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VERS UNE GESTION DE LA DIVERSITÉ DES GENRES. UNE


APPROCHE PAR LE SENTIMENT IDENTITAIRE
Martine Brasseur
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Management Prospective Ed. | « Management & Avenir »

2009/8 n° 28 | pages 380 à 391


ISSN 1768-5958
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2009-8-page-380.htm
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28

Vers une gestion de la diversité des genres.


Une approche par le sentiment identitaire

par Martine Brasseur

Résumé
L’une des plus anciennes problématiques de la diversité dans les
organisations semble aboutir à un constat d’impuissance : les inégalités
entre les hommes et les femmes notamment en matière d’évolution de

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carrière perdurent. La persistance du phénomène contredit toutes les
prédictions formulées dans les années 70 sur l’émergence d’un monde
du travail asexué et les hypothèses sur ses facteurs explicatives peinent
à être validées. Du côté des gestionnaires, les pratiques visant à favoriser
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l’accès des femmes aux postes à responsabilités, présupposent que


les entraves se situent exclusivement dans leur difficulté à concilier leur
vie professionnelle et leur vie familiale, les ramenant à un rôle unique
de mère de famille et d’épouse. De plus, la cause unique des écarts de
situation professionnelle entre les hommes et les femmes reste attribuée
au hors travail. Or, si les gestionnaires sont confrontés encore aujourd’hui
à des choix de carrière féminins limitant le développement de la mixité
professionnelle, n’est-il pas nécessaire, pour mettre en œuvre des pratiques
efficientes, de requestionner les approches du genre et de réinvestiguer
les éventuelles variations de rapport au travail ? En effet, les réticences
à faire ressortir la diversité des genres et la reconnaissance de leurs
différences ne sont-elles pas à l’origine d’une forme de discrimination par
sexe ? Dans cet article, nous nous proposons d’enrichir la problématique
de plafonnement des carrières des femmes par une remise en cause d’une
conception binaire du genre introduisant l’idée qu’il existe plusieurs genres
pour un même sexe, tout en nous appuyant sur une approche par l’identité
dans ses dimensions professionnelle et sexuelle. L’affichage du genre en
ressort comme important de même que le fait de pouvoir consolider son
sentiment d’appartenance à un groupe du même genre. Ainsi les processus
de façonnage et de défense identitaires pourraient permettre d’expliquer les
phénomènes de reconstruction permanente des inégalités entre hommes
et femmes sur le marché du travail. Notre hypothèse de base est que les
répercussions de la prise de responsabilités professionnelles pourraient
altérer le sentiment d’identité féminine de certaines femmes, mais aussi
renforcer celui d’autres, et inversement pour les hommes. Par delà notre
modélisation du phénomène, nous proposons une typologie des femmes au
travail, dont l’apport pour les gestionnaires serait de souligner la nécessité
de définir à l’intention des femmes des pratiques incitatrices prenant en
compte la pluralité des genres et leur permettant de renforcer leur sentiment
identitaire tout en traversant le plafond de verre.

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Vers une gestion de la diversité des genres.
Une approche par le sentiment identitaire

Abstract
Managers are powerless to resolve one of the oldest problems of diversity
in the organizations: career disparities between men and women. The
phenomenon’s persistence contradicts all the predictions formulated in the
seventies on the emergence of an asexual working world. Researchers
have not validated any of the assumptions on its explanatory factors. Human
resources management only considers the alleged difficulty experienced by
women to conciliate their professional and family lives. Women are confined
to the single role of wife and mother and the only cause for the professional
gap between men and women is located out of the working world. To
implement efficient practices, it seems necessary to question the gender
approaches at work again and to take gender diversity for each sex into
account. In this article, we offer to do without the binary gender design and
go further in the reflexion, up to a multidimensional approach of the identity

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feeling. Our goal is to explain “the glass ceiling” phenomenon concerning the
women career. The refusal or the search of responsibilities could be a way
to assert his/her gender and to preserve his/her membership to a gender
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group. These identity construction or protection processes could explain the


permanent rebuilding of inequalities between men and women on the labour
market. We propose a typology of women at work too. Our contribution to
managers consists in underlining the need for specific practices per gender,
which could enable people to reinforce their singular identity feeling.

L’une des plus anciennes problématiques de la diversité dans les organisations


semble aboutir à un constat d’impuissance : les inégalités entre les hommes
et les femmes notamment en matière d’évolution de carrière perdurent. Dans
cet article, nous nous proposons d’enrichir la problématique du plafond de verre
par une remise en cause d’une conception binaire du genre introduisant l’idée
qu’il existe plusieurs genres pour un même sexe, tout en nous appuyant sur
une approche par l’identité dans ses dimensions professionnelle et sexuelle.
L’affichage du genre en ressort comme important de même que le fait de pouvoir
consolider son sentiment d’appartenance à un groupe du même genre. Ainsi
les processus de façonnage et de défense identitaires pourraient permettre
d’expliquer les phénomènes de reconstruction permanente des inégalités entre
hommes et femmes sur le marché du travail. Notre hypothèse de base est que
les répercussions de la prise de responsabilités professionnelles altèrent le
sentiment d’identité féminine de certaines femmes, mais aussi renforcer celui
d’autres, et inversement pour les hommes. Par delà notre modélisation du
phénomène, nous proposons une typologie des femmes au travail, dont l’apport
pour les gestionnaires serait de souligner la nécessité de définir à l’intention des
femmes des pratiques incitatrices prenant en compte la pluralité des genres
et leur permettant de renforcer leur sentiment identitaire tout en traversant le
plafond de verre.

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1. Problématique du sexe dans le plafonnement de carrière

Le questionnement sur le genre en GRH est souvent abordé à partir du constat de


l’existence d’un « plafond de verre » dans les évolutions de carrière des femmes :
selon Fouquet et Laufer (1997), elles ne représentaient que 7% des états-majors
d’entreprise à la fin des années 90. Si dix ans plus tard, cette proportion est
passée d’après le rapport du Conseil Economique et Social (2007) à 17,4%, elle
reste faible. De plus, le phénomène apparait stable pour les sociétés du CAC
40 pour lesquelles ce chiffre n’a pas évolué et reste toujours de l’ordre de 5%.
La persistance de la situation contredit toutes les prédictions, formulées dans
les années 70, sur l’émergence d’un monde du travail asexué. De nombreuses
hypothèses sur les facteurs explicatifs de ce phénomène ont été testées. Elles
peinent à être validées, et beaucoup sont même infirmées, comme celle sur

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le plus faible niveau de formation initiale des femmes (Maruani, 1998) ou la
dépréciation du capital humain en cas de carrière discontinue due à la maternité
(Sofer, 1990). Du côté des gestionnaires, les pratiques visant à favoriser l’accès
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des femmes aux postes à responsabilités, présupposent que les entraves se


situent exclusivement dans la difficulté rencontrée par cette catégorie de salariés,
à concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale. Confortés par les travaux
sur la répartition des taches domestiques au sein de la famille, d’une part ils ont
tendance à considérer que toutes les femmes au travail sont des épouses et surtout
des mères, et d’autre part, ils en viennent à réduire la prise de responsabilités à
un développement de la présence au travail. Traditionnellement, les entreprises
souhaitant féminiser leurs emplois, proposent ainsi des formules à temps partiel
ou des horaires à la carte. Plus récemment, les plus innovantes en la matière,
comme IBM ou AXA, ont développé pour les femmes cadres, une panoplie de
services visant à les soulager des charges du quotidien. La cause unique des
écarts de situation professionnelle entre les hommes et les femmes reste donc
attribuée au hors travail. Or, lors de précédents travaux, nous avons mis en
évidence des différences de comportement professionnel à partir d’une étude des
types de personnalité menée avec le MBTI (Brasseur, 2001). Elles nous avaient
amenée à nous interroger sur le caractère sexué des styles de management.
La méthode expérimentale a également fait ressortir une nette tendance des
femmes à instaurer de la coopération interne, alors que les hommes, dans leur
majorité, semblent jouer la carte de la compétition (Brasseur, 2002). Sans que la
dichotomie entre les logiques de compétition et de coopération soit comparable
à l’opposition des postures de domination et de soumission, ne retrouve t’on
pas ici l’action de la loi incorporée identifiée par Bourdieu (1998), qui maintient
les femmes en position de dominées par un processus d’auto-exclusion des
instances de pouvoir ?

Les enquêtes menées auprès des salariés, comme celle réalisée auprès de 7 000
personnes appartenant à 68 entreprises, soulignent par ailleurs que pour accéder

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Vers une gestion de la diversité des genres.
Une approche par le sentiment identitaire

aux postes les plus élevés, les hommes acceptent parfois des compromis que les
femmes refusent, ces dernières privilégiant leur équilibre personnel à la quête du
pouvoir (Karvar et Rouban, 2004). Si les gestionnaires sont confrontés encore
aujourd’hui, à des choix de carrière féminins limitant le développement de la mixité
professionnelle, n’est-il pas nécessaire, pour mettre en œuvre des pratiques
efficientes, de reconnaître l’existence de la spécificité de leurs aspirations, quitte
à devoir se résoudre à prendre en compte ce que Lipovetsky (1997) désigne
comme la vocation traditionnelle des femmes à l’amour ? Au niveau de ce projet
de recherche, comment ne pas formuler l’hypothèse d’une différence entre les
genres du rapport au travail, qu’elle soit totalement construite socialement et
culturellement, ou en partie innée ? La notion de rapport au travail aborde la
relation instaurée par des sujets à leur travail en intégrant les conduites et les
représentations qu’ils développent dans leurs différents domaines de vie (Budi,

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2004). Elle ne se réduit donc pas seulement aux attitudes ou à des déterminants
exclusivement professionnels, comme le font les travaux sur l’implication au
travail (Lincoln et Kallerberg, 1996), ou sur la motivation et la satisfaction au travail
(Lévy-Leboyer et Spérandio, 1987), mais elle permet de prendre en compte les
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comportements et l’ensemble du mode de vie des personnes. L’hypothèse que


les rapports au travail sont différents entre groupes sociaux et évoluent pour
une même personne au cours de sa vie professionnelle, a été validée par de
nombreux chercheurs (Lancry et Lemoine, 2004).

A l’opposé, les réticences à faire ressortir les différences par genre ne sont-
elles pas à l’origine d’une discrimination par sexe ? En effet, dans les études
réalisées, la seule variable mesurée est le sexe, assimilé au genre (Ely et
Padavic, 2007). Elle conduit à attribuer à chaque femme et à chaque homme
les logiques de comportement vis-à-vis de la carrière, qui ressortent comme
majoritaires respectivement chez les femmes et chez les hommes. Ce processus
d’attribution, renforcé par le constat de tendances fortes pour chacun des
sexes, explique pourquoi les pratiques de GRH continuent de se cantonner
aux stéréotypes sexuels, qu’elles contribuent à reproduire. Or, le sexe est-il
la seule composante du genre ? Si le genre correspond au « sexe social »,
comme le définit en opposition au « sexe biologique », la sociologue américaine
Okley, ne doit-on pas, face à l’évolution des mentalités vis-à-vis de l’orientation
sexuelle mais aussi devant la démultiplication des modes de vie, dépasser la
dichotomie du masculin et du féminin et aborder les genres dans toute leur
diversité (Butler, 1990) ? Ainsi, les homosexuels ou les hommes restant à la
maison pour élever leurs enfants ne se définissent peut-être pas masculin de
la même façon qu’un homme hétérosexuel, dont la femme ne travaille pas et
dont la journée est entièrement consacrée à l’exercice de ses responsabilités
professionnelles ? Toutes les femmes ne sont pas mères. Certaines placent leur
travail avant la famille dans les premiers temps de leur carrière, ce qui est à
l’origine d’un microphénomène de « maternité à la quarantaine ». Les recherches
concluant que la construction du sentiment identitaire s’effectue différemment

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pour les filles et pour les garçons, car les premières, s’identifiant à leur mère et
se préparant à s’occuper des enfants, construisent leur identité dans le souci
de l’autre, alors que les seconds grandissent en se différenciant de leur mère,
leur identité s’édifiant sur la séparation de soi vis-à-vis d’autrui (Gilligan, 1986),
confortent au contraire l’hypothèse d’une diversité des genres et laissent même
supposer un développement dans les générations futures des comportements
considérés traditionnellement comme masculins chez les femmes, et féminins
chez les hommes.

Par contre, l’hypothèse de la disparition du genre est difficilement formulable.


De nombreux travaux ont souligné son rôle fondamental dans le façonnage de
l’identité des personnes, même si les différenciations par genre ne s’appuient
pas sur les mêmes caractéristiques en fonction des cultures (Löwy et Rouch,

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2003). Pour s’effectuer cette construction identitaire procèderait par délimitation
et identification au groupe d’appartenance de son genre, ce qui aurait conduit
plusieurs générations d’hommes à ne se comparer qu’aux autres hommes et à
percevoir la comparaison avec les femmes comme avilissantes, tandis que les
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femmes auraient été en quête de similitudes avec les femmes et de différenciation


des hommes (Eckert, 1989). L’affichage du genre serait donc important comme
le fait de pouvoir consolider son sentiment d’appartenance à un groupe du même
genre. Ainsi l’émergence de styles de comportement différents et proches des
stéréotypes sociaux dans les groupes de femmes et les groupes d’hommes
(Molinier, 2004), répondraient à ce besoin d’affirmation de soi. Ces processus de
construction et de défense identitaires peuvent permettre également d’expliquer
pourquoi la féminisation des postes s’est traduit dans un premier temps par une
dévalorisation des professions. Ils éclairent de la même façon les phénomènes
de reconstruction permanente des inégalités entre hommes et femmes sur le
marché du travail, identifiées par Laufer, Marry et Maruani (2003). L’accès des
femmes aux instances de pouvoir dans les organisations ne peut qu’engendrer
une déstabilisation identitaire des hommes, imprégnés d’une culture associant
pouvoir à virilité (Badinter, 1986, 1992). De la même façon, la prise de rôles
professionnels porteurs des traits traditionnels de la masculinité, n’est-elle
pas vécue comme une perte identitaire par les femmes, associant douceur et
passivité à féminité ? `

2. Vers une approche par la diversité des genres et le sentiment


identitaire

L’objectif de notre recherche est de confirmer la nécessité de mettre en œuvre


une véritable gestion de la diversité pour traiter du phénomène de plafonnement
de carrière des femmes. La remise en cause d’une conception binaire du genre
introduit l’idée qu’il existe plusieurs genres pour un même sexe. Dès lors, notre
hypothèse de base est que toutes les femmes ne se définissent pas « femme »

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Vers une gestion de la diversité des genres.
Une approche par le sentiment identitaire

de la même façon. Ainsi, les répercussions de la prise de responsabilités


professionnelles pourraient altérer le sentiment d’identité de certaines femmes,
mais aussi renforcer celui d’autres. Notre objectif de chercheur en sciences de
gestion n’est pas de valider la diversité des genres, ce qui nous conduirait à
rentrer dans des investigations sur la sexualité féminine ou les différents rapports
à la maternité, mais de proposer une typologie des femmes au travail. Son apport
pour les gestionnaires, serait de souligner la nécessité de définir à l’intention
des femmes, des pratiques incitatrices prenant en compte cette pluralité et leur
permettant de renforcer leur « identité de genre » tout en traversant le plafond
de verre.

Pour définir et mesurer la variable du genre, nous proposons de l’aborder par deux
facteurs de différenciation : l’orientation sexuelle (hétérosexuelle, homosexuelle)
et la maternité/paternité (parent centré, parent non centré, non parent). Nous

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n’avons considéré que les contextes de monogamie, écartant ainsi la bisexualité
qui supposerait l’existence d’au moins deux partenaires. Une catégorisation
par 12 types de genre a pu ainsi être construite, nous permettant d’aboutir à
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une échelle de mesure (voir tableau 1). Celle-ci varie de 1 à 12 en fonction


de l’intégration dans l’affirmation de son genre d’éléments traditionnellement
attribués au sexe opposé. Ainsi le rejet de la maternité/paternité est considéré
culturellement comme typiquement masculin et à l’opposé le centrage sur le rôle
de parent comme typiquement féminin.

Tableau 1 : construction de la variable « genre »


Femme Homme
Hétérosexuelle Homosexuelle Homosexuel Hétérosexuel
Féminin Variante F Variante F Masculin
Parent centré traditionnel traditionnel traditionnel papa poule
1 2 5 6
Féminin Variante H Variante H Masculin
Parent non centré multi-rôles traditionnel traditionnel traditionnel
3 7 8 11
Fémininin Lesbienne Gay Masculinin
Non parent choisi dépendant classique classique dépendant
4 9 10 12

L’échelle de mesure qui en résulte (voir schéma 1) ne présente pas de position


médiane du fait d’une différenciation irréductible par sexe.
Schéma 1 1: Echelle
Schéma : Echelle de mesure
de mesure dudu genre
genre

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
trait culturel masculin
trait culturel féminin

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Appréhendé de cette façon, et replacé dans le contexte professionnel, le genre


en ressort comme l’un des déterminants du sentiment identitaire des personnes.
Nous nous démarquons ainsi des définitions du genre comme un sentiment
identitaire engendré par la conscience de soi et par le rapport aux autres en tant
que sujet sexué. Si la conscience et l’affirmation de son genre intervient dans une
dynamique de façonnage identitaire, notre postulat est que sa détermination par
l’individu s’opère hors des problématiques de travail et représente pour un sujet
donné, considéré comme un acteur organisationnel, une constante et non pas
une variable.

Par contre, l’approche par le sentiment identitaire, nous semble plus adaptée pour
aborder la problématique du plafond de verre dans les carrières des femmes que le
concept d’identité au travail, tel que le définit Sainsaulieu (1977) ou celui d’identité

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professionnelle, développé par Dubar (1991, 2000). En effet, ces deux dernières
notions se réfèrent exclusivement aux caractéristiques organisationnelles dans
lesquelles s’exerce l’activité du sujet, et ne peuvent donc pas nous permettre
d’expliquer le phénomène étudié. Elles pourraient même conduire à considérer
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que les identités professionnelles sont asexuées, occultant par là, l’indéniable
fonction identitaire du genre.

Si l’on reprend ce que désigne ce concept, le sentiment identitaire se définit


comme la résultante d’un double rapport à soi et à autrui. Il comporte ainsi deux
dimensions qui émergent de l’interaction entre le sujet social et le sujet individuel
(Massonnat et Boukarroum, 1998). A partir de sa théorie des identités sociales et
des relations entre groupe, Tajfel (1982) différencie en effet l’identité dérivée de
la formation sociale et l’identité issue d’une structure persistante et individuelle,
tout en les rassemblant dans un tout indissociable. Les deux facettes identitaires
se construisent l’une comme l’autre dans les interactions avec un environnement
social (Butler, 1990). Dans notre modèle le concept de sentiment identitaire se
présente comme un déterminant du comportement de prise de responsabilités
professionnelles.

Deux hypothèses ont été formulées sur l’influence du genre (voir schéma 2).
Dans la première le genre est un modérateur de l’impact du sentiment identitaire
sur la prise de responsabilités. Dans la seconde, c’est l’impact des circonstances
sur le sentiment identitaire qui est modéré par le genre.

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Vers une gestion de la diversité des genres.
Une approche par le sentiment identitaire

Schéma 2 : Impact du sentiment identitaire sur la prise de responsabilités


Hypothèse 1 : Impact du genre sur le sentiment Hypothèse 2 : Impact du genre sur le sentiment
identitaire et le comportement dans un contexte identitaire et sur l’influence des circonstances
d’évolution de carrière

Comportement Comportements
Prise de responsabilités Prise de responsabilités

Genre
Sentiment identitaire
Sentiment identitaire

Genre
Circonstances Circonstances
Etape de carrière Etape de carrière

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Deux études se profilent ainsi auprès des femmes en situation professionnelle :
la première identifiant les différents types de sentiment identitaire et les croisant
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avec l’acceptation ou non d’un poste à responsabilités ; la seconde ne concernant


que les femmes ayant accepté un poste à responsabilités et investiguant les
effets de cette décision sur le sentiment identitaire, modulés par le genre.
La mise en œuvre de notre méthodologie de recherche passe par l’élaboration
d’un outil permettant d’appréhender le sentiment identitaire. Nous envisageons
de nous appuyer sur l’approche multidimensionnelle (Massonnat et Perron,
1990, Massonnat et Boukarroum, 1998). Celle-ci ne présente aucune dimension
se rapportant directement à l’affirmation de soi comme objet sexué. Elle ouvre
par suite la possibilité de mesurer une variable bien différenciée de la variable
« genre » telle que nous l’avons définie. La construction d’un questionnaire
suppose une première phase exploratoire par entretiens semi-directifs afin de
définir les différentes circonstances associées à la prise de responsabilités
professionnelles. Elle nous permettra également de spécifier chaque dimension
du rapport à soi et du rapport aux autres (voir tableau 2).

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Tableau 2 : Les dimensions du sentiment identitaire


(d’après Massonnat et Boukarroum, 1998)
Dans le rapport à soi Dans le rapport à autrui
- La valorisation correspond à la valeur, à
- La reconnaissance sociale réfère à
l’estime ou encore au pouvoir que s’auto-
l’approbation réitérée, à la valeur, au crédit et à
attribue le sujet globalement ou sur des aspects
la considération attribuée et reflétée par autrui
plus limités
au sujet
- L’unité correspond à une perception de soi
- L’autonomisation rend compte d’un
comme un tout, distinct d’autrui. Elle est aussi
mouvement de prise d’autonomie par
la recherche permanente d’une unification
opposition, voire rupture des liens avec les
ou d’une globalisation de la personne, d’une
personnes et groupes qui comptent le plus.
cohérence interne
- L’unicité est l’affirmation de sa propre
- L’implication ou engagement appréhende une
singularité, spécificité ou style du sujet dans
force de mobilisation et de déplacements des
un but de différenciation d’autrui, mais sans
investissements affectifs et intérêts par rapport
rompre le lien social antérieurement établi

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à certaines personnes et à certains objets de
- La gestion des références à autrui porte sur
l’environnement
les points de repères et/ou du système de liens
- La continuité de la personne dans le temps
et de positionnements/autrui, qu’un sujet établit
concerne le fait de se percevoir comme étant
avec les personnes et les groupes comptant le
la même personne grâce ou en dépit des
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plus pour lui


changements subis ou recherchés
- La conscience sociale exprime le lien social
- La référence au corps propre correspond à
avec les instances sociales permettant au sujet
la base physique et biologique de la personne
de marquer son degré d’engagement vis-à-vis
comme unité
de son environnement social
- La diversité de traitement apprécie le degré
- La diversité d’action apprécie la plasticité
de plasticité du sujet par la diversité des
d’action ou de réaction du sujet dans ses
registres de traitement des informations sur soi
milieux de vie
et autrui·

Si cette recherche reste à mener, dès ce stade de nos travaux et sans attendre la
confirmation ou l’infirmation de nos hypothèses, une typologie peut être proposée
aux managers afin de développer les pratiques de gestion de la diversité. En
effet, quelque soient nos résultats, la prise de responsabilités ou la recherche
d’un pouvoir fort apparaît comme un facteur d’altération identitaire potentiel pour
certaines femmes au travail mais à l’opposé comme un support de renforcement
identitaire pour d’autres. De la même façon, dans une même population féminine,
on retrouvera aussi bien l’aspiration à assurer un seul rôle, soit professionnel, soit
familial, qu’une demande de maintien ou de développement de plusieurs rôles
dans et hors du travail. Quatre schémas de réussite différents en découlent. Dans
le premier, les femmes se montreront engagées et n’hésiteront pas à assumer des
responsabilités multiples au sein de l’organisation, dans leur famille mais aussi
éventuellement en politique ou dans la sphère sociale. Elles représentent la cible
privilégiée des pratiques de GRH proposant différents services pour alléger leurs
contraintes et leur permettre d’éviter de rentrer dans des conflits de rôles. Elles
se différencient d’un deuxième type de femmes au travail qui recherchent une
évolution de carrière rapide et placent le travail au centre de leur mode de vie.
Elles attendent la reconnaissance de leurs compétences et de leurs performances
par l’accès aux statuts les plus élevés dans leur organisation. L’ensemble des

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Vers une gestion de la diversité des genres.
Une approche par le sentiment identitaire

dispositifs d’aide à la maternité ou d’assouplissement d’horaires ne les concerne


pas et elles expriment souvent le désir d’être traitées sans considération de sexe.
Les troisième et quatrième groupes de femmes ne sont pas en quête de pouvoir.
Qu’elles privilégient leur rôle de mère ou qu’elles s’investissent dans de multiples
activités, elles refusent fréquemment la prise de responsabilités et attendent
que leur emploi n’entrave pas leur(s) activité(s) prioritaire(s). Considérant le
pourvoir comme une menace pour l’harmonie familiale ou la réalisation de soi,
elles aspireront à contribuer à l’organisation sans devoir jouer « le rôle de chef ».
Le travail en équipe peut représenter une réponse plus particulièrement aux
attentes de réalisation sans pouvoir. Pour ces femmes, la gestion du temps est
fondamentale. Ce qui est souvent interprété comme un manque de disponibilité
et représente généralement un obstacle à leur évolution, peut devenir un levier
de performance si on le considère comme une capacité à atteindre des objectifs

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dans un cadre de contraintes fortes.

Schéma 3 : Typologie des femmes au travail


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Pouvoir fort

&DUULpULVWH (QJDJpH
UpXVVLWHSDUOH UpXVVLWHSDU
VWDWXW O·pTXLOLEUH

Rôle Rôles
Unique Multiples
choisi choisis
0qUHGHIDPLOOH $FWLYH
UpXVVLWHSDU UpXVVLWHSDU
O·KDUPRQLHLQWHUQH ODUpDOLVDWLRQ

Pouvoir faible

Sans rentrer dans le débat des conditionnements sociaux subis, notre étude
permettra de présenter une répartition des femmes au travail sur les quatre
quadrants de notre typologie par type d’organisation. Un suivi de l’évolution
de cette distribution permettrait de valider l’hypothèse d’une augmentation des
salariées en quête de pouvoir fort d’une part et de rôles multiples choisis d’autre
part.

389
28

Conclusion

Au regard de la pluralité des genres, la diversité se situe non plus dans une
dualité homme/femme mais dans la reconnaissance de la variété des dynamiques
identitaires, appelant la mise en œuvre de pratiques de gestion différente. Lutter
contre les discriminations sexuelles suppose l’abandon du modèle dominant
et exclusif de réussite de carrière pour enfin prendre en compte la coexistence
de conceptions multiples. Si notre recherche vise à expliciter le phénomène du
plafond de verre des femmes, elle trouve un prolongement dans l’émergence de
nouvelles attentes vis à vis de l’engagement organisationnel observables dans
la population masculine. Une part de plus en plus importante d’hommes n’est-
elle pas en quête d’autre chose dans son rapport au travail qu’un pouvoir fort et
une focalisation sur l’activité professionnelle ? Enfin, l’approche par le sentiment

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identitaire amène un dernier constat : les traits identitaires permettant à chaque
personne de se définir et de s’affirmer socialement ne sont pas les mêmes pour
tous. Certaines femmes revendiquent ainsi le droit de se positionner dans le
cadre professionnel par rapport à leur statut, à leurs résultats, ou encore à leurs
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parcours hors de toute considération de sexe. D’autres vont au contraire aspirer


à exercer des responsabilités avec un style reconnu comme féminin. Au final,
n’en est-il pas de même pour chaque dimension identitaire ? La discrimination
ne commence t’elle pas dans une attribution externe de caractéristiques
personnelles ? En sortir signifie alors permettre à chaque salarié de choisir sa
propre diversité.

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