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Etude du prologue des Lais de Marie de France

Exposé de Natalia Sytchëvka (deuxième année, littérature)

Aujourd’hui je vais étudier le Prologue des Lais de Marie de France, poétesse


française de XIIe siècle qui crée ses oeuvres en Angleterre. D’abord je voudrai vous dire
un mot de Marie de France elle-même puis de ses trois ou quatre oeuvres (cela dépend,
on verra) et ensuite de la cour d’Henri II Plantagenêt où notre poétesse crée ses oeuvres.
Après nous nous plongeons dans l’analyse du Prologue lui-même.
Les Français appellent Marie la première femme de lettre de leur ancienne
littérature, un phare éblouissant1 et Sapho du moyen-âge2, les Anglais la nomme la
première femme de lettre de notre ère3 et Jane Austen médiévale4. Malgré que Marie et
ces oeuvres sont l’objet des études plus que 500 ans nous savons vraiment très peu de sa
vie. En effet on peut parler avec certitude seulement de son nom et de sa patrie parce
que c’est elle-même qui nous dit plusieurs fois dans ces oeuvres par exemple dans
l’épilogue de sa traduction du recueil des fables: Marie ai num, si sui de France5, c’est-à-
dire je m’appelle Marie, je suis de France. Mais ici attention ! Сette France d’où Marie
vient ce n’est pas la France d’aujourd’hui ni la France du XIXe siècle. C’est juste Ile de
France, la domaine des rois français.
Donc la personnalité de Marie de France provoque beaucoup de discussions
jusqu´à nos jours. De nombreuses hypothèses ont été avancées, dans lesquelles la
poétesse a été identififié avec nombres de femmes instruites du XIIe siècle (avec Marie
de Champagne, par exemple la patronne du Chrétien de Troyes à qui il a dédié son
Chevalier de la Charrette et je vous rappelle que Marie de France et Chrétien de Troyes
sont les contemporains). Il n´y a aucune doute que Marie connaissait trois langues

1
Ph. Ménard, p. 9
2
A. Dinaux, p. 510
3
D. Faulz, p. 260
4
S. F. Damon, p. 968
5
E. J. Mickel, p. 143

1
étrangères y compris le latin, la maîtrise duquel au Moyen Âge était caractéristique pour
les ecclésiastiques, pour les clercs. C´est pourquoi certains savants la considèrent
comme une abbesse .
Maintenant je passe très brièvement aux oeuvres attribuées à Marie. Presque tous
les chercheurs aujourd’hui acceptent que Marie de France est l´auteur des trois oeuvres.
Par exemple, c’est le point de vue de Philippe Ménard, grand spécialiste de notre auteur,
aussi de la Dictionnaire du Moyen Age dirigé par Claude Gauvard, Alain de Libera,
Michel Zink. Ces trois oeuvres sont le recueil de 12 lais, et nous allons lire le Prologue de
ces lais, puis le recueil des fables très populaires à l’époque et le poème réligieux-
didactique l´Espurgatoire Seint Patriz. Mais il y a autre opinion celle de McCash et
Carla Rossi selon laquelle on attribue à Marie encore la Vie seinte Audree. Pour la
datation de ses oeuvres, elle provoque des discussions jusqu´à nos jours donc je n’en
parle pas.
En ce qui concerne l’Angleterre j’ai déjà dit que notre poétesse cree ces oeuvres
dans la mouvance de la cour d’Henri II, comme écrit Laurence Harf-Lancner « le plus
brillant foyer intellectuel du monde occidental au XIIe siècle »6. Donc la cour d’Henri II
c’est vraiment la cour florissant qui réunit les auteurs illustres de l’époque comme par
exemple Walter Map, Etienne de Fougère, Jean de Salisbury, les trouvères et les
troubadours qui viennent à la cour du roi et de sa femme, célèbre Alienor d’Aquitaine, et
je vous rappelle que cette Alienor est la petite-fille du premier troubadour, Guillaume IX
d’Aquitaine.
Donc c’était pour la personalité de Marie de France, ces oeuvres et la cour d’Henri
II Plantagenêt. Maintenant je passe au Prologue lui-même. En effet le Prologue écrit en
octosyllabes à rimes plates comme tous les autres oeuvres de notre poétesse ouvre le
recueil de 12 lais. Pourquoi j’ai choisi le Prologue pour mon commentaire d’aujoud’hui?
En fait, beaucoup de choses. Pour reprendre l’expression de Gérard Genette, la préface
est «un des lieux privilégiés de la dimension paradigmatique de l’oeuvre, c’est-à-dire de
son action sur le lecteur»7. Qu’est-ce que ça veut dire? Le prologue ou bien la préface est
un moment clé de l’oeuvre, c’est comme une porte. De plus nous avons déjà étudié
l’autre prologue celui de Chrétien de Troyes de Perceval donc cela peut être intéressant

6
L. Harf-Lancner, Dictionnaire de Moyen Age, p. 884
7
G. Genette, Palimpsestes. La littérature au second degré, éd. du Seuil, Paris, 1982, p.9

2
de comparer dans certains points ces deux incipits. Et de plus c’est juste dans le
Prologue, dans un des premiers méthotextes de la littérature vernaculaire Marie
formule son «projet littéraire»8. Nous nous tournons donc vers le Prologue.

8
R. Dragonetti, Le lai narratif de Marie de France, p. 99.

3
Prologue Prologue

Ki Deus a duné esciënce Quand Dieu vous a donné la science


e de parler bone eloquence, et un talent de conteur,
ne s'en deit taisir ne celer, il ne faut pas se taire ni se cacher
ainz se deit volunters mustrer. mais se montrer sans hésitation.
5Quant uns granz biens est mult oïz, 5Lorsqu’un beau fait est bien répété,

dunc a primes est il fluriz, il commence à fleurir,


e quant loëz est de plusurs, et quand les auditeurs se répandent en
dunc a espendues ses flurs. louanges,
Custume fu as anciëns, alors les fleurs s’épanouissent.
10ceo testimoine Preciëns, Les Anciens avaient coutume,
es livres ke jadis faiseient 10comme en témoigne Priscien,

assez oscurement diseient de s’exprimer dans leurs livres


pur cels ki a venir esteient avec bequcoup d’obscurité
e ki aprendre les deveient, à l’intention de ceux qui devaient venir
15que peüssent gloser la letre après eux
e de lur sen le surplus metre. et apprendre leurs oeuvres:
Li philesophe le saveient, 15ils voulaient leur laisser la possibilité de

par els meïsmes l’entendeient, commenter le texte


cum plus trespassereit li tens, et d’y ajouter le surplus de science qu’ils
20plus serreient sutil de sens auraient.
e plus se savreient guarder Les poètes anciens savaient
de ceo k'i ert, a trespasser. et comprenaient eux-mêmes
Ki de vice se volt defendre, que plus le temps passerait,
estudiër deit e entendre 20plus les hommes auraient l’esprit subtil
25e grevose oevre comencier; et plus ils seraient capables
par ceo s’en puet plus esloignier d’interpréter les ouvrages antérieurs.
e de grant dolur delivrer. Pour se protéger du vice,
Pur ceo començai a penser il faut étudier et entreprendre
D’alkune bone estoire faire 25une oeuvre difficile:
30e de Latin en Romanz traire; c’est ainsi que l’on s’éloigne le plus du
mais ne me fust guaires de pris: mal
itant s'en sunt altre entremis. et que l’on s’épargne la souffrance.
Des lais pensai qu'oïz aveie. Voilà pourquoi j’ai d’abord eu l’idée
Ne dutai pas, bien le saveie, De composer un bon récit
35que pur remembrance les firent 30que j’aurais traduit de latin en français.

des aventures qu'il oïrent Mais je n’en aurais pas tiré grande estime
cil ki primes les comencierent car tant d’autre l’ont déjà fait!
e ki avant les enveierent. J’ai donc pensé aux lais que j’avais
Plusurs en ai oïz conter, entendus.
40nes vueil laisser ne obliër. Je savais en toute certitude
Rime en ai e fait ditié, 35que ceux qui avaient commencé à les

soventes feiz en ai veillié. écrire


et à les répandre
En l'onur de vus, nobles reis, avaient voulu perpétuer le souvenir
ki tant estes pruz e curteis, des aventures qu’ils avaient entendues.
45a qui tute joie s’encline, J’en connais moi-même beaucoup
e en qui quer tuz biens racine, 40et je ne veux pas les laisser sombrer

m'entremis des lais assembler, dans l’oubli.


4 par rime faire e reconter. J’en ai donc fait des contes en vers,
En mun quer pensoe e diseie, qui m’ont demandé bien des heures de
50sire, ques vos presentereie. veille.
Se vos les plaist a receveir,
mult me ferez grant joie aveir, En votre honneur, noble roi,
a tuz jurz mais en serrai liee. vous qui êtes si preux et courtois,
Une ou deux remarques très brièvement. Quand Marie dit «anciëns» (v. 9) elle a
en vue les auteurs classiques, surtout latins comme par exemple Virgile ou bien Ovide.
Et encore Marie cite Preciëns qui est un grammairien latin du VIe siècle de notre ère.
On peut donc parler de trois parties du Prologue de Marie: captatio
benevolentiae, où notre poétesse exprime la nécessité de creer (mais pas seulement)
puis le «projet littéraire» de Marie elle-même et enfin la dédicace au roi.
En effet la première partie du Prologue n’est qu’une énumération des formules
traditionnelles et des topoï de la littérature médievale. Je vais les indiquer mais pas
tous.
D’abord Marie engage les gens doués montrer ces talents (v. 1-4). On peut trouver
cette idée dans beaucoup des oeuvres médievales contemporaines à Marie. Ainsi dans le
Roman de Thèbes (je cite): “Qui sages est nel deit celer, / mais pur ceo deit son sen
monstrer / que, quant serra del siecle alez, / en seit puis toz jours remembrer” ou bien
dans le Roman de Troie de Benoît de Sainte – Maure: “Que nus ne deit son sens
celer”. Mais cette formule est également bien liée à la parabole des talents [Matthieu 25,
14-30] et ce que nous renvoie au Prologue de Chrétien que nous avons étudié et qui
aussi commence par la citation de la parabole celle du semeur [Matthieu 13, 1-9 et
parallèles].
Puis Marie compare les Anciens et les Modernes. Cette opposition anciens VS.
modernes était déjà évoqué par Bernard de Chartres dans sa célèbre comparaison les
modernes avec «des nains juché sur les épaules de géants» c’est-à-dire les
anciens. Mais avant de comparer les auteurs classiques et modernes la poétesse parle de
la manière de l’écriture des auteurs anciens. Selon Marie qui prend à témoin Priscien ils
avaient l’habitude de s’exprimer «assez oscurement». Et c’est pourquoi les auteurs
modernes doivent gloser leurs lettres. Ici on peut remarquer l’idée qui remonte aus
traités de saint Augustain qui dit que chaque oeuvre ancienne a plusieurs sens (sens
littérale, allégorique, tropologique et anagogique), donc c’est aussi une idée
caractéristique pour l’exégèse médievale.
Pour le «projet littéraire» de Marie, elle en parle de v. 28 à v. 42. La poétesse fait
son choix, elle ne veut pas faire des traductions de latin en français car il y a en
beaucoup. De quoi pense Marie de France? C’est fort probable qu’elle évoque les romans
d’antiquité comme le Roman de Thèbes, le Roman de Troie de Benoît de Sainte – Maure

5
dont nous avons déjà parlé et aussi peut-être le Roman d’Alexandre. Donc Marie comme
et Chrétien de Troyes souligne la supériorité de matière arthuriens, de matière de
Bretagne sur la matière antique. Et voila pourquoi la poétesse a envie d’écrire les lais
breton d’après «les contes dont» elle sais qu’ils sont vrais, «les contes dont les Breton
ont tiré leurs lais» comme dit Marie dans un de ses lais. Mais qu’est-ce que signifie ce
mot lai?
Le terme “lai” a des origines celtiques, la première mention de ce mot c’est une
mention en marge du manuscrit irlandais (Ulster) de IXe siècle, je cite ce manuscrit
«pour moi, en vérité, le merle agile chante son loîd9». Donc la première signification du
mot est un chant d’oiseau.
Selon le dictionnaire étymologique «lai, poème du moyen âge, d'abord
“compositions chantées par des jongleurs de la Grande-Bretagne”, XII -e. Empr. d'un
mot d'une langue celtique correspondant à l'irl. laid “chant, poème” »10. Mais ce qui est
intéressant à noter ce que la première signification du mot, celle chant d’oiseau est
conservé jusqu’au XIIe siècle et dans une canzone de Jaufré Rudel troubadour
contemporain à Marie on peut trouver le vers suivant: «voutas d’auzelhs e lays e critz»
c’est-à-dire «les ritournelles des oiseaux, leurs chants et leurs roulades». Mais
quand même le mot devient une nomination du genre et ce genre devient très populaire
en France et en Angleterre de XIIe à XIIIe ss. Gaston Paris, le chercheur français de XIXe
siècle donne cette définition célèbre des lais:
«Ce sont des contes d’aventure et d’amour, où figurent souvent des fées, des
merveilles, des transformation; on y parle plus d’une fois du pays de l’immortalité, de
cette île d’Avalon où les fées conduisent et retiennent les héros; on y mentionne Arthur,
dont la cour est parfois le théâtre du récit, et aussi Tristan... Ce sont en grande partie
débris d’une ancienne mythologie, d’ordinaire incomprise et presque méconnaissable;
les personnage des contes celtique sont naturellement transformés en chevaliers; il y
règne en général un ton tendre et mélancolique...»11.
C’est une définition vraiment trés poétique et romantique mais le problème c’est
qu’elle ne correspond entièrement que à un lai de Marie celui de Lanval. Mais ça c’est

9
J. Maillard, Evolution et esthétique du lai lyrique des origins à la fin du XIVe siècle, Publication de l’Institut
de Musicologie de l’Université de Paris, Paris, 1963, p. 24
10
O. Bloch, W. von Wartburg, Dictionnaire étymologique de la langue française, Paris, 1975, p. 358
11
G. Paris, La littérature française au moyen âge, Paris, 1888, p, 91

6
une autre histoire. Il y a des chercheurs qui pensent même que c’est Marie qui a écrit le
lai la première. Ce qui veut dire qu’elle créait ce genre, lai ou lai breton. En fait ce n’est
qu’une hypothèse mais nous pouvons dire avec une certitude que notre poétesse créer
l’ensemble des lais bretons, douze lais qui constituent sa Courtly Comedy12.
Et moi, je passe très vite à ma troisième souspartie, la dédicace au roi.
Une dédicace au roi est aussi un topos. C’est Roger Dragonetti qui dit en
analysant le Prologue de Marie qu’il ne faut pas trouver le roi réel, le roi historique
parce que en fait c’est roi ce n’est qu’une «figure de Dieu» 13 . «Ainsi, - je cite, -
conformément aux conventions de l’éloge, la rhétorique de la dédicace ne retient
absolument rien de la personne historique du roi»14. C’est le point de vue de Roger
Dragonetti, mais ce n’est pas tout à fait mon avis. On peut rappeler même Philippe de
Flandre chez Chrétien de Troyes: est-ce vraiment c’est la figure du dieu? Mais je ne veut
pas dire aussi que le portrait du roi c’est le portrait du roi réel. Arthur dans les romans
bretons aussi bien que Philippe de Chrétien et le roi de Marie qui est sans doute Henri II
Plantagenêt sont les rois de fiction, des rois disons imaginaires mais ils restent
quand même les rois avec ces traits caractéristiques et à mon avis le roi de Marie est un
roi plutôt courtois tandis que le roi de Chrétien de Troyes est le roi plutôt chrétien.
J’ai essayé donc de montrer que le Prologue de Marie est encore très lié à la
culture chrétienne, on peut y voir la référence à la parabole des talents, aux idées de
saint Augustin et à l’exégèse. Le deuxième mot du Prologue c’est celui de Deus (cas sujet
du Dieu). Il est à noter que Chrétien de Troyes utilise ce mot dans le Prologue de
Perceval 5 fois. Je ne veut pas dire que Chrétien est cinq fois plus chrétien que Marie,
pas du tout mais ce que je veux dire c’est que si Chrétien dans son Prologue met en
valeur la culture biblique avec les citations de l’Evangile et de saint Paul, Marie met en
valeur soi-même et son travail intellectuel. Si Chrétien de Troyes parle de soi c’est
toujour en troisième personne je cite par exemple v. 7: Crestiiens seme et fet semance ou
bien v. 62: Crestiiens, qui autant et painne... Une seule fois Chrétien dit «je» en v. 49:
Sainz Pos le dit et je le lui mais son «je» est à côté de telle autorité je dirai auctoritas
comme saint Paul tandis que Marie dans son Prologue utilise beaucoup de verbes de

12
S. F. Damon, p. 995.
13
R. Dragonetti, Le lai narratif de Marie de France, p. 104
14
Op. cit.

7
première personne, elle nous initie à son projet littéraire, poétesse se plaint même
qu’elle a souvent veillé en écrivant ses lais.
Et même si Marie nous dit qu’elle a fait ces lais pour garder des lais folkloriques,
des lais des Bretons anciens qu’elle a entendu jadis, réellement elle pense de soi, elle ne
veut pas que son nom tombe dans l’oubli, la poétesse est altérée de gloire. Et cette voix
d’auteur est bien nouvelle pour la littérature médiévale.

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