You are on page 1of 2

L’appui électronique peut-il être employé?

Quel est le point commun entre le général russe Alexandre Samsonov1 et le président tchétchène
Djokhar Doudaïev2? Ils sont morts, directement ou indirectement, à cause de la négligence dont ont
fait preuve leurs subordonnés, dans la maîtrise du spectre électromagnétique. Mais, ne nous y
trompons pas, cette « sentence » masque une réelle difficulté pour atteindre une éventuelle maîtrise.
L'explosion quasi quotidienne de bombes ou d'engins radiocommandés en Irak l'illustre
parfaitement, malgré le déploiement de la haute technologie américaine. Traditionnellement moins
bien appréhendé que d'autres domaines, la guerre électronique n'en produit pas moins des effets
déterminants, lorsque elle est bien employée. Même si la mise en oeuvre de celle-ci est
particulièrement complexe, son emploi ne l'est pas, bien qu'il soit parfois méconnu. Certes la guerre
électronique préfère l'ombre à la lumière pour des raisons évidentes de confidentialité. Pourtant,
l'histoire militaire du XXème siècle nous offre de nombreux exemples qui peuvent, au moins
partiellement, éclairer les engagements actuels.

Déjà en mai 1905, l’exploitation japonaise des écoutes des radiocommunications


contribue à surprendre la flotte russe de la Baltique et ainsi participe directement à la
victoire décisive japonaise lors de la bataille navale de Tsushima3. Néanmoins, il faut
attendre la première guerre mondiale pour voir, pour la première fois, l'utilisation de la
guerre électronique à grande échelle. Lors de la bataille de Tannenberg4, les allemands
interceptent deux messages radio de première importance sur les intentions russes. La
8ème armée allemande de Hindenburg put ainsi vaincre la 2ème armée russe de
Samsonov, privée de l'appui de la 1ère armée de Rennenkempf, leurrée par une manoeuvre de
déception de la cavalerie allemande. Peu après, sur le front de l'Ouest, des interceptions effectuées
par le réseau d'écoute de la Tour Eiffel et des forts de l'Est, permettent de compléter les
observations aériennes et de lancer la contre-offensive du 5 septembre 1914. Cela constitue la
contribution majeure des sapeurs télégraphistes de la guerre électronique naissante à la 1ère bataille
de la Marne5. Au niveau anti-aérien, les émissions T.S.F. des Zeppelins, qui ont pour mission de
bombarder Paris sont détectées dès les premières communications avant le décollage. Le
« radiogramme de la victoire », intercepté par les Français le 1er juin 1918, prévient le quartier
général du maréchal Foch de l'imminence de l'offensive allemande du 9 juin 1918. Convaincu, ce
dernier dépêche la Xème armée du général Mangin qui stoppe rapidement l'avance allemande devant
Compiègne.

La Seconde guerre mondiale confirme l’importance prise par la guerre électronique. Le décryptage
des codes Enigma6, l'utilisation massive de radars et de radiogoniomètres H.F. a contribué à obtenir
une victoire stratégique lors de la bataille de l'Atlantique. Les ordres et les positions des sous-
marins allemands sont devenus des « livres ouverts » à partir d'octobre 1942. L'opération Fortitude,
opérationnelle à partir d'avril 1944, incluait une déception électronique de grande ampleur. Elle
constitue encore aujourd'hui un modèle d'opération de déception. Des opérateurs se transmettaient
des messages entre eux, comme pouvaient le faire les unités d'une armée, espérant que les systèmes
d'écoute allemands les intercepteraient. Dans le Pacifique, les Marines de la 2nd Radio Intelligence
Platoon7, dédiées à la guerre électronique tactique, participèrent aux batailles de Guadalcanal et de

1 S’est suicidé juste après la défaite de Tannenberg.


2 Doudaïev aurait été localisé et tué en avril 1996 grâce au repérage de son téléphone portable.
3 27 et 28 mai 1905.
4 17 août au 2 septembre 1914.
5 5 au 12 septembre 1914.
6 Machines de codage de messages, utilisées par les forces allemandes.
7 Les 3 Radio Battalion actuels de l'USMC en sont issus (2 comprennent une Radio reconnaissance platoon dédiées
aux opérations spéciales).
Peleliu, au sein des forces débarquées.

Après la Seconde guerre mondiale, il faut noter que la guerre électronique


française a été utilisée sur tous les théâtres d'opérations extérieures.
Durant la guerre d'Indochine, la Compagnie autonome d'écoute et de
radiogoniométrie a recueilli des renseignements tactiques et stratégiques
sur les forces du Viet Minh qui opéraient en Indochine ou dans les pays
limitrophes. En Algérie, les compagnies de transmissions spécialisées
dans la guerre électronique assurèrent le même type de missions. Par
ailleurs, durant la Guerre froide, il faut tout de même se souvenir que la
doctrine de l'Armée rouge prévoyait, en complément de l'artillerie, l'utilisation massive du
brouillage terrestre pour neutraliser une partie significative des forces de l'OTAN. Les centres
d'écoute sur les frontières du rideau de fer ont formé, pendant plusieurs décennies, l'avant-garde du
dispositif de renseignement face aux forces du Pacte de Varsovie.

Les conflits récents, depuis la guerre des Malouines jusqu'à la guerre


d'Irak en 2003, ont montré que la guerre électronique est indissociable
de toute opération aéroterrestre. Cependant, l'élaboration d'une analyse
objective de la contribution de la guerre électronique à ces engagements
s'avère souvent difficile compte tenu de la classification des documents
et de l'accès aux archives. Il reste néanmoins possible de tirer des
enseignements des quelques éléments disponibles et largement diffusés.
La technologie est clairement un moyen et non une fin en soi. Les
défaites et les victoires sont d'abord les conséquences de décisions prises par des chefs et ne
peuvent être imputées aux seuls moyens techniques. Cependant, ne pas prendre en compte
pleinement l'utilisation de la technologie de son époque peut s'avérer rapidement désastreux. La
confiance du chef dans ses hommes et dans ses moyens est souvent primordiale pour produire de
réels effets. Aujourd'hui, la technologie, souvent maîtrisée par les ennemis asymétriques, impose de
prendre en compte la guerre électronique jusqu’aux niveaux les plus bas.

Actuellement, l'appui électronique, qui regroupe pour les forces terrestres le


renseignement d’origine électromagnétique tactique et la guerre électronique,
permet de maîtriser le spectre électromagnétique comme il est possible
d'occuper l'espace terrestre. Hier, mis en oeuvre uniquement par des
spécialistes, il s'ouvre aux non spécialistes pour certains procédés8, notamment
grâce au développement du brouillage contre certains engins explosifs
improvisés. L'heure est à la numérisation de l'espace des opérations et à
l'explosion des moyens de télécommunications et informatiques mis à
disposition des populations9. L'appui électronique doit donc être pleinement intégré dans les
réflexions tactiques qui l'éludent parfois par méconnaissance...
En 1992, le général d'armée Monchal10, déclarait qu'« à l’avenir, le maître de l’électron l’emportera
sur le maître du feu ». En attendant l'éventuelle réalisation de cette prophétie, l'histoire militaire
nous apprend que, comme par un récent passé, le maître du feu doit être le maître de l'électron.

8 Cf. RENS 230- tome 2. www.beat.terre.defense.gouv.fr


9 Army Upgrades Its Electronic Warfare Training, 22 février 2007, American Forces Press Service.
10 CEMAT à l’époque.

You might also like