M aroc

L’ A C T U
PALAIS, ARMÉE, BUSINESS…
EN COUVERTURE
WIKILEAKS
LE BEST OF
AFP

DES FUITES
SUR LE MAROC
PAR MEHDI MICHBAL

édigés sous forme de “télégrammes”, les mémos produits par

R
des diplomates américains en poste à Rabat ou à Casablanca
entre 2004 et 2010 sont généralement inspirés de ce qui se dit
tout bas entre gens initiés, et de ce qui est rapporté dans la
presse avec les précautions d’usage : la fameuse “source
proche du dossier”. Les diplomates américains guettent le
JULIAN ASSANGE moindre bruit de couloir pour le rapporter à leurs supérieurs,
sans toujours prendre la peine de le jauger, le recouper ou le vérifier. Mais là
n’est peut-être pas leur métier. Ils rendent davantage compte d’une ambian-
Le Robin des Bois du Net ce. Et l’information, la vraie, est souvent mêlée à des impressions et grevée
près quelques jours de cavale, le fondateur du site Wikileaks par le jugement subjectif de celui qui la rédige.

A s’est rendu le 7 décembre à la police britannique. Accusé de viol

contre deux jeunes filles suédoises, cet ex-hacker australien de
39 ans est maintenu en détention en attendant de comparaître
le 14 décembre devant un tribunal britannique. “Je ne sais pas ce qui se
cache derrière ces accusations. Mais on nous avait avertis que le Penta-
Il est toujours intéressant d’apprendre que les Marocains se sont estimés
trahis par Nicolas Sarkozy lorsque celui-ci avait décidé de consacrer son pre-
mier déplacement hors d’Europe à l’Algérie, que Abdelaziz Bouteflika porte
gone nous jouerait de vilains tours pour nous détruire”, affirme Assange une affection particulière à Moulay Rachid, ou que le prince anglais Andrew
dans une récente interview publiée par le tabloïd suédois Aftonbladet. se plait à chasser le faucon en terre chérifienne, en compagnie du roi Abdal-
L’homme vient de déclencher une tempête diplomatique en orches-
trant la fuite de plus de 250 000 télégrammes du département d'Etat lah II de Jordanie. Mais si les documents révélés par Wikileaks sont embar-
américain que cinq grands journaux occidentaux (Le Monde, The Guar- rassants, c’est d’abord parce qu’ils constituent une brèche dans la
dian, El País, Der Spiegel et The New York Times) publient depuis le 28
novembre. Un “11 septembre” diplomatique qui est en train de cham- confidentialité normalement assurée à ce genre d’échanges. Surtout, ils nous
bouler l’ordre établi dans toutes les chancelleries mondiales. “S’il y a renseignent sur le regard que les Américains portent sur le Maroc… au-delà
des lacunes dans le droit américain, qui lui permettraient de passer
entre les mailles du filet juridique, nous ferons en sorte de les combler”,
du “swab” des déclarations officielles. “C’est un petit peu comme écouter, sans
a déclaré le ministre de la Justice américain, Eric Holder, qui se dit prêt qu’il le sache, un ami qui a mal raccroché son téléphone”, pour reprendre l’ex-
à mettre tout en œuvre pour l’arrêter. Exit Ben Laden, les Etats-Unis pression du quotidien turc Milliyet. I
tiennent leur nouvel ennemi public numéro 1. I

18 TELQUEL 11 AU 17 DÉCEMBRE 2010 TELQUEL 11 AU 17 DÉCEMBRE 2010 19

 L’ A C T U MAROC
EN COUVERTURE
Les FAR version
Big Brother
vec ses 200 000 soldats,
“A
l’armée marocaine sur-
classe la majorité des
armées africaines,
mais beaucoup de
choses restent néan-
moins à parfaire”. La phrase est tirée
d’une note secrète sur les FAR classifiée
en juillet 2008 par l’ex-ambassadeur
des Etats-Unis à Rabat, Thomas Riley.
Basée sur une étude de fond de l’atta-
ché militaire de l’ambassade, le câble
diplomatique dépeint une armée maro-
caine en voie de modernisation mais
qui reste minée par “la corruption, la
bureaucratie, le faible niveau d’éduca-
tion dans les rangs et des menaces de ra-
dicalisation de certains de ses soldats…”.
Si le Maroc a entrepris des actions
concrètes pour freiner “l’islamisation
des soldats”, en procédant notamment à
la fermeture des mosquées dans les ca-
sernes et en activant le contre-espion-
nage militaire, la corruption reste pour
l’instant un phénomène bien ancré
DR
20
Rapport avec la monarchie, risque de radicalisation,
corruption… l’ex-ambassadeur américain à Rabat
passe l’armée marocaine au peigne fin. Florilège.
dans l’esprit des troupes. “Il y a même
des élèves à l’académie militaire qui
paient pour améliorer leur classement
afin d’être affectés à des postes lucratifs”,
s’alarme Riley. A l’origine de ce constat,
le document cite un deal passé entre
Hassan II et ses généraux au lendemain
des deux tentatives de putsch dans les
années 1970 : “Soyez loyaux et vous en ti-
rerez profit”, aurait signifié le défunt roi,
qui percevait les militaires comme la
plus importante menace pour le trône.
Une perception qui a un peu changé
sous Mohammed VI, note le diplomate
US. “Le roi a récemment autorisé des
vols militaires au nord de Benguerir, ba-
se militaire située à 200 km de la capita-
le Rabat. Un acte non permis dans le
passé…”, souligne Thomas Riley. Autre
indice : la hausse significative des dé-
penses militaires et la modernisation
des équipements avec, par exemple,
l’achat pour 2 milliards de dollars de 24
chasseurs bombardiers américains F-
16… En a-t-on fini, pour autant, avec les
démons du passé ? “Nous pensons que la
monarchie estime toujours que
TELQUEL 11 AU 17 DÉCEMBRE 2010
l’armée représente la plus grande mena-
ce pour le trône... Les officiers continuent
à être écartés de la prise de décision poli-
tique et leur participation à des débats
sur la stratégie militaire du Maroc est
restreinte”, signale le diplomate dans
son mémo. Sinon y a-t-il une menace
militaire qui plane sur le royaume ché-
rifien ? Pas vraiment, pense Riley : “Bien
que la frontière entre le Maroc et l’Algérie
soit fermée, et les relations restent
froides, nous ne croyons pas que l’Algérie
pose un danger imminent pour le Ma-
roc”. Idem pour le Polisario “qui n’est
pas perçu par le Maroc comme une véri-
table menace”, grâce au mur de sable
construit dans les années 1980 par Has-
san II. Mais avec plus de la moitié de ses
troupes stationnées au Sahara, les FAR,
écrit Riley, disposent tout de même d’un
plan d’urgence en cas d’une éventuelle
incursion algérienne : “Même si elles ne
disposent pas de troupes le long de la
frontière, les FAR pourraient se déployer
à partir des garnisons où elles sont ac-
tuellement stationnées à des centaines de
kilomètres de la frontière”. I
Question : l’armée
constitue-t-elle,
réellement, une menace
pour le trône ?
Sarkozy-Mohammed VI,
un vrai faux départ
Trahison diplomatique de l’Elysée, réplique offensive de Rabat :
les premiers pas du président français en terre chérifienne
n’ont pas empêché de juteux contrats commerciaux.
ans un télégramme
AFP
D
du département
d’Etat américain ré-
vélé par Le Monde,
les Marocains se sont
estimés trahis par
Nicolas Sarkozy lorsque celui-ci
avait décidé de consacrer son
premier déplacement hors
d’Europe à l’Algérie. La tradi-
tion voulait que Rabat ait ce pri-
vilège. La réaction du Palais a
été cinglante : Taïeb Fassi Fihri,
alors secrétaire d’Etat aux Af-
faires étrangères, jettera un
froid en informant l’Elysée, et non le Quai
d’Orsay comme le veut l’usage, de l’annu-
lation de la visite programmée de Sarkozy
au Maroc pour des “considérations
WIKILEAKS LE BEST OF DES FUITES SUR LE MAROC
En octobre 2007,
le président
français effectue
sa première visite
officielle au Maroc.
d’agenda”. “Un prétexte vide à la mesure
de l’affront subi”, soulignera l’ambassa-
deur américain, Thomas Riley, dans son
mémo. Dans son commentaire, Riley
TELQUEL 11 AU 17 DÉCEMBRE 2010
rappelle “la grande surprise” qu’a consti-
tuée pour les Etats-Unis le mauvais coup
“fait à la France, un ami proche du Ma-
roc”. Qui plus est, Fassi Fihri avait atten-
du d’avoir quitté Paris où il se trouvait et
d’être rentré à Rabat pour informer les
autorités françaises de la décision. Ce
qui fera dire à un diplomate français à
un collègue américain que ce geste est
“maladroit”, et qu’il pourrait affecter
l’entente cordiale qui unit Paris à Rabat,
“alors que la politique françai-
se vis-à-vis du Maroc, y compris
au Sahara, n’a pas changé
avec Sarkozy”. Un second rap-
port de Riley consacré aux
coulisses de la visite de Sarko-
zy (qui aura finalement lieu en
octobre 2007), et notamment à
l’avalanche de contrats com-
merciaux signés entre les
deux pays (TGV, Tramway,
frégate, extraction d’uranium,
etc.), retiendra que le prési-
dent français, qui n’avait pas
digéré la perte du contrat des
Rafale au profit des F-16 amé-
ricains, avait fait “jaser dans les salons”
par son geste “outrancier en islam” lors-
qu’il avait pointé la semelle de sa chaus-
sure vers Mohammed VI. I
21

L’ A C T U MAROC
EN COUVERTURE
AFP
Le Sahara mine les
relations entre les
deux chefs d’Etat.
Entre Mohammed VI et
Bouteflika, le courant
ne passe pas
n le savait : il n’existe pas
O
d’atomes crochus entre Abde-
laziz Bouteflika et Moham-
med VI. “Il n’est pas ouvert, et
manque d’expérience”, se
plaint le président algérien à
ses interlocuteurs américains. Pour lui,
aucun dialogue n’est possible avec le roi
du Maroc à qui il a promis “de ne pas serrer
la main” ! Entre les deux chefs d’Etat le
courant ne passe décidément pas, même
si Bouteflika a semblé ému de recevoir un
chaleureux message de la part de Moham-
med VI après la victoire de l’équipe algé-
rienne de football face à
l’Egypte en éliminatoires
de la Coupe du Monde.
Ce ne serait cependant
pas le cas avec Moulay
Rachid : “On a plaisanté et
discuté agréablement”, re-
late Bouteflika en évo-
quant une rencontre avec
le prince à Séville. “Mais
je ne peux pas faire la mê-
me chose avec le roi, car Yassine Mansouri aurait
nous n’avons pas le même demandé à la France et aux
Etats-Unis de ne pas trop
sens de l’humour”, ajoute- s’afficher pro-marocains.
t-il. C’est évidemment
22
LE BEST OF DES FUITES SUR LE MAROC
Les deux chefs d’Etat
paraissent irréconciliables
sur le Sahara. Et pour ne
rien arranger, Bouteflika
la joue paternaliste.
l’abcès saharien qui mine les relations
entre Rabat et Alger plus que les caractères
antagonistes des deux chefs d’Etat. Le
compte-rendu d’une audience accordée
en mai 2007 par Bouteflika à Frances Fra-
gos Townsend, la conseillère du président
Bush pour la sécurité intérieure et l’anti-
terrorisme, l’illustre à souhait : “Si je pou-
vais résoudre le problème je le ferais,
affirme le président algérien. Mais je ne
peux pas parler à la place
des Sahraouis”. Il faut que
“le Maroc et le Polisario
trouvent une solution, et ils
peuvent le faire avec l’aide
des Américains”. Côté ma-
rocain, on fait savoir que
les décisions ne sont pas
prises à Tindouf mais à Al-
ger. Dans une note de
2007, Fouad Ali Himma,
alors n°2 à l’Intérieur, sou-
ligne, après un voyage ef-
TNIOUNI
fectué à Alger, que “les
efforts marocains répétés
TELQUEL 11 AU 17 DÉCEMBRE 2010
WIKILEAKS
pour réduire le fossé diplomatique ont été
rejetés”. “Nous avons dit aux Algériens que
le Maroc était prêt à rouvrir sa frontière et
à prendre d’autres mesures pour rétablir la
confiance, mais les Algériens ne nous ont ja-
mais dit ce qu’ils voulaient”, confiera-t-il.
En juin 2009, la diplomatie royale expli-
quera à Christopher Ross, alors représen-
tant personnel du secrétaire général de
l’ONU, que le pouvoir à Alger est tenu par
des généraux dogmatiques et “pétrifiés” à
l’idée du plan d’autonomie. Il faut dire
qu’un an plus tôt, Bouteflika, toujours aus-
si acerbe, avait dénoncé face à un autre
diplomate US le “semblant de plan
d’autonomie” voulu par Rabat à la place du
référendum d’autodétermination, en pré-
tendant que les provinces algériennes ont
un statut bien plus évolué. S’il avoue com-
prendre que les Marocains se sentent me-
nacés par la perspective d’un Sahara
occidental indépendant, il les affuble de la
seule responsabilité du conflit dans un vo-
cabulaire très peu diplomatique. Pour lui,
Rabat fait preuve de “maladresse” et de-
vrait adopter une approche “élégante” en
acceptant l’indépendance d’un territoire
qu’il aurait pu “contrôler” ou “superviser”.
Les Marocains veulent “un Anschluss, com-
me Saddam Hussein avec le Koweït”, osera
même dire Bouteflika. En 2009, lors d’une
rencontre avec le général William Ward,
le chef du commandement américain
pour l’Afrique (Africom), le chef de l’Etat
algérien en remet une couche : “Vous ne
pouvez pas défendre l’application d’un
principe pour la Palestine et un autre
principe pour le Sahara occidental”. Car-
rément ! A une autre occasion, il ira jus-
qu’à invoquer l’histoire coloniale du
Maghreb pour expliquer l’appui au Ma-
roc d’une France incapable de “jouer un
rôle constructif dans le conflit”, car ven-
geresse envers l’Algérie indépendante.
Le gap générationnel entre les diri-
geants marocains et algériens explique-
rait-il le dialogue de sourds entre les deux
pays voisins ? Pas si sûr, si l’on en croit Mo-
hamed Yassine Mansouri, le patron du
contre-espionnage marocain. Cité dans un
mémo de 2008, il se dit convaincu qu’un
changement de génération “pourrait com-
pliquer la situation”, avant d’ajouter que
“l’ancienne génération, qui a créé le problè-
me, est la mieux placée pour le résoudre”.
Habile, il confiera, selon un câble améri-
cain de juin 2009, que le Maroc a même
calmé les ardeurs de ses chaperons améri-
cain et français. A Sarkozy et Bush, Man-
souri demandera “de n’être pas perçus,
comme par le passé, comme aussi pro-ma-
rocains sur le Sahara occidental”. Et à
l’équipe d’Obama, il fera observer qu’“il ne
serait pas très judicieux d’abandonner ses
vrais amis au profit du pétrole”. I
 WIKILEAKS
L’ A C T U MAROC LE BEST OF DES FUITES SUR LE MAROC
EN COUVERTURE
raouis. Pour preuve, “le taux ment plus élevés que dans le

Les réalités du Sahara de participation élevé enregis-

tré lors des dernières élections
communales de juin 2009 en
dépit de l’appel au boycott du
A l’avantage du Maroc, ce câble diplomatique Polisario”. Des résultats,
sur le Sahara occidental est le seul écrit-il, qui illustrent “une
qui a été repris par la très officielle MAP. réelle compétition politique”
bien loin du “système à la cu-
e conflit entre l’Al- Sahara. Alors que Rabat soutient baine” mis en place par le Po-
reste du Maroc. Sur le cha-
pitre des droits de l’homme, le
diplomate signale que la si-
tuation s’est grandement
améliorée par rapport au pas-
sé, rendant au passage la po-
sition marocaine encore plus
crédible. “Une crédibilité, dit-
il, essentielle pour gagner les

Selon un diplomate américain,
l’autodétermination ne serait plus à l’ordre
du jour pour la majorité des Sahraouis.
AFP
“L
gérie et le Maroc mordicus que la résolution du lisario dans les camps de cœurs et les esprits”. Seul re-
sur le Sahara occi- conflit est entre les mains des Al- Tindouf. Il faut dire que le proche (non repris par la
dental est comme gériens, ces derniers ne veulent mémo du diplomate améri- MAP) : “L’appel à l’indépen-
le vieux paradoxe rien savoir : “Il ne peut y avoir de cain est plutôt positif et ré- dance du Sahara est toujours
de la poule et de dialogue avec le Maroc sans l’orga- conforte le royaume dans sa perçu comme une ligne rouge.
l’œuf”. C’est en ces termes imagés nisation d’un référendum dans les position. Pour lui, le Maroc a Les adversaires du Maroc ne
que Robert P. Jackson, chargé d’af- territoires sahraouis”. Le diploma- beaucoup investi dans la ré- peuvent publier ou même dis-
faires auprès du département te américain signale pourtant dans gion du Sahara. Un investis- tribuer des tracts et se voient
d’Etat américain, qualifie le dia- son rapport que l’option de l’auto- sement qui a produit des refuser par le gouvernement le
logue de sourds entre les deux voi- détermination n’est plus à l’ordre niveaux de développement et droit de fonctionner en tant

sins maghrébins sur la question du du jour pour la majorité des Sah- de protection sociale nette- qu’entités juridiques”. I

elon un communiqué Le problème c’est que nous ne

TNIOUNI
“S
d’un ton inhabituel, les savons pas combien”. Pour
actionnaires de l’ONA
ont décidé de limoger le
PDG du groupe Saâd BUSINESS Greene, une grande partie de
l’argent de la drogue est diri-
gée systématiquement vers
Bendidi. Mouâtassim
Belghazi, un ex-fonctionnaire et patron de
la Société maroco-émiratie de développe-
ment (SOMED), a été nommé pour le rem-
REPORT Casablanca. Cet argent est
dépensé en bijoux, voitures,
maisons… ou investi dans
des cafés ! “Le blanchiment
placer en quelques heures, suscitant des Dans une série de d’argent a créé une culture
spéculations autour de la nature prémédi- télégrammes, les sympa de cafés à Casablan-
tée de ce licenciement”. Voilà comment le diplomates américains ca”, rapporte Greene, d’après
consul général américain à Casablanca, une blague de potache d’une
Douglas Greene, rapporte à son départe- dressent un tableau professionnelle casablancaise
ment d’Etat ce qu’il appelle “l’intrigue” sombre du business de la finance. Dans un autre
Bendidi, évènement qui a “fait jaser le au Maroc. Prédation télégramme daté de dé-
milieu des affaires” en avril 2008. Déci- cembre 2009, Elisabeth Mil-
dément, les Américains ne ratent rien. économique, blanchi- lard, successeur de Greene à
Dans une série de câbles, le monde des ment d’argent, la tête du consulat général de
affaires marocain est passé au crible. dessous de table… Casablanca, s’intéresse à un
Et rien n’échappe aux diplomates amé- sujet bien plus sensible : la
ricains : l’influence du cercle royal dans Ils sont consternés prise de décision économique
la prise de décision économique, les qui, dit-elle, est concentrée
sources de richesse de la ville de Casa- entre les mains d’un cercle
AIC PRESS

blanca, les transactions immobilières, restreint de personnes

le blanchiment d’argent…
Dans l’un des mémos sur le marché de
l’immobilier, Douglas Green semble
écœuré par la pratique du noir. C’est qu’il
en a fait l’expérience le jour où le consulat
américain comptait déménager dans un
autre local après les attentats de 2007 :
“Sur 30 sites identifiés par le consulat, 20
ont été retirés immédiatement de la liste
parce que les intermédiaires ne voulaient
pas officialiser le deal. D’autres n’ont pas
voulu nous vendre car spéculant sur une
éventuelle hausse des prix. Et parmi ceux
qui ont accepté de nous vendre, beaucoup
voulaient des dessous de table”, raconte le
diplomate dans son télégramme. Une pra-
tique largement répandue dans l’écono-
qui a beaucoup joué dans la constitution
Saâd d’une bourgeoisie casablancaise… Oth-
Bendidi
man Benjelloun est donné en exemple,
l’homme étant, selon Greene, l’un des
mie marocaine et surtout à Casablanca, contributeurs à la prospérité de la capita-
ville sur laquelle une enquête a été me- le économique. Mais le consul général
née pour remonter aux sources de sa ri- ne s’arrête pas là. S’il avoue que Casa-
chesse. Pour Greene, la prospérité de la blanca tire sa force d’un secteur bancaire
capitale économique remonte à l’exode prospère, d’un marché boursier actif,
des industriels fassis à Casablanca après d’une activité touristique florissante et
la Deuxième guerre mondiale. Un exode d’un afflux massif d’investisseurs étran-
C’est à Casablanca qu’une
grande partie de l’argent
de la drogue serait blanchi.
gers, il n’omet pas de signa-
ler ce qu’il appelle “les
sources illicites de richesse”.
Rappelant que le Maroc est
l’un des plus gros produc-
teurs de cannabis au monde,
le diplomate s’appuie sur une
discussion qu’il a eue avec un
patron de presse casablan-
cais, pour étayer ses propos :
“Nous avons de l’argent sale.
proches du Palais, ce qui “nuit
considérablement à la bonne
gouvernance que le Maroc
s’emploie à promouvoir”. Se
référant aux propos d’un
homme d’affaires marocain,
Millard écrit que “seules trois
personnes au Maroc sont habi-
litées à prendre des décisions
sur les investissements impor-
tants : Fouad Ali El Himma,
fondateur du Parti authenticité
et modernité, Mounir Majidi,
secrétaire particulier du roi,
et le roi lui-même. Parler à
une autre personne est une
perte de temps”. I

24 TELQUEL 11 AU 17 DÉCEMBRE 2010 TELQUEL 11 AU 17 DÉCEMBRE 2010 25

 L’ A C T U MAROC WIKILEAKS LE BEST OF DES FUITES SUR LE MAROC
EN COUVERTURE

La patate chaude Dadis Camara ANECDOTES

L’hospitalisation du chef de la junte militaire guinéenne
au Maroc a été la source d’une grande gêne pour la Mahmoud
Les puissants du monde
diplomatie royale. Dessous d’une visite surprise. Ahmadinejad
vus par les Américains

que “Camara est arrivé sans l’accord préa-
lable du gouvernement marocain. Il a été
accueilli malgré tout pour des raisons hu-
Le dirigeant guinéen
manitaires (…) et il devait être transféré
dans un autre pays dès l’amélioration de
son état de santé”. Le diplomate marocain
ira jusqu’à signifier aux Américains et aux
DR
marocain à son interlocuteur américain.
Parmi les 250 000 câbles diplomatiques américains
Ce dernier cite dans son mémo qu’un rap-
port lui a été remis par les Marocains, dé- Tous contre l’Iran rendus publics, certains décrivent, dans des termes
peu flatteurs, différents chefs d’Etat. Croustillant.
crivant Camara comme “un coureur de
jupons, mentalement instable, buveur et
toxicomane”. Le Maroc a ainsi essayé de le
refiler à la Libye, l’Arabie Saoudite, le Ga-
d’Ahmadinejad SILVIO BERLUSCOUNI MOUAMMAR KADHAFI
Le président du conseil Les diplomates améri-
Le Maroc craint l’Iran comme la

AFP

serait arrivé au royaume
sans l’accord préalable
du gouvernement.
AFP
AFP
Français “d’éviter toute demande publique bon… en vain. C’est le roi finalement qui italien inspire une “pro- cains notent que le diri-
à l’adresse du Maroc visant à garder Dadis débloquera la situation, en convainquant majorité des pays arabes. La peur fonde défiance”. On le dé- geant libyen“n’aime pas

Camara”. Pourquoi donc tant de gêne ? par téléphone le président burkinabé Blai- de voir Téhéran se doter de l’arme crit comme un homme voyager sans son infir-
n le savait déjà : le Maroc ne Pour Robert P. Jackson, “le Maroc ne veut se Campaoré de l’accueillir. Chose faite le nucléaire y est pour beaucoup. “incapable”, “vaniteux”, mière ukrainienne et

O
voulait pas de Dadis Camara. pas être mis dans une situation embarras- lendemain, soit le 12 janvier 2010. Pour les un leader européen “inef- déteste survoler la mer
Hospitalisé au Maroc en dé- sante au moment où une résolution de Américains, c’est l’étonnement : “L’ambas- out comme la plupart des monarchies ficace”, “faible à la fois ou habiter en étage”.

cembre 2009 après une tenta-
tive d’assassinat, le chef de la
junte militaire guinéenne
constituait un véritable boulet pour la di-
plomatie royale. Dans un entretien avec
Robert P. Jackson, alors chargé d’affaires
par intérim à l’ambassade américaine de
Rabat, un responsable au ministère des Af-
faires étrangères marocain aurait signifié
l’ONU tend à accuser Dadis de crimes de
guerre pour les massacres du 28 septembre
à Conakry”. Mais si les Marocains vou-
laient que Camara quitte illico presto le
royaume, ils ne voulaient pas non plus
qu’il retourne en Guinée. “La Guinée
semble être devenue plus calme en l’absence
de Camara et il serait utile qu’il reste en de-
hors du pays”, aurait signifié le diplomate
sade a été surprise d’apprendre la décision
soudaine du gouvernement marocain de
transférer Dadis Camara au Burkina Fa-
so”. Il faut dire que même Dadis ne savait
pas où il allait atterrir, croyant que le Ma-
roc le renvoyait dans son pays. La veille de
son départ, Camara aurait dit à Taïeb Fas-
si Fihri qu’il voulait rentrer à Conakry
pour couper des mains et des têtes... I
T
arabes, le royaume chérifien entre-
tient des relations tendues avec Téhé-
ran, qu’il considère comme une
menace pour la région. “Le Maroc a
rompu ses relations avec l’Iran au mi-
lieu de l’année 2009 à la demande de l’Arabie
Saoudite”, rapporte une note diplomatique
émanant de l’ambassade américaine à Rabat.
On y apprend que le Maroc s’oppose totale-
ment à ce que l’Iran se dote de l’arme nu-
physiquement et politiquement”. Et d’ajouter
que “sa confiance démesurée en soi, née
d’une forte et stable popularité, l’a rendu
sourd aux opinions divergentes. Le strict
contrôle qu’il exerce sur son gouvernement
et son parti interdit à son entourage de lui
passer des messages discordants”. I
NICOLAS SARKOZY
Le président français
On dit entre autres qu’il aurait provoqué fin
2009 “une alerte nucléaire qui a duré un
mois, en retardant l’envoi en Russie de maté-
riaux radioactifs”. Cela pour la simple raison
“qu’on l’a empêché de dresser une tente à
New York à l’occasion d’une assemblée géné-
rale des Nations Unies…”. I
DIMITRI MEDVEDEV
Dans leurs mémos, les

AFP

DR
cléaire, et a demandé à la communauté est décrit comme “un diplomates américains

Alliés dans la “guerre contre la terreur” internationale d’user de tous les moyens pos-
sibles et nécessaires pour empêcher l’Iran de
se doter d’une bombe nucléaire “parce que ce-
la encouragerait l’Algérie à l’avoir aussi”.
empereur nu, suscep-
tible et autoritaire” .
Dans d’autres mémos
Sarkozy apparaît
qualifient le président
russe de “pâle et hési-
tant”, considérant son
Premier ministre Vladi-
Rabat collabore pleinement avec les Etats-Unis dans leur
DR

lutte contre Al Qaïda. Mais Washington juge sévèrement
les capacités du renseignement marocain.
ne correspondance diploma-
Le document révèle que le secrétaire géné-
ral du ministère des Affaires étrangères maro-
cain a clairement confié les craintes du
royaume à Thomas Riley, alors ambassadeur
delaziz Bennani, l’Inspecteur général des américain à Rabat : “Si l’Iran se dote d’une arme
comme “brillant” ,
“impatient”, “irritable”, “imprévisible” ou
“charmant”… “Aucun frein n’est en mesure
de limiter ses ambitions mondiales” ,
constate l’ambassadeur américain à Paris.
mir Poutine comme le
“mâle dominant”. Ils remettent une couche
en comparant les deux leaders politiques de
l’ex-URSS à Robin et Batman. Medvedev ré-
agira plus tard en déclarant que “ces fuites

U
tique américaine, classée top
secret, a révélé que Meir Da-
gan, ancien chef du Mossad, le
service de renseignement is-
raélien, a indiqué lors d’une
réunion sur le terrorisme avec Frances
Fragos Townsend, conseillère du prési-
dent américain pour la sécurité intérieure
et l’antiterrorisme, que “le Maroc s’adapte
mieux aux questions liées au terrorisme,
même si le roi semble désintéressé par la
gouvernance”. En tout cas, depuis que
l’administration Bush s’était lancée dans
sa “guerre contre la terreur” suite au 11
septembre, la coopération de Rabat a été
totale. Un compte-rendu du Congrès US
daté de 2006 est sur ce point sans am-
bages : il se félicite de la signature d’un ac-
cord de libre-échange avec le Maroc,
considéré comme “une récompense pour le
soutien de Rabat en matière de sécurité”.
Les documents fuités par Wikileaks le
confirment : autorisation accordée par Ab-
FAR, au général William E. Ward, com-
mandant de l’AFRICOM, pour l’ouverture
de l’espace aérien marocain à des appa-
reils de reconnaissance P-3 qui traquent
dans le Sahel les terroristes d’Al Qaïda au
Maghreb islamique (AQMI), engagement
“royal” pour que les FAR soient requises
pour “toute opération combinée ou de coa-
lition” avec l’armée américaine, etc.
Pourtant, Washington a estimé que
le procès de Belliraj “n’a pas été juste” et
que le Maroc s’est doté d’un arsenal juri-
dique antiterroriste qu’il utilise pour “endi-
guer” et “fragiliser” les partis islamistes
hostiles à sa politique. Ce qui n’empêche
pas Washington de soutenir Rabat dans sa
lutte antiterroriste. Un rapport de mission
au Maroc du National Security Council
(NSC) égrène le nombre de cellules terro-
ristes démantelées, mais insiste, en citant
le patron de la DGST, Abdellatif Hammou-
chi, sur le côté “candide” des analyses de la
DST et de la DGED marocaines, lorsque ce
nucléaire, cela constituerait une catastrophe Un autre diplomate dira du “favori de sont instructives et montrent au monde en-
pour la région du Moyen-Orient”, mais aussi Washington” qu’“il suffit que Sarkozy soit tier le cynisme des appréciations et des
“pour le Maroc, parce que cela ouvrirait la cour- dans une pièce pour que le niveau de stress raisonnements qui dominent dans la poli-
se à l’armement” et accélérerait “le programme de chacun augmente”. I tique étrangère des USA”. I
Suite au 11
septembre, la nucléaire militaire algérien”. I
coopération
de Rabat
à la lutte
antiterroriste
américaine
a été totale.
dernier avoue que la “seule arme dont dis-
posent les services est l’information”. La di-
plomatie américaine n’hésite pas non plus
à parler de “fabrique de terroristes” en
évoquant les prisons marocaines. Le mê-
me mémo juge l’état de l’équipement des
forces de police comme “vétuste” et “peu
adapté” à la menace. Le rapport indique
d’ailleurs que les Etats-Unis ont fait un
don de matériel de désamorçage d’explo-
sifs à distance à la DGSN marocaine
d’une valeur de 250 000 dollars. I

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