, 1998,
p. 281-292.

Détail de la coiffure.

34
Tête sculptée en
calcaire
IIIe/IIe s. av. J.-C.
Aix-en-Provence (Bouches-du-
Rhône), oppidum d’Entremont, glacis
nord-est de la « ville haute », au
niveau du tracé de la voie principale
pénétrant dans l’oppidum
Musée Granet, Aix-en-Provence (inv.
MH 43.8)
H. : 28 cm
Biblio. : Salviat F., « La sculpture
d’Entremont », in : Coutagne D., Archéologie
d’Entremont au Musée Granet, Aix-en-
Provence, 1993 (2e édition), p. 176, 178,
n° 3.

L’oppidum d’Entremont a livré une


collection de sculptures uniques en
Gaule. Accroupis, statues équestres…
devaient appartenir à plusieurs
édifices publics successifs de cette
fortification provençale surtout
occupée au IIe s. av. J.-C.
Cette tête appartenait
vraisemblablement à une statue
de guerrier accroupi : quelques
exemplaires, tous brisés lors de la
destruction du site vers 125 av. J.-C.,
ont pu être en partie reconstitués. Le
style réaliste est typique de la Gaule
méridionale. Le visage, assez fruste,
contraste avec le grand raffinement de
la coiffure.

35
DRÔLES DE GENRES

« On se sert aussi du savon, qu’ont inventé les Gaulois pour colorer les cheveux en roux ;
il se prépare avec du suif et de la cendre ; le meilleur avec de la cendre de hêtre et du
suif de chèvre. Il en est de deux espèces : de l’épais et du liquide ; l’un et l’autre sont
en usage chez les Germains où les hommes s’en ser vent plus que les femmes. » (Pline
l’ancien, Histoire naturelle, XXVIII, 191)

Notre culture, tout comme celle des Romains, considère spontanément les longues
chevelures comme un trait de la féminité. Quand elle est représentée, la chevelure
des bustes en pierre ou en bois est toujours complexe. Les longues nattes, le
plus souvent dissymétriques, sont fréquentes. Faut-il y voir un attribut féminin ?
Probablement pas. Le buste de Bozouls est éloquent de ce point de vue, puisque la
natte y est associée avec un poignard qui est habituellement un attribut masculin.
Inversement, les représentations indubitablement masculines, comme la tête
moustachue de Mšecké Žehrovice, restent rares.
L’absence de figuration explicite du sexe, tant féminin que masculin, est d’ailleurs
un trait qui distingue la sculpture (et plus largement l’iconographie) gauloises
du second âge du Fer de la sculpture gréco-romaine.

Buste sculpté en grès


Ier s. av. J.-C. ?
Bozouls (Aveyron), « La Devèze d’Ayrebesque »
Musée Fenaille, Rodez (inv. 911.1.1)
H. : 95 cm ; l. 45 cm (base)
Biblio : Balsan L., « La statue de Bozouls : guerrier héroïsé », Procès Verbaux de la société des lettres, sciences et
arts de l’Aveyron, 37, 1959, p. 368-373 ; Boudet R., Gruat P., « La statuaire anthropomorphe de la fin de l’Âge du
Fer (ou supposée telle) dans le sud-ouest de la France », in : Briard J., Duval A. (dir.), Les représentations humaines
du Néolithique à l’âge du Fer, Actes du 115e Congrès national des Sociétés savantes, Paris, 1993, p. 287-300.

Buste taillé en ronde-bosse. Le tronc, pyramidal, s’appuie sur un socle débordant. Les bras
sont particulièrement bien dégagés, mais restent plaqués. La main droite serre un poignard
à pommeau rond, la gauche, sans doute le fourreau de l’arme. Le cou est orné d’un torque à
tampons jointifs.
La coiffure au bol se prolonge par une longue torsade tombant du côté droit.

36
37
HOMMES OU FEMMES ?
Les Gaulois « l’utilisent (l’or) pour la parure, les hommes aussi bien que les femmes. Ils
portent des bracelets aux poignets et aux bras, autour du cou d’épais colliers d’or massif,
des bagues énormes et même des cuirasses d’or. »
(Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, V, 27)

Les représentations figurées sont habituellement dépourvues de genre. La plupart


ont pour seul attribut le torque, qui était porté par les deux sexes.
Parmi la documentation archéologique, ce sont les tombes qui permettent le mieux
de différencier les sexes. Le squelette féminin est normalement plus gracile que
celui de l’homme, mais la distinction n’est pas toujours dénuée d’ambiguïté. Le
plus discriminant reste la tenue vestimentaire : les parures nombreuses (torque,
bracelets, fibules, ceintures) identifient les tombes féminines et les armes (épée,
bouclier, lances) les tombes masculines.

38
TOUS GRANDS ET BLONDS ?
« Les Gaulois ont le corps grand, la peau humide et blanche, les cheveux blonds par
nature : mais il s’appliquent à accroître artificiellement le caractère spécifique de leur
couleur naturelle. » (Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, V, 28)

Des types humains présents chez les barbares du Nord, les observateurs gréco-
romains ont surtout retenu le trait qui était le moins fréquent dans leur peuple :
la pâleur du teint. L’étude anthropologique des restes humains des sépultures
ne permettant pas (sauf exception) de déterminer la couleur des cheveux, elle
s’intéresse au squelette.
Il y a un siècle, la craniométrie connut ainsi une grande vogue. La forme
de la boîte crânienne permettait de distinguer des « races » (Nordique,
Méditerranéenne…) que les anthropologues cartographiaient, à la recherche
de l’origine et des mouvements des civilisations anciennes. Ces théories
alimentèrent l’idéologie raciste des nazis qui en firent la promotion, à la
recherche de crânes purement germaniques. Par contrecoup, elle fit tomber ces
recherches dans un discrédit total.
Toutefois, il reste vrai, aujourd’hui comme dans le passé, que les populations du
nord de l’Europe ont un crâne en moyenne plus allongé et plus robuste que les
populations des régions méditerranéennes.

Mauvaise vie, mauvaise tête


Les visages figés et distants des bustes en pierre sont aussi ceux d’individus sans
âge. Dans une société où l’espérance de vie ne dépasse pas 40 ans quand on a
franchi le cap de la petite enfance – ce qui n’est d’ailleurs guère plus médiocre qu’au
XVIIIe siècle –, le visage accusait pourtant très vite les affres de la vie. Le mauvais
traitement des blessures (notamment celles subies sur le champ de bataille, où
l’on se battait surtout à l’épée…) se traduisait également par une abondance de
« gueules cassées ».
Si on veut bien les regarder de près, les crânes portent de nombreuses traces qui
témoignent des difficultés de la vie. C’est le travail du paléopathologiste de traquer
ces indices de désordres dentaires, d’inflammations, de maladies infectieuses, de
carences, de traumatismes, de tumeurs et autres malformations.

Instruments de toilette en fer (forces, rasoir, couteau,


pince) et bronze (peigne) (copies)
Morbach (Rhénanie-Palatinat, Allemagne), nécropole de l’agglomération antique de Wederath-
Belginum, tombe 1700
Originaux : Archäologiepark Belginum (inv. 80, 243 i, k, l, m, n)
Forces : L. : 15, 5 cm ; Rasoir : L. : 14,5 cm ; Couteau : L. : 10,3 cm ; Pince : L. : 6,6 cm ; Peigne : L. :
4,4 cm
Biblio. : Cordie-Hackenberg R., Haffner A., Das Keltisch-römische Gräberfeld von Wederath-Belginum : 4, Mainz, 1991,
p. 98, pl. 444, 489.

Les soins du visage sont attestés par toute une gamme d’instruments dont la plupart nous sont
encore familiers : rasoir, pinces à épiler, forces (ancêtres des ciseaux), peigne, cure-oreille, cure-
ongle, cure-dent. S’y ajoutaient le savon, l’eau de chaux et les teintures, si l’on l’en croit les sources
écrites.

Ces objets apparaissent surtout dans des sépultures. Si le rasoir est un outil essentiellement
masculin, Les pinces à épiler sont également un peu plus fréquentes dans les tombes d’hommes,
ce qui nous montre que la coquetterie était partagée par les deux sexes. Associées à des forces,
rasoir et pincettes forment parfois des trousses de toilette, comme dans cette tombe féminine de
Belginum, qui présente aussi un peigne métallique, objet rarissime à l’âge du Fer.

39
LE TORQUE, PARURE ET ACCESSOIRE
SYMBOLIQUE
« [Les Gaulois] l’utilisent [l’or] pour la parure, les hommes aussi bien que les femmes.
Ils portent des bracelets aux poignets et aux bras, autour du cou d’épais colliers d’or
massif, des bagues énormes et même des cuirasses d’or. »
(Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, V, 27)

Le torque, ou collier rigide, est un objet de parure typiquement celtique.


Les torques en or retrouvés dans le sol sont souvent associés à d’autres objets du
même métal, notamment des monnaies, au sein de trésors qui paraissent avoir eu
une fonction religieuse, mais on n’en connaît en revanche aucun en sépulture.
En effet, ceux que l’on retrouve fréquemment dans les tombes de femmes de haut
rang, du moins aux IVe et au IIIe s., sont tous en bronze.
Ces données archéologiques déconcertantes montrent du moins que le torque en
or disposait d’un statut très particulier. Emblème militaire (dont l’armée romaine
fera d’ailleurs une décoration pour ses officiers), il n’accompagnait pas les guerriers
dans la mort. Il est tentant de penser qu’il était alors dédié à une divinité et enfoui…
ou suspendu au cou d’une effigie de bois ou de pierre rappelant le souvenir de son
ancien propriétaire.

Manche de poignard
en bronze (copie)
Ier s. av. J.-C.
Levroux (Indre), colline des Tours
Original et copie : Musée Saint-
Roch, Issoudun (inv.11.999)
H. : 11 cm Torque en or (copie)
Biblio : Vuaillat D. (dir.), Aspects des âges
du Fer en Berry et Limousin, catalogue IIe s. av. J.-C.
d’exposition, Guéret, 1989, p. 36 ; Tayac (Gironde), dans un dépôt d’objets d’or enfoui dans deux vases, avec des
Buschenschutz O. (dir.), Celtes et Gallo- lingots, un fil et environ 400 monnaies.
romains en Berry, catalogue d’exposition, Copie : musée de Bibracte
Châteauroux, 1982, p. 68-69.
Original : musée d’Aquitaine, Bordeaux (inv. 60.17.2)
D. : 16, 5 cm
Manche de poignard coulé dans un Biblio. : Hautenauve H., Les torques d’or du second âge du Fer en Europe, Technique, typologie,
bronze riche en plomb, représentant symbolique, Rennes, 2005, p. 230, n° 125.
un personnage en buste.
La représentation de deux torques, Torque, retrouvé brisé en trois morceaux et composé d’un jonc torsadé et de deux
l’un porté au cou, l’autre plaqué tampons creux en forme de cupule. La torsade a été réalisée à partir d’une tige de
contre le cœur et tenu des deux section cruciforme aux branches biseautées, obtenue par fonte à la cire perdue puis
mains, en fait un objet d’exception. tournée vingt fois sur elle-même. Elle s’achève par une série de gorges profondes et
des reliefs finement ciselés. Ceux-ci rejoignent un disque biseauté sur lequel sont
soudés les tampons, fabriqués à partir d’une épaisse feuille martelée.

40
Buste en granite (copie)
IIIe-IIe s. av. J.-C.
Yvignac (Côtes d’Armor), « Lannoué »
Copie : Service régional de l’Archéologie,
Rennes
Original : collection privée
H. : 45 cm
Biblio : Daire M.-Y., Langouët L., « Une sculpture
anthropomorphe gauloise dans un enclos à Yvignac
(Côtes d’Armor) », Dossiers d’archéologie d’Alet, 20,
p. 5-16.

Contrairement à la majorité des bustes


en pierre de la fin de l’âge du Fer, celui-ci
ne porte pas de torque sculpté. Le cou est
cependant particulièrement bien marqué et
il est possible qu’il ait été orné par un torque
amovible. Le cou mais aussi la tête ont
bénéficié d’une attention toute particulière.
Le tronc, simple bloc cylindrique, a été
peu travaillé : la taille s’y est certainement
limitée à éliminer quelques arêtes saillantes.
Le sculpteur s’est davantage concentré sur
la mise en forme de la tête dont la coiffure
en bandeau et les oreilles en palmettes
rappellent la tête de Mšecké Žehrovice,
retrouvée à plus de 1500 km.

41
COUVRE-CHEFS
« Les Celtes ont pour armes des boucliers de la hauteur d’un homme, avec des
ornements variés, notamment des animaux. Ils se coiffent de casques en bronze qui leur
donnent une apparence gigantesque. […] Leurs casques d’airain sont garnis de grandes
saillies et donnent à ceux qui les portent un aspect tout fantastique. À quelques-uns de
ces casques sont fixées des cornes, et à d’autres des figures en relief d’oiseaux ou de
quadrupèdes. » (Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, V, 30)

La société gauloise est fortement marquée par les valeurs militaires. Le statut d’un
homme s’affiche par la qualité de son équipement guerrier, dont l’élément le plus
spectaculaire est le casque… d’autant plus visible qu’est noble la tête qui le porte.
Les découvertes de Ciumeşti (Roumanie) et de Tintignac (Corrèze) montrent des
exemples de casques munis d’un cimier richement orné d’appliques qui corroborent
parfaitement le témoignage de Diodore. Le casque d’Amfreville, comme ceux
d’Agris (Charente-Maritime) et de Canosa (Pouilles), se distingue par la richesse de
son décor alliant l’or au rouge de l’émail et du corail.

Casque en bronze, fer, or et


émail (copie)
Vers 275-225 av. J.-C.
Amfreville-sous-les-Monts (Seine-Maritime),
dans le lit de la Seine
Copie : Römisch-germanisches
Zentralmuseum, Mayence
Original : musée d’Archéologie nationale,
Saint-Germain-en-Laye (inv. 2153)
D. : 23/16 cm
Biblio. : Duval A., L’art celtique de la Gaule au musée des
Antiquités nationales, Paris, 1989 ; Duval A., Gomez
de Soto J., « Quelques considérations sur les casques
celtiques d’Amfreville (Eure) et d’Agris (Charente) »,
dans : Aquitania, Supplément 1, Actes du VIIIe colloque
sur les âges du Fer, Bordeaux, 1986, p. 239-244 ; Kruta
V., « Le casque d’Amfreville-sous-les-Monts (Eure) et
quelques problèmes de l’art celtique du IVe siècle avant
notre ère », Etudes celtiques, XV, 2, 1978, p. 405-424.

Exceptionnel casque d’apparat, fruit du travail


collectif de plusieurs artisans. Il est composé
d’une calotte de bronze sur lequel est fixé un
couvre-nuque, servant de support à un décor
en fer, bronze, or et émail.
Ce décor complexe comporte plusieurs
registres.
La partie sommitale est ornée de perles
d’émail en amande disposées en pétale
de fleur, d’une bande en fer de méandres
curvilignes, incluant des perles d’émail,
et d’une succession de pastilles concaves
munies de clous de bronze doré à tête décorée
de stries rayonnantes. La partie médiane,
en bronze doré, se distingue par un décor
tournoyant de triscèles reliées par des esses.
La partie inférieure est décorée de pastilles
à clou doré et d’une bande de méandres
curvilignes, scandés de rinceaux. Enfin, le
couvre-nuque est orné d’une série d’esses
entrelacées et de petits rinceaux en relief.

42
43
UNE ARME ANIMÉE
« L’armement est à la mesure de la haute taille des hommes : une grande épée qu’on
suspend au côté droit, un bouclier oblong de grande dimension, des piques longues à
proportion et la madaris, qui est une sorte de javelot. »
(Strabon, Géographie, IV, 4, 2)

L’arme privilégiée des Gaulois du second âge du Fer est une grande épée
aux tranchants parallèles. Bien connu, mais assez rare, le poignard court à
pointe effilée et à manche anthropomorphe est indubitablement un attribut
aristocratique. Avec sa poignée évoquant les quatre membres d’un personnage
dont le visage imberbe est soigneusement détaillé, il s’agit véritablement
d’une arme à forme humaine. Son statut particulier se signale aussi par les
représentations d’astres qui ornent le haut de la lame, sous forme d’incrustations
d’or.
On peut donc imaginer que cette arme était identifiée à une divinité ou à un génie
à qui il était demandé de rendre invincible son détenteur.

Tête de poignard en Tête de poignard en


Poignard anthropomorphe en fer et bronze bronze
Ier s. av. J.-C. IIe/Ier s. av. J.-C.
bronze Stradonice (Bohême) Corent ou Clermont-Ferrand (Puy-
Milieu du Ier s. av. J.-C. Musée national de Prague (inv. de-Dôme)
Châtillon-sur-Indre (Indre), « Le Moulin de la Grange », 126977) Musée Déchelette, Roanne (inv.
dans une tombe aristocratique H. : 3,6 cm 1767)
Musée Dobrée, Nantes (inv. 56.3522) Biblio : Karasovà Z., « Les têtes humaines en H. : 3,2 cm
L. : 49 cm bronze de Stradonice », Sborník Národhího Biblio : Déchelette J., manuel d’archéologie
Cl. Neveu-Dérotrie, musée Dobrée / Conseil général de muzea v Praze, 56, 2002, p. 107-110. préhistorique et celtique, t. 4, second âge
Loire atlantique du Fer, Epoque de la Tène, Paris, 1927 p.
Biblio : De Lisle du Dreneuc P., « Armes et objets gaulois découverts Tête de poignard anthropomorphe 645-647 ; Duval A., « Extrémité de pommeau
près de Chatillon-sur-Indre », Revue archéologique, 1917, p. 321-327 ; remarquable par sa stylisation : d’épée. Mobilier de tombe masculine », in :
Santrot M.-H., Santrot J (dir.), Nos ancêtres les Gaulois : Aux marges L’art celtique en Gaule, collections des musées
le visage, plat et arrondi, a de
de l’Armorique, catalogue de l’exposition, Nantes, 1999, p. 151-152, de Province, catalogue de l’exposition,
n° 288.
grands yeux lenticulaires cernés Marseille, Paris, Bordeaux, Dijon, 1983-
de paupières étirées. Celles-ci 1984, p. 183, n° 232.
Poignard composé d’une lame de fer corroyée et incrustée rejoignent les boucles de cheveux
d’or, protégée d’un fourreau en bronze à pontet décoré de sur la tempe, ce qui confère à cette Cette extrémité de tête de poignard
motifs à coquille, et d’un manche anthropoïde en bronze tête un aspect irréel ou fantastique. en bronze coulé est analogue à
moulé et ciselé. La fusée de la poignée est ornée de trois Des joues pleines et rondes bordent celle de Stradonice. Le visage est
grosses moulures qui forment l’abdomen du personnage. une petite bouche reliée à la base du cependant plus réaliste et les traits
Les bras et les jambes sont très courts et terminés par des nez par un sillon. Une couronne de plus empâtés. Les grands yeux en
petites sphères. La tête fabriquée à part présente un relief boucles borde le front, la chevelure amande sont flanqués de paupières
très fin. Le cou est bien dégagé. Le visage rond a de grands est ramenée en arrière en une sorte étirées jusqu’aux tempes, le nez
yeux aux paupières étirées, un nez trapézoïdal, un sillon de natte africaine ou une queue est épaté, la bouche lippue est très
naso-labial bien marqué et une petite bouche cernée par de cheval attachée par plusieurs courte. La coiffure en rouleaux de
des joues bien charnues. La coiffure est très raffinée : des cordelettes. Le visage et la coiffure mèches est semblable à celle de la
boucles bordent le front et les tempes tandis que le reste de ne sont pas sans évoquer le poignard tête de Stradonice, mais celle-ci se
la chevelure est ramené vers l’arrière en une sorte de natte anthropoïde de Châtillon-sur-Indre. distingue par la présence d’un liseré
africaine ou de queue de cheval serrée à deux (ou trois) en relief, peut-être un bandeau,
reprises par un lacet. partant des oreilles et se poursuivant
44 à l’arrière de la tête.
Poignard anthropomorphe
en fer et bronze
IIe-Ier s. av. J.-C.
Saint André-de-Lidon (Charente-Maritime)
Musée de Saintes (inv. 2007.0.1)
L. : 43,5 cm
Biblio : Duval A, Gaillard J., Gomez de Soto J., « L’épée
anthropoïde de Saint-André-de-Lidon (Charente-
Maritime) », Aquitania, Supplément 1, Actes du VIIIe
colloque sur les âges du Fer,Bordeaux, 1986, p. 233-239.

Poignard composé d’une lame de fer à décor


incrusté d’une lunule et d’un soleil d’or,
et d’un manche anthropoïde en bronze
coulé directement sur la soie. La garde et
le pommeau en accolade, terminés par des
boules, évoquent les membres du personnage.
À l’extrémité proximale du pommeau se trouve
une tête à deux visages engoncée dans la fusée.

45
Essai de restitution du grand vase ovoïde (dessin de D. Bertin
d’après les relevés de l’auteur).

46
COUPEURS DE TÊTES

Une coutume gauloise visiblement très répandue a stupéfait les observateurs grecs et
romains : prélever sur le champ de bataille la tête de son ennemi mort au combat et la
rapporter précieusement chez soi, accrochée à l’encolure de son cheval, pour l’exposer
ensuite en bonne place.

Quel est le sens réel de cette coutume qui nous semble si… barbare, et que l’archéologie
confirme amplement ? S’agit-il d’un rite religieux, d’une pratique funéraire ou plus
simplement d’un usage propre à une société fortement marquée par ses traditions
guerrières ?

De l’exhibition momentanée de la tête d’un ennemi ou d’un condamné, pour preuve de sa


mort, à la chasse aux têtes des peuples de l’Amazonie et du Sud-Est asiatique, en passant
par l’usage de transformer la tête en trophée, l’ethnologie montre que couper une tête
relève de motivations variées.

Vase en terre cuite (reconstitué)


IIe s. av. J.-C.
Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), « La Grande
Borne »
Musée de Bibracte, dépôt du Service régional de
l’Archéologie d’Auvergne
H. : 40 cm ; D. : 26,5 cm
Biblio : Périchon, R., « L’imagerie celtique d’Aulnat », in :
Bousquet J. et Naster P. (dir.), Mélanges offerts au docteur J.-B.
Colbert de Beaulieu, Paris, 1987, p. 677-684.

Vase retrouvé brisé, comportant de nombreuses


figures gravées après cuisson. Parmi des animaux de
toute sorte, se distingue une scène singulière dont
on ne connait actuellement d’équivalent que sur un
bas-relief découvert à Entremont : un cavalier barbu,
vêtu d’une tunique à manches courtes, lève une lance
de sa main droite. L’encolure de son cheval, arbore
une tête coupée, maintenue par des liens. Figurée de
profil, cette tête a été gravée avec un certain souci du
détail, avec un trou béant à la place de l’œil droit et la
dentition bien visible.

47
PRISES DE TÊTES
(À Rome, au moment du siège du Capitole, après la bataille du Tibre) « Les Celtes, le
premier jour, achevèrent de couper les têtes des ennemis morts suivant la coutume
de leur nation » (Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XIV, 115).

« Les Boïens, triomphants, portèrent dans le temple qui est le plus vénéré chez eux
les dépouilles enlevées au cadavre et la tête coupée du général [Postumius]. Puis,
après avoir nettoyé la tête, comme c’est la coutume chez eux, ils incrustèrent le crâne
d’or. » (Tite-Live, Histoire romaine, XXIII, 24)

« Il s’ajoute à leur déraison quelque chose de barbare et d’étranger à nos mœurs, qui
est propre à beaucoup de peuples du nord : ils attachent les têtes de leurs ennemis
à l’encolure de leur chevaux et les emportent pour les clouer à des propylées.
Poseidonios dit avoir vu lui-même en bien des endroits ce spectacle, qui d’abord lui
répugnait, mais qu’il avait fini, avec l’accoutumance, à supporter sereinement. ».
(Strabon, Géographie, IV, 4, 5)

(A propos des Gaulois de Macédoine, sous les ordres de Belgius) « Ptolémée, atteint
de multiples blessures, est fait prisonnier. Sa tête est coupée, fixée à une lance et
promenée sur tout le champ de bataille pour inspirer la terreur aux ennemis. »
(Trogue Pompée, Histoires Philippiques, abrégées par Justin)

(Lors de la bataille de Télamon, en 225) « C’est à ce moment-là que le consul Atilius


trouva la mort dans un corps-à-corps en combattant courageusement, et que sa tête
fut apportée aux rois des Gaulois. » (Polybe, Histoires, II, 28, 10)

« Aux ennemis tombés, ils coupent les crânes et les attachent au cou de leurs
chevaux. (…) Les têtes des ennemis les plus illustres, après les avoir enduites
d’huile de cèdre, ils les gardent avec soin dans un coffre à provision et ils les
montrent aux étrangers, se vantant que pour l’une de ces têtes son père ou
l’un de ses ancêtres ou lui-même n’ait pas accepté la somme importante
qu’on lui proposait… » (Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, V, 29)

Monnaie en argent Les témoignages, nombreux, relatifs aux Gaulois coupeurs et


éduenne légendée collectionneurs de têtes se réfèrent à la période du IVe au IIe s.
DVBNOCOV/
DVBNOREIX av. J.-C. Poseidonios, qui voyagea en Gaule un peu avant 100 av.
Avant 52 av. J.-C. J.-C. précise même – dans un passage transmis par Strabon et
Musée Rolin, Autun (inv. BA 1017)
D. : 16 mm Diodore – que les têtes coupées y sont si fréquentes qu’on finit
Biblio. : Gruel C. et Popovitch P.,
Les monnaies gauloises et romaines de par s’habituer à leur vue. Curieusement, César ne mentionne
l’Oppidum de Bibracte, collection Bibracte,
13, 2007, p. 166, n° 19.2. pas ce trait culturel des Gaulois. Il faut dire que lui-même a fait
Monnaie probablement frappée bien mieux dans le genre, en ordonnant par exemple de trancher
à Bibracte. Elle porte le nom d’un
protagoniste de la Guerre des
les mains aux milliers de Gaulois vaincus (mais bien vivants)
Gaules, Dumnorix, qui s’opposa d’Uxellodunum.
à César. Avec un grand souci de
réalisme qui dénote l’influence Des témoignages iconographiques dus aux Gaulois eux-mêmes
romaine, le revers montre un
guerrier représenté en pied et de
corroborent parfaitement les témoignages littéraires.
face, vêtu d’une cuirasse, la longue
épée gauloise au côté droit, et
tenant des prises de guerre : une
carnyx, un sanglier-enseigne et une
tête coupée.

48
DE SAISISSANTS TROPHÉES
Le prélèvement d’une tête sur un ennemi mort est un geste qui valorise son auteur,
mais encore faut-il que cela se fasse aux yeux de tous. Poseidonios nous indique que
ces têtes pouvaient être fixées à des portes ou à des portiques, ce que corroborent
effectivement différents témoignages archéologiques. De la Provence à la Bavière,
on connaît en effet des exemples de crânes encloués, souvent en relation directe
avec la porte d’entrée d’une fortification. Par ailleurs, plusieurs sites du Midi ont
livré des piliers et linteaux en pierre creusés d’alvéoles aux dimensions d’une tête,
parfois encore pourvues d’un crâne. Dans d’autres cas, les cavités sont remplacées
par des têtes sculptées en bas-relief. À Roquepertuse, comme à Entremont et à
Glanum, ces blocs appartenaient à des édifices publics qui abritaient des sculptures
en pierre de guerriers. On peut y voir des ancêtres de l’élite locale, glorifiés par
d’antiques faits d’armes.

Crâne perforé par un


clou en fer
IIe/Ier s. av. J.-C.
Kobern (Rhénanie-Palatinat)
Service archéologique de Rhénanie-
Palatinat, antenne de Coblence
Biblio. : Von Berg A., Physisch-anthropologisch
und sozial-historische Analyse artifiziell
perforierter Cranialfragmente im nördlichen
Mittelrheingebiet. Untersuchungen zum
eisenzeitlichen Schädelkult der Hunsrück-Eifel-
Kultur (Diss.), Francfort, 2004, Cat. 9

49
OBJETS DE PRESTIGE
Les textes l’affirment clairement, l’archéologie le confirme : les Gaulois ne se
contentent pas de couper des têtes pour affirmer leur victoire sur leurs ennemis
et pour provoquer l’effroi de leurs adversaires. Il s’agit bien de prendre possession
des crânes, de les rapporter chez soi et de les préparer pour les conserver
précieusement dans un coffre ou les exhiber durablement aux yeux de tous. Dans
d’autres lieux, comme dans la Turquie ottomane, ces trophées pouvaient être
échangés contre argent comptant. Diodore de Sicile nous suggère que les Gaulois
connaissaient aussi ce genre de pratique.

Chez les peuples qui la pratiquent, la chasse aux têtes, qui peut motiver de
faire la guerre, est un acte nécessaire à l’accomplissement de rites magico-
religieux associés à toutes sortes de moments de la vie sociale. Les témoignages
disponibles ne permettent pas de supposer que les Gaulois pratiquaient une telle
survalorisation de la tête.

Tête coupée en calcaire


IIIe/IIe s. av. J.-C.
Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), oppidum d’Entremont
Musée Granet, Aix-en-Provence (inv. MH 46.9)
H. : 23 cm
Biblio. : Salviat F., « La sculpture d’Entremont », in : Coutagne D., Archéologie
d’Entremont au musée Granet, Aix-en-Provence, 1993 (2e édition), p. 206, n° 27.

Tête de mort tenue par une main, ayant sans doute appartenu à une
représentation de guerrier accroupi.
La tête est surtout remarquable par la représentation des paupières
closes. La main exprime sans aucune ambiguïté possible la possession.

50
51
52
TÊTES ET CRÂNES
ENTRE RITES ET MANIPULATIONS
Sculptures aux coiffures soignées, souvent ornées d’un torque, têtes coupées
sur le champ de bataille et collectionnées, crânes étrangement manipulés,
exhibés, autant de faits qui témoignent de la fascination de toute une société
pour la tête humaine.
Attardons-nous sur l’usage des représentations figurées et sur différents types
de manipulations pour tenter de préciser l’idéologie des Gaulois relative à la tête.

Clavette de char en fer et


bronze (copie)
IIe/Ier s. av. J.-C.
Oppidum du Donnersberg (Rhénanie-Palatinat)
Römische-Germanisches Zentralmuseum,
Mayence (inv. 40950)
Original : musée de Kirchheimbolanden
H. : 12 cm ; l. : 3,9 cm
Biblio : Polenz H., « Ein maskenverzeirter Achsnagel der
Spätlatènezeit vom Donnersberg in der Pfalz », Germania, 52,
1974, p. 387-395, Taf. 38.

Clavette de char constituée d’une tige en fer


moulurée terminée par un visage en fort relief.
Celui-ci possède une coiffure atypique en éventail
ainsi qu’un visage aux yeux en amande, légèrement
inclinés vers le bas, aux paupières et sourcils épais.
Le profil est très marqué. Une plate-forme au
devant de la couronne tient lieu de front. Le nez est
fin mais très fort, le menton inexistant ; le visage
rejoint abruptement le cou sous la bouche large et
lippue.

53
TÊTES DE MORTS ?
Les têtes sculptées dans la pierre ou le métal peuvent-elles représenter des têtes
de morts ? Des têtes coupées ? Les têtes aux yeux clos d’Entremont sont les seules
qui permettent de l’affirmer. Le doute demeure dans tous les autres cas, tant le
traitement du visage est source d’ambiguïté, avec un regard que l’on peut juger
absent ou fixe, une bouche inexpressive ou sévère.
Ne doit-on pas en conclure que les Gaulois des IIe et Ier s. avant J.-C. cultivaient cette
ambiguïté, tout comme leurs ancêtres des deux siècles précédents inséraient des
visages humains à peine perceptibles dans de complexes décors végétalisants ?

Tête sculptée en calcaire


IIe/Ier s. av. J.-C.
Poitiers (Vienne), rue de la Marne, dans une
couche du Ier s. ap. J.-C.
Musée Sainte-Croix, Poitiers (inv. US 1144
M 393)
(Cl. Musée Sainte-Croix)
H. : 15, 7 cm ; l. : 14, 7 cm ; E. : 15,6 cm
Biblio : Duval A., Nibodeau J.-P., « La tête celtique de
Poitiers », Aquitania, 2007, p. 37-56

Bien que trouvée dans un contexte


d’abandon gallo-romain, cette tête sculptée,
à l’expression figée, présente un visage
typiquement laténien : des yeux en amande,
une moustache et des sourcils en légères
esses, un nez trapézoïdal peu proéminent, des
oreilles en forme de haricot et une coiffure
au bol se limitant au-dessus de la nuque.
Plusieurs indices permettent d’affirmer que
cette sculpture a été réalisée telle quelle,
en tant que simple tête, sans cou, ni corps,
notamment sa forme cubique et la présence
de traces d’outils sur la base, identiques à
celles que l’on retrouve sur le visage.

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ÉTRANGES MANIPULATIONS
Les restes humains, et singulièrement les restes de crânes, sont omniprésents
sur les sites archéologiques de l’âge du Fer. Beaucoup s’expliquent par le
bouleversement de sépultures antérieures ou par des pratiques de relégation
(restes d’individus qui n’ont pas bénéficié d’une sépulture et se retrouvent
mélangés à des rejets détritiques). D’autres témoignent effectivement de la
récupération de crânes et de leur utilisation dans des pratiques d’une grande
variabilité, comme les fragments de crânes portés en amulette, les calottes
coupées et percées, les crânes fracturés et décharnés.
Leur répondent, en contexte funéraire, des corps décapités ou décollés, ou d’autres
dont le crâne a été repris après réouverture de la tombe. Plus singulier encore est ce
corps inhumé dont la face a été prélevée après avoir été soigneusement découpée
à la scie !
Dans les lieux cultuels, la découpe de la tête est bien illustrée par le site
exceptionnel de Ribemont-sur-Ancre (Somme), où une centaine de corps masculins
sans tête composaient un charnier situé à l’extérieur du sanctuaire. Tous semblent
avoir été décollés et leurs têtes, absentes, transformées en trophées.
Il faut reconnaître que le sens de ces pratiques n’est pas toujours évident.

Crâne scié dépourvu de face


Ve/IIIe s. av. J.-C.
Reims (Marne), « La Neuvillette », sépulture 44
Service régional de l’Archéologie de Champagne-
Ardenne
Biblio : Bonnabel L., Boulestin B., « L’homme sans visage : la
sépulture 44 de Reims « La Neuvillette », Bulletin de l’Association
Française pour l’étude de l’Âge du Fer, 26, 2008, p. 15-17.

La découpe très régulière s’est effectuée sur le front


en arc de cercle, s’est poursuivie très légèrement
en dedans des rebords orbitaires externes et s’est
achevée entre les secondes prémolaires et les
premières molaires. La présence de traces crantées
permet d’affirmer qu’on s’est servi d’une scie.
Le rachis cervical, le crâne et la mandibule étant
toujours en connexion lors de la découverte, la
découpe n’a pu qu’être effectuée tôt au cours du
processus de décomposition du cadavre, de quelques
jours à quelques mois après l’inhumation.
Cette découverte se démarque des autres
manipulations attestées de crânes en ce que seule
la partie la plus significative du visage a été enlevée
(bouche, yeux, nez) et que l’auteur des faits n’a pas
attendu la décomposition complète du corps. On
peut penser à une défiguration volontaire, dans
un geste de vengeance à l’égard du défunt, mais il
est difficile d’interpréter cette découverte qui reste
unique en son genre.

55
DES RELIQUES ?
Il est différentes raisons de couper des têtes et de les conserver. Les motivations
guerrières étaient, on l’a vu, déterminantes pour les Gaulois du second âge du Fer.
Etaient-elles les seules ?
Les usages en vigueur dans d’autres sociétés permettent d’imaginer d’autres
scénarios : crânes de suppliciés par décapitation, crânes d’ancêtres exhumés des
tombes et placés bien en vue pour pouvoir mieux les vénérer et bénéficier de
leurs pouvoirs, reliques de saints, ou encore « vanités » destinées à rappeler à tout
moment aux vivants qu’ils retourneront à la poussière.
Les observations archéologiques montrent des modes d’exposition compatibles
avec certaines de ces hypothèses, comme les cavités céphaliques des piliers et
linteaux du Midi, qui ont pu accueillir parfois des crânes surmodelés à l’argile pour
leur redonner une apparence de vivants. Néanmoins, rien ne permet de conclure de
façon catégorique.

Pilier en calcaire (copie)


IIIe s. av. J.-C.
Statue décapitée ?
Velaux (Bouches-du-Rhône), Site de
Roquepertuse, terrasse inférieure
La pratique de la décollation était courante chez
Original : Musée de la Vieille Charité, les Gaulois. On peut se demander si cet usage s’est
Marseille (inv. Borély n° 6015)
H. : 113 cm ; l. : 32 cm ; E. : 36 cm aussi appliqué aux effigies de pierre et de bois
Biblio : Lescure B., Gantes F., « Nouvelle approche
des collections de Roquepertuse : l’étude du mobilier qui peuplaient leur environnement. Les cas de
ancien », Documents d’Archéologie méridionale,
14, 1991, p. 9-18 ; Gassend J.-M., « A propos de bustes acéphales sont en effet nombreux et il peut
la répartition des linteaux et piliers du portique
de Roquepertuse », Documents d’Archéologie
paraître trop facile d’invoquer simplement un bri
méridionale, 14, 1991, p. 19-25 ; Arcelin P., Rapin
A, « Considérations nouvelles sur l’iconographie
accidentel à l’emplacement du cou, qui constitue
anthropomorphe de l’âge du Fer en Gaule
méditerranéenne », in : Buchsenschutz O. et al.,
effectivement le point faible des blocs de pierre.
Décors, images et signes de l’âge du Fer européen,
Actes du XXVIe colloque de l’AFEAF, Tours, 2003,
La tête de Mšecké Žehrovice montre en tout cas un
p. 183-218. exemple flagrant de bris volontaire.
Pilier appartenant à un portique dont
deux autres supports et un fragment de
linteau nous sont parvenus. Le monolithe
est creusé de cavités taillées pour recevoir
des crânes humains, encore en place
au moment de sa découverte. L’étude a
Buste en grès acéphale
également révélé les traces d’un décor IIe/Ier s. av. J.-C.
polychrome de motifs géométriques et de Nassigny (Allier)
chevaux. Mairie de Nassigny
H. : 70 cm
Biblio : Poirieux C., « Nassigny (Allier) : une statue de dieu gaulois ? »,
Archéologia, 130, 1979, p. 71 ; Poursat J.-Cl., « Circonscription Auvergne »,
Gallia, 37, 2, 1979, p. 469-470.

Buste découvert fortuitement vers 1930, la tête séparée du tronc.


Perdue pendant la guerre, la tête n’est malheureusement pas
réapparue depuis et nous n’en possédons aucune description.
Le cou porte un torque de forte section. La main droite tient
un poignard ou une épée courte, la gauche serre un objet qui
s’apparente à un torque.

56
57
GALERIE D’ANCÊTRES ?
Le groupe sculpté de Paule, composé de quatre personnages, est un exemple
unique pour l’archéologie celtique. Considérés dans leur ensemble, une expression
commune, un air de famille unissent ces visages. Cependant chaque sculpture est
singulière, par la taille et par des détails anatomiques. Enfin, la plus grande tient
un instrument de musique et porte le torque, ces deux objets indiquant à n’en pas
douter un statut particulier (celui de barde, décrit par la littérature antique ?).
Ne peut-on pas penser à une sorte de galerie d’ancêtres, dont le rôle serait de
manifester le prestige de la lignée et de protéger les vivants ? Ceci cadrerait bien
avec le lieu de découverte (une résidence aristocratique occupée pendant un demi
millénaire). Ceci permettrait aussi de préciser la fonction des bustes de pierre de
la fin de l’âge du Fer, toujours absents des sanctuaires mais parfois associés à des
lieux de vie.
Quatre bustes sculptés en
métahornblendite (copies)
IIe s. av. J.-C.
Paule (Côtes-d’Armor), Camp de Saint-Symphorien,
forteresse aristocratique du second Âge du Fer, dans
des fossés de la fin du IIe s. av. J.-C. (bustes 1-2-3) et
de la première moitié du Ier s. av. J.-C. (buste 4)
Originaux et copies : Service régional de
l’Archéologie, Rennes
Buste 1 : H. : 43 cm ; l. : 17,7 cm ; E. : 12 cm ; Buste
2 : H. : 33,1 cm ; l. : 15,7 cm ; E. : 11,5 cm ; Buste 3 :
H. : 33,1 cm ; l. : 8,2 cm ; E. : 10,2 cm ; Buste 4 : H. :
27,3 cm ; l. : 14,3 cm ; E. : 11,5 cm
Biblio : Menez Y. et coll., « Les sculptures gauloises de Paule (Côtes-
d’Armor) », Gallia, 56, 1999, p. 357-414.

Le contexte de découverte contribue au caractère


exceptionnel de ce groupe sculpté : un habitat
aristocratique occupé du VIe au Ier s. avant J.-C. Les
bustes ont été retrouvés dans les fossés de la phase de
fortification la plus monumentale. La roche rare dont
ils sont faits et l’homogénéité de leur style montrent
qu’ils ont fait partie d’un même ensemble.
Concourent à l’homogénéité de style le visage
simpliste, les oreilles en forme de palmette, la coiffure
à bandeau ou diadème, le tronc traité à l’économie,
tandis que le buste à la lyre se distingue par la
présence de bras et de mains tenant l’instrument et
par le torque de forte section enserrant le cou. Les
socles débordants, taillés en pointe, indiquent que les
sculptures étaient fichées sur un support, peut-être
en hauteur, comme permet de le présumer la finition
sommaire du dessus des têtes.

58
59
L’OBJET DE TOUS LES SOINS
La pratique médicale la plus fascinante utilisée à l’âge du Fer est la trépanation, qui
consiste en l’ouverture de la voûte crânienne. Trois techniques étaient utilisées : la
vieille technique du râclage de l’os, utilisée dès le Néolithique, la découpe avec une scie
de trépanation et la perforation avec un trépan en couronne, décrite par Hippocrate au Ve
s. av. J.-C.

La trépanation était une pratique médicale à part entière, associée le plus souvent à
des cas de traumatismes ou d’hémorragie du cerveau, plus rarement à des tumeurs
ou des cas d’infection (ostéomyélite). Elle n’était pas sans risque, puisqu’on observe
que, selon la technique utilisée, 20 à 50% des opérations étaient suivies de la mort
du patient.
Le soin apporté à cette intervention chirurgicale montre aussi l’importance
particulière accordée au cerveau.

Instruments de
chirurgie en fer (copies)
Munich-Obermenzing (Bavière),
tombe 7
Copies et originaux : Prähistorische
Staatssammlung, Munich (inv.
1910/203-204)
Biblio. : Krämer W., Die Grabfunde von Manching
und die latènezeitlichen Flachgräber in Südbayern,
Wiesbaden, 1985 (Ausgrabungen in Manching
9), p. 120-121, pl. 59.

Instruments retrouvés dans la


tombe d’un homme qui était sans
doute chirurgien. Ils témoignent du
déroulement d’une trépanation. Le cuir
chevelu devait être coupé et maintenu
écarté par des crochets. Le saignement
abondant qui avait lieu à cette étape
devait être stoppé avec des plantes
au pouvoir coagulant. Le percement Crâne trépané (copie)
de la voûte crânienne avec la scie à
IIIe/IIe s. av. J.-C.
trépanation était aussi une opération
Katzelsdorf (Basse-Autriche)
qui provoquait des saignements, parce
Naturhistorisches Museum Wien
que l’os est traversé par des vaisseaux
Original : Stadtmuseum, Wiener Neustadt
sanguins. La phase terminale de Biblio. : Urban O.H., Teschler-Nicola M., Schultz M., « Die latènezeitlichen Gräberfelder von
l’opération était la plus délicate, puisqu’il Katzelsdorf und Guntramsdorf, Niederosterreich. Ein Beitrag zur Kenntnis der Trepanation bei
ne fallait absolument pas percer la den Kelten », Archaeologia Austriaca, 69, 1984, p. 13-104.
dure-mère, qui est la membrane qui
enveloppe le cerveau, au risque de Crâne masculin montrant une perforation triple. L’inachèvement de
provoquer une hémorragie mortelle. l’opération indique que le patient n’a pas survécu à l’opération, sans doute
en raison d’une hémorragie consécutive à la perforation de la dure-mère.
L’outil utilisé pour cette opération, le trépan à couronne, est probablement
un emprunt au monde hellénistique.

60
GAULOIS MASQUÉS ?
La plupart des sociétés utilisent le masque, pour bien des usages : cacher une
identité, en endosser une autre (humaine, animale ou divine), orner le visage d’un
défunt… Bien qu’elles soient difficiles à détecter en raison du caractère périssable
des matériaux habituellement utilisés, il est donc fort probable que les Celtes de
l’âge du Fer aient connu de telles pratiques et qu’une partie des visages sculptés
dans la pierre et dans le métal représentent des masques.
Les têtes animales sont très présentes dans l’art celtique. On a même vu que
certains visages humains n’étaient pas dépourvus d’ambiguïtés, avec leurs sourcils
se prolongeant en cornes. Ces deux étranges faces de hiboux, qui prennent une
place habituellement réservée à une face humaine, sur la tête de clavettes de char,
ne devraient-elles pas être considérées comme des masques ?

Clavettes de char en fer et bronze


(copies)
IIe / Ier s. av. J.-C.
Oppidum de Manching (Bavière)
Originaux et copies : Prähistorische Staatssammlung, Munich
(inv. 1967/748)
H. : 11, 4 cm ; H. : 8,4 cm
Biblio : Van Endert D., Die Bronzefunde aus dem Oppidum von Manching,
Stuttgart, 1991, p. 52-53, Nr 239-240, Taf. 11.

Clavettes constituées d’une tige en fer de section carrée


surmontée d’une tête de rapace : la première présente un bec
fin et crochu, séparant deux protubérances cannelées, de petits
yeux obliques étirés vers le haut et surmontés d’arcades épaisses.
La deuxième possède un bec plus épais, des yeux ronds dont le
contour tire vers le bas et des pommettes saillantes. On retrouve
deux protubérances cannelées de part et d’autre de cette tête.
61
ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE Chr. Goudineau : « Les clichés », dans : Religion et société en Gaule, catalogue de
l’exposition du musée de la Civilisation gallo-romaine de Lyon, Paris : Errance, 2006,
P. Arcelin, « La Tête humaine dans les pratiques culturelles des Gaulois p. 9-25.
méditerranéens », dans : J.-E. Brochier, A. Guilcher, M. Pagni (ed.), Archéologies
de Provence et d’ailleurs, Mélanges offerts à Gaëtan Congès et Gérard Sauzade, P. Härtl : Zur besonderen Bedeutung und Behandlung des menschichen Kopfes
Aix-en-Provence : Association Provence Archéologie, 2008 (Bulletin archéologique innerhalb der Latènekultur Mittel- und Westeuropas, Bonn : Habelt, 2005
de Provence ; suppl. 5), p. 257-284. (Universitätforschungen zur prähistorischen Archäologie ; 122).

P.-P. Bonenfant, « La danseuse et la redécouverte de la sculpture gauloise », P. Jacobsthal : Early Celtic Art, Oxford : Clarendon Press, 1944 (rééd. 1968)
Latomus, 67, 2008, p. 585-618. P. Lambrechts : L’exaltation de la tête dans la pensée et dans l’art des Celtes,
J.-L. Brunaux, Guerre et religion en Gaule, Paris : Errance, 2004. Bruges : De Tempel, 1954 (Dissertationes Archaeologicae Gandenses).

P.-M. Duval : Les Celtes, Paris : Gallimard, 1977 (coll. L’Univers des Formes ; 25). R. Megaw : J.V.S. Megaw, « The stone head from Mšecké Žehrovice, an essay on the
human head in early Celtic art », dans : N. Venclová, Mšecké Žehrovice in Bohemia,
A. Furger-Gunti : « Der « Goldfund von Saint-Louis » « bei Basel und ähnliche Archaeological background to a Celtic hero, 3rd-2nd Cent. B.C., Sceaux : Kronos BY,
keltische Schatzfunde », Zeitschrift für Archäologie und Kunstgeschichte, 39, 1982, 1998, p. 281-292
p. 1-47. [sur le sens symbolique du torque]
A. Reinach : «Les têtes coupées et les trophés en Gaule» Revue Celtique, 34,1913,
Chr. Goudineau :« Par la barbe et la moustache de nos aïeux », L’Archéologue, 26, p.38-60 et 253-286.
1996, p. 6-13.

LES GAULOIS FONT LA TÊTE


UNE EXPOSITION PRODUITE PAR BIBRACTE
EN PARTENARIAT AVEC
LE KELTEN RÖMER MUSEUM DE MANCHING (BAVIÈRE,
ALLEMAGNE)
LE PARC ARCHÉOLOGIQUE DE BELGINUM (RHÉNANIE-
PALATINAT, ALLEMAGNE)

MUSES ET ORGANISMES PRÊTEURS : Service régional de l’archéologie de Poitou-Charentes, Poitiers


Musée Granet, Aix-en-Provence Musée national, Prague
Musée Rolin, Autun CReAAH, CNRS UMR 6566, Rennes
Musée d’Aquitaine, Bordeaux Service régional de l’archéologie de Bretagne, Rennes
Musée de Normandie, Caen Musée Déchelette, Roanne
Musée Vivant Denon, Chalon-sur-Saône Musée Fenaille, Rodez
Musée Nicéphore Niepce, Chalon-sur-Saône Musées de la Ville de Saintes
Musée municipal, Châlons-en-Champagne Musée de Soissons
Musée du Pays Châtillonnais - Trésor de Vix, Châtillon-sur-Seine Landesmuseum, Trèves
Musée d’Art et d’Histoire, Cholet Musées de Vienne (Isère)
Musée municipal, Epernay Naturhistorisches Museum, Vienne (Autriche)
Musée de l’Hospice Saint-Roch, Issoudun Generaldirektion Kulturelles Erbe Rheinland-Pfalz, Direktion
Musée cantonal d’Archéologie et d’Histoire, Lausanne Landesarchäologie, Aussenstelle Koblenz
Service régional de l’archéologie de Rhône-Alpes, Lyon
Mairie de Nassigny
Musée d’Archéologie méditerranéenne, Marseille
Institut für Anthropologie, Mayence
Römisch-Germanisches Zentralmuseum, Mayence
Archäologische Staatssammlung, Munich
Musée Dobrée, Nantes
Musée Alfred Danicourt, Péronne

62
COORDINATION SCIENTIFIQUE : BIBRACTE REMERCIE :
Vincent Guichard, Wolf-Rüdiger Teegen
Dr. Axel von Berg, Direktion Landesarchäologie Rheinland-Pfalz,
Conception de l’exposition et élaboration des contenus : Außenstelle Koblenz
Vincent Guichard, directeur général de Bibracte Sandrine Berthelot, attachée de conservation au musée de
Dominique Lacoste, responsable des collections, Bibracte Normandie, Caen
Chloé Moreau, chargée de mission à Bibracte
Sylvain Besson, documentaliste du musée Niepce, Chalon-sur-Saône
Wolf-Rüdiger Teegen, université de Munich
Eloïse Vial, responsable des actions éducatives, Bibracte Christèle Bichot, CReAAH de Rennes
Brigitte Bouret, conservateur du musée Déchelette, Roanne
et avec l’aide de Jean-Jacques Charpy, conservateur du musée municipal d’Epernay
Alain Duval, Conservateur honoraire du Patrimoine, Poitiers François Cheval, directeur des musées de Chalon-sur-Saône
Caroline Nicolay, étudiante à l’université de Reims
Jean-Louis Coudrot, conservateur du musée du Pays Châtillonnais -
Elisabeth Rousseau, étudiante-chercheuse à l’institut Ausonius,
université de Bordeaux 3 Trésor de Vix
Roland Ferragu et Monsieur le Maire de Nassigny
Coordination technique : Marie-Agnès Gaidon-Bunuel, SRA Rhône-Alpes, Lyon
Jacques Gorlier, Dominique Lacoste Dr. Rupert Gebhard, Prähistorische Staatssammlung, Munich
Vincent Georges, INRAP, Lyon
Installation :
Gérard Blanchot, Bruno Caré, Dominique Lacoste, Bernard Pautet, Claude Sébastien Gosselin, conservateur des musées de Vienne
Sainjon, Thomas Sauvaget Claudie Guerry, régisseuse des œuvres du musée de Cholet
Prof. Jean-Jacques Hublin, Max Planck Institute for Evolutionary
Conception graphique de l’exposition : Anthropology, Leipzig
Les Pistoleros, Dijon/Paris
Christelle Jolivet, conservation des musées de Saintes
Mise en page du livret : Gilbert Kaenel, directeur du musée cantonal d’archéologie et d’histoire
Daniel Beucher /Bibracte de Lausanne
Brigitte Maurice-Chabard, conservateur du musée Rolin, Autun
Communication : Yves Menez, SRA de Bretagne, Rennes
Anne Flouest, Justine Lemoine
Patrice Moreau, attaché de conservation au musée de l’hospice St-
Secrétariat : Roch, Issoudun
Patricia Lepaul Vincent Mistrot, conservateur du musée d’Aquitaine, Bordeaux
Philippe Pagnotta, directeur des musées de Châlons-en-Champagne
Publication associée : Aurélien Pierre, responsable des collections du musée Fenaille, Rodez
magazine L’Archéologue/Frédéric Lontcho
Chrystelle Québriac, musée Dobrée, Nantes
Nolwenn Robine, directrice des collections archéologiques du musée
Denon, Chalon-sur-Saône
Dominique Roussel, conservateur du musée de Soissons
Pavel Sankot, conservateur au musée national de Prague
Dr. Martin Schönfelder, Römisch-Germanisches Zentralmuseum,
Mayence
Dominique Simon-Hiernard, attachée de conservation au musée de
Poitiers
David de Sousa, conservateur du musée Alfred Danicourt, Péronne
Prof. Dr. Maria Teschler-Nicola, Naturhistorisches Museum Wien,
Anthropologische Abteilung
Alain Testart, CNRS - Laboratoire d’Anthropologie sociale, Paris
Ludmila Virassamynaïken, conservatrice au musée Granet d’Aix-en-
Provence

Les responsables des musées et organismes prêteurs,


et tout particulièrement Wolf-Rüdiger Teegen, à l’origine de l’idée de
cette exposition

63
64
65
Les Gaulois répugnaient à donner figure humaine à leurs dieux. De fait, les représentations
de figures humaines sont bien moins fréquentes dans l’art celtique du second âge du Fer que
dans l’art gréco-romain. Pourtant, une enquête minutieuse permet de relever de nombreux
témoignages, sur les supports les plus divers (sculpture en pierre, bijouterie de bronze,
monnayage…), qui exaltent non pas le corps humain dans son entier mais la tête humaine.
Parallèlement, l’archéologie montre que les manipulations de restes humains étaient
familières aux Gaulois et que celles-ci concernent plus souvent les crânes que le reste du
squelette.
Ces deux pratiques – représentations de têtes humaines isolées et manipulations de crânes
– sont-elles des manifestations complémentaires de la même idéologie ? C’est la question
que l’exposition Les Gaulois font la tête met en scène, sous la forme d’une enquête mêlant
approches anthropologique et archéologique, afin de mieux cerner la signification d’un
ensemble de témoignages sélectionnés parmi la documentation archéologique européenne
des IIIe – Ier siècles avant J.-C.

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