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Les études des années quatre-vingt-dix avaient montré que la meilleure protection
périopératoire pour la chirurgie non-cardiaque est une revascularisation complète, parce que
dans ce cas, l’incidence de complications ischémiques (infarctus 0.8%, mortalité cardiaque
1.7%) est équivalente à celle de la population générale présentant les facteurs de risque
équivalents mais sans maladie coronarienne [11,110]. Il existe toutefois des limites à ces
données (Figure 3.12A).
L’indication n’est pas prophylactique mais cardiologique (voir plus loin); elle est la
même qu’en dehors du contexte chirurgical; elle est liée à la présence d’un syndrome
coronarien instable.
L’ischémie est liée à un déséquilibre du rapport DO2/VO2 dû à une sténose serrée.
Les délais imposés entre la revascularisation et l’opération non-cardiaque (6 semaines
à 12 mois) doivent être compatibles avec l’évolution de l’affection chirurgicale
(tumeur, anévrysme, fracture, etc).
Les risques de la revascularisation sont plus élevés chez les malades polyvasculaires
(mortalité des PAC : 6% au lieu de 1.7%) qui sont les plus fréquemment concernés par
ce débat.
Les risques additionnés de la revascularisation (PAC ou PCI) et de la chirurgie non-
cardiaque doivent être inférieurs au risque de l’intervention sous simple protection
médicamenteuse (β-bloqueurs, antiplaquettaires, statines). Or la revascularisation
augmente le risque de complications cardiaques dans le postopératoire immédiat (OR
1.5) ; à long terme, les PAC diminuent le risque cardiaque chez les polyvasculaires
(OR 0.6) davantage que la PCI [22].
Chez les patients souffrant de maladie coronarienne stable, la PCI avec stents n’offre aucun
bénéfice en terme de mortalité, d’infarctus ou de revascularisation ultérieure comparée au
traitement médical, sauf en cas de dysfonction ventriculaire ou dans les suites d’un infarctus
récent [124]. L’étude COURAGE, qui analyse la survie et les récidives d’ischémie chez deux
groupes de patients souffrant de coronaropathie stable strictement randomisés entre traitement
médical optimal et traitement médical avec PCI, n’a révélé aucune différence entre les deux
groupes ni dans la mortalité, ni dans l’incidence d’infarctus, ni dans le taux d’ictus au cours
d’un suivi de 3 ans [252]. L’analyse d’un sous-groupe de cette étude comprenant des malades
souffrant d’angor stade III n’a pas non plus démontré de différences [160]. Toutefois,
lorsqu’elle est guidée par le calcul de la FFR (fraction de flux de réserve), la PCI abaisse la
mortalité et le risque d’infarctus chez les malades qui souffrent d’ischémie active, même en
cas de coronaropathie stable (OR 0.32) [57]. La revascularisation a donc une place dans la
coronaropathie stable lorsqu’on peut démontrer la présence d’une ischémie active persistante
(voir Chapitre 9, Traitements interventionnels). D’une manière générale, par contre, on peut
conclure que la revascularisation ne fait pas partie de la préparation préopératoire des malades
asymptomatiques (angor stable à fonction ventriculaire conservée), puisqu’elle ne confère
aucun bénéfice en terme de morbi-mortalité périopératoire par rapport à un traitement médical
optimal [83,137,261].
Chez les malades qui ont fait un infarctus ou qui ont souffert d’un syndrome coronarien aigu
(non-STEMI), la situation est différente. Leur mortalité à 1 an après chirurgie non-cardiaque
et leur incidence de réinfarctus à 30 jours postopératoires est d’environ 50% plus basse s’ils
ont été revascularisés que s’ils ont été traités médicalement : 18% versus 35% et 5% versus
10%, respectivement [152]. Pour obtenir ce bénéfice, le délai entre la revascularisation et
l’opération doit être d’au moins 1 mois, car dans les 4 premières semaines, le risque de
réinfarcissement est 6 fois plus élevé. D’autre part, les PAC offrent une meilleure protection
que la PCI avec stents : le taux de réinfarctus est de 3.5% versus 6.1%, respectivement. Cette
différence est d’autant plus marquée que le délai entre la devascularisation et la chirurgie est
plus court [152]. L’avantage des PAC sur la PCI est particulièrement important en cas de
coronaropathie tritronculaire, de lésion du tronc commun, de diabète et de dysfonction
ventriculaire [179].
Après PCI et pose de stent, la durée du délai est liée à celle de la réendothélialisation du stent.
Dans un stent métallique simple, ou stent passif (bare metal stent, BMS), l’armature est en
contact direct avec le sang pendant plusieurs semaines. Il faut attendre 6 semaines pour
qu’elle soit recouverte par une couche cellulaire, qui n’est faite que de cellules musculaires
lisses ; ce délai représente également la durée minimum pour la cicatrisation des lésions après
un infarctus [172]. Ce n’est pas avant 3 mois que les parties métalliques sont complètement
enfouies dans le tissu cicatriciel et la surface recouverte d’une néo-intima (Figure 3.13) [101].
Tant que le stent n’est pas entièrement recouvert, le risque de thrombose par adhésion des
thrombocytes nécessite une bi-thérapie antiplaquettaire aspirine + clopidogrel ou prasugrel ou
ticagrelor pendant 6 semaines ; l’aspirine est continuée à vie. Le taux de thrombose est ainsi
inférieur à 2% pendant le premier mois et < 0.1% au-delà. Cependant, le néo-endothélium
tend à proliférer, ce qui provoque un taux de resténose de 12-20% à 9-12 mois [219].
Après PCI et stent passif, le risque opératoire est directement lié au délai entre la
revascularisation et la chirurgie. Durant les 6 premières semaines, les risques de thrombose et
d’infarctus sont d’environ 35% (mortalité opératoire: 18-26%) ; l’incidence décroît à 3-5%
dès 6 semaines et devient inférieure à 1% au-delà de 3 mois (voir Figure 3.12B)[219,220].
Ces résultats s’entendent pour des malades maintenus sous bi-thérapie pendant 6 semaines
(voir Les antiplaquettaires).
Pour remédier à la haute incidence de resténose dans les stents passifs, on a développé des
stents à élution, dits stents actifs (drug-eluting stents, DES), qui libèrent progressivement des
produits antiprolifératifs ; les substances utilisées dans la première génération de stent actif
sont le sirolimus (rapamycine) et le paclitaxel. Le taux de resténose est ainsi passé à 3% à 1 an
et 6% à 3 ans [160]. Toutefois, ce progrès s’accompagne d’un ralentissement considérable de
la réendothélialisation. En effet, seule 13% de la surface des stents actifs est endothélialisée à
3 mois [94]. Sur une période d’observation allant jusqu’à 40 mois, des examens autopsiques
de malades porteurs de stents actifs ont montré que l’endothélialistion ne dépasse pas 56% de
la surface, alors que le 95% de la surface des stents passifs est entièrement recouverte entre 3
et 6 mois. Ce retard est plus important chez les patients avec des thromboses que chez ceux
dont les stents sont perméables (Figure 3.14) [81]. Contrairement à la néointima épaisse qui se
forme dans les stents passifs, la surface des stents actifs est couverte d’une couche
endothéliale fine et fragile accompagnée d’une réaction inflammatoire, très voisine de celle
d’une plaque instable. Cette situation requiert une double thérapie antiplaquettaire prolongée
(minimum 12 mois).
Les études sur le devenir des stents actifs ont démontré une diminution du taux de
revascularisation secondaire quatre fois plus bas que pour les stents passifs, mais une
augmentation du risque de thrombose tardive de 0.6%/an (2.2% à 4 ans) lorsque les patients
ne sont plus sous bi-thérapie [231]. Le problème tient au fait que la thrombose de stent a une
mortalité de 11-45% (moyenne 25%) et un taux d’infarctus allant jusqu’à 50%, alors que la
resténose est un événement bénin dont la mortalité est < 1%. En effet, la thrombose de stent
correspond à l’occlusion abrupte d’un vaisseau dont le flux était normal et la collatéralisation
faible. Les prédicteurs de la thrombose de stent sont par ordre croissant d’importance
[161,262] :
Toutes ces données concernent les stents de première génération. Des progrès techniques
(armature en alliage de magnésium ou en polymère de lactate biorésorbables) et de nouvelles
substances antiprolifératives (zotarolimus, everolimus, biolimus) modifient ces données.
L’expérience montre en effet qu’une bithérapie antiplaquettaire de 6 mois seulement ne
modifie pas le pronostic par rapport à un traitement de 12 à 24 mois dans le cas de stents à bas
risque et chez des malades non-diabétiques [105,239]. Toutefois, cesser la bithérapie après 6
mois, comme il est concevable dans une coronaropathie stable, n’est pas un scénario
extrapolable à la période périopératoire, qui est une période à haut risque accompagnée d’un
syndrome inflammatoire massif et d’une hyperactivité thrombocytaire puissante. La faisabilité
d’un traitement de seulement 6 mois dans certaines circonstances n’est en aucun cas un
argument pour interrompre une thérapie en cours afin de programmer une intervention
chirurgicale dans des délais raccourcis. Tout au plus, certaines données récentes avec les
nouveaux stents permettent d’envisager une opération vitale dans un délai de 3-6 mois [111].
D’autre part, l’absence de recul à long terme et d’expérience dans le périopératoire avec les
stents de deuxième et troisième génération n’autorise pas pour l’instant à modifier les
recommandations faites concernant les délais et le traitement antiplaquettaire après pose de
stents actifs. Quel que soit le risque propre des stents en fonction du délai, le pronostic du
patient est très fortement dépendant de son risque cardiovasculaire (anamnèse de SCA,
infarctus, FE basse, AVC, etc) et de la gravité de l’intervention chirurgicale [111].