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Stratégie des systèmes d’information

Robert Reix

Mots-clés : agilité stratégique, alignement stratégique, avantage concurrentiel, cohérence, com-


pétences distinctives, fit stratégique, intégration fonctionnelle, planification SI, portefeuille d’ap-
plications.

Résumé : l’évolution profonde des usages des technologies de l’information dans et entre les
organisations impose le recours à une réflexion de nature stratégique; la gestion stratégique des
systèmes d’information peut être définie par son contenu: définition des activités et allocation
de ressources, et par son processus d’élaboration visant à respecter les impératifs de cohérence.
Le choix des emplois, conduisant à la définition du portefeuille d’applications, doit répondre aux
exigences de la stratégie générale en termes d’avantage concurrentiel et d’agilité stratégique.
Parallèlement, la gestion des ressources vise à développer les capacités de l’infrastructure tech-
nologique et à favoriser l’émergence de compétences distinctives, en particulier des utilisateurs.
L’évolution des usages vers le e-business impose le respect de l’impératif de cohérence dans les
différents domaines; le modèle de l’alignement stratégique précise les contraintes de cohérence
sous forme de fit stratégique et d’intégration fonctionnelle. Mais la mise en application de ce
modèle soulève des difficultés à la fois d’ordre théorique et pratique, difficultés non encore tota-
lement résolues par les recherches actuelles. La stratégie SI apparaît ainsi à la fois comme un
volet, souvent moteur, de la stratégie générale et comme une exigence permanente d’adaptation
aux variations de l’environnement.

C’est énoncer une vérité désormais banale de dire que l’avènement d’Internet vers les années quatre-vingt-dix
l’impact et le rôle des technologies de l’information ont déclenché une évolution beaucoup plus profonde
(TI) ont profondément évolué depuis le début de leur caractérisée par la reconception des processus de ges-
introduction dans les organisations. Confinées initia- tion (faire, vendre et gérer autrement), par la décons-
lement dans des rôles de back-office (automatisation de truction de la chaîne de valeur et la constitution de
processus administratifs de gros volumes tels que la nouveaux réseaux d’affaires autour de l’entreprise
paye ou la facturation), instruments d’aide à la déci- étendue, par le réaménagement du champ des activités
sion individuelle (systèmes interactifs, systèmes avec le développement du commerce électronique
experts…), supports du travail en groupe (collecti- sous ses différentes formes, par le recours accru à
ciels…), elles ont vu progressivement leur rôle s’éten- Internet (interface de contact, instrument transaction-
dre aux processus opérationnels fondamentaux nel, outil d’intégration) pour développer de nouveaux
(fabrication, gestion de la relation client…). Le déve- modèles d’affaires (Amami et Thévenot, 2000). Les
loppement technologique accéléré des systèmes de exemples de succès stratégiques, souvent cités dans la
communication vers les années quatre-vingt puis littérature spécialisée, concernent non seulement des
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entreprises anciennes (par exemple, American Airlines 1 Le contenu de la stratégie systèmes


et son système de réservation Sabre) mais aussi et sur- d’information: emplois et ressources
tout des entreprises nouvelles construisant leur straté-
Le contenu de la stratégie systèmes d’information
gie d’affaires sur les technologies d’information et de
découle des réponses apportées à une double question:
communication (Dell Computer, Amazon.com, e-
Bay, Google…). Même s’il a calmé quelque peu les – Pourquoi? Quels sont les objectifs que l’on doit assi-
délires médiatiques, l’éclatement de la bulle Internet gner aux systèmes d’information pour qu’ils puis-
n’a pas fondamentalement remis en cause le principal sent jouer leur rôle d’armes stratégiques ? Dans
enseignement de ces expériences multiples : les systèmes quels domaines, pour quelles activités, doit-on in-
vestir dans les technologies de l’information et dé-
d’information peuvent constituer des armes stratégiques effi-
velopper de nouveaux systèmes ou faire évoluer les
caces au service d’une stratégie d’affaires prédéfinie ou comme
réalisations actuelles pour améliorer la création de
déterminant de stratégies originales, totalement nouvelles.
valeur par l’entreprise ? Ce premier volet du con-
Dans ces conditions, leur gestion (c’est-à-dire la défini-
tenu concerne donc les emplois, c’est-à-dire la com-
tion de leurs objectifs, l’organisation de leurs éléments
position du portefeuille d’applications.
constitutifs et le contrôle de leur activité) ne saurait se
limiter à de simples questions d’efficience (entendue – Comment? Quels sont les moyens à utiliser pour que
généralement comme la minimisation de coûts admi- les objectifs envisagés puissent être atteints ? Com-
nistratifs) mais doit accéder au niveau de la réflexion ment choisir, organiser et développer les ressources
fondamentales indispensables à la construction et au
stratégique caractérisable selon plusieurs dimensions :
fonctionnement du portefeuille d’applications ainsi
– un enjeu significatif tant à la fois par les investisse- défini?
ments à réaliser (le poids relatif des investissements
informatiques tend à croître et atteint ou dépasse 1.1 Le choix des objectifs: portefeuille
souvent 50 % des investissements productifs) que d’applications et capacité stratégique
par la création de valeur potentielle envisageable Depuis 1985 (année de parution dans la Harvard Busi-
par l’entreprise; ness Review, de l’article pionnier de M. Porter et
– un caractère global c’est-à-dire correspondant à l’en- V. Millar: “How information gives you a competitive
semble des ressources mobilisables par l’entreprise, advantage”) s’est développée une révolution concep-
ressources dont on discute les emplois alternatifs ; tuelle dans la façon d’envisager le rôle des technologies
– un positionnement spécifique de l’entreprise dans sa re- de l’information. Selon cette nouvelle perspective, les
lation à l’environnement, correspondant à ses choix technologies de l’information ne sont plus considérées
produits-marchés en aval, ses choix technologiques seulement comme un support du fonctionnement de
de production en amont (bases technologiques), ses l’organisation mais aussi et surtout comme une res-
choix de partenariat (impartition, co-production, source stratégique capable de conférer à l’entreprise un
joint-ventures…); avantage concurrentiel durable. De même, l’analyse de
nombreux cas (Jelassi et Enders, 2004) confirme que
– une perspective de long terme dans le choix des modè- beaucoup d’entreprises ont réussi à améliorer forte-
les d’affaires et dans l’allocation de ressources fon- ment et durablement leur performance grâce à des
damentales, fondée sur l’adaptation permanente à choix pertinents relatifs à l’application des TI. Cepen-
des conditions fortement évolutives. dant, l’observation des expériences, passées et actuel-
L’objectif essentiel de toute stratégie est d’aboutir à les, montre que le succès n’est pas garanti, que le
un avantage concurrentiel difficilement contestable et risque d’échec existe et qu’il est donc indispensable de
donc, de garantir ainsi une profitabilité durable. bien comprendre comment les TI peuvent affecter
Comme toute gestion stratégique, le management positivement la création de valeur par l’entreprise en
stratégique des systèmes d’information peut être dé- liaison avec la définition de sa position stratégique.
fini par son contenu, en termes de choix d’activités et Cette explicitation des mécanismes par lesquels l’usage
d’allocation de ressources et par son processus d’élabora- des TI influe sur la performance de l’entreprise via ses
tion visant à respecter les impératifs de cohérence, fon- choix stratégiques peut être conduite selon deux pers-
pectives complémentaires :
damentaux à ce niveau de décision. Ces deux aspects
complémentaires de la stratégie des systèmes d’infor- – la contribution à la formation d’un avantage con-
mation seront successivement abordés dans les para- currentiel ;
graphes de ce chapitre. – le développement de l’agilité compétitive.
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La formation de l’avantage concurrentiel sens que si elle peut aboutir à une amélioration de la
par les technologies de l’information création de valeur dont une partie doit pouvoir être
Le développement d’applications spécifiques constitue conservée par l’entreprise sous forme de profit. Assez
la base d’un avantage compétitif dès lors qu’il est sus- souvent, des avantages notables sont obtenus par le
ceptible d’agir sur la dynamique des forces concurren- biais d’une déconstruction de la chaîne de valeur (Jelassi et
tielles (voir plus loin le modèle des forces Enders, 2004, p. 159), c’est-à-dire par la séparation des
concurrentielles) ; ainsi, implanter des systèmes activités physiques et des activités informationnelles.
d’information novateurs permet: L’entreprise conserve la maîtrise de la chaîne d’infor-
– de répondre avec succès aux concurrents actuels du do- mations et externalise la réalisation de certaines activi-
maine par la réduction des coûts : réduction des tés physiques pour lesquelles elle ne dispose pas de
coûts de conception par la conception assistée par compétences spécifiques (activités logistiques, fabrica-
ordinateur, de fabrication par amélioration de tion de composants banals, etc.). Ainsi, Dell Compu-
l’automatisation et du pilotage, de distribution par ters confie-t-il la logistique de distribution à UPS,
le recours à Internet, économies d’échelle par élar- utilise-t-il des moniteurs fabriqués par Sony mais con-
gissement de la base de clientèle… par des pratiques trôle complètement l’activité de vente directe et la ges-
de différenciation des produits ou des services tion de la relation client. En définitive, les systèmes
offerts: personnalisation autour d’une base stan- d’information bien conçus peuvent améliorer la créa-
dard, assistance à l’après-vente par hot-line, etc. tion de valeur de chaque activité et la façon d’exploi-
– d’améliorer le pouvoir de négociation vis-à-vis des clients , ter les liens entre activités à la fois à l’intérieur et à
soit en élargissant le marché — accès au marché l’extérieur de l’entreprise.
mondial via Internet, soit en éliminant certains in- L’amélioration de l’agilité compétitive
termédiaires (accès direct au client final), soit en par les technologies de l’information
augmentant les coûts de changement pour le client
L’analyse en termes de positionnement stratégique
(en lui offrant, par exemple, l’utilisation d’un logi-
nous permet de comprendre pourquoi une entreprise
ciel convivial de gestion de ses commandes…) ;
peut bénéficier d’un avantage concurrentiel à un ins-
– d’améliorer le pouvoir de négociation vis à vis des fournis- tant donné en ayant recours aux technologies de
seurs, en élargissant la base des appels d’offres (diffu- l’information; elle ne nous explique cependant pas
sion sur le Web) ou en ayant recours à des marchés pourquoi cet avantage serait durable. Le risque d’imi-
électroniques (plates-formes d’achat…); tation existe puisque les TI sont disponibles sur le
– de lutter contre la menace de nouveaux entrants par la marché et ce n’est qu’exceptionnellement que le pre-
baisse des coûts, l’amélioration du produit ou du mier innovateur dispose d’un avantage décisif : les
service, la création de barrières à l’entrée (dévelop- avancées sont continuellement remises en question.
pement d’un logiciel complexe de gestion de la rela- Aussi, semble-t-il nécessaire de privilégier le mouve-
tion client…); ment plus que la défense de position et d’accroître la
– de limiter la menace de produits ou services de substitu- flexibilité, la capacité de changement, l’agilité stratégi-
tion en améliorant le rapport performance-prix tout que. L’apport des systèmes d’information à cette stra-
en élargissant la gamme de produits offerts (recours tégie de mouvement peut s’opérer selon différents
à la «customisation de masse», effets des économies mécanismes:
de champ…). – les technologies de l’information sont un support
La référence à ce modèle bien connu de la dynami- de certaines formes de flexibilité stratégique (Reix,
que des forces concurrentielles (Porter, 1986) peut 1999) en améliorant les possibilités de reconfigura-
constituer la base d’un questionnement systématique tion des activités dans des réseaux de partenariat. Le
sur l’intérêt de développer de nouvelles applications développement de logiciels de coopération entre
pour aboutir à la formation d’un avantage concurren- organisations (supply chain management, échange de
tiel durable. Bien entendu, il importe ensuite d’esti- données informatisé, extranet…) permet de réduire
mer quel peut être l’impact de ces applications sur la les coûts de la coordination interorganisationnelle
chaîne de valeur de l’entreprise, tant pour ce qui con- (coûts de transaction) et favorise l’externalisation
cerne les activités de soutien (infrastructure, gestion des activités vers des partenaires multiples. L’émer-
des ressources humaines, développement technologi- gence d’entreprises étendues voire « virtuelles»
que, approvisionnement général) que les activités (Reix, 2002) confirme l’intérêt de concilier, grâce
principales (logistique amont, production, logistique aux technologies de l’information, les avantages de
aval, marketing et service après-vente). La modifica- la spécialisation (chaque partenaire se concentre sur
tion du positionnement stratégique envisagée n’a de ses compétences distinctives) et ceux de la coopéra-
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tion (souplesse apportée par la possibilité de chan- Elles reposent également sur l’existence de systèmes
gement de partenaires) ; de gestion de connaissances évolués permettant la
– les technologies de l’information sont des ressources capitalisation et le partage des expériences multiples
permettant le développement de capacités spécifi- acquises en différents points de l’organisation.
ques. En combinant, de manière originale, des res- Grâce à ce double capital évolutif de processus et de
sources en TI et des ressources humaines et finan- connaissances, l’entreprise accroît le répertoire de
cières dans des processus organisés (les routines), ses réponses potentielles, c’est-à-dire le nombre et la
l’entreprise constitue des capacités particulières (ca- complexité des actions qu’elle peut entreprendre
pacité à répondre à un appel d’offres, capacité de li- dans un intervalle de temps limité.
vrer en 48 heures…) grâce à l’émergence de compé- Bien entendu, les visions en termes d’avantage con-
tences produites par un apprentissage situé. Par currentiel ou d’agilité stratégique ne s’opposent pas
exemple, Dell Computers a développé la capacité mais se complètent. L’apport potentiel des TI est
spécifique de construire directement les produits à double: améliorer le positionnement stratégique d’une
partir de la demande du client et celle de concevoir part, accroître l’aptitude au changement d’autre part.
un marketing ciblé, en temps réel, au fur et à me- C’est en multipliant les perspectives d’analyse que
sure de l’arrivée des commandes (cité par Jelassi et l’entreprise, au cours des phases d’exploration, peut
Enders, 2004, p. 129). Les connaissances, partielle- plus facilement détecter les opportunités à saisir et les
ment tacites, qui se développent ainsi lors de l’utili- changements à opérer pour développer des applica-
sation d’applications nouvelles des TI sont difficile- tions créatrices de valeur.
ment imitables et se modifient en permanence. Ce
double caractère, non explicite et évolutif, est une 1.2 Le choix des moyens: développer
condition essentielle de la durabilité des avantages des ressources
acquis; La définition des applications à construire, à partir de
– les technologies de l’information sont une plate- leurs objectifs, constitue le premier élément de la stra-
forme pour l’agilité stratégique (Sambamurthy et al., tégie systèmes d’information. La mise en œuvre de ces
2003). L’agilité traduit la capacité de détecter puis applications (comme le fonctionnement des applica-
de saisir les opportunités en assemblant les actifs tions existantes) exige la mobilisation des moyens
nécessaires, les connaissances et les relations requi- matériels, logiciels, humains… nécessaires. Cette ges-
ses dans des délais limités. Cette agilité doit s’appli- tion des ressources doit assurer, en permanence, la dis-
quer aux clients, aux partenaires et aux opérations ponibilité de l’ensemble des composants à intégrer.
internes. En intégrant les TI avec les autres ressour- Elle s’applique à deux grands types de ressources :
ces dans les processus clés (relation client, fabrica- – l’infrastructure technologique, qui détermine la ca-
tion, approvisionnement…), en séparant les activi- pacité en technologie de l’information ;
tés physiques et les activités informationnelles – les compétences utilisateurs qui déterminent les
(déconstruction de la chaîne de valeur), l’entreprise conditions effectives des applications développées.
développe une plate-forme numérisée (digitized plat- Le développement de l’infrastructure: la capacité TI
form), ensemble de processus, de connaissances, im- L’infrastructure technologique est la base de la capa-
briqués dans des systèmes d’information, qui lui cité TI; elle inclut des éléments matériels (serveurs,
permet de s’adapter aux modifications de l’environ- réseaux…), logiciels (de service et d’application),
nement par des réactions rapides et cohérentes (pro- immatériels (connaissances techniques appliquées aux
motion de l’innovation vers les clients, mobilisa- matériels et logiciels et aussi connaissances managéria-
tion accrue des partenaires, efficience plus grande les). La capacité TI, délivrée par cette infrastructure
des processus internes). Les TI parce qu’elles consti- technologique correspond à un ensemble de services
tuent la base de compétences spécifiques, sans cesse généraux, partageables par l’ensemble des applica-
actualisées, sont une source d’options stratégiques, qui tions. Ces services incluent, plus particulièrement : la
confèrent ainsi à l’entreprise la possibilité de saisir gestion des réseaux de communication (internes et
et d’exploiter, dans le futur, un plus grand nombre externes), la fourniture des puissances de traitement
d’opportunités que ses concurrents. Ces options nécessaires, les possibilités d’utilisation des bases de
étendues reposent d’abord sur une maîtrise de pro- données partageables, la gestion des logiciels de base,
cessus informatisés, internes et externes, réassem- la gestion des standards, les méthodologies de concep-
blables sous des formes variées ; par exemple, e-Bay tion et de développement d’applications, la veille
combine processus de commande, processus de technologique dans le domaine des TI…
paiement, processus d’expédition dans son système Pour fournir ces services, les responsables de la ca-
d’intermédiation mobilisant différents partenaires. pacité TI utilisent les différents composants de l’in-
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frastructure technique (serveurs, réseaux et logiciels – flexibilité d’évolution (Reix 1999) liée à la possibi-
associés) et mobilisent les compétences de spécialistes. lité de mobiliser des ressources importantes pour la
Le ciment qui relie tous ces composants pour produire maintenance évolutive et l’intégration de nouveaux
les services demandés correspond au corps des con- systèmes;
naissances incorporées dans la ressource humaine. La – recentrage sur le métier de base…
capacité TI apparaît donc comme une ressource : Très variée dans ses modalités contractuelles comme
– stratégique car indispensable à la réalisation des ap- dans les périmètres qu’elle recouvre (exploitation,
plications cibles; maintenance, conception-développement d’applica-
– peu imitable car découlant d’une imbrication parti- tions, gestion de réseaux…) séduisante dans son prin-
culière d’actifs matériels et d’actifs humains, grâce à cipe, cette externalisation comporte cependant des ris-
des connaissances non totalement explicitées ; ques importants: risque de défaillance du partenaire,
– d’évolution relativement lente car liée, en partie, à des risque de dépendance pour le renouvellement du con-
phénomènes d’apprentissage dans l’organisation. trat, perte de la maîtrise de compétences technologi-
La gestion de cette ressource doit satisfaire des critè- ques dans l’entreprise. Il s’agit donc d’une décision stra-
res qui ne sont pas obligatoirement compatibles : tégique cruciale à long terme, difficilement réversible,
– critère d’efficience: minimiser les coûts de mise en qui ne doit pas découler d’effets de mode mais être le
œuvre et de fonctionnement ; fruit d’une analyse approfondie identifiant, en particu-
– critère de sécurité: assurer la permanence du service, lier, les compétences clés (associées aux métiers actuels
protéger des risques d’erreur, de fraude; et futurs de l’entreprise) et les activités potentiellement
– critère d’évolutivité: répondre rapidement aux nou- externalisables.
veaux besoins et intégrer, en permanence, les solu- Le développement des compétences utilisateurs
tions nouvelles proposées par les offreurs de L’histoire des systèmes d’information dans les organi-
technologie; sations révèle de profonds changements quant à la
– critère d’efficacité: contribuer à la performance de définition du rôle des utilisateurs dans la mise en
l’entreprise par une affectation judicieuse des inves- œuvre des TI:
tissements. – durant la période antérieure à 1980, la conception
Pour assurer la satisfaction de ces critères, les déci- dominante était celle de l’utilisateur passif devant
sions stratégiques concernent la nature des moyens à appliquer strictement les procédures définies par
utiliser (petits ou gros serveurs…), le niveau de capa- des spécialistes supposés compétents ;
cité à viser (être capable de faire face aux pointes d’uti- – dans les années quatre-vingt, l’irruption brutale de
lisation), le niveau de sécurité à garantir (adapter le la micro-informatique a révélé la capacité d’initia-
coût de la sécurité à l’importance du risque à couvrir), tive des utilisateurs autonomes, capables de créer
les innovations à adopter (avec de délicats problèmes des solutions adaptées à leurs problèmes, parfois de
de compatibilité entre les générations d’outils et de façon anarchique;
standardisation), les compétences technologiques à – à partir des années quatre-vingt-dix, un certain équi-
maîtriser (dans un domaine où il y a souvent pénurie libre s’établit. Les expériences réussies ont claire-
de spécialistes et également obsolescence rapide des ment montré le rôle majeur de la compétence des
connaissances). utilisateurs comme ressource clé du développement
Compte tenu des difficultés inhérentes à cette ges- de l’organisation et de sa capacité stratégique mais
tion de l’infrastructure TI, de nombreuses entreprises aussi l’intérêt d’encadrer et d’assister les apprentissa-
ont choisi d’externaliser, c’est-à-dire de confier à un ges sur lesquels cette compétence se fonde.
tiers (société de service spécialisée), qui s’engage sur La capacité TI effective (et non seulement poten-
des objectifs et refacture à l’entreprise, la gestion des tielle) repose sur la combinaison adéquate de trois en-
ressources matérielles et logicielles ainsi que celle du sembles de ressources : l’infrastructure technologique,
personnel informatique. Cette cession contractualisée le portefeuille d’applications, les compétences des uti-
(sous différentes variantes : outsourcing, infogérance, fa- lisateurs. Ces compétences spécifiques sont issues du
cilities management…) obéit à des motifs variés (Fimbel processus d’appropriation de la technologie: au cours
2003): de ce processus émergent de construction, l’utilisateur
– baisse des coûts de fonctionnement, fondée sur les intègre, à des degrés divers, le recours à l’outil (maté-
économies d’échelle et la spécialisation; riel et logiciel) dans son mode opératoire ; il peut, seul
– volonté de bénéficier en permanence des meilleures ou en collaboration avec d’autres utilisateurs, faire
solutions disponibles sur le marché de la technolo- évoluer ce mode opératoire en fonction des propriétés
gie et des compétences associées ; de l’outil qu’il découvre par un usage répété dans les
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tâches constitutives de son métier. Cet apprentissage d’information, la compétence des utilisateurs, leur
individuel se combine avec un apprentissage collectif capacité à exploiter les ressources potentielles des TI
aboutissant à l’émergence de nouvelles compétences apparaît bien désormais comme une ressource distinc-
collectives liées, en particulier au développement de tive fondamentale (durable, peu imitable) et donc un
capacités relationnelles dans l’entreprise et entre entre- élément majeur de la gestion stratégique des systèmes
prises. Ces compétences particulières, qui combinent d’information.
savoirs du métier, savoirs de management et maîtrise En conclusion, la définition de la stratégie conduit
des TI dans des formules parfaitement contingentes, donc, d’une part au choix des activités, c’est-à-dire à la
n’apparaissent pas de manière complètement sponta-
proposition d’un portefeuille d’applications et d’autre
née : leur qualité dépend de la qualité et de l’intensité
part au choix des moyens donc à la proposition de dé-
de l’apprentissage individuel et collectif. Par consé-
veloppement des ressources fondamentales que sont
quent, au même titre que le portefeuille d’applications
l’infrastructure et les compétences utilisateurs. Mais
et que l’infrastructure, la compétence utilisateurs
comme le souligne K.H. Mac Donald (in M.S. Scott-
constitue un objet de gestion stratégique des SI, une
Morton, 1991, p. 310): «le véritable objectif doit être de
ressource à maintenir et à développer.
construire une structure organisationnelle (avec les ressources
Ce développement découle de la combinaison de adéquates) et des processus internes, convenablement définis,
deux modalités d’apprentissage: qui reflètent à la fois la stratégie de l’organisation et les possi-
– un apprentissage formalisé, incorporé dans des logi- bilités des technologies de l’information que cette organisation
ciels : ces derniers correspondent à des « réservoirs» a choisi de développer». Émerge donc un impératif de co-
de connaissances nouvelles, souvent inspirées des hérence dans la construction des choix. C’est cet im-
meilleures pratiques du domaine. Cette forme est pératif de cohérence qui constitue le problème majeur
parfaitement contrôlable mais peut parfois ne pas du processus d’élaboration de la stratégie.
traduire parfaitement les exigences spécifiques du
contexte ni répondre immédiatement à l’évolution
des besoins; 2 Le processus d’élaboration de la
stratégie SI: l’impératif de cohérence
– un apprentissage par expérimentation où l’utilisa-
teur apprend, par essais-erreurs, improvisation… Élaborer une stratégie, c’est concevoir un futur désiré
dans ses interactions avec la technologie et les et les moyens d’y parvenir. Ce processus d’élaboration
autres acteurs. Cette forme est liée directement à ou planification doit aboutir à un ensemble de choix
l’utilisation autonome de la technologie (qui doit cohérents car, malgré ses dimensions multiples, la stra-
offrir une certaine flexibilité interprétative) et dé- tégie reflète l’identité et l’unicité de l’entreprise. La
pend donc étroitement de l’attitude et de la motiva- stratégie des systèmes d’information ne constitue
tion des utilisateurs. qu’un aspect de la stratégie générale et doit s’articuler
La gestion stratégique de la ressource peut alors être avec toutes les autres composantes de cette vision uni-
orientée selon trois directions complémentaires : taire du futur (choix des domaines, des marchés, des
modes de distribution, de production, de partena-
– la création d’un climat général favorable à l’utilisa-
riat…). Dire que ces groupes de choix doivent être
tion des TI (affirmation d’une vision partagée sur le
cohérents signifie qu’il faut éviter les effets antagonis-
rôle des TI, culture de l’échange d’informations,
respect de l’autonomie…) ; tes et rechercher, au contraire, les effets de renforce-
ment, de synergie, entre des ensembles de décisions
– l’action sur le niveau de connaissances et sur les at-
non indépendantes selon une logique d’optimisation
titudes individuelles par la formation (au-delà de la
globale (dans la plupart des cas, l’optimum global
formation limitée à la manipulation des comman-
n’est pas la somme des optima locaux). Cette recher-
des indispensables à la stricte conduite de l’opéra-
che de mise en cohérence est l’un des objets majeurs
tion standard);
des processus (formalisés ou émergents) de planifica-
– la stimulation de la créativité des utilisateurs, non tion stratégique. Pour ce qui concerne les systèmes
seulement pendant la phase de conception des ap- d’information, la mise en cohérence repose sur un
plications mais également pendant l’utilisation modèle «d’alignement stratégique » qui sera présenté
(amélioration de la maîtrise technologique, assis- dans un premier point. Mais si ce modèle de processus
tance, encouragements aux comportements inno- fournit des directions de solution, son application
vants…). concrète se heurte à des difficultés non encore com-
Même si une partie importante de son développe- plètement résolues, comme nous le montrerons dans
ment se réalise lors de la construction des systèmes un second point.
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Stratégie des systèmes d’information 1475

2.1 Le principe de l’alignement stratégique – celui des systèmes d’information, à orientation in-
Si de très nombreux auteurs ont abordé la question de terne, recouvrant les choix d’architecture (le porte-
la cohérence entre stratégie des systèmes d’informa- feuille d’applications et l’infrastructure technologi-
tion et stratégie générale, la vision la plus complète du que : matériels, logiciels, données), la définition des
problème a été proposée par le modèle de l’aligne- processus de développement, de maintenance et de
ment stratégique définissant à la fois les concepts clés contrôle des systèmes en place, l’acquisition, le
et le processus de mise en cohérence. maintien et le développement des compétences et
connaissances indispensables pour la mise en œu-
Le modèle de l’alignement stratégique
vre et l’utilisation des SI développés.
Présenté à l’origine par Henderson et Venkatraman
(1993), ce modèle repose sur deux propositions À partir de ce schéma de base, le modèle de l’aligne-
fondamentales: ment stratégique propose de construire la cohérence
des choix selon deux dimensions complémentaires :
– la performance économique de l’entreprise est
fonction directe de la capacité du management à – l’accord stratégique (strategic fit) ou alignement entre les
réaliser un accord stratégique (strategic fit) entre le domaines externes et les domaines internes. Ainsi
choix d’une position de l’entreprise dans le do- doit-il y avoir cohérence entre le positionnement de
maine concurrentiel (produit-marché) et la concep- la stratégie d’affaires et la conception de l’organisa-
tion d’une organisation adéquate pour supporter tion d’une part et également cohérence entre la stra-
cette position. Les choix stratégiques dans le do- tégie TI (externe) et les systèmes d’information (en
maine externe et ceux du domaine interne doivent interne) d’autre part. Si la première exigence de co-
être cohérents; hérence est relativement bien connue des managers,
la seconde présente un caractère nettement plus no-
– cet accord stratégique est de nature essentiellement
vateur qui limite, encore aujourd’hui, sa prise en
dynamique: ce n’est pas un événement ponctuel
considération dans les démarches de planification.
(ou un résultat définitif) mais, au contraire, un pro-
cessus d’adaptation continue et de changement. – l’intégration fonctionnelle: cette seconde dimension
de la cohérence correspond à l’impératif d’intégrer
La problématique de l’alignement (mise en cohé-
le domaine d’affaires et le domaine des technolo-
rence) consiste alors à rechercher la cohérence des
gies de l’information à deux niveaux. D’une part, en
choix relatifs à quatre domaines (figure 1):
assurant la compatibilité des choix entre la stratégie
– celui de la stratégie d’affaires : positionnement de
d’affaires et la stratégie TI (en particulier, voir com-
l’entreprise en termes de produits-marchés, défini-
ment les choix relatifs aux TI conditionnent, sou-
tion des compétences distinctives et des métiers,
tiennent ou contrarient les choix du domaine
construction des réseaux d’affaires (partenariats,
d’affaires); d’autre part en veillant à la cohérence
alliances…);
des choix internes, entre conception de l’organisa-
– celui de la conception de l’organisation qui recou-
tion et conception des systèmes d’information
vre le choix d’une structure administrative (décou-
(comment les processus d’affaires sont-ils supportés
page en unités, hiérarchie, spécialisation, centralisa-
par les systèmes actuellement en fonctionnement ?).
tion…) et la définition des processus d’affaires
Si la partie interne de l’intégration fonctionnelle est
(développement de produits, gestion de la relation
relativement bien connue, la partie externe (cohé-
client, gestion de la qualité, logistique d’approvi-
rence entre stratégie d’affaires et stratégie TI) corres-
sionnement, etc.);
pond à une problématique relativement nouvelle.
– celui de la stratégie des technologies de l’informa-
tion correspondant au positionnement de l’entre- Sur les bases de ce modèle d’alignement, il est pos-
prise par rapport au marché (amont) des technolo- sible de définir des logiques de mise en cohérence cor-
gies de l’information. Ce domaine, à orientation respondant à des processus d’alignement.
externe, recouvre trois ensembles de choix: l’éten- Le processus de mise en cohérence
due du domaine technologique (quelles sont les Le processus d’alignement consiste à exploiter les rela-
technologies accessibles présentant un intérêt pour tions entre les différents domaines pour améliorer la
l’entreprise? leur portée et leur richesse potentielle cohérence des choix. Rappelons que cet alignement
de services?), les compétences requises pour assurer est un processus d’adaptation continue et non une
une utilisation satisfaisante (fiabilité, rapport per- situation d’équilibre que l’on peut juger satisfaisante à
formance-coût, flexibilité,…), les mécanismes de un instant donné. Par conséquent, la performance à
gouvernance pour la sélection et l’usage des techno- attendre de l’emploi des TI dépend pour beaucoup de
logies envisagées (alliances, externalisation, licences la capacité de l’organisation à adapter en permanence
d’exploitation…); des choix multiples aux variations de différents déter-
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1476 II/4 Les systèmes d’information et l’organisation

Stratégie d’affaires Stratégie TI


Produits-marchés Domaine technologique
Compétences distinctives, (reach and range),
réseaux d’affaires, compétences,
stratégies génériques modes de gouvernance

Systèmes d’information
Organisation
Architecture,
Infrastructure
portefeuille d’applications,
administrative
processus
Processus d’affaires,
de développement,
processusmanagériaux
contrôle

Figure 1 Le modèle de l’alignement stratégique (d’après Henderson et Venkatraman, 1993)

minants (action de la concurrence, innovation techno- (c’est-à-dire les différentes applications à développer
logique, pression de l’environnement politique ou ou à modifier) et les ressources correspondantes à en-
écologique…) et ceci dans des délais satisfaisants. gager (ressources technologiques et managériales) se-
L’alignement peut ainsi être vu comme une succession lon un calendrier de réalisation. Traditionnellement,
continuelle de différents co-alignements. Chaque co- les méthodes de planification des SI étaient plutôt
alignement peut être caractérisé par trois domaines : conçues pour assurer l’intégration fonctionnelle in-
un domaine d’ancrage qui déclenche et pilote le chan- terne (par exemple, la méthode Business Systems Plan-
gement, un domaine pivot, intermédiaire, où est mis ning fondée sur l’analyse des processus de gestion) ou,
en œuvre le changement initial et un domaine au mieux, le co-alignement de type « exécution de la
d’impact correspondant à l’objet principal du change- stratégie» (par exemple, méthode des facteurs clés de
ment. succès définissant les SI nécessaires au succès des
Par exemple, un co-alignement de type «exécution choix stratégiques). L’exigence de cohérence globale
de la stratégie d’affaires» est ancré par les choix de la appuyée sur des co-alignements variés implique une
stratégie d’affaires; il déclenche des besoins de change- évolution profonde des méthodologies de planifica-
ments organisationnels (domaine pivot) qui vont à tion (Chokron et Reix, 1987), un véritable renverse-
leur tour justifier la mise en place de nouveaux systè- ment de leur logique traditionnelle. Finalement,
mes d’information (domaine d’impact). Un co-aligne- quelle que soit la démarche de planification adoptée,
ment de type «développement d’un avantage concur- l’analyse stratégique des apports potentiels des TI et
rentiel fondé sur les TI» a son domaine d’ancrage dans de leurs modes de gouvernance constitue un préalable
la stratégie TI; il entraîne une modification des choix indispensable: stratégie d’affaires et stratégie des systè-
de la stratégie d’affaires (domaine pivot) qui justifie des mes d’information doivent être construites de manière
changements dans l’organisation (modèle d’impact). interdépendante. Mais l’application de ce principe,
Ces co-alignements ne constituent que la partie initiale simple en apparence, ne se réalise pas sans difficultés.
du processus d’adaptation car les changements opérés
dans le domaine d’impact justifient généralement des 2.2 Les difficultés de la mise en œuvre
ajustements dans les autres domaines (par exemple les On notera tout d’abord que le modèle de l’alignement
modifications de l’organisation entraînent la mise en stratégique a été contesté dans son principe même.
place de nouveaux systèmes d’information ou l’adap- S’appuyant sur l’observation de plusieurs entreprises,
tation des systèmes actuels). mettant en évidence le caractère rudimentaire voire
Concrètement, le processus d’alignement stratégi- inexistant des pratiques de planification, certains
que s’incarne dans les différentes démarches de plani- auteurs nient la réalité d’une stratégie planifiée, affir-
fication, en particulier dans la planification des ment le caractère émergent et opportuniste des choix
systèmes d’information. Celle-ci a pour objet essentiel stratégiques généraux comme de ceux appliqués aux
de traduire la stratégie systèmes d’information dans un systèmes d’information, considèrent qu’il y a indépen-
schéma directeur qui décrit les objectifs à atteindre dance des processus de développement des différents
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Stratégie des systèmes d’information 1477

domaines et, par conséquent, dénient toute représen- SI (les progiciels intégrés ne couvrent pas toutes les
tativité au modèle. Mais, même si l’on reconnaît la fonctions et ne sont d’ailleurs qu’exceptionnellement
validité de ses principes, la mise en œuvre effective du implantés dans leur totalité). En outre, pour des raisons
modèle se révèle délicate en raison de plusieurs types de sécurité, de coût ou de compétences disponibles,
de difficultés. L’amélioration des démarches de mise l’entreprise peut être amenée à renoncer à des change-
en cohérence apparaît désormais comme un pro- ments radicaux dans son infrastructure technologique
gramme de recherche prometteur. et se limiter à des changements incrémentaux corres-
pondant à des modifications jugées «urgentes». Les ali-
L’origine des difficultés
gnements visés ne se révèlent pas obligatoirement réa-
Parce qu’elle postule l’interdépendance de quatre listes.
domaines d’action, la mise en œuvre d’une stratégie
des systèmes d’information pertinente et cohérente est Causes intrinsèques à l’objectif de cohérence ensuite
nécessairement complexe. À cette cause de caractère Il n’existe pas de théorie universelle de la cohérence!
général se superposent deux autres séries de difficultés Si, a posteriori, on peut considérer comme cohérents
tenant, d’une part, aux spécificités du domaine des des ensembles de choix (relatifs à la stratégie d’affaires,
systèmes d’information et, d’autre part, à la nature à la stratégie TI, à l’organisation, aux systèmes d’infor-
même de l’objectif de cohérence. mation) qui ont abouti à une performance satisfai-
sante, on ne dispose pas à l’heure actuelle de modèles
Causes inhérentes à la nature même des systèmes
d’information tout d’abord prédictifs permettant de qualifier, a priori, un ensemble
de décisions comme cohérentes, c’est-à-dire dépour-
Comme nous l’avons indiqué ci-dessus, la stratégie SI
vues d’effets antagonistes et porteuses d’effets synergé-
débouche sur la réalisation d’applications créatrices de
tiques. Les tentatives de qualification du fit stratégique
valeur. Cette réalisation repose sur une définition cor-
ou de l’intégration fonctionnelle entre deux domaines
recte des besoins (informationnels et organisationnels)
(intégration stratégie-structure, accord stratégie TI-stra-
à satisfaire. Or, cette phase cruciale est, de manière
tégie d’affaires, intégration organisation-systèmes
générale, soumise à des écarts, bien connus, de formu-
d’information…), selon des modalités de traitement
lation, de communication, de conception et de tra-
variées (modération, corrélation, médiation, déviation
duction en logiciels qui font qu’entre l’idée initiale de
de profil…) n’ont, jusqu’à maintenant, produit que
l’application (au niveau stratégique) et la réalisation
des résultats peu convaincants (Chan et al., 1997, Ber-
effective peuvent apparaître des différences sensibles,
geron et al., 2001). La cohérence est, par sa nature
tant au niveau des fonctionnalités qu’à celui des per-
même, une réponse contingente que l’entreprise cons-
formances obtenues. En outre (cas fréquent), quand il
truit en fonction de ses ressources et de sa lecture de
y a véritable innovation technologique, les difficultés
l’environnement; on peut à la fois observer que des
s’accroissent en raison de l’incapacité des utilisateurs à
solutions distinctes conduisent à des niveaux de per-
imaginer les usages efficaces d’une technologie qu’ils
formance sensiblement identiques et, qu’à l’inverse, la
ignorent et de la tendance des spécialistes à surestimer
transposition, sans précautions, de formules réussies
les potentialités d’un nouvel outil. Pour ces différentes
peut conduire à l’échec. La capacité d’anticipation et
raisons, la stratégie réalisée (correspondant à la techno-
l’expression d’une vision claire au plus haut niveau
logie en usage effectif) et la stratégie planifiée (corres-
semblent indispensables pour inspirer cette concep-
pondant à la technologie adoptée initialement)
tion contingente de la cohérence.
peuvent se révéler sensiblement différentes.
La stratégie systèmes d’information est, pour une Les directions de solution
part importante, contrainte par l’existant. Le porte- L’amélioration de la capacité des entreprises à formu-
feuille des applications correspond à une accumulation ler puis implanter des stratégies SI adéquates est
progressive de systèmes d’information développés à des recherchée dans deux directions : théorique et prati-
époques différentes, sur des matériels différents, dans que.
des langages différents avec des méthodologies diffé- Au plan théorique, sans prétendre proposer une
rentes. Cet héritage encombrant impose des contrain- théorie explicative de la cohérence, les recherches ac-
tes de compatibilité entre les nouvelles applications et tuelles ont pour objectif essentiel le repérage et la ca-
les anciennes et limite, dans une certaine mesure, ractérisation des stratégies observables en liaison avec
l’étendue des choix parce que les modifications à envi- le niveau de performance. Par exemple, Saberwal et
sager sont parfois impossibles à réaliser dans les délais Chan (2001) ont essayé, à partir de la typologie des
impartis. L’introduction accélérée des progiciels inté- stratégies d’affaires (proposée à l’origine par Miles et
grés de gestion (Enterprise Ressource Planning) n’a pas éli- Snow) en défendeurs, prospecteurs, analyseurs, de
miné totalement ce problème de cohérence interne aux qualifier des profils d’utilisation des technologies de
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1478 II/4 Les systèmes d’information et l’organisation

l’information: d’une part, par l’importance relative de conduisent au succès et sous quelles conditions la for-
quatre types de systèmes développés (supports opéra- mule est transposable à d’autres entreprises et applica-
tionnels, systèmes d’information marketing, systèmes ble dans le futur.
d’aide à la décision stratégique, systèmes interorgani- Sur un plan plus pratique, d’autres recherches se
sationnels), d’autre part, par les critères d’efficacité re- consacrent à l’amélioration des processus organisa-
tenus (efficience, flexibilité, exhaustivité). Ces profils tionnels d’alignement. Ainsi, par exemple, Reich et
d’utilisation (qui traduisent en partie la stratégie SI) Benbasat (2000) considèrent-ils que l’alignement peut
sont ensuite rapprochés des niveaux de performance être caractérisé selon deux dimensions : une dimen-
observés. L’étude montre des régularités intéressantes sion intellectuelle (la qualité des plans stratégiques
(pour les prospecteurs, la performance est associée à dans le domaine d’affaires et dans le domaine des TI)
des choix SI orientés flexibilité alors que pour les et une dimension sociale (compréhension et engage-
défendeurs elle est associée à des choix orientés effi- ment réciproques des cadres responsables des métiers
cience…) et elle confirme qu’alignement et perfor- et des cadres responsables des systèmes d’informa-
mance sont liés, selon des modalités différentes en tion). Leurs études confirment le rôle majeur des con-
fonction des catégories de stratégies d’affaires ; il sem- naissances partagées entre les deux catégories d’acteurs
ble, par exemple, que l’importance de l’impact de l’ali- et le poids déterminant des pratiques de communica-
gnement sur le niveau de performance soit moins tion lors du processus de planification. L’objectif est
forte dans le cas des stratégies de type défendeurs. En double: il s’agit d’abord d’obtenir un alignement de
outre, les résultats suggèrent qu’il ne s’agit pas seule- court terme, c’est-à-dire une compréhension mutuelle
ment de piloter le niveau des investissements en TI et un accord sur des objectifs immédiats et, ensuite,
comme le font parfois les praticiens (en se référant à un alignement de long terme, c’est-à-dire une vision
des ratios du secteur d’activité) mais de gérer avec soin commune du rôle des TI et de l’importance des SI
la nature même (le type) des systèmes à mettre en dans la conduite de l’entreprise. De nombreuses autres
place. Selon la même logique d’approche, Bergeron et études soulignent également l’importance du rôle des
al. (2004) caractérisent des formes de co-alignement acteurs clés, en particulier celui de la direction des sys-
entre les quatre domaines et confirment l’impact de la tèmes d’information (Lapon, 1999) dans la réussite des
qualité de l’alignement sur la performance de l’entre- processus de mise en cohérence. Si le modèle de l’ali-
prise. L’alignement est repéré sous formes de combi- gnement stratégique semble ignorer la problématique
naisons de co-alignements partiels (en accord ou en de la contribution des acteurs, il n’en est pas moins
conflit) correspondant à des formes (patterns, gestalt) de vrai que le succès de son application concrète repose
choix relatifs aux quatre domaines. L’analyse empiri- sur la collaboration effective de nombreux partici-
que, portant sur cent dix entreprises de petite taille, pants. Parce qu’il est de nature fondamentalement
permet de repérer des formes qui ont réussi. Ainsi, le contingente (tout au moins dans l’état de nos connais-
groupe des entreprises les plus performantes présente- sances actuelles), le succès de l’alignement, qui est en
t-il des caractéristiques communes importantes : «ces même temps le succès de la stratégie SI, repose, pour
organisations ont agi stratégiquement en consacrant du une large part, sur la capacité de l’organisation à mobi-
temps et de l’argent à l’analyse des données sur leur perfor- liser efficacement un ensemble de connaissances va-
mance passée et actuelle, cherchant à identifier des tendances riées dans un processus d’apprentissage collectif fait, à
et à prévoir le futur et étant proactives vis-à-vis des nou- la fois d’exploitation et d’exploration, conduisant à
veaux marchés et des nouveaux produits. Elles ont parallèle- l’émergence de compétences distinctives tant au plan
ment adopté une structure organisationnelle complexe où les individuel qu’au plan collectif.
tâches sont fortement formalisées, spécialisées et différenciées
verticalement. De plus, leur stratégie TI met un fort accent
3 Conclusion
sur l’exploration de l’environnement et sur l’usage stratégique
des TI de manière telle que leur portefeuille d’applications soit Comment une organisation peut-elle effectivement
pleinement justifié en termes de profitabilité, coût-efficacité et traduire les investissements consacrés aux technolo-
priorités organisationnelles. Finalement, associée à de hauts gies de l’information en une performance accrue, en
niveaux de croissance et de profitabilité, on observe une fonc- termes de productivité, de parts de marché, de profita-
tion TI structurée pour que le personnel spécialisé applique bilité ou de tout autre indicateur d’efficacité? Cette
des méthodologies systématiques et complètes pour l’implan- question fondamentale, qui est au cœur des débats sur
tation et le management des technologies de l’information…» la stratégie des systèmes d’information, n’a pas encore
(Bergeron et al., 2004, p. 1013-1014). À partir de ce repé- reçu de réponse définitive. Cependant, à partir des
rage initial de «formes idéales d’alignement », la re- réflexions des chercheurs comme des expériences des
cherche va consister à expliquer pourquoi ces formes praticiens, quelques certitudes commencent à s’impo-
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Stratégie des systèmes d’information 1479

ser et nous souhaiterions rappeler, en conclusion, les un combat permanent. L’invention d’une forme d’ali-
deux plus importantes à nos yeux. Tout d’abord que la gnement stratégique réussi ne garantit pas la pérennité
performance n’est pas liée de manière directe à l’inten- de la performance. De plus en plus proches du mar-
sité de l’investissement en TI mais passe par des com- ché, du client, des partenaires… avec le développe-
binaisons de ressources variées et est très dépendante ment continu du e-business, les systèmes d’information
des emplois choisis. Ceci condamne à l’inefficacité les sont exposés de plus en plus aux turbulences de l’envi-
stratégies autonomes de certaines directions informati- ronnement et les choix stratégiques qui les concernent
ques pour qui le succès se mesure au seul volume des doivent être continuellement questionnés et éventuel-
investissements «arrachés» à la direction générale. En lement remis en cause. Même si la plupart des diri-
la matière, comme nous espérons l’avoir montré, cette geants préfèrent des évolutions sous forme
autonomie stratégique n’a plus de sens aujourd’hui : la d’équilibres ponctués (modifications importantes
stratégie SI est un volet, souvent moteur, d’une straté- périodiques séparées par de longs intervalles de stabi-
gie globale, seule capable d’assurer la cohérence indis- lité), les conditions actuelles montrent que flexibilité
pensable. Ensuite, que la recherche de la cohérence est et changement sont les clés du succès durable.

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