You are on page 1of 326

L a tolérance

Portrait d'Erasme censuré par l'Inquisition espagnole.


Biblioteca Nacional, Madrid.
{Photo : Snark International.)
L a tolérance
essai d'anthologie

Textes choisis et présentés par


ZAGHLOUL M O R S Y

UNESCO
Les opinions exprimées à travers ces textes sont celles
de leurs auteurs et ne sauraient engager l'UNESCO

Publié par l'Organisation des Nations Unies


pour l'éducation, la science et la culture,
7, place de Fontenoy, 75352 Paris 07 SP
Ire édition 1975
par les Editions Arabes
2e édition 1988
Réimpression 1993
Impression : Imprimerie Floch, Mayenne
© UNESCO, 1974,1988,1993
Sommaire

REPÈRES 1

L ' H O M M E D E L'AMBIVALENCE 5
L a postulation spirituelle 5
L e postulat de la violence 9

P R O P H È T E S D É S A R M É S : VARIATIONS S U R U N MESSAGE 15
Une transcendance créatrice 16
Les hommes : semblables, égaux 21
Quatre commandements 23
Le devoir d'amour 23
L'amour et la justice 26
L'impératif de justice 29
Prêcher, non violenter 31
L a mort et les fins dernières 33

L E MESSAGE RÊVÉ 41
Cité charnelle, cité de Dieu, utopies 42
Disputations rationnelles : le salut de la
« conscience errante » 49
Disputations confessionnelles : la prière
d'Abraham 54

VICAIRES ARMÉS : LE MESSAGE À L'ÉPREUVE D U RÉEL 69


U n e machine infernale : l'intolérance 71
SOMMAIRE

Asie : la voix indienne 71


Gages et représentations 75
Interlude 83
Doléances 93
Le point de fait : « Dieu ou Mammon ? » 101
Sous les yeux d'Occident... 102
Sous l'œil des Barbares 111
Fin ou commencement ? 124
U n drame suspendu 132

L A VÉRITÉ EN QUESTION 137


La trahison du message 138
L'alternative 145
Le fond du problème 151
Vérité et violence 151
Conscience et droit 169
L'homme et le citoyen 176
Asie : la voie chinoise 186

L A T O L É R A N C E : C O N C E P T FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E ? 195


Edits, décrets, ouvertures... 197
Les ruses de la tolérance formelle 205
Minorités à part entière ou citoyens sans droits? 218
U n accord ambigu 238
Concessions spirituelles 238
La pierre de touche de la censure 248
Le refus du ghetto 266
L a fin de la tolérance classique 268
Clausule d'attente 275

D E L A TOLÉRANCE À L A CONNAISSANCE 277


Le mystique et le désir de salut universel 280
Le politique et le combat pour le bonheur ici
d'abord 285
H o m m e ancien, m o n d e nouveau 291
Si l'homme ne déchoit... 294

Bibliographie 295
Repères

Les thèmes et les termes du problème sont tous là, explicites ou en germe
en ces cinq textes, mais apparemment sans lien : d'une part, une
harmonie universelle postulée et source d'unité— symbolisée ici par la
Sagesse inventant la musique, la valeur absolue de toute vie dans
l'essentielle responsabilité réciproque de chaque homme et de la
communauté humaine, la supériorité enfin de l'amour sur la violence ;
en face, et du fait paradoxal de l'homme même, le scandale de la
différence supposée maléfique des convictions, des « objets » de culte,
de la couleur de la peau... Entre les deux, une même puissance
multiforme : l'or, ou, si l'on veut, sa prétention au pouvoir, à tous les
pouvoirs.
Le présent ouvrage est le lieu de la nouaison et d'un essai de
restitution de cette tragédie optimiste.

M a i s q u a n d elle (Athena) eut sauvé d e cet exploit périlleux


le héros qui lui était cher, la Déesse fabriqua la flûte,
l'instrument riche e n sons d e toute espèce, pour imiter avec
lui la plainte sonore qu'Euryale proferait d e ses lèvres
fébriles ; elle l'inventa, et, l'ayant inventé, en fit cadeau a u x
mortels, e n d o n n a n t son n o m au n o m e à plusieurs têtes, à cet
air glorieux qui évoque les luttes pour lesquelles s'émeuvent
2
LA TOLÉRANCE

les peuples et que laisse s'écouler l'airain léger, adapté à ces


fidèles témoins des choreutes, les roseaux poussés près de la
ville des Grâces, dans l'enceinte de la n y m p h e de Céphise. Si
les h o m m e s obtiennent quelque félicité, ce n'est jamais sans
labeur. L a divinité peut y mettre le comble aujourd'hui ; —
mais le destin demeure inévitable; u n jour peut venir, qui,
trompant notre espérance, à l'inverse de notre attente, nous
donnera ceci — et nous fera attendre encore le reste !
Pindare, 521-441 av. J . - C , Grèce, Olympiques, 12e

Voilà pourquoi nous avons prescrit auxfilsd'Israël :


« Celui qui a tué u n h o m m e
qui lui-même n ' a pas tué,
ou qui n'a pas commis de violence sur la terre,
est considéré c o m m e s'il avait tué tous les h o m m e s ;
et celui qui sauve u n seul h o m m e
est considéré c o m m e s'il avait sauvé tous les h o m m e s . »
Le Coran, Sourate v, La table servie

O n se d e m a n d e parfois, surtout en présence d u péché : Faut-


il recourir à la force ou à l'humble a m o u r ? N'employez
jamais que cet a m o u r , vous pourrez ainsi soumettre le m o n d e
entier.
L'humanité pleine d ' a m o u r est une force redoutable, à
nulle autre pareille.
Dostoïevski, Russie, Les frères Karamazov, 1880

(...)
Car il y a ce m a l
ci-gît au comble de m o i - m ê m e
couché dans une grande mare la sourde sans ressac
quand le jour vorace m e surprit m o n odeur
3

REPÈRES

de ce sang d u mien tu diras


que toujours au seuil il tenta de son galop amer
que plus juste devant Dieu que leurs bouches exactes
m o n mensonge (...)
Aimé Césaire, Martinique, Ferrements, 1960

L'or est une chose merveilleuse ! Qui le possède est maître de


tout ce qu'il désire. A u m o y e n de l'or on peut m ê m e ouvrir
aux âmes les portes du Paradis.
Christophe Colomb, Gênes, Lettre de la Jamaïque, 1503
L'homme de l'ambivalence

D'emblée, un paradoxe sinon une aporie : un homme sans visage —


de la race, de la culture, de la religion, du temps, du lieu que l'on
voudra — élève un hymne de grâce à un créateur (dieu ou principe
transcendant) dans et à travers la création et les créatures ; de cette
prière plurielle et une se dégagent quelques valeurs universelles
fondamentales souvent en une confondues : la nécessité de la paix, de
la justice, de l'amour; or, cet homme même, dans le même temps,
dévoilant son visage, pense abolir la raison par le poison, l'amour juste
par la croix, la liberté par le fer et le feu.
La justice, la liberté et l'amour vrais seront donc l'enjeu de cette
contradiction dramatique.

L a postulation spirituelle
6
La confession négative
(papyrus Nu)

La défunt s'adressant à Osiris :


Voici q u e j'apporte dans m o n c œ u r la Vérité et la Justice,
C a r j'en ai arraché tout le M a l .
Je n'ai pas causé d e souffrance a u x h o m m e s .
Je n'ai pas usé d e violence contre m a parenté.
6
LA T O L É R A N C E

Je n'ai pas substitué l'Injustice à la Justice.


(...)
Je n'ai pas c o m m i s de crimes.
Je n'ai pas fait travailler pour m o i avec excès.
(...)
Je n'ai pas maltraité m e s serviteurs.
Je n'ai pas blasphémé les dieux.
Je n'ai pas privé l'indigent de sa subsistance.
Je n'ai pas c o m m i s d'actes exécrés des dieux.
Je n'ai pas permis q u ' u n serviteur fût maltraité par son
maître.
Je n'ai pas fait souffrir autrui.
(...)
Je n'ai pas fait pleurer les h o m m e s , m e s semblables.
Je n'ai pas tué ni ordonné d e meurtre.
Le Livre des Morts, Egypte ancienne

Allez ensemble, parlez d ' u n e seule voix, puissent vos esprits


avoir les m ê m e s pensées, c o m m e les dieux d'autrefois
partageaient leur portion sacrificielle en pleine concorde !
Q u e la concorde m a r q u e leurs délibérations, leurs décisions,
leurs esprits, leurs pensées ! J'assure votre délibération
harmonieuse par m o n incantation; j'offre pour vous une
oblation c o m m u n e . Q u e vos intentions s'accordent et q u e
vos coeurs s'accordent ! Q u e vos esprits s'accordent afin qu'il
y ait entre vous une harmonie parfaite !
Rigveda, x, Traduit du sanscrit

Q u e la paix règne dans le m o n d e , que la calebasse s'accorde


avec le pot. Q u e leurs bêtes s'accordent et q u e toute
mauvaise parole soit chassée dans la brousse, dans la forêt
vierge.
Prière de Guinée
7

L ' H O M M E DE L'AMBIVALENCE

9
V œ u x des ancêtres Quiche

Oh toi, Tzacol, Bitol, Créateur, Façonneur,


Regarde-nous, écoute-nous! (...)
Que l'aube arrive, que le jour vienne!
Donne-nous beaucoup de bonnes routes,
Des routes bien unies,
Que les peuples vivent en paix,
Qu'ils jouissent d'une longue paix,
Donne-leur la prospérité,
Donne-nous une bonne vie et une utile existence !
Popol Vuh, (Livre sacré des Quiche), Guatemala

10

Au nom de Dieu :
celui qui fait miséricorde,
le Miséricordieux.

Louange à Dieu,
Seigneur des M o n d e s :
celui qui fait miséricorde,
le Miséricordieux,
le Roi du Jour d u Jugement.

C'est toi que nous adorons,


c'est toi
dont nous implorons le secours.

Dirige-nous dans le droit chemin :


le chemin de ceux que tu as comblés de bienfaits ;
non pas le chemin de ceux qui encourent ta colère, ni celui
des égarés.
Le Coran, Sourate i, La Fâtiha

11

Soyons en paix avec notre propre peuple


et avec les peuples qui nous sont étrangers,
8

LA T O L É R A N C E

Asvins, crée entre nous et les étrangers


une unité de cœur.
Atharvaveda, (Hymnes du Veda), 1200-1000 av. J.-C.

12
Le Chœur

Il est bien des merveilles en ce m o n d e , il n'en est pas de plus


grande que l ' h o m m e .
Il est l'être qui sait traverser la m e r grise, à l'heure où
soufflent le vent d u sud et ses orages, et qui va son chemin
au milieu des abîmes
que lui ouvrent les flots soulevés. Il est l'être qui
tourmente la déesse auguste entre toutes, la Terre. (...)

Les oiseaux étourdis, il les enserre et il les prend, tout c o m m e


le gibier des champs et les poissons peuplant les mers, dans
les mailles de ses filets,
l ' h o m m e à l'esprit ingénieux. Par ses engins il se rend
maître de l'animal sauvage qui va courant les monts, et, le
m o m e n t venu, il mettra sous le joug et le cheval à l'épaisse
crinière et l'infatigable taureau des montagnes.

Parole, pensée vite c o m m e le vent, aspirations d ' o ù


naissent les cités, tout cela, il se l'est enseigné à lui-même,
aussi bien qu'il a su, en se faisant un gîte,
se dérober aux traits d u gel ou de la pluie, cruels à ceux
qui n'ont d'autre toit que le ciel.
Bien armé contre tout, il ne se voit désarmé contre rien
de ce que peut lui offrir l'avenir. Contre la mort seule, il
n'aura jamais de charme permettant de lui échapper, bien
qu'il ait déjà su contre les maladies les plus opiniâtres
imaginer plus d ' u n remède.

Mais, ainsi maître d ' u n savoir dont les ingénieuses


ressources dépassent toute espérance, il peut prendre ensuite
la route d u mal tout c o m m e du bien.
Qu'il fasse donc dans ce savoir une part aux lois de sa
ville et à la justice des dieux, à laquelle il a juré foi !
9

L ' H O M M E DE L ' A M B I V A L E N C E

Il montera alors très haut dans sa cité, tandis qu'il


s'exclut de cette cité le jour où il laisse le crime le contaminer
par bravade.
A h ! qu'il n'ait plus de part alors à m o n foyer ni parmi
m e s amis, si c'est là c o m m e il se comporte !
Sophocle, Grèce antique, Antigone, 441 av. J.-C.

L e postulat de la violence
13
La plainte de Mélétos

S O C R A T E : (...) Maintenant, c'est à cet honnête h o m m e de


Mélétos, à cet a m i dévoué de la cité c o m m e il se qualifie lui-
m ê m e et à m e s récents accusateurs que je vais essayer de
répondre. O r , puisqu'ils sont distincts des précédents,
prenons à son tour le texte de leur plainte. L e voici à peu
près : « Socrate, dit-elle, est coupable de corrompre des
jeunes gens, de ne pas croire aux dieux auxquels croit la cité
et de leur substituer des divinités nouvelles. » Telle est la
plainte. Examinons-la point par point.

(La défense de Socrate)


S O C R A T E : (...) Explique-nous, Mélétos, de quelle façon tu
prétends que je corromps les jeunes gens. O u plutôt, ne
résulte-t-il pas d u texte m ê m e de ta plainte que c'est en leur
enseignant de ne pas croire aux dieux auxquels croit la cité,
mais à d'autres, à des dieux nouveaux? C'est bien ainsi,
selon toi, queje les corromps?
— E n effet, je l'affirme énergiquement.
— E n ce cas, Mélétos, a u n o m de ces dieux m ê m e s dont
il est question, explique-nous plus clairement encore ta
pensée, à ces juges et à m o i . Il y a une chose que je ne
comprends pas bien : admets-tu que j'enseigne l'existence de
certains dieux — en ce cas, croyant m o i - m ê m e à des dieux,
je ne suis en aucune façon u n athée, et à cet égard je suis
hors de cause — mais prétends-tu seulement q u e mes dieux
10
LA TOLÉRANCE

ne sont pas ceux de la cité, que ce sont d'autres dieux, et est-


ce de cela que tu m e fais grief? ou bien, soutiens-tu queje ne
crois à aucun dieu et que j'enseigne à n'y pas croire?
— Oui, voilà ce que je soutiens : c'est que tu ne crois à
aucun dieu.
— Merveilleuse assurance, Mélétos ! Mais enfin, que
veux-tu dire ? que je ne reconnais pas m ê m e la lune et le
soleil pour des dieux, c o m m e tout le m o n d e ?
— N o n , juges, il ne les reconnaît pas pour tels, il affirme
que le soleil est une pierre et que la lune est une terre...
— Enfin, par Zeus, c'est là ta pensée, je ne crois à aucun
dieu?
— À aucun, par Zeus, à aucun, absolument.
— Quelle défiance, Mélétos. T u en viens, ce m e semble,
à ne plus te croire toi-même. M a pensée, Athéniens, est qu'il
se moque de nous i m p u d e m m e n t . Car il est clair pour moi
qu'il se contredit à plaisir dans sa plainte qui, en s o m m e ,
revient à ceci : « Socrate est coupable de ne pas croire aux
dieux, bien que d'ailleurs il croie aux dieux. » (...)
Il ne m e paraît pas qu'il soit juste de prier des juges,
d'arracher par des prières un acquittement qui doit être
obtenu par l'exposé des faits et la persuasion. N o n , le juge ne
siège pas pour faire de la justice une faveur mais pour décider
ce qui est juste. Il a juré non de favoriser capricieusement tel
ou tel, mais déjuger selon les lois. E n conséquence, nous ne
devons pas plus vous accoutumer au parjure que vous ne
devez vous y accoutumer vous-mêmes ; nous offenserions les
dieux, les uns et les autres.
Ainsi, n'exigez pas, Athéniens, que je m e comporte
envers vous d'une manière qui ne m e semble ni honorable ni
juste, ni agréable aux dieux, surtout, par Zeus, lorsque je suis
accusé d'impiété par Mélétos, ici présent. Car, évidemment,
si je vous persuadais à force de prières, si je faisais silence à
votre serment, je vous enseignerais à croire qu'il n'y a pas de
dieux ; m e défendre ainsi, ce serait m'accuser clairement
m o i - m ê m e de ne pas croire en eux. Mais il s'en faut que cela
soit. J'y crois, Athéniens, c o m m e n'y croit aucun de m e s
accusateurs, c'est pourquoi je m ' e n remets à vous et à la
11
L ' H O M M E DE L ' A M B I V A L E N C E

divinité du soin de décider ce qui vaudra le mieux pour moi


c o m m e pour vous. (...)

Maintenant, nous allons sortir d'ici, m o i jugé par vous


digne de mort, eux [mes accusateurs] jugés par la vérité,
coupables d'imposture et d'injustice. E h bien, je m ' e n tiens
à m o n estimation, c o m m e eux à la leur (...)
Q u a n t à l'avenir, je désire vous faire une prédiction, à
vous qui m ' a v e z c o n d a m n é (...) Je vous annonce donc, à
vous qui m ' a v e z fait mourir que vous aurez à subir, dès que
j'aurai cessé de vivre, un châtiment bien plus dur, par Zeus,
que celui que vous m'avez infligé. E n m e condamnant, vous
avez cru vous délivrer de l'enquête exercée sur votre vie ; or,
c'est le contraire qui s'ensuivra, je vous le garantis. O u i , vous
aurez affaire à d'autres enquêteurs, plus nombreux, que je
réprimais, sans que vous vous en soyez doutés. Enquêteurs
d'autant plus importuns qu'ils sont plus jeunes. Et ils vous
irriteront davantage. Car, si vous vousfigurezqu'en tuant les
gens, vous empêcherez qu'il ne se trouve quelqu'un pour
vous reprocher de vivre m a l , vous vous trompez. Cette
manière de se débarrasser des censeurs, entendez-le bien,
n'est ni très efficace ni honorable. U n e seule est honorable et
d'ailleurs très facile : elle consiste, n o n pas à fermer la bouche
aux autres, mais à se rendre vraiment h o m m e de bien. Voilà
ce que j'avais à prédire à ceux de vous qui m ' o n t c o n d a m n é .

(...) Mais voici l'heure de nous en aller, moi pour mourir,


vous pour vivre. D e m o n sort ou d u vôtre, lequel est le
meilleur? Personne ne le sait, si ce n'est la divinité.
Platon, 429-347 av. J . - C , Grèce antique, Apologie de Socrate

14
Jésus devant Pilate

(...) Alors Pilate rentra dans le prétoire. Il appela Jésus et lui


dit : « T u es le roi des Juifs ? » Jésus répondit : « Dis-tu cela
de toi-même o u d'autres te l'ont-ils dit de moi? » Pilate
répondit : « Est-ce queje suis Juif, moi? C e u x de ta nation
et les grands prêtres t'ont remis entre m e s mains. Qu'as-tu
12
LA T O L É R A N C E

fait? » Jésus répondit : « M o n royaume n'est pas de ce


monde. Si m o n royaume était de ce m o n d e , m e s gens
auraient combattu pour que je ne fusse pas livré aux Juifs.
Mais m o n royaume n'est pas ici. » — « D o n c , tu es roi ? » lui
dit Pilate. — « T u le dis, je suis roi », répondit Jésus, « et
je ne suis né, je ne suis venu dans le m o n d e q u e pour rendre
témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute m a
voix. »
Pilate lui dit : « Qu'est-ce que la vérité ? »

Le crucifiement
Ils prirent donc Jésus qui, portant lui-même sa croix, sortit
de la ville pour aller au lieu dit d u Crâne, en hébreu
Golgotha, où ils le crucifièrent et avec lui deux autres : un de
chaque Côté, au milieu, Jésus.
Nouveau Testament, La Passion selon saint Jean, xvm, xix

15

Cortés fit dresser une estrade d u mieux qu'il put avec des
étoffes, des nattes, des sièges et préparer un repas avec les
vivres dont il disposait pour lui-même. Sandoval et Holguin
arrivèrent avec leur prisonnier (Cuauhtemoc, dernier e m p e -
reur aztèque). Cortés lui témoigna grand respect, lui donna
allègrement l'accolade et lui montra grande amitié ainsi q u ' à
ses capitaines. Cuauhtemoc dit à Cortés : « Seigneur Malin-
che, j'ai fait l'impossible pour défendre m a ville et mes sujets.
Je ne peux rien de plus. M e voici prisonnier devant toi.
Prends ce poignard à m a ceinture et tue-moi ! » Et il pleurait
des larmes abondantes. Tous les seigneurs de sa suite
sanglotaient aussi. Par dona Marina et Aguilar, Cortés
répondit tendrement qu'il avait la plus grande considération
pour lui parce qu'il avait vaillamment tenu et défendu sa
ville, ce pourquoi il méritait d'être estimé et non blâmé.
Cortés aurait préféré que, se voyant vaincus, les Mexicains
en vinssent de leur propre gré à accepter la paix. Il y aurait
eu moins de morts, moins de ruines. Mais c'était d u passé,
c'était sans remède. Il les priait donc, lui, le roi et ses
13
L ' H O M M E DE L ' A M B I V A L E N C E

capitaines, de calmer leurs inquiétudes. Il commanderait


dans Mexico et dans le pays c o m m e par le passé. Cuauhte-
m o c et ses capitaines le remercièrent.
(...)
C u a u h t e m o c , grand cacique de Mexico, et d'autres nota-
bles avaient discuté et arrêté u n plan selon lequel nous
devions être tués afin qu'ils s'en retournent à Mexico.
Revenus dans leur ville, ils réuniraient toutes leurs forces
pour attaquer de nouveau les Espagnols qui s'y trouvaient.
D e u x caciques mexicains n o m m é s Tapia et J u a n Velasquez
découvrirent ce plan à Cortès (...) D è s que Cortés eut appris
la chose, il fit enquêter, n o n seulement auprès de ces deux
caciques, mais auprès d'autres qui faisaient partie d u
complot (...) C u a u h t e m o c reconnut que tout ceci était vrai,
mais que l'idée ne venait pas de lui, qu'il ne savait pas si tous
les caciques étaient d'accord ; il ignorait m ê m e , dit-il, si ce
n'était encore q u ' u n projet que l'on avait seulement agité. L e
cacique de T a c u b a reconnut que C u a u h t e m o c et lui avaient
dit que mieux valait mourir une bonne fois qu'agoniser
chaque jour. Sans plus de preuve, Cortès ordonna q u e l'on
pende C u a u h t e m o c et le seigneur d e T a c u b a son cousin. Les
frères franciscains furent les encourager et les r e c o m m a n d e r
à Dieu. A u m o m e n t d'être pendu, C u a u h t e m o c dit : « O h ,
Capitaine Malinche, depuis longtemps je savais q u e tes
paroles sont menteuses et que tu finirais par m e mettre à
mort ! Pourquoi n e m e suis-je pas tué à ton entrée dans m a
ville? Et pourquoi m'exécuter sans jugement? Dieu te
demandera des comptes! » (...)
L a mort de C u a u t h e m o c et celle de son cousin m e
rendirent très triste. Je les savais tous deux grands seigneurs
(...) Ces morts étaient injustes. Et tel était bien notre avis à
nous qui avions vécu cette aventure.
Bernai Diaz del Castillo, 1495-1582,
L'histoire véridique de la conquête de la Nouvelle Espagne
Prophètes désarmés :
variations sur un message

A u départ, pourtant, tout semble clair dans l'esprit des hommes : un


médiateur, Bodhisatta, solitaire et sans armes, se retire de son peuple
pour mieux lui parler en retour. Et ce qu'il dit sont choses simples :
cet homme de toutes races et cultures, de toutes langues et héritages
enseigne un Initiateur transcendant, dispensateur de lumière et de vie,
appelant à l'amour, à la justice vraie, à l'unité par le dialogue entre
des hommes certes périssables, mais en ce monde égaux et semblables,
en dépit de différences d'accident, non de nature. Pour tous, l'essentiel
n'est que de « s'entendre », ici, entre hommes de cœur et de raison. A u
bout du chemin de vie, l'homme n'est justiciable que du bien ou et du
mal par lui-même accomplis. Quant aux différences, le « créateur »
les prend en charge et pitié dans le reniement de tous ceux qui, en son
nom, cherchaient gloire à ses yeux en les réduisant par contrainte.
Le « créateur », assumant ainsi l'humain de toute l'humanité, nul
homme ou groupe ne saurait sans démesure l'accaparer, encore moins
s'y substituer.
Si le concept de « l'Autre » n'est à ce stade que le fait de
l'ignorance, « l'Autre » concret reste à questionner, avec patience et
constance, nullement à mettre à la question : tel est le message de ces
médiateurs désarmés et sans biens.
16

LA T O L É R A N C E

16

Il était une fois u n roi de Kasi n o m m é K a l a b u qui régnait à


Bénarès. E n ce temps-là, naissait le Bodhisatta sous la forme
d ' u n jeune enfant n o m m é K o u n d a k a - K o u m a r a , dans u n e
riche famille d e brahmanes qui possédait quatre vingts
crores de trésors (chaque crore vaut 10 millions de roupies).
D e v e n u grand, le Bodhisatta s'instruisit à Takkasilâ dans
toutes les sciences et il se fixa ensuite dans la maison de ses
parents.
À la mort de ces derniers, devant la multitude des trésors
dont il héritait, K o u n d a k a - K o u m a r a se dit : « M e s parents
qui ont amassé toutes ces richesses ont disparu sans les
emporter avec eux. C'est à m o i qu'elles appartiennent
maintenant et c'est à m o n tour de partir... » Là-dessus, il
distribua ses richesses à quelques personnes connues pour
leurs vertus charitables, puis il se rendit dans les montagnes
d e l'Himalaya o ù il vécut en ascète, se nourrissant de fruits
sauvages [à suivre : 116, 201, 288].
Khantivadi-Jataka

U n e transcendance créatrice

17

D i e u est jour et nuit, hiver et été, guerre et paix, abondance


et famine. Il se transforme c o m m e le feu mêlé d'aromates.
C h a c u n le n o m m e à son gré.
Heraclite d'Ephèse, Grèce antique, env. 540-480 av. J . - C .

18

La première stance traite du Bouddha transcendant, dont la manifest


tion sur terre est le Bouddha-Roi de Java. La deuxième indique que les
membres des communautés non bouddhistes donnent des noms différents
au même Bouddha transcendant.
17
P R O P H È T E S DÉSARMÉS

Amen. Gloire à toi, Seigneur. L e serviteur (le prêtre) chante sans


cesse les louanges d u Seigneur,
Q u i est caché au point d'anéantissement d e la concentra-
tion mentale, Q u i est l'essence de la matière et de l'esprit,
C i v a - B o u d d h a . (...)
Pour ceux qui vénèrent Vichnou, Il est « Celui qui
imprègne tout l'Univers, l ' A m e de tout ce qui existe, Celui
qui ne peut être qualifié ».
Pour les philosophes d u Y o g a , Il est Içvara ; pour les
philosophes d u Sangkhya, Il est Kapila. Il est K u b e r a
matérialisé, qui est le Dieu de la richesse, et Wrhaspati qui
est le Dieu d u savoir ; Il est K â m a à l'égard d u K â m a s û t r a
(doctrine des relations sexuelles).
Il est Y a m a lorsqu'il s'agit d'éliminer les obstacles. L e fruit
de Son action, c'est le bonheur et la prospérité de l'humanité.
Nâgarakrtâgama, panégyrique composé au royaume de
Madjapahit, Java, 1365

19

T u es Dieu et tout être est T o n servant, T o n domaine ; et


T o n honneur n'est point diminué par les servants d'autres
que Toi, car tous ont le désir d'arriver jusqu'à Toi ; mais ils
sont c o m m e des aveugles ; ils dirigent leur route vers la face
d u Roi et, hors de la route, ils égarent leurs pas. (...) M a i s
Tes servants sont c o m m e ceux qui ont les yeux ouverts, et
qui marchent dans la voie droite, ne déviant ni de gauche ni
de droite, avant q u e d'être arrivés dans la cour de la maison
d u Roi.
Ibn Gabirol, Andalousie, La couronne de royauté, env. 1050

20

Il est Dieu !
Il n ' y a de Dieu que lui.
Il est celui qui connaît ce qui est caché et ce qui est apparent.

Il est celui qui fait miséricorde,


le Miséricordieux.
18
LA T O L É R A N C E

Il est Dieu !
Il n ' y a de Dieu que lui ! (...)

Gloire à Dieu !
Il est très éloigné de ce qu'ils lui associent !

Il est Dieu !
L e Créateur,
celui qui donne u n commencement à toute chose,
celui qui façonne.
Les N o m s les plus beaux lui appartiennent.
C e qui est dans les cieux et sur la terre
célèbre ses louanges.
Il est le Tout-Puissant, le Sage.
Le Coran, Sourate LIX, Le rassemblement

21

Entre toutes les créatures privées de raison il chérissait plus


affectueusement le soleil et la lune, et il disait : « A u matin,
quand le soleil se lève, tout h o m m e devrait louer Dieu qui l'a
créé pour notre utilité ; puisque par lui nos yeux sont
illuminés de jour ; et le soir, quand vient la nuit, tout h o m m e
devrait le louer pour notre frère le feu, puisque par lui nos
yeux sont illuminés de nuit : car nous s o m m e s tous aveugles,
et le Seigneur par ces deux frères nôtres illumine nos yeux ;
et ainsi spécialement pour eux et pour les autres créatures
dont nous usons quotidiennement nous devons louer le
Créateur. »
Saint François d'Assise, 1182-1226

22
O Viracocha, Seigneur de l'Univers,
Q u e tu sois mâle,
Q u e tu sois f e m m e ,
Seigneur de la reproduction,
O ù que tu puisses être,
Seigneur de divination,
19
PROPHÈTES DÉSARMÉS

O ù es-tu ?
T u peux être en haut,
T u peux être en bas,
O u peut-être alentour,
Avec ton splendide trône et ton sceptre !
D E H , écoute-moi !
D u haut du ciel,
O ù peut-être tu es,
D e la mer là-bas
O ù peut-être tu es,
Créateur d u m o n d e ,
Faiseur de tous les h o m m e s ,
Seigneur de tous les seigneurs,
M e s yeux m'abandonnent
Par désir de te voir,
Par seul désir de te connaître.
Puissé-je t'admirer,
Puissé-je te connaître, (...)
Puissé-je te comprendre !
Tourne donc ton regard sur m o i ,
Puisque tu m e connais.
Grand hymne à Viracocha (dieu de la pluie chez les Incas), Pérou

23

T o n Seigneur t'accordera bientôt ses dons


et tu seras satisfait.

N e t'a-t-il pas trouvé orphelin


et il t'a procuré un refuge.

Il t'a trouvé errant


et il t'a guidé.

II.t'a trouvé pauvre


et il t'a enrichi.

Quant à l'orphelin
ne le brime pas.
20
LA TOLÉRANCE

Quant au mendiant
ne le repousse pas.

Quant aux bienfaits de ton Seigneur


raconte-les.
Le Coran, Sourate xcm, La clarté du jour

24

Il garde [Yahvé] ajamáis la vérité,


il rend justice aux opprimés,
il donne aux affamés du pain.
Yahvé délie les enchaînés,
Yahvé rend les aveugles voyants,
Yahvé redresse les courbés,
Yahvé protège l'étranger.
Il soutient l'orphelin et la veuve.
Bible hébraïque, Psaume 146

25

L a sainteté suprême est faite d'amour, de bonté et de


tolérance. L a haine, la vengeance et la dureté découlent de
l'oubli de la parole de Dieu et d u ternissement de l'éclat de
sa sainteté.
Rabbi Yizhak, Ha-Cohen Kook, Mussar Ha-Kodesh, 1938

26

Si Dieu voulait juger sans pitié la race humaine, il la


condamnerait. Car nul h o m m e ne peut par lui-même fournir
toute sa course sans tomber, soit volontairement, soit
involontairement ; aussi, pour sauver la race, tout en permet-
tant des chutes particulières, il mêle la miséricorde à la
justice, m ê m e vis-à-vis des indignes ; et ce n'est pas après
avoir jugé qu'il a pitié, c'est après avoir eu pitié qu'il a jugé ;
car la pitié vient chez lui avant la justice.
Philon d'Alexandrie, 13? av. J.-C.-54? apr. J . - C ,
Que Dieu est immuable
21
PROPHÈTES DÉSARMÉS

27

O m o n â m e , ô toi lumière qui descends


N e t'éloigne pas, ô ne t'éloigne pas !
O m o n a m o u r , ô toi, vision éclatante, ne t'éloigne pas,
O ne t'éloigne pas !
(...)
Vraie Parsie et vraie brahmane,
Chrétienne et cependant musulmane,
Toi en qui je crois c o m m e en la Justice
N e t'éloigne pas, ô ne t'éloigne pas.
D a n s toutes les mosquées, les pagodes, les églises,
Je trouve le m ê m e sanctuaire ;
T o n visage y est m a seule joie ;
N e t'éloigne pas, ô ne t'éloigne pas !
Jalâl al-DTn, al-Rûml, 1207-1273, Perse

28

K h m v o u m , ô K h m v o u m , tu es le Maître
O Créateur, le Maître de tout,
Maître de la forêt, Maître des choses,
Maître des hommes, ô K h m v o u m ,
Et nous, les petits, nous sommes les sujets.
Maître des hommes, ô K h m v o u m ,
Commande, ô Maître de la vie et de la mort
Et nous obéirons.
Prière pygmée

Les hommes : semblables, égaux

29

L e Maître dit : « Les h o m m e s sont tous semblables par leur


nature ; ils diffèrent par les habitudes qu'ils contractent. »
Confucius, 551 ?-479? av. J . - C , Chine, Entretiens
22
LA T O L É R A N C E

30

Pourquoi Dieu n'a-t-il formé qu'un seul h o m m e , lors de la


création? C'est dans l'intérêt de la concorde, pour qu'aucun
h o m m e ne puisse dire à un autre : je suis de plus noble race
que toi.
Talmud Sanhédrin, iv

31

C e u x qui sont de bonne famille, nous les respectons et les


honorons; ceux qui sont de chétive maison, nous ne les
respectons ni ne les honorons ; en quoi nous nous comportons
c o m m e des Barbares les uns vis-à-vis des autres. L e fait est
q u e , par nature, nous s o m m e s tous et en tout de naissance
identique, Grecs et Barbares ; et il est permis d e constater
q u e les choses qui sont nécessaires de nécessité naturelle sont
c o m m u n e s à tous les h o m m e s (...) A u c u n d e nous n ' a été
distingué à l'origine c o m m e Barbare o u c o m m e Grec : tous
nous respirons l'air par la bouche et par les narines.
Antiphon v e s. av. J . - C . Grèce antique

32

P o u r nous, toutes les cités sont une, tous les peuples sont
frères ; le bien et le m a l n e nous viennent pas d'autrui.
Purananuru IIe s. av. J.-C.-iie s. apr. J.-C.
Époque sangam Traduit du tamil

33

Les h o m m e s ne formaient q u ' u n e seule c o m m u n a u t é , puis ils


se sont opposés les uns a u x autres.
Si une parole de ton Seigneur
n'était pas intervenue auparavant
une décision concernant leurs différends
aurait été prise.
Le Coran Sourate x Jonas
23

PROPHÈTES DÉSARMÉS

34

Tous les h o m m e s sont égaux entre eux c o m m e les dents du


peigne d u tisserand ; pas de différence entre le blanc et le
noir, entre l'Arabe et le non-Arabe si ce n'est leur degré de
crainte de Dieu.
Hadîth (Dits du Prophète M u h a m m a d )

Quatre commandements

Le devoir d'amour

35

Antigone : Hadès n'en veut pas moins voir appliquer ces rites.
Créon : Le bon ne se met pas sur le rang d u méchant.
Antigone : Qui sait, si sous la terre la vraie piété est là.
Créon : L'ennemi, m ê m e mort, n'est jamais un ami.
Antigone : Je suis de ceux qui aiment, non de ceux qui
haïssent.
Sophocle, Grèce antique, Antigone, 441 av. J.-C.

36

— Maître, quel est le plus grand c o m m a n d e m e n t de la loi ?


Jésus lui répondit : « T u aimeras le Seigneur ton Dieu de tout
ton cœur, de toute ton â m e et de toute ta pensée. »
C'est le premier et le plus grand c o m m a n d e m e n t .
Et voici le second qui lui est semblable : « T u aimeras ton
prochain c o m m e toi-même. »
D e ces deux c o m m a n d e m e n t s dépendent toute la loi et les
prophètes.
Nouveau Testament, saint Matthieu, xxii

37

Le Maître dit : « L e sage aime tous les h o m m e s et n'a de


24
LA T O L É R A N C E

partialité pour personne. L ' h o m m e vulgaire est partial et


n'aime pas tous les h o m m e s . »
Confucius, 551 ?-479? av. J . - C , Chine, Entretiens

38

M o n cœur peut désormais prendre toute forme,


U n e prairie pour gazelles, un cloître pour moines,
U n sanctuaire pour des idoles, une K a c a b a pour les pèlerins,
Les Tables de la Torah et le livre d u Coran.
Je pratique une religion d ' A m o u r : vers quelque point
Q u e se dirige la caravane de l'Amour
L à sont m a religion et m a foi.
MuhyT al-Dïn b. cArabi, 1165-1240, Andalousie,
Turjuman al-Aswâq

39

J'aime toutes les choses. Je ne peux m'empêcher d'aimer


chaque créature, chaque personne. D e tout m o n être j'aspire
à la gloire et à la perfection de toute l'humanité. M o n a m o u r
pour le peuple d'Israël est plus intense et plus profond mais
en moi l'amour de toute la création est plus intense et il
m'envahit tout entier. Je n'ai, en vérité, nul besoin de m e
contraindre à aimer, car m o n amour émane directement des
profondeurs sacrées de l'Etre divin.
Rabbi Yizhak, Ha-Cohen Kook, Arpheley Tohar, 1914

40

Q u a n d je parlerais les langues des h o m m e s et des anges, si


je n'ai pas la charité, je ne suis plus qu'airain qui sonne ou
cymbale qui retentit.
Q u a n d j'aurais le don de prophétie et queje connaîtrais
tous les mystères et toute la science, quand j'aurais la
plénitude de la foi, une foi à transporter les montagnes, si je
n'ai pas la charité, je ne suis plus rien. Q u a n d je distribuerais
tous mes biens en aumônes, quand je livrerais m o n corps aux
25
P R O P H È T E S DÉSARMÉS

flammes, si je n'ai pas la charité, cela ne m e sert de rien.


L a charité est longanime ; la charité est serviable ; elle
n'est pas envieuse ; la charité ne fanfaronne pas, ne se
rengorge pas ; elle ne fait rien d'inconvenant, ne cherche pas
son intérêt, ne s'irrite pas, ne tient pas compte d u m a l ; elle
ne se réjouit pas de l'injustice, mais elle m e t sa joie dans la
vérité. Elle excuse tout, espère tout, supporte tout.
Nouveau Testament, Première épître de Paul aux Corinthiens, x m

41

L a charité est la loi suprême, et qui peut séparer l'amour de


la charité ? '
Shakespeare, 1564-1616, Angleterre, Peines d'amour perdu,
acte iv, scène III

42

Pensez avec a m o u r et sympathie à tous les êtres, quels qu'ils


soient, qui nourrissent u n désir profond d u pays de la
Béatitude et qui prononcent le n o m de B o u d d h a ; pensez à
eux c o m m e s'ils étaient vos parents ou vos enfants, quoiqu'ils
puissent vivre en n'importe quel lieu, et m ê m e en dehors des
systèmes cosmiques.
Aidez ceux qui ont besoin d'aide matérielle en ce m o n d e .
Efforcez-vous de raviver la foi chez tous ceux en qui vous
apercevez u n germe de foi.
Et considérez tous ces actes c o m m e des services rendus
à Amita Bouddha.
(...) Q u a n d nous invoquons B o u d d h a , q u e nous l'appe-
lons par son n o m avec la ferme croyance que nous renaîtrons
dans son paradis, nous pouvons être sûrs d'être recueillis u n
jour par lui. Pour cela, il n'est pas d'autre mystère que de
prononcer son n o m avec foi.
Sa lumière pénètre les m o n d e s dans toutes les direc-
tions.
Sa grâce n'abandonne pas celui qui l'invoque.
Honen, xn e siècle, Japon
26
LA T O L É R A N C E

43

L a punition d ' u n mal est u n mal identique, mais celui qui


pardonne et qui s'amende trouvera sa récompense auprès de
Dieu.
— Dieu n'aime pas les injustes.
Le Coran, Sourate XLII, La délibération

L'amour et la justice

44

L ' h o m m e a été créé, être unique pourvu d'une â m e sur la


terre, ce qui nous enseigne que celui qui est cause de la mort
d'un seul être ici bas peut être tenu pour avoir tué tous les
h o m m e s , tandis que celui qui sauve un seul être humain sur
la terre peut être considéré c o m m e s'il avait sauvé toute
l'humanité.
Maïmonide, 1135-1204, Hilkhot Sanhédrin

45

K o u n g Tzeun d e m a n d a s'il existait un précepte qui renfer-


mât tous les autres et qu'on dût observer toute la vie. L e
Maître répondit : « N'est-ce pas le précepte d'aimer tous les
h o m m e s c o m m e soi-même? N e faites pas à autrui ce que
vous ne voulez pas qu'on vous fasse à vous-même. »
Confucius, 551 ?-479? av. J . - C , Chine, Entretiens

46

U n autre païen vint devant S c h a m m a i et lui dit : « Je m e


ferai juif; mais il faut que tu m'enseignes toute la Loi,
pendant queje m e tiendrai sur u n seul pied. » S c h a m m a i le
renvoya en le frappant de la règle qu'il tenait en sa main.
L'idolâtre s'adressa ensuite à Hillel, avec le m ê m e
souhait ; et le maître lui dit : « C e que tu n'aimes pas qu'on
27
PROPHÈTES DÉSARMÉS

te fasse, ne le fais pas à autrui. C'est toute la Loi, le reste


n'est que commentaire : va et apprends-le. »
Maïmonide, 1135-1204, Schabbath

47

Ainsi tout ce que vous désirez que les autres fassent pour
vous, faites-le vous-mêmes pour eux : voilà la Loi et les
Prophètes.
Nouveau Testament, saint Matthieu, vu

48

N'est croyant que celui qui veut pour son frère ce qu'il veut
pour lui-même.
Hadîth (Dits du Prophète M u h a m m a d )

49

C'est lui qui fait droit à l'orphelin et à la veuve et il aime


l'étranger auquel il donne pain et vêtement.
Aimez l'étranger car au pays d'Egypte vous fûtes des
étrangers.
Bible hébraïque, Deutéronome, 10

50

O Dieu, accepte ce sacrifice, car l ' h o m m e blanc est venu à


m o n foyer. Q u a n d l ' h o m m e blanc tombe malade, fais que ni
lui ni sa f e m m e ne deviennent très malades. L ' h o m m e blanc
est venu chez nous de sa patrie, de l'autre côté de l'eau ; c'est
un h o m m e b o n et il traite bien les gens qui travaillent pour
lui. Si l ' h o m m e blanc et sa f e m m e tombent malades, qu'ils
ne deviennent pas très malades, car moi et l ' h o m m e blanc
nous nous s o m m e s unis pour te faire un sacrifice. (...) O ù
qu'il aille, ne le laisse pas tomber malade, car il est bon
et aussi extraordinairement riche, et je suis aussi bon et
28
LA T O L É R A N C E

riche; et m o i et l ' h o m m e blanc nous vivons dans d'aussi bons


rapports que si nous étionsfilsd'une m ê m e mère. (...) Fais
queje ne tombe pas très malade, car je lui ai appris à te prier
c o m m e s'il était un vrai M k i k u y u .
Prière d'un chef du Kenya

51
D e plus, m e s frères, alors m ê m e que des voleurs de grand
chemin vous découperaient en pièces, m e m b r e par m e m b r e ,
avec une scie à double poignée, si l'esprit de l'un quelconque
d'entre vous en tirait offense, celui-ci ne serait pas un de m e s
disciples. M a i s c'est ainsi que vous devez apprendre à vous
conduire. (...)
Notre c œ u r restera ferme, aucune méchante parole ne
quittera nos lèvres et nous resterons attentifs au bonheur
d'autrui, dépourvus de rancune et le cœur aimant. (...) C'est
ainsi mes frères que vous devez vous conduire.
Majjhima Nikaya, xie s. av. J.-C. traduit du pâli

52
Voilà ceux qui recevront une double rétribution,
parce qu'ils ont été constants,
parce qu'ils ont répondu au m a l par le bien,
parce qu'ils ont donné en aumônes
une partie des biens que nous leur avions accordés.
Le Coran, Sourate x x v m , Le récit

53
Le Prophète dit à O q b a b. A m i r : « O c O q b a , je t'indique
c

le meilleur comportement des gens de ce m o n d e et de


l'éternité : rejoins qui s'est séparé de toi, donne à qui t'a
privé, pardonne à qui t'a fait d u tort. »
Hadîth (Dits du Prophète M u h a m m a d )
29
PROPHÈTES DÉSARMÉS

54
Un homme se présenta devant 'Omar b. c Abdel c Azîz et se
plaignant à lui d e ce q u ' u n h o m m e l'avait lésé, le calomnia.
• O m a r lui dit alors : « Il vaut mieux pour toi avoir rencontré
Dieu et l'injustice telle qu'elle s'est présentée plutôt q u e de
l'avoir subie en e n tirant vengeance. »
Ghazâlî, 1058-1111, Perse,
Revivification des sciences de la religion

55

A u jour d u Jugement, l'Eternel, béni soit S o n Saint N o m ,


appellera toutes les nations à rendre compte de chaque
violation du c o m m a n d e m e n t : « T u aimeras ton prochain
c o m m e toi-même » dont elles se seront rendues coupables
dans leurs rapports entre elles.
Judah le Pieux, xn" siècle

L'impératif de justice

56

A b r a h a m se tenait encore devant Yahvé. Il s'approcha et


dit : « Vas-tu vraiment supprimer le juste avec le pécheur ?
Peut-être y a-t-il cinquante justes dans la ville. Vas-tu
vraiment les supprimer et ne pardonneras-tu pas à la cité
pour les cinquante justes qui sont dans son sein ? Loin de toi
de faire cette chose-là ! de faire mourir le juste avec le
pécheur, en sorte que le juste soit traité c o m m e le pécheur.
Loin de toi ! Est-ce que le juge de toute la terre ne rendra pas
justice ?
Bible hébraïque, Genèse, 18

57

Mais toi, Perses, écoute la Justice. N e laisse pas en toi


grandir la démesure. L a démesure est chose mauvaise pour
30

LA T O L É R A N C E

les pauvres gens : les grands eux-mêmes ont peine à la porter,


et son poids les écrase, le jour où ils se heurtent au désastre.
Bien préférable est la route qui, passant de l'autre côté, m è n e
aux œuvres de Justice (...)
Pour toi, Perses, mets-toi ces avis en l'esprit ; écoute donc
la Justice, oublie la violence ajamáis. Telle est la loi que le
Cronide a prescrite aux h o m m e s : que les poissons, les
fauves, les oiseaux ailés se dévorent, puisqu'il n'est point
parmi eux de Justice : mais aux h o m m e s , Zeus a fait don de
la Justice, qui est de beaucoup le premier des biens. A celui
qui sciemment prononce selon la Justice, Zeus au vaste
regard donne la prospérité; mais celui qui, de propos
délibéré, appuie d'un serment des déclarations mensongères
et, par là, blessant la Justice, c o m m e t le crime inexpiable,
verra la postérité qu'il laisse décroître dans l'avenir, tandis
que la postérité de l ' h o m m e fidèle à son serment dans
l'avenir grandira.
Hésiode, v m e s. av. J . - C , Grèce antique, Les travaux et les jours

58

Ainsi parle Yahvé Sabaot. Il disait : « Rendez une justice


vraie et pratiquez bonté et compassion chacun envers son
frère.
N'opprimez point la veuve et l'orphelin, l'étranger et le
pauvre, et ne méditez pas en votre cœur du m a l l'un envers
l'autre. »
Bible hébraïque, Zacharie, 7

59

Faire tort à u n étranger, c'est c o m m e si l'on faisait tort à


Dieu m ê m e .
Talmud, Chagigah, 5a

60
C
A1I ben Abï Tâlib, qu'il soit béni de Dieu, écrivit à Mälik,
31
PROPHÈTES DÉSARMÉS

connu sous le n o m d'al-Achtar a l - N a k h m l : « J'attire ton


attention sur la nécessité d'être clément envers les sujets, d e
les aimer et d'être bienveillant à leur égard. N e sois pas
envers eux c o m m e le lion féroce, le carnassier qui s'empare
de leur nourriture. Les sujets sont de deux sortes, ils sont soit
tes frères en religion, soit tes semblables, susceptibles de
commettre des fautes et exposés aux m a u x . Ils peuvent agir
avec préméditation o u par erreur. Pardonne-leur et sois
clément, toi qui aspires au pardon et à la clémence de Dieu. »
Calife cAIî b. Abi Tâlib, vn c siècle

Prêcher, non violenter

61

Q u e l q u ' u n dit : « Q u e faut-il penser de celui qui rend le bien


pour le mal ? » L e Maître répondit : « Q u e rendrez-vous pour
le bien ? Il suffit de répondre à l'injustice par la justice et d e
rendre le bien pour le bien. »
Confucius, 551 ?-479? av. J . - C , Chine, Entretiens

62

Dieu établira peut-être de l'amitié entre vous et ceux d'entre


eux
que vous considérez c o m m e des ennemis.
Dieu est tout-puissant,
il est celui qui pardonne,
il est miséricordieux. (...)
Dieu aime ceux qui sont équitables.
Le Coran, Sourate L X , L'épreuve

63

Pas de contrainte en religion !


Le Coran, Sourate il, La vache
32

LA T O L É R A N C E

64
Faut-il contraindre les Infidèles à la foi ?

P a r m i les Infidèles, certains (...), c o m m e les Gentils et les


Juifs, n'ont jamais adhéré à la foi. Ceux-là ne doivent en
aucune manière être contraints à croire : (...) croire en effet
relève d e la volonté. Les Fidèles peuvent cependant les
contraindre, s'ils en ont le pouvoir, à ne pas empêcher la foi
soit par des blasphèmes, soit par d e mauvais conseils, soit
par des persécutions ouvertes. C'est pour cela que les Fidèles
d u Christ déclarent souvent la guerre a u x Infidèles : n o n
pour les contraindre à croire (car, m ê m e s'ils en étaient vain-
queurs et les faisaient captifs, ils laisseraient à leur liberté la
volonté d e croire), mais seulement pour les contraindre à ne
pas empêcher la foi.
Saint Thomas d'Aquin, x m e siècle, S o m m e théologique

65

Des fleurs de toute espèce croissent et voisinent sur la terre.


Il n ' y a pas entre elles de disputes à propos des couleurs, de
l'arôme et d u goût. Elles laissent la terre et le soleil, la pluie
et le vent, le chaud et le froid opérer sur elles, à leur guise.
Et chacune d'elles croît selon son essence et les qualités qui
lui sont propres. Ainsi en est-il des enfants de Dieu. Il y a
entre eux diversité de dons et de connaissances, mais tout
vient d ' u n seul Esprit. Les uns près des autres ils se
réjouissent des grands miracles de Dieu et remercient le
Très-Haut dans sa sagesse. Pourquoi se querelleraient-ils
autour de Celui dans lequel ils vivent, de la nature duquel ils
sont e u x - m ê m e s ?
Jacob Boehme, 1575-1624, Allemagne, D e regeneratione

66

J'ai réfléchi sur les dénominations confessionnelles, faisant


effort pour les comprendre, et je les considère c o m m e u n
principe unique à ramifications nombreuses. N e d e m a n d e
33
PROPHÈTES DÉSARMÉS

donc pas à u n h o m m e d'adopter telle dénomination confes-


sionnelle, car cela l'écarterait d u Principe fondamental, et
c'est le Principe lui-même qui doit venir le chercher, Lui en
qui s'élucident toutes les grandeurs et toutes les significa-
tions, et l ' h o m m e alors comprendra.
al-Hosayn b. Mansour, al-HalIâj, 858-922, Perse, Diwân

L a mort et les fins dernières


67

Pour parler avec intelligence, il faut se prévaloir de ce qui est


universel, c o m m e la Cité s'appuie sur la Loi, et avec plus
d'énergie encore. C a r toutes les lois humaines s'alimentent
de l'unique loi du divin, à son gré souveraine, force suffisante
et partout victorieuse.
Heraclite d'Éphèse, Grèce antique, env. 540-480 av. J.-C.

68

L e Dieu suprême (Kesava) est content de celui qui est attentif


aux enseignements de toutes les religions, qui adore tous les
dieux, qui est dépourvu de malice et qui sait résister à la
colère.
Vishnudharmottara-Purana, 350-500 av. J . - C , Texte sanscrit

69

Si un païen s'occupe de la Loi sacrée, il en a autant de mérite


q u ' u n grand Prêtre descendant d'Aaron.
Talmud, Aboda-Zara

70

Si ton Seigneur l'avait voulu


les habitants de la terre auraient cru.
Est-ce à toi de contraindre les h o m m e s à être croyants,
34

LA TOLÉRANCE

alors qu'il n'appartient à personne de croire sans la permis-


sion de Dieu ?
Le Coran, Sourate x, Jonas

71
La faute d'Abraham

O n raconte que pendant une semaine entière aucun hôte ne


s'était présenté dans la demeure de Khalîl [l'ami de Dieu,
surnom donné par les Musulmans à A b r a h a m ] . Attendant
avec impatience la venue d ' u n indigent, le bienheureux
Prophète négligeait de prendre son repas. Il sortit, un jour,
pour regarder au loin : ses yeux aperçurent au fond du wâdï,
un voyageur isolé c o m m e le saule au milieu de la plaine : la
neige des ans avait blanchi sa tête. A b r a h a m courut joyeux
à sa rencontre et lui offrit l'hospitalité.
— Étranger, lui dit-il, toi qui m ' e s plus cher que la
lumière du jour, consens à partager avec moi le pain et le
sel.
Le voyageur accepta et entra dans la demeure d ' u n hôte
dont il connaissait la générosité. Les serviteurs du Prophète
s'empressèrent autour de l'humble vieillard ; on dressa la
table et tous y prirent place ; mais au m o m e n t de réciter le
bismilläh, seul il resta silencieux, A b r a h a m lui dit :
— Étranger, toi qui as vécu de longs jours, je ne trouve
pas en toi les sentiments de piété qui décorent la vieillesse.
Avant de prendre ton repas quotidien, ne devrais-tu pas
invoquer Celui qui le dispense ?
Le vieillard répondit :
— Je ne saurais adopter un rite que les prêtres adora-
teurs du feu ne m ' o n t point enseigné.
L'auguste Prophète comprit que son hôte professait
l'odieuse croyance des M a g e s ; il le chassa c o m m e u n
mécréant dont la présence souillait la pureté de sa demeure.
Mais Serosch, l'ange d u Très-Haut, lui apparut et d'une
voix pleine de menaces :
— Khalîl, lui dit-il, pendant u n siècle j'ai donné à cet
h o m m e la vie et la subsistance, et une heure te suffit à toi
35
P R O P H È T E S DÉSARMÉS

pour le maudire ! Parce qu'il se prosterne devant le feu, as-tu


le droit de lui refuser le secours de ton bras ?
SacadT, 1184?-1290?, Perse, Le verger

72

Le salut est atteint non par l'adhésion à des dogmes


métaphysiques, mais seulement par l'amour de Dieu, amour
qui s'accomplit dans l'action. Cette vérité est cardinale dans
le Judaïsme.
Hasdai Crescas, 1340-1410, Barcelone, O r Adonai

73

Les polythéistes diront :


« Si Dieu l'avait voulu,
nous n'aurions rien adoré en dehors de lui,
— nous et nos pères —
nous n'aurions rien interdit
en dehors de ses prescriptions. »
Ceu x qui ont vécu avant eux agissaient ainsi.
Qu'incombe-t-il aux Prophètes,
sinon de transmettre le message prophétique en toute clarté ?
Le Coran, Sourate xvi, Les abeilles

74

Voyant les foules, il gravit la montagne. Il s'assit et ses


disciples vinrent auprès de lui. Et prenant la parole il les
enseignait en disant :
Heureux les pauvres en esprit,
Car le R o y a u m e des Cieux est à eux.
Heureux les doux,
Car ils recevront la terre en héritage.
Heureux les affligés,
Car ils seront consolés.
Heureux les affamés et assoiffés de justice,
Car ils seront rassasiés.
36
LA TOLÉRANCE

Heureux les miséricordieux,


Car ils obtiendront miséricorde.
Heureux les cœurs purs,
Car ils verront Dieu.
Heureux les artisans de paix,
Car ils seront appelésfilsde Dieu.
Heureux les persécutés pour la justice
Car le R o y a u m e des Cieux est à eux.
Nouveau Testament, saint Matthieu, v, Les Béatitudes

75

L e Maître dit : « M a doctrine se réduit à une seule chose qui


embrasse tout. » Tseng tseu répondit : « Certainement. »
Lorsque le Maître se fut retiré, ses disciples demandèrent ce
qu'il avait voulu dire. Tseng tseu répondit : « Toute la
sagesse de notre Maître consiste à se perfectionner soi-même
et à aimer les autres c o m m e soi-même. »
Confucius, 551 ?-479 ? av. J . - C , Chine, Entretiens

76

C e u x qui nouvelle one ne reçurent


D u baptême, les égorger
C o m m e bétail, est-ce pécher?
O u i , c'est grand péché, je l'assure :
D e Dieu ils sont la créature,
Parlant septante et deux parlers.
Wolfram von Eschenbach, x m e siècle, Willehalm, vieil allemand

77

Q u a n d le Diable auroit establi son empire par tout où le vray


Dieu n'est pas adoré, cela ne nous empescheroit pas de
supposer qu'il peut y avoir des h o m m e s dans ce grand
Continent que nous marquent les Cartes vers le S u d , qui
vivent règlement et vertueusement dans la loy de Nature.
Imaginons nous en un qui dans cette rectitude morale, se
37

PROPHÈTES D É S A R M É S

porte par la seule lumière de sa raison, c o m m e l'ont fait


autrefois ces Philosophes de Grèce, & m e s m e de Scythie, à
reconnoistre u n seul Autheur de toutes choses. Je veus croire
que les genous en terre, & les bras croises vers le Ciel, il use
de cette prière dans une extrême repentance de ce qu'il peut
avoir fait de m a l :
« M o n Dieu qui connoissez le plus secret de m o n â m e ,
j'implore votre miséricorde, & vous supplie de m e conduire
à lafinpour laquelle vous m ' a v e z créé. Si j'avais assez de
lumière pour m ' y porter de m o y - m e s m e , il n'y a rien queje
ne vollusse faire pour y arriver, & pour m e rendre agréable
à vostre divine Majesté, queje reveré avec la plus profonde
humilité que je puis. Excusez m o n ignorance, & m e faites
connoistre vos sainctes volontez, afin queje les suyve de toute
la force que vous m'avez donnée, désirant plustot mourir, que
de faire jamais aucune action qui vous puisse desplaire ».
S'il arrive qu'immédiatement après cet acte de contrition,
capable d'effacer toute sorte d'Idolâtrie et de crimes, ce
pauvre Gentil vienne à mourir soit par quelque cause interne
de maladie subite, ou par u n accident inopiné d u dehors,
c o m m e de la cheute d ' u n arbre, ou d'une maison voisine, le
jugerons-nous d a m n é ? Et pourrons-nous bien penser que
Dieu n'ait pas eu agréable une saincte repentance?
F. de la Mothe, Le Vayer, 1588-1672, France,
De la vertu des païens

78

V o u s ne rencontrerez pas u n Trismegiste, u n N u m a Pompi-


lius, u n Platon, un Socrate pour le salut de qui vous ne
trouviez quelque Père ou quelque auteur ancien et vénéré, u n
défenseur (...) et d'une certaine manière ils agissent selon
cette règle que tant de Pères ont suivie Faciente quod in se est.
Q u ' à l ' h o m m e qui fait tout ce qu'il peut, selon sa nature,
Dieu ne refuse jamais la grâce et alors, disent-ils, pourquoi
ces h o m m e s qui agissent ainsi ne seraient-ils pas sauvés ? Je
sais que Dieu peut être aussi miséricordieux que ces Pères
sensibles nous le représentent ; je serai aussi charitable qu'ils
38

LA T O L É R A N C E

le sont. Et par conséquent, m ' e n tenant humblement à cette


manifestation de son Fils qu'il m ' a accordée, je laisse à Dieu
ses voies impénétrables d'action sur les autres, sans
m'enquérir plus avant...
John Donne, 1573-1631, Angleterre, Sermons

79

N o u s lisons dans Isaïe : « Ouvrez les portes, pour que la


nation juste etfidèleentre » ; le prophète ne dit pas : pour
que les prêtres, les lévites o u les Israélites entrent, mais i
ordonne d'ouvrir les portes à la nation juste etfidèle,fût-elle
m ê m e païenne. — Ailleurs, nous lisons : « C'est ici la porte
de l'Éternel, les justes y entreront » (Psaume C V I I I , 20) ; on
ne dit pas : les prêtres, les lévites ou les Israélites y entreront
mais ¡es justes, sans distinction de culte. L e Psalmiste dit
encore : « Justes, entonnez u n cantique en l'honneur d e
l'Éternel » (Psaume X X I I I , 1) ; il n'invite pas exclusivement
les Israelites à chanter la gloire de l'Éternel, mais il s'adresse
aux justes de toutes les religions. — « Éternel, sois favorable
aux bons », lisons-nous enfin dans le P s a u m e ( C X X V , 4) ;
le poète inspiré n'implore pas seulement la bonté divine pour
les prêtres et les israélites, mais pour les h o m m e s vertueux de
toutes les nations. — D ' o ù il suit q u ' u n païen vertueux a
autant de mérite q u ' u n G r a n d Prêtre, descendant d'Aaron.
Talmud, Sifra Shemoth, xni

80
Devant les Dieux du Monde Inférieur

« O vous, divinités, qui siégez dans la vaste salle de Vérité-


Justice,
Je vous salue ;
Votre cœur ignore le mensonge et l'iniquité,
V o u s vivez de vérité et la justice est votre nourriture (...)
Laissez-moi pénétrer jusque chez vous;
C a r je n'ai commis ni fraude, ni péché d'aucune sorte.
Je n'ai pas porté de faux témoignage (...)
39
PROPHÈTES DÉSARMÉS

Car je m e suis nourri de vérité et de justice.


M a façon d'agir était celle qui est prescrite par les bonnes
mœurs
Et qui est approuvée par les Dieux.
E n vérité, j'ai contenté les Dieux en faisant ce qu'ils aiment.
Je donnais du pain à l'affamé et de l'eau à celui qui avait soif,
Des vêtements à l ' h o m m e nu, u n bateau au naufragé ;
A u x Dieux je faisais des offrandes, des libations aux Esprits
sanctifiés.
Le Livre des Morts, Egypte ancienne

81
(...) Beaucoup de peuples d'autrefois auront la grâce (...)
Je peux dire m ê m e que la plupart des Chrétiens d'Orient de
notre temps recevront la miséricorde, si Dieu le veut.
Ghazâiï, 1058-1111, Perse, Faysal al-Tafriqa

82
C e u x qui croient,
ceux qui pratiquent le judaïsme,
ceux qui sont Chrétiens ou Çabéens,
ceux qui croient en Dieu et au dernier Jour,
ceux qui font le bien :
voilà ceux qui trouveront leur récompense
auprès de leur Seigneur.
Ils n'éprouveront plus alors aucune crainte,
ils ne seront pas affligés.
Le Coran, Sourate il, La vache

83
Heureux êtes-vous si l'on vous insulte, si l'on vous persécute
et si l'on vous calomnie de toutes manières à cause de moi.
Soyez dans la joie et l'allégresse, car votre récompense sera
grande dans les cieux ; c'est bien ainsi qu'on a persécuté les
prophètes, vos devanciers.
Nouveau Testament, saint Matthieu, v
Le message rêvé

A u texte clair initialfirentplace — différons pour un temps les ravages


de la bête en l'homme — gloses et interpellations. Le message s'étant
figé en formes et conduites d'être particulières, les religions sentent
l'intégrité de leur conscience menacée par leur contiguïté même. D e là,
sans doute, devant les horreurs et l'échec de la violence, cet effort
pathétique de l'homme médiéval qui, par un rêve désespérément
rationnel, a cru pouvoir exorciser un mal réel mais aux signes mal
reconnus. L'homme, y reconnaît-on, est assurément le même; mais
qu'est-ce que cette différence que notre dialogue ne réduit pas? Avant
— et après — tant de «jugements de Dieu », que peut faire encore
notre raison humaine? Nous sommes d'accord sur une vision de
l'homme et dû monde ; soit, mais s'il en est bien ainsi, qui donc doit
rejoindre les rangs de « l'Autre » ? Des forces sont là, mais plus encore,
des âmes à récupérer. Face à un réel décevant et pour mieux s'assurer
la victoire, on fait en toute bonne foi surenchère de douceur, de
concessions, d'utopies.
Nous parlons même message, qui requiert — contre la pratique du
réel — l'édification par le seul fait de l'intelligence d'une cité terrestre
où l'homme ne soit qu'échange entre gens et peuples de bon vouloir et
largeur d'esprit. Là tout n'est qu'amour, entente et liberté.
Entre mystiques, à la table du rêve, tout est harmonie de raison,
de la naissance au-delà de la tombe.
42

LA T O L É R A N C E

84
Conversation avec le chancelier von Müller

Si l'on jette u n c o u p d'œil sur les actions des h o m m e s depuis


des milliers d'années, o n reconnaît quelques formules géné-
rales qui ont d e tout temps exercé u n e action merveilleuse
sur des nations entières c o m m e sur des individus. E t ces
formules qui réapparaissent sans cesse, toujours les m ê m e s ,
sous mille variantes diverses, sont le d o n mystérieux q u ' u n e
puissance supérieure nous a octroyé en nous d o n n a n t la vie.
C h a c u n , sans doute, traduit à son usage ces formules d a n s la
langue qui lui est propre, il les adapte à la situation
individuelle o ù il se trouve enserré et il y ajoute ainsi souvent
tant d'alliage i m p u r q u ' o n n e reconnaît pour ainsi dire plus
leur signification primitive. M a i s celle-ci finit tout d e m ê m e
par surgir à n o u v e a u , tantôt dans u n peuple, tantôt d a n s u n
autre, et le savant attentif se c o m p o s e à l'aide d e ces formules
c o m m e une sorte à'Alphabet de l'Esprit du Monde.
Goethe, Allemagne, 1818

Cité charnelle, cité de Dieu, utopies


Dans le sillage des mystiques, oublions un moment les ravages de
l'ignorance; laissons à part un nouveau jugement de Dieu, toujours
possible entre peuples, et illustrons le message du rêve éveillé.
D'abord le cadre. Tout est insulaire : l'île de Hayy ben YaqdKàn,
le territoire d'Utopie, la forêt des trois Sages, l'abbaye de Thélème et
jusqu'à « l'île en révolte » de l'homme de couleur. L'être le plus
« sauvage » découvre, par l'exercice de sa seule raison, à la fois l'Etre
suprême, la diversité humaine, la démocratie et la nécessaire institu-
tionnalisation et pratique de la tolérance. Bref, il « invente » le
message jadis révélé et, dans cette île suspendue, les valeurs originelles
s'en trouvent civilisées à l'extrême limite.
Une éducation aristocratique s'incarnant en des personnes choisies
les conduit à des mariages d'élection, en libre communion avec l'Autre,
qui se fait en retour médiateur de sa propre divinité. Par une ascension
naturelle, de la cité charnelle à la cité de Dieu, de tous temps et en tout
43

LE MESSAGE R Ê V É

lieu, tous les hommes vertueux s'en trouvent nécessairement sauvés


tandis que l'humanité enfin réconciliée forge des socs de ses épées : rêve
insulaire où les hommes de toutes croyances et couleurs se partageraient
les richesses de la terre et où nul bonheur n'est possible si tous les dieux
particuliers n'y présidaient.
De la naissance au-delà de la mort, c'est bien l'épure du message
originel recomposé par le songe.

85

L e roi, ayant assimilé les plus hautes vérités d e toutes les


religions, a dit a u x adeptes des diverses religions : « Allez,
maintenant, et accomplissez vos différents rites et devoirs
selon vos religions respectives. »
Uddyotanasïïri Kuvalayamâlâ, 779 apr. J . - C , Traduit d u pracrit

86

Les religions sont c o m m e des routes différentes convergeant


vers u n m ê m e point. Q u ' i m p o r t e q u e nous empruntions des
itinéraires différents, p o u r v u q u e nous arrivions a u m ê m e
but.
M a h a t m a Gandhi, 1869-1948, Inde, Lettres à l'Ashram

87

Açal avait entendu parler de l'île dans laquelle o n a rapporté


q u e H a y y b e n Y a q d h â n était né. Il e n connaissait la fertilité,
les ressources, le climat tempéré et (pensait) q u ' e n s'y
retirant il arriverait à la réalisation de ses v œ u x . Il résolut d e
s'y transporter et d ' y passer, loin des h o m m e s le reste de sa
vie (...) O r , Açal, autrefois, à cause d e son goût pour
l'interprétation, avait appris la plupart des langues, et il y
était expert. Il adressa d o n c la parole à H a y y b e n Y a q d h â n ,
et lui d e m a n d a des renseignements sur lui dans toutes les
langues qu'il connaissait, s'efforçant d e se faire c o m p r e n d r e ,
mais e n vain : H a y y ben Y a q d h â n , dans tout cela, admirait
ce qu'il entendait, sans e n saisir la portée et sans y voir autre
44

LA T O L É R A N C E

chose que la bienveillance et l'affabilité. E n sorte que chacun


d'eux considérait l'autre avec étonnement (...) Açal
c o m m e n ç a donc à lui enseigner le langage. D'abord, il lui
montrait les objets m ê m e s eh prononçant leurs n o m s , il les
lui répétait et l'invitait à les prononcer lui-même. Celui-ci les
prononçait à son tour en les montrant. Il arriva de la sorte
à lui enseigner tous les n o m s et petit à petit, il parvint, en un
temps très court, à le mettre en état de parler. Açal se mit
alors à lui demander des renseignements sur lui, sur l'endroit
d'où il était venu dans cette île. H a y y ben Y a q d h â n lui apprit
qu'il ignorait quelle pouvait être son origine, qu'il ne se
connaissait ni père ni mère, sauf la gazelle qui l'avait élevé.
Il le renseigna sur tout ce qui le concernait et sur les
connaissances qu'il avait progressivement acquises, jusqu'au
m o m e n t où il était parvenu au degré de l'union (avec Dieu)...
H a y y ben Y a q d h â n , de son côté, se mit à l'interroger sur lui,
sur sa condition ; et Açal lui parla de son île, des h o m m e s qui
s'y trouvaient, de leur .manière de vivre avant d'avoir reçu
leur religion, et depuis qu'ils l'avaient reçue. Il lui exposa
toutes les traditions de la Loi religieuse relatives a u m o n d e
divin, au paradis, au feu (de l'enfer), à la résurrection, au
rassemblement d u genre humain rappelé à la vie, aux
comptes (qu'il faudra rendre), à la balance et a u pont. H a y y
ben Yaqdhân comprit tout cela et n'y vit rien qui fût en
opposition avec ce qu'il avait contemplé dans sa station
sublime. Il reconnut que l'auteur et propagateur de ces
descriptions était vrai dans ses descriptions, sincère dans ses
paroles, envoyé de son Seigneur ; il eut foi en lui, il crut à sa
véracité, il rendit témoignage de sa mission.
Ibn Tufayl, xn e siècle, Maghreb ; Hayy ben Yaqdhân

88

Les Utopiens mettent au nombre de leurs institutions les


plus anciennes celle qui prescrit de ne faire tort à personne
pour sa religion. Utopus, à l'époque de la fondation de
l'empire, avait appris qu'avant son arrivée, les indigènes
étaient en guerre continuelle a u sujet de la religion. Il avait
45
LE MESSAGE R Ê V É

aussi remarqué q u e cette situation du pays lui en avait


puissamment facilité la conquête, parce que les sectes
dissidentes, au lieu de se réunir en masse, combattaient
isolées et à part. Dès qu'il fut victorieux et maître, il se hâta
de décréter la liberté de religion. Cependant il ne proscrivit
pas le prosélytisme qui propage la foi au m o y e n d u
raisonnement, avec douceur et modestie, qui ne cherche pas
à détruire par la force brutale la religion contraire s'il ne
réussit pas à persuader, qui, enfin, n'emploie ni la violence
ni l'injure. Mais l'intolérance et le fanatisme furent punis'de
l'exil ou de l'esclavage.
Thomas More, Angleterre, Utopia, 1516

89

C'est folie que chacun pour son cas


Fasse valoir son opinion personnelle.
Si Islam veut dire : soumis à Dieu,
Nous vivons et mourons tous en Islam.
Goethe, Allemagne, Le livre des maximes, 1819

90

Laissez-moi vous dire alors que mes compagnons et moi ne


faisons pas de différence entre u n h o m m e et un autre.
Nous ne d e m a n d o n s pas à quelle race ou à quelle religion
un h o m m e appartient. Il nous suffit qu'il s'agisse d'un
homme.
Theodor Herzl, 1860-1904, Hongrie, Old-New Land

91

Utopus, en décrétant la liberté religieuse, n'avait pas


seulement en vue le maintien de la paix que brouillaient
naguère des combats continuels et des haines implacables, il
pensait encore q u e l'intérêt de la religion elle-même
commandait une pareille mesure. Jamais il n'osa rien statuer
témérairement en matière de foi, incertain si Dieu n'inspirait
46
LA T O L É R A N C E

pas lui-même aux h o m m e s des croyances diverses afin


d'éprouver pour ainsi dire cette grande multitude de cultes
variés.
Quant à l'emploi de la violence et des menaces pour
contraindre u n autre à croire c o m m e soi, cela lui parut
tyrannique et absurde. Il prévoyait que si toutes les religions
étaient fausses, à l'exception d'une seule, le temps viendrait
où, à l'aide de la douceur et de la raison, la vérité se
dégagerait elle-même, lumineuse et triomphante de la nuit
de l'erreur.
A u contraire, lorsque la controverse se fait en tumulte et
les armes à la main, c o m m e les plus méchants h o m m e s sont
les plus entêtés, il arrive que la meilleure et la plus sainte
religionfinitpar être enterrée sous une foule de superstitions
vaines, ainsi qu'une belle maison sous les ronces et les
broussailles. Voilà pourquoi Utopus laissa à chacun liberté
entière d e conscience et de foi. (...) Quoique les Utopiens ne
professent pas la m ê m e religion, cependant, tous les cultes de
ce pays dans leur multiple variété, convergent pas des routes
diverses à u n m ê m e but qui est l'adoration de la nature
divine. C'est pourquoi l'on ne voit et l'on n'entend rien dans
les temples qui ne convienne à toutes les croyances en
commun.
Thomas More, Angleterre, Utopia, 1516

92

C o m m e je pense qu'on ne saurait sans témérité assurer que


Dieu ait fait la grâce à Socrate de le recevoir dans son
Paradis, je crois que la témérité est encore plus grande de le
condamner aux peines éternelles de l'Enfer, vu la bonne
opinion qu'ont eue de lui tant de saints Pères et tant de
profonds théologiens. Car puisque nous avons montré que
selon leur doctrine les païens vertueux ont p u se sauver par
une grâce extraordinaire d u ciel, à qui pouvons-nous
présumer qu'elle ait été plutôt accordée qu'à celui que toute
l'antiquité a n o m m é le sage Socrate? (...)
Nous serions donc, à m o n avis, bien injustes et bien
47

LE MESSAGE R Ê V É

téméraires tout ensemble, si nous n'honorions pas sa


mémoire [celle de Confucius] avec celle des plus grands
philosophes que nous avons déjà n o m m é s et si nous
désespérions de son salut, ne l'ayant pas fait de celui de
Socrate, ni de Pythagore qui, vraisemblablement, n'étaient
pas plus vertueux que lui. C a r puisqu'il n ' a pas moins
reconnu qu'eux l'unité d'une première cause, toute puissante
et toute bonne, il ne se peut faire qu'il ne lui ait aussi
consacré toutes ses affections. Et pour ce qui touche la
charité envers le prochain, qui fait le second m e m b r e d e la
Loi, les mémoires d u Père Ricius nous assurent qu'il n ' y a
rien de plus exprès dans toute la morale chinoise qui vient de
ce Philosophe, que le précepte de ne faire jamais à autrui ce
que nous ne voudrions pas qui nous fût fait. C'est ce qui
m'oblige à penser, sans rien déterminer pourtant, que Dieu
peut avoir usé de miséricorde en son endroit, lui confiant
cette grâce spéciale qu'il ne refuse jamais à ceux qui
contribuent par son m o y e n tout ce qui est de leur possible
pour l'obtenir.
F. de La Mothe, Le Vayer, 1588-1672, France,
De la vertu des païens

93

Il y avait un officier, h o m m e de bien, appelé Montrésor, qui


était très malade. Son curé, croyant qu'il allait mourir, lui
conseilla de faire la paix avec Dieu, afin d'être reçu en
Paradis. —Je n'ai pas beaucoup d'inquiétude à ce sujet, dit
Montrésor, car j'ai eu, la nuit dernière, une vision qui m ' a
tout à fait tranquillisé. — Quelle vision avez-vous eue, dit le
bon prêtre. —J'étais, dit-il, à la porte du Paradis, avec une
foule de gens qui voulaient entrer. Et saint Pierre demandait
à chacun de quelle religion il était. L ' u n répondait : je suis
catholique romain. — H é bien, disait saint Pierre, entrez, et
placez-vous là, parmi les Catholiques. U n autre dit qu'il était
de l'église anglicane. — H é bien, dit saint Pierre, entrez et
placez-vous là, parmi les Anglicans. U n autre dit qu'il était
quaker. — Entrez, dit saint Pierre, et prenez place parmi les
48

LA T O L É R A N C E

Quakers. Enfin, il m e d e m a n d a de quelle religion j'étais. —


Jacques Montrésor n'en a point. — C'est d o m m a g e , dit le
Saint, je ne sais où vous placer, mais entrez toujours, vous
vous mettrez où vous pourrez.
Benjamin Franklin, 1706-1790, États-Unis d'Amérique

94

Il adviendra dans l'avenir


que le M o n t d u Temple de Yahvé
sera établi au s o m m e t des montagnes
et s'élèvera plus haut que les collines.
Toutes les nations y afflueront,
des peuples nombreux s'y rendront et diront :
« Venez, montons à la montagne de Yahvé,
allons a u Temple d u Dieu de Jacob,
pour qu'il nous enseigne ses voies
et que nous suivions ses sentiers.
Car de Sion viendra la Loi
et de Jérusalem l'oracle de Yahvé. »
Il exercera son autorité sur les nations
et sera l'arbitre de peuples nombreux,
qui de leurs épées forgeront des socs
et de leurs lances des faucilles.
Les nations ne lèveront plus l'épée l'une contre l'autre
et l'on ne s'exercera plus à la guerre.
Bible hébraïque, Isaie, 19

95
L'île en révolte

Je rêve
d'un m o n d e où l ' h o m m e
ne méprisera plus l ' h o m m e ,
où l'amour régnera sur la terre,
où la paix ornera ses chemins.
Je rêve d ' u n m o n d e où tous
se laisseront conduire par les sentiers chéris d e la liberté,
49

LE MESSAGE R Ê V É

où l'envie ne rongera plus les cœurs,


où la cupidité n'assombrira plus nos jours.
Je rêve d'un m o n d e où Blancs et Noirs
quelle que soit votre race
se partageront les bienfaits de la terre,
où tout h o m m e sera libre,
où la misère honteuse penchera la tête,
et la joie, c o m m e une perle précieuse,
comblera les v œ u x de l'humanité.
Voilà le m o n d e dont je rêve.
Langston Hughes, 1902-1967, États-Unis d'Amérique

Disputations rationnelles :
le salut de la « conscience errante »
Soit donc cette île idéale où, par une démarche naturelle, l'homme
originel redécouvre, par sa seule raison, le message initial, l'intériorise
et s'y soumet librement, dans la pleine reconnaissance de la diversité
humaine. Qu'en est-il de l'homme non « élu », qui n'a pas eu la grâce
de chercher ou de rencontrer telle voie ?
Justement. Mais entrons plus avant dans le rêve des monothéismes.
A l'avant-scène apparaissent « trois hommes, venus de trois directions ».
Deux d'entre eux, forts chacun de sa vérité mais de guerre las, s'en
remettent à un « philosophe » pour trancher, au terme de leur débat,
auquel d'entre eux reviendra la charge de l'âme du troisième, un pdien.
Sous l'égide de « D a m e Intelligence » s'engage alors une étrange
disputation rationnelle d'où très vite le Gentil, récusant la règle du jeu,
sort sauvé, mettant du coup à nu le « vrai » conflit, celui des deux vérités
des maîtres où la sienne s'affirme juge plutôt que partie puisque, pour
le convaincre, lui, et le gagner, il leur appartient d'abord de réduire leurs
propres divergences et d'entendre elles-mêmes raison, sans détour, limites
ni menace. Un temps viendra où la retraite ne sera pas si aisée.

96

Je dormais quand m'apparurent trois h o m m e s , venant de


trois directions. Je leur demandai aussitôt dans m o n rêve
50

LA T O L É R A N C E

quelle était leur profession et quel était le motif de leur visite.


« Nous appartenons, répondirent-ils, à des religions différen-
tes. A vrai dire, nous honorons tous les trois un Dieu unique,
mais nous n'avons ni la m ê m e foi, ni la m ê m e façon pratique
de servir ce Dieu. L ' u n de nous est un Païen. Les deux autres
possèdent des Livres sacrés, l'un est Juif, l'autre Chrétien.
N o u s avons longtemps confronté nos religions et disputé à
leur propos et voici que maintenant nous te prenons enfin
c o m m e arbitre.

Le philosophe : C'est m o n travail m ê m e qui est à la source de


tout le débat ; le but suprême de la philosophie n'est-il pas,
en effet, de chercher rationnellement la vérité, de dépasser les
opinions humaines et de leur substituer en toutes choses les
règles de la raison ?
Pierre Abélard, 1079-1142, France,
Dialogue entre un Philosophe, un Juif et un Chrétien

97

Si grand tort que païens vous firent


A vous sied leur laisser le fruit
D e ce que Dieu m ê m e eut merci
Vers ceux-là qui son corps occirent.
Si Dieu vous rend vainqueurs là-bas
A y e z pitié en vos combats.
Wolfram von Eschenbach, x m e siècle, Willehalm, vieil allemand

98

N o u s appelons ces peuples des sauvages parce que leurs


m œ u r s diffèrent des nôtres que nous croyons la perfection de
la politesse. Si nous examinons avec impartialité les m œ u r s
des différentes nations, peut-être trouverions-nous q u e ,
quelque grossier qu'il soit, il n'y a pas de peuple qui n'ait
quelques principes de politesse, et qu'il n'en est aucun de si
poli qu'il ne conserve quelques restes de barbarie (...)
Il est vrai que la politesse qu'affectent les sauvages dans
51
LE M E S S A G E RÊVÉ

la conversation est portée à l'excès ; car elle ne leur permet


pas de mentir ni m ê m e de contredire ce qu'on énonce en leur
présence. Par ce m o y e n , ils évitent les disputes, mais aussi on
peut difficilement connaître leur façon de penser et l'impres-
sion qu'on fait sur eux. Les missionnaires qui ont essayé de
les convertir au christianisme se plaignent tous de cette
extrême déférence c o m m e d ' u n des plus grands obstacles au
succès de leur mission. Les sauvages se laissent patiemment
expliquer les vérités d u christianisme et y donnent leurs
signes ordinaires d'approbation. Vous croiriez qu'ils sont
convaincus ; point du tout, c'est pure civilité.
U n missionnaire suédois ayant assemblé les chefs indiens
des bords de la Susquehannah, leur fit un sermon dans lequel
il développa les principaux faits historiques sur lesquels est
fondée notre religion, tels que la chute de nos premiers
parents quand ils mangèrent une p o m m e , la venue du Christ
pour réparer le mal, ses miracles, ses souffrances, etc. Q u a n d
il eut achevé, un orateur indien se leva pour le remercier :
« C e que vous venez de nous faire entendre, dit-il, est très
bon. Certes, c'est fort mal de manger des p o m m e s ; il vaut
beaucoup mieux en faire d u cidre. Nous vous s o m m e s
infiniment obligés d'avoir la bonté de venir si loin de votre
pays pour nous apprendre ce que vos mères vous ont appris.
E n revanche, je vous vous conter quelque chose de ce que
nous tenons des nôtres :
« A u commencement du m o n d e , nos pères ne se nourris-
saient que de la chair des animaux et quand leur chasse
n'était pas heureuse, ils mouraient de faim. D e u x de nos
jeunes chasseurs, ayant tué u n daim, allumèrent d u feu dans
les bois pour en faire griller une partie. A u m o m e n t où ils
étaient prêts à satisfaire leur appétit, ils virent une jeune et
belle f e m m e descendre des nues et s'asseoir sur ce sommet
que vous voyez là-bas, au milieu des montagnes bleues. Alors
les deux chasseurs se dirent l'un à l'autre : C'est u n esprit qui
peut-être a senti l'odeur de notre gibier grillé et désire en
manger ; il faut lui en offrir. Ils lui présentèrent en effet la
langue du daim. L a jeune f e m m e trouva ce mets de son goût,
et leur dit : « Votre honnêteté sera récompensée. Revenez ici
52

LA TOLÉRANCE

après treize lunes, et vous y trouverez quelque chose qui vous


sera très utile pour vous nourrir, vous et vos enfants jusqu'à
la dernière génération. » Ils firent ce qu'elle leur disait, et à
leur grand étonnement, ils trouvèrent des plantes qu'ils ne
connaissaient point, mais qui, depuis cette époque, ont été
constamment cultivés parmi nous et nous sont d ' u n grand
avantage. L à où la main droite de la jeune f e m m e avait
touché la terre, ils trouvèrent le maïs, l'endroit où avait
touché sa main gauche portait des haricots, et celui où elle
s'était assise, d u tabac. » L e bon missionnaire qu'ennuyait ce
conte ridicule, dit à celui qui le faisait :
« Je vous ai annoncé des vérités sacrées, mais vous ne
m'entretenez que de fables, de fictions, de mensonges. »
L'Indien, choqué, lui répondit :
« M o n frère, il semble que vos parents ont eu envers vous
le tort de négliger votre éducation. Ils ne vous ont pas appris
les premières règles de la politesse. V o u s avez vu q u e nous,
qui connaissons et pratiquons ces règles, nous avons cru
toutes vos histoires. Pourquoi refusez-vous de croire les
nôtres ? »
Benjamin Franklin, 1706-1790, États-Unis d'Amérique

99

Dès que nous perdons la base morale, nous cessons d'être


religieux. L a religion ne saurait renverser et supplanter la
moralité. Par exemple un h o m m e ne peut pas vivre dans le
mensonge, la cruauté, la luxure et prétendre en m ê m e temps
avoir Dieu en soi.
Mahatma Gandhi, 1869-1948, Inde, Lettres à l'Ashram

100

C o m m e n t peut-on donc s'imaginer q u ' u n pauvre Américain


qui n'avoit jamais ouy parler de la vraye religion il y a deux
cents ans, ne peust deslors en nulle façon esviter les peines
éternelles, encore qu'il vescust moralement bien et qu'il
ressemblast aus bons payens dont nous avons parlé qui, se
53

LE MESSAGE R Ê V É

laissant guider par la lumière naturelle de nostre raison,


adoraient u n seul Dieu créateur de toutes choses et vivoient
sans Idolatrie. C a r si la nature ne m a n q u e jamais aus choses
nécessaires selon les principes de la Physique, croyrons-nous
dans la Theologie que l'Autheur de la nature puisse desnier
absolument à u n Gentil le m o y e n de se sauver, qui fait pour
cela tout ce qui est en luy, et qui l'aymant de tout son cœur
sans le connoistre, ne fait rien à personne que ce qu'il trouve
bon qu'on luy face ?
F. de La Mothe, Le Vayer, 1588-1672, France,
De la vertu des païens

101

Le Tartan : A v e c tous ces rites qui diffèrent (...) selon les


lieux et les temps, c o m m e n t réaliser l'union, cela je ne le
saisis pas. Et, si o n n'y parvient pas, la persécution pourtant
ne cessera. C a r la diversité engendre la division, l'inimitié, la
haine et la guerre.
Paul : Il faut montrer que le salut de l'âme ne vient pas des
œuvres, mais d e la foi. Car A b r a h a m , père de tous les
croyants, c'est-à-dire, indistinctement des Chrétiens, des
Arabes et des Juifs, a cru en Dieu et sa foi l'a justifié. C'est
l'âme d u Juste qui héritera la vie éternelle. Cela admis, on
ne sera pas troublé par les variétésrituelles,car elles furent
instituées et reçues c o m m e des signes sensibles de la vérité de
la foi. O r , les signes peuvent changer, non l'objet qu'ils
représentent.
Le Tartare : Il est juste que les c o m m a n d e m e n t s de Dieu
soient observés. Mais les Juifs disent qu'ils les ont reçus par
Moïse, les Arabes par M a h o m e t , les Chrétiens par Jésus et
sans doute d'autres nations vénèrent aussi leurs prophètes et
affirment qu'elles ont reçu de la main de ceux-ci les préceptes
divins. C o m m e n t donc arriver à u n accord?
Paul : Les c o m m a n d e m e n t s divins sont très brefs et parfaite-
ment connus de tous et c o m m u n s à toutes les nations; disons
m ê m e que la Lumière qui nous les révèle est innée à l'âme
rationnelle. C a r Dieu parle en nous, nous enjoignant de
54

LA TOLÉRANCE

l'aimer, Lui, de qui nous avons reçu l'être et de ne point faire


à autrui ce que nous ne voudrions pas qu'on nous fît.
L ' a m o u r est l'achèvement de la loi divine et toute loi se
ramène à celle-là.
Nicolas de Cusa, Allemagne, La paix dans la foi, 1454

102

Nos rabbins nous ont enseigné : « A u Gentil c o m m e au Juif,


à l'homme c o m m e à la f e m m e , à l'esclave c o m m e à la
servante, l'Esprit de Dieu accordera selon ses agissements. »
Midrash, Tanah Debey, env. ixe s.

Disputations confessionnelles :
la prière d ' A b r a h a m
Le rêve insulaire se poursuit néanmoins et les trois Sages, ayant
« perdu » le Gentil d'Amérique ou d'Asie mais toujours devisant, se
sont maintenant engagés dans une forêt symbolique pour chercher
¡'eminente raison de leurs propres variations autour de l'unité afin de
mettre en effet d'abord un terme à leurs propres dissensions
doxologiques.
Or, l'interpellé cette fois-ci n'est plus le théologien-philosophe de
la séquence précédente, mais Dieu lui-même, supplié d'expliquer cette
diversité dont, étant l'auteur, il est seul à pouvoir rendre raison. A
partir de U n , invoque-t-on, l'humanité reconnaissante s'est multipliée ;
mais elle l'a fait dans une diversité douloureuse, sous « la domination
des rois » et à l'appel des prophètes qui n'ont pourtant fait que
transmettre le message transcendant. Pourquoi donc nos divergences ?
Sinon des médiateurs, sont-elles, à cette intensité, le fait de la nature
des hommes ou du pouvoir des rois qu'elles aient conduit à un tel
aveuglement et à tant de violence ? Seraient-elles aussi d'enracinement
dans l'habitude et de force de tradition?
Ici, une profusion de métaphores et d'analogies obscurcit quelque
peu ce débat onirique. La raison cherche des raisons mais les réponses
visent l'imaginaire : l'arbre n'a qu'un seul tronc, mais des branches et
des feuilles multiples ; « la couleur de l'eau est celle de son récipient » :
55
LE MESSAGE R Ê V É

toutes les religions se valent puisqu'elles participent d'une croyance


centrale, totalisatrice. A telle enseigne, aucune en conséquence, en
principe ni en droit n'est fondée à récuser l'autre ni à se contester
puisque toutes réfirent à une même vérité première qui les intègre et tout
à la fois les déborde.
Le rêve alors s'amplifie à l'enracinement des croyances, s'y diffuse
puis se dilue dans l'oubli du problème. Ne reste, comme un pari de la
douceur contre le mystère, que le parti résigné de l'humain mais d'une
raison obstinée à comprendre. Dieu est caché et inaccessible ; quelques-
uns sont appelés à une quête continuelle, la plupart ne veulent et
n'entendent que vivre sans trop chercher à le connaître. Le mystique doit
se retirer du monde avec sa vérité et nul des trois Sages ne saurait
reconnaître l'anneau authentique. Aussi bien, que la quête et le dialogue
des Sages se poursuivent et que chacun suive sa voie, celle de l'humaine
nature et de sa conscience car, à ce niveau d'interrogation, « nul ne
saurait formuler une loi qui permettrait de distinguer le vrai du faux ».
Quelques points de convergence cependant : l'unité de l'âme
transcende la diversité des corps ; si la religion unique est au-delà d'un
langage humain nécessairement imparfait, le désaccord est sur la
forme, non sur la nature ; il tient aux rites, non à la reconnaissance du
Dieu unique. Continuons donc à chercher l'unification et, considérant
« nos propres erreurs », « si nous sommes seuls à avoir raison,
conformons-nous en dernière instance à l'opinion de la multitude et
agissons comme elle ». Dans un tel contexte et selon un tel
raisonnement, la multitude renvoie au statu q u o .
Au sortir de la forêt et au bout de « l'aventure », plus qu'à un
concordat utopique, c'est sur la nécessité de poursuivre pacifiquement le
dialogue œcuménique, à Jérusalem, que se séparent les trois Sages.
Des points de convergence donc mais plus encore le vœufinalque,
dans l'intervalle, trêve ajamáis à la violence et prière, celle-là même
d'Abraham, apôtre de l'œcuménisme, tout de pardon et de tolérance.

103

U n h o m m e brûlé d u zèle divin, se mit à implorer (...) le


Créateur universel de bien vouloir modérer les persécutions
qui (...) sévissent aujourd'hui sous les prétextes des diversités
56

LA TOLÉRANCE

religieuses. Il advint qu'après plusieurs jours, peut-être à la


suite d'une longue méditation, une vision se manifesta à cet
h o m m e zélé d'où il tira la conviction que, grâce à l'accord
d'un petit nombre de sages et de savants choisis parmi les
dirigeants des diverses religions qui se partagent la surface
d u globe, o n pourrait arriver facilement à u n concordat
universel et à une perpétuelle paix religieuse en toute
convenance et en toute vérité.
Cet h o m m e fut ravi jusqu'à u n certain niveau d'intellec-
tion qui lui permit d'assister parmi les morts à l'examen de
cette question par une élite humaine sous la présidence d u
Tout-Puissant...
Nicolas de Cusa, Allemagne, La paix dans la foi, 1454

104
Les h o m m e s formaient une seule c o m m u n a u t é .
Dieu a envoyé les prophètes
pour leur apporter la bonne nouvelle
et pour les avertir.
Il fit ainsi descendre le Livre avec la Vérité
pour juger entre les h o m m e s
et trancher leurs différends,
mais seuls, et par jalousie entre eux,
ceux qui avaient reçu le Livre
furent en désaccord à son sujet
alors que des preuves irréfutables
leur étaient parvenues.
Le Coran, Sourate n, La vache

105
L'attachement de chacun à sa propre secte rend les h o m m e s
présomptueux et si arrogants que quiconque leur paraît
s'éloigner de leur foi leur paraît pour autant étranger à la
miséricorde divine, et q u e vouant tous les autres à la
damnation, ils se promettent seuls à la béatitude.
Pierre Abélard, 1079-1142, France,
Dialogue entre un Philosophe, un Juif et un Chrétien
57

LE MESSAGE R Ê V É

106

(...) Plein de compassion pour les humains et désireux de


leur apporter le salut, il [Hayy ben Yaqdhiän] conçut le
dessein d'aller à eux, de leur exposer la vérité d'une manière
claire et évidente. (...) Açal, de son côté, souhaitait que par
son entremise, Dieu dirigeât quelques humains de sa
connaissance, disposés à se laisser guider et plus proches d u
salut que les autres. Il l'encouragea donc dans son dessein
(...)
(...) Dieu leur envoya u n b o n vent qui porta le navire en
très peu de temps vers l'île où ils désiraient aller. Ils y
débarquèrent tous les deux et entrèrent dans la ville.
H a y y ben Y a q d h â n entreprit de les instruire (l'élite de la
ville) et de leur révéler les secrets de la sagesse. Mais à peine
s'était-il élevé au-dessus d u sens ésotérique, à peine avait-il
c o m m e n c é à exprimer des vérités contraires aux préjugés
dont ils étaient imbus, qu'ils se rembrunirent : leurs â m e s
répugnaient aux doctrines qu'il apportait et ils s'irritaient en
leurs cœurs contre lui, bien qu'ils lui fissent bon visage par
courtoisie vis-à-vis d ' u n étranger et par égard pour leur a m i
Açal. H a y y ben Y a q d h â n ne cessa d'en bien user avec eux
nuit et jour et de leur découvrir la vérité dans l'intimité et en
public. Il n'aboutissait q u ' à les rebuter et à les effaroucher
davantage. Pourtant ils étaient amis d u bien et désireux d u
vrai ; mais par suite de leur infirmité naturelle, ils ne
poursuivaient par le vrai par la voie requise, ne le perce-
vaient pas d u côté qu'il fallait et au lieu de l'examiner d u
biais voulu, ils cherchaient à le connaître à la façon de tous
les h o m m e s . Il désespéra de les corriger et renonça à tout
espoir de trouver accès dans leurs cœurs.
(...) Lorsqu'il vit q u e les voiles d u châtiment les entou-
raient, que les ténèbres de la séparation les enveloppaient,
que tous, à peu d'exceptions près, ne saisissaient de leur
religion que ce qui regarde ce m o n d e (...) « que le c o m m e r c e
et les transactions les empêchaient de se souvenir d u Dieu
Très-Haut » (Coran, X X I V , 37), il comprit avec une entière
certitude que les entretenir de la vérité pure était chose
58

LA T O L É R A N C E

vaine; qu'arriver à leur imposer dans leur conduite u n


niveau plus relevé était chose irréalisable ; que pour le plus
grand nombre, tout le profit qu'ils pouvaient tirer de la Loi
religieuse concernait leur existence présente et consistait à
jouir d'une vie facile sans être lésés par autrui dans la
possession des choses qu'ils considéraient c o m m e leur appar-
tenant en propre (...)
(...) Il se rendit donc auprès de Salamân [Roi de l'île] et
de ses compagnons, leur présenta ses excuses pour les
discours qu'il leur avait tenus et les pria de les lui pardonner.
(...) Ils leur dirent adieu tous les deux, les quittèrent et
attendirent patiemment l'occasion de retourner dans leur île.
Ibn Tufayl, xn" siècle, Maghreb, Hayy ben Yaqdhân

107

Viens donc à leur secours, Toi qui seul le peux. Car c'est Toi
seul qu'ils vénèrent à travers tous les objets apparents de leur
culte et c'est à cause de Toi, par conséquent, que naît la
guerre religieuse. (...)
(...) C'est donc Toi qu'à travers la diversité des rites ils
semblent tous chercher diversement et à travers la diversité
des n o m s divins, c'est Toi qu'ils n o m m e n t . (...) Et s'il
advient qu'il soit impossible de faire disparaître cette
différence des rites et que cette différence m ê m e paraisse
souhaitable pour augmenter la dévotion, chaque religion
s'attachant avec plus de vigilance à ses cérémonies c o m m e si
elles devaient plaire davantage à ta Majesté, — que d u
moins c o m m e T u es unique, il y ait une seule religion, u n
seul culte de Latrie. (...)
Nicolas de Cusa, Allemagne, La paix dans la foi, 1454

108
1" journée, 3e nouvelle

Poussé par la nécessité, Saladin, tout occupé à trouver u n


m o y e n d'obtenir ce service [un prêt] d u Juif, résolut de lui
faire une violence qui eût quelque apparence de raison.
59
LE M E S S A G E R Ê V É

L'ayant fait appeler, et l'ayant reçu familièrement, il le fit


asseoir près de lui, puis.il lui dit : « Brave h o m m e , j'ai
entendu dire par plusieurs que tu es fort sage et fort instruit
dans les choses de Dieu. Pour ce, je voudrais volontiers
savoir de toi laquelle des trois religions tu tiens pour la vraie,
la juive, la sarrasine ou la chrétienne. » Le juif qui était en
effet un h o m m e très sage (...) dit :
« M o n Seigneur, la question que vous m e faites est belle,
et pour vous dire ce que j'en pense, il m e faut vous conter une
petite nouvelle que vous comprendrez. Si je ne fais erreur, je
m e rappelle avoir entendu dire souvent qu'il fut autrefois u n
h o m m e grand et riche, lequel, parmi les autres joyaux qu'il
possédait dans son trésor, avait un anneau très beau et très
précieux. Voulant, à cause de sa valeur et de sa beauté, lui
faire honneur et le transmettre perpétuellement à ses
descendants, il ordonna que celui de sesfilssur qui cet
anneau serait trouvé c o m m e le lui ayant remis lui-même, fût
reconnu pour son héritier et fût honoré et respecté par tous
les autres c o m m e le chef de la famille. Celui à qui l'anneau
fut laissé, transmit cet ordre à ses descendants et fit c o m m e
avait fait son prédécesseur. E n peu de temps, cet anneau
passa de main en main à de nombreux maîtres et parvint
ainsi à u n h o m m e qui avait troisfilsbeaux et vertueux et très
obéissants à leur père ; pour quoi, il les aimait également tous
les trois. Les jeunes gens connaissaient la tradition de
l'anneau, et c o m m e chacun d'eux désirait être le plus honoré
parmi ses frères, ils priaient, chacun pour soi et du mieux
qu'ils savaient, le père qui était déjà vieux, pour avoir
l'anneau quand il mourrait. L e brave h o m m e qui les aimait
tous les trois également, ne savait lui-même choisir à qui il
laisserait l'anneau. L'ayant promis à chacun d'eux en
particulier, il songea à les satisfaire tous les trois. Il en fit
faire secrètement par u n habile ouvrier deux autres si
semblables au premier que lui-même qui les avait fait faire
pouvait à peine distinguer le vrai. Q u a n d il vint à mourir, il
en donna secrètement un à chacun de ses enfants qui, après
la mort de leur père, voulant chacun occuper sa succession
et sa dignité et se les déniant l'un à l'autre, produisirent leur
60

LA T O L É R A N C E

anneau aux yeux de tous, en témoignage de leur prétention.


Les anneaux furent trouvés tellement pareils que l'on ne
savait reconnaître le vrai, et que la question de savoir lequel
d'entre eux était le véritable héritier d u père resta pendante
et l'est encore. Et j'en dis de m ê m e , m o n Seigneur, des trois
religions données aux trois peuples par Dieu le Père, et sur
lesquelles vous m e questionnez. C h a c u n d'eux croit être son
héritier et avoir sa vraie loi et ses vrais commandements ;
mais la question de savoir qui les a est encore pendante,
c o m m e celle des anneaux. »
Boccace, 1313-1375, Italie, Le Décaméron

109

Abstenons-nous de tout courroux et gardons-nous de jeter


des regards irrités. Et n'ayons nul ressentiment si les autres
ne pensent pas c o m m e nous. Car tous les h o m m e s ont u n
cœur, et chaque cœur a ses penchants. C e qui est bien pour
nous est mal pour autrui. Nous ne s o m m e s pas nécessaire-
ment des sages et les autres ne sont pas nécessairement des
sots. Nous ne s o m m e s tous que des h o m m e s ordinaires.
C o m m e n t quelqu'un pourrait-il poser des principes pour
distinguer le bien d u mal ? Car nous s o m m e s tous à la fois
sages et sots, tel un anneau qui n ' a pas de fin.
Constitution du prince impérial Shôtoku, 604, Japon

110

S'il est loisible à u n chacun de suivre quelle religion il


voudra, vu qu'il y a une grande diversité d'esprits et de
jugements, de là s'ensuivra une grande dissimilitude d'opi-
nions et de sentences, et n'y aura celui qui n'ait en quoi
contredire et répugner à soi-même. Et vu qu'il n'y a personne
à qui on ne contredise, plusieurs tomberont en doute de ce
qu'ils doivent croire et suivre. Celui qui est doute et scrupule
de conscience est aiguillonné d ' u n désir et appétit de
chercher la vérité. Et quand beaucoup de gens s'adonneront
à la chercher, ce sera bien merveille s'ils ne la trouvent enfin.
61
LE M E S S A G E R Ê V É

Et quand elle sera trouvée et que les opinions seront


confrontées par une gracieuse et aimable conférence, alors la
vérité viendra au-dessus, le mensonge vaincu et défait. D e là
s'ensuit que le règne de Satan ne peut consister où u n chacun
a franchise et liberté de mettre en avant son opinion touchant
le fait de la religion.
Jacobus Acontius, Italie, Satanae stratagemata, 1565

111

L ' A m e est une, mais les corps qu'Elle anime sont nombreux.
Nous ne pouvons pas réduire le nombre des corps, et
pourtant nous reconnaissons l'unité de l ' A m e . D e m ê m e
q u ' u n arbre n ' a q u ' u n tronc, mais beaucoup de branches et
de feuilles, de m ê m e il n'existe qu'une seule religion vraie et
parfaite, mais elle devient multiple en passant par l'intermé-
diaire de l ' h o m m e . L a Religion unique est au-delà du
domaine d u langage. D e s h o m m e s imparfaits ne peuvent
l'exprimer que dans le langage dont ils disposent, et leurs
paroles sont interprétées par d'autres h o m m e s également
imparfaits. Quelle est l'interprétation qu'on doit accepter
c o m m e la vraie ? C h a c u n a raison de son propre point de vue,
mais il n'est pas impossible que tout le m o n d e ait tort. D ' o ù
la nécessité de la tolérance, qui n'est pas de l'indifférence
pour sa propre foi, mais u n a m o u r plus pur et plus intelligent
pour cette foi. L a tolérance nous donne un pouvoir de péné-
tration spirituelle qui est aussi éloigné du fanatisme que le
pôle nord du pôle sud. L a véritable connaissance de la
religion fait tomber les barrières entre une foi et l'autre. E n
cultivant en n o u s - m ê m e s la tolérance pour d'autres concep-
tions, nous acquerrons de la nôtre une compréhension plus
vraie. Il est clair que la tolérance n'affecte pas la distinction
entre le bien et le mal, entre ce qui est juste et ce qui est faux.
Et je n'ai voulu parler ici que des principales conceptions
religieuses d u m o n d e . Toutes reposent sur des bases
c o m m u n e s . Toutes ont produit de grands saints.
Mahatma Gandhi, 1869-1948, Inde,
Lettres à l'Ashram
62
LA T O L É R A N C E

112

E n louant ce qu'il croit, le croyant loue sa propre â m e et c'est


à cause de cela qu'il c o n d a m n e une autre croyance que la
sienne ; s'il était équitable il ne le ferait pas ; seulement, celui
qui est fixé sur telle adoration particulière ignore nécessaire-
ment la vérité intrinsèque d'autres croyances, par là m ê m e
que sa croyance en Dieu implique une négation d'autres
formes de croyance. S'il connaissait le sens de la parole de
Junayd : « la couleur de l'eau c'est la couleur de son
récipient », il admettrait la validité de toute croyance et il
reconnaîtrait Dieu en toute forme et en tout objet de foi.
Muhyï al-Dïn b. 'Arabï, 1165-1240, Andalousie,
La sagesse des prophètes

113

J'ai pratiqué toutes les religions : Hindouisme, Islam,


Christianisme, et j'ai suivi aussi les voies des différentes
sectes de l'hindouisme (...) Et j'ai trouvé que c'est le m ê m e
Dieu vers qui toutes se dirigent, par des voies différentes (...)
Il vous faut pratiquer une fois pour toutes les croyances et
passer par ces voies diverses (...) Je vois que tous les h o m m e s
se querellent au n o m de la religion : hindous, m a h o m é t a n s ,
brahmanes, vaishnavites, etc. Et ils ne réfléchissent pas que
Celui qui est appelé Krishna est appelé aussi Çiva, qu'il a
n o m Energie Primitive, Jésus ou Allah ! U n seul R a m a qui
possède mille n o m s (...) L a substance est U n e , mais elle
porte des n o m s différents. Et chacun cherche la m ê m e
substance; et seuls varient le climat, le tempérament et le
n o m (...) Q u e chacun suive son chemin ! S'il désire sincère-
ment, a r d e m m e n t , connaître Dieu, qu'il soit en paix ! Il le
réalisera.
Ramakrishna, 1836-1886, Inde

114

O n découvrit que les divergences [entre les Sages des


Nations] avaient plutôt porté sur les rites que sur les cultes
63

LE MESSAGE RÊVÉ

d u Dieu unique que dès l'origine tous ont toujours présup-


posé et vénéré à travers toutes les formes de cultes. C'est bien
ce qui apparut de la confrontation de tous les textes sacrés.
(...) O n conclut donc dans le ciel, région rationnelle, un
concordat religieux de la façon qu'on a dite, et le Roi des rois
prescrivit que les Sages retournassent chez eux pour ensei-
gner à leurs nations respectives l'unité du vrai culte, avec
l'aide et l'assistance des esprits administrateurs. M u n i s de
pleins pouvoirs, il leur fut ordonné de se rassembler ensuite
à Jérusalem, centre religieux c o m m u n , pour recevoir au n o m
de tous la foi unique et pour fonder sur elle la paix
perpétuelle, afin que dans cette paix, le Créateur de toutes
choses fût loué dans tous les siècles. A m e n !
Nicolas de Cusa, Allemagne, La paix dans la foi, 1454

115

Plus qu'aucun autre avocat des causes désespérées, A b r a h a m est


un intercesseur. Car les autres Saints guérisseurs des
désespoirs cautérisent des plaies passagères, tandis qu'Abra-
h a m continue à être invoqué c o m m e leur père par douze
millions de (...) Juifs (...) et par quatre cents millions de
Musulmans. (...) Les Juifs n'ont plus qu'une espérance, mais
elle est abrahamique, les M u s u l m a n s n'ont plus qu'une foi,
mais c'est celle d ' A b r a h a m dans la Justice de Dieu (au-delà
de toutes les apparences humaines). Et ces deux protesta-
tions séculaires surplombent, immobiles c o m m e des volcans
en activité, le déroulement des joies et des soucis passagers
des Incirconcis, dans le jour crépusculaire des idoles. Sauf
qu'en y cherchant bien, disséminées partout, on retrouve les
cendres encore chaudes d'une éruption effrayante, encore
abrahamique, celle de la Cité maudite qui s'était exclue de
Dieu par a m o u r de soi, qui a concentré toute foi et tout espoir
dans un pacte d ' h o m m e à h o m m e c o m m e les forçats ; un
pacte, tout de m ê m e , qui les a liés jadis avec A b r a h a m , et
qui, par deux fois, l'a forcé à prier pour eux, les plus délaissés
des créatures de Dieu ; un pacte de loyauté de bagnards qui
a été pour A b r a h a m le surprenant point de départ de sa
64

LA TOLÉRANCE

vocation œcuménique. (...) Parmi les trois prières solennel-


les, avant la prière pour Ismaël l'Arabe et les Musulmans,
avant la prière pour Isaac et les Douze tribus issues de son
fils Jacob, la première qu'il nous faut reprendre, c'est la
prière sur Sodome (...)
La première prière d ' A b r a h a m est celle qu'il fit pour
Sodome, à la Philoxénie de M a m b r é , qui est une théophanie.
« Cet h o m m e de tous les commencements » et de tous les
achèvements y est saisi entre les deux paroles substantielles
de son union à Dieu : « Lékh-lékha » (« sors » : d ' U r ) et
« Hinayini » (me voici) pour aller au Moria. (...) Sa parfaite
hospitalité envers ses trois mystérieux visiteurs (« tres vidit
et U n u m adoravit »), venus le combler par la promesse
d'Isaac, les induit à le tenter : A b r a h a m , pourvu d'une
postérité, va-t-il continuer à veiller sur les Sodoméens, alliés
de son neveu Lot, qu'il a sauvés déjà une fois, les armes à la
m a i n ; ou, puisqu'il va apprendre qu'ils ont mal tourné, se
désintéressera-t-il du pacte defidélité?(...) A b r a h a m ne peut
plus amener 318 combattants pour les sauver, c'est parmi
eux qu'il s'efforce de découvrir, dans la prescience divine qui
l'interroge, leurs sauveurs, qu'il se forge une prière de plus
en plus pure, capable de susciter dans S o d o m e cinquante, ou
quarante-cinq, ou quarante, ou trente, ou vingt, ou seule-
ment dix justes, pour qu'elle soit sauvée. Dieu accepte, mais
il n'y en avait que trois, (...) et quatre des cinq cités de
Sodome sont brûlées. Mais de m ê m e que l'exigence d u
sacrifice d ' A b r a h a m demeura en suspens, après le sauvetage
d'Isaac, jusqu'au sacrifice d u Calvaire, de m ê m e la promesse
des Dix demeure, et il faut la rappeler à Dieu, au n o m
d ' A b r a h a m . (...) S o d o m e est la cité qui s'aime elle-même,
qui se refuse à la visitation des Anges, des Hôtes, des
Etrangers ou qui veut en abuser (...) N ' y eut-il, dans la Cité
maudite, que dix justes, et elle serait sauvée. Cette prière
d ' A b r a h a m plane toujours au-dessus des sociétés de perdi-
tion, pour y susciter ces dix justes, afin de les sauver malgré
elles. Et il faut croire qu'elle les y trouve, de temps en temps,
pour que le feu d u Ciel, c o m m e pour C a p h a m a ü m , les
épargne. (...)
65

LE MESSAGE RÊVÉ

À sa seconde prière, à Berséba, « puits d u serment » où


Dieu lui impose l'expatriement, 1' « hégire » de son premier-
né Ismaël, A b r a h a m consent à son exil au désert pourvu que
sa descendance y survive, douée par Dieu dans le m o n d e
d'une certaine pérennité privilégiée, marquant cette race,
ismaélienne, arabe, d'une vocation, l'épée, « le fer à la
puissance acérée » (Coran, 57, 25) qui suspend sa menace,
une fois l'Islam formé, sur tous les idolâtres. (...) Revendica-
tion militante de la pure transcendance, résurgence mysté-
rieuse d u culte patriarcal antérieur au Décalogue mosaïque
et aux Béatitudes. (...) Pour l'Islam, toute paix en ce m o n d e
est bâtarde, qui n'est pas fondée sur la reconnaissance du
Dieu d ' A b r a h a m .
(...) Parce que l'Islam, venu après Moïse et Jésus, avec
le Prophète M u h a m m a d , annonciateur négatif du Jugement
de mort qui atteindra tout le créé, — constitue une réponse
mystérieuse de la grâce à la prière d ' A b r a h a m pour Ismaël
et les Arabes : « Je t'ai aussi exaucé! » (pour Ismaël).
L'Islam arabe n'est pas une revendication désespérée
d'exclus qui sera rejetée jusqu'à la fin, et son infiltration
mystérieuse en Terre Sainte le laisse entendre. L'Islam a
m ê m e une mission positive : en reprochant à Israël de se
croire privilégié, au point d'attendre u n Messie né dans sa
race, de David, selon une paternité charnelle. Il affirme qu'il
y est déjà né, méconnu, d'une maternité virginale prédesti-
née, que c'est Jésus,filsde Marie, et qu'il reviendra à la fin
des temps, en signe d u Jugement. Il reproche aussi aux
Chrétiens de ne pas reconnaître tous les signes de la Table
Sainte, et de ne pas avoir encore réalisé cette Règle de
perfection monastique, rahbâniya, qui, seule, forme en eux la
seconde naissance de Jésus, anticipe en eux, par cette venue
de l'Esprit de Dieu, la Résurrection des morts dont Jésus est
le signe. Cette double revendication de l'Islam à rencontre
des Juifs et des Chrétiens qui abusent de leurs privilèges
c o m m e s'ils leur appartenaient en propre, cette sommation
incisive c o m m e l'épée de la transcendance divine, (...) est u n
signe eschatologique qui doit faire reprendre avec infiniment
de respect la seconde prière d ' A b r a h a m , celle de Berséba.
66
LA TOLÉRANCE

À sa troisième prière, A b r a h a m est au M o r i a , tradition-


nellement identifié avec le lieu d u futur T e m p l e d e S a l o m o n .
C'est le lieu de l'offrande d'Isaac. A b r a h a m pousse à bout,
à tout prix, lafidélitéqu'il a jurée à Dieu lors d u pacte d e la
circoncision (...) M a i s son adhésion à Dieu le dépasse,
puisque l'avenir généalogique qu'il avait sacrifié lui est
rendu ; il lui reste à persuader ses descendants d'achever le
sacrifice interrompu. M a i s ni Isaac, qui ne s'est laissé lier
que pris d ' u n e terreur sacrée, ni Sara, qui, laissée dans
l'ignorance d u « génocide » accepté par A b r a h a m , ne dut pas
lui trouver d'excuse, et encore moins les descendants d'Isaac
par Jacob et les X I I tribus, n e seront persuadés (il faudra
l'abandon totalement innocent d ' u n e Vierge M è r e sans
époux h u m a i n , pour accepter d'offrir sonfilsà la m o r t ) . Il
reste q u e , par son sacrifice, A b r a h a m a rendu sa race
sacerdotale, a voué les Israélites à devenir prêtres (...)
A b r a h a m a prié e n dernière analyse pour q u e le pacte
social qui fonde les cités soit pur, pour que les combattants aboutissent
à une paixfraternelle,pour que le sacerdoce soit saint, et ces trois
prières, à M a m b r é , à Berséba, au M o r i a , n ' e n font q u ' u n e ,
et la troisième est le sceau des d e u x autres. U n e Fille
d ' A b r a h a m est venue : la Cité maudite avait refusé l'hospita-
lité aux A n g e s Etrangers, E L L E a accueilli l'Esprit-Saint,
l ' A m o u r , à qui l'on n e d e m a n d e ni « pourquoi » , ni
« c o m m e n t » ; la race d'Ismaël a opté d e faire la guerre a u
n o m d'une transcendance inaccessible dans S a paix, E L L E a
reçu le salut de cette Paix. (...) E L L E a, d u premier c o u p ,
accepté d'être soupçonnée, fiancée, calomniée par son voisi-
nage, (...) par sa race q u ' E L L E aimait infiniment, puis-
q u ' E L L E a exposé, pour la sauver, le v œ u secret d ' u n c œ u r
immaculé, ce qui est davantage que, pour A b r a h a m , d'avoir
offert Isaac. C a r E L L E a ainsi offert pour Israël la racine
m ê m e de la justification d e Dieu vis-à-vis de sa seule créature
parfaite, en u n sacrifice spirituel inimaginé des A n g e s .
E L L E est aussi la vraie Terre Sainte, étant cette « argile »
vierge, prédestinée, sublimiori modo redempta o ù sont conçus,
avec leur Chef, tous les élus. C'est d o n c E L L E qui, c o m m e u n e
ligne de faîte, et n o n pas d e partage, (...) attire les pèlerins
67

LE M E S S A G E R Ê V É

qui cherchent justice sur les hauts lieux de Palestine, Juifs,


Chrétiens, M u s u l m a n s , sans qu'ils s'en doutent, m ê m e ces
derniers (...)
C'est là qu'il faut aller entendre (...) l'appel de notre Père
c o m m u n , appelant tous les cœurs qui ont faim et soif de la
Justice au pèlerinage, à la Ville Sainte.
Louis Massignon, France, Les trois prières d'Abraham, 1949

115 bis

L'Enfer de Dieu n'a nullement besoin


de la splendeur d u feu. Le Jugement
universel sonnera aux trompettes
et la terre exposera ses entrailles
et les nations surgiront de la poudre
pour vénérer la Bouche irrémédiable :
mais les yeux ne verront ni les neuf cercles
de la montagne inverse, ni les pâles
prairies aux asphodèles éternels
où l'ombre de l'archer poursuit sans trêve
l'ombre de la biche éternellement ;
ni la louve de feu qui, aux ultimes
étages des enfers des M u s u l m a n s ,
précède A d a m avec le châtiment ;
ni les métaux violents, ni m ê m e encore
les ténèbres visibles de Milton.
Enfin, nul labyrinthe détestable
au triple acier, à l'ardente douleur,
n'accablera les damnés de stupeur.

Il n'y a pas non plus, au fond des âges,


quelque jardin gardé. Dieu n'a besoin,
pour réjouir les mérites des siens,
ni d'orbes de lumière, ni de suites
de trônes, de puissants, de chérubins,
ni d u miroir trompeur de la musique ;
ni de la rose, avec ses profondeurs,
ni d'un seul tigre à funeste splendeur,
68

LA T O L É R A N C E

ni davantage de la jaune chute


au désert d u soleil au crépuscule ;
ni d'eau antique à natale saveur.
Point de jardin à sa miséricorde ;
à la mémoire, à l'espoir, de lueur.

J'eus la vision, dans le cristal d ' u n songe,


du Ciel et de l'Enfer, tels qu'ils seront :
du Jugement quand sonneront les Trompes
dernières et que l'astre millénaire
sera caché, que soudain cesseront,
ô T e m p s , tes pyramides éphémères :
couleurs et traits du passé traceront
dans les ténèbres un Visage distinct,
immobile,fidèle,inaltérable
(celui peut-être de l'Amour, le tien...),
et la contemplation de ce visage
proche, éternel, intact, ineffaçable,
cela sera l'Enfer, pour les Maudits,
mais, aux yeux des Elus : le Paradis.
Jorge Luis Borges, Argentine, 1942
Vicaires armés :
le message
à l'épreuve du réel

Ici se dissipe le rêve éveillé et recommence le sommeil lourd de la raison.


L'intolérance précède son contraire; ni l'une ni l'autre n'est
univoque. Mais pour comprendre le combat de celle-ci, il faut bien voir
et entendre, concrètement, la démesure et le délire de celle-là. La
séquence s'ouvre, comme dans la première partie, en protestations
spirituelles pour vite gagner son paroxysme dans le feu et le sang de
l'homme comme des peuples, indistinctement.
C'est donc ici la séquence de la violence nue et de la déraison
souveraine.
•k * *

Quatre textes préliminaires nous remettent en mémoire ce que nous


savions depuis ceux qui ouvrent le présent ouvrage : le Boddhisata,
méprisant le fouet, répète au roi son message de patience ; il n'est qu'un
langage possible entre hommes, celui de l'universel ; l'intolérance sous
son masque décline sa nature : elle est tout à la fois religieuse et civile.
Anonyme, l'argent est là partout, délétère et puissant.

116

... P e n d a n t ce t e m p s , la favorite d u roi, par u n m o u v e m e n t


de son corps, le réveilla. Et celui-ci, se réveillant et n e voyant
plus toutes ses f e m m e s , lui d e m a n d a : « O ù sont d o n c passées
ces misérables ? » « Sire, répondit la favorite, elles sont allées
écouter la leçon d ' u n certain ascète. » F o u d e rage, le roi
70

LA TOLÉRANCE

saisit son épée et s'en fut à leur recherche, en disant : « Je


donnerai m o i - m ê m e une leçon à ce faux ascète. » Alors, celle
des femmes qu'il avait le plus en faveur, voyant arriver le roi
en grande colère, s'empara de l'épée qu'il avait à la main et
tenta de l'apaiser. L e roi s'approcha ensuite d u Boddhisatta
et lui d e m a n d a : « Quelle doctrine prêches-tu, M o i n e ? » « L a
doctrine de la patience, Votre Majesté », répondit ce dernier.
« Qu'est-ce que la patience ? », dit le roi. « Elle consiste à ne
pas s'irriter quand on vous trompe, vous frappe ou vous
injurie. » L e roi dit alors : « J e mettrai à l'épreuve les vertus
de ta patience » et ilfitappeler son bourreau. Et ce dernier,
avant d e venir remplir son office, s'arma d'une hache et
d'une verge d'épines, et revêtu d'une robe safran et d'une
ceinture rouge, il salua le roi et lui dit : « Q u e dois-je faire
pour vous servir, Sire ? » « Saisis-toi de ce vil fourbe d'ascète
et traîne-le hors d'ici, jette-le par terre et avec ta verge
d'épines, frappe-le sur toutes ses faces et donne-lui
3000 coups. » C e que fit le bourreau. E t la peau d u
Boddhisatta se fendit jusqu'à la chair et son sang ruissela. L e
roi, s'adressant à lui, renouvela sa question : « Quelle
doctrine prêches-tu, M o i n e ? » « L a doctrine d e la patience,
Votre Majesté », répondit ce dernier. « V o u s croyez que m a
patience n ' a pas plus d'épaisseur que m a peau alors qu'elle
réside dans la profondeur d e m o n cœur, où vous ne pouvez
pas l'atteindre, Sire. » [A suivre : 201, 288.]
Khantivadi-Jataka

117
Il faut suivre ce qui est c o m m u n , c'est-à-dire universel. C a r
le Verbe universel est c o m m u n à tous. O r , bien que ce Verbe
soit c o m m u n à tous, la plupart vivent c o m m e s'ils possé-
daient en propre une pensée particulière.
Heraclite d'Ephèse, Grèce antique, env. 540-480 av. J.-C.

118
L e mot intolérance s'entend c o m m u n é m e n t de cette passion
féroce qui porte à haïr et à persécuter ceux qui sont dans
71
VICAIRES A R M É S

l'erreur. M a i s pour n e pas confondre des choses fort diverses,


il faut distinguer d e u x sortes d'intolérance, l'ecclésiastique et
la civile.
h'intolérance ecclésiastique consiste à regarder c o m m e fausse
toute autre religion q u e celle q u e l'on professe, et à le
démontrer sur les toits, sans être arrêté par aucune terreur,
par aucun respect h u m a i n , au hasard m ê m e de perdre la vie
(...)
U intolérance civile consiste à r o m p r e tout c o m m e r c e et à
poursuivre, par toutes sortes d e m o y e n s violents, ceux qui
ont u n e façon de penser sur Dieu et sur son culte autre q u e
la nôtre.
Denis Diderot, France,
Article « Intolérance » dans l'Encyclopédie, 1765

119

Jamais n'a grandi chez les h o m m e s pire institution q u e


l'argent. C'est l'argent qui détruit les États ; c'est lui qui
chasse les citoyens d e leur maison ; c'est lui dont les leçons
vont séduisant les cœurs honnêtes, leur font embrasser
l'infamie. Il leur enseigne tous les crimes, il leur apprend
l'impiété qui ose tout. M a i s celui qui se vend et en arrive là,
u n beau jour aussi aboutit au châtiment.
Sophocle, Grèce antique, Antigone, 441 av. J . - C .

U n e machine infernale : l'intolérance

Asie : la voix indienne


Deux textes directs, reflets d'une sagesse sans exclusive, celle de l'Inde,
ramassent le conflit historique de toute différence et sa prompte
résolution. Une conduite exemplaire et comme détachée qui, ailleurs,
demandera des siècles... Autant il est vrai qu'or va de pair avec
violence, autant il n'est que poussière quand le refus de toute violence
est érigé en valeur absolue et universelle. Ceci, loin de la Méditerranée
72

LA T O L É R A N C E

et de sa mouvance, en un espace et en un temps participant d'un autre


champ de signification humaine. La voix indienne psalmodiera
inlassablement, ce que l'homme voulait oublier.

120

T o u s ces moines bhikshu'


Par a m o u r de l'argent
Prêchent une doctrine hérétique ;
Ils ont, e u x - m ê m e s , composé cette Sutra2
Pour abuser les peuples de ce m o n d e ;
Afin d'accéder à la r e n o m m é e
Ils ont composé ces versets...

Sans cesse dans les assemblées


D a n s le but de nous détruire
A u x rois et à leurs ministres
A u x Brahmanes et aux h o m m e s d u peuple
A u x autres groupes de bhikshu
Ils parlent de nous, nous calomnient
Et disent : « C e sont des h o m m e s aux idées fausses
Q u i prêchent des doctrines hérétiques. »

Mais par respect pour le B o u d d h a


N o u s supporterons ces méfaits,
Bien qu'ils nous interpellent avec dérision
Et disent : « H é , vous tous, Bouddhas ! »
U n tel dédain et une telle arrogance
N o u s endurerons avec patience.
D a n s ce temps corrompu d u néfaste kalpa3
Chargé de peurs et de menaces
Les démons prendront possession d'eux
Et ils nous maudiront, nous tromperont et nous insulteront.

1. Adeptes du bouddhisme dit d u Petit Véhicule.


2. Maximes et versets.
3. 10 milliards d'années.
73

VICAIRES A R M É S

Mais en respectueux adorateurs d u B o u d d h a


Nous revêtirons l'armure de la longue souffrance,
Et nous prêcherons cette Sutra :
Nous endurerons tous les m a u x
Nous n'aimerons pas notre corps dans cette vie
Mais nous attacherons uniquement à suivre la Voie
Suprême.
Saddharma Pundarika, Sutra, Texte pâli

121

Huit ans après son sacre, le roi ami des dieux au regard
amical a conquis le Kalinga. Cent cinquante mille personnes
ont été déportées, cent mille y ont été tuées ; plusieurs fois ce
nombre ont péri. Ensuite, maintenant que le Kalinga est
pris, ardents sont l'exercice de la Loi, l'amour de la Loi,
l'enseignement de la Loi chez l'ami des dieux. Le regret tient
l'ami des dieux depuis qu'il a conquis le Kalinga. E n effet,
la conquête d ' u n pays indépendant, c'est le meurtre, la mort
ou la captivité pour les gens ; pensée que ressent fortement
l'ami des dieux, qui lui pèse.
Ceci pèse encore davantage à l'ami des dieux : les
habitants, brahamanes, samanes ou ceux d'autres
communautés, les bourgeois qui pratiquent l'obéissance aux
supérieurs, l'obéissance aux père et mère, l'obéissance aux
maîtres, la courtoisie parfaite à l'égard des amis, familiers,
compagnons et parents, à l'égard des esclaves et des
domestiques, et la fermeté dans la foi, tous sont alors
victimes de la violence, du meurtre ou de la séparation
d'avec ceux qui leur sont chers. M ê m e les chanceux qui ont
conservé leurs affections, s'il arrive malheur à leurs amis,
familiers, camarades ou parents, cela aussi est un coup
violent pour eux. Cette participation de tous les h o m m e s est
une pensée qui pèse à l'ami des dieux. (...)
Et m ê m e si on lui fait tort, l'ami des dieux pense qu'il faut
patienter autant qu'il est possible de patienter (...)
Car l'ami des dieux veut qu'il y ait chez tous les
74

LA T O L É R A N C E

êtres sécurité, maîtrise des sens, équanimité et douceur.


O r la victoire que l'ami des dieux considère c o m m e la
première c'est la victoire de la Loi (...)
Le bénéfice qui s'en obtient est une victoire universelle.
O r toujours la conquête donne une sensation de joie. Cette
joie a été obtenue par la victoire de la Loi. Mais c'est peu
encore que cette joie. C'est seulement ce qui vaut pour
l'autre m o n d e que l'ami des dieux estime un grand bénéfice.
C e texte de la Loi a été gravé pour que lesfilset petits-fils
que je pourrai avoir ne songent pas à de nouvelles victoires.
Et que dans leur propre victoire, ils préfèrent la patience et
l'application légère de la force, et qu'ils ne considèrent
c o m m e victoire que la victoire de la Loi, qui vaut pour ce
monde-ci et pour l'autre ; et que toute leur joie soit la joie de
la Loi : car elle vaut pour ce monde-ci et pour l'autre.

L e roi, a m i des dieux, au regard amical, honore toutes les


sectes, les samanes et laïques, tant par des libéralités que par
des honneurs variés. Mais ni aux libéralités, ni aux honneurs
l'ami des dieux n'attache autant de prix qu'au progrès dans
l'essentiel de toutes les sectes. L e progrès de l'essentiel est de
diverses sortes, mais le fond, c'est la retenue du langage, de
façon qu'on s'abstienne d'honorer sa propre secte o u de
dénigrer les autres sectes hors de propos ; et dans telle ou
telle occasion, que ce soit allègrement. Il faut m ê m e rendre
honneur aux autres sectes à chaque occasion. E n faisant
ainsi, on grandit sa propre secte en m ê m e temps qu'on sert
l'autre. E n faisant autrement, on nuit à sa propre secte en
m ê m e temps qu'on dessert l'autre.
(...) C'est la réunion qui est bonne, de façon qu'on écoute
la Loi les uns des autres et qu'on y obéisse.
C'est là, en effet, ce que veut l'ami des dieux, pour que
toutes les sectes soient instruites et enseignent à bien agir.
Partout les dévots doivent dire : l'ami des dieux n'attache ni
aux libéralités ni aux honneurs autant de prix qu'au progrès
dans l'essentiel de toutes les sectes.
Edits d'Ashoka Rocher, x m et XIIe s. av. J . - C ,
Traduit du pracrit
75

VICAIRES A R M É S

Gages et représentations

Avant les monothéismes, et pour autant que des textes en ont gardé
mémoire, les conquérants se présentaient en tant que tels, non en
porteurs de bonne parole. En terre barbare, ils n'entendent pas tant
assimiler qu'étendre et tenir un empire économique dans l'indifférence
aux croyances. Ainsi, « Jules César, empereur, dictateur pour la
seconde fois et souverain pontife », distribue, par un mouvement de
tolérance politique guère coûteuse, prébendes et privilèges à une famille
autochtone en terre envahie... Ce qui compte pour Rome, c'est Rome
souveraine de l'Empire, de ses richesses et de ses hommes. Aux yeux de
Rome, la même tolérance est consentie à toutes sectes, Juifs, Chrétiens
et autres sous sa domination, pour autant qu'aucune, pour des motifs
de croyance, ne met l'Empire en danger. La liberté de conscience est
tolérée non pour elle-même mais pour la gestion bien entendue de
l'Empire. Quand germeront les « dissensions intestines et l'émeute »
ce sera le moment fugitif des représentations, des hésitations, des
gages.
Dès lors que la relation de domination économique et politique
n'est, par postulat, pas en cause, les concessions sont faites, sur le mode
de la récompense des « bons et loyaux services », de la sollicitude
calculée du maître. Dans une telle relation, on ne peut exterminer pour
raisons spirituelles ceux-là mêmes qu'on exploite.
Certes, dans cette éclaircie, bien des plaintes nues s'élèvent : celle
des Juifs tenus en opprobre mais protestant de tout temps de leur bonne
foi et de l'observance de leur Loi et d'elle seule; celle de la secte
chrétienne naissante et celles de toutes les autres, oubliées par l'his-
toire.
Le Christianisme triomphant saura prendre revanche de ses siècles
de souffrance, selon l'esprit exact du mot de Diderot. L'âge du
fanatisme moderne commence.
Le fanatisme, fait de mépris et de haine, prend invariablement
source dans l'assurance de détenir seul la vérité.

122

Jules César, empereur, dictateur pour la seconde fois et


souverain pontife : « Nous avons, après en avoir pris conseil,
76

LA TOLÉRANCE

ordonné ce qui suit : c o m m e H y r c a n ,filsd'Alexandre, Juif


de nation, nous a de tout temps donné des preuves de son
affection, tant dans la paix q u e dans la guerre, ainsi q u e
plusieurs généraux d'armée nous en ont rendu témoignage,
nous voulons q u e lui et ses descendants soient à perpétuité
princes et grands sacrificateurs des Juifs, pour exercer ces
charges selon les lois et les coutumes de leur pays ; c o m m e
aussi qu'ils soient nos alliés et d u n o m b r e de nos amis ; qu'ils
jouissent de toutes les lois et privilèges qui appartiennent à
la grande sacrificature et que, s'il arrive quelque différend
touchant à la discipline qui se doit observer parmi ceux de
leur nation, il en soit le juge; et qu'il ne soit point obligé de
donner des quartiers d'hiver aux gens de guerre ni de payer
aucun tribut (...) N o u s voulons aussi q u ' o n lui envoie des
ambassadeurs pour contracter amitié et alliance, et que l'on
mette dans le Capitale et dans les temples de Tyr, de Sidon
et d'Ascalon, des tables de cuivre o ù toutes ces choses soient
gravées en caractères romains et grecs, et que cet acte soit
signifié aux magistrats de toutes les villes, afin q u e tout le
m o n d e sache que nous tenons les Juifs pour nos amis, et
voulons q u ' o n reçoive bien leurs ambassadeurs ; et le présent
acte sera envoyé partout » ( X I V , 17).
Flavius Josephe, 37-100 apr. J . - C , Jérusalem,
Histoire ancienne des Juifs

123

Il est de droit h u m a i n et de droit naturel — humant juris et


naturalis potestatis est — q u e chacun puisse adorer ce qu'il
veut ; la religion d ' u n individu ne nuit, ni ne sert à autrui. Il
n'est pas dans la nature de la religion de forcer la religion ;
celle-ci doit être adoptée spontanément, n o n par la force,
puisque les sacrifices ne sont d e m a n d é s que de bon gré. C'est
pourquoi, si vous nous forcez à sacrifier, vous ne donnerez
rien en fait à vos dieux ; ceux-ci n'ont pas besoin de sacrifices
offerts à contrecœur.
Tertullien, apologiste chrétien, n e siècle, Carthage,
A d scapulam
77
VICAIRES A R M É S

124

Il n'y a d'autre parti à prendre en politique, avec une secte


nouvelle, que de faire mourir sans pitié les chefs et les
adhérents, h o m m e s , femmes, enfants, sans en excepter un
seul, ou de les tolérer quand la secte est nombreuse. Le
premier parti est d ' u n monstre, le second est d'un sage.
Voltaire, France,
Commentaire sur le Livre des délits et des peines, 1766

125

N o u s , Constantin et Licinius, augustes, nous étant rassem-


blés à Milan pour traiter des affaires qui concernent l'intérêt
et la sécurité de l'Empire, nous avons pensé que parmi les
sujets qui devaient nous occuper, rien ne serait plus utile à
nos peuples que de régler d'abord la façon d'honorer la
divinité. N o u s avons résolu d'accorder aux Chrétiens et à
tous les autres la liberté de pratiquer la religion qu'ils
préfèrent afin que la divinité qui préside dans le ciel soit
propice et favorable aussi bien à nous qu'à ceux qui vivent
sous notre domination. Il nous a paru que c'était u n système
très bon et très raisonnable de ne refuser à aucun de nos
sujets, qu'il soit Chrétien ou qu'il appartienne à un autre
culte, le droit de suivre la religion qui lui convient le mieux.
D e cette manière, la divinité suprême, que chacun de nous
honorera désormais librement, pourra nous accorder sa
faveur et sa bienveillance accoutumées. Il convient donc que
Votre Excellence1 sache que nous supprimons les restrictions
contenues dans l'édit précédent que nous avons envoyé au
sujet des Chrétiens [édit de 312] et q u ' à partir de ce m o m e n t
nous leur permettons d'observer leur religion, sans qu'ils
puissent être inquiétés ni molestés d'aucune manière. N o u s
avons tenu à vous le faire connaître de la façon la plus
précise, pour que vous n'ignoriez pas que nous laissons aux

1. Le rescrit s'adresse aux gouverneurs des provinces.


78

LA T O L É R A N C E

Chrétiens la liberté la plus complète, la plus absolue, de


pratiquer leur culte ; et puisque nous l'accordons aux
Chrétiens, Votre Excellence comprendra que les autres
doivent posséder le m ê m e droit. Il est digne d u siècle où nous
vivons, il convient à la tranquillité dont jouit l'Empire, que
la liberté soit complète pour tous nos sujets d'avoir le dieu
qu'ils ont choisi, et qu'aucun culte ne soit privé des honneurs
qui lui sont dus.
Édit de Milan, 313

126

T u as mis en tête de tes soins et de ton a m o u r à l'égard des


h o m m e s , l'organisation des choses de la religion. (...) Si tu
ne peux point faire par ton édit, ô Empereur, que soit
bénévole pour toi celui qui n'y est pas enclin, combien moins
pourras-tu rendre pieux et religieux ceux qui craignent les
décrets humains, de brève et fugace nécessité, et dont la
terreur est changeante parce que, souvent, le hasard des
temps la leur arrache et la leur ôte entièrement ? D ' o ù il suit
que nous s o m m e s follement entraînés à vénérer, non la
divinité, mais la pourpre royale, et en changeant de religion
nous s o m m e s plus instables que la mer. Autrefois, Théra-
mène était seul, mais aujourd'hui tous ont le pied passé dans
deux chaussures ; hier, on évitait d'être parmi les dix, mais
aujourd'hui, nous nous rangeons parmi les cinquante; et
tous ces m ê m e s h o m m e s respectent d'une m ê m e manière les
autels, les simulacres, les victimes, les rites. Mais ce que tu
n'as pas voulu, ô divin Empereur, et tandis qu'en toutes
autres choses tu es et tu seras seigneur, à perpétuité, dans les
choses qui concernent le culte divin, tu as concédé la liberté
à chacun. T u suis en cela Dieu lui-même, qui a fait tous les
h o m m e s enclins à la religion, mais a permis à la libre volonté
de chacun le m o d e et la raison de son culte pour la divinité.
O r quiconque use de force et de violence supprime la faculté
accordée par Dieu. D e là vient que les lois de Chéops et de
C a m b y s e durèrent à peine autant que la courte vie de leurs
auteurs ; mais la sanction de Dieu est immuable et éternelle
79

VICAIRES A R M É S

c o m m e la tienne, par laquelle il est librement permis à


l'esprit de chacun de suivre la religion qu'il croit la meilleure.
U n e telle loi ne peut jamais, ni par la privation de nourriture,
ni par la force des tourments, être enfreinte. Assurément, si
la chose te plaît, tu contraindras le corps et le tueras, mais
l'âme, portant en elle-même, avec cette loi, la pensée libre,
s'envolera saine et sauve, bien qu'aucun m o t ne soit arraché
à la langue.
(...) Cette loi qui est tienne, j'estime qu'elle n'est pas de
moindre importance que le pacte conclu avec les Parthes.
Par celui-ci, nous obtenons de ne pas faire la guerre avec les
Barbares ; par celle-là, il nous est donné de vivre sans
dissension intestine et sans émeute. (...)
Permets que la balance soit juste et égale pour tous; ne
la laisse pas pencher de tel côté ou de tel autre.
(...) Aie pour certain que dans une semblable variété se
complaît l'auteur et directeur de l'Univers. Il aime que les
Syriens fassent usage de certains rites et les Égyptiens
d'autres encore. Et ces m ê m e s Syriens ne sont pas tenus aux
m ê m e s lois, mais la raison de leurs institutions comporte
deux parties. Et puisque nul ne sent au fond de son cœur la
m ê m e chose que son voisin, que celui-ci approuve ceci et cet
autre cela, pourquoi essayerions-nous de faire violemment ce
qui ne peut se faire en aucune façon ?
Thémistios, Grèce antique,
Discours consulaire à l'Empereur Jovien, 364 apr. J.-C.

127

U n e chose a une valeur réelle : vivre sa vie dans la vérité et


la justice avec la tolérance m ê m e à l'égard du faux et de
l'injuste.
Marc Aurèle, empereur de 161 à 180 apr. J . - C , Rome, Pensées

128

Avis aux princes souverains


D u Très-Saint Empire R o m a i n :
Accroissez l'honneur des Chrétiens (...)
80

LA T O L É R A N C E

Et si païens sont déconfits,


Justice par vous soit garantie.
Écoutez ce que vous en dit
U n e humble femme sans esprit :
Epargnez ce que Dieu a créé.
L e premier h o m m e était païen,
Q u e Dieu a formé de sa main.
Eue, Henoch, sachez-le bien,
Sont connus encor pour païens.
Païen aussi était N o é ,
Qui fut dans l'Arche préservé.
Oui Job était païen vraiment,
Q u e Dieu n'a point exclu pourtant.
A ces trois rois ayez égard,
Dont l'un d'eux avait n o m Gaspar,
L ' u n Melchior et l'un Balthazar :
Q u a n d les faudrait païens n o m m e r ,
A l'enfer ne sont destinés.
Dieu lui-même, en sa propre main,
Q u a n d sa mère lui donnait le sein,
A reçu d'eux premiers h o m m a g e s .
Adonc ne faut tous les païens
Les croire à l'enfer destinés.
Nous le savons pour vérité :
Chacune mère, depuis le temps
D ' E v e , qui enfante un enfant,
C e qu'elle enfante est chair païenne,
Qui parfois aura le baptême.
Chacune femme, quand bien m ê m e
Elle est baptisée, en son sein
Toujours porte un enfant païen :
Aussi est-il grand besoin
Pour son enfant du baptême.
Les Juifs ont moyen singulier
Qui est de la chair entailler.
Païens nous fûmes tous jadis.
C'est douleur à tout juste esprit
Q u ' u n fils puisse être destiné
81
VICAIRES A R M É S

Par son père à être d a m n é :


Il faut bien qu'il ait pitié d'eux,
Lui, toujours miséricordieux.
Wolfram von Eschenbach, x m c siècle, Willehalm, vieil allemand

129

Le Juif : Certes, on ne connaît aucun peuple, on ne peut


m ê m e en imaginer aucun qui ait jamais supporté pour Dieu
les épreuves que nous ne cessons d'endurer, pour lui. (...)
C h a c u n nous croit dignes de tant de mépris et de haine que
toutes les injustices dont nous s o m m e s victimes apparaissent
aux yeux de nos persécuteurs c o m m e autant d'actes de
justice et d ' h o m m a g e s rendus à Dieu. (...) Les Païens
gardent la mémoire des oppressions qu'ils subirent autrefois
quand nous possédions leurs terres et de la façon dont
ensuite nous les avons ruinés et accablés par des persécutions
de chaque jour : aussi le sort qu'ils nous imposent, si dur soit-
il, leur paraît une juste vengeance. Q u a n t aux Chrétiens, qui
prétendent que nous avons tué leur Dieu, leur persécution
semble encore mieux se justifier. T u vois chez quels ennemis
nous s o m m e s contraints de poursuivre notre vie d'exil, de
quels protecteurs nous devons espérer l'appui ! Exposés
continuement aux coups des pires inimitiés, on nous force à
adopter la foi des infidèles.
Pierre Abélard, 1079-1142, France,
Dialogue entre un philosophe, un juif et un chrétien

130

Les sages et les prophètes d'Israël désirent ardemment la


venue d u Messie, non pas afin de dominer le m o n d e entier,
ni d'opprimer les Gentils, non pas afin que les peuples d u
m o n d e les admirent, afin de manger, de boire et de se réjouir,
mais afin d'être libres de se consacrer à la Torah et à sa
sagesse sans être écrasés par une autorité abusive et
tyrannique.
Maïmonide, Andalousie, 1135-1204, Hilkhot Melakhim
82
LA TOLÉRANCE

131

Proposition 10 : C e u x qui ont crucifié le Christ sans le


connaître n'ont point péché et rien de ce qui se fait par
ignorance ne doit être imputé à sa faute.
[Dans sa Profession de Foi, Abélard se rétractera] : « . . . E n
crucifiant le Christ, j'assure q u e ceux qui l'ont crucifié ont
commis u n péché très grave ».
Pierre Abélard, 1079-1142, France,
Proposition condamnée au Concile de Sens

132
[Le Parsi de Rousseau parle ainsi à ses juges]

(...) Dieu seul sait la vérité. Si malgré tout cela nous nous
trompons dans notre culte, il est toujours peu croyable que
nous soyons condamnés à l'enfer, nous qui ne faisons que d u
bien sur la terre, et que vous soyez les élus de Dieu, vous qui
n'y faites que d u m a l . Q u a n d nous serions dans l'erreur, vous
devriez la respecter pour votre avantage. Notre piété vous
engraisse et la vôtre vous consume ; nous réparons le m a l que
vous fait une religion destructive. Croyez-moi, laissez-nous
un culte qui vous est utile : craignez q u ' u n jour nous
n'adoptions le vôtre ; c'est le plus grand mal qui vous puisse
arriver.
J.-J. Rousseau, Genève, Lettre à Christophe de Beaumont,
archevêque de Paris, 1762

133

Je suis Juif... u n Juif n'a-t-il pas des yeux? U n Juif n'a-t-il


pas des mains, des organes, des proportions, des sens, des
émotions, des passions ? N'est-il pas nourri des m ê m e s
nourritures, blessé par les m ê m e s armes, sujet aux m ê m e s
maladies, guéri par les m ê m e s moyens, réchauffe et refroidi
par u n m ê m e été, u n m ê m e hiver, c o m m e u n Chrétien ? Si
vous nous piquez, ne saignons-nous pas ? Si vous nous
chatouillez, ne rions-nous pas ? Si vous nous empoisonnez, ne
83

VICAIRES A R M É S

mourons-nous pas ? Si vous nous faites tort, ne nous


vengerons-nous pas ? Si nous vous ressemblons dans le reste,
nous vous ressemblerons aussi en cela.
Shakespeare, Angleterre, Le marchand de Venise,
acte m , scène I, 1597

134

La tolérance n'est jamais que le système d u persécuté,


système qu'il abandonne aussitôt qu'il devient assez fort
pour être persécuteur.
Denis Diderot, 1713-1784, France, Mémoire pour Catherine II

Interlude

L'Islam se veut, par essence comme par pratique, tolérant envers le


différent, l'étranger, et tout particulièrement envers les monothéismes
qui l'ont précédé : justice, respect des croyances mais aussi des biens
dans une relation néo-césarienne, c'est-à-dire purement civile.
En feraient foi textes sacrés, messages, traités, édits, témoignages
de protégés de toutes religions, d'historiens, anciens et modernes... tous
illustrant l'essentielle parole du fondateur et de ses vicaires donnée aux
« non-croyants ». Mais comme sous Rome, il y eut conquêtes et
violences. Un critère cependant, aux yeux de l'Islam, semble devoir
départager les deux pensées impériales; c'est que pour lui, toute
conversion forcée est non seulement nulle, mais injuste.
Si, sur le plan politique, c'est là une variante d'importance de la
relation césarienne à l'âge des monothéismes triomphants (un empire,
un impôt, un contrat de coexistence), la relation intra-communautaire
ne va pas sans rigueur pour les poètes, leurs « rêveries » et, d'une
manière générale, pour la pensée libre. Il est vrai, Platon, déjà, dans
la R é p u b l i q u e réprouvait les poètes et Socrate devait périr sous le
Régime des Trente à Athènes... Le pouvoir contestataire de parole,
surtout écrite et partagée, n'en est qu'au début de son long combat pour
la liberté d'exercice, c'est-à-dire d'action médiatisée.
Si après tant d'autodafés on brûle encore des livres, d'autres, plus
nombreux, sont écrits, circulent, en dépit des censeurs, » un pour la
84

LA TOLÉRANCE

théologie, un pour la médecine, un pour les lois, un pour les


arts ».

135

Si un polythéiste cherche asile auprès de toi,


accueille-le
pour lui permettre d'entendre la Parole de Dieu,
fais-le ensuite parvenir dans u n lieu sûr,
car ce sont des gens qui ne savent pas.
Le Coran, Sourate ix, L'immunité

136
Message aux Emigrés, aux habitants de Médine [appelés les
Auxiliaires du Prophète] et aux Juifs.

C e message est de M u h a m m a d , le Prophète (envoyé de


Dieu), a u x croyants, aux M u s u l m a n s de Q o r a y c h , aux
habitants de Yathrib et à ceux qui l'ont rejoint et avec
lesquels il a combattu.
Ils sont une nation unique parmi les gens.
Ceux qui, parmi les Juifs, nous ont suivi ont la victoire et
l'égalité. Ils ne seront ni opprimés, ni combattus.
Les Juifs vivront avec les Croyants tant qu'ils demeure-
ront des combattants.
Les Juifs de la tribu de c A w f font partie de la nation des
Croyants. Les Juifs suivront leur religion et les M u s u l m a n s
suivront la leur.
Les Juifs des tribus d'al-Najyâr, d'al-Harth, d e Sacïda, de
banï-Jachm, de banï" al-Aws (...) seront traités c o m m e les
Juifs de la tribu de c A w f .
Ils conseillent et seront conseillés et seront traités
généreusement, sans iniquité.
L ' h o m m e ne peut être inique à l'égard de son allié et la
victoire est à l'opprimé.
Le prochain doit être considéré c o m m e soi-même. Il ne
faut lui faire aucun tort.
Ceux qui quittent M é d i n e et ceux qui y demeurent
85

VICAIRES A R M É S

doivent être assurés de la sécurité, sauf celui qui c o m m e t une


injustice ou u n crime.
M u h a m m a d , Prophète de l'Islam, 570-632

137

Selon al-Husayn qui le tient de Y a h y â ibn A d a m : J'ai copié


cette déclaration d u Prophète à la population de Najrân d ' u n
écrit qui dit la tenir d'al-Hasan ibn Sâlih.
E n voici les termes :
« A u n o m d'Allah, le clément et le miséricordieux,
C e qu'on va lire, c'est ce que le messager d'Allah,
M u h a m m a d , écrivit à la population de Najrân quand il
pouvait disposer de tous ses fruits, de son or, de son argent
et de tous ses biens domestiques, de ses esclaves, mais qu'il
lui laissa bénévolement contre la livraison de la valeur d ' u n
auqiyat; mille vêtements à être livrés lors du mois de Rajab,
tous les ans, et les mille autres lors de la fête d u Safar. Pour
les vêtements dont la valeur dépasserait un auqiyat ou qui
coûteraient moins cher, la différence de prix (en plus o u en
moins) serait prise en considération. D e plus, les coûts des
transports (chevaux, chameaux) ou d'effets divers fournis à
la place des vêtements de cérémonie seraient également pris
en considération. L a population de Najrân aura la charge
d'assurer le logement et la nourriture des messagers pendant
un mois, ou moins, mais jamais pendant plus d'un mois. Elle
aura aussi l'obligation de leur donner en prêt trente cottes de
mailles, trente juments et trente chameaux, pour l'éventua-
lité d'une guerre de rébellion du Y é m e n . Les chevaux et les
chameaux prêtés aux messagers sont garantis par <;es
derniers et seront retournés à leurs propriétaires.
L a population de Najrân et ses alliés1 ont droit à la
protection d'Allah et de M u h a m m a d son Prophète, messager
d'Allah, qui veille à la sécurité de leur personne, de leur
religion, de leurs terres et de leurs biens, des absents et des

1. Les Juifs.
86

LA TOLÉRANCE

présents, des c h a m e a u x , des messagers et des images 1 . L a


situation qui était la leur précédemment ne sera pas changée,
ni aucun de leurs offices religieux ou des objets de leur
religion ne sera touché. Nulle tentative ne sera faite de
détourner u n évêque de son office d'évêque, u n moine de son
office de moine o u le sacristain d'une église de son service à
l'église et cela quelle que soit l'importance d u service assuré.
Ils ne seront tenus responsables d ' a u c u n e erreur ou
d'aucun sang versé avant la conquête de leur territoire par
l'Islam. L a population d e Najrân ne sera pas astreinte a u
service militaire ni contrainte à payer u n tribut. Nulle armée
ne piétinera ses terres.
Si quelque requête reçue paraît juste, le cas sera examiné
avec équité, sans donner à la population d e Najrân l'avan-
tage sur la partie adverse ni à la partie adverse l'avantage sur
la population de Najrân. M a i s de la protection de ceux qui
ont perçu jusqu'ici des intérêts usuraires, je ne suis pas
responsable. N u l parmi eux, cependant, ne sera tenu
responsable des fautes des autres.
Et e n guise de garantie de ce qui est inscrit dans ce
document, la population de Najrân bénéficiera de la protec-
tion d'Allah et de M u h a m m a d son Prophète, aussi long-
temps qu'elle respectera ses engagements e n s'acquittant de
son dû, étant entendu qu'il ne lui sera rien d e m a n d é qui soit
injuste. Il ne lui sera pas d e m a n d é plus q u e ses dus.
Fait avec pour témoins â b û Sufyân b e n H a r b , Ghaitân
ben [ A m r , Mâlik ben c A u f de b a n û Nasr, al-Akra* ben Hâbis
al-HanzalI et al-Mughlrah. Ecrit par 'Abdallah ben abï
Bakr.
Traité de paix entre Mahomet et les Chrétiens de Najrân,
Cité par BaladhûrT, IXe siècle

138

Les Arabes à qui Dieu avait donné en ce temps-là l'empire

1. Les croix et les tableaux se trouvant dans les églises.


87

VICAIRES A R M É S

d u m o n d e , les voilà parmi nous, c o m m e vous le savez bien ;


cependant ils ne s'attaquent pas à la foi chrétienne ; bien au
contraire, ils protègent notre religion, rendent h o m m a g e à
nos prêtres et à nos saints et accordent des subsides aux
églises et aux monastères.
Ishô e Yabh III, patriarche nestorien, vn e s.,
Lettre au Primat de Perse

139

D'al-Husayn ben al-Aswad qui le tient d'al-Hasan : « L e


Prophète écrivit au peuple du Y é m e n : Celui qui répète notre
prière, tourne son visage vers la qiblah, c o m m e nous le faisons,
qui m a n g e les animaux que nous abattons, celui-là est
M u s u l m a n et il jouit de la protection d'Allah et de son Prophè-
te. M a i s celui qui refuse d'agir ainsi devra payer un impôt.
M u h a m m a d , Prophète de l'Islam cité par Baladhûrï,
dans Futïih al-Buldàn, ixe siècle

140

J'ai écrit cet édit en forme d'ordre pour m o n peuple, et pour


tous ceux qui se trouvent dans la Chrétienté, à l'Est et à
l'Ouest, près ou loin, jeunes et vieux, connus et inconnus.
Celui qui ne se conforme pas à l'édit et ne suit pas mes ordres
agit contre la volonté de Dieu et mérite d'être maudit quel
qu'il soit, sultan ou simplement M u s u l m a n . Q u a n d un
prêtre ou un ermite se retire sur une montagne ou dans une
grotte, ou se tient dans la plaine, le désert, la ville, le village
ou l'église, je m e tiens derrière lui en personne avec m o n
armée et m e s sujets et je le défends contre tout ennemi. Je
m'abstiendrai de leur faire aucun tort. Il est défendu de
chasser un évêque de son évêché, u n prêtre de son église, u n
ermite de son ermitage. A u c u n objet ne doit être détourné
d'une église en faveur d e la construction d'une mosquée ou
des demeures des M u s u l m a n s . Q u a n d une Chrétienne a des
relations avec u n M u s u l m a n , celui-ci doit la bien traiter et
lui permettre de prier dans son église, sans mettre d'obstacle
88
LA T O L É R A N C E

entre elle et sa religion. Si quelqu'un agit contrairement, il


sera considéré c o m m e ennemi de Dieu et de son Prophète.
Les M u s u l m a n s doivent se conformer à ces ordres jusqu'à la
fin du m o n d e .
M u h a m m a d , Prophète de l'Islam, Edit du 2 Muharram,
an II de l'Hégire (623)

141

L e Prophète à ceux des M u s u l m a n s qui violent le statut des


Dhimmis1 : Je m'élèverai contre quiconque rompt un accord
de Dhimmi ou impose à son prochain une charge qui dépasse
ses forces. A u jour d u jugement dernier, je m e ferai m o i -
m ê m e l'accusateur de quiconque [parmi les M u s u l m a n s ]
aura fait tort à u n Dhimmi ou l'aura taxé au-delà de son d û .
M u h a m m a d , Prophète de l'Islam, cité par Baladhûrl
dans Futûh al-Buldân, ixe siècle

142

E n vérité : dernièrement, au temps de notre Empereur, lors


du Concile de Bâle, un chevalier chrétien était en débat avec
le connétable des Turcs, et le chevalier disait au connétable :
« Seigneur, qui êtes un h o m m e sage, il faut vous faire
baptiser et devenir chrétien. Notre doctrine est pure et en
tous points si bien déduite que nul n'y peut découvrir aucune
chose qui soit mauvaise. » L e connétable répondit :
«J'entends bien q u e cela est vrai, ce q u e tu dis en alléguant
l'Ecriture. Q u e Christ vous ait rédimés par sa mort et libérés
pour la vie éternelle, je le sais par vos Ecritures. Mais je vois
bien aussi que vous n'avez d'elle nul désir et ne vivez point
selon lui. V o u s lui êtes renégats : l'un prend à l'autre son
honneur et son bien; l'un désigne l'autre c o m m e étant sa
propriété. C e n'est point là ce qu'a voulu votre Dieu et
Seigneur. A présent vous allez traverser la mer, marcher sur

1. Adeptes des autres religions révélées vivant en territoire sous


domination musulmane.
89
VICAIRES A R M É S

nous et nous combattre, et vous penserez faire ainsi un pieux


voyage. Si vous pouvez nous assommer, vous penserez
acquérir la vie éternelle. Ainsi vous vous trompez vous-
m ê m e s . Si vous demeuriez chez vous, et combattiez les faux
Chrétiens, et les rameniez dans la droite voie, voilà qui serait
un pieux voyage ! » Voyez ce qu'il nous faut entendre de la
bouche d ' u n infidèle! Et il ajouta encore : « Si vous vous
convertissiez et observiez votre loi, d u coup vous nous
gagneriez à coup sûr ; le m o n d e entier viendrait à vous, et il
n'y aurait plus q u ' u n pasteur et un bercail. »
Réforme de l'empereur Sigismond, Allemagne, 1439

143
Il est certain qu'en ces premiers temps que notre religion
c o m m e n ç a de gagner autorité avec les lois, le zèle en arma
plusieurs contre toute sorte de livres païens, de quoi les gens
de lettres souffrent une merveilleuse perte. J'estime que ce
désordre a plus porté de nuisance aux lettres que tous les
feux des barbares.
Montaigne, France, Essais, 1588

144
[Le poète imitateur sera renvoyé de notre Etat]

Il semble donc que, si un h o m m e habile à prendre toutes les


formes et à tout imiter se présentait dans notre État pour se
produire en public et jouer ses poèmes, nous lui rendrions
h o m m a g e c o m m e à u n être sacré, merveilleux, ravissant;
mais nous lui dirions qu'il n'y a pas d ' h o m m e c o m m e lui
dans notre Etat et qu'il ne peut y en avoir, et nous
l'enverrions dans u n autre Etat, après avoir répandu des
parfums sur sa tête et l'avoir couronné de bandelettes.
Platon, 429-347 av. J . - C , Grèce antique, La république

145
Quant aux poètes :
ils sont suivis par ceux qui s'égarent.
90

LA TOLÉRANCE

N e les vois-tu pas ?


Ils divaguent dans chaque vallée ;
ils disent ce qu'ils ne font pas
à l'exception de ceux qui croient,
qui accomplissent des œuvres bonnes,
qui invoquent souvent le n o m de Dieu
et qui se défendent
lorsqu'ils sont attaqués injustement.
Le Coran, Sourate xxvi, Les poètes

146

[En 1486, Berchthold, archevêque de Mayence, rendit une ordo


nance :] J'ai en grande estime l'imprimerie, affirmait-il en
substance, « qui a eu son berceau dans l'illustre cité de
Mayence. Aussi convient-il de veiller avec un soin jaloux sur
son honneur et, afin d'empêcher q u ' u n art aussi merveilleux
ne soit compromis par suite de l'abus que l'on en pourrait
faire, j'ordonne qu'aucune traduction d ' u n livre écrit en
latin, en grec ou en toute autre langue et traitant d'une
matière quelconque ne soit donnée à l'imprimerie avant
d'avoir été examinée par u n des docteurs ou professeurs de
l'université de Mayence désignés par moi : u n pour la
théologie ; u n pour la médecine ; u n pour les lois ; u n pour les
arts. A u c u n exemplaire imprimé ne pourra être publié
qu'autant qu'il aura été revêtu de l'autorisation desdits
docteurs ou professeurs. »
Berchtold, archevêque de Mayence, Allemagne,
Ordonnance de 1486

147

Considérant combien il était profitable et honorable que des


livres d'autres pays fussent importés dans leurs royaumes
pour y servir à instruire les h o m m e s , les Rois de glorieuse
mémoire ont voulu et ordonné que la vente des livres ne fût
frappée d'aucune taxe; et parce que, depuis peu, des
marchands tant natifs de nos royaumes qu'étrangers y
91
VICAIRES A R M É S

importent chaque jour d'excellents livres, ce qui semble


profiter à tous et donner d u lustre à nos royaumes, nous
mandons et ordonnons en conséquence qu'outre ladite
franchise, aucun droit de douane, aucune dîme, aucun
péage, ni aucun autre droit ne soit dorénavant exigé ni perçu
— que ce soit par nos officiers des douanes, par les
percepteurs de dîme ou de péage o u par tout autre préposé
des cités, bourgs et villages de notre couronne royale, ainsi
que des seigneuries, ordres et villes libres — sur les livres
importés dans nos royaumes par voie de m e r ou de terre ;
nous m a n d o n s et ordonnons que lesdits livres soient exempts
et francs de tous les droits de douane, taxes et dîmes
susmentionnés et que nul ne les exige ni ne les perçoive sous
peine d'encourir en pareil cas les sanctions auxquelles
s'exposent ceux qui exigent et perçoivent des impôts qu'il est
interdit de lever ; et nous enjoignons à nos contrôleurs
financiers de transcrire la présente loi sur nos livres, ainsi
que sur les cahiers quifixentles conditions auxquelles sont
affermés lesdits droits de douane, dîmes et taxes.
Cortes [Parlement] de Tolède, 1480

148

A u n o m de Dieu clément et miséricordieux,


Voici ce que le serviteur de Dieu, c U m a r , C o m m a n d e u r des
croyants, offre pour la sécurité de la population d'Ilya
[Jérusalem] : il se porte garant de la sécurité de leur vie, de
leurs biens, de leurs églises et de leurs croix. Cette sécurité
s'étend aux malades, aux innocents et à tous les m e m b r e s de
la c o m m u n a u t é . Leurs églises ne seront pas habitées,
détruites, ni amputées de tel ou tel de leurs bâtiments ou
d'une quelconque parcelle d u terrain où elles sont situées.
Nulle atteinte ne doit être portée à leur croix ou à leurs biens.
Ils ne seront pas inquiétés d u fait de leur religion et aucun
mal ne sera fait aux membres de la communauté. A u c u n Juif
ne viendra loger avec eux à Ilya. Les habitants d'Ilya,
c o m m e ceux des autres villes, paieront le tribut. Ils devront
en chasser les R o u m et les brigands. A u x R o u m , la sécurité
92
LA TOLÉRANCE

est assurée, pour leur vie et pour leurs biens ainsi qu'à ceux
qui restent et qui paient le tribut. C e u x qui désirent suivre
les R o u m et emporter leurs biens et leurs croix, la sécurité
leur est assurée jusqu'à ce qu'ils soient hors d'atteinte. C e u x
qui y ont des morts et qui désirent demeurer doivent payer
le tribut, mais ceux qui désirent suivre les R o u m ou revenir
rejoindre leurs familles, sont dispensés de l'impôt jusqu'à la
récolte. C e u x qui paient le tribut, aux termes de cet
engagement pris selon l'enseignement de Dieu, ont droit à la
protection du Prophète, des Califes et des croyants. Les
témoins de cet engagement sont Khâlid ben al-Waiïd,
c
A m r o u ben al-cAss, c A b d al-Rahmân ben c A w f et M o ' a w y a
ben Abï-Soufïâne.
U n engagement similaire fut pris par le m ê m e calife
c
U m a r vis-à-vis de la population de Lydda et de toute la
Palestine.
c
U m a r ben al-Khattâb, 581-644, deuxième calife de l'Islam,
Engagement après la prise de Jérusalem

149

[Recommandations du Calife cUmar ben al-Khattâb


(581-644) à son successeur :]
Je te recommande les Chrétiens et les Juifs (qui sont sous
ta protection) ; combats pour eux et ne les taxe pas au-
delà de leur capacité. Je te recommande enfin de ne per-
mettre ni à toi ni à quiconque d'opprimer ces non-Musul-
mans.
Cité par al-Djâhiz, 780 ?-869, Al-Bayân wal-Tabyîh

150

Les peuples à l'ombre desquels nous, peuple d'Israël,


sommes exilés et parmi lesquels nous s o m m e s dispersés,
croient, en vérité, à la création ex nihilo, à l'Exode, aux lois
fondamentales de la religion et tous leurs efforts, toute leur
pensée vont vers le Créateur d u ciel et de la terre ainsi que
l'ont écrit nos Prophètes (...) Cela étant, c o m m e il ne nous
93
VICAIRES A R M É S

est pas interdit d e les sauver, n o u s avons, a u contraire,


l'obligation d e prier (...) pour la prospérité et le succès d e
leur r o y a u m e et d e ses ministres p o u r tous les territoires sur
lesquels s'exerce leur suzeraineté. E t e n vérité, c o m m e l'a dit
M a ï m o n i d e , d'accord avec R a b b i J o s h u a , les croyants des
nations gentilles ont, e u x aussi, leur part d a n s le m o n d e à
venir.
Rabbi Moses Rivkes, Russie, Be'er Ha-Golah, 1661-1667

Doléances

Dans cette éclaircie et après de tels gages, il y a place pour la


persuasion qui a renoncé à l'exercice formel de la disputation
rationnelle. Mais si le ton en effet est à « l'humble remontrance », en
arrière-fond c'est déjà le début du procès de la force. La force —
son exercice même le montre — ne convainc pas, elle fait des martyrs.
Plus encore, elle défigure le message dont elle pense se faire l'ins-
trument. Conquête solitaire, la vérité se communique ; elle ne se dicte
pas.
Or, très souvent, ce que l'on tient pour vérité n'est que préjugé
d'ignorance, toujours prompt à dégénérer en passion. C'est du moins
le sens des doléances des vaincus qui, en d'autres temps, avaient montré
moins de rigueur. Dans le camp des vainqueurs, si quelque philosophe
se laissefléchir,d'autres penseurs se raidissent et le théologien se fait
sourd. Pour saint Augustin par exemple, « les souffrances » « des
adversaires de la vérité » « sont sans mérite ». Les « adversaires de la
vérité », ce sont les autres : vaincus de tous horizons, minoritaires,
esprits quelque peu libres. Hors de nous, tout ce qui n'est pas païen est
hérétique, l'un et l'autre justiciables, un jour ou l'autre, d'une force
multiforme.
De ces esprits réputés forts, un exemple pathétique, Sœur Juana
Inés de la Cruz : « il ne convient pas à la sainte ignorance d'étudier
ainsi ; elle va se perdre, s'évanouir, en montant si haut par l'effet même
de sa pénétration et de safinesse».
De cet interdit, Figaro dira plus tard tout haut les vraies
déterminations.
94

LA T O L É R A N C E

151

Très humble remontrance aux inquisiteurs d'Espagne


et de Portugal
U n e juive de dix-huit ans, brûlée à Lisbonne au dernier auto-
da-fé, donna occasion à ce petit ouvrage ; et je crois que c'est
le plus inutile qui ait jamais été écrit. Q u a n d il s'agit de
prouver des choses si claires, on est sûr de ne pas convaincre.
L'auteur déclare que, quoi qu'il soit Juif, il respecte la
religion chrétienne, et qu'il l'aime assez pour ôter aux
princes qui ne seront pas chrétiens u n prétexte plausible
pour la persécuter.
« V o u s vous plaignez, dit-il aux inquisiteurs, de ce que
l'empereur d u Japon fait brûler à petit feu tous les Chrétiens
qui sont dans ses Etats ; mais il vous répondra : N o u s vous
traitons, vous qui ne croyez pas c o m m e nous, c o m m e vous
traitez vous-mêmes ceux qui ne croient pas c o m m e vous,
vous ne pouvez vous plaindre que de votre faiblesse, qui vous
empêche de nous exterminer, et qui fait que nous vous
exterminions.
« Mais il faut avouer que vous êtes bien plus cruels que
cet empereur. V o u s nous faites mourir, nous qui ne croyons
que ce que vous croyez, parce que nous ne croyons pas tout
ce que vous croyez. N o u s suivons une religion que vous savez
vous-mêmes avoir été autrefois chérie de Dieu : nous pensons
que Dieu l'aime encore, et vous pensez qu'il ne l'aime plus ;
et parce que vous jugez ainsi, vous faites passer par le fer et
par le feu ceux qui sont dans cette erreur si pardonnable, de
croire que Dieu aime encore ce qu'il a aimé.
« Si vous êtes cruels à notre égard, vous l'êtes bien plus
à l'égard de nos enfants ; vous les faites brûler, parce qu'ils
suivent les inspirations que leur ont donnés ceux que la loi
naturelle et les lois de tous les peuples leur apprennent à
respecter c o m m e des dieux. (...)
« Q u a n d vous voulez nous faire venir à vous, nous vous
objectons une source dont vous vous faites gloire de descen-
dre. Vous nous répondez que votre religion est nouvelle,
mais qu'elle est divine ; et vous le prouvez parce qu'elle s'est
95
VICAIRES ARMÉS

accrue par la persécution des païens et par le sang de vos


martyrs ; mais aujourd'hui vous prenez le rôle des Dioclé-
tiens, et vous nous faites prendre le vôtre.
« N o u s vous conjurons, non par le Dieu puissant que
nous servons, vous et nous, mais par le Christ que vous nous
dites avoir pris la condition humaine pour vous proposer des
exemples que vous puissiez suivre; nous vous conjurons
d'agir avec nous c o m m e il agirait lui-même s'il était encore
sur la terre. V o u s voulez que nous soyons Chrétiens et vous
ne voulez pas l'être.
« Mais si vous ne voulez pas être Chrétiens, soyez au
moins des h o m m e s : traitez-nous c o m m e vous feriez si,
n'ayant que ces faibles lueurs de justice que la nature nous
donne, vous n'aviez point une religion pour vous conduire,
et une révélation pour vous éclairer.
« Si le Ciel vous a assez aimés pour vous faire voir la
vérité, il vous a fait une grande grâce; mais est-ce aux
enfants qui ont eu l'héritage de leur père, de haïr ceux qui ne
l'ont pas eu ?
« Q u e si vous avez cette vérité, ne nous la cachez pas par
la manière dont vous nous la proposez. L e caractère de la
vérité, c'est son triomphe sur les cœurs et les esprits, et non
pas cette impuissance que vous avouez lorsque vous voulez
la faire recevoir par des supplices.
« Si vous êtes raisonnables, vous ne devez pas nous faire
mourir parce que nous ne voulons pas vous tromper. Si votre
Christ est lefilsde Dieu, nous espérons qu'il nous récompen-
sera de n'avoir pas voulu profaner ses mystères ; et nous
croyons que le Dieu que nous servons, vous et nous, ne nous
punira pas de ce que nous avons souffert la mort pour une
religion qu'il nous a autrefois donnée, parce que nous
croyons qu'il nous l'a encore donnée. »
Montesquieu, France, De l'esprit des lois, 1748

152

O n trouve trop souvent des h o m m e s de fer qui paraphrasent


et profanent le terme de miséricorde ; ils ont la générosité de
96
LA TOLÉRANCE

chérir les humains à deux mille ans ou deux mille lieux de


distance ; leurs cœurs s'épanouissent en faveur des Ilotes et
des Nègres, tandis que le malheureux qu'ils rencontrent
obtient à peine d'eux u n regard de pitié. Et voilà à votre
porte les rejetons de ce peuple antique, des frères désolés à
la vue desquels on ne peut se défendre d'un déchirement de
cœur, qui, depuis quinze siècles, n'ont pas vu luire le
bonheur sur leur tête ; ils n'ont trouvé auprès d'eux que des
outrages et des tourments, dans leur â m e que des douleurs,
dans leurs yeux que des larmes (...) Tant qu'ils sont esclaves
de vos préjugés et victimes de votre haine, ne vantez pas
votre sensibilité.
Henri Grégoire, France, Essai sur la régénération physique,
morale et politique des Juifs, 1789

153
[En 1610, les derniers Espagnols musulmans sont expulsés d'Espagne
L'un d'eux, « Abdelkrim ben Aly Perez », parle ainsi :]

N o s ancêtres victorieux ont-ils jamais tenté d'extirper le


Christianisme d'Espagne quand ils avaient le pouvoir d e le
faire? N'ont-ils pas autorisé vos aïeux à pratiquer en toute
liberté leurs rites alors m ê m e qu'ils portaient leurs chaînes ?
N'est-ce pas l'injonction absolue de notre Prophète que toute
nation conquise par le fer m u s u l m a n soit autorisée, contre le
paiement d'un tribut annuel raisonnable, à poursuivre les
pratiques de sa confession quelle qu'elle soit ou d'embrasser
toute autre croyance librement choisie ? S'il y a eu des cas de
conversions forcées, ils sont si peu n o m b r e u x qu'ils méritent
à peine d'être mentionnés et ils sont le fait d ' h o m m e s qui ne
craignaient ni Dieu ni le Prophète et qui, agissant ainsi, ont
trahi les saintes ordonnances de l'Islam que quiconque digne
d u n o m de M u s u l m a n ne saurait violer sans se rendre
coupable de sacrilège. Quel exemple avez-vous dans votre
histoire d'un Chrétien, d'un Gentil ou d'un Juif molesté en
raison de ses croyances et ceci sur toute l'étendue des
territoires sous domination m u s u l m a n e depuis l'apparition
du Grand Prophète sur la terre jusqu'à cette heure?
97
VICAIRES A R M É S

V o u s ne pourriez jamais trouver parmi nous u n tribunal


officiel, assoiffé de sang, appelé à juger des problèmes de la
foi, qui par quelque aspect soit proche de votre exécrable
tribunal de l'Inquisition. N o s bras, il est vrai, sont toujours
ouverts pour accueillir tous ceux disposés à embrasser notre
religion; mais notre saint Livre [le Coran] nous interdit
d'exercer u n e tyrannie sur les consciences. N o s prosélytes
reçoivent tous les encouragements imaginables et une fois
profession faite par eux de l'unité de Dieu et de la mission de
son Prophète, ils deviennent des nôtres sans nulle réserve ; ils
prennent pour f e m m e nosfilleset sont employés à des postes
de confiance, d'honneur et bien rétribués. N o u s nous
bornons à les obliger à adopter nos coutumes, à présenter,
extérieurement, l'apparence de véritables croyants et ne nous
permettons jamais de nous ingérer dans leurs consciences
pourvu qu'ils ne profanent pas ouvertement notre religion ou
n'en médisent; s'ils font cela, en vérité, nous les punissons
c o m m e ils le méritent ; car ils se sont convertis librement sans
y être contraints.
Mahomet Rabadán, Cité par J. Morgan, en 1723-1725

154

C e u x qui nient l'existence d'une puissance divine ne doivent


être tolérés en aucune façon. L a parole, le contrat, le serment
d'un athée ne peuvent former quelque chose de stable et de
sacré, et cependant ils forment les liens de toute société
h u m a i n e ; a u point que la croyance en Dieu elle-même
supprimée, tout se dissout. D'ailleurs, nul ne peut revendi-
quer au n o m de la religion le privilège de la tolérance s'il
élimine complètement toute religion en professant
l'athéisme.
John Locke, Angleterre, Lettre sur la tolérance, 1690

155

N e te laisse pas émouvoir par les supplices et les châtiments


infligés aux malfaiteurs, aux sacrilèges, aux ennemis de la
98
LA TOLÉRANCE

paix, aux adversaires de la vérité. C e n'est pas en effet pour


la vérité que meurent ces sectaires ; ils meurent plutôt pour
empêcher q u ' o n annonce la vérité, qu'on prêche la vérité,
qu'on s'attache à la vérité; pour empêcher q u ' o n aime
l'unité, q u ' o n embrasse la charité et qu'on parvienne à
posséder l'éternité. Q u e leur cause est affreuse ! Aussi leurs
souffrances sont-elles sans mérite.
Saint Augustin, 354-430, Carthage, Sermons

156
Mais tout ceci ne s'applique q u ' à celui qui continue à se
réclamer du n o m d'Israël. Car quiconque continue à se récla-
m e r du n o m d'Israël en ne respectant plus ses obligations,
profane la religion [juive] et encourt une punition sévère car
il devient u n hérétique, tel un h o m m e sans religion.
Mais celui qui a abandonné complètement le judaïsme et
est devenu u n adepte d'une autre religion est considéré par
nous c o m m e u n adepte de cette religion à tous les égards,
sauf en ce qui concerne les lois d u mariage. Ainsi l'ont
ordonné m e s maîtres, eux aussi.
Rabbi Me'iri (nom provençal, D o n Vidal Solomon), 1249-1306,
Beit Ha-Behira

157
(...) Lire, et lire encore, étudier, étudier encore, sans autre
maître que les livres e u x - m ê m e s . O n sait combien il est dur
d'étudier dans ces caractères sans â m e , sans le secours de la
voix vivante et de l'explication d ' u n maître : eh bien, je
supportais avec plaisir toute cette peine, pour l'amour des
lettres. (...) Cependant, je tâchais de l'élever autant queje le
pouvais et de le diriger à son service [Dieu], car la fin où
j'aspirais était l'étude de la théologie; il m e semblait que
c'était chose bien indigne de ne pas savoir, étant catholique,
tout ce que, dans cette vie, on peut saisir des divins mystères
par les moyens naturels ; et que, vivant au couvent et non
dans le siècle, l'état ecclésiastique m e faisait u n devoir de
m'adonner aux lettres (...)
99
VICAIRES A R M É S

(...) O n peut imaginer (...) combien m e s pauvres


études ont d û naviguer contre le courant, ou plutôt c o m m e
elles ont fait naufrage (...) Jusqu'ici, il ne s'agissait q u e de
contretemps que le hasard fait naître, et qui ne le sont
qu'indirectement, mais il y en eut de positifs, qui, directe-
ment, ont tendu à empêcher et à interdire-mes exercices.
Qui ne croirait, m e voyant si généralement applaudie, que
j'ai navigué vent en poupe sur une m e r d'huile, portée
par les acclamations générales ? Dieu sait pourtant qu'il
n'en a guère été ainsi. Car entre les fleurs de ces m ê m e s
acclamations, se sont élevées, c o m m e autant de serpents,
tant de rivalités et de persécutions, que je ne saurai les
compter; ceux qui m ' o n t fait le plus mal, ceux qui m ' o n t
le plus touchée, ne sont pas cependant ceux qui m ' o n t pour-
suivie de leur haine déclarée et de leur malveillance, mais
bien plutôt ceux qui, tout en m ' a i m a n t et désirant m o n
bien (...) m ' o n t mortifiée et tourmentée plus q u e les
autres, avec leur : « il ne convient pas à la sainte ignorance
d'étudier ainsi; elle va se perdre, s'évanouir, en montant
si haut par l'effet m ê m e de sa pénétration et d e sa
finesse ».
(...) L a seule chose que j'ai désirée, c'est d'étudier pour
être moins ignorante (...) O ù donc est m a faute? (...) Si m a
faute est dans la Lettre athénagorique, celle-ci a-t-elle fait autre
chose que rapporter simplement m o n sentiment avec toute la
révérence queje dois à notre Sainte M è r e l'Eglise? M a i s si
Elle-même, avec Sa Très Sainte autorité, ne m e l'interdit
pas, pourquoi faut-il que d'autres m e l'interdisent? (...) Si
j'avais cru qu'elle dût être publiée, je ne l'aurais pas laissée
dans u n état si négligé. Si c o m m e le prétend le Censeur, elle
est hérétique, pourquoi ne la dénonce-t-il pas ? D e la sorte,
il serait vengé (...) Si elle est barbare (et il a raison de le
penser), qu'il rie donc, fût-ce d ' u n rire forcé; je ne lui
d e m a n d e pas d e m'applaudir; j'étais libre d'être d ' u n autre
sentiment que Vierra, n'importe qui le sera aussi bien de
s'écarter de m o n opinion.
Sœur Juana Inès de la Cruz, 1651-1695, Mexique,
Lettre autobiographique
100
LA TOLÉRANCE

158

Q u e je voudrais bien tenir u n de ces Puissants de quatre


jours, si légers sur le mal qu'ils ordonnent, quand une bonne
disgrâce a cuvé son orgueil ! je lui dirais (...) que les sottises
imprimées n'ont d'importance qu'aux lieux o ù l'on en gêne
le cours ; que sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge
flatteur ; et qu'il n'y a que les petits h o m m e s qui redoutent
les petits écrits. Las de nourrir un obscur pensionnaire, on
m e met un jour dans la rue; et c o m m e il faut dîner,
quoiqu'on ne soit plus en prison, je taille encore m a plume,
et d e m a n d e à chacun de quoi il est question : o n m e dit que,
pendant m a retraite économique, il s'est établi dans Madrid
un système de liberté sur la vente des productions, qui
s'étend m ê m e à celle de la presse ; et que, pourvu que je ne
parle en m e s écrits ni de l'autorité, ni du culte, ni de la
politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps
en crédit, ni de l'Opéra, ni des autres spectacles, ni de
personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer
librement, sous l'inspection de deux ou trois Censeurs. Pour
profiter de cette douce liberté, j'annonce un écrit périodique,
et croyant n'aller sur les brisées d'aucun autre, je le n o m m e
Journal inutile. Pou-ou ! je vois s'élever contre m o i mille
pauvres diables à la feuille ; on m e supprime ; et m e voilà
derechef sans emploi !
Beaumarchais, France, Le mariage de Figaro,
acte v, scène III, 1784

159

U n h o m m e né français et chrétien est fort embarrassé pour


écrire, les grands sujets lui étant interdits.
La Bruyère, France, Les caractères, 1688-1696

160

L'hérétique est celui qui préparera le feu


N o n celui qui sera brûlé.
Shakespeare, Angleterre, Le conte d'hiver, acte m , scène II, 1611
101
VICAIRES A R M É S

161

O n n'efface pas la vérité (ni d'ailleurs le mensonge).


Les murs ont la parole, Sorbonne, Paris, mai 1968

162

C e s défenseurs si ardents d e la vérité, ces adversaires d e


l'erreur, ceux qui souffrent le plus i m p a t i e m m e n t le schisme,
tous ceux-là n'expriment presque jamais le zèle dont ils sont
excités et enflammés pour leur Dieu, sauf lorsqu'ils ont avec
eux u n magistrat civil qui leur accorde ses faveurs. D è s qu'ils
ont obtenu l'appui d u magistrat et qu'ils sont devenus les
plus forts, aussitôt la paix et la charité chrétienne doivent
être violées.
John Locke, Angleterre, Lettre sur la tolérance, 1690

Le point de fait : « Dieu ou Mammon ? »

Il faut lever l'ambiguïté. En quelques lignes froides, coupantes,


Machiavel pose l'alternative et éclaire du coup un certain mode d'être
historique. Toute entreprise humaine, pour réussir, n'a le choix qu'entre
deux voies : la prière ou la force. La prière conduit à l'échec, souvent
la force mène au succès.
Après des balbutiements millénaires, ce texte dissipe toute
incertitude. Tout est affaire humaine et les affaires humaines visent le
pouvoir temporel. En une telle matière, les arguments matériels sont
seuls déterminants. Mais alors, que cherche-t-on par la fora, Dieu ou
bien le pouvoir? Ce point éclaira, les forces peuvent jouer, se mesurer
sans masque.
Le texte qu'on va lire sonne avant terme lafinde tout humanisme
dévot.

163

Si l'on veut bien entendre ce point, il faut considérer si ceux


qui cherchent choses nouvelles peuvent quelque chose d'eux-
102
LA T O L É R A N C E

m ê m e s o u s'ils d é p e n d e n t d'autrui; c'est-à-dire si, p o u r


m e n e r à bien leur entreprise, ils c o m p t e n t sur les prières o u
sur la force. D a n s le premier cas, ils finissent toujours m a l et
n e viennent à bout d e rien ; mais q u a n d ils n e dépendent q u e
d ' e u x et peuvent user d e la force, alors ce n'est q u ' à d e rares
fois qu'ils échouent. D e là vient q u e tous les prophètes bien
a r m é s furent vainqueurs et les désarmés déconfits.
Nicolas Machiavel, Italie, L e Prince, 1513

Sous les yeux d'Occident...

Dès lors, tout s'éclaire : le drame que vit l'humanité est un conflit de
pouvoirs temporels, tout entier inscrit entre la bonne et la fausse
conscience.
Au cœur de cette séquence, il se produit comme une cristallisation
des intérêts et des valeurs. C'est un certain Occident chrétien, dès lors
divisé, qui est ici à la fois sujet et objet de son histoire.
Une seule question devant ce déchaînement de violence, de
paralogismos, de sophismes, de mépris : qui est barbare, l'humaniste
authentique qui proteste au nom de l'humain et de l'universel, qu'il soit
blanc ou plus souvent de couleur, ou le forcené dit civilisé pour qui,
après chaque conquête, un Dieu particulier — provisoirement le plus
fort — reconnaîtra les siens ?
C'est id le tableau vivant de ce qui fut exécuté, espéré, pensé pour
l'entreprise coloniale — autrement dite croisade ou bonne parole —
avec en sourdine le non multiple des vaincus. La raison vraie — et
l'humain — sont évidemment absents ou de trop. L'accord ne va jamais
sans malentendu ni duplicité quand il implique l'extermination du
faible. Ici et là, on essaie d'intercéder, de réfléchir, de comprendre : les
écrasés sans raison, et quelques prélats, philosophes, fidèles encore à la
pureté du message ou au simple devoir d'humanité ; tous sont balayés
par le souffle de la violence où l'Occident conquérant détruit l'Autre
autant qu 'il se détruit lui-même.
« Est-ce ainsi, dira-t-on, qu'en a disposé le Christ? » Les dieux
se taisent toutes les fois que les hommes sont pris de la fièvre du pouvoir
et de la soif de l'or. Les m e a culpa, si pieux soient-ils, légalisent
toujours le fait accompli.
103
VICAIRES A R M É S

164

Notre m o n d e vient d'en trouver un autre (et qui nous répond


si c'est le dernier de ses frères, puisque les démons, les
sibylles et nous, avons ignoré celui-ci jusqu'à cette heure)
non moins grand, plein et m e m b r u que lui...
Montaigne, France, Essais, 1588

165

N e mettez aucun zèle, n'avancez aucun argument pour


convaincre les peuples de changer leurs rites, leurs
coutumes et leurs moeurs, à moins qu'ils ne soient évi-
d e m m e n t contraires à la religion et à la morale. Il est
absurde de transporter chez les Chinois la France, l'Espa-
gne, l'Italie ou quelque autre pays d'Europe. N'introduisez
pas chez eux nos pays, mais la foi (...) Il est pour ainsi dire
inscrit dans la nature des h o m m e s d'aimer, de mettre au-
dessus de tout au m o n d e les traditions de leur pays et ce pays
lui-même. Aussi n'y a-t-il pas de plus puissante cause
d'éloignement et de haine que d'apporter des changements
aux coutumes propres à une nation (...) Q u e sera-ce si,
les ayant abrogées, vous cherchez à mettre à la place les
m œ u r s de votre pays, introduites d u dehors? N e mettez
doncjamais en parallèle les usages de ces peuples avec ceux
de l'Europe. Bien au contraire, empressez-vous de vous y
habituer.
Instruction à l'usage des vicaires apostoliques en partance pour
les royaumes chinois du Tonkin et du Cambodge, 1659

166

À tous les fidèles Chrétiens qui liront les présentes,


nous adressons notre salut et notre bénédiction aposto-
lique.
Il est connu que, lorsqu'elle a assigné aux prédicateurs la
tâche de prêcher la foi, la Vérité m ê m e , qui ne peut se
tromper ni tromper, a dit : Allez et enseignez toutes les nations.
104
LA T O L É R A N C E

Elle a dit toutes sans aucune distinction, car toutes sont


aptes à recevoir l'enseignement de la foi. Voyant cela,
l'ennemi envieux d u genre humain, qui s'oppose toujours
aux actions des h o m m e s pour les faire échouer, a imaginé
un moyen jusqu'ici inconnu d'empêcher que la parole de
Dieu ne fût prêchée aux nations pour leur salut : il a poussé
certains de ses suppôts, m u s par le désir d'assouvir leur
cupidité, à opprimer c o m m e des bêtes brutes assujetties à
leur pouvoir les Indiens occidentaux et méridionaux ainsi
que d'autres peuples dont l'existence est parvenue récem-
ment à notre connaissance, sous prétexte qu'ils ignoraient la
foi catholique. E n conséquence, nous qui exerçons sur la
terre, bien que nous n'en soyons pas digne, les fonctions de
vicaire de Notre-Seigneur et qui n'épargnons aucun effort
pour amener à son bercail celles des brebis de son trou-
peau, confiées à notre garde, qui se trouvent hors de ce
bercail, constatant que ces m ê m e s Indiens, en leur qualité
d ' h o m m e s véritables, non seulement sont aptes à accéder à
la foi chrétienne, mais encore, ainsi qu'il a été porté à
notre connaissance, se précipitent vers cette foi, et voulant
leur apporter les remèdes appropriés — en vertu de notre
autorité apostolique, nonobstant nos lettres précédentes
et toutes dispositions contraires, décrétons et proclamons ce
qui suit :
Lesdits Indiens et tous les autres peuples dont l'existence
parviendra ultérieurement à la connaissance des Chrétiens,
m ê m e s'ils sont hors de la foi, ne sont pas, et ne doivent pas
être privés de leur liberté et de la possession de leurs biens ;
au contraire, ils peuvent librement et licitement user et jouir
de telle liberté et possession et ne doivent pas être réduits en
servitude; tout ce qui pourrait s'écarter de ce principe sera
considéré c o m m e nul et non avenu, et il conviendra d'inciter
ces Indiens ainsi que les autres peuples à embrasser ladite foi
chrétienne en leur prêchant la parole de Dieu et en leur
donnant l'exemple d'une vie vertueuse.
Fait à R o m e , l'an M D X X X V I I , le I V e jour avant les
nones de juin, l'an IIIe de notre pontificat.
Bulle du pape Paul III, 1537
105
VICAIRES A R M É S

167
Harangue des ambassadeurs de Pizarra à Vinca

Fernand Pizarro, voyant le peuple apaisé, ordonna à Fer-


nand de Soto de parler, afin q u ' o n ne perdît plus de temps.
Il lui dit de s'acquitter promptement de son ambassade, car
il valait mieux retourner dormir avec les leurs, et ne pas se
fier à des infidèles qui, quelques cadeaux qu'ils leur fissent,
avaient peut-être dessein justement de les mettre en
confiance pour les prendre au dépourvu. Fernand de Soto se
leva alors et, après avoir salué à l'espagnole, c'est-à-dire en
se découvrant avec une grande révérence, se rassit pour
prononcer ce qui suit :
« Inca Sérénissime ! Sachez qu'il y a au m o n d e deux
princes puissants sur tous les autres. L ' u n est le souverain
Pontife qui tient la place de Dieu ; celui-ci administre et
gouverne tous ceux qui observent la loi divine et il enseigne
sa parole divine. L'autre est l'Empereur des Romains,
Charles Quint, Roi d'Espagne. Ces deux monarques, voyant
l'aveuglement des naturels de ces pays-ci, par lequel,
méprisant le vrai Dieu, créateur d u ciel et de la terre, ils
adorent ses créatures et le m ê m e D é m o n qui les égare, ont
envoyé notre gouverneur et capitaine général d o n Francisco
Pizarro et ses compagnons, outre plusieurs prêtres, ministres
de Dieu, qui doivent enseigner à Votre Altesse et à tous vos
vassaux cette divine vérité et sa loi sainte, chose pour
laquelle ils sont venus dans ce pays. Ayant éprouvé durant
la route la libéralité de votre m a i n royale, ils sont entrés hier
à Cassamarca et nous envoient aujourd'hui à Votre Altesse
pour que nous jetions les premières bases de la concorde,
alliance et paix perpétuelle qui doit exister entre nous, et
pour que, en nous recevant sous Sa sauvegarde, elle permette
que nous Lui fassions entendre la Loi divine et que tous les
Siens l'apprennent et la reçoivent, car aussi bien à Votre
Altesse q u ' à tous ceux-ci, elle procurera le plus grand
honneur, avantage et profit. »
Garcilaso de la Vega (dit l'Inca),
1539P-1617, Pérou
106
LA T O L É R A N C E

168

Et maintenant, allons-nous
Détruire
Nos anciens modes de vie ?
Ceux des Chichimèques,
Des Toltèques,
Des Acolhuas,
Des Tépanèques ?
Nous savons
Qui dispense la vie ;
Qui perpétue l'espèce ;
Qui permet la procréation ;
Qui rend possible la croissance ;
Nous connaissons la forme des invocations,
Nous savons comment il faut prier.
Ecoutez-nous, ô Seigneurs,
N e faites rien
À notre peuple
Qui appelle sur lui la malédiction,
Qui puisse provoquer sa perte (...)
Avec calme et bonté
Considérez, ô Seigneurs,
C e qui vaut le mieux.
Nous ne pouvons vivre tranquilles,
Et pourtant nous ne sommes certes pas croyants ;
C e que vous prêchez n'est pas pour nous la vérité,
M ê m e si ceci vous offense.
Vous êtes
Ô Seigneurs, ceux qui dirigent,
Ceux qui soutiennent, ceux qui se donnent
A u monde entier.
N'est-ce donc pas assez que nous ayons déjà tout perdu,
Q u e notre m o d e de vie nous ait été enlevé,
Qu'il ait été détruit?
Si nous restions en ce lieu,
Nous pourrions être faits prisonniers.
Faites de nous
107
VICAIRES A R M É S

C e qu'il vous plaira.


C'est tout ce que nous répondons,
Tout ce que nous répliquons
À votre choix,
À vos paroles,
A vous qui êtes nos maîtres !
Réponses des sages Aztèques aux douze missionnaires,
1524, Mexique

169

(...) Dès le début de la découverte des Indes, un grand


aveuglement s'est emparé de l'entendement des m e m b r e s du
Conseil Royal en cette matière. Car quoi de plus absurde que
de considérer c o m m e coupables de refuser la foi des gens qui
jusqu'alors s'étaient imaginés être seuls au m o n d e , qui ne
savaient en aucune manière ce qu'était la foi, ce que
pouvaient être les Chrétiens (sinon des h o m m e s mauvais,
cruels, qui les volaient et qui les tuaient), alors qu'aucun
d'entre eux ne connaissait notre langage pas plus que nous
ne connaissions le leur ? Et que veulent dire ces m e m b r e s du
Conseil quand ils prétendent que ces Indiens avaient été
requis à maintes reprises de devenir Chrétiens et d'entrer
dans la c o m m u n i o n desfidèles? M ê m e s'ils connaissaient un
peu notre langue, était-ce leur dire une chose toute simple,
c o m m e par exemple deux et deux font quatre? Et m ê m e s'ils
étaient capables de comprendre le sens de ces sommations,
est-ce qu'ils étaient obligés d'y accéder aussitôt sans raison-
nement, sans réflexion ni délibération? Et se trouvaient-ils
passibles de punition par le simple fait de ne pas adhérer sur-
le-champ à la foi chrétienne ?
Est-ce ainsi que l'on doit proposer la foi à des gens qui
n'en ont jamais entendu parler? Et si m ê m e on les requiert
un milliard de fois et qu'ils se refusent à la recevoir, a-t-on
le droit de leur infliger des punitions? Est-ce ainsi qu'en a
disposé le Christ, lui qui est le dispensateur de la foi ? Est-ce
qu'aucune nation au m o n d e peut être obligée d'accorder
crédit à ceux qui l'envahissent, les armes à la main, tuant
108
LA TOLÉRANCE

ceux qui vivaient jusqu'alors en sécurité et dont ils n'avaient


jamais reçu nulle offense, c o m m e l'ont fait dès l'abord les
Espagnols? (...) Etait-ce donc u n crime pour ces gens de
chercher à se défendre contre les Espagnols dont ils rece-
vaient tant de m a u x , alors que m ê m e des bêtes brutes ont le
droit de défendre leur vie ? N'est-il donc pas manifestement
faux de prétendre qu'ils se défendaient uniquement pour ne
pas recevoir l'enseignement des choses de la foi, alors qu'ils
ne savaient m ê m e pas de quoi il était question ?
Bartolomé de Las Casas, 1474-1566, Espagne

170

Réponse de Vinca Atahualpa aux ambassadeurs de Pizarra

(...) Je dis ceci, h o m m e de Dieu, parce que je ne laisse pas


de comprendre que vos paroles signifient autre chose que
votre héraut m ' a dit, l'objet m ê m e de l'ambassade le
requiert, et alors qu'il s'agit de paix, d'amitié, de fraternité
perpétuelle et d'étroite alliance ainsi que m e l'exprimèrent
les autres messagers qui sont venus m e trouver, tout ce que
m ' a dit cet indien rend u n son tout contraire ; car, selon lui,
tu nous menaces de guerre, de mort par le feu et le fer et il
déclare que tu vas chasser, détruire les Incas et leur race, et
que, de gré ou de force, je dois renoncer à m o n trône pour m e
faire vassal et tributaire d ' u n autre. D e deux choses l'une, ou
votre prince et vous tous êtes des tyrans qui allez semant la
destruction par le m o n d e , usurpant les trônes, tuant et volant
ceux qui ne vous ont point fait injure et ne vous doivent rien,
ou vous êtes ministre d u Dieu que nous appelons, nous,
Pacha C a m a c , qui vous a choisis pour nous châtier et nous
détruire. S'il en est ainsi, m e s vassaux et m o i nous nous
offrons à la mort et à tout ce que vous pourrez désirer de
nous ; n o n que nous ayons peur de vos armes et de vos
menaces, mais pour accomplir ce que m o n père Huaina
C a m a c nous a enjoint à l'heure de sa mort : de servir et
honorer une race barbue c o m m e vous l'êtes qui devait venir
après son trépas ; il avait entendu dire, des années aupara-
109
VICAIRES A R M É S

vant, qu'ils erraient sur les bords de son Empire. Il nous dit
que ce devait être des h o m m e s de meilleure loi et meilleures
coutumes, plus sages, plus valeureux que nous. C'est
pourquoi, en accomplissement du décret et testament de
m o n père, nous vous avons appelés « viracoches » pour
signifier que vous êtes messagers d u grand Dieu Viracoche,
dont la volonté et la juste indignation, les armes et la
puissance sont irrésistibles. Mais ce Dieu connaît aussi la
pitié et la miséricorde. Pour autant, vous devez agir en
messagers et ministres divins, et ne point permettre que
continuent meurtres, pillages et cruautés c o m m e il s'en est
produit dans T u m p i z et ailleurs.
Outre cela, votre héraut m ' a dit que vous m e proposiez
à connaître cinq Etres remarquables. L e premier est le Dieu
trois et un, qui fut quatre, que vous appelez créateur de
l'univers ; il se trouve que c'est le m ê m e que nous appelons,
nous, Pacha C a m a c et Viracoche. L e second est celui que
vous dites père de tous les autres h o m m e s , en qui tous ceux-
ci ont entassé leurs péchés. Le troisième, vous l'appelez Jésus
Christ, qui, seul entre tous, n'a pas rejeté ses péchés sur ce
premier h o m m e , mais qu'on a tué. L e quatrième, vous
l'appelez le pape. L e cinquième est Charles que, sans faire
entrer les autres en ligne de compte, vous appelez tout
puissant, monarque de l'univers et supérieur à tous. E h bien,
si ce Charles est prince et seigneur d u m o n d e entier, quel
besoin avait-il que le pape lui accordât une nouvelle
concession et donation, pour m e faire la guerre et usurper
m o n trône? Et s'il en avait besoin, c'est donc que le pape est
plus grand seigneur qu'il ne l'est lui-même et vraiment le
plus puissant, et le prince de l'univers. Je m'étonne aussi que
vous m e disiez que je suis obligé de payer tribut à Charles,
et non aux autres, car vous ne m e donnez aucune raison pour
ce tribut, et je ne m e trouve point obligé à y souscrire en
aucune façon. Parce que, si par droit il m e fallait payer tribut
et servir, il m e semble que tribut et service seraient dus à ce
Dieu dont tu dis qu'il nous créa tous et à ce premier h o m m e
qui fut père de tous les h o m m e s , et à ce Jésus Christ qui n'a
jamais commis de péché; finalement, au pape, qui peut
110
LA T O L É R A N C E

donner et concéder à d'autres m o n trône et m a personne.


Mais si tu dis queje ne dois rien à tous ceux-là, encore moins
dois-je à Charles, qui n'a jamais été Seigneur de ces régions,
et ne les vit jamais. Et si, outre cette concession, il a quelque
droit sur m o i , il serait juste et raisonnable que vous m e
l'exposiez avant de m e menacer de guerre, feu, sang et mort,
pour que je puisse obéir à la volonté d u pape, car je ne suis
pas si court d'entendement queje ne sache obéir à qui peut
c o m m a n d e r par raison, justice et droit.
Outre cela, je désire savoir, de cet excellent être Jésus
Christ, qui n'a jamais accumulé ses péchés, et dont tu dis
qu'il est mort, s'il est mort de maladie, ou par la main de ses
ennemis ; s'il fut placé parmi les dieux avant sa mort ou
après. Je désire savoir aussi si vous tenez pour des dieux ces
cinq dont vous m'avez parlé car vous les honorez grande-
m e n t ; s'il en est ainsi, vous avez plus de dieux que nous;
nous n'adorons que le Pacha C a m a c , Dieu suprême, et le
Soleil, son subordonné, et la Lune, sa sœur et son épouse.
Pour tout cela, je m e réjouirais extrêmement que vous m e
donniez à entendre ces choses par u n meilleur interprète,
afin que j'en prenne connaissance et que j'obéisse à votre
volonté.
Garcilaso de la Vega (dit l'Inca), 1539?-1617, Pérou

171

Je conclus de tout ceci que la conscience d ' u n Païen l'oblige


à honorer ses faux dieux ; à peine, s'il en médit, s'il vole leurs
temples, etc., de tomber dans le blasphème et dans le
sacrilège; non moins q u ' u n Chrétien, qui médit de Dieu et
vole les Eglises.
Pierre Bayle, 1647-1706, France

172

Cette nation porte sur le visage une malédiction temporelle,


et est héritière de C h a m (...) N e vous étonnez donc plus,
Ill
VICAIRES A R M É S

pauvres Nègres, si vous êtes nés à la servitude, et si votre


ligne sera esclave jusqu'au jour du Jugement; c'est pour
punir l'ingratitude de votre père, c'est pour apprendre la
piété à toutes les Nations.
Maurile de Saint-Michel, France,
Voyage des Iles, Camercanes, 1653

173

H o m m e s , arrêtez-vous et écoutez m e s recommandations.


Apprenez-les de moi. N e trompez pas, n'allez pas au-delà de
votre pouvoir, ne trahissez pas, ne torturez pas, ne tuez pas
les enfants, les vieillards ni les femmes, n'étêtez pas les
palmiers et ne les brûlez pas, n'arrachez pas d'arbres
fruitiers, n'égorgez moutons, vaches ou chameaux que pour
votre nourriture. V o u s rencontrerez des gens voués à la foi
dans les couvents, laissez-les accomplir ce à quoi ils se
consacrent.
Calife Abu Bakr, 570P-634?
Recommandations aux armées de 'Asâma

Sous l'œil des Barbares

174

O n rougit de rappeler pour quels motifs honteux ou frivoles


les princes chrétiens font prendre les armes aux peuples.
L ' u n a prouvé ou simulé quelque droit suranné, c o m m e s'il
importait beaucoup que tel o u tel prince gouvernât l'État,
pourvu que les intérêts publics fussent bien administrés. U n
autre prend pour prétexte u n point omis dans u n traité de
cent chapitres. Celui-ci a u n ressentiment contre celui-là au
sujet d'une fiancée refusée o u enlevée ou de quelque raillerie
un peu trop libre ; et, le comble de l'infamie, c'est qu'il y a
des princes qui, sentant leur autorité faiblir par suite d'une
paix trop longue et de l'union de leurs sujets, s'entendent en
112
LA T O L É R A N C E

secret, de façon diabolique, avec les autres princes qui,


lorsque le prétexte est trouvé, provoquent la guerre, afin de
tout diviser par la discorde de ceux qui vivaient étroitement
unis et de dépouiller le malheureux peuple, grâce à cette
autorité sans frein que donne la guerre.
Erasme de Rotterdam, Querela pads undique gentium ejectae
profligataeque, 1515

175

Hourrah ! A u n o m d u peuple nous nous entr'exterminerons


jusqu'au dernier.
Karel Capek, 1890-1938, Écrivain tchèque

176

Apprenez donc, villes libres, apprenez par notre d o m m a g e ,


à vous gouverner dorénavant d'autre façon, et ne vous laissez
plus enchevêtrer, c o m m e nous avons fait, par les charmes et
enchantements des prêcheurs, corrompus de l'argent et de
l'espérance que leur donnent les princes, qui n'aspirent qu'à
vous engager et rendre si faibles et si souples qu'ils puissent
jouir de vous et de vos biens et de votre liberté, à leur plaisir !
Car ce qu'ils vous font entendre de la religion n'est qu'un
masque dont ils amusent les simples c o m m e les renards
amusent les pies de leurs longues queues, pour les attraper
et manger à leur aise. E n vîtes-vous jamais d'autres, de ceux
qui ont aspiré à la domination tyrannique sur le peuple, qui
n'aient toujours pris quelque titre spécieux de bien public ou
de religion? Et toutefois, quand il a été question de faire
quelque accord, toujours leur intérêt particulier a marché
devant et ont laissé le bien d u peuple en arrière, c o m m e
chose qui ne les touchait point; ou bien, s'ils ont été
victorieux, leurfina toujours été de subjuguer et mâtiner le
peuple, duquel ils étaient aidés à parvenir au-dessus de leurs
désirs.
Satire Ménipée (pamphlet politique dirigé contre la Ligue),
1594, France
113
VICAIRES A R M É S

177

Pendant que les orfèvres de M o n t e z u m a défaisaient les


bijoux et les mettaient en tas — il y avait trois tas — u n bon
tiers de l'or disparut, pris en cachette et dissimulé tantôt par
Cortés, tantôt par ses capitaines ou on ne savait qui. Après
bien des discussions, on avait pesé ce qui restait, qui fut
évalué à six cent mille pesos, disques et bijoux non compris.
Et je vais dire c o m m e n t tout fut réparti. D'abord, on préleva
le quint royal. Ensuite Cortés d e m a n d a qu'on prélève une
autre quinte pour lui ainsi qu'il avait été dit quand nous
l'avions n o m m é capitaine général. Après cela, il dit q u e l'on
devait enlever d u tas une certaine part en compensation des
frais qu'il avait eus à C u b a , pour laflotte.Puis une autre part
pour les dépenses que Diego Velasquez avait faites pour
l'achat des navires échoués. Et encore après la part des
procureurs partis en Castille. Et en plus, pour les soixante-
dix h o m m e s demeurés à la Villa Rica. Et pour le cheval qui
leur était mort, et pour la jument de Juan Sedeña, tué à
Tlascala. Et pour le Père de la Merci et pour le clerc Juan
Diaz et pour les capitaines et pour ceux qui avaient des
chevaux, et méritaient double part. Et pour les escopettiers
et les arbalétriers et autres parasites. Tant et si bien qu'il
resta très peu à partager. Si peu que de nombreux soldats
n'acceptèrent pas de recevoir ce qui leur revenait. C e qui fait
que Cortès garda tout.
Bernai Diaz del Castillo, 1495-1582,
L'histoire véridique de la conquête de la Nouvelle Espagne

178

C'est u n très grand scandale et u n tort grave porté à notre


sainte religion que de voir, dans ces nouvelles chrétientés des
évêques, des religieux, des clercs qui s'enrichissent alors que
les nouveaux convertis vivent dans une pauvreté extrême,
incroyable, et q u ' u n grand n o m b r e d'entre eux meurent
chaque jour misérablement d u fait de l'oppression, de la
faim, d u froid, d ' u n travail excessif. Pour ce motif, je supplie
114
LA T O L É R A N C E

humblement Votre Béatitude de déclarer que les ministres


de Dieu sont obligés, par la loi naturelle et divine, de
restituer tout l'or, l'argent, les pierres précieuses qui sont
venues en leur possession, car ils les ont pris à des h o m m e s
qui souffraient une extrême nécessité et continuent à vivre
misérablement — h o m m e s envers lesquels ils sont
contraints, par la loi divine et naturelle, à se dépouiller, s'il
le faut, de leurs biens propres.
Bartolomé de Las Casas, 1474-1566, Lettre à S.S. Pie V

179

Des deux les plus puissants monarques de ce monde-là, et,


à l'aventure, de cettui-ci, rois de tant de rois, les derniers
qu'ils en chassèrent, celui d u Pérou, ayant été pris en une
bataille et mis à une rançon si excessive qu'elle surpasse
toute créance, et celle-là, fidèlement payée, et avoir donné
par sa conversation signe d ' u n courage franc, libéral et
constant, et d ' u n entendement net et bien composé, il prit
envie aux vainqueurs, après en avoir tiré u n million trois cent
vingt-cinq mille cinq cents pesants d'or, outre l'argent et
autres choses qui ne montèrent pas moins, si que leurs
chevaux n'allaient plus ferrés que d'or massif, de voir encore,
au prix de quelque déloyauté que ce fût, quel pouvait être le
reste des trésors de ce roi et jouir librement de ce qu'il avait
réservé. O n lui aposta une fausse accusation et preuve, qu'il
desseignait de faire soulever ses provinces pour se remettre
en liberté. Sur quoi, par beau jugement de ceux m ê m e s qui
lui avaient dressé cette trahison, on le c o n d a m n a à être
pendu et étranglé publiquement, lui ayant fait racheter le
tourment d'être brûlé tout vif par le baptême q u ' o n lui donna
au supplice m ê m e . Accident horrible et inouï, qu'il souffrit
pourtant sans se démentir ni de contenance, ni de parole,
d'une forme et gravité vraiment royale. Et puis, pour
endormir les peuples étonnés et transis de chose si étrange,
on contrefit u n grand deuil de sa mort, et lui ordonna-t-on
des somptueuses funérailles.
Montaigne, France, Essais, 1598
115
VICAIRES A R M É S

180

Guerre civile : Contentez-vous de tirer sur eux ! L e côté des


canons est le côté légal.
Karel Capek, 1890-1938, Écrivain tchèque

181

Les Nègres d'Angola sont ordinairement plus estimés q u e


ceux des autres pays. J'avoue que la condition des esclaves
est extrêmement rude, et qu'il est infiniment sensible à ces
pauvres gens de se voir vendus, souvent par leurs pères, et
par leurs seigneurs à des étrangers qui les transportent où
bon leur semble, et qui les laissent en des pays où on s'en sert
c o m m e de bêtes de charge : mais toutes ces disgrâces leur
sont occasion d ' u n bonheur inestimable, puisque dans leur
esclavage ils jouissent de la liberté des enfants de Dieu. U n
jeune Nègre nous disait une fois à ce propos dans l'Ile de la
Martinique, « qu'il préférait sa captivité à la liberté qu'il
aurait eue en son pays, parce que s'il fût demeuré libre, il
serait esclave de Satan, au lieu qu'étant esclave des Français
il avait été fait enfant de Dieu ». Ils ne sont pas tous si
spirituels ni si clairvoyants.
Pierre Pelleprat, France,
Relation des missions des Pères de la Compagnie de Jésus, 1655

182
De l'esclavage des nègres

Si j'avais à soutenir le droit que nous avons à rendre les


nègres esclaves, voici ce que je dirais :
Les peuples d ' E u r o p e ayant exterminé ceux de l'Améri-
que, ils ont d û mettre en esclavage ceux de l'Afrique, pour
s'en servir à défricher tant de terres.
L e sucre serait trop cher, si l'on ne faisait travailler la
plante qui le produit par des esclaves.
C e u x dont il s'agit sont noirs depuis les pieds jusqu'à la
tête ; ils ont le nez si écrasé qu'il est presque impossible de
les plaindre.
116
LA TOLÉRANCE

O n ne peut se mettre dans l'idée que Dieu, qui est u n être


très sage, ait mis une â m e , surtout une â m e bonne, dans u n
corps tout noir.
Il est si naturel de penser que c'est la couleur qui
constitue l'essence de l'humanité, que les peuples d'Asie qui
font des eunuques, privent toujours les noirs d u rapport
qu'ils ont avec nous d ' u n e façon plus marquée.
O n peut juger de la couleur de la peau par celle des
cheveux, qui, chez les Egyptiens, les meilleurs philosophes
d u m o n d e , étaient d'une si grande conséquence, qu'ils
faisaient mourir tous les h o m m e s roux qui leur tombaient
entre les mains.
U n e preuve que les nègres n'ont pas le sens c o m m u n ,
c'est qu'ils font plus de cas d ' u n collier de verre que de l'or,
qui, chez des nations policées, est d ' u n e si grande
conséquence.
Il est impossible q u e nous supposions que ces gens-là
soient des h o m m e s ; parce que, si nous les supposions des
h o m m e s , on commencerait à croire que nous ne s o m m e s pas
nous-mêmes Chrétiens.
D e petits esprits exagèrent trop l'injustice que l'on fait
aux Africains. Car, si elle était telle qu'ils le disent, ne serait-
il pas venu dans la tête des princes d'Europe, qui font entre
eux tant de conventions inutiles, d'en faire une générale en
faveur de la miséricorde et de la pitié ?
Montesquieu, France, D e l'esprit des lois, 1748

183

Tous deux, les partis combattants, lisent la m ê m e Bible et


prient le m ê m e Dieu et chacun d'eux invoque son aide contre
l'autre. Il peut paraître étrange q u ' u n h o m m e d e m a n d e
l'assistance d ' u n Dieu juste afin de se procurer d u pain grâce
à la sueur d u front d ' u n autre h o m m e , mais ne jugeons pas
de peur d'être jugés.
La prière des deux partis ne pouvait être exaucée, à la
fois, et la prière d'aucun eux ne fut entièrement exaucée. L e
Très-Haut avait son dessein. Malheur au m o n d e à cause de
117
VICAIRES A R M É S

ses fautes, car il peut être nécessaire que les scandales


arrivent, mais malheur à celui qui s'en rend coupable (...)
N o u s autres, espérons fermement que ce terriblefléaude
la guerre cessera bientôt ; implorons-le avec ferveur : toute-
fois, si Dieu voulait qu'il continuât à sévir jusqu'à ce que
fussent consumées toutes les richesses accumulées par les
esclaves en deux cent cinquante ans de fatigues sans
récompenses et jusqu'à ce que chaque goutte de sang versée
sous le fouet fût compensée par une autre répandue par
l'épée, selon ce qui a été écrit il y a trois mille ans, on devrait
encore dire que les jugements de Dieu sont entièrement vrais
et justes.
Abraham Lincoln, 1809-1865,
président des Etats-Unis d'Amérique, Discours

184
Octavio remedio

Le huitième remède queje propose, c'est que Votre Majesté


ordonne par une Loi et Constitution inviolable que tous les
Indiens des Indes soient incorporés à la Couronne royale et
ne puissent jamais être aliénés ni « donnés en c o m m a n d e ».
Quel est l'insensé qui (...) a pu imaginer une invention
aussi hypocrite, aussi condamnable et néfaste, dissimuler
sous d e beaux semblants cette tyrannie impérieuse et cruelle
qu'est la convoitise de l'or et, afin de satisfaire ceux qui en
sont possédés, leur donner le droit d'enseigner la foi (eux qui
ne la connaissent pas pour leur propre compte !) ; leur livrer
à cet effet des innocents dont ils suceront avec le sang, toutes
les richesses ? N'est-ce pas, c o m m e si l'on confiait le soin des
brebis à des loups affamés ?
(...) Vraiment, on leur a vendu la foi à un prix exorbitant,
alors qu'il fallait la leur donner puisque le Christ nous a
m a n d é de donner gratuitement ce que nous avons reçu
gratuitement.
Et il est stupéfiant que ceux qui reçoivent ainsi « en c o m -
m a n d e » ces Indiens soient assez aveuglés pour ne pas voir
qu'en m ê m e temps leur est imposée la terrible obligation d'en-
118
LA T O L É R A N C E

seigner à ces Indiens la doctrine chrétienne, ce dont ils sont


bien incapables, car leur seul souci, c'est de devenir riches (...)
C e procédé est donc tout à fait hypocrite, et Dieu qui voit tout
ne peut être trompé et sait qu'il n'aboutit pas à autre chose
qu'à donner en esclavage des Indiens aux Chrétiens.
(...) Q u i pourrait approuver que l'on condamne ainsi à
mort u n m o n d e entier sans qu'il y ait faute de sa part, sans
qu'il puisse faire entendre sa voix ni se défendre ?
(...) C e serait agir contre le précepte exprès d u Christ, au
grand préjudice de la foi, et amener la totale destruction de
la majeure partie d u genre humain.
Bartolomé de Las Casas, 1474-1566, Espagne

185

U n e autre fois, ils mirent brûler pour u n coup, en m ê m e feu,


quatre cent soixante h o m m e s tout vifs, les quatre cents d u
c o m m u n peuple, les soixante des principaux seigneurs d'une
province, prisonniers de guerre simplement. N o u s tenons
d'eux-mêmes ces narrations car ils ne les avouent pas
seulement, ils s'en vantent et les prêchent. Serait-ce pour
témoignage de leur justice? ou zèle envers la religion?
Certes, ce sont voies trop diverses et ennemies d'une si sainte
fin. S'ils se fussent proposé d'étendre notre foi, ils eussent
considéré que ce n'est pas en possession de terres qu'elle
s'amplifie, mais en possession d ' h o m m e s , et se fussent trop
contentés des meurtres que la nécessité de la guerre apporte,
sans y mêler indifféremment une boucherie, c o m m e sur des
bêtes sauvages, universelle, autant que le fer et le feu y ont
pu atteindre, n'en ayant conservé par leur dessein qu'autant
qu'ils en ont voulu faire de misérables esclaves pour
l'ouvrage et service de leurs minières.
Montaigne, France, Essais, 1588

186

Conformément aux dispositions relatives à la liberté des


Indiens : nous voulons et ordonnons qu'aucun « adelan-
119
VICAIRES A R M É S

tado », gouverneur, capitaine ou alcade, ni aucune autre


personne, quels que soient son état, son rang, son office ou
sa qualité en temps de paix c o m m e en temps de guerre,
m ê m e si cette guerre est juste et qu'elle ait été ordonnée par
Nous ou par quelqu'un à qui N o u s avons conféré ce pouvoir,
n'ose mettre en captivité des Indiens originaires de nos
Indes, îles et terre ferme de la mer Océane, découvertes ou
à découvrir, ou les réduire en esclavage — m ê m e s'ils sont
natifs d'îles ou de terres auxquelles Nous, ou quelqu'un à qui
N o u s avons conféré ou conférons ce pouvoir, avons déclaré
qu'il est permis de faire justement la guerre — o u les tuer,
les faire prisonniers ou les mettre en captivité, sauf dans les
cas ou dans les pays où cela serait permis et prévu par les lois
figurant dans le présent Titre, car Nous révoquons et
suspendons toutes les autorisations et déclarations antérieu-
res qui ne seraient pas reproduites dans les présentes lois, et
toutes celles qui pourraient être données o u faites par
d'autres que N o u s et sans mention expresse de la présente
loi, pour tout ce qui touche à la mise en captivité et en
esclavage des Indiens dans u n e guerre, m ê m e si cette guerre
est juste et qu'ils l'aient provoquée ou la provoquent, et au
rachat de ceux que d'autres Indiens auraient faits prison-
niers au cours des guerres qu'ils se livrent entre eux. Nous
décidons également qu'en temps de guerre c o m m e en temps
de paix, nul ne pourra prendre, capturer, faire travailler,
vendre o u échanger u n Indien à titre d'esclave, ni le
considérer c o m m e tel sous prétexte qu'il l'a fait captif lors
d'une guerre juste, ou qu'il l'a acheté, racheté ou acquis par
troc o u par échange, ou sous tout autre prétexte ou pour
toute autre raison, m ê m e si cet Indien fait partie de ceux que
les indigènes eux-mêmes ont considéré, considèrent ou
pourraient considérer chez eux c o m m e esclaves ; au cas où
l'on découvrirait qu'une personne a mis u n Indien en
captivité ou en esclavage, cette personne serait condamnée à
la confiscation de tous ses biens, qui seraient adjugés à notre
Trésor, et l'Indien serait ensuite rendu et restitué à ses
propres terres et à son pays, et à la pleine jouissance de sa
liberté naturelle, aux frais d e la personne qui l'aurait ainsi
120
LA T O L É R A N C E

mis en captivité ou en esclavage. Et nous ordonnons à nos


juges de faire preuve d'une diligence particulière dans leurs
enquêtes et d e châtier les coupables avec la plus grande
rigueur, conformément à la présente loi, sous peine d'être
dépouillés d e leurs charges et d e devoir verser cent mille
maravedís à notre Trésor s'ils contrevenaient à la loi o u
négligeaient de la faire appliquer.
Décrets de l'empereur Charles Quint,
promulgués entre 1526 et 1548, Espagne

187
[Un capitaine catholique fait son examen de conscience :]

Voilà, m e s compagnons qui lirez m a vie, lafindes guerres


où je m e suis trouvé depuis cinquante-cinq ans q u e j'ai
c o m m a n d é pour le service de nos rois (...) C e m'est u n
merveilleux contentement quand j'y pense, et lorsqu'il m e
souvient c o m m e je suis parvenu, de degré en degré, ayant
échappé tant d e dangers pour jouir de si peu de repos qu'il
m e reste en ce m o n d e en m a maison, afin d'avoir loisir de
demander pardon à Dieu des offenses que j'ai commises. O
que si sa miséricorde n'est grande, qu'il y a de danger pour
ceux qui portent les armes, et m ê m e m e n t qui c o m m a n d e n t ,
car la nécessité de la guerre nous force en dépit de nous-
m ê m e s à faire mille m a u x et faire non plus d'état de la vie des
h o m m e s que d ' u n poulet ; et puis les plaintes du peuple qu'il
faut manger en dépit qu'on en ait ; les veuves et orphelins,
que nous faisons tous les jours, nous donnent toutes les
malédictions dont ils se peuvent aviser; et à force de prier
Dieu et implorer l'aide des saints, quelqu'une nous en
demeure sur la tête ; mais certes les rois en pâtiront encore
plus que nous, car ils nous le font faire (...) et il n ' y a m a l
duquel ils ne soient cause, car puisqu'ils veulent faire la
guerre, il faut payer pour le moins ceux qui s'en vont mourir
pour eux, afin qu'ils ne puissent faire tant de m a u x qu'ils
font. (...)
M o i donc bien heureux, qui ai le loisir de songer aux
péchés que j'ai c o m m i s , ou plutôt que la guerre m ' a fait
121
VICAIRES A R M É S

commettre, car de m o n naturel je n'étais pas adonné à faire


le mal, et surtout ai toujours été ennemi du vice, de l'ordure
et vilenie, ennemi capital de la trahison et déloyauté. Je sais
bien que la colère m ' a fait faire et dire beaucoup de choses
dont j'en dis mea culpa ; mais il n'est pas temps de les réparer
(...) J'avais la main aussi prompte que la parole. J'eus voulu,
si j'eusse p u , ne porter jamais de fer au côté, mais m o n
naturel était tout autre. Aussi portai-je en m a devise : Deo
duce, ferro comité (Avec Dieu pour guide et m o n épée pour
compagne). U n e chose puis-je dire avec la vérité : que jamais
lieutenant de roi n'eut plus de pitié de la ruine du peuple que
moi, quelque part que je m e sois trouvé. Mais il est
impossible de faire ces charges sans faire mal, si ce n'est que
le roi ait ses coffres pleins d'or pour payer les armes ; encore
y aura-t-il prou à faire. Je ne sais si après moi on fera mieux,
mais je ne le pense pas.
Biaise de Monluc, 1502-1577, France, Les commentaires

188

O ciel ! ô M e r ! ô Dieu, père c o m m u n


Des Juifs et des Chrétiens, des Turcs et d'un chacun :
Qui nourris aussi bien par ta bonté publique
Ceux d u pôle Antartiq', que ceux d u pôle Artique :
Qui donnes et raison, et vie et mouvement,
Sans respect de personne, à tous également :
Et fais d u ciel là-haut sur les têtes humaines
T o m b e r , c o m m e il te plaît les bienfaits et les peines ;
Ô Seigneur tout puissant qui as toujours été
Vers toutes nations plein de toute bonté,
D e quoi te sert là-haut le trait de ton tonnerre,
Si d'un éclat de fer tu n'en brûles la terre ?
Es-tu dedans u n trône assis sans rien faire?
Il ne faut point douter que tu ne saches bien
Cela que contre toi brassent tes créatures,
Et toutefois, Seigneur, tu le vois et l'endures !

Certes, si je n'avais une certaine foi


122
LA T O L É R A N C E

Q u e Dieu par son esprit de grâce a mise en m o i ,


Voyant la Chrétienté n'être plus que risée,
J'aurais honte d'avoir la tête baptisée,
Je m e repentirais d'avoir été Chrétien,
Et, c o m m e les premiers, je deviendrais Païen.
Ronsard, France, Remontrance au peuple de France, 1562-1563

189
Article « Guerre »

L e merveilleux de cette entreprise infernale, c'est que chaque


chef des meurtriers fait bénir ses drapeaux et invoque Dieu
solennellement avant d'aller exterminer son prochain. Si un
chef n'a eu que le bonheur de faire égorger deux ou trois
mille h o m m e s , il n'en remercie point Dieu ; mais lorsqu'il y
en a eu environ dix mille d'exterminés par le feu et par le fer,
et que, pour comble de grâce, quelque ville a été détruite de
fond en comble, alors on chante à quatre parties une chanson
assez longue, composée dans une langue inconnue à tous
ceux qui ont combattu, et de plus, toute farcie de barbaris-
mes. L a m ê m e chanson sert pour les mariages et pour les
naissances, ainsi que pour les meurtres; ce qui n'est pas
pardonnable, surtout dans la nation la plus r e n o m m é e pour
les chansons nouvelles.
Voltaire, France, Dictionnaire philosophique, 1764

190
Par la seule folie des temps, par la seule folie des prêtres, est
entrée en nous la tristesse, est entré en nous le « Christia-
nisme ». O u i , les « Très Chrétiens » sont venus avec le vrai
Dieu; alors c o m m e n ç a pour nous le temps de la misère, le
temps de 1' « a u m ô n e », source de nos haines secrètes, le
temps des combats avec des armes à feu, le temps des rixes,
le temps des spoliations, le temps de l'esclavage pour dettes,
le temps de la mort pour dettes, le temps des luttes
perpétuelles, le temps de la souffrance (...)
Il leur était mesuré, le temps où ils pouvaient contempler
123
VICAIRES A R M É S

la grille des étoiles ; là veillaient sur eux les dieux, qui les
regardaient de leur prison d'étoiles. Alors tout était b o n , et
ils furent abattus.
Il y avait en eux de la sagesse. Ils ne connaissaient pas
le péché. Ils n'avaient pas de sainte dévotion. Ils vivaient en
bonne santé. Ils n e connaissaient pas la maladie, ils ne
souffraient pas des m e m b r e s , ils ne connaissaient pas les
fièvres, ils ne connaissaient pas la variole, ils n e connais-
saient pas les fluxions, ils ne connaissaient pas la douleur des
entrailles, ils ne connaissaient pas la consomption. Alors, ils
se portaient bien.
Il n'en fut pas de m ê m e q u a n d les Blancs arrivèrent. Ils
leur apprirent la peur et vinrentflétrirleurs fleurs. Pour q u e
vive leur fleur, ils saccagèrent et piétinèrent la fleur des
autres (...)
Ils n'avaient ni grande connaissance, ni langue sacrée, ni
Savoir divin, ces représentants des dieux qui arrivèrent ici.
Châtrer le soleil ! voilà ce qu'ont fait les étrangers ! Et ici,
perdus dans ce peuple, sont restés les fils de leursfils,qui ont
subi son a m e r t u m e (...)
Esclaves sont les paroles, esclaves les arbres, esclaves les
pierres, esclaves les h o m m e s , q u a n d ils viennent !
Chilam Balam de Chumayel (Livre sacré des Mayas),
xvie s., Amérique centrale

191
(Los Conquistadores)
Ils viennent dans les îles (1493)

Les carnassiers désolèrent les îles.


Guanahani fut la première
en cette histoire des martyrs.
Lesfilsd'argile ont v u briser
leur sourire et rouer de coups
leur frêle stature d e daims,
en mourant sans y rien comprendre.
Ils furent attachés, blessés,
ils furent brûlés, embrasés,
124

LA T O L É R A N C E

ils furent m o r d u s , enterrés.


Q u a n d le temps fit son tour de valse
en dansant entre les palmiers,
le salon vert s'était vidé.
Il n ' y restait plus que les os
dressés en forme de croix,
pour la grande gloire de Dieu,
pour la grande gloire des h o m m e s . (...)
Pablo Neruda, Chili, Canto general, 1950

Fin ou commencement ?

L'intolérance, dont la logique tient pour acquis le postulat de la vér


exclusive avec la force confondue, doit aller — et va — à son terme q
ne peut être que la mise à mort de l'Autre, contestataire et/ou
protestant. Le procès n'est que forme, la sentence est première. C'ét
le cas pour Socrate, pour Jésus, pour Cuauhtemoc, ce l'est de nouveau
pour Michel Servet, al-Hallâj, Galilée.
L' « ordre » se compose d'une pensée, d'une foi et d'une science
officielles, intimement solidaires et complémentaires : contester
c'est mettre en question toutes les autres. La réponse c'est l'ex
prison ou le bûcher, souvent l'un puis les autres, sans autre alternati
possible. Ce que l'on escompte, c'est le silence, la mort spirituelle.
Une même illusion derrière ces violences : on croit qu'e
bâillonnant, qu'en tuant les hommes, les idées qu'ils incarnent se tai
ou meurent avec eux. Ce que l'on tient pour unefinn'est toujours qu
le vrai commencement.

192
Contre Michel Servet de Villeneuve au Royaume d'Aragon
en Espagne

Lequel premièrement est été atteint d'avoir, il y a environ


vingt-trois à vingt-quatre ans, fait imprimer u n livre à A g n o u
( H a g u e n a u ) en Allemagne, contre la sainte et invidue
Trinité, contenant plusieurs et grand blasphèmes contre
icelle, grandement scandaleux es Eglises d'Allemagne :
125
VICAIRES A R M É S

lequel livre il a spontanément confessé d'avoir fait imprimer,


nonobstant les remontrances et corrections à lui faites de ses
faux opinions par les savants docteurs évangéliques
d'Allemagne.
Item, et lequel livre a été par les docteurs de ces églises
d'Allemagne réprouvé c o m m e pleines d'hérésies et le dit
Servet, rendu fugitif d'Allemagne à cause de ce livre.
Item, et nonobstant cela le dit Servet a persévéré en ses
fautes, infectant plusieurs.
Item, et non content de cela pour mieux divulguer et
épancher son venin et hérésie, depuis peu de temps il fait
imprimer u n autre livre en cachette à Vienne, rempli
d'hérésies horribles et exécrables blasphèmes contre la sainte
Trinité, contre le Fils de Dieu, contre le baptême des petits
enfants et autres plusieurs saints passages et fondements de
la religion chrétienne.
Item et a spontanément confessé qu'en ce livre il appelle
ceux qui croient en la Trinité trinitaires et athéistes.
Item et qu'il appelle la Trinité u n diable et monstre à
trois têtes.
Item et contre le vrai fondement de la religion chrétienne
et blasphémant détestablement contre lefilsde Dieu, a dit
Jésus-Christ n'être fils de Dieu, de toute éternité, ainsi tant
seulement depuis son incarnation.
Item et outre le dessus livre, assaillant par lettres m ê m e
notre foi et mettant peine icelle infecter de son poison, a
volontairement confessé et reconnu d'avoir écrit une lettre à
un des ministres de cette cité, dans laquelle entre autres
plusieurs horribles et énormes blasphèmes contre notre
Sainte Religion Evangélique, il dit notre Evangile est sans foi
et sans Dieu et que pour u n Dieu nous avons un Cerbère à
trois têtes.
Item et a davantage volontairement confessé que au-
dessus d u dit lieu de Vienne, à cause de ce méchant et
abominable livre et opinions, il fut fait prisonnier, lesquelles
prisons perfidemment il rompit et échappa.
Item et nonobstant tout cela, étant ici en prison de cette
cité détenu, ne laisse de persister malicieusement en ses dites
126
LA T O L É R A N C E

méchantes et détestables erreurs, les tâchant soutenir avec


injures et calomnies contre tous vrai Chrétien etfidèled e la
pure immaculée Religion chrétienne, les appelant trinitaires,
athéistes et sorciers, nonobstant les remontrances à lui desja
dès longtemps en Allemagne, c o m m e n t est dit, fait, et a u
mépris des reprehensions, emprisonnements et corrections à
lui tant ailleurs que ici faites. C o m m e n t plus amplement et
au long est contenu en son procès.

[Sentence de mort :]

(...) A cez causes et aultres justes a ce N o u s mouvantes,


désirans de purger l'église de Dieu de tel infectement et
retrancher d'ycelle tel m e m b r e pourry; ayans heu bonne
participation de conseil avec nos citoyens et ayans invoqué
le n o m de Dieu, pour faire droit jugement (...) ayans Dieu et
sez saínetes escriptures devant noz yeux, disans a u n o m d u
Père, d u Filz et du Sainct Esprit, par iceste nostre diffinitive
sentence, laquelle donnons ycy par escript, « T o y Michel
Servet condamnons a debvoir estre lié et m e n é au lieu de
C h a m p e l , et la debvoir estre a ung pilotis attaché et bruslé
tout vifz avec ton livre tant escript de ta main, que imprimé,
jusques a ce que ton corps soit reduict en cendre : et ainsi
finiras tez jous pour donner exemple aux aultres qui tels cas
vouldroient commectre ».

[Farel, Ministre évangélique, accompagna Servet au supplice :]

Sur le chemin du bûcher, quand quelques frères le pressaient


de confesser volontairement sa faute et de répudier ses
erreurs, il répondit qu'il souffrait injustement et priait Dieu
de pardonner à ses accusateurs. Je lui dis alors : « Est-ce que
tu essayes de te justifier après avoir péché aussi affreuse-
ment? Si tu continues, je ne fais pas u n pas de plus avec toi
et t'abandonne aujugement de Dieu. M o n intention était de
t'accompagner et de demander à tout le m o n d e de prier pour
toi, dans l'espoir que tu ailles édifier le peuple. Je ne voulais
pas te quitter avant que tu n'eusses rendu le dernier
127
VICAIRES ARMÉS

soupir ! » Alors, il cessa de prononcer des paroles de ce genre.


Il d e m a n d a le pardon de ses erreurs, de ses ignorances et de
ses péchés, mais ne fit jamais de vraie confession. Il pria
souvent avec nous quand nous l'exhortions, et d e m a n d a
plusieurs fois à ceux qui se tenaient là et regardaient qu'ils
priassent pour lui. Mais nous ne réussîmes pas à lui faire
reconnaître ouvertement ses erreurs, et confesser que le
Christ est le Fils éternel de Dieu.

[Suivant R . H . Bainton, citant une source anonyme :]

Servet fut conduit à u n bûcher de bois encore vert. U n e


couronne de paille et de feuilles saupoudrées de soufre fut
placée sur sa tête, son corps lié au poteau avec u n e chaîne de
fer. Son livre était attaché à son bras. U n e corde solide
enroulée cinq ou six fois autour de son cou, et il d e m a n d a
qu'on ne la tordît pas davantage. Q u a n d le bourreau porta
la flamme devant son visage, il poussa u n tel hurlement que
tout le peuple en fut frappé d'horreur. C o m m e le feu était
lent, quelqu'un jeta d u bois sur le bûcher. D a n s u n
gémissement effrayant, il cria : « O Jésus, fils d u Dieu
éternel, aie pitié de moi ! » A u bout d'une demi-heure, il
mourut.
Verdict contre Michel Servet, 1553

193
[Récit d'Ibn Zanji, greffier adjoint, témoin oculaire :]

Lorsqu'on donna à al-Hallâj lecture de la sentence, il s'écria :


« M o n dos est protégé, m o n sang ne peut être versé sans
péché ! V o u s n'avez pas le droit d'user contre m o i d'exégèse
qui vous y autorise ! M a profession de foi c'est l'Islam, et
m o n m a d h a b , c'est la Sonnah (...) Il y a des livres de m o i
traitant d e la Sonnah, qui se trouvent chez les libraires !
Dieu ! que Dieu protège m o n sang ! » — Et il ne cessait de
répéter cette phrase, tandis que l'on rédigeait les pièces et
que l'on parachevait ce qui était nécessaire. Puis la séance fut
levée et al-Hallâj ramené au cachot dont on l'avait sorti. (...)
128
LA T O L É R A N C E

[Récit de son fis Hamd :]

Et lorsque vint la nuit où il devait être, dès l'aube, extrait de


son cachot, il se mit debout, dit la prière rituelle en faisant
deux prosternations. Puis sa prière finie, il ne cessa de se
répéter : « Tromperie, tromperie... »jusqu'à ce que la plus
grande partie de la nuit fût passée. Alors, après s'être tu
longtemps, il s'écria : « Vérité, Vérité ! » Et il se remit
debout, ceignit son voile de tête et s'enveloppa de son
manteau, étendit ses mains, la face dans la direction de la
K a ' b a h , puis, entrant en extase, il s'entretint avec Dieu. (...)
Puis il récita :
« Je T e crie : deuil ! pour les âmes dont le témoin [al-
Hallâj lui-même] disparaît — dans l'au-delà du «jusqu'à » ;
voici venir le T é m o i n de l'Eternel !
« Je T e crie : deuil ! pour les cœurs sevrés depuis si
longtemps — des nuées de la révélation divine, où s'amasse
en océans la sagesse !
«Je T e crie : deuil ! pour la langue de la Vérité ; depuis
longtemps — elle a péri, et sa mémoire s'est anéantie dans
l'imagination des h o m m e s !
«Je T e crie : deuil! pour l'Éloquence (inspirée, qui m ' a
été commise) devant qui cèdent toutes les paroles des
orateurs, leur dialectique et leur pénétration.
« Je T e crie : deuil ! pour les avertissements donnés par
les intelligences ! D ' e u x tous, rien ne reste plus à visiter que
des ruines [dans les livres].
«Je T e crie : deuil ! oui, par T a vérité [ô m o n Dieu] pour
les vertus du peuple de ceux-là dont les montures ont été
dressées à obéir.
« Car tous sont déjà passés, le désert est vide ; nulle trace
d'eux, ni puits foré, ni repère posé. — Ils sont passés c o m m e
c
A d , disparus c o m m e les habitants d'Iram !
« Et à leur suite, la foule qu'ils ont laissée divague à
tâtons — plus aveugle que les bêtes, plus aveugle qu'un
troupeau. »
Puis il se tut. Alors son serviteur Ibrahim ben Fâtik lui
dit :
129
VICAIRES A R M É S

« Lègue-moi quelque chose, une dernière parole ô m o n


maître ! »
Et il lui répondit : « T o n moi ! Si tu ne l'asservis pas, il
t'asservira ! »
Q u a n d le matin fut venu, o n le fit sortir de la prison ; et
je le vis, en pleine extase de jubilation, qui dansait sous ses
chaînes et récitait :
« Celui qui m e convie, pour ne pas paraître m e léser,
M ' a fait boire à la coupe qu'il a bue L u i - m ê m e ;
Il m e traite en cela c o m m e l'hôte traite un convive.
Et quand les coupes ont passé de mains en mains,
Il a fait apporter le cuir du supplice et le glaive. »
Ainsi advient à qui boit le Vin — avec le Lion, en plein Eté.
Le procès d'al-Hallâj (martyr mystique de l'Islam,
exécuté à Bagdad le 26 mars 922), Cité par L . Massignon

194

Le jour suivant, le mercredi 22 juin 1633 au matin, Galilée


fut conduit dans la grande salle d u couvent dominicain de
Santa Maria sopra Minerva, situé dans le centre de R o m e ,
où avait lieu habituellement ce genre de cérémonies. Revêtu
de la chemise blanche de la pénitence, il s'agenouilla devant
ses juges assemblés pendant qu'on lui faisait lecture de la
sentence :
« (...) N o u s disons, prononçons, sentencions et déclarons
que toi, Galilée pour tes raisons déduites au procès et que tu
as confessées ci-dessus, tu t'es rendu envers ce Saint-Office
véhémentement suspect d'hérésie ayant tenu cette fausse
doctrine et contraire à l'Écriture Sainte et Divine, que le Soleil
soit le centre d u m o n d e et qu'il ne se meut pas de l'Orient
à l'Occident, et que la Terre se m e u v e et ne soit pas le centre
du M o n d e , et que l'on puisse soutenir et défendre c o m m e étant
probable une opinion après qu'elle a été déclarée par
définition contrariant la Sainte Écriture ; et conséquemment
tu as encouru toutes les censures et peines imposées et
promulguées par les Sacrés Canons et les autres constitutions
générales et particulières, contre de tels délinquants.
130
LA TOLÉRANCE

« D e celles-ci N o u s s o m m e s contents de te délier, à


condition q u e dès maintenant, avec u n c œ u r sincère et u n e
foi non feinte, tu abjures, maudisses et détestes devant nous
les susdites erreurs et hérésies, et toute autre erreur et hérésie
contraire à l'Église Apostolique et Catholique, d e la manière
et sous la forme prescrite par N o u s .
« Et toutefois afin que ta grande faute, pernicieuse erreur
et transgression q u e tu as faite ne d e m e u r e tout à fait
impunie, afin q u e tu sois à l'avenir plus retenu et serves
d'exemple aux autres pour qu'ils s'abstiennent d e semblables
délits, N o u s ordonnons q u e , par u n édit public le livre des
Dialogues d e Galileo Galilei soit prohibé.
« N o u s te c o n d a m n o n s à la prison formelle d e ce Saint-
Office, à Notre arbitre, et pour pénitence salutaire t'enjoi-
gnons de dire trois ans durant u n e fois la semaine les sept
Psaumes d e la pénitence, N o u s réservant la faculté de
modérer, changer o u lever, en tout o u en partie, les susdites
peines et pénitences. »
(...)
Après la lecture de la sentence, o n présenta à Galilée la
formule d'abjuration.
(...)

[Formule d'abjuration :]

« M o i , Galileo Galilei, fils d e feu Vincenzo Galilei de


Florence, âgé d e soixante-dix ans, comparaissant en per-
sonne devant ce Tribunal, et agenouillé devant vous, Très
E m i n e m s et Révérends Cardinaux, G r a n d s Inquisiteurs
dans toute la Chrétienté contre la perversité hérétique, les
yeux sur les Très Saints Évangiles q u e je touche de m e s
propres m a i n s .
«Je jure que j'ai toujours cru, queje crois à présent, et
que, avec la grâce de Dieu, je continuerai à l'avenir d e croire
tout ce q u e la Sainte Église catholique, apostolique et
romaine, tient pour vrai, prêche et enseigne. « M a i s parce
q u e — après q u e le Saint-Office m'ait notifié l'ordre de ne
plus croire à l'opinion fausse q u e le Soleil est le centre d u
131
VICAIRES A R M É S

m o n d e et immobile et que la Terre n'est pas le centre d u


m o n d e et qu'elle se meut, et de ne pas maintenir, défendre
ni enseigner, soit oralement, soit par écrit, cette fausse
doctrine; après avoir été notifié que la dite doctrine était
contraire à la Sainte Ecriture ; parce que j'ai écrit et fait
imprimer u n livre dans lequel j'expose cette doctrine
condamnée, en présentant en sa faveur une argumentation
très convaincante, sans apporter aucune solution définitive ;
j'ai été, de ce fait, soupçonné véhémentement d'hérésie, c'est-
à-dire d'avoir maintenu et cru que le Soleil est au centre d u
m o n d e et immobile, et que la Terre n'est pas au centre et se
meut.
« Pour ce, voulant effacer dans l'esprit de Vos Eminences
et de tout Chrétienfidèlece soupçon véhément, à juste titre
conçu contre moi, j'abjure et je maudis d'un cœur sincère et
avec une foi non simulée les erreurs et les hérésies susdites,
et en général toute autre erreur, hérésie, et entreprise
contraire à la Sainte Eglise; je jure à l'avenir de ne plus rien
dire ni affirmer d e voix, et par écrit, qui permette d'avoir de
moi de semblables soupçons, et s'il devait m'arriver de
rencontrer u n hérétique ou présumé tel, je le dénoncerais à
ce Saint-Office, à l'inquisiteur o u à l'ordinaire de m o n lieu
de résidence. »
Le procès de Galilée, R o m e , 1633,
Documents recueillis par Giorgio de Santularia

195

Je te le répète, [dit le Grand Inquisiteur au Prisonnier, Je


Christ] demain, sur u n signe de moi, tu verras ce troupeau
docile apporter des charbons ardents au bûcher o ù tu
monteras, pour être venu entraver notre œuvre. C a r si
quelqu'un a mérité plus que tous le bûcher, c'est toi.
Demain, je te brûlerai. Dixit (...)
— C o m m e n tfinitton poème, reprit-il [Aliocha], les yeux
baissés. Est-ce là tout?
— N o n , voilà c o m m e n t je voulais le terminer. « L'Inqui-
siteur se tait, il attend u n m o m e n t la réponse d u Prisonnier.
132
LA T O L É R A N C E

S o n silence lui pèse. L e captif l'a écouté tout le temps en le


fixant d e son pénétrant et calme regard, visiblement décidé
à ne p a s lui répondre. L e vieillard tressaille, ses lèvres
r e m u e n t ; il v a à la porte, l'ouvre et dit : « V a - t ' e n et n e
reviens plus... plus jamais! » E t il le laisse aller dans les
ténèbres de la ville. L e Prisonnier s'en va. »
— E t le vieillard ?
— L e baiser lui brûle le c œ u r , mais il persiste dans son
idée.
Dostoïevski, Russie, Les frères Karamazov, 1880

Un drame suspendu
En sorte que la prièrefinalequi suit n'est que l'aveu d'impuissance de
la raison piégée entre des termes impossibles, ceux qu 'impose l'idéolog
armée.
Mais une étrange hypothèse — intervertissant les protagonistes e
leurs thèses — met à nu l'absurdité de l'intolérance, de la véri
exclusive fondée sur la force souveraine et active, laissant entrevoir u
renversement de la problématique. Ce renversement, c'est l'ouverture
même de l'Histoire, s'arrachant à sa propre violence pour faire droit
à « la grande phrase humaine en voie toujours de création ».

196

O m o n dieu, toi qui est le Haut Seigneur du ciel, au fond du


firmament,
Penche-toi doucement sur ce m o n d e flétri
O ù les combats déments jettent bas toute paix, où sabres se
heurtant
Font écho au Grand Mars. Toute vie dépérit.
O Père bénis-nous, car notre peuple aspire au calme
consolant,
Le sang des braves coule et la mort nous meurtrit.
Janus Pannonius, évêque de Pécs, Hongrie,
1434-1472
133
VICAIRES A R M É S

197

M o n oreille est affligée.


M o n â m e est malade des récits
des injustices et des méfaits qui chaque jour
emplissent le m o n d e . Pas un éclair de tendresse
dans le cœur durci de l ' h o m m e . Le lien naturel de fraternité
humaine, tel un alliage sous la flamme
s'est défait. L ' h o m m e reproche à son prochain
la couleur différente de sa peau et, ayant autorité
de faire prévaloir l'injustice d'une cause si estimable,
l'assigne une fois pour toutes c o m m e sa proie légitime.
Des pays séparés par u n étroit chenal
se haïssent mutuellement. U n e chaîne de collines
suffit à transformer en ennemis des peuples
qui, tels des gouttes d'eau jumelles, n'en auraient fait qu'un.
Ainsi l ' h o m m e devient l'ennemi de son frère et veut le
détruire,
Et, déshonneur suprême, souillure i m m o n d e de l'humaine
nature.
Pire que tout cela et combien déplorable,
Il l'enchaîne, l'astreint au travail et extorque sa sueur
avec des verges telles que la Charité, le cœur saignant,
pleure quand elle les voit infliger à un animal.
William Cowper, 1731-1800, Grande-Bretagne, La tâche

198

C e n'est donc plus aux h o m m e s queje m'adresse ; c'est à toi,


Dieu de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les
temps : s'il est permis à de faibles créatures perdues dans
l'immensité et imperceptibles au reste de l'univers d'oser te
demander quelque chose, à toi qui as tout donné, à toi dont
les décrets sont immuables c o m m e éternels, daigne regarder
en pitié les erreurs attachées à notre nature ; que ces erreurs
ne fassent point nos calamités. T u ne nous as point donné u n
cœur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger; fais
que nous nous aidions mutuellement à supporter le fardeau
134
LA T O L É R A N C E

d'une vie pénible et passagère; que les petites differences


entre les vêtements qui couvrent nos débiles corps, entre tous
nos langages insuffisants, entre tous nos usages ridicules,
entre toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions
insensées, entre toutes nos conditions si disproportionnées à
nos yeux et si égales devant toi; q u e toutes ces petites
nuances qui distinguent les atomes appelés hommes, ne soient
pas des signaux d e haine et d e persécution; que ceux qui
allument des cierges en plein midi pour te célébrer suppor-
tent ceux qui se contentent de la lumière d e ton soleil; q u e
ceux qui couvrent leur robe d'une toile blanche pour dire
qu'il faut t'aimer ne détestent pas ceux qui disent la m ê m e
chose sous u n manteau de laine noire ; qu'il soit égal d e
t'adorer dans u n jargon formé d'une ancienne langue, o u
dans un jargon plus nouveau ; que ceux dont l'habit est teint
en rouge ou en violet, qui dominent sur u n e petite parcelle
d'un petit tas de la boue de ce m o n d e , et qui possèdent
quelques fragments arrondis d ' u n certain métal, jouissent
sans orgueil de ce qu'ils appellent grandeur et richesse, et q u e
les autres les voient sans envie; car tu sais qu'il n'y a dans
ces vanités ni de quoi envier, ni de quoi s'enorgueillir.
Puissent tous les h o m m e s se souvenir qu'ils sont frères !
qu'ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les â m e s ,
c o m m e ils ont en exécration le brigandage qui ravit par la
force le fruit du travail et de l'industrie paisible ! Si les fléaux
de la guerre sont inévitables, ne nous haïssons pas, ne nous
déchirons pas les uns les autres dans le sein de la paix, et
employons l'instant d e notre existence à bénir également en
mille langages divers, depuis Siam jusqu'à la Californie, ta
bonté qui nous a donné cest instant.
Voltaire, France, Traité sur la tolérance, 1763

199

D e s h o m m e s qui ne consultent que leur bon sens, et qui n'ont


pas suivi les discussions relatives aux colonies, douteront
peut-être qu'on ait p u ravaler les Nègres au rang de brutes,
et mettre en problème leur capacité intellectuelle et morale.
135
VICAIRES A R M É S

Cependant cette doctrine, aussi absurde qu'abominable, est


insinuée o u professée dans u n e foule d'écrits. (...) Français,
Anglais, Hollandais, que seriez-vous si vous aviez été placés
dans les m ê m e s circonstances? (...) Si jamais les Nègres,
brisant leurs fers, venaient (ce q u ' à Dieu ne plaise), sur les
côtes européennes, arracher des Blancs des deux sexes à leurs
familles, les enchaîner, les conduire en Afrique, les marquer
d'un fer rouge ; si ces Blancs, volés, vendus, achetés par le
crime, placés sous la surveillance de géreurs impitoyables,
étaient sans relâche forcés à coups de fouet, au travail, sous
un climat funeste à leur santé, où ils n'auraient d'autre
consolation à lafinde chaque jour que d'avoir fait u n pas de
plus vers le tombeau, d'autre perspective que d e souffrir et
de mourir dans les angoisses d u désespoir; si, voués à la
misère, à l'ignominie, ils étaient exclus de tous les avantages
de la société ; s'ils étaient déclarés incapables de toute action
juridique, et si leur témoignage n'était pas m ê m e admis
contre la classe noire ; si, c o m m e les esclaves de Batavia, ces
Blancs, esclaves à leur tour, n'avaient pas la permission de
porter des chaussures ; si, repoussés m ê m e des trottoirs, ils
étaient réduits à se confondre avec les animaux a u milieu des
rues ; si l'on s'abonnait pour les fouetter en masse, et pour
enduire de poivre et de sel leurs dos ensanglantés, afin de
prévenir la gangrène ; si en les tuant on en était quitte pour
une s o m m e modique (...); si l'on mettait à prix la tête de
ceux qui se seraient par la fuite, soustraits à l'esclavage ; si
contre les fuyards on dirigeait des meutes de chiens formés
tout exprès au carnage ; si, blasphémant la divinité, les Noirs
prétendaient, par l'organe d e leurs Marabouts, faire interve-
nir le ciel pour prêcher aux Blancs l'obéissance passive et la
résignation ; si des pamphlétaires cupides et gagés discrédi-
taient la liberté en disant qu'elle n'est qu'une abstraction (...) ;
s'ils imprimaient que l'on exerce contre les Blancs révoltés,
rebelles, de justes représailles, et que d'ailleurs les esclaves
blancs sont heureux, plus heureux que les paysans au sein de
l'Afrique ; en u n mot, si tous les prestiges de la ruse et de la
calomnie, toute l'énergie d e la force, toutes les fureurs de
l'avarice, toutes les inventions de la férocité étaient dirigées
136
LA TOLÉRANCE

contre vous par une coalition d'êtres à figure humaine, aux


yeux desquels la justice n'est rien, parce que l'argent est
tout; quels cris d'horreur retentiraient dans nos contrées!
Pour l'exprimer, on demanderait à notre langue de nouvelles
épithètes ; une foule d'écrivains s'épuiseraient en doléances
éloquentes, pourvu toutefois que n'ayant rien à craindre, il
y eut pour eux quelque chose à gagner.
Européens, prenez l'inverse de cette hypothèse, et voyez
ce que vous êtes.
Henri Grégoire, France, De la littérature des Nègres, 1808

200

« N e crains pas », dit l'Histoire, levant u n jour son masque


de violence — et de sa main levée elle fait ce geste conciliant
de la Divinité asiatique au plus fort de sa danse destructrice.
« N e crains pas, ni ne doute — car le doute est stérile et la
crainte servile. Écoute plutôt ce battement rythmique que
m a main haute imprime, novatrice, à la grande phrase
humaine en voie toujours de création. Il n'est pas vrai que
la vie puisse se renier elle-même. Il n'est rien de vivant qui
de néant procède, ni de néant s'éprenne. Mais rien non plus
ne garde forme ni mesure, sous l'incessant afflux de l'Etre.
L a tragédie n'est pas dans la métamorphose elle-même. L e
vrai drame du siècle est dans l'écart qu'on laisse croître entre
l ' h o m m e temporel et l ' h o m m e intemporel. L ' h o m m e éclairé
sur un versant va-t-il s'obscurcir sur l'autre ? Et sa matura-
tion forcée, dans une c o m m u n a u t é sans c o m m u n i o n , ne sera-
t-elle que fausse maturité?... »
Saint-John Perse, France, 1961
L a vérité en question

Pendant que le Roi, pris au vertige de sa logique, continue de mettre


à la question l'inflexible Bodhisatta — et, à travers lui, l'humanité
forte de la certitude du cœur — , des hommes, de plus en plus nombreux,
mettent en question la « vérité » des violents.
Après l'âge de l'ordalie, du jugement de Dieu, de la disputation
onirique et de la raison sentimentale, voici le temps de la raison
raisonnante, de la raison dans l'histoire : qu'est-ce enfin que cette vérité
tant invoquée, quelle en est la part d'universalité et quelle légitimité
reconnaître à un ordre fondé sur les valeurs du plus fort ?

201

... A nouveau, le bourreau d e m a n d e : « Quel est votre désir,


Sire? » L e roi répondit : « Tranchez les deux mains de ce
faux ascète. » L e bourreau prit sa hache et plaçant sa victime
à l'intérieur d u cercle fatal, il lui trancha les deux mains.
Alors le roi dit : « Coupez-lui les pieds » et les pieds subirent
le m ê m e sort. L e sang ruisselait des extrémités des mains et
des pieds d u Bodhisatta, tel un liquide s'échappant d ' u n pot
ébréché. D e nouveau, le roi lui demanda quelle était sa
doctrine : « Celle de la patience, Votre Majesté », répondit
le moine. « V o u s imaginez, Sire, que m a patience est logée
aux extrémités de m e s mains et de m e s pieds. Elle est
ailleurs, profondément enfouie en m o i . » L e roi dit :
138

LA TOLÉRANCE

« Tranchez son nez et ses oreilles. » L e bourreau s'exécuta.


L e corps entier d u m o i n e baignait dans u n e m a r e d e sang.
U n e fois de plus, le roi lui d e m a n d a quelle était sa doctrine.
Et l'ascète répondit : « V o u s imaginez, Sire, q u e m a patience
est logée dans le bout de m o n nez et dans les lobes de m e s
oreilles : m a patience se trouve dans le tréfonds de m o n
c œ u r . » L e roi dit alors : « M e u r s donc, faux m o i n e , et tu
exalteras alors ta patience. » Disant ces m o t s , il piétina de
tout son poids le corps d u Bothisatta, à l'endroit d u c œ u r , et
il s'en alla. [A suivre : 288]
Khantivadi-Jataka

202

L a liberté n'est pas u n bien q u e nous possédions. Elle est u n


bien q u e l'on nous a e m p ê c h é s d'acquérir à l'aide des lois,
des règlements, des préjugés, ignorance, etc.
Les murs ont la parole, Sorbonne, Paris, M a i 1968

La trahison du message
Soit. Des messagers sont venus pacifiquement prescrire la charité, la
fraternité, la piété, la justice, le droit. Héritiers, qu'avez-vous fait d
ces valeurs? D'un côté, voici les commandements, de l'autre, votre
pratique : « le droit manifeste est bafoué » ; l'apôtre, à l'avance, a
réprouvé votre justice ; votre fraternité n'est que contrainte, persécuti
et violence ; la piété se trouve réduite en gestes et la charité n'est plu
que haine et envie.
Regardez-vous, arrachez-vous un instant à votre bonne conscience,
vous ne pouvez vous reconnaître. Fondée sur des valeurs aussi
totalement perverties, votre loi, ne gardant plus le moindre reflet du
message initial, est devenue rien moins qu'un esclavage.
Une société fondée sur de telles contre-valeurs n'est qu'une jungle
et il faut être ou aveugle ou de mauvaise foi pour soutenir le contraire,
tant la violence, très précisément la déraison, n'est en aucune manière
justifiable. D'où il suit que l'intolérance est ou absurde, ou intéressé
C'est sur ce point de fait que va dès lors se cristalliser le débat,
139
LA VÉRITÉ E N QUESTION

celui de la raison, de la laïcisation des valeurs religieuses et, s'il se


peut, de leur universalisation. Ici commence, en Occident, une nouvelle
aventure de la conscience et l'apprentissage de la liberté. Enseigner aux
hommes « à raisonner sur la religion, c'est ôter le poignard à
l'intolérance, c'est rendre à l'humanité tous ses droits ». Pour cela, une
seule démarche : « remonter à des principes généraux et communs à tous
les hommes ».

203

C e n'est pas e n m e disant : « Seigneur, Seigneur », q u ' o n


entrera dans le R o y a u m e des Cieux, mais c'est en faisant la
volonté d e m o n Père qui est dans les cieux. B e a u c o u p m e
diront en ce jour-là : « Seigneur, Seigneur, n'est-ce pas en ton
N o m q u e nous avons prophétisé? e n ton N o m q u e nous
avons chassé les d é m o n s ? en ton N o m q u e nous avons fait
bien des miracles ? » Alors je leur dirai e n face : « Jamais je
ne vous ai connus ; écartez-vous d e m o i , vous qui c o m m e t t e z
l'iniquité ».
Nouveau Testament, saint Matthieu, v u

204

C e u x qui sont respectueux d e la vérité


sont satisfaits, et bons envers les autres.
Ils ne se complaisent pas dans le m a l , mais font le bien.
C'est ainsi qu'ils vivent la loi morale d e Dieu.
Le Guru Nanak, 1469-1538, Traduit du punjabi

205

L a piété ne consiste pas à tourner votre face


vers l'Orient o u vers l'Occident.
L ' h o m m e b o n est celui qui croit e n D i e u ,
a u dernier jour, a u x anges,
a u Livre et a u x prophètes ;
Celui qui, pour l ' a m o u r d e Dieu, d o n n e de son bien
à ses proches, a u x orphelins, aux pauvres,
140
LA T O L É R A N C E

au voyageur, aux mendiants


et pour le rachat des captifs.
Celui qui s'acquitte de la prière ;
celui qui fait l'aumône.
Ceux qui remplissent leurs engagements.
Ceux qui sont patients dans l'adversité, le malheur
et au m o m e n t d u danger :
voilà ceux qui sont justes !
Voilà ceux qui craignent Dieu !
Le Coran, Sourate n, La vache

206

L a Religion, c'est la justice pour tous.


Q u e serait une religion où le droit manifeste [serait bafoué ?]
L ' h o m m e incapable d'entraîner son â m e vers le Bien,
Entraîne après lui tous les soldats d u m o n d e !
Loue le Seigneur, prie, fais soixante-dix fois,
Et non sept seulement, le tour de la Ka c aba,
T u n'en es pas plus religieux pour cela !
Il ignore la religion, celui qui, devant ses désirs,
N'est pas capable de se maîtriser.
Le Bien n'est pas le jeûne où l'on se consume,
C e n'est pas la prière, ni la bure sur le corps,
Mais c'est chasser le M a l et arracher de son cœur
Et la haine et l'envie.
Tant que bêtes sauvages et troupeaux craindront [d'être
déchirés],
Le lion ne pourra passer pour u n ascète.
Adore Dieu, non sa créature.
L a loi asservit quand la raison libère !
Abu al-'AIâ' al-Ma'arn, 979-1058, Syrie

207

Le Christ n'a excommunié aucune nation, aucun pays,


aucune maison, aucun h o m m e : il n'a autorisé aucun de ses
ministres à dire à un h o m m e : « Toi tu n'es pas racheté de
141
LA VÉRITÉ EN QUESTION

tes péchés » ; il n ' a permis à aucune conscience blessée ou


affligée de se dire à elle-même : « J e ne suis pas rachetée ».
John Donne, 1573-1631, Angleterre, Sermons

208

Voilà, cher frère, ce que les Chrétiens foibles et persécutés


disoient aux idolâtres qui les traînoient aux pieds de leurs
autels :
« Il est impie d'exposer la religion aux imputations
odieuses de tyrannie, de dureté, d'injustice, d'insociabilité,
m ê m e dans le dessein d'y ramener ceux qui s'en seroient
malheureusement écartés. L'esprit ne peut acquiescer q u ' à
ce qui lui paraît vrai ; le cœur ne peut aimer que ce qui lui
semble bon. L a contrainte fera de l ' h o m m e u n hypocrite s'il
est faible, un martyr s'il est courageux. Faible ou courageux,
il sentira l'injustice de la persécution et s'en indignera.
L'instruction, la persuasion et la prière, voilà les seuls
moyens d'étendre la religion.
T o u t m o y e n qui excite la haine, l'indignation et le mépris
est impie.
T o u t m o y e n qui réveille les passions et qui tient à des
vues intéressées, est impie.
Tout moyen qui relâche les liens naturels et éloigne les
pères des enfants, les frères et les sœurs des sœurs, est impie.
Tout m o y e n qui tendroit à soulever les h o m m e s , à armer
les nations et à tremper la terre de sang, est impie.
Il est impie de vouloir imposer des lois à la conscience,
règle universelle des actions. Il faut l'éclairer et non la
contraindre.
Les h o m m e s qui se trompent de bonne foi sont à
plaindre, jamais à punir.
Il ne faut tourmenter ni les h o m m e s de bonne foi, ni les
h o m m e s de mauvaise foi ; mais en abandonner le jugement
à Dieu. (...)
Cessez d'être violent, ou cessez de reprocher la violence
aux Païens et aux M u s u l m a n s .
Lorsque vous haïssez votre frère, et que vous prêchez la
142
LA TOLÉRANCE

haine à votre s œ u r , est-ce l'esprit de Dieu qui vous inspire ?


Le Christ a dit : Mon royaume n'est pas de ce monde; et vous,
son disciple, vous voulez tyranniser ce m o n d e .
Il a dit : Je suis doux et humble de cœur. Etes-vous d o u x et
humble de c œ u r ?
Il a dit : Heureux les débonnaires, les pacifiques et les
miséricordieux! E n conscience, méritez-vous cette bénédic-
tion? Etes-vous débonnaire, pacifique et miséricordieux?
Il a dit : Je suis l'agneau qui a été mené à la boucherie sans se
plaindre. Et vous êtes tout prêt à prendre le couteau d u
boucher et à égorger celui pour qui le sang de l'agneau a été
versé. Il a dit : Si l'on vous persécute, fuyez. Et vous chassez ceux
qui vous laissent dire, et qui ne d e m a n d e n t pas mieux q u e de
paître doucement à côté de vous.
Il a dit : Vous voudriez que jefissetomber le feu du ciel sur vos
ennemis. V o u s ne savez pas quel esprit vous anime ».
Denis Diderot, France, Lettre à l'abbé Diderot, 1760

209
Celui qui veut manier l'épée d u ciel doit être aussi sain que
sévère ; trouver en soi u n modèle et demeurer en grâce q u a n d
la vertu vient à faillir ailleurs, pesant ses péchés à la m ê m e
balance que les péchés des autres. Honte à celui qui m e t
cruellement à mort pour des fautes auxquelles il est lui-même
enclin.
Shakespeare, Angleterre, Mesure pour mesure,
acte m , scène II, 1605

210
Témoignages contre l'intolérance

C'est une impiété d'ôter, en matière de religion, la liberté aux


h o m m e s , d'empêcher qu'ils ne fassent choix d'une divinité :
aucun h o m m e , aucun dieu, ne voudrait d'un service forcé
(Tertullien, Apologétique, ch. X X I V ) .
La religion forcée n'est plus une religion : il faut
persuader et non contraindre, la religion ne se c o m m a n d e
point (Lactance, Divinarum institutionum, Livre III).
143
LA VÉRITÉ EN QUESTION

C'est une exécrable hérésie de vouloir attirer par la force,


par les coups, par les emprisonnements, ceux qu'on n'a pu
convaincre par la raison (Saint Athanase, Livre I) (...)
Accordez à tous les h o m m e s la tolérance civile (Fénelon,
archevêque de Cambrai, au D u c de Bourgogne).
(•••)

O n pourrait faire u n livre énorme, tout composé de


pareils passages. N o s histoires, nos discours, nos sermons,
nos ouvrages de morale, nos catéchismes, respirent tous,
enseignent tous aujourd'hui ce devoir sacré de l'indulgence.
Par quelle inconséquence démentirions-nous dans la prati-
que une théorie que nous annonçons tous les jours ? Q u a n d
nos actions démentent notre morale, c'est que nous croyons
qu'il y a quelque avantage pour nous à faire le contraire de
ce que nous enseignons ; mais certainement, il n'y a aucun
avantage à persécuter ceux qui ne sont pas de notre avis, et
à nous en faire haïr. Il y a donc, encore une fois, de
l'absurdité dans l'intolérance.
Voltaire, France, Traité sur la tolérance, 1763

211

E n vérité, ce à quoi nous reconnaissons la religion chré-


tienne, c'est moins qu'elle cherche la vérité mais qu'elle
enseigne la charité, la paix, la douceur, l'humanité, la
bienveillance, la patience. C'est par ces vertus qu'elle veut
que ceux qui la confessent puissent vaincre leurs ennemis et
non pas être vaincus par eux. Tout en défendant la vérité des
choses divines, elle n'exige point que ceux qui la proclament
et la protègent rompent les liens les rattachant à la
c o m m u n a u t é en tant q u ' h o m m e s et citoyens, mais plutôt
qu'ils renforcent ces liens, qu'ils affermissent la charité à
l'égard de tous les h o m m e s et respectent les droits de la paix.
Aussi serait-ce vergogneux pour la religion chrétienne si,
pour la proclamer et la défendre, on avait recours à la
violence, au meurtre, au châtiment.
Johannes Crellius, Pologne, De la tolérance dans la religion
ou de la liberté de conscience, 1637
144
LA TOLÉRANCE

212

L a charité n'est point meurtrière. L ' a m o u r du prochain ne


porte point à le massacrer. Ainsi le zèle du salut des h o m m e s
n'est point la cause des persécutions ; c'est l'amour propre et
l'orgueil qui en est la cause. Moins un culte est raisonnable,
plus on cherche à l'établir par la force. Celui qui professe une
doctrine insensée ne peut souffrir qu'on ose la voir telle
qu'elle est : la raison devient alors le plus grand des crimes ;
à quelque prix que ce soit, il faut l'ôter aux autres, parce
qu'on a honte d'en manquer à leurs yeux. Ainsi l'intolérance
et l'inconséquence ont la m ê m e source. Il faut sans cesse
intimider, effrayer les h o m m e s . Si vous les livrez u n m o m e n t
à leur raison, vous êtes perdus.
D e cela seul, il suit que c'est un grand bien à faire aux
peuples, dans ce délire, que de leur apprendre à raisonner
sur la Religion, car c'est les rapprocher des devoirs de
l'homme, c'est ôter le poignard à l'intolérance, c'est rendre
à l'humanité tous ses droits. (...) Il faut remonter à des
principes généraux et c o m m u n s à tous les h o m m e s .
J.-J. Rousseau, Genève, Lettre à Christophe de Beaumont, 1762

213

Car ne l'oublions pas : bien que le Christianisme soit en u n


sens la plus tolérante des religions — dans la mesure où,
c o m m e la plupart des religions, il abhorre le recours à la
force physique, en u n autre sens, il est de toutes les religions,
la plus intolérante, dans la mesure où tout véritable Chrétien
ne connaît pas de limite dans sa volonté de forcer (la
conversion des) autres, par sa propre souffrance, en souffrant
leur cruauté et leur persécution.
Soren Kierkegaard, 1813-1855, Danemark

214

Pourquoi m e tuez-vous ? — E h quoi ? ne demeurez-vous pas


de l'autre côté de l'eau ? M o n a m i , si vous demeuriez de ce
145

LA VÉRITÉ E N QUESTION

côté, je serais u n assassin, et cela serait injuste d e v o u s tuer


d e la sorte, m a i s puisque v o u s d e m e u r e z d e l'autre côté, je
suis u n brave, et cela est juste.
(...)
Plaisante justice q u ' u n e rivière borne ! Vérité e n - d e ç à des
Pyrénées, erreur au-delà.
Pascal, 1623-1662, France, Pensées

L'alternative
Le message étant si clairement perverti, entre un Dieu par tous perçu
et la force érigée en argument, face à l'Autre enfin circonscrit dans sa
différence, la raison d'aucuns oscille entre le vertige et toutes les
tentations de l'indifférence.
Dans l'alternative ainsi définie, des propositions plus hardies se
détachent : « détruire les dogmes qui divisent les hommes et rétablir la
vérité qui les réunit » sous la conduite de philosophes, mais rois ; une
paix séparée des consciences dans une commune confiance en une nature
déifiée. C'est à la fois le déclin de l'humanisme classique et l'émergence
de son succédané, le libéralisme où le « laisser-faire » doit, par la seule
poursuite de l'intérêt individuel, évacuer le conflit moral à la condition
cependant que l'ordre social, l'ordre établi, ne soit pas mis en cause.
Mais est-ce vraiment l'ouverture ? L'essentiel n'est-il pas ailleurs ?
Tous ces glissements ne sont que « fausses sorties » en ce qu'ils
opposent, par un effort de raison spéculative et biaisée, des solutions
formelles et partielles à des revendications globales et concrètes. Aux
unes et aux autres ne manque que le projet social, le ciment qui les
intègre et les rassemble toutes puisque, pour vivre, toute société cléricale
doit opérer une double mutation : à l'intérieur vis-à-vis des
particularismes qui la constituent, à l'extérieur dans l'acceptation
conviviale de ce qui n'est pas elle. Bref, se redéfinir et par là redéfinir
la liberté de tous.

215

Que dois-je donc faire, ô croyants? Je ne m e connais pas


moi-même : je ne suis ni Chrétien, ni Juif, ni Mazdéen, ni
146
LA TOLÉRANCE

M u s u l m a n , ni d'Orient, ni d'Occident, ni de la m e r , ni de la
terre, ni des cieux en rotation, ni des mines de la nature (...)
M a place est de n'en point avoir, m o n signe est de n'en point
montrer. N e possédant â m e ni corps, j'appartiens à l'Esprit
suprême. Bannissant la dualité, je n'ai plus vu q u ' u n univers.
Lui ! Je le cherche et le connais, je le perçois et je l'appelle.
Lui! C'est l'alpha, c'est l'oméga. Lui! L'évident et l'invisi-
ble. Je ne sais nul autre que Lui, criant : « O Lui, ô Lui qui
est. » Le vin de l'amour m e rend ivre et j'oublie ce bas-
m o n d e et l'autre. L'extase et le ravissement, c'est là tout ce
queje désire.
Jalâl al-Dih al-Rümí, Perse. 1207-1273

216

Dis:
« O vous, les incrédules !
Je n'adore pas ce que vous adorez ;
Vous n'adorez pas ce que j'adore.
M o i , je n'adore pas ce que vous adorez ;
vous, vous n'adorez pas ce que j'adore.
A vous votre religion ;
à moi, m a Religion. »
Le Coran, Sourate cix, Les incrédules

217

Q u e l'un soit libre d'adorer Dieu et l'autre Jupiter ; que l'un


puisse lever ses mains suppliantes vers le ciel et l'autre vers
l'autel de la Bonne Foi ; qu'il soit permis à l'un de compter
les nuages en priant (si vous croyez qu'il le fait), et à l'autre
les panneaux des lambris, que l'un puisse vouer à son Dieu
sa propre â m e , l'autre la vie d ' u n bouc ! Prenez garde, en
effet, que ce ne soit déjà un crime d'irréligion que d'ôter aux
h o m m e s la liberté de la religion et de leur interdire le choix
de la divinité, c'est-à-dire, de ne pas permettre d'honorer qui
je veux honorer, pour m e forcer d'honorer qui je ne veux pas
147
LA VÉRITÉ EN QUESTION

adorer ! Il n'est personne qui veuille des hommages forcés,


pas m ê m e un h o m m e .
Tertullien, apologiste chrétien, 11e siècle, Carthage, Apologétique

218

N e d e m a n d e pas par quelle porte


T u es entré dans la cité de Dieu,
Mais demeure dans le lieu tranquille
O ù tu as finalement pris place.
Goethe, Allemagne, Livre des sentences, 1819

219

Je considère qu'il est de m o n devoir de bien comprendre les


autres. S'ils agissent selon la volonté de Dieu, m'immiscer
dans leurs actions serait en soi reprehensible ; dans le cas
contraire, ils sont victimes de leur ignorance et méritent m a
pitié.
Akbar le Grand, 1542-1605, empereur moghol de l'Inde

220

Les h o m m e s ont banni la Divinité d'entre eux; ils l'ont


reléguée dans u n sanctuaire ; les m u r s d'un temple bornent
sa vue ; elle n'existe point au-delà. Insensés que vous êtes :
détruisez ces enceintes qui rétrécissent vos idées ; élargissez
Dieu, voyez-le partout où il est, ne dites pas qu'il n'est point.
Denis Diderot, France, Pensées philosophiques, 1746

221

Le seul m o y e n d e rendre la paix aux h o m m e s est donc de


détruire tous les dogmes qui les divisent, et de rétablir la
vérité qui les réunit ; c'est donc là en effet la paix perpétuelle.
Cette paix n'est point une chimère ; elle subsiste chez tous les
honnêtes gens, depuis la Chine jusqu'au Québec.
Voltaire, France, D e la paix perpétuelle, 1765
148
LA TOLÉRANCE

222

Les h o m m e s se sont trouvés rapprochés par des visions


affectives d u m o n d e (Gesinnungen), séparés par des options
intellectuelles (Meinungen) (...) Les amitiés de jeunesse se
fondent sur les premières, des dissensions d e l'âge m û r les
dernières sont responsables. Se serait-on aperçu d e cela plus
tôt, au m o m e n t où o n développait ses m o d e s d e pensée, et se
serait-on façonné une attitude libérale envers les autres,
m ê m e envers ceux qui contredisaient ces m o d e s personnels
de pensée, o n serait alors devenu plus conciliant et l'on
aurait travaillé à rapprocher de nouveau, a u niveau des
visions affectives d u m o n d e , ce que les options intellectuelles
avaient séparé (...) Les choses célestes et terrestres embras-
sent u n si vaste empire q u e les organes d e tous les êtres
réunis peuvent à peine l'étreindre.
Goethe, Allemagne, Lettre à Jacobi, 1813

223

Tandis que les cultes humains continueront d e se déshonorer


dans l'esprit des h o m m e s par leurs extravagances et leurs
crimes, la religion naturelle se couronnera d ' u n nouvel éclat,
et peut-êtrefixera-t-elleenfin les regards de tous les h o m m e s ,
et les ramènera-t-elle à ses pieds ; c'est alors qu'ils ne
formeront q u ' u n e société (...) qu'ils n'écouteront plus que la
voix de la nature et qu'ils recommenceront enfin d'être
simples et vertueux. O mortels ! C o m m e n t avez-vous fait
pour vous rendre aussi malheureux que vous l'êtes ? Q u e je
vous plains et queje vous aime !
Denis Diderot, France,
D e la suffisance de la religion naturelle, 1747

224
Morale de l'athée

N e nous enquérons point des motifs qui peuvent déter-


miner u n h o m m e à embrasser u n système; examinons ce
149
LA VÉRITÉ EN QUESTION

système, assurons-nous s'il est vrai, et si nous le trouvons


fondé sur la vérité, nous ne pourrons jamais l'estimer d a n -
gereux. C'est toujours le mensonge qui nuit aux h o m m e s ;
si l'erreur est visiblement la source unique de leurs m a u x ,
la raison en est le vrai remède. N e nous informons pas
davantage de la conduite de l ' h o m m e qui nous présente
un système; ses idées, c o m m e on l'a dit déjà, peuvent être
très saines, q u a n d m ê m e ses actions seraient très dignes de
blâme.
Paul Henri d'Holbach, France,
Le système de la nature, 1770

225

J'ignore si cet Être juste ne punira point u n jour toute


tyrannie exercée en son n o m ; je suis bien sûr au moins qu'il
ne la partagera pas et ne refusera pas le bonheur éternel à nul
incrédule vertueux et de bonne foi. Puis-je sans offenser sa
bonté, et m ê m e sa justice, douter q u ' u n cœur droit ne
rachète une erreur involontaire, et que des moeurs irrépro-
chables ne vaillent bien à ses yeux mille cultes bizarres
prescrits par les h o m m e s et rejetés par la raison ? Je dirai
plus : si je pouvais acheter les œuvres aux dépens de m a foi,
et compenser à force de vertu m o n incrédulité supposée, je
ne balancerais pas u n instant, et j'aimerais mieux pouvoir
dire à Dieu : « J'ai fait sans songer à toi le bien qui t'est
agréable, et m o n c œ u r suivait ta volonté sans la connaître »
que de lui dire, c o m m e il faudra que je fasse u n jour ;
« Hélas ! Je t'aimais et n'ai cessé de t'offenser ; je t'ai connu
et n'ai rien fait pour te plaire. »
J.-J. Rousseau, Genève,
Lettre à Voltaire, 1756

226
De la tolérance universelle

Il ne faut pas u n grand art, une éloquence bien recherchée


pour prouver q u e des Chrétiens doivent se tolérer les uns les
150
LA T O L É R A N C E

autres. Je vais plus loin : je vous dis qu'il faut regarder tous
les h o m m e s c o m m e nos frères. Quoi ! m o n frère le Turc ?
m o n frère le Chinois ? le Juif? le Siamois ? Oui, sans doute ;
ne sommes-nous pas tous enfants d u m ê m e Père, et créatures
du m ê m e Dieu ?
Mais ces peuples nous méprisent ; mais ils nous traitent
d'idolâtres ! H é bien f je leur dirai qu'ils ont grand tort.
(...)
Je parlerais maintenant aux Chrétiens, et j'oserais dire
( • • • ) . :

O sectateurs d ' u n dieu clément ! si vous aviez u n c œ u r


cruel ; si, en adorant celui dont toute la loi consistait en ces
paroles : « A i m e z Dieu et votre prochain », vous aviez
surchargé cette loi pure et sainte de sophismes et de disputes
incompréhensibles; si vous aviez allumé la discorde, tantôt
pour u n m o t nouveau, tantôt pour u n e seule lettre de
l'alphabet; si vous aviez attaché des peines éternelles à
l'omission de quelques paroles, de quelques cérémonies q u e
d'autres peuples ne pouvaient connaître; je vous dirais, en
répandant des larmes sur le genre h u m a i n : « Transportez-
vous avec moi au jour où tous les h o m m e s seront jugés, et où
Dieu rendra à chacun selon ses œuvres.
Je vois tous les morts des siècles passés et d u nôtre
comparaître en sa présence. Etes-vous bien sûrs que notre
Créateur et notre Père dira au sage et vertueux Confucius, a u
législateur Solon, à Pythagore, à Zaleucus, à Socrate, à
Platon, aux divins Antonins, au bon Trajan, à Titus, les
délices d u genre h u m a i n , à Epictète, à tant d'autres h o m m e s ,
les modèles des h o m m e s : « Allez, monstres ; allez subir des
châtiments infinis en intensité et en durée; que votre
supplice soit éternel c o m m e moi ! Et vous, mes bien-aimés,
Jean Châtel, Ravaillac, Damiens, Cartouche, etc., qui êtes
morts avec les formules prescrites, partagez à jamais à m a
droite m o n empire et m a félicité. »
Vous reculez d'horreur à ces paroles, et après qu'elles m e
sont échappées, je n'ai plus rien à vous dire.
Voltaire, France,
Traité sur la tolérance, 1763
151
LA VÉRITÉ EN QUESTION

Le fond du problème

Vérité et violence

Finissons-en auparavant avec cette « vérité » qui prétend prendre appui


sur le message initial pour persécuter ceux qu'elle veut « hérétiques » :
on ne trouve nulle trace de telle licence qui ne repose, le plus souvent,
que sur une sollicitation sinon un détournement. E n d'autres temps, on
n'excommuniait le contestataire qu'après l'avoir entendu, non sur tel
glossateur, mais sur l'esprit littéral du message. Maintenant la force
fabrique ses coupables et tout lui devient prétexte à anathème, hérésie,
procès, bûcher et autres « procès ». Une vérité qui se défend ainsi n'en
est pas une.
Selon cette logique, le premier hérétique n'est-ce point le fondateur
même de la Religion, de toute religion, de toute idéologie nouvelle?
D ' o ù il suivrait qu'une « hérésie » qui réussit n'est que « vérité »
provisoire et donc par une autre hérésie révocable, à ceci près que ces
hérétiques-là préfirent mourir de mort violente plutôt que d'adjurer ou
de se laisser « racheter ».
Ainsi, sous peine de tomber dans l'absurdité qui est l'essence même
de la force mise au service de l'idéologie, il n'est qu'une voie : la liberté
religieuse, dès lors qu'au-delà des individus, c'est la nation, « le repos
public » et l'esprit vrai de la religion qui s'en trouvent autrement
menacés. A u sein d'une même communauté, il ne peut y avoir de
prééminence d'un culte sur l'autre, de dogmes sur d'autres, de
« conscience » reine : toute conscience est par elle-même souveraine et
inaliénable. A chacun donc la vérité de sa conscience mais non de ses
intérêts ; contre la force de conviction, la force nue ne peut rien, la force
n'étant que la raison du perdant. C'est là et là seulement qu'il faut
chercher le chemin d'une paix autrement impossible.
Plus encore, c'est l'intolérance qui est la cause des désordres, non
la tolérance. D'autres exemples de sociétés montrent à l'évidence que la
diversité de sectes, de religions, dans une même société, loin de nuire à
la paix et à l'union nationales, en ont été au contraire de puissants
éléments d'unification et d'épanouissement. Le pluralisme en matière de
foi est le plus sûr moyen de mettre en échec la relation de domination.
Encore faudrait-il que le Prince fût au-dessus des partis et veillât à ce
152
LA T O L É R A N C E

que plusieurs religions « s'entresupportent mutuellement » comme font


« les diverses espèces d'artisans ».
Au-delà de la foi, c'est à un appel à une démocratie non
confessionnelle qu'on invite ici, profondément individualiste, certes,
mais où l'on cesse de s'entretuer ou même de disputer sur la vraie
religion des religions. Pour cela il est donc nécessaire de passer » des
vérités révélées aux vérités de raison ». Parce qu'au-dessus des opi-
nions des citoyens, c'est l'Etat, la paix de l'Etat qui sont en jeu,
qui sont l'enjeu. C'est alors le Souverain qui est l'interpellé, non telle
ou telle secte de la nation. Il n'est pour s'en convaincre que de
consulter les archives connues de l'Histoire... mais le livre est un tel
brûlot...
En réalité, le problème n'est pas de pluralité d'opinions, même
religieuses, mais d'organisation de l'Etat. Se battre, mourir pour la
liberté de conscience devient ainsi un combat d'arrière-garde tant le réel
est en retard sur une Histoire constamment en avance. Le problème
restera longtemps noyé dans des questions historiquement marginales :
par bien des côtés, en effet, l'attachement à telle ou telle conviction,
transcendance, est affaire d'opinion, en tout cas de non-rationalité. Ici-
bas cependant, les hommes pressentent qu'ils sont faits pour coexister,
créer ensemble. L'apôtre étant ainsi rationnellement mis hors de cause,
entre la « loi » du plus fort, des « vérités » exclusives et le compromis,
il n'est de choix possible que du compromis, aussi longtemps en tout
cas que l'on veut se maintenir sur le plan du seul sentiment. Sur celui,
réel, de la coexistence, il y a encore à dire et à redire. La force n'est
plus recevable comme preuve de vérité puisque théoriquement elle est
provisoire, donc réversible ; les relations humaines ne peuvent être régies
que par des lois humaines, sans plus de charité ni de paralogismos,
mais d'homme(s) à homme(s), frères de nature et pour telles raisons,
essentiellement de ce monde commun, opposés.
Au terme de cette séquence, une victoire cependant : nul ne peut
plus, sans être criminel, même au nom de sa « vérité » — seul ou
collectivement — spolier, dominer, tyranniser, tuer sans devoir être
justiciable de lois et d'un droit qui sont le consensus d'intérêts laïcisés.
Donc, d'hommes entre eux.
Mais au fait, rétrospectivement, s'agissait-il bien de faire partager
la « vérité » ou d'imposer par toutes nuances d'autorité la raison
suprême de ses propres intérêts ?
153
LA VÉRITÉ E N QUESTION

227

Il ne faut pas, q u a n d il est question d'une chose d e si grande


importance que de faire mourir u n h o m m e , aller ainsi tordre
et exposer la loy à nostre fantaisie (...) puisque Dieu n ' a
c o m m a n d é ni aux Vieux ni a u N o u v e a u Testament de faire
mourir les hérétiques et que nous ne debvons oster ni ajouter
à sa loy et c o m m a n d e m e n s , et que pour ceste cause il punira
non seulement ceux qui auront faict ce qu'il n ' a pas
c o m m a n d é , q u ' o n ne les doibt point faire mourir et que, au
pis aller, le magistrat aura toujours juste excuse d e ne les
avoir faict mourir, disant : « Seigneur, tu ne nous avois point
c o m m a n d é . » Et a u contraire s'il les faict mourir, a u mieux
allez, il pourra toujours estre reprins à bon droict de Dieu,
disant : « J e ne le vous avoy point c o m m a n d é . » Et de ce
faict, si les Princes estoient sages, quand les théologiens les
incitent à mettre à mort les hérétiques, ils leur diroient :
« Monstrés-nous une loy divine qui expressément le
c o m m a n d e », et alors tous les théologiens d u m o n d e ne
sçauroient que dire. Q u a n d Dieu enseigne l'office d ' u n roy,
il c o m m a n d e qu'il ait le double de la loy en u n livre, et qu'il
le retienne et lise tous les jours de sa vie, sans s'en détourner
n'a droict n ' a gauche.
Sébastien Castellion,
Conseil à la France désolée, 1562

228

R e m a r q u e z , Bassanio,
Q u e le diable à ses fins peut citer l'Ecriture.
L ' â m e mauvaise employant le saint témoignage
Est c o m m e u n scélérat le sourire à la joue,
U n e p o m m e jolie pourrie au cœur...
O h , quels jolis dehors se d o n n e le mensonge ! »
(...)
E n religion,
Est-il maudite erreur q u ' u n front sévère
N e bénisse et n'autorise d ' u n texte,
154
LA T O L É R A N C E

Cachant l'énormité sous le bel ornement?


Shakespeare, Angleterre, Le marchand de Venise, acte i, scène III
et acte in, scène II, 1597

229

A u Très Révérend Père dans le Christ, Albert, Cardinal


archevêque, salutations d'Érasme de Rotterdam, T h é o -
logien.

Autrefois, l'hérétique était entendu attentivement. S'il


donnait satisfaction, on l'absolvait, s'il s'entêtait après avoir
été convaincu d'hérésie, la peine suprême était pour lui
l'exclusion d e la c o m m u n i o n ecclésiastique. Maintenant, le
crime d'hérésie a changé de caractère ; pour n'importe quelle
raison futile, on a tout de suite à la bouche : « C'est une
hérésie ! c'est une hérésie ! » Autrefois, on regardait c o m m e
hérétique celui qui s'écartait de l'Évangile, des articles de foi
ou de ce qui avait une autorité analogue. Maintenant, si
quelqu'un s'écarte tant soit peu de saint T h o m a s , c'est u n
hérétique, ou m ê m e si quelqu'un m a r q u e son désaccord avec
la fausse théorie de quelque sophiste de l'École de fraîche
invention, c'est u n hérétique. Tout ce qui ne plaît pas, tout
ce qu'on ne comprend pas, c'est une hérésie. Savoir le grec,
c'est une hérésie. Parler u n langage châtié, c'est une hérésie
(...) J'avoue q u e c'est une grave accusation que celle de vicier
la foi, mais il ne faut pas cependant faire de tout une question
de foi.
Érasme de Rotterdam, Lettre à Albert de Brandenbourg, 1519

230
Le « coupable en soi »

« T u es J . K . », dit l'abbé — « O u i », dit K . en songeant avec


quelle franchise il prononçait autrefois son n o m . Depuis
quelque temps, au contraire, ce lui était u n vrai supplice ; et
maintenant, tout le m o n d e savait ce n o m . Qu'il était beau de
n'être connu qu'une fois qu'on s'était présenté ! « T u es
155
LA VÉRITÉ EN QUESTION

accusé », dit l'abbé d'une voix extrêmement basse. « O u i »,


dit K . , « on m ' a prévenu. » — « Alors, tu es bien celui que
je cherche », dit l'abbé. « J e suis l'aumônier de la prison. »
— « A h , bien », dit K . — «Je t'ai fait venir ici », dit l'abbé,
« pour te parler. » — «Je ne le savais pas », dit K . «J'étais
venu pour montrer la cathédrale à u n Italien. » — « Laisse
là l'accessoire », dit l'abbé. « Q u e tiens-tu dans ta main ? Est-
ce u n livre de prières ! » — « N o n , c'est u n album des
curiosités de la ville. » — « Lâche-le », dit l'abbé. K . le
jeta si violemment qu'il se déchira en claquant et roula sur
le sol.
« Sais-tu que ton procès va mal ? », demanda l'abbé. —
« C'est bien ce qu'il m e semble », dit K . « J e m e suis donné
beaucoup de mal, mais jusqu'ici, sans résultat; à vrai dire,
m a requête n'est pas encore terminée. » — « C o m m e n t
penses-tu que celafinira?», d e m a n d a l'abbé. « Autrefois, je
pensais que m o n procèsfiniraitbien, mais maintenant j'en
doute parfois. Je ne sais pas c o m m e n t ilfinira.L e sais-tu,
toi ?» — « N o n », dit l'abbé, « mais je crains qu'il ne finisse
mal. T o n procès ne sortira pas peut-être d u ressort d ' u n petit
tribunal. Pour le m o m e n t , on considère d u moins ta faute
c o m m e prouvée. » — « Mais je ne suis pas coupable », dit
K . , « c'est une erreur ». « D'ailleurs, c o m m e n t u n h o m m e
peut-il être coupable? Nous s o m m e s tous des h o m m e s ici,
l'un c o m m e l'autre. » — « C'est juste », répondit l'abbé,
« mais c'est ainsi que parlent les coupables. »
Franz Kafka, 1883-1924, Tchécoslovaquie, Le procès"

231

Le Roi [Philippe II d'Espagne] fait erreur s'il croit que le


peuple de ce pays va tolérer indéfiniment les édits sanglants
contre les hérétiques. Bien que je sois tout dévoué à la
religion catholique romaine, je ne peux approuver que les
monarques s'arrogent un droit de contrôle sur la conscience
de leurs sujets et les privent de leur liberté religieuse.
Guillaume de Nassau dit le Taciturne, Hollande,
Discours prononcé au Conseil d'Etat, 1564
156

LA TOLÉRANCE

232
Si pour défendre leurs opinions ils n'ont recours ni à l'arme
ni à la force, considérant cela indigne, et ne cherchant pas à
les imposer par des attraits matériels, il est certain q u e
jamais la vérité ne sera écrasée par la force ni renversée par
la ruse. C a r c'est ainsi qu'elle est de par sa nature m ê m e :
c o m m e les ailes d ' u n aigle, elle ramasse toutes les autres
plumes légères des opinions et n e nous quittera jamais, à
moins q u e notre esclavage et notre corruption ne parvien-
nent à la dégoûter. Et si, dans une sage atmosphère de libre
expression d'opinions contradictoires et d'efforts assidus à
éveiller en soi u n a m o u r véritable, il ne faut craindre ni l'un
ni l'autre, pourquoi donc défendons-nous à ce point nos
opinions contre leurs idées ?
Samuel Przypkowski, Pologne,
Dissertation sur la paix et l'entente dans l'Église, 1628

233

Frédéric : J e m e suis souvent étonné, parmi u n e si grande


diversité de sectes, et telle qu'Epiphane et Tertullien en ont
compté jusqu'à cent vingt et Thémistius plus de trois cents,
c o m m e n t la paix et l'union aient p u se conserver parmi les
peuples, puisque de notre temps deux diverses créances
parmi les Chrétiens ont causé tant et tant de si rudes guerres
civiles et tant de désolation de villes.
Curtius : Il n ' y a rien de plus dangereux que d e voir dans u n e
République le peuple partagé en deux factions seulement,
soit qu'il soit question des lois o u des préséances, o u pour le
fait de la religion ; mais s'il y a plusieurs factions il n ' y a point
de guerre civile à craindre, parce q u e les unes sont c o m m e
des voix qui semblent intercéder envers les autres pour
mettre la paix et l'harmonie parmi les citoyens.
Torralbe : Cette raison est très à propos recherchée dans les
accords de la musique, la raison naturelle étant trop relevée,
à savoir par qui naturellement une chose seulement est
contraire à une autre et q u e plusieurs choses différentes ne
peuvent pas être contraires à une, naturellement.
157
LA VÉRITÉ EN QUESTION

Octave : J'estime que c'est par cette raison que les Turcs et
les Persans reçoivent parmi eux toutes sortes de religions et
vous voyez cependant une merveilleuse concorde tant parmi
le peuple que parmi les passagers, bien que différents de
religion.
Frédéric : Pour moi, j'estime qu'il n'y a rien qui fut plus à
souhaiter dans u n grand royaume ou dans une grande ville
que cela put se faire que tous eussent une m ê m e religion. Et
Aratus n'a rien fait de plus remarquable que d'avoir
accoutumé les Achéens qui composaient plus de trois cents
villes à vivre sous m ê m e s lois, m ê m e religion, m ê m e s
cérémonies, m ê m e s poids et m ê m e s mesures, en sorte qu'on
n'y pouvait plus rien désirer sinon que toutes ces villes
fussent enfermées entre m ê m e s murailles, et c'est, à m o n
avis, le fondement solide de l'amitié que Cicerón a mis à
suivre un m ê m e sentiment, tant pour les choses divines que
pour les humaines.
Octave : Croyez-vous, Frédéric, que les Achéens aient p u se
conserver dans une seule religion, eux qui contaient trente
mille divinités, puisque jamais les sacrifices de Bacchus n'ont
p u avoir de conformité avec ceux d'Eleusis ?
Coroni : Certainement, nous devons plutôt souhaiter et
demander à Dieu qu'espérer qu'il y ait parmi le m o n d e
qu'une religion et qu'une m ê m e créance, pourvu que ce soit
( m ê m e si c'était) la vraie !
Salomon : N e disons point que c'est la religion, quand nous
ne dirons point (tant que nous n'aurons pas trouvé) que c'est
la vraie.
Sénoni : Puisque les chefs de religion et les pontifes en
chacune ont eu tant de débats, les uns contre les autres, qu'il
n'est pas possible de dire quelle est la vraie, n'est-il pas
mieux de recevoir dans les grands états, c o m m e nous voyons
dans ceux des Turcs et des Perses, toutes sortes de religions
que d'en exclure quelqu'une ? Car si nous cherchons pour-
quoi les Grecs, les Latins et les Barbares n'ont point eu
autrefois de différents pour le fait de la religion, nous n'en
trouverons point à m o n avis d'autre raison sinon que tous
158
LA TOLÉRANCE

étaient également éclairés et avaient u n m ê m e sentiment de


toutes les religions.
Jean Bodin, France, Colloquium heptaplomeres, 1593

234

Il y a des siècles de cela, en Orient, vivait u n h o m m e qui


possédait u n anneau d'une valeur inestimable, don d'une
main chère. L a pierre en était une opale, où se jouaient mille
belles couleurs, et elle avait le secret pouvoir de rendre
agréable à Dieu et aux h o m m e s quiconque la portait animé
de cette conviction. Quoi d'étonnant si l'Oriental la gardait
constamment au doigt, et prit la décision de la conserver
éternellement à sa famille? Voici ce qu'il fit. Il légua
l'anneau au plus aimé de sesfils,et il statua que celui-ci, à
son tour, léguerait l'anneau à celui de sesfilsqui lui serait le
plus cher, et que perpétuellement le plus cher, sans considé-
ration de naissance, par la seule vertu de l'anneau, devien-
drait le chef, le premier de sa maison. Ainsi donc, de père en
fils, cet anneau vint finalement aux mains d'un père de trois
fils qui tous trois lui obéissaient également, qu'il ne pouvait
par conséquent s'empêcher d'aimer tous trois d ' u n m ê m e
amour. A certains m o m e n t s seulement, tantôt celui-ci, tantôt
celui-là, tantôt le troisième (...) lorsque chacun se trouvait
seul avec lui et que les deux autres ne partageaient pas les
épanchements de son cœur (...) lui semblait plus digne de
l'anneau qu'il eut alors la pieuse faiblesse de promettre à
chacun d'eux. Les choses allèrent ainsi, tant qu'elles allè-
rent... Mais la mort était proche, et le bon père tombe dans
l'embarras. Il a peine à contrister ainsi deux de sesfils,qui
sefientà sa parole... Q u e faire ?... Il envoie secrètement chez
un artisan, auquel il c o m m a n d e deux autres anneaux sur le
modèle d u sien, avec l'ordre de ne ménager ni peine ni argent
pour les faire de tous points semblables à celui-ci. L'artiste
y réussit. Lorsqu'il apporte les anneaux au père, ce dernier
est incapable de distinguer le sien, l'anneau modèle. Joyeux
et allègre, il convoque sesfils,chacun à part, donne à chacun
sa bénédiction, ... et son anneau... et meurt.
159
LA VÉRITÉ EN QUESTION

A peine le père mort, chacun arrive avec son anneau et


chacun veut être le chef de la maison. O n enquête, on se
querelle, on s'accuse. Peine perdue ; impossible de prouver
quel était le vrai anneau... Lesfilsse citèrent en justice et
chacun jura au juge qu'il tenait directement l'anneau de la
main du père... à combien bon droit, d'ailleurs !... après avoir
obtenu de lui, depuis longtemps déjà, la promesse de jouir un
jour d u privilège de l'anneau... combien n o n moins vrai!
L e père, affirmait chacun, ne pouvait pas lui avoir menti ;
et, avant de laisser planer ce soupçon sur lui, ce si bon père,
il préférerait nécessairement accuser de dol ses frères, si
enclin fût-il, par ailleurs, à ne leur prêter que les meilleures
intentions. Il saurait bien, ajoutait-il, découvrir les traîtres,
et se venger.
L e juge dit : « Si vous ne m e faites pas, sans tarder, venir
céans votre père, je vous renvoie dos à dos. Pensez-vous que
je sois là pour résoudre des énigmes ? O u bien attendez-vous
que le vrai anneau se mette à parler?... Mais, halte!
J'entends dire que le vrai anneau possède la vertu magique
d'attirer l'amour, de rendre agréable à Dieu et aux h o m m e s .
Voilà qui décidera ! Car les faux anneaux, eux, en seront
quand m ê m e incapables!... E h bien : lequel donc deux
d'entre vous aiment-ils le plus ?... Allons, dites-le ! V o u s vous
taisez? Les anneaux n'ont d'effet que pour le passé? Il ne
rayonnent pas au-dehors ? C e que chacun aime le mieux,
c'est simplement soi-même?... O h , alors vous êtes tous les
trois des trompeurs trompés ! V o s anneaux sont tous les
trois faux. Il faut admettre que le véritable anneau s'est
perdu. Pour cacher, pour compenser la perte, le père en a fait
faire trois pour un. Et en conséquence, continua le juge, si
vous ne voulez pas suivre le conseil que je vous donne en
place de verdict... allez-vous en !... Mais m o n conseil, lui, est
le suivant : prenez la situation absolument c o m m e elle est. Si
chacun de vous tient de son père son anneau, alors que
chacun, en toute certitude, considère son anneau c o m m e le
vrai... Peut-être votre père n'a-t-il pas voulu tolérer plus
longtemps dans sa maison la tyrannie d ' u n seul anneau? Et
il est sûr qu'il vous a tous trois également aimés, puisqu'il
160
LA T O L É R A N C E

s'est refusé à en opprimer deux pour ne favoriser q u ' u n


seul... Allons! Q u e chacun, de son zèle, imite son a m o u r
incorruptible et franc de tout préjugé ! Q u e chacun de vous
s'efforce à l'envi de manifester dans son anneau le pouvoir de
la pierre.. Qu'il seconde ce pouvoir par sa douceur, sa
tolérance cordiale, ses bienfaits, sa soumission profonde à
Dieu ! Et quand ensuite les vertus des pierres se manifeste-
ront chez les enfants de vos enfants, alors, je vous convoque,
dans mille fois mille ans, derechef devant ce tribunal. Alors,
un plus sage que moi siégera ici et prononcera. »
Lessing, Allemagne, Nathan le Sage, 1779

235

Plus d'un h o m m e vit qui n'est que fardeau pour la Terre ;


mais un bon Livre est le sang vital d ' u n esprit supérieur,
précieux trésor e m b a u m é et gardé à dessein, en vue d'une vie
qui dépasse la vie.
Il est vrai qu'aucun âge ne peut ressusciter une vie, ce qui
n'est peut-être point une grande perte ; de m ê m e , le cours des
âges retrouve rarement une vérité repoussée, puis perdue :
mais à cette carence correspond la ruine de Nations entières.
Soyons donc circonspects, réfléchissons à la persécution
déchaînée par nous contre les œuvres vivantes des h o m m e s
de la cité, à cette destruction d'une vie humaine, mûrie, puis
conservée et accumulée dans les Livres ; car nous voyons bien
qu'on peut ainsi se rendre coupable d'une sorte d'homicide,
parfois m ê m e de martyre — et si cela s'étend à l'impression
tout entière, autant dire de massacre : crime qui ne se limite
pas à l'anéantissement d'une vie végétative, mais atteint la
quintessence spirituelle, le souffle de vie de la raison m ê m e :
c'est être meurtrier d'immortalité, non simple meurtrier.
John Milton, Angleterre, Areopagitica, 1644

236

Il n'y a pas, dit-on, de plus dangereuse peste dans un état


que la multiplicité des religions, parce que cela m e t en
161
LA VÉRITÉ EN QUESTION

dissension les voisins avec les voisins, les pères avec les
enfants, les maris avec les femmes, le prince avec ses sujets.
Je réponds que bien loin que cela fasse contre moi, c'est une
très forte preuve pour la tolérance, car si la multiplicité en
religion nuit à u n Etat, c'est uniquement parce que l'un ne
veut pas tolérer l'autre, mais l'engloutir par la voie des
persécutions. Hinc prima mali labes, c'est là l'origine d u mal.
Si chacun avait la tolérance que je soutiens, il y aurait la
m ê m e concorde dans u n Etat divisé en dix religions, que
dans une ville o ù les diverses espèces d'artisans s'entresup-
portent mutuellement. Tout ce qu'il pourrait y avoir, ce
serait une honnête émulation à qui plus se signalerait en
piété, en bonnes m œ u r s , en science. Chacune se piquerait de
prouver qu'elle est la plus amie de Dieu en témoignant u n
plus fort attachement à la pratique des bonnes œuvres ; elles
se piqueraient m ê m e de plus d'affection pour la patrie si le
souverain les protégeait toutes, et les tenait en équilibre par
son équité. O r il est manifeste qu'une si belle émulation
serait cause d'une infinité de biens, et par conséquent la
tolérance est la chose d u m o n d e la plus propre à ramener le
siècle d'or et à faire un concert et une harmonie de plusieurs
voix et instruments de différents tons et notes, aussi agréable
pour le moins que l'uniformité d'une seule voix. Qu'est-ce
donc qui empêche ce beau concert formé de voix et de tons
si différents l'un de l'autre? C'est que l'une des deux
religions veut exercer une tyrannie cruelle sur les esprits et
forcer les autres à lui sacrifier leur conscience. C'est que les
rois fomentent cette injuste partialité, et livrent le bras
séculier aux désirs furieux et tumultueux d'une population
de moines et de clercs. E n u n mot, tout le désordre ne vient
pas de la tolérance, mais de la non-tolérance.
C'est ce que je réponds au lieu c o m m u n qui a été si
rebattu par les ignorants, que le changement de religion
entraîne avec lui le changement de gouvernement et qu'ainsi
il faut soigneusement empêcher que l'on n'innove. Je ne
rechercherai pas si cela est arrivé aussi souvent qu'ils le
disent. Je m e contente, sans trop m'informer du fait, de dire,
en le supposant tel qu'ils nous le donnent, qu'il vient
162
LA TOLÉRANCE

uniquement de la non-tolérance. C a r si la nouvelle secte était


imbue des principes que je soutiens, elle ne ferait point de
violence à ceux qui voudraient retenir la vieille doctrine ; elle
se contenterait d e leur proposer ses raisons, et d e les en
instruire charitablement. Si la vieille religion pareillement
était imbue des m ê m e s m a x i m e s , elle ne violenterait pas la
nouvelle, se contentant de la combattre par des raisons
douces et charitables. Ainsi le souverain maintiendrait
toujours son autorité saine et sauve, chaque particulier
cultiverait en paix son c h a m p et sa vigne, prierait Dieu à sa
manière et laisserait les autres le prier et le servir à la leur,
de sorte que l'on verrait l'accomplissement de cette prédic-
tion du prophète dans la concorde de tant d e sentiments
diamétralement opposés : Le loup habitera avec l'agneau, et le
léopard gîtera avec le chevreau, le veau et le lionceau et autre b
qu'on engraisse seront ensemble et un petit enfant les conduira (Isa
XI-6). Il est clair à tout h o m m e qui y songe que tous les
désordres qui accompagnent les innovations de religion
viennent de ce que l'on s'oppose a u x novateurs avec le fer et
le feu, et qu'on leur refuse la liberté de conscience, o u bien
de ce que la nouvelle secte remplie d ' u n zèle inconsidéré veut
détruire par la force la religion qu'elle trouve déjà établie.
C'est donc la tolérance qui épargnerait au m o n d e tout ce
mal, c'est l'esprit persécutant qui le lui apporte.
Pierre Bayle, France, Commentaire philosophique, 1686

237

Supposez cependant q u ' u n prince veuille contraindre ses


sujets à acquérir des richesses ou à fortifier leur corps, sera-
t-il prescrit par une loi que seuls les médecins d e R o m e
devront être consultés et que chacun sera tenu de vivre selon
leurs ordonnances ? Est-ce qu'aucun médicament ni aucune
nourriture ne devraient être pris, à moins qu'ils n'aient été
préparés au Vatican ou qu'ils ne soient sortis d'une officine
genevoise? O u bien, afin que tous les sujets vivent chez eux
dans l'abondance et dans les délices, tous seront-ils tenus par
la loi de faire d u c o m m e r c e où de la musique ? Et chacun
163
LA VÉRITÉ E N QUESTION

devra-t-il devenir hôtelier o u charpentier, sous prétexte que


certains ont réussi dans ces métiers à subvenir aisément aux
besoins de leur famille, ou à accroître leur richesse? Mais,
m e direz-vous, il y a mille moyens de s'enrichir ; il y a un seul
chemin qui conduise au salut. Cela est très bien dit, en
particulier pour ceux qui voudraient contraindre les uns à
prendre ce chemin-ci, les autres ce chemin-là ; car, s'il y avait
plusieurs chemins, on ne saurait plus trouver de prétextes à
la contrainte.
John Locke, Angleterre, Lettre sur la tolérance, 1690

238

C h a q u e petite secte ou religion porte en elle, sans doute, u n


grain de vérité qui la rend apte à servir le grand dessein de
la fertilisation d u m o n d e — mais aussi longtemps que les
sages de chaque secte ou religion se prendront pour les
enfants chéris d u divin Père qui les gratifie d'une faveur qu'il
refuse au reste de l'humanité, la plénitude de l'idée de Dieu
ne sera atteinte par aucune d'elles.
Lessing, Allemagne, 1729-1781, L'éducation du genre humain

239

Pour que lafidélitédonc et non la complaisance soit jugée


digne d'estime, pour que le pouvoir d u souverain ne souffre
aucune diminution, n'ait aucune concession à faire aux
séditieux, il faut nécessairement accorder aux h o m m e s la
liberté d u jugement et les gouverner de telle sorte que,
professant ouvertement des opinions diverses et opposées, ils
vivent cependant dans la concorde. Et nous ne pouvons
douter que cette règle de gouvernement ne soit la meilleure,
puisqu'elle s'accorde le mieux avec la nature humaine.
Spinoza, Hollande, Traité théologico-politique, 1670

240

C o m m e il est (donc) impossible au plus grand n o m b r e des


h o m m e s — sinon à tous — d'admettre qu'il puisse exister
164
LA T O L É R A N C E

des opinions diverses sans preuve certaine et indubitable de


la vérité de chacune d'elles, il serait à m o n avis b o n que tous
les h o m m e s s'appliquent à préserver la paix et des relations
mutuelles d'humanité et d'amitié malgré la diversité des
opinions. N o u s ferions bien d'avoir commisération de notre
ignorance à tous et de nous efforcer de l'éliminer par tous les
moyens gentils et honnêtes de l'information, de ne pas traiter
d'office les autres de méchants, d'obstinés et pervers s'ils ne
veulent pas renoncer à leurs propres opinions pour adopter
les nôtres.
John Locke, Angleterre, Pensées sur l'éducation, 1693

241

Nous croyons qu'il est préférable qu'il n ' y ait pas de


disposition exigeant l'uniformité en matière de religion, si ce
n'est celle d'une parfaite liberté de pensée (...) Si ceux qui en
disputent n'arrivent pas à s'entendre sur une opinion, ils
auront tous d u moins la possibilité de s'imprégner d u
principe divin de la charité universelle envers ceux qui ne
pensent pas c o m m e eux.
Joseph Priestley, 1733-1804, Grande-Bretagne,
Pamphlets sur les Dissidents

242

U n h o m m e ne convertit pas u n autre h o m m e : c'est Dieu qui


nous convertit tous. Il endurcit qui il lui plaît, il fait
miséricorde à qui il fait miséricorde.
Paul Pellisson, France, Réflexions sur les difïërends de la religion
avec les preuves de la tradition ecclésiastique, 1686

243

Q u e chacun s'arrange c o m m e il peut avec son péché ; il y a,


au ciel, Dieu qui ne néglige pas de punir le m a l , ni de
récompenser le bien, et il ne convient pas que les h o m m e s
honnêtes soient les bourreaux des autres h o m m e s .
Cervantes, Espagne, D o n Quichotte, 1615
165
LA VÉRITÉ EN QUESTION

244

Quelque bien que vous vouliez à u n autre, quoi que vous


fassiez pour son salut, vous ne pouvez le forcer à être sauvé ;
à la fin, il doit être laissé à lui-même et à sa propre
conscience.
John Locke, Angleterre, Lettre sur la tolérance, 1690

245
De la folie

Le Seigneur P'ang de Ts'in avait u n fils qui était fort


intelligent dès sa tendre enfance. Devenu adulte, il contracta
une folie : entendait-il une chanson ? Il croyait ouïr une
plainte. Voyait-il u n blanc ? Il le prenait pour du noir. Pour
lui, le parfum avait une odeur nauséabonde ; une saveur
douce lui était amère ; ce qu'il faisait de mal, il le tenait pour
juste. Ciel et Terre, points cardinaux, eau et feu, froid et
chaud, tout dans son jugement se trouvait inversé.
Le Seigneur Y a n g dit au père [du jeune malade] :
« L ' h o m m e supérieur de Lou connaît beaucoup de métho-
des. Peut-être arriverait-il à bout (de ce mal). Pourquoi ne
pas le solliciter (à ce sujet) ? » Sur quoi, le père se rendit à
Lou.
C o m m e il passait par Tch'en, il rencontra Lao T a n et lui
conta l'état de sonfils.C e dernier dit : « C o m m e n t sais-tu
que tonfilsa l'esprit troublé? Tout le m o n d e aujourd'hui se
leurre dans les problèmes du juste et de l'injuste, du bien et
du mal. Beaucoup souffrent de m a u x semblables, aussi o n ne
s'en aperçoit guère. Il y a plus : quand l'esprit d'un seul
h o m m e est égaré, toute la famille n'est pas pour cela
troublée. Q u a n d une famille a l'esprit égaré, ou une
communauté, le pays entier n'en est pas pour autant troublé.
Q u a n d un pays a l'esprit égaré, le m o n d e entier n'en est pas
pour autant troublé. Q u a n d le m o n d e entier est égaré, qui
pourrait encore le troubler ? Maintenant, supposons que tous
les h o m m e s dans le m o n d e sentent c o m m e tonfils; alors, le
fou, c'est toi. Q u i peut établir (l'être) inconditionnel de ce
166
LA TOLÉRANCE

qui est triste, gai, bruyant (ou musical), coloré, odorant, qui
a du goût, qui est raisonnable et déraisonnable ?
D'ailleurs, il n'est pas encore sûr que ce queje te dis ne
soit pas insensé. Q u e dire alors de l ' h o m m e supérieur de
L o u , le premier des insensés ? C o m m e n t pourrait-il guérir la
folie d'autrui ? T u ferais mieux d'épargner les frais de voyage
et de retourner sans tarder chez toi. »
Lie-Tseu, école taoïste, iv e -m e s. av. J . - C ,
Chine, Le vrai classique du vide parfait

246
[Bayle imagine une entrevue entre un ministre païen et des Chrétie
des premiers temps :]

Monseigneur, pardonnez-nous, s'il vous plaît, si nous vous


disons que notre sainte doctrine vous a été déguisée par nos
ennemis. C e n'est que par accident et avec le plus grand
déplaisir d u m o n d e q u e nous en viendrions à la violence.
Nous tâcherions d'abord, par nos instructions, de persuader
nos vérités. N o u s nous servirions des voies les plus douces et
les plus caressantes; mais si nous avions le malheur de
rencontrer des esprits malicieux et obstinés qui se raidissent
contre les lumières de la vérité que nous ferions briller, alors,
malgré nous mais par u n e charitable mordacité, nous leur
ferions faire par force ce qu'ils n'avaient pas fait volontaire-
ment, et nous aurions m ê m e la charité de n'exiger pas d'eux
qu'ils avouassent qu'ils signent par force : ce serait u n
m o n u m e n t de honte pour eux, et pour leurs enfants, et pour
nous aussi. N o u s les obligerions de signer qu'ils font tout cela
volontairement. A u reste, Monseigneur, il n e s'ensuit pas de
ce que nous avons le droit de contraindre, q u e vous l'ayez
aussi. N o u s parlons pour la vérité : et à cause de cela, il nous
est permis de faire violence aux gens. M a i s les fausses
Religions ne possèdent pas ce privilège : ce qu'elles font est
une cruauté barbare, ce q u e nous faisons est u n e action toute
divine et toute remplie d e zèle et de charité.
Pierre Bayle, 1647-1706, France
167
LA VÉRITÉ EN QUESTION

247
[Hémon à Créon :]

V a , ne laisse pas régner seule en ton â m e l'idée que la vérité,


c'est ce que tu dis, et rien d'autre. Les gens qui s'imaginent
être seuls raisonnables et posséder des idées ou des mots
inconnus à tout autre, ces gens-là, ouvre-les : tu ne trouveras
en eux que le vide. Pour u n h o m m e , pour un sage m ê m e ,
sans cesse s'instruire n ' a rien de honteux. Et pas davantage
cesser de s'obstiner.
Sophocle, Grèce antique, Antigone, 441 av. J.-C.

248

Des trois formes d'action ou de vaillance qu'englobe la vertu


de force : attaquer, se défendre et tolérer — c'est le fait de
tolérer qui, de l'avis des meilleurs juges, appartient le plus en
propre à cette vertu, parce qu'il s'agit purement d'un acte de
l'esprit; or, c'est en cela que consiste l'essence de toutes les
vertus, et non dans le corps, ni dans ses qualités (...) Tolérer
est une force (...) Faute de pouvoir obtenir ce que nous
désirons, ayons recours à la tolérance (...) Vivons et laissons
vivre.
Antonio Lopez de Vega, Portugal, Paradojas racionales, 1655

249

Est-ce une nécessité aux législateurs d'être sévères? C'est


une question débattue, ancienne, et très contestable, puisque
de puissantes nations ontfleurisous des lois très douces ;
mais on n'a jamais mis en doute que la tolérance ne fût u n
devoir pour les particuliers. C'est elle qui rend la vertu
aimable, qui ramène les âmes obstinées, qui apaise les
ressentiments et les colères, qui, dans les villes et dans les
familles, maintient l'union et la paix, et fait le plus grand
charme de la vie civile. Se pardonnerait-on les uns aux
autres, je ne dis pas des m œ u r s différentes, mais m ê m e des
maximes opposées si o n ne savait tolérer ce qui nous blesse ?
168
LA T O L É R A N C E

Et qui peut être assez impudent pour croire qu'il n'a pas
besoin de l'indulgence qu'il refuse aux autres ?
Vauvenargues, France, Réflexions et maximes, 1746

250

Il est dans l'ordre de la bonté, dit l'Empereur, de vouloir que


l ' h o m m e s'éclaire et que la vérité triomphe. Elle triomphera,
dit Bélisaire, mais vos armes ne sont pas les siennes. N e
voyez-vous pas qu'en donnant à la vérité le droit d u glaive,
vous le donnez à l'erreur? que pour l'exercer, il suffira
d'avoir l'autorité en m a i n ? et que la persécution changera
d'étendards et de victimes au gré de l'opinion d u plus fort ?
Ainsi Anasthase a persécuté ceux que Justinien protège, et
les enfants de ceux qu'on égorgeait alors, égorgent à leur tour
la postérité de leurs persécuteurs. Voilà deux Princes qui ont
cru plaire à Dieu en faisant massacrer les h o m m e s ; hé bien ?
lequel des deux est sûr que le sang qu'il a fait couler est
agréable à l'Eternel ? D a n s les espaces immenses de l'erreur,
la vérité n'est qu'un point. Q u i l'a saisi ce point unique?
Chacun prétend que c'est lui ; mais sur quelle preuve ? Et
l'évidence m ê m e le met-elle en droit d'exiger, le fer à la main,
qu'un autre en soit persuadé ? L a persuasion vient du ciel ou
des h o m m e s . Si elle vient d u ciel, elle a par elle-même un
ascendant victorieux ; si elle vient des h o m m e s , elle n'a que
les droits de la raison sur la raison. C h a q u e h o m m e répond
de son â m e . C'est donc à lui, et à lui seul, à se décider sur
u n choix, d'où dépend ajamáis sa perte ou son salut. V o u s
voulez m'obliger à penser c o m m e vous ? Et si vous vous
trompez, voyez ce qui m ' e n coûte. V o u s - m ê m e , dont l'erreur
pouvait être innocente, serez-vous innocent de m'avoir
égaré ? Hélas ! à quoi pense un mortel de donner pour loi sa
croyance ? Mille autres, d'aussi bonne foi, ont été séduits et
trompés. Mais quand il serait infaillible, est-ce un devoir
pour m o i de le supposer tel ? S'il croit, parce que Dieu
l'éclairé, qu'il lui d e m a n d e de m'éclairer. Mais s'il croit sur
la foi des h o m m e s , quel garant pour lui et pour moi ? Le seul
point sur lequel tous les partis s'accordent, c'est qu'aucun
169
LA VÉRITÉ EN QUESTION

d ' e u x n e c o m p r e n d rien à ce qu'ils osent décider; et vous


voulez m e faire u n crime d e douter d e ce qu'ils décident !
Laissez descendre la foi d u ciel, elle fera des prosélytes ; m a i s
avec des edits, o n n e fera jamais q u e des rebelles o u des
fripons. L e s braves gens seront martyrs, les lâches seront
hypocrites, les fanatiques d e tous les partis seront des tigres
déchaînés.
J.-F. Marmontel, France, Bélisaire, 1765

Conscience et droit

Il faut aller plus avant dans la critique. La « raison » par la force


ayant montré sa vanité, c'est au tour de la raison de prouver sa force
en « des matures où la démonstration n'a point lieu ».
Il faut, en toute forme de gouvernement qui prétend à la totalité,
séparer le temporel du spirituel avant d'en faire autant du religieux et
du culturel. Personne n'est en droit de forcer qui que ce soit d'aller au
Paradis s'il sert bien l'Etat. Transposez cet axiome au niveau de la
coexistence civile, vous aurez d'un coup la liberté de conscience et
d'égalité au moins formelle des droits civils.
Dans une telle analyse, c'est l'Etat l'accusé et non plus
l'« hérétique » : tout Gouvernement sera tenu pour « violent » qui
« prétend dominer sur les âmes » en prescrivant « à chacun ce qu 'il doit
admettre comme vrai ou rejeter comme faux ». La conscience ne peut
qu'y résister, sauf « les avides, lesflatteurset les autres pour qui le
salut suprême consiste à contempler des écus dans une cassette et à avoir
le ventre trop rempli ». De telle sorte que des lois qui y prétendent sont
moins faites « pour contenir les méchants que pour irriter les plus
honnêtes, et qu'elles ne peuvent être maintenues en conséquence sans
grand danger pour l'Etat ». Désobéir, dans ce cas, à de telles lois est
un devoir et, si l'intolérance se manifeste encore, on ne doit lui
« répondre que par l'intolérance ». Autrement, il faut tenir le pouvoir
civil loin de la religion, reconnaître à tous et à chacun la liberté de
conscience et exiger, toutes différences acceptées, les mêmes devoirs et
obligations de tous, en rendant à chacun même droit selon la même
justice. La prospérité et la paix civile sont, paradoxalement, à ce
prix.
170
LA TOLÉRANCE

251

J'avoue que les histoires sont remplies de guerres de religion.


Mais, qu'on y prenne bien garde : ce n'est point la
multiplicité des religions qui a produit ces guerres, c'est
l'esprit d'intolérance qui animait celle qui se croyait la
dominante; c'est cet esprit de prosélytisme (...) c'est, enfin,
cet esprit de vertige, dont les progrès ne peuvent être
regardés que c o m m e une éclipse entière de la raison
humaine.
Car enfin, quand il n'y aurait pas de l'inhumanité à
affliger la conscience des autres ; quand il n'en résulterait
aucun des mauvais effets qui en germent à milliers : il
faudrait être fou pour s'en aviser. Celui qui veut m e faire
changer de religion ne le fait sans doute que parce qu'il ne
changerait pas la sienne, quand o n voudrait l'y forcer : il
trouve donc étrange que je ne fasse pas une chose qu'il ne
ferait pas lui-même, peut-être pour l'empire d u M o n d e . D e
Paris, le 26 de la lune de G e m m a d i I, 1715.
Montesquieu, France,
Lettres persannes, 1721

252

Mais je suis indigné c o m m e vous que la foi de chacun ne soit


pas dans la plus parfaite liberté, et que l ' h o m m e ose
contrôler l'intérieur des consciences où il ne saurait pénétrer,
c o m m e s'il dépendait de nous de croire ou de ne pas croire
dans des matières o ù la démonstration n ' a point lieu, et
qu'on pût jamais asservir la raison à l'autorité. Les rois de
ce m o n d e ont-ils donc quelque inspection dans l'autre, et
sont-ils en droit de tourmenter leurs sujets ici-bas pour les
forcer d'aller en Paradis ? N o n , tout gouvernement h u m a i n
se borne par sa nature aux devoirs civils, quoi qu'en ait p u
dire le sophiste Hobbes ; quand u n h o m m e sert bien l'État,
il ne doit compte à personne de la manière dont il sert
Dieu.
J.-J. Rousseau, Genève, Lettre à Voltaire, 1756
171
LA VÉRITÉ E N QUESTION

253

S'il était aussi facile de c o m m a n d e r aux â m e s qu'aux


langues, il n ' y aurait aucun souverain qui ne régnât en
sécurité et il n'y aurait pas de gouvernement violent, car
chacun vivrait selon la complexion des détenteurs d u pouvoir
et ne jugerait que d'après leurs décrets du vrai ou du faux,
du bien ou d u mal, du juste ou de l'inique. Mais (...) cela ne
peut être. Il ne peut se faire que l'âme d ' u n h o m m e
appartienne entièrement à u n autre, ni être contraint
d'abandonner son droit naturel ou sa faculté de faire de sa
raison u n libre usage et de juger de toutes choses. C e
gouvernement par suite est tenu pour violent, qui prétend
dominer sur les âmes, et une majesté souveraine paraît agir
injustement contre ses sujets et usurper leur droit quand elle
veut prescrire à chacun ce qu'il doit admettre c o m m e vrai ou
rejeter c o m m e faux, et aussi quelles opinions doivent
émouvoir son â m e de dévotion envers Dieu ; car ces choses
sont d u droit propre de chacun, u n droit dont personne, le
voulût-il, ne peut se dessaisir.
Spinoza, Hollande, Traité théologico-politique, 1670

254

Mais ce qui est capital et qui tranche la discussion, m ê m e si


l'opinion d u magistrat est la plus importante et m ê m e si la
voie qu'il m'ordonne de suivre est la vraie voie évangélique,
si je n'en suis pas persuadé du fond du cœur, elle ne
constituera pas pour moi la voie de m o n salut. A u c u n chemin
sur lequel j'avance contre m a conscience ne m e conduira
jamais au séjour des bienheureux. Je puis m'enrichir dans un
métier queje déteste, je puis guérir grâce à des médicaments
dans lesquels je n'ai pas confiance mais je ne puis être sauvé
par une religion en qui je n'ai pas confiance, par u n culte que
je déteste.
L'incrédule a beau affecter un extérieur honnête, il est
besoin, pour plaire à Dieu, d e foi et de sincérité intérieure.
(...) Quoi que l'on puisse révoquer en doute en fait de
172
LA TOLÉRANCE

religion, u n e chose d u moins est certaine, c'est qu'aucune


religion queje ne crois pas être la vraie ne peut être pour moi
ni vraie, ni utile.
John Locke, Angleterre, Lettre sur la tolérance, 1690

255

Les h o m m e s sont ainsi faits qu'ils ne supportent rien plus


malaisément que de voir les opinions qu'ils croient vraies
tenues pour criminelles, et imputé à méfait ce qui émeut
leurs â m e s à la piété envers Dieu et les h o m m e s ; par o ù il
arrive qu'ils en viennent à détester les lois, à tout oser contre
les magistrats, à juger n o n pas honteux mais très beau
d'émouvoir des séditions pour u n e telle cause et de tenter
quelle entreprise violente que ce soit. Puis donc que telle est
la nature humaine, il est évident que les lois concernant les
opinions menacent non les criminels, mais les h o m m e s de
caractère indépendant, qu'elles sont faites moins pour
contenir les méchants que pour irriter les plus honnêtes, et
qu'elles ne peuvent être maintenues en conséquence sans
grand danger pour l'Etat.
Spinoza, Hollande, Traité théologico-politique, 1670

256

Lorsque le zèle, m a l compris, des choses divines, poussait


certains sénateurs à conseiller au roi Stéphane que, à
l'exemple d'autres peuples o ù le sang coulait à flots, entre
frères, pour des divergences d'opinions religieuses, il adopte
des moyens rigoureux pour amener tous à une seule et m ê m e
opinion, il répondit : « C o m m e roi, je règne sur le peuple,
mais pas sur les esprits. »
Felix Bentkowski, Pologne,
Histoire de la littérature polonaise, 1814

257

Si donc personne ne peut renoncer à la liberté de juger et


d'opiner c o m m e il veut, et si chacun est maître de ses propres
173
LA VÉRITÉ EN QUESTION

pensées par u n droit supérieur de Nature, on ne pourra


jamais tenter dans un Etat, sans que la tentative ait le plus
malheureux succès, de faire q u e les h o m m e s d'opinions
diverses et opposées, ne disent cependant rien que d'après la
prescription d u souverain; m ê m e les plus habiles, en effet,
pour ne rien dire de la foule, ne savent se taire. C'est un
défaut c o m m u n aux h o m m e s que de confier aux autres leurs
desseins, m ê m e quand le silence est requis ; ce gouvernement
donc sera le plus violent qui dénie à l'individu la liberté de
dire et d'enseigner ce qu'il pense ; au contraire, un gouverne-
ment est modéré quand cette liberté est accordée à
l'individu.
Spinoza, Hollande, Traité théologico-politique, 1670

258

Tout jugement d'une personne privée à l'endroit d'une loi


édictée en matière politique pour le bien public, ne dispense
pas des obligations que cette loi impose. Mais si la loi porte
en vérité sur des choses qui ne s'inscrivent pas dans les
limites de l'autorité du magistrat (par exemple, l'obligation
pour le peuple ou pour toute fraction du peuple d'embrasser
une religion qui lui est étrangère et de se joindre au culte et
aux cérémonies d'une autre église), les h o m m e s ne sont pas
dans ces cas contraints à obéir à cette loi contre leur
conscience. C a r la société politique n'a été instituée que pour
assurer à chaque h o m m e la jouissance des choses de ce
m o n d e . L e soin de l'âme de chaque h o m m e et celui des
choses d u ciel — qui ne font pas partie d u bien c o m m u n ni
peuvent y être assujettis — appatient entièrement à chaque
homme.
John Locke, Angleterre, Lettre sur la tolérance, 1690

259

Je conclus légitimement de tous ces principes que la première


et la plus indispensable de toutes nos obligations, est celle de
ne point agir contre l'inspiration de la conscience; et que
174
LA TOLÉRANCE

toute action, qui est faite contre les lumières de la conscience,


est essentiellement mauvaise; de sorte que, c o m m e la loi
d'aimer Dieu ne souffre jamais de dispense, à cause que la
haine de Dieu est u n acte mauvais essentiellement, ainsi la
loi de ne pas choquer les lumières de la conscience est telle
que Dieu ne peut jamais nous en dispenser : v u que ce serait
réellement nous permettre de le mépriser ou de le haïr ; acte
criminel intrisece et par sa nature. D o n c , il y a une loi éternelle
et immuable, qui oblige l ' h o m m e , à peine d u plus grand
péché mortel qu'il puisse commettre, de ne rien faire au
mépris et malgré le dictamen de sa conscience.
Pierre Bayle, France, Commentaire philosophique, 1686

260

L'intolérance, en plaçant la force d u côté de la foi, a placé le


courage d u côté d u doute : la fureur des croyants a exalté la
vanité des incrédules et l ' h o m m e est arrivé de la sorte à se
faire u n mérite d ' u n système qu'il eut naturellement d û
considérer c o m m e u n malheur. L a persécution provoque la
résistance. L'autorité, menaçant une opinion quelle qu'elle
soit, excite à la manifestation de cette opinion tous les esprits
qui ont quelque valeur. Il y a dans l ' h o m m e u n principe de
révolte contre toute contrainte intellectuelle. C e principe
peut aller jusqu'à la fureur ; il peut être la cause de beaucoup
de crimes, mais il tient à tout ce qu'il y a de noble au fond
de notre â m e .
Benjamin Constant, Suisse-France, Principes de politique, 1818

261

À travers u n long processus de sécularisation (...) le


fanatisme de l'incroyance reste encore sous l'influence de ses
origines bibliques. D a n s notre civilisation occidentale, on a
p u retrouver bien souvent dans des idéologies profanes ce
caractère d'absolutisme, cette haine de toute opinion diffé-
rente, cette conviction agressive, cette inquisition de la
pensée d'autrui, qui leur viennent toujours de la prétention
175
L A VÉRITÉ EN QUESTION

qu'elles élèvent à représenter, elles seules, la Vérité. Il ne


reste, dès lors, à la foi philosophique q u ' à admettre l'évi-
dence, si pénible qu'elle soit : devant celui qui rompt le
dialogue, qui n ' a d m e t plus la raison q u ' à certaines
conditions, la meilleure volonté se trouve impuissante à
maintenir la communication.
Ici, je ne comprends pas q u ' o n puisse rester neutre. Je le
comprendrais si l'on pouvait considérer l'intolérance c o m m e
u n phénomène en fait inoffensif, une étrange anomalie. (...)
A l'intolérance — à elle seule — o n ne peut répondre q u e
par l'intolérance ; c'est pourquoi nous devons nous opposer
à l'exclusivisme dès que nous voyons quelqu'un chercher à
répandre sa foi n o n pas en l'offrant au jugement d'autrui,
mais en cherchant à l'imposer par des lois, par une
contrainte.
Karl Jaspers, Allemagne, La foi philosophique, 1954

262

U n e religion qui a pour devise : hors de m e s dogmes, point


de salut, devient aisément violente et féroce par le moindre
contact avec la puissance matérielle. L e glaive d u pouvoir
civil s'enivre, selon l'expression des prophètes ; ce glaive
devient aveugle et furieux dans ses mains. A u c u n e loi ne peut
en régler l'usage ; cet usage devient abus d u premier coup
parce qu'il est abus dans son principe, et l'unique m o y e n
d'empêcher q u e la religion ne se blesse et ne blesse
l'humanité avec cette dangereuse épée, c'est de ne pas la
laisser u n seul m o m e n t entre ses mains.
Alexandre Vinet, Suisse,
Essai sur la manifestation des convictions religieuses, 1842

263
Uzbeck à Mixta a Ispahan

S'il faut raisonner sans prévention, je ne sais, Mirza, s'il n'est


pas bon que dans u n État il y ait plusieurs religions.
O n remarque q u e ceux qui vivent dans des religions
176
LA TOLÉRANCE

tolérées se rendent ordinairement plus utiles à leur patrie q u e


ceux qui vivent dans la religion dominante ; parce q u e ,
éloignés des honneurs, n e pouvant se distinguer q u e par leur
opulence et leurs richesses, ils sont portés à en acquérir par
leur travail et à embrasser les emplois de la société les plus
pénibles.
D'ailleurs, c o m m e toutes les religions contiennent des
préceptes utiles à la société, il est b o n qu'elles soient
observées avec zèle. O r q u ' y a-t-il de plus capable d'animer
ce zèle q u e leur multiplicité?
C e sont des rivales qui ne se pardonnent rien. L a jalousie
descend jusqu'aux particuliers : chacun se tient sur ses
gardes et craint de faire des choses qui déshonoreraient son
parti et l'exposeraient a u x mépris et aux censures i m p a r d o n -
nables d u parti contraire.
Aussi a-t-on toujours r e m a r q u é q u ' u n e secte nouvelle
introduite dans u n État était le m o y e n le plus sûr pour
corriger tous les abus d e l'ancienne.
O n a beau dire qu'il n'est pas de l'intérêt d u Prince de
souffrir plusieurs religions dans son Etat : q u a n d toutes les
sectes d u m o n d e viendraient s'y rassembler, cela ne lui
porterait a u c u n préjudice, parce qu'il n'y e n a aucune qui ne
prescrive l'obéissance et n e prêche la soumission.
Montesquieu, France, Lettres persanes, 1721

L'homme et le citoyen

Cette différence reconnue et acceptée, il faut maintenant lui faire dro


Il ne suffit plus en effet de se résoudre à la non-violence pour régler
conflits réels, de mettre entre parenthèses ce qui sépare pour que l'E
juste voie le jour ; il faut reconnaître à l'autre non seulement les mêm
obligations mais aussi les mêmes droits qu'à soi-même, puisque
désormais s'il y a des sentiments religieux il n'est qu'une religion civ
Autrement la tolérance n'est qu'un leurre si elle reconnaît l'homme
abstrait mais non le citoyen vivant.
Ce qui est valable au sein d'une société cléricale divisée e
également vrai à l'échelle de toutes les communautés humaines et pour
177

LA VÉRITÉ EN QUESTION

toutes les différences humaines. Si l'on reconnaît des droits pleins et


égaux à l'hérétique d'hier, il faudra bien les reconnaître aux idolâtres,
aux païens... Ce qu'on appelle les vices de l'Autre ne désigne en réalité
que la défense d'intérêts usurpés dont on répugne au partage.
L'intolérance civile et l'intolérance religieuse sont inséparables, et
c'est pourquoi il faut mettre un terme à l'une et à l'autre par un
« contrat social », sans plus s'attarder à « la longue et ennuyeuse
dispute sur toute la controverse qui divise les religions ».
Sur ce moment décisif du combat de la tolérance, quatre textes
capitaux, l'Equitis Poloni de Szlichtyng, le Voltaire du Diction-
naire philosophique, Locke et sa Lettre sur la tolérance, le
Rousseau enfin du Contrat social. A l'exemple de tant d'autres,
laissons-les germer sans oublier que si Athènes a les suffrages de tous
les historiens, d'autres peuples existent, tenant un autre langage dans
la phrase de l'Histoire.

264

Par conséquent, si nous voulons q u e l'inhumanité face place


à l'humanité, nous devons rechercher inlassablement les
m o y e n s d'atteindre ce but. C e s m o y e n s sont a u n o m b r e d e
trois : Premièrement, les h o m m e s doivent cesser de trop se fier
à leurs sens et, tenant compte d e la c o m m u n e fragilité
h u m a i n e , reconnaître qu'il est indigne d ' e u x d e s'accabler
mutuellement d e haine pour des raisons futiles ; ils devront,
d e façon générale, se pardonner les querelles, torts et griefs
passés. N o u s appellerons cela effacer le passé. Deuxièmement,
personne n e doit imposer ses principes (philosophiques,
théologiques o u politiques) à qui q u e ce soit; a u contraire,
chacun doit permettre à tous les autres d e faire valoir leurs
opinions et de jouir e n paix de ce qui leur appartient. N o u s
appellerons cela la tolérance mutuelle. Troisièmement, tous les
h o m m e s devront essayer, d ' u n c o m m u n effort, d e trouver ce
qu'il y a d e m i e u x à faire et, pour y parvenir, d e conjuguer
leurs réflexions, leurs aspirations et leurs actions. C'est ce
q u e nous appellerons la conciliation.
Jean A m o s Comenius, écrivain tchèque, 1592-1670,
D e rerum h u m a n a r u m emendatione consultatio catholica
178
LA TOLÉRANCE

265

C'est u n signe très certain de bassesse d'esprit que de parler


mal et avec partialité de son adversaire ou des ennemis de
son prince ou des adeptes d'une secte particulière ou des
étrangers qu'ils soient Juifs, Maures, Gentils, Chrétiens, car
(...) il y a partout d u bien et d u mal. Il suffit d'écouter les
propos q u ' u n h o m m e tient sur les pays où il a voyagé, car,
s'il condamne entièrement les pays étrangers et loue entière-
ment le sien, cet h o m m e est partial ou inattentif ou m a l
considéré ou sot o u insensé ; u n tel état d'esprit ne permet
pas de faire preuve de discernement ni de se conduire avec
sagesse en quoi que ce soit (...) Tous les h o m m e s de bien,
qu'ils soient Juifs, M a u r e s , Gentils, Chrétiens ou de toute
autre secte, sont d'une m ê m e terre, d'une m ê m e maison et
d'un m ê m e sang.
Furio Ceriol, Espagne, Consejo y consejeros del principe, 1556

266

Je ne suis pas de ceux qui sont fanatisés par leur pays o u


encore par une nation particulière ; mais je vais pour le
service d u genre h u m a i n tout entier; car je considère le Ciel
c o m m e la Patrie et tous les h o m m e s de bonne volonté c o m m e
les concitoyens en ce Ciel; et j'aime mieux accomplir
beaucoup de bien parmi les Russes que peu parmi les
Allemands et autres Européens (...) C a r m o n inclination et
m o n goût vont au bien général.
Leibniz, Allemagne, Lettre à Pierre Ier, 16 janvier 1716

267

Être hérétique n'est point u n délit politique mais ecclé-


siastique et, partant, sujet aux peines de l'Eglise et non pas
aux punitions civiles. C a r Église et Etat sont bien dis-
tincts l'un de l'autre et ne sauraient être confondus sans
engendrer des perturbations en toutes choses ; les fléaux
atroces, les guerres, les tristes exemples d'églises et d'États
179
LA VÉRITÉ EN QUESTION

renversés simultanément en sont u n témoignage. L'Eglise ne


reçoit en son sein que ceux qui se conforment aux préceptes
de piété prescrits par le Christ; ceux-là seuls qui ne
s'écarteront point d u modèle seront défendus et protégés ;
l'État admet et assiste les h o m m e s de tous genres et
religions : m ê m e les idolâtres, m ê m e les païens, m ê m e les
hérétiques, m ê m e les apostats ; aussi les États deviennent-ils
florissants par la multitude de la population et l'entente entre
les citoyens, pour lesquels « il n'est point de différence entre
un Troyen et un Rutule ». Pourvu que tous vivent dans la
paix et la fidélité à l'Etat lequel, au milieu de tant
d'inégalités, accorde son aide d'une manière égale à tous.
Jonas Szlichtyng, Pologne,
Equitis Poloni, Apologia pro veritate accusata, 1654

268
Article « Tolérance »

L a discorde est le grand mal d u genre h u m a i n , et la tolérance


en est le seul remède.
Il n ' y a personne qui ne convienne de cette vérité, soit
qu'il médite de sang-froid dans son cabinet, soit qu'il
examine paisiblement la vérité avec ses amis. Pourquoi donc
les m ê m e s h o m m e s qui admettent en particulier l'indul-
gence, la bienfaisance, la justice, s'élèvent-ils en public avec
tant de fureur contre ces vertus? Pourquoi? C'est que leur
intérêt est leur dieu, c'est qu'ils sacrifient tout à ce monstre
qu'ils adorent.
Voltaire, France, Dictionnaire philosophique, 1764

269

Qu'est-ce que la philosophie pourrait dire de la religion ou


d'elle-même, qui fût pire et plus frivole q u e ce que vos
hurlements journalistiques lui ont imputé depuis longtemps ?
Elle n ' a q u ' à répéter ce que vous avez prêché qu'elle était, au
cours de mille et mille controverses, capucins non-
philosophes que vous êtes, et elle aura dit le pire.
180
LA T O L É R A N C E

Mais la philosophie parle des sujets religieux et philoso-


phiques autrement q u e vous n ' e n avez parlé. V o u s parlez
sans avoir étudié, elle parle après avoir étudié ; vous vous
adressez à la passion, elle s'adresse à l'intelligence ; vous
injuriez, elle enseigne ; vous promettez le ciel et la terre, elle
ne promet rien q u e la vérité ; vous exigez q u ' o n ait foi en
votre foi, elle n'exige pas q u ' o n croie à ses résultats ; elle
exige l'examen par le doute; vous épouvantez, elle apaise.
Karl M a r x , editorial de la « Kölnische Zeitung », 1842

270

Supprimez l'injuste distribution des droits, changez les lois,


supprimez la peine d e la torture, et tout reviendra en sécurité
et en sûreté ; ceux qui ont une religion différente de celle d u
magistrat estimeront d'autant plus qu'ils doivent contribuer
à la paix dans l'Etat q u ' o n découvrira q u e leur condition est
meilleure q u e partout ailleurs : toutes les églises particulières
en désaccord entre elles seront c o m m e les gardiens d e la paix
publique, elles surveilleront avec sévérité leurs m œ u r s
réciproques, afin q u ' a u c u n e révolte ne soit déclenchée, o u
que quelque forme d u gouvernement ne soit changée ; leurs
m e m b r e s peuvent espérer mieux qu'ils ne possèdent déjà,
c'est-à-dire u n sort égal à celui des autres citoyens sous u n e
autorité souveraine juste et modérée. Q u e si l'église à
laquelle appartient le souverain est le plus ferme soutien d u
gouvernement civil, et cela pour la seule raison (...) q u e le
magistrat lui est propice et les lois favorables, c o m b i e n plus
sûr encore serait l'Etat, combien plus n o m b r e u x seront ses
gardiens, lorsque tous les bons citoyens, à quelque église
qu'ils appartiennent jouiront de la m ê m e bienveillance d u
souverain, de la m ê m e équité des lois, sans qu'il soit fait
aucune distinction d e religion. L a sévérité des lois ne serait
plus à craindre q u e pour les criminels et pour ceux qui
s'attaquent à la paix civile.
(...)
C'est pourquoi la paix, l'équité et l'amitié doivent être
toujours cultivées sans privilège et dans u n esprit d'égalité,
181
LA VÉRITÉ EN QUESTION

entre les diverses églises, tout c o m m e entre de simples


particuliers.
Pour rendre la chose plus claire par u n exemple,
supposons qu'il y ait à Constantinople deux églises, celle des
Remontrants et celle des Anti-Remontrants. Dira-t-on que
l'une des deux a le droit de punir les m e m b r e s de l'église
dissidente (dissidente, parce qu'elle difiere, en fait, de
dogmes o u de rites), de les dépouiller de leur liberté o u de
leurs biens, ce que nous voyons faire ailleurs, ou de les punir
de l'exil ou de la peine capitale? (...) Si l'une de ces églises
a vraiment le pouvoir de persécuter l'autre, je demanderai
alors : laquelle des deux, et de quel droit ? O n répondra sans
aucun doute : l'orthodoxe, qui agira contre celle qui se
trompe, c'est-à-dire contre l'hérétique. C'est user de grands
mots spécieux pour ne rien dire. N'importe quelle église est
orthodoxe pour elle-même, dans l'erreur ou dans l'hérésie
pour les autres ; chacune croit que ce qu'elle croit est vrai et
condamne c o m m e une erreur ce qui en diffère. C'est
pourquoi lorsqu'il s'agit de la vérité des d o g m e s o u de la
rectitude d u culte, la dispute est égale de part et d'autre et
aucune sentence ne peut être rendue par aucun juge, ni à
Constantinople, ni dans la terre entière. L a décision sur une
telle question appartient uniquement au juge suprême de
tous les h o m m e s , et à lui seul il appartient de châtier ceux
qui sont dans l'erreur.
John Locke, Angleterre, Lettre sur la tolérance, 1690

271

L a vraie tolérance est souvent pénible : permettre à des idées


qui nous paraissent pernicieuses de s'exprimer et de se
répandre ; voir son adversaire poursuivre son chemin sans
rencontrer d'obstacle, cela est difficile et décourageant.
L'indifférence n'est que d e la fausse tolérance et elle est
caractéristique des époques qui n'ont ni une philosophie bien
claire de la vie ni des bases solides à leur tradition morale.
Sir Richard Winn Livingstone, Royaume-Uni,
Tolerance in theory and practice, 1954
182
LA TOLÉRANCE

272

L a liberté de conscience est u n droit naturel ; et celui qui veut


l'avoir doit l'accorder à son prochain.
Oliver Cromwell, Angleterre,
Discours au Parlement, 1654

273
Discours prononcé lors de la seconde lecture d'une loi sur l'améliorati
de la condition légale des dissidents protestants.

J e défendrai à tout instant les droits de la conscience, en tant


que telle, et n o n dans ses aspects particuliers contre les
principes généraux. L ' u n peut avoir raison, l'autre se
tromper;' mais si j'ai plus d e force q u e m o n frère, je
l'emploierai pour l'aider et n o n pour l'opprimer dans sa
faiblesse; si j'ai plus de lumière, elle m e servira pour le
guider et n o n pour l'éblouir.
E d m u n d Burke, Grande-Bretagne, 1773

274

O u i , il est vrai q u e nous voulons q u e la manifestation des


convictions religieuses soit protégée, mais protégée c o m m e le
droit d e tous, et par conséquent sans distinction d e croyan-
ces. N o u s ne voulons pas q u ' u n e croyance particulière soit
protégée, ni, e n général, ceux qui croient quelque chose à
l'exclusion de ceux qui ne croient rien. N o u s ne voulons pas
q u ' o n protège, par la raison m ê m e q u e nous n e voulons pas
q u ' o n persécute. C a r d u droit d e protéger découle irrésisti-
blement le droit de persécuter. O n essaie de limiter ce droit ;
o n veut l'arrêter tout court a u point o ù la protectionfinit; o n
lui interdit de passer plus avant : mais la limite est arbitraire,
et il est impossible d e concevoir, en bonne logique, c o m m e n t
on pourrait dénier à la société le droit de persécuter, après
lui avoir reconnu celui de protéger.
Alexandre Vinet, Suisse,
Essai sur la manifestation des convictions religieuses, 1842
183
LA VÉRITÉ EN ßUESTION

275

L a libre communication des idées est essentielle à la vie


sociale. L ' h o m m e qui ment o u qui trompe, trahit la société ;
celui qui lui refuse ses talents et les vérités qui lui sont
nécessaires, est u n m e m b r e inutile ; celui qui m e t obstacle à
la communication des idées est u n ennemi piiblic, u n
violateur impie de l'ordre social, u n tyran qui s'oppose au
bonheur des humains. (...)
L a tolérance universelle, la liberté d'écrire et de penser
sont les remèdes infaillibles q u ' u n souverain éclairé peut
apporter aux préjugés de ses peuples (...) Il n'y a que la
liberté de penser, de parler et d'écrire qui puisse éclairer les
nations, les guérir de leurs préjugés, faire disparaître leurs
abus, réformer leurs moeurs, perfectionner leurs gouverne-
ments, assurer les empires, fairefleurirles sciences, porter les
h o m m e s à la vertu.
Paul Henri d'Holbach, 1723-1789, France, Essai sur les préjugés

276

Mais (...) revenons au droit et fixons les principes sur ce


point important. L e droit que le pacte social donne au
Souverain sur les sujets ne passe point, c o m m e je l'ai dit, les
bornes de l'utilité publique. Les sujets ne doivent donc
compte au Souverain de leurs opinions qu'autant que ces
opinions importent à la c o m m u n a u t é . O r , il importe bien à
l'État que chaque Citoyen ait une Religion qui lui fasse
aimer ses devoirs ; mais les dogmes de cette Religion
n'intéressent ni l'Etat ni ses m e m b r e s qu'autant que ces
dogmes se rapportent à la morale et aux devoirs que celui qui
la professe est tenu de remplir envers autrui. C h a c u n peut
avoir au surplus telles opinions qu'il lui plaît sans qu'il
appartienne au Souverain d ' e n connaître : car c o m m e il n'a
point de compétence dans l'autre m o n d e , quel q u e soit le sort
des sujets dans la vie à venir ce n'est pas son affaire, pourvu
qu'ils soient bons citoyens dans celle-ci. (...)
Les dogmes de la Religion civile doivent être simples, en
184
LA TOLÉRANCE

petit nombre, énoncés avec précision sans explications ni


commentaires. L'existence de la Divinité puissante, intelli-
gente, bienfaisante, prévoyante et pourvoyante, la vie à venir,
le bonheur des justes, le châtiment des méchants, la sainteté
du Contrat social et des Lois : voilà les dogmes positifs. Q u a n t
aux dogmes négatifs, je les borne à un seul, c'est l'intolérance :
elle rentre dans les cultes que nous avons exclus.
Ceux qui distinguent l'intolérance civile et l'intolérance
théologique se trompent, à m o n avis. Ces deux intolérances
sont inséparables. Il est impossible de vivre en paix avec des
gens qu'on croit d a m n é s ; les aimer serait haïr Dieu qui les
punit; il faut absolument q u ' o n les ramène ou q u ' o n les
tourmente. Partout où l'intolérance théologique est admise,
il est impossible qu'elle n'ait pas quelque effet civil; et sitôt
qu'elle en a, le Souverain n'est plus Souverain, m ê m e au
temporel : dès lors les Prêtres sont les vrais maîtres, les Rois
ne sont que leurs officiers.
Maintenant qu'il n'y a plus et qu'il ne peut plus y avoir
de Religion nationale exclusive, o n doit tolérer toutes celles
qui tolèrent les autres, autant que leurs dogmes n'ont rien de
contraire aux devoirs d u Citoyen. Mais quiconque ose dire,
hors de l'Eglise, point de salut, doit être chassé de l'État; à
moins que l'Etat ne soit l'Église et que le Prince ne soit le
Pontife.
J.-J. Rousseau, Genève, D u contrat social, 1762

277

(...) Il apparaît maintenant que ce titre — calife d u


Prophète de Dieu — entouré de toutes les considérations que
nous avons dites, c o m m e de celles que nous avons tues, a
constitué l'une des causes de l'erreur dans laquelle est tombé
le c o m m u n des M u s u l m a n s , en imaginant que le califat était
une fonction religieuse, et que celui qui était investi d u
pouvoir sur les M u s u l m a n s occupait parmi eux la place qui
était celle d u Prophète de Dieu (...)
Tout cela a provoqué l'extinction des facultés d e recher-
che et de la spéculation intellectuelle chez les M u s u l m a n s ,
185

LA VÉRITÉ EN QUESTION

qui furent atteints de paralysie en matière de philosophie


politique et en tout ce qui touchait au califat et aux califes.
E n réalité, la religion islamique est innocente de cet abus
de la notion de califat, telle que l'entendent les M u s u l m a n s ,
avec son aura d'ambition, de crainte, de splendeur et de
force. L e califat n e ressortit aucunement aux projets divins,
pas plus d'ailleurs que la justice et les autres fonctions de
gouvernement et postes de l'État. Il s'agit là de projets
politiques spécifiques, dont la religion n ' a pas à connaître,
qu'elle n ' a pas reconnus, niés, prescrits ni prohibés, nous
laissant recourir aux jugements de la raison, aux expériences
des nations et aux règles de la politique.
'Alf'Abd al-Râzeq, Egypte,
L'Islam et les principes de gouvernement, 1925

278

N o u s s o m m e s entrés dans cette longue et très difficile


question des droits de la conscience, pour ôter aux persécu-
teurs le retranchement où ils se retirent q u a n d o n leur
d e m a n d e s'ils trouveroient bon que les autres les persécutas-
sent. Ils répondent que ce seroit fort m a l fait, puisqu'ils
enseignent la vérité ; mais qu'à cause de cela m ê m e , il leur
doit être permis d e contraindre et de vexer les Hérétiques. Il
a fallu chercher les fondemens les plus profonds de la fausseté
de cette réponse (...) L a conclusion que nous en tirons est
que, s'il étoit vrai que Dieu eut c o m m a n d é aux Sectateurs de
la vérité de persécuter les Sectateurs d u mensonge, ceux-ci,
apprenant cet ordre, non seulement seroient obligés de
persécuter les Sectateurs de la vérité, mais m ê m e feroient fort
mal de ne les persécuter pas, et seroient disculpés devant
Dieu pourvu q u e l'ignorance o ù ils seroient ne fût pas
affectée et malicieuse.
Cela montre manifestement que la doctrine des persécu-
teurs (...) ouvre la porte à mille combustions furieuses, dans
lesquelles le parti de la vérité soufTriroit le plus ; et cela, sans
pouvoir se plaindre légitimement.
Pierre Bayle, 1647-1706, France
186

LA TOLÉRANCE

Asie : la voie chinoise


En guise de conclusion, mais aussi de dépassement de cette séquence de
la raison combattante, voici ce groupe elliptique de textes à traver
lesquels l'universel authentique investit tous les particularismes. Une
de leurs moindres qualités n'est pas d'accuser les deux lignes de force
majeures que tente de dégager ce livre : d'une part la prétention
insoutenable à tirer argument d'une vision de l'homme dont l'universa-
lité n'est pas partout évidente pour chercher à l'imposer aux autres, au
besoin par la force ; la nécessité d'autre part du dialogue avec tous ceux
dont on se sent différent (autres civilisations, autres croyances,
minorités...) selon un langage laie et univoque, à la recherche d'une
compréhension mutuelle et d'une coexistence excluant tout prosélytisme.
Au sein d'une communauté nationale comme entre communautés
étrangères, l'essentiel est de comprendre ces différences et de les accepte
comme telles, sans plus en faire des obstacles déterminants à une
politique de coexistence solidaire.
Indifférent en apparence à l'exigence politique de coexistence et aux
confits de croyances, l'hymne indien continue quant à lui de chanter un
Dieu multiple et un sur lequel le temps n'a pas de prise. L'ordre
parfait, l'ordre musical, réapparaît, encore une fois, comme postula-
tion ultime de l'humain.

279

Jamais les inimitiés ne sont apaisées par l'inimitié, mais elles


sont apaisées par la non-inimitié. Ceci est la loi éternelle.
Dhammapada (axiomes bouddhiques), Traduit du pâli

280
Disputes sur les cérémonies chinoises
[Maigrot,] é v ê q u e français d e la C h i n e , déclara n o n seule-
m e n t les rites observés p o u r les m o r t s superstitieux et
idolâtres, m a i s il déclara les lettrés athées : c'était le
sentiment d e tous les rigoristes d e F r a n c e . C e s m ê m e s
h o m m e s qui se sont tant récriés contre Bayle, qui l'ont tant
b l â m é d'avoir dit q u ' u n e société d'athées pouvait subsister,
187
LA VÉRITÉ EN QUESTION

qui ont tant écrit q u ' u n tel établissement est impossible,


soutenaient froidement que cet établissementflorissaità la
Chine dans le plus sage des gouvernements. Les Jésuites
eurent alors à combattre les missionnaires, leurs confrères,
plus que les mandarins et le peuple. Ils représentèrent à
R o m e qu'il paraissait assez incompatible que les Chinois
fussent à la fois athées et idolâtres. O n reprochait aux lettrés
de n'admettre que la matière : en ce cas, il était difficile qu'ils
invoquassent les â m e s de leurs pères et celle de Confutzée.
U n de ces reproches semble détruire l'autre, à moins q u ' o n
ne prétende qu'à la Chine on a d m e t le contradictoire, c o m m e
il arrive souvent parmi nous ; mais il fallait être bien a u fait
de leur langue et d e leurs m œ u r s pour démêler ce contradic-
toire. L e procès d e l'empire de la Chine dura longtemps en
cour de R o m e ; cependant on attaqua les Jésuites d e tous
côtés.
U n de leurs savants missionnaires, le P . Lecomte, avait
écrit dans ses Mémoires de la Chine q u e « ce peuple a conservé
pendant deux mille ans la connaissance d u vrai Dieu ; qu'il
a sacrifié au Créateur dans le plus ancien temple de
l'univers ; que la Chine a pratiqué les plus pures leçons de la
morale tandis q u e l'Europe était dans l'erreur et dans la
corruption ».
(...)
L ' E m p e r e u r Kang-hi reçut d'abord le patriarche de
Tournon avec beaucoup de bonté. Mais on peut juger quelle
fut sa surprise q u a n d les interprètes de ce légat lui apprirent
que les Chrétiens qui prêchaient leur religion dans son
empire ne s'accordaient point entre eux, et que ce légat
venait pour terminer une querelle dont la cour de Pékin
n'avait jamais entendu parler. L e légat lui fit entendre que
tous les missionnaires, excepté les Jésuites, condamnaient les
anciens usages d e l'empire, et q u ' o n soupçonnait m ê m e S a
Majesté chinoise et les lettrés d'être des athées qui n ' a d m e t -
taient que le ciel matériel. Il ajouta qu'il y avait u n savant
évêque de C o n o n qui expliquerait tout cela si S a Majesté
daignait l'entendre. L a surprise d u monarque redoubla en
apprenant qu'il y avait des évêques dans son empire. M a i s
188
LA TOLÉRANCE

celle d u lecteur ne doit pas être moindre en voyant que ce


prince indulgent poussa la bonté jusqu'à permettre à
l'évêque de C o n o n de venir lui parler contre la religion,
contre les usages de son pays, et contre lui-même. L'évêque
de C o n o n fut admis à son audience. Il savait très peu de
chinois. L ' E m p e r e u r lui d e m a n d a d'abord l'explication de
quatre caractères peints en or au-dessus d e son trône.
Maigrot n'en put lire que deux ; mais il soutint que les mots
king-tien que l'Empereur avait écrits lui-même sur des
tablettes, ne signifiaient pas adorez le Seigneur du Ciel.
L'Empereur eut la patience de lui expliquer par interprètes
que c'était précisément le sens de ces mots. Il daigna entrer
dans u n long examen. Il justifia les honneurs q u ' o n rendait
aux morts. L'évêque fut inflexible. O n peut croire que les
Jésuites avaient plus de crédit à la cour que lui. L ' E m p e r e u r ,
qui par les lois pouvait le faire punir de mort, se contenta de
le bannir. Il ordonna que tous les Européens qui voudraient
rester dans le sein de l'empire viendraient désormais prendre
de lui des lettres patentes et subir un examen.
Pour le légat de Tournon, il eut ordre d e sortir de la
capitale. D è s qu'il fut à Nankin, il y donna u n m a n d e m e n t
qui condamnait absolument les rites de la Chine à l'égard
des morts, et qui défendait q u ' o n se servît d u m o t dont s'était
servi l'Empereur pour signifier le Dieu d u ciel.
Voltaire, France, Le siècle de Louis X I V , 1751

281
[L'Empereur Yong-tcheng aux missionnaires jésuites :]

Vous dites que votre loi est une loi de vérité, je le crois ; si je
pensais qu'elle fût fausse, qui m'empêcherait de détruire vos
églises et vous en chasser? Les lois fausses sont celles qui
sous prétexte de porter à la vertu, soufflent l'esprit de révolte
(...) Mais que diriez-vous si j'envoyais une troupe de bonzes
et de lamas dans votre pays pour y prêcher leur loi?
C o m m e n t les recevriez-vous ? V o u s voulez que tous les
Chinois se fassent Chrétiens ; votre loi le d e m a n d e , je le sais
bien; mais en ce cas-là, que deviendraient les sujets de vos
189
LA VÉRITÉ EN QUESTION

rois? Les Chrétiens q u e vous faites ne reconnaissent q u e


vous ; dans u n t e m p s de trouble, ils n'écouteraient point
d'autre voix que la vôtre. Je sais bien qu'actuellement, il n ' y
a rien à craindre, mais q u a n d les vaisseaux viendront par
mille, e n grand n o m b r e , alors il pourrait y avoir d u désastre.
Yong-tcheng, 1677-1736, Chine,
troisième Empereur de la dynastie mandchoue Ts'ing

282
[La Bulle E x ilia die du pape Clément XI, ordonnant aux Chrétiens
de ne plus rendre à Confucius ni aux ancêtres les honneurs
traditionnels, parvient à l'Empereur K'ang-hi qui annote :]

Ayant lu cette bulle, je m e permets de d e m a n d e r c o m m e n t


ces missionnaires incultes sont capables de traiter de la haute
pensée chinoise? (...) Je reconnais maintenant q u e la bulle
d u pape n'apporte rien de nouveau et q u e la religion
chrétienne n'est pas meilleure q u e l'idolâtrie et q u e les
religions inférieures des bouddhistes et taoïstes. C'est u n
non-sens absolu, inouï. Dorénavant, j'interdis a u x mission-
naires de propager leur religion e n Chine, afin d'éviter des
troubles.
K'ang-hi, 1662-1722, Chine,
deuxième Empereur de la dynastie mandchoue Ts'ing

283
[L'Empereur K'ieng-long, par un édit du 10 novembre 1785, libère
tous les missionnaires européens qu'il avait fait emprisonner pour s'être
introduits clandestinement en Chine :]

O n les a c o n d a m n é s seulement à une prison perpétuelle,


parce q u ' o n a reconnu q u e ces criminels n'avaient point eu
d'autres intentions q u e de prêcher la religion, et qu'ils
n'étaient coupables d'autre crime (...) Quoique, suivant les
lois, ils eussent mérité les peines des criminels, cependant,
moi, E m p e r e u r , ayant compassion de leur ignorance, j'ai
voulu les réprimer par la prison.
Maintenant, voyant tous ces criminels, q u ' o n a reconnu
190
LA T O L É R A N C E

être étrangers et ignorant nos lois, assujettis à l'arrêt d'une


prison perpétuelle, je m e sens touché de compassion. C'est
pourquoi, accordant une nouvelle grâce à J e a n de Sassari et
aux autres criminels, ses confrères au n o m b r e de douze,
j'ordonne qu'ils soient mis en liberté. Si quelques-uns d'eux
veulent rester à Pékin, je permets qu'on les conduise
incessamment dans les églises, et qu'ils y exercent tranquille-
ment leurs fonctions. S'ils veulent retourner en Europe, il
faut le notifier au tribunal qui désignera u n mandarin pour
les conduire à Canton. Je veux bien accorder cette grâce qui
est au-dessus des lois, pour manifester m a clémence envers
les étrangers des pays éloignés.
Edit de l'Empereur K'ien-long, Chine, 1785

284

Des Européens, attirés par le désir de profiter des sages


institutions de nos souverains, ont entrepris une traversée de
plusieurs fois dix mille stades pour venir ici. Ils ont corrigé
et perfectionné les règles d u calcul d u temps. E n temps de
guerre ils ont fabriqué des canons et d'autres armes. Députés
auprès des Russes, ils ont montré u n dévouement sincère et
sont parvenus à faire u n traité de paix.
Leurs travaux et leurs ouvriers sont très n o m b r e u x . D a n s
les provinces où ils résident, ils ne font aucun mal, ne causent
aucun trouble nulle part. Ils ne séduisent pas la multitude
par de fausses doctrines, ne suscitent d'affaires sous aucun
prétexte. D a n s les pagodes des lamas et des autres bonzes de
Bouddha, des prêtres taoïstes, il est permis de brûler des
parfums et de faire d'autres cérémonies. Les Européens
n'étant coupables d'aucune infraction aux lois, il ne semble
pas juste d'interdire leur religion.
Il convient de laisser subsister, c o m m e autrefois, toutes
les églises des Chrétiens, de laisser libres, c o m m e d'ordi-
naire, toutes les personnes qui vont y porter des parfums ou
d'autres offrandes ; il ne faut pas les en empêcher. Q u a n d le
décret aura paru, il sera bon de l'envoyer à tous les
gouverneurs de province.
191
LA VÉRITÉ EN QUESTION

Approuvé par K'ang-hi,' le V e jour de la IIe Lune de la


X X X F année de K'ang-hi.
Edit de l'Empereur K'ang-hi, Chine, 1692

285

Les grands ministres de la maison royale de Ts'in dirent tous


au roi de Ts'in : « Les h o m m e s (des pays) des seigneurs
féodaux qui viennent servir Ts'in 1 , la plupart ne fait
qu'espionner à Ts'in au profit de leurs maîtres. N o u s prions
que d'un seul coup on expulse tous les étrangers. » Li Sseu,
d'après la délibération, devait lui aussi être parmi les
expulsés. Alors Sseu présenta au roi u n mémoire disant :
«J'ai entendu q u e les fonctionnaires opinaient pour l'expul-
sion des étrangers. Je considère q u e ce serait une faute. (...)
Actuellement Votre Majesté fait venir le jade du m o n t
K o u e n , elle possède les trésors de Souei et de H o , elle porte
des perles brillantes c o m m e la lune, elle ceint l'épée T'aingo,
elle monte des chevaux Sien-li, elle plante des bannières
(ornées d'images) de phénix verdâtres, elle pose des t a m -
bours en peau d e crocodile surnaturel. Parmi tous ces
trésors, Ts'in n'en produit pas u n seul. Pourquoi alors Votre
Majesté les aime-t-elle? (...)
« Actuellement, dans le choix des personnes, il n'en est
pas ainsi. O n ne d e m a n d e pas si ces h o m m e s conviennent ou
non, on ne discute pas s'ils ont raison ou tort, ceux qui ne
sont pas de Ts'in sont chassés, ceux qui sont étrangers sont
exilés. S'il en est ainsi, alors ce que vous estimez, ce sont les
couleurs, la musique, les perles et le jade, et ce que vous
mésestimez, c'est le peuple. C e n'est pas là une doctrine par
laquelle on a à ses pieds l'intérieur des mers et par laquelle
on gouverne les seigneurs féodaux.
(...)

1. A cette époque et en général pendant tout le temps de la féodalité,


très souvent les hommes de talent quittaient leur pays pour servir un
prince étranger et parfois m ê m e plusieurs.
192
LA T O L É R A N C E

« O r maintenant o n repousse le peuple pour grossir les


pays ennemis, on renvoie les hôtes étrangers pour servir les
seigneurs féodaux, o n fait que les lettrés de tout l'empire
reculent et n'osent pas se diriger à l'ouest, qu'ils arrêtent
leurs pas sans entrer à Ts'in. C'est ce q u ' o n appelle four-
nir d'armes les brigands et donner des provisions aux
voleurs.
« O r , parmi les choses, il y en a beaucoup qui sans
provenir de Ts'in peuvent être considérées c o m m e précieu-
ses, et les lettrés qui sans provenir de Ts'in veulent lui être
fidèles sont nombreux. Si actuellement on exile les étrangers
pour grossir les pays ennemis, si on diminue le peuple pour
augmenter les adversaires, alors à l'intérieur on se sera
dépeuplé soi-même et à l'extérieur o n aura implanté u n
ressentiment chez les seigneurs féodaux. (...) »
Le roi Ts'in supprima alors le décret d'expulsion contre
les étrangers et rendit à Li Sseu ses charges.
Lie-Tseu, Chine, Mémoire au roi Che-houang
blâmant l'expulsion des étrangers, 273 av. J.-C.

K'i-yin et ses collègues N o u s ayant, ci-devant, adressé une


pétition dans laquelle ils demandaient q u e ceux qui profes-
sent la religion chrétienne dans un but vertueux fussent
exempts de culpabilité, qu'ils puissent construire des lieux
d'adoration, s'y rassembler, vénérer la croix et les images,
réciter des prières et faire des prédications, sans éprouver en
tout cela le moindre obstacle, N o u s avons donné notre
adhésion impériale à ces divers points pour toute l'étendue
de l'Empire.
La religion d u Seigneur d u Ciel, en effet, ayant pour objet
essentiel d'engager les h o m m e s à la vertu, n'a absolument
rien de c o m m u n avec les sectes illicites, quelles qu'elles
soient. Aussi avons-nous accordé, dans le temps, qu'elle fût
exempte de toute prohibition, et devons-Nous également
faire en sa faveur toutes les concessions que l'on sollicite
maintenant. Savoir :
Q u e toutes les églises chrétiennes, qui ont été construites
sous le règne de K'ang-hi, dans les différentes provinces de
193
LA VÉRITÉ EN QUESTION

l'Empire, et qui existent encore, leur destination primitive


étant prouvée, soient rendues aux Chrétiens des localités
respectives où elles se trouvent, à l'exception cependant de
celles qui auraient été converties en pagodes et en maisons
particulières.
Et s'il arrive, dans les différentes provinces, qu'après la
réception de cet édit, les autorités locales exercent des
poursuites contre ceux qui professent vraiment la religion
chrétienne sans commettre aucun crime, o n devra infliger à
ces autorités le châtiment que méritera leur coupable
conduite.
Mais ceux qui se couvriront d u masque de la religion
pour faire le mal, ceux qui convoqueront les habitants des
districts éloignés pour former des assemblées subversives,
c o m m e aussi les malfaiteurs membres d'autres religions qui,
empruntant faussement le n o m de Chrétiens, s'en serviront
dans le but de désordre, tous ces gens-là, coupables d'actions
perverses et, par cela m ê m e , infracteurs des lois, devront être
rangés parmi les criminels et punis suivant les lois de
l'Empire.
Il faut ajouter aussi qu'il n'est en aucune façon permis
aux étrangers de pénétrer dans l'intérieur d u pays pour y
prêcher la religion, car les réserves faites à cet égard doivent
demeurer clairement établies.
Portez ceci à la connaissance de qui de droit.
Respectez ceci.
X X V e Jour de la Première Lune de la X X V I e année de
Tao-kouang.
Edit sacré de l'Empereur Tao-kouang, 20 février 1846, Chine

287

Je voudrais vous parler encore u n peu de la tolérance. Peut-


être m e comprendrez-vous mieux si je vous raconte quel-
ques-unes des expériences que j'ai eues. A Phoenix1,

1. Communauté fondée par Gandhi en Afrique du Sud en 1904.


194

LA T O L E R A N C E

nous faisions nos prières quotidiennes c o m m e à Sabarmati 1 ,


et des musulmans c o m m e des Chrétiens y venaient avec les
Hindous. Feu Sheth Rustomji2 et ses enfants y venaient
aussi. Rustomji Sheth aimait beaucoup le cantique gujarati
Mane vhalun, « cher, deux fois cher m'est le n o m de Räma ».
Si m a mémoire ne m e trompe pas, u n jour que Maganlal ou
Kashi dirigeait ce cantique, que nous chantions tous,
Rustomji Sheth s'écria joyeusement : « Mettez le n o m
d ' O r m u z d 3 au lieu de celui de R a m a ! » Il fut aussitôt accédé
à son désir. A partir de ce jour, quand le Sheth était présent,
et parfois m ê m e quand il n'était pas là, on remplaçait le n o m
de R â m a par celui d ' O r m u z d (...)
Joseph Royeppen 4 venait souvent à Phoenix. C'était u n
Chrétien et son cantique favori était Vaishnava jana (celui qui
secourt son prochain dans l'affliction est u n vaishnava, u n
serviteur d u seigneur). Il aimait beaucoup la musique et u n
jour qu'il chantait ce cantique, il y remplaça le m o t vaishnava
par chrétien. Les autres acceptèrent aussitôt cette nouvelle
version et je vis que le coeur de Joseph en était rempli de joie.
Mahatma Gandhi, 1869-1948, Inde, Lettres à l'Ashram

1. Le village où se trouvait le Satyâgrahâshram, auquel ces lettres


sont adressées. Il est près d'Ahmedabad.
2. Commerçant parsi qui habitait l'Afrique du Sud et y devint un
fervent admirateur de Gandhi. Il prit une part active au mouvement
satyhgraha en Afrique du Sud.
3. Ormuzd est le n o m que les parsis donnent au principe divin.
4. Chrétien de Madras qui se trouvait en Afrique du Sud avec
Gandhi.
La tolérance :
concept figé
ou notion dynamique ?

Le mythe hindou se boucle, comme une phrase de l'histoire humaine qui


en appelle d'autres. La victoire solitaire du Bodhisatta, pas son martyre
et sa mort même, est scellée à la faveur de l'intervention d'un d e u s ex
m a c h i n a , force justiciare à la fois transcendante et immanente.
Qu'en retenir au seuil de cette dernière séquence? Une certitude
conquise dans la lutte et la souffrance : le triomphe de la conscience des
hommes est d'autant plus écrasant que l'on aura cherché à en contester
le primat et la détermination. A la limite, c'est au plus fort de
l'agression subie qu'elle relève, mesure et gagne le défi de la violence et
de l'oppression.
Nous sommes id au point de retournement dialectique de la relation
intolérance-tolérance qui est la visée de ce livre. Nous avons vu
s'opposer puis s'affronter force et conscience, force et raison pure : la
force désormais va devoir se médiatiser et la raison se faire force
dialectique vers l'édification originale — dans le concret et non plus
dans le rêve — d'un monde d'hommes — mais de tous les hommes —
juste, et où le concept même de tolérance n'est plus qu'un anachronisme.
Dans ce moment de bascule où tant de fausses contradictions
naguère tenues pour majeures sont réduites, deux textes nous guident,
volontiers provocants sous la plume d'écrivains d'autres temps et dont
la consonance avec les phantasmes de cettefinde siècle est sans doute
davantage qu'une étonnante coincidence : la boutade de Nestroy qui
ironise sur la légitimité de la relation Puntila-Matti (maître-
domestique ; majorité-minorité; colonisateur-colonisé ; riche-
196
LA TOLÉRANCE

pauvre...) et le réquisitoire d'un Shakespeare mettant en procès


contre Christophe Colomb qui s'en émerveillait — l'or (le pro
l'accumulation, l'exploitation) comme valeur érigée en transce
par les hommes.

288
... Q u a n d il fut parti, le Commandant-en-chef essuya le sang
des blessures d u Bodhisatta, banda les moignons de ses pieds
et de ses mains, pansa ses oreilles et son nez et après l'avoir
installé avec précaution sur une banquette, il lui fit révérence
et lui dit : « M o n très éminent Seigneur, celui-là seul qui
mérite votre courroux pour avoir ainsi péché contre vous,
c'est le roi et nulle autre personne. » Ayant prononcé ces
mots, il déclama ensuite cette première strophe :
« Dirige ta colère, â m e héroïque, contre celui
qui a tranché ton nez et tes oreilles
et amputé tes pieds et tes mains.
Mais épargne, je te prie, ce pays. »
L e Bodhisatta prit à son tour la parole et il psalmodia la
deuxième strophe :
« Q u e vive longtemps le roi dont la main cruelle
A ainsi mutilé m o n corps.
Les âmes pures c o m m e la mienne
N e gardent pas rancune de tels agissements. »
Et juste c o m m e le roi quittait le jardin et disparaissait des
yeux du Bodhisatta, la terre dont l'épaisseur était de deux
cent quarante lieues se déchira en deux telle u n vêtement fait
d'un tissu solide et fort, et une flamme jaillissant de l'Avici
enveloppa le roi c o m m e l'aurait fait une tunique écarlate. L e
roi fut ainsi happé au fond de la terre juste devant le portail
du jardin et transporté dans le vaste enfer d'Avici. Et le
Bodhisatta rendit l'âme le m ê m e jour.
Khantivadi-Jataka

289
Mon ami,
Il est vraiment tout à fait injuste que seuls les maîtres soient
197
C O N C E P T FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E

tenus de donner des références sur les domestiques ; si nous


avions tous des droits égaux, les domestiques auraient, eux
aussi, à juger leurs maîtres. Sans doute beaucoup de gens
seraient très embarrassés s'ils étaient requis d e rendre
publics les jugements portés sur eux par leurs serviteurs.
Johann Nestroy, 1801-1862, Autriche

290

Qu'est ceci? D e l'or? D e l'or jaune, étincelant, précieux?


N o n , dieux, je ne suis pas u n faiseur de fausses prières !
Des racines, ô cieux purs ! Autant de ceci rendra
Blanc, le noir ' beau, le laid ; vrai, le faux ;
Noble, le vil ; jeune, le vieux ; vaillant, le lâche.
H a , dieux! Pourquoi ceci? Qu'est-ce, ô vous dieux?
H é , ceci déhalera de vos côtés prêtres et serviteurs
Et arrachera l'oreiller de sous les têtes encore valides.
Cet esclave jaune
Nouera et défera les religions ; bénira le maudit ;
Sanctifiera la lèpre blanche ; mettra en place les voleurs
(...)
Et leur donnera titre, approbation, génuflexion,
A u banc m ê m e des sénateurs.
Voilà de quoi remarier la veuve fourbue ; et elle,
Q u i ferait lever la gorge aux gangreneux de l'hôpital,
Ceci l ' e m b a u m e et l'épice
D ' u n avril nouveau. Viens, poussière d a m n é e ,
Putain c o m m u n e à tout le genre h u m a i n ,
Toi, qui sèmes la rage dans la racaille des nations,
Je te ferai
Agir selon ta vraie nature.
Shakespeare, Angleterre, La vie de Timon d'Athènes,
acte iv, scène III, 1607

Edits, décrets, ouvertures...


Mais prenons avant tout acte de ce que le plus fort a d'abord fait mine
d'octroyer mais qu'en réalité des millions d'hommes ont arraché, par
198
LA TOLÉRANCE

leurs morts, à l'humiliation et à l'oppression, à la pointe de la volonté


la liberté de conscience d'abord et, dans un premier temps, l'égalité
formelle des droits.
Par les présents Edits, Chartes, Décrets et autres Déclarations,
une certaine pratique de la forcefléchiten renonçant explicitement à la
prétention de posséder, de dicter et d'imposer une vérité trop souve
d'intérêts. Désormais, essentiellement dans les relations intr
communautaires, l'on étend à la minorité religieuse ennemie « la
tolérance civile » ; très précisément, on l'admet « à la bourgeoisie
toutes les villes » pour le plus grand « avantage du commerce en
particulier », cela va sans dire.
Ailleurs, en Europe, on fait de même, ici et là, pour des minorités
ethniques. Ce ne sont là que concessions, octroyées comme telles, et à
titre révocables.
Celles-ci, initiatrices, ont longtemps paru de plus longue porté
historique. A tout le moins, signes d'ouverture et matrices de
revendications futures, dès lors que l'accent semble s'être irréversib
ment déplacé du spirituel au temporel.

291

Henri, par la grâce de Dieu, roi de France et d e Navarre, à


tous présents et à venir, salut. (...)
Maintenant qu'il plaît à D i e u c o m m e n c e r à nous faire
jouir de quelque repos, nous avons estimé n e le pouvoir
mieux employer q u ' à vaquer à ce qui peut concerner la gloire
d e Son Saint N o m et service, et à pourvoir qu'il puisse être
adoré et prié par tous nos sujets, et s'il ne lui a plu permettre
que ce soit p o u r encore en u n e m ê m e forme de religion, q u e
ce soit au m o i n s d ' u n e m ê m e intention et avec u n e telle règle,
qu'il n'y ait point pour cela d e trouble ou de tumulte entre
eux, et q u e n o u s et ce r o y a u m e puissions toujours mériter et
conserver le titre glorieux de Très Chrétien qui a été par tant
d e mérites et dès si longtemps acquis ; et par m ê m e m o y e n
ôter la cause d u m a l et trouble qui peut advenir sur le fait de
religion, qui est toujours le plus glissant et pénétrant de tous
les autres. P o u r cette occasion, ayant reconnu cette affaire de
très grande importance et digne de très b o n n e considération,
199
C O N C E P T FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

après avoir repris les cahiers de plaintes de nos sujets


catholiques, ayant aussi permis à nosdits sujets de ladite
Religion prétendue Réformée de s'assembler par députés
pour dresser les leurs et mettre ensemble toutes leurs dites
remontrances, et sur ce fait conféré avec eux par diverses fois
et revu les édits précédents, nous avons jugé nécessaire de
donner maintenant sur le tout à tous nosdits sujets une loi
générale, claire, nette et absolue, par laquelle ils soient réglés
sur tous les différends qui sont ci-devant survenus entre eux,
et y pourront encore survenir ci-après, et dont les uns et les
autres aient sujet de se contenter, selon que la qualité du
temps le peut porter. N'étant pour notre regard entré en cette
délibération que pour le seul zèle que nous avons du service
de Dieu, et qu'il se puisse dorénavant faire et rendre par tous
nosdits sujets, et établir entre eux une bonne et perdurable
paix. Sur quoi nous implorons et attendons de Sa divine
bonté la m ê m e protection et faveur qu'il a toujours visible-
ment départie à ce royaume depuis sa naissance, et pendant
tout ce long âge qu'il a atteint, et qu'Elle fasse la grâce à
nosdits sujets de bien comprendre qu'en l'observation de
cette notre ordonnance consiste (après ce qui est de leur
devoir envers Dieu et envers tous) le principal fondement de
leur union, concorde, tranquillité et repos, et du rétablisse-
ment de tout cet Etat en sa première splendeur, opulence et
force. C o m m e de notre part nous promettons de le faire
exactement observer, sans souffrir qu'il y soit aucunement
contrevenu.
Pour ces causes, ayant avec l'avis des princes de notre
sang, autres princes et officiers de la couronne et autres
grands et notables personnages de notre conseil d'État étant
présents près de nous, bien et diligemment pesé et considéré
tout cet affaire, avons par cet édit perpétuel et irrévocable
dit, déclaré et ordonné, disons, déclarons et ordonnons.

I. Premièrement, que la mémoire de toutes choses passées


d'une part et d'autre depuis le c o m m e n c e m e n t du mois de
mars 1585 jusque à notre avènement à la couronne, et durant
les autres troubles précédents et à l'occasion d'iceux,
200

LA T O L É R A N C E

demeurera éteinte et assoupie, c o m m e chose n o n advenue. Et


ne sera possible ni permis à nos procureurs généraux, ni
autres personnages quelconques, publiques ni privées, e n
quelque temps ni pour quelque occasion que ce soit en faire
mention, procès ou poursuite en aucunes cours o u juridic-
tions q u e ce soit.
II. Défendons à tous nos sujets, de quelque état ou qualité
qu'ils soient, d'en renouveler la m é m o i r e , s'attaquer, ressen-
tir, injurier ni provoquer l'un l'autre par reproche de ce qui
s'est passé, pour quelque cause et prétexte q u e ce soit, e n
disputer, contester, quereller ni s'outrager, o u s'offenser de
fait ou d e parole; mais se contenir et vivre paisiblement
ensemble c o m m e frères, amis et concitoyens, sous peine aux
contrevenants d'être punis c o m m e infracteurs de paix et
perturbateurs de repos public.
III. O r d o n n o n s que la Religion Catholique, Apostolique et
R o m a i n e sera remise et rétablie en tous les lieux et endroits
de cetuy notre royaume et pays de notre obéissance, o ù
l'exercice d'icelle a été intermis, pour y être paisiblement et
librement exercée, sans a u c u n trouble o u e m p ê c h e m e n t . . .
(...)
V I . Et pour n e laisser aucune occasion de troubles et
différents entre nos sujets, avons permis et permettons à ceux
de ladite Religion prétendue Réformée vivre et demeurer par
toutes les villes et lieux de cetuy notre r o y a u m e et pays de
notre obéissance, sans être enquis, vexés, molestés, ni
astreints à faire chose pour le fait de la religion contre leur
conscience, ni pour raison d'icelle être recherchés es maisons
et lieux o ù ils voudront habiter, en se comportant au reste
selon qu'il est contenu en notre présent édit.
(...)
X V I I I . Défendons aussi à tous nos sujets, d e quelque
qualité et condition qu'ils soient, d'enlever par force o u
induction, contre le gré de leurs parents, les enfants de ladite
Religion, pour les faire baptiser o u confirmer en l'Eglise
Catholique, Apostolique et R o m a i n e ; c o m m e aussi m ê m e s
défenses sont faites à ceux d e ladite Religion prétendue
201
C O N C E P T FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

Réformée, le tout à peine d'être punis exemplairement.


(...)

X X I I . Ordonnons qu'il ne sera fait différence ni distinction,


pour le regard de ladite Religion, à recevoir les écoliers pour
être instruits es Universités, collèges et écoles, et les malades
es hôpitaux, maladreries et aumônes publiques.
(...)

X X V I I . Afin de réunir d'autant mieux les volontés de nos


sujets, c o m m e est notre intention, et ôter toutes plaintes à
l'avenir, déclarons tous ceux qui font o u qui feront profession
de ladite Religion prétendue Réformée capables de tenir et
exercer tous états, dignités, offices et charges publiques
quelconques, royales, seigneuriales, o u des villes de notre dit
royaume, pays, terres et seigneuries de notre obéissance,
nonobstant tous serments à ce contraires, et d'être indifle-
r e m m e n t admis et reçus en iceux, et se contenteront nos
Cours de parlements et autres juges d'informer et enquérir
sur la vie, m œ u r s , religion et honnête conversation de ceux
qui sont ou qui seront pourvus d'offices, tant d'une religion
que d'autre, sans prendre d'eux autre serment que de bien
et fidèlement servir le roi en l'exercice de leurs charges et
garder les ordonnances, c o m m e il a été observé de tous
temps.
(...)

L X X I V . C e u x de ladite Religion ne pourront ci-après être


surchargés et foulés d'aucunes charges ordinaires ou extraor-
dinaires plus que les catholiques, et selon la proportion de
leurs biens et facultés.
(...)
D o n n é à Nantes a u mois d'avril, l'an de grâce mille cinq
cent quatre vingt dix huit, et de notre règne le neuvième.
HENRI
Édit de Nantes, 1598, France

292

Il est naturel, dans les cités et les grandes villes qui sont
202

LA TOLÉRANCE

résidences princières et capitales, où se trouve u n grand


rassemblement de peuple, et n o n seulement d'autochtones
mais aussi des étrangers, et qui sont acceptés et protégés
tous, que toutes les nationalités, et par conséquent les
étrangers, selon leur rite, aient diflérentes maisons pour faire
leur prière à Dieu, tout c o m m e ici dans la ville de Bucarest
où en dehors des catholiques, des Arméniens et des Juifs qui
sont tributaires d u tout puissant Empire et qui ont des églises
pour leur prière, ont trouvé ici leur domicile. Quelques-uns
de rite saxon, qui adressant requête à M a Grandeur pour
leur donner permission d'élever une église dans la ville de
Bucarest (...) donc, selon leur requête, tout étrangers qu'ils
sont, je ne les ai pas m é c o n n u s , ni n'ai laissé qu'ils soient
complètement ignorés par inadvertance et pour qu'ils
sachent qu'ils ne sont pas persécutés, mais bien qu'ils ont
l'usage de leur croyance et leur donnant conseil de tout
repos, que quelques n o m b r e u x seraient-ils à venir ici pour y
habiter, M a Grandeur s'est apitoyée sur leur sort et leur a
permis de se faire bâtir une église sur le lieu qu'ils se sont
acheté.
(suivent la signature du Prince et le témoignage des boyard
Charte dite des Saxons octroyée par Alexandre Ypsilanti,
prince de Valachie, 1777

293

Quoique l'Empereur soit dans la ferme intention de protéger


et de soutenir invariablement notre sainte religion catholi-
que, S . M . a jugé néanmoins qu'il était de sa charité
d'étendre à l'égard des personnes comprises sous la dénomi-
nation de Protestants, les effets de la tolérance civile qui, sans
examiner la croyance, ne considère dans l ' h o m m e que la
qualité de citoyen, et d'ajouter de nouvelles facilités à cette
tolérance dans tous les royaumes, provinces et terres de son
obéissance.
(•••)

Les Protestants seront admis désormais à la bourgeoisie


de toutes les villes, ainsi q u ' a u x corps de métiers ; et enfin
203

C O N C E P T FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E

aux grades académiques des arts, d u droit et de la médecine


dans l'université d e Louvain, sur le m ê m e pied que les autres
sujets de S . M . à l'effet de quoi les magistrats, ainsi que les
différentes facultés de l'université, sont autorisés à accorder,
pour chaque cas, les dispenses requises.
(...)
Finalement, l'Empereur se réserve d'admettre par voye
de dispense, à la possession d'emplois civils, ceux de ses
sujets Protestants en qui on aura reconnu une conduite
chrétienne et morale, ainsi que la capacité, l'aptitude et les
qualités requises pour en remplir les fonctions.
Lettres patentes sur la tolérance de Joseph II d'Autriche, 1781

294

A moins que son ton ne soit outrageant, la critique ne doit


pas être proscrite, qu'elle s'adresse au Souverain ou au plus
h u m b l e sujet, et cela sans considérer si l'auteur se n o m m e o u
ne se n o m m e pas ; mais elle ne doit surtout pas être interdite
si l'auteur répond par son n o m de la vérité de ses assertions.
Celui qui aime la vérité ne peut que se réjouir de la critique.
Si elle est fausse, elle s'écroule d'elle-même; si elle est juste,
nous ne pouvons qu'en faire notre profit.
Décret sur la presse de Joseph II d'Autriche

295

J'ose espérer que les plus éclairés et les plus pieux parmi les
Rabbins et les Anciens de m a nation voudront bien se
dépouiller de ce dangereux privilège, renoncer à tous les abus
de la discipline synagogale et religieuse, et montrer à l'égard
de leurs co-religionnaires le m ê m e a m o u r et la m ê m e
tolérance qu'ils ont si souvent réclamés pour e u x - m ê m e s de
l'État. A h , m e s frères, jusqu'ici, vous n'avez q u e trop senti
peser sur vos épaules le joug de l'intolérance : peut-être vous
semblait-il trouver une certaine compensation dans le pou-
voir qui vous était laissé d'imposer v o u s - m ê m e à vos
subordonnés u n joug pesant. L a vengeance cherche sa
204

LA TOLÉRANCE

pâture, et quand elle ne la trouve pas ailleurs, elle dévore sa


propre chair. Peut-être aussi vous laissiez-vous séduire par le
mauvais exemple. T o u s les peuples de la terre avaient cru
jusqu'ici, dans leur folle illusion, q u ' o n ne conserve la
religion que par la force, qu'on ne répand que par la
persécution les leçons de béatitude, qu'on ne propage que
par la haine la vraie idée de Dieu, qui est l'idée d ' a m o u r .
Remerciez le Dieu de vos pères, qui est la clémence et
l'amour m ê m e s , de ce que cette folie semble aujourd'hui
condamnée à disparaître. Les nations commencent à se
supporter et à s'entendre; elles nous montrent déjà des
ménagements, des sympathies qui, avec l'aide de Celui
qui m è n e les cœurs humains, pourront croître jusqu'à deve-
nir un a m o u r véritablement fraternel. O m e s frères, suivez
l'exemple de l'amour, c o m m e vous suiviez l'exemple de
la haine. Imitez dans le bien les nations que vous imitiez
dans le mal. V o u s souhaitez qu'on vous supporte, qu'on vous
ménage, qu'on vous tolère : supportez-vous, ménagez-vous,
tolérez-vous les uns les autres. A i m e z , aimez : vous serez
aimés.
Moses Mendelssohn, 1729-1786, Allemagne

296

Être humain, c'est avoir conscience de la solidarité spirituelle


de tous les h o m m e s et de leur destinée c o m m u n e , c'est
l'exigence en nous d'aimer l ' h o m m e dans sa totalité, de
reconnaître, de respecter la qualité humaine de nos sembla-
bles, a u travail et dans le cadre de leur vie sociale, de les
aider qu'ils soient isolés ou en groupes. L a dimension
humaine, l'intégrité et la dignité de l'individu ne ressortent
pleinement cependant q u e lorsqu'il est vu dans la perspec-
tive de rapports sociaux diversifiés dont u n grand nombre
sont d'ordre économique et politique.
Ernst Karl Winter, Autriche,
Article dans « Wiener politische Blätter », 1934
205
C O N C E P T FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E

Les ruses de la tolérance formelle


La violence nue suspendue, quel va être le nouveau langage de la force
et quel visage présentera l'intolérance convertie — de force en quelque
sorte — à la tolérance ?
Les Edits, Décrets et Déclarations cités plus haut laissaient
clairement entrevoir, non sans réticences, la nécessité d'un Etat
égalitariste où, tout en étant enfin soi-même, le minoritaire soit avant
tout tenu de se soumettre à un système juridique fait sans lui et régissant
des intérêts parmi lesquels les siens, pourtant formellement reconnus,
ne peuvent concrètement être que marginaux. En Europe, il ne faudra
pas moins qu 'une révolution pour substituer au droit féodal un code
civil et à la P a x ecclesiae la paix bourgeoise.
Dans cette séquence pénultième de tout un âge historique, et par un
jeu serré de propositions, contre-propositions, réserves et nuances, c'est
à cette mutation imminente que les protagonistes se préparent en
discutant du nouvel ordre à instituer, statut inclus de la tolérance
religieuse et de ses relations concrètes ou théoriques — avec l'autorité
dans son sens classique. O n discute ainsi sur « les libertés », sur les
droits généraux dont, cela va sans dire, celui de propriété. « Vaincue
sur le principe, l'intolérance discute sur l'application. »
O n pensait octroyer une réforme, c'est une révolution qui eut lieu,
installant enfin l'homme dans l'homme et donnant naissance à une
nouvelle problématique, où la donnée « liberté de conscience » ou « liberté
de religion » n'est plus déterminante ni même seulement pertinente.
Contre l'exclusivisme de fait et les abus des gloses, on s'en remet
à — ou l'on affirme — un certain type de société en guise de rechange,
société de « paix » dont le but proclamé sera la défense de l'individu
contre ce qu'un consensus d'intérêts variés tenait pour « injuste »,
« anarchique » ou « violent ».
Désormais, le concept d'Etat est inséparable de l'Idée de Droit
formel, même si les parties en conflit ne jouissent pas des mêmes droits
concrets. Formes dont en retour l'Histoire se doit d'éclairer les contenus
réels et d'investir d'un sens universel.

297

L'autorité fait d u m a l , m ê m e lorsqu'elle v e u t soumettre à s a


206

LA TOLÉRANCE

juridiction les principes de la tolérance; car elle impose à la


tolérance des formes positives et fixes, qui sont contraires à
sa nature. L a tolérance n'est autre chose que la liberté de
tous les cultes présents et futurs. L'empereur Joseph II
voulut établir la tolérance, et libéral dans ses vues, il
c o m m e n ç a par faire dresser un vaste catalogue de toutes les
opinions religieuses, professées par ses sujets. Je ne sais
combien furent enregistrées, pour être admises au bénéfice
de sa protection. Qu'arriva-t-il ? U n culte qu'on avait oublié
vint à se montrer tout à coup, et Joseph II, prince tolérant,
lui dit qu'il était venu trop tard. Les déistes de B o h ê m e
furent persécutés, vu leur date, et le monarque philosophe se
mit à la fois en hostilité contre le Brabant qui réclamait la
domination exclusive d u catholicisme, et contre les malheu-
reux Bohémiens qui demandaient la liberté de leur opinion.
Benjamin Constant, Suisse-France, D e la religion considérée
dans sa source, ses formes et son développement, 1826

298

O n vous parle sans cesse d'un culte dominant. — D o m i n a n t !


Messieurs, je n'entends pas ce mot, et j'ai besoin qu'on m e
le définisse. Est-ce u n culte oppresseur que l'on veut dire?
Mais vous avez banni ce mot, et des h o m m e s qui ont assuré
le droit de liberté ne revendiquent pas celui d'oppression.
Est-ce le culte d u prince que l'on veut dire ? Mais le prince
n'a pas le droit de dominer les consciences ni de régler les
opinions. Est-ce le culte d u plus grand nombre ?
Mais le culte est une opinion ; tel ou tel culte est le
résultat de telle ou telle opinion. O r les opinions ne se
forment pas par le résultat des suffrages ; votre pensée est à
vous, elle est indépendante, vous ne pouvez pas l'engager.
Enfin, une opinion qui serait celle d u plus grand n o m b r e
n'a pas le droit de dominer. C'est un m o t tyrannique qui doit
être banni de notre législation. Car si vous l'y mettez dans u n
cas, vous pouvez l'y mettre dans tous : vous avez donc u n
culte dominant, une philosophie dominante, des systèmes
dominants.
207
C O N C E P T FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

Rien ne doit dominer que la justice : il n'y a de dominant que


le droit de chacun : tout le reste y est soumis. O r c'est u n
droit évident et déjà consacré par vous, d e faire tout ce qui
ne peut nuire à autrui.
Mirabeau, France, Discours à l'Assemblée,
séance du 23 août 1789

299

N o s droits civiques sont indépendants de nos opinions


religieuses autant q u e de nos opinions sur la physique et la
géométrie. Dénier à u n citoyen la confiance publique en
l'incriminant d'une incapacité à remplir u n poste bien
rétribué et de confiance sous le prétexte qu'il ne professe pas
telle ou telle croyance religieuse — ou qu'il n'y renonce pas
— c'est le priver injustement des privilèges et avantages
auxquels il a u n droit naturel, à l'instar de ses autres
concitoyens.
Thomas Jefferson, président des Etats-Unis d'Amérique,
The Virginia statute of religious freedom, 1786

300

Liberté de religion, liberté de presse, liberté de la personne


sous la protection de Yhabeas corpus, justice rendue par des
jurés choisis avec impartialité. Ces principes ont guidé la
brillante constellation qui nous a précédés et nos propres pas
dans ce temps de révolution et de réformes (...) Ils doivent
constituer le credo de notre foi politique, la matière m ê m e de
notre instruction civique, la pierre d e touche qui nous
permettra de mettre à l'épreuve les services de ceux en qui
nous avons confiance. Et si nous nous en écartons dans des
m o m e n t s d'erreur ou d'incertitude, hâtons-nous de revenir
sur nos pas et de rejoindre la seule route qui m è n e à la paix,
à la liberté et à la sécurité.
Thomas Jefferson, président des États-Unis d'Amérique,
Premier discours inaugural, 4 mars 1801
208

LA T O L É R A N C E

301

Jusqu'où le devoir de tolérance va-t-il ?


1. Nulle église n'est tenue par le devoir d e tolérance d e
garder en son sein ceux qui enfreignent obstinément ses lois.
2. N o u s n'avons pas le droit de mettre en cause qui q u e
ce soit dans le travail qu'il occupe sous le prétexte qu'il
appartient à u n e église différente.
T h o m a s Jefferson, 1743-1826,
président des États-Unis d'Amérique, Notes on religion

302
Des vertus sociales ; de la justice

D . Qu'est-ce q u e la société?
R. C'est toute réunion d ' h o m m e s vivant ensemble sous les
clauses d ' u n contrat exprès o u tacite, qui a pour but leur
c o m m u n e conservation.
D . Les vertus sociales sont-elles nombreuses ?
R. O u i : l'on en peut compter autant qu'il y a d'espèces
d'actions utiles à la société ; mais toutes se réduisent à u n
seul principe.
D . Quel est ce principe fondamental?
R. C'est la justice, qui seule c o m p r e n d toutes les vertus d e la
société.
D . Pourquoi dites-vous q u e la justice est la vertu f o n d a m e n -
tale et presque unique de la société ?
R. Parce qu'elle seule embrasse la pratique d e toutes les
actions qui lui sont utiles, et q u e toutes les autres vertus, sous
les n o m s de charité et d'humanité, de probité, d ' a m o u r d e la
patrie, de sincérité, d e générosité, de simplicité de m œ u r s et
modestie, n e sont q u e des formes variées et des applications
diverses d e cet axiome : Ne fais à autrui que ce que tu veux qu'il
te fasse, qui est la définition de la justice.
D . C o m m e n t la loi naturelle prescrit-elle la justice ?
R. Par trois attributs physiques, inhérents à l'organisation
de l'homme.
D. Quels sont ces attributs ?
209
CONCEPT FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E

R. C e sont l'égalité, la liberté, la propriété.


D. C o m m e n t l'égalité est-elle u n attribut physique de
l'homme ?
R. Parce que tous les hommes ayant également des yeux, des
mains, une bouche, des oreilles, et le besoin de s'en servir
pour vivre, ils ont par ce fait m ê m e u n droit égal à la vie, à
l'usage des éléments qui l'entretiennent ; ils sont tous égaux
devant Dieu.
Constantin Volney, France, La loi naturelle, 1793

303

L'intolérance civile est aussi dangereuse, plus absurde et


surtout plus injuste que l'intolérance religieuse. Elle est aussi
dangereuse puisqu'elle a les m ê m e s résultats sous u n autre
prétexte ; elle est plus absurde, puisqu'elle n'est pas motivée
sur la conviction ; elle est plus injuste, puisque le mal qu'elle
cause n'est pas pour elle u n devoir mais u n calcul.
L'intolérance civile emprunte mille formes et se réfugie
de poste en poste pour se dérober au raisonnement. Vaincue
sur le principe, elle dispute sur l'application. O n a vu des
h o m m e s persécutés depuis près de trente siècles, dire au
gouvernement qui les relevait de leur longue proscription,
que s'il était nécessaire qu'il y eut dans u n Etat plusieurs
religions positives, il ne l'était pas moins d'empêcher que les
sectes tolérées ne produisissent en se subdivisant, de nouvel-
les sectes. Mais chaque secte tolérée n'est-elle pas elle-même
une subdivision d'une secte ancienne ? À quel titre conteste-
rait-elle aux générations futures les droits qu'elle a réclamés
contre les générations passées ?
L ' o n a prétendu qu'aucune des Églises reconnues ne
pouvait changer ses d o g m e s sans le consentement de l'auto-
rité. Mais si par hasard ces dogmes venaient à être rejetés
par la majorité d e la c o m m u n a u t é religieuse, l'autorité
pourrait-elle l'astreindre à les professer? O r , en fait d'opi-
nion, les droits de la majorité et ceux de la minorité sont les
mêmes.
O n conçoit l'intolérance lorsqu'elle impose à tous une
210
LA TOLÉRANCE

seule profession de foi; elle est au moins conséquente. Elle


peut croire qu'elle retient les h o m m e s dans le sanctuaire de
la vérité ; mais lorsque deux opinions sont permises, c o m m e
l'une des deux est nécessairement fausse, autoriser le
gouvernement à forcer les individus de l'une et de l'autre à
rester attachés à l'opinion de leur secte ou les sectes à ne
jamais changer d'opinion, c'est l'autoriser formellement à
prêter son assistance à l'erreur (...)
L a liberté complète et entière de tous les cultes est aussi
favorable à la religion que conforme à la justice.
Si la religion avait toujours été parfaitement libre, elle
n'aurait, je le pense, jamais été q u ' u n objet d e respect et
d'amour. L ' o n ne concevrait guère le fanatisme bizarre qui
rendrait la religion en elle-même u n objet de haine o u d e
malveillance.
Benjamin Constant, Suisse-France, Principes de politique, 1818

304

Je ne viens pas prêcher la tolérance. L a liberté la plus


illimitée de religion est à m e s yeux u n droit si sacré q u e le
m o t de tolérance qui voudrait l'exprimer, m e paraît en
quelque sorte tyrannique lui-même, puisque l'existence de
l'autorité qui a le pouvoir de tolérer attente à la liberté de
penser par cela m ê m e qu'elle tolère, et qu'ainsi elle pourrait
ne pas tolérer.
Mirabeau, France, Discours à l'Assemblée,
séance du 22 août 1789

305
Les principes de la condition civile

Ainsi la condition civile, considérée simplement c o m m e


condition juridique, est fondée sur les principes a priori que
voici :
1. La liberté de chaque m e m b r e d e la société, c o m m e
homme.
2. L'égalité de celui-ci avec tout autre, c o m m e sujet.
211
C O N C E P T FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E

3. L'indépendance de tout m e m b r e d'une c o m m u n a u t é


c o m m e citoyen.
Ces principes sont moins des lois que donne l'État déjà
institué que des lois selon lesquelles seule l'institution d'un
État est possible, conformément aux purs principes ration-
nels d u droit h u m a i n externe en général.
Kant, Allemagne, Über den Gemeinspruch : das mag in der
Theorie richtig sein, taugt aber nicht für die Praxis, 1793

306

Naturellement, l'État sans religion ne veut pas dire que


les citoyens soient sans religion. Cela signifie seulement
que l'État, gardien de la liberté de conscience, n'entretient
aucun culte et n'accorde de situation privilégiée à aucun
clergé.
Enrique José Varona, 1849-1933, Cuba

307

Pour q u e l'État en tant q u e réalité morale de l'Esprit,


consciente de soi, arrive à l'existence, il doit nécessairement
se différencier de la forme de l'autorité et de la croyance. O r ,
cette différenciation ne se produit que si le domaine religieux
en vient à une séparation intérieure. Alors seulement l'État
atteint l'universalité de la pensée, qui est son principe formel
et le réalise au-dessus des Églises particulières. Pour recon-
naître cela, o n doit savoir n o n pas seulement ce qu'est
l'universalité en soi, mais aussi ce qu'est son existence. Bien
loin que le schisme des Églises soit ou ait été pour l'État u n
malheur, ce n'est a u contraire que par lui qu'il a p u devenir
ce qui était son destin : la raison et la moralité consciente
d'elles-mêmes. Et c'est aussi le plus grand bonheur qui peut
arriver à l'Église et à la pensée pour leur liberté et pour leur
rationalité propres.
Hegel, Allemagne,
Principes de la philosophie du droit, 1821
212
LA TOLÉRANCE

308

Presque au m o m e n t o ù Copernic fit sa grande découverte d u


véritable système solaire, on découvrit la loi de gravitation de
l'Etat. O n trouva son centre de gravité en lui-même, et les
différents gouvernements européens firent le premier essai
d'une application, nécessairement superficielle, d e cette
découverte au système de l'équilibre politique. D e m ê m e ,
Machiavel et Campanella d'abord, Spinoza, H o b b e s et
H u g o Grotius ensuite, enfin Rousseau, Fichte et Hegel
commencèrent à regarder l'État avec des yeux humains et à
en déduire les lois naturelles de la raison et de l'expérience
et non celles de la théologie, tout c o m m e Copernic ne se
formalisa pas de ce que Josué avait arrêté le soleil à G é d é o n
et la lune dans la vallée d'Ajalon. L a philosophie moderne
n'a fait que poursuivre la tâche c o m m e n c é e par Heraclite et
Aristote. V o u s ne vous attaquerez donc pas à la philosophie
moderne mais à la philosophie toujours nouvelle de la raison
(...)
Mais si jadis les philosophes qui enseignaient le droit
public ont construit leur concept de l'État en partant de
l'instinct de l'ambition ou de l'instinct social, si, parfois, ils
l'ont m ê m e déduit de la raison, mais de la raison de la
société, en revanche, la conception philosophique moderne,
plus profonde et plus riche que l'ancienne, l'a déduit de l'idée
d'universalité. Elle considère l'État c o m m e le grand orga-
nisme où les libertés juridique, morale et politique doivent
trouver leur réalisation et où le citoyen individuel, en
obéissant aux lois de l'État, ne fait qu'obéir a u x lois
naturelles de sa propre raison, de la raison humaine.
Karl Marx, editorial de la « Kölnische Zeitung », 1842

309
Préambule

Les représentants d u Peuple Français, constitués en A s s e m -


blée Nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le
mépris des Droits d e l ' H o m m e sont les seules causes des
213
C O N C E P T FIGÉ O U NOTION DYNAMIQUE

malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont


résolu d'exposer dans une déclaration solennelle les droits
naturels, inaliénables et sacrés de l ' h o m m e , afin q u e cette
Déclaration, constamment présente à tous les m e m b r e s d u
corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs
devoirs ; afin que les actes du Pouvoir législatif et ceux d u
Pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés
avec le but de toute institution politique, en soient plus
respectés; afin que les réclamations des citoyens, fondées
désormais sur des principes simples et incontestables, tour-
nent toujours au maintien de la Constitution et a u bonheur
de tous.
E n conséquence, l'Assemblée Nationale reconnaît et
déclare, en présence et sous les auspices de l'Etre suprême,
les Droits suivants de l ' H o m m e et du Citoyen :

Article premier

Les h o m m e s naissent et demeurent libres et égaux en droits ;


les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur
l'utilité c o m m u n e .
H

Le but de toute association politique est la conservation des


droits naturels et imprescriptibles de l ' h o m m e ; ces droits
sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à
l'oppression.

Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans


la nation; nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité
qui n'en é m a n e expressément.
Séance du jeudi 20 août 1789

IV

La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à


autrui ; ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque h o m m e
n'a de bornes que celles qui assurent aux autres m e m b r e s de
214
LA T O L É R A N C E

la société la jouissance de ces m ê m e s droits ; ces bornes ne


peuvent être déterminées que par la loi.

L a loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la


société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être
empêché et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle
n'ordonne pas.

VI

L a loi est l'expression de la volonté générale ; tous les


citoyens ont droit de concourir personnellement o u par leurs
représentants à sa formation; elle doit être la m ê m e pour
tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les
citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles
à toutes les dignités, places et emplois publics, selon leur
capacité et sans autres distinctions que celles de leurs vertus
et de leurs talents.
Séance du vendredi 21 août

VII

Nul h o m m e ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans


les cas déterminés par la loi et selon les formes qu'elle a
prescrites. C e u x qui sollicitent, expédient, exécutent ou font
exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis, mais tout
citoyen appelé o u saisi en vertu de la loi doit obéir à
l'instant ; il se rend coupable par la résistance.

VIII

L a loi ne doit établir que des peines strictement et évidem-


ment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une
loi établie et promulguée antérieurement au délit et légale-
ment appliquée.

IX

Tout h o m m e étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été


déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter,
215
C O N C E P T FIGÉ OU NOTION DYNAMIQUE

toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de


sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.
Séance du samedi 22 août

Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, m ê m e religieuses,


pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public
établi par la loi.
Séance du dimanche 23 août

XI

L a libre communication des pensées et des opinions est un


des droits les plus précieux de l ' h o m m e . Tout citoyen peut
donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de
l'abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la loi.

XII

L a garantie des droits de l ' h o m m e et du citoyen nécessite une


force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage
de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux à qui elle est
confiée.

XIII

Pour l'entretien de la force publique, pour les dépenses


d'administration, une contribution c o m m u n e est indispensa-
ble ; elle doit être également répartie entre tous les citoyens,
en raison de leurs facultés.
Séance du lundi 24 août

xiv

Les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par


leurs représentants la nécessité de la contribution publique,
de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en
déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée.

xv

L a Société a le droit de demander compte à tout agent public


de son administration.
216
LA T O L É R A N C E

XVI

Toute Société dans laquelle la garantie des droits n'est pas


assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n ' a point
de constitution.

XVII

L a propriété étant u n droit inviolable et sacré, nul ne peut


en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique,
légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la
condition d'une juste et préalable indemnité.
Séance du mercredi 26 août
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen décrétée par
l'Assemblée Nationale dans les séances du matin des 20, 21, 22,
23, 24 et 26 août 1789. Signée par le Roi,
le 5 octobre 1789, France.

310

Nous devons partir de l'idée que nous s o m m e s tous égaux,


qu'il n ' y a nulle part d e groupes o u d'individus de valeur
supérieure face à d'autres qui seraient des sous-hommes. Par
conséquent, ni m a religion, ni la couleur de m a peau, ni mes
richesses, ni m a culture, ni m o n système politique, social ou
économique ne m'autorisent à forcer les autres à m e
ressembler. Par ailleurs, le chemin de l'unification des esprits
et des cœurs ne peut être le renoncement à soi-même :
chacun doit, devant l'autre, être profondément soi-même,
vivre conformément à ce qu'il a déjà découvert.
Dominique Pire, Belgique, Vivre ou mourir ensemble, 1969

311

Nous devons encore utiliser chaque parcelle d e notre énergie


à sortir notre pays d u marécage de l'injustice raciale. Mais
il n'est pas besoin pour cela de renoncer à notre privilège
d'aimer qui est aussi notre devoir.
(...) Bien sûr, d'aucuns diront q u ' u n e telle attitude
m a n q u e un peu de sens pratique ; que dans la vie, il faut se
217
C O N C E P T FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E

battre, œil pour œil, dent pour dent, si l'on veut survivre (...)
A cela, je répondrai seulement que l'humanité obéit depuis
longtemps à ce soi-disant sens pratique et qu'il l'a m e n é e
inexorablement jusqu'à la confusion et m ê m e jusqu'au chaos.
L e courant de notre temps charrie les débris de ceux qui, seuls
ou en groupe, se sont abandonnés à la haine ou à la violence.
Martin Luther King, 1929-1968, États-Unis d'Amérique,
O ù allons-nous ?

312

Sans haine aucune contre quiconque mais avec de la


bienveillance pour tous, nous appuyant fermement sur le
droit que Dieu nous a donné de comprendre ce qui est juste,
efforçons-nous de poursuivre la tâche qui nous est impartie,
de panser les plaies de la nation, de prendre soin de ceux qui
ont subi les rigueurs d u combat, des veuves et des orphelins,
de faire tout ce qui peut hâter la venue d'une paix juste et
durable chez nous et parmi les autres nations.
Abraham Lincoln, président des Etats-Unis d'Amérique,
Second discours inaugural, 4 mars 1865

313

(...) Les ouvriers d'Europe ont la ferme conviction que si la


guerre d'Indépendance américaine a inauguré l'ère de la
domination de la bourgeoisie, la guerre américaine contre
l'esclavage inaugurera celle de la domination de la classe
ouvrière. Ils voient le présage de cette époque à venir dans
le fait que c'est A b r a h a m Lincoln,filsvaillant et énergique
de la classe ouvrière, qui a la mission de conduire son pays
à travers des combats sans précédent pour la libération d'une
race et la transformation du régime social.

Ecrit par Marx entre le 22 et le 29 novembre 1864


Publié dans le n° 169 du journal « The Beetive Newspaper » le
7 janvier 1865
Karl Marx, 1818-1883, Lettre à Abraham Lincoln
218
LA T O L É R A N C E

314

Et songeons qu'ayant libéré notre pays d e l'intolérance


religieuse sous l'empire de laquelle l'humanité a si longtemps
saigné et souffert, nous n'avons guère progressé si nous
laissons subsister u n e intolérance politique également despo-
tique et inique, et source de persécutions aussi cruelles et
sanglantes.
Thomas Jefferson, président des Etats-Unis d'Amérique,
Premier discours inaugural, 4 mars 1801

315

Il faut q u e chacun ait pleine liberté non seulement d'embras-


ser la religion qu'il veut, mais aussi de propager n'importe quelle
religion et de changer de religion. Il ne doit être permis à aucun
fonctionnaire d e s'enquérir de la religion d e qui q u e ce soit ;
celle-ci étant affaire d e conscience, nul n e doit s'y immiscer.
Il ne doit y avoir ni religion « dominante » ni Eglise
« dominante ». Toutes les croyances religieuses et toutes les
Eglises doivent être égales devant la loi. L e s ministres des
différents cultes peuvent être entretenus par les fidèles, mais
l'Etat ne doit soutenir, avec les fonds publics, aucun culte, ni
payer les serviteurs des différentes confessions, qu'il s'agisse
d'orthodoxes, d e vieux-croyants, d e sectaires o u autres.
Voilà pourquoi luttent les social-démocrates.
V . I. Lénine, A u x paysans pauvres, 1903

Minorités à part entière


ou citoyens sans droits ?
Les hommes naissent donc libres et égaux, l'esclavage est aboli, l
liberté religieuse proclamée, celle de penser, d'écrire, de commun
promulguée. Il s'agit maintenant de vivre ces « libertés » concrèteme
comme une libération en théorie certes, mais surtout en pratique,
liberté privée des moyens de s'exercer n'étant autrement qu'un leur
Or, dit-on, l'esclave maintenant libéré doit aider « à faire pous
219
C O N C E P T FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

les épices » ou connaîtra les rigueurs de l'homme aux valeurs


dominantes, c'est-à-dire en fait détenteur de richesses. Les métropoles
lointaines peuvent légiférer à leur guise, le colon, lui, entend rester roi :
le conquistador au nom de la foi se convertit en négrier ou en planteur
en marge des lois.
Mais alors,y aurait-il deux acceptions, deux pratiques de la même
loi ? La liberté serait-elle universelle sauf en terre de couleur ? Plus
encore, quel est le fondement d'une liberté qui fait obligation d'enrichir
une minorité par le travail du plus grand nombre ? Suffit-il de se
reconnaître comme une nation multiconfessionnelle, voire multiraciale,
faite ¿'individus doués de raison pour réaliser l'égalité vraie dans la
justice vraie? Ces interrogations autour des minorités « nationales »
actualisent le même vieux problème, celui de la démocratie réelle.
Il faut donc, à nouveau, se rendre à l'évidence : l'intolérance, hier
à dominante religieuse, aujourd'hui à dominante raciale, n'est encore
que le reflet d'intérêts économiques et politiques, le concept de « race »
n'étant qu'une « médiocre démocratisation marchande de l'idée de
noblesse ».
Au-delà des remontrances, des plaidoyers, des « appels à la
raison » du néo-esclavage camouflé, la raison militante se doit d'être
interpellation et, s'il le faut, contestation de l'Etat,fidèleen cela à sa
nature de rigueur et d'universalité.
Intransigeante, certes, mais dans une relation non plus de contiguïté
apparemment neutre, mais réellement dialectique : il n'est pour cela que
de libérer le concept de démocratie lui-même, une démocratie qui, par
essence, ne saurait reconnaître « l'inégalité institutionnalisée » : « le
droit des minorités ne peut rester éternellement celui des vaincus ».

316

Q u a s h e e , s'il n e n o u s aide pas à faire pousser les épices, se


retrouvera à n o u v e a u esclave (...) et contraint à travailler
sous la m e n a c e d u fouet — toutes autres m é t h o d e s n e
réussissant pas. V o u s n'êtes plus des esclaves maintenant ; je
ne désire pas n o n plus v o u s voir à n o u v e a u esclaves, si cela
peut être évité. M a i s il est sûr q u e v o u s devez être les
serviteurs d e ceux qui sont nés plus sages q u e vous, qui sont
nés vos maîtres et dont, m e s b o n s a m i s Noirs vous d é p e n d e z ,
220

LA T O L É R A N C E

vous serviteurs des Blancs, lesquels, nul mortel ne peut en


douter, sont nés plus sages q u e vous.
Thomas Carlyle, Royaume-Uni, 1853

317
Réflexions sur l'esclavage des nègres

M e s amis,
Quoique je ne sois pas de la m ê m e couleur que vous, je
vous ai toujours regardés c o m m e m e s frères. L a nature vous
a formés pour avoir le m ê m e esprit, la m ê m e raison, les
m ê m e s vertus q u e les Blancs. Je ne parle ici que de ceux
d'Europe ; pour les Blancs des colonies, je ne vous fais pas
l'injure de les comparer avec vous; je sais combien de fois
votrefidélité,votre probité, votre courage ont fait rougir vos
maîtres. Si o n allait chercher u n h o m m e dans les Iles d e
l'Amérique, ce ne serait point parmi les gens de chair
blanche q u ' o n le trouverait.
Votre suffrage ne procure point d e places dans les
Colonies, votre protection ne fait point obtenir de pensions ;
vous n'avez pas de quoi soudoyer des avocats ; il n'est d o n c
pas étonnant q u e vos maîtres trouvent plus de gens qui se
déshonorent en défendant leur cause, q u e vous n ' e n avez
trouvé qui se soient honorés en défendant la vôtre. Il y a
m ê m e des pays o ù ceux qui voudraient écrire en votre faveur
n'en auraient point la liberté. T o u s ceux qui se sont enrichis
dans les Iles aux dépens de vos travaux et de vos souffrances
ont, à leur retour, le droit de vous insulter dans des libelles
calomnieux; mais il n'est point permis d e leur répondre.
Telle est l'idée q u e vos maîtres ont de la bonté de leur droit;
telle est la conscience qu'ils ont de leur humanité à votre
égard. M a i s cette injustice n ' a été pour m o i q u ' u n e raison de
plus pour prendre, dans u n pays libre, la défense de la liberté
des h o m m e s . J e sais que vous n e connaîtrez jamais cet
ouvrage et que la douceur d'être béni par vous m e sera
refusée. Mais j'aurai satisfait m o n c œ u r déchiré par le
spectacle de vos m a u x , soulevé par l'insolence absurde des
sophismes de vos tyrans. Je n'emploierai point l'éloquence
221
C O N C E P T FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E

mais la raison ; je parlerai non des intérêts du commerce,


mais des lois de la justice. V o s tyrans m e reprochent de ne
dire que des choses c o m m u n e s , et de n'avoir que des idées
chimériques; en effet, rien n'est plus c o m m u n que les
maximes de l'humanité et de la justice ; rien n'est plus
chimérique que de proposer aux h o m m e s d'y conformer leur
conduite.
Condorcet, 1743-1794, France,
Épître dédicatoire aux nègres esclaves

318
O n reçoit des autres autant qu'on leur donne et c'est en
fonction de l'attitude d'un chacun à l'égard de ses semblables
qu'il est influencé par eux. L e méprisant ne voit que d u
méprisable. Celui qui n'attend rien ne reçoit rien non plus.
Q u a n d on prend les attitudes, la manière de parler, les
conventions des relations humaines pour l ' h o m m e lui-même,
celui-ci vous demeure fermé, inaccessible. Rien n'est plus
superficiel et en m ê m e temps plus inhumain que la haine
humaine (encore que par m o m e n t le mépris des h o m m e s
paraisse presque inéluctable). Rien n'est plus vil, plus abject,
que d'exiger des h o m m e s qu'ils se conforment à votre propre
idéal douteux, de les jauger, de les mesurer à son aune, tout
en oubliant ses propres insuffisances, ses propres défauts. L a
raison dans l ' h o m m e , elle est patiente et s'accuse elle-même
lorsqu'elle veut désespérer.
Karl Jaspers, République fédérale d'Allemagne,
La bombe atomique et l'avenir de l'homme, 1958

319
Le racisme est une aliénation complète qui ne préconise pas
seulement la séparation des corps mais aussi celle des
intelligences et des â m e s . Il est inévitable qu'ilfinissepar
commettre u n homicide physique ou spirituel envers le
groupe exclu.
Martin Luther King, 1929-1968, États-Unis d'Amérique,
O ù allons-nous ?
222
LA T O L É R A N C E

320

Plus une minorité est réduite, plus l'harmonisation risque


d'être remplacée par le rouleau compresseur. Et plus
profondément cette minorité est différente de la majorité,
plus elle court le risque de ne pas être respectée. Telle est
souvent la réalité, la féroce réalité entre groupes et individus.
Dominique Pire, Belgique, Vivre ou mourir ensemble, 1969

321

Q u e nous considérions la révolte c o m m e u n devoir, cela


surprendra beaucoup de gens — et scandalisera peut-être
certains. Les jeunes doivent être indociles, durs, forts et
tenaces (...) C o m m e n t d'ailleurs le grand travail qui consiste
à forger la personnalité s'accomplira-t-il sans lutte, sans
arbitraire, sans révolte? (...) Je crois que les esprits conserva-
teurs sont nécessaires, mais à condition qu'il existe u n
contrepoids d'esprits révoltés et d'avant-garde. (...)
Esprit destructeur et esprit constructif, esprit de progrès
et esprit conservateur : l'un et l'autre sont nécessaires pour
que le m o n d e progresse. Et, outre les raisons directement
politiques, il y a cette obscure, mais inviolable, raison de
l'âge, qui impose l'indocilité à l'organisme en voie de
formation et la modération à celui qui est parvenu à la
maturité. Aussi le jeune conservateur est-il toujours à cause
de cela, u n être anachronique, tout c o m m e l'est, d u point de
vue biologique, le vieux révolté.. Avec cette différence q u e
l'anachronisme est u n défaut chez les jeunes, et, presque
toujours, une vertu chez les vieux.
Gregorio Marañon, Espagne, Ensayos liberales, 1946

322

Tous demeureront par ailleurs pénétrés de ce principe sacré :


la volonté de la majorité, bien qu'elle soit appelée à
l'emporter en toutes circonstances, doit, pour être légitime,
être raisonnable ; la minorité possède des droits égaux,
223

C O N C E P T FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E

également protégés par la loi, et les violer serait faire œ u v r e


d'oppresseur.
Thomas Jefferson, président des Etats-Unis d'Amérique,
Premier discours inaugural, 4 mars 1801

323
La Société des Nations et les minorités

L e problème des minorités intéresse la Société des Nations


tout entière sans distinction. L a sollicitude à l'égard des
minorités est générale et tout aussi sincère d ' u n côté que de
l'autre. Si cette sollicitude est pour les uns d'ordre sentimen-
tal, elle est pour les Etats à minorités d'ordre politique.
( • • • ) .

U n Etat qui ne s'efforcerait pas d'assurer le m a x i m u m de


bien-être à ses minorités, u n État qui ne réaliserait pas q u e
c'est dans la loyauté de tous ses citoyens à son égard et n o n
pas dans l'annihilation d e l'individualité culturelle et reli-
gieuse de certains de ses sujets que réside son intérêt
primordial, u n Etat qui ne se rendrait pas compte que c'est
à lui d'être le meilleur c h a m p i o n des intérêts bien compris de
ses minorités ne violerait pas seulement la loi d'humanité qui
doit guider toute c o m m u n a u t é civilisée : il violerait la loi de
la conservation de sa propre existence.
(...)
Les obligations des États à l'égard des minorités doivent
être universelles sous forme de droit ou sous forme de morale.
L e droit positif perpétuellement régional est une conception
inadmissible. L e droit des minorités ne peut rester éternelle-
m e n t le droit des vaincus et des nouveaux venus.
Nicolas Titulesco, 1882-1941, Roumanie

324
Lettre à la Conférence Nationale des Chrétiens et des Juifs de
Washington, D.C.

Il nous appartient à tous d'encourager l'esprit de tolérance


non seulement au sein d u gouvernement mais aussi entre les
224
LA TOLÉRANCE

divers groupes de la c o m m u n a u t é nationale. L a tolérance ne


signifie pas que l'on soit peu attaché à ses propres croyances.
Elle condamne la répression et la persécution de ceux qui en
ont d'autres.
John F. Kennedy,
président des États-Unis d'Amérique,
10 octobre 1960

325

L a liberté est une libération, u n processus spécifiquement


historique à travers la théorie et la pratique et, c o m m e tel,
contient sa part de vérité et de mensonge, à tort et à raison
et à la fois.
L'incertitude qui prédomine dans ce travail de distinc-
tion n'entame pas l'objectivité historique, mais elle nécessite
la liberté de pensée et d'expression c o m m e conditions
préalables à la découverte d u chemin d e la liberté, elle
nécessite la tolérance. Toutefois, cette tolérance ne peut être
impartiale et sans discernement, en paroles c o m m e en
action. A l'égard d u contenu de l'expression, elle ne peut
protéger des paroles mensongères et des actions mauvaises
qui se révèlent contredire et contrecarrer les possibilités de
libération. Cette tolérance sans discernement trouve sa
justification dans des débats inoffensifs, dans la conver-
sation, dans les discussions académiques ; elle est indispen-
sable à l'entreprise scientifique et à la religion privée. M a i s
la société n ' a pas le droit de renoncer à exercer sa faculté de
discernement q u a n d la pacification de l'existence, la
liberté et le bonheur e u x - m ê m e s sont en jeu ; désormais,
certaines choses ne peuvent être dites, certaines idées ne peu-
vent être exprimées, certaines politiques ne peuvent être
proposées, certaines conduites ne peuvent être permises sans
faire de la tolérence u n instrument qui perpétue la servi-
tude.
Herbert Marcuse, États-Unis d'Amérique,
Critique de la tolérance pure
225
C O N C E P T FIGE OU NOTION D Y N A M I Q U E

326
Plaidoyer pour John Brown

(...)
L e seul gouvernement queje reconnaisse — p e u importe
le petit n o m b r e d e ceux qui sont à sa tête, ou la faiblesse de
son armée — c'est le pouvoir qui établit la justice dans u n
pays, jamais celui qui instaure l'injustice. Q u e penser d ' u n
gouvernement qui a pour ennemi tous les h o m m e s justes et
courageux d u pays dressés entre lui et ceux qu'il opprime?
U n gouvernement qui se targue d'être chrétien et qui crucifie
tous les jours u n million de Christs ?
Henry David Thoreau, Etats-Unis d'Amérique,
Civil disobedience, 1849

327

Profession de foi du Profession de foi d'un plan-


député d'une nation libre teur

I I

L a liberté est u n droit L a liberté n'est pas u n


que tout h o m m e tient de droit que les h o m m e s
la nature, et dont la tiennent de la nature ; et
société ne peut librement la société peut librement
priver à perpétuité aucun réduire des h o m m e s à
individu, s'il n'est l'esclavage, pourvu qu'il
convaincu d ' u n crime en revienne d u profit à
contre lequel cette peine quelques-uns de ses
ait été prononcée. membres.

II II

Toute atteinte portée à L'intérêt pécuniaire, s'il


un des droits naturels des est u n peu considérable,
h o m m e s est u n crime, peut légitimer toutes les
que l'intérêt pécuniaire atteintes portées aux
de ceux qui l'ont c o m m i s droits des h o m m e s , les
ne peut excuser. traitements barbares et
m ê m e le meurtre.
226
LA T O L E R A N C E

III III

L a propriété doit être L a société a le droit de


sacrée, et la société n'a forcer une classe d ' h o m -
pas le droit de s'emparer m e s à travailler pour le
arbitrairement de celle profit d'une autre classe.
d'aucun individu.

IV IV

U n h o m m e ne peut être U n h o m m e peut être la


la propriété d ' u n autre propriété d'un autre
homme et, par homme et, par
conséquent, le despo- conséquent, le despo-
tisme asiatique est tisme asiatique n'est
contraire à la raison et à contraire ni à la raison,
la justice. ni à la justice.

V
Tous les citoyens doivent L a loi peut tolérer dans
être également soumis une classe de citoyens les
aux lois et protégés par violences et les crimes
elles. qu'elle punit avec sévé-
rité dans une autre.

VI VI

Tout h o m m e est obligé O n n'est obligé d'être


de conformer sa conduite juste qu'autant que la
à la justice, m ê m e contre justice est d'accord avec
son intérêt, et il serait notre intérêt, et il est très
infâme de vendre la permis de sacrifier la
liberté des autres h o m - liberté des autres h o m -
m e s pour une s o m m e m e s à sa fortune.
d'argent.

Il suffit de comparer les deux professions de foi pour se


prononcer sur l'admission des députés des colonies.
Condorcet, 1743-1794, France, Sur l'admission des députés des
planteurs de Saint-Domingue à l'Assemblée Nationale
227

C O N C E P T FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

328

L'Histoire de la Tunisie, depuis 1 300 ans, est une des rares


histoires qui n'ait jamais enregistré de luttes religieuses. L a
Tunisie était cependant le pays où se coudoyaient le plus de
religions. A u sein d'une m ê m e religion, des schismes et des
rites différents vivaient, côte à côte, en pleine harmonie. Les
luttes intestines enregistrées n'ont été que des luttes dynasti-
ques et de prise de pouvoir.
Les Juifs, réfugiés aux confins d u sud tunisien, à cause
des persécutions des dominations anté-islamiques, reprirent
confiance dans l'esprit de tolérance apporté par les Arabes et
remontèrent dans les régions fertiles d u Nord. Ils reçurent
une organisation autonome pour tout ce qui concernait leur
statut personnel et, au point de vue politique et social, les
libertés, les droits et les obligations des Tunisiens musul-
m a n s . Ils eurent accès aux fonctions publiques de leur c o m p é -
tence. C'est ainsi que les fonctions financières, les postes de
chef de protocole, d'interprète, de médecin, de secrétaire
intime d u prince, leur furent le plus souvent confiés.
Cette situation é m i n e m m e n t favorable au développement
de la société n o n - m u s u l m a n e provoqua l'émigration à Tunis
de nombreuses communautés juives persécutées par le
fanatisme européen : contingents considérables chassés
d'Espagne, d u Portugal, d'Italie, etc.
E n 1697, R o m d a m Bey édifia à Tunis une église avec les
deniers de l'Etat et la main-d'œuvre tunisienne, afin de
permettre aux Chrétiens venus d'Europe, facteurs intéres-
sants de la prospérité économique, d'exercer leur culte en
toute commodité. (...)
Des missionnaires d u pape furent autorisés à résider sur
le territoire tunisien et des églises édifiées un peu partout
dans les villes.
Des écoles chrétiennes congréganistes furent créées à
Tunis, à Sousse, à Sfax, à Bizerte, à Béjà, à la Goulette. E n
1880, on pouvait compter vingt établissements d'enseigne-
ment congréganiste dont un secondaire, trois écoles israélites
et un collège tunisien enseignant les langues européennes.
228

LA T O L É R A N C E

Conformément au droit des gens, le Pacte fondamental


de 1857 et la Constitution d e 1861 reconnurent aux étrangers
les m ê m e s garanties et les m ê m e s droits civils qu'aux
Tunisiens.
c
Abd al-cAziz al-Thacâlibî, Tunisie,
La Tunisie martyre, ses revendications, 1920

329
U n e société et u n système de gouvernement démocratiques,
alors qu'ils constituent l'un des idéaux les plus élevés de
l ' h o m m e , sont des plus difficiles à atteindre. D a n s une
démocratie, il est beaucoup trop facile pour la majorité
d'oublier les droits de la minorité et pour u n gouvernement
lointain et puissant d'ignorer les revendications de cette
dernière. Il est beaucoup trop facile également, quand des
incidents surgissent, de les réprimer au n o m de la loi et de
l'ordre. N'oublions pas q u ' u n e démocratie est jugée par
l'histoire sur la manière dont la majorité aura traité la
minorité.
(...)
C'est pourquoi je pense que nous ne devrions jamais
réagir à des demandes de pratiques conformes à la justice en
mettant en avant des exemples d'injustice. Si u n droit est
contesté o u refusé dans une province, cela ne constitue pas
une raison valable pour refuser ce m ê m e droit dans une
autre. D e tels arguments sont pourtant mis en avant, et cela
conduit à u n cercle vicieux à l'intérieur duquel nul progrès
n'est possible pour les libertés humaines.
Pierre Elliott Trudeau, né en 1921, Canada, Discours, 1968

330

L e principe fondamental d e la démocratie c'est la tolérance.


Nous ne pouvons permettre aucune perquisition qu'elle soit
ou non mandatée légalement, ni adopter u n critère de
religion pour l'octroi des postes.
Calvin Coolidge, président des États-Unis d'Amérique,
Deuxième discours inaugural, 4- mars 1925
229
C O N C E P T FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E

331

L'emploi d u m o t « race » est toujours symptomatique de


l'attitude sociale d'un individu. Et le succès des conceptions
anthropologiques populaires sert dans une société de ther-
momètre politique. Il est rare qu'un peuple en crise de
réaction ne fasse pas appel à cette notion pour justifier ses
tendances. Et si vous voulez, jamais une société où circule la
notion de race n'est une société démocratique.
(...) Si la famille est médiocre, au moins que la souche
soit noble. Autrefois, le conflit des orgueils se produisait au
sein de la société, à partir des différences de castes, de
blasons, d'arbres généalogiques. Depuis que les aristocrates
sont déchus, la bourgeoisie a inventé la race, médiocre
démocratisation marchande de l'idée de noblesse (...) Et,
tout c o m m e autrefois les mésalliances entachaient la pureté
d u n o m , aujourd'hui, la race doit nous préserver de tout
contact impur.
Mihai Ralea, Roumanie, Article dans « Stânga », 1933

332

U n e démocratie n'est viable que si ceux qui jouissent des


libertés civiques reconnaissent aux autres la possibilité de
jouir des m ê m e s droits. Il leur faut accepter le droit des
autres à penser différemment qu'eux et à pratiquer d'autres
choix que les leurs. D a n s les sociétés traditionnelles, tous les
m e m b r e s partageaient les m ê m e s croyances religieuses,
pratiquaient les m ê m e s rites et avaient les m ê m e s concep-
tions de l'univers. L a solidarité tant vantée des sociétés
traditionnelles avaient c o m m e fondement le conformisme.
Mais il est d é m o d é d'espérer que, dans les circonstances
actuelles, la solidarité naîtra du conformisme. D a n s les États
modernes, les citoyens sont catholiques, protestants, musul-
m a n s ou animistes. D e plus, ils peuvent avoir des opinions
différentes non seulement en ce qui concerne la religion, mais
tout aussi bien en science ou en philosophie, en politique ou
sur toutes autres idéologies ou questions. Bien entendu, ils
230

LA TOLÉRANCE

peuvent tous néanmoins s'accorder sur la validité de l'idéal


démocratique et le servir avec loyauté. L à où des possibilités
de communication et d'accès à des idéologies différentes sont
ouvertes aux citoyens, des opinions et des croyances diverses
trouvent l'occasion de s'exprimer. Par conséquent, la tolérance
est indispensable au succès de la démocratie. O n peut m ê m e
dire qu'elle constitue une de ses caractéristiques les plus
importantes.
(•••)

D'autres raisons existent également qui font que la


tolérance est essentielle à la démocratie. Les sociétés d é m o -
cratiques reconnaissent que tous les h o m m e s peuvent se
tromper. N u l n'est omniscient, nul n ' a le monopole de la
vérité, nul n'incarne ou n'exprime la volonté de tout u n
peuple. Les h o m m e s a u pouvoir peuvent jouir de la faveur
populaire à u n m o m e n t déterminé de l'histoire, mais cela ne
signifie pas qu'ils ne puissent se tromper soit à la suite d'un
malentendu, soit en raison d ' u n m a n q u e d'information,
d'une fausse appréciation de la réalité, soit encore qu'ils
cèdent à la corruption ou par indifférence aux effets de leurs
actes sur les autres. Selon la phrase souvent citée de Lord
Acton « le pouvoir tend à corrompre et le pouvoir absolu
tend à corrompre absolument ». U n e société démocratique
prévoit des méthodes et des institutions propres à préserver
la liberté, telles que journaux, associations volontaires, partis
politiques, ainsi q u ' u n Parlement qui peut à tout m o m e n t
critiquer ceux qui gouvernent et où peuvent s'exprimer les
vues de ceux qui sont gouvernés. Tout cela exige pour bien
fonctionner de la tolérance.
Kofi A . Busia, Ghana, Africa in search of democracy, 1967

333

L a tolérance universelle n'est possible que si aucun ennemi


— réel ou supposé — n'exige, dans l'intérêt national,
l'éducation et l'entraînement des gens à la violence militaire
et la destruction. Tant que ces conditions ne seront pas
réalisées, la tolérance sera en quelque sorte « hypothéquée » :
231
C O N C E P T FtGÉ OU NOTION DYNAMIQUE

car elle se trouve déterminée et définie par l'inégalité


institutionnalisée (tout à fait compatible avec l'égalité consti-
tutionnelle), c'est-à-dire, par une structure de classe de la
société. D a n s une telle société, la tolérance est limitée de fait
par deux choses : premièrement, la violence légale et la
répression (police, force armée, toutes sortes de gardes) et,
deuxièmement, la position privilégiée tenue par les intérêts
dominants et leurs « connections ».
Ces limites implicites de la tolérance sont plus importan-
tes q u e les limites formelles, judiciaires, définies par les
tribunaux, la coutume et le gouvernement telles que, par
exemple, « danger immédiat et évident », menace pour la
sécurité nationale, hérésie. A l'intérieur d'une telle structure
sociale, la tolérance peut être proclamée et pratiquée en toute
sécurité. Elle est de deux sortes :
1. la tolérance passive à l'égard d'attitudes o u d'idées
« établies » et profondément ancrées, quand m ê m e elles ont
de toute évidence u n effet nuisible sur l ' h o m m e et la nature ;
2. la tolérance active, officiellement accordée à la droite
et à la gauche, aux partisans de l'agression c o m m e aux
partisans de la paix, au parti de la haine c o m m e à celui de
l'humanité. J'appelle cette tolérance, libre de toute prise de
position, une tolérance « abstraite » ou « pure », d'autant
plus qu'elle empêche tout attachement à u n parti ; par là, en
fait, elle sauvegarde la machinerie de discrimination déjà en
place.
Herbert Marcuse, Etats-Unis d'Amérique,
Critique de la tolérance pure

334
Défense de publier

C e serait ennuyeux si le Christ


Revenait, et qu'il fût tout noir.
Il y a tant d'églises
O ù il ne pourrait prier
A u x Etats-Unis
O ù l'accès des Noirs,
232
LA T O L É R A N C E

Si saints soient-ils,
Est interdit.
O ù l'on célèbre
N o n pas la religion
Mais la race.
Essayez donc de le dire
Et vous serez peut-être
Crucifié.
Längsten Hughes, 1902-1967, États-Unis d'Amérique

335
Discours prononcé à ¡'American University, Washington,
D.C.

L a paix d u m o n d e c o m m e la paix de la c o m m u n a u t é n'exige


pas que chaque h o m m e aime son prochain — elle exige
seulement que les h o m m e s vivent ensemble dans une
tolérance mutuelle et qu'ils acceptent de soumettre leurs
difïèrends à un règlement juste et pacifique.
John F. Kennedy, président des États-Unis d'Amérique,
10 juin 1963

336

Il ne suffit pas de dire : « N o u s aimons les Noirs, nous avons


beaucoup d'amis Noirs. » Il faut exiger qu'il leur soit fait
justice. L ' a m o u r qui ne s'acquitte pas de sa dette de justice
ne mérite pas son n o m (...) A u meilleur sens du terme, aimer
c'est faire appliquer la justice.
Martin Luther King, 1929-1968, États-Unis d'Amérique,
O ù allons-nous ?

337

Je dois faire connaître clairement m a position. Elle est


simple : je ne suis partisan d'aucune forme de racisme. J e ne
crois en aucune forme de racisme. Je ne crois en aucune
forme de discrimination ou de ségrégation. Je crois en
233

C O N C E P T FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E

l'Islam. Je suis musulman et je pense qu'il n'y a rien de mal


à cela, qu'il n'y a rien de mauvais dans la religion islamique.
Elle nous enseigne seulement à croire en Allah, notre Dieu.
Ceux d'entre vous qui sont Chrétiens croient sans doute au
m ê m e Dieu car je pense que vous croyez au Dieu créateur de
l'univers. C'est en ce Dieu que nous croyons, en le Créateur
de l'univers — la seule difference tient à ce que vous
l'appelez Dieu tandis que nous l'appelons Allah. Les Juifs
l'appellent Jéhovah. Si vous compreniez l'hébreu, vous
l'appelleriez, sans doute, Jéhovah, vous aussi. Si vous
compreniez l'arabe, vous l'appelleriez sans doute Allah.
Mais puisque l ' h o m m e blanc, votre ami, vous a, du temps de
l'esclavage, dépouillés de votre langue, la seule langue que
vous sachiez parler est la sienne. Vous connaissez la langue
de votre ami si bien que lorsqu'il vous passe la corde au cou,
vous invoquez Dieu tandis qu'il invoque Dieu. Et vous vous
demandez pourquoi celui que vous invoquez ne vous répond
jamais.
Malcolm X , 1925-1965, Etats-Unis d'Amérique, Malcolm speaks

338

L a distinction de Robespierre entre la terreur révolution-


naire et la terreur despotique, ainsi que la glorification
morale de la première, constitue une des aberrations unani-
m e m e n t condamnées, bien que la terreur blanche se révélât
plus meurtrière que l'autre. U n e appréciation comparative
s'attachant au nombre des victimes équivaut à une approche
quantitative, qui ne fait que révéler les atrocités commises
par l ' h o m m e au cours de l'Histoire quand il érige la violence
en nécessité ! Mais si l'on considère le rôle historique de la
violence, alors il existe vraiment une différence entre la
violence révolutionnaire o u réactionnaire, entre la violence
pratiquée par les opprimés ou par les oppresseurs. A u regard
de l'éthique toutes les deux sont inhumaines et mauvaises.
Mais depuis quand l'Histoire obéit-elle aux règles morales ?
Et si l'on choisit pour appliquer des critères moraux à
l'Histoire le m o m e n t m ê m e où les opprimés se révoltent
234

LA T O L É R A N C E

contre leurs bourreaux, les dépossédés contre les possédants,


on sert la cause de la violence réelle en affaiblissant les
protestations qu'elle soulève.
Herbert Marcuse, Etats-Unis d'Amérique,
Critique de la tolérance pure

339

Cette nation a été créée par des h o m m e s de plusieurs nations


et de diverses origines. Elle a été créée sur le principe que
tous les h o m m e s naissent égaux et que les droits d e tous les
h o m m e s sont lésés quand les droits d ' u n seul h o m m e sont
menacés. Il devrait être possible pour tout Américain de
jouir du privilège d'être Américain, sans considération de sa
race ou de sa couleur. E n bref, chaque Américain doit avoir
le droit d'être traité c o m m e il souhaite être traité, c o m m e on
souhaite que ses propres enfants soient traités. M a i s ceci
n'est pas le cas. L e bébé noir né en Amérique aujourd'hui,
quel que soit le secteur de la nation dans lequel il est né, a
environ moitié moins de chances de faire toutes ses classes
qu'un bébé blanc né au m ê m e endroit le m ê m e jour ; il a trois
fois moins de chances d'accéder au niveau professionnel,
deux fois autant de chances de se trouver sans emploi (...)
son espérance de vie est sept fois plus brève et sa perspective
de la dépasser de moitié moins grande.
Il ne s'agit pas d'un problème particulier à une fraction
quelconque de la nation. Les h o m m e s de bonne volonté et de
coeur devraient être capables de s'unir en dehors de tout
parti et de toute politique (...) Il s'agit d'un problème d'ordre
moral, aussi vieux que les Ecritures et aussi clair que la
Constitution américaine. Si un Américain, parce que sa peau
est foncée, ne peut pas accéder à une vie libre et heureuse
telle que nous nous la souhaitons tous, lequel d'entre nous
verrait-il de b o n cœur la couleur de sa peau changée et
prendrait-il sa place? Lequel d'entre nous s'accommoderait-
il de conseils de patience et de ces atermoiements ? U n siècle
s'est écoulé depuis que le Président Lincoln a libéré les
esclaves et cependant, leurs descendants, leurs petits-fils ne
235

C O N C E P T FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E

sont pas encore entièrement libres. Ils ne sont pas encore


libérés des chaînes de l'injustice. Ils ne sont pas encore
libérés de l'oppression sociale et économique et cette nation,
en dépit de ses affirmations et de ses espérances, ne sera pas
pleinement libre tant que tous ces citoyens ne le seront pas.
N o u s prêchons la liberté au m o n d e entier, nous le faisons
sincèrement et nous s o m m e s jaloux de nos libertés ici, chez
nous. Mais devons-nous dire au m o n d e — et, ce qui est plus
important, à nous-mêmes — que notre pays est la terre des
h o m m e s libres sauf pour les Noirs, que nous n'avons ni
classes ni système de castes, pas de ghettos, pas de race
supérieure sauf en ce qui concerne les Noirs ? L e temps est
maintenant venu pour cette nation de remplir ses engage-
ments. (...) Nous nous trouvons face à une crise morale en
tant que pays et en tant que peuple. Il ne suffit pas d'en
imputer la responsabilité aux autres, de dire « ceci est un
problème qui concerne une fraction seulement d u pays » et
de le déplorer. C'est un fait que de grands changements sont
proches, et que notre tâche et notre devoir consistent à faire
en sorte que cette révolution, que ces changements, se fassent
dans la paix et de façon constructive pour nous tous.
John F. Kennedy, président des États-Unis d'Amérique,
Address to the American people
(discours prononcé à la Maison Blanche), 11 juin 1963

340

N o n seulement les Blancs d u Sud ne m'avaient pas connu,


mais fait plus important encore, la façon dont j'avais vécu
dans le S u d ne m'avait pas permis de m e connaître moi-
m ê m e . Étouffée, comprimée par les conditions d'existence
dans le Sud, m a vie n'avait pas été ce qu'elle aurait dû être.
Je m'étais conformé à ce que m o n entourage, m a famille,
conformément aux lois édictées par les Blancs qui les
dominaient, avaient exigé de moi, j'avais été le personnage
que les Blancs m'avaient assigné. Je n'avais jamais pu être
réellement m o i - m ê m e , et j'appris peu à peu que le Sud ne
pouvait reconnaître qu'une partie de l ' h o m m e , ne pouvait
236
LA T O L É R A N C E

admettre q u ' u n fragment de sa personnalité, et qu'il rejetait


le reste, le plus profond et le meilleur d u cœur et d e l'esprit
— par ignorance aveugle et par haine.
Je quittais le S u d pour m e lancer dans l'inconnu à la
rencontre de situations nouvelles qui m'arracheraient peut-
être d'autres réactions. Et si je pouvais trouver une vie
différente, alors, peut-être, pourrais-je lentement et graduel-
lement, apprendre qui j'étais et ce que je pourrais devenir.
Je quittais le S u d n o n pour oublier le Sud, mais afin de
pouvoir un jour le comprendre, savoir ce que ses rigueurs
m'avaient fait, à moi et à tous ses enfants. Je fuyais pour que
fonde cette insensibilité consécutive à des années de vie
défensive et pour pouvoir sentir (beaucoup plus tard et loin
de là) les cicatrices douloureuses laissées par m a vie dans le
Sud.
Et cependant, au plus profond de m o i - m ê m e , je savais
queje ne pourrais jamais quitter, réellement le Sud, car mes
sentiments avaient déjà été façonnés par le Sud, car tout Noir
queje fusse, la culture du Sud s'était peu à peu infiltrée dans
m a personnalité et dans m a conscience. Aussi, en partant,
j'emportais une parcelle du Sud pour la transplanter dans u n
sol étranger, afin de voir si elle pouvait croître différemment,
si elle pouvait boire une eau fraîche et nouvelle, se courber
au souffle de vents étrangers, réagir à la chaleur de soleils
nouveaux, et peut-êtrefleurir...Et si ce miracle s'accomplis-
sait, je saurais alors qu'il y a encore de l'espoir dans cette
fondrière de désespoir et de violence qu'est le Sud, je saurais
que la lumière peut naître m ê m e des ténèbres les plus noires.
Je saurais que le Sud lui aussi pourrait vaincre sa peur, sa
haine, sa lâcheté, son héritage de crimes et de sang, son
fardeau d'angoisse et de cruauté forcenée.
L'œil aux aguets, portant des cicatrices visibles et invisi-
bles, je pris le chemin d u Nord, i m b u de la notion brumeuse
que la vie pouvait être vécue avec dignité, qu'il né fallait pas
violer la personnalité d'autrui, que les h o m m e s devraient
pouvoir affronter d'autres h o m m e s sans crainte ni honte et
qu'avec de la chance — dans leur existence terrestre — ils
pourraient peut-être trouver une sorte de compensation aux
237

C O N C E P T FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E

luttes et aux souffrances qu'ils endurent ici-bas sous les étoiles.


Richard Wright, États-Unis d'Amérique, Black boy, 1945

341

Sommes-nous des emigrants?


J'ai toujours trouvé faux ce n o m qu'on nous donnait :
Emigrants.
Il veut dire que nous avons émigré. Mais
nous n'avons pas émigré, volontairement.
Nous n'avons pas choisi un autre pays.
Nous n'avons pas non plus émigré
dans u n pays pour y rester, si possible pour toujours.
N o n , nous avons fui. Des expulsés, des bannis voilà ce que
nous s o m m e s .
C e n'est pas u n foyer, mais un exil que doit être le pays qui
nous a reçus.
Nous s o m m e s là, impatients, au plus près de la frontière,
attendant l'heure d u retour, observant le moindre
changement
de l'autre côté de la frontière, interrogeant fébrilement tout
nouveau venu,
N'oubliant rien, ne cédant rien, ne pardonnant rien de ce qui
s'est passé,
ne pardonnant rien.
A h ! Le silence de l'heure ne nous trompe pas !
Nous entendons jusqu'ici les cris qui montent de leurs
camps.
Nous s o m m e s presque nous-mêmes c o m m e les rumeurs de
leurs méfaits,
qui franchissent les frontières.
Chacun d'entre nous
marchant à travers la foule dans ses souliers troués,
témoigne de la honte qui couvre aujourd'hui notre pays.
Mais pas un seul d'entre nous
ne restera ici. L e dernier m o t
n'est pas encore dit.
Bertolt Brecht, 1898-1956, République démocratique allemande
238

LA T O L É R A N C E

U n accord ambigu

Concessions spirituelles

Des contradictions majeures sont apparemment dépassées, d'autres


émergent de cette résolution même, d'autres, implicites, ne sont pas
encore actualisées.
Nous sommes ici à un moment de synthèse partielle de ce livre, celu
où, sous la pression historique, une certaine représentation de l'homm
et du monde lentement se défait pour se recomposer, dans son
mouvement même, selon un nouvel ordre des valeurs.
Une structure s'abolit, celle de la prééminence, mondaine et
spirituelle, de tel ou tel groupe socio-économico-culturel. Tout
impérialisme spirituel rentré, il faut vivre ensemble sur cette terre
élaborer les lois de coexistence que le réel immédiat requiert. Entre un
violence inefficiente et une impossible indifférence, il n'est de choix
d'un dialogue franc et pacifique que l'on appellera, faute de mieux,
« tolérance » et qui, à tout le moins, exclut en principe toute hiérarchi
entre « vérités » particulières. Du coup, l'ancienne valeur de
prosélytisme s'en trouve mise en distance, indéfiniment différée : ent
hommes de croyances opposées ou différentes, la foi elle-même se fait
délibérément « relative », dans l'exigence d'une plus haute dignité de
soi-même, de l'Autre, de tous les Autres.
La différence entre le rêve médiéval et la paix tactique de l'âge de
la séparation des Eglises et des Etats, c'est que, par les effets de la
conscience politique, le monde n'est plus au m o d u s vivendi ni aux
chasses gardées, mais qu 'il est entré en une contiguïté malaisée, en quête
d'unité concrète. L'âge théologique est clos et l'Etat relatif succède aux
dieux absolus.

342

C e queje v o u s propose c o m m e idéal d e paix n e consiste pas


d u tout p o u r c h a c u n à être neutre, à n e pas p r e n d r e parti, à
n e pas choisir, à n e p a s avoir d e convictions o u à n e pas les
montrer. C e c h e m i n n'est p a s n o n plus ce q u ' o n appelle le
syncrétisme, suivant lequel o n croit résoudre les différences
239
C O N C E P T FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

en mélangeant tous les credos. Je pense, au contraire, à une


paix se réalisant dans nos différences et j'appelle son chemin
le Dialogue Fraternel. Celui-ci se situe exactement entre la
suppression de celui qui diffère de moi et une soumission
totale à lui.
Dominique Pire, Belgique, Vivre ou mourir ensemble, 1969

343

Je n'aime pas le m o t tolérance, mais je n'en trouve pas de


meilleur. L a tolérance peut impliquer la supposition, toute
gratuite d'ailleurs, que la foi d ' u n autre est inférieure à la
nôtre, tandis que Yahimsa nous enseigne à conserver, pour la
foi religieuse d'autrui, le m ê m e respect que nous accordons
à la nôtre — dont nous reconnaissons ainsi l'imperfection.
Cette admission sera facile pour celui qui cherche la Vérité,
pour celui qui obéit à la loi de l'Amour. Si nous étions
parvenus à la pleine vision de la Vérité, nous ne serions plus
des chercheurs, nous serions devenus un avec Dieu, car la
Vérité est Dieu. Mais puisque nous n'en s o m m e s encore qu'à
chercher, nous poursuivons notre recherche et nous s o m m e s
conscients de notre imperfection. O r , si nous s o m m e s nous-
m ê m e s imparfaits, la religion telle que nous la concevons doit
être imparfaite aussi. N o u s n'avons pas réalisé la religion
dans sa perfection, de m ê m e que nous n'avons pas réalisé
Dieu. Puisque la religion telle que nous la concevons est
imparfaite, elle est toujours susceptible d'évolution et de ré-
interprétation. L e progrès vers la Vérité, vers Dieu, n'est
possible qu'en raison de cette évolution. Et si toutes les
conceptions religieuses que se représentent les h o m m e s sont
imparfaites, il ne peut être question de supériorité o u
d'infériorité de l'une par rapport à l'autre. Toutes les Fois
constituent des révélations de la Vérité, mais toutes sont
imparfaites et faillibles. L e respect que nous éprouvons pour
d'autres Fois ne doit pas nous empêcher d'en voir les défauts.
Nous devons aussi être intensément conscients des défauts de
notre propre foi, et pourtant ne pas l'abandonner pour cette
raison, mais essayer de triompher de ces défauts. Si nous
240

LA TOLÉRANCE

considérons sans partialité toutes les religions, non seule-


ment nous n'hésiterions pas à mêler à la nôtre tous les
caractères désirables des autres, mais encore nous estime-
rions q u e c'est pour nous u n devoir.
M a h a t m a Ghandi, 1869-1948, Inde, Lettres à l'Ashram

344

C'est justice de distinguer toujours entre l'erreur et ceux qui


la commettent, m ê m e s'il s'agit d ' h o m m e s dont les idées
fausses o u l'insuffisance des notions concernent la religion o u
la morale. L ' h o m m e égaré dans l'erreur reste toujours u n
être h u m a i n et conserve sa dignité de personne à laquelle il
faut toujours avoir égard. Jamais n o n plus l'être h u m a i n ne
perd le pouvoir de se libérer de l'erreur et d e s'ouvrir u n
chemin vers la vérité. Et pour l'y aider, le secours providen-
tiel de Dieu ne lui m a n q u e jamais. Il est donc possible que
tel h o m m e , aujourd'hui privé des clartés de la foi o u fourvoyé
dans l'erreur, se trouve d e m a i n , grâce à la lumière divine,
capable d'adhérer à la vérité. Si en vue d e réalisations
temporelles les croyants entrent en relation avec des h o m m e s
que des conceptions erronées empêchent de croire ou d'avoir
une foi complète, ces contacts peuvent être l'occasion ou le
stimulant d'un m o u v e m e n t qui m è n e ces h o m m e s à la vérité.
Jean XXIII, pape, Encyclique « Pacem in terris », 1963

345

— Frère en Dieu, venu au seuil de notre zaouïa, cellule


d ' A m o u r et d e Charité, ne querelle pas l'adepte d e Moïse ni
celui de Jésus car Dieu a témoigné en faveur de leurs
prophéties. — Et les autres ? — Laisse-les entrer et m ê m e
salue-les fraternellement pour honorer en eux ce qu'ils ont
hérité d ' A d a m . (...) Il y a en chaque descendant d ' A d a m une
parcelle de l'esprit de Dieu. C o m m e n t oserions-nous mépri-
ser un vase renfermant u n tel contenu ?
(...)
L'arc-en-ciel doit sa beauté aux tons variés de ses
241
C O N C E P T FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E

couleurs. D e m ê m e , nous regardons les voix des croyants


divers qui s'élèvent de tous les points de la terre, c o m m e une
symphonie de louanges à l'adresse d'un Dieu qui ne saurait
être que l'Unique.
(...)
— Est-il licite de causer de leur religion avec les
étrangers ?
— Pourquoi pas ? Il faut causer avec eux si tu peux rester
poli et courtois. T u gagnerais énormément à connaître les
diverses formes de la religion (...) Il ne faut pas croire que sa
propre religion soit seule à détenir la vraie foi (...) L a
religion, celle que veut Jésus et que M a h o m e t ne déteste pas,
c'est celle qui c o m m e u n air pur et libre, est en contact
permanent avec le soleil de Vérité et de Justice dans l ' A m o u r
du Bien et de la Charité pour tous.
(...)
U n h o m m e , quelle que soit sa race, dès que l'adoration
illumine son â m e , celle-ci prend l'éclat d u « diamant »
mystique. Ni sa couleur, ni sa naissance, n'entrent en jeu.
Salif Tall Tierno-Bokar, 1884-1948, Mali, Sénégal,
Cité par T h . Monod

346

Le fait d'accepter la doctrine de l'égalité des religions ne fait


pas disparaître la distinction entre religion et irréligion. N o u s
n'avons pas l'intention d'encourager la tolérance envers
l'irréligion. O n pourrait soutenir il est vrai, que, dans
certaines conditions, il n'est plus possible de rester impartial,
car il incombe alors à chacun de décider pour soi ce qui est
religion et ce qui est irréligion. Si nous obéissons à la loi de
l'Amour, nous ne ressentirons aucune haine pour notre frère
irréligieux. N o u s l'aimerons au contraire et, par conséquent,
ou bien nous l'amènerons à voir son erreur, ou bien il nous
fera comprendre la nôtre, ou bien chacun tolérera l'opinion
différente de l'autre. Si l'autre n'observe pas la loi de
l'Amour, il peut se montrer violent envers nous, mais si nous
avons pour lui u n a m o u r véritable, notre a m o u rfinirapar
242

LA T O L É R A N C E

triompher de son animosité. Tous les obstacles qui sont sur


notre route se dissiperont pourvu que nous observions la
règle d'or, que nous n'ayons pas d'impatience envers ceux
que nous pourrons croire dans l'erreur, et que nous soyons
prêts, en cas de besoin, à souffrir personnellement.
Mahatma Gandhi, 1869-1948, Inde, Lettres à l'Ashram

347

Toute religion vient de Dieu, il n'y a qu'une seule religion,


la m ê m e pour les h o m m e s qui nous ont précédés et pour ceux
qui viendront après nous ; elle ne difiere que par ses formes
extérieures et ses apparences ; son esprit et la vérité procla-
m é e par la bouche de tous les prophètes de tous les temps ne
change pas. Cette vérité dit aux h o m m e s de croire en Dieu,
de l'adorer en toute sincérité et sans arrière-pensée, de
s'exhorter mutuellement à faire le bien et à éviter le mal,
autant que cela est en leur pouvoir.
al-Cheikh M u h a m m a d c Abduh, Egypte,
Al-Islâm wa-al-Nasrâniya (Islam et christianisme), 1901

348

L a meilleure attitude actuelle pour la défense de la vérité


sainte, plus désarmée que jamais, est de ne pas nous en servir
c o m m e d'une matraque mais bien d'accepter avec douceur
d'être matraqué pour Elle, d'être frappé par Elle, telle que
se la figurent contre nous nos frères, dans leur exaspération
insensée. Car nous ne voulons pas qu'ils deviennent pires,
mais qu'ils vivent avec nous dans la paix qui reviendra bien
un jour. Et, en attendant, nous voulons mourir anathèmes
pour ces frères qui sont perdus ou croient l'être.
Louis Massignon, France, Lettre aux amis de Gandhi, 1961

349

Toute religion a son origine dans une révélation. Aucune


religion ne détient la vérité absolue, aucune n'est u n morceau
243

C O N C E P T FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E

de ciel transplanté sur la terre. C h a q u e religion représente


une vérité de l ' h o m m e . Cela signifie qu'elle exprime la
relation avec l'Absolu d'une c o m m u n a u t é humaine donnée.
Chaque religion est une demeure pour l'âme humaine
assoiffée de Dieu, une demeure pourvue de fenêtres et sans
porte; je n'ai q u ' à ouvrir une fenêtre pour que la lumière de
Dieu y pénètre. Mais si je perce un trou dans le m u r et m ' e n
évade, non seulement alors je reste sans logis mais une
lumière glacée m'entoure qui n'est pas la lumière d u Dieu
vivant. Chaque religion est une terre d'exil où l ' h o m m e est
jeté et dans laquelle il est plus que partout ailleurs séparé des
autres communautés humaines par la forme de sa relation
avec Dieu. Et nous ne serons libérés de ces exils et n'aurons
accès au m o n d e de Dieu, c o m m u n à tous, qu'après la
rédemption du m o n d e . Mais les religions qui savent qu'elles
sont toutes associées dans une attente c o m m u n e peuvent
communiquer entre elles, d ' u n lieu d'exil à un autre, de
demeure à demeure, à travers les fenêtres ouvertes. Plus
encore : elles peuvent joindre leurs efforts pour essayer de
trouver ce qui peut être fait par l ' h o m m e pour rapprocher le
temps de la rédemption. U n e action c o m m u n e de toutes les
religions est concevable bien que chacune d'elles ne puisse
agir qu'à l'intérieur de sa propre demeure. Mais ceci ne
deviendra possible que dans la mesure où chaque religion
récupère son origine, c'est-à-dire la révélation qui est à son
origine et où elle procède à la critique de tout ce qui l'en a
éloignée dans le processus historique de son développement.
Les religions historiques ont tendance à devenir desfinsen
soi, à se substituer pour ainsi dire à Dieu, de sorte qu'il n'est
rien, en vérité, de plus apte à obscurcir la face de Dieu
qu'une religion. Les religions doivent être attentives à la
volonté de Dieu. Chacune doit accepter le fait qu'elle n'est
qu'une des formes sous lesquelles l'élaboration humaine du
message de Dieu s'est exprimée, qu'elle n'a pas le monopole
du divin; chacune doit renoncer à la prétention d'être la
demeure unique de Dieu sur la terre et accepter d'être la
demeure d ' h o m m e s animés par une m ê m e image de Dieu,
une maison ouverte vers l'extérieur. Chacune doit abandon-
244

LA TOLÉRANCE

ner son attitude exclusive — sans vrai fondement — et


adopter u n comportement plus proche de la vérité. Quelque
chose de plus est encore requis : les religions doivent joindre
leurs efforts pour déchiffrer la volonté de D i e u , elles doivent
s'efforcer, dans la perspective de la révélation, d e dépasser
les problèmes courants q u e les contradictions entre la
volonté de Dieu et la réalité d u m o n d e posent pour elle. Elles
seront alors unies non seulement dans une attente c o m m u n e
de la rédemption, mais aussi dans les tâches quotidiennes
d'un m o n d e non encore sauvé.
Martin Buber, 1878-1965, Israël

350

L e fait q u e le socialisme et la religion soient deux choses


différentes n'implique pas pour autant que le socialisme soit
anti-religieux. D a n s une société socialiste, les m e m b r e s de la
c o m m u n a u t é devraient être libres d e croire e n Dieu et d e
pratiquer quelque religion qu'ils désirent. U n e telle société
devrait s'efforcer de ne pas édicter des décisions de nature
à offenser les sentiments religieux d e l'un quelconque de
ses m e m b r e s , quelque faible q u e soit le groupe auquel il
appartient.
(...)
Cette nécessité d e la tolérance religieuse résulte d e la
nature m ê m e d u socialisme. C a r les croyances religieuses
d'un h o m m e ont beaucoup d'importance dans sa vie person-
nelle et le but d u socialisme c'est d e servir l ' h o m m e . L e
socialisme ne veut pas seulement servir une entité abstraite
d é n o m m é e « le peuple ». Il s'efforce de faire bénéficier des
bienfaits d e la société le plus grand n o m b r e possible des
individus qui la composent. C'est donc le caractère essentiel-
lement privé des croyances religieuses qui fait q u e le
socialisme doit laisser toute latitude d'expression aux options
religieuses — dans la mesure d u possible — ce qui implique
la nécessité pour le socialisme d'être laïc.
Julius K . Nyerere, né en 1922, République-Unie de Tanzanie,
Freedom and unity, 1964
245

C O N C E P T FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E

351

Mais c'est par sa conscience q u e l ' h o m m e perçoit et


reconnaît les injonctions de la foi divine ; c'est elle qu'il est
tenu de suivre fidèlement en toutes ses activités, pour
parvenir à sa fin qui est Dieu. Il ne doit donc pas être
contraint d'agir contre sa conscience. Mais il ne doit pas être
e m p ê c h é n o n plus d'agir selon sa conscience, surtout en
matière religieuse. D e par son caractère m ê m e , en effet,
l'exercice de la religion consiste avant tout en des actes
intérieurs volontaires et libres par lesquels l ' h o m m e
s'ordonne directement à Dieu : d e tels actes ne peuvent être
ni imposés ni interdits par aucun pouvoir purement h u m a i n .
M a i s la nature sociale de l ' h o m m e requiert elle-même qu'il
exprime extérieurement ces actes internes de religion, qu'en
matière religieuse il ait des échanges avec d'autres, qu'il
professe sa religion sous une forme communautaire.
C'est donc faire injure à la personne humaine et à l'ordre
m ê m e établi par Dieu pour les êtres humains que de refuser
à l ' h o m m e le libre exercice de la religion sur le plan de la
société, dès lors q u e l'ordre public juste est sauvegardé.
E n outre, par nature, les actes religieux par'lesquels, en
privé ou en public, l ' h o m m e s'ordonne à Dieu en vertu d'une
décision personnelle, transcendent l'ordre terrestre et t e m p o -
rel des choses. L e pouvoir civil, dont la fin propre est de
pourvoir a u bien c o m m u n temporel, doit donc, certes,
reconnaître et favoriser la vie religieuse des citoyens, mais il
faut dire qu'il dépasse ses limites s'il arroge le droit de diriger
ou d'empêcher les actes religieux.
Concile du Vatican, H, Déclaration « Dignitatis humanae »
sur la liberté religieuse, 1965

352

Tant que nous n e respecterons pas l'honneur des croyants


non-chrétiens, dont nous entreprenons, c o m m e disent les
missiologues, la « conversion », mécaniquement, nous
trahirons Dieu, et nous ne trouverons pas la vérité pour
nous-mêmes.
246

LA TOLÉRANCE

La « conversion » n'est pas u n certificat de transit que


nous collons sur la conscience des autres, c'est u n approfon-
dissement de ce qu'il y a de meilleur dans leur loyauté
religieuse actuelle que notre catalyse peut déterminer en eux,
au cours du travail c o m m u n ; pourvu que notre masque de
substitués nous fasse devenir réellement « leurs » par la
compassion, le transfert des souffrances et, ajoutons hardi-
ment, des espérances. Mais nous devons formara servi acceptus,
leur faire trouver en eux la libération, concevant en eux ce
visage d u Christ aux outrages, rédempteur, qui nous a attirés
à les aimer, à quitter, s'il le faut, les nôtres pour eux. C'est
pourquoi (...) le repas d'hospitalité partagé entre c o m p a -
gnons de travail, dans l'honneur, est la préfigure de l'exten-
sion à toute l'humanité de la dernière Cène, o ù certain hors-
la-loi, c o n d a m n é à notre place, nous a tendu le pain et le vin
de l'Hospitalité divine.
Louis Massignon, France, Parole donnée, 1962

353

Le Concile d u Vatican déclare que la personne humaine a


droit à la liberté religieuse. Cette liberté consiste en ce que
tous les h o m m e s doivent être soustraits à toute contrainte de
la part tant des individus que des groupes sociaux et de
quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu'en
matière religieuse nul ne soit forcé d'agir contre sa
conscience ni empêché d'agir, dans de justes limites, selon sa
conscience, en privé c o m m e en public, seul ou associé à
d'autres. Il déclare, en outre, que le droit à la liberté
religieuse a son fondement dans la dignité m ê m e de la
personne humaine telle que l'ont fait connaître la parole de
Dieu et la raison elle-même. C e droit de la personne humaine
à la liberté religieuse dans l'ordre juridique de la société doit
être reconnu de telle manière qu'il constitue u n droit civil.
En vertu de leur dignité, tous les h o m m e s , parce qu'ils
sont des personnes, c'est-à-dire doués de raison et de volonté
libre, et, par suite, pourvus d'une responsabilité personnelle,
sont pressés, par leur nature m ê m e , et tenus, par obligation
247

C O N C E P T FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

morale, à chercher la vérité, celle tout d'abord qui concerne


la religion. Ils sont tenus aussi à adhérer à la vérité dès qu'ils
la connaissent et à régler toute leur vie selon les exigences de
cette vérité. O r , à cette obligation, les h o m m e s n e peuvent
satisfaire, d ' u n e manière conforme à leur propre nature, q u e
s'ils jouissent, outre d e la liberté psychologique, de l ' i m m u -
nité à l'égard de toute contrainte extérieure. C e n'est d o n c
pas sur une disposition subjective d e la personne, mais sur
sa nature m ê m e , qu'est fondé le droit à la liberté religieuse.
C'est pourquoi le droit à cette immunité persiste en ceux-là
m ê m e s qui n e satisfont pas à l'obligation d e chercher la
vérité et d ' y adhérer ; son exercice n e peut être entravé, dès
lors q u e d e m e u r e sauf u n ordre public juste.
Concile du Vatican, il, Déclaration « Dignitatis humanae »
sur la liberté religieuse, 1965

354
[Allocution prononcée à la pose de la première pierre de l'Université
de la Paix :]

C'est là q u e se trouve la vraie fécondité d ' u n effort. L e


dialogue entre les h o m m e s , nous voulons (...) le pousser aussi
loin q u e possible, jusqu'au respect intégral d ' u n autre
c o m m e tel, dans tout ce qui le constitue autre. C'est
pourquoi le m o t « tolérance » nous paraît insuffisant. O n ne
tolère pas son frère. O n l'estime, o n l'apprécie, puis o n
l'aime. N o u s voulons estimer et aimer ceux qui sont autres,
en respectant totalement ce qui les fait autres.
(...) Notre a m i , le regretté E m m a n u e l Mounier, écrivait :
« ... Je crois q u e le devoir de l ' h o m m e spirituel est de lutter
contre toutes les sociétés closes, surtout et principalement
contre celles qui tendent à se former autour d ' u n prétexte
religieux. L a mission des spirituels dans les temps modernes
m e semble être u n e totale présence, extra muros, dans u n
m o n d e en édification o u en persécution. Je ne veux pas plus
d u ghetto confessionnel catholique q u e d u ghetto confession-
nel juif. A u surplus, là o ù vous pensez à u n ramassement de
l ' h o m m e dans les frontières spirituelles o n lira : acceptation
248

LA T O L É R A N C E

des délimitations racistes. Et là, la m o i n d r e concession est


mortelle ».
Dominique Pire, Belgique, Vivre ou mourir ensemble, 1969

355
[Extrait des Quatorze Points du président Wilson :]

U n principe évident d o m i n e tout le p r o g r a m m e q u e j'ai


esquissé. C'est le principe qui assure la justice à tous les
peuples et à toutes les nationalités, qui p r o c l a m e leur droit
à vivre sur pied d'égalité, d a n s la liberté et la sécurité, à côté
des autres nations, qu'ils soient forts o u faibles. Si ce principe
n'en devient pas le f o n d e m e n t , l'édifice d e la justice interna-
tionale s'effondrera d e toute part.
T h o m a s W o o d r o w Wilson, président des États-Unis d'Amérique,
Discours au Congrès, 8 janvier 1918

La pierre de touche de la censure

Le fondement de cette hypothèse de civilisation post-théologique, c'est


que la liberté de toute société n 'est rien d'autre que la somme des liberté
des individus qui la composent. Ce nouveau visage, soumettons-le pour
finir à la contre-épreuve de deux expressions signifiantes parmi
d'autres, la communication et la communion universelles; en termes
clairs, la censure et le racisme.
Tout au long du présent ouvrage, des voix, ici et là, ont dit la
fortune diverse de la parole ou de l'écrit perturbateurs, du poème au
manifeste du penseur. La section qui suit tente de synthétiser le conf
de la bonne et de la mauvaise consciences, du pouvoir et de ses
contestataires. L'on y constatera essentiellement que ce qui, pou
l'intolérance religieuse, était génériquement hérésie est tout aussi
inadmissible sous sa nouvelle dénomination d' « immoralité » et que
si, à l'âge théologique, on devait détruire l'hérétique, à l'âge libéral
au nom de lois, de drconstances ou de la libre concurrence, on peut
réduire tout contestataire au silence.
be ce succédané de l'intolérance à dominante religieuse, le confli
de la raison d'État et de l'exigence de tout communiquer librement est
249
C O N C E P T FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E

à peine exceptionnel en ce que, de tout temps, mais avec des


déplacements d'accent, le fond en est d'essence politique. En d'autres
temps, l'on s'en tenait au postulat : hors de ma vérité point de salut ;
maintenant toute pensée qui entend user de son droit de se communiquer
doit préalablement se soumettre au crible d'une double censure, celle de
l'ordre établi et la sienne propre : « gris sur gris », disait Marx, « la
seule couleur de la liberté que la loi m'autorise à employer ».
Or, la vérité s'étant laïcisée et cherchant à s'universaliser, de telles
prémisses sont absurdes, ne serait-ce qu'en raison de ce qu' « on ne croit
rien de ce qu'affirme une autorité qui ne permet pas qu'on lui réponde ».
Encore faut-il que la liberté de critique ne soit pas un moyen, mais une
fin. Plus grave encore : tout partisan de la censure institutionnelle se
trouve fatalement un jour ou l'autre pris au piège de cette brusque
évidence : « Vous étiez parti des abus de la liberté, [vous voilà] sous
les pieds d'un despote. »
* -k *
A u départ, et si l'on en croit le pouvoir moderne, « l'imprimerie est un
arsenal qu'il importe de ne pas mettre à la portée de tout le monde...
il s'agit d'un état qui intéresse la politique ». D ' o ù le recours à la
censure, sournoise ou officielle. Pour exprimer son opinion, Germaine
de Staël en vain « s'interdit toute réflexion sur l'état politique » tandis
que Lukács se verra contraint de truffer ses travaux philosophiques de
citations de Staline et de n'exprimer son « opinion dissidente » qu'avec
« toutes les précautions » que permettait encore la faible « marge de
respiration ».A la limite et en régime autoritaire, une idée n'est plus
que « le trait d'union entre deux citations » des maîtres de l'heure.
La censure, l'autodafé modernes n'empruntent pas d'autres argu-
ments que ceux de l'Inquisition médiévale, celle-ci au nom d'un Dieu
exclusif, ceux-là sous le couvert de « ¡'omniscience du pouvoir absolu ».
Entre les deux, la répression n 'a changé ni de nature ni de moyens, elle
s'est fait seulement itinérante, comme l'ombre portée de toute nouvelle
liberté. Naguère, la liberté de conscience était exclue, maintenant, c'est
la liberté de jugement, d'expression que l'on entend contrôler. E n
réaction, la nature de la riposte ne saurait changer : si la répression
de la conscience est vaine et absurde, celle de l'expression — de même
nature — ne l'est pas moins. Et le cycle recommence de la lutte contre
le sommeil et l'embrigadement de la raison avec tout ce que ce couple
emporte de violences, d'abus, d'exils et d'humiliations d'hommes par
250

LA T O L É R A N C E

d'autres hommes. Nous revoilà — bûcher presque exclu — en nouvelle


barbarie. A Sœur Juana Inés de la Cruz répond M m e de Staël ; à
Socrate, HaUâj, Servet répondent Lukács, D . H . Lawrence, Joyce ; et-
à Galilée, Einstein ou Oppenheimer.
D'un point de vue libéral, « pour recueillir les biens inestimables
qu'assure la liberté de la presse, il faut savoir se soumettre aux maux
inévitables qu'elle fait naître. Vouloir obtenir les uns en échappant aux
autres, c'est se livrer à l'une de ces illusions dont se bercent d'ordinair
les nations malades... (qui) cherchent les moyens de faire coexister à
la fois, sur le même sol, des opinions ennemies et des principes
contraires ». D'un point de vue révolutionnaire, Lénine dira : « nous
ne croyons pas aux absolus, nous nous rions de la démocratie
pure... Pour le moment, la bourgeoisie du monde entier est plus forte
que nous, et de plusieurs fois. Lui donner au surplus une arme comme
la liberté d'organisation politique (= la liberté de la presse, car la
presse est le centre et la base de l'organisation politique), c'est faciliter
la tâche à l'ennemi, aider l'ennemi de classe. Nous ne voulons pas nous
suicider, aussi, ne le ferons-nous pas ».
Deux positions contradictoires qui font que « de nos jours, l'idée
de la liberté intellectuelle est attaquée de deux côtés. D'un côté se
trouvent ses ennemis théoriques, les apologistes du totalitarisme ; et de
l'autre, ses ennemis immédiats et pratiques, le monopole et la
bureaucratie ».
Dans les éclaircies de la lutte, seuls les murs se font parfois
entendre et l'allusion.
Si toute libre réflexion est prétexte à sécurité nationale, si les
penseurs, les artistes et les créateurs ont le droit de libre expression mais
non les moyens concrets d'en préserver l'exercice, si un régime
quelconque ne donne de choix aux créateurs qu'entre la persécution
et l'orthodoxie et si l'on ménage une place au censeur politique ou
moral entre l'artiste et la loi, l'accord si péniblement conclu au terme
de siècles de lutte de la liberté contre la force est bien un accord
ambigu.

356

L ' i m p r i m e r i e est u n arsenal qu'il importe d e n e pas mettre


à la portée d e tout le m o n d e . L ' i m p r i m e r i e n'est pas u n
251
C O N C E P T FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E

c o m m e r c e : il ne doit pas suffire d'une simple patente pour


s'y livrer ; il s'agit d'un état qui intéresse la politique ; dès
lors la politique doit en être le juge.
Napoléon Ier, France, décembre 1809

357
Préface

E n 1810 je donnai le manuscrit de cet ouvrage sur l'Alle-


m a g n e au libraire qui avait imprimé Corinne. C o m m e j'y
manifestois les m ê m e s opinions et que j'y gardois le m ê m e
silence sur le gouvernement actuel des Français que dans
m e s écrits précédents, je m eflattaiqu'il m e seroit permis de
le publier : toutefois, peu de jours après l'envoi de m o n
manuscrit, il parut un décret sur la liberté de la presse d'une
nature très singulière ; il y étoit dit « Q u ' a u c u n ouvrage ne
pourroit être imprimé sans avoir été examiné par des
censeurs. » — Soit. — O n étoit accoutumé en France sous
l'ancien régime à se soumettre à la censure; l'esprit public
marchoit alors dans le sens de la liberté, et rendoit une telle
gêne peu redoutable; mais u n petit article à la.fin d u
nouveau règlement disoit que, « Lorsque les censeurs
auroient examiné u n ouvrage et permis sa publication, les
libraires seroient en effet autorisés à l'imprimer, mais que le
ministre de la police auroit alors le droit de le supprimer tout
entier s'il le jugeoit convenable », ce qui veut dire que telles
ou telles formes seroient adoptées jusqu'à ce qu'on jugeât à
propos de ne plus les suivre : une loi n'étoit pas nécessaire
pour décréter l'absence des lois, il valoit mieux s'en tenir au
simple fait du pouvoir absolu. (...)
A u m o m e n t où l'on anéantissoit m o n livre à Paris, je
reçus à la campagne l'ordre de livrer la copie sur laquelle on
l'avoit imprimé, et de quitter la France dans les vingt-quatre
heures. Je ne connois guère que les conscrits à qui vingt-
quatre heures suffisent pour se mettre en voyage; j'écrivis
donc au ministre de la police qu'il m e falloit huit jours pour
faire venir de l'argent et m a voiture. Voici la lettre qu'il m e
répondit.
252

LA T O L É R A N C E

« Police générale
Cabinet du Ministre.
Paris, 3 octobre 1810.
J'ai reçu, M a d a m e , la lettre q u e vous m ' a v e z fait l'honneur
de m'écrire. Monsieur votrefilsa d û vous apprendre que je
ne voyais pas d'inconvénients à ce que vous retardassiez
votre départ de sept à huit jours : je désire qu'ils suffisent a u x
arrangements qui vous restent à prendre, parce que je n e
puis vous en accorder davantage.
« Il ne faut point rechercher la cause de l'ordre q u e je
vous ai signifié dans le silence que vous avez gardé à l'égard
de l'Empereur dans votre dernier ouvrage, ce serait une
erreur, il ne pouvait pas y trouver de place qui fût digne de
lui; mais votre exil est une conséquence naturelle d e la
marche que vous suivez constamment depuis plusieurs
annçes. Il m ' a paru que l'air de ce pays-ci ne vous convenait
point, et nous n ' e n s o m m e s pas encore réduits à chercher des
modèles dans les peuples que vous admirez.
« Votre dernier ouvrage n'est point français ; c'est m o i
qui en ai arrêté l'impression. Je regrette la perte qu'il v a faire
éprouver a u libraire, mais il ne m'est pas possible d e le
laisser paraître.
(...)
Votre très-humble et très-obéissant serviteur
LE D U C DE ROVIGO.
« P.S. J'ai des raisons, M a d a m e , pour vous indiquer les ports
de Lorient, L a Rochelle, Bordeaux et Rochefort, c o m m e
étant les seuls ports dans lesquels vous pouvez vous embar-
quer ; je vous invite à m e faire connaître celui que vous aurez
choisi. »
Germaine de Staël, France, De l'Allemagne, 1810

358
Ministère de la Police

L e Ministre de la Police générale ordonne au sieur Pâques,


Inspecteur général de son ministère, de faire lever les scellés
apposés en exécution de notre ordre d u 2 4 d u mois dernier,
253

C O N C E P T FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E

chez le sieur M a r n e , imprimeur, sur les formes et presses qui


ont servi à imprimer l'ouvrage de la f e m m e Staël, ayant pour
titre : « D e l'Allemagne » ; de faire briser les formes,
transporter toutes les feuilles de cet ouvrage sur lesquelles les
scellés ont été mis et de se faire remettre, pour être déposés
au Ministère, tous les volumes de cet ouvrage qui existe-
raient entre les mains d u sieur M a r n e , o u dont il aurait déjà
disposé.
Lettre du Ministre de la Police concernant l'ouvrage
« D e l'Allemagne » de M m e de Staël, France

359
Pour une presse libre

N'est-ce pas le premier devoir de celui qui cherche la vérité


de foncer tout droit sur elle, sans regarder à droite ou à
gauche ?
N'est-ce pas oublier la vérité que la dire dans la forme
prescrite ? L a vérité est aussi peu modeste que la lumière ; et
envers qui devrait-elle l'être ? Envers elle-même ? Verum index
sui et falsi. D o n c contre le faux?
Si la modestie est le caractère de la recherche, elle est
plutôt la m a r q u e de la peur de la vérité que de la peur de la
contre-vérité. Elle agit c o m m e u n frein, à chaque pas queje
fais. Elle c o m m a n d e au chercheur de trembler devant le
résultat, elle est u n préservatif contre la vérité.
E n outre : la vérité est universelle, elle ne m'appartient
pas, elle appartient à tous, elle m e possède, je ne la possède
pas. M a propriété, c'est la forme, elle est m o n individualité
spirituelle. Le style c'est l'homme (en français dans le texte).
E h quoi ! L a loi m e permet d'écrire, mais elle exige que
j'écrive un autre style que le mien ! Je peux montrer le visage
de m o n esprit, mais je dois d'abord lui imposer les plis
prescrits ! Quel h o m m e d'honneur ne rougirait pas de cette
exigence et ne préférerait pas cacher sa figure sous la toge ?
L a toge peut au moins dissimuler une tête de Jupiter. Les plis
prescrits, ce n'est rien d'autre que : bonne mine a mauvais jeu (en
français dans le texte).
254

LA T O L É R A N C E

Vous admirez l'exaltante diversité, l'inépuisable richesse


de la nature. V o u s n'exigez pas que la rose ait le parfum de
la violette, et vous voudriez que ce qu'il y a de plus riche,
l'esprit, n'existe que d'une seule manière ? J'ai de l'humour,
mais la loi m e c o m m a n d e d'écrire avec gravité. Je suis hardi,
mais la loi ordonne que m o n style soit modeste. Gris sur gris
— la seule couleur de la liberté que la loi m'autorise à
employer. C h a q u e goutte de rosée, quand le soleil s'y mire,
brille d'un n o m b e infini de couleurs, mais le soleil de l'esprit,
quels que soient les individus et les choses dans lesquels il se
reflète, ne doit produire qu'une seule couleur, la couleur
officielle ! L'essence de l'esprit, c'est toujours la vérité elle-
m ê m e , et que faites-vous de cette essence ? L a modestie. Seul
le gueux est modeste, dit Goethe, et c'est ce que vous voulez
faire de l'esprit ? (...) L a modestie générale de l'esprit c'est la
raison — cette libéralité universelle qui, en chaque nature,
respecte son caractère essentiel.
Karl Marx, Remarques sur la réglementation de la censure
prussienne, 1842

360

Lorsqu'on s'occupe de la question de la censure, tout dépend


de l'emploi correct d u m o t immoralité, et d'une prudente
discrimination entre les pouvoirs d'un magistrat ou d ' u n juge
pour appliquer u n code, et ceux d ' u n censeur, qui agit selon
son bon plaisir. (...)
Le censeur n'est jamais intentionnellement le protecteur
de l'immoralité. Il vise toujours à la protection de la
moralité. O r , la moralité est d'une extrême valeur pour la
Société. Ele impose une conduite conventionnelle à la grande
masse des gens qui sont incapables d'un jugement éthique
original et qui seraient complètement perdus s'ils n'étaient
pas dans l'intérieur des limites imaginées par les législateurs,
les philosophes et les poètes pour les guider. Mais la moralité
ne dépend pas de la censure pour sa protection. Elle est déjà
puissamment fortifiée par la magistrature et tout le corps de
la loi. L e blasphème, l'indécence, la diffamation, la trahison,
255

C O N C E P T FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E

la sédition, l'obscénité, la profanation et tous les a'utres m a u x


qu'une censure est censée empêcher, sont punissables par le
magistrat civil, avec toute la sévérité de violents préjugés. L a
moralité a n o n seulement pour la protéger tous les moyens
que peuvent imaginer en pleine action, les législateurs, mais
aussi ce poids formidable qu'est l'opinion publique renforcée
par l'ostracisme social qui est plus puissant que tous les
statuts.
(...) C'est l'immoralité et non la moralité qui a besoin de
protection, et c'est la moralité et non l'immoralité qui a
besoin de restriction. E n effet, la moralité, avec tout le poids
de l'inertie et de la superstition, pèse sur le dos d u pionnier,
et toute la malveillance de la vulgarité et des préjugés qui le
menacent est responsable pour de nombreuses persécutions
et de nombreux martyres.
George Bernard Shaw, 1856-1950, écrivain irlandais,
Le vrai Blanco Posnet

361

Les gouvernements ne savent pas le mal qu'ils se font en se


réservant le privilège exclusif de parler et d'écrire sur leurs
propres actes : on ne croit rien de ce qu'affirme une autorité
qui ne permet pas qu'on lui réponde ; on croit tout ce qui
s'affirme contre une autorité qui ne tolère point d'examen.
Benjamin Constant, 1767-1830, Suisse-France,
D e la liberté des brochures, des pamphlets et des journaux

362

L a liberté est l'essence de l ' h o m m e , à u n point tel que m ê m e


ses adversaires la réalisent, bien qu'ils en combattent la
réalité ; ils veulent s'approprier c o m m e de la parure la plus
précieuse ce qu'ils ont rejeté c o m m e parure de la nature
humaine.
Nul ne combat la liberté ; il combat tout a u plus la liberté
des autres. Toute espèce de liberté a donc toujours existé,
256

LA TOLÉRANCE

seulement tantôt c o m m e privilège particulier, tantôt c o m m e


droit général.
(...) Il ne s'agit pas de savoir si la liberté de la presse doit
exister, puisqu'elle existe toujours. Il s'agit de savoir si la
liberté de la presse est le privilège de quelques individus ou
le privilège de l'esprit humain. Il s'agit de savoir si ce qui est
un tort pour les uns peut être u n droit pour les autres (...)
La vraie censure immanente à la liberté de la presse, c'est
la critique ; elle est le tribunal que la liberté de la presse se
donne elle-même.
La censure reconnaît elle-même qu'elle n'est pas u n but
en soi, qu'elle n ' a rien de bon en soi, qu'elle est, par
conséquent, fondée sur le principe : la fin justifie les moyens.
Mais u n but qui a besoin de moyens injustes, n'est pas u n
but juste (...)
(...) La première liberté de la presse, c'est de ne pas être
métier. L'écrivain qui la rabaisse jusqu'à en faire u n m o y e n
matériel mérite d'être puni de cette servitude intérieure
par la servitude extérieure ; autrement dit la censure, ou
plutôt : sa punition, c'est précisément l'existence de la cen-
sure.
Karl Marx, Débats sur la liberté de la presse,
« Rheinische Zeitung », 1842

363

Si quelqu'un m e montrait, entre l'indépendance complète et


l'asservissement entier de la pensée, une position intermé-
diaire où je pusse espérer m e tenir, je m ' y établirais peut-
être, mais qui découvrira cette position intermédiaire ? V o u s
partez de la licence de la presse, et vous marchez vers
l'ordre : que faites-vous ? V o u s soumettez d'abord les
écrivains auxjurés ; mais les jurés acquittent, et ce qui n'était
que l'opinion d ' u n h o m m e isolé devient l'opinion d u pays.
V o u s avez donc fait trop et trop peu ; il faut encore marcher.
V o u s livrez les auteurs à des magistrats permanents : mais
les juges sont obligés d'entendre avant que de condamner ;
ce qu'on eût craint d'avouer dans le livre, on le proclame
257
C O N C E P T FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E

impunément dans le plaidoyer ; ce qu'on eût dit obscurément


dans u n écrit se trouve ainsi répété dans mille autres.
L'expression est la forme extérieure, et, si je puis m'exprimer
ainsi, le corps de la pensée, mais elle n'est pas la pensée elle-
m ê m e . V o s tribunaux arrêtent le corps, mais l'âme leur
échappe et glisse subtilement entre leurs mains. V o u s avez
donc fait trop et trop peu ; il faut continuer à marcher. V o u s
abandonnez enfin les écrivains à des censeurs ; fort bien !
nous approchons. Mais la tribune politique n'est-elle pas
libre ? V o u s n'avez donc encore rien fait ; je m e trompe, vous
avez accru le mal. Prendriez-vous, par hasard, la pensée
pour une de ces puissances matérielles qui s'accroissent par
le nombre de leurs agents ? Compterez-vous les écrivains
c o m m e les soldats d'une armée? A u rebours de toutes les
puissances matérielles, le pouvoir de la pensée s'augmente
souvent par le petit nombre m ê m e de ceux qui l'expriment.
L a parole d ' u n h o m m e puissant, qui pénètre seule au milieu
des passions d'une assemblée muette, a plus de pouvoir que
les cris confus de mille orateurs ; et pour peu qu'on puisse
parler librement dans u n seul lieu public, c'est c o m m e si o n
parlait publiquement dans chaque village. Il vous faut donc
détruire la liberté de parler c o m m e celle d'écrire ; cette fois,
vous voici dans le port : chacun se tait. Mais o ù êtes-vous
arrivé? V o u s étiez parti des abus de la liberté, et je vous
retrouve sous les pieds d'un despote.
Alexis de Tocqueville, France,
D e la démocratie en Amérique, 1835

364

Je m e voyais contraint de rendre possible la publication de


mes travaux en les truffant de citations de Staline, et
d'exprimer m o n opinion dissidente avec toutes les précau-
tions nécessaires autant que m e le permettait la « marge de
respiration » qui nous était laissée de temps en temps à cette
époque. (...)
Je m e souviens bien, par exemple, du cas d ' u n philosophe
qui fut réprimandé parce qu'il traitait des déterminations de
258

LA T O L É R A N C E

la dialectique d'après les « Cahiers philosophiques » de


Lénine. O n lui fit remarquer que Staline avait énuméré dans
le quatrième chapitre de son « Histoire du Parti » moins de
distinctions sur la dialectique et en avait ainsifixédéfinitive-
ment le nombre et la nature. D o n c , il fallait simplement,
pour chaque problème traité, trouver la citation appropriée
de Staline (...)
— Qu'est-ce qu'une idée? d e m a n d a un camarade
allemand.
— U n e idée c'est le trait d'union entre deux cita-
tions.
György Lukács, 1885-1971, Hongrie

365

Je dois une fois de plus mettre en évidence que la censure


n'est pas la bonne méthode. Quelles que soient ses préten-
tions morales et religieuses, elle se traduit toujours dans la
pratique par la mise en évidence de la nécessité d ' u n
responsable ayant les qualités d ' u n dieu et par l'attribution
d'un salaire de chef de gare de second ordre, plus une prime
pour chaque pièce lue, à quelque mortel faillible qui
représentera l'Omniscience (...) Toute personne assez folle
ou assez misérable pour accepter u n tel poste ne tardera pas
à découvrir que, sauf pour les cas les plus évidents, il est
impossible de formuler un jugement. Elle établira donc une
liste courante de mots à ne pas utiliser et de sujets à ne pas
mentionner (en général, la religion et le sexe) et, bien que
ramenant ainsi son travail à la portée d ' u n simple employé
de bureau, elle le réduira du m ê m e coup à l'absurde. J'ai
trouvé dans l'exemplaire de m o n scénario tombé entre les
mains de l'Action catholique, que le m o t « paradis » et
l'allusion à un « halo » sont barrés c o m m e faisant partie de
la rubrique « religion ». Le m o t « d a m n é » est barré,
apparemment, parce que jugé profane. L e m o t Dieu est
barré, saint Denis est éliminé, des phrases entières contenant
les mots « religion », « archevêque », « péché mortel »,
« saint », « infernal », « office sacré » et autres semblables,
259
C O N C E P T FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

sont barrés sans tenir compte d u sens, parce qu'ils figurent


sur la liste. M ê m e le mot « bébé » est interdit, probablement
c o m m e peu distingué. Ces absurdités ne représentent pas la
sagesse de l'Eglise catholique, mais le désespoir d ' u n petit
employé qui tente de réduire cette sagesse à la dimension
d'une routine bureaucratique.
George Bernard Shaw, écrivain irlandais,
Lettre au « N e w York Times », 1936

366

Bref, nul n'est légalement à la merci du caprice du magistrat,


ou de ses préjugés, de son ignorance, de sa superstition, de
sa timidité, de son ambition ou de sa conviction personnelle.
Mais le gagne-pain, la réputation, l'inspiration et la mission
de l'auteur dramatique sont à la merci personnelle d u
censeur. L ' u n et l'autre ne sont pas, c o m m e le criminel et le
juge, en présence d'une loi qui les lie également tous deux et
n'a été faite ni par l'un, ni par l'autre, mais par la sagesse
collective, réfléchie de la c o m m u n a u t é . (...) Et lorsqu'on se
souvient d'une part que, en l'occurrence, l'esclave est
l ' h o m m e dont la profession est celle d'Eschyle et d'Euripide,
de Shakespeare et de Goethe, de Tolstoï et d'Ibsen, et
d'autre part que le maître est le détenteur d'une charge de
parti, qui, par la nature de ses obligations, exclut pratique-
ment la possibilité de son acceptation par u n h o m m e d'Etat
sérieux ou par un grand avocat, on constatera que les auteurs
dramatiques sont justifiés dans leurs reproches aux artisans
du dit Acte. (...) D a n s u n cas aussi extrême d'irréflexion, il
n'est pas surprenant qu'ils ne se soient pas inquiétés non plus
d'étudier la différence qu'il y a entre u n censeur et un
magistrat. Et on s'apercevra que presque tous ceux qui
défendent aujourd'hui la censure avec désintéressement
supposent qu'il n'y a pas de différence constitutionnelle entre
le censeur et n'importe quel fonctionnaire dont le devoir est
de réprimer le crime et le désordre.
George Bernard Shaw, 1856-1950, écrivain irlandais,
Le vrai Blanco Posnet
260

LA T O L É R A N C E

367
Méthodes d'inquisition modernes

L e problème devant lequel se trouvent les intellectuels de ce


pays est très sérieux. Les politiciens réactionnaires ont réussi
à éveiller dans le public, sous le prétexte d ' u n danger
extérieur, la méfiance à l'égard de tous les efforts intellec-
tuels. Forts de ce succès, ils sont maintenant en train de
supprimer la liberté de l'enseignement et de chasser de leur
poste ceux qui ne s'y plient pas, c'est-à-dire de les faire
mourir de faim.
Q u e doit faire la minorité intellectuelle contre ce mal ? Je
ne vois, à parler franc, que la voie révolutionnaire d u refus
de collaborer dans le sens de Gandhi. Tout intellectuel qui
est cité devant un comité devrait refuser de répondre, c'est-à-
dire être prêt à se laisser emprisonner et ruiner économique-
ment, bref à sacrifier ses intérêts personnels a u x intérêts
culturels d e son pays.
Mais ce refus ne devrait pas être basé sur le subterfuge
connu de l'auto-incrimination possible, mais sur le fait qu'il
est indigne d'un citoyen dont la réputation est sans tache de
se soumettre à une telle inquisition, qui est une infraction à
la Constitution. S'il se trouve assez de personnes disposées à
marcher sur ce chemin pénible, elles seront assurées d u
succès. Sinon, alors les intellectuels de ce pays ne méritent
pas mieux que l'esclavage qui leur est réservé.
Albert Einstein, 1879-1955, États-Unis d'Amérique,
Comment je vois le monde

368

L'Amérique est peut-être en ce m o m e n t le pays d u m o n d e


qui renferme dans son sein le moins de germes de révolution.
E n Amérique, cependant, la presse a les m ê m e s goûts
destructeurs qu'en France, et la m ê m e violence sans les
m ê m e s causes de colère. E n Amérique, c o m m e en France,
elle est cette puissance extraordinaire, si étrangement mélan-
gée de biens et de m a u x , que sans elle la liberté ne saurait
vivre, et qu'avec elle l'ordre peut à peine se maintenir.
261
C O N C E P T FIGÉ OU NOTION D Y N A M I g U E

C e qu'il faut dire, c'est que la presse a beaucoup moins


de pouvoir aux États-Unis que parmi nous. Rien pourtant
n'est plus rare dans ce pays q u e de voir une poursuite
judiciaire dirigée contre elle. L a raison en est simple : les
Américains, en admettant parmi eux le d o g m e de la
souveraineté d u peuple, en ont fait l'application sincère. Ils
n'ont point eu l'idée de fonder, avec des éléments qui changent
tous les jours, des constitutions dont la durée fût éternelle.
Attaquer les lois existantes n'est donc pas criminel, pourvu
qu'on ne veuille point s'y soustraire par la violence. (...)
E n matière de presse, il n ' y a donc réellement pas de
milieu entre la servitude et la licence. Pour recueillir les biens
inestimables qu'assure la liberté d e la presse, il faut savoir se
soumettre aux m a u x inévitables qu'elle fait naître. Vouloir
obtenir les uns en échappant aux autres, c'est se livrer à l'une
de ces illusions dont se bercent d'ordinaire les nations
malades, alors que, fatiguées de lutter et épuisées d'efforts,
elles cherchent les moyens de faire coexister à la fois, sur le
m ê m e sol, des opinions ennemies et des principes contraires.
Alexis de Tocqueville, France,
D e la démocratie en Amérique, 1835

369

À notre époque, tout conspire à transformer l'écrivain, et


chaque artiste créateur, en petit fonctionnaire qui traite des
thèmes qu'il reçoit d'en-haut et qui ne dit jamais ce qu'il
pense être toute la vérité. M a i s lorsqu'il essaie de lutter
contre ce destin q u ' o n lui impose, il ne reçoit pas de secours
de ceux qui devraient être ses alliés : c'est-à-dire qu'il
n'existe pas de puissante opinion publique pour lui assurer
qu'il a raison d e protester.
George Orwell, Royaume-Uni, O ù meurt la littérature? 1946

370
[Bertolt Brecht, interviewé par C. Bourdet et E. Sello :]

(...) D u point d e vue m ê m e de la société, u n écrivain ou


262

LA TOLÉRANCE

dramaturge qui n ' a pas d'opinions personnelles, n ' a aucune


valeur. Pour qu'il soit utile, il faut qu'il apporte d u nou-
veau. L ' h o m m e de théâtre n ' a pas à chercher ses leçons au-
près de l'État. L'Etat, au contraire, peut apprendre d u
dramaturge ; il y a toujours des problèmes, en effet, que la
société ne parvient pas à résoudre : c'est dans ce domaine-
là que travaille l'écrivain ; son imagination peut aider à
accomplir ces tâches ; il peut aussi en découvrir de nouvelles.
E n tout cas, il ne doit être ni u n miroir, ni u n porte-voix. Il
peut, naturellement, se faire le porte-voix d ' u n e opinion
officielle. M a i s seulement s'il l'approuve et si cela lui paraît
utile.
Sello : M a i s est-ce que, connaissant ces points d e vue, le
gouvernement de l'Allemagne de l'Est vous laisse une liberté
complète ?
Brecht : Totale. E n contrepartie d'une aide matérielle
considérable, je ne suis soumis à aucun contrôle.
Bourdet : L e gouvernement n'intervient pas d u tout pour vous
demander par exemple de modifier vos pièces ?
Brecht : Si, mais c o m m e tout le m o n d e .
(...)
Brecht : N o u s discutons constamment nos pièces avec les
spectateurs. Si vous saviez toutes les critiques et toutes les
suggestions de modifications que nous recevons, par exem-
ple, des milieux ouvriers ! Q u a n d c'est juste, o n en tient
compte. A v e c le gouvernement, c'est pareil. Ainsi, j'ai
discuté trois heures et demie avec plusieurs ministres, y
compris le Président d u Conseil, au sujet d e l'opéra d e
Dessau, « Lucullus ». Il y avait neuf points en cause ; sur sept
points j'avais raison et j'ai maintenu m o n point de vue; sur
deux, ils avaient raison, et j'ai modifié.
Bourdet : C'étaient des points politiques?
Brecht : Pas d u tout.
Sello : E n s o m m e , ils s'étaient transformés en critiques
dramatiques ?
Brecht, riant : C'est u n peu ça. E h bien, on m ' a vivement
reproché de leur avoir cédé sur ces deux points, alors qu'ils
avaient tout à fait raison, et alors que je fais des modifica-
263

C O N C E P T FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

tions très fréquentes et bien plus importantes sous l'influence


d u public.
Bertolt Brecht, 1898-1956,
République démocratique allemande

371
C a m a r a d e Miasnikov,

(...) M a tâche est autre : je dois apprécier vos lettres en tant


que documents littéraires et politiques.
C e sont des documents intéressants !
J'estime que l'article intitulé : « Questions névralgiques »
révèle de façon particulièrement évidente votre erreur fonda-
mentale. Et je crois devoir tout faire pour chercher à vous
convaincre (...).
... « Liberté de la presse depuis les monarchistes
jusqu'aux anarchistes. » Fort bien ! Mais veuillez m e
pardonner, tous les marxistes et tous les ouvriers qui ont
réfléchi à nos quatre années d'expérience révolutionnaire
diront : examinons de quelle liberté de presse il s'agit ? Pour
quoi ? Pour quelle classe ?
Nous ne croyons pas aux « absolus ». N o u s nous rions de
la « démocratie pure ».
Le m o t d'ordre de « liberté », de « liberté de la presse »
a pris une portée universelle à la fin d u m o y e n âge jusqu'au
xixc siècle. Pourquoi ? Parce qu'il émanait de la bourgeoisie
progressiste, en lutte contre les prêtres, les rois, les féodaux
et les seigneurs terriens. (...)
L a liberté de la presse accroîtra la force de la bourgeoisie
mondiale. C'est u n fait. L a « liberté de la presse » ne servira
pas à épurer le Parti communiste de Russie de ses faiblesses,
erreurs, calamités, maladies (il y a u n tas de maladies, c'est
incontestable), car la bourgeoisie mondiale ne le veut pas ; la
liberté de la presse deviendra une arme entre les mains de
cette bourgeoisie mondiale. Elle n'est pas morte. Elle vit
toujours. Elle est là tout près et nous guette.
Lettre de Lénine
à Miasnikov, 1921
264

LA TOLÉRANCE

372
[A une réunion pour la liberté d'opinion :]

N o u s nous s o m m e s réunis ici aujourd'hui pour défendre la


liberté d'opinion garantie par la Constitution des Etats-Unis,
et aussi pour la défense d e la liberté de l'enseignement. Par
le m ê m e témoignage, nous voulons attirer l'attention des
travailleurs intellectuels sur le grand danger qui menace
actuellement ces libertés. (...)
Il est à peine nécessaire d'insister sur le point que la
liberté de l'enseignement et de l'opinion, dans le livre ou
dans la presse, est le fondement d u développement sain et
naturel de n'importe quel peuple. Les leçons de l'histoire —
spécialement les tout derniers chapitres — ne sont que trop
claires sur ce point. C'est une obligation pour chacun de se
dresser de toute son énergie pour la préservation et l'accrois-
sement d e ces libertés et d'exercer toute son influence
possible pour mettre l'opinion publique en garde de ce
danger.
Albert Einstein, 1879-1955,
Etats-Unis d'Amérique

373
[Discours aux écrivains et aux artistes,
le 8 mars 1963]

N o u s donnons notre adhésion aux positions de classe en art,


et nous nous opposons énergiquement à la coexistence
pacifique des idéologies socialiste et bourgeoise. L'art relève
du domaine de l'idéologie. C e u x qui croient que le réalisme
socialiste et les tendances formalistes, abstractionnistes,
peuvent vivre paisiblement dans l'art soviétique, ceux-là
glissent inévitablement sur les positions d e la coexistence
pacifique en matière d'idéologie, positions qui nous sont
étrangères.
Nikita S. Khrouchtchev, 1894-1971, U R S S ,
Cité dans « Le M o n d e », Paris, 1971
265
C O N C E P T FIGÉ OU NOTION D Y N A M I Q U E

374

Interdit d'interdire. L a liberté c o m m e n c e par une interdic-


tion : celle de nuire à la liberté d'autrui.
Les murs ont la parole, Sorbonne,
Paris, Mai 1968

375
M'ame Anastasie

Censure (Anastasie), illustre engin liberticide français, née à


Paris sous le règne de Louis XIII. Elle estfillenaturelle de
Séraphine Inquisition et compte de nos jours dans sa
nombreuse famille quelques autres personnages également
très connus : Ernest C o m m u n i q u é , Z o é Bonvouloir, le
vicomte Butor de Saint-Arbitraire et Agathe Estampille, ses
cousine, tante et beaux-frères (...)
L e pape Alexandre V I , qui avait été un de ses premiers
pères, avait laissé u n petit manuscrit intitulé : « Guide du
parfait censeur » à l'aide duquel Anastasie avait pu faire
son éducation. Voici quelques extraits de cet intéressant
travail.
Io L a censure est l'art de découvrir dans les œuvres
littéraires ou dramatiques les intentions malveillantes ;
2° L'idéal est d'y découvrir les intentions, m ê m e quand
l'écrivain ne les a pas eues ;
3° U n censeur capable doit, à première vue, dé-
terrer dans le m o t ophicléide une injure à la morale publi-
que ;
4° L a devise d u censeur est « coupons, coupons, il en
restera toujours trop » ;
5° Le censeur doit être persuadé que chaque m o t d ' u n
ouvrage contient une allusion perfide. Q u a n d il parviendra
à découvrir l'allusion il coupera la phrase. Q u a n d il ne la
découvrira pas, il la coupera aussi, attendu que les allusions
les mieux dissimulées sont les plus dangereuses.
Louis André Gill, dans « L'Eclipsé »,
1874, France
266
LA T O L É R A N C E

376

Défense de ne pas afficher.


Les murs ont la parole, Sorbonne, Paris, Mai 1968

Le refus du ghetto

Accord ambigu surtout qui s'est fait dans le mépris des majorités
colonisées ou des minorités raciales que, réglant des conflits entre s
Blancs, l'on excluait de « l'héritage de la terre ».
Selon le code, écrit ou non, des nations qui se disaient civilisées,
ne pouvait en aller autrement : les « soutiers de l'Occident » se devaient
d'être sans voix. Or, plus légitimement peut-être que d'autres, ces
hommes se font entendre : « la soumission, faite de colère et
d'amertume », infailliblement, éclate en révolte, rendant caduques le
paix séparées et illusoire telle liberté qui pense faire bon ménage av
le racisme.

377

Lorsque nos pieds touchèrent enfin le sable, je r a m p a i


jusqu'à la plage, et, tout heureux, je restai longtemps à m e
reposer à plat. Enfin, je m e retournai sur le dos pour regarder
les étoiles, elles brillaient si fort et si loin (...)
Tout en les contemplant je m e recueillis pour chercher le
sens de cette vie, à la m e s u r e de l'existence que j'avais m e n é e
en Afrique d u S u d , pendant presque vingt et u n ans. D è s m a
naissance, chaque jour, l'un après l'autre avait été d o m i n é
par ces trois mots, souvent invisibles mais omniprésents :
Réservé aux Européens.
D u fait d e ces trois m o t s j'étais n é dans la crasse et la
misère des taudis, j ' y avais passé m o n enfance et presque
toute m a jeunesse ; d u fait d e ces trois mots, bien des
générations avaient vécu, l'une après l'autre, dans cette
m ê m e crasse, dans cette m ê m e misère des taudis. L e
rachitisme avait m a r q u é m o n corps et je n'étais q u ' u n p a r m i
des millions. J'avais d û gagner d e l'argent bien avant d e
267

C O N C E P T FIGÉ OU NOTION DYNAMIQUE

pouvoir fréquenter une école, et tant d'autres enfants, noirs


ou métis, n'y avaient m ê m e jamais été. L'instruction gratuite
et obligatoire était « réservée aux Européens », tout ce qu'il
y avait de b o n et de beau sur terre était « réservé aux
Européens ». L e m o n d e d'aujourd'hui .leur appartenait tout
entier.
D a n s nos contacts avec eux, les Blancs m'avaient
clairement laissé entendre qu'ils étaient des seigneurs tout-
puissants, que l'univers et ses richesses étaient leurfief,à eux
tout seuls. L a plupart d'entre eux ne m'avaient parlé que le
langage de la force physique, le langage de la brutalité ;
c o m m e ils étaient les plus forts, j'avais d û m e soumettre (...)
Mais la soumission d u plus faible prend, quelquefois, une
forme subtile : u n h o m m e peut se soumettre aujourd'hui
pour mieux résister demain. C'est dans cet état d'esprit que
je m'étais soumis aux Blancs. Et parce queje n'ai jamais été
libre de montrer m e s sentiments réels, ni de m'exprimer
sincèrement, m a soumission avait été faite de colère et
d'amertume.
Il y avait, en Afrique d u Sud, presque dix millions
d'autres individus soumis, eux aussi, dans la colère et
l'amertume. U n jour, les Blancs devront compter avec ces
gens-là ! U n jour, leursfilset leursfillesse trouveront face à
face avec la fureur de ce peuple qu'on a si longtemps opprimé
et provoqué. D e u x millions de Blancs ne régneront pas
toujours en seigneurs tout-puissants sur dix millions de gens
de couleur. Et ils auront peut-être à subir cette m ê m e
épreuve de force qu'ils nous ont imposée dans leurs rapports
avec nous.
Pour moi, personnellement, la vie en Afrique d u Sud
avait pris fin (...) Devant la réalité, m ê m e les bonnes
intentions de mes amis parmi les Blancs m e devenaient
suspectes : il m e fallait donc choisir entre quitter l'Afrique du
Sud ou m e perdre pour toujours. Je n'avais besoin ni d'amis
ni de bonnes intentions, mais d'être m o i - m ê m e et de remplir
m a condition d ' h o m m e , et c'était u n besoin désespéré
(•••)

L a vie contenait peut-être u n sens qui dépassait la race


268
LA T O L É R A N C E

et la couleur? Si cela était, ce n'est pas en Afrique d u S u d


queje le découvrirais jamais.
Peter Abrahams, né en 1919, en Afrique du Sud, Tell freedom
(Je ne suis pas un h o m m e libre)

378
L e Rebelle

Est-ce qu'ils croient m'avoir c o m m e la laie et le marcassin ?


m'extirper c o m m e une racine sans suite ?
vaincu,
Afrique, Amérique, Europe, j'ai de la frénésie cachée sous les
feuilles
à m a suffisance ;
je tiens à l'abri des cœurs à l'abri des furies
la clé des perturbations
et tout à détruire
le soufre m o n frère, le soufre m o n sang
répandra dans les cités les plus orgueilleuses
ses effluves parfumés
les charismes de sa grâce
inutile d e m e contredire
je n'entends rien
rien que les catastrophes qui montent à la relève des villes.
Aimé Césaire, Martinique, Les armes miraculeuses, 1946

L a fin de la tolérance classique


Que peut désormais désigner la « tolérance » telle que mode
jusqu'ici? Un concept singulièrement limité dans un réel en const
élargissement et renouvellement. Les usages mêmes du mot dénoncent
faux équilibre, un souci de statu quo plus qu'ils n'invitent à
l'assentiment solidaire de l'homme à l'homme. Ce qu'il désigne a
fond, c'est une quarantaine tantôt malaisée, plus souvent résignée.
Tandis que le monde s'élargit sous l'impulsion des courants de la
civilisation industrielle et des moyens modernes de communication,
toutes frontières deviennent dérisoires, le racisme, même déguis
269
C O N C E P T FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E

« pittoresque », n'est pas déraciné de l'esprit ni du cœur des hommes :


« voir son voisin, en effet, ce n'est pas encore le connaître », tant il est
vrai que « nous ne nous connaissons encore que par des actes de
commerce, de guerre, de politique temporelle ou spirituelle, toutes
relations auxquelles sont essentielles la notion d'adversaire et le mépris
de l'adversaire ».
Autre contradiction, autre illusion : on veut assimiler les autres
cultures à « des valeurs auxquelles on attribue une perfection
indiscutable » mais, dans le même temps, on ne croit pas ces mêmes
cultures « capables d'atteindre le but qu 'on leur propose »ou impose.
Ainsi formulée, la relation renvoie très exactement au revers de la
tolérance classique.
Devant ce jeu dérisoire des « anomalies » et en détournant le propos
de Diderot, on pourrait dire : Insensés que vous êtes ; abolissez ces
prétentions qui rétrécissent votre champ de perception, élargissez
l'homme, « voyez-le partout où il est et ne dites pas qu'il n'est point »,
reconnaissez-le comme « présence vivante et charnelle », porteur de
particularités créatrices mais en même temps d'universalité, qu'il
croie en un Dieu particulier ou au changement consubstantiel à
l'homme.
« Il faut donc écouter le blé qui lève (...), éveiller toutes les
vocations à vivre ensemble que l'histoire tient en réserve. » Il faut certes
à cela « une dynamique confrontation, unflotmouvant du Je au T o i »,
mais il y faut surtout la prise de conscience de l'évidence que « le
contexte politique de la tolérance s'est modifié (...) D'activé, la
tolérance est devenue passive ; laissez faire les autorités en place : c'est
donc le peuple qui tolère le gouvernement qui, à son tour, tolère
l'opposition dans les limitesfixéespar les autorités. »
Bref, la tolérance s'est sclérosée : parcellaire et spécifique, elle s'est
figée en concept ; libérale, elle s'est trop souvent compromise au service
d'intérêts économiques minoritaires au déni de principe de toute égalité
vraie ; révolutionnaire, elle demeure encore sous bénéfice d'inventaire de
l'Histoire.
En une phrase lapidaire, un écrivain croyant de ce siècle, Paul
Claudel, assurait : « la tolérance? il y a des maisons pour cela ! ».
L'on pourrait sans risque ajouter : une certaine tolérance? il y a des
cimetières pour cela, les dictionnaires, ou, peut-être, les anthologies.
Il en va autrement sur le plan de la longue et douloureuse
270

LA T O L É R A N C E

modulation historique où une nouvelle mutation s'impose, celle d


concept clos en vision à l'infini et à chaque instant totalisatrice

379
De la liberté spirituelle à notre époque

M a vie durant je n'ai pas p u souffrir ce m o t d e « tolérance »,


tolérer les autres, les supporter m ê m e , c'est d'abord d e
l'outrecuidance et puis ce terme a u n e nuance d e faiblesse,
il a quelque chose d e m o u .
Theodor Heuss, République fédérale d'Allemagne,
Discours, 1959

380

L e racisme est une des manifestations les plus troublantes de


la vaste révolution qui se produit dans le m o n d e . A u m o m e n t
où notre civilisation industrielle pénètre sur tous les points de
la terre, arrachant les h o m m e s de toutes couleurs à leurs plus
anciennes traditions, une doctrine à caractère faussement
scientifique est invoquée pour refuser à ces m ê m e s h o m m e s ,
privés de leur héritage culturel, une participation entière aux
avantages de la civilisation qui leur est imposée. Il existe
donc au sein de notre civilisation, une contradiction fatale :
d'une part, elle souhaite ou elle exige l'assimilation des
autres cultures à des valeurs auxquelles elle attribue u n e
perfection indiscutable et d'autre part, elle ne se résout pas
à admettre que les deux tiers de l'humanité soient capables
d'atteindre le but qu'elle leur propose.
Alfred Métraux, États-Unis d'Amérique,
Article dans « Le Courrier de l'Unesco », 1950

381

Mais tout m è n e les populations d u globe à u n état de


dépendance réciproque si étroit et de communications si
rapides qu'elles n e pourront plus, dans quelque temps, se
méconnaître assez pour que leurs relations se restreignent à
271
CONCEPT FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E

de simples m a n œ u v r e s intéressées. Il y aura place pour autre


chose que les actes d'exploitation, de pénétration, de coerci-
tion et de concurrence.
Paul Valéry, France, Regards sur le monde actuel, 1931

382
Colonialisme et néo-colonialisme

À l'origine d u pittoresque il y a la guerre et le refus de


comprendre l'ennemi : de fait, nos lumières sur l'Asie nous
sont venues d'abord d e missionnaires irrités et de soldats.
Plus tard sont arrivés les voyageurs — commerçants et
touristes — qui sont des militaires refroidis : le pillage se
n o m m e « shopping » et les viols se pratiquent onéreusement
dans des boutiques spécialisées. Mais l'attitude de principe
n'a pas changé : o n tue moins souvent les indigènes-mais o n
les méprise en bloc, ce qui est la forme civilisée du massacre ;
on goûte l'aristocratique plaisir de compter les séparations.
«Je m e coupe les cheveux, il natte les siens ; je m e sers d'une
fourchette, il use de bâtonnets ; j'écris avec une plume d'oie,
il trace les caractères avec u n pinceau ; j'ai les idées droites,
et les siennes sont courbes : avez-vous remarqué qu'il a
horreur d u m o u v e m e n t rectiligne, il n'est heureux que si tout
va de travers. » Ç a s'appelle le jeu des anomalies : si vous en
trouvez une de plus, si vous découvrez une nouvelle raison
de ne pas comprendre, on vous donnera, dans votre pays, u n
prix de sensibilité. C e u x qui recomposent ainsi leur sembla-
ble c o m m e une mosaïque de différences irréductibles, il ne
faut pas s'étonner s'ils se demandent ensuite c o m m e n t on
peut être chinois.
Enfant, j'étais victime d u pittoresque : o n avait tout fait
pour rendre les Chinois intimidants. (...)
Puis vint M i c h a u x qui, le premier, montra le Chinois
sans â m e ni carapace, la Chine sans lotus ni Loti.
U n quart de siècle plus tard, l'album de Cartier-Bresson
achève la démystification.
Il y a des photographes qui poussent à la guerre parce
qu'ils font de la littérature. Ils cherchent u n Chinois qui ait
272

LA T O L É R A N C E

l'air plus chinois que les autres ; ilsfinissentpar le trouver.


Ils lui font prendre une attitude typiquement chinoise et
l'entourent de chinoiseries. Qu'ont-ils fixé sur la pellicule?
U n Chinois ? N o n pas : l'Idée chinoise.
Les photos de Cartier-Bresson ne bavardent jamais. Elles
ne sont pas des idées : elles nous en donnent. Sans le faire
exprès. Ses Chinois déconcertent : la plupart d'entre eux
n'ont jamais l'air assez chinois. H o m m e d'esprit, le touriste
se demande c o m m e n t ils font pour se reconnaître entre eux.
M o i , après avoir feuilleté l'album, je m e d e m a n d e plutôt
comment nous ferions pour les confondre, pour les ranger
tous sous une m ê m e rubrique. L'Idée chinoise s'éloigne et
pâlit : ce n'est plus qu'une appellation c o m m o d e . Restent des
h o m m e s qui se ressemblent en tant q u ' h o m m e s . Des présen-
ces vivantes et charnelles qui n'ont pas encore reçu leurs
appellations contrôlées.
Jean-Paul Sartre, France, Situations V , 1964

383

Dans u n m o n d e où les distances entre pays sont presque


nulles, de tels problèmes ne sauraient être ignorés. « Toute
vie est rencontre » a dit un philosophe contemporain. Malgré
les barrières idéologiques érigées par l ' h o m m e de ce temps
avec une détermination perverse, nous vivons effectivement
une période de « rencontre ». L a télévision, la photographie
et les satellites de communication constituent peut-être les
symboles actuels de ce fait. Mais voir son voisin — et tout le
m o n d e est voisin maintenant — ce n'est pas le connaître.
Tout c o m m e le cerveau interprète les messages d u nerf
optique, nous devons, nous aussi, nous équiper pour inter-
préter les messages provenant des autres peuples.
O n a dit du racisme qu'il est u n état d'esprit pathologi-
que, une forme d'irrationalisme, une sorte d'épidémie. Ces
termes sous-entendent qu'il existe un état de santé auquel on
peut accéder et qui peut être maintenu dans u n m o n d e où
coexistent des nations diverses. Il nous appartient d'user de
toutes les ressources dont nous disposons et des techniques
273

C O N C E P T FIGÉ O U NOTION D Y N A M I Q U E

que nous dominons pour enrichir notre vie à la faveur d'un


effort sincère et lucide de compréhension et d'appréciation de
l'autre tendant à la réalisation de la rencontre entre les
peuples.
Disons encore que les horreurs des camps de concentra-
tion nazis devraient nous convaincre de l'urgence pour nous
tous d'acquérir des habitudes de compréhension et de
tolérance.
Robert Gardiner, États-Unis d'Amérique,
A world of peoples, B . B . C . , Londres, 1966

384

Il convient de considérer l'ensemble de l'humanité c o m m e


un seul organisme, et un peuple c o m m e un de ses membres.
U n e douleur qui affecte le bout d ' u n doigt fait souffrir
l'organisme tout entier. Si tel point du m o n d e est en proie à
un mal, gardons-nous de dire : « Q u e m'importe? » Il
importe que nous nous intéressions à ce m a l tout c o m m e
nous le ferions s'il se manifestait parmi nous. Si lointain que
puisse être le théâtre d ' u n incident, nous ne devons jamais
oublier ce principe.
Kemal Atatürk, 1881-1938, Turquie

385

L a nécessité de préserver la diversité des cultures dans u n


m o n d e menacé par la monotonie et l'uniformité n'a certes
pas échappé aux institutions internationales. Elles compren-
nent aussi qu'il ne suffira pas, pour atteindre ce but, de
choyer des traditions locales et d'accorder un répit aux temps
révolus. C'est le fait de la diversité qui doit être sauvé, non
le contenu historique que chaque époque lui a donné et
qu'aucune ne saurait perpétuer au-delà d'elle-même. Il faut
donc écouter le blé qui lève, encourager les potentialités
secrètes, éveiller toutes les vocations à vivre ensemble que
l'histoire tient en réserve; il faut aussi être prêt à envisager
sans surprise, sans répugnance et sans révolte ce que toutes
274

LA TOLÉRANCE

ces nouvelles formes sociales d'expression ne pourront


manquer d'offrir d'inusité. L a tolérance n'est pas une
position contemplative, dispensant les indulgences à ce qui
fut et à ce qui est. C'est une attitude dynamique, qui consiste
à prévoir, à comprendre et à promouvoir ce qui veut être. L a
diversité des cultures humaines est derrière nous, autour de
nous, et devant nous. L a seule exigence que nous puissions
faire valoir à son endroit (créatrice pour chaque individu de
devoirs correspondants) est qu'elle se réalise sous des formes
dont chacune soit une contribution à la plus grande
générosité des autres.
Claude Lévi-Strauss, France, Race et histoire, 1952

386
Je et Tu
L a véritable c o m m u n a u t é , celle en devenir (nous ne connais-
sons qu'elle, jusqu'ici), c'est quand une pluralité de person-
nes ont cessé d'être les uns-auprès-des-autres ; et si elles se
dirigent toutes ensemble vers u n m ê m e but, elles n'en
éprouvent pas moins, partout, u n m o u v e m e n t de mutuelle
rencontre, une dynamique confrontation, u nflotmouvant du
Je au Tu. L a c o m m u n a u t é est là o ù se fait la c o m m u n a u t é .
L a collectivité se fonde sur un dépérissement organisé des
qualités qui constituent la personne ; la c o m m u n a u t é sur leur
intensification et sur leur confirmation dans la mutualité. L e
zèle que notre temps voue à la collectivité est une fuite de la
personne devant l'épreuve de la c o m m u n a u t é et le sacre de
la communauté, une fuite devant la dialogique vitale au
cœur d u m o n d e , qui exige l'engagement de soi-même.
Martin Buber, 1878-1965, Israël, La vie en dialogue

387

L a tolérance a toujours été nécessaire au bonheur et à la


prospérité de la race humaine. Aujourd'hui, elle est néces-
saire à sa survivance.
Sir Richard Winn Livingstone, Royaume-Uni,
Tolerance in theory and practice, 1954
275

C O N C E P T FIGÉ O U NOTION D Y N A M I g U E

388

L e contexte politique de la tolérance s'est modifié : constitu-


tionnellement, le bénéfice d e la tolérance a plus o u moins
cessé d'être accordé à l'opposition ; en revanche la tolérance
a été rendue obligatoire envers la politique établie. D'activé,
la tolérance est devenue passive ; laissez faire les autorités en
place ! C'est donc le peuple qui tolère le gouvernement qui,
à son tour, tolère l'opposition dans les limites fixées par les
autorités.
L a tolérance envers ce qui est radicalement mauvais se
trouve être une bonne chose puisqu'elle assure la cohésion de
la société entière sur le chemin de la richesse et de la
surabondance. O n tolère la « crétinisation » systématique à
la fois des enfants et des adultes par la publicité et la
propagande, une manière agressive de conduire qui sert de
défoulement a u x désirs d e destruction, le recrutement et
l'entraînement d e troupes spéciales, sans compter la tolé-
rance bienveillante et impuissante d e toutes sortes de fraudes
commerciales, le gaspillage et le vieillissement p r o g r a m m é
des produits de consommation : tout cela n e constitue ni
entorses, ni déviations a u système, mais son essence m ê m e ,
qui est de cultiver la tolérance c o m m e u n m o y e n de
perpétuer la lutte pour la vie et de supprimer toute liberté de
choix.
Herbert Marcuse, Etats-Unis d'Amérique,
Critique de la tolérance pure

Clausule d'attente
Dans l'action et l'intervalle, c'est au poète d'être à la fois « la
mauvaise conscience de son temps » et de susciter, sans plus de rêve ni
d'utopie, une époque « neuve et joyeuse » où, « à simple vue, l'homme
connaisse l'homme ».

389

A u poète indivis d'attester parmi nous la double vocation de


276

LA TOLÉRANCE

l ' h o m m e . Et c'est hausser devant l'esprit u n miroir plus


sensible à ses chances spirituelles. C'est évoquer dans le
siècle m ê m e une condition humaine plus digne de l ' h o m m e
originel. C'est associer enfin plus hardiment l'âme collective
à la circulation de l'énergie spirituelle dans le m o n d e (...)
Face à l'énergie nucléaire, la lampe d'argile du poète suffira-
t-elle à son propos ? — Oui, si d'argile se souvient l ' h o m m e .
Et c'est assez, pour le poète, d'être la mauvaise
conscience de son temps.
Saint-John Perse, France, Amers, 1957

390
Mdiakovski commence

A h , que soit une neuve


époque joyeuse
d'un blé humain
gorgé, —
sans chardons, sans orties,
désherbée,
défrichée,
bêchée.
Qu'il ne soit en elle
conditions
ni places
pour les valets tout miel,
les trompeurs, les cagots,
ni le mot qui flagorne,
ni la fuite poltronne.
Q u ' à simple vue
l ' h o m m e connaisse l ' h o m m e .
Nicolas Asseev, U R S S , 1940
D e la tolérance
à la connaissance

« Salaud! Macaque ! Sauvage ! Sorcier!... » D'autres initiateurs, de


Socrate à nos jours ont dû essuyer de telles insultes, en ces termes et non
sous la forme civilisée gui parfois seule nous parvient. C'est que l'âge
du Bodkisatta est révolu et que l'Histoire désormais prend le relais du
mythe. Un Lumumba, symbole ici politique, meurt ou renaît au
moment où, comme dans la tragédie grecque, le peuple procède aux
funérailles du demi-dieu asiatique. Désormais, tout est pris en charge
— temporel et spirituel — par le politique, et l'Histoire, par
moments, se met à ressembler à ce « cauchemar » dont un personnage
de /'Ulysse de Joyce « essaie de s'éveiller » et où s'affrontent
« l'invention du passé et les inventeurs du futur ».

391
Lumière. Dans un camp d'entraînement au Katanga. Un mercenaire ;
devant lui un mannequin représentant un nègre sur lequel tout à l'heure
il fera des cartons. En attendant, il nettoie son arme en chantonnant.

L E M E R C E N A I R E , chantant :
A u nord, au sud,
au désert, sous les tropiques,
brousse ou jungle ou marais des deltas,
pluie,fièvreou moustiques,
peau que le soleil tanna,
nouveau chevalier
278

LA T O L É R A N C E

sens ton c œ u r se gonfler,


c'est pour le droit et la liberté !
/ / se met en position de tir devant le mannequin.
Salaud ! M a c a q u e ! Sauvage ! Sorcier ! Ingrat ! Violeur d e
religieuses ! P a n et p a n et p a n !
/ / tire.
O h ! O h ! cette race satanique a la vie dure ! Regardez-le avec
ses gros y e u x blancs et sa grosse gueule rouge !
P a n et p a n et p a n ! Attrape ça !
/ / tire.
J'en ai v u ! M o r t s , ils continuaient à avancer sur vous ! Il
fallait les re-tuer dix fois ! O n dit q u e leurs sorciers leur
promettent d e changer nos balles en eau ! P a n et p a n et p a n !
/ / tire, le mannequin dégringole.
J e doute q u e celle-là ait été changée e n eau !
/ / rit.
Mais m o i , je suis e n eau ! O u f ! Il fait chaud ! C h a u d et soif!
foutu pays !
/ / s'essuie le front et se verse une rasade, il chantonne.
Y en a qui font la mauvaise tête
A leurs parents
Qui font des dettes, qui font la bête,
Inutilement,
Qui, u n beau soir, de leur maîtresse
Ont plein le dos,
Ilsfichentle c a m p , pleins de tristesse
Pour le C o n g o !
Le noir s'est installé.
Quand la lumière revient, le mercenaire blanc tient encore en main s
revolver fumant, mais, par terre, le mannequin est remplacé par deux
cadavres, Okito et M'Plo. Entrent M'siri et un mercenaire, poussant
Lumumba. Brusquement, M'siri se précipite sur Lumumba, qu'il
frappe au visage.
(...)
M ' S I R I : T u as v u c o m m e ils ont craché les balles tes copains ?
A nous d e u x maintenant !
Le mercenaire tente d'interveir.
M ' S I R I lui arrachant sa baionnette...
279
DE LA T O L É R A N C E À LA CONNAISSANCE

N o n ! J'ai u n compte personnel à régler avec ce monsieur !


S'adressant à Lumumba :
A nous deux ! Alors, c'est vrai ce q u e l'on raconte que tu te
crois invulnérable !
/ / lui appuie l'arme sur la poitrine.
T u répondras quand o n te parle !
L U M U M B A : C'est bien M'siri ! J'attendais cette confronta-
tion ! Elle était nécessaire ! N o u s s o m m e s deux forces ! les
deux forces ! T u es l'invention d u passé et je suis un
inventeur d u futur !
M ' S I R I : Il paraît q u ' a u Kasaï, vous avez de puissants
sortilèges. Pelu d e zunzi ou autre chose, c'est le m o m e n t de
les mettre à l'épreuve !
L U M U M B A : M'siri, c'est une idée invulnérable que j'incarne,
en effet ! Invincible c o m m e l'espérance d ' u n peuple, c o m m e
le feu de brousse en brousse, c o m m e le pollen de vent en
vent, c o m m e la racine dans l'aveugle terreau.
M ' S I R I : Et ça, et ça ! tu ne le sens pas ? inexorable ! T u ne le
sens pas à travers le terreau de ta couenne, s'enfoncer vers
ton c œ u r !
L U M U M B A : Méfie-toi, il y a dans m a poitrine u n dur noyau,
le silex contre quoi s'ébréchera ta lame ! C'est l'honneur de
l'Afrique !
M ' S I R I , ricanant :
L'Afrique ! Elle se fout de toi, l'Afrique ! Elle ne peut rien
pour toi, l'Afrique ! M e sens-tu h o m m e à boire ton sang et à
manger ton c œ u r !
L U M U M B A : J'ai toute la nuit entendu pleurer, rire, gémir et
gronder... c'était l'hyène!
M ' S I R I : Il crâne ! Mais tu ne crois pas si bien dire ! T u ne la
vois pas la mort qui te plante les yeux dans les yeux ! T u vis
ta mort, et tu ne la sens pas !
L U M U M B A : Je meurs m a vie et cela m e suffit.
M ' S I R I : Tiens !
/ / enfonce la lame.
Alors, prophète, qu'est-ce que tu vois ?
LUMUMBA :
Je serai d u c h a m p , je serai d u pacage,
280

LA T O L É R A N C E

J e serai avec le pêcheur W a g e n i a ,


J e serai avec le bouvier d u K i v u ,
J e serai sur le m o n t , je serai d a n s le ravin.
M ' S I R I : Finissons-en.
/ / appuie.
L U M U M B A : O h ! cette rosée sur l'Afrique ! J e regarde, je vois,
camarades, l'arbre flamboyant, des p y g m é e s , d e la h a c h e ,
s'affairent autour d u tronc précaire, mais la tête qui grandit,
cite a u ciel qui chavire le rudiment d ' é c u m e d ' u n e aurore.
M ' S I R I : Salaud !
Lumumba tombe.
Au mercenaire :
Chien, achève-le.
Coup de feu, le mercenaire donne le coup de grâce à Lumumba.
A i m é Césaire, Martinique, U n e saison au Congo,
acte m , scènes V et V I , 1967

L e mystique et le désir
de salut universel
Si dans l'histoire humaine l'issue de certains combats peut sembler
incertaine, il est en revanche des victoires définitives : celle de la li
religieuse en est. Dépassant empêchements majeurs et haines, naguère
encore tenues pour inexpiables, les chefs spirituels de toutes transc
dances, toute prétention mondaine dépouillée, sont en quête d'un
nouveau langage ou peut-être tentent de réinventer, en l'universalisan
le message initial.
Paul VI, à la tribune des Nations Unies, rappelle que « le sang
de millions d'hommes, que des souffrances inouïes et innombrables, que
d'inutiles massacres et d'épouvantables ruines sanctionnent le pacte qui
vous unit en un serment qui doit changer l'histoire future du monde :
jamais plus la guerre, jamais plus la guerre ! C'est la paix, la paix,
qui doit guider le destin des peuples et de toute l'humanité!... Nous
devons nous habituer à penser d'une manière nouvelle l'homme, d'une
manière nouvelle aussi la vie en commun des hommes, d'une manière
nouvelle enfin les chemins de l'histoire et les destins du monde... ». Es
ce là autre chose que d'appeler, comme faisait Goethe, à « une piété
281
DE LA T O L É R A N C E À LA CONNAISSANCE

universelle; donner à nos sentiments de probité et d'humanité une


extension plus large et... ne pas les rapporter seulement à nos proches,
mais au genre humain tout entier? ».' '•Abduh, Gandhi, Buber,
d'horizons si différents, ne tiennent pas d'autre langage — celui du
« front unique » — en notre siècle d'errance et d'acier.
Un ordre plus haut, le « passionné du milieu divin », ébloui par
l'évidence « que la seule éternité humaine capable d'embrasser
dignement le Divin est celle de tous les bras humains ouverts ensemble »
ne saurait, sans trahir le Dieu vivant, prétendre exclure tel ou tel
homme du salut éternel.

392

Et ici Notre message atteint son s o m m e t . Négativement


d'abord : c'est la parole que vous attendez d e N o u s et q u e
N o u s ne pouvons prononcer sans être conscient de sa gravité
et d e sa solennité ; jamais plus les uns contre les autres, jamais,
plus jamais ! N'est-ce pas surtout dans ce but qu'est née
l'Organisation des Nations Unies : contre la guerre et pour
la paix ? Écoutez les paroles lucides d ' u n grand disparu, J o h n
K e n n e d y , qui proclamait, il y a quatre ans : « L ' h u m a n i t é
devra mettre fin à la guerre, o u c'est la guerre qui mettra fin
à l'humanité. » Il n'est pas besoin d e longs discours pour
proclamer lafinalitésuprême d e votre Institution. Il suffit de
rappeler q u e le sang de millions d ' h o m m e s , q u e des
souffrances inouïes et innombrables, q u e d'inutiles m a s s a -
cres et d'épouvantables ruines sanctionnent le pacte qui vous
unit, en u n serment qui doit changer l'histoire future d u
m o n d e : jamais plus la guerre, jamais plus la guerre ! C'est
la paix, la paix, qui doit guider le destin des peuples et de
toute l'humanité !
(...)
Parler d ' h u m a n i t é , de générosité, c'est faire écho à u n
autre principe constitutif des Nations Unies, son s o m m e t
positif: ce n'est pas seulement pour conjurer les conflits entre
les Etats q u e l'on œ u v r e ici; c'est pour rendre les Etats
capables d e travailler les uns pour les autres. V o u s ne vous
contentez pas d e faciliter la coexistence entre les nations;
282

LA T O L É R A N C E

vous faites u n bien plus grand pas en avant, digne de Notre


éloge et de Notre appui ; vous organisez la collaboration
fraternelle des Peuples. Ici s'instaure u n système de solida-
rité, qui fait q u e de hautes finalités, dans l'ordre de la
civilisation, reçoivent l'appui u n a n i m e et ordonné de toute la
famille des Peuples, pour le bien de tous et d e chacun. C'est
ce qu'il y a d e plus beau dans l'Organisation des Nations
Unies, c'est son visage le plus h u m a i n , le plus authentique;
c'est l'idéal dont rêve l'humanité dans son pèlerinage à
travers le temps ; c'est le plus grand espoir d u m o n d e . N o u s
oserons dire : c'est le reflet d u dessein de D i e u — dessein
transcendant et plein d ' a m o u r — pour le progrès de la
société h u m a i n e sur la terre.
(...)
U n m o t encore, Messieurs, u n dernier m o t : cet édifice
que vous construisez ne repose pas sur des bases purement
matérielles et terrestres, car ce serait alors u n édifice
construit sur le sable ; il repose avant tout sur nos conscien-
ces. O u i , le m o m e n t est venu de la « conversion », de la
transformation personnelle, d u renouvellement intérieur.
N o u s devons nous habituer à penser d ' u n e manière nouvelle
l ' h o m m e ; d ' u n e manière nouvelle aussi la vie en c o m m u n
des h o m m e s , d ' u n e manière nouvelle enfin les chemins de
l'histoire et les destins d u m o n d e , selon la parole de saint
Paul : « revêtir l ' h o m m e nouveau créé selon Dieu dans la
justice et la sainteté de la vérité » (Ephésiens, 4 , 23). Voici
arrivée l'heure o ù s'impose u n e halte, u n m o m e n t de
recueillement, de réflexion, quasi d e prière : repenser à notre
c o m m u n e origine, à notre histoire, à notre destin c o m m u n .
Paul V I , pape, Message de paix à l'Assemblée générale des
Nations Unies, 1965

393
La doctrine du Satyàgraha

M o n sentiment est que les nations ne peuvent être réellement


une et q u e leurs activités ne sauraient conduire a u bien
c o m m u n de l'humanité entière, à moins d e reconnaître
283
DE LA T O L É R A N C E À LA CONNAISSANCE

expressément la loi familière (d'amour) dans les choses


nationales et internationales, en d'autres termes, dans l'ordre
politique. Les nations ne peuvent être civilisées que dans la
mesure où elles obéissent à cette loi.
Mahatma Gandhi, 1869-1948, Inde

394

Pour moi la Bible, l'Evangile et le Coran sont trois livres


concordants, trois prédications entièrement unies entre elles ;
les gens religieux les étudient tous les trois et les vénèrent
également; ainsi se complète l'enseignement divin, et sa
vraie religion brille à travers toutes les religions.
Les trois grandes religions étant ainsi animées d ' u n
m ê m e esprit, l'hostilité entre leurs adeptes ne saurait durer
longtemps. Je prévois le jour prochain où luira parmi les
h o m m e s la connaissance parfaite et où se dissiperont les
ténèbres de l'ignorance ; alors les deux grandes religions, le
Christianisme et l'Islam s'apprécieront mutuellement et se
tendront la main.
al-Cheikh M u h a m m a d c Abduh, Egypte,
Al-Islâm wa-1-Nasrâniya (Islam et christianisme), 1901

395

Le passionné du Milieu divin ne peut supporter autour de soi


l'obscurité, la tiédeur, le vide, dans ce qui devrait être tout
plein et vibrant de Dieu. A l'idée des innombrables esprits,
liés à lui dans l'unité d'un m ê m e M o n d e , et autour de qui
n'est pas encore suffisamment allumé le feu de la Présence
divine, il se sent c o m m e transi. Il avait p u croire quelque
temps que, pour toucher Dieu à la mesure de ses désirs, il lui
suffisait d'étendre sa seule main, sa main à lui. Il s'aperçoit
maintenant que la seule étreinte humaine capable d'embras-
ser dignement le Divin est celle de tous les bras humains
ouverts ensemble pour appeler et accueillir le Feu. L e seul
sujet définitivement capable de la Transfiguration mystique
284

LA T O L É R A N C E

est le groupe entier des h o m m e s ne formant plus q u ' u n corps


et qu'une â m e dans la charité.
Pierre Teilhard de Chardin, 1881-1955, France,
Le milieu divin, essai de vie intérieure

396

C o m m e en Occident le m o t Dieu, dans son sens usuel,


désigne une Personne, des h o m m e s dont l'attention, la foi et
l'amour portent exclusivement sur l'aspect impersonnel de
Dieu, peuvent se croire et se dire athées, bien q u e l'amour
surnaturel habite dans leur â m e . Ceux-là sont sûrement
sauvés.
Ils se reconnaissent à leur attitude à l'égard des choses
d'ici-bas. T o u s ceux qui possèdent à l'état pur l'amour d u
prochain et l'acceptation de l'ordre d u m o n d e , y compris le
malheur, tous ceux-là, m ê m e s'ils vivent et meurent en
apparence athées, sont sûrement sauvés.
C e u x qui possèdent parfaitement ces deux vertus, m ê m e
s'ils vivent et meurent athées, sont des saints.
Simone Weil, 1909-1943, France, Lettre à un religieux

397

Pour ceux qui aiment d ' a m o u r vrai Dieu-la-Vérité, les


habitants d u m o n d e entier sont c o m m e de vrais frères.
M o n péché? L e voici : J'ai dit que les soixante-douze
peuples différents constituent, tous, une seule vérité.
Celui qui sent [le parfum] de l'amour n ' a plus besoin ni
de religion, ni de nation. Celui qui compte son être pour u n
rien, peut-il distinguer entre les religions et les sectes ?
J'ai trouvé celui queje cherchais manifeste dans l'âme de
l ' h o m m e . Il ne cesse d'aspirer à se libérer, à s'évader d u
corps dans lequel il est enfermé.
C'est lui qui a noué le talisman ; lui qui parle en toutes
les langues ; lui que ni ciel, ni terre ne peuvent contenir, et
il est venu se loger dans l'âme de l ' h o m m e .
C'est lui qui fait construire des maisons de charité pour
285
DE LA T O L É R A N C E À LA CONNAISSANCE

les pauvres, des villas et des palais ; lui qui, u n m a s q u e noir


sur le visage, s'affaire devant le fourneau d ' u n bain public.
Y u n u s , tes paroles ont u n sens profond pour ceux qui
savent les déchiffrer ; elles dureront après toi : viendront des
temps o ù o n les dira encore.
Y u n u s Emre, poète populaire x m e siècle, Turquie

398

J'accepte toutes les religions qui ont existé dans le. passé et
m e joins à toutes p o u r adorer D i e u . J'adore Dieu ensemble
avec chacune d'elles, quelles q u e soient les formes d e cette
adoration. J e m e rendrais à la m o s q u é e des M a h o m e t a n s ; je
pénétrerais dans l'Église d u Christ, et je m'agenouillerais
devant le Crucifix ; j'entrerais dans u n temple consacré à
B o u d d h a et chercherais refuge auprès d u B o u d d h a et d e sa
loi. J e m e rendrais dans la forêt et m e joindrais aux H i n d o u s
qui y méditent, s'efforçant d e percevoir la L u m i è r e qui
éclaire le c œ u r d e chacun d e nous. N o n seulement je ferais
toutes ces choses, mais m o n c œ u r restera ouvert à ce qui
adviendra dans l'avenir (...) N o u s a s s u m o n s tout ce qui a
existé dans le passé, jouissons de la lumière d u présent et
ouvrons toutes les fenêtres d e notre c œ u r pour accueillir ce
q u e l'avenir nous apportera. N o u s rendons h o m m a g e à tous
les prophètes d u passé, a u x grands h o m m e s d e ce t e m p s et
à tous ceux qui surgiront à l'avenir.
Le Swami Vivekananda, 1863-1902, Inde

Le politique et le combat
pour le bonheur ici d'abord
Dans le même temps, pour le passionné du milieu humain, le message
hypostasié a inversé ses sources qui ne peuvent être qu'en deçà : il parle
histoire non théologie, relations humaines concrètes non ontologie.
« L'extinction des haines de race », préalable à toute égalité et à
toute justice, n'est pas accomplie. Or, force est de voir « que ce
sentiment est partagé... par les peuples qui, dans les compétitions des
286

LA T O L É R A N C E

quatre derniers siècles entre puissances occidentales, se sont taillés la


part du lion — au moins pour le moment — dans l'héritage de la
Terre ». Nulle issue aussi longtemps que l'on n'aura pas d'abord
reconnu à tout particularisme « une nature humaine universelle », que
la pensée ne se sera pas imposé comme impératif catégorique de
s'interroger sur « ce qui est vrai pour tous les hommes, non sur ce qui
est vrai pour quelques individus ». Ces vérités-là, de toute évidence,
sont désormais d'essence politique. Politiques la misère et les inégalités
sociales ; politiques le racisme, le colonialisme et leurs succédanés :
comment la révolte ou les révolutions qui cherchent à mettrefinaux unes
et aux autres ne le seraient-elles pas? La liberté, l'égalité, la justice,
bref, le bonheur « ici maintenant et d'abord » n'est ni un destin, ni un
don, ni un rêve ; il se conquiert par tous dominés sur tous dominants :
invariablement, l'histoire accomplie ou se faisant, se compose un visage
des traits de ceux-là non de ceux-ci. Quant à la tolérance — cet essai
de tragédie optimiste a tenté de le montrer — elle est, comme tout le
reste, contradictoire parce qu'appauvrie et détournée, mais en définitive
ouverte parce que mouvante et libératrice au gré du conflit créateur entre
« la structure économique et politique d'une part, et la théorie et la
pratique d'autre part ».
Modifier, si peu que ce soit — et la modification est inéluctable —
cette contradiction sera le rôle de la nouvelle tolérance qui devra chercher
toujours plus d'égalité, de justice, par un effort inédit de reconnaisance
et de solidarité réelle où le dieu Or devra être, comme les anciennes
idoles, détruit. Alors seulement la fraternité humaine n'aura plus à se
couvrir du masque de tolérance.

399

L'extinction des haines de race entre M u s u l m a n s est un des


accomplissements moraux les plus considérables de l'Islam ;
dans le m o n d e contemporain, le besoin de la propagation de
cette vertu musulmane se fait sentir de façon criante ; et bien
que l'histoire semble montrer que, dans l'ensemble, le
préjugé de race ait été l'exception plutôt que la règle, dans
les constants échanges de l'espèce humaine, une des fatalités
de la situation présente est que ce sentiment est partagé —
et fortement — par les peuples qui, dans les compétitions des
287
DE LA T O L É R A N C E À LA CONNAISSANCE

quatre derniers siècles entre puissances occidentales, se sont


taillé la part d u lion — au moins pour le m o m e n t — dans
l'héritage de la Terre.
Arnold J. Toynbee, 1889-1975, Royaume-Uni,
La civilisation à l'épreuve

400

N ' y a-t-il pas une nature humaine universelle, c o m m e il y a u n e


nature universelle des plantes et des astres ? L a philosophie
s'interroge sur ce qui est vrai, non sur ce qui est valable ; elle
s'interroge sur ce qui est vrai pour tous les h o m m e s , non sur
ce qui est vrai pour quelques individus ; ses vérités métaphy-
siques ne connaissent pas les frontières de la géographie
politique; ses vérités politiques savent trop bien o ù les
« frontières » c o m m e n c e n t pour confondre l'horizon illusoire
d'une conception particulière d u m o n d e et d u peuple avec le
véritable horizon de l'esprit humain.
Karl Marx, editorial de la « Kölnische Zeitung », 1842

401
Le communisme de « l'Observateur rhénan »

(...) O n lit encore :


N o u s d e m a n d o n s aussi dans le « Pater Noster » : « N e
nous induis pas en tentation. » Et ce q u e nous d e m a n d o n s
pour nous, nous devons l'appliquer n o u s - m ê m e s à notre
prochain. O r , il est sûr que nos conditions sociales sont u n e
tentation pour l ' h o m m e et que l'excès de misère incite a u
crime.
Karl Marx, Article paru dans la Gazette allemande de Bruxelles,
1847

402

C'est avec une a m è r e ironie qu'on observera que le dévelop-


pement d u racisme s'est effectué parallèlement à celui de
l'idéal démocratique, q u a n d il a fallu recourir au prestige
288

LA T O L É R A N C E

nouvellement acquis de la science pour rassurer les conscien-


ces chaque fois que, d e façon trop criante, on violait o u
refusait de reconnaître les droits d'une portion de l'humanité
(...)
Il n ' y a pas de races de maîtres e n face de races
d'esclaves : l'esclavage n'est pas né avec l ' h o m m e , il n ' a fait
son apparition que dans des sociétés assez développées a u
point de vue technique pour pouvoir entretenir des esclaves
et en tirer avantage pour la production (...)
Le préjugé racial n ' a rien d'héréditaire n o n plus que d e
spontané; il est u n « préjugé », c'est-à-dire un jugement de
valeur non fondé objectivement, et d'origine culturelle : loin
d'être donné dans les choses o u inhérent à la nature
humaine, il fait partie de ces mythes qui procèdent d'une
propagande intéressée bien plus que d ' u n e tradition i m m é -
moriale. Puisqu'il est lié essentiellement à des antagonismes
reposant sur la structure économique des sociétés modernes,
c'est dans la mesure o ù les peuples transformeront cette
structure q u ' o n le verra disparaître, c o m m e d'autres préju-
gés qui ne sont pas des causes d'injustice sociale mais plutôt
des symptômes. Ainsi, grâce à la coopération de tous les
groupes humains, quels qu'ils soient, sur u n plan d'égalité,
s'ouvriront pour la Civilisation des perspectives insoup-
çonnées.
Michel Leiris, France, Cinq études d'ethnologie, 1969

403

O lumière amicale
ô fraîche source de la lumière
ceux qui n'ont inventé ni la poudre ni la boussole
ceux qui n'ont jamais su dompter la vapeur ni l'électricité
ceux qui n'ont exploré ni les mers ni le ciel
mais ceux sans qui la terre ne serait pas la terre
gibbosité d'autant plus bienfaisante que la terre
déserte davantage la terre
silo où se préserve et mûrit ce que la terre a de plus terre
m a négritude n'est pas une pierre, sa surdite ruée
289
DE LA T O L É R A N C E À LA CONNAISSANCE

contre la clameur du jour


m a négritude n'est pas une taie d'eau morte sur l'œil
mort de la terre
m a négritude n'est ni une tour ni une cathédrale

elle plonge dans la chair rouge du sol


elle plonge dans la chair ardente d u ciel
elle troue l'accablement opaque de sa droite patience
(•••) _

et voici au bout de ce petit matin m a prière virile


queje n'entende ni les rires ni les cris, les yeuxfixéssur cette
ville que prophétise, belle
(•••)

Faites-moi rebelle à toute vanité, mais docile à son génie


[« cet unique peuple »]
c o m m e le poing à l'allongée d u bras !
Faites-moi commissaire de son sang
faites-moi dépositaire de son ressentiment
faites de moi un h o m m e de terminaison
faites de moi un h o m m e d'initiation
faites de moi un h o m m e de recueillement
mais faites aussi de m o i u n h o m m e d'ensemencement.
(•••)

Mais les faisant, m o n coeur, préservez-moi de toute haine


ne faites point de moi cet h o m m e de haine pour qui je n'ai
que haine
car pour m e cantonner en cette unique race
vous savez pourtant m o n amour tyrannique
vous savez que ce n'est point par haine des autres races
que je m'exige bêcheur de cette unique race

que ce que je veux


c'est pour la faim universelle
pour la soif universelle
la s o m m e r libre enfin
de produire de son intimité close
la succulence des fruits.
Aimé Césaire, Martinique,
Cahier d'un retour au pays natal, 1947
290
LA T O L É R A N C E

404

L ' h o m m e n'est ni le bon sauvage de Rousseau, ni le pervers


d e l'église et de L a Rochefoucauld. Il est violent quand o n
l'opprime, il est doux quand il est libre.
Les murs ont la parole, Sorbonne,
Paris, Mai 1968

405

Je crois à l'existence d ' u n « droit naturel » de résistance pour


les minorités opprimées, écrasées, selon lequel elles pour-
raient recourir à des moyens extra-légaux, dès que les
moyens légaux ont révélé leur inefficacité. L a loi et l'ordre
demeurent toujours et partout la loi et l'ordre faits pour
protéger la hiérarchie établie; c'est donc une absurdité que
d'invoquer l'autorité absolue des lois et de l'ordre, contre
ceux qui en souffrent et les combattent, n o n pour obtenir des
avantages personnels ou pour assouvir u n e vengeance per-
sonnelle, mais bien parce qu'ils veulent vivre en h o m m e s . Il
n'existe aucun autre juge de leur conduite que les autorités
constituées, la police et leur propre conscience. Q u a n d ils
recourent à la violence, ne pensons pas qu'ils déclenchent
une série nouvelle de violences, mais bien qu'ils essayent de
briser celle qui existe. Ils seront punis et ils le savent.
Puisqu'ils veulent prendre ce risque, personne, et surtout pas
les éducateurs et les intellectuels, n ' a le droit de leur prêcher
la non-violence.
Herbert Marcuse, États-Unis d'Amérique,
Critique de la tolérance pure

406
Le socialisme

(...) O h , le travail de l'Histoire n'est pas fini,


C'est u n rocher poussé vers en haut par nos bras.
Q u e nous cédions, et il accable notre poitrine,
Q u e nous nous reposions, et il broie notre tête.
291
DE LA T O L É R A N C E À LA CONNAISSANCE

O h , le travail d e l'Histoire n'est pas fini,


C e globe n'est pas t r e m p é encore a u feu d e l'Esprit.
C K . Norwid, Pologne, 1861

Homme ancien, monde nouveau


Nouvelle utopie ou bien l'approche d'un saut qualitatif basculant dans
un nouvel âge de l'humain ? « Signes annonciateurs de quelque chose
d'autre qui est en marche » : « la frivolité et l'ennui qui envahissent
ce qui subsiste encore, le pressentiment vague d'un inconnu ». Plus
concrètement, la faillite, le procès planétaire et la condamnation encore
à venir de la violence structurelle de l'âge qui n'enfinitpas de mourir.
Peut-être alors seulement, l'homme rendu à l'homme ne sera plus en
retard, aux yeux de l'Histoire sur son propre destin, au regard de Dieu
sur son propre salut.
« Beaux enfants, vous sortez de nous, nos douleurs vous auront
faits. Ce siècle est une femme, il accouche... » Pour eux « chante déjà
plus hautaine aventure », « parmi les ruines saintes et l'émiettement
des vieilles termitières ».

407

D u reste, il n'est pas difficile d e voir que notre temps est u n


temps d e gestation et d e transition à une nouvelle période ;
l'esprit a r o m p u avec le m o n d e d e son être-là et d e la
représentation qui a duré jusqu'à maintenant; il est sur le
point d'enfouir ce m o n d e dans le passé, et il est dans le
travail de sa propre transformation. E n vérité, l'esprit n e se
trouve jamais dans u n état d e repos, mais il est toujours
emporté dans u n m o u v e m e n t indéfiniment progressif; seule-
m e n t , il en est ici c o m m e dans le cas d e l'enfant; après u n e
longue et silencieuse nutrition, la première respiration dans
u n saut qualitatif, interrompt brusquement la continuité d e
la croissance seulement quantitative, et c'est alors q u e
l'enfant est né ; ainsi l'esprit qui se forme mûrit lentement et
silencieusement jusqu'à ce que sa nouvelle figure désintègre
fragment par fragment l'édifice d e son m o n d e précédent;
292
LA T O L É R A N C E

l'ébranlement de ce m o n d e est seulement indiqué par des


symptômes sporadiques ; la frivolité et l'ennui qui envahis-
sent ce qui subsiste encore, le pressentiment vague d ' u n
inconnu sont les signes annonciateurs de quelque chose
d'autre qui est en marche. Cet émiettement continu qui
n'altérait pas la physionomie du tout est brusquement
interrompu par le lever d u soleil qui, dans un éclair, dessine
en une fois la forme d u nouveau m o n d e .
Hegel, Allemagne,
Phénoménologie de l'esprit, 1807

408

Siècles, voici m o n siècle, solitaire et difforme, l'accusé. M o n


client s'éventre de ses propres mains ; ce que vous prenez
pour une lymphe blanche, c'est du sang : pas de globules
rouges, l'accusé meurt de faim. Mais je vous dirai le secret
de cette perforation multiple : le siècle eût été bon si l ' h o m m e
n'eût été guetté par son ennemi cruel, immémorial, par
l'espèce carnassière qui avait juré sa perte, par la bête sans
poils et maligne, par l ' h o m m e . U n et u n font un, voilà notre
mystère. L a bête se cachait, nous surprenions son regard,
tout à coup, dans les yeux intimes de nos prochains ; alors
nous frappions : légitime défense préventive. J'ai surpris la
bête, j'ai frappé, u n h o m m e est tombé, dans ses yeux
mourants j'ai vu la bête, toujours vivante, moi. U n et u n font
u n : quel malentendu ! D e qui, de quoi, ce goût ranee et fade
dans m a gorge ? D e l ' h o m m e ? D e la bête ? D e m o i - m ê m e ?
C'est ce goût d u siècle. Siècles heureux, vous ignorez nos
haines, comment comprendriez-vous l'atroce pouvoir de nos
mortelles amours. L ' a m o u r , la haine, un et un... Acquittez-
nous ! M o n client fut le premier à connaître la honte : il sait
qu'il est nu. Beaux enfants, vous sortez de nous, nos douleurs
vous auront faits. C e siècle est une f e m m e , il accouche,
condamnerez-vous votre mère ! H é ? Répondez donc ! (Un
temps.) L e trentième ne répond plus. Peut-être n'y aura-t-il
plus de siècles après le nôtre. Peut-être qu'une b o m b e aura
soufflé les lumières. Tout sera mort : les yeux, les juges, le
293
DE LA T O L É R A N C E À LA CONNAISSANCE

temps. Nuit. O tribunal de la nuit, toi qui fus, qui seras, qui
es, j'ai été ! J'ai été !
Jean-Paul Sartre, France, Les séquestrés d'Altona,
acte v, scène III, 1960

409

« ... G r a n d âge, nous voici — et nos pas d ' h o m m e s vers


l'issue. C'est assez d'engranger, il est temps d'éventer et
d'honorer notre aire.
« D e m a i n , les grands orages maraudeurs, et l'éclair au
travail [...] L e caducée d u ciel descend marquer la terre de
son chiffre. L'alliance est fondée.
« A h ! q u ' u n e élite aussi se lève, de très grands arbres sur
la terre, c o m m e tribu de grandes â m e s et qui nous tiennent
en leur conseil [...] Et la sévérité d u soir descende, avec
l'aveu d e sa douceur, sur les chemins de pierre brûlante
éclairés de lavande [...]
« Frémissement alors, à la plus haute tige engluée
d ' a m b r e , de la plus haute feuille mi-déliée sur son onglet
d'ivoire.
« Et nos actes s'éloignent dans leurs vergers d'éclairs

« A d'autres d'édifier, parmi les schistes et les laves. A


d'autres de lever les marbres à la ville.
« Pour nous chante déjà plus hautaine aventure. Route
frayée d e m a i n nouvelle, et feux postés de cime en cime.

« L'offrande, ô nuit, o ù la porter ? et la louange, la fier ?


[...] N o u s élevons à bout d e bras, sur le plat de nos mains,
c o m m e couvée d'ailes naissantes, ce c œ u r entenebré de
l ' h o m m e o ù fut l'avide, et fut l'ardent, et tant d ' a m o u r
irrévélé [...]
« Ecoute, ô nuit, dans les préaux déserts et sous les arches
solitaires, parmi les ruines saintes et l'émiettement des
vieilles termitières, le grand pas souverain de l'âme sans
tanière,
« C o m m e aux dalles d e bronze où rôderait u n fauve.
294

LA T O L É R A N C E

« Grand âge, nous voici. Prenez mesure d u cœur


d'homme. »
Saint-John Perse, France, Chronique, 1960

Si l'homme ne déchoit...
Commencé sous le signe de l'invention musicale, ce « livre de bonne
foi » s'achève et s'ouvre à nouveau en postulation d'harmonie.
Au-delà des concepts couplés colère-amour, ennemi-ami, déchéance-
devoir, différent-semblable, trahison-pardon dont nous avons tenté
d'illustrer ici, sans les civiliser, les réalités vivantes, c'est cette mél
encore inconnue mais que chacun perçoit confusément qu'il appartient
aux hommes enfin dignes de l'humain de formuler et qui sans doute
modulera, sur les ruines d'un monde qui fut, la forme d'un monde
nouveau, meilleur, juste.

410

Sarastro

Dans ces salles sacrées


la colère est inconnue
et l'Amour ramènera vers le devoir
l'homme qui était tombé.
Alors la main dans celle d'un ami
il ira, joyeux, vers u n m o n d e meilleur.

Dans ces murs sacrés,


où l'homme aime son prochain,
nul traître ne se cache,
car nous pardonnons à nos ennemis.
Celui qui n'entend pas cet enseignement
ne mérite pas d'être un h o m m e .
(Ils sortent)
Wolfgang A m a d e u s Mozart, Autriche, L aflûteenchantée,
livret d ' E m m a n u e l Shikaneder, d'après u n conte oriental,
acte m , tableau V I I , scène XIII, 1791
Bibliographie

Le Secrétariat de ¡'Unesco s'est efforcé d'obtenir une autorisation explicite de


reproduire ceux des extraits du présent recueil qui ne sont pas entrés dans le
domaine public et, grâce à l'obligeance de tous, il l'a obtenue dans la quasi-
totalité des cas. On voudra bien l'excuser d'omissions éventuelles et de ce qu'il
n'a pas cru devoir renoncer à certains extraits d'ouvrages dont il n'est pas
parvenu à atteindre l'éditeur ou l'auteur.

' A B D A L - R Â Z E Q , ' A U (1888-1966, Egypte). Al-Islâm ma usai al-hukm


[L'Islam et les principes de gouvernement] (1925). Cité et trad,
par A . 'Abdel-Malek dans : Anthologie de la littérature arabe
contemporaine, t. II, Les Essais, p . 85-86. Paris, Editions d u Seuil,
1965. 277
C
A B D U H , M u h a m m a d , Cheikh (1849-1905, Egypte). Al-Islâm wa-l-
Nasràniya (1901). D a n s Rissolât al-Tawhïd (Exposé de la religion
musulmane), p . X L V I - X L V I I . T r a d . B . Michel et M . c A b d al-Râzeq.
Paris, Paul Geuthner, 1925. 347, 394
A B É L A R D , Pierre (1079-1142, France). Dialogue entre un philosophe, un
juif et un chrétien. 96, 105, 129
Proposition c o n d a m n é e au Concile de Sens. 131
D a n s : Œuvres choisies, p . 2 1 3 , 217, 2 2 2 ; p . 133. T r a d . M . de
Gandillac. Paris, Aubier, 1945.
A B R A H A M S , Peter (né en 1919 en Afrique d u S u d ) . Tell fieedom. Trad.
M . Klopper et D . S h a w - M a n t o u x : Je ne suis pas un homme libre,
p . 303-305. Tournai, C a s t e r m a n , 1956. 377
296

LA T O L É R A N C E

A B U A L - ( A L Ä ' A L - M A < A R R Í , A h m a d b . <Abd Allah (979-1058, Syrie).


Poème. D a n s : Siqt al-Zand [L'étincelle du silex]. Beyrouth,
1884. Déjà introduit dans Le droit d'être un homme. Paris,
Unesco/Laffont et Lausanne, Payot, 1968. 206

A B U B A K R A L - S I D D Ï Q (570?-634? premier calife de l'Islam). R e c o m -


mandations aux armées d ' A s â m a . Cité par Al-Tabarï dans
Tarïkh [Annales], t. III, p . 226-227. L e Caire, D a r al-Ma<ärif,
s.d. 173

AcoNTius, J A C O B U S (1492-1566? Italie). Jacobi Acontii Satanae Stra-


tagemata (1565). Cité par J. Lecler d a n s Histoire de la tolérance au
siècle de la Réforme, t. I, p . 355. Paris, Aubier, 1955. 110

A K B A R L E G R A N D (1542-1605, empereur moghol de l'Inde). Cité par


Abûl-Fazl dans Ain in Akhbari, vol. III. Trad, du persan en angl.
H . S . Jarrett. Calcutta, Royal Asiatic Society of Bengal, 1948.
Trad, franc. E . Treves. 219

' A L I ben Abï Tâlib (mort en 661, quatrième calife de l'Islam). Cité
par H . al-Marsâfï dans Al-Wasîla al-abadiya, t. II, p . 595. L e
Caire, Editions de l'Imprimerie khédivale, 1884. 60

A N T I P H O N (479-411 av. J . - C , Grèce antique). Fragments, 5. Trad.


L. Gernet. D a n s : Discours, p. 178. Paris, Les belles lettres, 1923.
Déjà reproduit dans Le droit d'être un homme. Paris, Unesco/Laf-
font et Lausanne, Payot, 1968. 31

A S S E E V , Nicolas (1889-1963, U R S S ) . Maïakovski c o m m e n c e (1940).


Trad. Elsa Triolet. Dans : La poésie russe, p. 298. Paris, Seghers,
1965. Déjà reproduit dans Le droit d'être un homme. Paris,
Unesco/Laffont et Lausanne, Payot, 1968. 390

A T A T Ü R K , Mustafa K e m a l (1881-1938, Turquie). Cité dans : Atatiirk,


p. 224. Ankara, Commission nationale turque pour l'Unesco,
1963. Déjà reproduit dans Le droit d'être un homme. Paris,
Unesco/Laffont et Lausanne, Payot, 1968. . 384

Atharvaveda (1200-1000 av. J . - C , Inde, sanscrit védique). D a n s :


Hymns fiom the Vedas [Hymnes d u V e d a ] , p . 205. Trad, d u
sanscrit en angl. Shri Abinash Chandra Bose. B o m b a y , Asia
Publishing House, 1966. Trad, franc. E . Treves. 11

A U G U S T I N , saint (évêque d'Hippone, Carthage, 354-430). Sermons.


Cité par R . Joly dans Revue Belge de Philologie et d'Histoire,
t. C C C X X V , p . 288. Bruxelles, 1955. 155
297

BIBLIOGRAPHIE

BALADHÛRÏ. Voir M U H A M M A D et TRAITÉ.

B A Y L E , Pierre (1647-1706, France). Commentaire philosophique sur les


paroles de Jésus-Christ, t. II, p . 361. Paris, 1686. 236
Cité par M . R a y m o n d dans Pierre Bayle, p. 137. Paris, Egloff,
1948. 259
Cité par R . Joly dans « Pierre Bayle et là tolérance ». Dans :
Marches Romanes, t. I V , p . 71, 78 et 77. Liège, juil.-sept. 1954.
171, 246, 278

B E A U M A R C H A I S , Pierre Augustin C a r o n de (1732-1799, France). Le


mariage de Figaro (1784), acte v, scène III, p . 345-347. Paris,
Gallimard, 1957. (Coll. Bibliothèque de la Pléiade.) 158

B E N T K O V S K I , Felix (1781-1852). Histoire de la littérature polonaise, t. I,


p. 99. Varsovie-Wilno, 1814. 256

B E R C H T O L D , archevêque de M a y e n c e (xv e siècle, Allemagne).


O r d o n n a n c e d e 1486. Cité par L . - G . Robinet dans La censure,
p. 17. Paris, Hachette, 1965. 146

Bible. Voir Bible hébràique et Nouveau Testament.

Bible hébràique. La Bible, p . 795, 188, 24-25, 1268 et 1008. Paris,


Éditions d u Cerf, 1956 :
P s a u m e s , 146 24
D e u t é r o n o m e 10, 18-19 49
Genèse 18, 22-25 56
Zacharie 7, 9-10 58
Isaïe 19, 24-25 94

B O C C A G E , Giovanni B O C C A C C I O , dit (1313-1375, Italie). Le Decame-


ron, p . 52-54. Trad. Francisque Reynard. Paris, L e Club
Français d u Livre, 1953. 108

B O D I N , Jean (1530-1596, France). Colloquium heptaplomeres (1593),


p. 33-38. T r a d , d u latin R . Chauviré. Paris, Sirey, 1914. 233

B O E H M E , Jacob (1575-1624, Allemagne). De regeneration, V I I , 7. Cité


par J. Lecler dans Histoire de la tolérance au siècle de la Réforme, t. I,
p. 199. Paris, Aubier, 1955. 65

B O K A R , Salif Tall T I E R N O - (1884-1940, Mali et Sénégal). Cité par


T h . M o n o d dans : « U n h o m m e de Dieu : Tierno Bokar ».
Présence Africaine n o s 8-9, p . 156. Paris, 1950. 345

B O R G E S , Jorge Luis (1899-1986, Argentine). Cité et trad, par


V . Monteil dans : Anthologie bilingue de la poésie hispanique
298

LA TOLERANCE

contemporaine, Espagne-Amérique, p . 359-361. Paris, Librairie


C . Klincksieck, 1959. ¡15 bis

B R E C H T , Bertolt (1898-1956, République démocratique allemande).


Cité par L . Goblot dans : Apologie de la censure, p . 151-152.
Rodez, Supervie, 1959. 370
Cité par R . Wintzen dans : Bertold Brecht, p . 175-176. Paris,
Seghers, 1967. 341

B U B E R , Martin (1878-1965, Israël). Fragments on revelation. D a n s :


Believing in humanism, p . 115-116. N e w York, Simon and
Schuster, 1967. Trad, franc. E . Treves. 349
Ich und Du — Zwiesprache (1923). Trad. J. Loewenson-Lavi.
Dans : La vie en dialogue, Je et Tu, p . 139. Paris, Aubier,
1959. 386

B U L L E Veritas ipsa d u pape Paul III (4e jour avant les nones de juin
1537). D a n s Annales minorum seu trium ordinum (1516-1540), X V I ,
3 e éd. Florence, 1933. Déjà reproduit dans Le droit d'être un
homme. Paris, Unesco/Laffont et Lausanne, Payot, 1968. 166

B U R K E , E d m u n d (1729-1797, Grande-Bretagne). Speech on the


second reading of a bill for the relief of Protestant dissenters
(1773). [Discours prononcé lors de la seconde lecture d'une loi
sur l'amélioration de la condition légale des dissidents protes-
tants]. D a n s : Works of Edmund Burke, p . 40. Londres, Rivingtons
Ltd., 1813. Trad, franc. E . Treves. 273

B U S I A , Kofi A . (né en 1913, G h a n a ) . Africa in search of democracy,


p. 97-98. Londres, Routledge and K e g a n Paul et N e w York,
Praeger, 1967. Trad, franc. E . Treves. 332

C A P E K , Karel (écrivain tchèque, 1890-1938). Aphorismes. 175, 180

C A R L Y L E , T h o m a s (1795-1881, R o y a u m e - U n i de Grande-Bretagne
et d'Irlande d u N o r d ) . S'adressant aux Noirs (1853). Trad,
franc. E . Treves. 316

C A S T E L L I O N , Sébastien (1515-1563, France). Conseil à la France désolée


(1562). F . Walkhoff (ed.). Genève, Droz, 1967. 227

C E R I O L , Furio (xvie siècle, Espagne). Consejo y consejeros del principe


p. 322. Anvers, Biblioteca de Autores Españoles, 1556. 265

C E R V A N T E S , Miguel de (1547-1616, Espagne). Don Quijote de La


Mancha (1605-1616), p . 187. Barcelone, Iberia, 1949. 243
299

BIBLIOGRAPHIE

CÉSAiRE, A i m é (né en 1913, Martinique). Cahier d'un retour au pays


natal, p . 75-77. Paris, Présence africaine, 1956 (lre éd.
1947). 403
Et les chiens se taisaient. D a n s : Les armes miraculeuses, p . 184-
185. Paris, Gallimard, 1946. 378
Ferrements, p . 26. Paris, Éditions d u Seuil, 1960. 4
Une saison au Congo, acte m , scènes V et V I , p. 107-111. Paris,
Éditions d u Seuil, 1967. 391

C H A R L E S Q U I N T . Voir D É C R E T ( S ) .

C H A R T E dite des Saxons (4 juillet 1777), octroyée par Alexandre


Ypsilanti, prince de Valachie (1774-1782). Cité par V . A . Ure-
che dans : Istoria Românilor, t. I, p. 56-57. Bucarest, C . Gobi,
1891. 292

C H I L A N B A L A M D E C H U M A Y E L (fixé au xvie siècle, Amérique cen-


trale), Livre sacré des M a y a s . Trad. esp. A . Mediz Bolio.
Dans : Libro del Chilam Balam de Chumayel, 2 e éd., p. 16-17, 25-26
et 158. Mexico, Universidad Nacional, 1952. Déjà reproduit
dans Le droit d'être un homme. Paris, Unesco/Laflbnt et Lausanne,
Payot, 1968. 190

C O L O M B , Christophe (1450/51-1506, né à Gênes). Lettre de la


Jamaïque (1503). Cité par Karl M a r x dans : Le capital,
p. 673-674. Paris, Gallimard, 1963. (Coll. Bibliothèque de la
Pléiade.) 5

C O M E N I U S , J a n A m o s (1592-1670, écrivain tchèque). De rerum


humanarum emendatione consultatio catholica. Halae, Typis et impen-
ses orphanotrophii, 1702.
Cf. J.A. Comenius, Pages choisies. Paris, Unesco, 1957. Déjà
reproduit dans Le droit d'être un homme. Paris, Unesco/Laffont et
Lausanne, Payot, 1968. 264

C O N C I L E œcuménique du Vatican, II (1965). Déclaration « Dignita-


tis humanae » sur la liberté religieuse. Dans : La documentation
Catholique, t. L X I I I , p . 260 et suiv. Paris, Bonne Presse,
6fëv. 1966. 351
O p . cit., p. 99-100; 16 janvier 1966. 353

C O N D O R O E T , Marie Jean Antoine de Carita, Marquis de (1743-1794,


France). Réflexions sur l'esclavage des nègres. Épître dédica-
toire aux nègres esclaves. 317
Sur l'admission des députés des planteurs de Saint-Domingue
dans l'Assemblée Nationale. 327
300

LA T O L E R A N C E

D a n s : La Révolutionfrançaiseet l'abolition de l'esclavage, t. V I , p . i


iv et texte 8. Paris, Edhis, 1968.

C O N F U C I U S (551 ?-479? av. J . - C , Chine). Entretiens d e Confucius et


de ses disciples. Trad. S . Couvreur. D a n s : Les quatre livres de la
sagesse chinoise, p . 206, 99, 196-197, 190 et 114. Paris, Club des
Librairies d e France, 1956. 29, 37, 45, 61, 75

C O N S T A N T D E R E B E C Ç U E , Benjamin (1767-1830, Suisse-France).


Principes de politique applicables à tous les gouvernements représent
et particulièrement à la constitution actuelle de la France, p . 1815 e
1216. Paris, A . E y m e r y , 1818. 260, 303
De la religion considérée dans sa source, ses formes et son développemen
p. 139. Paris, A . Leroux et C . Chantpie, 1826. 297
D e la liberté des brochures, des pamphlets et des journaux.
Cité par L . G . Robinet dans : La censure, p. 218. Paris, Hachette,
1965. 361

CONSTITUTION en dix-sept articles du prince impérial Shôtoku (604,


Japon). Dans : William Theodore de Bary (ed.), Sources of
Japanese tradition, vol. I, p. 47-51. N e w York et Londres
Columbia Univ. Press, 1958. Déjà reproduit dans Le droit d'être
un homme. Paris, Unesco/Lafïbnt et Lausanne, Payot, 1968.109

C O O L I D G E , Calvin (1872-1933, président des Etats-Unis d'Améri-


que). Second discours inaugural, 4 mars 1925. Trad, franc.
E. Treves. 330

Coran, p . 131, 3, 687, 758-759, 249, 602, 482, 689, 51, 262, 237, 13,
40, 2 2 4 , 450-451, 3 2 et 770. Trad. Denise M a s s o n . Paris,
Gallimard, 1967. (Coll. Bibliothèque de la Pléiade.) :
Sourate V , V . 3 2 , L a table servie 2
Sourate I, V . l - 7 , L a Fâtiha 10
Sourate L I X , V . 2 2 - 2 4 , L e rassemblement 20
Sourate X C I I I , V . l - 1 1 , L a clarté du jour 23
Sourate X , V . 19, Jonas 33
Sourate X L I I , V . 4 0 , L a délibération 43
Sourate X X V I I I , V . 5 4 - 5 5 , L e récit 52
Sourate L X , V . 7 - 9 , L'épreuve 62
Sourate II, V . 2 5 6 , L a vache 63
Sourate X , V . 9 9 - 1 0 0 , Jonas 70
Sourate X V I , V . 3 5 , Les abeilles 73
Sourate II, V . 6 2 , L a vache 82
Sourate II, V . 2 1 3 , L a vache 104
Sourate I X , V . 6 , L ' i m m u n i t é 135
301

BIBLIOGRAPHIE

Sourate X X V I , V . 2 2 4 - 2 2 8 , Les poètes 145


Sourate II, V . 1 7 7 , L a vache 205
Sourate C I X , V . l - 6 , Les incrédules 216

C O R T E S [Parlement] d e Tolède (1480). D a n s Cortes de los antiguos


reinos de León y Castilla, p . 179. M a d r i d , Real A c a d e m i a de la
Historia, 1882. 147

C O W P E R , William (1731-1800, Grande-Bretagne). T h e task [ L a


tâche]. Trad, franc. E . Treves. 197

C R E L L I U S , Johannes (1590-1633, Pologne). Vindiciae pro religionis


libértate [De la tolérance dans la religion ou de la liberté de conscience]
(1637), p . 2 7 . Varsovie, Éditions scientifiques d'État,
1957. 211

C R E S C A S , Hasdai b e n A b r a h a m (ou ben J u d a h ) (1340-1410, Barce-


lone). Or Adonai [La lumière du Seigneur]. Cité par J . H . Hertz.
Trad, de l'angl. A . Staraselski dans : Un livre de pensées juives,
p. 15. L e Caire, R . Schindler, 1945. 72

C R O M W E L L , Oliver (1599-1658, Angleterre). Speech to Parliament


[Discours a u Parlement], 12 sept. 1654. D a n s : Letters and
speeches, éd. c o m m e n t é e par T h o m a s Carlyle, p . 439. N e w Y o r k ,
Merril a n d Baker, 1900. Trad, franc. E . Treves. 272

C R U Z , S œ u r J u a n a Inés d e la (1651-1695, M e x i q u e ) . Lettre


autobiographique. T r a d . Yvette Billod. D a n s : La Licorne, III,
p. 50. Paris, a u t o m n e 1948. 157

C U S A . Voir N I C O L A S D E C U S A .

D É C L A R A T I O N des droits de l'homme et du citoyen (5 oct. 1789,


France). Déjà reproduit dans Le droit d'être un homme. Paris,
Unesco/Lafïbnt et Lausanne, Payot, 1968. 309

DÉCRET(S)
d e Charles Quint, roi d'Espagne et empereur germanique (1500-
1558), promulgués entre 1526 et 1548. Cf. Recopilación de leyes de
los Reinos de las Indias, livre 6, titre 2 , loi I. (Original 1680.)
M a d r i d , Boix, 1841. Déjà reproduit d a n s Le droit d'être un homme.
Paris, Unesco/Laffont et Lausanne, Payot, 1968. 186

sur la presse, d e Joseph II d'Autriche (1741-1790). Cité par


F . Fejtö dans : Un Habsbourg révolutionnaire, Joseph II, p . 2 0 6 .
Paris, Pion, 1953. 294
302

LA T O L E R A N C E

Dhammapada (axiomes bouddhiques). Trad, d u pâli S . Radhakri-


shnan. D a n s : The Dhammapada. V . I, 5. Londres, Oxford U n i v .
Press, 1958. Trad, franc. E . Treves. 279
D I A Z D E L C A S T I L L O , B e m a l (1495-1582, Espagne). Trad. Dominique
Aubier. D a n s : L'histoire véñdique de la conquête de la Nouvelle
Espagne, p . 160-161 et 178; 106. Paris, Les Libraires Associés,
1959. 15, 177
D I D E R O T , D E N I S (1713-1784, France). Article « Intolérance ». D a n s :
Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métier
t. V I I I , p . 8 4 3 . Paris, 1765. 118
De la suffisance de la religion naturelle (1747), t. I, p . 272-273.
Paris, Garnier, 1875. 223
Lettre à l'abbé Diderot (1760). D a n s : Correspondance, t. III,
p. 283-288. Paris, Éditions d e Minuit, 1954. 208
Mémoire pour Catherine, II, p . 108. Paris, Garnier,
1966. 134
Pensées philosophiques ( 1746). D a n s : Œuvres philosophiques,
p. 25-26. Paris, Garnier, 1964. 220
D J Ä H I Z , A b u c U t h m ä n c A m r b. Bahr al- (780?-869, Irak). R e c o m -
mandations du Calife ' O m a r b. al-Khattab à son successeur.
Dans : Al-Bayän wal-Tabßn, t. II, p . 46. S. 1., E d . Sandoubi,
1956. 149
Voir aussi ' U M A R B E N A L - K H A T T Â B .
D O N N E , J O H N (1573-1631, Angleterre). Sermons. Trad, franc. E . Tre-
ves. 78, 207
D O S T O Ï E V S K I , Fiodor Mikhaïlovitch (1821-1881, Russie). Les frères
Karamazov (1880). Livre V , chap. Ill, p . 134; L e Grand
Inquisiteur, p. 284-285. Trad. H . Mongault, L . Désormonts, B .
de Schloezer et S. Luneau. Paris, Gallimard, 1952. (Coll.
Bibliothèque de la Pléiade.) 3, 195

ÉDIT(S)
d ' A s h o k a ( m c s. av. J . - C , Inde, pracrit) : Rocher X I I et X I I I .
Trad. J. Bloch. D a n s : Les inscriptions d'Asoka, p . 121-133. Paris,
Les belles lettres, 1950. 121
d e l'empereur K'ien-long (1709-1799, quatrième empereur de la
dynastie m a n d c h o u e Ts'ing, Chine), 10 nov. 1785. Cité par
Louis W e i Tsing-Sing dans : La politique missionnaire de la France
en Chine, p . 5 2 . Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1960. 283
303

BIBLIOGRAPHIE

de Milan, 313. Cité par J. Lecler dans : Histoire de la tolérame au


siècle de la Réforme, t. I, p . 71-72. Paris, Aubier, 1955. 125
de Nantes, rendu par Henri I V , France, le 13 avril 1598. D a n s :
Elie Benoist, Histoire de l'Edit de Nantes, t. I, 62-85. Delft, Adrien
B e m a n , 1693-1695. 291
de tolérance de l'empereur K'ang-hi (1692). Cité par Louis W e i
Tsing-Sing dans : La politique missionnaire de la France en Chine,
p. 562. Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1960. 284
Voir aussi K ' A N G - H I .
du 2 Muharram. Voir M U H A M M A D .
sacré de l'empereur Tao-kouang, 20 fév. 1846. Cité par Louis Wei
Tsing-Sing dans : La politique missionnaire de la France en Chine,
p . 564-565. Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1960. 286

E I N S T E I N , Albert (1879-1955, États-Unis d'Amérique). Comment je


vois le monde, p . 26. Trad, de l'allemand M . Solovine. Paris,
Flammarion, 1958. 367
Conceptions scientifiques, morales et sociales, p . 216-217. Trad, de
l'allemand M . Solovine. Paris, Flammarion, 1952. 372

E M R E , Y u n u s ( x m e siècle, poète populaire turc). D a n s : A . Gölpi-


narli, Yunus Emre ve Tasavvuf. [Yunus Emre et le mysticisme].
Istanbul, R e m z i , 1961. Déjà reproduit dans Le droit d'être un
homme. Paris, Unesco/Laffont et Lausanne, Payot, 1968. 397

Encyclopédie. Voir D I D E R O T .

É R A S M E D . , de Rotterdam (1469-1536). Lettre à Albert de Brande-


bourg, 15 oct. 1519. D a n s : Opus epistolarum, t. I V , p . 106. S. 1.,
Allen E d . , s.d. 229
Querela pads undique gentium ejectae profligataeque [Plainte de la paix
persécutée] (1515). Cité dans : E . Constantinescu-Bagdat, La
« Querela pads » d'Erasme, p . 165. Paris, 1924. Déjà reproduit
dans Le droit d'être un homme. Paris, Unesco/Laffont et Lausanne,
Payot, 1968. 174

E S C H E N B A C H , W . V O N (1170-1220? Allemagne). Willehalm (env.


1212), p. 306, vers 18-19 et 25-30; p . 307, vers 3 0 ; p . 309, vers
1-6; p . 450, vers 15-20. D a n s : K . L a c h m a n n , Wolfram von
Eschenbach, 6 e éd. Berlin et Leipzig, Walter de Gruyter and C o . ,
1926; rééd., Berlin, 1962. Déjà reproduits dans Le droit
d'être un homme. Paris, Unesco/Laffont et Lausanne, Payot,
1968. 128, 97, 76

Évangiles. Voir Nouveau Testament.


304

LA T O L E R A N C E

F L A V I U S J O S E P H E (37-100 apr. J . - C , Jérusalem). Histoire ancienne des


Juifs. Cité par E . Fleg dans : Anthologie juive, p . 88-89. Paris,
Flammarion, 1951. 122
F R A N Ç O I S D ' A S S I S E , saint (1182-1226. Italie.) C o m m e n t saint Fran-
çois recommandait le soleil et le feu par-dessus les autres
créatures. Cité par S. Lemaître dans : Textes mystiques d'Orient et
d'Occident, t. II, p . 162-163. Paris, Pion, 1955. 21
FRANKLIN, BENJAMIN (1706-1790, États-Unis d'Amérique).
Conte. 93
Remarques sur la politesse des sauvages de l'Amérique
septentrionale. 98
Dans : Bagatelles from Passy, p . 1 et 8-10. N e w York, E . Eakins
Press, 1967.

G A L I L E I , Galileo. Voir P R O C È S .
G A N D H I , le M a h a t m a (1869-1948, Inde). L a doctrine d u « Satyâ-
graha ». Dans : La Revue du Monde Musulman, vol. X L I V - X L V ,
p. 57. Paris, avril-juin 1921. 393
Lettres à l'Ashram, p . 104, 103-104, 54-55, 56-58, 53-54 et
58-59. Trad, de Tangí. J. Herbert. Paris, Albin Michel,
1937. 86, 99, 111, 287, 343, 346
G A R C I L A S O D E L A V E G A , dit Tinca (1539?-1617, Pérou). Harangue
des ambassadeurs de Pizarro à Tinca. 167
Réponse de Tinca Atahualpa aux envoyés de Pizzaro. 170
Trad, de l'espagnol Yvette Billod dans : La Licorne, p . 141-142
et 145-147. Paris, printemps 1947.
G A R D I N E R , Robert (Etats-Unis d'Amérique). « A world of peoples »,
émission à la British Broadcasting Corporation. Londres, 1966.
Trad, franc. E . Treves. 383
G H A Z Â L Ï , Abu Hamid M u h a m m a d b. M u h a m m a d al-Tusï al-
Châfi'ïal- (1058-1111, Perse). Faysal al-Tàfriqa, p. 75. Le Caire,
1901. ' 81
Ihyä' 'ulürn al-Dïn (Revivification des sciences de la religion).
Caire, Imprimerie al-Cha'b, X , 1670. 54
Voir aussi M U H A M M A D , Message aux émigrés.
G I L L , Louis André Gösset de Guiñes (1840-1885. France). M ' a m e
Anastasie. D a n s L'Eclipsé, p . 111. Paris, 1 er juillet 1874. 375
G O E T H E , Johann-Wolfgang (1749-1832, Allemagne). Conversation
305

BIBLIOGRAPHIE

avec le chancelier von Müller (1818). Cité par H . Lichtenberger


dans : Goethe, t. II, p . 256. Paris, Didier, 1939. 84
Hikmet Narneh, Le livre des maximes (1819). 89
Lettre à Jacobi (1813). 222
Tefhir Nameh, Le livre des sentences. 218
Trad, de l'allemand H . Lichtenberger. Dans : Divan occidental-
oriental, p . 163, 220 et 123. Paris, Aubier, 1940.
Grand Hymne à Viracocha (dieu de la Pluie chez les Incas, Pérou). Cité
par A . D i Nola dans : Le livre d'or de la prière, p . 75-76. Paris,
Marabout, s.d. 22
G R É G O I R E , Henri (1750-1831, France). De la littérature des Nègres,
p. 275-279. Paris, M a r a d o n , 1808. 199
Essai sur la régénération physique, morale et politique des
Juifs, Privilège de M e t z du 20 janv. 1789, extraits d u
chap. X I X . 152
G U I L L A U M E dit le Taciturne, comte de Nassau, prince d'Orange
(1533-1584, Hollande). Discours prononcé au Conseil d'État le
1 er janv. 1564. 231

Hadxth (Dits d u prophète M o h a m e d ) . 34, 48, 53


H A L L Â J , al-Hosayn b . M a n s o u r al- (858-922, Perse). Diwan, p . 97.
Trad, de l'arabe L . Massignon. Paris, Editions des Cahiers d u
Sud, 1955. 66
Voir aussi P R O C È S .
H E G E L , Georg Wilhelm Friedrich (1770-1831, Allemagne). La
phénoménologie de l'esprit (1807), t. I, p . 12. Trad, de l'allemand
J. Hyppolite. Paris. Aubier, 1939. 407
Principes de la philosophie du droit (1821), p . 209. Trad, de
l'allemand A . K a a n . Paris, Gallimard, 1940. 307
H E R A C L I T E d'Ephèse (env. 540-480 av. J . - C , Grèce antique).
Fragments. Trad, d u grec ancien Y . Battistini. Dans : Trois
présocratiques, p . 40, 47 et 29. Paris, Gallimard, 1968. 17, 67, 117
H E R Z L , Theodor (1860-1904, Hongrie). Altneuland. Trad. angl.
dans : Old-New Land, p . 66. N e w York, Block Publishing C o .
and Herzl Press, 1960. Trad, franc. E . Treves. 90
H É S I O D E (viiie s. av. J . - C , Grèce antique). Les travaux et les jours, vers
202-217 et 274-286. Trad, du grec ancien P . M a z o n . Paris, Les
belles lettres, 1928. Déjà reproduit dans Le droit d'être un homme.
Paris, Unesco/Laffont et Lausanne, Payot, 1968. 57
306

LA TOLERANCE

H E U S S , T h e o d o r (1884-1963, République fédérale d ' A l l e m a g n e ) . L a


liberté spirituelle à notre époque (discours, 1959). D a n s : Die
grossen Reden der Staatsmann, p . 323. T ü b i n g e n . Rainier W u n d e r -
lich Verlag, 1965. 379
H O L B A C H , Paul Henri D I E T R I C H , baron D ' ( 1723-1789, France). Essai
sur les préjugés. 275
Le système de la nature (1770). 224
D a n s : Georgette et B . Cazès, Holbach portatif, p . 180-181 et 177-
179. Paris, J J . Pauvert, 1967.
H O N E N (xn e siècle, J a p o n ) . Cité par Solange Lemaître dans : Textes
mystiques d'Orient et d'Occident, t. I, p . 193-194. Paris, Pion,
1955. 42
H U G H E S , Längsten J. (1902-1967, États-Unis d'Amérique). L'île en
révolte. 95
Défense de publier. 334
Dans : F . Dodat, Langston Hughes, p . 161 et 147. Paris, Seghers,
1964. (Coll. Poètes d'aujourd'hui.)

C
IBN A R A B Ï , A b u Bakr M u h a m m a d b . cAlî M u h y ï al-Dïn (1165-
1240, Andalousie). La sagesse des prophètes, p . 205-206. T r a d , d e
l'arabe et annoté par T . Burckhardt. Paris, Albin Michel,
1955. 112
Turjumän al-Aswâq [L'interprète des ardents désirs], p . 43-44.
Beyrouth, D a r Sädir, 1961. 38
IBN G A B I R O L , Salomon ben Judah (ou A b u Ayyüb Sulaymän ben
Yahyá ben Ghabirül ; Avicebron pour les scolastiques chré-
tiens) (mort entre 1058 et 1070, Andalousie). La couronne de
royauté. D a n s : J . H . Hertz, Un livre de pensées juives, p . 15. L e
Caire, R . Schindler, 1945. 19
IBN T U F A Y L , Abu Bakr M u h a m m a d b. cAbd-al-Mâlik (Abubacer
pour les scolastiques chrétiens) (mort en 1185, Maghreb). Les
trois itinéraires. D a n s : Hayy ben Yaqdhân [Le vivantfilsdu
Vigilant], p . 1 0 4 et suiv.; p . 11 et suiv. Trad, d e l'arabe
L . Gauthier. Alger, 1900. 87, 106
I N S T R U C T I O N de la Sacra Congregatio d e Propaganda Fide (Saint-
Siège) à l'usage des vicaires apostoliques en partance pour les
royaumes chinois d u Tonkin et d u C a m b o d g e (1659). Déjà
leproduit dans Le droit d'être un homme. Paris, Unesco/Laffont et
Lausanne, Pavot, 1968. 165
307

BIBLIOGRAPHIE

J A S P E R S , Karl (1883-1969, République fédérale d'Allemagne). La


bombe atomique et l'avenir de l'homme, p . 438. Trad. R . Soupault.
Paris, Pion, 1958. 318
La foi philosophique, p . 126-127. Trad. J. Hersch et H . Naef.
Paris, Pion, 1954. 261

J E A N X X I I I , pape (1881-1963). Encyclique « P a c e m in terris »


(11 avril 1963). Cité dans : La Documentation Catholique,
t. L X , col. 541. Paris, B o n n e Presse, 21 avril 1963. 344

J E F F E R S O N , T h o m a s (1743-1826, président des États-Unis d ' A m é r i -


que). Notes on religion. 301
T h e Virginia statute of religious freedom (1786). 299
Cités dans : P . Belmont, Political equality: religious toleration from
Roger Williams to Jefferson, p . 135-136 et 133. N e w York et
Londres, G . P . P u t n a m ' s Sons, 1927.
Premier discours inaugural (4 mars 1801). Déjà reproduit
dans Le droit d'être un homme. Paris. Unesco/Laffont et Lausanne,
Payot, 1968. 314, 322
Trad, franc. E . Treves. 300

J O S E P H II d'Autriche. Voir D É C R E T ( S ) et L E T T R E ( S ) .

J U D A H , le Pieux (mort en 1217). Le livre des saints. Cité par J . H . Hertz


dans : Un livre de pensées juives, p . 37. L e Caire, R . Schindler,
1945. 55

K A F K A , Franz (1883-1924, Tchécoslovaquie). Le procès, p . 341-343.


T r a d , de l'allemand A . Vialatte. Paris, Gallimard, 1957. 230

K ' A N G - H I (1662-1722, deuxième empereur de la dynastie m a n d -


choue Tsing, Chine). Cité par Louis W e i Tsing-Sing dans : La
politique missionnaire de la France en Chine, p . 33-34. Paris,
Nouvelles Éditions Latines. 1966. 282

K A N T , E M M A N U E L (1724-1804, Allemagne). Über den Gemeinspruch :


das mag in der Theorie richtig sein, taugt aber nicht für die Praxis
(1793). T r a d . L . Guillermit: Emmanuel Kant. Sur l'expression
courante : il se peut que ce soit juste en théorie mais en pratique cela ne
vaut rien, p . 30 et suiv. Paris, Vrin, 1967, Déjà reproduit dans Le
droit d'être un homme. Paris, Unesco/Laffont et Lausanne, Payot,
1968. 305

K E N N E D Y , J o h n Fitzgerald (1917-1963, président des États-Unis


d ' A m é r i q u e ) . Address to the American people (discours pro-
308

LA TOLERANCE

nonce à la Maison Blanche), 11 juin 1963. Trad, franc.


E. Treves. 339
C o m m e n c e m e n t address. Discours prononcé à l'American
University, Washington, D . C . , le 10 juin 1963. 335
Lettre à la Conférence Nationale des Chrétiens et des
Juifs, de Washington, D . C . , 10 octobre 1960. Trad, franc.
E. Treves. 324
Khantivadi- Jataka (Stories of the Buddha's former births) [Les naissances]
(École d u B o u d d h a , fixation Ier s. av. J . - C , Inde, Ceylan,
pâli). Trad. angl. H . T . Francis et R . A . Neil, vol. III,
livre I V , n° 313, p . 26-28. Cambridge, 1897. Trad, franc.
E. Treves. 16, 116, 201, 288
K H R O U C H T C H E V , Nikita Sergheïevitch (1894-1971, U R S S ) . Discours
aux écrivains et aux artistes (8 mars 1963). Cité dans Le Monde
du 14 sept. 1971, Paris. 373
K ' I E N - L O N G , empereur. Voir É D I T ( S ) .
K I E R K E G A A R D , Soren A . (1813-1855, D a n e m a r k ) . L'exemple n° 6.
Copenhague, 1854. Trad, franc. E . Treves. 213
K I N G , Martin Luther (1929-1968, États-Unis d ' A m é r i q u e ) . Where do
we go from here, chaos or community? (1967). Trad. O . Pidou : Où
allons-nous?, p . 160, 87 et 109. Paris, Payot, 1968. 311, 319, 336
K O O K , A v r a h a m Yizhak H a - C o h e n , rabbi (mort en 1935, Jérusa-
lem). Arpheley Tohar [Pures nuées], p . 22. Jérusalem, 1914.
Trad, franc. E . Treves. 39
Mussar Ha-Kodesh [Morale sacrée], p . 317. Trad, franc.
E. Treves. 25

LA B R U Y È R E , Jean de (1645-1696, France). Les caractères (1688-


1696). 159
L A M O T H E L E V A Y E R , François de (1588-1672, France). De la vertu
des païens, 2 e éd., p . 53-55; 74 puis 2 3 9 ; 51-52. Paris, F . Targa,
1642. 77, 92, 100
LAS C A S A S , Bartolomé de (1474-1566, dominicain, prélat espa-
gnol). 169
Lettre à S . S . Pie V . 178
Octavio remedio. 184
Cités et traduits par Marianne M a h n - L o t dans : Barthélémy de
Las Casas : l'Évangile et la force, p . 144-145, 208 et 148-150. Paris,
Éditions d u Cerf, 1964.
309

BIBLIOGRAPHIE

LEIBNIZ, Gottfried Wilhelm (1646-1716, Allemagne). Lettre à Pierre


Ier (16 janv. 1716). Cité par T h . Ruyssen dans : Les sources
doctrinales de l'internationalisme. Paris, Presses Universitaires de
France, 1958. Déjà reproduit dans Le droit d'être un homme. Paris,
Unesco/Laffont et Lausanne, Payot, 1968. 266

LEIRIS, Michel (né en 1901, France). Cinq études d'ethnologie, p . 76 et


suiv. Paris, Gonthier, 1969. 402
L É N I N E , Vladimir Ilitch Oulianov, dit (1870-1924, Russie). A u x
paysans pauvres (1903). Cité dans : Lénine : socialisme et religion,
p. 27-28. Paris, Éditions sociales, 1949. 315
Lettre au camarade Miasnikov (5 août 1921). [Œuvres], t. 32,
p. 536-538. Paris-Moscou, Éditions sociales, 1962. 371
Les murs ont la parole, Mai 1968. Citations recueillies par J. Besançon,
p.85,21,42,137etl49.Paris,Tchou,1968. 161, 202, 374, 376, 404
L E S S I N G , Gotthold Ephraim (1729-1781, Allemagne). Nathan le Sage
(1779), p . 155-163. Trad. R . Pitrou. Paris, Aubier, 1954. 234
T h e education of the h u m a n race. Trad. angl. dans K . M o o r e ,
The spirit of tolerance, p. 34-35. Londres, Victor Gollanz, Ltd.,
1964. Trad, franc. E . Treves. 238
LETTRE(S)
du Ministre de la Police (France) concernant l'ouvrage De l'Alle-
magne de M m e de Staël. Citée par L . Goblot dans : Apologie de
la censure, p. 55. Rodez, Supervie, 1959. 358
patentes sur la tolérance (oct. 1781), de Joseph II d'Autriche
(1741-1790, empereur). Cité par Eugène Hubert dans : De
Charles Quint à Joseph H, Etude sur la condition des Protestants de
Belgique, p. 110-113. Bruxelles, H . N . Lebègue, 1882. 293
L É V I - S T R A U S S , Claude (né en 1908, France). Race et histoire (1952),
p. 84-85. Paris, Gonthier, 1969. 385
L I E - T S E U (ive-nic s. av. J . - C , Chine, école taoïste). Le vrai classique
du vide parfait, p . 80-81. Trad, d u chinois B . Grynpas. Paris,
Galimard, 1961. 245
Mémoire au roi Che-houang blâmant l'expulsion des étran-
gers. Cité par G . Margouliès dans : Le Kou-wen chinois, p . 44.
Paris, Paul Geuthner, 1926. 285
L I N C O L N , A b r a h a m (1809-1865, président des États-Unis d ' A m é -
rique). Discours. Cité par Luigi Luzzari dans : Liberté de
conscience et liberté de science, p . 30-31. Paris, V . Giard et
E . Brière, 1910. 183
310

LA T O L É R A N C E

Second discours inaugural, 4 mars 1865. Trad. franc. E .


revés. 312
L I V I N G S T O N E , Sir Richard W i n n (1880-1960, R o y a u m e - U n i de
Grande-Bretagne et d'Irlande d u Nord). Tolerance in theory and
in practice (Robert Waley C o h e n Memorial Lecture). Londres.
1954. 271,387
Livre des Morts (Egypte ancienne). Trad. G . Kolpaktchy, p . 208-209
et 213-214. Paris, Éditions des Champs-Elysées, 1954. 6, 80
L O C K E , John (1632-1704, Angleterre). A letter concerning toleration
[Lettre sur la tolérance]. D a n s : The second treatise of civil
government (1690), p . 153-154. Oxford, Basil Blackwell and
Mott, Ltd., 1946. Trad, franc. E . Treves. 258
Lettre sur la tolérance, p . 83 ; 29 ; 37-39 ; 47 ; 45-47 ; 89 et 27-29.
Trad, d u latin R . Polin. Paris, Presses Universitaires de France,
1965. 154, 162, 237, 244, 254, 270
O n education [De l'éducation], 1693. Trad, franc. E . Tre-
ves. 240
L O P E Z D E V E G A , Antonio (1586-?, Portugal). Paradojas racionales
escritas en forma de un diálogo entre un cortesano y unfilósofo(1655
avec une introduction d e Buceta, p . 91-92 et 96. Madrid,
Hernando, 1935. 248
L U K Á C S , György (1885-1971, Hongrie). Cité par L . Goblot dans :
Apologie de la censure, p. 173-174. Rodez, Supervie, 1959. 364

M A C H I A V E L , Niccolo (1469-1527, Italie). // Principe (1513). Le Prince,


p. 305. Trad. J. Gohory. Paris, Gallimard, 1952. (Coll.
Bibliothèque de la Pléiade.) 163
M A H O M E T OU M O H A M E D . Voir M U H A M M A D .
MAÏMONIDE, Rabbi Müsa ben Maymûn (ou Abu cImrän Müsa ben
<Abd Allah) (1135-1204, Andalousie et Egypte). Hilkhot Sanhé-
drin. 44
Schabbath. 46
Hilkhot Melakhim. 130
Cités dans : Mishney T o r a h , versets 12.3, 30a et 12.4. Trad, de
l'angl. E . Treves.
Majjhima Nikaya (École d u B o u d d h a , fixation 1er s. av. J . - C , pâli).
Trad. angl. F . L . W o o d w a r d . D a n s : Some sayings from the Buddha,
1.128-129, p . 97-98. Londres, Oxford Univ. Press, 1957. Trad,
franc. E . Treves. 51
311

BIBLIOGRAPHIE

M A L C O L M X (1925-1965, États-Unis cPAmérique). Malcolm speaks.


Cité par Stockley Carmichael dans : Le pouvoir noir, p . 189-192.
Trad, de l'angl. G . Carle. Paris, Maspéro, 1968. 337

M A R A Ñ O N , Gregorio (1888-1960, Espagne). Ensayos liberales, p . 78,


82 et 91. Buenos Aires, Espasa Calpe, 1946. 321

M A R C A U R È L E (121-180, empereur, R o m e ) . Pensées. Cf. trad, franc.


E . Bréhier, Les stoïciens. Paris, Gallimard, 1964. (Coll.
Bibliothèque de la Pléiade.) 127

M A R C U S E , Herbert (1898-1979, États-Unis d'Amérique). L a


tolérance répressive. Dans : Critique of pure tolerance. Trad,
de l'angl. L . Roskopf et L . Weibel dans : Critique de la tolérance
pure, p . 19-20, 16-17, 35, 14-15 et 47-48. Paris, John Didier,
1969. 325, 333, 338, 388, 405

M A R M O N T E L , J e a n François (1723-1799, France). Bélisaire (1765).


C h a p . X V , p . 2 4 4 - 2 4 8 . Paris, Merlin, 1767. 250

M A R X , Karl (1818-1883, Allemagne). Debatten über Pressefreiheit


u n d Publikation der landständischen V e r h a n d l u n g e n [Débats
sur la liberté de la presse]. Die rheinische Zeitung (1842). 362
Editorial n° 179, Die kölnische Zeitung (juillet 1842). 308
Cités par Maximilien R u b e l dans : Pages de Karl Marx, t. I,
Sociologie critique, p . 6 3 - 6 5 ; p . 145-147. Paris, Payot, 1970. (Coll.
Petite Bibliothèque Payot.)
Éditoriaux, Die kölnische Zeitung n o s 179 (juillet 1842) et n ° 425
bis. 269, 400
Le c o m m u n i s m e d e VObservateur rhénan. Article paru d a n s la
[Gazette allemande de Bruxelles], n° 73 (sept. 1847). 401
Cités dans : K a r l Marx/Friedrich Engels, Sur la religion, textes
choisis, traduits et annotés par G . Badia, P . B a n g e et E . Botti-
gelli, p . 3 3 ; p . 2 5 ; p . 82-83. Paris, Éditions sociales, 1 9 6 8 .
Lettre à A b r a h a m Lincoln. D a n s : M a r x et Engels, Œuvres
choisies, t. II, p . 17-18. M o s c o u , Éditions d u Progrès, 1 9 7 0 . 5 7 5
R e m a r q u e s sur la réglementation d e la censure prussienne
(1842). Cité par Maximilien R u b e l d a n s : Pages de Karl Marx,
t. I, Sociologie critique, p . 62-23. Paris, Payot, 1970. (Coll. Petite
Bibliothèque Payot.) 359

M A S S I G N O N , Louis (1883-1962, France). Lettre aux amis de Gandhi


(24 sept. 1961). Cité par Camille Drevet dans : Massignon et
Gandhi, la contagion et la vérité, p . 169-170. Paris, Éditions d u
Cerf, 1967. 348
312

LA T O L E R A N C E

Les trois prières d ' A b r a h a m , père d e tous les croyants, Dieu


vivant (1949). D a n s : Parole donnée, p . 2 6 0 et suiv. ; p . 295.
Introduction par V . Monteil. Paris, Julliard, 1962. 115, 352
M A U R I L E D E S A I N T M I C H E L , père (xvn c siècle, France). Voyage des
Isles Carnerearles, en l'Amérique, qui font partie des Indes Occidentales
et une relation diversifiée de plusieurs pensées précises et d'agréa
remarques tant de toute l'Amérique que des autres pays, p . 8 5 , 9 1 . Paris,
Jean de la Caille, 1653. 172
M E ' I R I , M e n a h e m ben Solomon, rabbi (nom provençal, D o n Vidal
Solomon) (1249-1306). Beit Ha-Behira [gloses au Tractate
Horayot]. Cité par J. Katz dans : Exclusiveness and tolerance,
Studies in Jewish-Gentile relations in medieval and modern times, p . 124.
Londres, Oxford Univ. Press, 1961. Trad, franc. E . Treves. 156
M E N D E L S S O H N , Moses (1729-1786, Allemagne). Œuvres. Cité
par E . Fleg dans : Anthologie juive, p. 281. Paris, Flammarion,
1951. 295
M É T R A U X , Alfred (1902-1963, États-Unis d'Amérique). Sur
le racisme. Dans Courrier de ¡'Unesco, vol. III, n° 6-7. Paris,
1950. 380
Midrash. Tanah Debey. Eliahu Rabba (env. ixe siècle). Trad, de
l'angl. E . Treves. 102
M I L T O N , John (1608-1674, Angleterre). Areopagitica (1644). Trad.
O . L u t a u d : Areopagitica, Pour la liberté de la presse sans autorisation
ni censure, p . 143. Paris, Aubier-Flammarion, 1969. 235
M I R A B E A U , H o n o r é Gabriel Riqueti, comte de (1749-1791, France).
Discours à l'Assemblée, séances des 22 et 2 3 août 1789. Cités
par Jacques Hérissay dans : Les grands orateurs républicains :
Mirabeau, p . 89 et 9 2 . M o n a c o , H e m e r a , 1949-1950. 304, 298
M O H A M M E D . Voir M U H A M M A D .

M O N T A I G N E , Michel E y q u e m de (1533-1592, France). D e la liberté


de conscience, Essais (1580-1588), II, 19. Des coches,
Essais, III, 6. Dans : Œuvres complètes, p . 276; 367, 360 et
369. 143, 164, 179, 185
M O N T E S Q U I E U , Charles Secondât, baron de (1689-1755, France). De
l'esprit des lois ( 1748). 151, 182
Lettres persanes (1721). 251, 263
Dans : Œuvres complètes, p. 708-709 et 620; p . 108 et 107. Paris,
Éditions du Seuil, 1964.
313

BIBLIOGRAPHIE

M O N L U C , Blaise de (1502-1577, France). Les commentaires, t. III,


p. 499. Paris, Éditions de Ruble, chez V . J . Renouard, 1864-
1867. 757
M O R E , T h o m a s (1478-1535, Angleterre). Utopia (1516). Trad.
V . Stouvenel, revue par M . B . Tisserand : L'Utopie, Discours du
tris excellent homme Raphael Hythloday sur la meilleure constitution
d'une république, p . 181 et suiv. ; p . 184 et suiv. Paris, Éditions
sociales, 1966. 88, 91
M O R G A N , Joseph ( x v m e s., Angleterre). Mahometismfiillyexplained by
Mahomet Rabadán, written in Spanih and Arabic in the year MDCIII,
t. II, p . 297-298 et 345. Manuscrit original traduit en anglais
par J. M o r g a n . Londres, 1723-1725. 153
M O Z A R T , Wolfgang A m a d e u s ( 1756-1791, Autriche). Die Zauberflôte
(Laßute enchantée), 1791. 2 e partie, acte m , tableau 7, scène 13.
Opéra sur u n livret d ' E m m a n u e l Shikaneder d'après u n conte
oriental. 410
M U H A M M A D (570-632, Prophète de l'Islam). Edit d u 2 m u h a r r a m ,
an II de l'Hégire (1er août 623). Cité par Haïdar B a m m a t e
dans : Visage de l'Islam, p . 39. Lausanne, Payot, 1958. 140
Message aux émigrés, aux habitants de Médine (appelés les
Auxiliaires d u Prophète) et aux Juifs. Cité par Ghazâlî dans
Fiqh al-Sïra. D a n s : Documents Politiques, p . 15 et 16. 736
Cité par Baladhûri dans Futüh al-Buldän (ixe siècle). Trad, de
l'arabe en angl. P . K . Hitti dans : The origins of the Islam state, t. I,
p. 106 et 162. N e w York, Columbia Univ. Press, 1916.739, 141
Voir aussi Hadïth et T R A I T É .

Nägarakrtägama (1365, Java, Indonésie). H . Kern (ed.). Leiden,


Koninklijk Instituut vor Tall-, L a n d - en Volkenkunde ; L a
Haye, Nijhoff, 1906-1914. Déjà reproduit dans Le droit d'être un
homme. Paris, Unesco/Laffont et Lausanne, Payot, 1968. 18
N A N A K , L e Guru (1469-1538). Sayings of G u r u N a n a k . Trad, d u
punjabi en angl. G . Singh dans : English version of the Guru Granth
Sahib, vol. II, p . 460. Delhi, G u r D a s Kapur, 1962. Trad, franc.
E . Treves. 204
N A P O L É O N I" (1769-1821, France). Cité par L . Goblot dans :
Apologie de la censure, p . 49. Rodez, Supervie, 1959. 356
N E R U D A , Pablo (1904-1973, Chili). Canto general (1950). Trad, de
l'espagnol par l'auteur. Cité par V . Monteil dans : Anthologie
314

LA T O L E R A N C E

bilingue de la poésie hispanique contemporaine, Espagne-Amériqu


p. 339. Paris, Librairie C . Klincksieck, 1959. 191
N E S T R O Y , Johann (1801-1862, Autriche). M e i n Freund [ M o n ami].
Dans : Ausgewählte Werke, p . 745. Vienne, Globus Verlag,
1959. 289
N I C O L A S D E C U S A (1401-1464, Allemagne). L a paix dans la foi
(1454). Trad, d u latin M . de Gandillac. D a n s : Œuvres choisies
de Nicolas de Cusa, p. 443-447, 415, 417-418 et 449. Paris, Aubier,
1942. 101, 103, 107, 114
N O R W I D , Cyprian Kamil (1821-1883, Pologne). L e socialisme
(1861) : trad, franc. Y . Bonnefoy. Dans : Anthologie de la poésie
polonaise. Paris, Editions d u Seuil, 1965. Déjà reproduit dans Le
droit d'être un homme. Paris, Unesco/Laffont et Lausanne, Payot,
1968. 406
Nouveau Testament. Paris, Éditions du Cerf, 1956 :
Évangile de Jean, X V I I I , 33-38; X I X , 17-18 et 29-30. 14
Évangile de Matthieu X X I I , 36-40; V I I , 1 2 ; V , 1-10, les
Béatitudes ; V , 11-12 ; V I I , 21-23. 36, 47, 74, 83, 203
Première épître de Paul aux Corinthiens, XIII, 1-7. 40
N Y E R E R E , Julius K . (né en 1922, République-Unie de Tanzanie).
Extrait de « Guide to the one-party state commission. Freedom
and unity », p . 262-264. Dar-es Salam, Oxford Univ. Press,
1964. Trad, franc. E . Treves. 350

C
O M A R . Voir UMAR.

O R W E L L , George (pseudonyme de Eric Arthur Blair) (1903-1950,


Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord). O ù
meurt la littérature (1946). Trad. Ph. Thody dans : Essais
choisis, p . 202-203. Paris, Gallimard, 1960. 369

P A N N O N I U S , Janus (évêque de Pécs, Hongrie, 1434-1472). Trad,


franc. M . Manoll. Cité dans : M . Kovács, Humana hungarica,
poètes et écrivains hongrois au service de l'homme. Budapes
1969. 196

P A S C A L , Biaise (1623-1662, France) Pensées. Dans : Œuvres, t. XIII,


p. 214-216. Paris, Hachette, 1925. 214
P A U L III, pape. Voir B U L L E .
315

BIBLIOGRAPHIE

P A U L V I , pape (1897-1978, Italie). Message de paix adressé à


l'Assemblée générale des Nations Unies (4 oct. 1965). D a n s :
Jamais plus la guerre. N e w York, Editions des Nations Unies,
1965. 392

P E L L E P R A T , père Pierre (xvn* siècle, jésuite, France). Relation des


missions des Pères de la Compagnie de Jésus (1655), p . 55-56. Paris,
S. et G . Cramoisy, 1955. 181

P É L I S S O N , Paul (1624-1693, France). Réflexions sur les différends de


la religion avec les preuves de la tradition ecclésiastique par
diverses traductions des Saints Pères sur chaque point contesté
(1686). Cité par R . Joly dans : Pierre Bayle et la tolérance.
Marche Romane, t. I V , p . 72. Liège, juil.-sept. 1954. 242

P H I L O N D ' A L E X A N D R I E (13? av. 54 apr. J . - C . ) . Q u e Dieu est


immuable. Cité par E . Fleg dans : Anthologie juive, p . 125. Paris,
Flammarion, 1951. 26

P I N D A R E (521-441 av. J . - C , Grèce antique). Olympiques, X I I e ,


p. 169-170. Trad, d u grec ancien A . Puech. Paris, Les belles
lettres, 1931. 1

P I R E , Dominique George (1910-1969, Belgique). Vivre ou mourir


ensemble, p . 187-188 et 59. Bruxelles, Presses académiques
européennes, 1969. 310, 320, 342
Allocution prononcée à la pose de la première pierre de
l'Université de la paix. O p . cit., p . 222. 354

P L A T O N (428-347 av. J . - C , Grèce antique). Apologie de Socrate. D a n s :


Œuvres, t. I, p . 149 et suiv. Trad, d u grec ancien M . Croisset.
Paris, Les belles lettres, 1926. 13
La république. D a n s : Œuvres complètes, t. V , p . 110. Trad, d u
grec ancien E . C h a m b r y . Paris, Les belles lettres, 1970. 144

Popol Vuh, livre sacré des Quiche d u Guatemala. Bibliothèque


nationale, Paris, fol. 35 r. Déjà reproduit dans Le droit d'être un
homme. Paris, Unesco/Laffont et Lausanne, Payot, 1968. 9

PRIÈRE(S)
d'un chef du K e n y a . 50
de Guinée. 8
pygmée. 28
Cités par A . Di Nola dans : Le livre d'or de la prière, p . 56, 34 et
13-14. Paris, Marabout, s.d.

P R I E S T L E Y , Joseph (1733-1804, Grande-Bretagne). Tracts relating to


316

LA T O L E R A N C E

the Dissenters [Pamphlets sur les Dissidents]. Trad, franc.


E. Treves. 241
PROCÈS
de Galilée (1564-1642, physicien et astronome italien né à Pise).
Documents recueillis par Giorgio de Santillana. Trad, de
l'Angl. A . Salem, revue par J.J. Salomon. D a n s : Le procès de
Galilée, p. 378-387. Paris, Club du meilleur livre, 1955. 194
de Hallâj. Dans : L . Massignon, La Passion d'al-Hosayn b. Mansour
al-Hallàj, martyr mystique de l'Islam, t. I, p . 281-283, 5-8 et 293
Paris, Paul Geuthner, 1922. 193
P R Z Y P K O W S K I , Samuel (xn e siècle, Pologne). Dissertatio de pace et
concordia ecclesiae [Dissertation sur la paix et l'entente dans
l'Eglise] (1628). D a n s : Cogitationes sacrae ad initium Evange
Mattel 232
Purananuru (ue s. av.-n e s. apr. J . - C , époque sangam, Inde), strophe
192. U . V . Swaminathan Aiyar (ed.). M a d r a s , 1935. Trad, de
l'angl. E . Treves. 32

R A L E A , Mihai (1896-1964, Roumanie). Article paru dans Stânga,


n° 16. Bucarest, 26 fëv. 1933. 331
R A M A K R I S H N A (1836-1886, Inde). Cité par Solange Lemaître dans :
Textes mystiques d'Orient et d'Occident, t. I, p . 107-108. Paris,
Pion 1955. 113
R É F O R M E de l'empereur Sigismond (1439, Allemagne). Monumenta
Germaniae histórica, Staatsschriften des Späteren Mittelalters,
t. V I , p . 86.6-88.9. H . Koller (ed.). Stuttgart, A . Hiersemann,
1964. Déjà reproduit dans Le droit d'être un homme. Paris,
Unesco/Laffont et Lausanne, Payot, 1968. 142
R É P O N S E S des sages aztèques aux douze missionnaires (1524,
Mexique). [Livre des colloques.} Bibliothèque vaticane. Déjà
reproduit dans Le droit d'être un homme. Paris, Unesco/Laffont et
Lausanne, Payot, 1968. 168
Rigveda (2200-1800 av. J . - C , Inde, sanscrit védique), Verset X ,
191.2-4. Déjà reproduit dans Le droit d'être un homme. Paris,
Unesco/Laffont et Lausanne, Payot, 1968. 7
R I V K E S (ou Ribkes, ou Ribkas) Moses ben Zebi Naphtali Hirsch
Sofer, rabbi (xvii" siècle, Russie). Be'er Ha-Golah (gloses à
Shulhan 'Arukh-Hosnen Mishpat, 425, 5), (1661-1667). Cité par
317

BIBLIOGRAPHIE

Jacob Katz dans : Exclusiveness and tolerance, Studies in Jewish-


Gentile relations in medieval and modern times, Scripta Judaica III,
p. 165. Londres, Oxford Univ. Press. 1961. Trad, franc.
E . Treves. 150
R O N S A R D , Pierre de (1524-1585, France). Remontrance au peuple de
France (1562-1563). D a n s : H . Longnon, Ronsard, choix de
poèmes, p. 148-149. Lyon, I A C , 1942. 188
R O U S S E A U , Jean-Jacques (1712-1778, Genève). Du contrat social
(1762). 276
Lettre à Christophe de Beaumont, archevêque de Paris
(1762). 132,212
Dans : Œuvres complètes, t. III, p. 467-469 ; t. I V , p. 971 et 982.
Paris, Gallimard, 1969. (Coll. Bibliothèque de la Pléiade.)
Lettre à Voltaire (1756). Dans : Correspondance complète, t. I V ,
p. 48-49. Genève, Les Délices, 1967. 225, 252
R Û M Ï , Jalâl al-Dïn al- (1207-1273, Perse). Cité par H . Massé dans :
Anthologie persane, p . 196-197. Paris, Payot, 1950. 215
The Divan of Jelâl al-Dîn. Cité par W . Hastie dans : The
festival of spring, p . 3. Trad, d u persan en angl. Ruckert.
Glasgow, 1903. Trad, franc. E . Treves. 27

S A ' A D I (1184P-1290?, Perse). Le verger, p . 101-103. Trad, du persan


A . C . Barbier de Meynard. Paris, E . Leroux, 1880. 71
Saddharma Pundarika Sutra [Le lotus de la bonne foi] (texte pâli). Cité
par Phra Khantipalo dans : Tolerance, a study from Buddhist
sources, p . 106. Londres, Rider and C o . , 1964. 120
S A I N T - J O H N P E R S E , Alexis Léger, dit (1887-1975, France). Poésie
(1961); Amers, p . 247-248. Paris, Gallimard, 1970. (lrc éd.
1957.) 200, 389
Chronique (1960). D a n s Vents, p . 140-148. Paris, Gallimard,
1968. 409
S A R T R E , Jean-Paul (1905-1980, France). Dans Situations V, p . 7-9.
Paris, Gallimard, 1964. 382
Les séquestrés d'Altona, acte v, scène III, p . 222-223. Paris,
Gallimard, 1960. 408
Satire Ménippée (1594, France). Pamphlet politique dirigé contre la
Ligue, d u temps de Henri I V , et dont les auteurs sont Pierre
Pithou, Nicolas Rapin, Florent Chrestien et les poètes Jean
318

LA TOLERANCE

Passerat et Gilles Durand. Paris, Classiques Larousse, p . 64,


1941. 176
S H A K E S P E A R E , William (1564-1616, Angleterre). Le conte d'hiver
(1611), acte m , scène II. Trad. Y . Bonnefoy. Dans : Œuvres
complètes, t. X I , p . 585. Paris, Club français d u livre, 1964. 160
Le marchand de Venise (1597), acte m , scène I ; acte i, scène III
et acte m , scène II. Trad. J. Grosjean. D a n s op. cit., t. I V
(1963), p. 683 ; p . 625 et 693. 133, 228
Mesure pour mesure (1605), acte m , scène II. Trad. J. Houbart
etJ.L. Richard. O p . cit., t. VIII, p . 693-695. 209
Peines d'amour perdu, acte iv, scène H I . Trad. J. Supervielle.
O p . cit., t. III (1962), p . 353, 1962. 41
La vie de Timon d'Athènes (1607), acte iv, scène III. Trad.
R . Maguire et B . Noël. O p . cit., t. X (1959), p . 461-463. 290
S H A W , George Bernard (1856-1950, écrivain irlandais). Lettre au
New York Times (14 sept. 1936). Trad, franc. E . Treves. 365
Le vrai Blanco Posnet, préface, p . 28-30 et 38-39. Trad. A . et
H . H a m o n . Paris, Aubier-Montaigne, 1941. 360, 367
S H Ö T O K U , prince. Voir C O N S T I T U T I O N .
S O P H O C L E (495P-406 av. J . - C , Grèce antique). Antigone (441
av. J . - C ) . Trad, d u grec ancien P . M a z o n . D a n s : Tragédies,
p. 98-99, 105, 96-97 et 113. Paris, L e livre de poche,
1964. 12, 35, 119, 247
S P I N O Z A , Baruch (1632-1677, Hollande). Traité théologico-politique
(1670). Trad, d u latin C h . A p p u h n . D a n s : Œuvres, t. III,
p. 333-334, 327-328, 332-333 et 328-329. Paris, Garnier-
Flammarion, 1965. 239, 253, 255, 257
S T A Ë L , Germaine Necker, baronne de (1766-1817, France). De
l'Allemagne (1810), p . 1-7. Paris, Hachette, 1958. 357
S Z L I C H T Y N G , Jonas (pseudonyme : Eques Polonus) (xvn e siècle,
Pologne). Equitis Poloni apologia pro veritate accusata [L'apolog
de la vérité accusée, d'Eques Polonus], p . 99 et 107-108.
Amsterdam, 1654. 267

Talmud. Sanhédrin, I V ; Chagigah, 5a ; Aboda-Zara ; Sifra Shemoth,


XIII. Cités par E . Fleg dans : Anthologie juive, p . 165, 272, 168.
Paris, Flamarrion, 1951. 30, 59, 69, 79
T A O - K O U A N G , empereur. Voir É D I T ( S ) .
319

BIBLIOGRAPHIE

T E I L H A R D D E C H A R D I N , Pierre (1881-1955, France). Le milieu divin,


essai de vie intérieure, p . 183-184. Paris, Editions d u Seuil,
1957. " 395
T E R T U L L I E N (155?-220?, apologiste chrétien, Carthage). Ad scapu-
lam, 2 . D a n s : Patrologie latine, vol. I, col. 699. Paris, Migne,
1861. Déjà reproduit dans Le droit d'être un homme. Paris,
Unesco/Lafïbnt et Lausanne, Payot, 1968. 123
Apologétique, X X I V , 5-6. Trad, d u latin J . P . Waltzing et
A . Severyns, p . 61. Paris, Les belles lettres, 1939. 217
T H A C A L I B Ï , c A b d al-cAziz al- (1874-1944, Tunisie). La Tunisie martyre,
ses revendications, p . 17-20. Paris, Jouve, 1920. 328
T H É M I S T I O S (317-390?, Grèce antique). Discours consulaire à
l'empereur Jovien. Cité par Luigi Luzzati dans : Liberté de
conscience et liberté de science, p . 169-172. Paris, V . Giard et
E . Brière, 1910. 126
T H O M A S D ' A Q U I N , saint (1125-1274, docteur de l'Église). Somme
théolgique (1269-1272), H a , Ilae, 10, 8c. Déjà reproduit dans Le
droit d'être un homme. Paris, Unesco/Lafïbnt et Lausanne, Payot,
1968. 64
T H O R E A U , H e n r y David (1817-1862, États-Unis d'Amérique). Plai-
doyer pour John B r o w n . D a n s : Civil disobedience (1849). Trad.
C . Demorel et L . Vernet dans : La désobéissance civile, p . 136, 146.
Paris, J J . Pauvert, 1968. 326
T I T U L E S C O , Nicolas (1882-1941, R o u m a n i e ) . L a Société des Nations
et les minorités. D a n s -.Documente diplomatice, p . 303, 315.
Bucarest, Editura política, 1967. 323
T O C Q U E V I L L E , Charles Alexis Clérel de (1805-1859, France). De la
démocratie en Amérique (1835). 363, 368
T O Y N B E E , Arnold J. (1889-1975, R o y a u m e - U n i de Grande-Bretagne
et d'Irlande d u N o r d ) . Civilization on trial (1948). Trad.
R . Villoteau dans : La civilisation à l'épreuve, p . 222. Paris,
Gallimard, 1954. 399
T R A I T É de paix entre M u h a m m a d et les Chrétiens de Najràn. Cité
par Baladhurî dans : Futüh al-Buldän (ixe siècle). Trad, de
l'arabe en angl. P . K . Hitti dans : The origins of the Islam state, 1.1,
p. 109. N e w York, Columbia Univ. Press, 1916. 137

T R U D E A U , Pierre Elliot (né en 1921, Canada). Discours prononcé à


l'occasion de l'inauguration d u m o n u m e n t à Louis Riel, à
Regina, Saskatchewan (2 oct. 1968). Trad, franc. E . Treves. 329
320

LA T O L E R A N C E

C
U D D Y O T A N A S Ü R I (VIII siècle, Rajasthan, Inde, pracrit). Kuvalayamälä
(779), p . 2 0 7 . Déjà reproduit d a n s Le droit d'être un homme. Paris,
Unesco/Lafïbnt et L a u s a n n e , Payot, 1968. 85
C
U M A R B . A L - K H A T T Ä B (581-644, deuxième calife de l'Islam).
Engagement après la prise de Jérusalem. Cité par A b u Dja'far
al-Tabarï dans : Tàrïkh, t. III, p . 609. Le Caire, Dar al-Ma'äref,
s.d. 148
Voir aussi D J Ä H I Z .

V A L É R Y , Paul (1871-1945, France). Regards sur le monde actuel


(1931). Dans : Œuvres, t. II, p . 1032-1033. Paris, Gallimard,
1960. (Coll. Bibliothèque de la Pléiade.) 381
V A R O N A , Enrique José (1849-1933, Cuba). El clericalismo en la
universidad. Cité dans : F . Lizaso, El pensamiento vivo de Varona,
p. 58. Buenos Aires, Losada, 1949. Déjà reproduit dans Le droit
d'être un homme. Paris, Unesco/Lafïbnt et Lausanne, Payot,
1968. 306
V A U V E N A R G U E S , Luc de Clapiers, marquis de (1715-1747, France).
Réflexions (1746). Dans : Œuvres complètes, t. I, p. 74. Paris
Hachette, 1968. 249
V E R D I C T contre Michel Servet (1553). Procès d e M i c h e l Servet.
D a n s : R . H . Bainton, Michel Servet, hérétique et martyre, p . 126-
129. Genève, Droz, 1953. 192
V I N E T , Alexandre (1797-1847, Suisse). Essai sur la manifestation des
convictions religieuses, II e partie, chap. I, p . 197, 1 9 5 . Paris,
Paulin, 1842. 262, 274
Vishnudharmottara-Purana (350-500 av. J . - C , texte sanscrit), verset I,
58, 7-8. Trad, franc. E . Treves. 68
V I V E K A N A N D A , le Swami (1863-1902, Inde). The complete works of
Swami Vivekananda, p. 372. Advaita Ashram, Mayavali, Almora
Himalayos, 1948. Trad, franc. E . Treves. 398
V O L N E Y , Constantin François de Chassebœuf, comte de (1757-1820,
France). La loi naturelle ou le catéchisme du citoyen (1793), chap. X I .
Déjà reproduit dans Le droit d'être un homme. Paris, U n e s c o / L a f -
font et L a u s a n n e , Payot, 1968. 302
V O L T A I R E , François Marie Arouet, dit (1694-1778, France). Commen-
taire sur le Livre des délits et des peines ( 1766). 124
321

BIBLIOGRAPHIE

_. Articles « Guerre » et « Tolérance », dans le Dictionnaire


philosophique ( 1764). 189, 268
_. Traité sur la tolérance (1763). 198, 210
_. Déjà reproduit dans Le droit d'être un homme. Paris,
Unesco/Lafibnt et Lausanne, Payot, 1968. 226
_. De la paix perpétuelle (1765). 221
_. Le siècle de Louis XIV (1751). 280
Cités dans : Œuvres complètes, t. X X V , p . 545 ; t. X I X , p . 320 et
t. X X , p. 522; t. X X V , p. 107-108, 89-90 et 104-107;
t. X X V I I I , p. 128; t. X V , p. 78 et 80.

W E I L , Simone (1909-1943, France). Lettre à un religieux, p. 37. Paris,


Gallimard, 1951. 396
W I L S O N , Thomas Woodrow (1856-1924, président des États-Unis
d'Amérique). The fourteen points [Les quatorze points]
(discours au Congrès), 8 janv. 1918. Déjà reproduit dans Le
droit d'être un homme. Paris, Unesco/Lafibnt et Lausanne, Payot,
1968. 355
W I N T E R , Ernst Karl (1895-1959, Autriche). Cité dans : Wiener
politische Blätter, n c 1, 1934. Trad, franc. E . Treves. 296
W R I G H T , Richard (1908-1960, États-Unis d'Amérique). Black boy
(1945). Trad. M . Duhamel et A . R . Picard, Jeunesse noire, p. 263-
264. Paris, Gallimard, 1947. 340

C
Y A B H III, Ishô (viie siècle, patriarche nestorien). Lettre a u Primat
de Perse. Cité dans : J.S. Assemani, Bibliotheca Orientalis, vol.
III, p . 131. R o m e , 1719-1728. 138
Y O U N G - T C H E N G (1677-1736, troisième empereur de la dynastie
m a n d c h o u e Ts'ing, Chine). Cité par Louis W e i Tsing-Sing
dans : La politique missionnaire de la France en Chine, p . 48. Paris,
Nouvelles Éditions Latines. 1960. 281
Y P S I L A N T I , Alexandre. Voir C H A R T E .
[I] S H S . 87/D.220.F

You might also like