You are on page 1of 12

LA MORT

Mythes, rites et mémoire


Antoine Destemberg, Benjamin Moulet

Publications de la Sorbonne | « Hypothèses »

2007/1 10 | pages 81 à 91
ISSN 1298-6216

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.115.175.129 - 28/04/2017 09h13. © Publications de la Sorbonne


ISBN 9782859445782
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
http://www.cairn.info/revue-hypotheses-2007-1-page-81.htm
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.115.175.129 - 28/04/2017 09h13. © Publications de la Sorbonne

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :


--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Antoine Destemberg, Benjamin Moulet, « La mort. Mythes, rites et mémoire »,
Hypothèses 2007/1 (10), p. 81-91.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Publications de la Sorbonne.


© Publications de la Sorbonne. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.115.175.129 - 28/04/2017 09h13. © Publications de la Sorbonne
Antoine Destemberg et Benjamin Moulet
Séminaire de l’École doctorale
Mythes, rites et mémoire

coordonné par
La mort
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.115.175.129 - 28/04/2017 09h13. © Publications de la Sorbonne
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.115.175.129 - 28/04/2017 09h13. © Publications de la Sorbonne
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.115.175.129 - 28/04/2017 09h13. © Publications de la Sorbonne
La mort
Mythes, rites et mémoire
Antoine DESTEMBERG et Benjamin MOULET

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.115.175.129 - 28/04/2017 09h13. © Publications de la Sorbonne


Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.115.175.129 - 28/04/2017 09h13. © Publications de la Sorbonne

Quelle légitimité pour les sciences humaines et sociales à s’interroger


sur la mort ? Les exempla médiévaux prêtaient à saint Bernard l’idée que la
raison est la consolation de la mort, et Arthur Schopenhauer affirmait que
toute philosophie était une « compensation » à la certitude effrayante de la
1
mort . D’où, peut-être, les hésitations de Vladimir Jankélévitch sur la
2
légitimité de faire de ce sujet un objet proprement philosophique . Serait-ce
donc la conscience de sa propre finitude qui pousserait à l’interrogation sur
la mort ?
La difficulté, voire la frilosité, à appréhender la mort, qui est pourtant
un fait permanent dont chacun fait irrémédiablement l’expérience, se
constate en premier lieu dans l’impossibilité à la définir autrement que par
3
antonymie. La mort est d’abord la fin, la cessation, l’arrêt de la vie . En cela,
elle est un fait biologique inhérent à la condition humaine. Néanmoins,
même par une approche clinique, la mort ne se laisse pas aisément définir.
En quête d’une identité biologique de la mort, c’est en 1966 que l’Académie
de médecine, rejetant les critères de l’arrêt de l’activité respiratoire et
circulatoire, devenus obsolètes, proposa l’arrêt de l’activité cérébrale comme
4
critère de la mort clinique . En outre, ce phénomène biologique laisse un

1. A. SCHOPENHAUER, Le Monde comme volonté et comme représentation, R. ROOS éd.,


Paris, 2003, p. 1203 (1re éd. 1966).
2. V. JANKÉLÉVITCH, La Mort, Paris, 1977.
3. É. LITTRÉ, Dictionnaire de la langue française, Paris, 1867 (rééd. 1957, t. 3, p. 3999-
4003) ; Trésor de la Langue Française. Dictionnaire de la langue du XIXe et du XXe siècle
(1789-1960), Paris, 1981 : http://atilf.atilf.fr/tlf.htm ; Dictionnaire de l’Académie
française, 9e éd., Paris, 2000, t. 2 : http://atilf.atilf.fr/academie9.htm.
4. G. DURAND, « Mort (bioéthique de la) », dans Encyclopédie philosophique universelle,
2. Les notions philosophiques, S. AUROUX dir., Paris, 1990, p. 1690-1691.
84 Antoine DESTEMBERG et Benjamin MOULET

résidu, la dépouille mortelle, le cadavre, le mort. Le substantif masculin n’a


pas beaucoup plus de fortune : le mort est celui qui ne vit plus. Mais tout
autant que la mort, le mort renvoie aussi à une acception où c’est davantage
l’altération de la vie qui est soulignée, la rupture avec l’environnement : ne
dit-t-on pas de celui qui se cache ou ne se manifeste plus, à l’image du
5
joueur de bridge ou de whist qui ne participe plus au jeu , qu’il fait le mort ?
La mort n’est donc pas qu’un phénomène biologique ; elle est aussi un
phénomène social.
Louis-Vincent Thomas ajoutait que la mort est « une donnée

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.115.175.129 - 28/04/2017 09h13. © Publications de la Sorbonne


socioculturelle par les croyances ou représentations qu’elle suscite et par les
6
attitudes et rites qu’elle provoque » . Dès lors, étudier la mort permet
d’abord d’étudier la vie : « La mort, du moins l’usage social qui en est fait,
devient l’un des grands révélateurs des sociétés et des civilisations, donc le
7
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.115.175.129 - 28/04/2017 09h13. © Publications de la Sorbonne

moyen de leur questionnement et de leur critique. » Et parce qu’elle est


aussi ce que Michel Vovelle a appelé un « invariant perpétuellement en
8
changement » , la mort est un objet d’histoire.
L’histoire de la mort et des sentiments qu’elle suscite ne s’est imposée
9
que tardivement, malgré l’appel lancé par Lucien Febvre dès 1941 .
L’historiographie a opéré divers glissements et tâtonnements pour en arriver
aux travaux les plus récents sur le sujet.
Comme l’a souligné Pierre Chaunu, la promotion de la mort en objet
d’histoire résulte d’abord d’une conjonction d’intérêts des historiens, dans
l’immédiat après-guerre, dans le contexte d’une démographie de la crise et
10
donc de la mort . Ce sont les historiens de l’époque moderne qui ont
inauguré ces travaux, comme en témoigne l’article fondateur de Pierre

5. Articles « mort », « mort(e) [adj.] », « mort(e) [nom] », Le Petit Robert, Paris, 1994,
p. 1441-1442.
6. L.-V. THOMAS, « Les rituels funéraires », Bulletin de la société de thanatologie, 60-61
(décembre 1984), repr. dans ID., Les Chairs de la mort. Corps, mort, Afrique, Paris, 2000,
p. 137.
7. ID., Mort et pouvoir, Paris, 1999, p. 12 (1re éd. 1978).
8. M. VOVELLE, L’Heure du grand passage. Chronique de la mort, Paris, 1993, p. 13.
9. L. FEBVRE, « Comment reconstituer la vie affective d’autrefois ? La sensibilité et
l’histoire », Annales d’Histoire Sociale (1941), repr. dans ID, Combats pour l’histoire,
Paris, 1953, p. 236 : « Nous n’avons pas d’histoire de l’Amour […]. Nous n’avons pas
d’histoire de la Mort […]. J’indique une direction de recherche. Et je ne l’indique pas à
des isolés […]. Je demande l’ouverture d’une vaste enquête sur les sentiments
fondamentaux des hommes et leurs modalités. »
10. P. CHAUNU, « Mourir à Paris (XVIe-XVIIe-XVIIIe siècle) », Annales ESC (1976),
p. 29-30.
La mort. Mythes, rites et mémoire 85

11
Goubert en 1952 , dans la vague de l’histoire quantitative et
démographique. À sa suite, d’autres historiens entendent, à l’aide des
registres paroissiaux, établir des taux de mortalité, pour tenter de mettre en
évidence les structures démographiques des sociétés préindustrielles :
conditions sanitaires, catastrophes naturelles, guerres, crises politiques, la
mortalité occupe une place prépondérante dans ces études.
C’est sur la base de cette histoire de la mortalité que, dans les années
soixante-dix, les premiers pas de la nouvelle histoire des mentalités et, en
particulier, des attitudes devant la mort ont peu à peu intéressé les

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.115.175.129 - 28/04/2017 09h13. © Publications de la Sorbonne


historiens : tentant de dépasser les modèles d’évolution démographique, leur
regard se tourne vers les pratiques religieuses. La mort est alors étudiée par
les historiens de l’époque moderne comme représentation mentale et
12
sociale . Mais cette primauté, voire ce monopole des modernistes
13
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.115.175.129 - 28/04/2017 09h13. © Publications de la Sorbonne

notamment français, est remise en cause , la thématique s’ouvrant à d’autres


périodes et d’autres approches, stimulées par les travaux de Philippe Ariès.
La publication en 1977 de L’homme devant la mort, tentative foisonnante de
percevoir sur la longue durée les comportements face à la mort, marque
profondément le paysage scientifique. À sa suite, la réflexion historique se
construit avec ou contre son triptyque, mort apprivoisée, mort inversée et
14
mort occultée, mais sans jamais l’ignorer .
De l’étude de la mortalité à l’étude de la mort, les historiens des
sociétés anciennes et médiévales, confrontés à d’autres formes de
questionnement de leurs sources, ont probablement franchi plus aisément le
15
pas, par des approches globales ou régionales . Depuis les années 1980, « la

11. P. GOUBERT, « En Beauvaisis, problèmes démographiques du XVIIIe siècle », Annales


ESC (1952), p. 453-468. Voir aussi P.e ARIÈS, Histoire des populations françaises et de
leurs attitudes devant la vie depuis le XVIII siècle, Paris, 1948.
12. M. VOVELLE, Piété baroque et déchristianisation en Provence au XVIIIe siècle. Les
attitudes devant la mort d’après les clausese des testaments, Paris, 1973 ; F. LEBRUN, Les
Hommes et la mort en Anjou aux XVII et XVIIIe siècles : essai de démographie et de
psychologie historiques, Paris, 1975 ; A. CROIX, La Bretagne aux 16e et 17e siècles : la vie,
la mort, la foi, Paris, 2 vol., 1980-1981.
13. M. VOVELLE, « Les attitudes devant la mort : problèmes de méthodes, approches et
lectures différentes », Annales ESC (1976), p. 120-132, réponse à E. LE ROY LADURIE,
« Chaunu, Lebrun, Vovelle : la nouvelle histoire de la mort », Le Territoire de l’historien,
Paris, 1973, p. 393-403 ; à compléter par M. VOVELLE, « Encore la mort : un peu plus
qu’une mode ? », Annales ESC (1982), p. 276-287 : « [Si] on a pu penser un temps que
l’histoire de la mort restait un jardin à la française dont les modernistes avaient le
monopole, ce temps est révolu », p. 277 ; et Mirrors of Mortality : Studies in the Social
History of Death, J. WHALEY éd., Londres, 1981.
14. P. ARIÈS, L’Homme devant la mort, Paris, 1977, complétant ID., Essais sur l’histoire
de la mort en Occident du Moyen Âge à nos jours, Paris, 1975, dans lequel l’auteur retrace
son parcours et ses avancées sur le sujet (p. 8-14).
15. La Mort, les morts dans les sociétés anciennes, G. GNOLI et J.-P. VERNANT dir., Paris,
1982 ; La Mort, les morts et l’au-delà dans le monde romain, F. HINARD éd., Caen,
86 Antoine DESTEMBERG et Benjamin MOULET

16
mort est à la mode », comme l’écrivait Jacques Le Goff et comme en
17
témoigne la précieuse synthèse de Michel Vovelle de 1983 .
Mais cet intérêt, que l’on ne peut réduire à une simple mode, est aussi
un engagement, un constat simple, celui du déni de la mort dans nos
18
sociétés contemporaines . Le développement parallèle de l’anthropologie de
la mort ou de l’ethnothanatologie, initiée et définie par Louis-Vincent
Thomas comme une science de la mort19, invite à observer plus étroitement
le mourir – processus qui commence dès la naissance – et ses pratiques, les
morts et les vivants, les croyances et les rites20.

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.115.175.129 - 28/04/2017 09h13. © Publications de la Sorbonne


Face à l’intolérable rupture qu’introduit la mort, la plupart des
sociétés ont développé des pratiques pour mieux appréhender cette dernière.
« Les rites funéraires constituent un drame que le groupe se joue à lui-même et
21
pour le défunt » , une des fonctions du rite étant de faire passer le mort du
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.115.175.129 - 28/04/2017 09h13. © Publications de la Sorbonne

22
statut de décédé à celui de défunt . La séparation qui s’opère par cette
ritualité serait un moyen pour les vivants de se situer par rapport au mort,
garantissant tout autant la paix des morts que celle des vivants, et au-delà de
23
situer ces derniers les uns par rapport aux autres dans l’espace du deuil . En
effet, la mort peut se présenter comme un moment de tension entre deux
sphères, qui sont aussi deux logiques parfois peu compatibles, la sphère du
public et celle du privé. La mort du sien, impliquant toute la palette des
sentiments de l’intime, n’a sans doute pas le même sens que la mort de l’être
social qui engage, elle, la logique du groupe et au-delà la multitude des
relations de chaque individu du groupe avec le défunt. Les rites de mort
apparaissent dès lors comme des « bricolages » qui tendent à taire ou parfois,
au contraire, à souligner ces logiques différentes du public et du privé. Que
l’on prenne l’exemple des funérailles grecques antiques au sein desquelles
coexistent la logique unitaire de la polis, qui s’exprime pleinement dans les
funérailles du héros, et celle de la familia funesta, la parenté successible, pour
laquelle les funérailles apparaissent comme un moment privilégié des

1987 ; La Mort au Moyen Âge, Colloque de la SHMESP, Strasbourg, 6-7 juin 1975,
Strasbourg, 1977 ; J. CHIFFOLEAU, La Comptabilité de l’au-delà : les hommes, la mort et
la religion dans la région d’Avignon à la fin du Moyen Âge, vers 1320-vers 1480, Rome,
1980 ; J. LE GOFF, La Naissance du purgatoire, Paris, 1981 ; M.-T. LORCIN, Vivre et
mourir en Lyonnais à la fin du Moyen Âge, Paris, 1981.
16. J. CHIFFOLEAU, La Comptabilité de l’au-delà, op. cit., p. V.
17. M. VOVELLE, La Mort et l’Occident de 1300 à nos jours, Paris, 1983.
18. P. BAUDRY, La Place des morts. Enjeux et rites, Paris, 1999, p. 21-22.
19. L.-V. THOMAS, Anthropologie de la mort, Paris, 1975.
20. ID., Mort et pouvoir, op. cit., p. 8-9.
21. ID., La Mort en question. Traces de mort, mort des traces, Paris, 1991, p. 258.
22. P. BAUDRY, La Place des morts, op. cit., p. 46.
23. L.-V. THOMAS, Rites de mort pour la paix des vivants, Paris, 1985.
La mort. Mythes, rites et mémoire 87

querelles familiales. Dans un Moyen Âge chrétien où la distinction entre


sphères publique et privée s’avère plus problématique, les rites de mort n’en
participent pas moins à la définition d’une identité, celle d’une famille, d’un
groupe social, d’une communauté qui inhume et célèbre ses morts, en quête
24
d’une unité dans la célébration de ses défunts .
Devant le large éventail des pratiques funéraires, la question de la
relation entre l’espace, le sacré et la mort est centrale : que peut-on faire de
ses morts et, ainsi, où et comment coexistent les vivants et les morts ?
L’Antiquité redoutait le voisinage des morts, malgré une certaine familiarité

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.115.175.129 - 28/04/2017 09h13. © Publications de la Sorbonne


avec eux. Avec le christianisme, le cadavre passe de l’état de souillure à celui
de possible objet du sacré ; la christianisation progressive des usages
funéraires impliqua la disparition du mobilier funéraire, l’interdiction de
l’incinération des cadavres et l’avènement du cimetière chrétien autour de
25
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.115.175.129 - 28/04/2017 09h13. © Publications de la Sorbonne

l’église, remplaçant les nécropoles antiques . Si le « spectacle des morts »


e 26
devient gênant et embarrassant au XVII siècle , c’est véritablement au
e
XIX siècle que se recompose la géographie des espaces funéraires. Le
cimetière devient un espace progressivement séparé, aboutissant à ce que
Jean-Didier Urbain nomme un « archipel des morts », miroir d’une mort
27
devenue interdite . Les morts deviennent encombrants et posent de
nombreux problèmes aux urbanistes ; hormis les cimetières encore intégrés
au tissu urbain ancien, les nouveaux cimetières se développent en périphérie,
28
comme le stipule la loi française actuellement en vigueur .
D’une certaine façon, comme le remarque Edgar Morin, « le non-
29
abandon des morts implique [la croyance en] leur survie » . Dans la plupart
des civilisations, la mort n’est pas pensée comme une finitude mais comme
un événement, un passage vers une autre forme de vie. La croyance en une
immortalité aboutit à la conception répandue d’un au-delà conçu comme le
lieu et le temps des morts. Que ce soit en Mésopotamie antique ou dans
l’Occident médiéval, cet au-delà est à l’image de la condition humaine du
mort : les méritants obtiennent la paix, les autres le châtiment.

24. M. LAUWERS, La Mémoire des ancêtres, le souci des morts. Morts, rites et société au
Moyen Âge (Diocèse de Liège, XIe-XIIIe siècles), Paris, 1997.
25. M. LAUWERS, Naissance du cimetière. Lieux sacrés et terre des morts dans l’Occident
médiéval, Paris, 2005.
26. P. ARIÈS, Essais sur l’histoire de la mort en Occident, op. cit., p. 30-31.
27. J.-D. URBAIN, L’Archipel des morts. Le sentiment de la mort et les dérives de la
mémoire dans les cimetières d’Occident, Paris, 1989.
28. L.-V. THOMAS, « Vie et mort en Afrique. Introduction à l’ethnothanatologie »,
Ethnopsychologie. Revue de psychologie des peuples, 27 (1972), repr. ID., Les Chairs de la
mort, op. cit., p. 59 : « Nul ne peut, sans autorisation, élever aucune habitation ni
creuser aucun puits à moins de cent mètres des nouveaux cimetières transférés hors des
communes », article L 361-4, code des communes et textes annexes, Paris, 1994.
29. E. MORIN, L’Homme et la mort, Paris, 2002, p. 33 (1re éd. 1951).
88 Antoine DESTEMBERG et Benjamin MOULET

Rares sont les sociétés à concevoir une totale séparation entre le


monde des vivants et celui des morts ; elles les rendent au contraire
perméables l’un à l’autre : intrusion des morts chez les vivants – revenants,
30
spectres ou autres ectoplasmes d’une part , intercession des saints d’autre part –
, intervention des vivants sur la condition des morts. La relation des vivants et
des morts n’est en effet jamais unilatérale. Le mort reste un exemple pour les
vivants : exemple à suivre entraînant éloge, célébration et commémoration ;
exemple à bannir, causant la condamnation à l’oubli, comme l’atteste la
pratique, antique et médiévale, de la damnatio memoriae.

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.115.175.129 - 28/04/2017 09h13. © Publications de la Sorbonne


La mémoire est l’une des voies essentielles de cette relation. Elle est à la
fois souvenir, individuel et affectif, et commémoration collective. La mémoire
est un enjeu social. Elle est constitutive d’une identité en permettant la
mobilisation, voire la récupération de l’image des morts : l’éloge funèbre met
31
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.115.175.129 - 28/04/2017 09h13. © Publications de la Sorbonne

autant en avant celui qui le prononce que le célébré ; les monuments aux
32
morts fournissent à chaque communauté ses héros ; les cimetières
33
deviennent lieux de la mémoire politique . Avec la mémoire se joue donc le
second temps de la mort : après la mort physique, la mort sociale, qui n’est pas
nécessairement contemporaine du dernier souffle de vie. La mémoire, tout
autant que les funérailles, opère une distinction que la mort ne met pas en place
34
mais qu’elle se contente de mettre au jour : on ne peut imaginer que la « belle
mort », tant des Spartiates que de Guillaume le Maréchal, était celle du
35
commun des sociétés anciennes et médiévales .

La mort, apprivoisée ou occultée, redoutée ou prétexte à réjouissances,


n’a jamais laissé indifférent, tant elle est révélatrice d’une société. L’inégalité
devant la mort ressort pleinement : dire, écrire, penser, s’occuper de la mort
et de ses morts distinguent et hiérarchisent une société. Que ce soit à travers
les récits exemplaires, les mythes, les réflexions philosophiques, les actes de la
pratique ou encore les rubriques nécrologiques de la presse quotidienne,

30. J.-C. SCHMITT, Les Revenants : les vivants et les morts dans la société médiévale, Paris,
1994.
31. J.-C. BONNET, « Les morts illustres. Oraison funèbre, éloge académique,
nécrologie », dans Les Lieux de mémoires, P. NORA dir., Paris, rééd. 1997, vol. 2,
p. 1831-1854.
32. A. PROST, « Les monuments aux morts. Culte républicain ? Culte civique ? Culte
patriotique ? », dans Les Lieux de mémoire, op. cit., vol. 1, p. 195-225 ; A. BECKER, Les
Monuments aux morts, mémoire de la Grande Guerre, Paris, 1988.
33. D. TARTAKOWSKY, Nous irons chanter sur vos tombes. Le Père-Lachaise, XIXe-XXe siècle,
Paris, 1999.
34. L.-V. THOMAS, La Mort en question, op. cit., p. 268.
35. N. LORAUX, « La belle mort spartiate », Ktèma, 2 (1977), p. 105-120 ; G. DUBY,
Guillaume le Maréchal, ou le meilleur chevalier du monde, Paris, 1984, p. 7-34.
La mort. Mythes, rites et mémoire 89

l’étude de la mort est d’abord l’étude d’une condition sociale devant la mort
et de l’affirmation d’une identité, individuelle ou collective.
On ne saurait assez souligner l’apport des réflexions historiques et
sociologiques à la compréhension des attitudes face à la mort. Si la mort a
une histoire, elle n’a de cesse d’avoir également une actualité que l’on
observe la vitalité des débats qui entourent la légalisation éventuelle de
36
l’euthanasie , ou ceux toujours vifs au sein des institutions internationales
37
concernant le maintien ou l’abolition de la peine de mort . Récemment fut
dressé le constat d’un changement des pratiques funéraires qui se traduit

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.115.175.129 - 28/04/2017 09h13. © Publications de la Sorbonne


38
notamment par le recours grandissant à la crémation . Si les pratiques
évoluent, les questions restent les mêmes : quelle ritualité pour ceux qui
restent ? Quelles places dans l’espace du deuil pour la sphère de l’intime et
celle du collectif ? Quels lieux pour ceux qui sont morts ? Quels liens entre
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.115.175.129 - 28/04/2017 09h13. © Publications de la Sorbonne

les vivants et les morts ?


Les études qui suivent n’ont ni la prétention de proposer des synthèses
historiques sur ce vaste sujet qu’est la mort, ni l’ambition d’esquisser un
tableau des évolutions chronologiques des conceptions, des perceptions et
des pratiques de la mort à travers les âges. Parmi la multitude des axes de
recherche qui s’offrent aux historiens, deux approches thématiques ont été
privilégiées : c’est d’abord la ritualité, les mises en scène de la mort et leurs
aspects signifiants qui sont soulignés, dans l’espace grec antique et médiéval.
L’exemple de l’annonce publique de la mort telle qu’elle se construit dans la
presse française contemporaine permet aussi de souligner tout l’enjeu d’une
approche conjointe des pratiques sociales et des discours élaborés. Le
deuxième axe retenu s’attache dès lors à mettre en évidence, en
Mésopotamie antique et dans l’Occident médiéval, le rôle des mythes et des
constructions imaginaires dans l’élaboration des discours sur la mort. Ce que
cet ensemble d’études voudrait avant tout souligner, c’est à quel point la
mort demeure un objet historique foisonnant.
William Gladstone disait : « Montrez-moi la façon dont une Nation
ou une société s’occupe de ses morts, et je vous dirai avec une raisonnable

36. P. BAUDRY, « Quel corps pour mourir ? », Le Passant Ordinaire, 42 (2002),


http://www.passant-ordinaire.com/revue/42-463.asp.
37. AMNESTY INTERNATIONAL, La Peine de mort dans le monde : évolution en 2004,
Paris, 2005. La Charte des Droits fondamentaux de l’Union Européenne, adoptée à
Nice le 7 septembre 2000, rappelle l’interdiction de la peine de mort comme critère
d’adhésion à l’Union (chap. 1, art. 2-1 et 2-2) : « Toute personne à droit à la vie. Nul
ne peut être condamné à la peine de mort, ni exécuté » :
http://www.europarl.eu.int/charter/pdf/text_fr.pdf.
38. Le Monde, 30 octobre 2005, p. 8.
90 Antoine DESTEMBERG et Benjamin MOULET

certitude les sentiments délicats de son peuple et sa fidélité envers un idéal


39
achevé. » L’étude de la mort n’est rien d’autre qu’une étude des vivants.

40
BIBLIOGRAPHIE INTRODUCTIVE

D. ALEXANDRE-BIDON, La Mort au Moyen Âge (XIII-XVIe siècle), Paris, 1998.


P. ARIÈS, Essais sur la mort en Occident du Moyen Âge à nos jours, Paris, 1975 (rééd.
1977).

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.115.175.129 - 28/04/2017 09h13. © Publications de la Sorbonne


P. ARIÈS, L’Homme devant la mort, Paris, 1977 (rééd. vol. 1, Le temps des gisants, et
vol. 2, La mort ensauvagée, 1985).
Autour de la mort, Annales ESC, 31e année, janvier-février 1976.
P. BAUDRY, La Place des morts. Enjeux et rites, Paris, 1999.
P. BAUDRY dir, L’Anthropologie de la mort aujourd’hui, Revue de l’Institut de Sociologie,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.115.175.129 - 28/04/2017 09h13. © Publications de la Sorbonne

1999/1-4, Bruxelles, 2002.


A. BECKER, Les Monuments aux morts, mémoire de la Grande Guerre, Paris, 1988.
Byzantine Eschatology : Views on Death and the Last Things, 8th to 15th Centuries,
Dumbarton Oaks Papers, 55 (2001), p. 1-177 (www.doaks.org/DOP55.html).
P. CHAUNU, La Mort à Paris, XVIe-XVIIe-XVIIIe siècles, Paris, 1977.
J. CHIFFOLEAU, La Comptabilité de l’Au-Delà. Les hommes, la mort et la religion dans la
région d’Avignon à la fin du Moyen Âge (vers 1320-vers 1480), Rome, 1980.
A. CROIX, La Bretagne aux 16e et 17e siècles : la vie, la mort, la foi, 2 vol., Paris, 1980-
1981.
R. GIESEY, Le Roi ne meurt jamais. Les obsèques royales dans la France de la Renaissance,
trad. fr., Paris, 1987.
G. GNOLI, J.-P. VERNANT dir., La Mort, les morts dans les sociétés anciennes, Paris, 1982.
P. GOUBERT, « En Beauvaisis, problèmes démographiques du XVIIIe siècle », Annales
ESC (1952), p. 453-468.
F. HINARD éd., La Mort, les morts et l’au-delà dans le monde romain, Caen, 1987.
V. JANKÉLÉVITCH, La Mort, Paris, 1977.
M. LAUWERS, La Mémoire des ancêtres, le souci des morts. Morts, rites et société au Moyen
Âge (Diocèse de Liège, XIe-XIIIe siècles), Paris, 1997.
M. LAUWERS, Naissance du cimetière. Lieux sacrés et terre des morts dans l’Occident
médiéval, Paris, 2005.
F. LEBRUN, Les Hommes et la mort en Anjou aux XVIIe et XVIIIe siècles : essai de
démographie et de psychologie historiques, Paris, 1975.
J. LE GOFF, La Naissance du purgatoire, Paris, 1981.
E. LE ROY LADURIE, « Chaunu, Lebrun, Vovelle : la nouvelle histoire de la mort », Le
Territoire de l’historien, Paris, 1973, p. 393-403.
M.-T. LORCIN, Vivre et mourir en Lyonnais à la fin du Moyen Âge, Paris, 1981.

39. Cité par L.-V. THOMAS, Mort et pouvoir, op. cit., p. 12.
40. Une tentative de synthèse bibliographique plus étoffée est consultable dans les
« Rencontres » du site de l’École doctorale d’histoire de l’Université Paris I :
[http://edoc-histoire.univ-paris1.fr/rencontres.htm].
La mort. Mythes, rites et mémoire 91

M. MARGUE éd., Sépulture, mort et représentation du pouvoir au Moyen Âge, Actes des
11e journées lotharingiennes, 26-29 septembre 2000, Luxembourg, 2006 (Publications de
la Section Historique de l’Institut Grand-Ducal de Luxembourg, CXVIII).
E. MORIN, L’Homme et la mort, Paris, 1977.
J.-C. SCHMITT, Les Revenants. Les vivants et les morts dans la société médiévale, Paris,
1994.
D. TARTAKOWSKY, Nous irons chanter sur vos tombes. Le Père-Lachaise, XIXe-XXe siècle,
Paris, 1999.
L.-V. THOMAS, Anthropologie de la Mort, Paris, 1975.
L.-V. THOMAS, Rites de mort pour la paix des vivants, Paris, 1985.
L.-V. THOMAS, Mort et pouvoir, Paris, 1978 (rééd. 1999).

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.115.175.129 - 28/04/2017 09h13. © Publications de la Sorbonne


L.-V. THOMAS, Les Chairs de la mort. Corps, mort, Afrique, Paris, 2000.
J.-D. URBAIN, L’Archipel des morts : le sentiment de la mort et les dérives de la mémoire
dans les cimetières d’Occident, Paris, 1989.
M. VOVELLE, Piété baroque et déchristianisation en Provence au XVIIIe siècle. Les attitudes
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.115.175.129 - 28/04/2017 09h13. © Publications de la Sorbonne

devant la mort d’après les clauses des testaments, Paris, 1973 (nlle éd. augm., 1997).
M. VOVELLE, Mourir autrefois. Attitudes collectives devant la mort aux XVIIe et
e
XVIII siècles, Paris, 1974.
M. VOVELLE, « Les attitudes devant la mort : problèmes de méthodes, approches et
lectures différentes », Annales ESC (1976), p. 120-132.
M. VOVELLE, La Mort en Occident de 1300 à nos jours, Paris, 1983.
J. WHALEY éd., Mirrors of Mortality. Studies in the Social History of Death, Londres,
1981.
J. ZIEGLER, Les Vivants et les morts : essai de sociologie, Paris, 1976.

You might also like