You are on page 1of 108

le monde à l’écran

ni le ciel ni la terre catherine frot et aussi


Rencontre avec le cinéaste L’actrice raconte Marguerite Elisabeth Moss, Nabil Ayouch,
du 9 sept. au 6 oct. 2015 Clément Cogitore de Xavier Giannoli Ice Cube, la rentrée littéraire… no 134 – gratuit

www.troiscouleurs.fr 1
l’e ntreti e n du mois

Nabil Ayouch
Rencontre avec le réalisateur
du culotté Much Loved

© alin prod

« la seule chose choquante dans le film,


c’est la condition de ces femmes. »

2 septembre 2015
l’e ntreti e n du mois

Parce qu’il aborde de front le tabou de la prostitution au Maroc, Much Loved, présenté
à la Quinzaine des réalisateurs en mai dernier, a été frappé d’interdiction dans le royaume
chérifien. S’il montre sans détour les réalités du métier, le film fait surtout la part belle à
l’incroyable énergie de ses héroïnes, quatre colocataires complices et soudées qui vivent
du sexe tarifé à Marrakech. D’un ton tranquille, le Franco-Marocain Nabil Ayouch
(Ali Zaoua. Prince de la rue, Les Chevaux de Dieu) nous a détaillé sa démarche.
PROPOS RECUEILLIS PAR TIMÉ ZOPPÉ

uel a été le point de départ propre commerce. Ce sont elles qui décident. Ça
de much loved ? me plaît, parce que ce sont des femmes arabes,
Depuis longtemps, j’ai un inté- musulmanes, et qu’il n’y en a pas beaucoup qui
rêt profond pour les femmes assument ce sentiment de liberté.
qui se prostituent, et pour le  
rôle qu’elles jouent dans la le film contient plusieurs scènes de sexe plu-
société marocaine. Des per- tôt crues. comment les avez-vous abordées ?
sonnages de prostituées ont hanté quasiment tous Elles ont été assumées comme quelque chose d’in-
mes films, mais je voulais les approcher davantage. contournable. On ne pouvait pas, d’un côté, aller
Quatre femmes que j’avais contactées ont accepté dans le naturalisme que j’avais choisi d’adopter, et,
de se livrer. J’ai passé deux jours bouleversants à de l’autre, jouer l’ellipse au moment de filmer les
Marrakech avec elles, pendant lesquels elles m’ont corps qui s’expriment. Parmi ce que j’ai tourné, j’ai
raconté leur vie. Ça a été le début d’un long travail enlevé les choses qui m’ont paru un peu gratuites,
d’enquête qui a duré environ un an et demi. déplacées ou inutiles. Au final, il n’y a qu’une
  scène qui montre véritablement les corps s’expri-
pourquoi aviez-vous ce désir de faire mer et où ça a un sens pour moi ; c’est entre le vieux
entendre leurs voix ? Français et Noha. Dans les autres scènes de sexe,
Pour que ça provoque un débat sur la prostitution, les hommes ne regardent jamais les femmes, elles
sur la condition de ces femmes, sur le rôle de la sont toujours prises par-derrière. Les amants se
famille, sur le fait que personne ne les voit et ne font face dans la seule scène d’amour.
les reconnaît, et qu’elles ont besoin d’être écoutées.  
C’est d’ailleurs la première chose que j’ai consta- à travers les personnages qui gravitent
tée quand je les ai rencontrées. Elles m’ont dit : autour des héroïnes, vous abordez un grand
« Si on pouvait juste parler une heure par semaine nombre de sujets (prostitution infantile,
avec quelqu’un, peut-être qu’on serait moins nom- homosexualité, travestissement…), sans
breuses à se suicider. » Ensuite, c’est aux associa- forcément mener chaque piste à son terme.
tions et au gouvernement de prendre le relais ; je ne Pendant mes recherches, j’ai rencontré des cen-
suis pas l’État, je suis cinéaste. taines de personnes, surtout des femmes, mais
  quelques hommes aussi. Au Maroc, la prostitution
n’avez-vous pas été tenté de tourner un est essentiellement liée à la misère sociale. Mais il
documentaire plutôt qu’une fiction ? en existe aussi une plus assumée, choisie. Je vou-
Si. L’envie du documentaire, puis du docu-­f iction, lais toucher du doigt des sujets qui font le quotidien
a duré pendant toute la période de recherche. J’ai de mes personnages, qui sont des marginaux. Mon
décidé d’écrire une fiction quand j’ai compris que but n’est pas d’adopter quelques formes de juge-
j’avais aussi un regard sur ce que ces femmes ment ou de morale, mais de dire, d’ouvrir. Je n’ai
vivent. Leur rapport aux hommes, au pouvoir, rien voulu résoudre.
à la société, à leurs familles, cette hypocrisie  
terrible ; je voulais les montrer tel que moi je les certaines longues séquences, comme celle
comprenais. qui retrace une nuit d’orgie dans une villa,
  rappellent le cinéma d’abdellatif kechiche
noha, le personnage principal interprété dans sa façon d’épuiser le spectateur et,
par loubna abidar, évalue la concurrence en semble-t-il, les acteurs.
discutant avec sa coiffeuse et se renseigne C’est vrai. Je crois que j’ai installé une tension sur
sur des clients potentiels auprès d’un bar- le plateau pour oublier la fatigue, ou ce qui pou-
man. elle donne vraiment l’impression de vait être des freins, des tabous, et essayer de tirer
diriger une entreprise. le maximum de ces scènes que je voulais les plus
À Marrakech, il n’y a pas, comme en Europe ou réalistes possibles. Ça nécessitait d’aller au bord
aux États-Unis, de systèmes de maquereaux. Ces de l’épuisement. Je pense que toute l’équipe en
femmes sont véritablement maîtresses de leur était consciente, du début à la fin, et qu’elle m’a

www.troiscouleurs.fr 3
l’e ntreti e n du mois

© virginie surdej
accompagné. Mais il y a eu des moments très dif-
ficiles, notamment cette nuit dont vous parlez, dans
la villa, ça a été pénible à tourner. Même pour moi.
«  le maroc n’a parlé
  que de ça pendant
pourquoi ?
Surtout parce que les images véhiculaient quelque un mois. »
chose de très violent. Ce que je trouve de plus bru-
tal dans le film, ce ne sont pas les scènes de cul, qu’est-ce que le ministère de la communica-
c’est l’humiliation. Les filles qui font les chattes tion a reproché à votre film ?
par terre, ou que l’on force à plonger dans une « Atteinte aux valeurs morales », « atteinte à l’image
piscine, c’est à la limite du supportable. Mais, à du pays »… Dans les extraits qui ont suscité l’inter-
chaque fois, je savais pourquoi je les tournais, à diction, il n’y avait pas de scène de sexe. Je crois
quel point ça me semblait essentiel. que c’est le fait de montrer des femmes qui se pros-
  tituaient, et, surtout, de ne pas avoir choisi un angle
est-ce que vous destiniez le film à un public misérabiliste qui a provoqué tout ça. Si je les avais
en particulier ? fait parler comme des pauvres filles, ça n’aurait
En tout cas, je n’ai pas fait ce film pour un public sûrement dérangé personne. Dans le cinéma maro-
occidental, mais en étant convaincu qu’il allait être cain, les femmes sont rarement présentées comme
vu au Maroc par un public arabe, et même qu’il des personnes qui prennent en main leur destin. Or
devait l’être, en priorité, par ce public, parce que là, ce sont des combattantes, des guerrières, elles
c’est un film qui parle de sa réalité, de son envi- ont pris le pouvoir. Mais la seule chose choquante
ronnement. C’est pour ça que j’ai été blessé par ce dans le film, c’est leur condition.
qui s’est passé ensuite.  
  après ces événements, que sont devenues les
pourquoi le film a t-il été interdit au maroc ? quatre actrices ?
Quatre extraits demandés par la Quinzaine des réa- Je les ai mises en sécurité dans un appartement
lisateurs pour Cannes ont été piratés et mis en ligne pendant longtemps. Maintenant, trois d’entre elles
sur YouTube. On y voit notamment trois prostituées ont rejoint leur famille. Loubna est à l’étranger,
qui parlent dans un taxi, ça a généré des millions de parce qu’elle a été la plus visible ; la pression était
vues… Un truc de dingue. Les gens se sont déchaî- trop forte. Mais elles vont revenir en France pour
nés sur les réseaux sociaux, le Maroc n’a parlé que la sortie du film. Je pense que ça va leur faire du
de ça pendant un mois. Après Cannes, le ministre bien de constater qu’il y a des gens, y compris des
de la Communication marocain, sur la base de ces Marocains de France [des avant-premières du film
extraits, a décidé d’interdire le film. Ni lui ni les ont été organisées, le 11 juin, dans plusieurs villes
membres de la commission qui statue pour déli- françaises, suite à la polémique au Maroc, ndlr],
vrer un visa d’exploitation ne l’avaient visionné en qui voient ce qu’il y a de beau dans ce film.
entier. C’est du jamais vu, c’est complètement illé-  
gal. Ensuite, des rushes ont été volés, je ne sais pas Much Loved
de Nabil Ayouch
par qui ni comment, et mis bout à bout. Presque avec Loubna Abidar, Asmaa Lazrak…
quatre heures, qui ont été balancées sur Internet, Distribution : Pyramide
Durée : 1h44
en faisant croire que c’était le film. Sortie le 16 septembre

4 septembre 2015
www.troiscouleurs.fr 5
6 septembre 2015
Sommaire
Du 9 septembre au 6 octobre 2015

À la une…
entretien

Elisabeth Moss
46 en ouverture 2 entretien 25

À l’affiche de Queen
of Earth d’Alex Ross
Perry, la comédienne
américaine, qui a
incarné la sémillante Nabil Ayouch Catherine Frot
Peggy durant sept Le réalisateur Dans Marguerite
saisons dans la franco-marocain de Xavier
série Mad Men, de Much Loved, Giannoli, la
change de registre film, interdit comédienne
en interprétant au Maroc, qui fait rayonner
Catherine, jeune aborde de front son personnage
femme en crise le tabou de la grotesque et
qui trouve refuge prostitution bouleversant

40
dans la maison de dans le royaume de richissime
campagne d’une chérifien, nous baronne
amie, et sombre a détaillé sa qui chante
dans la folie. démarche. terriblement faux.

en couverture

Louis Garrel
Mes copains (2008), Petit tailleur (2010),
La Règle de trois (2011)… En deux courts et
un moyen métrage, Louis Garrel a prouvé
qu’il n’était pas seulement l’acteur le plus
© grant lamos iv slash getty images ; antoine doyen ; alin prod ; philippe quaisse ; flavien prioreau ; universal pictures ; yiorgos kordakis

romantique du cinéma français, mais aussi un


réalisateur hyper sensible. Avec Les Deux Amis,
il passe brillamment l’étape du premier long
métrage en contant l’histoire d’Abel (Garrel
lui-même) et Clément (Vincent Macaigne), qui
tombent tous deux amoureux de la mystérieuse
Mona (Golshifteh Farahani). Comme dans ses
précédents films, le jeune cinéaste s’y penche
sur l’amitié vraie, tumultueuse et passionnée.
entretien 32 livres 82
Ni le ciel ni la terre Rentrée littéraire
En mission dans les montagnes afghanes, des soldats Découvertes, valeurs sûres,
français disparaissent mystérieusement… Le jeune voici les dix choix de Trois
plasticien et vidéaste Clément Cogitore signe un premier Couleurs pour s’orienter dans
film fascinant qui ose toutes les audaces formelles. le tourbillon des 589 parutions
de la rentrée littéraire.
entretien 36
Ice Cube et son fils, O’Shea Jackson, Jr.
Il y a près de trente ans, cinq jeunes Noirs formaient
N.W.A et révolutionnaient le gangsta-rap. Parmi eux, le
futur milliardaire Dr. Dre et le MC aux rimes incendiaires
Ice Cube, qui produisent aujourd’hui le biopic du groupe.

portfolio 50
Yiorgos Kordakis
Pendant près de cinq ans, le photographe grec a arpenté
le pays de l’Oncle Sam pour confronter ses souvenirs des
films de son enfance à la réalité. Ses pérégrinations ont
abouti à la série 10.000 American Movies.

www.troiscouleurs.fr 7
8 septembre 2015
… et aussi
Du 9 septembre au 6 octobre 2015

Édito 11 ÉDITEUR
MK2 Agency
Bons sentiments 55, rue Traversière – Paris XIIe
Les actualités 12 Tél. : 01 44 67 30 00
Sofilm Summercamp, Quentin Tarantino, Sam Peckinpah…  
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION 
À suivre 18
Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com)
Aurélien Gabrielli dans Quand je ne dors pas  
l’agenda 20 RÉDACTRICE EN CHEF 
Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com)
Les sorties de films du 9 au 30 septembre 2015  
histoires du cinéma 25 RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE
Irma la Douce de Billy Wilder p. 30 Raphaëlle Simon (raphaelle.simon@mk2.com)
 
RÉDACTEURS
Quentin Grosset (quentin.grosset@mk2.com)
Timé Zoppé (time.zoppe@gmail.com)
 
DIRECTRICE ARTISTIQUE
Sarah Kahn (hello@sarahkahn.fr)
 
GRAPHISTE-MAQUETTISTE
Jérémie Leroy
 
SECRÉTAIRE DE RÉDACTION
Vincent Tarrière (vincent.tarriere@orange.fr)
les films 57  
Vers l’autre rive de Kiyoshi Kurosawa p. 57 // Youth de Paolo STAGIAIRE
Sorrentino p. 58 // The Lesson de Kristina Grozeva et Petar Sirine Madani
 
Valchanov p. 60 // Life d’Anton Corbijn p. 60 // Au plus près du
ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO
soleil d’Yves Angelo p. 62 // Les Chansons que mes frères m’ont Stéphane Beaujean, Ève Beauvallet, Hendy Bicaise,
apprises de Chloé Zhao p. 62 // L’Oracle de Marcus Vetter et Karin Léa Chauvel-Lévy, Adrien Dénouette, Julien Dupuy,
Steinberger p. 65 // Fou d’amour de Philippe Ramos p. 66 // La Vie Yann François, Claude Garcia, Stéphane Méjanès,
Mehdi Omaïs, Wilfried Paris, Michaël Patin, Bernard
en grand de Mathieu Vadepied p. 66 // Nous venons en amis de Quiriny, Guillaume Regourd, Éric Vernay, Anne-Lou
Hubert Sauper p. 67 // The Look of Silence de Joshua Oppenheimer Vicente, Etaïnn Zwer
p. 68 // Les Rois du monde de Laurent Laffargue p. 70 // Knock  
PHOTOGRAPHES
Knock d’Eli Roth p. 72 // Maryland d’Alice Winocour p. 74 // Lamb Antoine Doyen, Flavien Prioreau,
de Yared Zeleke p. 76 // Vierge sous serment de Laura Bispuri p. 76 Philippe Quaisse
Les DVD 78  
PUBLICITÉ
La Ligne de mire de Jean-Daniel Pollet et la sélection du mois DIRECTRICE COMMERCIALE
Emmanuelle Fortunato
(emmanuelle.fortunato@mk2.com)
 
RESPONSABLE DE LA RÉGIE PUBLICITAIRE
Stéphanie Laroque (stephanie.laroque@mk2.com)
 
ASSISTANTE RÉGIE PUBLICITAIRE
Caroline Desroches (caroline.desroches@mk2.com)
 
CHEF DE PROJET COMMUNICATION
Estelle Savariaux (estelle.savariaux@mk2.com)
cultures 80  
L’actualité de toutes les cultures et le city guide de Paris Assistant partenariats culture
Florent Ott
trois couleurs présente 102  
Here Now de Gregg Araki CHEF DE PROJET OPÉRATIONS SPÉCIALES
l’actualité des salles mk2 104 Clémence van Raay (clemence.van-raay@mk2.com)

Histoire de l’art, rentrée philo, Mobile Camera Club

Illustration de couverture
© d. r.

© Vasya Kolotusha pour Trois Couleurs

© 2013 TROIS COULEURS


issn 1633-2083 / dépôt légal
quatrième trimestre 2006.
Toute reproduction, même partielle,
de textes, photos et illustrations publiés par
MK2 Agency est interdite sans l’accord de
l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit.
Ne pas jeter sur la voie publique.
www.troiscouleurs.fr 9
10 septembre 2015
é dito

BONS
SENTIMENTS PAR JULIETTE REITZER

C
lément, garçon inquiet dramatique en présentant une scène des
campé par Vincent Caprices de Marianne de Musset, pièce
Macaigne, est éperdu- à laquelle il a emprunté la trame de ses
ment épris de Mona, Deux Amis), grand admirateur de François
jeune femme fiévreuse Truffaut, Louis Garrel assume son héri-
et mystérieuse. Pour la tage : « Le cinéma français doit composer
séduire, il demande de avec un répertoire qui englobe Marivaux,
l’aide à son cher ami, le charmeur et taci- Musset et Racine et qui ne propose que
turne Abel (Louis Garrel)… Le premier des études du sentiment et de ses mouve-
long métrage réalisé par Louis Garrel ments », nous a-t-il confié dans ce numéro.
porte indéniablement la trace des films qui Dans Les Deux Amis, comme dans les
ont marqué sa carrière en tant qu’acteur, courts métrages qu’il a réalisés aupara-
d’Innocents. The Dreamers de Bernardo vant, ce romantisme revendiqué n’est tou-
Bertolucci (2003) à La Jalousie (2013) de tefois jamais mièvre ni plombant. Porté
Philippe Garrel, son père, en passant par par des personnages pleins de modernité
Les Chansons d’amour (2007) ou La Belle et de fantaisie, il résonne plutôt comme
Personne (2008) de Christophe Honoré. une promesse de joie et de vitalité. Loin
Comme eux, au-delà du motif très clas- de son image de jeune homme mélanco-
sique du triangle amoureux, Les Deux lique et ténébreux (voir l’hilarant Tumblr,
Amis considère en effet les sentiments « L’humeur de Louis Garrel »), il nous avait
avec le plus grand sérieux – qu’il s’agisse d’ailleurs confié en 2010, au moment de la
de l’amour ou, plus encore, de l’amitié. sortie de son moyen métrage Petit tailleur :
Formé au théâtre classique (il a intégré « Fuir le cynisme, c’est mon grand projet. »
le Conservatoire national supérieur d’art Beau programme pour la rentrée. 

www.troiscouleurs.fr 11
e n bre f

Les actualités
PAR JULIEN DUPUY, QUENTIN GROSSET
ET TIMÉ ZOPPÉ

> l’info graphique

Biopics de rap : le battle


Avec déjà 134 millions de dollars deux semaines et seul 8 Mile, sur et avec Eminem, a véritablement
demie après sa sortie, N.W.A. Straight Outta Compton réussi à s’imposer au box-office américain. Les
est désormais le film biographique musical qui a autres biopics du genre, même sur des stars aussi
engrangé le plus de recettes aux États-Unis (devant renommées que 50 Cent et The Notorious B.I.G.,
Walk the Line, sur Johnny Cash). Mais qu’en est-il ont eu plus de mal à rencontrer le succès. Q. G.
des autres biopics de rappeurs ? Au vu des chiffres,
Recettes

Krush Groove 8 Mile  Réussir ou Notorious B.I.G.  N.W.A


(1985) (2002)
mourir (2009) Straight Outta
de Michael Schultz de Curtis (2005) de George Compton 
sur les débuts Hanson de Jim Sheridan Tillman, Jr., (2015)
du label Def Jam, sur et avec sur et avec sur The Notorious B.I.G., de F. Gary Gray
avec RUN-D.M.C Eminem 50 Cent mort en 1997 sur le groupe N.W.A

Sources : IMDB et Box Office Mojo

> COMPTE RENDU

Sofilm Summercamp
Début juillet, à Nantes, lors de la première édition du
festival Sofilm Summercamp organisé par le magazine
Sofilm, on a assisté à un déjeuner improbable. En bout
de table, le légendaire Jean-Pierre Léaud s’adresse en
ces termes à Jean-Marc Rouillan, ex-militant du groupe
armé Action Directe : « Vous avez fait de la prison ? Moi
aussi… sauf que dix ans après, ils m’ont refilé la Légion
d’honneur. C’est à ça que vous devriez aspirer. » Puis
arrive Noël Godin, l’entarteur belge, qui salue Léaud.
Il nous confie : « On se serre la main, mais quand j’avais
entarté Jean-Luc Godard, en 1985, Jean-Pierre Léaud
m’avait couru après pour me casser la gueule… » C’était
ça, le Sofilm Summercamp : pas de compétition, mais
des rencontres, des cartes blanches données à des
invités hauts en couleur, chacun venus présenter un film
de son choix – Jean-Charles Hue avait choisi Requiem
pour un massacre, Chantal Goya, Les Aventures de Rabbi
Jacob… Au programme également, des avant-premières
(dont beaucoup de films vus à Cannes), des séances en
plein air, et une master class animée par le producteur
Vincent Maraval. Tout ça dans un joyeux esprit
© d. r.

de colonie de vacances. Q. G.
Jean-Pierre Léaud

12 septembre 2015
www.troiscouleurs.fr 13
e n bre f

> LE CHIFFRE
C’est, en millions d’euros, le budget de Mahomet, film
le plus cher de l’histoire du cinéma iranien, qui conte
l’enfance du prophète. Selon l’AFP, des manifestants
se sont insurgés avant la projection du film – en partie
financé par l’État iranien – de Majid Majidi au festival
des films du monde de Montréal fin août, accusant les
organisateurs « d’aider la propagande » iranienne. T. Z. 

> DÉPÊCHES
PAR T. Z.

Le maître de l’horreur L’excellente série Top of La cinéaste française d’origine

© rda / everett ; picture alliance / rda ; d. r.


américain Wes Craven the Lake va connaître une islandaise Sólveig Anspach,
nous a quittés le 30 août, deuxième saison. Sa créatrice à qui l’on doit notamment
à 76 ans. Il laisse derrière Jane Campion en assurera Haut les cœurs ! et Lulu femme
lui une riche filmographie, toujours la coécriture et la nue, s’est éteinte le 7 août
de La colline a des yeux (1979) réalisation. Elle retrouvera à l’âge de 54 ans. Le 27 août,
à Scream 4, son dernier film, Elisabeth Moss dans le rôle c’est le réalisateur Pascal
sorti en 2011, en passant de l’enquêtrice Robin Griffin. Chaumeil (L’Arnacœur)
par Les Griffes de la nuit La date de diffusion n’a pas qui disparaissait,
(1985) ou Scream (1997). encore été annoncée. au même âge.

> LA TECHNIQUE > LA PHRASE

Complètement givré Quentin


Une large partie
d’Everest a été filmée
Tarantino
En pleine postproduction de son
en studio. Pour recréer western The Hateful Eight, le
les méfaits du froid réalisateur s’est confié dans un long
sur le visage des entretien au New York Magazine.
Il s’est notamment emporté
comédiens, la chef contre la série True Detective.
maquilleuse Jane
Sewell a eu recours à
plusieurs subterfuges.
Pour simuler qu’une
fine couche de glace
recouvrait l’épiderme
© universal pictures

des personnages,
un gel silicone était « TOUS CES ACTEURS
appliqué directement SUBLIMES QUI
sur la peau des
ESSAIENT DE NE
acteurs ; ensuite, l’emploi d’un polymère acrylique,
se présentant sous la forme d’une pâte translucide,
PAS L’ÊTRE ET QUI
DÉAMBULENT EN
© chelsea lauren / wireimage

donnait l’impression que les poils et les cheveux étaient


agglomérés par la glace : modelée au coton-tige, la pâte AYANT L’AIR DE
séchait à l’air libre en quelques minutes. L’illusion était
parfaite, mais, si l’on en croit le comédien Jake Gyllenhaal,
PORTER TOUT LE
ce maquillage rendait le tournage en studio bien plus POIDS DU MONDE SUR
déplaisant que les prises de vues en extérieur. J. D. LEURS ÉPAULES… »

14 septembre 2015
www.troiscouleurs.fr 15
e n bre f

> POLÉMIQUE EN TOURNAGE

Crimée et châtiments Steve Carell a remplacé


Bruce Willis sur le
tournage du prochain
Arrêté le 10 mai 2014 par
long métrage de
les services secrets de la
Woody Allen • Kim
Fédération de Russie, le
Basinger a, quant à
réalisateur ukrainien Oleg
elle, rejoint Amy Adams
Sentsov (Gámer, 2011) a été
et Jake Gyllenhaal à
condamné en août dernier
l’affiche de Nocturnal
à vingt ans de réclusion
Animals, deuxième
pour « organisation d’un
film de Tom Ford,
groupe terroriste ». Il avait
dont le tournage se
déclaré ne pas reconnaître
déroule cet automne •
l’invasion puis l’annexion par
L’actrice américaine
la Russie en mars 2014 de sa
Anne Hathaway va
région d’origine, la Crimée.
produire The Shower,
L’Union européenne et le
une comédie de
gouvernement américain,
science-fiction qui
qui ne reconnaissent pas
racontera le combat
non plus cette annexion, ont
des femmes pour
contesté sa condamnation.
©tony barson / filmmagic

préserver le monde des


De son côté, l’Ukraine
hommes… transformés
a établi, le 8 août, une
en extraterrestres
liste noire d’une dizaine
par une pluie de
d’artistes accusés d’avoir
météorites. T. Z. 
soutenu les rebelles
prorusses et l’annexion
de la Crimée. Les personnalités visées, en majorité des FESTIVAL
acteurs et des chanteurs, ne pourront plus apparaître dans
les médias du pays. Parmi elles se trouve… Gérard Depardieu,
déjà interdit d’entrée en Ukraine depuis juillet. T. Z. 

> LIVRE

Sam Peckinpah
À l’occasion de la
rétrospective que lui
a consacrée le festival
international du film
de Locarno en août,
et parallèlement Du 3 au 13 septembre,
à celle organisée au Forum des
par la Cinémathèque images, L’Étrange
française jusqu’au Festival sonde les
11 octobre, les éditions cinématographies les
Capricci éditent un plus marginales. En
ouvrage richement plus de la compétition
illustré sur le réalisateur internationale, qui
de La Horde sauvage compte vingt films
(1969) et des Chiens parmi lesquels NH10
de paille (1972). de l’Indien Navdeep
Travaillée par le motif Singh ou Ghost Theatre
de la violence et du Japonais Hideo
une réflexion sur les Nakata, trois cartes
instincts des hommes, blanches ont été
sa filmographie est données au Français
décortiquée par de Benoît Delépine, au
fines analyses de critiques de cinéma (Chris Fujiwara, Emmanuel Canadien Guy Maddin
Burdeau, Christoph Huber). Des récits de tournage narrent et au Britannique
les frasques de cet homme colérique qui est parvenu, malgré Ben Wheatley, qui
ses fortes addictions à la drogue et à l’alcool, à élaborer ont concocté un
une œuvre qui a marqué durablement l’histoire du cinéma. T. Z.  programme bizarre
Sam Peckinpah, sous la direction de Fernando Ganzo (Capricci)  et savoureux. Q. G.

16 septembre 2015
www.troiscouleurs.fr 17
à su ivre

Aurélien Gabrielli
Dans Quand je ne dors pas de Tommy Weber, il déploie un jeu
sensible pour camper Antoine, un loser romantique qui s’improvise
dealer d’une nuit afin de gagner de quoi partir à la mer. 
PAR TIMÉ ZOPPÉ

Q
uand il se prend un râteau lors d’une délaissé son B.E.P. électrotechnique pour mon­
soirée, Antoine s’entête et demande ter à Paris à 18  ans et devenir comédien. « Au
à la fille de ses rêves si elle le trouve départ, j’adorais Al Pacino. Beaucoup plus tard,
beau. « Non, rétorque-t-elle, hilare. j’ai découvert le cinéma français, j’ai été fan d’à
Tu n’es pas très gracieux. » Alors qu’on avance peu près tous les grands acteurs : Depardieu,
qu’il faut du courage pour débuter au cinéma Serrault, Galabru, Dewaere… » À l’évidence,
en incarnant un personnage aussi solitaire et son charisme tient davantage de ses idoles
raillé, le jeune homme confie : « Je jouais tout nationales que d’un Pacino à la virilité franche.
au premier degré. C’est à la première vision du Dans le film, son physique évoque un croisement
film que je me suis rendu compte de plein de entre le chanteur Damien Saez et l’acteur Jean-
choses… » Il s’est senti proche de son personnage Pierre Léaud. « Je pense qu’il y a également une
dès la lecture du scénario. « Je pense que c’est ressemblance avec Léaud dans le code de jeu.
au niveau de la maladresse. Antoine a beaucoup Il avait aussi ce truc un peu faux. » Après avoir
de mal à s’exprimer, il est dans sa bulle. » Né en mis en scène certains de ses anciens camarades
Corse il y a vingt-quatre ans, Aurélien Gabrielli a du cours Florent dans la pièce Derniers
remords avant l’oubli de Jean-Luc Lagarce en
août dernier au festival l’Ortu d’arte en Corse,
Aurélien Gabrielli écrit en ce moment un film.
« Ça raconte le cauchemar d’un jeune garçon,
dans la veine de Buffet froid de Bertrand Blier. »
Les grands classiques du cinéma français n’ont
visiblement pas fini de l’inspirer.

Quand je ne dors pas


de Tommy Weber
avec Aurélien Gabrielli, Élise Lhomeau…
Distribution : Aramis Films
Durée : 1h22
Sortie le 30 septembre

« Je jouais tout


au premier
degré. C’est
à la première
vision du film
que je me suis
rendu compte
de plein de
choses… »
© les films de l’espace

18 septembre 2015
www.troiscouleurs.fr 19
ag e n da

Sorties du 9
au 30 septembre
Jamais entre amis L’Oracle
de Leslye Headland de Marcus Vetter
avec Jason Sudeikis, Alison Brie… et Karin Steinberger
Distribution : La Belle Company Documentaire

9 sept. Durée : 1h41


Page 64
Distribution : Jupiter
Communications
Durée : 1h33
Page 65

Queen of Earth Natür Therapy Agents très spéciaux.


d’Alex Ross Perry d’Ole Giæver Code U.N.C.L.E.
avec Elisabeth Moss, avec Ole Giæver, de Guy Ritchie
Katherine Waterston… Marte Magnusdotter Solem… avec Henry Cavill,
Distribution : Potemkine Films Distribution : Épicentre Films Armie Hammer…
Durée : 1h30 Durée : 1h20 Distribution : Warner Bros.
Page 46 Page 64 Durée : 1h57
Page 65

Youth Red Rose The Program


de Paolo Sorrentino de Sepideh Farsi de Stephen Frears
avec Michael Caine, avec Mina Kavani, avec Ben Foster, Lee Pace…
Harvey Keitel… Vassilis Koukalani… Distribution : StudioCanal
Distribution : Pathé Distribution : Urban Durée : 1h44
Durée : 1h58 Durée : 1h27 Page 65
Page 58 Page 64

Prémonitions Fou d’amour


d’Afonso Poyart de Philippe Ramos
avec Anthony Hopkins, avec Melvil Poupaud,
Colin Farrell… Dominique Blanc…

16 sept.
Distribution : SND Distribution : Alfama Films
Durée : 1h41 Durée : 1h47
Page 58 Page 66

Le Transporteur. Héritage Much Loved La Vie en grand


de Camille Delamarre de Nabil Ayouch de Mathieu Vadepied
avec Ed Skrein, Ray Stevenson… avec Loubna Abidar, avec Balamine Guirassy,
Distribution : EuropaCorp Asmaa Lazrak… Ali Bidanessy…
Durée : 1h35 Distribution : Pyramide Distribution : Gaumont
Page 58 Durée : 1h44 Durée : 1h33
Page 2 Page 66

The Lesson Marguerite Nous venons en amis


de Kristina Grozeva de Xavier Giannoli de Hubert Sauper
et Petar Valchanov avec Catherine Frot, Documentaire
avec Margita Gosheva, André Marcon… Distribution : Le Pacte
Ivan Barnev… Distribution : Memento Films Durée : 1h46
Distribution : Zed Durée : 2h07 Page 67
Durée : 1h45 Page 25
Page 60

Life N.W.A. Straight Outta Compton Les Fables de Monsieur Renard


d’Anton Corbijn de F. Gary Gray Collectif
avec Robert Pattinson, avec O’Shea Jackson, Jr., Animation
Dane DeHaan… Corey Hawkins… Distribution : KMBO
Distribution : ARP Sélection Distribution : Universal Pictures Durée : 39min
Durée : 1h52 Durée : 2h27 Page 91
Page 60 Page 36

Au plus près du soleil Le Prodige


d’Yves Angelo d’Edward Zwick
avec Sylvie Testud, avec Tobey Maguire,
Grégory Gadebois… Liev Schreiber…

23 sept.
Distribution : Bac Films Distribution : Metropolitan
Durée : 1h43 FilmExport
Page 62 Durée : 1h54
Page 64

Les Chansons que mes frères True Story Les Deux Amis
m’ont apprises de Rupert Goold de Louis Garrel
de Chloé Zhao avec Jonah Hill, James Franco… avec Vincent Macaigne,
avec John Reddy, Distribution : 20 th Century Fox Golshifteh Farahani…
Jashaun St. John… Durée : 1h40 Distribution : Ad Vitam
Distribution : Diaphana Page 64 Durée : 1h40
Durée : 1h34 Page 40
Page 62

20 septembre 2015
www.troiscouleurs.fr 21
ag e n da

Sorties du 9
au 30 septembre
Boomerang Mémoires de jeunesse Lamb
de François Favrat de James Kent de Yared Zeleke
avec Laurent Lafitte, avec Alicia Vikander, avec Rediat Amare,
Mélanie Laurent… Kit Harington… Kidist Siyum…
Distribution : UGC Distribution : Mars Distribution : Haut et Court
Durée : 1h41 Durée : 2h09 Durée : 1h34
Page 67 Page 72 Page 76

Le Grand Jour Queen Vierge sous serment


de Pascal Plisson de Vikas Bahl de Laura Bispuri
Documentaire avec Kangana Ranaut, avec Alba Rohrwacher,
Distribution : Pathé Rajkummar Rao… Flonja Kodheli…
Durée : 1h26 Distribution : Aanna Films Distribution : Pretty Pictures
Page 67 Durée : 2h26 Durée : 1h27
Page 74 Page 76

Premiers crus Une enfance Sous-sols


de Jérôme Le Maire de Philippe Claudel d’Ulrich Seidl
avec Gérard Lanvin, avec Alexi Mathieu, Documentaire
Jalil Lespert… Angelica Sarre… Distribution : Damned
Distribution : SND Distribution : Les Films Durée : 1h22
Durée : 1h37 du Losange Page 77
Page 67 Durée : 1h40
Page 74

The Look of Silence Un début prometteur


de Joshua Oppenheimer d’Emma Luchini
Documentaire avec Manu Payet,
Distribution : Why Not Veerle Baetens…

30 sept.
Productions Distribution : Gaumont
Durée : 1h43 Durée : 1h30
Page 68 Page 77

Les Rois du monde Quand je ne dors pas Amours, larcins


de Laurent Laffargue de Tommy Weber et autres complications
avec Sergi López, Éric Cantona… avec Aurélien Gabrielli, de Muayad Alayan
Distribution : Jour2fête Élise Lhomeau… avec Sami Metwasi,
Durée : 1h40 Distribution : Aramis Films Riyad Sliman…
Page 70 Durée : 1h22 Distribution : ASC
Page 18 Durée : 1h33
Page 77

Brooklyn Ni le ciel ni la terre Je suis à vous tout de suite


de Pascal Tessaud de Clément Cogitore de Baya Kasmi
avec KT Gorique, Rafal Uchiwa… avec Jérémie Renier, avec Vimala Pons, Mehdi Djaadi…
Distribution : UFO Kévin Azaïs… Distribution : Le Pacte
Durée : 1h23 Distribution : Diaphana Durée : 1h40
Page 70 Durée : 1h40 Page 77
Page 32

Classe à part Vers l’autre rive L’Odeur de la mandarine


d’Ivan I. Tverdovsky de Kiyoshi Kurosawa de Gilles Legrand
avec Nikita Kukushkin, avec Eri Fukatsu, avec Olivier Gourmet,
Philipp Avdeev… Tadanobu Asano… Georgia Scalliet…
Distribution : Arizona Films Distribution : Version Originale / Distribution : Metropolitan
Durée : 1h25 Condor FilmExport
Page 70 Durée : 2h07 Durée : 1h50
Page 57 Page 77

Knock Knock Maryland Anina


d’Eli Roth d’Alice Winocour d’Alfredo Soderguit
avec Keanu Reeves, avec Matthias Schoenaerts, Animation
Lorenza Izzo… Diane Kruger… Distribution : Septième Factory
Distribution : Synergy Cinéma Distribution : Mars Durée : 1h20
Durée : 1h39 Durée : 1h40 Page 90
Page 72 Page 74

Everest Enragés Le Salsifis du Bengale et autres


de Baltasar Kormákur d’Éric Hannezo poèmes de Robert Desnos
avec Jason Clarke, avec Lambert Wilson, Collectif
Jake Gyllenhaal… Virginie Ledoyen… Animation
Distribution : Universal Pictures Distribution : Wild Bunch Distribution : Gebeka Films
Durée : 2h02 Durée : 1h40 Durée : 42min
Page 72 Page 74 Page 91

22 septembre 2015
www.troiscouleurs.fr 23
24 septembre 2015
histoires du

CINéMA
NI LE CIEL NI LA TERRE
Rencontre avec le réalisateur
ICE CUBE
Le rappeur et son fils nous
ELISABETH MOSS
L’actrice de Queen
de ce premier long métrage parlent de N.W.A. Straight of Earth nous raconte
fascinant p. 32 Outta Compton p. 36 l’après-Mad Men p. 46

Catherine Frot

« Marguerite
est une grande
héroïne tragique
et dérisoire. »
© antoine doyen

Depuis sa prestation mythique dans Un air de famille de Cédric Klapisch en


1996, elle s’est imposée comme la figure de l’ingénue loufoque et pétulante
du cinéma français. Dans Marguerite de Xavier Giannoli, Catherine Frot
campe une richissime baronne qui donne des récitals privés dans le Paris
des années 1920. Sauf que la diva chante terriblement faux, et que personne
n’ose le lui dire. Avec une grande justesse, la comédienne fait rayonner ce
personnage grotesque et bouleversant, inspiré d’une histoire vraie. Elle
trouve ici sa plus belle partition.
PROPOS RECUEILLIS PAR RAPHAËLLE SIMON

www.troiscouleurs.fr 25
h istoi re s du ci n é ma

M
arguerite marque votre des centaines de fois, en boucle, pendant des
retour au cinéma après semaines, en même temps que j’écoutais la Callas,
trois ans d’absence. Com­ « Casta Diva » notamment, qui à l’inverse est la
ment êtes-vous arrivée sur perfection incarnée.
le projet ?
J’ai confié à quelqu’un qui Comment avez-vous trouvé l’inimitable voix
travaillait sur le dernier film de Marguerite, qui chante « divinement faux »
de Xavier Giannoli, Superstar, qu’il était l’un des comme le disent cyniquement les critiques ?
metteurs en scène avec qui j’aimerais vraiment tra- Il y a eu tout un travail très technique pour obte-
vailler. Ça lui a été répété et, trois semaines plus nir cette voix : je chantais en play-back, une
tard, j’ai reçu le scénario de Marguerite. J’ai appris octave en dessous, car je ne pouvais pas chanter
par la suite qu’il avait cette histoire dans ses tiroirs si haut, puis on enregistrait ma voix par-dessus,
depuis une dizaine d’années. Le scénario m’a plu mais j’étais aussi en partie doublée par une jeune
tout de suite, mais le film a mis un certain temps à femme, amatrice d’opéra. Xavier a mélangé toutes
se financer, presque deux ans et demi, donc je me ces voix au mixage, du coup on ne sait plus trop
suis préparée pendant tout ce temps, j’ai attendu le qui est qui. J’ai énormément travaillé les chansons
rôle. Un personnage comme ça, c’est de la grande avec une prof de chant, car il fallait que mon play-
dimension, c’est rare. back soit impeccable : je les connaissais toutes par
 
Qu’est ce qui vous plaisait dans le travail de
Xavier Giannoli ? « Comment se fait-il
Il y a une grande profondeur dans ses films, un
vrai travail autour de la justesse et de la vérité, ce
qu’une telle poésie se
qui fait que l’émotion nous déborde, sans qu’on dégage d’une chose
sache toujours d’où elle vient. Ses personnages
sont extrêmement attachants, et profondément si inécoutable ? »
seuls, que ce soit François Cluzet dans À l’Ori-
gine, Gérard Depardieu dans Quand j’étais chan- cœur, de « Voi che sapete » de Mozart à « Casta
teur, ou Marguerite. Diva » de Bellini… Pour trouver la juste voix du
  faux, nous avons organisé un casting très impor-
Qu’est-ce qui vous a séduit chez Marguerite ? tant. Ce n’était pas évident à trouver, certains faux
D’abord l’absurdité de sa situation : chanter faux et étaient trop caricaturaux, d’autres trop ridicules…
ne pas s’en rendre compte. Et puis son inconscience, La chanteuse que nous avons choisie, qui chante
son innocence, sa fraîcheur d’esprit, et en même très bien, avait un chanter-faux poétique, j’y ai cru,
temps je trouve que c’est elle qui a raison sur le je l’ai reconnu. C’était important, pour moi, de le
monde, même si elle est dingue. Elle a à la fois une ressentir de l’intérieur, pour pouvoir le restituer
force et une fragilité immenses. D’ailleurs, dans la en play-back.
dernière partie du film, elle touche à la folie.  
  Marguerite fait tout pour attirer l’attention de
Marguerite est librement inspiré de la vie son mari, qui la fuit et en a honte… En ce sens,
de Florence Foster Jenkins, une chanteuse Marguerite est aussi l’histoire d’un amour man-
d’opéra américaine, morte en 1944, qui chan- qué, c’est une terrible tragédie.
tait terriblement faux. Connaissiez-vous son Dans la première partie du film, avant qu’il ne
histoire ? commence à la regarder, son mari dit à sa maî-
Non, pas du tout. Je ne suis pas très férue d’opéra. tresse : « Ma femme est un monstre. » Parfois, dans
J’ai été très impressionnée quand j’ai entendu pour la vie, on croise des gens incongrus comme ça,
la première fois son enregistrement de l’« Air de la des dingos, qui peuvent avoir un côté monstrueux.
reine de la nuit » de Mozart sur Internet. Comment Ce genre de personnes hyper enthousiasmantes,
se fait-il qu’une telle poésie se dégage d’une chose qui ont une générosité merveilleuse, qui laissent
si inécoutable ? Parce qu’elle a eu l’audace d’al- des traces, qui donnent des ailes. On en a dans le
ler au bout. C’est un acte quasi artistique, un acte monde du cinéma : regardez Arletty, Michel Simon ;
merveilleux. Quelle grandeur d’âme ! Et en même c’est fantastique, l’empreinte qu’ils laissent, ce sont
temps c’est navrant, c’est d’une tristesse épouvan- des gens qui peuvent surdimensionner les choses.
table. Ce paradoxe est vraiment troublant. Pour me Marguerite, c’est pareil, elle surdimensionne les
mettre dans le rôle, j’ai écouté cet enregistrement choses : elle est petite, elle est minable, elle chante

26 septembre 2015
e ntreti e n

© larry horricks
comme une casserole, et pourtant elle y va, elle se font piétiner mais qu’on aime, des personnages
passe de rien-du-tout à héroïne. Pour moi, c’est à la fois poétiques et un peu effrayants, en ce qu’ils
une grande héroïne tragique et dérisoire, elle a la renvoient à quelque chose de tragique.
puissance d’une Phèdre, d’une Antigone. C’est une  
femme en quête d’une grande liberté, qui mourrait Vous avez obtenu le César du meilleur second
pour vivre comme elle le désire. On peut la voir rôle féminin en 1997 pour votre prestation
comme une des premières féministes… mythique dans Un air de famille. Avez-vous le
  sentiment que ce personnage, qui vous a révé-
Xavier Giannoli est-il très directif sur le tour- lée au grand public, vous a enfermée dans cette
nage ? Quelles indications vous a-t-il données case de « grande candide » ?
pour le rôle de Marguerite ? Non, car j’ai justement fait en sorte, derrière, de
Il a été très présent, oui. Je me suis parfois sen- refuser les personnages très naïfs et drôles à leur
tie plus un modèle qu’une actrice entre ses mains, insu. Presque deux ans se sont écoulés avant La
comme si j’étais une matière brute qu’il sculptait. Dilettante de Pascal Thomas. C’est un film qui a
Il savait très bien ce qu’il voulait, et j’ai eu envie mis longtemps à se monter, mais je l’ai attendu, ce
de me laisser attraper par lui. Il me poussait vers rôle, car il allait ailleurs. C’était un film drôle aussi,
des choses paradoxales. Vers ce qui est bien et ce mais assez audacieux, différent de ce que j’avais
qui est mal, ce qui est beau et ce qui est laid, ce qui pu faire auparavant. Mais j’ai adoré faire Un air de
est triste et ce qui est gai. Les contradictions des famille. Avant le film, on l’a joué au théâtre pen-
sentiments dans ce film sont exploitées de manière dant un an. Il y avait de tels fous rires qu’on était
magistrale. obligés d’arrêter de jouer ! L’effet de Yolande sur
le public, en direct, je ne peux pas l’oublier. Mais
Selon vous, pourquoi vous a-t-il choisie pour finalement j’ai joué des personnages assez diffé-
incarner Marguerite ? rents : des personnages de pur foklore, comme dans
Je pense que certains des personnages que j’ai les adaptations des romans d’Agatha Christie par
interprétés par le passé et qui m’ont rendue popu- Pascal Thomas, mais aussi des personnages beau-
laire ont à voir avec Marguerite : cette fragilité, coup plus durs, comme dans Vipère au poing, le
cette solitude, cette innocence, qu’on peut retrou- dernier film de Philippe de Broca, des rôles plus
ver chez Odette Toulemonde, chez la Yolande d’Un sombres, comme dans La Tourneuse de pages de
air de famille, chez Winnie dans Oh les beaux jours Denis Dercourt ; maintenant je m’apprête à jouer
de Samuel Beckett, que j’ai joué pendant deux ans dans une comédie farcesque au théâtre, Fleur
au théâtre. de cactus… J’aime passer d’un univers à l’autre,
je ne pourrais pas jouer le même personnage ad
Qu’est-ce qui vous plaît chez ces personnages vitam aeternam. Ce que j’aime, ce sont les person-
de grandes naïves ? nages forts, empreints d’une certaine dureté, ou au
Ça fait un peu partie de moi, je me suis fait remar- contraire d’une grande innocence. J’aime ce qui
quer en partie par ça. Ce sont des personnages qui est expressif.

www.troiscouleurs.fr 27
h istoi re s du ci n é ma - e ntreti e n

« J’aime les
personnages forts,
empreints d’une
certaine dureté,
ou au contraire
d’une grande
innocence. »

© larry horricks
Quel souvenir gardez-vous de votre premier Vous avez pour le coup un vrai talent comique.
tournage pour le cinéma ? Est-ce ce qui vous a poussé à vouloir devenir
C’était pour Mon oncle d’Amérique d’Alain Resnais comédienne ?
[sorti en 1980, ndlr]. Je devais avoir 20 ans, j’avais Oui, je pense. Chez Peter Brook, à 24 ans, je faisais
les cheveux très longs… Je me souviens que la servante avec Michel Piccoli dans La Cerisaie
Resnais avait énormément de temps pour tourner, de Tchekhov. C’était déjà un personnage de fille
on filmait une toute petite chose par jour. C’était complètement illuminée… Je voyais bien que je
mon tout premier rôle de cinéma, et après j’ai faisais rire, sans toujours le faire exprès – comme
attendu longtemps avant d’y revenir, à 39 ans. J’ai aujourd’hui d’ailleurs : parfois je pense que je vais
fait du théâtre et de la télévision entre-temps. J’ai faire rire et ça ne marche pas, et inversement…
commencé le théâtre jeune, j’avais fondé une com- En ce sens, je pense que je suis un bon choix pour
pagnie, on jouait au Off d’Avignon, c’était formi- Marguerite.
dable. On était très peu payés, mais je gagnais ma  
vie à la télévision, c’était plus facile pour les jeunes On vous verra dans Fleur de cactus à partir du
comédiens à l’époque. 25 septembre au Théâtre Antoine, aux côtés
  de Michel Fau, qui interprète votre professeur
L’un des cruels enseignements du film est que de chant dans Marguerite. Que vous apporte
la passion et le travail ne font pas le talent. le théâtre que ne vous apporte pas le cinéma ?
Oui, malheureusement, il arrive que certaines per- La scène, la maîtrise et la responsabilité de son
sonnes se donnent à corps perdu pour un résultat corps en entier, sans que personne n’aille en cou-
lamentable. C’est toute l’histoire du clown triste per des bouts comme au cinéma.
dans Le Cirque de Charlie Chaplin [réalisé en  
1928, ndlr]. Dans ce film, Charlot, poursuivi par Et à l’inverse, quel est pour vous le plus du
un âne, entre sans le vouloir dans un cirque, fait cinéma ?
dix fois le tour de la piste, et le public est mort de Le mythe de l’image, cette drôle de chose qui
rire. Le lendemain, la salle est pleine, et on lance reste. 
l’âne à ses trousses, à son insu. Mais au bout d’un
moment, il comprend le système, et il devient nul. Marguerite
de Xavier Giannoli
Plus tard, il passe des auditions comme clown, il avec Catherine Frot, André Marcon…
se donne à fond, mais il est déplorable, parce qu’il Distribution : Memento Films
Durée : 2h07
se sait regardé. C’est à mourir de rire.  Sortie le 16 septembre

28 septembre 2015
www.troiscouleurs.fr 29
h istoi re s du ci n é ma – scè n e cu lte

La réplique :
« Comment se fait-il qu’une gentille fille
comme toi fasse ce métier-là ? »

Irma la Douce
À Paris, un flic idéaliste (Jack Lemmon) est muté dans un quartier
où exercent des prostituées. Il tombe amoureux de la douce Irma
(Shirley MacLaine). Dans ce film inégal et extravagant sorti en 1963,
Billy Wilder dispense quelques-unes de ses plus belles
étincelles comiques.
PAR MICHAËL PATIN

© rda

L
e dix-neuvième long métrage de Billy Irma conte une histoire de rêve brisé et le mon-
Wilder s’ouvre sur une vue d’une rue sieur, ému, replonge la main dans son portefeuille.
populaire d’un Paris de studio repeint en Presque tout l’art de Billy Wilder est contenu dans
Technicolor. La caméra avance jusqu’à la cette séquence d’ouverture : observation mordante
plus jolie môme du quartier, cette Irma la Douce des mœurs, farce de la séduction, mensonge des
qui fait le pied de grue, cigarette dans une main apparences et génie du comique de répétition – la
et petit chien dans l’autre. Un monsieur apparaît, scène est déclinée jusqu’à la fin du générique d’ou-
comparant les avantages des dames sans se déci- verture. Avant même l’apparition de son acteur
der, avant de dépasser la brindille qui fait mine fétiche, Jack Lemmon, on sait que le réalisateur de
de l’ignorer. Caresse au chien, mot à l’oreille, elle Certains l’aiment chaud (1959) va nous régaler. 
éjecte sa cibiche et l’entraîne dans l’hôtel en rou-
lant des hanches. La caméra s’élève par l’exté- Irma la Douce
de Billy Wilder
rieur jusqu’à l’étage. Ellipse : dans la chambre, les avec Jack Lemmon, Shirley MacLaine…
amants se rhabillent. « Dis-moi, comment se fait-il Distribution : Ciné Sorbonne
Durée : 2h27
qu’une gentille fille comme toi fasse ce métier-là ? » Ressortie le 16 septembre

30 septembre 2015
www.troiscouleurs.fr 31
h istoi re s du ci n é ma

NI LE CIEL NI LA TERRE

CLÉMENT
COGITORE

« L’enjeu de tous les récits originels,


c’est de relier des points – le ciel et
© flavien prioreau

la terre, le visible et l’invisible. »

32 septembre 2015
e ntreti e n

En mission de surveillance dans les montagnes afghanes, des soldats


français disparaissent mystérieusement. Face à ce phénomène inexplicable,
et au contact des populations locales, le capitaine Bonnassieu (Jérémie
Renier) abandonne peu à peu ses certitudes pour se laisser gagner par
un certain mysticisme. Le film délaisse alors son ancrage documentaire
pour glisser sur des pentes plus fantastiques et poétiques, osant toutes
les audaces formelles. Rencontre avec le jeune plasticien et vidéaste
Clément Cogitore, qui signe un premier long métrage fascinant.
PROPOS RECUEILLIS PAR JULIETTE REITZER

L
e film entrelace plusieurs genres erreurs. Cela dit, mon film n’est pas sur le conflit
et thèmes. Quel a été son point de afghan, il ne donne aucune leçon de géopolitique.
départ ?  
Un jour, dans une gare, devant un Dans sa première partie, le film reprend les
avis de recherche de personnes dis- codes du documentaire, il est très précis sur le
parues, je m’étais dit qu’en fait per- quotidien du régiment et les techniques mili-
sonne ne disparaît vraiment – ces taires. Quelles recherches as-tu faites ?
gens-là ont soit refait leur vie, soit ont été assassi- Je me suis beaucoup documenté, j’ai rencontré
nés… Qu’est-ce qui se passerait si des personnes des soldats, j’ai regardé des vidéos d’opérations…
pouvaient réellement disparaître, purement et Souvent les choses pleines de bon sens viennent du
simplement, de la surface de la Terre ? Il s’agis- réel ; par exemple la manière dont les talibans se
sait de traiter du non-sens de la mort, du deuil cachent dans les rochers dans le film, qui est une
impossible, en y injectant du surnaturel. Il y avait technique de camouflage ultra rudimentaire et très
aussi l’idée d’un polar métaphysique, qui jouerait ancienne. Ensuite, j’aime confronter ces éléments
avec le fantastique. documentaires à des choses qui n’appartiennent
  qu’à moi, qui sont mes obsessions, mes peurs, ma
Comment est venue l’idée de faire se dérouler vision du monde.
le récit dans le contexte d’une guerre ?  
Comment fait-on la guerre aujourd’hui ? Quels À l’image, comment as-tu travaillé cet ancrage
outils utilise-t-on ? Ce sont des questions qui m’in- documentaire ?
téressent beaucoup. La guerre passe par l’image. Soit on s’appelle Kathryn Bigelow, on a beaucoup
Les uniformes ne sont plus destinés à se rendre d’argent et on reconstruit tout en studio, soit on fait
invisible de l’œil, mais des capteurs numériques un film indépendant à petit budget et il faut utili-
– le motif du camouflage reprend la forme d’un ser d’autres astuces. Pour moi, c’était donc lumière
pixel. Le principe même de la guerre, c’est de naturelle, caméra épaule, et un dispositif de repor-
contrôler le plus possible son adversaire. J’avais tage – c’est-à-dire que la valise image tenait dans
envie de raconter ce dispositif de contrôle, et de le un sac à dos. Ensuite, je n’arrive pas avec un décou-
confronter au thème de la disparition, qui est cen- page en tête. On expérimente, on recherche en
tral dans la guerre : on sait qu’on part avec un cer- même temps qu’on fait le film. C’est ce qui donne
tain nombre d’hommes et qu’on ne va pas tous les les accidents du cadre, quelque chose de plus libre,
ramener. de plus souple.
   
Si le cinéma hollywoodien s’empare régulière- Les paysages montagneux jouent un rôle impor-
ment des conflits actuels, c’est en revanche tant dans la perte de repères progressive des
plus rare dans le cinéma français. soldats. Comment les as-tu choisis et filmés ?
Ce que j’aime dans le cinéma américain, c’est leur J’ai cherché le bon endroit dans toutes les mon-
manière de déceler le mythe dans des événements tagnes du Maroc, où on a tourné. Je cherchais un
qui sont en train de se produire. Ça manque dans le paysage très minéral, escarpé, avec beaucoup de
cinéma français et européen d’aujourd’hui, mais ça profondeur. Il fallait qu’il dégage quelque chose
n’a pas toujours été le cas, par exemple avec Rome d’assez mélancolique, mais aussi de rugueux,
ville ouverte ou Allemagne année zéro de Roberto d’austère. J’avais aussi en tête des éléments du
Rossellini. Cette contemporanéité me paraît essen- western médiéval, avec un fort, des chevaliers…
tielle ; ne pas avoir l’histoire derrière soi, mais la L’homme et la montagne. Dans le film, on est
traiter dans une espèce d’urgence, quitte à faire des soit très proche, caméra épaule, dans l’énergie

www.troiscouleurs.fr 33
h istoi re s du ci n é ma

« J’essaie de me battre contre cet


ethnocentrisme occidental qui veut que
le croyant c’est toujours l’autre. »
des comédiens, soit très loin, sur pied, et ils sont coûte beaucoup moins cher, c’est beaucoup plus
minuscules dans cette montagne immense. C’était léger, et ça crée une matière, une sorte de défor-
une manière de construire le film, de le chapitrer. mation optique, de danger, car on sent que le cap-
  teur cherche un signal. Ça raconte aussi des choses
Jérémie Renier nous a raconté qu’il se faisait par rapport aux images en général, dans lesquelles
appeler « capitaine » par les autres acteurs, y on cherche des informations à tout prix. Et ça
compris en dehors du tournage. Qu’est-ce que joue aussi sur le registre du cinéma fantastique :
cela a apporté au film ? le monstre rôde quelque part, l’image le cherche et
Le tournage a été un vrai calvaire, on a eu tous les ne le trouve jamais.
problèmes techniques imaginables. Il faisait 40 °C  
la journée et très froid la nuit, il y a eu des orages, D’où vient le titre, Ni le ciel ni la terre ?
des tempêtes de sable, des scorpions, des incen- Ni le ciel ni la terre, pour moi, c’est l’espace de
dies… Chaque matin, je me demandais comment disparition de ces soldats. L’expression, comme
on allait arriver au bout de la journée. Du coup, le pas mal d’autres choses dans le film, est un élé-
fait que les comédiens entre eux créent cette sec- ment qui appartient à la fois au Coran et à la Bible.
tion, avec Jérémie qui en était le capitaine et qui Dans le Coran, c’est un verset qui dit : « Ni le ciel
me faisait des retours sur comment se sentaient les ni la terre ne les pleurèrent et ils n’eurent aucun
hommes, ça a été un vrai soulagement. délai. » Et dans la Bible, c’est : « Je vous dis de ne
  pas jurer du tout, ni par le ciel, car c’est le trône
À mesure que les soldats disparaissent mys- de Dieu, ni par la terre, car elle est son marche-
térieusement, ceux qui restent commencent pied. » Ces textes sont complexes, ambigus, contra-
à envisager des explications irrationnelles. À dictoires ; en ce sens-là ils sont entièrement nous.
l’image, ce glissement prend corps notamment Ils contiennent tous les dangers possibles de nos
dans des plans à travers les visées nocturnes communautés, et toute leur lumière aussi. Ce sont
des fusils. Ces images sont étranges, presque des textes que je lis beaucoup.
irréelles.  
Pour avoir ce genre d’effet, généralement, on filme Qu’est-ce qui t’intéresse tant dans la question
avec une caméra normale, puis on met un filtre de la croyance ?
sur l’image. Nous, on a directement mis une petite La croyance, c’est la base des récits que les hommes
caméra dans l’appareil qu’utilisent les soldats. Ça se racontent depuis la nuit des temps, c’est leur

34 septembre 2015
e ntreti e n

manière, pour utiliser de grands mots, de résister « Chaque matin, sur


au chaos et à la brutalité du monde. L’enjeu de tous
les récits originels, c’est de relier des points – le ciel le tournage, je me
et la terre, la mort et le vivant, le visible et l’invi-
sible. C’est aussi ce qui construit les communautés ;
demandais comment
c’est à partir de ces récits, de ces croyances, que on allait arriver au
les hommes se rassemblent. C’est donc l’origine de
mon métier : raconter des histoires. Qu’est-ce qui bout de la journée. »
fait qu’on a envie d’entrer dans une salle de cinéma,
de payer dix euros pour s’asseoir devant un écran, question. J’essaie aussi de me battre contre cette
pour croire à quelque chose qui n’a jamais eu lieu, espèce d’ethnocentrisme occidental qui veut que le
qui n’existera jamais ? Qu’est-ce qui manque au réel croyant c’est toujours l’autre. La République fran-
pour qu’on ait besoin de ça ? C’est une question qui, çaise, la démocratie, les droits de l’homme, ce sont
pour moi, est essentielle. aussi des croyances. Si on cesse d’y croire, elles
  n’existent plus. Je pense qu’il faut les penser et les
Dans le film, les croyances des militaires défendre en tant que croyances, et non en tant que
entrent en collision avec celles des autoch- vérités absolues et universelles qui devraient s’im-
tones, notamment dans la scène-clé au cours poser à tous.
de laquelle le capitaine Bonnassieu interroge  
un enfant afghan. Tu es en ce moment en écriture. Quel est le
Le capitaine demande à l’enfant : « Comment tu sujet de ce prochain film ?
peux croire à quelque chose que tu ne vois pas et Ça se passe dans le xviiie arrondissement de
que tu n’as jamais vu ? » L’enfant lui répond : « Il y Paris. C’est l’histoire d’un voyant qui fait parler
a des talibans pas très loin, mais il fait nuit, donc les morts. C’est un escroc, mais il sait cerner les
tu ne les vois pas. Mais ce n’est pas pour ça qu’ils gens. Son entreprise prospère jusqu’au jour où il a
ne sont pas là. » C’est d’une logique enfantine. Ce une vraie vision, et ce qu’il arrive à prédire va lui
n’est la preuve d’absolument rien, mais c’est en tout causer de gros problèmes…
cas l’attestation des limites de ce en quoi le capi-
taine croit comme à une vérité absolue – son œil, Ni le ciel ni la terre
de Clément Cogitore
le capteur infrarouge et la visée thermique de son avec Jérémie Renier, Kévin Azaïs…
fusil. Pour lui, le monde s’arrête là. Cet enfant, avec Distribution : Diaphana
Durée : 1h40
ses mots d’enfant, remet toutes ces certitudes en Sortie le 30 septembre

www.troiscouleurs.fr 35
h istoi re s du ci n é ma

N.W.A
STRAIGHT OUTTA COMPTON
© universal pictures
RENCONTRE AVEC ICE CUBE ET SON FILS

De gauche à droite et de haut en bas : Ice Cube, F. Gary Gray, Dr. Dre, O’Shea Jackson, Jr., Jason Mitchell et Corey Hawkins

Il y a près de trente ans, dans un quartier dangereux de Los


Angeles, cinq jeunes Noirs formaient N.W.A (Niggaz wit’ Attitude)
et révolutionnaient le gangsta-rap. Parmi eux, le futur milliardaire
Dr. Dre et le MC aux rimes incendiaires Ice Cube, qui produisent
aujourd’hui le biopic du groupe. Avec dans le rôle d’Ice Cube, son
propre fils. Une histoire d’héritage hip-hop et de transmission.

C
PROPOS RECUEILLIS PAR ÉRIC VERNAY

’est chose rare que de pouvoir Knight, il s’est carrément rendu sur le tournage et a
tourner son propre biopic de écrasé deux personnes avec sa voiture. Désormais
son vivant, comme l’ont fait Ice en prison pour meurtre, le cofondateur de Death
Cube et Dr. Dre avec N.W.A. Row, le label créé par Dr. Dre après avoir quitté
Straight Outta Compton. C’est N.W.A, donne ainsi raison à son effrayant double
aussi chose périlleuse. Car for- cinématographique… Impossible de contenter
cément, chacun a sa version de tout le monde : c’est aussi ce que raconte le réalisa-
l’histoire : des ex de Dr. Dre l’ont accusé de taire teur F. Gary Gray via le parcours émaillé de zones
ses violences conjugales à l’écran ; le premier d’ombre (trahisons, jalousie, avidité) des pionniers
manager de N.W.A a réfuté la personnalité (peu du gangsta-rap. Pourquoi leurs explicit lyrics eigh-
flatteuse) qu’on lui prête ; et MC Ren (un autre des ties sonnent-ils si justes en 2015 ? Un passage de
membres de N.W.A) s’est plaint de ne pas figu- témoin commenté par Ice Cube (O’Shea Jackson
rer dans la bande-annonce du film. Quant à Suge dans le civil) et son fils, O’Shea Jackson, Jr.

36 septembre 2015
e ntreti e n

Ice Cube, votre fils vous incarne dans le film. mon fils pour qu’il se sente à l’aise en m’incarnant,
C’était votre idée ? qu’il n’ait pas l’impression d’être un robot. Surtout,
Ice Cube : Oui. En tant que producteur, tu es censé je voulais éviter de lui coller une pression supplé-
protéger le film. Pour jouer mon rôle, j’ai cher- mentaire – et inutile.
ché quelqu’un de parfait pour le job. Mon fils a
fait les tournées avec nous quand il était petit, il O’Shea Jackson, Jr., avez-vous appris des
a commencé à rapper à 18 ans avec moi. C’était choses sur votre père en vous replongeant dans
impossible de trouver quelqu’un qui me connaisse son histoire ?
mieux, qui me ressemble plus, physiquement et Jr. : Ce qui m’a frappé, c’est le degré de courage
musicalement. que mon père avait à l’époque, alors qu’il était très
O’Shea Jackson, Jr. : Je n’avais aucune expérience jeune. Quand il a quitté N.W.A pour entamer une
d’acteur avant ce film. C’était beaucoup de pres- carrière solo, il n’avait pas de plan précis. C’est
sion, pour un début, de jouer mon père dans un film étonnant, parce que d’habitude il aime tout pro-
sur N.W.A… Mais je disposais de tous les outils grammer. Il faut des tripes pour quitter ses amis et
dont j’avais besoin. Pendant deux ans, j’ai passé son groupe, alors au sommet, et repartir de zéro. Il
des auditions, je me suis entraîné avec les coaches faut aussi de l’intégrité pour dire : « Je ne suis pas
de Will Smith et de Tom Cruise, et, peu à peu, j’ai d’accord, quelque chose cloche dans ce groupe, et
pris confiance en moi. je refuse d’en faire partie, car je ne me reconnais
plus là-dedans. »
 
« Pendant qu’on filmait Pour vous transformer en Ice Cube jeune, vous
les scènes d’émeutes, avez perdu six kilos…
I. C. : Pas six, sept !
les gens descendaient Jr. : Sept kilos, oui, en vingt-quatre jours. J’ai fait
de la musculation, j’ai bu de l’eau – de l’eau spécial
dans la rue à Ferguson. »  régime, sans matière grasse ! (rires) Je n’ai jamais
O’Shea Jackson, Jr. été aussi bien foutu de toute ma vie, OK, mais ça
n’a pas été de tout repos.
Dans cette situation, en tant que père, faut-il  
surveiller le travail de son fils de près ? Et la perruque à 15 000 dollars que vous portez
I. C. : J’étais sur le tournage de N.W.A. Straight sous la casquette noire des Raiders, ce n’est pas
Outta Compton pendant les trois ou quatre pre- une légende ?
mières semaines, puis j’ai dû rejoindre celui de Jr. : (rires) Non ! On ne peut pas se permettre de
Mise à l’épreuve 2 [qu’il produit et dans lequel il perdre le public à cause d’une perruque mal foutue.
joue, ndlr]. Du coup, j’ai suivi un peu tout ça à dis- On a un message à faire passer, tout doit paraître
tance. C’était bizarre de ne pas être là en personne. authentique. On ne pouvait pas se contenter de cho-
Mais non, je n’ai pas eu à surveiller O’Shea. Il était per une perruque un peu cheap dans un magasin
dur avec lui-même. Il avait les coaches qui l’enca- d’accessoires pour Halloween. Il fallait qu’on se
draient. F. Gary Gray a fait le reste ; c’est lui, le réa- retrouve plongés dans les années 1980, avec les
lisateur, pas moi ! Le seul truc en mon pouvoir, en looks hip-hop de l’époque. Si tu t’écartes de l’image
tant qu’artiste portraituré, c’était d’« immuniser » originale, tu perds direct le public.
© universal pictures

www.troiscouleurs.fr 37
h istoi re s du ci n é ma - e ntreti e n

© universal pictures
Ice Cube, quel effet ça procure de se voir repré- deux heures. On savait qu’on ne tournait pas un
senté à l’écran, de son vivant ? documentaire, avec la caméra ballottée n’importe
I. C. : J’ai eu l’impression de me dédoubler. C’est comment. On devait établir un décor, des person-
marrant, parce que je n’ai jamais pensé que ma nages, et en faire de l’art. C’est le boulot du réali-
vie prendrait cette tournure. Loin de là. Donc tout sateur. Comment faire ça et rester authentique ? Tu
est nouveau, excitant et fascinant. Quand j’étais prends des choses qui ont réellement eu lieu sur
gamin, j’allais au cinéma voir les films de Bruce plusieurs années et tu les condenses en quelques
Lee, puis je sortais de la salle en me prenant pour scènes, sinon tu perds le spectateur. Tous les bio-
lui, en donnant des coups de pied… Maintenant, pics font ça. Il faut juste que ça paraisse réel. On
je suis sur l’écran, et les gamins m’imitent. Ils n’a pas menti. On raconte l’histoire de N.W.A, mais
reprennent l’attitude, veulent le même pouvoir. aussi celle du Los Angeles de l’époque. Ça dépasse
C’est génial d’inspirer les gens avec une histoire N.W.A. Ce n’est pas uniquement un film sur du
comme la nôtre. Vu là d’où l’on vient, ça peut ins- rap, des sessions studios et des concerts. Le film se
pirer les jeunes des ghettos : est-ce qu’ils peuvent demande pourquoi on écrivait cette musique. Car
eux aussi y arriver ? Le film dit que oui. Parce que, elle ne venait pas de nulle part.
bien sûr, ils le peuvent.  
  La totalité du disque Straight Outta Compton a
Le tournage a eu lieu à Compton, la ville dans été réenregistrée pour ce biopic, et notamment
laquelle vous avez grandi… le titre « Fuck the Police ». Ce morceau contro-
I. C. : J’ai grandi à Compton, oui, mais pas mon versé date de 1988, mais ses paroles ont des
fils. Lui a grandi ailleurs, dans une grande maison ! échos contemporains : on pense notamment aux
Jr. : On a toujours de la famille là-bas. Donc, au récentes émeutes de Ferguson et de Baltimore,
final, j’étais entouré par les miens. Tous les gens en réaction aux violences policières…
du coin, tous ceux qui passaient sur le plateau fai- Jr. : Le film évoque le passé mais parle du pré-
saient en sorte de nous soutenir. Les habitants sent. Toutes les personnes en position de pouvoir
de Compton voulaient faire partie de l’aventure, abusent de ce pouvoir. Il y a des oppresseurs par-
ils voulaient que ce projet représente de la meil- tout. C’est universel, c’est pourquoi tout le monde
leure manière la ville et ses icônes. Il y avait des peut se retrouver dans ces textes. On filmait les
familles entières sur leur toit, en train de nous scènes d’émeutes, alors qu’au même moment, les
regarder tourner. Ils nous apportaient de la nour- gens descendaient dans la rue à Ferguson. Dès le
riture et des boissons… On pouvait sentir la posi- départ, on avait une sacrée pression pour représen-
tivité dans l’air. ter ces icônes du rap. Avec ces événements, elle a
  encore augmenté.
Ice Cube, vous produisez le film avec Dr. Dre.
N.W.A. Straight Outta Compton
N’était-il pas tentant de vous mettre en valeur ?
de F. Gary Gray
I. C. : Tout ce qu’on voit dans le film a eu lieu. Bien avec O’Shea Jackson, Jr., Corey Hawkins…
sûr, on a dû résumer certaines choses, car c’est Distribution : Universal Pictures
Durée : 2h27
impossible de raconter une histoire de dix ans en Sortie le 16 septembre

38 septembre 2015
www.troiscouleurs.fr 39
h istoi re s du ci n é ma

Mes copains (2008), Petit tailleur (2010), La Règle de trois (2011)…


En deux courts et un moyen métrage, Louis Garrel a prouvé qu’il
n’était pas seulement l’acteur le plus romantique du cinéma
français, mais aussi un réalisateur hyper sensible. Avec Les Deux
Amis, il passe brillamment l’étape du premier long métrage en
contant l’histoire d’Abel (Garrel lui-même) et de Clément (Vincent
Macaigne), qui tombent tous deux amoureux de la mystérieuse
Mona (Golshifteh Farahani). Comme dans ses précédents films,
le jeune cinéaste s’y penche sur l’amitié vraie, tumultueuse et
passionnée. Rencontre, dans la fumée de ses cigarettes.
PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET
© philippe quaisse / pasco

40 septembre 2015
« Mes amis,
je sais où ils
dorment ;
pas mes
copains. » 

www.troiscouleurs.fr 41
h istoi re s du ci n é ma

© ad vitam
u’est-ce qui lie Clément, Abel comédie sur les sentiments ; mais pendant le tour-
et Mona, les trois héros des nage je me suis dit que j’allais prendre tous les sen-
Deux Amis ? timents avec le plus grand sérieux. C’est peut-être
Mon idée, c’était qu’ils n’aient ce mélange qui donne l’impression que les dialo-
pas vraiment de plan de car- gues sont durs mais pas si désagréables à entendre.
rière, qu’ils soient un peu  
en marge. Leur ambition, ce À un moment, les trois héros se retrouvent sur
n’est pas de décrocher un job, mais d’être aimés. le tournage d’une séquence qui se passe pen-
Généralement, quand on a une trentaine d’années, dant les émeutes de Mai 68. Est-ce un clin d’œil
on est dans le devenir. Eux, ils sont dans une pré- à ta propre filmographie ? On pense aux Amants
occupation sentimentale constante, ils n’ont que réguliers de Philippe Garrel, à Innocents. The
ça pour se raccrocher au monde, ce qui les rend Dreamers de Bernardo Bertolucci…
un peu adolescents. C’est pour ça que je pense Au départ, c’était un gag : le personnage de Vincent
que les jeunes gens qui verront le film pourront vient figurer dans un film qui cherche à recréer un
s’identifier. grand mouvement collectif. Mais lui fait la chose
  la plus individualiste au monde : une tentative de
Les personnages changent d’état d’âme de suicide. Après, c’est vrai que j’ai joué dans deux
façon très brutale. Par exemple, au moment de films qui parlent de ce mouvement insurrectionnel,
la rupture entre les deux amis, quand Clément un pur moment de génération. Philippe [Garrel,
décide de « quitter » Abel. son père, ndlr] essayait de faire des images à par-
Avec Christophe Honoré [qui cosigne le scénario, tir de ses propres souvenirs ; Bertolucci, lui, était
ndlr], on s’est dit que, puisque c’est un film senti- plus dans le fantasme, car il n’était pas à Paris à
mental, il faut qu’il y ait de l’action. Quand on tou- cette période. Donc cette séquence fonctionne un
chait à un sentiment, il fallait tout de suite virer à peu comme les poupées russes : je refais ce que
droite, à gauche, de peur de le laisser s’étioler. j’ai connu sur des tournages qui eux-mêmes appa-
  raissent comme différentes manières de se rappe-
D’ailleurs, on reconnaît bien la patte de ler un moment. Comme un souvenir de souvenirs…
Christophe Honoré, notamment dans les dia-  
logues qui, dits avec la plus grande dérision ou D’où est venue l’idée du secret de Mona qui,
avec une certaine nonchalance, sont parfois détenue sous le coup d’une mesure de semi-­
porteurs d’une intense cruauté. liberté, doit chaque soir regagner sa cellule ?
Christophe est tendre, sentimental, mais aussi très L’intrigue s’inspire des Caprices de Marianne
pudique. Ses personnages sont parfois donneurs d’Alfred de Musset. Un homme demande de l’aide à
de leçons, mais, quand ils font cela, c’est toujours un autre pour conquérir le cœur d’une femme, mais
avec légèreté. À l’écriture, on essayait de faire une celle-ci tombe amoureuse du second. Dans la pièce,

42 septembre 2015
e n couve rtu re

elle est mariée à un homme. Comme il fallait qu’on


arrache le personnage de Mona à quelque chose, on « Mon père regarde
a choisi de la mettre en situation de semi-liberté
plutôt que dans les bras d’un époux.
les choses et essaye
  de les peindre ; moi, je
Dans Les Deux Amis et dans certains de tes
courts métrages, tu filmes l’amitié de manière pars du mouvement
ultra romantique, et tu la représentes avec une
grande sensualité.
des acteurs. » 
Sur le tournage des Deux Amis, un machiniste m’a je suis toujours ému par le rapport entre Antoine
dit que le film est une bromance. Ça me va très Doinel et son ami René. Quand celui-ci vient lui
bien : je préfère raconter la fraternité entre deux rendre visite en maison de redressement, ils sont
hommes plutôt que le côté « potes ». Je ne veux pas séparés par une vitre, et René ne peut pas rentrer
de potes, moi, je veux des amis. Dans La Règle pour le voir. Ils se regardent, et c’est le truc le plus
de trois, les deux personnages joués par Vincent beau du monde. Il sait que ce que vit Doinel est
Macaigne et moi entretenaient plus un rapport de très dur, et pourtant son regard n’a pas de souf-
camaraderie. Là, quand on voit Abel et Clément france, il dédramatise. Il n’y a que les grands amis
marcher côte à côte, on sent qu’ils ont le même qui peuvent faire ça. Même quand j’en parle, là, ça
horizon. La différence, c’est la manière de remettre me fait chialer…
sa vie à l’autre, de placer son cœur entre ses mains.  
Je pense à un proverbe africain très beau qui dit : Dans ton court métrage Mes copains, le groupe
« Un ami, on sait où il dort. » Mes amis, je sais où d’amis apparaît comme une soupape par rap-
ils dorment ; pas mes copains. port à la sphère familiale, sujette à des divorces,
  des affrontements. 
Le point d’orgue de ta vision de l’amitié, c’est Quand j’avais 20 ans, une des choses qui m’ef-
une séquence de ton court métrage Petit tail- frayaient le plus, c’étaient les séparations. Mes
leur : le rapport entre les deux amis y est si copains a un petit côté sitcom à la Hélène et les
fort que ceux-ci vont jusqu’à s’embrasser. Que Garçons dans sa représentation du groupe. On se
représente ce baiser ? demande qui a couché avec qui, mais, en même
Il y avait un truc un peu transgressif à voir deux temps, pour eux, tout est un jeu. Je voulais raconter
amis s’embrasser. Et j’ai toujours pensé qu’une pré- qu’à l’extérieur de ce cocon, tout n’était que sépa-
sence amie, c’était un peu comme un filet pour les ration, règlements de compte adultes. Tandis qu’à
trapézistes au cirque : elle est là pour te secourir l’intérieur du groupe, quand il y a trahison, tout est
dans les plus grandes peines. Là, c’est un baiser organisé pour que celle-ci soit résolue de manière
à la russe, une manière de lui donner du courage. tendre.
   
Du coup, l’amitié devient peu à peu le thème Au début de Mes copains, Arthur révèle que
phare de ta filmographie en tant que cinéaste… l’un de ses meilleurs amis, Damien, a dormi avec
C’est vrai que ça me touche, oui… Par exemple, sa propre fiancée. Plutôt que de penser à la tra-
dans Les Quatre Cents Coups de François Truffaut, hison dont il est victime, il se soucie d’abord de
© ad vitam

www.troiscouleurs.fr 43
h istoi re s du ci n é ma

à courir pour se protéger de la pluie, ça correspond


à leur cœur qui bat un peu plus vite tout à coup.
C’est probablement parce que je fais de la tachycar-
die que mes personnages sont comme ça.
 
Justement, que penses-tu des films de Claude
Sautet ?
J’aime beaucoup Un cœur en hiver, dans lequel
joue d’ailleurs mon grand-père [l’acteur Maurice
Garrel, ndlr], pour plein de raisons. La première,
c’est que je regardais toujours ce film quand j’étais
© ad vitam

en province. Il y avait le plaisir de regarder Paris


de l’extérieur. Je ne reconnaissais pas les rues dans
lesquelles ils avaient tourné, et ça me donnait envie
son copain et veut tout faire pour qu’il ne soit de revoir la ville. Après, je suis assez séduit par le
pas gêné par la situation. C’est plutôt altruiste canevas narratif du film : deux amis qui se séparent
de sa part, non ? à cause d’une femme. C’est aussi l’argument sur
J’avais lu un livre de Cicéron, L’Amitié, dans lequel lequel repose mon film. D’ailleurs, les gens relient
il y avait l’idée qu’il faut être vertueux avec l’autre. toujours ce schéma à la Nouvelle Vague parce
C’est l’intention un peu folle d’être le plus civilisé qu’ils pensent à Jules et Jim, mais au fond c’est un
possible. Dans Comment je me suis disputé… (ma thème classique.
vie sexuelle) d’Arnaud Desplechin, le personnage
de Paul Dédalus tombe amoureux de la fiancée de
son ami Nathan. Et, dans Mes copains, il y a ce «  Je préfère raconter
même rêve que les problèmes se règlent entre aris-
tocrates, entre personnes bien élevées, qu’il y a une
la fraternité entre
sorte de noblesse dans le dépassement d’une tra- deux hommes plutôt
hison. Je m’étais dit que j’allais parler de possessi-
vité amoureuse, mais que mes personnages réagi- que le côté “potes”. » 
raient en Romains. Il y a une fille au milieu de trois
garçons, et un idéal : le grand partage, le kibboutz. Sur les tournages des films dans lesquels tu as
C’est comme un manifeste : ce groupe-là essaye de joués, tu as forcément observé les metteurs
rester uni et il le restera. en scène. As-tu piqué certains « trucs » à des
  réalisateurs ?
Dans ton adolescence, est-ce que tu réalisais Je ne sais pas trop, parce que je viens vraiment du
des films, des courts métrages étudiants avec théâtre. Au théâtre, quand on répète et qu’il n’y a
tes copains ? pas encore de metteur en scène, on fait appel à un
Quand j’étais au Conservatoire, je devais avoir « troisième œil ». On demande à quelqu’un d’exté-
18 ans, j’avais réalisé une captation d’une mise en rieur de venir regarder la scène et de donner son
scène d’un texte de Jon Fosse par un élève qui avait avis. Sur le tournage, je voulais être un peu le troi-
monté ça dans les toilettes de l’établissement. Je sième œil de tout le monde. Après, la difficulté,
n’ai jamais réussi à en faire quelque chose, mais c’était de l’être aussi pour moi-même, donc, quand
j’ai encore les cassettes. Sinon, quand j’étais petit, j’étais dans le plan, je déléguais parfois cette tâche
en colonie de vacances, on avait fait un film avec à l’opératrice. Mais c’est vrai que, depuis tout petit,
les monos qui s’appelait Le Père Noël est encore je regarde mon père travailler. Lui, il regarde les
une ordure. Ça parlait d’un Père Noël vraiment choses et essaye de les peindre ; tandis que moi, je
méchant qui tuait les élèves de la colo. Je ne me pars vraiment du mouvement des acteurs.
rappelle plus quel personnage je jouais, juste que  
j’avais un tout petit rôle et que j’étais hyper vexé. À l’avenir, te verrais-tu réaliser autre chose que
  des films sentimentaux ?
Dans tes films en tant que réalisateur, beau- Je pense que le cinéma français doit composer
coup de personnages sont pressés, ils vivent avec un répertoire qui englobe Marivaux, Musset
vite. et Racine et qui ne propose que des études du
Oui, j’ai l’impression qu’il n’y a pas de temps mort sentiment et de ses mouvements. Pourquoi les
dans Les Deux Amis. C’est un plaisir narratif, les Américains arrivent-il à faire Le Parrain ? Parce
accélérations. Je crois que c’est Claude Sautet qui qu’ils ont Shakespeare. C’est dans les racines du
racontait que, lorsqu’il écoutait de la musique et récit, des acteurs, de leur apprentissage. Quand un
que celle-ci s’accélérait, il entendait de la pluie. rapport intime se crée avec un film, dans mon cas,
Dans ses films, quand les personnages se mettent c’est beaucoup lié aux sentiments.

44 septembre 2015
e n couve rtu re

CRITIQUE

Les Deux Amis


Dans Les Deux Amis, le premier long métrage de Louis Garrel,
l’acteur-réalisateur teste la capacité de résistance du lien
d’amitié entre deux garçons qui tombent amoureux d’une
même fugitive. Avec élégance, et une folle légèreté, il filme
une escapade aux nombreuses secousses sentimentales.
PAR QUENTIN GROSSET

©ad vitam

L
e duo formé par Louis Garrel et Vincent vend des pâtisseries à la gare du Nord, est en fait
Macaigne dans Les Deux Amis s’inscrit en semi-liberté : chaque fin de journée, elle doit
dans la tradition du buddy movie à la fran- prendre le train pour regagner sa cellule. Épaulé
çaise façon Les Valseuses de Bertrand Blier par Abel, Clément, follement épris de la jeune fille,
ou Marche à l’ombre de Michel Blanc. De ces deux l’empêche un soir de rentrer. D’abord catastrophée,
films, il garde la truculence des dialogues, et lui celle-ci s’autorise une parenthèse d’exaltation sans
adjoint une sentimentalité à fleur de peau. On a ici réfléchir aux graves conséquences que sa cavale
affaire au motif classique de l’amitié dépareillée, pourrait entraîner. Mona est un personnage vibrant
bienveillante et chipoteuse. D’un côté, Abel (Louis parce qu’elle embrasse le moment présent sans se
Garrel), un bourreau des cœurs, qui se prétend projeter ; elle n’hésitera pas à mettre à mal le lien
écrivain mais travaille surtout dans un parking ; entre Abel et Clément en succombant au charme
de l’autre, Clément (Vincent Macaigne), un amou- du premier. Figure tragique en ce qu’elle est sou-
reux transi, pataud et fragile, qui fait de la figura- mise à une forme de fatalité, elle vit presque dans
tion sur les plateaux de tournage. Leur rencontre un autre film que nos deux fantaisistes, qui ne
avec un troisième personnage, Mona (Golshifteh sont pas dans la même urgence. Ainsi, dans cette
Farahani), va secouer les deux acolytes et faire ronde endiablée, la comédie s’imprègne du drame,
bifurquer le film dans une direction inattendue. Si et inversement, comme en témoigne le dernier plan
Les Deux Amis fait la chronique de la relation mou- du film, qui réunit les deux amis en même temps
vementée entre ces deux garçons qui entretiennent qu’il les sépare, un peu.
un lien profond (il n’y a qu’à voir la manière dont
de Louis Garrel
Garrel filme la caresse que donne Abel à Clément avec Vincent Macaigne, Golshifteh Farahani…
lors qu’il vient à son chevet à l’hôpital), c’est éga- Distribution : Ad Vitam
Durée : 1h40
lement un film d’évasion frénétique ; car Mona, qui Sortie le 23 septembre

www.troiscouleurs.fr 45
h istoi re s du ci n é ma

Queen of Earth

Elisabeth
Moss

© grant lamos iv slash getty images

« J’ai piqué à Répulsion l’idée de la petite


robe blanche, que porte Catherine Deneuve,
et qui lui donne un air très vulnérable. » 

46 septembre 2015
e ntreti e n

Pendant les sept saisons qu’a duré la série, elle fut la sémillante Peggy
de Mad Men, secrétaire discrète devenue, au fil de sa formidable ascension
professionnelle, symbole de l’émancipation des femmes dans les
années 1960. À l’affiche de Queen of Earth d’Alex Ross Perry, Elisabeth
Moss change de registre en interprétant Catherine, jeune femme en crise
qui trouve refuge dans la maison de campagne d’une amie et sombre
dans la folie. Un rôle à mi-chemin entre la farce et l’épouvante, dont elle
nous a parlé par téléphone, depuis son appartement new-yorkais.
Propos recueillis par Juliette Reitzer

A
près Ashley dans Listen Up basculer dans le délire. Je pense que Catherine est
Philip, Alex Ross Perry vous arrivée à un stade où elle accepte de se laisser aller
offre à nouveau le rôle d’une à sa folie, et même qu’elle veut y aller. Elle s’y com-
femme prise dans la tour- plaît, d’une façon un peu tordue.
mente d’une rupture amou-  
reuse. De laquelle de ces deux Cette femme qui sombre dans la démence rap-
héroïnes vous sentez-vous la pelle le personnage joué par Gena Rowlands
plus proche ? dans Une femme sous influence de John
Ashley, définitivement. J’avais mis beaucoup de Cassavetes, ou celui interprété par Catherine
ma propre expérience des ruptures dans ce rôle… Deneuve dans Répulsion de Roman Polanski.
Ashley et Catherine sont totalement différentes, Aviez-vous des références en tête au moment
mais les films le sont aussi. L’enjeu de Listen Up de tourner ?
Philip était d’être très réaliste, alors que Queen of J’aime énormément Une femme sous influence.
Earth est très polarisé, il explore un genre plus Mais le film que j’ai en effet regardé pour me pré-
spécifique. parer, avant le tournage, c’est Répulsion. C’était
  une inf luence énorme pour moi, tout comme
Le tournage de ce film indépendant à petit bud- Rosemary’s Baby d’ailleurs [également de Roman
get a été particulièrement rapide.  Polanski, ndlr]. J’ai piqué à Répulsion l’idée de la
Le tournage a duré onze ou douze jours seule- petite robe blanche, que porte Catherine Deneuve
ment. Mais quand vous n’avez qu’un seul décor, dans le film, et qui lui donne un air très vulnérable.
vous gagnez beaucoup de temps. Il n’y avait Bon, par contre, Deneuve est belle à tomber dans le
qu’une dizaine de personnes dans l’équipe, c’était film. Ses cheveux sont tout le temps impeccables,
très intime. Quand vous réduisez la taille du tour- elle est sublime. Je voulais que mon personnage
nage, vous réduisez aussi les contraintes et le temps dans Queen of Earth soit un peu plus réaliste, en
nécessaire à lancer la machine. Honnêtement, on ne ce sens qu’elle n’est pas aussi soignée. Elle peut ne
travaillait pas du tout dans l’urgence. On a même pas être jolie, ou avoir les cheveux sales.
fini en avance, chose qui ne m’était jamais arrivée.  
  Catherine est définie par sa dépendance émo-
Alex Ross Perry vous laissait-il de la place pour tionnelle à deux hommes, son père et son com-
improviser ? pagnon, qui viennent tous les deux de dis-
Je ne sais pas si on peut vraiment parler d’impro- paraître –  le premier est mort, le second l’a
visation, parce que ça renvoie à l’idée d’inventer quittée. L’épisode d’instabilité qu’elle traverse
des dialogues sur le vif, ce qu’on ne faisait pas, ne peut-il pas être vu comme une lutte inté-
mais il est très partant pour essayer des choses dans rieure pour s’émanciper ?
la manière de jouer, dans l’émotion. Et j’ai suffi- Si. Pour moi, c’est même le grand enjeu du film.
samment confiance en lui pour tenter des trucs, Catherine a tout construit sur ses rapports avec les
en sachant que si ça ne va pas il n’aura aucun pro- hommes. Si elle n’a pas un homme dans sa vie,
blème à me le dire. elle ne sait pas qui elle est, ni qui elle veut être.
  D’ailleurs, dans beaucoup de films et de séries,
Avez-vous mis des mots sur le trouble men­tal de les femmes sont définies uniquement en fonction
Catherine ? Avez-vous fait des recher­ches sur des problèmes qu’elles rencontrent dans leurs rela-
certaines pathologies psy­chiatriques ? tions avec les hommes. Alors que bon, ça semble
Pas vraiment, non. Je crois que je ne l’ai jamais évident, mais rappelons-le tout de même : en tant
envisagée comme une vraie malade mentale. On a que femme, nous avons tout un tas d’autres choses
tous par moments le sentiment d’être fou ou de le à gérer dans notre vie que nos relations avec les
devenir, mais en général on sait comment ne pas hommes… En tout cas, ce qui m’a plu dans ce film,

www.troiscouleurs.fr 47
h istoi re s du ci n é ma

« À mesure que Catherine


s’enfonce dans la folie, elle trouve
de plus en plus de force. » 
c’est qu’à mesure que Catherine s’enfonce dans ne m’a jamais donné le sentiment d’être au cœur
la folie, elle trouve de plus en plus de force. Au d’une grosse machine ou de manquer de liberté.
début du film, elle est brisée, totalement vulné- J’avais le sentiment de pouvoir apporter des choses,
rable, pitoyable. Et plus on avance, plus elle prend de pouvoir faire évoluer Peggy, mon personnage,
confiance en elle, plus elle affirme son caractère au fil des saisons.
et ses opinions, jusqu’au plan final dans lequel elle  
rit carrément.  Discrète secrétaire dans la saison 1, Peggy se
  révèle progressivement comme l’un des per-
Jouer une aliénée semble être une sorte de sonnages principaux de Mad Men. Saviez-vous
Graal pour une actrice. Vous confirmez ? dès le début qu’elle prendrait une telle impor-
(rires) Oui, complètement. C’est le challenge tance dans la série ?
ultime. C’est extrêmement difficile à jouer sans Non, pas du tout. J’ai compris qu’elle pourrait deve-
tomber dans la surenchère. Avec Alex, on discu- nir un symbole féministe quand elle a commencé à
tait, il y a quelques jours, du fait que la folie au apporter des idées, à être promue, à écrire…
cinéma est souvent traitée par le biais de person-  
nages féminins, filmés par des hommes. Sa théorie, Peggy dans Mad Men, mais aussi Robin dans la
c’est que les hommes sont terrifiés par les femmes série Top of the Lake de Jane Campion, ont fait
et leur pouvoir, et par ce qu’il se passerait si elles de vous une sorte de nouvelle icône féministe.
perdaient le contrôle de ce pouvoir. Est-ce une étiquette qui vous convient ?
  C’est un honneur. À titre personnel, ça a été pas-
Après la superproduction Mad Men, vous vous sionnant : ces rôles m’ont amenée au féminisme ;
êtes tournée vers des films d’auteur indé- grâce à eux je m’y suis intéressée bien plus que je
pendants comme ceux d’Alex Ross Perry, ou ne l’aurais sans doute fait sinon, parce que j’ai une
comme The One I Love de Charlie McDowell vie très privilégiée, en tant que femme vivant aux
(pour l’instant inédit en France). Aviez-vous États-Unis, élevée par des parents qui travaillent
besoin de prendre des risques, d’avoir plus de dans la musique… Mais oui je suis très fière d’être
liberté ? associée à l’idée d’un nouveau féminisme.
Je pense que oui ; prendre des risques, c’était l’idée.
Quand vous jouez le même personnage pendant Queen of Earth
d’Alex Ross Perry
sept saisons, vous avez envie de changer quoi qu’il avec Elisabeth Moss, Katherine Waterston…
arrive. Si en tant qu’actrice je n’essaie pas de pro- Distrution : Potemkine Films
Durée : 1h30
gresser, quel intérêt ? Cela dit, jouer dans Mad Men Sortie le 9 septembre

48 septembre 2015
www.troiscouleurs.fr 49
h istoi re s du ci n é ma

YIORGOS
KORDAKIS PAR TIMÉ ZOPPÉ

C
omme beaucoup d’enfants nés au le même : entre deux séjours à New York, où il rési-
début des années 1970, le Grec dait, il prenait l’avion vers un État américain, dans
Yiorgos Kordakis a grandi avec lequel il louait une voiture qu’il conduisait pendant
les séries télé et les films améri- des jours pour découvrir et photographier la région.
cains. À travers les deux chaînes « On a plein de clichés sur les États-Unis, affirme le
que diffusait, à Athènes, sa télévi- photographe. J’ai essayé de les éviter, mais, au bout
sion familiale aux couleurs pâles, du compte, je me suis rendu compte que l’Amérique
les États-Unis lui apparaissaient comme une terre est effectivement un énorme cliché. C’est comme un
lointaine et exotique. À l’âge adulte, il a décidé d’al- décor de studio prêt à être filmé. » Ses pérégrinations
ler voir à quoi ressemblait vraiment le pays de Clint aboutissent à la série 10.000 American Movies, des
Eastwood et de Steve McQueen. À partir de 2008, photos à la fois douces et mélancoliques qui confèrent
pendant près de cinq ans, Kordakis a ainsi arpenté un aspect suranné, voire spectral, aux paysages du
le territoire américain pour confronter ses souve- pays de l’Oncle Sam. Comme dans Global Summer,
nirs d’enfance à la réalité. Le procédé était toujours sa précédente série, qui l’a fait connaître, Kordakis

50 septembre 2015
portfolio

yiorgos kordakis, 10.000 american movies dyp # 01, 2010

« De Las Vegas, on a tous l’image de cette grande artère pleine de casinos. Mais si on regarde à gauche et
à droite de cette route, la ville est complètement différente. Elle semble beaucoup plus pauvre, pas du tout
glamour. Je conduisais sur ce boulevard et j’ai aperçu, en vision périphérique, cet endroit. Je me suis arrêté
et j’ai passé quatre heures à le prendre en photo. Il s’agit de deux images juxtaposées, ce qui crée un effet de
CinemaScope. »

a obtenu ce rendu particulier grâce au Polaroid qui un projet qu’il présente comme « un manifeste sur
permet de jouer sur le temps de développement juste la perte de l’identité grecque », Yiorgos Kordakis a
après la prise de vue et ainsi de modifier directement commenté pour nous ses images. En commençant par
les couleurs et les contrastes. Alors qu’il avait com- expliquer pourquoi il ne souhaite pas nous indiquer
mencé 10.000 American Movies avec ses propres les lieux où ont été prises chaque photo, « sinon les
stocks de papier photo, il a subi les conséquences gens pensent qu’il s’agit d’un projet de voyage. Ça
de l’abandon, en 2007, de la production de maté- n’a rien à voir avec le voyage. »
riel argentique par la société Polaroid. Il a inlassa- « 10.000 American Movies »
blement guetté les occasions pour acheter des films jusqu’au 26 septembre
neufs ou même périmés à des particuliers. Palliant à la galerie Karsten Greve
tant bien que mal au problème, c’est finalement le vol
Crédit pour toutes les images :
de son appareil photo qui a signé l’arrêt de son projet, Yiorgos Kordakis
en 2012. Par Skype, depuis Athènes, où il est revenu courtesy galerie Karsten Greve, Köln, Paris,
s’installer depuis peu et où il travaille maintenant sur St. Moritz

www.troiscouleurs.fr 51
h istoi re s du ci n é ma

yiorgos kordakis, 10.000 american movies sp # 18, 2012

« Je trouvais intéressant que ce bâtiment ait l’air faux, comme un décor de film. Quelque temps après avoir pris
cette photo, j’ai revu Don’t Come Knocking (2005), l’un des longs métrages que Wim Wenders, qui fait partie
de mes réalisateurs favoris, a réalisés aux États-Unis. Je me suis aperçu que le film avait été tourné dans la
ville où j’avais pris ce cliché. Ça atteste ce que j’avais senti se produire pendant le projet, le fait que je m’étais
progressivement mis à regarder les lieux avec un œil de réalisateur plus que de photographe. »

52 septembre 2015
portfolio

yiorgos kordakis, 10.000 american movies sp # 30, 2012

« Une fois que j’avais pris un cliché, je le manipulais à la lumière. Polaroid donne des conseils pour développer
les photos. Par exemple, si la température est de 35 °C, il faut la développer en trente secondes. Pour ce travail,
j’ai fait varier ce temps de développement entre dix secondes et une minute, pour créer différents effets de
couleur. Je n’ai donc pas du tout utilisé Photoshop. J’ai développé ces photos sur un papier de la taille d’une
carte postale, puis je les ai scannées et imprimées en grand format. »

www.troiscouleurs.fr 53
h istoi re s du ci n é ma

yiorgos kordakis, 10.000 american movies sp # 1, 2012

« Cet endroit se trouve littéralement au milieu de nulle part. Je savais qu’il y avait des gens, mais pendant les
deux heures que j’ai passées là, en début d’après-midi, je n’ai vu absolument personne. Tout était vide. Une
vraie ville fantôme. Sur les bords de la photo, que je n’ai pas prise avec un Polaroid mais avec un Fujifilm, un
autre appareil photo instantané que j’ai utilisé pendant le projet afin de rendre les couleurs plus chaudes, on
peut voir la chimie qui a opéré sur le film. »

54 septembre 2015
portfolio

yiorgos kordakis, 10.000 american movies sp # 2, 2009

« Aux États-Unis, en particulier dans les États du Midwest, tout est resté comme dans les années 1970 : il y
a des vieilles voitures, des vieux bâtiments, des vieux panneaux… exactement comme on l’imagine. J’ai eu
beaucoup de chance pour cette image, parce que je voulais seulement photographier l’architecture. Je ne voulais
pas d’éléments humains dans la série. Au moment de déclencher le Polaroid, cette voiture s’est arrêtée devant
l’objectif. J’ai trouvé la couleur incroyable, ça m’a convaincu. »

www.troiscouleurs.fr 55
56 septembre 2015
les F I L M
du 9 au 30 septembre
S
FOU D’AMOUR THE LOOK OF SILENCE MARYLAND
Le journal d’un curé de Joshua Oppenheimer Alice Winocour met
campagne diaboliquement documente un génocide en scène un thriller
sympathique p. 66 méconnu p. 68 parano-romantique p. 74

Vers l’autre rive


Kiyoshi Kurosawa, maître japonais de l’angoisse toujours teintée
de poésie (Kaïro, Real), signe un mélodrame touchant et paisible.
Mais même lorsqu’il privilégie les chaudes larmes aux sueurs
froides, les revenants affluent et le surnaturel infuse. 

C
PAR HENDY BICAISE

hez Kiyoshi Kurosawa, les person- un mur tapissé de fleurs tel un message funeste) et
nages doivent apprendre à vivre numériques (les ombres portées et les halos de fumée
avec les morts, qu’il s’agisse de sont réalisés en postproduction, ajoutant à leur étran-
spectres étonnamment tangibles, geté) pour signifier la présence des autres revenants
comme dans Kaïro (2001) ou dans que Yusuke et Mizuki croiseront au fil de leur voyage
Séance (2004), ou bien d’un gar- à travers le pays. Les fantômes qu’ils rencontrent, eux,
çon sorti du coma qui, de retour ne sont pas conscients d’en être. Ils se croient encore en
auprès d’une famille ayant fait son deuil, passe pour vie et agissent de façon triviale, comme les jeunes sui-
un authentique revenant (License to Live, 2000). cidés qui retrouvaient leurs proches dans Kaïro. Dans
Quelques minutes suffisent généralement aux vivants ce dernier film, la réunification était illusoire et consis-
pour accepter ces présences fantomatiques, comme tait à repousser l’inéluctable, ainsi énoncé : « La mort
on s’habitue à la pénombre. Yusuke, le héros de Vers est un isolement éternel. » Vers l’autre rive est porteur
l’autre rive, est mort depuis trois ans quand il rentre de plus d’espoir, Kurosawa allant jusqu’à insérer dans
chez lui. Sa femme Mizuki le reçoit avec simplicité et son récit de magnifiques et inattendus intermèdes à
accepte même de partir en voyage avec lui. Le spec- caractère scientifique : Yusuke, conférencier improvisé
tateur, en revanche, est moins serein. L’apparition de dans un village qui l’a accueilli, rassure des habitants
Yusuke est inquiétante, parce qu’elle s’accompagne récemment endeuillés : « La vacuité n’est pas dénuée
d’une disparition : celle du son. À contre-courant des de sens. » Un message qui s’applique parfaitement
films visant à faire sursauter le public, Kurosawa dis- au cinéma de Kiyoshi Kurosawa, dont le caractère
tille une peur blanche, faisant naître l’angoisse des jeux évanescent n’a jamais compromis la grande richesse.
de lumière et de son qui accompagnent les allées et
de Kiyoshi Kurosawa
venues du fantôme. Tout au long du film, le réalisateur avec Eri Fukatsu, Tadanobu Asano…
s’appuie ainsi sur un heureux mélange d’effets arti- Distribution : Version Originale / Condor
Durée : 2h07
sanaux (une lampe invisible dévoile progressivement Sortie le 30 septembre

www.troiscouleurs.fr 57
le s fi lm s

Youth
Après avoir sondé les contours inquiétants de la société romaine dans
La grande bellezza, Paolo Sorrentino réalise avec Youth un buddy
movie fellinien dans lequel Michael Caine et Harvey Keitel étincellent.
PAR MEHDI OMAÏS

Pour les besoins de son nouveau long métrage, Paolo Michael Caine et Harvey Keitel) vont graduelle-
Sorrentino transforme un hôtel paisible et roboratif ment comprendre qu’un ego trop lourd constitue un
niché dans les paysages alpins en un laboratoire de la sérieux handicap. Et qu’ils font partie, en somme,
psyché. Le cinéaste italien y balade les silhouettes de d’un vaste film dont ils ne sont que de simples figu-
Fred et Mick, deux potes à une encablure des 80 ans. rants, de futiles passeurs qui tracent à l’allure d’une
Le premier, chef d’orchestre, a tiré un trait sur sa comète. Flamboyante – parfois à l’excès –, la mise
carrière musicale, n’en déplaise à la reine d’Angle- en scène de Sorrentino porte un scénario sensible,
terre qui rêve de le voir sur scène. Le second, réali- rivalisant d’humour et de tendresse. Au-delà de sa
sateur toujours en activité, moins résigné, s’échine réflexion sur l’art, la création, la course au jeunisme
à terminer le scénario de ce qu’il souhaite être son ou le poids des regrets, Youth est surtout l’occasion
ultime merveille. Leur seul souci ? Ce maudit temps de rappeler que la jeunesse n’a pas d’âge. Elle attend
qui passe, monstrueux rouleau compresseur qui patiemment qu’on tape à sa porte.
écrase tout sur son passage. Entourés d’une galerie
de Paolo Sorrentino
de personnages en or massif – dont un ersatz bedon- avec Michael Caine, Harvey Keitel…
nant de Maradona ou une Miss Univers à réveiller Distribution : Pathé
Durée : 1h58
les morts –, les deux meilleurs amis (magnifiques Sortie le 9 septembre

> Le Transporteur. Héritage > Prémonitions > Human


Frank Martin est engagé par un quatuor Un tueur en série (Colin Farrell) Après Home (2009), dans lequel il
de femmes fatales pour participer échappe sans cesse au FBI grâce dénonçait les nombreux outrages que
au plus gros braquage du siècle. à son don divinatoire. Pour le coincer, nous faisons subir quotidiennement
C’est le début d’une spirale infernale… les enquêteurs font appel à un médium à notre planète, Yann Arthus-Bertrand
Dans le rôle du héros de la franchise, retraité, John Clancy (Anthony place cette fois les humains face
Ed Skrein (qui incarne Daario Naharis Hopkins)… Afonso Poyart orchestre à eux-mêmes. Il entrecoupe cette
dans Game of Thrones), succède un face-à-face intense entre deux touchante galerie de portraits
à Jason Statham. acteurs de taille. d’époustouflantes images de la nature.
de Camille Delamarre (1h37) de Afonso Poyart (1h41)  de Yann Arthus-Bertrand (3h11)
Distribution : EuropaCorp Distribution : SND Distribution : Paname
Sortie le 9 septembre  Sortie le 9 septembre Sortie le 12 septembre

58 septembre 2015
www.troiscouleurs.fr 59
le s fi lm s

The Lesson
PAR TIMÉ ZOPPÉ

En toute sobriété, The Lesson


dresse un état des lieux de la
Bulgarie contemporaine en
suivant à la trace une institu-
trice confrontée à un dilemme
éthique. Dans la classe dont elle
s’occupe, Nadia doit gérer un pro-
blème de vol. Elle veut pousser
l’auteur à réparer son méfait sans
qu’il n’ait besoin de se dénon-
cer, pour lui éviter l’humiliation
d’une punition. Bien plus qu’une
chronique de salles de classe,
The Lesson est un drame social
qui met à rude épreuve la droi- cette course contre la montre, dont à voir une héroïne puissante que
ture morale de son héroïne, que la l’absurdité culmine quand le sort les épreuves font évoluer, mais qui
caméra ne lâche jamais. Le véri- de la famille est suspendu à l’ho- jamais ne fuit ses responsabilités
table enjeu du film se déroule à raire de fermeture d’une admi- dans un environnement où règne
l’extérieur de l’école, alors qu’une nistration, la réalité d’une société la lâcheté. 
menace d’expulsion pèse sur sa bulgare gangrenée par la corrup-
de Kristina Grozeva et Petar Valchanov
famille qu’elle veut tenter de sau- tion se fait jour… Ce premier long avec Margita Gosheva, Ivan Barnev…
ver par des voies légales et sans métrage de fiction de Kristina Distribution : Zed
Durée : 1h45
se rabaisser. À mesure qu’avance Grozeva et Petar Valchanov donne Sortie le 9 septembre

Life
PAR RAPHAËLLE SIMON

l’acteur encore inconnu dans une


série de clichés devenus iconiques,
que le film approche James Dean
(Dan DeHaan, qui campe un
Dean narcissique et empâté par
la paresse). Life ne se veut pas un
biopic exhaustif et trépidant, mais
plutôt une série de moments sus-
pendus, pas toujours glorieux,
partagés par les deux hommes
en pleine crise existentielle, entre
deux séances photos, des rues de
New York à la ferme familiale des
Dean dans l’Indiana. Des moments
Après Ian Curtis, le chanteur cultivait son côté sauvage et impé- d’attente, de doute, de beuve-
de Joy Division, dans Control nétrable. La bonne idée du réalisa- rie aussi, qui, malgré un certain
(2007), Anton Corbijn se penche teur néerlandais est de ne pas s’at- manque d’épaisseur des person-
sur le destin d’une autre idole à taquer trop frontalement à la bête nages, saisissent avec une grande
la trajectoire fulgurante : James en réalisant un biopic par procu- volupté l’envers de l’icône.
Dean. Tâche ardue que de se sai- ration. C’est par l’intermédiaire de
d’Anton Corbijn
sir du mythe, tant l’acteur, décédé Dennis Stock (Robert Pattinson), avec Robert Pattinson, Dane DeHaan…
accidentellement à 24 ans avec jeune photographe sans-le-sous Distribution : ARP Sélection
Durée : 1h52
seulement trois films à son actif, mais au nez creux qui immortalisa Sortie le 9 septembre

60 septembre 2015
www.troiscouleurs.fr 61
le s fi lm s

Au plus près du soleil


PAR QUENTIN GROSSET

Juge d’instruction, Sophie


(Sylvie Testud) est en charge
d’une affaire d’abus de faiblesse
présumé dans laquelle est mise
en cause Juliette (Mathilde
Bisson, révélation du film), une
jeune femme fauchée qui aurait
profité indûment de la richesse
de son amant. Après que Sophie
découvre que Juliette est la mère
biologique de son propre fils,
un enfant qu’elle a adopté avec
Olivier (Grégory Gadebois), un
brillant avocat, ce dernier l’encou-
rage à abandonner le dossier car rebondissements qui agitent le complexe et tortueuse. Ce fai-
il craint un possible conflit d’in- film finissent par l’éparpiller un sant, il réalise une étude clinique
térêts. Mais la juge, qui cherche à peu), Yves Angelo, célèbre direc- des rapports de domination entre
se débarrasser de la jeune femme, teur de la photographie et réali- classes en lui donnant une ampleur
tient à continuer l’instruction. En sateur des Âmes grises en 2005, tragique implacable.
désaccord, Olivier va à la ren- parvient à ménager une ten-
d’Yves Angelo
contre de Juliette sans lui dire qui sion générée par les nombreux avec Sylvie Testud, Grégory Gadebois…
il est… Sur un argument feuil- dilemmes moraux qui agitent Distribution : Bac Films
Durée : 1h43
letonesque (les trop nombreux des personnages à la psychologie Sortie le 9 septembre

Les Chansons que mes


frères m’ont apprises
PAR H. B.

une autre, Chloé Zhao a su déve-


lopper l’idée qui donne toute sa
singularité à son film : le récit
du quotidien des habitants de la
réserve indienne de Pine Ridge,
dans le Dakota du Sud. Son
approche quasi documentaire la
pousse notamment à décrire les
conséquences de la prohibition
de l’alcool sur cette communauté.
C’est d’ailleurs l’une des raisons
qui incite Johnny à s’exiler, alors
Désœuvré, Johnny songe à quit- L’Autre Rive…) à Summertime de qu’une autre le retient : Jashaun,
ter sa ville natale du Midwest Matthew Gordon (2010), mais sa petite sœur, qu’il ne veut pas
pour tenter l’aventure à Los qui sait aussi se distinguer du quitter. C’est grâce à ses deux per-
Angeles. Seulement, à la mort tout-venant du cinéma indépen- sonnages, et à leurs remarquables
de son père, ses plans sont boule- dant américain d’aujourd’hui. En interprètes, que le film se révèle
versés. Estampillé « Sundance », marge de ses plans crépusculaires si touchant. 
voici un premier film adorable, et contemplatifs, et en complé-
de Chloé Zhao
qui certes en rappelle d’autres, des ment d’une intrigue reposant sur avec John Reddy, Jashaun St. John…
premiers longs métrages de David la destruction d’une cellule fami- Distribution : Diaphana
Durée : 1h34
Gordon Green (All the Real Girls, liale pour mieux en recomposer Sortie le 9 septembre

62 septembre 2015
www.troiscouleurs.fr 63
le s fi lm s

> Red Rose


À Téhéran, en 2009, dans
le tumulte des manifestations
Natür Therapy qui ont suivi la proclamation
des résultats de l’élection
PAR Q. G.
présidentielle, un quadragénaire
vit une passion avec une jeune
Entre son travail, sa femme et son sa propre vie et en fantasme une militante… Tout en pudeur
jeune fils, Martin (incarné par le autre… Très bien écrite, la voix tendue, Red Rose montre
réalisateur du film, Ole Giæver) se off, qui donne accès à ses pensées, deux générations confrontées
au changement.
sent coincé dans un quotidien peu est particulièrement drôle à force de de Sepideh Farsi (1h27)
excitant. Un jour, il part en randon- cynisme et de mauvaise foi. Distribution : Urban
Sortie le 9 septembre
née dans la nature norvégienne, en
quête d’aventures plus sauvages et d’Ole Giæver
avec Ole Giæver,
solitaires. Souvent nu dans les verts Marte Magnusdotter Solem…
paysages, il s’adonne à la médita- Distribution : Épicentre Films
Durée : 1h20
tion. Intérieurement, Martin maudit Sortie le 9 septembre

> LE PRODIGE
Tobey Maguire prête ses traits
au célèbre champion d’échecs
américain Bobby Fischer, alors
qu’il s’apprête à défier son rival
soviétique Boris Spassky.
Au cœur de la guerre froide,
son obsession de vaincre
le Russe se fait de plus
en plus dévorante…
d’Edward Zwick (1h54)
Distribution : Metropolitan
FilmExport
Sortie le 16 septembre

Jamais entre amis


PAR SIRINE MADANI

Après Bachelorette (2012), Lesley amour… Malgré une fin attendue, > TRUE STORY
Headland continue d’insuff ler le film trouve sa force dans un Un ancien journaliste du New
un nouveau souffle à la comédie savant mélange des tons, jonglant York Times découvre qu’un
assassin, condamné à mort,
romantique. Jake et Lainey ont entre des passages de grivoiserie a usurpé son identité. Ce drame,
perdu leur virginité ensemble à subtile et des moments de douce produit par Brad Pitt, réunit
l’université. Douze ans plus tard, mélancolie. le duo Jonah Hill/James Franco
pour la deuxième fois au cinéma
ils se retrouvent par hasard lors après le délirant C’est la fin de
de Leslye Headland
d’une réunion de sex addicts. avec Jason Sudeikis, Alison Brie… Seth Rogen et Evan Goldberg.
Devenus amis, ils se jurent de se Distribution : La Belle Company de Rupert Goold (1h40)
Durée : 1h41 Distribution : 20th Century Fox
soutenir dans leur quête du grand Sortie le 9 septembre Sortie le 16 septembre

64 septembre 2015
le s fi lm s

The Program
PAR S. M.

Après The Queen (2006) sur la


reine Elizabeth II, Stephen Frears
signe un nouveau biopic, s’in-
téressant cette fois au parcours
sulfureux de Lance Armstrong.
Construit comme un thriller, le
film sonde la personnalité ambi-
guë du célèbre champion cycliste
(campé par Ben Foster) tout en
suivant l’enquête menée par le
journaliste David Walsh (Chris
O’Dowd), qui a révélé le scandale
du dopage du sportif américain.
de Stephen Frears
avec Ben Foster, Lee Pace…
Distribution : StudioCanal
Durée : 1h44
Sortie le 16 septembre

Agents très
spéciaux
L’Oracle
PAR Q. G.

PAR TIMÉ ZOPPÉ

Documentaire à la forme clas- coups d’anecdotes bien tournées.


sique, L’Oracle surprend pour- Mais, au fil d’une enquête qui
tant par sa puissance narrative. fouille son passé, de séquences
Il retrace l’histoire de l’Améri- et de témoignages voués à prou-
cain Martin Armstrong, créa- ver l’efficacité de son système,
teur d’un modèle informatique la démonstration convainc. On En pleine guerre froide, un agent
capable d’anticiper, au jour se surprend même à être indi- de la C.I.A. (Henry Cavill) et un
près, les tournants majeurs de gné par le récit de ses douze ans agent du K.G.B. (Armie Hammer)
l’économie mondiale. Martin d’emprisonnement, après qu’il doivent collaborer pour déjouer
Armstrong pourrait bien être un a tenté, dit-il, de dénoncer une les plans d’une organisation cri-
charlatan. C’est ce que laisse augu- fraude financière internationale. minelle internationale menaçant
rer l’introduction du film, qui le Si, au final, on peine à démêler le d’utiliser des armes nucléaires...
montre en train de se faire tirer les vrai du faux, L’Oracle s’apprécie Dans un écrin pop et vintage,
cartes. On peut penser de l’ancien comme un polar, rendu captivant Guy Ritchie réalise une efficace
conseiller financier comme du par la grande maîtrise de la nar- comédie d’espionnage, servie par
cartomancien qu’ils sont capables ration des documentaristes, qui un Henry Cavill très à l’aise dans
de persuader les gens de n’importe vient doubler celle du financier. un registre parodique.
quoi parce qu’ils savent y mettre
de Marcus Vetter et Karin Steinberger de Guy Ritchie
les formes. Des extraits de confé- Documentaire avec Henry Cavill, Armie Hammer…
rences d’Armstrong le montrent Distribution : Jupiter Communications Distribution : Warner Bros.
Durée : 1h33 Durée : 1h57
d’ailleurs exposer ses théories à Sortie le 16 septembre Sortie le 16 septembre

www.troiscouleurs.fr 65
le s fi lm s

Fou d’amour
PAR ÉRIC VERNAY

Qu’est-il arrivé à ce prêtre


si séduisant, si cultivé et tant
apprécié de ses paroissiens,
enfin, surtout de ses parois-
siennes, pour finir ainsi déca-
pité ? Comment, lui qui animait
des ateliers théâtre et menait
l’équipe de foot des jeunes avec
entrain, a-t-il pu perdre la tête, sans
mauvais jeu de mot, et se compro-
mettre dans un double meurtre si
sordide ?… Après ses variations
sur les figures de Jeanne d’Arc
et du capitaine Achab, Philippe
Ramos, visiblement fasciné par Ces dernières, pleines de malice, cheval sur sa moto, s’enivre de sa
les destins funestes, exaltés et d’esprit et d’allant, sont énoncées toute-puissance sur les femmes, le
solitaires, s’inspire ici d’un fait par l’homme de Dieu lui-même film tient parfaitement son équi-
divers des années 1950. C’est le (Melvil Poupaud, divinement libre entre béatitude mystique et
journal d’un curé de campagne dépravé), avec la gourmandise pure perversité hitchcockienne. 
diaboliquement sympathique ; communicative qui caractérise
de Philippe Ramos
tout l’intérêt du film étant qu’on son personnage. Drôle et léger au avec Melvil Poupaud, Dominique Blanc…
suit sa descente aux enfers de début, puis de plus en plus inquié- Distribution : Alfama Films
Durée : 1h47
l’intérieur, à même ses pensées. tant à mesure que le prêtre, à Sortie le 16 septembre

La Vie en grand
Par Q. G.

héros – drogue, précarité… Récit


de l’émancipation, grâce à l’école,
d’un gamin issu d’une cité défa-
vorisée, La Vie en grand évite la
démagogie grâce à un humour
assez impertinent qui surprend
plutôt dans le paysage souvent
policé du film d’enfance. Celui-ci
repose surtout sur le décalage
entre l’innocence des protago-
nistes et leur activité interdite.
C’est, par exemple, l’image d’un
enfant haut comme trois pommes
Adama, 14 ans, vit en banlieue plus en plus gros, le duo rivalise en train de découper d’énormes
parisienne avec sa mère. Celle-ci bientôt avec les plus dangereux plaquettes de shit – comme une
cherche un petit boulot, tandis caïds du quartier… En adoptant version réactualisée du jeune
que le jeune garçon s’accroche le registre de la comédie, Mathieu Antoine Doinel fumant des clopes
pour suivre à l’école. Avec son Vadepied, le chef opérateur d’In- en cachette dans Les Quatre Cents
copain Mamadou, 11 ans, il va touchables d’Éric Tolédano et Coups de François Truffaut. 
tenter d’améliorer la situation de Olivier Nakache, allège un récit
de Mathieu Vadepied
sa famille en menant de front ses par moment plombé par l’accu- avec Balamine Guirassy, Ali Bidanessy…
études au collège et des petits mulation des problématiques liées Distribution : Gaumont
Durée : 1h33
deals de shit. Ceux-ci devenant de à l’environnement de leur jeune Sortie le 16 septembre

66 septembre 2015
le s fi lm s

> LE GRAND JOUR


Quatre enfants originaires
des quatre coins du monde,
passionnés et ambitieux,
doivent réussir l’examen qui
leur permettra d’accéder aux
études dont ils rêvent… Après

Nous venons
le succès de Sur le chemin
de l’école (2013), Pascal
Plisson signe un nouveau film
engagé et émouvant.

en amis
de Pascal Plisson (1h26)
Distribution : Pathé
Sortie le 23 septembre

Dix ans après le controversé Cauchemar de Darwin,


qui révélait un trafic d’armes sur fond de scandale
écologique en Tanzanie, Hubert Sauper revient
du Soudan avec un documentaire à charge contre
un néocolonialisme qui ne dit pas son nom.
PAR ADRIEN DÉNOUETTE > Boomerang
Antoine (Laurent Lafitte) tente
Depuis qu’il a fait sécession de la la Chine) dans la pauvreté humaine de percer le secret familial
entourant la mort de sa mère,
République du Soudan en 2011, le d’un des continents les plus riches retrouvée noyée quand lui
Soudan du Sud est un pays neuf en en ressources naturelles. Un para- et sa sœur (Mélanie Laurent)
proie à toutes les convoitises. Des doxe choquant que certains expa- étaient enfants. François Favrat
(Le Rôle de sa vie) adapte le
séminaires d’entrepreneurs amé- triés n’hésitent pas à mettre sur le roman de Tatiana de Rosnay
ricains à l’exploitation massive du compte d’une pseudo-incapacité sous l’angle du thriller.
pétrole par les Chinois, Nous venons naturelle des Africains à se déve- de François Favrat (1h41)
Distribution : UGC
en amis démasque les faux amis et lopper… À l’image de ce démi- Sortie le 23 septembre
fait apparaître, sous le déluge de neur américain venu pour faire de
bonnes intentions, la mine benoîte sa petite activité, peu rentable chez
des gros profiteurs. Si, depuis Le lui, un business juteux ; en arrière-
Cauchemar de Darwin (2003), la plan, une Soudanaise squelettique,
méthode du documentariste autri- à son service, prépare le repas de
chien reste inchangée – promener ses enfants en silence. C’est dans
sa caméra chez les étrangers pros- cet écart entre les opportunistes,
pères en parlant peu pour les lais- venus faire fortune, et les locaux, à
> PREMIERS CRUS
ser en dire trop  –, il gagne ici en qui sont laissées les miettes, que le Œnologue parisien renommé,
puissance de suggestion. C’est heu- film recèle sa vérité : feignant d’ai- Charlie retourne dans sa
reux, car en écartant l’ambition du der un pays neuf à se développer, Bourgogne natale pour relancer
l’exploitation viticole de son
« film choc » qui contrariait un peu les puissances étrangères le main- père, au bord de la faillite…
sa précédente enquête, Sauper met tiennent dans une indigence maté- Malgré une mise en scène
le doigt sur une réalité difficilement rielle qui les arrange bien. bancale, Jérôme Le Maire
signe un drame sur l’héritage à
saisissable. En cause, la responsabi- l’ambiance shakespearienne
de Hubert Sauper
lité historique et contemporaine des Documentaire plaisante. 
grandes puissances (autrefois l’Eu- Distribution : Le Pacte de Jérôme Le Maire (1h37)
Durée : 1h46 Distribution : SND
rope, aujourd’hui les États-Unis et Sortie le 16 septembre Sortie le 23 septembre

www.troiscouleurs.fr 67
le s fi lm s

The Look of Silence


En deux documentaires sidérants, Joshua Oppenheimer a levé le voile
sur un génocide méconnu perpétré en Indonésie en 1965. Après l’horreur
surréaliste de The Act of Killing (2013), dans lequel les auteurs du massacre
rejouaient leurs crimes jusqu’à l’écœurement, The Look of Silence sonde la
douleur des victimes et oppose leur silence aux rires bruyants de l’impunité.
PAR ADRIEN DÉNOUETTE

Les spectateurs de The Act of Killing se souviennent devant les riches propriétaires, le jeune réalisateur
d’un cauchemar éveillé dans lequel les bourreaux découvre peu à peu une société clivée par la peur. « Je
d’un génocide qui a fait plus d’un million de vic- réalisais que la principale raison pour laquelle les
times n’hésitaient pas à remettre en scène leurs fan- travailleurs ne s’organisaient pas en syndicats était
tasmes mégalos dans des opéras démentiels. Les la crainte, nous explique-t-il au téléphone. Après des
germes de The Look of Silence, tourné dans la fou- mois de prudence, ils m’ont enfin confié que leurs
lée, remontent en fait au commencement du projet de parents et grands-parents avaient été assassinés en
Joshua Oppenheimer. En 2001, après des études d’art 1965 pour avoir appartenu à l’Union syndicale des
à Harvard et un premier documentaire, (The Entire cultivateurs d’huile. Considérés comme des oppo-
History of the Louisiana Purchase, 1998), primé au sants à la nouvelle dictature militaire, leurs proches
festival de Chicago, ce Texan d’origine prend la route avaient été tués sans procès. Quarante ans s’étaient
des plantations de palmiers à Sumatra, où il forme les écoulés depuis, mais les meurtriers étaient toujours
ouvriers à réaliser de petits films. Surpris de la pré- au pouvoir, et les ouvriers craignaient de subir un
carité de leurs conditions de travail et de leur docilité sort identique. »

68 septembre 2015
le s fi lm s

et en particulier des survivants. » Les bouffonneries


délirantes du premier opus laissent place, dans The
Look of Silence, au calme olympien d’Adi, ophtal-
mologiste de son état et frère de Ramli, un opposant
érigé en symbole après avoir été assassiné devant
témoins. Prétextant un examen de la vue ou une
visite de courtoisie, Adi conduit les interviews en
tête-à-tête avec les meurtriers de son frère, avant de
leur révéler son identité –  et donc sa parenté. En
plus d’offrir sur un plateau la métaphore de l’aveu-
glement, voir ces anciens meurtriers se renvoyer la
balle devant un ophtalmo ajoute une culpabilité sous-
jacente à l’impudeur des criminels.

Héros providentiel
Pour autant, le revenge movie qui pourrait se profiler
sur les pas d’un frère venu demander une réparation
impossible est habilement détourné par la sérénité de
ce protagoniste, à qui Joshua Oppenheimer concède
une grande part du succès et de l’existence même
du film. « The Act of Killing n’était pas vraiment
un documentaire, je le qualifierais de rêve enfié-
vré non fictionnel. The Look of Silence contraste
par le calme qu’il dégage, et ce malgré le danger
constant. Or, c’est Adi qui a proposé de se confron-
ter aux criminels devant la caméra. Par crainte des
représailles, je ne l’aurais jamais exposé, mais il fai-
sait preuve d’une telle dignité et d’un tel calme que
j’ai compris que le film ne pourrait pas se faire sans
lui. Cela en fait un héros providentiel. »
La beauté secrète du film réside alors dans la ren-
contre entre ce second fils – dont la conception, en
1966, faisait office de consolation pour ses parents –
et les meurtriers de son frère, sans qui il ne serait
Le film recèle un dessein peut-être pas venu au monde. Dans les silences atten-
tifs d’Adi, on imagine la figure d’un Ramli fanto-
d’une intelligence matique, moins venu hanter ses assassins que leur
rare : substituer accorder son pardon. Ainsi, guidé par la bienveil-
lance d’Adi, le film recèle un dessein d’une intelli-
la réconciliation gence rare : substituer la réconciliation à la rancune,
et le courage du pardon à l’aveuglement.
à la rancune. Malgré les tentatives de censure, les deux films
ont été largement vus en Indonésie ; au point d’obliger
le pouvoir à proposer une nouvelle lecture de l’his-
toire et à faire imprimer de nouveaux manuels sco-
Soucieux d’exposer la monstruosité impunie pour laires. « Depuis la diffusion de The Look of Silence,
mieux donner à ressentir la terreur des victimes, le l’association locale de défense des droits de l’homme
réalisateur conçoit d’emblée deux films complémen- milite, de concert avec des historiens et des jour-
taires. « En interviewant les assassins pour la pre- nalistes, pour que l’épuration de 1965 soit officiel-
mière fois, j’avais le sentiment horrifiant d’assister lement qualifiée de crime contre l’humanité et que
à ce qu’il se serait passé si les nazis étaient encore Adi soit élevé au rang de héros national. » Mais pour
au pouvoir et qu’ils célébraient l’Holocauste sur les l’heure, la famille de ce dernier demeure menacée,
lieux du crime. Le soir même, je décidai de faire deux et Joshua Oppenheimer, interdit de résidence sur le
films différents sur le sujet de l’impunité : l’un consa- sol indonésien.
cré aux mensonges et aux fantasmes que les meur-
triers concevaient pour se protéger de leur propre
de Joshua Oppenheimer
sentiment de culpabilité ; l’autre traitant des consé- Documentaire
quences de leurs actes dans toute la société indoné- Distribution : Why Not Productions
Durée : 1h43
sienne, l’angoisse quotidienne des gens ordinaires, Sortie le 23 septembre

www.troiscouleurs.fr 69
le s fi lm s

Brooklyn
PAR S. M.

Coralie, jeune rappeuse officiant


sous le pseudonyme de Brooklyn,
quitte sa Suisse natale pour se
faire un nom sur la scène musicale
parisienne. Elle est repérée par un
éducateur qui produit des artistes
locaux… KT Gorique, cham-
pionne du monde de freestyle,
incarne avec force ce personnage
féminin rarement vu au cinéma,
dans un film à l’énergie commu-
nicative, rythmé par des scènes
d’improvisation jouées par des
acteurs non professionnels.
de Pascal Tessaud
avec KT Gorique, Rafal Uchiwa…
Distribution : UFO
Durée : 1h23
Sortie le 23 septembre

Classe à part
Les Rois PAR J. R.

du monde
PAR Q. G.

Dans le paisible bourg de qu’il a passée dans cette com-


Casteljaloux, le retour inat- mune du Lot-et-Garonne. Partant
tendu de Jeannot (Sergi López) d’une intrigue qui aurait pu être la
vient troubler la tranquillité du simple chronique d’un fait divers, Dans une petite ville de Russie,
couple formé par Jacky (Éric il orchestre la rencontre de deux Lena affronte la morosité et
Cantona), boucher de son état, comédiens massifs et sauvages, à l’agressivité ambiantes pour ten-
et Chantal (Céline Sallette), laquelle il donne des airs de wes- ter de s’intégrer au lycée, malgré
qui chapeaute une troupe de tern du cru. Dans une ambiance la myopathie qui la cloue dans un
théâtre amateur. Trois ans plus virile irriguée au Pastis 51, Éric fauteuil roulant… En exposant son
tôt, Jeannot était avec Chantal, Cantona et Sergi López impres- héroïne à diverses formes de vio-
mais son passage en prison a sionnent, chacun à sa manière, en lence (celle du système scolaire,
décidé celle-ci à refaire sa vie. composant des personnages à la celle de ses camarades de classe,
Entre les deux hommes, le duel fois bourrus et vulnérables. Cette celle des adultes), ce premier long
va bientôt tourner au drame… fragilité qui émane de protago- métrage rugueux et désenchanté
Avec ce premier long métrage, nistes pourtant peu sympathiques sert une franche dénonciation des
le metteur en scène (de théâtre parvient à installer le trouble chez conditions de scolarisation des
et d’opéra) Laurent Laffargue le spectateur.  jeunes handicapés en Russie.
clôt un triptyque amorcé par les
de Laurent Laffargue d’Ivan I. Tverdovsky
pièces Casteljaloux I (2010) et avec Sergi López, Éric Cantona… avec Nikita Kukushkin, Philipp Avdeev…
Casteljaloux II (2011), inspirées Distribution : Jour2fête Distribution : Arizona Films
Durée : 1h40 Durée : 1h25
par les souvenirs de son enfance Sortie le 23 septembre Sortie le 23 septembre

70 septembre 2015
www.troiscouleurs.fr 71
le s fi lm s

Everest
PAR S. M.

Inspiré de l’épisode de la tempête


de neige qui vit, en 1996, huit alpi-
nistes perdre la vie au cours de
leur ascension de l’Everest, le film
parvient à créer un suspense hale-
tant malgré un dénouement déjà
connu. La mise en scène, dépouil-
lée de tout sensationnalisme, sou-
ligne le caractère singulier de ces
hommes en résistance face aux
éléments déchaînés. Everest offre,
en outre, de superbes images des
paysages montagneux.
de Baltasar Kormákur
avec Jason Clarke, Jake Gyllenhaal…
Distribution : Universal Pictures
Durée : 2h02
Sortie le 23 septembre 

Mémoires de
jeunesse
Knock Knock
PAR H. B.

PAR Q. G.

Entre Funny Games de Michael (campées par les géniales Lorenza


Haneke et Spring Breakers de Izzo et Ana de Armas) frappent
Harmony Korine, le réalisa- à sa porte, trempées par la pluie.
teur américain Eli Roth (Cabin Evan accepte de les recueillir,
Fever. Fièvre noire, Hostel…) mais il ne s’attend pas à ce que
réalise un thriller méchant qui les deux jeunes filles cherchent Printemps 1914. Vera Brittain est
fait tomber le pauvre Keanu à le séduire… avant de deve- admise à Oxford. Passé un pre-
Reeves dans le piège tendu par nir son pire cauchemar. Ligoté, mier tiers influencé par le roman-
deux jeunes filles survoltées. frappé, torturé, Evan est l’otage tisme britannique du xix e siècle,
Les premières images du film de ces deux post-adolescentes c’est un autre film, plus haché et
dressent le portrait d’une famille sans pitié qui saccagent sa mai- plus rêche, qui s’impose. La guerre
parfaite : Evan, architecte, et son… Habitué au gore, Eli Roth éclate, et Vera dit adieu à sa car-
Karen, artiste, sont les parents de propose cette fois une farce horri- rière universitaire ainsi qu’à son
deux charmantes têtes blondes. fique (qui s’attaque à la famille, à fiancé, campé par l’irrésistible Kit
Pour le week-end de la fête des la virilité, à l’art contemporain…) Harington. Alors qu’elle espère
pères, Evan décide de rester dans à la violence plus psychologique son retour, Vera va faire une autre
sa luxueuse maison pour travail- que frontale. Effrayant certes, rencontre déterminante : celle de
ler, quand Karen et les enfants mais aussi très drôle.  sa propre ferveur pacifiste.
partent quelques jours à la plage.
d’Eli Roth de James Kent
Alors que le père de famille s’at- avec Keanu Reeves, Lorenza Izzo… avec Alicia Vikander, Kit Harington…
tend à passer une soirée stu- Distribution : Synergy Cinéma Distribution : Mars
Durée : 1h39 Durée : 2h10
dieuse, les jeunes Genesis et Bel Sortie le 23 septembre Sortie le 23 septembre

72 septembre 2015
www.troiscouleurs.fr 73
le s fi lm s

Maryland
Après une jeune femme traitée pour hystérie dans Augustine,
Alice Winocour met en scène, pour son deuxième long
métrage, un garde du corps paranoïaque – et sentimental –
dans un thriller psychologique bancal mais efficace.
PAR RAPHAËLLE SIMON

De retour d’Afghanistan, Vincent est victime de dont on perçoit les réactions sans pouvoir les déco-
troubles post-traumatiques. Pour affronter ses hal- der. Si cette première partie nous tient à distance un
lucinations et ses angoisses, l’ancien soldat est peu froidement, la seconde, qui pourrait s’appeler
constamment aux aguets, dans un état de vigilance « accomplissement de la paranoïa » – ou « l’arroseur
démesurée. Mais, alors qu’il doit assurer la sécurité arrosé » –, nous plonge en immersion totale alors que
de la femme et de l’enfant d’un riche Libanais impli- Vincent doit faire face à des assaillants, réels cette
qué dans des affaires douteuses, son cauchemar para- fois, pour protéger la belle et son petit. Avec un sens
noïaque en vient à se réaliser… Maryland s’articule du suspense maîtrisé, la réalisatrice française nous
autour de deux parties distinctes : la première, que prend enfin aux tripes dans ce double jeu de cache-
l’on pourrait nommer « figuration de la paranoïa », cache – amoureux et sanguinaire –, comme des labo-
cherche à rendre compte du malaise du héros et de rantins qui se délecteraient de voir leur cobaye sou-
sa perception altérée de la réalité à travers des expé- dain détaler dans tous les sens pour éviter une série
rimentations de déformations – dérèglement de la de pièges véritablement mortels.
vitesse de l’image, dissonance du son. Comme des
d’Alice Winocour
laborantins qui observeraient indolemment un ron- avec Matthias Schoenaerts, Diane Kruger…
geur contourner des obstacles invisibles dans une Distribution : Mars
Durée : 1h40
boîte, nous voici les témoins du délire du personnage, Sortie le 30 septembre

> UNE ENFANCE > Queen > ENRAGÉS


L’été de Jimmy, 13 ans, entre sa mère Quand son fiancé la quitte à la veille Après un braquage, des malfaiteurs
héroïnomane (Angelica Sarre) de leur mariage, Rani décide (dont Guillaume Gouix) fuient en voiture
et son beau-père violent (Pierre de partir seule en voyage de noce et prennent en otage une femme
Deladonchamps)… Parfois un peu à Paris et Amsterdam… La star (Virginie Ledoyen) puis un père
poussif dans la caractérisation de Bollywood Kangana Ranaut (Lambert Wilson) et sa fille malade…
sociologique des personnages adultes, interprète ce personnage proche Ce thriller, relecture des Chiens enragés
Philippe Claudel excelle dans la de Bridget Jones, dans une comédie de Mario Bava, tire notamment sa
direction de ses enfants acteurs.  romantique haute en couleur. tension de son parti pris du huis clos.
de Philippe Claudel (1h40) de Vikas Bahl (2h26) d’Éric Hannezo (1h40)
Distribution : Les Films du Losange Distribution : Aanna Films Distribution : Wild Bunch
Sortie le 23 septembre Sortie le 23 septembre Sortie le 30 septembre

74 septembre 2015
www.troiscouleurs.fr 75
le s fi lm s

Lamb
PAR É. V. 

Ephraïm est triste, inquiet et


un peu perdu. Sans sa mère,
décédée lors d’une famine, ni
son père, qui l’a envoyé loin
de son village natal touché par
une terrible sécheresse, le petit
Éthiopien de 9 ans réside désor-
mais chez des cousins qu’il
n’apprécie guère. Sa seule amie
s’appelle Chuni. C’est une bre-
bis. Manque de chance pour lui
(et pour elle), dans la région, on
abat justement les moutons pour
les fêtes… Premier film éthio-
pien sélectionné au Festival de laisser faire la cuisine sous pré- africains et la mélancolie pré-
Cannes (dans la section Un certain texte que c’est une besogne réser- coce de ce petit incompris, qui
regard en 2015), le long métrage vée aux filles. Une vie à la dure, n’est pas sans rappeler celui du
de Yared Zeleke raconte un pays pour un récit initiatique délicat à la cinéste italien Luigi Comencini
d’une exrême pauvreté où les tra- mise en scène classique. Modeste (L’Incompris, 1966). 
ditions rurales ont encore cours : mais touchant, le film diffuse un
de Yared Zeleke
mariages arrangés, éducation au sentiment contradictoire, balan- avec Rediat Amare, Kidist Siyum…
fouet et sexualisation des tâches çant entre la fascination devant la Distribution : Haut et Court
Durée : 1h34
– l’oncle d’Ephraïm refuse de le majesté des paysages volcaniques Sortie le 30 septembre

Vierge sous serment


PAR R. S.

depuis de nombreuses années…


Pour son premier long métrage,
l’Italienne Laura Bispuri s’em-
pare avec élégance d’un sujet de
société choc – il existe toujours
des « vierges sous serment » dans
certaines régions d’Albanie – à
travers une mise en scène sobre et
pudique. Jamais attendu, le récit
non linéaire s’articule autour de
f lash-back dans les écrasantes
montagnes albanaises, empreints
à la fois d’une grande poésie et
d’une passionnante dimension
documentaire, et de retours dans
Lila et sa sœur adoptive Hana une tradition ancestrale : elle le présent où se joue, sans coups
grandissent dans les montagnes fait le serment de rester vierge d’éclats, l’émancipation fragile et
rocailleuses du nord de l’Alba- à jamais pour pouvoir vivre incertaine d’une femme en deve-
nie, une région reculée où les comme un homme. À la mort de nir, incarnée par la fascinante
femmes sont totalement asser- ses deux parents, Hana, devenue Alba Rohrwacher. 
vies par les archaïsmes patriar- Mark, décide de retrouver sa sœur,
de Laura Bispuri
caux. Si Lila finit par s’en- qui vit en Italie avec son mari et avec Alba Rohrwacher, Flonja Kodheli…
fuir pour échapper à son triste sa fille. Il va tenter de libérer le Distribution : Pretty Pictures
Durée : 1h27
sort, Hana choisit de se plier à corps de la femme capturée en lui Sortie le 30 septembre

76 septembre 2015
le s fi lm s

> AMOURS, LARCINS


ET AUTRES
COMPLICATIONS
Mousa, un jeune Palestinien,
vend des pièces automobiles
volées. Un jour, il découvre
un soldat israélien dans
le coffre de la voiture qu’il
vient de dérober… La musique
Sous-sols
PAR S. M.
de Nathan Daems, inspirée
de l’éthio-jazz du légendaire
Mulatu Astatke, rythme
Le réalisateur autrichien Ulrich du socialement acceptable avec une ce premier film.
de Muayad Alayan (1h33)
Seidl (la trilogie Paradis) poursuit crudité assumée où la gêne le dis- Distribution : ASC
Sortie le 30 septembre
son exploration des travers de la pute au rire (grinçant), grâce à une
société occidentale. Il prend pour mise en scène particulièrement effi-
cadre la banlieue pavillonnaire, cace, d’une grande rigueur et à l’es-
dans ce docu-fiction qui visite les thétique froide.
caves d’étranges individus (un fan
d’Ulrich Seidl
d’Adolf Hitler, un couple sado­ Documentaire
masochiste…). Cinéaste de la pro- Distribution : Damned
Durée : 1h22
vocation, Seidl triture les couches Sortie le 30 septembre
> L’ODEUR DE
LA MANDARINE
En 1918, Charles (Olivier
Gourmet), un mutilé de guerre,
engage comme infirmière
Angèle, une jeune veuve mère
d’une petite fille. Lui tombe
amoureux, elle non, mais
ils se marient… Le film marque
les débuts à l’écran de Georgia
Scalliet, sociétaire de la
Comédie-Française.
de Gilles Legrand (1h50)
Distribution : Metropolitan
FilmExport
Sortie le 30 septembre

Un début prometteur
PAR Q. G. > Je suis à vous
tout de suite
Martin (Manu Payet), écrivain âgée qui accumule les dettes… Une Par gentillesse, Hanna
cynique et alcoolique en plein agréable surprise que cette comé- (Vimala Pons) accepte tout.
divorce, retourne vivre à la cam- die populaire, qui s’autorise parfois La seule personne avec qui
elle est fâchée est son frère
pagne avec son père (Fabrice à être sombre, à faire des pauses. (Mehdi Djaadi)… Baya Kasmi,
Luchini) et son petit frère Gabriel Emma Luchini a une vraie ten- coscénariste du Nom des gens,
(le jeune Zacharie Chasseriaud, dresse pour ses personnages. signe un premier film dense,
voire un peu dispersé,
solaire), qui lui est rêveur et très sur les notions de choix
d’Emma Luchini
f leur bleue. Gabriel demande à avec Manu Payet, Veerle Baetens… et de consentement.
Martin de l’aider à conquérir le Distribution : Gaumont de Baya Kasmi (1h40)
Durée : 1h30 Distribution : Le Pacte
cœur de Mathilde, une femme plus Sortie le 30 septembre Sortie le 30 septembre

www.troiscouleurs.fr 77
le s fi lm s - dvd

La Ligne de mire
On pensait ce premier long métrage de Jean-Daniel Pollet perdu
à jamais, mais son négatif a récemment été retrouvé dans les
collections du CNC. Resté inédit depuis son tournage en 1958,
La Ligne de mire présageait déjà la singularité de son auteur.
PAR QUENTIN GROSSET

Cette sortie DVD est un événement, car La Ligne film d’errance parmi des souvenirs. Des plans, des
de mire a été très peu vu. Le film n’a eu le droit voix reviennent incessamment, mis en boucles hyp-
qu’à de rares projections à la fin des années 1950 notiques. Le film évoque parfois L’Année dernière à
avant de tomber aux oubliettes. Pourtant, lorsqu’on Marienbad (1961) d’Alain Resnais dans sa manière
le découvre aujourd’hui, on est saisi par la manière d’appréhender la chronologie, et dans la façon dont la
dont il annonce l’œuvre poétique de Jean-Daniel voix off de Pedro s’approche de la narration clinique
Pollet (Méditerranée, L’Acrobate…), qui a toujours du Nouveau Roman. Mais le film n’est pas qu’un
flirté avec la Nouvelle Vague sans en faire partie. labyrinthe moderniste, il dégage aussi une douce
Pedro, un chanteur de 27 ans, est de retour dans le mélancolie, notamment grâce à la présence lunaire
château de son enfance. Ceux qui peuplent l’immense de Claude Melki, qui s’illustrera plus tard dans plu-
bâtisse, dont son oncle, ne font pas attention à lui, sieurs films du cinéaste. L’acteur a ici un
mais Pedro s’intéresse à leurs mystérieuses activi- petit rôle, mais il affirme déjà une ciné-
tés et découvre un trafic d’armes… Il ne faut pas se génie burlesque et rêveuse.
fier à cette intrigue classique de polar, dont Pollet
fait exploser toute linéarité. Le récit apparaît éclaté, La Ligne de mire de Jean-Daniel Pollet
(POM Films)
aboutissant à une temporalité trouble, comme un Disponible

LES SORTIES DVD

> CAPRICE > STREETS OF FIRE > ALL CHEERLEADERS DIE


d’Emmanuel Mouret (Arte Éditions) de Walter Hill (Wild Side) de Lucky McKee et Chris
Clément est un homme comblé : il vient En 1984, Walter Hill (Les Guerriers de la Sivertson (Wild Side)
de s’installer avec son plus grand nuit) réalisait cette série B potache en Tuées dans un accident, des pom-pom
fantasme, une belle et célèbre ne misant rien sur le scénario – un girls reviennent à la vie pour se
comédienne de théâtre. Mais le destin ancien soldat doit sauver une venger… Avec ce long métrage, qui sort
place sur sa route une jeune fille chanteuse de rock des griffes d’un gang en France directement en DVD, Lucky
indécrottablement amoureuse de lui, de bikers et de son leader (Willem McKee et Chris Sivertson font le
Caprice… Avec cette farce romantique, Dafoe, drôle et flippant) –, mais tout sur remake de leur tout premier film, tourné
Emmanuel Mouret déploie une nouvelle le concept. Il s’agit en effet d’un sans budget en 2001. Après May et The
fois sa carte du tendre, délicieusement flamboyant film-clip mis en musique par Woman, McKee persévère dans le film
déboussolante. R. S. le grand Ry Cooder. T. Z. d’horreur féministe et farcesque. Q. G.

78 septembre 2015
www.troiscouleurs.fr 79
cultures
LIVRES
MUSIQUE
/ BD MUSIQUE
KIDS LIVRES
KIDS/ BD SÉRIES SPECTACLES
ARTS

Tyler Cross
BANDE DESSINÉE

Le gangster Tyler Cross revient pour


de nouvelles aventures mais, cette fois,
il n’a plus le dessus. Enfermé dans un
pénitencier, il endure les épreuves,
stoïque… Le texte de Fabien Nury se fait
pour l’occasion plus sombre, et le trait
de Brüno, d’habitude stylisé au possible,
amorce un virage vers le réalisme.
PAR STÉPHANE BEAUJEAN

A
vec Tyler Cross, Fabien Nury et
Brüno ont donné naissance à un
héros venu combler un manque dans
le paysage du récit de genre et de la
bande dessinée franco-belge. Pour
ceux qui ne le connaissent pas, Tyler
est un personnage mutique et impla-
cable, dont la silhouette anguleuse se découpe dans
l’ombre. Dans le volume inaugural, paru l’an dernier,
il mettait à sac une ville du sud des États-Unis. Mais
dans ce nouvel album, l’icone se fissure alors qu’elle
est précipitée brutalement dans l’univers carcéral. Nu,
prostré en chien de fusil dans la boue, Tyler s’incarne,
et ça ne se fait pas sans douleur. Les ombres lisses de
l’encre de Chine qui, hier encore, sculptaient son corps,
s’effritent désormais sous les coups de crayon gras. Le
scénariste Fabien Nury raconte : « Le premier chapitre

êt
us es
vo

ici

XVIIIe

XVIIe XIXe

IXe Xe
VIII e

IIe

Ier
IIIe
XXe
CONCERT DANSE 
XVIe XIe
Battles Dancing Grandmothers 
VII
le 30 octobre  du 25 au 27 septembre
e
IVe
VIe
Ve
à la Grande Halle de la Villette p. 88 au Théâtre de la Ville p. 94
XVe XIIe

XIVe XIIIe

80 septembre 2015
RENTRÉE LITTÉRAIRE KIDS JEUx VIDÉO
Notre top 10 parmi les 589 livres Anina : la chronique Her Story bouscule avec brio les
de la rentrée p. 82 d’Élise, 7 ans p. 90 codes du polar interactif p. 98

SPECTACLES
ARTS JEUX VIDÉO FOOD MODE présente

terminé, Brüno et moi avons compris qu’il nous fallait


tout recommencer : nous avions un huis clos, dans une
prison ; il n’était plus possible d’adopter la légèreté
de ton du premier volume. C’est un monde millimétré,
étouffant, dans lequel les rapports de force sont désin-
carnés. Il n’y est plus question de duels, mais d’oppres-
sion et de manipulation. »
 
RADICALISER LES POINTS DE VUE
À nouvelle atmosphère, nouvelle mise en scène. Pour
Nury, probablement le plus formaliste des scéna-
ristes contemporains de récit de genre, il ne peut en
être autrement ; d’autant que son style, précis, repose
beaucoup sur la grammaire du point de vue. Chaque
amorce, chaque angle est délibérément choisi et accen-
tué – l’influence du cinéma de Sergio Leone n’est
jamais loin. « Nous avons travaillé le découpage de Tyler s’incarne,
la grille qui compose la page, pour qu’elle amplifie le
sentiment d’enfermement, en passant à une représen-
et ça ne se fait pas
tation du monde qui reflète l’enfer psychologique des sans douleur.
personnages. Les cadrages se sont durcis, pour être
plus frontaux ; les décors ont été investis d’une charge s’applique à tout le système carcéral américain. » Une
psychologique, et nous avons radicalisé les axes des fois encore, c’est la recherche des points de conver-
points de vue, en plaçant des objets en amorces très gence entre l’enrichissement et le mal qui travaille
près du lecteur, et des points de fuite lointains. » Avec l’écriture de Fabien Nury. Avec cette représentation
ce deuxième volume, l’ambition est surtout d’inves- capitalistique du milieu carcéral, et donc de la justice,
tir l’univers carcéral en respectant les grandes réfé- elle atteint son paroxysme et déploie peut-être sa plus
rences du genre. « Je suis très content de cette défini- juste image : la prison – soit un enfer
tion de la prison d’Angola que nous donnons dans le entrepreneurial parfaitement adminis-
livre : “Angola n’est pas une prison, sa vocation n’est tré érigeant tel un slogan publicitaire
pas d’enfermer les criminels, encore moins de les réha- sa maxime au-dessus de ses portes.
biliter. Angola est une entreprise. Son unique raison
d’être est de rapporter de l’argent, et, à cet égard, c’est Tyler Cross. Angola de Fabien Nury et Brüno
une entreprise modèle.” Car, selon moi, cette définition (Dargaud)

le PARCOURS PARISIEN du mois

EXPOSITION FOOD EXPOSITION


« Jeff Wall. Smaller Pictures » Ida « Alber Elbaz / Lanvin. Manifeste »
jusqu’au 20 décembre à la Fondation 117, rue de Vaugirard jusqu’au 31 octobre à la Maison européenne
Henri Cartier-Bresson p. 96 Paris XVe p. 100 de la photographie p. 101

www.troiscouleurs.fr 81
cultures LIVRES / BD

Rentrée
littéraire
Dans l’édition, c’est connu, les avalanches n’ont pas lieu l’hiver,
mais à la fin de l’été, au moment de la rentrée littéraire : des centaines
de romans paraissent en quelques semaines, sous l’œil surexcité
des critiques et des libraires. Cette année, il y en a 589 : les poids
lourds, dont vous entendrez parler partout, les coups d’essais
réussis, dont les auteurs ne vont pas tarder à se faire un nom,
et la multitude des recalés, perdus dans la masse. En ligne de mire,
les prix littéraires, décernés en novembre. Comment s’orienter
dans ce tourbillon ? En suivant le guide : découvertes, valeurs sûres,
voici les dix choix de Trois Couleurs pour ne pas perdre le nord.

pAR BERNARD QUIRINY

LA SEPTIÈME FONCTION
DU LANGAGE
de Laurent Binet
(Grasset)

Voici le roman le plus fou, le plus culotté, le plus drôle et le plus


inattendu de la rentrée, par l’auteur de HHhH, succès surprise
de l’année 2010. Suite à la mort accidentelle de Roland Barthes,
en 1980, le ministère de l’Intérieur dépêche un flic bourru pour
enquêter dans l’entourage de l’écrivain. En route pour le monde
de la french theory, des intellos loufoques et des campus bouil-
lonnants, sur fond de campagne pour l’élection présidentielle et
de complot mondial pour percer le secret du langage. Ce roman
déjanté est conduit à cent à l’heure avec un sens du rythme, du
gag et de la satire inouï. Mélangez David Lodge, Dan Brown et
Umberto Eco, et vous serez encore loin du résultat. Jouissif.

82 septembre 2015
MONTECRISTO
de Martin Suter
(Christian Bourgois)

Que faites-vous si vous tombez sur deux bil-


lets dotés du même numéro de série ? Jonas,
le héros du nouveau roman de Martin Suter,
soupçonne à raison qu’il y a un loup dans
les circuits bancaires… Le romancier alle-
mand explore le monde feutré de la finance
suisse dans ce page-­turner impeccablement
documenté, assaisonné d’une pointe de cri-
tique sociale. La fin surprend un peu, mais
on ne vous dit rien.
L’INFINIE COMÉDIE
de David
Foster Wallace
(Éditions de L’Olivier)

Vingt ans qu’on attendait la traduction de


ce roman, paru en 1996 aux États-Unis,
et d’emblée considéré comme l’un des
livres majeurs du siècle. Long de près de
ILLSKA 1 500 pages (dont 150 pages de notes qui
d’Eiríkur Örn Norðdahl contiennent des pans entiers de l’histoire),
(Métailié)
ce mastodonte aspire à constituer un récit
Eiríkur Örn Norðdahl a fait sensation total, mélange de satire sociale, de saga
en Islande avec ce pavé inclassable qui familiale et de dystopie politique, avec
mélange les époques et les thèmes, l’amour des dizaines de sous-intrigues et une cen-
et la politique, la crise bancaire de 2008 taine de personnages, au bas mot. Héritier
et l’Holocauste, la Lituanie et l’extrême du roman comique à la Lawrence Sterne et
droite. On se demande jusqu’au bout si l’au- du postmodernisme à la Thomas Pynchon,
teur est fumiste ou visionnaire, génial ou David Foster Wallace, suicidé en 2008 à
simplement provocateur. Bavard, baroque, l’âge de 46 ans, livrait là une sorte de clas-
original et irritant, ce roman-monde aspire sique du futur. Si vous devez n’en lire qu’un
tout et ne laisse en tout cas pas indifférent.  cet automne…

www.troiscouleurs.fr 83
cultures LIVRES / BD

CHARØGNARDS & FILS


de Stéphane Vanderhaeghe de David Gilbert
(Quidam Éditeur) (Actes Sud)

Le narrateur vit dans un village, avec Andrew N. Dyer, vieil écrivain reclus
femme et enfant. Tout va bien, sauf que qui ressemble à un rival survivant de
d’étranges corbeaux tournoient dans le ciel, J. D. Salinger, convoque ses deux grands
hostiles, menaçants. L’ambiance s’alourdit. fils, chez lui, à New York. Ses trois fils,
Bientôt, les habitants s’en vont… Raconté en fait, vu que le dernier, né d’une autre
sous forme de journal intime, cet étonnant femme, vit encore à la maison. Ses quatre
récit psychologique rappelle à la fois Les fils, presque, puisque le narrateur, ami
Oiseaux (de Daphne du Maurier, adapté si proche qu’il appartient quasiment à la
au cinéma par Alfred Hitchcock) et Le famille, est là aussi… Touffu, piquant,
Horla (de Guy de Maupassant), avec une brillantissime et parfois tape-à-l’œil, le
touche d’expérimentation en prime (calli- troisième livre de David Gilbert, repéré
grammes, jeux typographiques, et même chez nous en 2007 grâce à ses nouvelles
une couche de science-fiction en introduc- (Les Marchands de vanité), est à la fois
tion). Stéphane Vanderhaeghe, dont c’est une satire des mondanités culturelles et un
le premier roman, envoûte son lecteur en grand récit sur la dynastie et la filiation (le
créant une atmosphère inquiétante à sou- « & » du titre peut se lire comme un astu-
hait et accomplit la prouesse de nous lais- cieux clin d’œil postmoderne au Pères et
ser dans l’expectative : les oiseaux sont-ils Fils d’Ivan Tourgueniev), dans une veine
réellement là, ou seulement dans la tête du proche de Jonathan Franzen. L’une des
héros ? Une réussite. belles traductions de la rentrée.

84 septembre 2015
7
de Tristan Garcia
(Gallimard)

Sept longs récits (appelés carrément « romans », plutôt que « nou-


velles », sur la couverture) au cours desquels, dans des décors
contemporains, Tristan Garcia réactive et actualise de vieilles
figures fantastiques : le double, la fontaine de Jouvence, le pré-
curseur inconnu… Mais il est aussi question d’extraterrestres, et
même de la révolution. Les sept parties de ce roman-­kaléidoscope
ne se valent pas, mais toutes témoignent d’une même euphorie
narrative, d’un plaisir presque enfantin d’inventer des scénarios,
ainsi que d’un appétit prononcé pour les lisières de la science-fic-
tion et des littératures de genre. Un coup de maître, à tiroirs, qui
s’ajoute à la bibliographie déjà fournie d’un trentenaire surdoué.

LA NEIGE LA PIRE. PERSONNE. LE RENVERSEMENT


NOIRE AU MONDE. DES PÔLES
de Paul Lynch de Douglas Coupland de Nathalie Côte
(Albin Michel) (Au diable vauvert) (Flammarion)

Après le succès d’Un ciel Un cameraman misanthrope Deux couples avec enfants
rouge, le matin, Paul Lynch est expédié aux îles Kiribati passent leurs vacances dans
continue d’explorer la vieille et pour tourner une télé-­réalité la même résidence. On se sou-
rude Irlande dans ce roman sur du style Survivor. Dès le rit, on s’épie, on se retrouve à
le retour au pays, en 1945, d’un début, tout dérape… Avec ce la plage. Chacun a ses secrets,
self-made-man qui a fait for- roman picaresque et loufoque, ses rêves, ses peurs, celles de
tune en Amérique. Le portrait Douglas Coupland s’éloigne de M. et M me Tout-le-Monde,
du héros est superbe, le tableau plus en plus de sa posture inti- avec la vie à crédit et les len-
des mœurs locales, saisissant, midante de gourou sociologue demains qui ne chantent pas…
l’ensemble a la puissance bru- (Génération X) et affirme son Nathalie Côte radiographie la
tale d’une fable. Si bien qu’on goût pour la comédie acide et classe moyenne dans ce pre-
pardonne à l’auteur ses tor- incorrecte, avec un sens de la mier roman, à la fois acide,
rents d’adjectifs et son lyrisme vanne irrésistible. Pas fin, mais empathique et mélancolique,
un peu envahissant. décapant : rire garanti. et truffé de saynètes très justes. 

www.troiscouleurs.fr 85
cultures MUSIQUE

© jihanne tatanaki

Vince Staples
RAP

Proche de la clique Odd Future, souvent comparé à Ice Cube,


le jeune Vince Staples frappe fort sur son premier
(double !) album, Summertime ’06. Une virée
asphyxiante sur le tarmac brûlant de Long Beach.
PAR ÉRIC VERNAY

Des vagues blêmes ondulant dans l’obscurité, aussi l’été de ses 13 ans, qui marque pour lui la fin de l’in-
mystérieuses que menaçantes… La pochette en nocence, son album concept n’a d’ailleurs pas de vrai
noir et blanc de Summertime ’06 rappelle beaucoup « tube » à proposer aux radios. Le style est réaliste et
celle d’un autre premier album, Unknown Pleasures âpre comme le Ice Cube du début des années 1990,
de Joy Division (1979), devenue iconique avec ses quand l’ex-N.W.A dénonçait l’abandon des ghettos
courbes blanches émanant du tout premier pulsar noirs par l’Amérique blanche. Qu’est-ce qui a changé
découvert. Quel rapport entre le joyau post-punk des depuis les émeutes de 1992 à Los Angeles, suite au
rues pluvieuses de Manchester et le rap californien tabassage de Rodney King ? Pas grand-chose, à voir
de Vince Staples ? Aucun, si ce n’est l’atmosphère les récents journaux télévisés (Ferguson, Baltimore,
qui s’en dégage, sombre et orageuse. Car la musique etc.). Sauf que cette misère est devenue la matière
du gamin de 22 ans a beau venir de la côte Ouest, première d’un show de masse auquel le rap parti-
elle n’a rien de l’hédonisme canaille et ensoleillé du cipe, bon gré mal gré. Constat amer, illustré par la
G-funk d’un Snoop. Son truc, c’est moins les hordes conclusion de l’album (le son grésille et s’arrête bru-
de stripteaseuses en bord de piscine que la plongée talement, comme si l’on avait éteint la télévision), et
dans les bas-fonds. En apnée. Ça tombe bien, les par le clip de « Señorita » dans lequel des Noirs et des
beats concoctés par le vétéran No I.D., anxiogènes Latinos se font tirer dessus dans un L.A. zombifié,
au possible avec leurs basses bourdonnantes et leurs tandis que de riches Blancs observent la
tintements métalliques, laissent peu de place aux res- scène sur l’écran de leur poste de télé-
pirations. On est en plein cauchemar urbain. Vince vision. Lucide et cinglant.
Staples se méfie visiblement de la séduction pop et Summertime ’06 de Vince Staples
de ses trompe-l’œil. Articulé autour du souvenir de (Def Jam/Universal)

86 septembre 2015
sélection
PAR MICHAËL PATIN ET ETAÏNN ZWER

DEABLERIES ADRIEN 30 MINUTES WITH PERIO


d’ARLT de Trésors de Perio
(Almost Musique) (Desire) (Objet Disque)
Jusqu’à présent, le meilleur Trésors est un duo parisien qui, Symptôme de l’époque : un
raccourci pour présenter ARLT dans le champ saturé de la dark pop microlabel underground édite à
était d’en faire la trouble synthétique, a réussi dès ses débuts cent cinquante exemplaires ce qui
réincarnation du duo Areski-Fontaine à ne sonner comme personne. s’impose dès la première écoute
des années 1970. Mais voilà qui Ce n’est donc pas un hasard (et les mille suivantes) comme l’un
ne semble plus pertinent alors que si ce deuxième album porte des plus grands disques pop de
paraît leur chef-d’œuvre. De la danse le même prénom que ses deux l’année. Derrière cette galette,
nuptiale à la partie à quatre, les auteurs. Enregistré et mixé sans un bel inconnu comme on en cultive
frictions produites en studio avec pression, au bord de la mer, de par chez nous et sur qui l’on
le concours de Mocke et Thomas Adrien tourne le dos aux buildings vous suggère de vous pencher
Bonvallet ont intensifié chaque électroniques pour perdre son derechef. Parce que des chansons
particularité du couple. Rustres regard dans l’horizon acoustique, aussi parfaites que « Seeds », « W »,
et séductrices, hagardes et jouant avec les déchets de la plage « Crust & Dirt » ou « Whoopadoop »
extralucides, drôles et effrayantes, comme s’il s’agissait de perles cohabitent rarement sur un album,
ces Deableries jettent un mauvais d’ormeau. Les Trésors sont même chez les petits génies
sort à la chanson française. M. P. dans nos têtes. M. P. des sixties. M. P.

GOLDEN TICKET CORPO INFERNO RUB


de Golden Rules de Mansfield. TYA de Peaches
(Lex Records) (Vicious Circle/L’Autre Distribution) (I U She Music)
Un album qui débute par un sample Si vous aimez la pop colorée, Six ans après I Feel Cream, la reine
du génie brésilien Tom Zé peut-il le monde tel qu’il va et si vous n’avez de l’electro-punk provoc continue
être raté ? Non. La preuve avec pas de second degré, oubliez les de tacler les clichés de genre et les
Golden Ticket de Golden Rules, entêtantes litanies du duo nantais. tabous avec ce Rub aussi mal léché
association du producteur londonien Depuis June (2005), la moitié de que bien gaulé. Avec Vice Cooler
Paul White et du chanteur floridien Sexy Sushi et sa complice osent une en cuisine et Kim Gordon et Feist
Eric Biddines. Soit le parangon chanson française hors piste, entre en invités, Peaches rappe à la coule,
d’un rap musical à l’érudition douce, poésie acide, maelström de voix alignant sexe, laser butt plug (« Light
conjuguant habilement tradition et de cordes, et glitchs électroniques in Places »), ruptures crasses et
et modernité. De quoi charmer – omniprésents sur ce quatrième virages politico-lubriques (« Dick in
les amateurs de l’esthétique Lex opus ludique et grinçant (« Bleu the Air ») dans une orgie d’accroches
Records (Danger Mouse, Jneiro lagon »), nerveux et fragile (« Jamais mélodiques (« Dumb Fuck »),
Jarel…) comme ceux de Dâm-Funk jamais »), noir et cinématographique de beats hypnotiques et de basses
ou de Kendrick Lamar. Un ticket (« La nuit tombe »). Doucement fêlé, lascives. Une leçon d’empowerment
gagnant. M. P. puissant, beau. E. Z. funny, nasty et sexy. E. Z.

www.troiscouleurs.fr 87
cultures MUSIQUE

© grant cornett
Battles
ROCK

Avec La Di Da Di, le trio américain Battles explore les


nouvelles technologies pour fusionner math-rock et
musiques électroniques en une belle harmonie sonique.
PAR WILFRIED PARIS

Après deux albums (Mirrored en 2007 et Gloss Drop des choses qu’on n’a jamais faites auparavant. »
en 2011), Battles ouvre de nouveaux horizons musi- Dans ce groupe virtuose et pyramidal, chacun des
caux sur La Di Da Di, combinant les motifs répé- trois musiciens participe autant des fondations (fré-
titifs de Steve Reich, la virtuosité prog de King quences graves, basses, rythmes) que du développe-
Crimson et l’abstraction électronique de l’IDM des ment (médiums électriques, nerveux, stratifiés) pour
années 1990. Toujours sur le label fondateur du genre atteindre le zénith (aigus, climax, résolutions) d’une
(Warp), le « groupe en réseau », tel qu’il se défi- transe aussi maîtrisée qu’explosive. Le trio se pré-
nit lui-même, utilise de complexes sets de pédales sente ainsi sur scène en un triangle dont le sommet
d’effets et d’effets numériques pour produire une est cette cymbale placée en hauteur, nécessitant de
musique hybride, entre math-rock et techno orga- spectaculaires levers de bras du batteur John Stanier.
nique, développée en polyrythmies savantes, empi- « C’est important qu’il y ait au moins un instrument
lements de boucles, microharmonies fourmillantes, qui reste 100 % acoustique, explique ce dernier. C’est
aussi dansante que cérébrale. Selon le claviériste et plus difficile pour moi, car je dois me réinventer pour
guitariste Ian Williams, « l’histoire de la musique chaque album avec un outil extrêmement limité. Mais
de ces cinquante dernières années est liée à l’émer- avoir ce set de batterie minimal au centre du dispo-
gence de nouveaux outils, de nouvelles technolo- sitif ancre le groupe dans une culture rock qui est
gies. Un groupe comme Black Sabbath a accompa- aussi notre base commune. » Et Dave de renchérir :
gné la création d’amplis électriques plus puissants, « John est la constante, nous sommes
par exemple. Les nouveaux outils électroniques sont les variables. » Belle alchimie.
des moyens pour développer notre créativité. » Le
La Di Da Di de Battles (Warp/[PIAS])
guitariste Dave Konopka complète : « Le but étant de En concert le 30 octobre à la Grande Halle
trouver de nouvelles directions dans notre musique, de la Villette (Pitchfork Music Festival)

88 septembre 2015
agenda
PAR ETAÏNN ZWER

LE 9 SEPT. LE 20 SEPT.
BALLAKÉ SISSOKO Bruce Brubaker
& VINCENT SEGAL Invité de la Paris
Suite au sublime Electronic Week, le
Chamber Music (2009), pianiste new-yorkais
le maître malien de la fraîchement signé sur
kora et le violoncelliste le label InFiné égrènera
français poursuivent leur les pépites de son Glass
conversation sur Piano – album revisitant
Musique de Nuit, bijou (réinventant) avec une
habité de litanies pulsées intensité et une élégance
et lumineuses, entre âme folles l’œuvre de Philip
mandingue, baroque et Glass – lors de cette
jazz, dévoilé lors d’une séduisante nocturne
envoûtante session. électronique inédite.
à la Cité de la musique – au musée
Philarmonie 2 de la Vie romantique

LE 15 SEPT. LE 25 SEPT.
MAC DeMARCO KILL THE DJ
Le génial Canadien L’irrésistible label
viendra défendre les parisien fête ses 10 ans
chansons d’amour et convie ses nouvelles
rêveuses et solaires recrues pour un plateau
d’Another One, son electro hypnotique.
quatrième (mini-)album En trio avec Mansfield.
sorti début août. Entre TYA, Léonie Pernet
virtuosité nonchalante, livrera ses rêveries
pitrerie potache et piano-batterie
sensibilité lunaire, expérimentales, et Nova
l’animal taquine le Materia (ex-Panico),
slacker-rock en douceur une création originale
et offre une sacrée leçon à l’énergie sauvage
de coolitude indé. avec la DJ Chloé.
à La Cigale au Centre Pompidou

LE 19 SEPT. DU 25 AU 27 SEPT.
OSTGUT TON ZEHN MACKI MUSIC FESTIVAL
Ostgut Ton et Mercredi Deep house jazzy,
Production s’acoquinent electro vaudou, pop
pour célébrer les 10 ans cosmique… Excitant
de la mythique écurie deuxième round pour
berlinoise. Pour ce live le festival cosigné par
anniversaire, focus La Mamie’s et Cracki
sur la tendance house Records. Ouverture
du label avec l’élégance à La Machine du Moulin
deep acid de Steffi, Rouge, puis cap sur les
Martyn et ses ritournelles Yvelines avec Tony Allen,
drum ’n’ bass futuristes, Floating Points, GZA du
Head High, et un set Wu-Tang, Silk Rhodes,
rugueux et sexy Romare, Moodoïd…
de Tama Sumo. au parc de la mairie
à La Gaîté Lyrique de Carrières-sur-Seine 
cultures KIDS

CINÉMA

Anina

l’avis du grand
Le premier long métrage
de l’illustrateur
Élise continue d’explorer la planète cinéma en visionnant uruguayen Alfredo
Soderguit est le récit
son premier film uruguayen. L’occasion, pour notre hautement subjectif
jeune critique, de découvrir le quotidien des élèves des de l’existence d’une
antipodes, et de constater que les enfants du monde fillette de 10 ans
apprenant à surmonter
entier partagent les mêmes craintes et espoirs. sa peur, à faire fi
PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN DUPUY
de l’opinion d’autrui
et à aller au-delà
de ses a priori sur les

Le petit papier d’ Élise, 7 ans


personnes qui
l’entourent. Le film, qui
concourait pour l’Oscar
du meilleur film étranger
en 2014, est une
« C’est l’histoire d’Anina, qui a 10 ans d’uniforme. Je n’aimerais pas avoir un chronique édifiante qui
et qui est dans de sales draps parce uniforme, parce que quand il serait sale doit beaucoup au
portrait très juste du
qu’elle s’est battue avec Gysel au sujet je ne pourrais pas aller à l’école. Les quotidien des enfants
du sandwich qu’elle a fait s’envoler sans gens qui ont fait Anina ont mis toute de Montevideo, ainsi
faire exprès. Du coup, la directrice lui la force qu’ils avaient dans les dessins qu’à une direction
artistique splendide.
donne une punition : une enveloppe et, du coup, le film est très bien fait : À mi-chemin entre
qu’elle n’a pas le droit d’ouvrir avant on dirait qu’il est dessiné comme dans le caractère tangible
une semaine. C’est de là que viennent la vie. En plus, à la fin tout est joyeux : du papier découpé
– à partir duquel
les malheurs d’Anina, qui imagine il n’y a plus de mauvaise pensée. C’est ont été créés les
des choses. D’ailleurs, ses rêves sont même comme ça que l’on voit que c’est personnages – et le
bizarres, parce qu’ils mélangent des la fin, car tous les films pour enfants se dynamisme des
techniques numériques
morceaux d’imagination et de réalité. Je finissent bien. » employées pour
crois que ce film se passe en Espagne, l’animation,
parce que mon école n’est pas la même Anina d’Alfredo Soderguit le style d’Anina finit
Animation de distinguer ce
que celle d’Anina. Déjà, dans mon école, Distribution : Septième Factory
Durée : 1h20 remarquable petit film du
les directrices ne donnent pas des puni- Sortie le 30 septembre tout-venant du cinéma
tions comme ça ; et puis on ne porte pas Dès 6 ans d’animation. J. D.

90 septembre 2015
Le Salsifis du Bengale
et autres poèmes de Robert Desnos
PAR TIMÉ ZOPPÉ

Après En sortant de l’école (2014), qui regroupait des


courts métrages d’animation illustrant des poèmes de
Jacques Prévert, Le Salsifis du Bengale… reprend le
même concept autour de textes de Robert Desnos.
Cette fois encore, la productrice Delphine Maury est
allée chercher dans les écoles d’animation françaises
de jeunes talents pour mettre en image l’univers
surréaliste du poète français dans treize petits films aux
graphismes souvent pop et colorés. Les tons et les
techniques sont divers, allant du joyeux et dansant
Couplet de la rue Bagnolet, coloré au feutre, au plus
sombre mais non moins beau Paris, dont la technique
mêle du papier découpé, du sable et des végétaux.

Collectif
Animation
Distribution : Gebeka Films
Durée : 42 min
Sortie le 30 septembre
À partir de 8 ans

et aussi
PAR SIRINE MADANI

CINÉMA CINÉMA

Ce programme de Six petites histoires,


six courts métrages drôles et attachantes,
regroupe des créations sur le thème de
originales venues des l’enfance : un oiseau
quatre coins du monde. qui doit vaincre sa peur
Chaque film croque de voler pour rejoindre
avec finesse et ses amis sous les
singularité certains tropiques ; Anatole
traits de caractère de qui traîne sa petite
Monsieur Renard : rusé casserole comme
et voleur, gourmand et il traîne sa différence ;
menteur, tendre et un agneau qui ne bêle
affectueux… De pas correctement…
savoureux petits contes Soit un programme idéal
qui raviront à coup sûr pour démarrer la rentrée
parents et enfants.  du bon pied.
LES FABLES DE PETITES CASSEROLES
MONSIEUR RENARD Collectif
Collectif Animation
Animation Distribution : Les Films
Distribution : KMBO du Préau
Durée : 39min Durée : 41min
Sortie le 16 septembre Sortie le 23 septembre
Dès 3 ans  Dès 4 ans
cultures LIVRES / BD

BANDE DESSINÉE

Combats
sélection
PAR STÉPHANE BEAUJEAN

PAR S. B.

TUNGSTÈNE ESPRITS DES MORTS


de Marcello de Richard Corben
Quintanilha (Delirium)
(Çà et là) Richard Corben poursuit
Dessin photoréaliste aux sa recherche artistique
expressions légèrement faite d’expériences
amplifiées, narration graphiques renversantes
en montage alterné qui et d’incursions dans les
ménage les surprises et ténèbres du monde
les suspenses, étrangeté d’Edgar Alan Poe. S’il
Dans Combats, l’humoriste Goossens, qui excelle de l’atmosphère, et, n’est pas de meilleur
dans la nuance, s’attaque aux grands discours surtout, sublime dessinateur de corps
portrait d’un Brésil en putréfaction et de
de notre époque. Ayatollahs, moralistes et théo- contemporain écrasé château en ruines, ici,
riciens de tout poil se retrouvent au centre de par la lumière, Tungstène la performance vient de
courtes aventures aussi drôles qu’intelligentes. La est la surprise de l’utilisation de la couleur.
manière dont l’auteur retourne les débats contempo- la rentrée. Ou comment Quant aux amateurs
deux braconniers qui de Poe, ils pourront
rains pour souligner le grotesque de certaines envo- pêchent à la grenade constater à quel point
lées lyriques ou prises de positions est à elle-seule déclenchent une tempête l’auteur construit
source de crises de rire intarissables : des voyageurs d’emmerdements pour une relecture aussi
tout un tas de personnelle que finement
du futur atterrissent sur une planète Terre trans- personnes. Génial. pensée de son œuvre.
formée en jardin de Versailles géant par des éco-
logistes ; des publicitaires tentent de convaincre le
patriarche d’une d’entreprise spécialisée dans la
vente de femmes nues de doper ses résultats grâce à
une campagne dans laquelle son produit serait mis en
valeur par la présence de voitures de sport… Chaque
nouvelle rappelle à quel point Goossens développe
un humour à part, quand bien même il exerce au sein
du magazine Fluide Glacial depuis des années. Son
texte malicieux se reconnaît par cette emphase litté- KILLOFER TEL QU’EN DEADLY CLASS
raire feinte, cette outrance absurdement romantique LUI-MÊME ENFIN de Rick Remender,
de Killofer Wes Craig et Lee
qui raille les bons sentiments comme les coups de (L’Association) Loughridge
sang. Quant à ses personnages, aux textures moel- Les livres de Killofer sont (Urban Comics)
leuses, aux silhouettes un peu nonchalantes et pour- rares, même si l’auteur, Après Black Science,
lui, se fait toujours très voici la nouvelle série de
tant tellement expressives, ils incarnent et désarment présent dans chacun Rick Remender : l’histoire
en même temps chacune des pensées qu’ils énoncent. d’entre eux. En compilant d’un orphelin qui intègre
Goossens, c’est l’art de tourner en ridicule l’humanité ces récits publiés par le une étrange école pour
magazine Le Tigre, jeunes assassins. Son
et ses petits travers, sans méchanceté, et surtout avec Killofer reconstruit un passé cache un mystère,
élégance. En s’attaquant à la démagogie et au prosé- journal intime qui s’ouvre son futur le prédestine à
lytisme de notre civilisation, l’écriture de Goossens sur sa mise à la porte du l’assassinat de Ronald
domicile conjugal. Le Reagan. Narration ultra
libère comme jamais sa poésie comique. caractère anecdotique rythmée et dessin tout
Une anthologie parfaite pour s’initier à de ces événements est en ruptures portent cette
l’œuvre de ce grand monsieur, ou pour balayé par la puissance frénétique plongée dans
faire son autocritique en douceur. graphique avec laquelle les années 1980 qui
ces tranches de vie sont cherche à retranscrire la
transformée en violence qui animait la
Combats de Goossens (Fluide Glacial) monument d’écriture. jeunesse de l’époque.

92 septembre 2015
cultures SÉRIES

polar

1992
Remontant à la source des maux qui gangrènent l’Italie depuis
plus de vingt ans, la chronique polyphonique 1992, découverte
Livre
au festival Séries Mania et diffusée ce mois-ci par OCS,
L’UNIVERS DES
confirme les ambitions critiques des productions transalpines. SÉRIES TV
PAR GUILLAUME REGOURD

Dans la grande tradition


des beaux-livres
Taschen, cette somme,
qui pèse près de 5 kg,
pourrait sembler
destinée à caler
avantageusement un
meuble. Mais au-delà
de sa très belle et
pertinente iconographie,
ses textes sur quelque
© d. r.

soixante-dix séries,
toutes produites ces
Pour les Italiens, 1992 marque un tour- de 1992 ne se gênent pas pour dénoncer vingt-cinq dernières
nant. Cette année-là, l’opération « Mains le cynisme du Cavaliere qui, justement, années, constituent une
propres » sonne le glas de la Première fit des chaînes privées la clé de voûte bonne surprise.
République et de son système de pots- de sa stratégie de conquête du pouvoir. Rédigés par une équipe
de critiques et
de-vin généralisés. À travers un person- Il n’y a qu’à voir Notte, chargé de faire d’universitaires
nage de flic milanais, 1992, la série, suit avaler à l’opinion publique la couleuvre allemands, ils donnent
de près l’enquête qui éclaboussa jusqu’à d’un fallacieux renouveau politique, se envie de voir ou de revoir
les incontournables
l’ancien président du Conseil Bettino féliciter de ce que la crise contraigne les The Wire, Twin Peaks
Craxi. L’avènement du berlusconisme y gens à rester chez eux devant le poste. ou encore Borgen, une
est également esquissé. Ce premier volet, Surprise devant une émission de varié- des rares séries non
anglo-saxonnes de cette
d’une trilogie qui s’étendra jusqu’en tés, sa propre fille lui rétorque, pas bien sélection peut-être un
1994, confirme les intentions du réseau convaincante : « Je la regardais avec un peu trop tournée vers
Sky, déjà derrière la série Gomorra, point de vue critique. » En 1992, une les États-Unis. G. R.
L’Univers des séries TV.
de bousculer une télévision italienne boutade. En 2015, une réalité, en partie Le meilleur des
autrefois si inoffensive. Avec en tête le grâce à des séries comme celle-ci. 25 dernières années
de Jürgen Müller
modèle House of Cards, les scénaristes Saison 1 sur OCS Max (Taschen)

sélection PAR G. R.

NARCOS HALT AND CATCH FIRE MAJOR CRIMES


Les narcotrafiquants fascinent. Avant Halt and Catch Fire revient À sa prise de poste, la nouvelle chef
la sortie au cinéma, le 7 octobre, de cartographier les premiers soubresauts de la police de Los Angeles (Mary
Sicario, Netflix s’intéresse à l’histoire du de l’informatique grand public en McDonnell) inaugure une politique
tristement célèbre cartel de Medellín. mettant cette fois l’emphase sur deux basée sur la négociation des peines…
Cette fresque violente repose largement personnages féminins – et notamment Ce ressort juridique offre un second
sur la prestation de Wagner Moura Cameron Howe (Mackenzie Davis), à la souffle bienvenu à une franchise certes
(Troupe d’élite). Dans le rôle de Pablo tête d’une boîte de jeux en ligne. Une ancienne mais pas vieillotte – Major
© d. r. ; amc

Escobar, il est impressionnant. petite série dont on ne parle pas assez. Crimes est la suite de The Closer.
Saison 1 disponible sur Netflix Saison 2 sur Canal+ Séries Saison 1 en DVD chez Warner Home Video

www.troiscouleurs.fr 93
cultures SPECTACLES

© youngmo choe
Dancing Grandmothers

Ottof / Dancing
DANSE

Grandmothers
Loin des clichés qui animent encore le milieu de la danse
(une discipline pour muscles jeunes, glorieux, aseptisés),
deux chorégraphes auscultent le passage du temps
sur les corps d’interprètes âgés.
PAR ÈVE BEAUVALLET

« À peu de chose près, la situation faite aux vieux par attentes liées aux corps « âgés ». La première, Ottof
notre xxe siècle ne serait pas sans rappeler celle des (une pièce minimaliste, hypnotique, qui a troublé les
femmes au xixe (siècle), le droit de vote en plus […] spectateurs du festival Montpellier Danse cet été),
Ces sans-voix font leurs petites affaires en marge, est née d’un dialogue que la chorégraphe marocaine
collectivement transparents, comme jadis les femmes Bouchra Ouizguen nourrit depuis des années avec
au foyer. » On n’a pas pu vérifier combien d’artistes des chikhates à la retraite (des danseuses et chan-
avaient lu le diagnostic établi par l’universitaire teuses populaires) âgées de 52 à 65 ans. La seconde,
français Régis Debray dans son corrosif Plan ver- Dancing Grandmothers, est le fruit d’un travail
meil. Modeste proposition (Gallimard, 2004), mais documentaire mené par la chorégraphe sud-coréenne
nombre d’entre eux semblent en tout cas avoir réagi à Eun-Me Ahn et participe d’une trilogie à caractère
ce constat en multipliant et diversifiant les représen- anthropologique (les deux autres volets de cet œuvre
tations de corps d’un âge avancé. Sur les plateaux, sont intitulés Teen Teen et Middle Aged Men) : inviter
le phénomène est flagrant : vingt-cinq personnes des grands-mères sud-coréennes à se remémorer les
âgées de 60 à 90 ans pour Le Sacre du printemps tubes de leur jeunesse et les gestes qui leur sont liés.
chorégraphié par Thierry Thieû Niang et Jean-Pierre Soit deux façons d’interroger la mémoire des corps
Moulères en 2011 ; des personnes âgées encore, spé- et les traces du temps, loin des représentations esthé-
cialement sélectionnées pour les chorégraphies de tiquement correctes généralement privilégiées par le
Mathilde Monnier (City Maquette, en 2009) ou du marketing senior.
jeune collectif (LA)HORDE (Void Island, en 2014)…
En ce début de saison, deux créations originales Ottof de Bouchra Ouizguen,
du 16 au 20 septembre (Festival d’automne à Paris)
présentées dans le cadre du Festival d’automne à
Paris jouent elles aussi avec les valeurs attribuées Dancing Grandmothers d’Eun-Me Ahn,
du 25 au 27 septembre au Théâtre de la Ville
à la vieillesse, avec l’esthétique, le rythme et les (Festival d’automne à Paris)

94 septembre 2015
agenda
PAR È. B.

DU 15 SEPT. AU 25 OCT. publique. Très attendue,


MARIE RÉMOND En souvenir de l’Indien,
ET SÉBASTIEN la nouvelle création
POUDEROUX d’Aude Lachaise, déjà
Ils nous avaient tous remarquée avec son
deux charmés sur scène one-woman-show
dans André, biopic Marlon.
à la Cartoucherie
original d’Agassi. Les (Vincennes), à la Maison
jeunes Marie Rémond et des arts de Créteil et à la
Sébastien Pouderoux, Briqueterie (Vitry-sur-Seine)
copains de promotion au
Théâtre national de DU 24 SEPT. AU 16 OCT.
Strasbourg, remettent ça
avec Comme une pierre
qui… Cette fois, ils
décortiquent les écrits
que Greil Marcus a
© sdeliquet

produits autour du tube


de Bob Dylan Like a
Rolling Stone.
au Studio de la JULIE DELIQUET ET LE
Comédie-Française COLLECTIF IN VITRO
Animés par un amour des
DU 22 SEPT. AU 11 OCT. 
plans-séquences (jolies
BORIS CHARMATZ scènes de tablées
Programmé en ouverture géantes) et une réflexion
d’une saison riche en autour de l’héritage
initiatives originales, générationnel formulés
Vingt danseurs pour le dans un triptyque
xxe siècle, conçu par le chaleureusement
chorégraphe conceptuel salué l’an dernier (Des
Boris Charmatz, années 70 à nos jours),
s’annonce comme une les comédiens du
déambulation dans les collectif In Vitro
espaces publics du poursuivent leur
Palais Garnier où se recherche avec Catherine
croisent fantômes de la et Christian (fin de partie),
danse et grands solos sorte d’épilogue,
historiques. autour du deuil.
à l’Opéra Garnier au Théâtre Gérard Philipe
(Saint-Denis)
(Festival d’automne à Paris)
DU 24 AU 26 SEPT.
DU 30 SEPT. AU 3 OCT.
VINCENT THOMASSET
L’artiste Julien Prévieux
fait son effet depuis
les années 2000 avec
© sarah oyserman

ses mignonnes Lettres


de non-motivation
formulées comme
un pied-de-nez aux
valeurs de l’entreprise
LES PLATEAUX et au personal branding
DE LA BRIQUETERIE (le marketing personnel).
Accueillis dans trois La probabilité pour que
lieux, ces plateaux le metteur en scène
rassemblent dix-sept Vincent Thomasset
chorégraphes (qui les adapte sur scène)
internationaux en fasse une œuvre
émergents pour trois d’ampleur est élevée.
jours de présentation au Centre Pompidou
cultures ARTS

agenda
PAR ANNE-LOU VICENTE

JUSQU’AU 8 OCT. exemplaires), l’artiste


conceptuel français
DAN GRAHAM propose de multiplier par
Après le toit de la Cité trois l’accrochage de
radieuse de Le Corbusier l’exposition. Une façon,
à Marseille (MaMo), et non dénuée d’humour,
avant la place Vendôme, d’(ab)user de la répétition
© jeff wall

à Paris, des œuvres de pour définitivement


l’artiste américain sont défaire l’œuvre d’art de
visibles dans sa galerie son caractère unique.
Jeff Wall, Diagonal Composition, 1993 parisienne, dont un chez Florence
nouveau « pavillon », Loewy… by Artists
EXPOSITION dénommé Passage

Jeff Wall
intime, composé de deux DU 11 SEPT. AU 6 DÉC.
parois incurvées en acier
inoxydable et en verre

© courtesy blum & poe,


semi-réfléchissant
PAR LÉA CHAUVEL-LEVY formant un passage
étroit que les visiteurs

los angeles
Dès la fin des années 1970, ses photographies sont invités à emprunter.
à la galerie Marian Goodman
grand format montées sur caissons lumineux
Kõji Enokura,
ont acquis une reconnaissance mondiale. Mais, à JUSQU’AU 11 OCT.
Symptom—Sea-Body
presque 70 ans, c’est un autre aspect de son travail SORTIR DU LIVRE (P.W. – No. 40), 1972
que le Canadien Jeff Wall a choisi de présenter à Réunissant artistes et TOUT LE MONDE
chercheurs travaillant En guise de cimaises,
la Fondation Henri Cartier-Bresson. L’exposition autour de territoires Claire Le Restif,
« Smaller Pictures » dévoile ainsi trente-quatre cli- désertés ou fragilisés par commissaire de
chés de petite taille pris de la fin des années 1960 des conflits, le collectif l’exposition et directrice
Suspended Spaces du Crédac, a opté
à aujourd’hui et tous sélectionnés par ses soins. Si réinterprète ici les pour des panneaux
le format surprend d’abord, la beauté formelle s’im- œuvres et les d’affichage que viennent
pose. Scènes de la vie quotidienne et autres sujets très publications qu’il a recouvrir les œuvres
produites autour de trois de vingt-deux artistes
banals – comme dans Clipped Branches (1999), qui de ces espaces en internationaux.
représente un simple tronc d’arbre, ou dans Diagonal suspens : la ville fantôme Poétiques, voire
Composition (1993), qui montre un évier vétuste sur de Famagusta à Chypre, politiques, elles ont pour
le chantier inachevé de la points communs une
lequel gît un reste de savon –, empruntent autant à la foire internationale de économie de moyens et
photographie documentaire qu’à la composition pic- Tripoli au Liban, conçu une certaine forme de
turale, chaque cliché clamant haut et fort l’intérêt de par Oscar Niemeyer, lenteur et de fragilité.
et le musée d’art
Jeff Wall pour l’histoire de l’art. Il y a en effet tou- contemporain de Niterói,
au Crédac (Ivry-sur-Seine)

jours dans ses images un clin d’œil savant à la pein- du même architecte.
DU 24 SEPT. AU 4 JANV.
ture d’Édouard Manet, ou à celle de Diego Velázquez à Mains d’Œuvres
(Saint-Ouen) UNE BRÈVE
que l’artiste a découvert lors d’un voyage en Europe HISTOIRE DE L’AVENIR
en 1977. Comme pour ses iconiques grands formats, JUSQU’AU 31 OCT. Inspirée du livre de
Jeff Wall utilise ici le procédé spectaculaire du cais- Jacques Attali du même
nom, cette exposition
son lumineux, technique qui fait vivre les images
pluridisciplinaire
comme aucune autre en leur conférant une étonnante réunit œuvres du
© claude closky

matière, renouant par certains égards avec la stéréo­ passé et créations


scopie. Dans les faits ? L’artiste tire d’abord ses pho- contemporaines (Camille
Henrot, Ai Weiwei, Mark
tos sur papier transparent, puis les pose sur un tissu Manders…) autour
Claude Closky, Lelel, 2015
blanc et les place dans un caisson à éclairage élec- de quatre thématiques
trique. Le résultat, éblouissant, rebaptisé « tableau CLAUDE CLOSKY (les grands empires,
Claude Closky présente l’élargissement
photographique » par les critiques d’art, fait réflé- une sélection de ses du monde…) dans le but
chir au statut de la photographie, si proche ici de son œuvres produites entre de proposer un récit
aînée la peinture. 1995 et 2015. Tel un clin du passé susceptible
d’œil à l’essence même d’éclairer notre
« Smaller Pictures », jusqu’au 20 décembre du « multiple » (une œuvre vision du futur.
à la Fondation Henri Cartier-Bresson éditée en plusieurs au musée du Louvre

96 septembre 2015
cultures JEUX VIDÉO

FICTION INTERACTIVE

Her Story
Porté par une idée géniale – l’exploration des archives vidéo
d’une série d’interrogatoires de police à l’aide de mots-clés –,
Her Story bouscule avec brio les codes du polar interactif. Une
réussite conceptuelle doublée d’une enquête passionnante.
PAR YANN FRANÇOIS

L’EXPÉRIENCE DU MOIS 
EVERYBODY’S GONE
TO THE RAPTURE
(Sony/PS4)

Dans les rues d’une


bourgade anglaise
À l’écran, l’interface Windows vieillotte impassible en toutes circonstances, ses mystérieusement
d’un petit commissariat de province. En révélations deviennent, elles, de plus en dépeuplée, le joueur
fouille chaque habitation
guise d’icônes, un fichier texte, quelques plus troublantes au fur et à mesure de en quête d’explications.
instructions lapidaires et une base d’ar- nos découvertes. En dépit d’une écono- À certains endroits clés,
chives vidéo. À l’intérieur de celle-ci, mie de moyens extrême (une interface des séquences
mémorielles rejouent
cinq séquences filmées à des dates dif- très limitée, un cadre fixe…), Her Story les derniers instants
férentes mais liées à une même enquête nous plonge progressivement dans les des habitants avant la
– l’interrogatoire d’une jeune femme méandres d’une histoire tentaculaire où tragédie. Entre surnaturel
et mythologie religieuse
entendue comme témoin principal dans la plus cruelle des vérités peut se cacher (le ravissement chrétien),
une sombre affaire de meurtre. Pour voir derrière le mot-clé le plus anodin. Avec Everybody’s Gone to the
d’autres vidéos de l’entretien, il suffit de son moteur de recherche comme seul Rapture est une œuvre
(trop ?) hermétique qui
taper des mots-clés dans un moteur de outil d’investigation, Her Story invente réussit tout de même
recherche. Libre au joueur de taper le une nouvelle forme de polar interactif à instaurer un contraste
mot de son choix et d’explorer cette base dans laquelle intuition et faux-semblants saisissant entre son
de données pour reconstituer les faits. Si mènent la danse.  cadre pittoresque
(l’Angleterre bucolique)
le personnage interrogé, campé par une et la mélancolie de son
excellente actrice, affiche une attitude Her Story (Sam Barlow/PC, Mac, iOS) récit apocalyptique. Y. F.

3 perles indés PAR Y. F.

VICTOR VRAN RONIN GUILD OF DUNGEONEERING


(EuroVideo Medien/PC) (Devolver Digital/PC) (Gambrinous/PC, Mac)
Dans cette chasse aux monstres Infiltrée dans une base gardée par des Guild of Dungeoneering mélange jeu
en terres gothiques, le héros campe hommes armés jusqu’aux dents, de rôle et cartes à collectionner d’une
un mercenaire badass et taiseux digne l’héroïne a pour seule arme son katana drôle de façon. Sur un plateau de jeu,
des plus grandes séries B. Ça court, et pour seul atout son agilité. À chaque le joueur doit tracer son itinéraire
ça flingue à tout va, ça ne réfléchit combat, le temps s’arrête. À nous de au moyen des cartes thématiques
pas des masses, mais peu importe. calculer chacun de ses mouvements (salle, monstre, trésor) qu’il reçoit
Concentré d’action au rythme pour atteindre l’ennemi tout en aléatoirement à chaque tour.
sauvage, Victor Vran est une esquivant ses tirs… Ronin s’impose Si le concept peut déstabiliser,
excellente alternative indé à Diablo, comme une nouvelle référence du il ne tarde pas à révéler un jeu
son modèle évident. combat chorégraphié et tactique. hautement malin et riche en défis.

98 septembre 2015
sélection
par Y. F.

BATMAN. TEMBO THE


ARKHAM KNIGHT BADASS ELEPHANT
(Warner Interactive/ (Sega/PC, PS4, One)
PC, PS4, One) Surfant sur la nostalgie
Menacée par de sa mascotte Sonic,
l’Épouvantail et ses Sega édite un nouveau
attentats au gaz, la jeu de plate-forme et de
population de Gotham course éclair dans la
fuit la ville, la laissant plus pure tradition du
aux mains de ses hérisson bleu. Sauf
super-vilains. Pour la qu’ici, le héros est un
première fois, on éléphant acrobate
parcourt Gotham au shooté au beurre de
volant de la Batmobile. cacahuète. Volontiers
Mais la force de cet loufoque, animé et
Arkham Knight reste coloré comme un
définitivement sa mise comics, Tembo the
en scène. Victime du Badass Elephant n’en
gaz délirant, Batman oublie pas l’essentiel :
traverse une ville hantée un gameplay vif et
par ses fantômes dans sautillant qui aligne
des séquences d’une morceaux de bravoure
exceptionnelle beauté. et défis hardcore sans
Un grand cru. temps mort. 

LITTLE BATTLERS DEVIL’S THIRD


EXPERIENCE (Nintendo/Wii U)
(Nintendo/3DS) L’épopée sanglante d’un
Dans un Japon futuriste, mercenaire samouraï
les enfants ne jurent à l’accent russe
plus que par les LBX, réalisée par un Japonais
ces combats de robots (le créateur de Dead or
téléguidés dans des Alive et de Ninja Gaiden)
arènes miniatures. Le ne pouvait déboucher
jeune héros se retrouve que sur un jeu biscornu.
embringué dans une S’il semble tout droit
sombre histoire de sorti des années 1990,
complot politique qu’il avec sa testostérone et
va devoir déjouer au son action écervelée,
moyen de ses jouets. Devil’s Third n’en garde
Si son scénario prête pas moins un certain
souvent à sourire, cette charme. Celui d’une
nouvelle licence des œuvre tellement bas
créateurs du Professeur du front qu’elle en
Layton se révèle être devient fascinante.
un excellent jeu de rôle, D’une difficulté parfois
très bien équilibré rebutante, ses combats
entre combats et sauront séduire les
collectionnite de mecha. plus maso.
cultures FOOD

TENDANCE

Ça nous botte !
Depuis quelques mois, la cuisine italienne effectue un retour
en force à Paris. Colorée, généreuse et pleine de caractère,
elle s’incarne dans des lieux nouveaux où l’on mange sans
chercher l’effet de mode ou la prise de tête. Rafraîchissant ! SUCCESSION
PAR STÉPHANE MÉJANÈS

© d. r.
DANSONS CHEZ
CAPUCINE
Elles sont culottées,
© maria spera

les sœurs Melis, Stefania


et Federica, de passer
derrière Fabrizio Ferrare
et son Caffè dei Cioppi,
Denny Imbroisi, c’est d’abord un sou- résiste pas à l’appel de la pasta. La car- restaurant de poche
adulé par les esthètes.
rire. Entre sa collection personnelle bonara du chef fait bruisser tout Paris de Mais le pari est déjà
quasi complète du guide Michelin et plaisir : spaghettoni, émulsion à l’oignon gagné. Car Stefania,
des paquets de pâtes italiennes à foi- et au guanciale (joue de porc séchée), l’aînée, jusque-là
spécialiste de la salle,
son, l’accueil est chaleureux dans cette grana padano râpé, jaune d’œuf et pan- n’a pas voulu délivrer une
trattoria qu’il a baptisée du prénom cetta. Et sans crème, malheureux, on copie gastronomique,
de sa sœur. Sur une banquette ou une ne badine pas avec la recette originale. mais plutôt concevoir
un lieu à la coule. Elle a
chaise, on s’abandonne à la créativité On se rue aussi sur les gamberoni mari- été épaulée en cela par
du Calabrais de 26 ans aperçu dans Top nées, gaspacho de concombre, pomme son compagnon, Simone
Chef en 2012. Mais c’est au contact de verte, tarama, oseille rouge, ou sur l’ad- Tondo, jeune chef bourré
de talent et créateur de
William Ledeuil (Ze Kitchen Galerie) et dictif capucc’Ida aux spéculoos, glace Roseval. On s’y régale de
d’Alain Ducasse (Le Jules Verne) qu’il a noisette, crème gianduja et mousse de polpettes, de lasagnes
appris son métier. Après un vrai Spritz, café. Menus : de 30 € (midi) à 89 € (menu ou de carpaccio de
on embarque pour un joyeux voyage, « tout pâtes » en sept plats le soir) viande et de poisson.
Prix : de 15 € à 25 €.
accompagné notamment par le limon- Capucine
cello ou l’alcool de réglisse préparés Ida 159, rue du Faubourg-
117, rue de Vaugirard – Paris XVe Saint-Antoine – Paris XIe
avec amour par le papa de Denny. On ne Tél. : 01 56 58 00 02 Tél. : 01 43 46 10 14

l’Italie dans tous ses états PAR S. M.

A MERE OBER MAMMA BOCCA ROSSA


« Ceci n’est pas un bobun », proclame Après Big Mamma en 2014 et East Sylvain Sendra revendique ses origines
une pancarte sur la porte du lieu, Mamma au printemps 2015, Victor transalpines. Le chef étoilé du
qui fut un restaurant asiatique. Maurizio Lugger et Tigrane Seydoux ont ouvert restaurant Itinéraires s’est fait un petit
Zillo est italien, et il décline l’amertume Ober Mamma avant l’été. Ici, c’est plaisir en ouvrant Bocca Rossa de
comme personne. Il ose aussi l’Italie dans son plus simple appareil, l’autre côté du pâté de maison. Il a
des accords inédits : bœuf, mimolette, avec des produits achetés directement imaginé une vraie trattoria où tout est
poutargue, ou chocolat, rhubarbe, aux producteurs. Assiettes à partager fait maison, à commencer par les pâtes
estragon, anguille. Juan Arbelaez (charcuterie et fromages de compète), et les raviolis (sur place ou à emporter).
(du Plantxa, à Boulogne-Billancourt) plats (de 10 € à 18 €) ou pizzas Bon plan : le généreux brunch
l’accompagne, c’est un gage de qualité. (de 12 € à 15 €), tout est parfait. du dimanche (25 €).
49, rue de l’Échiquier – Paris Xe 107, boulevard Richard-Lenoir –Paris XIe 8, rue de Poissy – Paris Ve
Tél. : 01 73 20 24 52 Tél. : 01 43 41 32 15 Tél. : 09 51 88 52 44

100 septembre 2015


cultures MODE

CAPSULE

© d. r.
CHRISTOPHE LEMAIRE
pour UNIQLO
Friand de collaborations,
le géant japonais a
fait appel au créateur
français Christophe
Lemaire, ancien D. A.
du prêt-à-porter féminin
d’Hermès, réputé pour
ses coupes épurées et
ultra élégantes, afin de
concevoir des modèles
© but sou lai

homme et femme pour


l’automne-hiver
2015-2016. Une
collection capsule,
disponible à partir
EXPOSITION du 2 octobre, qui devrait

Alber Elbaz / Lanvin


allier chic minimaliste,
matières nobles
(notamment la maille
et le cachemire) et

Manifeste
prix doux. R. S.

LIVRE

Après l’exposition « Jeanne Lanvin » au Palais Galliera,


c’est au tour de la Maison européenne de la photographie
de célébrer la griffe française en mettant en lumière
© penguin random house

le travail de son actuel directeur artistique, Alber Elbaz.


PAR RAPHAËLLE SIMON

Une forêt de caissons lumineux gigan- coulisses ou sur les podiums des défi-
tesques, une salle entièrement rouge lés, notamment les magnifiques images
dans laquelle trônent, comme des clins hyper contrastées et surexposées de WHERE IS KARL?
d’œil, des photos sur lesquelles figure But Sou Lai, qui font ressortir le travail Directeur artistique de
Chanel, de Fendi et de
au moins une silhouette rouge, des incroyable d’Elbaz sur la couleur, ou les sa propre ligne, Karl
murs entiers recouverts de miniphotos portraits des mannequins à la mine pâle Lagerfeld est sur tous les
comme dans une chambre d’ados, des et au regard vague signés James Bort, fronts de la mode. Rien
d’étonnant à ce qu’il soit
installations vidéos qui se font échos qui font penser aux toiles des maîtres le héros de la version
par écrans interposés… On est loin des flamands. À côté de ces images offi- parodique d’Où est
accrochages ultra traditionnels proposés cielles hyper léchées, des petites pho- Charlie ? illustrée par
Michelle Baron. Du
par la MEP. Et pour cause, l’exposition tos de vêtements en cours de construc- Grand Palais à un gala
« Alber Elbaz / Lanvin. Manifeste » ne tion prises à la va-vite par des modélistes au MET, en passant par
vise pas à célébrer l’œuvre d’un photo- pendant des essayages, ou des captures un shooting à Dubai, on
s’amuse donc à chercher
graphe mais celle d’un créateur de mode, des silhouettes à la bouche en cœur cro- l’homme au catogan aux
Alber Elbaz, D. A. de la maison Lanvin quées au feutre noir par Alber Elbaz… côtés d’Anna Wintour ou
depuis 2001, à travers quelque 450 pho- Autant d’images qui dévoilent en beauté de Kristen Stewart dans
une dizaine de décors
tos prises par ses collaborateurs depuis les coulisses de la création du designer
foisonnants. R. S.
une dizaine d’années. Se distinguent israélo-américain.  Where’s Karl? de Stacey
d’emblée les clichés pris par les photo- Caldwell et Ajiri A. Aki
jusqu’au 31 octobre (Penguin Random House),
graphes officiels de la maison dans les à la Maison européenne de la photographie disponible le 15 septembre

www.troiscouleurs.fr 101
pré se nte

SPECTACLE

© elisabeth carecchio
DARIA DEFLORIAN
ET ANTONIO TAGLIARINI
Avec Reality, ces deux
comédiens et metteurs en
scène italiens donnent vie
aux écrits de Janina Turek,
une Polonaise qui recensa
pendant cinquante ans chaque
fait de son existence dans
les moindres détails. Soit
une célébration du quotidien
dans laquelle se croisent
poésie de la routine et
réflexions autour
de la télé-réalité. S. M.
du 30 septembre au 11 octobre
au théâtre national de La Colline

THÉÂTRE
© d. r.

COURT MÉTRAGE

Here Now
© marcel hartmann
Pourquoi la maison Kenzo a-t-elle fait appel à FLEUR DE CACTUS
Gregg Araki (Mysterious Skin) pour concevoir un Un dentiste fait croire à son
court métrage, Here Now, mettant en scène sa amante qu’il est marié.
Ce mensonge risque d’être
collection automne-hiver 2015 ? Parce que ladite découvert quand celle-ci exige
collection siérait parfaitement aux ados timbrés de rencontrer sa femme… Une
de Nowhere, l’un de ses films les plus fous. comédie de Pierre Barillet et
PAR CLAUDE GARCIA
Jean-Pierre Grédy, dans la plus
pure tradition du boulevard,
dans laquelle Catherine Frot
Dans les années 1990, Gregg collection. Here Now reprend les retrouve Michel Fau après
lui avoir donné la réplique
Araki a réalisé sa fameuse Teen personnages de Nowhere (Dark, à l’écran dans Marguerite
Apocalypse Trilogy réunissant Cowboy, Bart…), incarnés par de Xavier Giannoli. S. M.
Totally Fu**ed Up (1993), Doom de nouveaux acteurs, et les fait se à partir du 25 septembre
au Théâtre Antoine
Generation (1995) et Nowhere croiser dans une cafétéria anxio-
(1997). Ce dernier, présenté à gène, sur fond de musique shoe- LIVRE 
l’époque comme un « Beverly gaze. Here Now se base sur la JR
Hills 90210 sous acide » par son trame scénaristique de Nowhere : De ses débuts comme
distributeur, empruntait les codes Dark est toujours fou amoureux graffeur à ses photographies
monumentales dans les rues
de l’esthétique MTV qu’il hys- de Mel, Cowboy souffre encore de Paris, Rio de Janeiro
térisait par le biais d’une forte du fait que son petit ami Bart ou Jérusalem, cet ouvrage
stylisation du décor et des cos- est un junkie… Diffusé dans les de 150 pages retrace
l’ensemble de la carrière
tumes. C’est certainement l’es- salles MK2 du 23 septembre au de l’artiste français JR.
prit très nineties des vêtements 6 octobre, ce court métrage per- Il comporte notamment une
dans ce film, tout en couleurs met de vérifier que l’ambiance biographie en bande dessinée
signée Joseph Remnant, des
saturées, qui a amené Carol Lim mystérieuse et déjantée défendue photos de ses séries iconiques,
et Humberto Leon, les directeurs par Araki est toujours aussi juvé- ainsi que des images inédites
artistiques de Kenzo, à confier nile et actuelle.  de ses projets futurs, le tout
à Araki la réalisation d’un film magnifiquement présenté. S. M.
Here Now de Gregg Araki, du 23 septembre JR. L’art peut-il changer le monde ?
pour promouvoir leur nouvelle au 6 octobre dans les salles MK2 (Phaidon)

102 septembre 2015


L’actualité DES salles

COURS

Histoire
de l’art PAR CLAUDE GARCIA

A
vis aux assoiffés de culture : le
MK2 Grand Palais accueille
cette année des cours hebdo-
madaires d’histoire de l’art.
Regroupés en trois cycles chro-
nologiques étalés sur l’année
scolaire – « Du Moyen Âge au
xii e siècle » jusqu’en décembre, « Du Baroque à
l’Art nouveau » de janvier à mars, puis « L’art du
xx e siècle » d’avril à juin –, ces cours, d’une durée
d’une heure et demie, sont assurés par une équipe
de jeunes historiens avides de transmettre leur
savoir mais aussi d’échanger avec le public. Un
nouveau rendez-vous initié par MK2 avec l’agence
de médiation culturelle Des mots et des arts, fon-
dée par Morgane Pfligersdorffer, diplômée d’his-
toire de l’art, et Laure Benacin, passée par une
grande école de commerce. Leur credo ? Rendre
l’art accessible à tous tout en proposant un contenu
pointu – elles organisent aussi, tout au long de
l’année, des visites guidées dans des musées et des
balades pour découvrir le patrimoine parisien. Pour
assister aux cours d’histoire de l’art au MK2 Grand
Palais, on peut acheter un billet à l’unité, ou bien
souscrire à un abonnement, par cycle trimestriel ou
à l’année. « Quattrocento », « Nabis » et « Bauhaus » les mardis, de 20h à 21h30, à partir du 22 septembre,
au MK2 Grand Palais
ne sonneront bientôt plus seulement comme des Inscriptions et programme complet :
mots exotiques à votre oreille. www.desmotsetdesarts.com

Nouveau rendez-vous mensuel En effet, certains cours ne seront


au MK2 Bibliothèque : toute destinés qu’à la photographie
l’année, à compter d’octobre, au smartphone ; d’autres,
des cours de photographie seront comme « Sur les traces de Willy
dispensés par des artistes, Ronis », le 10 octobre, seront
des professionnels et des réservés aux autres types
blogueurs. Organisés par la galerie d’appareils ; et une troisième
Mobile Camera Club, ces ateliers, catégorie de cours accueillera
qui se dérouleront chacun sur tous les supports. Il est temps
une journée, aborderont de ressortir votre vieil argentique
différents aspects de la pratique du tiroir ou de passer le cap du
photographique, de la technique filtre Earlybird d’Instagram
de prise de vues au post-traitement sur votre mobile. C. Ga.
(retouches à l’aide de logiciels à partir du 10 octobre au MK2
ou d’applications) des clichés. Bibliothèque
Bon à savoir : les thèmes sont à Programme complet et réservations :
choisir en fonction de la technique. www.mobilecameraclub.fr

104 septembre 2015


L’actualité DES salles

la rentrée philo PAR CLAUDE GARCIA

C’est la rentrée : il est temps de remettre son saison : « Le Rock est-il un art ? », « Peut-on
cerveau en marche avec ces conférences de créer artificiellement les émotions ? » ou « Rap
philosophie, discipline mise à l’honneur, cette ft.  Philo »… De quoi électrifier nos méninges. C. Ga.
année encore, dans les cinémas MK2. Au MK2 Cycle Lundis Philo de Charles Pépin
à partir du 7 septembre au MK2 Hautefeuille
Hautefeuille, le romancier et philosophe Charles
Cycle Rock’n Philo de Francis Métivier
Pépin repart pour une quatrième saison de ses à partir du 9 octobre au MK2 Grand Palais
Lundis Philo, tous les lundis à 18h15, dès le 7 sep-
tembre. L’occasion de méditer et de dialoguer sur
des questions existentielles telles que « Qu’est-ce
que l’essentiel ? », « Aimer, jusqu’où ? » ou encore
« L’espoir fait-il vivre ou mourir ? ». Mais ce n’est
pas tout. Après le succès des séances Rock’n Philo
l’année passée, le musicien et philosophe Francis
Métivier revient tous les mois au MK2 Grand
Palais, à partir du 9 octobre à 20 heures, avec de
nouveaux « philo-concerts » dans lesquels il alterne
reprises rock et commentaires sur leur dimension
philosophique. Au programme de cette deuxième

CYCLES AVANT-PREMIÈRES CONFÉRENCES RENCONTRES EXPOSITIONS JEUNESSE

le 14/09 d’Apportez-moi la tête d’Alfredo La Règle de trois de Louis Garrel,


LES LUNDIS PHILO DE Garcia de Sam Peckinpah. La Ville lumière de Pascal Tessaud
CHARLES PÉPIN >MK2 Quai de Loire et J’aime beaucoup ce que
« La philosophie peut-elle à 20h vous faites de Xavier Giannoli.
nous sauver ? » >MK2 Hautefeuille
>MK2 Hautefeuille à 20h
à 18h15
le 24/09
  VERS L’AUTRE RIVE
Avant-première en présence le 05/10
le 21/09 du réalisateur Kiyoshi Kurosawa. LES LUNDIS PHILO DE
LES LUNDIS PHILO DE >MK2 Odéon CHARLES PÉPIN
CHARLES PÉPIN à 20h30 « Perdre son temps : plaisir
« À quoi servent les amis ? » ou malheur ? »
>MK2 Hautefeuille >MK2 Hautefeuille
à 18h15 le 24/09 à 18h15
  MARYLAND
Avant-première en présence
le 22/09 de la réalisatrice Alice Winocour le 06/10
UNE HISTOIRE DE L’ART et des acteurs Diane Kruger CINÉMADZ
« L’Antiquité, berceau de l’histoire et Matthias Schoenaerts. En partenariat avec le site
de l’art. » >MK2 Bibliothèque mademoiZelle.com, projection
>MK2 Grand Palais à 20h30 de Inception de Christopher Nolan.
à 20h >MK2 Bibliothèque
  à 20h
le 22/09 le 28/09
UNE HISTOIRE DE L’ART LES LUNDIS PHILO DE
CHARLES PÉPIN
le 06/10
« Les prémices de l’art médiéval. » UNE HISTOIRE DE L’ART
« Et si nous vivions enfin éveillés ? »
>MK2 Grand Palais « L’art roman. »
à 20h  >MK2 Hautefeuille
>MK2 Grand Palais
  à 18h15
à 20h
le 22/09
CINÉ BD le 29/09 le 08/10
En partenariat avec Dargaud, à SOIRÉE PREMIERS PAS CARTE BLANCHE
l’occasion de la parution de Tyler En partenariat avec le magazine Carte blanche à Arthur H,
Cross. Angola, rencontre et séance Bref, projection des courts avec rencontre et projection
de signature avec le scénariste métrages De l’autre côté de d’un film de son choix.
Fabien Nury et le dessinateur Nassim Amaouche, È pericoloso >MK2 Quai de Seine
Brüno, suivies de la projection sporgersi de Jaco Van Dormael, à partir de 20h

www.troiscouleurs.fr 105
L’actualité DES salles

L’ŒIL Du

MOBILE
CAMERA CLUB
La galerie parisienne, spécialisée dans les photos prises
au smartphone, a sélectionné pour Trois Couleurs
trois clichés d’artistes mobiles autour du thème
« Jeux d’enfant ». Le Mobile Camera Club expose
actuellement les œuvres de photographes mobiles
dans les halls de quatre cinémas MK2.

Ci-dessus à gauche :
Leny Bagshop, Pyramide, 2015

Ci-dessus à droite :
Chulsu Kim, Shabondama, 2014

Ci-contre :
Andrea O’Reilly, Summa Slumba, 2015

« Avatars #Autoportraits »,
jusqu’au 30 septembre à la galerie
Mobile Camera Club (56, rue la Bruyère –
Paris IXe) et dans les MK2 Bibliothèque,
Bibliothèque (entrée BnF), Quai de
Seine et Quai de Loire

106 septembre 2015


www.troiscouleurs.fr 107
108 septembre 2015

You might also like