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L’Etat français n’a guère qu’un mois d’existence lorsqu’il interdit la franc-maçonnerie.

La loi du 13
août 1940 dissout les « sociétés secrètes » et, quelques jours plus tard, sont déclarées nulles les
associations dites de la « Grande Loge de France », et du « Grand Orient » en métropole et dans
l’Empire. Quels sont les auteurs de cette loi ? A quelles motivations obéissent-ils ? L’ensemble du
gouvernement du maréchal Pétain est associé à la décision puisque le projet de loi a été présenté au
Conseil des ministres, à Vichy. Une discussion s’est même engagée à propos du terme de « sociétés
secrètes ». Le ministre du Travail, René Belin, souligna l’intérêt d’une formule large qui permettrait
de toucher en même temps les groupes de pression du patronat comme le Comité des forges. Le
garde des Sceaux, ministre de la Justice, Raphaël Alibert a éprouvé de la satisfaction à rédiger cette
loi. Disciple de Charles Maurras, porté à attribuer ses échecs électoraux sous la IIIe République à
des manœuvres déloyales, Alibert déploie une grande activité répressive et antirépublicaine. Il
pourchasse comme traîtres tous les amis de la Grande-Bretagne qu’ils soient révélés, comme le
Général de Gaulle qu’il fait condamner à mort par un conseil de guerre, ou potentiels comme les
francs-maçons. Le maréchal Pétain est subjugué par la fougue entraînante de son garde des Sceaux.
Alibert a su réveiller le souvenir amer de l’affaire des fiches que Pétain en son temps avait
réprouvé. En juillet 1940, le maréchal reçoit Camille Chautemps qui l’a beaucoup aidé, comme
vice-président du Conseil, à imposer la solution de l’armistice, le 16 juin 1940. Conseille à ce
radical, haut dignitaire de la franc-maçonnerie (prince du royal secret) de démissionner de la société
de pensée. Chautemps décline la proposition et demande au maréchal Pétain quels reproches lui
inspire la franc-maçonnerie. Pétain lui répond vaguement : « Je sais seulement que c’est une société
dont tout le monde me dit qu’elle fait beaucoup de mal à mon pays. »

L’hostilité affichée de Pétain

Par la suite, Pétain ne se contente plus de partager les sentiments de son entourage, il développe une
hostilité marquée. A Gergovie, le 30 août 1942, il la dénonce aux membres de la Légion française
des combattants : « Une secte, bafouant les sentiments les plus nobles, poursuit, sous couvert de
patriotisme, son œuvre de trahison et de révolte. » En janvier 1943, il encourage le zèle du Service
des sociétés secrètes : « Vous ne devez pas hésiter. La franc-maçonnerie est la principale
responsable de nos malheurs ; c’est elle qui a menti aux Français et qui leur a donné l’habitude du
mensonge. Or, c’est le mensonge et l’habitude du mensonge qui nous ont amenés où nous
sommes. » Philippe Pétain a trouvé une formule dont il est assez content pour la répéter à plusieurs
interlocuteurs : « Un juif n’est jamais responsable de ses origines ; un franc-maçon l’est toujours de
ses choix. » Pierre Laval témoigne de l’animosité du maréchal de France : « Le maréchal Pétain,
écrit-il, attribuait à la franc-maçonnerie la responsabilité de nos malheurs et il considérait ses
membres comme des malfaiteurs publics. » Ont joué contre les loges, le souvenir de l’affaire
Stavisky, l’antiparlementarisme et certainement la pensée catholique, mais les événements
politiques immédiats ont aussi leur part. Les responsables et les officiers sont très affectés par la
dissidence dans l’Empire. Les chefs de l’armée, le général Weygand, l’amiral Darlan, avaient
accepté les très dures conditions que Hitler imposait dans l’armistice parce que la France conservait
sa flotte et l’Empire. Or, l’appel de Charles de Gaulle agitait les colonies. Le gouverneur du Tchad,
Félix Eboué prit contact avec lui et rallia son pays à la France libre. Félix Eboué était franc-maçon.
Or, nombreux étaient les fonctionnaires des colonies appartenant à la franc-maçonnerie. La loi du
13 août 1940 était un bon instrument pour épurer une administration coloniale tentée par les appels
de Londres. La lettre de présentation au maréchal Pétain de la loi du 13 août 1940 qui dissout les
sociétés secrètes fait état des risques de sabotage de l’œuvre de redressement national qui seraient
dus à l’appartenance de fonctionnaires à la franc-maçonnerie : « Leur activité tend trop souvent à
fausser les rouages de l’Etat et à paralyser l’action du gouvernement. » La publication de la loi au
Journal officiel du 14 août 1940 s’accompagne de deux formulaires à remplir par tous les
fonctionnaires, agents des communes, établissements publics de métropole, des colonies et
protectorats. Par l’un, le signataire déclare n’avoir jamais appartenu à la franc-maçonnerie et prend
l’engagement de ne jamais y appartenir. L’autre modèle de formulaire tient compte de l’intérêt de
l’Etat français de ne pas se priver des services d’hommes désabusés par leurs erreurs. Le
fonctionnaire y avoue avoir été membre d’une société secrète et précise à quelle date il a rompu
toute attache avec la franc-maçonnerie. Il s’engage à ne plus jamais y adhérer. Toute fausse
déclaration entraîne la démission d’office de son auteur. La vérification des déclarations eut pour
conséquence la création d’organismes spécialisés, police et préfets n’offrant pas toutes les garanties
d’efficacité. Peu zélés à réprimer, ils se disaient dépourvus de moyens de contrôle des déclarations.
Un idéologue de l’antimaçonnisme apporta, en août 1940, à Raphaël Alibert, la loi portugaise contre
les sociétés secrètes ; le vicomte Léon de Poncins, lui avait offert sa documentation en l’avertissant
que, sans fichiers, les mesures d’interdiction seraient plus efficaces. Des fichiers et des organismes
de surveillance se mettent en place dans une grande discrétion qui masque une lutte pour leur
contrôle entre les vichystes et les Allemands. A la fin d’octobre 1940, les scellés sont apposées sur
les locaux des obédiences ; documents et archives sont saisis. Le chef de l’Etat charge le nouvel
administrateur général de la Bibliothèque nationale, Bernard Faÿ, d’inventorier cette masse
d’archives. Son secrétaire, Gueydan de Roussel, organise l’inventaire et l’exploitation des énormes
archives tirées des loges et confiées à la BN. Les Allemands s’intéressent aussi à ces trésors. En
décembre 1940, ils pillent des caisses venant des obédiences maçonniques de Caen et de Bordeaux.
L’état-major spécial de Rosenberg envoie en Allemagne quatre cent soixante-dix caisses de
documents provenant des territoires occupés à l’ouest.

Une quantité de services

Le lieutenant S.D. Moritz est chargé du service antimaçonnique allemand. Il se tient au courant des
activités des bureaux français car Bernard Faÿ n’est plus seul. Se sont créés : un service de
renseignements, rue Greffulhe, dirigé par Jean Marquès-Rivière ; un service de la Préfecture de
police, 4, square Rapp (à l’emplacement de l’ancienne Société théosophique), dirigé par le
commissaire Moerschel ; et enfin un centre de documentation, 8, rue de Puteaux (siège de la Grande
Loge de France) où officie Henry Coston. L’amiral Darlan s’inquiète de ce foisonnement et crée, à
son tour, en mai 1941, le Service de police des sociétés secrète confié au capitaine de frégate Robert
Labat, venu du 2e Bureau de la marine qui constitue son réseau de renseignements en zone sud.

Une seconde offensive contre la franc-maçonnerie se déclenche au cours de l’été 1941. Raphaël
Alibert n’est plus ministre et la volonté répressive de l’amiral Darlan, vice-président du Conseil, a
de quoi surprendre ceux qui connaissent ses amitiés maçonniques. Il s’est toujours défendu
d’appartenir à la maçonnerie et a signé, sans hésitation, le serment écrit que Pétain exigea un jour
des ministres réunis en conseil. Il affirme au garde des Sceaux, Joseph Barthélemy : « Je ne suis pas
franc-maçon, mais mon père l’a été pour deux. » L’origine du durcissement vient de la situation
générale. L’offensive contre l’URSS a rendu les Allemands plus vigilants et plus exigeants. Goering
rappelle que la « lutte contre les juifs, les francs-maçons et autres puissances "idéologique"
opposées à l’Allemagne est une tâche toujours urgente du parti et de l’armée. » La France vient de
perdre le Levant après d’éprouvants combats contre les Français libres, situation qui conduit à
rechercher des « traites ». La politique germanophile de Darlan est contestée jusqu’au cœur du
pouvoir, en particulier par le général Weygand. Les amis, de ce dernier font courir le bruit de son
appartenance à la « synarchie », société secrète protéiforme. Il lui est donc utile de jouer les
vertueux.

Les frères sont assimilés aux juifs

Dans cette recherche des boucs émissaires responsables de l’échec de la révolution nationale, le
maréchal Pétain prononce, le 12 août 1941, le discours du « vent mauvais » où il montre que la
lenteur de la rénovation vient de l’opposition de ceux qui privilégient leur intérêt avant les intérêts
de l’Etat : les trusts, les anciens partis politiques et la franc-maçonnerie. Il annonce des mesures
sévères. L’amiral Darlan et son ministre de l’Intérieur, Pierre Pucheu, constatent que les mesures de
1940 interdisent l’activité et le recrutement de nouveaux membres des sociétés secrètes mais sont
incapables de briser l’étroite solidarité qui subsiste entre les dignitaires en même temps qu’elles ne
permettent pas d’éprouver la sincérité du ralliement des fonctionnaires francs-maçons au régime.
Une nouvelle loi (11 août 1941) interdit donc aux anciens dignitaires et hauts gradés de la franc-
maçonnerie l’exercice des fonctions publiques énumérées à l’article 2 du statut des juifs du 2 juin
1941 (on note la volonté d’assimilation des catégories d’exclus). Les fonctionnaires et militaires
concernés sont déclarés démissionnaires d’office. Ils sont nombreux dans ce cas car la qualification
de « hauts gradés » s’applique dès le troisième degré (maître) et concerne donc la très grande
majorité des francs-maçons en France. La loi prévoit surtout une disposition qui se veut infamante
et cherche à impliquer la population française : le Journal officiel publie, dès le 12 août 1941, les
noms des dignitaires et hauts gradés. En quelques mois sont exposés à la curiosité du public les
noms de dix-huit mille dignitaires francs-maçons. Plus de trois mille fonctionnaires sont renvoyés.
Si les Français découvrent la confirmation d’appartenance largement dénoncées par la presse en
1933-1934, ils s’étonnent de certaines absences et ne voient pas toujours l’intérêt de publier autant
de noms de postiers et d’instituteurs, exacts serviteurs du public par ailleurs. La Légion française
des combattants se réjouit. Jusque-là privée d’un accès aux dossiers individuels par les préfets, elle
dispose enfin de listes à pointer pour obtenir le renvoi des fonctionnaires suspects. Le ministre des
Communications, Jean Berthelot, envoie à Alger un haut responsable franc-maçon de la SNCF, au
poste de chef des services financiers du Méditerranée-Niger. La Légion repère son nom sur les listes
et s’indigne auprès du maréchal : « L’Algérie n’est pas la terre de refuge des fonctionnaires
indésirables en France. » Le retour au pouvoir de Pierre Laval, en avril 1942, est marqué par une
distance par rapport à la politique de Darlan-Pucheu. Plus politique, il prête l’oreille aux protestants
de Marcel Déat qui, dans L’œuvre, est devenu l’avocat des francs-maçons persécutés. Sa position
est un retour à la politique de 1940 : écarter les nostalgiques de l’ancien régime mais ne pas
inquiéter les francs-maçons dévoués au bien public. Il explique ses intentions aux préfets de la zone
libre, le 25 septembre 1942 : « Le maire de Rouen est franc-maçon et il remplit son devoir d’une
manière magnifique sous les bombes. Il fait figure de grand Français et je ferais figure de petit
français si je l’écartais. Le maire de Vitry-le-François est franc-maçon. Il a eu sa ville détruite deux
fois. Il est encore là pour servir ses compatriotes. Je serais un mauvais Français si je lui faisais du
mal. » Il soulignera, lors de son procès, dans un but plus intéressé, que la question de la répression
antimaçonnique l’opposait au maréchal Pétain. Au demeurant, Pierre Laval ne touche pas à la
législation existante mais il accorde plus largement les dérogations qu’elle prévoyait (Marcel
Peyrouton, ministre de l’Intérieur, en a bénéficié lorsqu’il devint ambassadeur en Argentine). Il
recommande à Maurice Reclus, un conseiller d’Etat qu’il nomme à la tête de la Commission des
dérogations, de protéger les faux déclarants, d’accorder largement des dérogations et de faciliter la
réintégration des fonctionnaires francs-maçons (mais il les fait surveiller étroitement). L’Etat
français a beaucoup dépensé pour la propagande. De cette manne, l’antimaçonnisme a bien profité.
Des affiches dénoncent l’emprise des francs-maçons sur les républicains, leur collusion avec les
Anglo-Saxons, leurs liens avec les juifs. Causeries à la radio et conférences répètent ces reproches.
Bernard Faÿ a publié pendant quatre ans une revue mensuelle Les documents maçonniques où
voisinent des études historiques (La Révolution, L’affaire des fiches, La SDN, Les parlementaires),
des dossiers sur le rôle de la maçonnerie dans la société et des articles de propagande plus
élémentaires. En octobre-novembre 1940, le Petit Palais abrite une exposition préparée par Jacques
de Lesdain, le directeur politique de L’illustration, « La franc-maçonnerie dévoilée ». Les
organisateurs annoncent un million de visiteurs à Paris, chiffre à prendre avec les précautions
d’usage. L’exposition est montrée à Nancy, Bordeaux, Rouen, avant d’être présentée à Berlin en
1942.

Alger protège les francs-maçons

Il fallut attendre l’arrivée du général de Gaulle à Alger en 1943 pour que les fonctionnaires
révoqués – maçons ou non – soient réintégrés. En novembre 1943, le Grand Maître Dumesnil de
Gramont arrive à Alger pour siéger au nom du mouvement de résistance Libération-Sud à
l’assemblée consultative. Il s’emploie à ce que les travaux des loges puissent reprendre en toute
légalité. Jacques Soustelle et Georges Gorse demandent à de Gaulle de répondre à ce souhait. La
présence d’Henri Queuille, un radical, à la vice-présidence du Comité français de libération
nationale (CFLN), favorise les démarches. A l’assemblée consultative, le général de Gaulle répond à
Yvon Morandat : « Nous n’avons jamais reconnu les lois d’exception de Vichy, en conséquence la
franc-maçonnerie n’a jamais cessé d’exister en France. » Enfin, le 15 décembre 1943, une
ordonnance du CFLN porte annulation de la loi du 13 août 1940 et des dispositions relatives aux
sociétés secrètes. Après la Libération, l’ordonnance du 31 mars 1945 rétablit la légalité républicaine
et rend exécutoire en métropole l’ordonnance d’Alger du 15 décembre 1943

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