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2. Cf. Xavier Ternisien, La France des mosquées, Albin Michel, Paris, 2002.
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3. Cf. Abdou Filali-Ansary, L’islam est-il hostile à la laïcité ?, Sindbad-Actes Sud, 2002.
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qu’elle est venue harmoniser, alors que c’est par la mise en pratique de Ses attri-
buts, comme la Justice, la Sagesse, la Miséricorde, l’Amour, etc., que Dieu se
révèle à nous.
On ne peut donc comprendre la sharia qu’en la replaçant dans le cadre de
ces trois principes indivisibles et complémentaires que sont l’islam (la loi),
l’iman (la foi), l’ihsan (excellence), fondements de la religion.
Si la loi est le cadre extérieur dans lequel se situe le message mohammédien,
la foi, la lumière qui vient nous éclairer intérieurement sur les signes qui témoi-
gnent de cette réalité divine dans la création, l’excellence (ihsan), elle, est ce qui
nous invite à vivre et à réaliser la plénitude du message. C’est l’expérience
intime, profonde et réelle qui fait de nous des témoins vivants et privilégiés.
Cette réalisation devient effective en nous par la vision, la contemplation et la
certitude ; nul doute n’est permis.
Cette expérience transforme radicalement l’être dans sa façon de voir, d’en-
tendre, de parler, de penser et d’agir. C’est le rattachement à l’essentiel du
message, au tawhid, principe de l’unité divine, le point de départ de toute expé-
rience, la continuité de son évolution et sa finalité. L’homme découvre la vérité
subtile inscrite dans la création par une approche positive d’éveil à travers ses
propres sens. Un hadith le définit comme suit : « Adore Dieu comme si tu Le
voyais, car sache que si tu ne Le vois pas, Lui te voit. »
Tout regard vers le beau me révèle la beauté du divin. Et derrière chaque
apparence se cache une subtilité. Tout ce qui m’entoure m’invite à vivre et à
approfondir cet état :
« Il est le premier et le dernier, Celui qui est l’apparent et Celui qui est le
caché. Il connaît parfaitement toute chose »
(Coran, sourate 57, verset 3).
De ce fait, l’expérience au quotidien devient une relation permanente impré-
gnée de la présence du divin. D’ailleurs, dans un hadîth 4, Dieu dit : « J’aime
Mon serviteur et Mon serviteur M’aime. Quand il se rapproche de Moi d’un
empan, Je Me rapproche de lui d’une coudée, quand il vient vers Moi en
marchant, Je Me rapproche de lui en courant. Jusqu’à ce que Je sois son ouïe,
sa vue, sa parole... »
Outre-Terre : Que signifie le mot jihad ? Ce concept vous semble-t-il
actuel ?
C.B. : Le terme signifie l’effort sur soi, le combat intérieur livré par l’homme
à lui-même, à ses propres travers, en vue de la perfection dans la voie de Dieu.
5. Cf. Abû hâmid Muhammad al-Ghazâlî (1058-1111), De la revivification des sciences reli-
gieuses, Boulâq, 1296, I., p.13.
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pacte, comme l’on veut – qui consiste déjà en l’ébauche d’une véritable consti-
tution.
« Émanant de Mohammed lui-même, cette “constitution” englobe Arabes et
Juifs, autochtones et immigrés, clans et familles. Elle déclare expressément que
ces éléments hétérogènes, opposés jusque-là, doivent se fondre dans un tout
devant former une communauté unique, une “Umma”, selon le terme employé.
« Et de déclarer dans un des points de cette charte : [les Juifs formeront avec
les croyants une Umma ; aux Juifs leur religion et aux musulmans la leur […]
hormis celui qui aura opprimé ou commis un crime, auquel cas ne mériteront
d’être punis que lui-même et les gens de sa maison] 6. »
Cette ouverture et cette tolérance imprègnent, dès le début, l’islam et lui
impriment sa dynamique.
Certains versets du Coran le montrent clairement.
« Ceux qui croient, ceux qui suivent le judaïsme, les Chrétiens, les
Mazdéens, quiconque croit en Dieu et au jour dernier, effectuent l’œuvre
salutaire, ceux-là trouveront leur salaire auprès de leur Seigneur. Il n’est
pour eux de crainte à nourrir, et ils n’éprouveront nul regret. »
(Coran, sourate 2, verset 62).
Et
« Dites : “Nous croyons en Allah et à ce qui nous a été révélé, et en ce qui a
été descendu à Abraham, à Ismaël, à Isaac, à Jacob, aux chefs des douze
Tribus d’Israël et à leur descendance, et à ce qui a été donné à Moïse et à
Jésus, et à ce qu’ont reçu les prophètes, venant de leur Seigneur. Nous ne
faisons aucune distinction entre eux”. »
(Coran, Sourate 2, verset 136).
Quant à l’Abbé Michon dans son ouvrage intitulé Voyage religieux en
Orient, il met en évidence la pratique de cette tolérance religieuse : « Il a
exempté de l’impôt les patriarches, les moines, leurs serviteurs. Mohammed
défendit spécialement à ses lieutenants de tuer les moines, parce que ce sont des
hommes de prières. Quand Omar s’empara de Jérusalem, il ne fit aucun mal aux
chrétiens. Quand les Croisés se rendirent maîtres de la Ville sainte, ils massa-
crèrent sans pitié les Musulmans et brûlèrent les Juifs [Michaud, Histoire des
croisades]. Il est triste pour les nations chrétiennes que la tolérance religieuse,
qui est la grande loi de charité de peuple à peuple leur ait été enseignée par les
Musulmans. C’est un acte de religion que de respecter la croyance d’autrui et de
ne pas employer la violence pour imposer sa croyance. »
ristes, qui, petit à petit, tend à se répandre et à faire disparaître les différentes
façons de porter ce vêtement qui rappelait la culture spécifique et l’originalité
des coutumes de chaque pays.
Pour conclure, c’est le vêtement de la décence que l’islam préconise pour
l’homme comme pour la femme.
En niant les droits fondamentaux de la moitié de la société musulmane,
certains fondamentalistes vont jusqu’à interdire aux femmes, dans certains cas,
le droit à l’enseignement et au savoir sur lesquels l’islam a toujours
insisté. « Allez chercher la science jusqu’en Chine », souligne pourtant un
hadith. Un autre dit : « Le savoir est une obligation pour tout musulman et toute
musulmane ». Le Prophète de l’islam avait, lui-même, établi un jour spécial –
le lundi – pour débattre avec les femmes des questions spécifiques qui les
concernaient.
Jamais le Prophète n’a frappé, puni, humilié ou tué une femme. L’amour
qu’il avait pour les femmes, au-delà de ses épouses, est proverbial. N’a-t-il pas
dit : « Le paradis se trouve sous les talons de la mère » donc de la femme ?
« Lorsqu’il s’arrêta auprès de la tombe de sa mère en se rendant de Médine à la
Mecque, il pleura ; et lorsqu’on lui demanda la raison, il répondit : “ici se trouve
la tombe de ma mère, et le tendre souvenir de ma mère m’a envahi, et je pleure”.
Et lorsque sa vieille nourrice Halima vint lui rendre visite après de longues
années, il la serra tendrement contre lui et il étendit son manteau pour qu’elle
puisse s’asseoir 7. »
Reportons-nous à la vie du Prophète qui fut sans doute le plus affable, le plus
aimable et le plus galant des hommes auprès des femmes. « Il m’a été donné
d’aimer trois choses de votre monde : le parfum, les femmes et la prière. »
Regardez la place qu’il a donnée à la femme… entre les voluptés dégagées par
l’essence du parfum et l’élévation que procure l’état d’oraison.
Bien avant aujourd’hui, la société traditionnelle islamique avait reconnu des
droits à la femme et les avait codifiés. Elle représentait même le pilier sur lequel
reposait la société, c’est par elle que la transmission se perpétuait dès le plus
jeune âge. Elle incarnait l’équilibre familial et l’on recourait à elle dans les
moments de détresse. Par sa sensibilité, son adresse et parfois sa malice, les
problèmes étaient résolus et les conflits apaisés.
Certes, il ne faut pas idéaliser, mais la femme traditionnelle que je décris a
bel et bien existé, et existe encore. Mais le déséquilibre auquel nous assistons,
dans la société islamique et la société en général, concernant la femme, n’a pas
fini de faire couler beaucoup d’encre. Si la modernité a libéré la femme, elle n’a
7. Cf. La revue les Amis de l’islam, le Prophète Mohammed, n° 26, Mostaganem, 1955,
p. 14 et 15.
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pas résolu le problème quant au sens et à sa place réelle dans la société. C’est
un débat ouvert qui nous interpelle tous. Est-elle femme-objet des désirs et des
fantasmes de l’homme ou terre de stabilité, de fécondité pour la quiétude des
âmes ?
Dans la tradition islamique, la femme est effectivement prisonnière d’un
ordre social, mais les hommes le sont aussi. Nous avons été emprisonnés par des
coutumes locales et ancestrales qui vont à l’encontre de ce qui est écrit dans le
Coran. Il est important de les dénoncer et de revenir vers ce texte sacré qui est
à même de pouvoir nous libérer.
Pour l’islam, la femme est l’égale de l’homme aussi bien sur le plan de la
création que sur celui de l’être. Métaphysiquement, il n’y a pas de différence.
La femme est aussi capable que l’homme d’atteindre les états spirituels les plus
élevés, il existe simplement une différence de nature. Quant au Coran, il dit clai-
rement :
« On vous a créé d’une seule âme (nafs wahida, terme féminin) et d’elle
nous avons tiré son conjoint (zaoudjaha, terme masculin) »
(Coran, Sourate 4, verset 1).
La science aujourd’hui a prouvé cela ; le fœtus est d’abord de nature fémi-
nine (chromosome X,X) et ce n’est que bien après qu’il peut devenir masculin
(chromosome X,Y).
Certes, on reproche notamment à l’islam la question de l’héritage : ne pas
donner la même part à la femme qu’à l’homme. Analysons ses raisons : la
femme en Arabie comme d’ailleurs au Maghreb chrétien à cette époque n’héri-
tait pas. Le Prophète, par sagesse, a donné moitié moins de l’héritage à la femme
pour ne pas heurter les mœurs du moment – mais sans interdire de donner plus
par testament – afin d’aider les mentalités à évoluer vers plus de justice.
D’ailleurs, l’une des femmes du Prophète qui était d’origine juive a, à sa mort,
légué ses biens à son frère lui-même juif. Il n’abrogeait donc pas les droits de
successions des héritiers qui étaient de confessions différentes.
L’actualité nous décrit souvent le cas de femmes lapidées ou menacées de
l’être (à l’exemple du Nigéria), car accusées d’adultère. En tout et pour tout
depuis l’époque du Prophète jusqu’au XIXe siècle quatre femmes furent légale-
ment lapidées, et ce sur leur demande, car pour constater l’acte d’adultère le
Coran exige que quatre témoins aient vu l’acte de pénétration.
On reproche souvent à l’islam d’avoir institué la polygamie, oubliant qu’à
l’époque, elle était chose courante chez différents peuples et qu’elle le demeure
encore aujourd’hui, dissimulée sous l’appellation de relations extra-conjugales,
d’amant à maîtresse. Des célébrités, des chefs d’État ont eu plusieurs femmes et
personne n’a rien trouvé à y redire ! Quant à l’islam, il n’a fait que normaliser
un fait de la société humaine.
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instruite, garda précieusement les parchemins et les tables sur lesquels était
inscrit le Coran. Elle devint plus tard, quand les musulmans voulurent réunir les
différentes parties du Coran pour en faire un livre, la conservatrice vers laquelle
les copistes allaient vérifier leurs sources.
Voici une brève esquisse des femmes du Prophète, mais n’oublions pas les
premières musulmanes à qui celui-ci confiait des missions et des charges au sein
de la communauté. Il y a dans leur exemple de quoi écrire plusieurs livres, à
l’instar de cette femme qu’il nomma à la tête d’une institution : celle du vaste
marché de Médine dont dépendait entièrement la vie économique de la cité.
Bien d’autres exemples démontrent que le Prophète n’a nullement relégué les
femmes ou empêché celles-ci de s’épanouir et de jouer un rôle actif dans la
société.
Pour conclure, je dirais que l’avenir de l’islam est entre les mains de la
femme musulmane, car c’est la femme qui fait évoluer la société ou qui peut
causer sa décadence. Je l’invite à demander les droits que Dieu et son Prophète
lui ont donnés et que la société masculine rétrograde lui a volés. Je l’encourage
à connaître, par elle-même, l’histoire du statut de la femme au travers des écrits
scripturaires de l’islam et de pas attendre, comme toujours, que ce soit l’homme
qui la lui apprenne !
Le temps est révolu de traiter la femme comme un être inégal alors qu’on lui
demande de porter le plus lourd fardeau au sein de la société.
Outre-Terre : Quel rôle peut jouer le soufisme, ce « cœur de l’islam » ?
C.B. : Je ne voudrais pas faire ici l’apologie du soufisme, il n’en n’a pas
besoin ! Mais il est nécessaire de rappeler la nature de cette voie du milieu. Par
sa dimension universelle et spirituelle il enseigne l’ouverture et la tolérance. Il
appelle à la réconciliation de la lettre et de l’esprit à travers la sagesse de son
humanisme, essence du message mohammadien.
Par une éducation d’éveil, il épanouit la conscience de l’être vers le respect
de la création et la découverte, à travers elle, du mystère divin. C’est une école
de pensée qui a fait ses preuves, l’Histoire en témoigne. Il était, et demeure, la
voie royale empruntée par les grands hommes de la tradition tels ‘Ali, Hasan al-
Basrî, Bistâmî, Djunayd, Râ’bia, Rumî, Ghazâlî, Ibn ‘Arabî, Avicenne, ’Attar,
l’Emir Abd-El-Kader, Mohammed Abdou, Iqbâl, etc. Poètes, philosophes, théo-
logiens, écrivains et personnalités diverses se sont référés à sa sagesse, inspirés
et nourris d’elle. Le monde musulman a tout à gagner à redécouvrir cette voie,
cet héritage considérable qui honore la personne humaine et aide l’homme à
prendre conscience de ce qu’il a de meilleur et de noble.
La perte de cette culture nourrie d’universalité, de compassion et de retour
vers soi a appauvri et desséché la pensée du monde musulman actuel. Le futur
nous apprendra que c’est par ce retour aux valeurs universelles que le monde
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9. Cheikh Hadj ‘Adda Bentounès (1898-1952), écrivain, poète, maître spirituel de la tariqua
Alawiya.