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R O C K & F O L K N ° 6 2 1 ★ M A I 2 0 1 9 ★ FAT W H I T E FA M I LY

L 19766 - 621 H - F: 6,50 € - RD

MAI 2019
N°621 / 6,50 € / MENSUEL
BEL 7,15 €
SUISSE 11,30 CHF
LUX 7,15 €
PORTUGAL CONT 7,40 €
CAN 11,30 $ CAN / ITA 7,40 €
DOM 7,40 €
N CAL (S) 975 XPF
POL (S) 1090 XPF
ESPAGNE 7,40 €
ILE MAURICE 7,40 €
Edito

Contre favorable
Le rock a un passé. Glorieux. Multiple. Essentiel, etc. OK.
Et si l’on peut penser qu’il n’a pas d’avenir, ce qui reste à voir,
il a un présent. Des filles, des gars. De la pop, du psychédélisme
et du rock aussi. Aujourd’hui, là, maintenant.
Fat White Family fait partie de ce présent. Comme d’autres.
King Gizzard, Tim Presley, comme Courtney Barnett, Ty Segall,
comme les frères D’Addario et même comme Peter Doherty
qui sort un nouveau disque ces jours-ci.
Tous, ou la plupart, avec cette culture apprise en ligne, sans lire
la presse, cet antique et délicieux média. Certains, bien sûr, ont
écouté les disques des parents. Ce qui, par ici, n’était pas utile dans
les années 60, car les disques des parents, c’était de l’opérette
ou du musette. Des styles en ette. Tous profitant de cette inédite
et fantastique possibilité, quasi infinie, de tout entendre.
Impossible avant mais les privant, il faut le dire, de la frime
de ressortir des prestigieux disquaires, avec le sac
en plastique en évidence, frappé des couleurs du magasin.
Façon badge, histoire de revendiquer une appartenance.
Montrer le truc. De toute façon, les sacs en plastiques seront bientôt
interdits partout. C’est bien cette possibilité et ce moment de la
petite histoire où la culture, l’intelligence, la curiosité est au centre.
Et accessible. De pouvoir écouter, et voir parfois, ces groupes
obsédants, en action, vivants. Il suffit de ne pas taper
les Anges ou les Ch’tis dans le moteur de recherche.

Fat White Family ? Lias et Nathan Saoudi, Saul Adamczewski ?


Contre ! Contre le Brexit, contre la société, contre la sobriété,
contre l’état, les classes supérieures, la gentrification, contre
Mac DeMarco... bref, contre. Contre par principe. Un peu, donc,
comme à l’origine, non ? Cette musique et la jeunesse qu’elle a
séduite a, à la plupart des époques été contre. Contre les parents,
les croulants selon l’époque, contre les cheveux courts, contre les
cheveux longs, contre travailler dans des bureaux, contre le passé,
contre le futur aussi... contre des vies grises, déjà tracées...
Avec ce disque, “Serfs Up!”, comme un cousin dérangé
du second Specials, la Fat White Family est là, bien vivante.

C’est important d’être vivant alors que Kurt Cobain décidait, lui,
il y a 25 ans, d’appuyer sur la gâchette. Un bilan s’impose et au
moment où l’on apprend que le revolver avec lequel ce serait
mortellement blessé Vincent Van Gogh sera mis aux enchères
(40 000 euros) on peut craindre qu’un jour le fusil avec lequel se
tua Cobain sera mis en vente… La corde de Ian Curtis, quelqu’un ?

Enfin, que penser de cette rumeur un peu fofolle de rebaptiser


l’aéroport d’Orly, aéroport Johnny Hallyday ? Il faut reconnaître que
ça ouvre des possibilités, là. Des boulevards Ramones, des gares
David Bowie, des squares Kinks, des stades Mötley Crüe, des
gymnases Debbie Harry, des avenues Elvis Presley, des rues
Rolling Stones, des places Patti Smith ! Pas d’impasse, non,
mais pas d’écoles Gary Glitter non plus !
VINCENT TANNIERES

MAI 2019 R&F 003


Sommaire 621
Parution le 20 de chaque mois

Mes Disques A Moi


Jean-Emmanuel Deluxe LONG GONE JOHN 12
Tête d’affiche
Jérôme Reijasse JOHNNY MONTREUIL 16
KEVIN MORBY 18
Eric Delsart

Photo Thibault Lévêque-DR


Jonathan Witt CAGE THE ELEPHANT 20
In memoriam
Benoît Sabatier SCOTT WALKER 22 26 Peter Doherty
En vedette & The Puta Madres
Basile Farkas & Matthieu Vatin PETER DOHERTY 26
NEW ORDER 30
Christophe Basterra

FRANK ZAPPA 34
Eric Dahan

Alexandre Breton DEAD CAN DANCE 38


Christian Casoni LE BLUES FRANCAIS
, 42
Nicolas Ungemuth GENERATION X 46
KURT COBAIN 52
Thomas E. Florin

En couverture
Thomas Andrei FAT WHITE FAMILY 60
La vie en rock
www.rocknfolk.com Patrick Eudeline HAL BLAINE 66
COUVERTURE PHOTO : SARAH PIANTADOSI (DR) GRAPHISME : FRANK LORIOU 60 Fat White Family
RUBRIQUES EDITO 003 COURRIER 006 TELEGRAMMES 010DISQUE DU MOIS 071DISQUES 072 REEDITIONS 080REHAB’084 VINYLES086DISCOGRAPHISME 088
QUALITE FRANCE 090 HIGHWAY 666 REVISITED 092 BEANO BLUES 094 ERUDIT ROCK 096 FILM DU MOIS 098 CINEMA 099 SERIE DU MOIS 101
DVD MUSIQUE 102 BANDE DESSINEE 104 LIVRES 105 AGENDA 106 LIVE 110 ROCK’N’ROLL FLASHBACK 113 PEU DE GENS LE SAVENT 114

Rock&Folk Espace Clichy - Immeuble Agena 12 rue Mozart 92587 Clichy Cedex – Tél : 01 41 40 32 99 – Fax : 01 41 40 34 71 – e-mail : rock&folk@editions-lariviere.com
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Courrier des lecteurs
Ça vous fait marrer ce look de coton-tige claquant des doigts ?
Je ne dis pas d’utiliser une photo de dites) : le ciel bleu des Crickets le 31 janvier 1959 à Duluth, Minnesota
moi maintenant mais au moins creusez Gazouillants et la pochette du “That’ll quand je lui ai tapé dans l’œil. Pour
vous le ciboulot pour réinventer le Be The Day” crépusculaire en bas de les nécros à venir de Little Richard ou
genre. J’existe aussi en jeans et T-shirt page 51, saviez-vous qu’il s’agit d’un Jerry Lee Lewis faites moi signe, je
Hanes ou en train de faire le con avec même moment ? Nous étions sur le toit frayais avec eux et j’en connais un
Waylon Jennings dans un Photomaton. du Brooklyn Paramount Theater à NY rayon. Je travaille tout récemment
Quant au papier, juste deux exemples (aujourd’hui Long Island University) avec Mark Hollis (un Holly, des Hollis).
d’approximations. Ne m’affublez pas, avec mes amis Crickets lors de cette Nous avons chargé les silures du cingle
por favor, de Wayfarers ! Mes lunettes, prise de vue, le 7 septembre 1957. de Trémolat de livrer le travail en 2032
rapportées de Mexico à Lubbock Midi. Temps splendide. Jerry Allison pour mes 96 ans. Good luck et bonne
par le Dr Armistead étaient un avait un cocard à l’œil, mes dents pêche ! Je me suis aidé de Google
modèle en plastique Zafiro de la firme n’étaient pas encore bien alignées, traduction pour le français, j’espère
Faosa Frame Factory. Rien à voir. on portait des fringues toutes neuves que vous comprenez moi.
Autre exemple : Soyez plus attentif achetées le matin même chez Sincerely yours.
aux images que vous utilisez. Browning King & Co and we bring the BUDDY HOLLY
Regardez les longuement. Passez house !, (comment dit on en français ? Réponse : Merci pour cette
du temps à soigner les légendes. Par Faire un tabac ?) le soir même, juste missive, monsieur. Nous vous
exemple, les trois pochettes de disques en dessous. Encore deux bricoles : envoyons le dernier compact-disc
sortis de mon vivant (c’est vous qui le je confirme : Dylan était bien là, de Ritchie Valens.
Illustrations : Jampur Fraize

Le cinglé de Trémolat
Cher Nicolas Ungemuth, ici Buddy Holly.
Vivant, six pieds sous terre depuis
1959. Soixante ans que je tambourine,
gigote dans ma tombe chaque fois
que je lis un papier me gratifiant
d’inventeur de la power pop ! OK, ça
c’était en 1957, 1958, mais depuis...
j’enregistre encore ! En secret, avec
les vers de terre, Roy Orbison et plein
de micro-organismes. Et vous seriez
surpris du travail ! Mais vous ne
cherchez pas à m’écouter. Aucune
attention. Aucune investigation.
On repasse les plats des bios
ressassées sans vergogne. Des bios,
d’ailleurs, pas vraiment bio, trop
chargées en glyphosate (j’en sais
quelque chose) et enrichies en
superlatifs rabâchés. Bon, je vous
mets sur une piste. Il existe une mer
des Sargasses des microsillons,
des singles inouïs, des EP perdus,
jamais exhumés, pleins d’énormes
surprises et... devinez ? Elle se trouve
chez vous ! En France ! Trémolat, vous
connaissez ? “Le Boucher” de Chabrol
ça vous dit quelque chose ? C’est le
cinglé de Trémolat dans le Périgord
dans les eaux profondes de la Dordogne
que gisent des milliers de vinyles,
de chants mystérieux qui remontent
jusqu’à 17 000 ans. Fouinez dans la
vase, vous y trouverez mon album
de duos avec John Lennon et aussi
plein d’inédits de Charlie Feathers
et Bo Diddley. Les silures en sont les
dépositaires. Faites votre boulot, nom
de bleu ! Partez à la pêche ! Mais
revenons à votre papier. D’abord
cette photo d’ouverture : je l’exècre !
Ça vous fait peut-être marrer ce look
coton-tige claquant des doigts ?
Pas moi. Pour Roy Orbison vous
aviez fait un effort. Faut vraiment
renouveler l’iconographie.

006 R&F MAI 2019


Courrier des lecteurs

Yop la boum !
A la lecture de notre bible de ce mois,
une pensée incroyable m’est venue !
Les références de Greta Van Fleet ont
En lettres de sang cinquante ans, tout de même. Alors,
SuperHomard m’a super tuer. d’accord, en live, c’est sympa et il y a
E. T. DECONING PEOPLE de la bonne énergie mais... Mais, c’est
comme si les références du vénéré
Dirigeable en 1969 nous amenaient
Jacky cinquante ans avant, c’est-à-dire au
Hello ! Numéro 618, page 113, dans temps de la sortie du premier succès
le sympathique Rock’n’Roll Flashback de... Maurice Chevalier ! Heureusement
où l’on nous invite à disserter sur Led Zep a proposé quelque chose
le temps qui passe... Février 1969, de plus novateur, puisant à des
j’observe cette photo archiconnue de sources moins antérieures !
la rencontre Brel, Brassens et Ferré... BRUNO SWINERS
Il n’en est pas sorti grand chose PS : Pourriez-vous rester le seul média à
d’ailleurs, sinon que les trois gaillards ne pas donner, pour justifier on ne sait
talentueux étaient bien misogynes ! Et quoi, le nombre de vues ou de clics ?
je me demande toujours. A l’époque,
y a-t-il un journaliste qui eut assez de
culot pour demander à Jacques Brel, La vie en New Rose Si j’étais un Une Amérique où Altamont, Charles
s’il s’était enfin décidé à “écouter Merci à Nicolas Ungemuth pour charpentier Manson ont sonné pathétiquement
pousser ses cheveux” ? Bye. l’article sur Buddy Holly. Il a influencé S’il y a un groupe honni, conspué par le glas des utopies de la décennie
FRED nombre d’artistes. Je conseille à les rockers c’est bien les Carpenters... précédente... Dans ce contexte,
tout le monde d’écouter la compilation “Trop fils et fille de bonne famille, l’œuvre en (dé)construction de Karen et
sortie en 1989 chez New Rose bien sous tous rapports, trop proprets, Richard Carpenter est taxée de “Nixon
Hibernatus “Everyday Is A Holly Day” avec des trop lisses, trop niais. Définitivement music”, les albums du duo étant perçus
Ces Greta Van Fleet sonnent comme un reprises par Roky Erickson et autres. trop gnangnan et anachroniques. comme des “marchandises aseptisées
biopic de Led Zeppelin sans les droits STEN Auteurs d’une musique qui ne dérange destinées à rassurer l’Amérique au
des chansons et sorti directement en pas, middle of the raod, c’est-à-dire moment où la Californie subit une
DVD, alors les voir parader comme “le susceptible de plaire aux grands et aux invasion de bardes héroïnomanes” (sic).
meilleur espoir du Rock & Roll” pique Kiff Keith petits, mais certainement pas à l’ado Drôle avec le recul ! Mais somme toute
un peu les yeux... Peut-être que ce Argh... Cher monsieur Ungemuth, rebelle qui vient de s’enfermer dans sa logique... En réaction à ce contexte
titre devrait revenir à un groupe un peu j’ai bien failli m’étrangler (“Struggle”) chambre pour fumer un gros joint (sic) acid rock “prends-moi comme je suis”
moins niaiseux et dénué d’originalité ? en lisant votre chronique de “Talk en écoutant Hendrix”, comme l’énonce un brin défavorable, pour ne pas dire
Parce qu’à moins de se réveiller d’un Is Cheap” du sieur Keith Richards. Clovis Goux. Un groupe qui n’effarouche hostile à leur égard, Richard, offusqué,
coma de cinquante ans et d’en avoir le Pourquoi critiquer si durement (“Take même pas les parents en plus ? C’est à cette formule d’une désarmante
cerveau ramolli et nostalgique, je vois It So Hard” ?) cet honnête album ? forcément louche. “Les hipsters du naïveté : “Nous ne sommes que deux
pas comment y trouver une once Allez, on vous pardonne, personne music business de Los Angeles snobent gamins de Downey qui aiment prendre
d’intérêt. Le dernier Ty Segall sonne n’est à l’abri d’une bêtise (“Make No (ce) groupe de banlieusards habillés des douches” ! “Mais tout le monde
aussi aventureux que Van Dyke Parks Mistake” ?). Et puis vous pouvez bien en premiers de la classe qui joue de prend des douches, n’est-ce pas ?”.
comparé à cette bouillie recyclée. dire tout ce que vous voudrez sur la muzak dans les bars à cocktails”. Rires. Les Carpenters, des “héros érigés
Pouah ! Enfin bon. Ils ont l’air gentils “Talk Is Cheap”, en parler ne vaut pas Ou encore : “ ‘Close To You’ étant face aux hordes de hippies défoncés” ?
mais non merci. Berk. grand-chose. Tous ceux qui sont assez le classique de tout mariage qui Paradoxal, quand on sait qu’il n’y a pas
ETIENNE PUAUX grands (“Big Enough”) pour l’écouter se respecte”, rapporte l’auteur. que sous les projecteurs que le groupe
régulièrement savent de quoi je parle. Néanmoins, il ne faut pas bien “cachetonne” : ainsi, tandis que Richard
Vous ne me ferez pas changer de longtemps, à la lecture de son bouquin carbure au Quaalude pour “combattre
Grand Bob position (“You Don’t Move Me” !) sur “La Disparition De Karen Carpenter”, ses insomnies”, Karen, anorexique,
Tombé dans le grand bain du rock à cet album qui pour moi veut dire pour deviner qu’oies blanches peu s’administre force Dulcolax dans le
14 ans (j’en ai 63 à ce jour), j’y baigne beaucoup (“It Means A Lot”). dégourdies en apparence, Karen buffet, et s’en va vomir le reste de son
encore et toujours. Tout ça pour vous DAVID PERDRIX et Richard Carpenter sont, sous mal-être dans les toilettes. Constat :
dire que les années qui passent ne font l’enveloppe, les transfuges seventies les Carpenters ont finalement poussé
que bonifier certaines personnes, et je d’une psyché américaine abîmée... jusqu’à la limite cette logique énoncée
pense à monsieur Little Bob. En effet, Mick Joggeur Psyché colonisée par ses démons par Michka Assayas à propos des
j’ai assisté à son concert ces jours-ci Ca fait quoi d’avoir 18 ans et auto-destructeurs, meurtriers, de Beach Boys, les Carpenters faisant
dans ma région. Avec son groupe de regarder un chanteur de 75 ans consommation. Et Clovis Goux de symboliquement partie aussi de ces
Blues Bastards, il a encore donné une courir sur une scène comme transposer judicieusement l’entité “familles où, une fois les volets clos,
leçon de rock’n’roll, de blues, bref de son prof de gym ? Carpenters à travers le prisme d’une retentissent des coups et des
musique qu’on aime. A 73 ans, ce PATRICK MOALIC Amérique aux prises avec le post- hurlements (fussent-ils tournés contre
gars a toujours une voix qui porte sa Vietnam syndrome et à l’innocence à eux-mêmes, intériorisés, ici... ), et où,
musique, un bonheur d’être sur scène jamais engoncée depuis l’assassinat de le lendemain, on fait de larges sourires
qui irradie et enflamme le public. Un Mort ou vif Kennedy, un événement inaugurant à lui aux voisins en taillant les rosiers”.
mec sympa, simple, vrai. Le concert Après de nombreuses écoutes de seul cette “ère de doute, de suspicion, DOO-DAH BAND
s’est terminé vers une heure du matin, “En Amont” de Bashung et “Enfin !” de paranoïa et de remise en question
ensuite signatures d’autographes, de Polnareff, je me pose la question totale”. Une Amérique suburbaine,
et en route pour le concert du soir de savoir lequel des deux est mort ! middle class, où “97% des foyers Ecrivez à Rock&Folk,
suivant dans une autre ville... Little Bob, DIDIER JEANEAULT possèdent un téléviseur et le regardent 12 rue Mozart
tu n’es pas grand tu es géant. six heures par jour”, où les femmes 92587 Clichy cedex
MILLEDIOU d’intérieur névrosées qui s’abrutissent ou par courriel à
à coup de tranquillisants s’évadent rock&folk@editions-lariviere.com
dans les centres commerciaux. Chaque publié reçoit un CD

008 R&F MAI 2019


Télégrammes PAR YASMINE AOUDI

JAMPUR FRAIZE Green (Paris), le 1er juillet aux


Notre illustrateur exposera ses Nuits De Fourvière (Lyon),
œuvres jusqu’au 10 mai à la le 5 aux Eurockéennes (Belfort),
Médiathèque Jacques Chirac le 6 au Festival Beauregard
(Troyes). Le Belge sera (Hérouville-Saint-Clair), le 7 au
également en dédicace le 27 avril Mainsquare (Arras) et le 15 août à
lors du salon musique et La Route Du Rock (Saint-Malo).
littérature “Exile On Book Street”
au côté de Jacques Vassal. MICK JAGGER
Les Rolling Stones ont été
ARETHA FRANKLIN contraints d’annuler leur tournée
Le documentaire filmé par américaine. Mick Jagger,
Sydney Pollack, “Amazing 75 ans, a en effet subi une
Grace”, témoignage du concert opération (réussie) à cœur
mythique enregistré au New ouvert, le 5 avril à New York.
Temple Missionary à Los
Angeles par la reine de la MAGMA
soul en 1972 sera projeté Christian Vander et ses musiciens
en salles du 6 au 10 juin. fêtent leurs 50 ans de carrière avec
“Zess” le 28 juin. Un concert
LIAM GALLAGHER exceptionnel aura lieu le 26 à la
Le frère de Noel vient de Philharmonie (Paris) en compagnie
dévoiler le teaser de “As It Was”, de l’orchestre de Prague.
un documentaire consacré à sa
tumultueuse vie... Sortie en juin, MALTED MILK
Photo Raymond Molinar-DR

en attendant un deuxième album Le sextette hexagonal revient avec


solo prévu cette année. Sa un nouveau microsillon le 24 mai,
marque de vêtements, Pretty le très soul “Love, Tears &
Green, vient par ailleurs d’être Guns”. Concert au New Morning
rachetée par le géant JD Sports. (Paris) le 12 juin et à l’Esplanade
Drugdealer de la Madone (Miribel) le 28.
IDLES
Les punk rockers anglais de MINI MANSIONS
BEACH BOYS DRUGDEALER retour à travers l’Hexagone : Alison Mosshart des Kills chante
Le groupe de Mike Love jouera Michael Collins et ses comparses le 19 avril au Printemps De sur “Hey Lover”, nouveau single
le 26 juin au Printemps de californiens sortiront leur Bourges, le 20 au 106 (Rouen), du groupe de Michael Shuman.
Pérouges (Saint-Vulbas), deuxième album, “Raw Honey”, le 1er juin au Festival We Love
le 27 à l’Olympia (Paris) et le le 19 avril. Mac DeMarco est
13 juillet au Sporting Summer à la production et Weyes Blood,
Festival (Monte-Carlo). comme sur le précédent, chante
quelques titres. Concert le 16 mai
DAVID BOWIE au Point Ephémère (Paris).
Pour célébrer les 50 ans de
“Space Oddity”, un coffret ELECTRO
de trois 45 tours, “Clareville Cette exposition consacrée à la
Grove Demos”, sortira le 17 mai musique électronique, sous-titrée
prochain. Il renferme 6 titres dont de Kraftwerk à Daft Punk sera
4 inédits, enregistrés début 1969 visible à la Philharmonie de Paris
avec John Hutchinson (Feathers) jusqu’au 11 août. Au programme :
dans son appartement londonien. instruments de musique novateurs,
photographies, graphisme, BD,
PATRICK COUTIN vidéos 3D. Bande-son signée
L’auteur-interprète de “J’Aime Laurent Garnier.
Regarder Les Filles” revient le 24
mai avec “Welcome In Paradise”, PERRY FARRELL
album en anglais et premier A 60 ans tout juste, le leader de
volet d’un futur triptyque. Jane’s Addiction annonce un
nouvel album solo “Kind Heaven
MIKKEY DEE Orchestra”, produit notamment
L’ancien batteur de Motörhead par Tony Visconti. Sortie le 7 juin.
Photo Ania Shrimpton-DR

et actuel membre de Scorpions


(depuis 2016), ouvre un bar BRIGITTE FONTAINE
à Paris, l’Alabama, au Affichant complet le 19 mai au
32 rue Albert Thomas dans Café de la Danse, la reine des kékés
le 10ème arrondissement. ajoute une nouvelle date parisienne
le 17 juin au même endroit. Idles

010 R&F MAI 2019


“Je n’aime pas
les talents formatés” JENIFER

STEREOLAB TAME IMPALA


Lætitia Sadier, Tim Gane Kevin Parker vient de dévoiler
et leurs comparses annoncent 2 titres “Patience” et “Bordeline”,
une vague de rééditions de annonciateurs du successeur de
leur catalogue. “Transient “Currents” (2015). L’Australien
Random Noise-Bursts With et son groupe passeront le 2 juin
Announcements” (1993) et au We Love Green (Paris),
“Mars Audiac Quintet” (1994) et le 14 août à la Route du
les 2 premiers de leur répertoire Rock (Saint-Malo).
paraîtront le 3 mai en vinyle
transparent numéroté avec THIS IS NOT A LOVE SONG FESTIVAL
une affiche, et une carte à A Paloma (Nîmes), du 30 mai
gratter pour une loterie à venir. au 1er juin, Courtney Barnett,
Le groupe, après un long hiatus, Fontaines DC, Lou Doillon,
jouera au Théâtre Barbey Methyl Ethel, Stephen Malkmus
(Bordeaux) le 8 juin et à La & The Jicks, The Inspector
Villette Sonique (Paris) le 9. Cluzo, Shame, Kurt Vile ou Fat
White Family seront à l’affiche
STRAY CATS de cette septième édition.
Le trio de Brian Setzer
publiera un nouvel album, “40”, VANDISC
le 24 mai. Les héritiers Les 27 et 28 avril aura lieu la
du rockabilly joueront à 18ème convention du disque à la
Photo Neelam Khan Vela-DR

Retro C Trop (château de Maison de L’Ile (Auvers-sur-Oise).


Tilloloy) le 29 juin, à Au programme : 1500 m2 de stands
l’American Tours Festival de disques, une exposition Rolling
le 6 juillet, aux Eurockéennes Stones et une séance de dédicace
(Belfort) le 7 et à Musilac de nos collaborateurs Jérôme
Murder Capital (Aix-les-Bains) le 13. Soligny et Stan Cuesta.

MURDER CAPITAL RAMMSTEIN


Le quintette de Dublin, pressenti Les artificiers allemands sont
pour assurer la relève post-punk, de retour, avec “Deutschland”
jouera à Paris (Boule Noire) septième album, le 17 mai.
le 29 avril. En attendant un Les 2 concerts du 28 et 29 juin
premier album cet été. à Paris La Défense Arena
affichent complet.
OZZY OSBOURNE
Le Madman de nouveau RESIDENTS
contraint de reporter ses concerts Une exposition consacrée au
à l’an prochain. Après une chute collectif californien se tiendra
chez lui à Los Angeles, le prince du 21 avril au 2 juin au
des ténèbres a dû subir une Transpalette (Bourges).
intervention chirurgicale.
LUCY ROSE
Photo Suzie Caplan-DR

PIXIES L’Anglaise défendra son


Black Francis et ses partenaires quatrième album “No
annoncent une tournée Words Left”, au Café de
européenne à partir de septembre, la Danse (Paris) le 9 mai.
ainsi qu’un successeur pour
“Head Carrier” (2016). Les PATTI SMITH
Américains passeront le La poétesse s’accole aux
19 octobre à Paris (Olympia),
le 20 à Lyon (Le Radiant) et
musiciens du Soundwalk
Collective pour engendrer Condoléances
le 21 à Rennes (Le Liberté). “The Peyote Dance”, disponible Kenneth Bald (dessinateur de BD), Hal Blaine (batteur américain),
à partir du 31 mai, en numérique Jacques Bodoin (chansonnier), Caravelli (compositeur, arrangeur et
RACONTEURS uniquement. Inspiré du livre chef d’orchestre français), Olivier Cinna (dessinateur de BD), Larry
Le groupe formé par Jack White d’Antonin Artaud publié en 1936, Cohen (réalisateur, “Les Envahisseurs”), Dick Dale, Jean-Pierre Farkas
et Brendan Benson en 2005 l’album a été enregistré à Mexico (journaliste), Bill Isles (cofondateur des O’Jays), Michel Christian
annonce son 3ème album. “Help Us et New York avec les instruments Le Manach’ (dirigeant de la Sonothèque, président de Starter-Les
Stranger” galette qui verra le jour le originaux des Amérindiens Nouveaux Disquaires), Maurice Laws (compositeur américain),
21 juin. elle contient 11 originaux Rarámuri de la Sierra Myriam Mimie Piazza (madame Little Bob), Ranking Roger (chanteur
et un morceau repris à Donovan, Tarahumara (Mexique). de The Beat), Agnès Varda (photographe et réalisatrice), Scott Walker,
“Hey Gyp (Dig The Slowness)”. Andre Williams (auteur, compositeur et musicien américain).

MAI 2019 R&F 011


Mes disques à moi

“Je suis maniaque”

LONG GONE JOHN


Le Californien, patron du label Sympathy For The Record Industry,
est bien sûr un hallucinant collectionneur ouvert à toutes les sous-cultures.
RECUEILLI PAR JEAN-EMMANUEL DELUXE
AVEC SON LOOK, ENTRE PIRATE ET PLAISANCIER R&F : L’arrivée du punk en Californie semble avoir été un
PUNK, Long Gone John (dans le civil John Edward déclencheur pour vous.
Mermis) est un pur enfant de la Californie. Nourri de Long Gone John : Je collectionnais déjà les disques depuis quelque
culture surf et hot rod, il a amassé une gigantesque temps quand le punk a déboulé. Avec ce mouvement, je suis devenu
collection de jouets, peintures et artéfacts pop. A tel un compulsif absolu en matière de vinyles. J’avais enfin de l’argent et
point qu’un documentaire (“The Treasures Of Long je pouvais aller voir tous les groupes qui jouaient à Los Angeles, les
Gone John”) lui a été consacré. Il a découvert avant locaux ou ceux qui passaient en tournée. J’ai fini par écrire sur cette
tout le monde de nombreux artistes. En matière de scène et c’est devenu le moteur de ma vie.
peinture : Mark Ryden Savage Pencil et Gary Baseman. R&F : Quels sont les groupes de cette époque qui vous ont
En musique : April March, Courtney Love et Jack marqué ?
White, qui tous ont été sur son label, Sympathy For Long Gone John : A LA, j’aimais à mort le Gun Club, les Cramps
The Record Industry. Voilà qui pose son homme. qui ont fini par s’y installer, Tex & The Horseheads, 45 Grave, les Joneses
ainsi que les Weirdos, les Dead Beats. Autant j’ai aimé la première
vague punk de Los Angeles avec des labels tels que Dangerhouse ou
Slash Records, autant je trouve lamentable la deuxième vague hardcore,
Disneyland en bas de ma rue avec ses groupes et ses fans stupides.
ROCK&FOLK : Quelles furent vos premières émotions R&F : Pourquoi avec monté Sympathy For The Record Industry
musicales ? en 1988 ?
Long Gone John : Je suis issu d’une famille de neuf enfants, mais je Long Gone John : Quand tu es un collectionneur de disques, fondu
passais le plus clair de mon temps à écouter au point d’en être stupide, c’est une évolution naturelle. Personne ne
la radio en solitaire. Je me passionnais m’a aidé. Je me suis débrouillé tout seul.
pour la Motown et James Brown. Les Beach R&F : L’identité visuelle de Sympathy semble toujours avoir
Boys étaient très présents également car été une grande préoccupation pour vous.
j’ai grandi en Californie du Sud. La British Long Gone John : J’ai toujours voulu que mes disques soient beaux
Invasion, Phil Spector et les girls groups à regarder. Je n’ai jamais aimé la médiocrité do it yourself. En1988, je
ont été très importants pour moi. En matière n’étais pas au courant de l’existence de concurrents. Mes labels préférés
d’éducation musicale, c’était génial de étaient Ralph Records (le label des Residents), Stiff Records (le label
vivre en Californie à cette époque. d’Elvis Costello) en Angleterre et Dangerhouse à Los Angeles. Je ne
R&F : Premier disque acheté ? connaissais ni Sub Pop, ni Amphetamine Reptile.
Long Gone John : A l’âge de quatorze R&F : Vous avez publié quasiment 800 références en trente ans,
ans, je vivais dans un foyer pour délinquants pourtant, certains ne retiennent que votre découverte des White
à Venice Beach. A mon anniversaire, on Stripes...
m’avait donné vingt dollars. J’ai couru au Long Gone John : Etaient-ils meilleurs que Reigning Sound, les
rayon disques du grand magasin Sears où j’ai Detroit Cobras ou ’68 Comeback ? J’ai sorti des disques pour plus de
pu m’acheter quatre albums. Ce jour-là j’ai cinq cent groupes et, oui, c’est eux qui ont le mieux marché. Ils ont eu
Photo Nina Park-DR

pris “Aftermath” des Rolling Stones, “Over, de la chance et sont tombés au bon moment. C’étaient les chouchous
Under, Sideways Down” des Yarbirds, “Fifth de la presse, car ils avaient tout ce qu’elle cherchait. Tout ce truc autour
Dimension” des Byrds et “Animalization” de leur fausse relation frère-sœur. Leurs fringues rouges et blanches.
des Animals. C’était magique. Ils étaient un peu comme “The Partridge Family” ou les Osmonds.

MAI 2019 R&F 013


MES DISQUES A MOI LONG GONE JOHN

R&F : Vous êtes un grand fan des moi et je pense qu’elle a beaucoup de talent. Les gens ne veulent pas
Rolling Stones. lui donner le crédit qu’elle devrait avoir et font tout remonter à Kurt
Long Gone John : Oui, le nom de mon Cobain. Hole existait bien avant ces putains de Nirvana dont je n’aime
label le prouve. J’adore la pochette de pas la musique. Kurt Cobain n’est pas responsable de la carrière de
“Their Satanic Majesties Request” et la Hole.
première pochette que Mark Ryden a R&F : Au début de votre label, le vinyle avait été condamné
dessinée pour moi a été celle de “Their par les majors et aujourd’hui il est revenu en force.
Sympathetic Majesties Request” (compi- Long Gone John : Je déteste ça. Je pense que c’est de la bêtise qui
lation anniversaire des dix ans du label). nous sature de saloperies. Il est devenu difficile de recevoir des com-
C’était avant qu’il ne devienne énorme. mandes de disquaires. Au niveau de la fabrication, c’est devenu un
C’est toujours un très bon ami, mais je ne cauchemar. Les majors ont accaparé toutes les usines de pressages,
pourrais plus me payer ses services dé- notamment pour le Disquaire Day. Tout ça pour des stupides coffrets
sormais. Je lui avais demandé ce que je Led Zeppelin. Au début du label, j’étais un gros poisson pour l’usine
voulais sur cette pochette et il avait rendu de pressage car je sortais beaucoup de disques que je payais aussitôt.
un boulot incroyable. Ils m’adoraient et je pouvais recevoir mes commandes en une semaine
R&F : Quel artiste représente le mieux et demie. Aujourd’hui, je dois attendre trois mois si j’ai de la chance.
l’esprit d’indépendance que vous Je ne supporte pas le Disquaire Day qui fabrique des disques pour des
défendez ? crétins. La plupart des gens de ce nouveau public n’ont même pas de
Long Gone John : J’adore Billy Childish platine. Ils pensent investir dans des éditions limitées qui prendront de
sous ses nombreuses incarnations. Les la valeur sur eBay. Ils ne s’intéressent pas à la musique.
Mighty Caesars et toutes les autres. Nous sommes devenus assez amis R&F : Ecoutez-vous ce qui sort
et il restait chez moi quand il venait à Los Angeles. J’avais essayé aujourd’hui ?
d’organiser des expositions dans des galeries, pour son art, et j’ai publié Long Gone John : Pas vraiment, je pré-
deux de ses livres. J’aime Billy pour beaucoup de raisons. C’est un fère la musique avec laquelle j’ai grandi.
chouette type qui a toujours été reconnaissant tout en sachant qu’il J’écoute du punk anglais et du glam
n’allait pas devenir riche en s’associant avec moi. Nous partageons la rock. J’ai toujours aimé Sweet, Slade et
même vision. Voilà pourquoi j’ai sorti autant de disques avec lui. T Rex. Je vénère les Sparks. Ils ont vrai-
R&F : Tout ce que vous avez aimé se retrouve récupéré dans ment bien réussi en Angleterre alors que
le mainstream. tout le monde se fichait d’eux à Los
Long Gone John : J’ai grandi dans la Californie du Sud où la culture Angeles. Sinon, mon groupe préféré,
hot rod et surf ont démarré. Disneyland était en bas de ma putain de toutes périodes confondues, reste les New
rue. Le style tiki est lui aussi né en Californie. C’est aussi la région de York Dolls. Quant à mon album préféré,
Big Daddy Roth (dessinateur culte et influence des comics underground). il s’agit de “The Velvet Underground &
Gamin, je ne possédais rien, ni modèles réduits ni T-shirt Rat Fink. Nico”. Mais, comme je n’ai pas eu la
En grandissant, je me suis rattrapé ! Collectionner de l’art, des disques, chance de voir le groupe sur scène, je n’ai
des livres et des jouets c’est mieux que d’être accro aux drogues ou au pas le même lien émotionnel avec lui
jeu. Mettre de l’argent de côté ne m’intéresse absolument pas. Je préfère qu’avec les New York Dolls.
accrocher des choses sur mes murs que je peux apprécier tous les jours. R&F : Vous êtes également un grand
fan de chanteuses yéyé françaises.
Long Gone John : Quand j’ai commencé
De la bêtise qui nous sature à découvrir toutes ces artistes, je me suis rendu compte que le style yéyé
R&F : Les femmes forment une grande partie de votre avait été très populaire dans toute l’Europe et énorme au Japon. En gros,
univers musical. partout sauf aux Etats-Unis. On ne pouvait pas écouter de la musique
Long Gone John : Absolument. J’aime la sonorité des voix féminines. française à la radio dans les années soixante. J’avais découvert ce
Si je vais voir un groupe jouer live je préfère voir une jolie fille sur scène style musical grâce à April March, mais je n’avais pas approfondi le
plutôt qu’un crétin poilu. Bien sûr, je ne les aime pas simplement parce sujet plus que ça. C’est uniquement quand mon ami Adam Parfrey a
que ce sont des filles, elles doivent aussi être talentueuses. J’ai adoré édité le livre “Yéyé Girls Of 60’s French Pop” chez Feral House (sorti
Blondie, mais je pense que ce goût remonte à Ronnie Spector et tous en France dans une version augmentée sous le nom, “Filles De La
les girls bands produit par Phil Spector. J’aime aussi beaucoup des Pop”, aux éditions Maison Cocorico écrit par l’auteur de ces lignes) que
artistes populaires comme Lesley Gore, Dusty Springfield et tout ce qui j’ai vraiment tout découvert. D’un seul coup, il y avait ce guide. Je me
passait à la radio. suis immédiatement mis à collectionner tous les disques de ces yéyé
R&F : Vous êtes ami avec Courtney Love. girls françaises dans des pressages de tous les pays. J’ai commencé
Long Gone John : J’ai sorti le premier single de Hole qui était mon par Sylvie Vartan, Françoise Hardy et France Gall, puis j’ai découvert
groupe préféré à LA. J’adore Courtney, qui toutes les autres. Comme Annie Philippe
était une fille de la rue, différente de tout que j’adore. Ça m’a rendu fou tout en me
le monde. Nous sommes toujours amis. donnant un nouvel objectif. Ce qui est une
Je devais sortir son premier album, mais très bonne chose. Grâce à eBay et Discogs,
quelqu’un de bien plus gros est arrivé. Un ça été facile d’acheter tout ces disques.
jour elle est venue me voir pour m’annoncer Mais attention, je suis maniaque, je n’achète
Photo Nina Park-DR

la nouvelle: “Tu sais, on doit le faire.” Ce que des 45 tours en état parfait. En deux
que j’ai totalement compris. Tout le monde ans j’ai amassé une collection gigantesque
la déteste, mais je la défendrais systémati- que j’ai disposée dans une reproduction de
quement. Elle a toujours été chouette avec magasin de disques chez moi. Je me suis

014 R&F MAI 2019


“Que des 45 tours en état parfait”
concentré sur les 45 tours car en ce qui concerne cette période, les Ce sont deux filles de Boston qui jouent
albums ne comportaient le plus souvent que deux chansons extra. Le du blues. Je déteste la putain d’étiquette
reste étant du remplissage. De mon côté, sur Sympathy, j’ai dû sortir garage rock mais bon... J’avais sorti leurs
400 singles. C’est le format que je préfère. disques au début du siècle puis, après
un hiatus durant lequel elles se sont
occupées de leur famille, elles sont reve-
Rester fier nues avec “Jacaranda Blue”, un album
R&F : Votre actualité pour Sympathy ? fabuleux. Enfin, je conseille aux Français
Long Gone John : Assez récemment, j’ai découvert et sorti un de découvrir les Schizophonics. Leur
disque de Have You Ever Seen The Jane batteuse est incroyable et le guitariste
Fonda Aerobic VHS?. C’est un groupe est possédé. Parfois quand tu vois des groupes s’exciter sur scène, ça
finlandais qui possède un clavier vrai- a l’air forcé, alors qu’eux sont vraiment sauvages. Je compte continuer
ment trippant et une bassiste-chanteuse. mon label même si, aujourd’hui, c’est vraiment devenu difficile de vendre
Ils me rappellent les débuts du punk en des disques. Tout est devenu très cher. En tout cas, j’aime être occupé
Angleterre et un peu les Rezillos. Je les c’est pourquoi je sors des jouets, des disques et des livres. Je me dis
adore, c’est pour ça que j’ai sorti leur deux parfois que ce serait formidable d’avoir une référence qui rapporte de
albums en un pour les Etats-Unis sous l’argent, mais ça ne doit pas être l’objectif principal. Je dois rester fier
le nom “Bless You Mother Fuckers”. de ce que je produis. ★
J’adore également Mr Airplane Man.

MAI 2019 R&F 015


Tête d’affiche

Memphis au cœur du 93

JOHNNYMONTREUIL
Il vit dans une caravane, joue de la contrebasse et chante, en français,
du rock’n’roll étonnamment rafraîchissant. Rencontre avec le Montreuil hillbilly.
Avec un nom comme ça, on pouvait ROCK&FOLK : Johnny Montreuil, c’est R&F : Votre disque s’appelle “Narvalos
craindre le pire. Idole des bobos plus Cash qu’Hallyday, non ? Forever”. C’est vous le narvalo ?
exilés en proche banlieue ou roi des Johnny Montreuil : Ah ouais, c’est Johnny Cash, Johnny Montreuil : Un narvalo, c’est l’abruti,
alternatifs ayant survécu aux années complètement ! Au départ, je m’amusais à faire l’idiot du village, mais gentil. Le mec un peu
80 et aux Garçons Bouchers, pour des adaptations de certains de ses morceaux. Je décalé, à côté. C’est du manouche. Tous les
ne citer qu’eux... Et puis, on écoute me suis fait traduire ses textes. Moi, j’écrivais sur mômes ici l’utilisent, ce mot. Dans ce titre, il y
son deuxième album, “Narvalos la rue de Paris, tout ça. Un jour, je me suis dit que avait ce rapport à Montreuil un peu street et ça
Forever”. Et là... Johnny Montreuil ça claquait bien comme nom, Johnny Montreuil. me plaisait, ça me faisait marrer. Pour moi,
chante l’envie d’en découdre avec C’est parti comme ça. Plus tard, j’ai réalisé qu’il derrière ce mot-là, il y a une dimension poétique.
la fatalité. C’est poignant, brûlant, y avait déjà un mec qui portait ce nom-là, Johnny Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part.
drôle et émouvant, tendre et viril, de Montreuil, un voyou, un vrai. Au début, je
c’est Nashville, Memphis au cœur pensais qu’il allait me tomber dessus... Avec mon R&F : Ce disque, c’est un peu Sun Records
du 93, c’est l’histoire d’un mec sans cran d’arrêt-peigne, on ne va pas aller loin (rires)... à Montreuil, en 2019. A la fois dépouillé
artifice, armé de sa contrebasse et viscéral. Vous êtes à poil sur cet album.
et d’une poésie d’enfant sauvage. R&F : D’où vient Johnny Montreuil ? Johnny Montreuil : On voulait un truc le
On pense d’entrée au Renaud Johnny Montreuil :J’ai 40 piges. J’ai commencé plus pur, le plus simple possible. Aussi un
époque “Les Charognards”, dans les bars. Rock’n’roll et chanson française. côté un peu redneck, dans la grange. Mais sans
au rock’n’roll avant qu’il ne Brassens, Brel, Renaud, première époque. Mes être non plus trop dans ce cliché-là. On ne
ne trébuche sur MTV. Ses premiers textes, ils étaient aussi un peu hip- voulait pas passer pour des bluesmen de Loire-
chansons sont fières, entraînantes, hop. Mais c’est Prévert qui m’a vraiment décom- Atlantique (rires). En fait, je voulais y croire. En
captivantes, insoumises. Elles lui plexé au niveau de l’écriture... Sinon, Johnny écoutant le disque, je voulais croire en ce que
ressemblent. Johnny Montreuil Montreuil, c’est un mec qui a débarqué avec sa j’entendais. Moi, je voulais qu’on sente cet amour
donne rendez-vous dans le café le contrebasse. On ne sait pas trop si je suis manouche pour toutes ces musiques mais avec une vraie
plus proche de chez lui. Il vit dans ou rom parce que j’ai vécu avec eux. Je suis un identité derrière, une identité qui appartienne
sa caravane, sur un terrain vague. enfant de la banlieue qui s’est cherché un avenir, vraiment à la banlieue, qui te sort des clichés
A Montreuil évidemment. sans savoir trop quoi exactement. J’avais bien justement... Ouais, je suis carrément fier de mes
les pieds dans le caniveau mais j’aimais ça (rires). origines prolétaires !
Ma mère est de la Villette, mon père breton. Voilà.
Manouche ou rom
“Je suis éclaté. Concert hier soir dans un lieu Pas un bastonneur
chelou, un vieux saloon en province, là où on a
tourné les intérieurs du prochain clip... Le deal,
Contrebasse R&F : On vous a déjà reproché d’être un per-
sonnage, un mec fantasmant un passé de
c’était : vas-y, on te fait un concert, avec d’autres contre basse
Onéreuse, encombrante, fragile, peu
loubard ?
potes qui ont fait un cochon à côté, grosse fête. puissante et difficile à jouer (pas simple Johnny Montreuil : Pas du tout, jamais ! Je ne
Je suis rentré ce matin...” dit-il en préambule. d’être juste sans frettes sur le manche), la suis pas un bastonneur, je peux m’énerver, pous-
Moustache, gueule d’ange pas dupe, regard contrebasse demeure associée à l’idiome ser des gueulantes, j’ai fait du rugby, j’ai bossé
rockabilly. Les premières basses électriques
bienveillant et en alerte et une voix qui fait qu’on étaient pourtant déjà commercialisées quand comme éducateur de rue, je ne me laisse pas
l’écoute. Johnny Montreuil a joué au Québec, Elvis Presley enregistrait son premier single faire mais c’est tout. Et je suis musicien. Un
dans les rues d’Irlande, a écouté le premier Sun en 1954 avec le contrebassiste Bill Black. voyou, il n’a pas le temps, il a d’autres choses à
En 2019, Johnny Montreuil ou les Howlin’
Metallica en boucle à l’adolescence, est deux Jaws l’utilisent encore. L’instrument a pour
faire. On se fréquente, on vit aux mêmes horaires,
fois papa et amoureux comme jamais, il déborde lui une technique (le slap) et une sonorité mais pas plus. Chacun sa vie. Moi, je monte
de vie et d’envie. Il est à sa place. bien particulières : les contrebassistes doivent sur scène, pas au braquo. ★
Photo Yann Orhan-DR

Et quand un pigeon assume sa colique pendant jouer avec une certaine violence pour se faire
entendre. C’est pour cela qu’un schisme s’est
l’entretien, il se contente de rire. Avant de parler rapidement produit entre utilisateurs de RECUEILLI PAR JEROME REIJASSE
encore de ce disque formidable, capable d’émou- contrebasse et bassistes électriques. Album “Narvalos Forever”
voir même le dernier des misanthropes. (Les Facéties de Lulusam/ L’Autre Distribution)

MAI 2019 R&F 017


Tête d’affiche

“Même pas une bible à la maison”

KEVIN MORBY De retour chez lui, dans le Missouri, le chanteur folk publie un cinquième album
fait de ballades au piano et d’athéisme mystique.
SON COSTUME EST PRET. m’éloigner de ça et trouver un endroit où je pourrais
Il sera blanc, brodé d’or, avec une
paire d’ailes d’anges sur le dos. C’est
C’est pas Fay vivre et travailler, sans tomber sur quelqu’un que
je connais dès que je sors de chez moi.” Son album,
Quand Kevin Morby a quitté Woodsist
ainsi que Kevin Morby perpétue la pour Dead Oceans en 2015, certains ont enregistré avec un ensemble de musiciens
tradition des baladins de la country- supputé que c’était pour devenir rencontrés sur la route (“La musique est un
compagnon de label de son idole Bill Fay,
music tels Hank Williams ou Gram dont il reprenait “I Hear You Calling” petit village”, dit-il), porte ainsi les stigmates de
Parsons, “qui semblaient venus sur scène, et qui venait de réapparaître son retour au cœur de la Bible Belt. “Je viens
d’un pays imaginaire sur leurs après 40 ans de silence. Pourtant, d’une famille chrétienne, mais nous n’allions pas
pochettes d’albums”, alors que sort la rencontre des deux songwriters n’a à l’église. Je ne pense même pas qu’il y avait
jamais eu lieu : “On a échangé par e-mail.
un double-album qu’il s’apprête Il m’a remercié d’avoir repris sa chanson. une bible à la maison. Mais, ici, la religion est
à venir défendre sur scène avec C’est une personne un peu recluse. Je pense partout. Dans la Bible Belt, les gens vivent dans
un orchestre de huit musiciens. que s’il voulait me rencontrer, il la crainte de Dieu. Si tu sors du rang, tu vas en
demanderait, je ne veux pas l’embêter.”
enfer. Il y a des grandes églises qui viennent juste
d’être construites, des grands panneaux anti-
avortement, d’autres qui disent : ‘Tu peux mourir
Bouddha dans son lit. “J’écris des chansons n’importe où, à tout moment. Où préférerais-tu aller ? Au
de chambre d’hôtel partout, s’amuse-t-il. J’en ai écrit une à Londres paradis ou en enfer ?’ Je me suis aperçu de cette
La genèse de l’album “Oh My God” est née du il y a deux jours, dans une chambre d’hôtel. Quand folie ambiante en retournant vivre là-bas.”
single “Beautiful Strangers” que l’artiste avait je suis fatigué, à 4 h 00 du matin et que je ne
écrit et composé au lendemain de l’attentat au sais pas quoi faire, je gratte ma guitare et j’écris
Bataclan. Une chanson magnifique, au texte juste des chansons.” C’est ainsi, entre deux avions, Concept album athée
(“Pray for Paris/ They cannot scare us/ Or stop que ce le folk-singer trouve son inspiration : “Etre Dans cet environnement étrange, Morby a décidé
the music”) devenue la matrice de celles de en mouvement permet de ne pas avoir à s’inquiéter de jouer de cette omniprésence sur son disque
l’album à venir. “A l’époque, je vivais une sépa- des choses du quotidien. Quand tu restes assis sur en détournant des expressions bibliques (“Lo
ration difficile, se remémore Morby. J’avais le place, ces contingences te rattrapent. Il y a quelque And Behold”, “Hail Mary”). “L’expression ‘Oh
cœur brisé mais cet événement m’a fait réaliser chose avec le fait de voyager qui fait que, My God’ est partout, c’est même un emoji, on ne
que mon problème était tout petit par rapport à débarrassé de ces considérations, tu as des pensées se rend même plus compte à quel point la religion
ce qui se passait dans le monde. Mon inclinaison plus créatives, plus existentielles.” C’est là tout est partie intégrante de notre langue et notre
naturelle me pousse à écrire sur moi-même, le paradoxe de Kevin Morby aujourd’hui. Ce culture. On m’a demandé : ‘Pourquoi nommes-
mais je me suis dit que, peut-être, je devais essayer voyageur contemplatif, qui revenait de ses prome- tu ainsi un album non-religieux ?’ Pour la même
de voir plus loin et diffuser un peu de positivité. nades le long des rivières et des montagnes des raison que tu dis ‘Oh my god’, alors que tu n’es
Je vivais seul dans mon appartement. J’ai écrit chansons plein les poches, s’affiche aujourd’hui pas religieux. Ce qui m’intéresse, là-dedans, c’est
‘Beautiful Strangers’ allongé, en regardant le en sorte de bouddha de chambre d’hôtel sur la l’imagerie, les histoires, le côté conte de fées. Ce
plafond. C’est là que j’ai trouvé ce concept autour pochette de ce nouvel album, avec une étonnante sont des belles histoires avec des personnages
de ‘Oh My God’ qui revient comme une sorte de photo prise chez lui, à Kansas City, dans le intéressants.” S’il publie un drôle de concept
mantra, c’est un peu la première chanson de ce Missouri, où il est retourné vivre. “J’ai ressenti album athée, Kevin Morby est toutefois fidèle
disque, même si elle n’y figure pas”. Enregistré le besoin de rentrer à la maison. L’atmosphère à une religion : “La musique, évidemment.
en trois lieux différents (Los Angeles, Woodstock commençait à changer à Los Angeles, comme à Elle emporte toujours tout dans ma vie.” ★
et Brooklyn) dès que son emploi du temps était New York naguère, et c’était d’ailleurs la raison
dégagé entre deux tournées, “Oh My God” est pour laquelle j’avais quitté New York. Il devenait ERIC DELSART
Photo DR

un authentique disque de bedroom music, dans difficile d’y avoir suffisamment d’espace et de ne Album “Oh My God” (Dead Oceans/ Pias)
le sens où son auteur l’a essentiellement composé pas être entouré par le bruit et les usines. Je voulais

018 R&F MAI 2019


Tête d’affiche

CAGE THE
ELEPHANT
Nostalgique, à ses débuts, d’une période grunge
qu’il n’a pas vraiment connue, le groupe du Kentucky vise
pour son cinquième album des foules un peu plus grandes.
Petit à petit, Cage The Elephant Nous avions déjà rencontré l’affable Matt il y Elephant a publié “Unpeeled”, collection de
s’est installé parmi les formations a cinq longues années. Depuis, le quintette titres capturés en public et réarrangés façon
qui comptent : Grammy Award, du Kentucky a franchi plusieurs paliers grâce unplugged, afin de solder un contrat discogra-
tournées avec Muse, Black Keys à “Tell Me I’m Pretty”, résultat d’une fructueuse phique. Et puis, Matt Schultz a traversé une
ou les Rolling Stones, l’ascension collaboration avec Dan Auerbach. Une expé- période difficile, qu’il évoque avec pudeur :
semble irrésistible. C’est à Londres rience particulièrement positive : “ ‘Melophobia’ “Mon cousin, qui était aussi mon meilleur
que l’on retrouve son meneur Matt nous a appris le travail en studio, à fignoler ami, a disparu. Certains de mes amis se sont
Schultz. Le teint blafard, attifé d’un jusqu’à ce que la totalité d’un morceau sonne suicidés et mon mariage a volé en éclats. Ces
imperméable beige et d’un costume bien. Pour ‘Tell Me I’m Pretty’, c’était tout deux dernières années ont été terribles pour moi.
sombre, le regard parfois perdu, l’inverse. On a essayé de capturer un son à la Je me suis retrouvé dans un état d’esprit que je
l’homme semble éprouvé par les fois plus brut et typé classic rock. Dan a une n’avais jamais connu.” Il s’est donc servi de la
drames récents qu’il a subis, dont approche unique, qui peut d’ailleurs être perçue création d’un nouvel album comme d’une
un divorce que le management nous sur tous les albums qu’il a produits. Il nous passait “catharsis à ce chagrin écrasant, une thérapie
recommande de “ne pas aborder de des disques obscurs, comme du funk brésilien, involontaire mais nécessaire”, cherchant l’inspi-
façon directe”. Est-ce pour nous pour inspirer notre section rythmique. Pour Dan, ration dans des “documentaires sur des serial
surveiller qu’une sorte de chaperon il suffisait de jouer le morceau une seule fois, et killers”, citant au passage Nick Cave et Serge
se trouve dans la pièce et guette c’était presque réglé. Il ne voulait pas perdre la Gainsbourg. Pour la mise en forme, c’est cette
l’entretien du coin de l’œil ? magie de l’instant.” Par la suite, Cage The fois le plutôt pop John Hill (Portugal The Man,
“Paranoïa sociale généralisée”
Foster The People) qui a été appelé à la barre : chaloupée “Night Running”, aux effluves reggae. alors qu’il était en tournée en Asie. Vingt-quatre
“Il nous a incités à écrire en vrai groupe, soudés. Matt détaille les coulisses de cette collabo- heures plus tard, il nous a restitué plusieurs
On s’est inspirés de cette histoire disant que Brian ration : “On s’est connus lors d’un festival à Los couplets et c’était bon !”
Jones était passé aux marimbas pendant Angeles. Quelques mois plus tard, il est venu Un “Social Cues” aux influences diverses donc,
l’enregistrement de ‘Under My Thumb’. On a donc jouer à Nashville, et on a discuté un peu plus toujours porté sur les ballades, et dont les textes
décidé de mettre dans les mains de chaque membre longuement. On avait bouclé une partie de ‘Night sont évidemment sombres, tristes, maussa-
un nouvel instrument qu’il ne connaissait pas, Running’, mais on galérait encore sur les des : “Nous vivons une époque de paranoïa
pour voir ce qui allait se produire. Cela nous a couplets. Brad nous a dit en blaguant : ‘Je sociale généralisée. Ce n’est pas surprenant que
permis de raviver notre processus créatif.” suis sûr que Beck saurait quoi faire’, comme le nombre de dépressions augmente, de même
si c’était un gourou. On lui a envoyé les pistes que les suicides. La pression sociale est de plus
en plus forte, pour décider de ce qu’il faut faire
Beck saurait quoi faire ou non, ce qui est acceptable ou non. Nos sociétés
Progressivement, les Américains se sont aussi sont à présent gouvernées par une espèce de loi
ouverts à des sons nouveaux, délaissant presque Le clan Campbell non-écrite, ce qui fournit un modèle clé en main
les guitares : “Nous avons évolué dans notre Des arrangements de cordes ? pour des forces néfastes qui souhaiteraient
approche musicale. Il n’y a plus matière à faire “On se disait que l’on en souhaiterait manipuler nos sociétés.” Un constat cinglant
davantage sur ce disque. Nous avons cherché
de différences entre rock’n’roll, soul, R&B ou hip des compositeurs qui pourraient nous aider, mais lucide, dans le ton de cet album à la fois
hop. Je n’écoute plus d’albums complets, mais et il se trouve que le père de Beck est une beau et désabusé. ★
Photo Neil Krug-DR

des playlists qui peuvent passer des Cramps à légende de l’orchestration. On s’est dit que,
peut-être, David Campbell pourrait dire oui,
Kendrick Lamar, puis Air.” Symbole de ce qui sait ? C’était un rêve et il a accepté.” JONATHAN WITT
nouveau brassage : Beck lui-même figure sur la Album “Social Cues” (Sony Music/ RCA)
in memoriam

Scott Walker
1943-2019
Idole pop avec The Walker Brothers, Scott Engel a ensuite largué les amarres,
élaborant quelques chefs-d’œuvre et des oratorios de plus en plus terrifiants. Il est mort à 76 ans.
Entre 1978 et 1994, personne n’a C’est comme si Tom Jones s’était réveillé dans la Le trio, qui se fait appeler The Walker Brothers,
su qui était ce type qui débarquait peau de Luciano Berio, comme si les Monkees sort en 1965 un single produit par Jack Nitzsche.
à vélo, s’installait à une table, avaient mué en Einstürzende Neubauten. C’est l’année où cartonne la production Spector
commandait un verre et restait La mutation intervient en 1978. Le punk vient chantée par les Righteous Brothers, “You’ve
plusieurs heures à regarder les clients de cracher à la figure des sixties, alors que cet Lost That Lovin’ Feelin’ ”. Les faux-frères
jouer aux fléchettes. Cet anonyme has been de Scott a reformé son groupe de vieilles Walker courent après cette grandeur, l’atteignant
que David Bowie désignait comme gloires, les Walker Brothers, enregistrant avec à plusieurs reprises — avec des monuments
son “idole”, qui a fui Jesus And eux deux albums dégoulinants. Ne manque plus comme “The Sun Ain’t Gonna Shine Anymore”,
Mary Chain et Brian Eno, qui faisait qu’une collaboration avec Dalida. Pourquoi “Make It Easy On Yourself”, “People Get
s’évanouir les adolescentes des sixties, écouter leur nouveau disque “Nite Flights”, alors Ready”, “In My Room”... Les Etats-Unis n’ont
fut durant quinze ans un habitué parmi que les Undertones balancent “Teenage Kicks” ? pas besoin de nouveaux Righteous Brothers, le
les habitués de ce pub londonien, “Nite Flights” n’intéresse personne. Sauf Brian trio grimpe dans un avion, aller simple pour
incognito. “Toutes les pop stars se Eno. “J’ai dit à Bowie qu’il fallait absolument qu’il Londres. “J’étais surexcité de venir en Europe,
plaignent de l’image que leur renvoient écoute ça !”, déclare-t-il dans le documentaire j’adorais tellement les films de Bergman,
les médias, nous a-t-il déclaré. J’ai la “30 Century Man”. “Les morceaux de Walker sur Bresson, Godard, Fellini. Et on échappait au
chance d’avoir résolu cela, jamais je cet album sont carrément humiliants : ils allaient service militaire.” Scott n’aura pas à combattre au
ne m’indignerai de ne plus passer à plus loin que ceux qu’on avait faits avec David.” Vietnam, mais il va lui falloir affronter des hordes
la télévision. Je suis content d’avoir Scott, qui n’avait plus composé d’originaux depuis d’Anglaises déchaînées. A l’époque de la British
envoyé valdinguer tout ce qui est lié au une décennie, signe quatre nouvelles chansons Invasion, les Walker Brothers réussissent leur
narcissisme, à la célébrité. Mais je ne terrassantes — le lien entre “Heroes” et la Yankee Invasion, s’imposant comme coqueluches
regrette pas d’être passé par là !” nouvelle garde à venir, les Joy Division, Killing du Swinging London. Pas uniquement des beaux
Joke, Pere Ubu, Echo & The Bunnymen, gosses aux “cheveux les plus longs” : la voix
Associates... Bowie reprendra la chanson “Nite de Scott fait des ravages, soulevant cette
Jacques Brel sur la platine Flights”, sa carrière se calant régulièrement sur pop baroque vers les cieux. Le baryton
C’est à partir de 1978 que le crooner pop celle de Scott — son premier album, en 1967 : case à l’occasion ses propres compositions
prend l’habitude de disparaître des radars, du Walker Brothers de gnome ; son dernier, (“Archangel”, soufflante). Titre de gloire :
entre deux disques grandioses, de plus en “Blackstar” : totalement inspiré par la fin de leur fan-club compte plus de membre que celui
plus ésotériques, de moins en moins écoutés. carrière de l’Américain. Bref : en 1978, des Beatles. C’est la Walkermania. “On était de
Il a durant vingt ans joué le forçat pour la créativité de Walker se libère. toutes les fêtes. Et puis ça a viré au cauchemar,
l’industrie musicale, chanté une flopée de hits, Elle avait déjà produit de sacrés cyclones. la musique devenait secondaire, je ne pouvais
il se transforme en maître de l’éclipse, moitié Il s’appelle Noel Scott Engel quand il naît en 1943. plus supporter cette folie.” Tentative de suicide,
Houdini, moitié Orson Welles. Les rumeurs à Sa mère veut faire de lui un enfant-star. retraite à l’abbaye Quarr, sur l’île de Wight.
son sujet deviennent extravagantes, le magazine A 12 ans, le prodige se produit à Broadway “Pas pour devenir moine : je voulais étudier le chant
People ouvre une “Walker Hotline”, tout lecteur dans une comédie musicale, “Pipe Dream”. grégorien.” Des fans le retrouvent, Scott quitte
ayant localisé le fugitif est prié de téléphoner, Il découvre Frankie Lymon, signe son premier les lieux, puis les Walker Brothers. Il vient de
récompense à l’appui. L’histoire est connue : disque à 14 ans, passe à la télévision, enregistre découvrir un artiste qui le foudroie. Au London
Paul McCartney, puisqu’il traverse Abbey Road treize 45-tours entre 1957 et 1963. “Mon ambition Playboy Club, en tant que client et buveur, il fait
pieds nus, a évidemment trépassé, c’est un sosie a vite évolué. J’ai voulu devenir le meilleur bassiste, l’ouverture. La fermeture aussi, repartant avec
Photo Getty Images

qui mène sa carrière solo. Cette théorie collerait travailler comme musicien de session, tenter de une bunny-girl allemande qui le ramène chez
davantage au cas de Scott Walker. Quel rapport m’incruster sur les productions Phil Spector. Je elle. Avant de passer aux choses sérieuses,
entre le Walker de 1967 et celui de 1995 ? tournais dans des clubs à Los Angeles, c’est comme elle leur sert du Pernod et met un disque.
ça que j’ai rencontré John Maus et Gary Leeds.” Le sérieux, c’est ça : Jacques Brel sur la platine.

MAI 2019 R&F 023


SCOTT WALKER

Bowie a joué dans “L’Homme Qui Venait


D’Ailleurs”, mais l’album qui venait d’ailleurs,
c’est Engel qui l’enregistre, sous le titre “Climate
Of Hunter” — le modèle de tous les Talk Talk
à venir. Impressionnant, même au niveau des
ventes : selon Virgin UK, 1500 exemplaires
péniblement écoulés, le plus gros flop de tout
le catalogue. La maison de disques reporte ses
espoirs sur l’album suivant, puisque c’est Brian
Eno, derrière le succès “The Unforgettable Fire”
(pour U2), qui bosse maintenant avec Walker.
Les deux hommes sont en studio depuis 15 jours
quand Eno reçoit une injonction de Bicknell,
l’interdisant d’utiliser le travail effectué avec
Engel, l’informant que ce dernier ne souhaite
pas poursuivre leur collaboration. Scott s’en
expliquera plus tard : il n’aimait pas le studio,
ne supportait pas le partenaire de Brian
(Daniel Lanois), trop de personnes aux manettes,
d’inconfort. Aucune intention de retomber dans
des compromis. “Le seul dégât, c’était pour moi :
Virgin m’a viré. Je me suis retrouvé sans projet,
alors je me suis inscrit dans une école d’art.”
Pour gagner un peu de sous, il apparaît dans une
pub pour orangeade, ce qui tombe bien, parce
qu’il a arrêté l’alcool, et même le Valium.

Quelque chose de sombre


“Nite Flights” et “Climate Of Hunter” ont
posé les bases de ce vers quoi Walker va aller,
jusqu’à sa mort : une musique qui s’affranchit de
Encouragé par Andrew Loog Oldham, camarade le trentenaire passe pour un collègue de la pop, fusion postmoderne de Iannis Xenakis,
de black russian (vodka et liqueur de café), Scott Liberace — et ce n’est pas la reformation des Glenn Branca et Maria Callas, entre oratorio,
reprend trois morceaux de Brel sur chacun de Brothers qui bluffera les punks. Tellement électronique et industriel. “Tilt” (1995)
ses trois premiers albums solos, disques plus au bout du rouleau qu’il épouse une Danoise : est un aboutissement, un choc esthétique.
ombrageux prolongeant le succès de l’époque d’abord, une fille et, bientôt, un divorce. “Je Entrecoupés de quelques musiques de films et
Walker Brothers. Le cinquième, “Scott 4” m’accrochais, c’était pathétique, j’acceptais tous ballets, “The Drift”, “Bish Bosh” et “Soused”
(1969), le premier uniquement composés de les compromis, et même plus. Avec l’alcool, j’avais répètent la formule, en plus désincarnés,
chansons originales, est aussi le premier recalé de la peine à écrire, à trouver des contrats, alors je oppressants, des bruits de viande broyée font
des charts — et le plus époustouflant. Morceau me suis conformé au marché. C’était l’horreur. office d’instrumentation, mélodies et chant
de bravoure : “The Old Man’s Back Again Je n’ai repris confiance qu’avec ‘Nite Flights’.” partent en sucette — des requiems éreintants
(Dedicated To The Neo-Stalinist Regime)”, avec Les chefs-d’œuvre de cet album (“Shutout”, en prévision de sa disparition finale. Au milieu
chœurs spectraux et ligne de basse phénoménale. “The Electrician”) permettent à Engel de de ce carnage mortifère, un rayon de soleil
Sinatra modernisé façon David Axelrod. Dans retrouver sa grandeur, mais il est fauché, aveuglant : la reprise du “I Threw It All
l’ultra-romantique “Duchess”, le crooner fait poussé à vendre son impressionnante collection Away” de Bob Dylan avec Nick Cave. “Il est
rimer “bicycle bells” avec “Rembrandt swells”. de disques jazz et classique. Loyers impayés, maintenant hors de question qu’on me demande
L’auteur signe le disque de son vrai patronyme, il déménage trois fois en trois ans. Une news des aménagements”, disait-il en 2006. Je fais la
Noel Scott Engel, pour bien signifier le sérieux paraît dans le Melody Maker : Bowie lui a musique que je veux, pour moi, je me teste, je vois
de l’affaire — quand l’album sera réédité, ce sera demandé de produire “Scary Monsters”. Mais jusqu’où je peux aller, et si certains sont intéressés,
sous son nom de scène, Scott Walker. Grandeur Scott n’a pas le temps, il regarde passer les tant mieux, ça me permet de continuer.”
et flamboyance, les potards du baroque sont dans fléchettes. Julian Cope publie la compilation Et pourquoi ces derniers enregistrements
le rouge. L’album suivant baisse obligatoirement “The Godlike Genius Of Scott Walker”. Engel : s’engouffrent-ils dans les ténèbres ? “Je m’installe
d’un cran, malgré une chanson aussi faramineuse “Il me l’a envoyée, j’ai écouté ce gamin chanter, devant mon piano, ou avec ma guitare, dans le
que “Thanks For Chicago Mr James”. Et puis, moi-même, j’ai trouvé ça pas mal du tout, mais silence, et automatiquement, quelque chose de
Scott va repartir vers les cieux. Sauf que non. une écoute a suffi.” Et puis il signe chez Virgin, sombre se dégage, je vais vers des territoires très
Patatras. Le voilà torché dans le caniveau, sollicitant l’aide du manager de Dire Straits, noirs. Evidemment, la mort me préoccupe. C’est
enregistrant entre 1972 et 1976 six albums de Ed Bicknell, qui témoigne : “Mon boulot était the big thing. Je ne cultive pas des idées morbides,
soft rock pour grands-mères, sans aucune compo limité : je n’ai jamais vu un artiste aussi c’est une question de réalité. Il vaut mieux être
originale. Il reste quelques belles interprétations désintéressé par l’argent.” En mars 1984, sort averti, et encore plus pour la mort. Le fait qu’elle
(“Glory Road”, “No Regrets”, “The House “Climate Of Hunter” : sublime, surtout la m’accompagne rend ma vie meilleure.” ★
Song”), mais dans cette époque électrisante première face, avec “Rawhide”, “Dealer”,
qui voit Ziggy se muer en héros synthétique, “Track Three” — plus “Track Five”. BENOIT SABATIER

024 R&F MAI 2019


En vedette

“Quand je conduis, j’adore écouter des livres audio”

PETER DOHERTY
Avec les Puta Madres, son nouveau groupe, le chanteur anglais relance sa
brinquebalante et touchante carrière en enregistrant au bord des falaises d’Etretat.
RECUEILLI PAR BASILE FARKAS ET MATTHIEU VATIN
AU LENDEMAIN DE SON QUARANTIEME ANNIVERSAIRE, Puta Madres, où toutes les grandes thématiques dohertiennes
Peter Doherty arrive fidèle à sa légende. Avec une cannette — romantisme, amour, bohème, références littéraires — sont
vide et une guitare dans son étui. L’air plutôt frais et abordées, sur fonds de guitares claires et de violon. S’il peut
aminci, le grand dadais rimbaldien s’extirpe d’une voiture avoir tendance à s’autociter sur ces nouvelles compositions,
qui l’a, dans la nuit, conduit de Margate, dans le Kent, sur difficile de ne pas éprouver une grande sympathie pour ce
la côte anglaise, à Paris. Les cheveux sont gris, son pardessus garçon qui, tel le poivrot de la chanson de Leonard Cohen,
Photo Thibault Lévêque-DR

aussi, de la poche duquel dépasse, bien sûr, un livre écorné. n’a, à sa manière, jamais cessé d’essayer d’être libre. En
L’aura du chanteur, toutefois, a un peu perdu de sa splendeur préambule, Peter contemple longuement les nombreuses
au fil des ans. Les habituelles turpitudes d’une vie de couvertures — neuf ! — que Rock&Folk lui a consacrées, en
toxicomane ? Lui-même ne l’a jamais nié. Ce printemps, le tentant de les classer par couleurs. “Vous allez croire que j’ai
Britannique sort un album avec son nouveau groupe, The des TOC, ce n’est absolument pas le cas.”
ROCK&FOLK : Vous avez eu 40 ans hier. Ça vous fait quelque
chose ?
Peter Doherty : Je n’y pense pas vraiment, ce qui doit vouloir dire quelque
chose en soi. C’était une journée comme les autres, à Margate. C’était un
peu étrange, tout de même. Des personnes de différentes périodes de ma
vie sont venues me voir. On a fait une sorte de dîner. Carl (Barât) était là,
il est venu dans son Audi blanche et m’a chanté quelques chansons au
piano. Il est souvent à Margate car nous avons un studio là-bas. Il voulait
qu’on écrive des chansons ensemble avant que je franchisse la quarantaine.
La semaine dernière, il est venu avec Holly, le guitariste de Prodigy, qui
va produire des démos pour les Libertines. Il nous a enregistrés, on a fait
avec lui une super version de “Signed DC”, la chanson d’Arthur Lee.

R&F : Margate est le nouveau quartier général des Libertines ?


Peter Doherty : C’est avant tout mon quartier général. J’y vis depuis
deux ans. J’essaie d’être créatif là-bas.

R&F : Mais les Libertines sponsorisent l’équipe de foot locale.


Peter Doherty : Oui, pour la soutenir. Grâce à nous, le Margate FC n’a
jamais vendu autant de maillots. Des gens d’une soixantaine de pays en
ont commandés. Je soutiens les Three Lions (l’équipe nationale) et les Blues
(le surnom du Margate FC), mais je suis avant tout un supporter de Queens
Park Rangers. Hélas, quelque chose a disparu dans le football professionnel
anglais, une certaine culture. Je préfère soutenir une petite équipe de
sixième division, on peut emmener son chien au stade, on peut changer
de siège, on peut fumer... C’est plus agréable.

R&F : Vous n’allez plus voir jouer QPR ?


Peter Doherty : Mon oncle Liam, qui vient de mourir, était abonné depuis
des années. On a dispersé ses cendres dans le stade et j’ai son abonnement
désormais. Mais le stade (Loftus Road, dans la banlieue ouest de Londres)
est un peu loin de Margate. Chaque fois que j’essaie d’aller voir les
Hoops, quelqu’un me propose de faire un truc à Margate. Il y a souvent
des contretemps avec moi... à cause d’une fille dont je suis tombé amoureux il y a des années, Katia
DeVidas. Elle a rejoint le groupe. Elle joue du clavier, elle a même écrit
quelques chansons avec moi, dont “Travelling Tinker”, la chanson la
J’aime ce disque plus importante du disque. Sa mère a grandi à Etretat et elle a une
R&F : Parlez-nous de votre groupe actuel, les Puta Madres. On maison là-bas.
retrouve Miggles, qui était dans les Parisians...
Peter Doherty : Oui, on est restés bons amis durant toutes ces années. R&F : Vous avez lu “L’Aiguille Creuse” de Maurice Leblanc ?
J’étais dans l’embarras avec Drew (McConnell, précédent bassiste parti dans Peter Doherty : En quelque sorte, j’ai écouté le livre audio. Quand
le groupe de Liam Gallgher)... C’était compliqué, j’avais plein de problèmes je conduis, j’adore écouter des livres audio.
existentiels. Alors j’ai proposé à Miggles de venir jouer, il a accepté. Il est
allé chez Drew, qui lui a montré ses plans de basse et il nous a ensuite R&F : Vous aviez beaucoup de chansons en stock ?
rejoints à la Florista. C’est là que le groupe est né. Le batteur, Rafa, vit Peter Doherty : Oui. J’ai demandé à Jai Stanley, notre manager, qui
dans un squat dans la forêt, près de Barcelone. C’est très joli, très rural. produit aussi l’album, de faire le tri. Je voulais travailler avec le gars
Il y a des espèces protégées, des sangliers, qui sont devenus le symbole des Brian Jonestown Massacre, Anton Newcombe, il était intéressé,
du groupe. On a joué ensemble et j’ai voulu démarrer un groupe, voyager. mais ça ne s’est pas fait. Il a aussi été question de bosser avec le type
Je ne faisais plus beaucoup de musique. Tout le monde avait besoin de du Velvet Underground...
faire ça, pour sauver sa vie. Il est avant tout question de loyauté et de
confiance dans ce groupe. Les autres font attention à ce que j’ai envie R&F : John Cale ?
d’entendre, mais je ne freine pas leur créativité. Tout le monde veut que Peter Doherty : Voilà. Mais nous n’avions pas non plus l’argent
Rafa utilise des baguettes, par exemple, mais lui ne joue qu’avec des balais. nécessaire.
Je suis OK avec ça, du moment que ça sert la chanson.
R&F : Dans “Someone Else To Be”, d’ailleurs, vous reprenez
R&F : Sur quel chemin êtes-vous en ce moment ? “Ride Into The Sun” du Velvet Underground, en insérant
Peter Doherty : Je suis investi dans ce que je fais, je suis en mission quelques paroles de “Don’t Look Back In Anger” d’Oasis.
spirituelle. Par le passé, j’ai eu quelques problèmes pour me concentrer Ces groupes étaient vos héros de jeunesse, non ?
sur l’aspect promotionnel. Cette fois-ci, je veux le faire bien. Je vais faire Peter Doherty : J’aime les deux, oui. Sur internet, il y a cette vidéo
de mon mieux, cette fois. Parce que j’aime ce disque. J’aimerais de moi adolescent interviewé en train de faire la queue pour acheter un
vraiment, pour moi et pour les autres dans le groupe, qu’il ait du succès. disque d’Oasis. Je ne faisais pas vraiment la queue, je voulais juste passer
à la télé. Je n’aurais pas eu honte d’être fan à l’époque, mais ce n’était
R&F : Comment le groupe s’est-il retrouvé à enregistrer à Etretat ? pas le cas. Ma sœur, en revanche, était en adoration. Elle avait des posters
Peter Doherty : J’ai fait quelques allers/retours entre Paris et Etretat, dans sa chambre. Je préférais les Specials et les Smiths à l’époque...

028 R&F MAI 2019


PETER DOHERTY & THE PUTA MADRES

R&F : L’album est très anglais, très acoustique aussi. Pas de


guitares saturées...
Peter Doherty : Jamais. C’est mon cauchemar. J’ai dû dire à Jack de
ne pas utiliser de distorsion, car il joue aussi dans un groupe skate punk.
S’il utilise une pédale, il doit la cacher derrière son ampli... Je n’utilise
quasiment jamais de pédales.
R&F : Comment se passe la réconciliation des Libertines ?
Peter Doherty : On ne peut pas tellement programmer les choses. En
ce moment, je me concentre sur cet album, sauf que Carl a décidé qu’il
voulait écrire de nouvelles chansons. D’accord, mais j’ai les Puta Madres.
Et lui a envie de faire les Libertines... Du coup, il m’a dit que je n’avais
pas le droit d’utiliser le studio des Libertines avec les Puta Madres. Pour
lui, le premier groupe qui enregistrera un album dans ce studio devra
forcément être les Libertines. Alors je suis allé en Normandie... Un
jour, je me suis quand même faufilé dans le studio et j’ai essayé
d’enregistrer. J’ai été très chagriné par cette histoire, alors, un soir où
j’étais un peu plus chagriné que d’habitude, j’ai fait pipi sur la console
de mixage. Une console qui vaut 80 000 livres, tout de même. Les gens
de l’assurance ont dit qu’ils ne paieraient pas, car ils ont analysé le
liquide. Je voulais faire croire que c’était de l’urine de chien, mais ils
ont bien compris que non. Ne riez pas, Carl n’est toujours pas au courant !
De la fumée est sortie de la machine quand j’ai commis mon forfait...

R&F : Vous n’avez pas l’air d’être obsédé par le travail sur le
son, il semblerait que, ce qui vous intéresse, c’est capturer le
moment.
Peter Doherty : Oui, absolument. Produire un disque, pour moi, devrait
Photo Thibault Lévêque-DR

se résumer à appuyer sur play et record. Les chansons, les paroles, ou


même le pantalon du bassiste sont plus importants que la production.
On a filmé l’enregistrement de l’album, il y avait des caméras dans la
maison. On a tout filmé en time-lapse. Vous verrez les images dans les
bonus. On a aussi filmé ma chienne, qui a eu six chiots. Six bébés huskies.
Ils sont nés à Etretat. Ils faisaient pipi partout, mais pas sur la console
de mixage...
“Un soir où j’étais un peu R&F : Que vous évoquent tous ces vieux articles de Rock&Folk
plus chagriné que sur les Libertines ?
Peter Doherty : Des souvenirs. Le concert au Bergerac... Miggles était
d’habitude, j’ai fait pipi là. Et ce titre, sur la première couverture (R&F 424), Danger, branleurs...
Aujourd’hui, je trouve ça plaisant. Mais, à l’époque, nous étions
sur la console de mixage” particulièrement énervés. Nous voulions l’adresse de vos journalistes
pour venir vous expliquer la vie (silence). La France a toujours été un
R&F : Vous aimez être au bord de la mer ? pays important. Montrez-moi une carte de France (il scrute Google Maps).
Peter Doherty : Bien sûr. Les Libertines ont acheté un hôtel et un studio Ah, Bordeaux... Pour la première fois, là-bas, on a eu du vin rouge
à Margate, c’est à trois maisons de là où TS Eliot a écrit une partie de “The dans notre loge...
Waste Land”, John Keats y a écrit, aussi. Ils étaient tous là, à Margate.
Cette ville, en quelque sorte, est le dernier arrêt. Si vous voulez vous
échapper de Londres, vous pouvez prendre le train à Victoria, à King’s Un accident de vélo
Cross ou à Liverpool Street, tous les trains trouvent leur terminus à R&F : Parmi vos neuf albums, tous groupes confondus, avez-
Margate. C’est là que le contrôleur vous réveille : “monsieur, vous ne vous des regrets ?
pouvez pas rester là”. Etrange endroit... Peter Doherty : Certains ne sont pas vraiment des albums (longue
rumination sur le nombre d’albums enregistrés par l’artiste). “Hamburg
R&F : Désolé, mais il faut que vous racontiez l’histoire de ce Demonstration” (album solo, 2016) a été un peu bâclé, c’est le moins
mega breakfast que vous avez ingurgité dans un café de la ville qu’on puisse dire. “Sequel To The Prequel” (Baby Shambles, 2013)
et qui vous a valu quantité d’articles. est également problématique. Les chansons sont bonnes, Damien
Peter Doherty : (soupir) Cette histoire de petit-déjeuner a engendré Hirst a peint une magnifique pochette, mais... quelque chose cloche.
plus de presse que tous les disques que j’ai sortis... Mais c’est bien de A l’époque, Drew avait failli mourir dans un accident de vélo, il s’était
faire un peu de pub à la ville. Ce café est très connu localement : on cassé le dos, mais avait tenu à jouer sur le disque. Je ne critique pas la
vous donne une quantité incroyable de nourriture. Ça ne coûte que 18 production, mais les forces en présence étaient, disons, conflictuelles.
livres, mais si vous finissez cet énorme petit-déjeuner anglais en moins Stephen Street, durant les séances, était assez énervé. Dès que nous
de 20 minutes, vous ne payez pas. enregistrions une prise, que l’on croyait bonne, il nous disait que ça
n’allait pas. Le crack et l’héroïne... ★
R&F : Et vous l’avez fait.
Peter Doherty : J’ai fait ce qui était écrit... Album “Peter Doherty & The Puta Madres” (Strap Originals/ Differ-Ant)

MAI 2019 R&F 029


En vedette

“En deux mois, nous avions perdu notre ami,


notre leader, notre groupe et nos instruments.
Nous ne pouvions pas descendre plus bas !”

NEWORDER
Mai 1980 : Ian Curtis se donne la mort et Joy Division cesse de fait d’exister.
Que peuvent faire les trois autres membres du groupe ?
C’est toute l’histoire de “Movement”, premier album de New Order.
PAR CHRISTOPHE BASTERRA

LE PREMIER SOUVENIR DE L’ALBUM “MOVEMENT” ? Les années des cassettes vierges gavées de nos morceaux
Ni sa pochette emblématique, ni l’une de ses chansons. préférés, des disques qu’on se prêtait, de l’émission Feedback
Mais un scooter repeint en bleu — de ces deux bleus de Bernard Lenoir sur France Inter, de Megahertz
caractéristiques utilisés par le graphiste Peter Saville pour d’Alain Maneval sur la première chaîne, des Enfants Du
ladite pochette. Le scooter appartenait à un ami de deux Rock sur la deuxième. De tous les groupes qu’on écoutait,
ans plus vieux — et à cet-âge-là (vers 14 ans), ça fait une le plus mystérieux était New Order. Pourtant, l’ami au
sacrée différence. Nous habitions la même résidence — scooter connaissait déjà tout ce qu’on pouvait savoir à
Photo Kevin Cummins-DR

banlieue ouest — et nous étions une poignée de copains à son sujet. Il possédait même, en cassettes pirates, tous les
partager les mêmes centres d’intérêt : le foot et la musique concerts que le quatuor avait donnés jusque-là. Tous,
(ou peut-être était-ce l’inverse). C’étaient les années new vraiment. Il avait également les disques. Et aussi ceux du
wave d’avant l’explosion grand public — avant la groupe d’avant, en particulier l’édition limitée du fameux
canonisation de “The Head On The Door” pour faire court. double album posthume, “Still”, drapé par une toile grise.
ARTISTE
Les débuts de New Order sont bien sûr viscéralement liés au parcours Ballade De Bruno”, et écouté “The Idiot” d’Iggy Pop. Cinq jours plus
tragique de Joy Division, le fameux groupe d’avant, dont l’origine remonte tard, il est incinéré avec quelques effets personnels au crématorium de
au concert des Sex Pistols au Lesser Free Trade Hall de Manchester, le Macclesfield... La logique aurait voulu que l’histoire s’arrête là.
4 juin 1976. Les premières répétitions, les hésitations autour d’un nom A l’autre bout du fil, Peter Hook, l’homme qui a fait du grand écart
(The Stiff Kittens, Warsaw avant de trouver l’identité controversée), les une figure liée au jeu de basse, est détendu et disert — comme toujours
rencontres déterminantes : le manager Rob Gretton, le journaliste Tony lorsqu’il s’agit de parler du passé. S’il n’est plus membre de New
Wilson, éminence grise du label Factory Records, le producteur Martin Order depuis 2007 et si la brouille est toujours d’actualité — en particulier
Hannett, le susnommé Peter Saville. Un son dense, oppressant, une avec le chanteur et guitariste Bernard Sumner —, il reste l’historien
violence sourde en concert, métamorphosée en rage latente en studio, de la bande, en témoignent deux de ses livres, “Unknown Pleasures”
des chansons qui renversent tout sur leur passage, souvent au bord de et “Substance”, écrits avec une bonne dose d’humour typiquement
la rupture. Le charisme d’un chanteur, Ian Curtis, qui se voit trop vite britannique et une subjectivité revigorante. Au moment précis où sort
rattrapé par les choses de la vie — le mariage avec la copine d’adolescence, ce somptueux coffret réunissant le disque original en vinyle et CD, un
la paternité, le job sans saveur, les tentations du succès, l’amante, les second CD gorgé de maquettes (et quelques titres inédits, même si
crises d’épilepsie... En l’espace de deux ans, le groupe enregistre six déjà connus des fans pour être parus sur des pirates), un DVD et un
singles et deux albums, tutoie le succès et en piochant dans le passé (le superbe livre, c’est donc plutôt logiquement à lui qu’incombe de revenir
Velvet Underground, David Bowie période allemande, Kraftwerk), invente sur la gestation et la sortie de “Movement”, premier album de New
la musique du futur. Mais un futur de courte durée. La veille d’un départ Order, groupe auquel on prédisait alors une carrière éphémère. “Le
pour une tournée américaine, en proie aux doutes, incapable de trancher coffret de Led Zeppelin nous a servi de mètre étalon : j’ai adoré l’objet,
dans sa vie privée, Ian Curtis se donne la mort le 18 mai 1980 — il se accompagné de posters et de fac-similés. Pour la première fois depuis
pend dans sa cuisine, après avoir regardé un film de Werner Herzog, “La 2007, on a mis nos rancœurs de côté pour s’impliquer dans le projet.

032 R&F MAI 2019


NEW ORDER

Parce que “Movement”, pour des raisons évidentes, reste un album essentiel New Order rappelle derrière la console Martin Hannett, le metteur en
de notre discographie.” Après la disparition d’un leader qui était en son lunatique de Joy Division. Une évidence en théorie. Mais pas forcément
passe de devenir l’icône d’une génération, tout le monde s’attendait à le meilleur choix dans la pratique — “Il ne s’est jamais fait à la mort de
ce que Bernard Sumner, Peter Hook et le batteur Stephen Morris Ian”. C’est lors de ces sessions que, finalement, Bernard Sumner devient
retournent à leurs jobs médiocres et regardent caracoler au sommet officiellement chanteur de New Order. “Nous avions enregistré une version
des charts indépendants le deuxième album “Closer” et le single “Love de ‘Ceremony’ avec nos trois voix. Martin l’aimait beaucoup mais
Will Tear Us Apart”, sortis quelques semaines après le suicide de Barney est revenu à la charge : ‘Laisse-moi faire un dernier essai !’ Je ne
Ian Curtis. Oui, mais. Avec ces gars-là, la logique n’existe pas : “A la sais par quel miracle, il a eu gain de cause...” Il reste quand même un
fin de la cérémonie, le vendredi, nous nous hic : Sumner, incapable de jouer et chanter
sommes retrouvés au pub et Rob Gretton a en même temps, il faut trouver un quatrième
demandé ce qu’on pensait faire : nous nous membre. Le groupe ne va pas le chercher bien
sommes donnés rendez-vous le lundi suivant loin, en embauchant à l’automne 1980 la petite
à notre studio de répétition de Salford.” Dans amie de Stephen Morris, Gillian Gilbert, à
sa chambre, ce weekend-là, le bassiste trouve la guitare et aux claviers. Cette fois, tout est
le riff de “Dreams Never End”. en place. “Ceremony” voit le jour en mars
1981 et le nouveau quatuor rentre en studio
ce printemps pour donner naissance à son
Single de premier album. Toujours sous l’égide Martin
transition Hannett. “Il a rendu la situation encore plus
Et puis, ils furent donc trois. “Quand j’y difficile. Il buvait beaucoup, prenait de la
repense, c’est incroyable que nous ayons décidé cocaïne, ce qui n’arrangeait pas son humeur.
de continuer. Je ne sais même pas comment Personne ne peut imaginer à quel point il nous
nous nous en sommes sortis, nous étions jeunes, était difficile d’être là sans Ian... C’était comme
sans recul, ni expérience.” Ni même de nom si on nous avait demandé d’apprendre à courir
— il avait été décidé au début de Joy Division avant de savoir marcher.” Le disque sort en
que si l’un d’entre eux décidait de partir, les novembre 1981. Comme il fallait s’y attendre,
autres ne pourraient continuer sous la même la presse ne l’épargne pas — parmi les rares
identité. Après avoir écarté Khmer Rouge, exceptions, la chronique signée Michka
The Immortals ou The Shining Path entre
autres joyeusetés, vient le temps de l’hési-
“Movement” Assayas dans ces colonnes. A l’époque,
comme quarante ans plus tard, on sent un
tation : Rob et Stephen préfèrent The Witch
Doctors Of Zimbabwe, Bernard et Peter est autant le groupe qui s’essaye à voler de ses propres
ailes. Car finalement, “Movement” est autant
ont choisi The New Order Of Kampuchean
Rebels. Ces derniers l’emportent avant de
raccourcir le nom en New Order — sans
troisième album le troisième album de Joy Division que le
premier de New Order —“Je suis tout à fait
d’accord avec cette idée”, confirme Peter Hook.
qu’aucun des protagonistes ne fasse le lien
avec les innommables théories nazies... En
de Joy Division Des accents rock de “Dreams Never End”
chanté par le bassiste (comme le martial
studio, le trio tâtonne, Steve acquiert sa
première boîte à rythmes et Gretton insiste : que le premier “Doubts Never Here”) à “Denial”, le quatuor
poursuit les expérimentations électroniques
il ne faut jouer que des nouveaux morceaux.
Le groupe donne, en plein mois de juil-
let, un concert secret au Beach Club de
de New Order déjà entrevues sur “Closer”. La basse est
en apnée, la voix de Sumner désespérément
blanche, les claviers brumeux et froids, la
Manchester avant de s’envoler pour les Etats- guitare tranchante. Bien sûr, le fantôme de
Unis —“Rob était un homme de parole et tenait à ce que nous honorions Curtis plane — jusque dans le titre “ICB” pour “Ian Curtis Buried” —
l’engagement pris avec Joy Division.” Mais là-bas, nouveau drame : New et le disque n’est pas parfait. “Ce n’est sans doute pas un chef-d’œuvre,
Order se fait voler son matériel. “En deux mois, nous avions perdu confesse Peter Hook, mais c’est un album honnête”.
notre ami, notre leader, notre groupe et nos instruments. Nous ne pouvions
pas descendre plus bas !” Qu’importe. Le groupe honore les dates restantes,
rentre en Angleterre, continue de composer sans savoir encore qui Condamné par contumace
sera le chanteur titulaire. Et doit affronter le mécontentement des C’est surtout l’album qui va permettre à un groupe promis à une implosion
fans. “Nos concerts étaient très courts, ils duraient à peine vingt minutes inéluctable de poursuivre sa route. D’autant que l’évolution se laisse
alors que les affiches nous annonçaient comme les ex-Joy Division. Plus entendre sur les singles contemporains — “C’était une décision de Ian
d’une fois, ça a viré à l’émeute...” La confiance s’amenuise, mais les trois de sortir des singles inédits.” Sur “Everything’s Gone Green” ou
amis sont entourés de gens qui veulent y croire. Comme les membres l’étourdissant “Temptation”, elle est prégnante : les boules à facette ont
d’A Certain Ratio, avec lesquels ils partagent leur local. Comme Rob beau être éventrées, les pistes de danse ne sont plus très loin. Surtout,
Gretton, bien sûr, le manager essentiel. Comme Tony Wilson. “Ces ces disques révèlent un groupe d’une rare prolixité pour savoir qu’il
présences ont fini par nous donner une force à nulle autre pareille : c’était panse ses plaies. Un groupe déterminé. “We never compromise”,
nous contre le reste du monde”. Le trio entre alors en studio pour enregistrer chante Bernard Sumner sur la face B “Cries And Whispers”. C’est finale-
un single de transition. Forcément. D’autant que les deux titres ment la phrase qui résume peut-être le mieux l’histoire de New Order.
s’imposaient d’eux-mêmes, encore en chantier au moment du suicide Celle qui explique le mieux pourquoi un groupe condamné par contumace
de Ian Curtis : “Ceremony” — présent dans une version live chaotique est devenu celui qui allait changer, quelques mois plus tard, le cours
sur “Still” — et “In A Lonely Place”. “Ian nous a laissé deux merveilleux de la musique moderne. ★
cadeaux et il était évident que ces morceaux devaient rester unis”. Coffret “Movement” (Rhino/ Warner)

MAI 2019 R&F 033


En vedette

Un sosie de Reagan
sur une chaise électrique

FRANK ZAPPA
Initialement paru en 1978, “Zappa In New York” fait l’objet d’un coffret
truffé d’inédits fabuleux, et rappelle l’époque où ce provocateur déchaînait
les accusations de misogynie et d’homophobie.
PAR ERIC DAHAN
FRANK ZAPPA N’A PAS FAIT ECOLE, inventé une Le guitariste prodigieux, l’agitateur politique incisif, l’auteur génial,
méthode de composition, une théorie musicale, ni ont parfois éclipsé le compositeur. Que certains des thèmes écrits par
même des échelles ou des accords qui lui seraient propres. Zappa nous hantent encore démontre pourtant leur consistance :
Il n’a pas non plus sacrifié, comme nombre de ses l’enchaînement de hauteurs sur une durée donnée, le jeu des accents
contemporains, à la mode de la musique microtonale. et des valeurs, racontent toujours une histoire avec une éloquence et
Son langage, aussi personnel et reconnaissable soit-il, une évidence apodictiques. Ce que le musicien déduit à partir d’un
demeure accessible au plus grand nombre : la métrique matériau initial n’est jamais attendu. Quant à son sens du développement
est régulière, même si les rythmes ne le sont pas toujours, et de la variation, il semble inépuisable. Oublions la question de
et il utilise principalement les tierces et les accords de l’esthétique sonore, bien que Zappa associe timbres, hauteurs et gestes
septième de la gamme diatonique ; ce qui n’empêche instrumentaux avec une pertinence ravageuse, et écoutons le cubiste
pas l’ambiguïté tonale, modale, les quarts de ton dans “Wild Love”, donné en concert à partir de 1977 et publié sur “Sheik
les solos de guitare et d’enrichir la palette d’accords Yerbouti” en 1980 : n’a-t-on pas, selon les critères que l’on vient
suspendus, de neuvièmes, de onzièmes et de treizièmes. d’énoncer, affaire à un athlète — tout du moins dans le cadre
Ce caractère toujours audible explique, sans doute, restreint du rock et du jazz ? Voire — il aurait détesté ce mot — à un
que, vingt-cinq ans après la disparition de son auteur, la poète, captant autant qu’un Debussy, ce “mystère de l’instant” cher à
musique de Zappa n’est pas oubliée. A quoi il faut ajouter Henri Dutilleux ? Par-delà les lois de l’acoustique, de la géométrie
le fait qu’elle est jouée par des ensembles de musique ou des mathématiques, expliquant notre perception de certaines
contemporaine ainsi que par Zappa Plays Zappa — le fréquences et de leur organisation dans l’espace, ne peut-on pas parler
groupe mené par son fils Dweezil — et qu’elle fait à nouveau de qualité poétique à propos de “Watermelon In Easter
l’objet de nouvelles publications discographiques. Ces Hay”, naïf comme une toile du Douanier Rousseau, ou de “Zoot Allures”
dernières sont une chance, car elles nous forcent à et ses quartes égrenées en spirales avec une sensualité délectable ?
réévaluer régulièrement, non seulement son œuvre, mais On pourrait citer des dizaines d’autres compositions qui firent de chaque
l’idée même que l’on se fait de la musique car, à l’instar visite de Frank Zappa, de la seconde moitié des années 70 au milieu
d’un Miles Davis, Frank Zappa aimait défier les des années 80, au Palais des Sports, aux Pavillon de Paris et Hippodrome
instrumentistes de son temps, à tel point qu’il n’est pas de la porte de Pantin ou encore à Bercy, une véritable visitation, avec
un de ses groupes qui ne soit passionnant à réécouter. tout ce que le mot, que cet anticlérical aurait évidemment haï, implique
Le double album “Zappa In New York”, paru en mars de mystère.
1978, est-il une bonne introduction à sa musique ? Pas Mais revenons à “Zappa In New York” et sur ce fait étrange que le
plus qu’un autre mais le coffret qui vient de paraître musicien prolifique cessa toute publication entre octobre 1976, date de
l’est assurément : en plus de livrer un témoignage plus la sortie de “Zoot Allures” et mars 1978. Apprenant que Warner n’avait
complet des concerts donnés au Palladium de Manhattan, acheté que 15 tickets pour inviter la presse à son rituel concert de
entre les 26 et 29 décembre 1976, il permet de découvrir, Halloween, le 31 octobre 1976 au Felt Forum, la salle de 6000 places
entre autres merveilles, des versions pianistiques, gravées située sous le Madison Square Garden, il avait pris deux décisions
Photo DR

en studio, des deux parties de “The Black Page”, mettant d’importance : créer son propre label et livrer, d’un coup et en guise
à nu leur vivifiante complexité. de solde de tout compte, les quatre albums qu’il devait encore à sa

034 R&F MAI 2019


FRANK ZAPPA

Vêtu d’un soutien-gorge et


assis sur un caniche en peluche
maison de disques. Ce qu’il c’est parce qu’il a couché avec une féministe lesbienne, que le dénommé
parvint à réaliser en 1977, Bobby finit homo et urophile ; le récit de son odyssée qui associe
non sans mal car Warner “American dream” et “vaseline”, s’achevant par ce vers, non moins
refusa de le payer après musical, faisant rimer “Bobby Brown” avec “Watch me now, ’cause
qu’il eut livré les bandes I’m goin’ down”, soit : “Regardez-moi maintenant, car je vais tailler une
de “Studio Tan”, “Hot Rats pipe” ! S’il n’était ni antisémite ni misogyne — il avait tout de même
III”, “Zappa’s Orchestral produit l’album des GTO’s en 1969 — Zappa n’en restait pas moins
Favorites” et d’un double conservateur en matière de sexe. Apprenant que David Bowie et Iggy
“Live In New York”. Il Pop assistaient à son concert à Berlin le 15 février 1978, il fredonna,
entama donc une procédure judiciaire et entreprit d’éditer sur Zappa narquois, “Ground control to Captain (sic) Tom” sur les premières
Records, un quadruple album composé d’extraits de ces concerts new- mesures de “Bobby Brown”, ce qui, compte-tenu du fait que David
yorkais, ainsi que de pièces orchestrales et autres compositions rock Bowie était bisexuel, n’était pas très élégant. L’obsession sodomique
enregistrées en studio entre 1969 et 1976. Trois cents coffrets furent trouva son acmé dans deux chansons de “Joe’s Garage”, album paru
pressés et envoyés aux médias sous l’intitulé “Leather”, pour coïncider en 1979 : “Stick It Out” et “Sy Borg”. Dans cette dernière, un reggae
avec les concerts de Halloween 1977 quand Warner annonça inopinément de science-fiction étoilé d’accords de treizième et multipliant tellement
son intention de publier le “Live In New York”. Zappa n’eut d’autre basses hors de l’accord et altérations, qu’il est difficile de savoir s’il
choix que de stopper la publication de “Leather”, qui en comprenait débute en fa lydien ou en mi dorien, le narrateur entretient des relations
huit extraits et ce n’est que trois ans après sa mort, que parut officiellement buccales et anales avec un robot gay qu’il trouve “plus drôle que Mary”
“Leather”, rebaptisé “Läther”, sous la forme d’un triple CD. et “plus propre que Lucille”. Las, ce dernier meurt à la fin — la
morale est sauve — d’un court-circuit provoqué par une douche dorée !

Reggae de science-fiction
Début 1978, le rocker n’était toujours pas au bout de ses peines avec Xénochronie
Warner qui s’était permis de couper quelques secondes de “Titties And En faisant débuter son live à New York par la pochade “Titties And
Beer” et de supprimer “Punky Whips” de son double live, rebaptisé Beer”, alors que les concerts s’ouvraient en réalité par “Peaches En
“Zappa In New York” au motif qu’il y évoquait en des termes ironiques Regalia”, Zappa avait choisi de choquer et cette stratégie se révéla
le guitariste Punky Meadows du groupe Angel — un ersatz de Kiss payante puisque sa notoriété fut démultipliée par les scandales qu’il
— dont il prétendait que son batteur Terry Bozzio s’était entiché. orchestra jusqu’à “You Are What You Is” et son clip mettant en scène
Pour ajouter à son infortune, la journaliste Susan Shapiro avait lancé un sosie de Reagan sur une chaise électrique. Aussi indissociables de
une polémique, affirmant avoir été choquée par “Titties And Beer” que l’œuvre que soient les frasques scéniques et médiatiques, elles restent
Zappa avait interprété au Palladium vêtu d’un soutien-gorge et assis cependant anecdotiques en regard des fabuleux moments de musique.
sur un caniche en peluche. Loin d’exprimer le moindre regret comme Dans cette édition considérablement enrichie de “Zappa In New York”,
c’est devenu la norme aujourd’hui, il avait enfoncé le clou : “Des nichons novices comme fans découvriront des versions funky en diable de
et de la bière ? Mais c’est tout ce qu’aime l’Amérique ! Vous devriez voir “The Black Page”, “Pound For A Brown”, “Montana” et “Dinah-Moe
le carton qu’on fait avec cette chanson au Texas ! Et puis, si vos seins Humm”, grâce à une section cuivres composée des plus brillants instru-
vous embarrassent, vous n’avez qu’à vous les faire couper. Après tout, c’est mentistes de New York. Mais également des performances d’anthologie
votre problème car il y a plein de gens qui adorent les nibards.” comme celle, déjà publiée mais toujours aussi stupéfiante, de “The
Warner ayant conservé cette chanson qui ouvre “Zappa In New York”, Purple Lagoon” qui évoque la rencontre de Stravinski et des Jajouka
on comprend d’autant moins la suppression de “Punky Whips”, surtout dans un club de jazz new-yorkais, en raison d’un solo coltranien de
lorsque l’on sait qu’Edwin Punky Meadows, la trouvait amusante, comme Michael Brecker et d’un autre davisien de son frère Randy, filtrés par
il l’avait écrit au batteur Terry Bozzio qui la chantait affublé d’un masque ce qui semble être une pédale chorus ou un harmonizer. Et, plus impres-
et d’accessoires SM, tout en mimant des actes homo-érotiques. sionnantes encore, deux versions de “Black Napkins”, pour le coup
Qu’importe, il restait encore sur “Zappa In New York” de quoi défriser inédites ! La première débute par un stop-chorus rollinsien du saxo-
bien des puritains. A commencer par le bel instrumental baptisé “I phoniste superstar, tandis que la seconde, en forme de long fleuve cuivré
Promise Not To Come In Your Mouth” (“Je promets de ne pas jouir dans que n’aurait pas désavoué Gil Evans, permet à Randy Brecker d’offrir
ta bouche”) — auquel font écho “Chrissy Puked Twice” (“Chrissy a une nouvelle intervention de trompette épique, entre autres solos
gerbé deux fois”) sorti des oubliettes pour cette édition en coffret, ahurissants de modernité. Frank Zappa eut rarement de tels moyens à
ainsi que le génial blues que Zappa joua régulièrement jusqu’à sa mort : sa disposition et c’est ce qui fait notamment le prix de ce coffret. A partir
“The Illinois Enema Bandit”. Un hommage au gangster Michael Kenyon de “Joe’s Garage” — et en attendant l’achat de son Synclavier en
qui attachait les employées des commerces qu’il braquait pour leur 1982 qui lui permit de composer une musique, pour le coup, inhumaine —
faire subir un lavement ; Zappa insinuant outrageusement, dans le il recourut, de plus en plus, à ce qu’il appelait la “xénochronie”. Une
texte, que ces dernières devaient bien y trouver leur compte ! Dans méthode qui consistait à superposer des parties instrumentales issues
les années à venir, il poussa le bouchon encore plus loin avec d’enregistrements hétérogènes et à modifier leurs vitesses, afin de
“Jewish Princess” et “Bobby Brown”, parmi les plus célèbres chansons produire des compositions comme, par exemple, “Keep It Greasy” dont
de “Sheik Yerbouti”. La première lui valut des accusations d’anti- le solo de guitare ne fait pas que sembler venir d’ailleurs. A l’image de
sémitisme, alors qu’il ne s’agissait pas de stigmatiser la population ce grand artiste qui creusa tous les possibles de la musique. ★
juive mais un certain type de filles à papa, un peu vaines, sur lesquelles
ont été écrites des centaines de blagues. Quant à la seconde, elle réussit Coffret “Zappa In New York 40th Anniversary Deluxe Edition”
le prodige de choquer tout autant les gays que les féministes puisque (Zappa Records/ Universal )

036 R&F MAI 2019


En vedette

“Nous résistions à la menace d’être étiquetés


par l’industrie musicale et la presse”

DEAD
CAN DANCE
De retour l’an dernier, le groupe australo-britannique a bouclé la boucle
avec “Dionysus”. Depuis sa ferme bretonne, Brendan Perry livre quelques
clés sur cette musique étrange, rêveuse et surtout pas gothique.
RECUEILLI PAR ALEXANDRE BRETON
DEPUIS LES FENETRES BRISEES DU TREIZIEME le rock, le punk, etc. Nous résistions à la menace d’être catégorisés, étiquetés
ETAGE, des toits à perte de vue. D’un côté, les docks et par l’industrie musicale et la presse qui en était le relais. C’était très difficile
le fleuve, frontière taciturne s’écoulant lentement entre de casser les frontières, il fallait être quelque part, être dans un territoire
deux mondes ; de l’autre, la ville, inaudible depuis cette identifié, repérable, et ne pas en sortir. Or, nous voulions pousser les
hauteur. “Nous étions chanceux, en un sens, car même limites du rock jusqu’à la musique classique. C’est donc en raison d’un
si nous étions très pauvres, nous avions deux bicyclettes immense malentendu que, par exemple, nous étions catégorisés gothiques.”
avec lesquelles nous nous baladions dans Londres, et nous A son arrivée à Londres, en mai 1982, Dead Can Dance est composé de
pouvions nous fournir, chaque week-end, un quart de Brendan Perry et Lisa Gerrard, tous deux au chant, synthétiseurs et
barrette de haschisch et six canettes de bière ordinaire. instruments hétéroclites, et du bassiste Paul Erikson. C’est avec ce dernier
C’est tout. Fucking hard days !” On est fin 1982, dans que Perry et le batteur Simon Monroe, qui ne suivit pas, avaient initialement
l’East End londonien. Sur une platine bon marché tournent créé le groupe, juste avant la rencontre décisive, en août 1981, de Lisa
Maria Callas, Sergueï Prokofiev, Scott Walker, Jacques Gerrard, dans un club enfumé de Melbourne où elle jouait de l’accordéon-
Brel... C’est la misère noire, mais on surplombe la ville, piano seule sur scène. Elle officiait au sein des banshee-esque Microfilm,
on la domine. Et depuis cette extériorité, tout est possible. qui ne laisseront qu’un EP à la postérité. A cette époque, Lisa s’initie
aussi à un petit instrument traditionnel chinois à cordes frappées, trouvé
chez des amis, le yangqin, sorte de cithare allongée dont les cordes sont
Les morts peuvent danser frappées avec une baguette, et qui conférera l’une de leurs couleurs sonores
TGV Rennes-Paris, le soir. Après la rencontre avec Brendan Perry dans dominantes aux futurs albums de Dead Can Dance. Perry, quant à lui,
sa ferme isolée au milieu de la lande bretonne, ces mots éclairants avait déjà de la bouteille. Ayant passé une partie de son adolescence en
après-coup, lus chez Aristote, au sujet du mouvement, qu’il définit comme Nouvelle-Zélande où il apprit la guitare au contact des Maoris, il
“l’acte de ce qui est en puissance”. Le mouvement, comme passage, passage assurait la basse et le chant au sein des Scavengers, groupe qui, lorsqu’il
de la puissance à l’acte, réalisation d’une potentialité, impliquant que la s’installera à Melbourne, se renommera Marching Girls. Du punk rock
fin est déjà contenue dans le commencement. Le mouvement : un entre- sous influence Buzzcocks ayant gravé quelques EP dont l’écho local ne
deux-termes. Et entre les deux, des stations transitoires, dont on perdrait fut pas totalement inexistant.
Photo Jay Brooks-DR

de vue la fugacité à les nommer car, après tout, elles ne sont qu’en vue de A peine formés et malgré l’empreinte d’une esthétique froide et intro-
ce qui se réalise par elles. “Nous résistions contre toute catégorisation. spective étiquetée cold wave, les antennes du groupe pointent déjà ailleurs,
C’est une habitude très prégnante au Royaume-Uni où l’on n’arrive pas à vers des univers sonores historiquement et géographiquement bien
penser autrement qu’en termes de communautés, d’appartenance : la pop, différents de ce qui se fait alors. Installés à Londres, dans un quartier

038 R&F MAI 2019


chacun a résulté d’une sorte de sublimation de toutes ces influences. Si j’aime
quelque chose, je ne peux faire autrement que m’immerger complètement
dedans, poursuivre mes recherches aussi loin que possible. Je passais beaucoup
de temps dans ces magnifiques bibliothèques de la capitale, où je découvrais
Lautréamont, Rimbaud, les symbolistes, les décadents, Alfred Jarry, l’avant-
garde française — notamment avec ce livre de Roger Shattuck, ‘The Banquet
Years’. Et deux fois par semaine, pendant des années, avec Lisa nous
empruntions des vinyles qu’on écoutait et gravait sur cassettes. C’est pourquoi
le second album, ‘Spleen And Ideal’, rompt avec le post-punk, pour investir

Photo Jay Brooks-DR


la musique classique, parce que c’est ce que nous écoutions. Nous disséquions
ce que nous écoutions, étudiant les compositions, les styles, les écritures que
nous réinjections dans notre musique. Celle-ci était composée, matériellement,
dans ce creuset de références. C’est avec l’album ‘Within The Realm Of A
Dying Sun’ que nous avons trouvé, je crois, l’endroit exact où nous voulions

“Des flûtes de berger, développer notre musique, qui impliquait d’ailleurs d’être écoutée assis, et
non plus debout, et dans des lieux qui respectaient sa fragilité, sa subtilité.”

des instruments faits Jusqu’à “The Serpent’s Egg”, publié en 1988, les albums de Dead Can
Dance semblent effectivement portés par un désir de synthèse des esthétiques
du passé, dans une tonalité d’ensemble sombre, solennelle, parfois sépulcrale.
de peaux ou en os” Avec cet album, et jusqu’au dernier “Dyonisus”, publié trente ans plus
tard en 2018, avec son masque de mort coloré des Huichol du Mexique,
l’humeur fondamentale change. C’est le deuxième mouvement dans la
de squats et de gangs de rue, ils enregistrent leurs premières démos, trajectoire du groupe. Une luminosité pénètre progressivement les
envoyées à un jeune label, 4AD, rival direct du mancunien Factory, créé compositions et les arrangements. Tout semble se passer comme si, à ce
en 1980 par Ivo Watts-Russell et Peter Kent. Le groupe, aussitôt signé, moment des années 90 qui verront le groupe se séparer (en 1998), comme
se voit offrir de quoi entrer en studio. Un premier album à l’atmosphère si la mort n’était plus l’élément à conjurer, n’était plus le lieu d’une résistance
étouffante y est trop rapidement mis en boîte. Sur sa pochette, un masque opposée au monde. La négativité de la mort est effectivement dépassée. Si
papou symbolisant la mise en mouvement de l’inanimé : les morts peuvent les cinq premiers albums du groupe ont toujours été un hommage aux formes
danser. Néanmoins, outre l’intégration encore parcimonieuse d’éléments passées, les quatre derniers (“Into The Labyrinth” et “Spiritchaser”, puis
sonores exotiques — rythmique tribale et son aigrelet en cascade du “Anastasis” et “Dionysus”) sont une véritable affirmation de la vie. “Il s’agit
yangqin (sur “Frontier” ou “Ocean”) — le dialogue des voix y est déjà davantage de renouer avec quelque chose d’universel, quelque chose qui a
en place, entre celle de Perry au grave cerné d’échos et celle de Lisa traversé les âges, qui se retrouve dans différents mondes et traditions musicales.
Gerrard, dont le timbre de mezzo-soprano n’est guère sans rappeler celui Nous ne percevions pas ces mondes comme séparés, mais au contraire, comme
d’une autre Liz, Liz Fraser de Cocteau Twins dont le premier album, tous sous-tendus par une véritable unité, quelque chose de très ancien. Dead
“Garlands”, sorti en 1982, serait le frère aîné. Si la comparaison a toujours Can Dance devait se situer là, dans cette universalité où les différences comptent
ses limites, la trajectoire du couple Liz Fraser-Robin Guthrie se distanciant, moins que les affinités secrètes. C’est pourquoi nous utilisons des instruments
dès “Head Over Heels” (1983), des premières affinités formelles qui qui ont une histoire, comme des flûtes de berger, des instruments faits de peaux
les rapprochaient des Dead Can Dance, néanmoins l’un des ressorts de ou en os d’animaux. Ils permettent de recréer un lien avec le passé, et notamment
la puissante fascination qu’exercèrent ces deux formations concerne la avec ce qui était vivant et ne l’est plus, de la même manière que ces instruments
spécificité de ce chant. Ayant grandi dans un quartier pauvre de Melbourne, sont faits à partir d’êtres qui ont vécu. C’est l’une des significations du nom
Lisa Gerrard y côtoya une véritable mosaïque de communautés et de langues Dead Can Dance.”
aux sonorités particulières : turques, arabes, arméniennes, juives, grecques.
Les complaintes mélancoliques de ces femmes déracinées au milieu du
Pacifique nourrirent chez elle un imaginaire cosmopolite qui travaillera Oratorio païen
son apprentissage du chant classique. Il donnera cette langue onomatopéique Le christianisme est un culte de mort, un culte de la mort terrifiante. Ce
où les sonorités primeront sur la signification, abandonnant celle-ci à la culte, il l’a construit avec notamment l’idée d’un Paradis qui n’est pas de
suggestivité de rêveries mélodiques dont seul le chant habité de Perry ce monde et qu’il faut mériter. La contrepartie, c’est la négativité ; et la
apportera, en contrepoint, un ancrage linguistique identifiable. conséquence, la destruction de ce monde, ce monde hyperchrétien. “Tout
ce qui aime ce monde semble disparaître, petit à petit. Mais nous nous situons
toujours à l’opposé de cette conception. Les cultes, les traditions musicales
Résurrection, retrouvailles et spirituelles auxquelles nous avons puisé sont aux antipodes de cette
La trajectoire de Dead Can Dance a été celle d’un affranchissement, d’une conception. Il s’agit non pas de mépriser ce monde mais de le célébrer.” Les
sortie. “Anywhere Out Of The World”, qui ouvrait l’album-charnière du morts peuvent toujours danser : leurs danses font danser les vivants. La
groupe, “Within The Realm Of A Dying Sun”, publié en 1986, n’était musique a ce pouvoir magique de redonner vie à ce qui est mort mais
pas qu’une référence explicite à l’un des derniers poèmes en prose du qui, mort, vit encore selon une modalité nouvelle, par la musique. C’est
“Spleen De Paris” de Baudelaire, traduisant l’impossible adéquation à l’élément dionysiaque qui fait le propos du dernier album, magistral oratorio
un idéal dont le spleen serait la rançon. C’est le premier mouvement païen. La métamorphose, passage d’un état à un autre, est ce mouvement
d’une sortie, sortie des formes figées d’un rock ayant épuisé, selon le groupe par lequel s’actualise ce pouvoir de rendre la vie à la mort et de faire passer
lui-même, toutes ses ressources et ne consistant qu’en son propre recyclage. la vie par la mort, d’une mort qui est sa condition de possibilité et non plus
A cette sortie, correspondra un retour au monde. “Anastasis”, titre grec du son terme fatidique. Seules changent les formes, selon une danse aux
huitième album, en 2012, signifie résurrection, retrouvailles, soit la fin d’une dimensions cosmiques. “Même les atomes dansent, n’est-ce pas ?” ★
traversée, celle des ténèbres, de la mort. “Chacun de nos albums a été
déterminé, dans sa confection même, par nos obsessions artistiques du moment, Album “Dionysus” (Pias)

040 R&F MAI 2019


Dossier

Dans la mémoire collective de ce pays,


il n’y a de place que pour une chanson
et une seule : “La Musique Que J’Aime”

LE BLUESFRANCAIS
,
1971-1982 Apriori moins experte que le Mississippi ou Chicago,
la France est-elle compétente en matière de musique bleue ?
Un rappel historique en deux parties s’impose. Premier volet.
PAR CHRISTIAN CASONI
EXISTE-T-IL EN CE MONDE, A CETTE s’écoute ici religieusement, comme une tragédie. Sophie a beaucoup
SECONDE, UN BLUES PLUS BEAU QUE LE raison et un peu tort : nous avions des bals, avec leur quart d’heure
BLUES FRANCAIS ? On croit qu’il a passé ses 50 ans rock’n’roll, leur quart d’heure R&B, des orchestres qui pensaient valoir
d’âge à errer dans les catacombes. C’est en partie mieux que la retape à laquelle les condamnait leur contrat, des groupes
faux. Un temps, il fut presque glamour et se laissait qui les jaugeaient au pied de l’estrade dans l’espoir de débaucher un
même aller à quelque prétention commerciale. bon musicien, et même des producteurs. Les labels cherchaient des
Pourtant un type l’avait crucifié en 1972, formations de baloche à cuivres, qui se la donnaient dans les entractes.
et salé les mémoires pour l’éternité. Zombies ! Un œil sur l’Angleterre, un autre sur les Etats-Unis, la planche française
ne manquait pas de bons chanteurs de R&B, Vigon, Nino Ferrer, le
grand et éphémère Gil Now, la soul psychédélique de Michel Jonasz
Blouse du dentiste et son King Set, ou le hard blues progressif d’Alan Jack Civilization,
Novembre 1972, Londres. Johnny Hallyday entre à l’Olympic dont l’album “Bluesy Mind” était, en 1970, à la pointe de l’oratorio
Studio et tombe ce titre écrit avec Michel Mallory. Il y a là Jean-Pierre lysergique.
Azoulay, son guitariste attitré, le mirliflore Peter Frampton, un certain Et puis le cas Joël Daydé. Le Joe Cocker français avait la voix et la
BJ Cole et son dobro, et trois cuivres connus pour souffler chez les gueule pour devenir une figure centrale du blues français, comme le
Rolling Stones, notamment Bobby Keys. En deux prises, Hallyday deviendrait Benoît Blue Boy plus tard. Il avait démarré dans le jazz funk
abandonne à la France le seul blues qu’elle ne retiendra jamais. Parce psychédélique avec le groupe Zoo, et poursuivait en solo. Servi par les
que le blues français, on peut en discuter longtemps mais, dans la guitares souveraines de Claude Engel, “J’Aime”, son premier microsillon
mémoire collective de ce pays, il n’y a de place que pour une chanson (1971), était un bel album pétri de hard folk, novateur et gracieux,
et une seule : “La Musique Que J’Aime”. Encore heureux que ce soit contemplatif par moments, orageux à d’autres, qui n’a pas marché. En
celle-là plutôt qu’une pochade (“Blouse Du Dentiste”) ou un air de 1972, Daydé cassait la baraque avec “Mamy Blue”. Ce mélo avait été
variété (“Mademoiselle Chante Le Blues”). Quand le jeune Macron interprété avant lui par une Italienne et par un groupe espagnol. Il l’avait
tutoie solennellement le cercueil de Johnny devant la Madeleine et enregistré à l’Olympic Studio (décidément), et commençait à faire
prononce le mot blues, plaçant un terme de connaisseur, sans doute tube de l’été quand Barclay, sa propre maison de disques, lui coupa
tente-t-il un effet. Mais lorsque l’orchestre attaque le titre dans l’église, l’herbe sous le pied en le proposant à Nicoletta, en français cette fois.
si déplacé sous ces voûtes, il scelle définitivement le tombeau avec L’immense succès de cette version le relégua dans l’ombre de la
Photo Patrick Carpentier/ Dalle

son hymne. Il n’y en aura plus jamais d’autres. chanteuse. Daydé s’est peut-être grillé tout seul ensuite, question de
Avant ce manifeste, ceux qu’on désigne comme les premiers chanteurs tempérament, devant ces salles désertées par les rockers, où des familles
de blues français sont souvent des avatars de la chanson réaliste. Colette lui réclamaient maintenant “Mamy Blue” à cor et à cri. Il subira la même
Magny, par exemple. C’est vrai qu’elle avait un guitariste nommé Mickey trahison quelques années plus tard, quand Nicole Croisille lui prendra
Baker. Selon la chanteuse Sophie Kay, le blues a pris l’Europe par les “What A Way To Go” et en fera “Parlez-Moi De Lui”.
théâtres, non par les dancings, ce qui en a modifié l’énergie : le blues

MAI 2019 R&F 043


Le premier véritable album de blues français tombe sans doute en 1971,
sans faire de bruit : “Blues From Over The Border”. Le jeune Marseillais
Chris Lancry bat le pavé parisien comme le dernier des folkeux. A
Ainsi naît “Blues From
l’exemple de ses semblables, Bill Deraime ou Jean-Jacques Milteau,
il court les hootenannies de Lionel Rochman au Centre Américain, et
traîne au Traditional Mountain Sound. Le TMS est une association et
Over The Border”,
un club de folk ouvert derrière le clocher de Saint-Germain-des-Prés,
dans un local prêté par l’église. Lancry : “Il s’y passait toujours des choses
tout entier tourné vers
incroyables. Un après-midi d’août, Mick Jagger débarque. ‘What it’s all
about ?’ Il sort une liasse et verse 1 000 francs à l’asso. A l’époque, celle
de ‘Sticky Fingers’, le smic était à 700 francs.” Un autre jour, Lancry
les Noirs américains
joue place Fürstenberg, pas loin du TMS. Deux Philippe passent par
là : Paringaux et Rault. Tous deux travaillent à Rock&Folk. En prime, plutôt que les
Rault débute chez Barclay. Ils sont subjugués. “Tu es américain ?” Non,
mais il est sur le coup de partir aux Etats-Unis. “Ça te dirait d’enregistrer
un disque ?” Pas plus que ça, il doit préparer son voyage. Rault organise
progressistes anglais
quand même une séance au château d’Hérouville. Lancry s’y rend avec
deux Belges et deux Américains : Karel Bogaert et Roland Van s’est jamais émancipé de ses tuteurs, il ne vaut pas assez cher. Il s’était
Campenhout (futur guitariste d’Arno), Deroll Adams et Roger Mason résigné à la condescendance des cercles de jazz, puis s’était, plus logi-
(qui va défrayer la chronique folk avec ses talking blues). Ainsi naît quement, mis à la remorque du rock. Rock, blues, ces deux termes
“Blues From Over The Border”, tout entier tourné vers les Noirs désignent à présent la même chose, le même public, quasiment les mêmes
américains plutôt que les progressistes anglais. mythes et, désormais, la même couleur de peau. Blanche. Leur allumage
part des mêmes vis platinées, les quatre de Téléphone en l’occurrence.
Quand Téléphone s’empare des lycées, toutes les maisons de disques,
Le blues des cadres prises de court, veulent leur part de sauvagerie. Rock’n’roll, blues, elles
Hallyday était trop mainstream pour marquer les amateurs, les autres, ne font pas tellement la différence et ont finalement raison dans leur
trop underground pour dépasser leur quartier. Le grand coup du blues ignorance. La gauche arrive là-dessus. Un ministère de la Culture puissant
français serait frappé à la fin des années 70. Quelque chose frémissait pousse les feux alternatifs et les petits concerts de proximité. Arrivent aussi
dans l’air, qui arrivait à maturité après deux décennies à boire la honte ces nouvelles radios libres, qui deviendront vite les nouvelles radios
de n’être pas anglo-saxon, et plus d’un siècle de cabaret engoncé dans commerciales, et qui jouent pour l’instant ces disques qu’on n’entend sur
la chanson réaliste, la poésie symboliste et le jazz-musette. Le blues ne aucune autre fréquence.

“Du bottleneck sur une National, ça ne devait pas


BLEU FRANCE courir les rue de l’Hexagone à l’époque”
même pas été prié d’assurer la Doué d’une voix puissante,
Karel Bogard And Co promo. Lancry : “Un titre de Robert débonnaire et souple à la mélodie, Benoît Blue Boy
“Blues From Over The Border” Johnson, un hommage à Bukka de quoi rassurer le grand public, Bill “Benoît Blue Boy En Amérique”
(1971) White, du bottleneck sur une pousse une porte sur le hit-parade. (2001)
Le blues français commence par National, ça ne devait pas courir Et il fallait que ce soit lui, qui a si Chaque album de BBB est une
un mystère. Barclay a-t-il pressé les rue de l’Hexagone à l’époque”. peu d’appétit pour la célébrité. aventure et celle-ci, qu’on dira
l’album sous deux noms différents, Il l’a ouverte comme ça, sans jouer à tex-mex, est la plus pittoresque.
Karel Bogard & Co (Bogaert) l’Américain (malgré son diminutif). Elle se déroule à Austin. BBB part
et Chris & Co ? Chris Lancry, Bill Deraime Hallyday trouvait enfin une y retrouver l’Oncle (le batteur
l’instigateur de la séance, s’était tiré “Plus La Peine De Frimer” (1980) descendance, mais ici la gloire John Turner). Ils rameutent un gang
aux Etats-Unis sitôt l’enregistrement Une ligne d’harmo s’échappe n’imprime jamais longtemps et mexicain de San Antonio et de Port
terminé. Barclay, c’était vraiment soudain d’une chanson française, c’est la route toujours recommencée. Arthur, notamment des cuivres.
pour le geste. Chris Lancry n’avait comme un vieux rêve enfoui. Le petit studio est une cabane du
LE BLUES FRANÇAIS

Guy Marchand
enregistre
“Taxi De Nuit”,
le ratage
d’une vie en
cinq couplets
En 1979, dans l’allégresse revancharde de la new wave, crépite une L’idée du blues, bonne frime exotique, perce dans les tangentes, par la
rafale d’albums : Benoît Blue Boy, Bill Deraime et Backstage, publicité (un trait de slide pour vendre un café soluble), la presse (“le blues
le groupe de Paul Personne. En 1981 Patrick Verbeke, ancien sideman des cadres”) et même, par capillarité, la variété (l’authenticité qu’apporte
de Vince Taylor, complète le carré des pères fondateurs de l’église française : une soufflette d’harmo). Quelques génies du marketing annoncent
“Blues In My Soul”. On retrouve les antagonismes du rock : les babas qui l’avènement d’une “blue wave”. L’occasion attire des crooners accidentels.
avaient fréquenté le TMS, Lancry, Milteau, Deraime, et les rockers qui En 1982, Guy Marchand enregistre un blues fantastique : “Taxi De Nuit”,
avaient fréquenté la coterie d’Alan Jack en Touraine : BBB, Verbeke, Paul le ratage d’une vie en cinq couplets. Puis les synthés 2-doigts, les mélodies
Personne. Pour une fois le blues fait du blé. Bill Deraime empile les timbales : 2-notes, les paroles 2-mots, bitument tout ça aussi sec, avec un nouveau
“Faut Que J’Me Tire Ailleurs”, “Plus La Peine De Frimer”, “Babylone style de managers, impatients devant la caisse, poseurs et incultes. A
Tu Déconnes”, “Bye Bye Mister Blues”. Chacun son tube. Benoît Blue voir Benoît tourner en trio, comme un forçat à travers l’Europe, et saturer
Boy : “Descendre Au Café”. Patrick Verbeke : “Tais-Toi Et Rame”. Paul le terrain à défaut de vendre des disques, on pourrait croire la blue wave
Personne : “Barjo-land”. Mais qui se souvient de l’extraordinaire chanteur étouffée dans l’œuf, mais elle rejaillirait à gros bouillons un lustre plus
François Guierre et son blues réaliste ? Ou de Téquila, le power trio tard, à la faveur conjuguée du deuxième revival et de la kermesse alternative.
de Philippe Ménard, qu’on regardait comme un challenger de Téléphone ? A suivre. ★

ghetto chicano. Il fait 48°C là-dedans. textes débridés, tempos écartelés valeur d’un harmoniciste se mesure de blues s’est mise à la soul.
Avant d’enregistrer, ils doivent entre le swing et l’atone, chanson dans la lenteur des tempos. Sur Eux empruntent leur nom à
couper l’air conditionné à cause française d’ambiance marbrée de “Catfish Blues”, l’une des plus belles une chanson de Robert Johnson.
du boucan. L’album, qui ressemble références américaines, blues, versions jamais enregistrées (et il Ça dit de quel blues ils viennent.
tant à son auteur, cartonne quand swamp, rock, jazz, des surcharges y en a eues), il tient l’instant dans Et le titre de leur album, dans
le deuxième revival s’éteint. qui, bizarrement, épurent le style ses mains comme un prédateur. quelle direction ils vont. Ils ont
en s’additionnant, tout un brassage Le timbre oxydé de Patrick donne une évidence magique et tout ce q
qui éparpille le swamp un peu toute son expressivité à cet album u’il faut, les rythmiques funky
The Duo partout, même chez Rita Mitsuko. intense. “Let Me Go Home qui ricochent, les bouillons d’orgue,
“Le.. Deux !!” (2006) Whisky”, l’une des versions les plus le vent des cuivres, et une guitare
Pascal Mikaelian dit Bako, harmo flippantes, fait tomber les dents ! galbée aux lignes héroïques. Arnaud
de tout un tas de gens, surtout de Verbeke & Fils Fradin, chanteur et guitariste,
Patrick Verbeke. Claude Langlois, “La P’tite Ceinture” (2010) fait à cette soul la promesse du
slideur, surtout pour Patrick Patrick et Steve, le père et le fils, Malted Milk blues : un peu d’introspection.
Verbeke. Après “Le 1er”, ils sortent la caverne chantante et la voix “Sweet Soul Blues” (2010) CHRISTIAN CASONI
“Le.. Deux !!”, monochromie aux juvénile. Steve sait bien que la Il y a dix ans, une partie des groupes
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La police de la pensée punk et la critique rock


sont catégoriques : ce groupe est risible

GENERATION X
Une réédition du premier album de Generation X vient nous rappeler que,
dans sa jeunesse, Billy Idol avait du talent et une classe folle.
Il est ensuite devenu mondialement célèbre en vendant son âme, ignorant
à ses risques et périls l’issue pourtant bien connue du pacte faustien.
PAR NICOLAS UNGEMUTH
L’HISTOIRE DE BILLY IDOL EST AUSSI DROLE de voler de leurs propres ailes. Un livre culte sur la jeunesse et les gangs
QUE TRAGIQUE : c’est l’histoire du punk le des sixties “Generation X”, leur procure ce nom remarquable, et ils
plus méprisé de son temps qui a finalement vendu recrutent deux jeunes prodiges : d’abord un guitariste extraordinaire,
mille fois plus de disques que tous ses pairs réunis, est d’autant plus étonnant qu’il n’a que 17 ans, Bob Derwood Andrews
devenu une star internationale immensément riche en (qui sonne comme un Hendrix sous amphèts sur “Youth, Youth, Youth”)
reniant ses idéaux — bien qu’il s’en dédise : dans son puis, plus tard, un batteur volubile dans la grande tradition du Keith
autobiographie au titre hautement original, “Drugs, Moon des débuts, Mark Laff. Le groupe est managé par un employé de
Sex & Rock’N’Roll”, il explique son évolution par Acme Attractions, magasin de King’s Road rival de Sex, tenu par Malcolm
son ouverture musicale — pour finir dans l’oubli McLaren et Vivienne Westwood. Alors que le punk explose, Generation
où il végète depuis près de trois décennies... X ne tarde pas à être signé chez Chrysalis, maison de Blondie (puis
des Specials et The Selecter). Tony James écrit des paroles et Billy se
charge de la musique. Un premier single “Your Generation”, comme
une réponse arrogante au “My Generation” des Who (“Your generation
Naïveté adolescente don’t mean a thing to me”), sort, et le groupe le joue au show télévisé
Né en 1955 en Angleterre, William Broad passe les premières années de Marc Bolan quelques jours avant sa mort. Puis, un album est
de sa vie dans la périphérie de New York avant de revenir dans son pays conçu, sous la houlette du grand Martin Rushent (Stranglers, Buzzcocks).
natal en 1962, où, après plusieurs déménagements, il finit par s’installer C’est une merveille qui ressort ces jours-ci en version Deluxe (voir pages
dans la banlieue londonienne de Bromley, là où, avant rééditions) : des compositions accrocheuses, mélodiques,
lui, David Bowie avait grandi. Peu doué à l’école, il hyper énergiques, assez pop, mais loin de la pop ironique
se prend de plein fouet l’explosion musicale locale et tourmentée des Buzzcocks. Celle de Generation X est
— il a dix ans en 1965 —, se passionne pour les Who, très premier degré, portée par les guitares hallucinantes
les Beatles, Them. Il ne rate pas un épisode de de Bob Derwood Andrews qui sort de sa Stratocaster des
l’émission de télé Ready Steady Go présentée par la solos sidérants, et la batterie survoltée de Mark Laff. Idol
reine des mods Cathy McGowan. Puis il découvre Bob y montre des talents de chanteur immenses, mais dans un
Dylan, Jimi Hendrix, Cream, les Mothers Of Invention, genre classique, loin des éructations de Rotten et de
Hawkwind, Deep Purple, Captain Beefheart, assiste Strummer. C’est bien le problème, et le début des ennuis :
à un maximum de concerts, s’achète autant de disques Generation X accumule les chansons aux paroles d’une
que possible — sa famille fait partie de la classe naïveté quasi adolescente (“Invisible Man”, “Kleenex”,
moyenne, il ne vit pas dans la pauvreté qu’ont connue “Day By Day”, “Kiss Me Deadly”, “One Hundred Punks”),
Johnny Rotten ou Paul Weller — et devient hippie. et, crime impardonnable en plein nihilisme revendiqué,
A Bromley, il rencontre Steven Bailey, futur Steven avoue son amour du rock’n’roll dans le petit tube nostalgique
Severin, qui lui présente Susan Ballion, bientôt “Ready Steady Go” (“I was in love with the Beatles, I was
Siouxsie Sioux, et quelques autres (Sue Catwoman, in love with the Stones, I was in love with Bobby Dylan...” etc.)
Debbie Juvenile, Simon Barker...). Avec Bailey, il en contradiction totale avec leur premier single, “Your
découvre MC5, Stooges et Velvet Underground. Les Generation”. La police de la pensée
années hippies sont enterrées d’autant que dans
leur propre pays, David Bowie, T Rex et Roxy Music Un livre culte punk et la critique rock sont catégori-
ques : ce groupe est risible, il n’y a pas
offrent une alternative intéressante, choquante et
parfaitement inédite. L’adolescent se passionne
également pour le rock’n’roll fifties et le doo-wop, le
sur la jeunesse de place pour la nostalgie et le glamour
rock’n’roll en ce début 1978. Le chanteur
est ouvertement trop beau à une époque
reggae et le dub, les Ramones et Patti Smith. Bill
Broad se coupe les cheveux et se paye une Epiphone
et les gangs où il faut être repoussant — c’est le
Ricky Nelson du punk britannique — et
Riviera sur laquelle il gratte ses premiers accords.
Le 30 mars 1976, il voit pour la première fois les des sixties le surnom qu’il s’est trouvé n’entre pas
dans la catégorie sarcastique (Rotten,
Sex Pistols au 100 Club. Ses amis de banlieue les
avaient découverts sur scène un mois avant et lui
avaient annoncé l’Apocalypse tant désirée. Le groupe
leur procure Vicious, Strummer, Rat Scabies, Poly
Styrene) exigée par la ligne du parti. Billy
Idol ? Impossible... Les autres groupes
de Johnny Rotten jouera un temps tous les mardis
soirs au club mythique, et le Bromley Contingent,
ce nom les détestent, les journalistes se moquent
ouvertement d’eux. Idol et James décident
ainsi qu’il sera qualifié par la journaliste Caroline
Coon, ne ratera aucun de ces shows préhistoriques. remarquable d’ouvrir un club, le Roxy (chaque membre
de Generation X contribue aux travaux
Ce sont les premiers fans du groupe, qui sympathise et à la peinture), dans le quartier de
immédiatement avec ces supporters enthousiastes au look provocateur, Covent Garden. C’est un moyen de jouer sur scène le plus souvent possible
qui les accompagne dans leur repaire, le club lesbien Louise’s. C’est et de convier tous les nouveaux groupes punk, quand Don Letts, DJ local,
avec un van conduit et acquis par Billy que cette fine équipe traverse ne passe pas les dernières nouveautés dub et reggae entre les sets.
la Manche pour accompagner leurs nouvelles idoles à Paris, à l’occasion
du fameux concert au Chalet du Lac. Pour tout le monde, rien ne sera
plus comme avant... Lauriers punk fanés
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Le jeune punk rencontre Tony James, guitariste et bassiste ayant joué La réception du premier album est déprimante, il s’agit de changer de
avec son ami Mick Jones chez les London SS avant que celui-ci ne direction et de ne plus viser le même public. Comme tous les groupes ayant
rejoigne Clash. Avec James, Billy répond à une annonce et les deux émergé de la scène punk anglaise (Clash, Damned, Jam, Banshees) à
accompagnent Gene October, de dix ans leur aîné, au sein de Chelsea. l’exception notable des Buzzcocks, Generation X sort un deuxième album
Le groupe est médiocre, Billy et Tony ont d’autres idées en tête et décident totalement raté. Produit sans éclat par Ian Hunter de Mott The Hopple,

048 R&F MAI 2019


GENERATION X

Le phénomène Billy Idol deviendra alors mondial,


faisant de l’ancien jeune punk
un équivalent masculin de Madonna
que Tony James vénère autant que son ami Mick Jones, “Valley Of The des Rich Kids (non crédité), James Stevenson (ex-Chelsea), John McGeoch
Dolls” est une catastrophe classic rock seventies supra ringarde. Là où (Magazine, Banshees, PiL) et Steve Jones en pleine dérive depuis la mort
les compositions étaient ciselées, tendues et explosives sur le premier des Pistols, apportent leur savoir-faire guitaristique. Cette fois-ci, Tony
album, les chansons sont désormais informes, répétitives, creuses, et James et Idol, bien conscients que leurs lauriers punk sont fanés
accumulent les clichés (“Night Of The Cadillacs” ou “King Rocker”, depuis des lustres, décident de faire quelque chose de très différent. Le
hommage à Elvis qui annonce déjà le Billy Idol en solo des années 80). chanteur se passionne pour le disco et les productions de Giorgio Moroder.
Nous sommes en 1979. Le punk est de l’histoire ancienne, la new C’est un des assistants de Moroder, également batteur, parolier et
wave, le ska et le mod revival débarquent, les Clash se réinventent songwriter, qui produira “Kiss Me Deadly” (titre ajoutant à la confusion,
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totalement avec “London Calling”, Generation X ne décolle pas. Des dans la mesure où c’est celui d’une des meilleures chansons du
tentatives ratées pour un troisième album s’accumulent, le guitariste et premier album) : Keith Forsey, qui deviendra plus tard l’un des inventeurs
le batteur, interdits de composer, quittent le navire. Pour des raisons du son des années 80 que nous détestons tant aujourd’hui, est un
légales, le groupe devient GenX. Terry Chimes, qui a officié sur le premier artisan perfectionniste. A la demande d’Idol, il montre à Terry Chimes
album des Clash, est embauché, et pour le prochain disque, Steve New, comment jouer de sa batterie d’une manière carrée, en 4/4, proche du

050 R&F MAI 2019


GENERATION X
LE TOP X
disco. Pour ce qui semble être un tube en puissance, “Dancing With “Your Generation” (1977)
Myself”, il exige plusieurs prises vocales de Billy, garde et découpe les Pour son premier single en 1977,
meilleurs prestations (on a même droit à un passage chevrotant façon le groupe sort l’obligatoire
déclaration de guerre à l’ancien
Marc Bolan première période), puis les réassemble méthodiquement. monde (“Tryin’ to forget your
Sur ce même morceau parfait, Steve New fait quelques ornementations generation”), attaquant
et Steve Jones remplit carrément quatre pistes de guitares rythmiques frontalement les Who avec
pistoliennes en diable. Ailleurs, c’est McGeoch qui tricote ces arpèges cette compo parfaite. Amusant,
lorsqu’on sait à quel point
insensés dont il a le secret. Le disque privilégie les tempos lents : Billy Billy Idol connait et adore son
Idol est désormais héroïnomane, tout comme Steve Jones ; “Kiss Me histoire du rock.
Deadly” est à Generation X ce que “Feline” fut aux Stranglers.
Lorsqu’il sort finalement en 1981, avec une pochette comme un pendant “Wild Youth” (1977)
rose fuchsia du “Broken English” bleu nuit de Marianne Faithfull, “Kiss La même année, ils labourent
le même sillon avec une ode à la nouvelle jeunesse “sauvage”.
Me Deadly”, petit chef-d’œuvre du début des années 80 plein d’excellentes Le morceau, jovial et hyper énergique, sonne comme un hymne,
chansons, fait un flop retentissant et l’extraordinaire “Dancing With le chanteur assure méchamment.
Myself”, sorti en single, n’intéresse personne. C’est la fin de GenX.
Idol, brouillé avec James, part s’installer à New York où le manager “From The Heart” (1978)
Incluse dans le premier album, l’affirmation de leur sincérité
gay et fantasque de Kiss et Manowar (tout s’explique), Bill Aucoin — sans (en gros, “on le dit avec notre cœur”) cavalant sur un tempo hyper rapide
blague —, croit en lui et décide de le lancer. Sans un sou, Idol vit dans montre une naïveté tranchant avec le cynisme de la scène punk anglaise.
la misère, n’a plus de partenaire pour composer, sort en boîte tous les Cela leur causera des problèmes.
soirs, se défonce à l’héro puis au free base, lorsqu’on lui suggère de
rencontrer un guitariste prometteur... Steve Stevens, qui ressemble à “One Hundred Punks” (1978)
Sacrilège, Generation X ose utiliser le terme que les autres groupes
un croisement étonnant entre Yvette Horner et Gilbert Montagné, lorgne feignent de mépriser dans cette ode aux premiers punks londoniens
vers le metal et maîtrise à merveille les effets de guitare monstrueux alors dont ils firent partie. Catchy à mort, joyeux, c’est une tornade au
en vogue et popularisés par des groupes de hard FM comme Van refrain (“Check out any wall, one hundred punks rule”) imparable.
Halen. En 1981, MTV commence à émettre et ce qui a desservi Idol
durant les années punk sera son arme absolue durant les années 80 : son
“Kiss Me Deadly” (1978)
Cela commence comme une ballade et finit en explosion punk.
physique avantageux, désormais agrémenté d’un look à la “Mad Max”, L’histoire de ces deux punks se faisant attaquer par des teddy boys
d’eyeliner, d’une bonne couche de fond de teint et de séances de gonflette, dans le métro est prétexte à explorer les affres de l’adolescence.
en feront l’une des stars majeures d’un public américain comptant Au programme : sexe maladroit et violence inopinée.
beaucoup de jeunes filles et de jeunes gays qui n’ont jamais entendu L’une des plus belles compositions du groupe.
parler du punk anglais ni de Generation X, tandis que les vilains tubes “Promises Promises” (1978)
(“Flesh For Fantasy”, “Rebel Yell”, “Eyes Without A Face”, même Le chef-d’œuvre du premier album fonctionne à l’inverse de
l’antique “Dancing With Myself”, remixé de façon plus mainstream, “Kiss Me Deadly”, commence violemment, puis, après des arpèges
ressuscité via un clip de zombies lamentable réalisé par Tobe Hooper, sciant le morceau en deux, part dans une complainte sublime
permettant à Bob Derwood Andrews de signer un solo monstrueux
légende de “Massacre A La Tronçonneuse”) ne cesseront de cartonner — le plus grand de l’histoire du punk anglais — tandis que le
en passant à longueur de journée sur MTV : le phénomène Billy Idol chanteur s’arrache les amygdales en direct.
deviendra alors mondial, faisant de l’ancien jeune punk britannique
misérable un équivalent masculin de Madonna, avec autant de rosaires “English Dream” (1979)
autour du cou, désormais millionnaire, accro à toutes sortes de drogues Unique morceau sauvable du deuxième album, “English Dream”
sonne comme une variation de “Sweet Jane”, un passage parlé évoque
et au sexe, défoncé en permanence, exhibant son rictus grotesque d’Elvis franchement Lou Reed, et des chœurs féminins sonnent presque comme
surcoké et dressant ses petits poings gantés de mitaines cloutées dans ceux de “Walk On The Wild Side”. Il n’y a plus rien de punk ici.
des clips invariablement plus laids les uns que les autres... Le nouveau
metal de Guns N’Roses et le grunge de Nirvana finiront par balayer “Dancing With Myself”
(1981)
tout cela tandis que le chanteur, largué, tentera des albums cyber punk Le monument du troisième album,
en arborant des dreadlocks, avant de devenir un has been complet (on sous la bannière GenX : un riff
l’a vu sur scène dans des festivals minables, via YouTube, reprendre il simple et répétitif, le mur de son de
y a quelques années “Jump” de Van Halen, toujours accompagné de son Steve Jones et la voix parfaite de
Yvette Montagné à la guitare masturbatoire ; ça fait mal). Billy Idol ont laissé tout le monde
indifférent à sa sortie. Le truc
cartonnera plus tard en Amérique
durant l’idolmania, dans une
Chômage technique version édulcorée portée
par un clip grotesque.
Aux dernières nouvelles, il aurait monté un petit groupe, Generation
Sex, composé de Steve Jones et Paul Cook des Sex Pistols accompagnant “Untouchables” (1981)
Idol et son vieux complice Tony James, au chômage technique depuis Mid tempo défoncé à l’héroïne, à moitié chanté, à moitié rêvé, avec
la désastreuse aventure Sigue Sigue Sputnik. Ensemble, ils reprennent quelques arpèges et, une fois de plus, des accords mortels lâchés
dans des petits clubs les vieux tubes de Generation X et les chansons par Steve Jones. Le titre le plus touchant de “Kiss Me Deadly”.
lamentables des faux Sex Pistols enregistrées après le départ de
Rotten (“Black Leather”, “Silly Thing”, “Lonely Boy”, etc.) devant
“Heavens Inside” (1981)
Cette fois-ci, c’est le génial Steve McGeoch qui signe l’un de ces riffs
des banquiers sexagénaires. Idol a perdu de son coffre et Jonesy est en arpèges complexes qui l’ont rendu célèbre (voir “Spellbound”,
naturellement incapable de jouer les folles parties de Bob Derwood “Israel” ou “Halloween” chez les Banshees). Billy Idol y semble
Andrews. C’est émouvant. Mais un peu triste tout de même. ★ désespéré et le pessimisme des paroles montre clairement
que l’avenir ne s’annonce pas riant. Et pourtant...
NU
“Generation X – Deluxe Edition” (Chrysalis/ Import Gibert Joseph)

MAI 2019 R&F 051


Photo Frank Micelotta/ Getty Images
En vedette

Que voulait fuir


l’homme qui avait tout ?

KURT
COBAIN
Malgré l’exploitation commerciale
et les hommages embarrassants,
Nirvana a conservé une aura intacte.
Est-ce parce que son chanteur, en
plus d’écrire des chansons vitales,
a essayé de rester honnête ?
Portrait du défunt, un quart
de siècle après le geste fatal.
PAR THOMAS E FLORIN
“Je lui ai montré un mobile en macaroni
que j’avais fabriqué, il m’a suggéré
d’y ajouter des paillettes, c’était le
début d’une collaboration artistique”
Krist Novoselic
A Rome, le 3 mars 1994, à l’Exelsior Hotel, sur En suçant le canon de ce fusil, Kurt Cobain mit
la Via Veneto, Kurt Cobain y avait déjà pensé. Fuir. fin à tout jamais aux prétentions du rock à changer
Il avait écrit un mot de sa main puis fait passer une le monde. Lui y avait pensé, puis la tournure des
cinquantaine de pilules de Rohypnol avec une bouteille événements l’avait poussé à y croire, avant de
de champagne, cocktail qui le laissa pour mort dans la finalement tomber le masque en choisissant cette
nuit romaine. Revenu de son coma, il assurera qu’il mort encore taboue chez les rock stars : le suicide.
n’avait pas l’intention de se tuer mais qu’il voulait
simplement disparaître, s’évaporer dans la nature, avec
tout son argent. Que voulait fuir l’homme qui avait Un parpaing
tout ? Le plus grand groupe, des millions de fans, une en travers du corps
femme devenue fantasme générationnel, une jolie petite Le 8 avril, l’électricien Gary Smith trouve donc le corps de Kurt Cobain,
fille, le batteur le plus adulé depuis John Bonham, un porté disparu depuis près d’une semaine, le crâne en chou-fleur, une
ami fidèle avec qui il jouait de la musique, l’argent... douille de fusil sur les genoux, le portefeuille bien en évidence à côté
KURT COBAIN

de son corps, ouvert sur son porte-carte d’où dépasse son permis de dont les rues n’ont même pas de trottoir. Au début des années 2010, la
conduire afin de facilité à l’identification du corps. La police vérifiera maison fut mise en vente. Elle ne trouva aucun acquéreur. Né en
tout de même ses empreintes. La version officielle de sa mort est tout 1967, Kurt est un enfant du divorce, pas vraiment doué à l’école, droitier
aussi sordide que les multiples théories d’assassinat qui fleurissent : (mais qui jouera de la guitare en gaucher), qui se met rapidement à
Kurt Cobain, 27 ans, s’est suicidé en plaçant le canon d’un fusil à pompe écouter Aerosmith et Iron Maiden puis à griffonner des textes et des
dans sa bouche. Comme Ian Curtis, Del Shannon où Darby Crash, le dessins dans des cahiers à spirales où il exprime un mal-être permanent,
leader de Nirvana a choisi la mort des losers du rock, dévoilant au monde exercice qui finit par l’exaspérer lui-même. Sa première expérience
le visage qu’il devait voir chaque matin dans la glace. Par ce geste, il sexuelle, tentée avec une élève un peu attardée de sa classe, sera un
détruisit la rock star, le poster boy, l’homme hantant les magazines et fiasco total quand, écœuré par l’odeur de son vagin, le jeune Cobain la
télévisions du monde entier pour redevenir ce gamin mal dans sa laisse seule et décide de se suicider. Il attendra le train de 23 h 00,
peau, complexé, gauche, fils d’une mère et d’un père incapables, qui allongé sur le chemin de fer, un parpaing en travers du corps, pour
se faisait pincer les tétons dans la cour de l’école et se réfugiait dans finalement voir l’express de nuit emprunter la voie d’à côté. Vivant, il
un imaginaire glauque et violent, avec cette certitude au cœur : quand sèche les cours pour fumer des joints en se perdant dans cette forêt
tout cela deviendra insupportable, il pourrait toujours mourir. En attendant qui encercle la région. Son premier job consistera à nettoyer des bureaux
de passer à l’acte, Cobain est entré en musique comme tous les marginaux. en compagnie d’un vieil homme. Il ira jusqu’à fonder sa propre société
Il voulait mettre quelque chose entre lui et le monde et, par son biais, de ménage, Pine-Tree, qui n’eut jamais aucun client. Dans une
interagir avec ses semblables. Comment pouvait-il deviner que ses relative dèche, il dort dans sa voiture et passe des heures dans le local
hurlements, ses chansons jouées avec deux doigts, ses mélodies enfantines des Melvins à les regarder répéter. Buzz Osborne, leur leader à tête de
et entêtantes, ses textes sombres et carillonnants, allaient exorciser les fou, est son modèle. C’est autour de ce groupe qu’il rencontra ce grand
frustrations d’une jeunesse dont l’horizon se rétrécissait ? Kurt Cobain type croate, cynique, le cheveu en pétard et le regard perdu, Krist
a fait basculer le Zeitgeist de son époque en plaçant les moyens, les Novoselic, son meilleur ami. “Je lui ai montré un mobile en macaroni
médiocres et les losers de ce monde en haut du star-system... Avant que j’avais fabriqué, se rappelle Novoselic, il m’a suggéré d’y ajouter des
que tout cela ne lui retombe sur le coin du crâne. paillettes, c’était le début d’une collaboration artistique.” En échange,
Kurt Cobain passa une partie de son enfance dans le grenier d’une petite Kurt lui donne une démo de son groupe, Fecal Matter (matière fécale,
maison en préfabriqué d’Aberdeen, cette banlieue résidentielle de Seattle donc) et lui propose de le rejoindre. Comme il ne peut résister à un
Photos Mark and Colleen Hayward/ Getty Images
groupe ayant une chanson nommée “Le Massacre De Bambi”, les Buzz” des Shocking Blue). Le premier album du groupe, “Bleach”, avec
deux passent leurs nuits à regarder la TV sous LSD et, finalement, à le sympathique Chad Channing à la batterie, est plus fait pour passer
faire de la musique. En sortent des merveilles, comme “Beans”, ce petit une nuit sous speed lancée, tout phares éteints, sur une route de forêt
collage sonore où un haricot parle avec une voix de cartoon. Puis, ils que pour conquérir la planète. Puis, Sub Pop, trop obnubilé par Mudhoney,
démarrent Nirvana... loupa le coche en ne voyant pas dans quoi s’engageait Cobain à la sortie
du single “Sliver” : des chansons techniquement simples, tout comme
les textes (quand ils ont du sens), un arrangement qui se limite
Des tubes punk souvent à enclencher une pédale de distorsion sur les refrains ; toutes
Danny Goldberg, le manageur de Nirvana, raconte que le jour de la choses transcendées par ces mélodies inoubliables et cette voix
sortie de “Nevermind”, Kurt Cobain regarda Bruce Pavitt de Sub Pop excessivement expressive. Kurt Cobain, dont l’intechnique de chant
assis par terre, se prenant la tête dans les mains, en train d’attendre un finira par lui ruiner la gorge, est un chanteur hors pair, dans une catégorie
taxi en face du disquaire où le groupe avait organisé son showcase. dont Neil Young et John Lennon sont les rois. Dès ce 45 tours, le groupe
Depuis la fenêtre, Kurt lui lança quelques moqueries douces-amères, dévoile sa formule-choc : énergie punk + riff hard x sensibilité pop. Ce
soulignant qu’il avait laissé filer sa chance. Depuis les débuts de Nirvana, manque d’attention de la part de Sub Pop fera la joie du label de
Kurt se fout d’être sur Sub Pop : son rêve d’adolescence était de signer David Geffen, DGC, qui signe le groupe sur les recommandations de
chez Touch And Go, le label de Big Black et des Butthole Surfers. Sonic Youth — et plus particulièrement Kim Gordon. Le nouveau label
Une attitude que Sub Pop rendait bien au groupe : le label “inventeur pensait n’avoir fait l’acquisition que d’une signature arty de plus. Ils
du grunge” ne pariait pas un kopeck sur ce groupe punk hardcore fan laissèrent donc Cobain, Novoselic et leur nouveau batteur, Dave Grohl,
de REM qui reprenait Led Zeppelin et les Wipers sur scène et dont la enregistrer leur prochain album avec le producteur inconnu Butch
meilleure chanson était empruntée à un groupe pop néerlandais (“Love Vig qui appliqua à leurs chansons une recette simplissime : empilement
de couches de guitare, voix harmonisée par Cobain lui-même, laissant

Chanteur hors pair toute la place nécessaire au colossal jeu de batterie de Dave Grohl qui
structure l’ensemble. Vig comprend rapidement le rôle de la basse de
Krist dans le groupe : suivre les mélodies de voix de Cobain avec un
dans une catégorie son d’outre-tombe obtenu en accordant l’instrument un demi-ton plus
bas. Le tout est spatialisé et passé dans la reverb et le chorus, donnant

dont Neil Young et un disque massif et froid, extrêmement net et sans aspérité ; effet accentué
par le mix d’Andy Wallace, homme responsable du son des albums de

Lennon sont les rois Slayer. Au fond, l’idée de production la plus audacieuse de l’album était
de doubler les voix de Cobain sur “In Bloom”. Une production au service

056 R&F MAI 2019


KURT COBAIN

de l’essentiel : “Nevermind” ne contient quasiment que des tubes.


Des tubes punk, d’un songwriting tellement épuré qu’il ne reste que des
accords majeurs, une rythmique zeppelinienne et des mélodies soutenues
Venant de l’indie rock,
par la basse. Etrangement, tant de simplicité sonne neuf. Pourtant, sous
la rage et la distorsion, “Nervermind” a encore quelque chose des années Cobain était mal à
80, pas si éloigné des albums tardifs des Cure, cette sorte de gothisme
sans fanfreluche, ce désespoir plaintif mâtiné de chorus qui rappelle
une chose universelle : l’odeur des chambres d’adolescents. A partir
l’aise avec l’idée de
de la sortie de l’album, Nirvana fut partout : un disque joué à fond sur
des mini-chaînes et des Walkman, que l’on réussissait à se procurer signer sur une major
jusqu’au tréfonds des campagnes grâce aux clubs de ventes par
correspondance et à la copie sur cassette. L’album au bébé nageur ne Like Teen Spirit”, de la Converse battant le rythme du début au sacrifice
quittera pas la liste des best-sellers avant 1996. Chaque gamin avait de guitare finale, indiquait à la jeunesse le mouvement à suivre : acheter
sa chanson préférée et toute personne née entre 1971 et 1987 en connait “Nervermind”. Car, au fond, malgré ce qu’en pensaient les membres
les titres par cœur. C’est ce pour quoi Cobain avait décidé de signer du groupe, il ne s’agissait que de cela. Vendre des disques.
chez une major : pouvoir toucher tous ces gosses esseulés et incompris,
vivant dans leur tête, qui attendaient que quelqu’un vienne dans leur
chambre pour leur parler, même si c’était par le biais d’une enceinte. Resistance amusée
Il n’y réussit que trop bien. Nirvana s’installa durablement dans les Dans sa version initiale, Cobain avait imaginé que le clip de “Teen Spirit”
cours d’école, ses chansons, facilement reproductibles à la guitare, étant s’achèverait dans un autodafé de richesses après la destruction d’un
massacrée par des liasses d’adolescents en crise d’acné qui hurlait sur centre commercial. Il voulait utiliser les armes du marketing moderne
4 accords à quel point leur vie était étriquée. Il y avait “Come As You pour détruire le sexisme et la société de consommation. Venant de l’indie
Are” et son riff emprunté à “Eighties” de Killing Joke, “Polly”, qui rock, Cobain était mal à l’aise avec l’idée de signer sur une major. Il fut
montrait qu’en inversant les accords d’un couplet on obtenait un refrain, franchement embarrassé quand il vendit 10 millions de copies de son
puis le décorum, les cheveux longs et gras, les jeans déchirés, les deuxième album, détrônant Michael Jackson de la première place des charts.
Photos Archives Rock&Folk

Converse griffonnées au marqueur indélébile. Enfant, l’on ne pouvait Les vrais de la première heure commencèrent à tourner le dos au groupe,
échapper au visage de Kurt Cobain à la télévision, entre un clip de les amis, comme Thurston Moore, se permettaient des remarques, et un
Michael Jackson et de George Michael, en train de détruire sa guitare tas de journalistes, directeurs artistiques, producteurs TV, leur fit de la
pendant qu’une vague de gamins sautillants s’approchait dangereusement lèche. En avril 1991, Nirvana entame une tournée assez similaire à celle
de lui jusqu’à le submerger tout à fait. Tout, dans le clip de “Smells de la sortie de son premier album : petits clubs, petite équipe, petit van.

MAI 2019 R&F 057


KURT COBAIN

Déjà, pour cette ouverture absolument grandiose, le riff de “Serve The


Si “Nervermind” est Servants”, son solo plein de nonchalance, et cette première ligne, digne
d’un disque de Lou Reed : “Teenage angst has paid off well/ Now I’m
le classique du bored and old”. “Nervermind” était violent, “In Utero” se montre agressif
et angoissant : le son des guitares y est magique, épais, crunchy à souhait ;

groupe, “In Utero” est la batterie puissante sans l’aspect monolithique de l’album précédent ;
et des tas d’étrangetés sont captées par les micros d’ambiance, ces petits

son grand œuvre incidents et bruits sans source qui naissent quand un groupe joue live
dans la même pièce. Enfin, Kurt Cobain montre qu’il sait jouer de la
guitare, lâchant les immuables power chords pour quelques moments
d’étrangeté — les guitares serpent de “Scentless Apprentice”, les accents
Sauf que c’est l’émeute. Six mois plus tard, le trio joue dans des salles de “Frances Farmer Will Have Her Revenge On Seattle”, le riff orientalisant
immenses, fait la couverture de magazines qu’il ne lit même pas, passe sur “Tourette’s”. Quant aux textes, ceux de “Dumb”, “Pennyroyal Tea”
à la télévision où il massacre ses instruments, ses chansons et la concurrence. ou “All Apologies”, ils sont simplement plus travaillés que sur nombre
Les premières interviews sont pleines d’humour, le groupe répondant de compositions antérieures. Si “Nervermind” est le classique du groupe,
allongé dans sa loge, sous acide au bord d’une rivière, en robe. Puis, acculé “In Utero” est son grand œuvre, tout comme le “MTV Unplugged In
par ce qu’il lit dans la presse, Nirvana décide de ne plus parler aux New York” sera la consécration de Kurt Cobain en tant qu’interprète.
journalistes. Ce qui les déchaîne, rendant le groupe deux fois plus présent Il réussit à y rendre les trois compositions des Meat Puppets meilleures
dans les médias. Dans son journal intime, Cobain s’énerve, tergiverse, que les siennes et à offrir avec “The Man Who Sold The World” une
puis se met à croire qu’il pourrait “changer le système” de l’intérieur. Il version dépassant celle de David Bowie. Quant au final, “Where Did You
décide de jouer le jeu à moitié, un pied dedans, un pied dehors, acceptant Sleep Last Night”, il est prémonitoire...
de poser pour la couverture de Rolling Stone, mais avec un T-shirt Corporate
magazines still suck. De passage en Angleterre, Nirvana joue “Teen Spirit”
à Top Of The Pops, mais Cobain se donne une voix de basse, donnant un Une boîte en forme de cœur
étrange côté Bauhaus à la chanson. Au Saturday Night Live, les trois Kurt Cobain grandissait, s’épanouissait en tant que musicien. A le
jouent “Territorial Pissings” avant de détruire son matériel. Au festival voir dans l’émission italienne Tunnel, il devenait même beau. Mais
de Reading de 1992, Kurt arrive en fauteuil roulant et en blouse d’hôpital, quelque chose se racornissait dans son cœur : son goût pour la
faisant semblant de mourir sur scène, puis déconstruit le riff de “Teen “pseudo merde gore” prenait le dessus. Comment son entourage a-t-il
Spirit”, montrant qu’il est en partie pompé sur “More Than A Feeling” pu le laisser se bercer dans autant de morbidité ? On imagine d’ici,
de Boston. Aux MTV Video Music Awards la même année, Kurt commence après la machine à cash engendrée par “Nervermind”, les DA de chez
à jouer “Rape Me”, banni par la chaîne, avant d’entamer “Lithium”, Krist Geffen et MTV laisser Kurt Cobain jouer avec son imagerie sordide
saluant militairement la caméra. Bien entendu, connaissant la fin de cette comme l’on jouait avec le diable au tournant des années 70. La vérité
histoire, toute cette résistance amusée semble vaine : jamais la logique est que ce verso de pochette de “In Utero”, plein de fœtus, le clip de
du libéralisme économique n’a été changée ou détruite, que ce soit de “Heart Shaped Box”, les anges écorchés sur le plateau du “Live And
l’intérieur ou de l’extérieur. Et certainement pas par trois types armés Loud” de MTV — ainsi que son visage quand il applaudit, ironique,
d’instruments de musique. le public — sont glaçants. Le pire est que cette esthétique fit école,
Toutes ces images, ces clips, ces passages télévisés, forment un kaléidoscope faisant basculer les nineties dans le glauque, préparant la voix au “Seven”
dont Kurt Cobain semble s’échapper. Il change constamment d’attitude, de David Fincher, au “Fight Club” de Chuck Palahniuk (d’ailleurs
de coupe ou de couleur de cheveux, de guitare, de poids. Oui, de poids adapté au cinéma par Fincher) et, pourquoi pas, à Marilyn Manson
surtout. Lui qui, aux premières années du groupe, pèse autour de 50 kilos, qui, telle la mort, vint rigoler avec son carnaval macabre sur la tombe
malmené par une maladie de l’estomac qui l’empêche de se nourrir et de la dernière rock star que le monde connaîtra. Bien entendu, la
lui donne envie de mourir afin de mettre fin à ces brûlures et vomissements chute rapide et le récit des derniers jours de Kurt Cobain fascinent, et
incessants. Il essaye de se soulager en prenant de l’héroïne, ce qui est l’on comprendra pourquoi un obsédé des jeunes hommes héroïnomanes
un échec, mais signe le début de sa relation cyclique avec cette drogue. comme Gus Van Sant en ait fait un film : “Last Days”. Pourtant, Kurt
Finalement, c’est un équivalent du Subutex qui le délivrera de ses douleurs. Cobain disait que son grand rêve était de faire fusionner Hole et Nirvana
Mais le souvenir du mal est trop fort et Cobain angoisse à l’idée de reprendre dans un même groupe, qu’il espérait que l’Unplugged fasse qu’on le
la route. Entre la fin de la tournée 1992 et la sortie de “In Utero” en perçoive comme un singer-songwriter et non plus un gamin du grunge,
septembre 1993, une certaine distance se creuse entre les membres du que cela faciliterait ses vieux jours, qu’il ne voulait pas hurler dans un
groupe. Cobain à d’autres chats à fouetter : Vanity Fair révèle que son micro toute sa vie. Il disait aussi qu’il n’avait rien de prévu pour la suite.
épouse, Courtney Love, aurait pris de l’héroïne pendant sa grossesse. Le Finalement, il y eut la fuite, l’héroïne, le fusil dans la bouche, et cette
couple ne peut plus rester seul avec son enfant, sous peine d’en perdre lettre de suicide incompréhensible, où il écrit ne plus prendre de plaisir
la garde. Le groupe, dès lors, intente des procès qui lui coûtent une fortune à écrire, à jouer, s’en sentir coupable, fait référence à Freddie
et le forcent à s’entourer d’avocats, de manageurs. Tout cela a un coût et Mercury, et annonce trop aimer les gens. Puis ces dernières phrases,
Nirvana est condamné à vendre des disques. Se pose alors la question terribles, une malédiction posée sur la tête d’un enfant : “J’ai (...) une
de la marche à suivre pour le prochain album : les musiciens ne veulent fille qui me rappelle trop ce que j’étais, pleine d’amour et de joie, embrassant
pas du son lisse et “commercial”, selon leurs propres mots, de “Nevermind”. chaque personne qu’elle rencontre car tout le monde est bon et personne
Ils font le choix du cœur, s’offrant un de leurs héros : Steve Albini ne lui fera de mal. Cela me terrifie au point que je peux à peine fonctionner.
Photo Gie Knaeps/ Getty Images

enregistrera “In Utero”. A la maison de disques et la presse, le groupe Je ne peux pas supporter l’idée que Frances devienne le misérable death
justifie son choix en invoquant la magie du son de “Surfer Rosa” des rocker autodestructeur que je suis devenu.”
Pixies et “Pod” des Breeders. Mais, on ne peut s’empêcher de penser que Kurt Cobain s’était construit un piège, plein de principes, de malheur,
Cobain cherchait un regain de crédibilité en renouant avec un amour de de ressentiment ; une boîte en forme de cœur où il a enfoui les espoirs
jeunesse. “In Utero” sera le premier — et malheureusement dernier — que le monde portait en lui afin de trouver enfin la paix. ★
album à montrer à quel point Nirvana était un grand groupe de rock.

058 R&F MAI 2019


En couverture

“L’art n’a pas à être dicté


par la morale”

FAT WHITE FA
Photo Sarah Piantadosi-DR
Après une mise au vert à Sheffield,

MILY le groupe londonien sort un troisième album,


plus produit et moins chaotique. Objectif :
évoluer du statut de groupe culte pour parvenir
à “vendre plus de huit disques”. RECUEILLI PAR THOMAS ANDREI
FAT WHITE FAMILY

DES L’EMERGENCE EN 2011 DE CE GANG aux tronches R&F : Et vous vous sentez prêt à contrôler ce que vous ne pouviez
déglinguées, éructant des brûlots sur Lee Harvey Oswald, le nazisme pas contrôler avant ?
ou réclamant qu’on bombarde Disneyland, il fut pour beaucoup Lias Saoudi : C’est au-delà de mon contrôle. Là, on part en tournée.
impossible de ne pas canoniser les membres Fat White Family en C’est pas pareil. Tu ne peux pas tout contrôler quand tu es en tournée.
grands sauveurs de la musique à guitare. Il faut dire que le frontman Le bon côté des tournées, jusqu’à un certain niveau, c’est le chaos. On ne
Lias Saoudi et les siens reprennent à leur compte bon nombre serait plus le même groupe si on éliminait totalement le chaos.
d’ingrédients de la vielle mystique du rock : prestations scéniques
à poil dignes des Stooges, déclarations allumées aux antipodes R&F : Sur le deuxième morceau du disque, “I Believe In Something
du politiquement correct et doses de drogue complètement connes. Better”, vous chantez : “I see the misery of progress”. Comment
Mais les années 2010 ne sont pas les années 1970 et le concept définiriez-vous cette misère du progrès ?
susnommé commence à sentir la poussière. En 2016, après (Saul Adamczewski pousse la porte, chapeau sombre sur la tête, lunettes à
deux albums, la Fat White Family est clouée dans la pauvreté et la “Matrix” et épaisse veste en cuir, un café dans la main. Il sort son index
au bord de l’implosion. Réfugiés psychotropiques, ses membres pour le montrer aux autres.)
quittent Londres pour Sheffield, où ils parviennent à recoller les Saul Adamczewski : J’ai mordu mon doigt. Ça s’est infecté.
morceaux, en freinant sur la violence et l’heroïne. “Serfs Up!”, Lias Saoudi : Tu t’es encore trop rongé les ongles ? La misère du pro-
leur album le plus cohérent et le plus ambitieux, est teasé par grès, c’est une culture basée sur le confort et rien d’autre. Le dernier homme
des images HD de Saoudi grimpant une colline, un trône en or de Nietzsche. C’est le stade que l’on a atteint.
sur son dos recouvert de tapis John Lewis. L’image est plus claire, Saul Adamczewski : C’est la réalité. La réalité de l’ensemble du monde
la voix de Lias aussi, comme s’il s’était enfin débarrassé du masque capitaliste occidental. C’est le point final.
de plomb nihiliste qui couvrait jusqu’alors ses paroles, qui traitent Lias Saoudi : En fait, c’est une chanson sur Ted Kaczynski, le Unabomber,
ici de terrorisme environnemental, de classes sociales qui se un terroriste environnemental de la fin des années 70. Il envoyait des
chevauchent ou de vagins avec des dents. Soient certains des colis piégés à des boîtes d’informatique, des banques. Il a tué quelques
thèmes abordés sur une banquette verte d’un pub de Wandsworth personnes et il est parti vivre dans les bois, totalement isolé, dans une
Town, sud de Londres, au milieu de vieux hommes blancs cabane qu’il a construite.
descendant des bières, le regard perdu, sur un comptoir en bois Saul Adamczewski : Il était contre la société industrielle. Il voulait
collant ou une moquette psychédélique qui sent presque encore remonter à notre mode de vie d’avant la révolution industrielle.
la clope. Près de l’entrée, Lias, cheveux longs mais rasé de près, Lias Saoudi : Ouais. Il a écrit un manifeste et on a basé la chanson sur
porte une chemise de cow-boy marron et enchaîne les panachés. ça. Si tu enlèves les petits bouts de chauvinisme et le léger racisme, c’est
Son petit frère, Nathan, casquette Legoland rouge vissée au dessus une bonne lecture. On a donc imaginé un futur où l’environnement partirait
d’une paire de Ray Ban, a davantage touché à sa pinte de lager tellement en sucette qu’on construirait des statues de bronze en son honneur.
qu’à sa voisine, remplie d’eau. Il se plaint de souffrir “d’une légère
gueule de bois.” R&F : L’album s’appelle “Serfs Up!”, comme si vous appeliez les
serfs à se réveiller. C’est ça que nous sommes tous ? Des serfs dans
un système féodal ?
Saul Adamczewski : Tu peux le voir de plusieurs façons, mais c’est un
La mission est accomplie commentaire sur l’état de la nation. On n’appelle pas à prendre les armes.
ROCK&FOLK : Les gueules de bois peuvent être très bonnes pour Nathan Saoudi : Ouais on ne va pas dire aux gens : “Soulevez-vous !” Et
la prise de décision. C’est comme ça que vous avez décidé de jouer “Killing In The Name” ou gueuler : “On va changer le système !”
déménager à Sheffield ? Vous aviez la gueule de bois ? Saul Adamczewski : En fait, ils se sont déjà soulevés. Et ils ont tous
Lias Saoudi : Une énorme gueule de bois, ouais ! Accumulée depuis voté pour le Brexit. Donc, c’est plutôt : “Serfs up ! Vous êtes tous une
des années. Après cinq ans, on a décidé qu’il fallait changer quelque chose. bande de débiles.”
On était en tournée aux Etats-Unis et je cherchais une maison assez grande Lias Saoudi : Ouais, c’est une articulation ironique sur ce qu’il se passe.
pour nous héberger tous en rentrant. A Londres, on plongeait de plus en Ils essaient de reprendre le pouvoir à travers tous ces mouvements populistes.
plus profond dans la drogue. Monter dans le nord, c’était éviter au groupe C’est l’époque. On a une révolution, mais pas la bonne. Certainement pas
de s’effondrer. J’avais déjà bossé là-haut avec les gars de The Moonlandingz. la révolution que qui que ce soit à Londres réclame. A Sheffield, ils sont
Sheffield a une longue tradition d’artistes qui s’y installent pour pouvoir pro-Brexit. Même les jeunes. Ici, tu n’en trouveras jamais.
se concentrer sur leur travail, mais aussi une histoire musicale qui lui est Nathan Saoudi : Il y a une tension, là-bas. C’est de plus en plus évident
propre, avec une tradition expérimentale assez large. Du fait de l’effondrement et on ne voit pas de solution. C’est dur de discuter avec quelqu’un sans
industriel, on trouve à Sheffield plein d’immeubles géants inoccupés qui que le sujet du Brexit n’arrive sur la table. On ne peut pas juste être potes
ne coûtent rien. J’imagine que c’est plus ou moins l’équivalent britannique et ne pas parler de l’UE ? Non. Ça en arrive à ce point-là.
de Detroit. On avait un certain budget alloué par Domino. A Londres, on Lias Saoudi : Tu sais, je préférerais dîner avec Boris Johnson qu’avec
aurait pu vivre trois mois avec. A Sheffield, deux ans. Le groupe était en Jeremy Corbyn. Plus intéressant. Il aurait plein de choses scandaleuses à
train de se dissoudre, on savait qu’on aurait besoin de temps pour recons- dire. De vieilles rhétoriques. C’est un provocateur. Au début, j’étais totalement
truire. Alors, voilà. C’est un endroit sans aucune prétention, Sheffield, ce abattu par le Brexit. Mais, au moins, c’est intéressant.
qui en fait un fantastique lieu de travail. On ne pouvait pas avoir Saul Adamczewski : Ah ouais ? Je trouve ça super chiant.
l’illusion d’être spéciaux. On n’était pas invités à des soirées chics, Lias Saoudi : C’est une crise. Il n’y a jamais eu d’accident industriel
comme tu peux l’être à Londres. On ne se reposait pas sur nos lauriers. politique de cette taille dans nos vies. Ça a mis à jour tout un marais
Puis, ça reste une petite ville. Ce n’est pas comme enregistrer dans les d’hypocrisies, de tous les côtés. Sur le long terme, ça peut être positif.
montagnes. Tu as assez de bars, tu peux trouver certaines drogues, tout en Je ne pense pas que ça finisse en bain de sang. Je ne vois pas la question
étant assez loin de Londres pour contrôler certaines choses, comme l’héroïne. de l’appartenance à l’Europe déclencher une guerre civile.
Mais chez toi, c’est là où tes amis habitent, ça me manquait de ne pas pou- Saul Adamczewski : Il y a déjà eu du sang, cela dit. Jo Cox.
voir traîner avec tous les gens que je connais. La mission est accomplie. Lias Saoudi : OK. On va dire que je ne pense pas qu’il y ait beaucoup
On peut rentrer à Londres. plus de sang.

062 R&F MAI 2019


Photo Sarah Piantadosi-DR

“On a une révolution mais pas la bonne”


R&F : Sur “Oh Sebastian” vous chantez : “Is there anything more Lias Saoudi : Oh, oui, mannequin à succès. J’avais une agence qui
inspiring than a menial job and the pittance it brings?”. Vous avez m’envoyait à vélo autour de Londres, passer des castings. Je n’ai pas
occupé ces boulots de subalterne que vous évoquez ? décroché un seul boulot.
Lias Saoudi : Quelques uns. J’ai travaillé dans une usine de conditionnement
de viande, en Irlande du Nord. C’était horrible. J’étais vigile au National
Maritime Museum, debout dans une salle à ne rien dire à personne de la Odyssée sexuelle
journée. C’était une salle sur l’histoire de l’horlogerie, avec environ 400 R&F : Sur “Feet”, on retrouve un vers assez dingue : “Caucasian
horloges, qui tiquaient toutes. Des horloges digitales, une horloge atomique. sashimi in a sand nigger storm”...
Je pouvais voir et entendre ma vie disparaître dans le néant. Surtout si Lias Saoudi : Ça veut dire quoi, ça ? Ça sonne plutôt bien, non ? C’est
j’avais pris beaucoup de MDMA le soir précédent. C’était infernal. une revanche vis-à-vis du racisme dont j’ai été victime quand j’étais ado,
Saul Adamczewski : Nous autres, on est parvenus à ne jamais vraiment en Irlande du Nord. Notre père est kabyle, il vient d’à côté de Bouira.
travailler. Puis une revanche sur Pitchfork magazine, qui avait placé une étiquette
Nathan Saoudi : Fuck le travail, mec. de raciste sur mon front.
Saul Adamczewski : Nathan a un peu travaillé sur des chantiers. Saul Adamczewski : C’est aussi sur les réfugiés, non ?
Nathan Saoudi : Ouais, deux semaines. Regarde mes bras (il tape ses Lias Saoudi : Toute l’imagerie de la mer qui vient laver tes traits (“The
bras). Ils absorbent 300 fois plus d’énergie que ceux de l’homme moyen. sea washed off my features”), c’est à propos de ce gamin déposé sur la plage.
J’ai senti ce que c’était d’être un vrai travailleur. Physiquement, mentale- Il est resté tellement longtemps en mer qu’il n’a plus vraiment de visage.
ment et spirituellement. Je voulais une chanson qui ne laisserait pas à ton imagination le temps
Lias Saoudi : J’ai aussi eu un boulot de subalterne en Chine. J’enseignais de se l’approprier. Tu as des personnalités mouvantes, dans une sorte
l’anglais, à Hangzhou. d’odyssée sexuelle grotesque.
Saul Adamczewski : Et mannequin, aussi.

MAI 2019 R&F 063


Photo Sarah Piantadosi-DR
L’appel de Sheffield
La ville du Yorkshire, celle de Richard Hawley, Pulp et Arctic Monkeys,
a servi de camp de base à la bande de Lias Saoudi. Voici pourquoi.
“Ce qui résume le mieux l’esthétique de avoir des parents blindés pour tout payer, aussi une sorte d’attrait. Surtout chez certains
Sheffield, c’est les Park Hill flats. Une grosse balance Sam. Si tu n’as pas un job à 50 000 gangs musicaux. Comme si c’était cool de venir
structure brutaliste comme perchée au dessus livres par an, c’est devenu une chimère de vivre d’un milieu pauvre.” Une considération
de la ville, qui représente son passé ouvrier et ses là-bas.” Mais le rêve est toujours permis sous intéressante à la sortie du disque de la Fat
habitants.” Sam Feeley a grandi à Dronfield, le ciel gris du Yorkshire. “En comparaison, White Family, dont les doigts sales, au vernis
à 10 minutes de voiture de Sheffield, ancienne Sheffield ne coûte rien, assure-t-il. En plus, écaillé, griffent le visage des classes supérieures
cité industrielle du South Yorkshire, 580 000 avoir une tradition working class semble avoir jusqu’au sang. Sans oublier les piques de
âmes et lieu d’enregistrement du dernier Fat Saoudi envers Idles, vu comme une bande
White Family. A seulement 20 ans, il est le d’idiots pédants ou contre Sleaford Mods,
promoteur du Leadmill, salle de référence du objet musical social qui n’en finirait pas de
berceau des Arctic Monkeys, ouverte en 1980. parler “de salaires de merde et de kebabs”.
L’imposante barre HLM à laquelle il fait Quoi qu’il en soit, Sheffield est donc vivante
référence fut achevée dix-neuf ans plus tôt. et de nouveaux établissements ouvrent,
De loin, on en aperçoit autant ses fenêtres comme Church, Cafe Totem ou Record
bleues, jaunes et orange, disposées comme Junkee. Hormis The Moonlandigz, side-project
un tableau de Mondrian, que sa structure de Saoudi avec des gars du coin, Sheffield a
de béton grise. “Park Hill est en cours de récemment donné naissance au bordel latino
rénovation et pourrait symboliser la renaissance punk de la Mango Rescue Team, qui chante
de Sheffield, estime-t-il. Un virage bienvenu. sur des paradis fiscaux ; aux Seamonsters,
On refait des choses, ça fait du bien. Mais les sextet d’adolescentes qui se filment dans des
habitants sont toujours des gens du nord, rues tristes trempées par la pluie ; au folk
Photo Zachey Michael-DR

sympas, tranquilles.” Effet secondaire mais instrumental qui sent la feuille morte de
positif de l’explosion du coût de la vie à Jim Ghedi ; au reggae sous influence
Londres, corollaire de la mort à petit feu de Specials de Rogue Siesta et à plein
sa nightlife, la vie culturelle des cités anglaises d’adolescents en jeans qui font, au mieux,
moyennes se développe. “Pour un jeune, c’est du mauvais Arctic Monkeys. Au pire du
devenu impossible de s’installer à Londres sans mauvais Kasabian. On ne leur en veut pas.

064 R&F MAI 2019


FAT WHITE FAMILY

R&F : C’était par rapport à quoi, déjà, cette dispute avec Pitchfork ? Saul Adamczewski : Mais c’est difficile de ne pas tirer plaisir du fait
Lias Saoudi : Boris Johnson avait dit que tout ce que la Libye avait à que l’hubris de tout ça, c’est que le Royaume-Uni ne pouvait pas laisser
faire pour bâtir “la nouvelle Dubaï” était de “dégager tous les cadavres.” filer ce morceau d’empire. Et ça revient nous hanter aujourd’hui.
La Libye, c’est à côté de l’Algérie, deux pays culturellement proches. Ça
m’a frappé. Alors j’en ai fait une satire, avec un post qui disait de maniè- R&F : Baxter Dury chante sur le véritable hymne de l’album :
re la plus explicite possible ce que Boris Johnson voulait dire. (“Only a “Tastes Good With The Money”.
peppering of sand nigger carcasses to shift and we’ve got ourselves a new Lias Saoudi : Ça parle de l’ouest de Londres et de l’incendie de la
Dubai gentlemen! Onwards !!!!”) Ça a été en ligne dix minutes et les gens Grenfell Tower (survenu en juin 2017 dans une barre d’HLM de l’ouest
commençaient à se plaindre. J’ai décidé de l’enlever. Je n’étais pas bourré. londonien, point cardinal le plus chic de la capitale, emportant 79 victimes).
Puis les gens de Pitchfork en ont fait une news, qui faisait de moi un raciste. Les cendres qui tombent dans leurs café au lait, c’est celles de Grenfell.
Je n’allais pas laisser passer ça. Alors je les ai traités de fascistes et leur “There’s ash in your latte”, puis “Never look at a tower block same way
ai dit de ramper dans le cul de Mac DeMarco. again”. Les classes supérieures aiment les barres d’HLM, comme la
Saul Adamczewski : Ils sont dans une vendetta personnelle contre Trellick Tower. Bref, Baxter avait bossé avec Saul il y a quelques années.
nous. C’est un ami. C’était logique de l’avoir pour chanter ce passage.
Lias Saoudi : Tu n’as qu’à lire leur critique des Country Teasers. Pour Saul Adamczewski : Il s’autoproclame prince de Ladbroke grove.
nous, leur album est un classique. Ils les ont défoncés. Parce qu’ils ne sont (avenue célèbre de Notting Hill). Ce contre quoi on était, c’était la
pas politiquement correct. A partir de là, on comprend qu’on n’est pas du gentrification. C’est une chanson sur un été passé à Notting Hill et toutes
même côté. L’art n’a pas à être dicté par la morale. C’est plus complexe les rencontres que ça inclut : Grenfell Tower, Baxter Dury... Puis la
que ça. Le truc, c’est que je ne pense même pas que Mac DeMarco soit si descente après ça. Il y avait une sorte de vide dans la chanson.
mauvais que ça. Il est juste un peu trop lounge pour moi. J’ai besoin d’un
peu d’antagonisme dans ma musique. J’ai été un peu extrême...

R&F : Le titre “Vagina Dentata” fait référence à un mythe commun


à l’Amérique du Sud, la culture maori, les légendes shinto et
“On ne serait plus
l’hindouisme. Comment avez-vous découvert le mythe du vagin
à dents ? le même groupe
Lias Saoudi : Du mythe d’Hollywood (il sourit). C’est une anxiété commune,
non ? L’anxiété de la castration. C’est une peur primaire.
Nathan Saoudi : Je n’ai pas ce problème.
si on éliminait
Saul Adamczewski : Moi non plus. C’est une chanson d’amour, non ?
Lias Saoudi : OK, c’est surtout mon problème, alors. C’est une sorte de
totalement le chaos”
chanson d’amour, oui.
Saul Adamczewski : C’est sur son ex, Zoë Bleu (qui, improbable, est la Cette partie n’avait pas de paroles, c’était juste une descente instrumentale.
fille de Rosanna Arquette) . Ça sonnait creux. Ce n’était pas un rêve d’avoir Baxter sur une chanson.
Lias Saoudi : Ouais, c’est sur Zoë Bleu. Je voulais l’appeler “Getty Images”, C’est venu comme ça.
mais ils ne m’ont pas laissé faire ça. Mon ex couchait derrière mon dos
avec quelqu’un. C’est une chansonnette qui traite d’une peur basique des
femmes. Tous les hommes ont peur de leur mère, par exemple. Descendre l’échelle
R&F : C’est aussi une chanson sur les classes supérieures. Vous
R&F : Sur Internet, on peut lire que votre mère travaillait dans avez un mépris pour les classes supérieures ?
des mines de charbon. C’est faux, on imagine ? Lias Saoudi : C’est un peu bizarre. Tu les méprises et en même temps tu
Lias Saoudi : La confusion est fréquente. Elle vient d’une famille de veux en faire partie. C’est des sentiments contradictoires. A ce moment-
mineurs de charbon. Mon grand-père était mineur. là, j’avais l’impression de devenir tout ce que j’avais toujours voulu détruire.
Nathan Saoudi : Mais elle n’est jamais descendue dans la fosse. Il y a une dualité. En principe, tu ne veux pas descendre l’échelle. Tu veux
Lias Saoudi : Ils ont une fosse pour les touristes de nos jours. Pour qu’ils la monter.
voient comment c’était. Elle est descendue dans cette fosse-là. En vrai, Nathan Saoudi : Fuck l’échelle.
elle travaillait dans des maisons de retraite. Notre père travaille sur des Saul Adamczewski : Moi, je veux la descendre.
ordinateurs. Lias Saoudi : Ouais, lui il veut descendre, moi je veux monter. On s’est
rencontré en chemin.
R&F : C’est comment maintenant Dungannon, où vous avez grandi, Nathan Saoudi : Je veux la mettre en morceaux, moi, l’échelle. Puis me
en Irlande du Nord ? casser.
Nathan Saoudi : Ça empire. J’y étais l’an dernier et je portais un béret.
J’avais oublié dans quel genre de pub j’étais. On est venu me faire R&F : Vous vous souvenez d’où vous étiez le jour de l’incendie ?
chier : “Pourquoi tu portes un béret ?” J’ai dit : “C’est bon. Tout le monde Lias Saoudi : Je crois que j’étais à Notting Hill en train de m’envoyer de
porte des bérets. Che Guevara porte un béret. Martin McGuinness porte un la kétamine. J’ai vu ça sur mon téléphone. Je suis allé voir l’immeuble deux
béret.” Au moment où j’ai dit ce nom (celui d’un ancien membre de l’IRA jours plus tard. C’était assez incroyable. C’est comme le truc au début de
et du Sinn Féin)... “2001 : L’Odyssée De L’Espace”. Un monolithe. Un monolithe envoyé par
Saul Adamczewski : Mauvaise référence. Tu aurais du dire Mad Dog Thatcher dans le cosmos.
Adair (militant loyaliste). (Ils decident tous de sortir fumer des clopes dans le beer garden. Lias se met
Lias Saoudi : Tu es sûr que tu n’as pas renversé sa bière ? à rouler. Nathan et Saul commencent à fredonner “Paparazzi” de Lady Gaga.
Nathan Saoudi : Non ! Au moment où j’ai dit ce nom, ce gars a sorti Qu’ils changent en “papa-papa-nazi”.) ★
un couteau et j’ai dû sauter par-dessus la table de billard pour me casser.
C’est pas terrible, mec. C’est dangereux. Des gens se font battre à mort. Album “Serfs Up!” (Domino)

MAI 2019 R&F 065


La vie en rock

L’intro de “Be My Baby”,


ces trois coups de grosse caisse, c’est lui

HAL
BLAINE
Le batteur américain, membre du légendaire Wrecking Crew
est mort le 11 mars à 90 ans. Hommage à un forçat du rythme,
présent sur 35 000 morceaux et des centaines de tubes.
PAR PATRICK EUDELINE

LA BATTERIE ? Je m’en souviens si bien... Justement, il y avait dans Rock&Folk et ailleurs


J’étais avec ma mère. Fort exactement devant la tour ces publicités pour l’école de “Kenny Clarke et Dante Agostini”.
Montparnasse qui n’était encore qu’une carcasse. A Pigalle ! Et Kenny Clarke, je savais qui c’était : un putain de batteur
Je pensais à ce morceau des Bee Gees qui m’obsédait de jazz, expatrié en France pour cause de racisme et d’apartheid.
“New York Mining Disaster 1941” et par association Comme Mickey Baker justement. Bingo ! Mon père voulait à tout prix
d’idées (l’esprit qui vole, comme dit l’autre) à la guitare. que je m’inscrive au Racing Club de France, section tennis, histoire
Que j’avais tant envie d’apprendre. Mais... Cela me de me faire des relations et, qui sait, de rencontrer des héritières.
semblait une tâche insurmontable, il n’y avait, alors, Je me suis trouvé une passion soudaine pour ce sport, j’ai réussi à lui
quasiment pas de méthode, sinon celle de Happy faire croire qu’il fallait payer l’inscription en liquide et... Miracle.
et Artie Traum ou un Marabout Flash “J’Apprends Je me suis inscrit chez Kenny Clarke. Kenny lui-même m’a reçu.
La Guitare”, celle de Chouchou (c’était en fait le En cravate fripée et costard mohair gris gorge de pigeon. Coiffé
Photo Michael Ochs Archives-Getty Images

grand Mickey Baker qui s’y était collé), et celle de comme Chuck Berry. Je lui ai promis d’acheter une batterie le plus
Mel Bay. Toutes se ressemblaient : guère praticables. vite possible et, surtout, de mettre un métronome sur ma table de nuit
C’était avant les tablatures ! Et puis... Cette pensée comme il me le demandait. Pour lui, c’était l’instrument de musique
parasite : et si la guitare ne durait pas ? Etait-ce le plus vital... Le métronome. Frisés, moulins, flas, rimshots,
un bon choix ? Tout cela me faisait un peu peur. balais, volants et papa-maman, solfège rythmique et triolets.
Comme l’idée de chanter, d’ailleurs. Bon, l’affaire Je m’entraînais sur la table de ma chambre. J’avais au moins les
était entendue. J’allais apprendre à jouer baguettes. J’ai vite compris, certes, que pour écrire des chansons
de la batterie comme Mitch Mitchell ! (et, avouons le, se faire remarquer) la batterie, ce n’était pas l’idéal.

MAI 2019 R&F 067


LA VIE EN ROCK HAL BLAINE

Mais ce que j’ai appris grâce à ces quelques mois chez Kenny
et Dante (au fait, en cette période de doubles grosses caisses géantes,
ils jouaient tous les deux sur des batteries Hollywood. Pour situer le
genre !) ne m’a jamais quitté. J’ai sans doute (hum...) chanté ou joué
faux plus souvent qu’à mon tour mais... des erreurs de rythme ?
Ça non jamais. Toujours en place. Enfin, je crois.

C’est pour cela que Hal Blaine, hein...


sa mort me parle. O combien !
Ne parlons pas de ce foufou de Keith Moon (“On ne te demande pas
de faire un bœuf à la con et de l’esbroufe, d’en foutre partout mais
d’accompagner la chanson, de JOUER TA PARTIE” disait Dante
Agostini. Compris Keith ?), du lourdingue Buddy Miles, du surestimé
(oui quand même, un peu) Ginger Baker ou même du brutal John
Bonham. Ou de l’insupportablement bavard Robert Wyatt. Non. Hal
Blaine était le meilleur batteur du monde. Voila. Suivi par Ringo
(qui lui devait tant !) et par quelques jazzmen. Buddy Rich, tiens !
Et puis Aynsley Dunbar, peut être. Le Charlie... ou Al Jackson.
Hal Blaine a tout joué. Et on va le raconter, bien sûr, mais pour dire...
L’intro de “Be My Baby”, ces trois coups de grosse caisse, c’est lui.
Le mec n’introduit pas une chanson, non... Il ouvre les portes
de la cathédrale. Il inventa aussi le rythme disco.
Mais à ce stade, c’est quasi un détail.

Hal Blaine est né en 1929. Ce qui soulève deux


évidences. Il est très vieux. Il a toujours été très vieux. Quand le
rock arrive, il a déjà 30 ans, ou quasi. Et il a été formé à l’école du
swing et des boîtes de strip. Cozy Cole, Gene Krupa (il a eu le même
prof que ce dernier !), ces batteurs d’un jazz encore écrit et exigeant
sont ses idoles. Ses parents s’installeront à Los Angeles dès 1944.
La West Coast ! Tout est en place. Il joue dès 1959 avec Tommy
Sands... Qui n’est pas seulement l’homme de “Teen-Age Crush”
mais qui fut un petit Elvis, avant que Frank Sinatra ne ruine sa carrière
(il avait divorcé de Nancy, aussi...). Un petit roi du rockab’, un acteur
oublié, chanteur country... Un pro. Remarqué derrière Tommy Sands,
justement, très vite, Hal Blaine se met à jouer pour tout le monde.
Pour chaque chanson, il invente un tempo, un roulement, une variante,
une signature rythmique qui fait la chanson. Il se retrouve notamment
dans la bande à Phil Spector. Celle de Jack Nitzsche et de Leon Leur drame ? Etre des forçats du Top Ten. Créer le son du jour sans que
Russell : le Wrecking Crew. Et, bientôt, il joue pour tout le monde. jamais grâce ne leur en soit rendue. Et pourtant... “The Beat Goes On”
Coasters, Beach Boys, Byrds, The Mamas And The Papas, Simon de Sonny And Cher doit tout à l’imparable partie de basse imaginée par
And Garfunkel, Sonny And Cher, jusqu’aux Monkees, Herp Albert Carol Kaye ? Certes, mais elle n’est pas créditée. Aussi, dès 1963, ils
et Frank Sinatra... Lui et le Wrecking Crew sont partout. Ils savent multiplient les expériences sous leur nom. Essayant aussi de surfer sur
tout jouer. Ils s’adaptent à tout et transcendent les modes. les modes. Hal Blaine, de plus, a une jalousie secrète, dont il ne parle
La mode ? Justement, ils n’en ont jamais peur. Ils sont le rock guère. Son ami Sandy Nelson, batteur de studio, a réussi avec son “Let
américain en marche, rien de moins. Guitariste de jazz à l’origine, There Be Drums” à se faire un nom et un tube. Aussi, Hal Blaine fait
Tommy Tedesco, ainsi, ne craint pas d’utiliser le Coral Sitar son groupe. Avec les Young Cougars, il multiplie les instrumentaux,
Danelectro ou les derniers gadgets à la mode. n’hésitant pas à lorgner du coté du son fuzz, du surf le plus crade,
Pour Spector et les autres, Hal Blaine réinvente le rythme du baion du garage, comme sur l’album “Deuces, ‘T’s’, Roadsters & Drums”.
et de la rumba, les shuffles, les two-steps et les twists. Succès d’estime ! Et encore...
C’est l’époque des mille danses et on ne plaisante pas avec cela. Cinq ans plus tard (1967 !), il est à l’origine de “Psychedelic Percussion”.
Un pur ovni, comme on ne devrait pas dire. Un album concept. C’est la
tendance. Les mois de l’année ! Comme les saisons de Vivaldi, en somme.
Le Wrecking Crew, donc ? Carol Kaye à la basse Ce disque psyché est plus qu’une curiosité. Plus trippant et allumé que
et à la guitare, Glen Campbell, guitariste mais surtout les expériences sous acide de Grateful Dead, qu’Ultimate Spinach, les
arrangeur sur le tas (les indications orales qu’on se donne en studio), messes des Electric Prunes ou les ragas de Third Bardo. Mais, comme
Tommy Tedesco et Billy Strange (le bien nommé) aux guitares twangy Rotary Connection ou la bande des studios Chess, le Wrecking Crew
et Barney Kessel aux guitares jazzy, Leon Russell au piano, a un énorme défaut : ce sont des musiciens de studio. Beaucoup ont
Larry Knechtel et Dr John à l’orgue et Jack Nitzsche pour les cordes, les cheveux courts et il paraît évident qu’ils ne se droguent guère. Autant
l’esprit saint et la folie. Nitzsche, le lonely surfer. dire que leur psychédélisme, par le fait, n’est pas crédible. Pourtant...

068 R&F MAI 2019


Lui et le
Wrecking
Crew sont
partout.
Ils savent
tout jouer
En Angleterre, Big Jim Sullivan, de la même manière n’hésitera pas à De quoi leur faire oublier qu’une nouvelle génération est en train
sortir un disque de sitar, avec des versions instrumentales des hits du de percer. Celle qui donnera Steely Dan ou Toto. Moins talentueux,
moment. Et puis, comme tout le monde reprend Bob Dylan, de Julie moins classieux, beaucoup plus requins de studio dans l’esprit, ces
Driscoll à Manfred Mann en passant par les Byrds, la bande se lance dans Waddy Wachtel, Larry Carlton, Jeff Porcaro, Leland Sklar vont peu
un fort osé “Dylan Jazz” instrumental, sous le nom du Gene Norman Group à peu remplacer le Wrecking Crew. Surtout, c’est l’époque du click
(ce sont en fait Glen Campbell et toute la clique habituelle). C’est “A Hard track et du re-re. De la FM triomphante, du son sous cellophane.
Rain’s A-Gonna Fall” sur un rythme façon Lalo Schifrin, un “Don’t Think Plus personne ne joue ensemble en studio... C’est le début de la fin.
Twice” qui sonne comme du Miles Davis cool, “It Ain’t Me Babe” façon Hal Blaine continue, bien sûr. Le plus longtemps possible, même
Jazz Messengers. Celui-ci sera aussi un échec. Mais peu importe, le s’il n’est plus demandé comme avant (on l’aura compris, boîtes à
Wrecking Crew n’arrête pas. Et tant pis, si ce sont les tubes des autres. rythmes et click ont ouvert la voie aux mauvais batteurs...). En fait,
les choses deviennent pour lui plutôt difficiles. A la fin des eighties,
un divorce le ruine littéralement. Au point qu’il travaille un temps
La fin des années 60 sera moins souriante. comme vigile dans un parc d’attractions, pour subsister.
De plus en plus, les musiciens insistent, par contrat, à jouer sur
leurs disques et ne supportent plus guère être remplacés. De plus,
la tendance est au hard lourd et dépouillé. A l’époque de Grand En 1999, il écrit son autobiographie, “Hal Blaine And
Photo Archives Rock&Folk-DR

Funk Railroad et de Led Zeppelin, le Wrecking Crew n’est plus vraiment The Wrecking Crew”. The Wrecking Crew ? Aucun des musiciens
dans le coup et le “MacArthur Park” de Jimmy Webb, par Richard concernés ne se souvenait d’avoir été surnommé ainsi à l’époque et
Harris puis tant d’autres (en France, Thierry Le Luron s’y essaiera l’expression semble avoir été plus ou moins une invention d’Hal Blaine.
avec “Les Tuileries”) sera son chant du cygne ou quasi. C’est vrai Pas grave. Sur sa tombe est marqué : Qu’il reste à jamais sur le 2 et le 4.
qu’ils ont presque tout donné pour l’occasion. C’est luxuriant, Le backbeat du rock... Pour ceux qui auraient hésité à comprendre. ★
long et faussement triste, comme un hiver anglais magnifique.

MAI 2019 R&F 069


Disque du Mois

Les têtes brûlées

Fat White Family


“SERFS UP!”
DOMINO

C’est une évidence, dès les peau de piquouses, ça sent le roussi. Conçu et enregistré à Sheffield, de l’asile. “Rock Fishes” : Richard
premières secondes, avec le Deux issues semblaient possibles. dans un secteur où ne circulait pas Hawley et Blur reviennent d’une fête
percutant “Feet” : Fat White Family Un, la séparation. Elle a eu lieu. d’héroïne, l’album sonne comme une foraine en pleine nuit, main dans la
remonte la pente. Car son album Il y a d’abord eu le projet parallèle résurrection. Il ne s’agit pas d’un main, sentimentaux. “Fringe Runner” :
précédent, “Songs For Our Mothers”, The Moonlandingz, avec Lias Saoudi disque mea-culpa où des ex-toxicos Alan Vega rallie le cabaret funk tenu
trahissait une descente. Pas et Saul Adamczewski, puis Saul a vantent les joies du bio et du vélo : par un mutant nommé Ian Dury.
artistique : le disque, du Velvet continué, sans Lias, avec Insecure c’est désormais officiellement à On pourrait aussi noter l’empreinte
Underground glauque et vaudou, Men. Deux, la mort. Mais non, pas la kéta que carburent les têtes de Fun Boy Three un peu partout,
du Rolling Stones poisseux (période le temps, les membres Fat White brûlées. Là non plus, ça n’a rien de mentionner Tom Tom Club, The Good,
“Can’t You Hear Me Knocking”), ont donc annoncé ce troisième album. tranquillisant (mauvais jeu de mot), The Bad & The Queen, et revenir au
moitié Iggy patraque, moitié Can Ce qui, vu leur état, ne laissait rien la kétamine n’étant pas un produit même constat : il n’y a aujourd’hui
des bayous, le confirmait : meilleure présager de rassurant. La probabilité, très hygiénique. Mais, en attendant, que la Fat White Family pour ainsi
machine rock anglaise des années c’était qu’ils allaient nous sortir un “Serfs Up!” montre la Fat White dans souffler le chaud et le froid, être
2010. Une vraie réussite, où disque complètement cramé, façon une forme olympique. “Feet”, donc, autant sous influence et aussi
l’on entendait pourtant le groupe Alexander Spence (“Oak”), Peter odyssée disco-rock panoramique, inventif, hédoniste mais pas
jouer avec le feu, où sourdait la Coyle (“I’d Sacrifice 8 Orgasms With où Pulp convoque Primal Scream, décérébré, malsain et stimulant. C’est
dégringolade à venir : l’héroïne. C’est Shirley MacLaine Just To Be There”), LCD Soundsystem recadre Happy le paradoxe et l’éclatante réussite de
bien beau de perpétuer cette tradition Alex Chilton (“Like Flies On Sherbert”), Mondays. “Tastes Good With The “Serfs Up!” : hanté par de multiples
de rockers casse-cou, de croiser un truc à la Roky Erickson, où l’on Money” : chœurs galvanisants, coups fantômes, jamais désincarné, son
le fer (et la seringue) avec les Shane entend des artistes ayant forcé la de saxos, talk over de Baxter Dury, groove secoue le cocotier, convoquant
McGowan, Phil Lynott ou GG Allin, dose, squattant une autre planète, et c’est T Rex qui renaît dans une toute une armée de morts pour
de laisser sur son passage cadavres un endroit très reculé. Pas du tout. combinaison exotique. “I Believe In célébrer la vie. Si le titre n’avait pas
de bouteilles, amas de capotes et “Serfs Up!”, c’est un retour sur terre Something Better” : garage-pop avec été pris, l’album aurait pu s’appeler
traînées de poudre, mais quand tout et en fanfare, soudés, avec regain petite rythmique post-punk, Robyn “Aimons-Nous Vivants”. ✪✪✪✪
ce cirque commence à se réduire à d’inventivité et d’énergie positive. Hitchcock et Can font sortir Barrett BENOIT SABATIER

PISTE AUX ETOILES ✪✪✪✪✪ INCONTOURNABLE ✪✪✪✪ EXCELLENT ✪✪✪ CONVAINCANT ✪✪ POSSIBLE ✪ DANS TES REVES

AVRIL 2019 R&F 071


Disques poprock
King Gizzard Fontaines DC Kevin Morby Peter Doherty
& The Lizard “Dogrel” “Oh My God” & The Puta
Wizard PARTISAN RECORDS/ PIAS DEAD OCEANS/ PIAS Madres
“Fishing For Fishies” Ils l’ont refait. Mettre une pile On l’a qualifié de dylanien à ses “Pete Doherty & The Puta Madres”
FLIGHTLESS/ PIAS STRAP ORIGINALS/ DIFFER-ANT
aux Anglais. Alors qu’une nouvelle débuts, avant que son œuvre ne
Si l’année 2017 fut dédiée à la génération émerge du Royaume-Uni, tende, peu à peu, vers la noirceur On savait que, tôt ou tard, Peter
démesure discographique avec cinq composé de Black Midi, Shame, de Leonard Cohen, pour devenir allait commettre un album avec
albums sortis entre le 24 février et le HMLTD, Goat Girl, ces groupes du encore autre chose. Aujourd’hui, la The Puta Madres. Pour faire simple,
31 décembre, en 2018, la formation sud de Londres parrainés par Idles et musique que Kevin Morby propose on se contentera de dire qu’il s’agit
australienne multiplia les concerts Slaves, les Irlandais, fier peuple celte sur son cinquième album est celle du groupe avec qui il tourne depuis
et les tournées sans oublier la tenue méprisé par leurs voisins d’insularité, d’un véritable singer-songwriter, quelque temps déjà et donc, son
de son propre festival, le Gizzfest à ont contre-attaqué : “Dublin sous à la patte identifiable dès le premier troisième après le Libertines (en
Melbourne. “Fishing For Fishies” est la pluie m’appartient. Cette ville accord, avant même que le chanteur sommeil) et Baby Shambles (à l’arrêt).
le quatorzième album en sept ans de enceinte avec un esprit catholique. ne pose ce phrasé spécifique où il Enregistré dans les conditions du live
King Gizzard & The Lizard Wizard. Mon enfance était petite, mais je vais parle autant qu’il ne chante. Sur à Etretat, cet album ne ressemble
Autour de son chanteur, compositeur être grand”. Voilà sur quoi s’ouvre “Oh My God”, Morby s’amuse à truffer pas, dans la forme, à ses deux
et multi-instrumentiste Stu Mackenzie, le premier album des Fontaines DC, ses chansons de références bibliques précédents dont le premier, publié
le groupe privilégie toujours l’envie fier quintette de Dublin, jeune, bonne et d’expressions religieuses sur des il y a une décennie, avait esbroufé
de se réinventer à chaque passage gueule, bon look, dont l’accent aussi mélodies d’une douceur presque la critique et ramolli la dent des
en studio. Si psychédélisme et épais que la mousse de Guinness somnolente. Piano omniprésent, détracteurs. “Grace/ Wastelands”
progressif se conjuguent en toile crache des textes claquant comme saxophone, flûte discrète et chœurs était un très grand disque et Graham
de fond de ses productions, King un coup de pied au cul. Cinq types célestes enrobent la plupart des titres Coxon, à la production, n’y était pas
Gizzard continue à en explorer toutes à la touche populo, donc, racontant de ce double album sur lequel règne pour rien. “Peter Doherty & The Puta
les variantes possibles, voire leur ville violée par Google et une certaine quiétude. De ses Madres” a été géré par Jai Stanley,
poignardée par le Brexit. Mais, proche de longue date et manager,
hormis cette façon de prononcer et force est de constater qu’il a laissé
les e et i, les Fontaines DC son artiste s’exprimer sans en faire
partagent plus d’une chose avec leurs des tonnes. Les arrangements des
correspondants brits : ces enfants onze titres proposés sont frugaux
du millenium s’obsèdent pour le son (le disque a été orchestré par Dan
des années 80 et l’esthétique de la Cox) ce qui ne gâte rien. Car, et ce
décennie suivante, nouveau vintage n’est pas la moindre des qualités
pour des êtres n’ayant jamais connu de Peter, son pop-rock est bien moins
le monde sans internet. En sortent dégingandé que lui, et “All At Sea”,
d’excellents clips semblant tous “Paradise Is Under Your Nose” ou
filmés par Danny Boyle et un album “Shoreleave” confirment son talent
patchwork, ressemblant un coup aux de songwriter. Certes, il donne parfois
Smiths (“Television Screen”), un autre l’impression de chanter par-dessus
inimaginables. Le garage rock pérégrinations urbaines à Brooklyn
psychédélique des débuts se pare, ou dans les collines de Los Angeles,
au fil des disques, de teintes pop, Kevin Morby a beaucoup chanté
krautrock, acid rock, folk rock, world, les lieux où il a vécu. “Oh My God”
hard rock, jazz cool. Avec “Fishing documente sa vie en tournée, en
For Fishies”, c’est au tour du blues avion notamment, (“Storm”, “Lo
de passer au mixeur australien dès And Behold”) qu’il transforme en
le premier titre éponyme, son rythme paraboles existentielles où la mort
sautillant, sa batterie qui sonne occupe toujours une place importante.
comme un frottoir et ses vocaux Porté par des textes magnifiques,
aériens. Les influences d’un jazz “Oh My God” se veut un album
lumineux, joyeux et de Steely Dan contemplatif et méditatif. Si certaines
traversent “The Bird Song”. Mais chansons manquent parfois de nerf,
le grand sujet du disque, c’est le Morby n’hésite pas à secouer
boogie, sous toutes ses formes, à The Fall (“Too Real”), se permettant régulièrement son auditoire de titres la langue, comme si tout ça n’avait
malaxé, trituré, revisité, personnalisé des intros à la Cure (“The Lotts”), plus enlevés, tels que “OMG Rock guère d’importance, mais cette
de telle façon qu’aucun morceau le tout avec cette ambiance sombre N Roll” ou “Congratulations”. Surtout, désinvolture est certainement une
ne ressemble au précédent. Riffs déterrée par la Fat White Family. “Oh My God” possède quelques posture et, dans “Travelling Tinker”,
d’harmonica et de guitares donnent Mais, contrairement aux copieurs, grandes chansons, et les plus belles la chanson la plus longue de l’album,
le tempo de “Boogieman Sam”, Fontaines DC a des choses à dire, mélodies de l’album (“No Halo”, il alterne les états du cœur, tantôt
un titre à la Captain Beefheart avec et se permet une fin de face B sans “Hail Mary”, “I Want To Be Clean”, lourd, tantôt léger. Evidemment,
une dose de pop, “Plastic Boogie”, faute : un hymne punk, “Chequeless “O Behold”) emportent leur auteur les fans du garnement se retrouveront
l’entraînant “The Cruel Millennial”, Reckless”, deux tubes rock, “Liberty au firmament des artistes les certainement davantage dans
“This Thing” rappelant T Rex Belle” et “Boys In The Better Land”, plus doués de sa génération. “Lamentable Ballad Of Gascony
époque “Electric Warrior”. En final, et ce final, forcement sur une mélodie ✪✪✪✪ Avenue”, prétexte à vider son grenier
“Acarine” et le long “Cyboogie”, plus irlandaise, “Dublin City Sky”. ERIC DELSART et à ouvrir toutes les écoutilles
électro, démontrent que le boogie ✪✪✪✪ malgré la toxicité de l’air ambiant.
est une forme caméléon, comme THOMAS E. FLORIN ✪✪✪
le parcours de King Gizzard. JEROME SOLIGNY
✪✪✪1/2
PHILIPPE THIEYRE

072 R&F MAI 2019


The Proper Wand Cage The Henryk Gorecki
Ornaments “Laughing Matter” Elephant Beth Gibbons
“6 Lenins” DRAG CITY
“Social Cues” “Symphony N°3/ Symphony Of
TAPETE/ DIFFER-ANT SONY MUSIC Sorrowful Song Op 36”
Depuis ses débuts, Wand a
DOMINO
Seraient-ils un peu moins mous ? toujours été une bête difficile à Le groupe de Bowling Green,
Comme si leurs os n’étaient plus saisir. Catalogué au rayon garage à Kentucky, poursuit sa quête : Ce serait mentir (mais tellement
en fromage, leurs tendons en laine, ses débuts pour sa proximité avec atteindre les stades, en continuant snob) d’affirmer qu’on savait
leur muscle en barbe à papa... Ty Segall, aussi bien esthétique que à faire de la bonne musique. Le exactement de quoi il retournait
Proper Ornaments, le duo composé personnelle (ami d’enfance de Cory sextette, composé de Matt Shultz lorsqu’on a reçu ce disque et l’e-mail
de James Hoare d’Ultimate Painting Hanson, Segall avait publié le premier (chanteur), Jared Champion (batterie), pressant de l’écouter envoyé avec.
et Max Oscarnold de Toy, n’est pas album de Wand sur son label God?), Brad Shultz (guitare), Daniel Tichenor On connaissait le compositeur polonais
devenu Motörhead pour autant. Mais Wand s’est peu à peu affranchi de (basse) et rejoint en 2017 par Nick Henryk Górecki (1933-2010) pour
il a fait un effort, en injectant une l’influence de ce dernier sans pour Bockrath (guitare) et Matthan Minster avoir entendu sa musique dans des
microdose de nervosité dans ses autant devenir un objet aisément (clavier), est en passe d’y arriver. BO de films monumentaux (“Shining”,
ballades mélancoliques et un peu définissable. En 2017, “Plum” Récompensé d’un Grammy du “L’Exorciste”), et parce que sa
d’étrangeté (ce “Crepuscular Child” dévoilait un groupe en pleine meilleur album rock pour “Tell Me troisième symphonie, dite “des
qui ne s’arrête jamais), de beaux mutation, toujours en quête d’identité I’m Pretty” en 2015, le groupe est chants plaintifs”, créée en 1977 mais
sons de guitare twang (“Apologies”), mais aux idées florissantes. Pour retourné en studio après un live, commercialisée en CD quinze ans
des boîtes à rythmes exotiques, des autant, rien ne nous préparait à “Unpeeled”, sorti à l’été 2017. Le plus tard, avait remporté un succès
synthétiseurs qui frisent. On voyage ce “Laughing Matter” éthéré, californien John Hill s’est ici attelé sans précédent dans les hit-parades
un peu. Malgré ce chant toujours labyrinthique et à la saveur fin de à l’ouvrage. En pleins déboires du monde entier, généralement peu
à la limite du susurré et ces mélodies siècle inspirée de Radiohead. Certes, personnels (divorce, disparition de ouverts à la musique classique même
typiques de Hoare, de celles qui la pochette au design digne d’un proches) Matt Shultz a engendré contemporaine. En revanche, on sait
donnent envie de mouiller son pyjama album progressif des années 80 dans la tourmente ces 13 morceaux l’essentiel sur Beth Gibbons, la
annonçait un album complexe, mais chanteuse de Portishead, silencieuse
on ne s’attendait pas à un double depuis quelques années. N’ignorant
album long de près d’une heure pas non plus qu’elle est femme de foi
dix, empli de complaintes artistique, on ne s’étonne pas qu’elle
atmosphériques qui évoquent le ait accepté, en 2014, d’interpréter
groupe de Thom Yorke (“Scarecrow” avec l’orchestre symphonique de la
en tête, avec ses accords de piano radio polonaise dirigé par Krzysztof
posés devant un mur de guitares Penderecki, la symphonie en question,
intriquées et la voix plaintive de écrite pour soprano et grand ensemble.
Hanson, mais aussi ce “Xoxo” C’est cet enregistrement live que
mélancolique). Entre deux pistes Domino publie aujourd’hui et c’est une
instrumentales (presque ambient, œuvre tout simplement époustouflante.
telle “Bubble”), Wand propose Des motifs en canon du premier
plusieurs chansons acoustiques mouvement au “chant d’une mère
de larmes devant des dessins animés. éclectiques. Après maintes écoutes,
Mais, dans l’ensemble, ça va mieux... on apprécie leurs forces et leurs
D’où cette question : pourquoi, qualités. Plusieurs excellentes
malgré cette avalanche de niaiserie surprises : la très énergique “Broken
souffreteuse, ces chansons Boy”, la très pop “Social Cues” qui
fonctionnent-elles si bien ? Parce donne son titre au disque, suivie de
qu’il n’y a plus de saisons ? Parce l’entêtante et mélodique “Black
qu’on a vu trop de gens fiers de Madonna”. Beck prête sa voix sur
porter des matières réfléchissantes un “Night Running” aux sonorités
cette année ? Parce que notre reggae. Les très rock “Skin And
président perd tout de même ses Bones” et “Tokyo Smoke” attestent
cheveux ? “Song For John Lennon”, la parenté du combo avec les grosses
le genre de comptine qui endort machines du genre. Le refrain de
même les morts, s’écoute avec plaisir, “House Of Glass” fait penser à du
car elle est sincère. Le petit solo de fin construites autour d’arpèges King Krule. On goûte les très rythmées à la recherche d’un fils disparu” du
de “Can’t Even Choose Your Name” acoustiques. On pense à la magnifique “Ready To Let Go”, qui évoque sa troisième, en passant par le deuxième,
possède un charme qui n’appartient “High Planes Drifter” qui évoque le séparation récente, et “The War Is magistral, et inspiré par un graffiti
qu’à lui. Le refrain de “Please Release Wilco de “Yankee Hotel Foxtrot” ou Over”, proche du dernier Arctic découvert sur le mur d’un cachot nazi,
Me” et la simplicité mélodique de la poignante “Jennifer’s Gone” qui Monkeys. La très dansante “Dance cette symphonie, lente et poignante,
“Bullet From A Gun” montrent que clôt l’album dans une ambiance Dance” s’intercale. Pour finir, les remue l’auditeur. Rai de lumière qui
ce binôme anglais est indestructible. digne de Lou Reed période “Berlin”. doucereuses “Love’s The Only Way”, fait se craqueler ces textures graves,
Il possède la résistance du fromage A quelques rares moments, le groupe “What I’m Becoming”, et la bien la voix de Beth Gibbons, qui chante
blanc : plus on le compresse, plus s’offre des saillies rock intenses, tel nommée “Goodbye”, ballade qui clôt dans une langue qu’elle ne connaissait
il s’étale et enregistre d’albums. ce “Walkie Talkie” porté par un riff l’album, confirment une maîtrise des pas avant de relever ce défi, est
✪✪✪ emprunté aux Troggs de “I Can’t ambiances lentes et mélancoliques. étourdissante de passion et de
THOMAS E. FLORIN Control Myself”, mais l’univers que Le disque divulgue, au fil des écoutes, maîtrise. Alors, naturellement, on
déploie Wand sur cet album-monde ses richesses. Qu’on ne se lassera est impatient de découvrir la version
est délicat, fragile et étonnamment pas de découvrir, l’été venu. filmée de ce concert réalisée par
accueillant. ✪✪✪✪ ✪✪✪✪ Michal Merczyski. ✪✪✪✪
ERIC DELSART YASMINE AOUDI JEROME SOLIGNY

MAI 2019 R&F 073


Disques poprock
Altin Gün Nick
“Gece”
GLITTERBEAT/ DIFFER-ANT
Waterhouse
“Nick Waterhouse”
INNOVATIVE LEISURE
La destinée d’Altin Gün — âge d’or,
en turc — ne s’est pas nouée sur les Né en 1986, Nick Waterhouse fait
rives chamarrées du Bosphore, mais partie de ces esthètes qui savent
dans le cerveau de Jasper Verhulst, relire les anciens pour délivrer un
bassiste néerlandais croisé au côté rock d’une actualité réconfortante.
de Jacco Gardner. Un collectionneur En studio, il impose une discipline
invétéré de raretés ayant un faible salvatrice : enregistrer en direct,
pour le rock anatolien du début des musiciens face à face si possible, et
seventies, dominé par les éminents en analogique, évidemment. Pour que
Erkin Koray et Baris Manço, le courant passe, tout simplement.
patrimoine méconnu qu’il a entrepris Cette saine attitude, qui tient de
de remodeler et d’enluminer. Pour ce la rébellion voire de la résistance
faire, il a recruté des connaisseurs : face à l’évolution des techniques
Erdinç Ecevit, fougueux expert d’enregistrement et de diffusion,
du suz électrique, ainsi que Merve se reflète dans une écriture qui repose
Dasdemir, prêtresse rousse à la voix sur la simplicité et le dépouillement.
enchanteresse. Devenu sextette Pouvant ainsi contrôler ses forces,
et signé par l’excellent label (et Nick Waterhouse alterne le
disquaire) genevois Bongo Joe, Altin dénuement et les poussées sonores
Gün a ébloui avec “On”, un envoutant garantissant à ses morceaux une
premier album mêlant psychédélisme dynamique digne de ce nom. Ainsi,
l’entêtant “Wreck The Rod” séduit-il
d’abord par sa mélodie mais se
termine dans une touffeur fiévreuse.
Avec une préférence patente pour la
musique afro-américaine, les
références sont si nombreuses
qu’elles se fondent jusqu’à disparaître.
On peut, tout de même, évoquer les
labels historiques de blues, de black
rock et de soul comme Chess, Vee-
Jay ou Atlantic, pour le sens de
l’économie, le refus du sucré. Un
feeling presque jazz, naturellement

et orientalisme, serti de joyaux tels


“Goca Dünya” et “Cemalim” (Erkin
Koray). Après avoir sillonné l’Europe
jusqu’à Istanbul, le sextette s’est
attelé à “Gece”, qui vient reproduire
le miracle de son prédécesseur
avec une production encore plus
ouvragée, minutieuse, foisonnante.
Le voyage démarre avec “Yolcu” et le
dépaysement est immédiat : riff féroce
aux teintes moyen-orientales doublé
de wah-wah, percussions complexes
et, bien sûr, ce chant en turc, langue
à l’insondable mélancolie. Même fourni par le saxo, l’est aussi par
recette pour l’entraînante “Vay certains solos de guitare un peu
Dünya”, avant “Leyla”, mystérieuse heurtés, dénués d’effets. Contrastant
mélopée striée de bourrasques avec le délicat “Thought & Act”,
rugissantes, presque stoner. “Song For Winners”, introduit par
“Anlatmam Derdimi” joue la carte une descente vertigineuse, installe
du groove funk détendu avant un sur un rythme prenant un climat
scintillant envol aux claviers. Autres diabolique. Après “El Viv” — quel
réussites, la virevoltante “Kolbasti” auteur a encore le courage d’inclure
et l’irrésistible “Süpürgesi Yoncadan”, un instrumental dans son album ? —
conclusion à la fois synthétique et Nick Waterhouse abat un atout-
dansante qui pourra évoquer La maître, “Wherever She Goes (She Is
Femme. Une étourdissante réussite Wanted)”, qu’on fredonne encore
pour Altin Gün, donc, ingénieusement longtemps, longtemps après.
pensée et superbement réalisée. ✪✪✪✪
✪✪✪✪ JEAN-WILLIAM THOURY
JONATHAN WITT

074 R&F MAI 2019


The Stroppies Weyes Blood
“Whoosh!” “Titanic Rising”
TOUGH LOVE/ DIFFER-ANT SUB POP/ PIAS

Il existe en Nouvelle-Zélande une Depuis 2016, Natalie Mering fascine.


ville nommée Dunedin. De taille Sous le nom de Weyes Blood
raisonnable (130 000 habitants, (référence au roman “Wise Blood” de
soit une taille comparable à Amiens Flannery O’Connor), la Californienne
ou Limoges), elle n’aurait rien sortait cette année-là son troisième
de remarquable si elle n’avait album, “Front Row Seat To Earth”,
connu, au début des années 80, une une splendeur véritablement
formidable explosion de groupes mystérieuse. La jeune femme révélait
qui l’a placée au cœur de la scène au monde son aptitude à composer
post-punk locale. The Clean, des chansons d’amour aux mélodies
The Bats, The Verlaines, The labyrinthiques et à la tristesse sourde,
Chills... de nombreux groupes à le tout dans un cadre pop néo-70
l’esthétique lo-fi sous influence pourtant assez balisé. Comme Kate
Velvet Underground et Byrds ont surgi, Bush — et pas seulement parce
et leur bonne parole a été diffusée que les deux possèdent un piano et
à travers le monde par le label Flying de beaux cheveux — Weyes Blood
Nun, devenu l’objet d’un culte depuis. touche parfois du doigt quelque
Plus de 35 ans après cette explosion, chose que les autres terriens ne
nombreux sont les groupes — de comprennent pas. Les miracles sont
The Soft Pack à Yo La Tengo — qui une chose fragile. Sortis en 2011
se réclament de cet amateurisme et 2014, les deux premiers albums
étaient faits de tâtonnements et
d’expérimentations. Le nouveau,
emballé dans une superbe pochette
subaquatique, n’émerveille pas autant
qu’espéré. Le début est excellent avec
un brelan de chansons impeccables :
“A Lot’s Gonna Change”, ballade
majestueuse arrangée de cordes ;
“Andromeda”, tentative pop rêveuse
habillée de synthétiseur et de pedal
steel et “Everyday”, l’évident single,
limpide comme un gold du temps des
ondes AM. La suite, en comparaison,

éclairé. Peu d’entre eux ont aussi


bien réussi à retranscrire l’esprit
do it yourself de cette scène que
The Stroppies, quintette venu de
Melbourne dont le premier album
possède tous les attraits du Dunedin
Sound : lignes de basse insistantes,
accords de guitare martelés, batterie
minimaliste, guitare solo carillonnante,
claviers lumineux, chant murmuré
à l’oreille de l’auditeur. Avant tout,
“Whoosh!” propose une magnifique
collection de chansons pop
désarmantes de simplicité : “The est une minime déception. “Movies”,
Spy”, “Nothing At All”, “First Time avec ses arpégiateurs électroniques,
Favourites” et l’imparable “Cellophane tourne un peu en rond. Brian
Car” (qui sonne comme du Jonathan D’Addario des Lemon Twigs produit
Richman chanté par Moe Tucker). le titre suivant, “Wild Time”, qui sonne
Avec leur post-punk doux et sucré, comme du Lana Del Rey sans budget.
les Stroppies ne sont pas les La voix incroyable de Mering, reine
grincheux qu’ils prétendent être d’un lyrisme qui n’explose jamais,
mais plutôt les nouveaux gardiens tient toutefois le projet, qui aurait
d’un temple pop et lo-fi qu’on se mérité une poignée de grandes
réjouit de visiter encore et encore. chansons supplémentaires et, surtout,
✪✪✪✪ une production plus grandiose et
ERIC DELSART audacieuse. Le deuxième chef-
d’œuvre de Weyes Blood, soyons
en sûr, arrivera plus tard.
✪✪✪✪
BASILE FARKAS

MAI 2019 R&F 075


Disques classic rock & soul
Danko Jones The Beasts Glen Hansard Jim Jones
“A Rock Supreme” “Still Here” “This Wild Willing” & The
AFM BANG! ANTI-/ PIAS Righteous Mind
Pour sa 23ème année d’existence, Regard tourné vers l’au-delà, les Connu par sa participation aux “CollectiV”
MASONIC
le trio de Vancouver continue de Beasts reprennent les choses là où Commitments et comme leader
traverser une excellente période les Beasts Of Bourbon les ont laissées. des Frames et du duo folk The Swell Chanteur des Hypnotics, groupe
de stabilité puisque Rick Knox, le Suite aux disparitions, en 2018, de Season, Glen Hansard attaque une anglais de la fin des années 1980,
septième batteur, est toujours Brian Hooper et de Spencer P Jones, carrière solo en 2012. Avec “This Jim Jones explore le monde du rock
présent depuis bientôt six ans. le mythique groupe australien a Wild Willing”, son quatrième album, aux commandes d’autres formations,
De là à en déduire que Danko Jones décidé de raccourcir un blase qui lui il prend une voie différente de celle Black Moses et surtout Jim Jones
(hurlements et larsens) et le bassiste a valu bien des déboires — première de “Between Two Shores”, sorti Revue. Sa présence dans des
John Calabrese ont enfin vaincu leur sage décision que ce rassemblement l’année passée, sur lequel l’influence hommages à des artistes aussi
syndrome Spinal Tap, il y a un gouffre de fortes têtes a prise en 36 ans de de la trilogie de ses admirations, Bob différents que les Beatles ou Jeffrey
que nous ne saurions franchir. En parcours. Mais ça frite lorsque Tex Dylan, Van Morrison et, surtout, Bruce Lee Pierce ne donne qu’une faible
attendant, les Canadiens continuent Perkins pose, sur une ligne de basse Springsteen, était prédominante. idée de son horizon musical. Il faut
leur synthèse de blues, heavy metal monstrueuse, sa voix prête à mordre. Hansard s’en éloigne sur “This Wild l’avoir vu débuter un concert par une
et punk avec un nouvel album qui Après “On My Back”, Kim Salmon cale Willing”, majoritairement enregistré reprise “Big Hunk O’Love” (Elvis
professe toujours le même optimisme “Pearls Before Swine”, venimeuse à Paris, pour privilégier une approche Presley) avec une énergie à la Little
bruyant et communicatif. Dès le chanson écrite pour “Little Animals”, plus originale, personnelle et Richard ! En 2015, il baptise son
premier titre, “I’m In A Band”, le dernier album de Beasts Of Bourbon introspective. Dans une ambiance groupe Righteous Mind et enregistre
chanteur laisse hurler sa joie d’être pourtant enregistré sans lui. Dans générale plutôt sombre portée par “Supernatural”, album à la superbe
toujours là, derrière le micro, à gratter ses valises, Salmon a ramené son une voix qui semble avoir gagné en pochette signée Jean-Luc Navette.
sa Gibson Explorer comme un damné compère Boris Sujdovic, bassiste de profondeur, les arrangements sont Dans “ColleçtiV”, accompagné par
de la terre. C’est simple, basique The Scientists et des BOB première souvent somptueux, riches à Mal Troon (guitare), Matt Millership
époque. Embarqué dans l’aventure (claviers), Gavin Jay (basse) et
depuis 1996, le guitariste Charlie Andy Marvell (batterie), il poursuit
Owen brille sur une version country la création d’un univers toujours
simplifiée d’une chanson de Warren très rock mais essentiellement
Zevon, “My Shits Fucked Up”. sombre, ce que souligne une photo
Spencer P Jones, quant à lui, a au verso de la pochette : musiciens
réussi à être présent peu avant de s’interdisant de sourire, tout de noir
passer de vie à trépas pour “At The vêtus, médaillon d’argent sur col
Hospital”, son ultime enregistrement, roulé. “Sex Robot”, un riff digne
que Perkins chante avec gravité. Les d’AC/DC pour un texte stonien exécuté
Beasts enquillent ensuite avec deux avec une rage effrayante, démarre
autres relectures : “Drunk On A Train” le disque. “Out Align” procède du
des Painkillers, emmené par le beat même esprit. La participation de

et animal à souhait tout comme l’exemple de l’enchaînement “Don’t


l’étaient la reprise du “I Love Rock Settle”/ “Fool’s Game”, ou dépouillés
’N Roll” de Joan Jett ou le “Bad To comme sur la ballade irlandaise,
The Bone” de George Thorogood & “Leave A Light”. Un des meilleurs
The Destroyers. Dans la foulée, morceaux du disque, “Race To
l’amateur de refrains scandés façon The Bottom”, avec la participation
Sham 69 se précipitera sur “Party” des frères iraniens Khoshravesh,
et sur la profession de foi “You Can’t est représentatif de la nouvelle
Keep Us Down”. Produit par GGGarth direction prise par un musicien
Richardson (Red Hot Chili Peppers, qui a multiplié les invitations. Ainsi,
Rage Against The Machine, etc.), aux côtés de ses complices habituels,
cet album n’a pas d’autre prétention le pianiste Romy, le bassiste Joe
que d’être une succession de rocks Doyle et le batteur Graham Hopkins,
rapides et puissants, parfaitement de Tony Pola, et “The Torture Never sont invités aux festivités : la touche Stuart Dace (saxo) s’avère capitale.
calibrés pour vider la tête de l’auditeur Stops”, classique de Frank Zappa électro de Dunk Murphy (Sunken “I Found A Love” sonne encore plus
tout en l’envoyant au royaume revisité avec une beauté sinistre. Foalths Willi), l’accordéoniste furieux avec son chant hurlé et un
des clichés du rock’n’roll. Ni plus, “It’s All Lies” et “What The Hell Was Breanndàn Ó Beaglaoich, la chanteuse batteur en pleine crise de démence.
ni moins. Et c’est cette absence I Thinking”, poignante ritournelle de iranienne, Aida Shahghasemi, un On a parfois l’impression que, des
d’hypocrisie dans le discours qui fait Brian Hooper qu’on jurerait échappée saxo, plusieurs violonistes et Rob Stooges, une de ses premières
que Danko Jones est, certainement, de “Let It Bleed”, constituent d’autres Moose pour les arrangements influences, Jim Jones pourrait avoir
un des meilleurs groupes de scène foutus grands moments de cet album de cordes. Pas de solos, mais un gardé le chant grave d’Iggy, jusqu’au
de ces dernières années. A noter, qui panse les blessures tant bien ensemble compact et puissant sépulcral (“Meth Curch”, “Dark
une pochette réalisée par l’illustrateur que mal. La turbulente formation finit d’où surgissent progressivement Secrets”, “Going There Anyway”)
suédois Ulf Lundén qui devrait par être accusée de crimes contre des vagues sonores, offrant un écrin et un goût pour une forme d’avant-
interpeler tous les collectionneurs la décence musicale sur “Your magnifique à “Brother’s Keeper”, garde tendance bruitiste (“O Genie”).
de visuels dignes de ce nom. Honour”, qui en dit long et ferme le “Weight Of The World” ou aux Apparenté à un vaudou urbain et
✪✪✪ ban. Rempli de chansons essentielles, plus mélancoliques “Mary”, “The électrique, l’office se termine par
GEANT VERT “Still Here” ouvre pourtant, mine Closing Door” et “Who’s Gonna Be un rock’n’roll convoquant le fantôme
de rien, un nouveau chapitre sous Your Baby Now”. Une belle surprise. d’Esquerita, “Shazam”. ✪✪✪
un ciel violacé. ✪✪✪✪ ✪✪✪✪ JEAN-WILLIAM THOURY
VINCENT HANON PHILIPPE THIEYRE

076 R&F MAI 2019


Big Daddy JJ Cale Lee Fields Mekons
Wilson “Stay Around”
BECAUSE
“It Rains Love”
BIG CROWN/ DIFFER-ANT
“Deserted”
GLITTERBEAT/ DIFFER-ANT
“Deep In My Soul”
RUF
Même mort, JJ Cale ne change Avec Lee, le terme à l’ancienne Punks estampillés 1977, dont le
Bien qu’originaire de Caroline pas. Sa production sonne toujours prend tout son sens : 50 ans de premier single est sorti en 1978,
du Nord, Big Daddy Wilson découvre pareil et c’est toujours aussi bon. carrière, une discographie qui débute les Mekons, de Leeds, ont, malgré
le blues en Allemagne où il est Ces quinze titres ont été choisis par en 1969 mais une notoriété tardive à de nombreuses variations stylistiques,
militaire. Auteur, compositeur, sa veuve et comparse musicale, l’instar de ses regrettés pairs Charles toujours conservé l’esprit du
chanteur, guitariste, percussionniste Christine Lakeland, dans ses archives. Bradley et Sharon Jones. Avec cet mouvement. En quatre décennies,
(il se produit parfois assis derrière une Chansons mixées, terminées mais album produit par le New-Yorkais ils n’ont jamais cessé d’avoir une
batterie rudimentaire), il enregistre conservées pour plus tard — chaque Leon Michels, on plonge dans un approche décapante et ironique, avec
pour des labels continentaux, nouvel album comprenait toujours monde disparu, celui de la soul une morgue qui sied si bien aux
Crossroads (Hongrie), DixieFrog au moins un ancien morceau — ou originelle faite de sueur, de larmes musiciens britanniques qu’il s’agisse
(France) et Ruf (Allemagne). Il prépare maquettes réalisées seul chez lui, et de virtuosité aussi bien vocale de rock’n’roll, (“The Mekons
“Deep In My Soul” à Memphis puis la qualité est impressionnante. Cale qu’instrumentale. Dès les premières Rock’N’Roll”), ou de country (“Fear
à Stantonville, le finalise au studio trimballe cette image de péquenot notes de “It Rains Love”, on voit And Whiskey”) et “The Mekons Honky
Fame de Muscle Shoals, Alabama. Le vivant dans le passé... Rien n’est plus apparaître les fantômes des soulmen Tonkin’ ”. Après pas mal de turn-over,
choix d’un lieu popularisé par Arthur faux. Il utilisait les techniques sixties, même si le son n’est en rien Dick Taylor, le guitariste des Pretty
Alexander, Etta James, Wilson Pickett modernes (enregistrement numérique, revivaliste. Les claviers synthétiques Things, a ainsi contribué à plusieurs
et tant d’autres indique une volonté synthés, boîtes à rythmes, pédales sont en harmonie avec la section albums entre 1985 et 1989, le groupe
de sonner soul. La supervision des d’effet, etc.) pour créer une musique rythmique organique, et les cuivres s’est stabilisé autour d’un noyau
séances est confiée à Jim Gaines. intemporelle. Comme quoi, les ajoutent une note de chaleur à ce formé par les chanteurs Tom
Ingénieur à Memphis devenu fétichistes collectionnant les guitares cocktail enivrant. Moins démonstratif Greenhalgh et Sally Timms, le
producteur, celui-ci a réalisé des vintage, rachetant la console des que Charles Bradley, Lee a une voix guitariste chanteur Jon Langford, la
Beatles ou le magnéto de Spector violoniste Susie Honeyman, l’ancien
ont peut-être tort. Tout est dans le jeu, batteur de The Rumour, Steve
le feeling, le groove. JJ Cale avait tout Goulding, Rico Bell (claviers,
ça. Et quel guitariste ! Acoustiques accordéon), auxquels s’est adjoint
sublimes, électriques à se pâmer, le producteur et bassiste Dave
banjo, guitare espagnole : tout ce qu’il Trumfio. Enregistré en cinq jours
touchait se transformait en diamant de quasi improvisation dans un désert
brut. Qu’il ne polissait pas. Exprès. près de Joshua Tree, “Deserted”,
Le résultat est moelleux, tellement leur vingt-deuxième album, loin
agréable à écouter. Personne d’autre d’être une jam invertébrée, rassemble
ne sait faire ça. Il faut écouter “Tell neuf chansons inspirées par
Daddy”, avec Jimmy Karstein, son l’environnement (“In The Desert”),
exceptionnel batteur, et le Steinway par les tribulations de Rimbaud

centaines d’albums entre autres pour qui fait parfois penser à Clarence Reid.
Santana, Stevie Ray Vaughan, John Pas la peine de chercher un featuring
Lee Hooker, Mike Harrison, George rapologique ou un remix électro dans
Thorogood... Big Daddy Soul sonne cette collection au format vinyle
donc plus électrique et plus cuivré (36 minutes, 10 morceaux), pourtant
que jamais. La réussite du disque on évite le passéisme au profit d’une
repose en partie sur la participation version parallèle de la musique noire
de Laura Chavez, guitariste du troisième millénaire, sans l’apport
californienne tant appréciée au côté des machines et du rap. Respecté
de feue Candye Kane. La batterie (et samplé) par la scène hip-hop
est confiée à un expert, Steve Potts contemporaine (Travis Scott,
qui, comme son cousin, Al Jackson Jr, J Cole, A$ap Rocky, J Dilla, Jeremih,
a fait partie des MG’s. Question Slum Village), Lee Fields est pour
références, on atteint des sommets. au milieu du salon : le tempo jazzy la cinquième fois accompagné des en Ethiopie (“Harar 1883”), par une
Wilson, parfait pour le blues (“Crazy est parfois tellement loose, qu’on croit Expressions, un solide backing band. étrange vision berlinoise (“Weimar
World”) et la soul sudiste (“Mississippi que tout va se déliter... Magnifique. Beaucoup plus convaincant dans ce Vending Machine/ Priest”) ou par
Me”) aborde sans difficultés le rock Sur “If We Try”, seul à la guitare style soul vintage que quand il joue le space rock (“Into The Sun/ The
(“Ain’t Got No Money”), le funk sèche, on entend même la chaise les utilités dans la dance music Galaxy Explodes”). Leur formidable
(“Tripping On You”), le boogie cool grincer. Comme dit Christine contemporaine (il fut le vocaliste énergie, qui ne s’est jamais démentie,
(“I Got Plenty”), le gospel (bref Lakeland, il aimait enregistrer dans invité par Martin Solveig en 2005 sous-tend aussi bien des morceaux
“Couldn’t Keep It To Myself” en la cuisine, après avoir coupé le frigo. sur le single “Jealousy”), Lee Fields punk rock, (“Lawrence Of California”,
guise de conclusion). Sous un angle OK, parfois il oubliait de rebrancher n’est plus Little JB (son surnom de “Mirage”) que folk rock, dominante
parfois original (“Redhead Stepchild”, le frigo. Mais ça en valait la peine. jadis) mais un artiste de talent, héritier renforcée par la présence d’un violon
“Voodoo” et sa wah-wah), comme C’est le prix à payer quand on vit d’un âge d’or de la soul music que cet évoquant tour à tour les Pogues (“How
tout bluesman qui se respecte, il avec un génie... ✪✪✪✪ alchimiste à la superbe voix est prêt Many Stars”) ou Fairport Convention,
chante surtout l’amour, qu’il soit STAN CUESTA à faire renaître. ✪✪✪ mais sans les imiter. ✪✪✪✪
heureux (“I Know”, brillant) ou OLIVIER CACHIN PHILIPPE THIEYRE
non (“I’m Walking”). ✪✪✪✪
JEAN-WILLIAM THOURY

MAI 2019 R&F 077


Disques français
Jean-Emmanuel Little
Deluxe & Friends Green Fairy
“Rouen Dreams” “A Thousand Endless Nights”
MARTYRS OF POP/ MODULOR CLOSER

Cet homme-là, s’il avait à montrer Il s’en passe de belles dans


son curriculum vitae lors d’une l’Hérault. A Sète, Little Green Fairy
quelconque embauche, ferait tomber fait du bon bruit contre le silence
la mâchoire de n’importe quel DRH : depuis l’an 2000. En cinq albums
découvreur de talents (April March), de garage rock psychédélique, le
patron de label (Martyrs Of Pop) groupe que Lucas Trouble qualifiait
écrivain essayiste en musicologie de “punk rock lumineux et excitant
singulière (“Beach Boys”, “Filles de troubadours charismatiques”
De La Pop”, “Bubblegum & Sunshine s’impose comme une redoutable
Pop”) ; Jean-Emmanuel Deluxe, esprit formation rock’n’roll de la France
libre, est partout, sur tous les fronts, souterraine. Enregistré, mixé et
en perpétuelle ébullition, à l’instar masterisé par Jim Diamond,
de son album “Rouen Dreams” ex-bassiste des Dirtbombs qui
qu’il décrit comme “une sorte de insuffle ici le son de ses meilleures
plongée initiatique qui nous parle productions (White Stripes,
de Hollywood vu des yeux d’un Fleshtones), “A Thousand Endless
Français”. Un rêve éveillé qui Nights” n’a rien à envier à certaines
manquerait de sel s’il n’y glissait, productions de Detroit ou Sydney.
de temps à autre, une mornifle Passée de la batterie à la basse,
ou deux aux narcisses du Net Clarisse forme avec Alain une section
rythmique efficace et Marco, à la
guitare, n’est pas manchot, ce qui
n’est pas le cas de Rauky qui chante
mieux que jamais et joue de la guitare
avec un bras, mais aussi du synthé
(et officie, par ailleurs, dans Velvet
Powder et Sonic Assassin). La force
exercée se révèle impressionnante,
et “Toxic Boys, Toxic Girls” propulse
direct dans une course contre
la montre. D’autres chansons
fichtrement gaulées comme “Down
To Kill Again” ou l’ensorcelant

autoproclamés vedettes (“Comme


Une Vidéo Star”). Deluxe, épaulé par
Kevin Coral, rétorquent avec ce qui
pourrait donner suite à “L’Introduction
Pataphysique” du deuxième Soft
Machine). Enthousiaste par désespoir,
Jean-Emmanuel nous fait grâce d’un
grand tour dans son manège à
l’enchantement perpétuel, flanqué
de ses fidèles de cœur : Helena
Noguerra, Bertrand Burgalat, Sean
O’Hagan des High Llamas, Kevin
Coral, Misawa Masanori, le multi-
instrumentiste Olivier Collet, Werner “Garden Of The Lost Souls” (avec son
Diermaier de Faust, le dessinateur orgue acidulé qui renvoie aux Visitors
Bart Johnson — le dessinateur de Deniz Tek et Pip Hoyle), viennent
singulier — et la créatrice parisienne ensuite pimenter l’apéro. L’influence
Fifi Chachnil ; tous enluminent l’album de la nébuleuse Radio Birdman et
du solitaire rouennais, lequel — ce Celibate Rifles se fait sentir... Little
n’est pas commun — adapte ici et Green Fairy, néanmoins, a gardé le
par deux fois les chansons de Gilbert meilleur pour la fin avec “Trying To
O Sullivan (“Me Voila Seul Encore Get Back To You”, en compagnie
Une Fois”, “Claire”). Pour qui préfère de Tony Truant, qui habite le
l’artisanat à l’industrie lourde, “Rouen voisinage. Little Green Fairy crée
Dreams” rappelle aux productions un impressionnant magma sonore
Shimmy Disc de Kramer, à avec une bonne dose de larsens
l’éclatement baroque de R. Stevie et un peu d’absinthe sur le sucre,
Moore. Un album d’un vivant pour petite fée verte qui en fait voir
les vivants. ✪✪✪✪ de toutes les couleurs. ✪✪✪
SAMUEL RAMON VINCENT HANON

078 R&F MAI 2019


Biche Papooz
“La Nuit Des Perséides” “Night Sketches”
MASONIC HALF AWAKE

C’est parce qu’il a aménagé son C’est l’année prochaine qu’on


studio dans une forêt des Yvelines fêtera dignement, il faut l’espérer
que Biche a opté pour ce doux nom (en le proposant dans une autre
de cervidé. Une description ? Le pochette par exemple), les vingt ans
groupe d’Alexis Fugain (oui, le fils de “United”, le premier album de
de l’exigeant frontman du Big Bazar) Phoenix, un des quinze meilleurs
évoque avec bonheur beaucoup de enregistrés par des représentants
belles choses récemment sorties de la pop française depuis... toujours.
ici : Dorian Pimpernel, Julien Gasc, Dire que ces Versaillais ont ouvert
Melody’s Echo Chamber, Forever la voie est une litote et ce n’est
Pavot, Aquaserge, Laure Briard, certainement pas Papooz qui
Barbagallo, etc., c’est-à-dire la petite contredira. Dès “Green Juice” en
bande de musiciens qui tente de faire 2016, on a compris qu’Ulysse Cottin
émerger une pop aventureuse et et Armand Penicaut n’avaient pas
harmoniquement ambitieuse au pays dû être insensibles aux charmes
de Trois Cafés Gourmands. Dès le titre des compos les mieux troussées des
d’ouverture, “Le Déclin”, l’orgue, les quatre musiciens des Yvelines qui
beaux synthés, la batterie feutrée font désormais carrière en rivalisant
et la basse façon Herbie Flowers avec les étoiles qu’ils ont, brièvement,
viennent caresser l’oreille. Les pistées. Comme eux, les deux de
neuf compositions, assez concises Papooz ont sauté dans la marmite
de la musique des années 70 et 80
et ont volontiers accepté que le
couvercle leur tombe sur la tête,
le temps de s’imbiber d’influences
kaléidoscopiques, plus pop que
rock donc. A peine raffinées, elles
transpirent de ce deuxième album
plus chiadé que son prédécesseur.
Le communiqué envoyé avec le disque
mentionne Steely Dan mais, en vérité,
la liste des références qui sautent aux
oreilles est sans fin. On s’abstiendra
de les citer, préférant insister sur le

(33 minutes au total) respectent un


canevas rigoureux. Pas d’envolées
à la Soft Machine comme chez
Aquaserge, mais de petites pièces
mélodiques impeccables, baignant
dans une rêverie sophistiquée et
mélancolique. Le chant, dans un
français soutenu et mystérieux,
n’est ni trop en avant, ni trop enfoui
dans le mix. Il accompagne le voyage
sonore, où défilent avec élégance
claviers rétrofuturistes et effets
psychédéliques ouatés. Le risque ?
Que l’exercice demeure un plaisir talent de compositeurs de la paire
pour initiés, qui attirerait uniquement (“You And I”, “Theatrical State Of
les auditeurs de Kevin Ayers ou Jacco Mind”), sa manière de batifoler
Gardner (“Mon Morceau Préféré”, dans le groove (“Pacific Telephone”,
l’instrumental final, aurait pu être “Downtown Babylon”) et son talent
signé par le Hollandais). Plus de créateurs d’ambiances vintage
fédérateur, le single “Kepler, Kepler”, (“Let The Morning Come Again”,
qui groove davatange que les autres, “Undecided”). Et puis, “Night
est une porte d’entrée idéale à ce Sketches” est attachant par son
premier album. Ces persillades de apparente légèreté, son côté méthode
Biche sont tout à fait délicieuses. Coué qui donne envie de danser le
✪✪✪✪ jerk sur un nuage alors que ça grouille
BASILE FARKAS vilain en bas. Une chose encore :
un coup de chapeau à l’illustratrice
de la pochette, Victoria Lafaurie qui,
en 2019, maîtrise l’art de croquer
un Fairlight CMI. ✪✪✪
JEROME SOLIGNY

MAI 2019 R&F 079


Réédition du mois

Les musiciens ne sont pas toujours les meilleurs


juges de leurs œuvres, et “Flamingo”, qui sort en
1970, sans être révolutionnaire, reste un bon
disque de rock cru, dénudé et basique. “Headin’
For The Texas Border” ou “Gonna Rock Tonite”
brillent par une forme d’élégance réfractaire à
toutes les modes : ces gens avaient la flamme.
Ce qui leur manquait juste, c’était de grandes
compositions, comme le montrent, une fois de
plus, des reprises de classiques du répertoire
fifties (“Keep A Knockin’ ” de Little Richard).
Ailleurs, des titres comme “She’s Falling Appart”
témoignent d’une amélioration du songwriting,
mais il reste bien difficile de trouver un tube en
puissance, un classique, sur ce deuxième album,
qui obtient pourtant des bonnes critiques, et est
vanté par Lenny Kaye (monsieur “Nuggets”) en
personne tandis que, chez Rolling Stone, un
dénommé Ed Ward certifie que “ces gars font
ce que les Stones tentent de faire, en plus dur”.
Aucun single n’est extrait de l’album, et les
ventes sont minables. Le moral des troupes
est au plus bas, mais Kama Sutra donne son
accord pour l’enregistrement d’un nouvel album.
Album qui sera le chef-d’œuvre des Flamin
Groovies première mouture. En janvier 1971, le
groupe attaque les séances de “Teenage Head”,
titre volé à l’érotomane amateur de jeunes
filles Kim Fowley. Stylistiquement, “Teenage
Une forme d’élégance Head” change de cap : dès l’ouverture, “High
Flyin’Baby” et ses guitares slide, la comparaison

réfractaire à toutes les modes avec les Rolling Stones de “Beggars Banquet”
et de “Let It Bleed” s’impose (la légende
voudrait que Mick Jagger en personne ait dit :
“avec “Teenage Head”, les Flamin’ Groovies
Flamin’ Groovies faisaient du Stones mieux que nous”), tandis
qu’au micro, Loney sonne presque comme un
“GONNA ROCK TONITE! — THE COMPLETE RECORDINGS 1969-71” Lux Interior avant l’heure, en particulier sur le
virulent “Evil Hearted Ada”. “Teenage Head”
Grapefruit (Import Gibert Joseph)
est une merveille, comprenant encore quelques
reprises, dont une véritablement phénoménale
C’est l’histoire d’un groupe apparu au sentirent à leur place que lorsqu’ils jouèrent avec du “Have You Seen My Baby?” de Randy
mauvais moment et au mauvais endroit, les Stooges et les MC5 à Detroit. “Supersnazz”, Newman. Mais, ailleurs, les compositions
comptant de surcroit en son sein deux leaders selon les propres aveux du groupe, était trop maison brillent par leur beauté : “City Lights”,
peu faits pour s’entendre. Lorsque le groupe éclectique, trop léché (enregistré à Los Angeles, “Teenage Head” ou le monstrueux “Whiskey
sortait en 1969, un an après le EP “Sneakers”, il bénéficia même de quelques interventions Woman”, lennonien en diable, sont enfin les
son premier album “Supersnazz”, ce n’est rien de de Jack Nitzsche en personne et incluait des grands classiques que tout le monde attendait,
dire qu’il semblait en décalage avec son temps. cordes et des cuivres), et trop ouvertement rétro d’autant que le disque sonne à merveille,
Les Groovies, menés par Roy Loney et Cyril pour — on y trouve même un titre dans un genre presqu’aussi bien que “Beggars Banquet”.
Jordan, venaient de la région de San Francisco Dixieland, “Bam Balam” — pour coller à son Un morceau repris à Robert Johnson (“32-20”)
qui fut, deux ans plus tôt, la grande Mecque époque. Repérés par un journaliste new-yorkais, accentue la comparaison avec les Stones.
hippie. Au programme, des stars locales pour les Groovies se retrouvent signés chez Kama Mais, malgré ces similitudes évidentes, les
lesquelles ils ont souvent fait des premières Sutra et préparent leur deuxième album, qu’ils Groovies gardent leur propre style. Un style
parties (Quicksilver Messenger Service, souhaitent nettement plus dur et qu’ils diront qui s’arrêtera là, à l’exception notable de “Slow
Grateful Dead, etc.), des solos de guitare plus tard “influencé par la scène de Detroit” Death” (1972), lorsque Roy Loney aura quitté
interminables au service d’une musique qu’ils adoraient. Le but est de sonner le plus live le groupe pour être remplacé par l’obsédé des
trippante. Avec “Supersnazz”, les Groovies possible, et même si “Flamingo” est enregistré Byrds et des Beatles Chris Wilson, ce qui
faisaient exactement ce qu’il ne fallait pas faire à San Francisco, le ton, et en particulier le débouchera sur d’autres choses formidables
et publiaient un premier album ouvertement son des guitares, devient plus sauvage, tout (“Shake Some Action”, “Jumpin’ In The
nostalgique, rendant hommage au rock’n’roll en restant puriste. C’est le début timide d’une Night”)... Mais ce sera alors un autre groupe
fifties que Loney chérissait (“The Girl Can’t Help légende qui durera des années et qui auréolera et une autre histoire. Ce coffret peu coûteux
It”, “Somethin’ Else”, “Rockin’ Pneumonia And le groupe d’un culte certes restreint mais (dans les 25 €) réunit donc les trois albums
The Boogie Woogie Flu”), au grand dam de son tenace (Miriam Linna, première batteuse des de la période dite américaine du groupe,
collègue Cyril Jordan qui préférait nettement Cramps, sera une fan inconditionnelle et soit un chef-d’œuvre et deux bons albums.
les singles et albums de l’invasion britannique. les Groovies bénéficieront régulièrement du Le mastering est appréciable, en particulier
En un sens, les Groovies étaient aussi soutien inconditionnel du magazine Creem). pour “Supersnazz” et “Flamingo”, qui avaient
anachroniques que Creedence Clearwater Mais, musicalement parlant, “Flamingo” donne été jusqu’ici souvent réédités en CD dans
Revival, mais ils n’avaient chez eux aucun toujours dans un genre rock’n’roll très classique des versions épouvantables. Avec plusieurs
compositeur à la John Fogerty pour écrire des (un peu à la manière du “Back In The USA” des bonus pour chaque disque, c’est un rapport
tubes à la pelle. En conséquence de quoi, ils se MC5), et Cyril Jordan le déteste : “Pour moi, qualité-prix hautement recommandable.
mirent à dos la scène locale, étaient détestés par c’est le plus mauvais de tous nos albums”,
le promoteur roi des hippies Bill Graham et ne se dit-il dans les notes de pochette de ce coffret. NICOLAS UNGEMUTH

080 R&F MAI 2019


Rééditions PAR NICOLAS UNGEMUTH

Du joli jaune initial au pourpre le plus vilain


The Fall (probablement l’homme qui a le mieux
compris comment The Fall souhaitait
“BEND SINISTER/ sonner), ressort en version double CD,
THE DOMESDAY PAY-OFF — PLUS” enrichi de plusieurs inédits, remixes et
Beggars Banquet/ Arkive
autres raretés. Les dingues du groupe
Comme son nom l’indique, “Bend (il n’y a pas de demi-mesure avec
Sinister” neuvième album de The Fall, The Fall : on déteste ou on adore)
sorti en 1986, soit un an après le peuvent investir sans problème...
classique “This Nation’s Saving Grace”,
n’est pas le plus gai de la discographie
déjà naturellement très misanthrope de
Mark E Smith. Le groupe y est pourtant
Generation X
“GENERATION X DELUXE EDITION”
en grande forme et les chœurs sexy de Chrysalis (Import Gibert Joseph)
Brix (madame Smith dans le civil, le
temps qu’elle le supporte, quelques Et voici que cette petite merveille
années tout de même) font parfois ressort dans une belle version (à
sonner tout cela comme une version l’exception de la pochette qui, on ne
violemment nihiliste des B-52’s, en sait trop pourquoi, a viré du joli jaune
mode mancunien. C’est en fait une initial au pourpre le plus vilain)...
période de transition pour The Fall, Dans le punk anglais, c’est une sorte
moins extrémiste qu’avant, mais moins d’anomalie : un premier album
accessible qu’ensuite. Il y a des guitares débordant de joie (à deux ou trois
qui évoquent le Velvet Underground, exceptions près), hymne à la vitalité
des basses qui sonnent comme Joy et la jeunesse, gavé de compositions
Division ou New Order, et des mélodies hyper mélodiques et de furies pop
presque pop, si tant est que ce mot ait envoyées à fond la caisse et chantées
une quelconque signification pour ce par un Billy Idol en grande forme vocale.
groupe anormal (“Shoulder Pads 1”). Il y a les perles joviales (“The Invisible
Plus loin, une reprise explosive du Man”, ”Day By Day”, “One Hundred
New Order meilleur morceau de New Order,
“Ceremony”, sorti uniquement en
classique garage US “Mr Pharmacist”
(The Other Half) tombe à point nommé
Punks”, “Wild Youth”, “Kleenex”,
“Listen”, “Ready Steady Go”), et les
“MOVEMENT (DEFINITIVE EDITION)”
Rhino/ Warner single, est un morceau de Joy Division pour rappeler qu’en 1986, The Fall morceaux plus graves, comme “Kiss
(Sumner la chante d’ailleurs mieux que n’entend certainement pas sonner Me Deadly”, “Youth Youth Youth” ou le
C’est entendu, le premier album de Curtis s’obstinant à naviguer dans des comme Simple Minds ou Cure. grandiose “Promises Promises”, dans
New Order est raté. Mais la clémence tonalités trop graves pour sa voix sur Cet album, l’un des meilleurs lequel Idol prévoit la récupération du
est de rigueur et le pardon s’impose : la partie live du posthume “Still”). d’une discographie grosse comme le punk (“Soon you’ll get your gear from
d’abord, secoué par le suicide de son Il n’y a rien à dire, c’est une perfection code pénal, et le troisième d’affilée Marks & Sparks, Punk’ll take on Top of
chanteur, les survivants de Joy Division absolue qu’on pourrait écouter cent fois produit par l’excellent John Leckie The Pops, think you’re having a real
ont eu la dignité de changer de nom de suite. Le contenu de “Movement”,
(contrairement aux Who, par exemple, lui, peine à briller, à l’exception du
qui continuent de tourner sous cet morceau d’introduction, “Dreams Never
intitulé alors que 50% du groupe a End” ou, en single, les merveilleux
disparu, c’est un peu comme si Paul “Temptation” et “Everything’s Gone
McCartney et Ringo Starr lançaient Green”, qui annoncent un genre très
une tournée des Beatles). Un nom par précis que le groupe développera plus
ailleurs aussi provocateur et référencé tard et qui sera largement copié par
que le précédent. Ensuite, il a fallu Cure. Le disque ressort dans une
que Bernard Sumner apprenne non version délirante accumulant bonus,
seulement à chanter, mais à chanter DVD, inédits, etc. A plus de 100 €,
tout en jouant de la guitare sur scène. c’est évidemment un objet réservé
Puis, il a fallu composer, en état de aux fanatiques absolus de cet album
choc, sans pouvoir compter sur le grand pourtant bancal et sérieusement
songwriter et parolier qu’était Ian Curtis sinistre — la mort semble planer
(que dire d’un homme qui commence sur chaque chanson —, la version
une chanson avec la phrase suivante : “Collector’s Edition” sortie il y a
“When routine bites hard and ambitions quelques années, contenant l’album
are low” ?). Le premier album de New parfaitement remasterisé sur un CD,
Order, avec sa pochette superbe sonne et les singles “Ceremony”, “In A
donc, on peut le comprendre, comme Lonely Place”, “Everything’s Gone
du sous Joy Division, et est une fois de Green” (en réalité, les singles des
plus produit par le fidèle et génial Martin débuts de New Order sont tout
Hannett. Sumner tente d’imiter Curtis simplement meilleurs que tout ce
(il y parvient assez bien), et les qui est sur “Movement”), etc. sur
morceaux s’inscrivent dans la suite un autre, suffiront amplement
logique de “Closer”, en particulier à l’amateur lambda.
“Doubts Even Here”. A l’époque, le

MAI 2019 R&F 081


cool time? Watch out kid, you’re next
in line!”), ce qui est assez amusant
Where The Girls Are
lorsqu’on connaît la suite de sa carrière.
“VOLUME TEN”
Ace (Import Gibert Joseph)
La batterie de Mark Laff, déchaînée, et
les guitares délirantes du génial Bob A l’origine il y eut, en 1984, une
Derwood Andrews (voir ses solos compilation en vinyle intitulée
maniaques sur “Promises Promises” et “Where The Girls Are”, conçue par
“Youth Youth Youth”) accompagnent à Mick Patrick et Ady Coasdell, DJ soul
merveille un songwriting nickel, le tout et northern soul recruté par les Jam
étant produit à merveille par Martin sur leur dernière tournée baptisée
Rushent (Stranglers, Buzzcocks...). Ce “Trans Global Express Tour”... Puis,
classique méprisé à sa sortie a droit, plus en 1997, Ace décida de se lancer dans
de quarante ans après, au traitement une authentique série consacrée aux
royal, avec plein de bonus (comme girl groups américains (l’excellente
l’amusant “Wild Dub” et le single génial collection “Here Come The Girls” se
“Your Generation” daté de 1977, absent concentrant, elle, en parallèle, sur les
de l’album) plus ou moins connus des filles anglaises des sixties). Vingt-deux
fans, mais aussi des choses totalement ans plus tard débarque le dixième
inédites (dont des mixes différents, volume de cette collection qui a toujours
parfois très intéressants). Valable, été uniformément excellente. Ce sera le
d’autant que l’unique version CD décente dernier. En tout, Ace aura donc aligné
de cette petite bombe était un import près de 300 titres, souvent très rares,
japonais sorti il y a des lustres. de girl groups méconnus, à tort.

082 R&F MAI 2019


“Where The Girls Are — Volume Ten” d’inventivité avec Lee Scratch Perry.
achève l’histoire en beauté et aligne Plusieurs morceaux ici assemblent
une suite de merveilles (dont le très Tubby avec Tommy McCook ou
spectorien “And That Reminds Me Prince Jammy, toujours accompagnés
Of You” de Janie Grant) toujours des Aggrovators : c’est un feu
interprétées par d’obscures chanteuses d’artifice de sonorités martiennes
(à l’exception d’un titre de Reparata et d’effets délirants.
& The Delrons et d’un autre des
Shirelles) : les Bronzettes, les
Delicates, les Teardrops, les Fran-
Cettes, Tary Stevens, les Beas, les
Tear Gas
Vareeations etc., avec, comme à
“TEAR GAS”
Esoteric (Import Gibert Joseph)
chaque fois chez Ace, un mastering
exceptionnel. Merci pour tout, les gars... Pour les amateurs de raretés
à tendance heavy britannique,
signalons la réédition du second
Bunny Lee album du groupe écossais Tear Gas
(gaz lacrymo, il fallait y penser), sous
“DREADS ENTER THE GATES WITH forte influence Led Zeppelin, avec
PRAISE — THE MIGHTY STRIKER beaucoup de guitares et un chanteur
SHOOTS THE HITS!” assez bon, plus proche de Paul Rodgers
Soul Jazz/ PIAS
que de Robert Plant. Sorti en 1971
Après s’être longtemps consacré après un changement de personnel
aux productions Studio One, Soul et de nom (à l’origine, le groupe avait
Jazz frappe fort en lançant le premier opté pour un patronyme tout aussi
volume d’une collection dédiée aux déroutant : Mustard), “Tear Gas”,
travaux de Bunny Lee. Mercenaire sans briller par son originalité, envoie
de la musique jamaïcaine ayant
d’abord travaillé pour Duke Reid et
Sir Coxsone, il est ensuite allé vendre
ses productions en Angleterre aux
labels locaux Trojan et Pama avant de
devenir un producteur réputé, le seul
ne possédant pas son propre studio,
mais allant enregistrer dans ceux
des uns et des autres en fonction
du son qu’il avait en tête. Ses tubes
sortaient en singles avec, en face B,
des versions aussi appréciées et
recherchées que les faces A.
On retrouve ici des enregistrements
datant du début au milieu des
seventies réunissant Johnny Clarke,
Prince Jazzbo, The Uniques (énorme son rock lourd avec plein de solos
“Queen Majesty”) ou Dillinger, mais de Les Paul. Les fans du genre
c’est avec King Tubby et le groupe devraient apprécier. Dommage que le
qu’il avait formé, les Aggrovators, label Esoteric ne soigne pas vraiment
réunissant pour la première fois Sly ses masterisations : ça sature grave,
Dunbar et Robbie Shakespeare, qu’il surtout au casque, ce qui, dans le
enregistra certaines des plus grandes fond, n’est pas trop problématique
merveilles dub, Tubby et Lee rivalisant pour ce genre de musique. ❏

MAI 2019 R&F 083


Réhab’ PAR BENOIT SABATIER

Ignorés ou injuriés à leur sortie, certains


albums méritent une bonne réhabilitation.
Méconnus au bataillon ?
Place à la défense.

Le moustachu est contrarié

Giorgio Moroder
..
“EINZELGANGER”
Oasis/ Casablanca

ENTRE 1974 ET 1981, KRAFTWERK LEVITE : que des albums mais aussi un Farfisa, plein de vocoder, des effets sur la voix, des effets
indis-pensables. S’il ne faut en retenir qu’un ? “Trans-Europe Express” ? partout, je mettais un filtre dans les staccatos, le timing, j’inventais plein
“The Man-Machine” ? “Autobahn” ? Et pourquoi pas plutôt “Einzelgänger” ? de trucs, des idées techniques complètement barrées.” A l’origine de cet album
Oups, non : “Einzelgänger” n’est pas un disque signé Kraftwerk. stupéfiant, Neil Bogart, le patron de Casablanca Records, pour qui Giorgio
Malgré toutes les similitudes, Ralf et Florian n’en sont pas les auteurs. enregistre. “Neil m’a dit : ‘Giorgio, tu vas faire simultanément trois
C’est Giorgio Moroder qui l’a intégralement composé. albums. Un disco, pour Donna. Un rock, pour Schloss. Et pour le troisième,
Pour beaucoup de rockers, Moroder un disque à toi, non-commercial,
est pire qu’un traître : un virus. En po- électronique, expérimental.’ Alors, en
pularisant la disco avec Donna Summer, même temps que ‘Love To Love You
il a foutu un ver dans la pomme, ouvert Baby’ et ‘Weltschmerz’, j’ai enregistré
les vannes à tous les outrages et per- ‘Einzelgänger’ — c’est le titre de
versions, défiguré à jamais la musique l’album, pas un pseudo : on n’a pas mis
populaire. Les défenseurs les plus mon nom sur le recto, mais c’est bien
radicaux de Bob Seger (ou Lynyrd un disque signé Moroder, de A à Z.”
Skynyrd) ont beau avoir organisé un Effectivement, au verso, les crédits sont
autodafé à Chicago, faisant exploser clairs : composition, instruments,
au milieu d’un stade de baseball en production, design, tout est exécuté par
juillet 1979 des caisses de vinyles une seule personne, Giorgio Moroder.
délictueux (une Disco Demolition Night Le titre souligne cette omnipotence :
qui lancera la campagne Disco Sucks), en allemand, einzelgänger signifie solitai-
la disco s’est infiltrée partout, des re, s’opposant au terme doppelgänger
Rolling Stones à Daft Punk. Certains qui, lui, désigne un sosie, un double
artistes, comme Chic, n’en ont pas été maléfique. Seul avec lui-même, cloîtré
stigmatisés à vie ; c’est Moroder qui a tout le mois de novembre 1974 dans son
servi de bouc émissaire. Car, en plus studio munichois (Musicland), l’homme-
d’avoir répandu la disco à grande machine crée ces morceaux sublimes,
échelle avec Summer et autres inter- futuristes, moitié malades, moitié par-
prètes, il a fait virer leur cuti à de faits — les plus fascinants : “Good Old
nombreuses popstars — son travail Germany”, “Einzelgänger”, “Liebes
avec Blondie, Sparks, Japan, Phil Arie”, “Warum”. Un album largement
Oakey, David Bowie, Nina Hagen, au niveau de “Radio-Activity”, qui n’a
Sigue Sigue Sputnik. Quant à ses pas encore été enregistré. Kraftwerk
disques solos, les mentionner, c’est les vient de sortir “Autobahn” : vouliez-
exposer sur le champ à un nouvel auto- vous, Giorgio, comme “Sgt. Pepper”
dafé. Que son album “From Here To Eternity” ou sa BO de “Midnight vis-à-vis de “Pet Sounds”, surpasser vos voisins de Düsseldorf ? Le mousta-
Express” soient grandioses, qu’il ait composé des morceaux aussi fantas- chu est contrarié : “Il régnait un esprit de compétition, et Kraftwerk avait
tiques que “In Love With Love”, “Valley Of The Dolls”, “Opening Title décroché un hit avant moi aux Etats-Unis — ‘Autobahn’ a très bien marché
(Scarface)”, “If You Weren’t Afraid”, rien n’y a fait : pour une majorité de là-bas, juste avant ‘Love To Love You Baby’. A cette époque, ils viennent de
Photo Michael Ochs Archives/ Getty Images

zélateurs de la guitare, Giorgio, c’est une blennorragie. découvrir le Moog, mais il y a une recherche de simplicité dans leurs morceaux,
Il a pourtant commencé dans le rock. Bassiste de Johnny Hallyday au début de formatage, la volonté d’éprouver une formule. Moi, avec ‘Einzelgänger’,
des années 60, il entame une carrière solo en 1966, dans un rayon sous- j’essayais plein de sons bizarres, je voulais façonner quelque chose de vraiment
Beach Boys, bubblegum, avec déjà quelques sommets — “Sally Don’t You inédit.” “Einzelgänger” est commercialisé une première fois en mars 1975,
Cry” (1970), sorte d’inédit de Sagittarius, ou “Stop”, à la hauteur d’un passant complètement inaperçu. Et puis “Love To Love You Baby” cartonne
Billy Nicholls en grande forme. Et puis, il se paye un Moog : à partir de durant l’été, alors le disque ressort... provoquant toujours l’indifférence.
l’album “Son Of My Father” (1972), le moustachu gave sa pop de synthé. Même pas explosé au milieu d’un stade. La dynamite, c’est l’album lui-même :
Il l’a raconté : “Je me suis de plus en plus consacré aux machines. un model. ★
‘Einzelgänger’ en 1975 est l’aboutissement de ce cheminement. Cet album
a été élaboré à 90% avec des synthétiseurs. Il n’y a pas seulement un Moog, Première parution : mars 1975

084 R&F MAI 2019


Vinyles PAR ERIC DELSART Hommage aux croûtenards
Rééditions, nouveautés et 45 tours : le point sur les meilleurs microsillons du moment.

20 ans quand ils ont sorti leur premier des pépites délirantes telles que “En album qui n’a rien à envier à ce qui
Rééditions album en 1970. Au croisement du hard
rock, du prog et du rock psychédélique,
Théorie” de 12°5, “Je Marche Seul”
de Minuit Boulevard ou “Spontanéité
se faisait de mieux à l’époque (et
qui mérite l’écoute ne serait-ce
Hawkwind Stray incarne à la perfection l’éphémère Zéro” des Ablettes. Dans ce contexte, pour l’intense “Sister Of Mine”).
période charnière entre ces trois le regretté Jean-Luc Taccard revient Charmante attention : l’album contient
“Hawkwind” genres. Ce disque à la fameuse évidemment plusieurs fois, avec un 45 tours du single en bonus.
Music On Vinyl
pochette à fenêtre (rééditée telle quelle Tango Luger et Lucas Trouble, tandis
Sur son premier album, sorti en 1970, ici) est un des meilleurs exemples qu’Eric Débris et ses Metal Boys ouvrent Angel
Hawkwind n’était pas encore ce cirque de heavy psych, avec des pistes le bal avec leur fameux “Colt 45”.
de freaks spécialisés dans le boogie lancinantes portées par des riffs
Corpus Christi
cosmique et les lancements de fusée. de guitare violents telles l’insur-
“The Real Angel
Déjà mené par Dave Brock et Nik Turner, passable “All In Your Mind” ou
Stumpwater Corpus Christi”
le groupe était alors une bande de la mélodique “Time Machine”.
“Motel In Saginaw” Mono-Tone
Galactic Zoo/ Drag City
hippies de Ladbroke Grove, porté Artiste excentrique qui officie au sein
sur la douze-cordes et les pistes “Thésaurus Soyons clairs : le disque que nous de la scène underground de San
planantes. Enregistré live par Dick Taylor évoquons ici tient plus de l’album Francisco depuis le début des années
des Pretty Things, ce premier album
Volume 3” exhumé que de la réédition. Il y a 80, Angel Corpus Christi est une
contient toutefois “Be Yourself”, le
“Rock/ Punk En France encore peu, Stumpwater était connu aberration. Chanteuse versée dans la
morceau qui servira de modèle pour les
1979/ 1980” des diggers de raretés folk rock des reprise déviante (toujours agrémentée
Caméléon
futures jams de l’espace et le classique années 70 pour son unique single sorti de son inamovible accordéon), elle est
des classiques “Hurry On Sundown”. Le troisième volume des compilations en 1976, le dylanesque “Watcher’s parvenue, au milieu des années 90,
“Thésaurus” du label Caméléon ne Brawl”. Il s’avère que l’un de ces fans à sortir un album sur une major (“White
Stray déçoit pas. Là où le volume 1 portait entreprenants a retrouvé la trace du Courtesy Phone”). Cette formidable
son regard sur les années 60 et le groupe (qui était toujours actif !) et est compilation retrace trente ans de
“Stray” deuxième sur la période 1977-79, le allé en Illinois se renseigner auprès méfaits, entre reprises décalées
Music On Vinyl
troisième entre de plain-pied dans le de lui pour savoir s’il avait jamais (“Femme Fatale” avec Pete Kember
Venus du même quartier de Londres post-punk le plus étrange. Pas de new- enregistré d’autres choses. C’est ainsi de Spacemen 3) et originaux (le groovy
et contemporains d’Hawkwind, wave ici, mais beaucoup de rock’n’roll qu’a été retrouvé “Motel In Saginaw”, “Sadder’”, l’électronique “Dream
les membres de Stray n’avaient pas déglingué et lo-fi. Ainsi, on découvre datant de 1973, un magnifique concept- Baby Dream” avec Alan Vega).

086 R&F MAI 2019


Un disque étonnant, à l’image de ce publié en ce début d’année son premier
“Baby Elephant Walk” qui sample véritable album solo enregistré avec
“Walk On The Wild Side” de Lou un groupe. A la fois punk et folk,
Reed pour le télescoper avec le l’approche d’Ellah A. Thaun implique
classique de Henry Mancini. des grandes doses de distorsion,
quelques bidouillages électroniques
Keith Richards et des mélodies poignantes. Celles
de “Princest”, obsédante, est la
“Talk Is Cheap” plus marquante de cet excellent
Mindless/ BMG
album de grunge moderne.
Si les années 80 ont été compliquées
pour la plupart des icônes des sixties,
celles des Rolling Stones tiennent en
un mot : brouille. A l’époque où Mick
Jagger rêvait d’une carrière solo qui le
consacrerait comme la plus grande star
45 tours
de la planète et tentait désespérément Brain Eaters
de s’accrocher aux modes, l’album solo
de Keith Richards fut accueilli par les
“Bad Girls Motorcycle
fans avec une joie teintée d’inquiétude :
Gang From Tokyo”
Fuck U
entérinait-il la fin du groupe ? Disque
rock proche de l’esthétique Stones, Routiers de la scène garage punk
“Talk Is Cheap” est un disque important parisienne, actifs depuis près de deux
dans la mythologie du groupe puisqu’il décennies, les Mangeurs De Cerveaux
a permis à Richards de faire la nique à sont rares sur disque. Ils reviennent
Jagger, incitant ce dernier à revenir après cinq ans d’absence avec un
au bercail piteusement. Trente ans magnifique 25 centimètres empli
après sa sortie, il reste néanmoins de chansons psychobilly louches
un disque marqué par une production (“Lobo Loco”), démontrant qu’ils
clinique estampillée 80 et finalement n’ont rien perdu de leur esprit fun
assez peu enthousiasmant et de leur amour du cinéma B.
dégagé de son contexte.
Carambolage
“Carambolage”
Azbin/ Howlin’ Banana

Nouveautés Agitateur des soirées nocturnes


rennaises, Carambolage est le projet
The Horsebites punk de Rémi Peltier, ex-batteur des
Madcaps et actuel batteur de Kaviar
“Shadows” Special. Accompagné par les membres
Future Folklore/ Dangerhouse Slylab
de ces formations, il propose sur son
Assemblage de personnalités de la premier EP le show synth-punk le plus
scène garage lyonnaise (on y trouve fun et débilos du moment avec des
des membres des Missing Souls et chansons qui rendent hommage aux
Buttshakers notamment), les Horsebites croûtenards (“Soupeur”) pour un
publient leur premier album chez les résultat qui évoque les groupes
tauliers de la scène locale. Fort de huit crétins de la compilation “Bingo”
morceaux explosifs, “Shadows” est une parue sur Born Bad.
redoutable collection de chanson power-
pop interprétées avec à-propos. Les New Order
guitares ici sont claires, précises (sauf
sur le final noisy, “You Gonna Teach”)
“Ceremony”,
et cisèlent un album qui évoque tantôt
“Ceremony (version 2)”,
les Scientists de Kim Salmon ou, plus
“Everythings Gone
proche de nous, les regrettés Groovers.
Green”, “Temptation”
Warner

Ellah A. Thaun En marge de la réédition de


“Movement”, les quatre singles
“Arcane Majeur” contemporains du premier album
XVIII
de New Order sont réédités en vinyle
Derrière le nom intrigant d’Ellah A. tels qu’à l’origine (au format maxi
Thaun se cache une anagramme à 30 centimètres) avec leurs magnifiques
laquelle il manque des lettres, celle de pochettes dessinées par Peter Saville.
Nathanaëlle Hauguel, musicienne On retrouve ainsi les deux versions
Photo Bruno Berbessou

versée dans l’occulte et la cartomancie. de “Ceremony” (l’originale et la


Connue pour être la moitié du duo réenregistrée) qui témoignent à
cyberpunk Valeskja Valcav et auteure merveille de la transition stylistique
du blog Teenage Transgirl Superstar entre Joy Division et New Order. ❏
qui documente sa transition, elle a

MAI 2019 R&F 087


Discographisme_19
PAR PATRICK BOUDET

On ne juge pas un livre à sa couverture. premier 45 tours de Starshooter, où les


Et un album ? Chaque mois, notre 4 musiciens courraient dans un supermarché,
les yeux masqués par une barre de censure
spécialiste retrace l’histoire visuelle — un grand classique de l’esthétique de Kiki.
d’un disque, célèbre ou non. Collectif né aux Beaux-Arts de Paris, Bazooka
pourrait résumer à lui seul le punk en France.
Dès 1975, il publie dans les colonnes
des magazines de BD adulte — Charlie
Mensuel, L’Écho Des Savanes, Métal
hurlant... — puis dans le Libération
d’avant la gentrification miterrandienne,
des œuvres où le détournement de sujets
révèle la manipulation perverse des images du
pouvoir, tout en naviguant entre fascination
et dénonciation, un véritable no future
graphique. Puis, en créant en 1978 le
générique de Chorus l’émission télé rock
d’Antoine de Caunes, le style Bazooka
devient instantanément identifiable
par tous les Français. En préambule
à l’album, Kiki conçoit la pochette du
45 tours “Toi, Moi, Nous”. Satisfait du
résultat, Kent, un peu comme Mick Jagger
avec Andy Warhol pour “Sticky Fingers”,
donne carte blanche à Kiki en lui demandant
d’éviter les représentations sordides
— pas trop la tasse de thé du chanteur.
Kiki propose alors une des toiles sur
lesquelles il est en train de travailler. Elle a
pour support une photo extraite du magazine
Life sur les expérimentations atomiques
de l’armée américaine au Nevada dans
les années 50. On y voit des scientifiques
mesurant l’impact de la déflagration nucléaire
sur des mannequins plantés dans le sol.
Leur précaution à traiter les lambeaux de
plastique est aussi glaçante que pittoresque.

“Chez Les Autres” Kiki peint à même la photo et son traitement


rend la scène paradoxalement onirique.
La représentation joyeuse de l’horreur

Starshooter révèle crûment, comme un précipité,


l’envers du décor dissimulé derrière le
mensonge du progrès technologique.
Première parution : 22 mai 1980 Cette analyse esthético-politique pourrait
tout aussi bien s’appliquer à la musique
ans la vague punk qui éclabousse somme toute, un univers assez proche de anesthésiante des yéyés, puis de la
D la France en 1976, Starshooter est
probablement le groupe le moins subversif,
celui d’Aubert et Bertignac, avec une
touche de cynisme en plus.
pop, que Starshooter stigmatisait dès
son premier single “Get Baque”.
dans ses textes comme dans sa musique, La pochette du premier album voit les Pour la pochette, Kiki a ajouté, sur la partie
mais sans aucun doute le plus pro de tous. Lyonnais bondir devant un 35 tonnes, basket gauche, une représentation de la bombe
Mené par Kent Cokenstock, chanteur et aux pieds et T-shirt colorés. Est-ce un clin portant l’ogive nucléaire, une façon de
compositeur, Starshooter apparaît comme d’œil à la grande messe quotidienne de Max renforcer le propos, mais aussi d’indiquer
la seule formation susceptible de disputer Meynier, Les Routiers Sont Sympas sur RTL que le punk était avant tout un mouvement
l’hégémonie hexagonale à Téléphone. Loin ou une affection de Kent pour les camions ? dévastateur, sociétal et corporel. Car, on peut
de la marginalité dans laquelle de nombreux Quoi qu’il en soit, ce détournement et cette aussi voir dans ces mannequins en lambeaux
groupes se sont enfermés, voire sabordés, réappropriation d’un marqueur populaire le rapport si particulier qu’aura le punk au
Starshooter signe assez rapidement chez — le camion de routier — est profondément corps, lieu de transformation (tatouage,
Pathé Marconi et sort quatre 33 tours et plus punk ! Le succès inattendu d’une des maquillage outrancier, cheveux décolorés,
d’une demi-douzaine de 45 tours, ce qui fait chansons — “Betsy Party” — propulse rasés...), de soumission (colliers de
de lui le plus prolifique des groupes français Starshooter dans les hit-parades et en fait chien, panoplie SM...) et de mutilation
de cette époque (hormis Téléphone, bien sûr). un prétendant sérieux à la couronne du rock (épingles à nourrice, scarifications...).
Sur les plateaux télé, Starshooter produit français. Emboîtant le pas de la new wave, Le peintre a également sacrifié le logo du
une image agréablement agressive, celle la pochette du deuxième album, aux allures groupe créé par Kent — Starshooter fendu
d’une bande de potes : pas de doigts de couverture de magazine féminin, saisit d’un coup de ciseau — au profit d’un lettrage
d’honneur, pas de propos insultants, les Starshoot’ prêts pour aller danser le disco made in Kiki, plus cohérent avec l’œuvre.
ni de posture de défonce avancée... au Palace. Mais les fans comme les critiques A la sortie de l’album, Libération écrira :
Bref, des mecs clean qui savent composer ne saisissent pas l’ironie de la scène, oubliant “Le nouveau Starshooter est dans un sac”,
des mélodies accrocheuses et énergiques. la qualité de l’album, toujours aussi rock. car le vinyle était vendu dans un sac
On est loin d’Asphalt Jungle, Guilty Razors Soucieux de se repositionner comme un plastique transparent décoré par le graphiste.
ou Metal Urbain, qui puisent leur mauvaise groupe moderne pour son troisième album, Avec “Crache Ton Venin” de Téléphone
humeur chez le Velvet Undergorund Kent, également auteur de BD, pense à un conçu par Jean-Baptiste Mondino et sorti
ou les Stooges, ou des classieux Bijou. ex de Bazooka, Kiki Picasso, dont il admire 6 mois avant et “Chez Les Autres”, le rock
Leurs paroles, c’est le quotidien des gamins l’humour caustique et le travail sur les français vit ses premiers grands moments
de l’époque : les soirées, les filles, la déprime couleurs. De plus, l’univers du peintre d’histoire esthétique, à défaut d’être
face à l’avenir, le monde glauque des adultes... résonne étrangement avec la pochette du révolutionnaire musicalement. ■

088 R&F MAI 2019


Qualité France PAR H.M.

Pétulance
Si certains autoproduits revendiquent
une forme de modernité, beaucoup
s’inspirent d’un passé dans lequel ils se
plongent avec délectation. Cette tendance
est significative dans la sélection des

Venu de Rennes, le duo Jolies Ce deuxième album (en quatre ans)


Letters réunit un chanteur-guitariste- de Michelle Blades a été enregistré
harmoniciste et un violoniste-guitariste pendant les pauses de la tournée
qui se sont retrouvés au sein d’un de Fishbach, où elle officie comme
quintette folk avant d’opter, en 2018, bassiste. Originaire du Panama, elle a
pour une formation resserrée et intimiste transité par le Mexique et la Floride avant
qui colle parfaitement à leur propos : de s’installer à Paris et d’y concevoir
réactiver le folk américain d’antan, ses propres chansons, en anglais.
celui qui correspond à la country De sa voix suave elle habite des ballades
old time et au bluegrass. Loin de jouer pop aériennes et parfois expérimentales
la carte des reprises, leur premier album, auxquelles sept musiciens apportent une
très vintage, se place sous le signe ampleur musicale, mais révèle qu’elle
de la recréation grâce à des compositions a d’autres cordes à son arc avec
originales, en anglais, portées par “Politic!”, une tournerie addictive dont
des voix graves et une pétulance le riff rappelle le Swinging London
instrumentale qui font mouche (“Visitor”, Midnight Special Records,
(“New Country”, Cosmosoundz, facebook.com/ MichelleBlades,
facebook.com/jolieletters). distribution L’Autre Distribution).

Depuis 2012, le Franco-Norvégien Au départ projet solo conçu par un


Moshka (basé à Nantes) fait sensation Toulonnais, Lune Apache est devenu
dans les rues et les festivals où il se en deux ans un sextette pour les besoins
produit seul avec sa guitare acoustique. de la scène et de ce premier album.
Mais il joue également en compagnie Les dix morceaux explorent une pop
de quatre autres musiciens et c’est cette nébuleuse et atmosphérique qui fait
formule, plus musclée, qu’il a choisie nettement référence à la pop psyché
pour son second disque, un sept-titres des années 60 et 70, notamment à Syd
tour à tour dépouillé et luxuriant où il Barrett et Pink Floyd. Les textes, en
s’immerge dans un blues mâtiné de folk, français, évoquent une certaine filiation
de rock et de rhythm’n’blues à cuivres. avec Etienne Daho (dont le groupe a
Sa voix puissante et le sens du groove assuré plusieurs premières parties), mais
de ses acolytes dopent ses compositions ils sont noyés dans l’écho et la reverb,
majoritairement anglophones, avec une ce qui rend ce rapprochement invérifiable,
exception encourageante en français sans rien retirer à l’impact d’une musique
(“In Dust We Trust”, Moshka, hallucinogène (“Onironautes”, Toolong
facebook.com/pg/moshkalive/events). Records, facebook.com/luneapache,
distribution Differ-Ant).

090 R&F MAI 2019


huit disques du mois (parmi quarante-six
parvenus à la rédaction), où plusieurs
groupes ne se contentent pas de remonter
au rock des années 60 ou 70 mais tentent
de renouer avec le blues ou le folk originel.

Vétéran du blues fabriqué en France Le premier album de The Ready


(mais dans la langue de Robert Johnson), Mades en quatre ans d’existence
Awek est un groupe toulousain est à l’image du projet fondateur de ce
formé en 1995 qui n’a jamais dévié de quintette parisien : pétri de musique soul.
sa trajectoire. Son onzième album, Il se revendique de ses variations sixties
enregistré en Californie, permet de et s’inspire de ses aléas lorsqu’il opte
comprendre comment le quartette aligne pour des textes bilingues, établissant
à son palmarès plus de 1500 concerts et ainsi un pont entre Etta James et Nino
pourquoi les festivals de blues et de jazz se Ferrer. La voix rentre-dedans de la
l’arrachent : pleines de feeling, les compos chanteuse apporte une assise crédible
personnelles approfondissent le sillon à ce pari risqué et l’optique sonore
creusé par ses maîtres (Muddy Waters, proche du rock garage bouscule les
BB King, Howlin’ Wolf) en l’enrichissant tendances néo-yéyé en insufflant un
d’une dose de rock et de rhythm’n’blues, peu de sauvagerie à un ensemble
et la participation de musiciens du cru cuivré qui manque parfois de
lui confère l’efficacité ravageuse d’un puissance de frappe (“Autogestion
big band (“Let’s Party Down”, Awek, Sentimentale”, Soundflat Records,
awekblues.com, distribution Absilone). facebook.com/readymadesband).

Le nouvel EP cinq-titres de Bast Déjà le septième album depuis 2006


témoigne d’un univers singulier que ce pour H-Burns, un chanteur-guitariste
Parisien ne pouvait pas assumer lors de de Romans-sur-Isère dont les précédents
ses expériences au sein de groupes. Si cet disques ne sont pas passés inaperçus
ancien bébé rocker a découvert le rock via (tout comme sa collaboration avec Chris
les Libertines et les Rolling Stones, il a Bailey des Saints). Il a bien évolué depuis
grandi en écoutant Serge Gainsbourg son premier essai acoustique conçu
et Michel Polnareff, ce qui l’a incité à comme un hommage à Johnny Cash
abandonner son précédent groupe pour et son assise folk s’est teintée de rock,
tenter depuis deux ans des paroles en à l’instar de ses modèles, Neil Young
français et maîtriser tous les stades de ou Bruce Springsteen. Seul avec ses
la conception (écriture, composition et guitares et une boîte à rythmes, ou
production). Jouant de sa voix au timbre entouré de divers musiciens pour
lancinant et de boucles mélodiques défendre des ouvertures groovy, il
obsédantes, ses chansons évoquent la surprend et fascine par son aisance
new wave des années 80 et imposent vocale et mélodique de classe inter-
leur atmosphère étrange (“Vertiges”, nationale (“Midlife”, Vietnam, h-burns.
Thisisbast, facebook.com/thisisbast). com, distribution Because Music). ❏

MAI 2019 R&F 091


Highway 666
revisited PAR JONATHAN WITT

Groupes hard rock, groupes cultes Le bourgeonnement créatif est intense dans
la capitale écossaise. Skin se démarque
grâce à ses reprises de morceaux de Cream,
Jimi Hendrix ou des Doors et obtient une
résidence dans le Traverse Club Theatre,
devenu un lieu hippie en vogue. Son
propriétaire envisage de monter une sorte
de comédie musicale pour Noël, et propose
à Skin d’y participer. C’est à ce moment
qu’Edward et Gillies, agacés par les errances
narcotiques de leur batteur, choisissent de
s’en séparer et de tenir des auditions. John
Ramsay, ancien élève du percussionniste
d’avant-garde et futur membre de King
Crimson Jamie Muir (pour “Lark’s Tongues
In Aspic” en 1973), s’empare des fûts à
seulement seize ans. La représentation de
la pièce “The Line Of Least Existence”,
malgré la présence de Skin et d’une actrice
entièrement nue, est un fiasco. L’expérience
incite le trio à poursuivre ses efforts en
matière de composition. Il se retrouve en
première partie de Pink Floyd en février
1969, puis de Taste et est ensuite invité au
premier festival à ciel ouvert d’Edimbourg,
au Meadows Park. Les garnements se lient
avec Bread, Love & Dreams, collectif folk
qui leur permet de graver des démos qu’ils
se chargent de faire passer à Decca. Le
vénérable label signe Skin avec une avance
minable de cent cinquante livres par
personne, et seulement douze heures de
studio à Londres pour mettre en boîte un
Une actrice entièrement nue premier album. Après avoir fendu la route
sous le blizzard dans un van bringuebalant,
Skin doit faire face à de nombreux aléas :

THE John Ramsey a oublié ses cymbales, le


producteur Ray Horricks a la grippe et un
changement de patronyme est imposé (un
autre Skin sévissant déjà), pour The Human

HUMAN
Beast. La captation se déroule tant bien
que mal, avec un mixage qui ne rend pas
totalement grâce à la puissance scénique du
groupe. Les trois ouvrent à nouveau pour le

BEAST
Fleetwood Mac de Peter Green, puis Decca se
décide enfin à publier l’album, sans aucune
promotion évidemment, et sous une étonnante
pochette surréaliste rappelant Salvador Dalí.
Cet excellent “Volume One” s’ouvre sur
EN ECOSSE, A LA FIN DES En juillet 1965, ses perspectives sont la trippante “Mystic Man”, menée par un
SIXTIES, quelques très excitantes chamboulées : sa copine est enceinte, et motif aventureux, nimbé de wah-wah. On
escouades naviguèrent entre heavy le mariage, à l’époque dans cette situation, y découvre les voix blanches de Buchan et
psych, proto-prog et hard rock viril. est vivement conseillé. Edward enchaîne Jones, ainsi que le martèlement tempétueux
Elles avaient pour nom Writing On les petits boulots avant qu’un ami guitariste, de Ramsey, influencé par le jazz. La quasi-
The Wall, Tear Gas ou encore The Ally Black, ne lui enseigne les rudiments instrumentale “Brush With The Midnight
Human Beast, dont on va traiter de la basse. Ils forment un groupe nommé Butterfly” est foncièrement lysergique,
le cas ici. Peu connu, son unique Skin et, contre toute attente, Edward réussit tout comme l’orientalisante ballade
opus, “Volume One”, est désormais à faire illusion. Le circuit des clubs est en “Maybe Someday”, reprise à l’Incredible
un petit classique souterrain. ligne de mire. A Edimbourg, toujours, le String Band, avec arpèges acoustiques
guitariste Gillies Buchan suit un parcours sous influence indienne. La cryptique
Edward Jones a dix ans et vit dans le presque similaire : conversion au rock’n’roll “Reality Presented As An Alternative”,
paisible Lincolnshire lorsqu’il est frappé avec “Apache” des Shadows, puis au courant tout en ruptures, est probablement l’un des
de plein fouet, en 1957, par la traditionnelle mod avec Who et Small Faces. Réfractaire meilleurs titres, dopé par un riff tortueux
épiphanie : les tubes de Little Richard, au blues, il s’ouvre à Ravi Shankar, Soft mais mémorable. L’insuccès, ainsi que les
Eddie Cochran ou Gene Vincent résonnent Machine, Jean-Sébastien Bach ou Frank études des uns et des autres entraîneront la
dans son cortex lorsqu’il visionne “The Zappa, en plus d’inventer ses propres grilles fin de cette Bête Humaine. Tous mèneront
Girl Can’t Help It” (“La Blonde Et Moi” chez d’accords et de maîtriser le feedback. Un de brillantes carrières : Gillies œuvrera
nous). Après avoir déménagé à Edimbourg, type original, que ses partenaires de groupe dans l’industrie pétrochimique, Edward
il est happé par le blues de l’écurie Chess, surnomment “le moine fou” en raison d’une deviendra journaliste pour le Melody
Marvin Gaye et, bien sûr l’irruption des drôle de coupe au bol et de petites lunettes Maker avant de se lancer dans la
Beatles et des Kinks. Par la faveur d’un pote rondes. Au printemps 1968, Ally Black part publicité, et John décrochera des lauriers
qui larbine comme roadie, Ed a le privilège tenter sa chance à Londres. Buchan propose académiques en tant qu’économiste réputé. ❏
d’entrer dans la loge des Rolling Stones, aussitôt ses talents à Edward, désormais affublé
avec qui il discute brièvement... d’une coupe afro, et qui l’embauche illico.
Beano Blues PAR CHRISTIAN CASONI

F WILLIE LEE
BROWN
1900 (Mississippi) - 1952 (Mississippi)
Encore un meurtre administratif : Willie Brown.
Pas une photo, et l’imagination polluée par un fatigant film de Walter
Hill : “Crossroads”. Le film tire son titre d’une chanson bien connue
de Robert Johnson, où l’auteur cite le bluesman de Robinsonville
comme un vieux pote : “You can run, tell my friend boy Willie Brown”.
Willie est plus un gaz qu’une réalité humaine.
Il avait peut-être deux ans de moins que Charley Patton. Plus sûr : il
avait un copain qui deviendrait célèbre, Son House, et vivrait assez
vieux pour témoigner de son existence auprès des revivalistes, dissiper
son fantôme, le faire au moins passer dans le monde des morts. Un
copain et un disque Paramount, un seul : “M & O Blues”/ “Future
Blues”. Willie faisait partie de l’expédition Patton, avec Son House
et Louise Johnson qui, ce jour d’août 1930, s’était ébranlée dans la
Buick de Wheeler Ford, en direction du Wisconsin, à
l’autre bout du pays, pour enregistrer. Ils
s’étaient imbibés jusqu’à Grafton. Dans le
studio, la beuverie avait continué. Chacun
y alla de son petit chef-d’œuvre. Willie
signa au moins six matrices, notam-
ment les deux bonheurs du seul
disque conservé, qui deviendraient
Au Oil Mill Quarters, au Funk’s Corner, dans les foires agricoles et
les épiceries apprêtées en beuglants, Robert Johnson, Honeyboy
Edwards, Howlin’ Wolf, Muddy Waters, Memphis Minnie (qui lui
donna un peu d’amour), sont venus tour à tour boire son jeu. Willie
Brown préférait camper sur une position de sideman, où il excellait.
A Grafton il accompagne Patton sur quatre titres, “Bird Nest Bound”,
“Moon Going Down”... Il faut vraiment plisser l’oreille pour saisir
cette deuxième guitare qui gratine dans l’harmonie, c’est l’honneur
secret des sidemen.
L’affaire Willie Brown aurait pu en rester là. Mais Alan Lomax découvre
Son en 1941, à Lake Cormorant. Il l’enregistre, lui et ses copains, au
Clark’s Grocery, la seule bicoque du coin qui peut fournir du jus. Un
certain Willie Brown lui laisse trois chansons. En 1942, Lomax repasse
enregistrer de nouveau Son et ses copains, dont un
Willie B et un William Brown. L’un des deux
Willie lui laisse encore trois chansons,
notamment “Mississippi Blues”, autre
rognon de compiles, un bréviaire de
plans (pas trop dans le style de notre
homme) qui seront scrutés par les
néophytes des années 60. Trois
beaucoup plus tard le rognon de Willie Brown faisaient donc du
toutes les compiles de Delta blues. blues en même temps dans le
Les quatre pistes perdues avaient Delta. Les prises du Brown de 1941
pour titres : “Grandma Blues”, “Sorry et du Brown de 1942 sont âprement
Blues”, “Kicking In My Sleep Blues” débattues. Ça cloche toujours ici et
et “Window Blues”. John Tefteller, là, mais ça colle ailleurs.
collectionneur de disques, soutient que L’affaire Willie Brown aurait pu en
ces titres ont été dûment gravés. Il dit avoir rester là sans Kid Bailey. Lui a gravé un
la preuve que Paramount, au bord de la faillite, 78 tours chez Brunswick, en 1929 : “Rowdy
a expédié les matrices chez Columbia pour les faire Blues”/ “Mississippi Bottom Blues”, huit mois
presser, que Columbia en a retourné les copies à Grafton. Tefteller offre avant “Future Blues”. D’où sort-il ? Nouveaux débats. David Evans,
25 000 dollars à qui lui apportera l’un de ces deux 78 tours. Charley, homme méticuleux, a pesé les inflexions, les mots, les tics de jeu, il
Son et Willie règnent sur les localités cotonnières du Delta, nids de rappelle que “Future Blues” fut enregistrée dans un hangar inondé
poule sociaux creusés par Jim Crow, le bo weavil, la crise, et maintenant de gnôle et “Rowdy Blues”, dans une chambre cosy de l’hôtel Peabody
la mécanisation. On les entend aussi chanter chez les Blancs. Sa patte à Memphis. Aucun doute pour lui, Kid Bailey est Willie Brown et sa
est celle de la Dockery, le “style de Drew”, le Delta exaucé dans toute deuxième guitare, entre autres hypothèses et pour une somme de
sa dureté, sa consternation, mais aussi sa résistance, le roulis qui raisons bien assénées, pourrait être Memphis Minnie. Pourquoi Willie
berce les chansons de Tommy Johnson, les bends deux-cordes qui font Brown s’est-il fait appeler Kid Bailey, huit mois avant Grafton ? Selon
ployer celles de Patton, la descente de basses de “Future blues”, Evans, pour une histoire de contrats qui se chevauchaient. Mouais.
grandiose et nihiliste, que Son plaçait encore dans les années 60 en Dans ce cas, si nous avons affaire au même bluesman, pourquoi le pseudo-
jouant “State Empire Express”. Willie a 30 ans et déjà une voix de vieux, nyme serait-il Kid Bailey et non l’inverse ? Un nom aussi transparent
comme les gens qui se sont gargarisés au naphta lourd. Elle a la même que Willie Brown, c’est un peu comme John Smith dans la littérature policière,
résonnance que celle de Charley : beaucoup de surface, large mais quand un malfrat se présente à la réception d’un hôtel, non ? 
peu élancée, avec un fond de gorge pétaradant. Willie est un maître.
Erudit rock PAR PHILIPPE THIEYRE

Trémolo, réverbération et puissance sonore maximale


Bien qu’il ait parfois déclaré dans
des interviews être né à Beyrouth,
Richard Anthony Mansour a vu le jour
le 4 mai 1937 à Boston, peu avant
le déménagement de sa famille dans
une banlieue de la ville, Quincy. A neuf
ans, il apprend les rudiments du piano
avec son père, puis s’intéresse à
l’harmonica avant que son oncle, lui-
même joueur de oud, ne l’initie à la
pratique de la darbouka et ne lui offre
une trompette. C’est à l’écoute de Hank
Williams, son idole, qu’il se tourne vers
le ukulélé, faute de moyens, puis la
guitare, rêvant de devenir chanteur
de country & western. En 1954, sa famille

Photo Archives Rock&Folk-DR


s’installe à El Segundo, en Californie,
où il découvre le surf. A la fin de ses
études, il travaille dans l’usine de
construction aérospatiale de Howard
Hughes comme Jim, son père. Ce dernier
l’incite à participer à des tremplins dans
des bars locaux dont il sort souvent
vainqueur. A cette époque, le DJ T Texas
Figure tutélaire de la la fois par ses origines libanaises et Associé au fabricant JBL, Leo Fender Tiny lui donne ce surnom de Dick Dale.
surf music et guitariste par sa pratique du surf, son style combine crée le D130F, soit le Single, puis En 1958, Jim Mansour ayant fondé Del-
novateur, DICK DALE est des sonorités rock’n’roll à des gammes le Dual Fender Showman Amp, qui sera Tone Records (Deltone à partir de 1961),
décédé le 16 mars 2019. orientales, une utilisation récurrente associé à une réverbération à ressorts. sort le premier single de son fils dans
du trémolo, de la réverbération et une Gaucher, Dick Dale joue d’abord sur une un registre entre pop et country, “Ooh-
Avec sa Fender Stratocaster et ses amplis puissance sonore maximale. Explosant guitare de droitier, mais sans inverser Whee-Marie”/ “Breaking Heart”, suivi
poussés à plein volume, Dick Dale était régulièrement ses amplis, il contacte les cordes au tirant très dur produites en 1959 par “Stop Teasing” et, en 1960,
le roi de la guitare surf, dans un genre directement Leo Fender pour en mettre à sa demande. Il conservera la même par “St Louis Blues”, le standard
musical dont la majorité des morceaux au point un qui soit susceptible de disposition sur les modèles pour de WC Handy. La même année, il
sont des instrumentaux. Influencé à supporter un gros volume sonore. gauchers qu’il adoptera ensuite. remplace un chanteur du label Cupid

DISCOGRAPHIE
“Surfer’s Choice” (1962) sorti sur
Deltone, puis repris par Capitol.

“King Of The Surf Guitar”


(1963)
“Checkered Flag” (1963)
“Mr Eliminator” (1964)
“Summer Surf” (1964)
“Rock Out With Dick Dale
& His Del-Tones
Live At Ciro’s” (1965)
“Greatest Hits” (1975),
réenregistrements
de ses grands succès.
Top 5 “King Of The Surf Guitar”
(1963)
Le complément du précédent
“Mr Eliminator” (1964)
Après le rugissement des vagues,
le vrombissement des moteurs
Sans les Del-Tones
“The Tigers Loose”, un live (1987) “Surfer’s Choice” (1962) auquel participent, outre les donne le tempo à un Dick Dale
“Tribal Thunder” (1993) Indispensable introduction à Del-Tones, plusieurs musiciens aussi passionné de gros cylindres
“Unknown Territory” (1994) l’univers de Dick Dale et du surf. de studio, notamment Leon que de surf. Deuxième exercice de
Tous les titres qui l’ont révélé Russell, Glen Campbell, le hot rod music après “Checkered
“Calling Up Spirits” (1996)
sont là : “Surf Beat”, “Misirlou guitariste de jazz Barney Kessel, Flag”, “Mr Eliminator”, dont six
“Spacial Disorientation” (2001) Twist”, “Surfing Drums”, “Let’s et le trio vocal, les Blossoms. des onze titres sont écrits par Dale,
“Santa Monica-Live Go Trippin’”. “Surfer’s Choice” ne Dick Dale ne signe que trois contient quelques bolides du genre,
On The Pier” (2017) propose pas que des instrumentaux, morceaux dont une adaptation sur lesquels il fait vrombir sa
bien que sa voix manque un peu de “Hava Nagila”, les neuf autres guitare : “Mr Eliminator”, “50
Compilations de puissance, il offre des reprises étant des reprises rock’n’roll Miles To Go”, “Flashing Eyes”,
“Better Shred Than Dead soul rhythm’n’blues (“Peppermint (“Kansas City”), rhythm’n’blues “Nitro Fuel”, “Taco Wagon”. A ses
The Dick Dale Anthology” Man”, “Lovey Dovey”, un grand (“What’d I Say”) ou country côtés, le producteur, compositeur et
(1997) hit de Clyde McPhatter), blues, & western (“Riders In The Sky”). chanteur Gary Usher a amené son
“Singles Collection 61-65” (“Fanny Mae” de Buster Brown) et gang habituel : Glen Campbell,
(2010) la surprenante version hispanisante Plas Johnson, Bruce Johnston,
avec cordes de “Sloop John B”. Earl Palmer et Jerry Cole.

096 R&F MAI 2019


le temps d’un nouveau single, En 1965, le surf est passé de mode
“We’ll Never Hear The End Of It”. débordé par la British Invasion alors
C’est en 1961 que paraît son premier que Dale doit stopper sa carrière en
morceau de surf instrumental, et premier découvrant qu’il est atteint d’un cancer
succès, sous le nom de Dick Dale & du côlon. Il réussit à surmonter la maladie
His Del-Tones : “Let’s Go Trippin’ ”/ mais, après quelques singles en 1967
“Del-Tone Rock” en face B. Jack Lake, et 1968 sur Cougar, Accent, US Army
batterie, Bryan Dietz, basse, Armon et Campus, il se retire plusieurs années
Frank et Barry Rillera, saxophones, à Hawaï. Dans les années 70, il donne
Nick O’Malley et Art Munson, guitares, à nouveau des concerts et ouvre un bar
forment alors les Del-Tones. Lui à Riverside. En 1975, Keith Moon l’invite
succèdent “Jungle Fever”, “Surf Beat” à jouer un solo de guitare surf sur la
et surtout “Misirlou” (orthographié chanson “Teenage Idol” de l’album “Two
alors “Miserlou”), un morceau emprunté Sides Of The Moon”. Cette fois-ci sans
aux répertoires grec et moyen-oriental ses Del-Tones, en 1987, il sort un nouvel
transformé en brûlot surf rock par album, “The Tigers Loose”, et enregistre
l’accélération du tempo. Après deux avec Stevie Ray Vaughan “Pipeline”, un
albums, “Surfer’s Choice” et le bien succès des Chantays, pour l’étonnante
nommé “King Of The Surf Guitar”, BO de “Back To The Beach” sur laquelle
Dick Dale aborde une autre facette Annette Funicello est accompagnée par
de ses passions, la voiture et les Fishbone, Dave Edmunds reprend “Wooly
courses automobiles, avec deux Bully” et Herbie Hancock transforme le
albums consacrés aux hot rods, classique surf “Wipe Out” en un morceau
“Checkered Flag” et “Mr Eliminator”. funk sous speed avec la complicité
A la même période, il adopte un tigre. de Dweezil Zappa et de Terry Bozzio.
Au sommet de sa gloire en 1963 et La reprise de “Misirlou”, sur la BO
1964, il apparaît dans les films “Beach de “Pulp Fiction” en 1994, permet la
Party” et “Muscle Beach Party” dont les redécouverte de Dick Dale. Dès lors,
vedettes sont Annette Funicello et il ne cessera de se produire sur scène,
Frankie Avalon. En 1960, on avait déjà jusqu’à son décès dû à des défaillances
pu l’apercevoir dans “Let’s Make cardiaques et rénales, conséquences
Love” (“Le Milliardaire”) aux côtés de des nombreuses maladies qu’il
Marilyn Monroe et d’Yves Montand. avait accumulées. Une tournée était
prévue pour l’automne 2019. ❏

“Tribal Thunder” (1993) “Unknown Territory”


A l’exception du “Caravan” (1994)
de Duke Ellington, de “Hot Avec à peu près la même équipe
Licks : Caterpillar Crawl/ que pour “Tribal Thunder”,
Rumble” incluant une citation mais quelques vocaux en plus
de Link Wray, Dick Dale a et la présence de Huey Lewis à
composé cet album essentiellement l’harmonica, “F Groove” et le
instrumental. Seul “Tribal superbe “Ghostriders In The
Thunder” est chanté. Marquant Sky” aux sonorités hard rock,
véritablement son retour sur le Dick Dale confirme sa renaissance.
devant de la scène, le disque Commencé par “Scalped”
démarre fort avec “Nitro” pour — les références aux Amérindiens
ne jamais baisser de tension. sont nombreuses — “Unknown
Prairie Prince des Tubes est Territory” se termine par
à la batterie. le long morceau éponyme,
suivi d’une reprise de “Ring
Of Fire” de Johnny Cash.

MAI 2019 R&F 097


Le film du mois
PAR CHRISTOPHE LEMAIRE

En 2013, ils annoncent qu’un biopic, adapté de leur bouquin, sera disponible
Trash, drôle et cinglé sur grand écran un an plus tard, histoire d’être synchro avec leur longue tournée
d’adieu planétaire. Il faudra en fait attendre cinq ans de plus et les sous de Netflix
pour que “The Dirt” voie enfin le jour. Et quel film ! Trash, drôle, provo et cinglé.
A l’image donc des exploits musicaux, triviaux et kamikazes du bassiste Nikki Sixx,

The Dirt
du batteur Tommy Lee, du guitariste Mick Mars et du chanteur Vince Neil. Comme si
ces quatre dégénérés, à force d’improviser connerie sur connerie dans un état autre,
avaient inventé le concept de “Jackass” avant la lettre. Ce qui tombe bien, puisque
Jeff Tremaine, metteur en scène de “The Dirt”, est aussi réalisateur et principal
fondateur de la célèbre émission kamikaze de MTV, dont il mettra également
en scène les cinq adaptations cinématographiques. Le gars est donc habitué au
destroy potache. Filmé et monté en totale speedmania, façon “Trainspotting”
DE JEFF TREMAINE — probablement pour donner l’impression au spectateur qu’il a le cerveau
composé de compost cocaïnesque — “The Dirt” s’apprécie en première couche fun.
Comme un dessus d’iceberg en quelque sorte. Bref, un biopic sensationnaliste
S’il est des rockers qui symbolisent à fond la maxime où l’on ne perd pas de temps à analyser la profondeur psychologique ou
sex, drugs and rock’n’roll, ce sont bien les membres cinglés de Mötley Crüe, traumatique des personnages. Ce qui n’empêche pas de suivre les grands
le groupe le plus destroy de la planète qui pétrifierait d’angoisse un Charles Dumont moments de la vie de Nikki, Tommy, Mick et Vince. Leur rencontre, leurs
sirotant une tasse de thé earl grey. Aujourd’hui sexagénaires (presque) posés, les quatre premiers succès sur scène, leur rébellion basique face à une société à la libido
Américains, qui ont connu leur apogée durant les années Reagan, écrivent en 2001 forcément coincée, leurs frasques et certains de leurs tubes chantés sur scènes
leur autobiographie “The Dirt : Confessions Of The World’s Most Notorious Rock Band”. par un quatuor d’acteurs (Douglas Booth, Daniel Webber, Iwan Rheon et le rappeur
Machine Gun Kelly) plutôt bien impliqués dans la gestuelle mimétique du groupe
mais dont les perruques grotesques les font surtout ressembler à des clones
hirsutes de Dana Carvey dans les deux “Wayne’s World”. Et puis, comme
d’habitude pour toute vie de rocker qui ne se respecte pas, et la gloire aidant,
les soucis se pointent sous forme de consommation excessive de cocaïne
et d’héroïne. Le film, très amusant à suivre, a néanmoins l’aspect d’une grosse
crotte de nez envoyée à la face du spectateur. Comme si Mötley Crüe n’était
résumé qu’à son penchant pour la baston potache, la baise comme des lapins,
la défonce outrancière et, quand même, la musique. Avec, notamment,
une séquence plaisamment fétichiste lorsque le groupe se met à composer
“Live Wire” en toute quiétude, telle une parenthèse enchantée dans son quotidien
destructeur. Et, comme dans tout biopic, arrive le temps de la rédemption :
adieu les drogues, ciao l’alcool et bienvenue au temps de la sérénité. “The Dirt”
se clôt d’ailleurs sur des images de la dernière tournée, en 2015, avant un
générique rigolo ou les vrais membres de Mötley Crüe (par ailleurs producteurs
du film) sont mis en parallèles avec leurs duplicatas acteurs. Malgré
ses défauts, “The Dirt” reste finalement bien meilleur — ou tout du moins
bien plus punk — que le surestimé “Bohemian Rhapsody”, l’autre biopic
rock du moment à la dramaturgie trop appuyée (disponible sur Netflix). ❏

098 R&F MAI 2019


Cinéma PAR CHRISTOPHE LEMAIRE

Bizarre comme tout

Blanche Comme Neige

D’habitude très fine dans l’étude et un jeune soldat, tous deux en rade de
Blanche Comme Neige comportementale de ses personnages leur bataillon, se retrouvent paumés en
Depuis sa première adaptation féminins, que ce soit à travers des pleine jungle. Affamés et assoiffés, ils
cinématographique, en 1916, dans un film drames de mœurs (“Perfect Mothers”) tentent de survivre tout en méditant
muet de 63 minutes, Blanche-Neige a été ou des films plus légers (“Gemma sur l’inutilité et les horreurs du conflit
mis à toutes les sauces. Normalement, Bovery”), Anne Fontaine semble peiner en cours... Si le franco-belge “La
via le film d’animation de Walt Disney. ici à dresser ce nouveau portrait de Miséricorde De La Jungle” du Rwandais
Mais aussi anormalement... Comme femme libre. “Blanche Comme Neige” Joël Karekezi (dont le père tutsi fut tué
“Biancanieves” de Pablo Berger n’adoptant aucun ton particulier. durant lesdits évènements) arrive à être
en 2012 où le conte des frères Grimm Ni vraiment amusant, ni vraiment aussi immersif, c’est grâce à ses deux
est transposé dans un univers de troublant, ni vraiment émouvant. extraordinaires acteurs : Marc Zinga
tauromachie et de flamenco dans Juste agréablement indifférent. (aperçu dans “Spectre”, le dernier
l’Andalousie d’antan. Voire, plus vicelard, On se raccroche alors au casting James Bond) en gradé de l’armée
une parodie porno tourné en 1995 ou où des acteurs de renom, pour la rêvant de trouver un semblant de
cette coquinette de Blanche-Neige se tape plupart connus pour leur drôlerie innée rédemption aux atrocités qu’il a
un des sept nains. La réalisatrice Anne (Jonathan Cohen, Benoît Poelvoorde, commises et Stéphane Bak, qui, à
Fontaine, se colle donc à son tour au Vincent Macaigne...), donnent des 14 ans, fut élu plus jeune humoriste de
conte, mais de façon très lointaine... Pour répliques appliquées à l’excellente France. Si l’évident manque de moyens
échapper à sa belle-mère (la reine, donc) Lou de Laâge (actuellement en salles). empêche parfois le film d’atteindre une
désirant sa mort car jalousant sa beauté certaine emphase, il est largement
printanière, la jeune Claire (Blanche- rattrapé par l’ambiance anxiogène de
Neige) trouve refuge dans un village où La Miséricorde la jungle, particulièrement bien filmée
sept hommes aux caractères différents De La Jungle et par les deux acteurs qui font passer
(les nains, ici de tailles normales) A la fin des années 90, en plein conflit chaque sensation de peur, de violence
tombent tour à tour sous son charme. au Congo, un héros de guerre rwandais et d’étouffement (en salles le 24 avril).

La Miséricorde De La Jungle

MAI 2019 R&F 099


(on les aperçoit toujours furtivement
en plans larges), les deux Texas
Rangers, eux, sont carrément scrutés
sous toutes les coutures. Avec leurs
doutes et leurs failles. Au lieu des
habituels gunfights outranciers, “The
Highwaymen” préfère lorgner vers la
course poursuite tenace et languissante
à travers des Etats encore laminés par la
Grande Dépression. Le film reconstitue
ainsi l’Amérique de la première moitié
des années 1930 avec un fétichisme
agréable à l’œil (costards, chapeaux,
flingues) et donc un petit côté “Les
Meurs, Monstre, Meurs
Incorruptibles” (le film de Brian De
Palma) assez bienvenu. Quant à Kevin
Costner et Woody Harrelson, ils portent
en 16 tours et le pur film de monstres les deux braqueurs/ anarchistes/ à fond leurs rôles d’hommes de loi
Meurs, Monstre, Meurs métaphorique, où une créature à l’aspect assassins. Si Bonnie et Clyde eux- totalement obsédés par les amants
Coproduit entre l’Argentine et la France vaginal est là pour exacerber la sexualité mêmes ne sont jamais mis en avant meurtriers (disponible sur Netflix). ❏
(notamment par Rouge Productions, atrophiée des protagonistes. C’est
société de Julie Gayet qui est fan de bizarre comme tout, psychotronique
cinéma de genre), “Meurs, Monstre, en diable, assoupissant par moments,
Meurs” est un étrange polar horrifique mais, au moins, intrigant et différent
d’auteur. Une enquête policière trouble (actuellement en salles).
dans la cordillère des Andes, où des
cadavres retrouvés décapités seraient
l’œuvre d’un monstre errant dans la The Highwaymen
région. Sur ce postulat, l’Argentin On connaît, bien sûr, le parcours
Alejandro Fadel (repéré il y a cinq ans meurtrier de Bonnie Parker et Clyde
avec “Los Salvajes” qui se terminait sur Barrow. Ne serait-ce que par le film
un plan cru et traumatique d’une tête d’Arthur Penn en 1967 et la célèbre
explosant sous un coup de fusil) joue chanson de Serge Gainsbourg qui
plusieurs cartes : celle du polar noir ont glamourisé le couple de tueurs
nihiliste à la “Memories Of Murder” le plus culte de la planète. Produit
(classique du film policier funèbre par Netflix, “The Highwaymen” de
coréen), l’immersion, bien longuette, John Lee Hancock montre l’autre camp
dans une région paysanne et aride où en suivant le parcours de deux Texas
les personnages se déplacent et parlent Rangers qui repoussent leur retraite pour The Highwaymen
à la vitesse d’un vinyle 78 tours passé pister, à travers une partie de l’Amérique,

100 R&F MAI 2019


Série du mois PAR CHRISTOPHE LEMAIRE

Un tout petit mammouth congelé

Love, Death + Robots


de corps et d’envolées sanglantes (forcément) non
coagulées : un combat de monstres dans une arène
futuriste, deux marines/ loups-garous s’affrontant
en pleine guerre d’Afghanistan, des soldats de
l’Armée rouge mitraillant une force diabolique au
considéré comme le nouveau Kubrick et le plus cœur de la Sibérie glaciale... Après tout ce sang,
potache Tim Miller qui a remis au goût de jour les on peut se reposer les méninges sur d’autres trips
super-héros en insistant sur l’humour trash dans le animés nettement plus rigolos. Tel ce yaourt super
premier “Deadpool”. Si certains de ces petits films intelligent devenant maître du monde et qui pourra
donnent dans l’animation à l’ancienne (comme le rappeler aux geeks cinéphiles le déjanté “The Stuff”,
sublime “Les Esprits De La Nuit” où une ancestrale série B dingo des années 80 conçue par le génial
faune marine se recrée dans les airs en plein milieu Larry Cohen, créateur des “Envahisseurs”, décédé le
d’un désert), la plupart utilisent les techniques 3D 23 mars dernier. Mais, s’il ne fallait en choisir qu’un
et motion capture d’aujourd’hui. Suivant ses — probablement le plus taré — ce serait “L’Age De
propres goûts en matière de violence carabinée Glace” qui mêle personnages réels et animation 3D.
Cela fait une sacrée poignée d’années que le (d’où l’interdiction de la série aux moins de 18 ans) et Un jeune couple découvre dans un glaçon un tout
cinéma d’animation gagne de plus en plus de terrain d’humour barré, on naviguera à l’œil. Violence d’abord petit mammouth congelé. Lui-même provenant
sur le box office planétaire. Voir “Les Indestructibles 2” avec l’extraordinaire “Le Témoin”, course poursuite de leur congélateur qui récrée en quelque heures,
et ces têtes à claques de “Minions”, aujourd’hui dans speed, colorée et haletante dans une mégapole entre et en version minuscule, toute l’histoire de l’humanité,
le top 20 des plus gros succès de l’histoire du cinéma. une jeune stripteaseuse asiatique et un tueur affolé. de l’ère tertiaire à la prochaine guerre nucléaire.
A des milliers d’années lumière de “Citizen Kane” Qui se clôt sur une étonnante pirouette temporelle C’est à ce moment précis qu’on se dit que le cinéma
d’Orson Welles, donc. Certes, la plupart de ces films à la “Twilight Zone”/ “Black Mirror”. Bien que moins d’animation, esthétiquement et scénaristiquement, a
sont destinés aux enfants, l’animation plus adulte étant novateurs dans leurs scripts, d’autres courts donnent sacrément évolué depuis “Oum Le Dauphin” et “Tintin
rarement disponible en salles. Et ce contrairement aux dans un gore esthétisant, à coups d’écrabouillements Et Le Lac Aux Requins”... (disponible sur Netflix) ❏
années 70 où l’on pouvait saluer les exploits provos et
anarchiques de “Fritz The Cat” (d’après le comics
underground de Robert Crumb), premier long métrage
d’animation classé X. D’où, du coup, la réaction de
Netflix qui, déjà riche en programmes d’animation
La Revanche
grand public, propose depuis mars une compilation
totalement hallucinatoires de 18 courts métrages de
Des Mortes-Vivantes (Le Chat Qui Fume)
Le Chat Qui Fume extirpe depuis plusieurs mois des perles du cinéma
6 à 17 minutes, produits par plusieurs pays (Etats-Unis, d’exploitation français d’antan. Avec succès. Dernier en date : “La Revanche
Hongrie, France, Corée...) et réunis sous le titre un Des Mortes-Vivantes”, rare exemple de film de zombie français, datant de
peu facilement résumé “Amour, Mort + Robots”. Car, 1987 et réalisé par le suisse Pierre B Reinhard, plus connu pour ses activités
en prime on y trouve aussi du monstre lovecraftien, de pornocrate depuis quatre décennies (“La Perverse Châtelaine Dans
du tueur psychotique, de la fin du monde absurde, de L’Ecurie Du Sexe”, c’est lui !). Si, à l’époque de sa sortie, le film avait offusqué la critique
l’espace intersidéral et du sexe sans émotion. Le tout pour sa nanardise carabinée, il a pris, avec le temps, une patine kitsch franchement cool.
dans une ambiance navigant entre nihilisme forcené, Rien que pour les apparitions de quelques zombies féminines qui, avec leurs visages atrophiés
ironie déjantée et poésie méta. Proche, en fait, des et leurs sublimes seins à l’air, font penser à un étrange croisement entre Brigitte Lahaie dans
états d’âme des deux principaux créateurs, à savoir “Je Suis A Prendre” et les créatures décharnées de “The Walking Dead”. Un vrai concept.
David Fincher (réalisateur de “Seven”), pas loin d’être

MAI 2019 R&F 101


DVD musique PAR JEROME SOLIGNY

“En exil dans


ma propre tête”

Scott Walker
“30 CENTURY MAN”
Verve Pictures

Il y a neuf ans, on vantait, dans cette rubrique, les mérites de Stephen Kijak,
réalisateur américain de documentaires souvent rock et notamment de “Stones
In Exile”, celui que les Rolling Stones lui avaient demandé d’assembler à partir
d’images de l’enregistrement, épique, de leur double album paru en mai 1972.
On sous-entendait, à l’époque, que l’idée de faire appel à Kijak était peut-être
venue à Jagger & Co en voyant “30 Century Man”, son film de 2006 sur Scott
Walker, jamais chroniqué dans ces pages puisqu’il est toujours inédit en France (en
DVD ou Blu-ray). L’actualité ayant tristement remis Walker au goût du jour (du mois),
on s’autorise à revenir sur ce film totalement stupéfiant et disponible en import
anglais depuis 2010, en précisant à ceux qui souhaiteraient l’acquérir (on conseille
le Blu-ray, car, même sur ce support optimum, l’image est parfois neigeuse)
qu’il n’est pas sous-titré et encore moins en français. En revanche, il est
possible de le visionner avec un commentaire audio du réalisateur.
Bien évidemment, la première qualité de “30 Century Man” est d’exister.
En effet, Stephen Kijak a toujours su qu’entreprendre de tourner un film à propos
de Scott Walker et a priori avec lui dedans, équivalait, en quelque sorte, à essayer
d’attraper un fantôme avec une pince à épiler. Fan, non pas de la première heure car
il est trop jeune, mais depuis qu’il a été en âge de découvrir sa musique (il est passé
par les Walker Brothers, puis les albums numérotés avant de se laisser happer par le
côté obscur de la force), le réalisateur a eu la judicieuse idée de planquer deux atouts
dans sa manche : le directeur de la photo Grant Gee et un producteur exécutif, qui
avait alors le bras long, en la personne de David Bowie. Le premier est réputé pour
son travail avec Radiohead (il a notamment réalisé “Meeting People Is Easy” en
1998, le film sur la tournée qui a suivi la parution de “OK Computer”). Le second,
pour faire simple, était grand amateur de la musique de Scott Walker, mais aussi

102 R&F MAI 2019


de son talent d’interprète, notamment des chansons d’un artiste belge (décédé
trente-huit ans avant lui) que ça faisait suer, au sens propre, d’être sur scène.
“30 Century Man”, dont le titre est celui d’un morceau de “Scott 3”, excelle dans
tous les secteurs : il est beau à regarder (des images d’archive des années 60 aux
séquences d’animation pour illustrer certains titres plus récents), jouissif à écouter
grâce au choix des intervenants et, s’il ne brise pas le mythe, il le fissure tout de
même un peu puisque Walker, alors que les micros tendus vers son visage l’ont
toujours fait fuir, a accepté de se laisser interviewer, et de copieuse manière.
Triés sur le volet du respect, désormais éternel, et de la dévotion à une œuvre au
moins aussi intrigante que son créateur, les interviewés livrent moult souvenirs et
anecdotes. Jarvis Cocker, par exemple, assez gonflé en 2001 — à l’époque de
Pulp — pour demander à Scott Walker de produire, le final “We Love Life”, raconte
qu’il avait sa casquette de baseball tellement enfoncée sur la tête en studio, qu’il lui
arrivait de ne pas voir ses yeux de la journée. Et quand Scott tombait finalement le
couvre-chef, ça signifiait que l’humeur était au beau fixe. La chanteuse Lulu qui,
en Angleterre dans les années 60, a tourné avec les Walker Brothers, déplore,
quatre décennies plus tard, de n’avoir été considérée que comme une sympathique
mascotte ; en vérité, elle en pinçait pour Scott et lui aurait bien prouvé. Les
souvenirs de Walker à propos de ces séries de concerts sont édifiants et il rappelle,
notamment, que le trio (augmenté de plusieurs musiciens sur scène) ne jouait
généralement que deux ou trois minutes avant l’hystérie générale et le retour forcé
vers la loge. D’une humilité égale à son talent de défricheur qui s’ignorait encore,
il précise qu’il a commencé par écrire des faces B (aucun membre des Walker
Brothers n’a participé à l’écriture de leurs plus gros tubes) et s’est pris au jeu de la
création car l’art de la mélodie l’intriguait. N’ignorant pas que le témoignage de ceux
qui ont contribué à la fabrication de l’œuvre de Scott Walker, qui allait devenir plus
consistante dès le début de ses années en solitaire, était capital pour mieux les
appréhender, Kijak a fait très fort en retrouvant l’orchestratrice Angela Morley.
A l’époque où elle a travaillé sur ses disques, elle était encore un homme
(né Walter Stott) et Diana Dors, Shirley Basset et Dusty Springfield ont également
bénéficié de ses services. Le passage où Angela, décédée en 2009, réécoute
des chansons de Scott qu’elle a arrangées, est tout simplement magique.
Dans le même genre, mais par procuration, l’intervention de Simon Raymonde,
ex-Cocteau Twins et fondateur du label Bella Union, est très touchante. Simon
est le fils de l’arrangeur Ivor Raymonde qui a participé aux enregistrements des
Walker Brothers et s’est aussi distingué auprès de Springfield (il a composé
“I Only Want To Be With You”, une de ses chansons les plus populaires).
Dans “30 Century Man”, Scott Walker revient sur la transition, le grand saut, ce
moment de sa carrière où il a voulu s’isoler, “sortir de la pop et ne plus jouer le jeu”.
A l’en croire, il a certainement pris cette décision malgré lui, mais s’est finalement
accommodé de ce statut de folie : “un songwriter en exil dans ma propre tête”.
Les passages consacrés à “Tilt”, “Paula X” et Ute Lemper sont également
remarquables et, en 2005, la confection de ce documentaire s’étant étalée sur
cinq ans, Stephen Kijak a eu la chance d’être autorisé à filmer durant la fabrication
de l’album “The Drift”. Là encore, les confidences de Walker valent de l’or,
surtout quand il explique pourquoi il a pris le parti de délaisser les arrangements
conventionnels, de devenir “une sorte de poète de l’inconscient”, de chanter sans
ego pour que la musique prime. La séance dans laquelle on voit le percussionniste
jouer d’un morceau de viande en dit long sur le chemin parcouru depuis “Montague
Terrace (In Blue)”. D’autres témoignages sont édifiants et il faut mentionner ceux de
Dot Alison, Alison Goldfrapp, Damon Albarn, Hector Zazou et Jean-Daniel Beauvallet
(en 1993, Les Inrocks ont décroché une interview de Scott Walker qui n’avait pas
parlé à la presse depuis dix ans). Mais, ici, la palme d’or des interventions revient,
non pas à David Bowie qui, impliqué dans le projet se contente du minimum syndical,
mais à Brian Eno. Remonté comme un coucou, les yeux transperçant l’objectif
de la caméra, il ne mâche pas ses mots et précise que pour lui, Scott Walker est
aussi un auteur fantastique et que les textes de ses chansons font passer la plupart
des autres pour du pipi de chat. Comme ceux de Ed Bicknell qui a managé un
temps le musicien sidéral — et considère que ses disques les plus aventureux
sont formidables pour faire l’amour — les propos de Eno volent haut. La disparition
de Scott Walker laisse un gouffre et ajoute de la valeur à “30 Century Man” qui,
s’il n’est pas le meilleur documentaire sur un artiste musical du vingtième siècle,
fait tout de même l’effet d’une sacrée gifle. A faire saigner la tempe. ❏

MAI 2019 R&F 103


Bande dessinée PAR GEANT VERT

De Van Gogh aux Pussy Riot


Jeune punk à Cleveland dans les années 70, Derf Backderf s’est aussi fait connaître
à travers la biographie dessinée qu’il a consacrée à Jeffrey Dahmer, un de ses anciens
camarades de classe avant qu’il ne devienne populaire dans le milieu ultra fermé des tueurs
en série cannibales. Entre-temps, pour vivre décemment, Backderf écume la presse nord-
américaine afin d’y placer son art. L’aventure va durer de 1990 à 2004 pour un total de près
de 1500 strips. Véritables instantanés de la déliquescence américaine, ces tranches de vie sont
autant destinées à des sociologues qu’à un public avide de visions aussi brèves que grotesques
du comportement humain. Les éditions Çà Et Là ont soigneusement sélectionné deux-cents
strips pour réaliser “True Stories”, un agréable petit pavé dans la mare du libéralisme
trumpien qui n’oublie pas de citer Pere Ubu, Leadbelly et Edwin Starr au fil des gags.

Dessinateur de BD unanimement reconnu, Charles Berberian est aussi tenaillé par le


démon de la musique qui l’a moult fois conduit à faire hurler sa guitare sèche aux côtés de
Jean-Claude Denis ou Pascal Comelade. Après des décennies de réflexion, il sort enfin son
premier disque folk solo chez Zamora Productions. Afin de ne pas être en reste, les éditions
Hélium en profitent pour ressortir “Playlist Deluxe”, génial
petit bouquin où l’auteur raconte sa passion pour la musique,
depuis l’enfant qui détestait les chansons de Charles Aznavour
à l’adulte responsable qui écoute avec passion et réflexion les
disques du même Aznavour. Berberian raconte des tonnes
d’anecdotes tournant autour de ses nombreuses passions comme
David Bowie, Keith Richards, Bruce Springsteen, les Beatles,
Bob Dylan, les critiques de rock et les concerts mythiques.

Si Hergé était connu pour son art de l’ellipse, le dessinateur


Willem restera dans l’histoire comme le grand spécialiste
de la synthèse. Avec “Les Nouvelles Aventures
De L’Art” (réédition augmentée Cornélius), il réussit
à faire tenir sur le même radeau une centaine d’artistes
venus de tous les arts, de Van Gogh aux Pussy Riot.
Si le spectre est large, la place consacrée à chacun sera
d’une à deux pages sans vraiment tenir compte de la
notoriété du sujet. Afin de démontrer qu’il est possible
de tout raconter dès qu’il est question d’art, Willem part
d’un fait précis avant de le tordre dans tous les sens
pour en sculpter une vision personnelle aussi grotesque
que drôle. Si l’ennemi numéro un de l’art reste, à ses
yeux, l’utilisation que cherchent à en faire les régimes
totalitaires, il pointe aussi du doigt les inconvénients
du monde du rock à travers quelques pages mémorables consacrées
à Keith Moon, Mick Jagger, Yoko Ono, le colonel Parker et Lana Clarkson.

Surfant sur le succès du film “Conan Le Barbare”, le prolifique scénariste


Pat Mills imagine, en 1983, le personnage de Sláine Mac Roth pour le compte
du magazine 2000AD. Né aussi large qu’une biscotte dans un monde de brutes
celtiques et de lézards géants, le jeune homme n’a pas d’autre choix que de devenir
une montagne de muscles à une époque où les stéroïdes n’existent pas encore.
Avec ce premier volume, “Sláine — L’Aube Du Guerrier”, les
éditions Delirium ont soigneusement compilé la jeunesse du guerrier avec une
série d’histoires en noir et blanc jusqu’ici inédites en France. On y retrouve la
dessinatrice originale Angie Kincaid, ainsi que les deux autres piliers de la série,
Massimo Belardinelli et Mike et McMahon aux crayons. Avec un cahier des charges
ultra rigoureux imposé par Mills, les différents dessinateurs ne nuisent pas au
déroulé du volume. Le trait, fin et précis, est constant tandis que les cases sont
généralement très resserrées autour de l’action afin de créer un sentiment
d’oppression. A lire en écoutant “Death Dealer” de Molly Hatchet. ❏

Le gros plan du Géant


Dans la vie de tous les jours, Jeff Naudey n’est pas (Un Point C’est Tout !), plus de 80 dessinateurs ont
uniquement un motard assis sur une Harley, il est aussi le apporté leur contribution. Parmi eux, quelques belles
président de l’association HD Le Plaisir. Afin de trouver des cylindrées comme Margerin, Edika et Mandrika. Pour
sous pour aider des enfants malades qui n’ont, pour l’instant, 15 euros, il est donc possible de soutenir un idéal sympathique
pas la chance de pouvoir vivre leur vie normalement, il a et généreux, en attendant de pouvoir s’acheter l’engin
demandé au dessinateur Jean-Marc Héran de réaliser un de ses rêves. Ventes sur commandes directement auprès
ouvrage collectif dont tous les bénéfices vont aller à cette de l’association : HD Le Plaisir, BP110, 77170 Brie-
cause. Pour concrétiser “Les Bikers Ont Du Cœur” Comte-Robert ou sur internet : www.comexpo2a.fr.

104 R&F MAI 2019


Livres PAR AGNES LEGLISE

Un tombeau à la mesure du météore


toujours voulu savoir sur la critique rock sans jamais oser donne ainsi à voir
le demander qui va enthousiasmer les fans de nos pères un Cobain bien plus
fondateurs. Timing oblige, l’histoire du journalisme et celle agréable, marrant,
du rock sont étroitement liées, au moment même où le subtil et sophistiqué
rock s’épanouissait, un nouveau journalisme naissait, que l’image
participant du même mouvement culturel et du même généralement
désir de renouveau et d’émancipation générale. Les admise. Même
“braillards”, comme les “profs” — les critiques gonzo chose pour
totalement barrés versus les protohistoriens archivistes — Courtney Love dont
tous les critiques rock ont investi alors ce nouveau champ il peint un portrait
avec la même passion que les musiciens et y ont vu, non touchant et
seulement un moyen d’assouvir leur fascination pour le certainement plus
rock mais, aussi, pour la plupart, un prisme par lequel digne que les
l’histoire sociale et culturelle pouvait être déchiffrée et caricatures qu’elle
comprise. Sans oublier l’ambition littéraire de jeunes futurs subit — et incite
écrivains et pour certains, la furieuse envie de vivre la vie parfois, soyons
tumultueuse des musiciens rock sans en avoir le don juste — depuis sa rencontre avec Cobain. Pudique et
musical, à l’exception notable de Lenny Kaye, seul critique réservé, ce Kurt-là, loin des clichés sur la drogue et le
musicien de la bande. Mais quelle bande ! Peter Guralnick, grunge qui accompagnent généralement toutes les
Nick Tosches, Greil Marcus, Nik Cohn, Jon Landau et évocations de Cobain, démontre en revanche aisément
consorts se livrent donc, sur leurs parfois picaresques quel artiste brillant, réfléchi et proprement génial il était.
aventures et sur la littérature qu’ils en ont finalement tiré. Un tombeau à la mesure du météore, en attendant
Il y a évidemment autant de différence entre eux qu’entre les hypothétiques mémoires de Courtney Love.
leurs œuvres et la sincérité avec laquelle ils semblent
tous parler tient sans aucun doute pour certains moins à
leur désir de s’exprimer qu’au talent de la discrète autrice
qui rend ces interviews toutes fluides et intéressantes.
L’Avenir N’Est Plus
C’est un petit monde, tout comme l’était alors le monde Ce Qu’Il Etait
Encore Plus De Bruit du rock et s’ils ont tous plus ou moins travaillé dans RICHARD FARINA
Le Castor Astral
L’Âge D’Or Du Journalisme les mêmes journaux ou fréquenté les mêmes milieux
d’avant-garde, leur bande est assez disparate pour que Il est toujours difficile de démêler l’œuvre et la vie de
Rock En Amérique Par ces témoignages dressent finalement aussi un tableau l’artiste et Richard Fariña est un de ces cas parfaits où
Ceux Qui L’Ont Inventé très complet d’une contre-culture dont le rock était le le romanesque d’une vie pénètre l’œuvre de son auteur
MAUD BERTHOMIER point de convergence le plus visible et du nouveau et forme un ensemble indissociable. Fariña n’est certes
Tristram journalisme et des enjeux qui les traversaient. Aujourd’hui, pas le premier écrivain mineur à avoir eu des potes
Tout comme il existe des musician’s musicians, ces ces plutôt vieux messieurs — une seule femme parmi célèbres, mais lui a gouté son époque comme peu et
musiciens particulièrement aimés de leurs confrères eux — sont toujours aussi passionnants quand ils sa mort précoce, dans un accident de moto à vingt-
qui en saisissent mieux que quiconque l’importance exposent leurs souvenirs et leurs regards particulièrement neuf ans, a parachevé le romanesque de cette image.
et la singularité, on pourrait sans doute dire de Maud avisés sur ce monde et cette époque qui nous obsèdent Pote dès la fac avec Thomas Pynchon, il fut ensuite le
Berthomier qu’elle a réussi, avec son ouvrage “Encore un peu tous et leur innocence présumée. Richard Melzer, bestie de Bob Dylan quand ils chantaient tous deux
Plus De Bruit — L’Âge D’Or Du Journalisme Rock En seul, déroge à l’amabilité générale et se livre à un grand des protest songs à Greenwich Village avant d’épouser
Amérique, Par Ceux Qui L’Ont Inventé” un parfait rock exercice de décanillage de collègues et de déboulonnage Mimi Baez, chanteuse et sœurette de Joan, alors
critic’s rock critic book, un livre de critique rock pour les de mythes avec une sincérité souvent convaincante impératrice régnante du genre, avec laquelle il forma
rock critiques, eh ouais. Alors étudiante aux Etats-Unis et un manque de respect éternellement rock. un duo et sortit trois albums dont un posthume,
nous dit sa succintissime bio, elle a interviewé les plus presque comme son seul roman, “L’Avenir N’Est Plus
grands critiques rock américains et ce sont ces onze Ce Qu’Il Etait”, dont il célébra la sortie avec une fête
entretiens, sobrement contextualisés, qui constituent donc
la matière du livre. Autant vous dire tout de suite que pour
Kurt Cobain qui finit, pas de chance, en fatale ballade. Absolument
culte, jamais traduit en français auparavant, ce livre
des amateurs de littérature rock comme nous le sommes — Nirvana 1967-1994 est donc non seulement une œuvre littéraire mais
tous ici, c’est un pur régal, un Tout ce que vous avez DANNY GOLDBERG aussi, et c’est peut-être le plus important aujourd’hui,
Kero un témoignage sur la contre-culture et l’histoire même
L’image des managers de rock n’a jamais été de cette contre-
follement positive, on a tous tendance à les voir culture. Récit
TOP 5 comme des requins assoiffés d’argent et de ventes et
rarement comme des bons gars au service des artistes
poétique quoique
parfois doucement
LIVRES MUSIQUE
(source Gibert Joseph)
et de l’Art. Danny Goldberg fut le manager de Nirvana
— et de Hole, le groupe de Courtney Love — et il lui
pompeux, conte
initiatique de son
a fallu vingt-cinq ans pour qu’il raconte dans ce livre temps et donc
01 “Rock Sudiste “Kurt” son témoignage sur la vie et, bien sûr aussi, sexiste, le livre
- When The South Rose Again” sur la mort de Kurt Cobain, mort à laquelle certains rappelle néanmoins
ARNAUD CHOUTET (Le Mot Et Le Reste) fans conspirationnistes l’imaginent carrément mêlé. avec justesse
02 “Encore Plus De Bruit : L’Âge D’Or La lecture de ce livre devrait tout de même en la rébellion des
du Journalisme Rock En Amérique...” persuader certains de la stupidité de cette hypothèse, années soixante
MAUD BERTHOMIER (Tristram) car sans même prendre en compte l’affection sincère et l’urgence de la
pour Kurt Cobain que l’on sent à chaque page, révolution morale
03 “Eagles : Life In The Fast Lane” Goldberg démontre simplement que le tuer revenait et sexuelle que la
ALEXIS HACHE (Le Mot Et Le Reste) pour lui à tuer la poule aux œufs d’or, un artiste vivant, jeunesse réclamait alors. Parlerait-on encore de Fariña
04 “Lizzy Mercier Descloux, Une Eclipse” qui donne des concerts et sort des nouveaux disques
rapportant vachement plus qu’un artiste mort, quoi
écrivain avec des trémolos dans la voix si il n’avait
pas eu ce parcours musical et ces accointances
SIMON CLAIR (Playlist Society)
qu’en pensent les paranoïaques. C’est au contraire prestigieuses, rien n’est moins sûr, mais quiconque
05 “Paul McCartney” PHILIP NORMAN (Seuil) avec toujours beaucoup de respect que l’empathique s’intéresse à ces années foisonnantes en trouvera
Goldberg évoque la mémoire de son client-ami et qu’il dans ce texte un témoignage vivace et juste. ❏

MAI 2019 R&F 105


Agenda concerts PAR MARC LEGENDRE

TOP15
VINYLES
MARS 2019
Paris
AVRIL (New Morning) ● Cradle of Filth (La Machine Ephémère) ● Father Refouled (Gibus)
du Moulin Rouge) ● High Tone (Trianon) ● Interzone (104) ● Walking
19 AVRIL ● Sophie Hunger (Gaîté Lyrique) ● Kap On Cars (Trabendo)
Fatima (New Morning) ● Lukas Graham Bambino (Trabendo) ● Lali Puna et Surma
(Bataclan) ● Hocico et Herrschaft (Gibus) (Petit Bain) ● Piroshka (Backstage) ● Rodrigo 4 MAI
● Internatinal Teachers Of Pop et Y Gabriela (Olympia) ● Vanished Souls, Built To Spill (Maroquinerie) ● The
2Panheads (Supersonic) ● Last Street Dive Dukes Of Paris et La Vague (Bus Palladium) Coathangers (Olympic Café) ● James Hersey
et Yola (Elysée Montmartre) ● Jesse Lee & (Boule Noire) ● The Hunna (Les Etoiles)
The Alchimists et Rhino’s Revenge (Boule 26 AVRIL ● Tagada Jones et Le Bal des Enragés
Noire) ● Muddy Monk (Maroquinerie, complet) Defeater, Dead Swan et Swain (Gibus) (Cigale) ● Ten Fé (Point Ephémère)
● Polar System (Bus Palladium) ● Romeo ● Employed To Serve (Boule Noire)
01 QUEEN
Elvis (Zénith, complet) ● Skyharbor ● Véronique Sanson (Palais des Sports) 5 MAI
“Soundtrack : Bohemian (Backstage) ● Tribute Sortilege (Petit Bain) ● Yl (Maroquinerie) ● Nilüfer Yanya ● Mother Mother (Boule Noire) ● Trade
Rhapsody” Universal (Point Ephémère) Wind et Modern Color (International)
20 AVRIL
02 QUEEN Art Of Fighters, The Sickest Squad, 27 AVRIL 6 MAI
“Greatest Hits” Universal Maissoulle, Section Grabuge, Psiko, Backtrack Lane et The Sentinelese (Bus Babasonicos (Pan Piper) ● Colour
K. Sual et Sub D (Trabendo) ● Deunff, Palladium) ● Benjamin Francis, Leftwich Haze (Petit Bain) ● Leisure et The Modern
03 SUPERTRAMP Zenzile et Elisa Do Brasil (Patronnage et Rosie Carney (Pop Up du Label) ● Glen Strangers (Pop Up du Label) ● Nouvelle
“Breakfast In America” Laïque) ● Gazelle Twin (Gaîté Lyrique) Hansard et Hugo Bariol (Casino de Paris) Vague (St-Eustache) ● Rat Boy (Maroquinerie)
Universal ● Michael Rother et Steeple Remove ● Camp Claude (Maroquinerie) ● Mighty ● John Scofield (New Morning)
(Maroquinerie) ● Pistol Star (Black Star) Mo Rogers (Pan Piper) ● Véronique
04 LADY GAGA ● Set It Off (Backstage) ● Wolve, The Sanson (Palais des Sports) ● She Past 7 MAI
& BRADLEY COOPER Random Monsters et Purrs (Bus Palladium) Away (La Machine du Moulin Rouge) Altin Gün (Café de la Danse, complet)
“Soundtrack : A Star Is Born” ● Bad Religion (Trianon) ● Big Wild (Nouveau
Interscope 21 AVRIL 28 AVRIL Casino) ● Charlie Bliss (Boule Noire) ● Deus
Dopelord et Saint Vitus (Petit Bain) Anti-Flag (Gibus) ● Battle Beast (Trabendo) (Cigale, complet) ● Earthless et Mars Red
05 ● Giuda, Howlin’ Jaws, Bogan et Bromure ● Frog Leap (Petite Bain) Sky (Maroquinerie) ● La Fine Equipe (Gaîté
QUEEN
(Gibus) ● Zed Is Dead et Ilaria Graziano Lyrique) ● Guccighiwaters (1999) ●
“Greatest Hits II” Universal
& Francesco Fami (Patronnage Laïque) 29 AVRIL Mumford & Sons (Zénith) ● Punish Yourself
Barrie (Pop Up du Label) ● Brutus (Point et Ze Grand Zeft (Gibus) ● Penelope Isles,
06 MICHAEL JACKSON 22 AVRIL Ephémère) ● Lee Field & The Expressions Someone et Wooze (Supersonic)
“Thriller” Sony Music All Them Witches (Maroquinerie) ● Dagoba, (Eglise Ste-Eustache, complet) ● Helheim
Princess Leya, Kause 4 et Konflikt (Machine et Vulture Industries (Backstage) 8 MAI
07 RAGE AGAINST du Moulin Rouge) ● Fontaines DC (Point ● The Murder Capital (Boule Noire) Buvette (Point Ephémère)
THE MACHINE Ephémère, complet) ● Jim Jones & The ● Sticky Fingers (Trabendo) ● Jay Jay Johanson (Café de la Danse)
“Rage Against The Machine” Righteous Mind (Supersonic) ● Tess Parks ● The Jungle Giants (Pop Up du Label)
Sony Music & Anton Newcombe (Petit Bain) ● Rk (Cigale) 30 AVRIL
Craig David (Elysée Montmartre) ● Fil Bo 9 MAI
08 MASSIVE ATTACK 23 AVRIL Riva (Backstage) ● Kobo (Boule Noire) Disturbed (Elysée Montmartre) ● George
“Mezzanine” Universal Bakar (Badaboum) ● The Black Dahlia ● Tom Lebb (Les Etoiles) ● Jamie Lawson Ezra (Zénith) ● Lucy Rose et Samantha
Murder (Petit Bain) ● Irène Drésel (Gaîté (Maroquinerie) ● Millencolin (Trabendo) Crain (Café de la Danse) ● Quiet Men (Studio
09 LOU REED Lyrique) ● Lambchop (Maroquinerie) ● Norma (Point Ephémère) de l’Ermitage) ● Stuck In The Sound (Trianon)
“Transformer” Sony Music ● Noname (Bellevilloise) ● The Proper ● Kate Tempest (Point Ephémère)
Ornaments (Supersonic) ● Ryder
10 PINK FLOYD The Eagle (Point Ephémère) MAI 10 MAI
Cosmo Sheldrake et Krill (Café de la Danse)
“The Dark Side Of The Moon”
Warner
24 AVRIL 2 MAI ● Dead Can Dance (Grand Rex) ● Dip
Atmosphere (Bellevilloise) ● Ron Gallo (Point Rhys Lewis (Boule Noire) ● Lily & In The Pool et Satoshi Tomiie (Gaîté Lyrique)
Ephémère) ● Holy Two (Maroquinerie) Madeleine (Pop Up du Label) ● LP (Cigale) ● Mild Orange (Pop Du Label)
11 FOALS ● Mellow Mood (New Morning) ● Pistol ● Local Natives (Point Ephémère) ● Rita Ora
“Everything Not Saved Will” Star et Teacup Monster (Boule Noire) (Bataclan) ● Prep (1999 Club) ● Weyes 11 MAI
Warner ● Porn (Centre Fleury Goute d’Or) Blood (Maroquinerie) ● Wives (Supersonic) Altopalo (Pop Up du Label) ● Bokassa (Les
● Véronique Sanson (Palais des Sports) ● X Ambassadors (Trabendo) Etoiles) ● Dead Can Dance (Grand Rex)
12 LOUISE ATTAQUE ● Johnny Montreuil (Café de la Danse)
“Louise Attaque” Universal 25 AVRIL 3 MAI ● Molly Nilsson (Maroquinerie)
Aöme (Les Etoiles) ● Being As An Ocean et Backyard Babies (Maroquinerie) ● The ● The Picturebooks (Boule Noire)
13 AMY WINEHOUSE Counterparts (Maroquinerie) ● Joao Bosco Big Idea (Boule Noire) ● Décibelles (Point
“Back To Black” Universal

14 DIRE STRAITS
“Brothers In Arms” Universal
15 QUEEN
Prévisions Paris ///////////////////////////
Jon Spencer And The Hitmakers : 17/5 (Maroquinerie), The Good, The Bad & The Queen : 27 et 28/5 (Bataclan et Trianon, complet le 28),
Filthy Friends : 28/5 (Petit Bain), Electric Wizard : 31/5 (Elysée Montmartre), Lenny Kravitz : 5/6 (Bercy), Andrew Bird : 14/6 (Trianon),
“A Night At The Opera”
Elton John : 20/6 (Bercy), Cage The Elephant : 20/6 (Bataclan), ZZ Top : 21/6 (La Seine Musicale), The Beach Boys : 26/6 (Olympia),
Universal
Interpol : 2/7 (Olympia), Limp Bizkit : 6/7 (Olympia), Daryl Hall & John Oates : 10/7 (Salle Pleyel), Alice Cooper : 20/9 (La Seine Musicale),
Vampire Weekend : 16/11 (Zénith), Royal Republic : 10/12 (Elysée Montmartre)

106 MAI 2019


Photo Anna Sampson-DR

The Proper Ornaments : le 19 avril à Avignon (Love Letters festival) à le


20, Arthez-de-Béarn (Le Pinguin Alternatif), le 21 à Toulouse (Papillons
Sauvages), le 22 à Tours (Cubrik) et le 23 avril à Paris (Supersonic).

12 MAI ● Aöme : 19, Nantes (Le Nid) ● 20, Bordeaux


Tokio Hotel (Olympia) (Plage des Chantiers de la Garonne) ● 30, Lille
(La Bulle Café) ● Balls Out : 19, Nice (Altherax)
13 MAI ● 20, Fréjus (Monster’s Art) ● 28, Villeneuve-

Cassia, Chef ‘Special et Idoliqing Nova (Pop Loubet (American Dream Festival) ● Battle
Up du Label) ● Lauren Daigle (Alhambra) ● Beast : 18, Lyon (Nynkasi Kao) ● 26, Toulouse
Foals (Bataclan, complet) ● Conan Gray (Les (Connexion Live) ● 27, Clermont-Ferrand (La
Etoiles) ● Jupiter (Petit Bain) ● JS Ondara Coopé) ● Les Clébards et Dirty Old Mat : 26,
(Nouveau Casino) Montpellier (Secret Place) ● Michel Cloup
Duo et Tchewsky & Wood : 26, Rennes (Ubu)
14 MAI ● Colombine : 19, Rouen (106) ● 20, Nantes
Biche (Boule Noire) ● Loyde Carner (Point (Stéréolux) ● Dagoba et Princess Leya : 20,
Ephémère, complet) ● Eddy de Pretto (Elysée Lille (Aéronef, avec Stengah) ● 21, Strasbourg
Montmartre) ● H-Burns (Maroquinerie) (Laiterie, avec Black Bomb A et Redemption) ●
● Angélique Kidjo (Bataclan) ● Liily, 23, Lyon (Ninkasi, avec Destiny et Dead Kiwis) ●
Lion et Queen Zee (Supersonic) 24, Romans-sur-Isère (La Cordonnerie) ● 26,
Mérignac (Krakatoa) ● 27, La Rochelle (La
15 MAI Sirène, avec Not Scientists et Hangman’s Chair)
CTRFCN (Point Ephémère) ● Eddy de Pretto ● 28, Limoges (CCM John-Lennon) ● 29, Joué-

(Elysée Montmartre) ● Pete Doherty & The Lès-Tours (Le Temps Machine) ● 30, Nantes
Puta Madres (Bataclan) ● Hand Habits (Zénith ) ● Death Decline : 19, Lille (Bobble
(Supersonic) ● Emilie Kahn (Café de la Danse) Café) ● Delgres : 20, Moelan-sur-Mer (Ellipse,
● La Maison Tellier (Trianon) ● Martin avec Mojo Machine et Karl Halby) ● Down
Mey (Boule Noire) ● MGLA et Revenge (Petit Trigger : 26, Lille (Le Midland) ● Dying Flag :
Bain) ● Papooz (Cigale) ● Polynation 19, Nîmes (London Tavern) ● 27, Montpellier
et Mokado (Badaboum) (Black Sheep) ● Jupiterian Sludge et
Gaerea : 19, Montpellier (Secret Place)
16 MAI ● Kanka, Omar Perry, Nai Jah, Alpha
Roni Alter (Café de la Danse) ● Archive Steppa et Chalice Sound System : 27,
(Seine Musicale, complet) ● Confidence Ramonville (Bikini) ● Leprous et Steel
Man (Badaboum) ● Eddy de Pretto (Elysée Panther : 27, Tournefeuille (Le Phare)
Montmartre) ● Lou Doillon (Olympia) ● Loud : 17, Toulouse (Connexion Live) ●
● Drugdealer (Point Ephémère) ● G Flip (Pop 26, Dunkerque (4 Ecluses, avec Doxx et Bekar)
Up du Label) ● Anthony Joseph & The ● Mellow Mood : 18, St-Etienne (Le Clapier,
Spasm Band (New Morning) ● Klingande avec Innavibe) ● 20, Lorient (parc expos
(Les Etoiles) ● Lewis Ofman (Maroquinerie) Lanester) ● 27, Bagnols-sur-Cèze (La Moba) ●
● SRD et Shining (Nouveau Casino) 28, Marseille (Molotov) ● Misanthrope, ADX,
Benightd, Morpain, Putrid Offal et Gang :
20, Chaulnes (centre socio culturel)

Province ● Nosonic : 19, Bourges (Incontournable)


● Papooz : 19, Lyon (Ninkasi) ● 20, Montpelier
(Rockstore) ● 26, Strasbourg (Laiterie) ● The
AVRIL Proper Ornaments : 19, Avignon (Love Letters
Festival) ● 20, Arthez-de-Béarn (Pinguin
Jeanne Added : 19, Bourges (W, avec Cats On Alternatif) ● 21, Toulouse (Papillons Sauvages)
Trees, Odezenne, Thérapie Taxi, Flavien Berger, ● 22, Tours (Cubrik) ● The Psychotic

Etienne de Crécy, Ofenbach, Suzanne et Inuit) Monks : 18, Bourges (Nadir, avec Le Villejuif

MAI 2019 R&F 107


Agenda concerts

Photo Deborah Sheedy-DR


Fontaines DC : le 22 avril à Paris (Point Ephémère)

Underground et Lysistrata) ● Reverend ● 4, Lille (Aéronef) ● Reverend Peyton’s


Peyton’s Big Damn Band : 25, Romans (La Big Damn Band : 2, Toulouse (Rex) ● 3, Istres
Cordonnerie) ● 26, Bain-de-Bretagne (Bain de (Usine) ● Jon Spencer And The Hitmakers :
Blues) ● 27, Masy (Paul B) ● 28, Beaumont-en- 2, Brugge (B, Cactus Club) ● 3, Luxembourg (L,
Véron (Temps des Cerises) ● Stuck In The Carré Rotondes) ● 14, Belfort (Poudrière) ● 15,
Sound : 19, Montpellier (Rockstore) ● 20, Clermont-Ferrand (La Coopé) ● 16, Grenoble
Bagnols-sur-Cèze (Moba) ● Teleferik : 20, (La Belle Electrique) ● 18, Lille (Aéronef)
Lyon (Les Platanes) ● 26, Poitiers (Le Pince- ● Stuck In The Sound : 3, Beauvais (Ouvre-
Oreille) ● Thylacine : 26, Nancy (Autre Canal) Boite) ● Teleferik : 1er, Dijon (Trinidad) ● 3,
● Weyes Blood : 30, Dunkerque (4 Ecluses) Besançon (Passager du Zinc) ● 11, Strasbourg
● The Young Gods : 17, Toulouse (Métronum) (Le Local) ● 17, Rouen (fest. Lucien)
● 20, Strasbourg (Laiterie) ● Videoclub : 16, Nantes (Le Nid)
● Warrior Kids et The Snakes : 11,
Marseille (Maison Hantée) ● Weyes Blood :
MAI 3, Orléans (Astrolabe) ● The Word Alive,
Make Them Suffer, Of Virtue et Aviana :
Altin Gün : 14, Rouen (106) ● 15, Rennes 2, Montpellier (Secret Place)
(Ubu) ● 17, Mérignac (Krakatoa) ● 18, Feyzin
(L’Epicerie Moderne) ● Aöme : 4, Toulouse (La
Dynamo) ● Archive : 13, Clermont-Ferrand
(Coopé) ● 14, Nantes (Stéréolux) ● Auren : 15,
Lyon (Le Radiant) ● Catfish : 4, Brainans (Le
Moulin) ● Elephants, RSV et For The Sin :
Festivals
4, Montpellier (Secret Place) ● Fat White ■ Printemps de Bourges : 16 au 21/4,
Family : 30, Nîmes (Festival) ● 31, Strasbourg Bourges (divers lieux, avec – le 17 : Columbine,
(Laiterie) ● Insinity Alert et Terror Shark : 5, PLK, Georgio, Alpha Wann, Tessa B, Gaëtan
Montpellier (Secret Place) ● Lo’Jo : 12, Roussel, Hubert-Félix Thiéfaine, Rodrigo y
Angers (Joker’s Pub) ● 17, Annemasse Gabriella, Adam Naas, Canine et Flèche Love
(Château Rouge) ● 18, Champagnat (Naut’ – le 18 : Sarah McCoy, Lou Doillon, Soap and
Active) ● Lords Of Altamont, Soft Erections Skin, Michelle Blades, RK, Koba Lad, Wald,
et Grinding Eyes : 14, Montpellier (Secret Gringe, L’Ordre Du Périph, Jacques, Joseph,
Place) ● Les Négresses Vertes : 18, Zazie, Boulevard des Airs, Charlie Winston,
Sauveterre-de-Rouergue (salle des fêtes, avec Molécule, Claire Diterzi, Roni Alter, Ic3peak,
Miossec et Lombre) ● 24, Amneville (Seven Myth Syzer, Pongo, Dope Saint Jude, Oktober
Casino) ● No One Is Innocent, Ko Ko Mo, Lieber, Wwwater, Guy Chadwick, The Psychotic
Triggerfinger, Slade, Sweet Scarlett et Monks, Le Villejuif Underground et Namdose
Aaron Buchanan & The Cult Classics : – le 19 : Clara Luciani, Cats On Trees,
11, Chauny (Forum Culturel) ● Papooz : 1er, Odezenne, Flavien Berger, Suzanne, Ladylike
Bruxelles (B, Nuits Botaniques) ● 2, Rouen (106) Lily, Catastrophe, Youssoupha, Aloïse Sauvage,

108 MAI 2019


Arnaud Rebotini, Rodolphe Burger, Jean-Louis ■ Musilac Mont Blanc : 26 et 28/4,
Murat, Mermonte, Esinam, Jeanne Added, Chamonix Mont Blanc (Bois du Buchet, avec
Thérapie Taxi, Cats On Trees, Odezenne, Inuit, – le 26 : Aya Nakamura, The Blaze, The Kooks,
Idles, Rendez Vous, Lysistrata, Mourn, Amyl & Eagle Eye Cherry, Iditors et Two Door Cinema
The Sniffers, Lady Bird, Nouvelle Vague et Chris Club – le 27: Eddy de Pretto, Les Négresses
Stills – le 20 : Vladimir Cauchemar, CTRFCN, Vertes, Charlie Winston, Rodrigo y Gabriella
HO9909, Giorgia Angiuli, Sentimental Rave, – le 28 : Romeo Elvis, Zazie, Boulevard des
Bertrand Belin, Radio Elvis, Elisapie, Mayra Airs, Gaëtan Roussel, Hubert-Félix Thiéfaine
Andrade, Blick Bassy, Mohamed Lamouri, et Fils Monkey) www.musilac.com
Paul Kalkbrenner, Thylacine, Kompromat Kiddy
Smile, Sam Paganini, Voyou, Cléa Vincent, ■ Don Jigi Fest : 3 et 4/5, Vitré (parc des
Hubert Lenoir, Requin Chagrin, Muddy Monk, expos, avec – le 3 : Sofiane, Fianso, Jazzy Bazz,
Bleu Toucan – le 21: Aya Nakamura et Maître Inuit, Turtle, Weever et Flou – le 4 : PLK, Biga
Gims) www.printemps-bourges.com Ranx, Rakoon, Stand Hight Patrol, Arnaur
Rebotini, Marina P et Trym) www.donjigifest.org
■ Insolent présente la Nuit du Reggae :
20/4, Lorient (Lann Sevelin parc expo, ■ Moshfest : 10 et 11/5, Montpellier (Secret
Mellow Mood, Tiken Jah Fakoly, Alpha Blondy, Place, avec – le 10 : Crippled Fox, Infest,
Groundation, Sinsemelia, Patrice et Collectif 13) B.M.B, Gummo, Boom et Morbid Scum
www.festival-insolent.fr – le 11 : Rectal Smegma, Agressive
Agricultor, Sublim Cadaveric Decomposition,
■ Reperkusound : 19 au 21/4, Villeurbanne Boris Viande, Moshpig et Cop Corn)
(Double Mixte, avec – le 19 : Vladimir
Cauchemar, Mandragora, Paula Temple, Sam ■ Europopcorn : 17 et 18/5, Mervans
Paganini, Pedro Winter aka Busy P, Myd (Club (plein air, avec – le 17 : Barcella, Pigalle et
Cheval), Panteros 666, Len Faki, Helena Hauff, Prowpuskovic – le 18 : Les Shériff, Diego
Audioflow, T.Lesco.P, Anton X, Symbol, Pallavas et Undervoid) www.europopcorn.fr
Misstick, Rabbit Fury et Maât – le 20 : High
Tone, La P’tite Fumée, Rakoon, Le Bask, Tha
Trickaz, Vortek’s, Radium, Dirtyphonics, The Les dates de concerts pour la période
Architect, Baja Frequencia, Tambour Battant, 19/05 au 30/06 qui ne seront pas parvenues
Ishiban, Dudz, Sonic Species, Psylotribe, Flava au journal le 20/04 au plus tard ne pourront
D, Miss Tekix, Neurokontrol, Vertical Mode, être publiées. Il est préférable de porter la
Technical Itch et Kanchi – le 21 : Little Big, mention “Concerts” sur l’enveloppe de
47ter, Cadillac, Highligh Tribe, Salut C’Est Cool, votre envoi. Merci. L’ensemble des dates
et des lieux indiqués l’est sous réserve de
Biffty, Elisa Do Brasil, Noisia, DJ Fly, Emmanuel changements ultérieurs. Il est préférable
Top, Jacidorex, Rumbo Tumba, Suburbass, de s’informer dans la presse locale
Eustache McQueer, Cookie Monsta, Datcom ou auprès des organisateurs des
et DJ Aphrodite) www.reperkusound.com changements éventuels de programmation
Photo Klara Kristin-DR

Papooz : le 19 avril à Lyon (Ninkasi) et le 1er mai à Bruxelles (Nuits


Botaniques), le 2 à Rouen (106), le 4 à Lille (Aéronef) et le 15 à Paris (Cigale)

MAI 2019 R&F 109


Absolutely live PAR MATTHIEU VATIN Les têtes tournent, les talons

Photo Marion Ruszniewski


Death Valley Girls

Seul ou flanqué d’invités, dont Jean-Philippe


Death Valley Girls Bass Drum Of Death Rykiel au clavier, idéal contrepoint de son jeu
7 MARS, PETIT BAIN (PARIS) 9 MARS, POINT EPHEMERE (PARIS) de guitare tout en volutes, il enchaîne pendant
De tournée française pour défendre Le trio new-yorkais d’adoption nous avait laissés deux heures chinese pop des années 1930,
“Darkness Rains”, troisième album aux orphelins suite à l’annonce d’un hiatus en 2015, allégro du compositeur tchèque Janácek,
refrains glam et aux rythmiques boogie léguant trois albums pour lot de consolation, classiques des Rolling Stones ou de son héros
impeccablement craspec, Death Valley rappels d’un talent fou réunissant le meilleur du Skip James, sans oublier les détours attendus
Girls accoste avec l’intro hypnotique de garage rock et d’un punk lo-fi. De retour avec le par le blues rugueux de Captain Beefheart
“Abre Camino” et en appelle illico aux réussi “Just Business” en 2018, John Barrett et les mélopées célestes de Jeff Buckley.
forces les plus occultes de la musique. et son effectif renouvelé se sont enfin payé PIERRE MIKAILOFF
La péniche se voit submergée par une vague un passage à Paris. C’est un samedi soir au
de fuzz, et l’on sent alors émaner l’énergie Point Éphémère, complet pour l’occasion,
paranormale du quatuor électrique aux qu’ont lieu les retrouvailles. Au programme : David Nance Group/
trois quarts féminin. Emmené par le chant hymne juvénile (“GB City”), explosion grunge The Shifters/ En Attendant Ana
sibyllin, la guitare et le synthétiseur de (“Sin In Is Ten”) avant de clôturer cette 9 MARS, PETIT BAIN (PARIS)
Bonnie Bloomgarden qui semble entretenir performance scénique d’une efficacité imparable Quand le label Trouble In Mind vient jouer les
une relation privilégiée avec chaque sur “Failing Up” devant un public surexcité. maîtres-nageurs au Petit Bain, c’est tout l’indé
spectateur, Death Valley Girls se voit aussi CHAYMA MEHENNA parisien qui mouille le Speedo le temps d’un
appuyé par la wah-wah de Larry Schemel, spectaculaire relai trois fois quarante-cinq
guitariste taciturne côté jardin, qui balaie minutes garage-libre. Le David Nance Group
tout sur son passage. A la fin du concert, Gary Lucas en signe le premier chrono sur un tempo très
la volcanique vocaliste descend revendiquer 9 MARS, SUNSET (PARIS) seventies, entre Neil Young et The Black Angels,
droit dans les yeux son beau désastre À l’ombre de son Stetson, le regard malicieux avant de céder la place aux Shifters et à leur pop
dystopique dans le public. de Gary Lucas pétille tandis qu’il entame nageant dans le sillage lo-fi est-australien des
VINCENT HANON son set par quelques pièces en picking, Goon Sax et des UV Race. Stars du soir, les
entrecoupées, comme il se doit, de digressions sur locaux d’En Attendant Ana offrent quant à eux un
sa carrière et les rencontres qui l’ont jalonnée. sprint final pêchu et élégant, dans un genre plus

110 R&F MAI 2019


claquent
Moscou 1980 que Paris 2024. La pop française
tient enfin son prochain rêve de médaille.
YVES CZERCZUK

Elliott Murphy
16 MARS, NEW MORNING (PARIS)
Cette année, la traditionnelle résidence
d’Elliott Murphy au New Morning coïncidait
avec son soixante-dixième anniversaire,
l’occasion d’en rire : “A soixante-dix ans dans le
rock, tu n’es plus un rocker, tu es un bluesman.”
D’où un concert de plus de trois heures
agrémenté de surprises : des messages d’amis
Photo Matthieu Vitré - DR

Elliott Murphy Feu ! Chatterton

d’outre-Atlantique, dont Bruce et Patti


Springsteen, un hommage (“Last Call”) au
regretté Patrick Mathé, qui l’avait aidé à
Moonalk en moon boots
relancer sa carrière. Au programme, des
classiques “Drive All Night”, “Diamonds
By The Yard”, “Last Of The Rock Stars”,
Rock The Pistes
“Rock Ballad”, mais aussi le rare “Absalom,
DU 17 AU 23 MARS, DOMAINE DES PORTES DU SOLEIL
La montagne est belle pour la neuvième édition de Rock The Pistes, sauf pour
Davy & Jackie O” joué pour la première fois
sur scène. Murphy a brillamment célébré sa Gaëtan Roussel qui devait ouvrir le bal à Champéry-Les-Crosets mais dont le concert
musique romantique, accompagné de son fut annulé pour cause de météo venteuse. Pas de session acoustique de rattrapage,
fidèle groupe où s’illustrent, entre autres, l’ex-Louise Attaque préférant prendre un train de retour à l’heure du show, illustrant
Olivier Durand et, désormais, son fils Gaspard. ainsi les paroles de son tube “Help Myself” en ne faisant “que passer, sans prendre le
CHARLES FICAT temps de s’arrêter”. Le 18, c’est le gang de FEU ! CHATTERTON qui enflamme Les Gets-
Morzine, livrant au sommet du télésiège des Folliets du Golf un set musclé épicé par
les textes enflammés d’Arthur Teboul, lyrique lorsqu’il évoque dans “Côte Concorde”
The Young Gods le naufrage du Costa Concordia, quand “cinq étoiles dans la nuit sont mortes”. On sent
22 MARS, MAROQUINERIE (PARIS)
Comment un tel groupe, après presque au fil des chansons qu’Arthur connaît son Bashung par cœur et que Léo Ferré ne lui
35 ans de carrière, ayant littéralement sidéré est pas indifférent. Le festival passe à sa vitesse de croisière mercredi 20 avec le DJ set
Trent Reznor, Bowie ou Bono (sic) et publié d’Ofenbach à Avoriaz devant une foule compacte prête au moonwalk en moon boots à
un chapelet de chefs-d’œuvre intacts, peut-il l’écoute de l’electro des deux Parisiens Dorian et César. HYPHEN HYPHEN, Victoire de la
garder une telle spontanéité ? Dans une Musique 2016 catégorie révélation scène, joue le lendemain à Châtel, sous le soleil.
Maroquinerie au bord de l’apoplexie où ils
présentaient leur magnifique “Data Mirage “Il fait presque chaud, j’aurais dû enlever mon collant !” lâche la chanteuse Santa
Tangram”, les Jeunes Dieux helvètes, menés par avant de se lancer dans “Kiss You” face à un public complice qui semble apprécier
Franz Treichler, ont assuré un incroyable trip la pop acidulée du dynamique combo. Mini happening : Santa vient dessiner le
free-psych-tribal, cognant aux couches les plus maquillage du groupe, deux traits noirs sous les yeux, au public ravi du premier
profondes du cortex... Bernard Trontin (batterie) rang. Conclusion d’une semaine musclée, samedi 23, avec le très charismatique
et Cesare Pizzi (samplers) méritent le prix Nobel CHARLIE WINSTON, qui revient une seconde fois après sa prestation de 2015 et offre en
de l’envoûtement suprême ! De “Figure Sans
Nom” à “Envoyé !” (premier EP de 1986), en guise d’échauffement un concert acoustique vespéral pour RTL 2 la veille de son
passant par “Gasoline Man” et, cerise sur show. Un live, salle comble, enfin montagne pleine, Charlie retournant l’assistance
le gâteau, “Everythem” en second rappel, avec son single “Kick The Bucket”, repris en chœur par les festivaliers.
on n’a pas touché terre pendant deux heures ! Happening pour la fin du festival avec le survol de la scène par des wingsuiters.
ALEXANDRE BRETON OLIVIER CACHIN

MAI 2019 R&F 111


“A soixante-dix ans dans le rock,
tu n’es plus un rocker, tu es un bluesman”
Nick Waterhouse Marc Almond Peter Doherty
24 MARS, PETIT BAIN (PARIS) 30 MARS, TRIANON (PARIS) & The Puta Madres
La salle, pas si petite que ça, accueille tout C’est dans un Trianon à peine rempli, que 2 AVRIL, MAROQUINERIE (PARIS)
ce que la capitale compte de connaisseurs l’ex-Soft Cell venait remettre les pendules à “Starman” de Bowie résonne encore dans
en matière de rock’n’soul véridique. Après l’heure. Un éblouissement ! On se demande la sono lorsque la grande carcasse cabossée,
une interruption d’environ trois ans, fort d’un bien à quoi sert le management d’un tel artiste mais ponctuelle, de l’agitateur britannique
quatrième album qui porte simplement son tant son concert, dédié à Charles Aznavour, fut numéro un, débarque sur scène flanquée
nom, Nick Waterhouse est de retour. Cultivant d’une incroyable beauté : fastueuse, sincère de son nouveau groupe, les Puta Madres,
un physique d’antihéros, plus proche de Randy et généreuse de la part de celui qui demeure afin de tester sept morceaux de son
Newman que de Mick Jagger, il fascine par aussi, bizarrement, une icône camp sous- neuvième disque à paraître le 26 avril.
sa vision personnelle d’une musique née estimée. Après un premier set consacré pour A la guitare, sans filet mais avec brio,
bien avant lui. Aux meilleurs morceaux l’essentiel à de splendides reprises — Doherty entame le set par la splendide
des disques précédents se greffent des Aznavour, donc, Jacques Brel, Scott Walker, “All At Sea”, bluette racée aux obsessions
nouveautés épatantes comme “Wreck Lou Reed, Billy Fury, plus trop de vivants — bien ancrées avec ses rythmiques manouches
The Rod”, “Undedicated” ou le délicieux les fans (plutôt dégarnis) purent verser de évoquant un amour désabusé. Acrobate
“Wherever She Goes (She Is Wanted)”. justes larmes sur de magnétiques versions de vocal, Peter chante miraculeusement juste,
Le Californien mène le show avec une autorité “Bedsitter”,“Torch” ou, immanquable, “Tainted idéalement entouré par une bande de
naturelle, exigeant le meilleur de sa troupe Love”, version maxi enchaînée avec “Where bohémiens des temps modernes habituée à
dont une choriste aussi efficace que séduisante Did Our Love Go”... Après un final à tomber rebondir aux moindres faits de leur leader.
et une saxophoniste baryton dont chaque sur “Say Hello, Wave Goodbye”, une évidence L’hymne toxico d’Arhtur Lee, “Signed DC”
solo déclenche une ovation. Splendide ! s’imposait : cet homme sait rendre amoureux. est proverbialement repris avant un final
JEAN-WILLIAM THOURY ALEXANDRE BRETON cacophonique digne de 2005, où le groupe
hésite entre “Albion” et “Fuck Forever”
pour ainsi convaincre les derniers récalcitrants
venus écouter ses tubes du début du siècle.
MATTHIEU VATIN

Requin Chagrin
4 AVRIL, LES FEMMES S’EN MELENT,
TRABENDO (PARIS)
On s’était rendu au Trabendo attiré
une fois encore par les éthers violents
d’ANNA CALVI. Mais, ce soir-là, c’est
REQUIN CHAGRIN qui décrochera la lune.
Les twists étranges, la voix androgyne de
Marion Brunetto, les guitares shoegaze
noyées dans une reverb épaisse et blanche,
tout est beau et prenant. Après des
préliminaires timorés, la Varoise creuse
son sillon new wave et chante sans fard,
ni retouche ses histoires d’amour niquées
comme sur l’entêtant “Sémaphore”. Les
têtes tournent. Les talons claquent. Et l’on
se dit qu’on tient là l’un des groupes les
plus passionnants de la pop en français.
Plus tard, on sourira poliment devant les
pitreries grunge de SHANNON WRIGHT.
Après un prêche majestueux d’Anna
Calvi, seule à la guitare, on vide les lieux
le cœur lourd. Et les oreilles confites.
ROMAIN BURREL

Lane
6 AVRIL, MAROQUINERIE (PARIS)
Soirée sandwich avec les punks énergiques
de Rebel Assholes et les Basques cultes de
Berri Txarrak en guise de pain et Lane dans
le rôle du fromage, ou du jambon, au choix.
Le groupe angevin et ses trois guitares
jouent pendant une grosse heure quasiment
l’intégralité des titres de son admirable
premier album et de son EP. Avant de clore
le set avec une reprise du “Requiem” de
Killing Joke. Le concert est placé sous le
signe des mélodies saturées et des voix
d’anges déchus. L’humeur est à la mélancolie
Photo Michela Cuccagna

de combat et c’est absolument délicieux.


Seul (petit) bémol : cette ridicule limitation
de décibels qui empêche véritablement
de décoller. Pas grave : il y aura
Peter Doherty d’autres occasions.
& Putas Madres
JEROME REIJASSE

112 R&F MAI 2019


Çane
s’invente pas
ROCK MAI 1969 R&F 028
“Hair”, adapté par Jacques Lanzmann,
va être joué au Théâtre de la Porte Saint-
Martin par des acteurs et des musiciens
inconnus. Après un four à New York,
MAI 1979 R&F 148
“Qui à Rock&Folk osera chroniquer
le nouveau Supertramp ? se rengorge
un lecteur. Qui donc écoutera cet album
sans rougir ?” Pauvre fou, “Breakfast In

’N’ROLL le show a été relancé par un producteur


corse, Bertrand Castelli, qui a monté
7 troupes pour l’exporter dans le monde.
Les partitions sont signées Galt McDermot,
inspiré par “Nashville, Liverpool, l’Inde
America” est disque du mois, et nul n’aura
le culot de s’en féliciter. Suit un gros papier
sur Johnny Hallyday en tournée, sans que
“la dernière idole” ne montre le bout du
nez, mais des fans un peu lourds, une

FLASH et la pop music”. Le message est censé


être “émotionnel”, pas politique. Pourtant
Rock&Folk parie qu’il sera plus durable
(Vietnam, capitalisme, pollution) que
celui des hippies, “partie prenante de la
garde rapprochée assez favorable à
l’utilisation du coup de boule, et des
premières parties qui jouent le gig de
leur vie. A propos de fans un peu lourds,
“il faut se le faire le public, grommelle

BACK PAR CHRISTIAN CASONI


société de consommation”. “Hair” inaugure
“l’après-LSD”, le temps de la réflexion et de
l’action. Le public en sort parfois furieux,
“mais informé”. Le spectacle a été plusieurs
fois censuré. A Acapulco, la troupe a été
emprisonnée puis expulsée du Mexique.
Certains comédiens ont même été tondus.
Jacques Dutronc. Tu es face à des nénettes
tout émoustillées, et des mecs qui ramènent
leurs gueules : c’est un con, c’est un pédé,
il est moche.” Pete Townshend garde
rancune au Guardian d’avoir craché sur
la dépouille de Keith Moon, et sur celle
de Sid Vicious : “J’ai pleuré pour ce mec”.

MAI 1989 R&F 263 MAI 1999 R&F 381 MAI 2009 R&F 501
Plein de sujets de réflexion dans ce Les Beastie Boys avant : “Fieffés capitalistes Lenny Kravitz, faudrait savoir. Ou le rock
numéro, comme “pour ou contre les vieux”. ou communistes arty, débiles dangereux est en train de rebondir comme le prouve
Contre : les vieux ne veulent pas “lâcher un et fêtards invétérés, le groupe que tout le “l’affaire Guitar Hero, tous les mômes de
morceau qui leur appartient. Non contents monde apprécie, du yuppie au gansta”. la terre se mettant à jouer les meilleures
d’être cons, ils sont également de mauvaise Les Beastie Boys après : “On a enlevé chansons des géants du rock”, ou le rock
foi.” Pour : inspiration, résistance et beauté, de notre set tous les mots vulgaires et les est mort, “tout s’est barré en quenouille,
Brian Wilson, Johnny Cash et BB King ont références aux putes, cite Liam Howlett de sur certaines pochettes il devrait y avoir
encore “quelques belles raclées” à mettre Prodigy. Putains de petits cons ricains.” un Pro Tools plutôt que la tête de certains
à tous ces “morveux énervés”. Le rock s’est Les rockers se tournent vers la scientologie, chanteurs”. Les Sex Pistols au Chalet du
“institutionnalisé”, la marque rock fait les rappeurs vers la Nation Of Islam de Lac. Ce concert a rassemblé deux millions
notamment vendre des yaourts (Yop’n Roll). Farrakhan, Cat Stevens réclame la tête de de spectateurs si on recense tous ceux qui
Sans honte, Jeanne Mas se coiffe punkette Salman Rushdie, les autres contractent le se vantent d’y être allés. C’était une boîte
et les starlettes se pavanent en Perfecto, politiquement correct, et tout le monde disco, des loubards étaient venus avec “des
ne sachant “quoi faire de leurs guitares s’agenouille devant le Chiffre. Tom Waits : patates truffées de lames de rasoir au fond
sinon souffler dedans”. Les Gipsy Kings, en “Je ne connais pas de maison de disques qui des poches”. Alain Bashung est mort d’un
Perfecto comme le vulgum pecus, grimpent le ne préfèrerait pas vendre des baskets”. Stevie cancer du poumon. Rock&Folk publie une
top 200 américain jusqu’à la 59ème position. Ray Vaughan a contracté la mort après avoir vieille interview, et les lecteurs insultent le
Puisqu’on parle de charts, le Billboard vient “tué le blues” en lui laissant une empreinte crabe et la faculté de mourir. Ainsi font-ils
de créer une catégorie spécifiquement rap. indélébile. Faux, le blues était déjà mort, chaque fois qu’un de leurs dieux s’éteint
Aucun mort en vue en ce joli mois de mai. mais on ne parle peut-être pas du même. bêtement, comme un vulgaire mortel.
“J’te laisse des message sur ton Insta.” J’écoute “L’Infini, L’Univers Et Les Mondes”,
Le directeur artistique vient d’arriver dans la d’Astrobal, qui paraît le 26 avril chez l’excellent
cabine du grand studio sans âme. Après avoir label Karaoke Kalk et je me demande si nous ne
décapsulé une bière, il pose virilement les poings sommes pas en train de nous habituer à ce que
à la verticale, le dos des phalanges proximales des disques et des morceaux de qualité supérieure
à plat du bandeau en simili-cuir de la sortent tranquilou, comme récemment avec
console, prêt à écouter, aux aguets. Le SuperHomard, ou l’an dernier avec Ricky
“J’te laisse des message sur ton Insta.” Hollywood (quelqu’un qui a fait “Prie Pour Moi”
“Super fort, le refrain.” a réussi sa vie). Depuis 12 ans et l’apparition
C’est un writing camp de maison de disques, d’Aquaserge, Toulouse a produit autant de
la taylorisation au service du néant. Même un projets musicaux passionnants que d’A380,
Goupil sous MS-DOS aurait pu écrire mieux. Ces associant jazz, rock expérimental et électronique.
gens n’ont que le Brill Building à la bouche mais Gasc, Barbagallo, Olivier Cussac, Hyperclean,
c’est plutôt Cacacittà, ou la machine à excréments Henning Specht, Hypnolove, Laure Briard,
de Wim Delvoye. Est-ce qu’on a besoin d’un être Pieuvre, Emmanuel Mario (Astrobal) et ses
humain pour pondre des conneries pareilles ? Ils arpèges qui tuent… Face à la recrudescence de
seront bientôt balayés par l’intelligence artificielle, projets ambitieux et aux faiblesses de structures
qui créera et diffusera des chansons nulles en comme la mienne, des intermédiaires se sont
temps réel, selon les desiderata de l’auditeur. Ce insinués, faux humanitaires faisant mine de
ne sera pas pire que le mélange de rumba et de découvrir des groupes talentueux dont ils se
comptines pour enfants qui règne sur les Tops, et contentent de braquer les éditions. Jouant
finit par gagner des musiciens pourtant capables. sur la précarité générale, ils proposent des
Souhaitons qu’on en arrive bientôt là, car ne compilations comme d’autres faisaient payer
survivera plus alors que le reste, le cousu main. des books de mannequins. Passons sur ces
drôles de passeurs, façon désert libyen.
“Quand je fais ce travail, j’écoute de la musique.”
Un jour, on saura ce qui passait dans le casque Il a fallu dix ans pour que le disque fou de
du docteur Salah al-Tubaigy lorsqu’il a découpé Jean-Emmanuel Deluxe (“Rouen Dreams”,
vivant Jamal Khashoggi. Streaming ? MP3 ? Lion Productions) soit disponible. En 1993, il n’y
AAC ? Rihanna ? Thom Yorke ? Tout est avait guère que lui et quelques hypermnésiques
possible. Au début de la guerre en Syrie les comme Jean-William Thoury ou les frères
téléchargements de Bachar el-Assad sur iTunes Eudeline pour s’intéresser à un répertoire
avaient été interceptés : New Order, Right Said oublié, celui des Chantal Kelly, Christine Pilzer,
Fred, Chris Brown et un tribute à Cliff Richard. Stella, Jacqueline Taïeb. Sur sa carte de visite,
Notre médecin-légiste est en phase avec son imprimée dans le métro, il y avait inscrit dandy
époque : depuis sa performance début octobre, de province. Il est aussi question de Rouen, ville
le Haut Conseil saoudien du divertissement des Dogs et de Jean-Pierre Turmel (qui a fait de
a décrété que l’année 2019 serait musicale, Sordide Sentimental un des plus beaux labels
signal fort de modernisation auquel avaient au monde tout en travaillant à l’usine Shell
déjà répondu certains artistes français de Petit-Couronne) dans “Tour D’Ivoire”,
d’envergure en allant se produire à Riyad. le nouveau roman de Patrice Jean (Rue
Fromentin, 21 €) : c’est un livre très fort
Ivan : “Laibach c’est Rammstein pour les qui se détache car il parvient à parler de notre
adultes.” Il est vrai que ces derniers les ont temps avec justesse et subtilité, une sorte
intégralement pillés, ils le reconnaissaient dans de Houellebecq pour adultes, donc.
le documentaire sur la tournée des Slovènes en
Corée du Nord, avant que leur management ne Cole toujours : quelques mois après son album,
demande que la séquence ne soit pas diffusée. le prodige en souffle continu publie déjà un huit
Mais, sans la causticité et l’intelligence subversive titres (“Live Sesh & Xtra Songs”, Brainfeeder),
de leur modèle, ne subsistent que de tristes et prépare un nouveau LP. Comment fait-il
transgressions, comme pour leur dernier clip. pour mettre autant d’idées dans un ordinateur
portable (c’est enregistré à la bonne franquette
“C’est un musicos type sauf qu’il ajoute un et ça n’a aucune importance) ? Louis Cole
talent inexplicable pour le succès.” Quand Francis joue seul en mai à Paris et, fin août, ce sera
Marmande raconte Jacques Loussier dans Le la totale avec les cuivres, à Rock en Seine.
Monde, c’est un feu d’artifice. La Calavados,
Goraguer, Bolling et Mal Waldron défilent. “Tout “Plongé dans les abimes du rock’n’roll”, “traînant
a commencé à Alger où je finissais mes vingt-huit son âme et sa carcasse alcoolisée dans les mauvais
mois de chasseur alpin”. Je ne dirai rien sur Scott pubs de Londres…”, “produit par la productrice
Walker, qui a créé des chansons magnifiques : de Björk…”, “énergie punk…”, “un vrai conte de
il était devenu un tel étalon du bon goût Noël qui finit bien” : un quart de page d’accroches
conformiste depuis les années 90 qu’il n’y a rien à narratives et de stéréotypes sur le groupe Yak
ajouter aux louanges méritées de ses nécrologues. dans Le Point, et quasiment rien sur la musique.
J’écoute : du rock fongible. On comprend mieux.
Soirée autour de Serge Rezvani. Pas facile
de reprendre ses chansons pures devant lui : Pour retrouver le goût de la musique :
elles ont l’air simples mais la mélodie change Orera, admirables Swingle Singers géorgiens
imperceptiblement en permanence. Et il avait des années Brejnev. Ces Free Design de
Elek Bacsik à la guitare (avec Henri Crolla, Transcaucasie (Kraftwerk, ici, il y a un siècle :
un des plus incroyables), François Rauber “Nous sommes les Beach Boys de la Ruhr”)
aux arrangements… incorporaient jazz, pop et mélodies
traditionnelles. Sur YouTube, taper Orera
Réparations (Andrée Putman disait ça pour Frunzenskaya, vous tomberez direct sur
rendre justice à des artistes sous-estimés) : qui “Криманчули” (merci Jean Pierre Muller).
connaissait Fanny avant ces dernières semaines ? Tirer ensuite la pelote jusqu’à Vakhtang
Au début des années 70 ces quatre américaines Kikabidze (prix du KGB 1984 pour la série
jouaient avec intensité et précision un rock “Tass Est Autorisé A Déclarer…”) et ses
hypercarré, mélange de boogie et de soul du rhythm’n’blues de zone sismique (“Выбирай”, ou
niveau du Jeff Beck Group ou des Small Faces. “что хочешь” : pas d’inquiétude, j’ai mis les titres
Les rushes d’un tournage de l’émission allemande sur la playlist Spotify-Deezer de cette chronique).
Photo Bruno Berbessou

Beat Club, qui circulent sur YouTube, sont


prodigieux et tragiques, car on comprend, en Premières séances pour le nouvel album.
les voyant entre les prises, livrées à elles-mêmes “La définition de la folie c’est de refaire toujours
sur le plateau, sans entourage ni roadies, la même chose, et d’attendre des résultats
qu’elles n’étaient pas une priorité et que différents.” (Einstein, cité par Les Echos à
c’était probablement perdu d’avance. propos de Theresa May). Pas de commentaire.

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