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1. ndlr L’auteur de cet article, Pierre Soulié, a rédigé son analyse à partir d’une source originale :
A. Bernard, Le Maroc, Paris, éd. Alcan, 412 p. ; de ses recherches personnelles faites dans les fonds du
shd ; P. Soulié, Le Général Paul-Frédéric Rollet, Paris, éd. Italiques, 735 p. ; Revue historique des armées,
no spécial Maroc, 1981 ; J.-P. Mahuaud, L’Épopée marocaine de la Légion étrangère, 1903-1934, Paris, L’Har-
mattan, 2005, 284 p. ; P. Cart-Tanneur, La Vieille Garde, Paris, bip, 1979, 288 p. ; Le Troisième Étranger,
Paris, efm, 1979, 191 p. ; Le Quatrième Étranger, Paris, bip, 1979, 183 p.
Guerres mondiales et conflits contemporains, n° 237/2010
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part aux discussions que ces États auront entre eux à propos du Maroc.
Simultanément, le Kaiser envoie à Fès un plénipotentiaire pour recomman-
der au sultan de refuser le programme d’assainissement des finances pro-
posé par la France en lui démontrant l’incompatibilité de celui-ci avec les
conventions existantes. Le sultan repousse donc les mesures préconisées et
invite les nations concernées, Allemagne comprise, à une conférence pour
définir un programme acceptable de réformes à introduire dans son pays.
Du 15 janvier au 7 avril 1906 se tient, à Algésiras, une réunion qui
aboutit à la signature de l’acte dit « d’Algésiras » par lequel les cosignatai-
res garantissent la paix et la prospérité du Maroc moyennant une refonte
de son administration. Ils chargent la France d’assister le maghzen dans la
définition et la mise en œuvre du plan de réformes conforme aux recom-
mandations de la conférence.
Le maghzen ne met aucune bonne volonté à se plier aux conclusions
de la conférence. Il encourage une campagne de xénophobie antifrançaise
et, dans la zone des confins, algéro marocains, il pousse au rassemblement
de harka (bandes armées) devant contrecarrer les mesures de sécurité prises
par la France.
La colonne d’Igli
Une des premières opérations de ce type fut « la colonne d’Igli », com-
mandée par le colonel Bertrand. Composée d’un bataillon de la Légion
renforcé de la compagnie montée du II/1er re, d’un bataillon du 2e régi-
ment de tirailleurs algériens, d’une section d’artillerie, d’un demi-peloton
de spahis et d’un demi-peloton de chasseurs d’Afrique, elle est rassemblée
à Zoubia et se met en route le 25 mars 1900 pour atteindre Igli le 5 avril.
Pour impressionner la population, la colonne, en arrivant, défile devant
l’agglomération, fanions déployés, aux sons de la nouba des tirailleurs
accompagnée par les clairons et les fifres de la Légion. Pour éviter tout
incident avec les autochtones, le défilé passe à mille mètres des premières
habitations.
La mission paraît être de préparer à Igli l’installation d’un bataillon de
la Légion qui y tiendra garnison pendant deux ans. Certains indices don-
nent, toutefois, à penser que le but visé est plus politique que militaire. La
colonne doit montrer sa force sans, sauf cas de nécessité absolue, s’en servir.
Elle doit, par sa présence, dissuader les Marocains d’aller piller en territoire
algérien. En fait, son seul résultat est d’obliger le Maroc à abandonner un
projet de mainmise sur la palmeraie d’Igli. La colonne quitte la zone le
9 novembre 1900 sans y laisser une formation de la Légion, et rentre à
Sidi-bel-Abbès.
Combat d’El-Moungar
Le 2 septembre 1903, le 2e peloton de la 22e compagnie/2e re escortant
un convoi de ravitaillement des postes des oasis présahariennes débouche
vers 9 heures du matin dans la plaine d’El-Moungar. Pris à partie par plu-
sieurs centaines de guerriers Doui Mena et Ouled Djerid, il combat de
9 heures 45 à 18 heures. En plus du capitaine Vauchez et de son adjoint, le
lieutenant Selchauhansen, officier danois servant à titre étranger, mortel-
lement blessés, les pertes s’élèvent à trente-quatre tués et quarante blessés.
Le combat d’El-Moungar est, pour le 2e re, l’équivalent de ce qu’est le
combat de Camerone pour l’ensemble de la Légion. Chaque année, toutes
les formations du 2e re se recueillent en mémoire des héros d’El-Moungar
qui ont respecté jusqu’au sacrifice suprême la parole donnée de servir avec
« honneur et fidélité ». La nouvelle de ce combat provoqua en métropole
une émotion considérable, l’opinion publique jugeant inefficaces les opé-
rations sur la frontière algéro-marocaine et insuffisants les ordres donnés
par les divers gouvernements parisiens pour interdire le territoire algérien
aux pillards marocains.
Le débarquement de Casablanca
Alors que le général Lyautey réussissait en 1907-1908 ses premières
opérations au Maroc oriental, la situation des Européens installés aux alen-
tours de Casablanca et dans la ville continuait à se dégrader. La construction
d’une jetée, embryon du port de commerce actuel, se heurtait à l’hostilité
des Marocains qui attaquaient le chantier et en détruisaient le matériel. Le
30 juillet 1907, ils assassinaient neuf Européens dont cinq Français, et assié-
geaient les consulats étrangers.
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Hostilité de l’Allemagne
Cette politique irrite l’Allemagne qui souhaite établir des relations com-
merciales avec le Maroc indépendamment de la France avec laquelle les
rapports sont toujours aussi tendus. Le consulat d’Allemagne de Casablanca,
transformé en officine de désertion, facilite le retour en Allemagne de ses
nationaux « déçus de la Légion », et sert de refuge aux déserteurs avant leur
embarquement sur un navire allemand. Un soir de septembre 1908, le chan-
celier du consulat escorte des déserteurs jusqu’au bateau battant pavillon
allemand qui doit les rapatrier. Avant d’arriver au point d’embarquement,
le groupe est arrêté par une patrouille de légionnaires qui, reconnaissant les
déserteurs, les conduit au pc de la place et refuse de les remettre au consul.
Le 1er juillet 1911, l’ambassadeur d’Allemagne à Paris annonce au
ministre des Affaires étrangères que son gouvernement va envoyer à Agadir
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un navire de guerre pour défendre les intérêts allemands menacés dans cette
zone par des Marocains révoltés. Il ajoute que, compte tenu de l’insécurité
en terre chérifienne, l’Allemagne considère que l’acte d’Algésiras est caduc.
De nouvelles discussions entre l’Allemagne et la France sont nécessaires
afin de régler entre les deux États les intérêts de chacun. Quatre mois de
tractations furent nécessaires pour régler tous les points litigieux et obtenir
l’abandon par l’Allemagne de ses revendications moyennant des compen-
sations territoriales en Afrique équatoriale. Enfin, la convention franco-
allemande du 4 novembre reconnaissait à la France le droit de conclure un
traité de protectorat avec le Maroc.
La révolte de Fès
Les mehalla chérifiennes, n’ayant plus été payées depuis des mois, se
révoltent, le 28 mars 1911. Elles entraînent avec elles les tribus berbères
de la périphérie de Fès et assiègent la ville. Le sultan demande à la France
d’intervenir en venant au secours de sa capitale.
Chargé de dégager Fès, le général Moinier rassemble à Kenitra un
groupement formé d’unités pouvant, sans risque majeur, être retirées des
opérations en cours pour marcher sur Fès. Ce groupement est scindé en
trois colonnes. L’une d’elles, aux ordres du colonel Gouraud, comprend
un bataillon du 4e zouaves, un bataillon du 3e tirailleurs, la 3e compagnie
montée/1er rm/2e re du capitaine Rollet et un convoi de ravitaillement.
Partie de Kenitra le 11 mai 1911, la colonne Gouraud est harcelée,
dans la nuit, à Lalla-Ito, par des Zemmour que repousse la compagnie
Rollet. Longeant la rive gauche de l’oued Sebou, elle traverse ensuite des
merja (marécages asséchés) couvertes d’herbes sèches d’une densité telle
que la marche des hommes et des mulets en est ralentie. La compagnie
Rollet, le plus souvent en avant-garde, n’a plus l’occasion de combattre,
les Marocains ne s’opposant pas au passage de la colonne. La traversée du
massif du Zegota ne rencontre pas de résistance et le 21 mai, après avoir
traversé la plaine du Zais, la compagnie montée va installer son bivouac en
face du palais du sultan à Fès-Jdid (Fès ville nouvelle). À partir du 25 mai,
elle escorte des convois de ravitaillement empruntant la piste de Kenitra à
Fès. Elle se heurte, dans la montagne, à des fractions des Beni M’Tir qui lui
causent quelques pertes. Pour contrôler la piste entre le col du Zegota et
le massif des Beni Ahmer, elle construit un poste à la N’Zala des Beni
Ahmer. Vers le sud, en direction d’El-Bhalil et de Sefrou, elle reconnaît
les premières pentes du Moyen Atlas en repérant les itinéraires praticables
pour les colonnes qui soumettront, à une époque encore indéterminée, les
Berbères du Moyen Atlas.
Le commandement, une fois la région de Fès pacifiée, détermine les
projets majeurs de mise en valeur des territoires que contrôlent ses unités.
Priorité est donnée au projet d’une route reliant directement Casablanca
et Rabat à Meknès et Fès en évitant le détour par Kenitra et la traversée
du Gharb. Ce projet est accueilli très favorablement par certaines fractions
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La reprise de la pacification
Jusqu’en 1919, la pacification n’avait concerné que le « Maroc utile »
et les abords des Moyen et Haut Atlas. À partir de 1920, elle vise les tribus
berbères peuplant des zones montagneuses, forteresses naturelles où sont
organisés des embuscades contre les patrouilles et les convois militaires et
des raids contre les tribus ayant fait leur soumission.
L’année 1920 est consacrée à la mise en place des régiments et à
l’instruction des unités. Les recrues doivent être initiées aux particulari-
tés du combat au Maroc et être convaincues que la guerre n’y a rien de
commun avec ce qu’ils ont pu connaître entre 1914 et 1918 contre les
Alliés. Ils doivent comprendre qu’au Maroc, il est impossible de procéder
par chocs frontaux contre un adversaire très mobile qui a une connais-
sance approfondie du terrain. Il faut apprendre à manœuvrer en tirant
parti de la configuration du terrain et faire preuve de souplesse dans la
manœuvre.
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rang sont massacrés par l’adversaire. Leur sacrifice fait l’objet d’une citation
du bataillon à l’ordre des troupes du Maroc. Le VII/1er rei arrive à Taza
le 20 juillet 1925, venant de Sidi-bel-Abbès. Sous les ordres du chef de
bataillon Merlet, il commence par combattre les Branes, délivre les postes
de Bab-Moroudj, puis s’empare du piton d’Ashora avant de se tourner
contre les Tsoul.
L’année 1925 est une année de grands bouleversements. Le maréchal
Lyautey doit quitter définitivement le Maroc. Il est remplacé dans ses fonc-
tions de résident général de France au Maroc par Lucien Saint, fonction-
naire de l’État, et dans son commandement en chef des troupes du Maroc,
mais uniquement pour la durée de la campagne contre Abd el-Krim, par le
maréchal Pétain. Ce dernier obtient de Paris tous les renforts en hommes
et en matériel qui avaient été refusés au maréchal Lyautey. Débarquent à
Casablanca ou passent la frontière à Oujda des divisions métropolitaines,
de l’artillerie lourde, des chars Renault FT, des avions d’observation et de
bombardement, abondance de moyens qui fait dire à certains qu’on veut
écraser les Rifains avec un marteau pilon d’une puissance hors de propor-
tion avec l’objectif.
Ces renforts, une fois acclimatés, rejoignent le front du Rif et passent à
l’offensive au mois de mai 1926. Les I et III/3e rei groupés en un régiment
de marche de la 2e division d’infanterie du général Billotte sont dans le
secteur d’Aïn-Aïcha et participent à l’offensive générale qui amène Abd el-
Krim à se rendre, le 28 mai, au colonel Corap.
Immédiatement après la fin des combats dans le Rif, profitant de la
présence de troupes en bordure de ce qui reste de la tache de Taza, le com-
mandement termine la réduction du territoire insoumis par l’opération du
Tizi-Anzi.
À la fin de 1926, la zone de la dissidence ne compte plus que le second
sac de la besace imaginée par le maréchal Lyautey.
Fin de la pacification
Après le rapatriement en métropole des divisions prêtées aux troupes
du Maroc, le commandement doit réorganiser ses formations et déterminer
l’ordre des priorités à donner aux secteurs restant à pacifier. Pour accéder
aux confins algéro-marocains depuis Fès et Meknès au nord et Marrakech
au sud et immobiliser les rebelles, il faut disposer de pistes capables de
supporter la circulation de camions équipés de roues à bandages pleins.
Deux pistes principales sont mises en chantier : la première relie Meknès
et Fès à Ksar-es-Souk et au Tafilalet en passant par Midelt et la vallée du
Ziz ; la seconde va de Marrakech à Ouarzazate en passant par le col du
Tizi N’Tichka. Elle permettra d’accéder à la vallée du Draa au sud et, vers
le nord, en remontant la vallée du Dades, de rejoindre Ksar-es-Souk. Entre
Midelt et Ksar-es-Souk existait une piste praticable uniquement par des
fantassins et des convois d’animaux : passant par Rich, Gourrama et Bou-
Denib, elle avait une longueur de trois cents kilomètres, alors qu’en suivant
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Pierre Soulié
Chargé de recherches au centre de documentation de la Légion étrangère