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DOCTRINE

Revue d’études générales


2009
N° 16

LES OPÉRATIONS
D’ÉVACUATION
DE RESSORTISSANTS

libres réflexions
Kolwezi,
ou la première évacuation de ressortissants

doctrine
Les opérations d’évacuation de ressortissants
au cœur des principaux engagements des forces terrestres
étranger
Un vol vers l’inconnu - L’opération LIBELLULE

>> Retour d’expérience Les enseignements tirés du déploiement du CRER au Tchad en avril 2006
Sommaire n° 16
Doctrine Retour d’expérience

Les opérations d’évacuation de ressortissants au cœur Perspective historique de l’évacuation de ressortissants p. 50


des principaux engagements des forces terrestres p. 4
Abidjan, novembre 2004 - Une évacuation difficile,
Gestion des crises - Une histoire de coopération entre les ministères mais un succès indéniable p. 53
de la Défense et des affaires étrangères et européennes p. 7
Les enseignements tirés du déploiement du CRER
RESEVAC - Quelles évolutions doctrinales ? p. 10 au Tchad en avril 2006 p. 59

La planification des opérations d’évacuation de ressortissants p. 13 Opération CHARI BAGUIRMI - L’évacuation de 1 750 ressortisants
au Tchad en 2008 p. 60
La conduite des opérations d’évacuation de ressortissants p. 15
Une opération d’assistance et d’évacuation au Liban
RESEVAC - La vision de la marine nationale p. 17 L’opération «Baliste» (juillet-août 2006) p. 62

Le centre de regroupement et d’évacuation des ressortissants p. 20 Opération BALISTE - Une complémentarité interarmées
indispensable p. 66
Protection et évacuation des ressortissants - Quel cadre juridique ? p. 24
Les enseignements tirés du dernier déploiement d’un CRER
Principaux signes et acronymes p. 27 (Gabon février 2008) p. 69

Bibliographie p. 31
Libres réflexions
Les officiers publient
La recherche opérationnelle au service de l’évacuation
de ressortissants p. 73
La guerre au 21e siècle -
Entretien avec le général (2s) Philippe Voute p. 32 L’attaché de défense, médiateur opérationnel p. 76

Diplomatie et armée - Une partenariat unique et indispensable


Etranger en cas d’évacuation de ressortissants p. 79

Entretien avec M. Philippe GELINET et M. Robert GABERT p. 83


Les opérations d’évacuation de ressortissants du Liban
par la 24th MEU (du 15 juillet au 20 août 2006) p. 34 Kolwezi, ou la première évacuation de ressortissants p. 87

Les opérations d’évacuation de ressortissants La complémentarité des feux vue par les Anglais p. 90
Le point de vue britannique p. 39
Pour une arme du renseignement p. 93
Un vol vers l’inconnu - l’opération LIBELLULE p. 44
Capacités duales et forces africaines de développement p. 98

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DOCTRINE N° 16 2 JUIN 2009


éditorial

C•D•E•F
E
ntre le 19 et le 20 mai 1978, le 2e REP au complet
sautait en deux vagues sur Kolwezi. Cette opération
d’envergure avait été ordonnée sur bref préavis,
par le Président de la République française. Elle permit
d’évacuer 2 800 ressortissants français, belges et
occidentaux, pris au piège d’une lointaine rébellion aussi
sanglante que complexe. Elle marqua le point de départ
d’une série d’autres opérations d’évacuations de
ressortissants, toujours au cœur de bon nombre
d’engagements des forces terrestres françaises.
Depuis 1990, celles-ci ont participé à vingt-six opérations
d’évacuation de ressortissants, soit une à deux par an,
en moyenne.

A
ujourd'hui, aucun engagement en cours ne doit
nous distraire de cette nécessité de conserver en
permanence des forces disponibles pour effectuer, en cas
d’urgence, une opération d’évacuation de ressortissants.
Cette mission peut être lancée sans délai, avec notre pays
comme nation cadre ou au sein d’un dispositif coalisé.
Elle peut mettre en œuvre des moyens divers, terrestres,
maritimes, aériens. Le plus souvent, elle se déroule dans
une ambiance de forte insécurité, donc de rapidité.

C
e numéro de la revue Doctrine veut apporter un
éclairage doctrinal sur leur déroulement et aborder
les principaux enseignements tirés par ceux-là mêmes
qui les ont conduites ou vécues : commandants de forces,
acteurs militaires, fonctionnaires du ministère des Affaires
étrangères, à Paris ou en poste diplomatique.

Général de division Thierry OLLIVIER


directeur du Centre de doctrine
d’emploi des forces

JUIN 2009 3 DOCTRINE N° 16


Les opérations d’évacuation
de ressortissants
au cœur des principaux engagements
des forces terrestres

PAR LE GÉNÉRAL DE DIVISION THIERRY OLLIVIER, DIRECTEUR DU CENTRE DE DOCTRINE D’EMPLOI DES FORCES

ne opération d’évacuation de ressortissants est une “opération de sécurité ayant pour objectif
U de protéger des ressortissants résidant à l’étranger en les évacuant d’une zone présentant une
menace imminente et sérieuse risquant d’affecter leur sécurité, lorsque l’Etat dans lequel ils sont
localisés n’est plus en mesure de la garantir1”.

e caractère interministériel, la dimension multinationale, la coopération interarmées et le cadre


L juridique spécifique de ce type de missions, conjuguées à l’accroissement du nombre d’expatriés
à l’étranger, en font des opérations de plus en plus complexes décidées au plus haut niveau
politique.

D
ans le cadre de leurs missions per-
manentes, les forces terrestres
sont souvent amenées, sur très
court préavis et parfois dans l’urgence,
à y participer. Les récentes interventions
ont confirmé avec pertinence que l’éva-
cuation de ressortissants constitue
une véritable opération militaire dans
laquelle les forces terrestres jouent un
rôle déterminant permettant notamment
la maîtrise de l’espace physique et du
milieu humain.

Le cadre général de ces opérations,


les nombreux acteurs impliqués et aux-
quelles les forces terrestres prêtent leur
concours, notamment dans la phase
de mise en œuvre, s’appuient sur une
doctrine dorénavant bien assise qui a
SIRPA Terre

su tirer parti de l’expérience des plus


récentes opérations.

DOCTRINE N° 16 4 JUIN 2009


Les opérations d’évacuation, des Une autre caractéristique de ces opérations
Doctrine
Le caractère essentiellement défensif
réside dans le fait qu’elles sont menées de d’une opération d’évacuation n’est pas
opérations spécifiques aux carac- plus en plus souvent dans un cadre multi- exclusif d’un recours ponctuel et local à
téristiques militaires bien marquées national. La complexité de ce type d’opéra- des actions offensives, notamment pour
tion, le volume souvent important des effec- saisir des points clés (plate-forme aéro-
Le caractère spécifique d’une RESEVAC tifs à évacuer comme le coût des moyens de portuaire, ports, nœuds routiers...) ou per-
tient d’abord à un contexte interministé- transport stratégique militent pour cette mettre l’extraction de ressortissants iso-
riel à forte prééminence diplomatique. recherche de mutualisation permettant aux lés ou retenus contre leur gré.
C’est une opération qui est décidée au Etats de se répartir les tâches pour évacuer
niveau politique sur recommandation de leurs ressortissants. Dans cette perspec- Le dispositif des forces prépositionnées,
l’ambassadeur et qui est supervisée par le tive, l’Union européenne s’est fixée pour lorsqu’elles existent, permet de bénéficier
ministère des Affaires étrangères et euro- objectif de posséder, à terme, la capacité de de points d’appui à proximité du théâtre
péennes (MAEE), responsable de la sécu- conduire des opérations d’évacuation. De ou en son sein, de capacités de comman-
rité des Français à l’étranger. Lorsque l’opé- même, l’organisation du traité de l’Atlantique dement et d’une bonne connaissance
ration militaire est décidée, celle-ci est Nord envisage de pouvoir mener ce type du milieu par une troupe acclimatée,
planifiée et conduite sous l’autorité du chef d’opérations au profit des états membres. entraînée et disponible sur court préavis.
d’état-major des armées par le centre de Enfin, le poids des enjeux médiatiques Ce dernier point est essentiel dans un
planification et de conduite des opérations donne une résonance particulière à ces opé- environnement pouvant aller de la per-
(CPCO). Le caractère interministériel très rations d’évacuation. Compte tenu en effet missivité à l’hostilité, le caractère versati-
prononcé de ce genre d’opérations néces- de ces enjeux politiques et humains, une le de la crise pouvant être favorisé par des
site donc une étroite coopération entre les évacuation de ressortissants se déroule dans acteurs locaux et mettre en danger les res-
armées et les services du MINAE dans les un environnement généralement très média- sortissants. La protection de ces derniers,
phases d’anticipation, de préparation et tisé. Si la politique de communication est de notamment par le déploiement d’une zone
de conduite de l’action. la responsabilité du ministère des Affaires temporaire de protection, est une mission
étrangères, le CEMA fixe les principes de la que les forces terrestres se sont souvent
Dans la plupart des cas de surcroît, l’éva- manœuvre médiatique pour le volet mili- vues confier dans les dernières opérations
cuation de ressortissants dépasse le cadre taire de l’opération dans une directive de réalisées, caractérisée également par une
strictement national et s’inscrit dans un communication. Dès le début de l’opération, imbrication avec la population civile en
contexte multinational. En effet, la France un officier de communication est mis en pla- zone urbaine avec les contraintes liées au
accepte souvent d’évacuer des ressortis- ce en zone d’évacuation primaire pour milieu et la contrainte de mettre en œuvre
sants non nationaux sur la base de traités prendre en compte les médias présents sur des actions de contrôle de foule.
ou d’accords politiques, tenant compte le théâtre. En zone d’évacuation secondai-
notamment de la densité du réseau diplo- re, un conseiller communication peut orga-
matique français. Ainsi, lors de la crise poli- niser la communication opérationnelle en Des acteurs multiples
tique au Tchad en février 2008, la France a coordination avec les services diplomatiques.
proposé à Bruxelles à ses partenaires euro- Les opérations d’évacuation sont le fruit
péens d’assurer le rôle d’Etat pilote en A ces spécificités s’ajoutent des caractéris- de la collaboration de multiples acteurs
matière de protection consulaire. Le concept tiques militaires bien marquées et qui déter- dont les responsabilités sont aujourd’hui
de l’État pilote a été adopté par le conseil minent grandement les modes d’action géné- bien définies. Le ministère des Affaires
de l’Union européenne le 18 juin 2007 et ralement mis en œuvre par les forces étrangères et européennes est respon-
vise à améliorer la protection des ressor- terrestres. La première concerne l’urgence sable de la sécurité des Français à
tissants des Etats membres de l’Union en avec laquelle est souvent planifiée et condui- l’étranger. Il dispose pour cela dans le pays
temps de crise dans les pays tiers, notam- te une opération d’évacuation. Le contexte étranger concerné d’un ambassadeur de
ment quand certains Etats membres n’ont de crise et l’accord préalable de la nation France responsable de la sécurité des
pas de représentation dans le pays concer- hôte limitent les possibilités de déploiement ressortissants français. Il est notamment
né. La coordination diplomatique s’avère préalable de la force, même si ceux-ci n’em- responsable de la mise à jour des plans
également nécessaire dans les relations pêchent pas que des mesures de précaution de sécurité par l’attaché de défense qui
avec la nation hôte, voire avec des Etats tiers puissent être décidées en amont. Les auto- est son conseiller militaire.
éventuellement concernés par un transit de rités diplomatiques et militaires disposent
personnes évacuées. Se traduisant par une pour cela d’une part d’un dispositif de veille En tant que conseiller militaire du chef
projection de forces militaires dans un Etat stratégique et d’une planification d’antici- des armées, le chef d’état-major des
souverain, elle demeure assujettie au droit pation concernant les pays à risque et d’autre armées émettra ensuite un avis d’oppor-
international. Cette obligation confère à part des plans de sécurité des ambassades tunité sur la participation de celles-ci à une
toute opération un environnement juridique régulièrement mises à jour par les attachés opération d’évacuation de ressortissants
particulier, car il s’agit d’une opération de défense. par moyens militaires et formulera des pro-
limitée dans le temps, strictement circons- positions pour l’emploi des forces. Au sein
crite à l’évacuation des bénéficiaires volon- La seconde caractéristique tient à la de l’état-major des armées, le centre de
taires, préalablement autorisée par l’Etat rapidité d’exécution de l’opération qui planification et de conduite des opé-
hôte si les structures de l’Etat existent enco- repose souvent sur un dispositif de va-et- rations (CPCO) devient alors l’intermédiaire
re et réclamant une impartialité vis-à-vis vient qui permet de limiter l’empreinte logis- du ministère des Affaires étrangères avec
d’éventuelles forces belligérantes. tique de l’opération. lequel il travaille en étroite coopération.

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En charge de la planification, le CPCO Une mise en œuvre complexe Les forces engagées prennent en compte
s’appuie sur les travaux d’anticipation réa- les ressortissants à partir des points de
lisés en amont sur les pays à fort risque Une opération d’évacuation s’articule géné- regroupement (PR), dont elles assurent la
de dégradation intérieure. Lorsque celle- ralement en quatre phases principales. La sécurité, jusqu’à la base de soutien inter-
ci survient, et qu’une opération d’évacua- première est en fait une phase prélimi- armées (BSVIA) incluse.
tion est décidée, il est en mesure d’en- naire qui permet notamment la mise en Le transfert des ressortissants des points
gager, sur court préavis, une planification alerte des forces, la mise en œuvre de de regroupement aux points d’évacuation
de mise en œuvre et de produire un plan mesures de précaution comme le prépo- (PE) peut exiger le passage par une zone
d’opération. sitionnement de celle-ci, l’acquisition du temporaire de protection (ZTP) pour
renseignement ou encore l’établissement attendre soit que la situation se norma-
Dans la phase de conduite de l’opération, d’accords techniques avec la nation hôte. lise soit la mise en place de l’ensemble du
le CPCO assure le commandement stra- La phase suivante permettra la projection dispositif d’évacuation.
tégique en national ou en multinational de la force et la mise en place du dispo-
si la France est nation cadre. En sus, lors sitif de sûreté avant dans la phase suivante Les phases amont et aval à cette éva-
des opérations importantes à plusieurs que se mette en place le dispositif de pro- cuation primaire sont de la responsabilité
composantes d’armée, un commandement tection des ressortissants et que soit du MAEE. Le centre de regroupement et
de niveau opératif peut être déployé conduite l’évacuation proprement dite. La d’évacuation des ressortissants (CRER) est
au sein d’un poste de commandement dernière phase est consacrée au désen- installé, selon la situation, soit sur la base
interarmées de théâtre (PCIAT), permettant gagement de la force. L’un des critères de opérationnelle avancée (BOA), soit sur la
notamment de disposer sur le théâtre d’un succès de l’opération reste le contrôle des BSVIA. Au terme de cette évacuation pri-
échelon politico-militaire, de conduire et points d’évacuation dans lequel les forces maire, les ressortissants sont remis à la
de coordonner l’action des composantes terrestres jouent un rôle déterminant, disposition des autorités diplomatiques
et de remplir les fonctions de théâtre, comme d’ailleurs dans les tâches opéra- responsables de l’évacuation secondaire.
notamment d’environnement (communi- tionnelles à réaliser lorsque celles-ci font Le transfert de responsabilité a lieu à la
cation et information opérationnelles). appel à ses capacités spécifiques de com- sortie du CRER au sein duquel les auto-
Néanmoins, le plus souvent, le niveau binaison des modes tactiques. rités consulaires sont présentes.
opératif n’est pas mis sur pied pour une
opération d’évacuation ; une partie de ses Le schéma d’organisation ci-dessous illustre
fonctions étant assurée par le niveau la répartition des responsabilités entre 1 Définition extraite de la procédure interarmées
(PIA) 03 351 du 21/09/2004 relative aux opérations
stratégique, l’autre étant pris en compte les principaux acteurs dont les actions sont d’évacuation de ressortissants.
par le niveau tactique. En fonction de leur à la fois complémentaires et imbriquées.
proximité, les commandements interar-
mées des forces prépositionnées outre-
mer peuvent être mis à contribution notam-
ment pour la mise sur pied d’un PC de
niveau opératif ou tactico-opératif. Enfin,
le poste de l’attaché de défense, éven-
tuellement renforcé, exerce des fonctions
d’expertise de théâtre, de conseiller
militaire et de facilitateur de contact.

Les forces armées engagées dans


l’opération sont placées sous le contrôle
opérationnel d’un commandant de force
(COMANFOR). La force est responsable
de l’évacuation primaire et notamment
du centre de regroupement et d’éva-
cuation des ressortissants (CRER), mis
sur pied par les forces terrestres. Ces
dernières peuvent avoir à mener des
opérations ponctuelles de récupération
voire d’extraction lorsque des ressortis-
sants sont dans l’incapacité de rejoindre
les points de regroupement par leurs
propres moyens.

C
Localement, cette situation impose d’une es opérations d’évacuations de ressortissants mettent en exergue les
part une préparation aussi précise que actions des forces armées, au premier rang desquelles figurent les
possible et d’autre part une claire forces terrestres, au service de la communauté nationale à l’étranger,
répartition des responsabilités, notam- qui sait pouvoir compter sur leur intervention en cas de crise
ment entre les forces armées et les repré- menaçant sa sécurité.
sentants du MAEE.

DOCTRINE N° 16 6 JUIN 2009


Doctrine
Gestion des crises
Une histoire de coopération entre
les ministères de la Défense
et des Affaires étrangères et européennes

PAR MONSIEUR PATRICK LACHAUSSÉE, DIRECTEUR ADJOINT DU CENTRE DE CRISE DU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET EUROPÉENNES

I
l est 23 heures et les téléphones sonnent toujours en cellule de crise. Les familles nous appellent,
toujours aussi inquiètes. L’officier de liaison de l’état-major des armées est là avec nous pour suivre
la situation. Nous échangeons régulièrement nos différentes analyses et informations.

Quand la réalité dépasse nos plus à Pointe-Noire ont été renforcés, de même des entreprises dans le domaine agroali-
grandes inquiétudes : la crise que les moyens d’accueil. Le plan de sécu- mentaire avec des équipes travaillant
rité est à jour et vérifié, l’îlotage opéra- parfois dans des zones dangereuses.
tionnel. Des contacts sont pris avec les com-
a cellule de crise est ouverte depuis munautés religieuses et la grande majorité A la fin du dernier journal télévisé, le

L deux jours pour gérer la crise qui sévit


à Pointe-Noire en ce mois d’octobre
1997. Ce soir, la ville de Pointe-Noire semble
des entreprises françaises présentes dans
la région, des pétroliers pour l’essentiel
mais aussi des exploitations forestières ou
nombre d’appels redouble et les agents
présents ne parviennent pas à faire face à
leur nombre. On fait appel à l’agent de
calme. La nuit précédente a été longue et permanence de nuit qui monte au
angoissante. Certains quartiers ont été deuxième étage en courant. On don-
pillés. Parmi les expatriés, certains ont eu ne des éléments de langage aux agents
leur maison complètement dévalisée ou du standard téléphonique et tous,
leur véhicule volé. D’autres ont été mena- nous répondons au téléphone.
cés ou molestés mais personne n’a été Combien de fois, les agents de per-
blessé. Les rumeurs les plus folles circu- manence en cellule de crise se sont-
lent pourtant. Des Français auraient été ils fait chahutés voire insultés aujour-
assassinés dans leur maison ; cette infor- d’hui ? : “Vous ne voyez pas les images,
mation qui, plus tard, se révélera complè- mais qu’attendez-vous pour évacuer?”,
tement fausse, crée de nouvelles tensions “Combien de morts vous faut-il sur la
dans la communauté française. conscience pour évacuer ?” Et, à
chaque fois, les agents de la cellule
C’est la troisième crise en cinq mois. En de crise répondent avec calme pour
juillet, crise au Cambodge. Mais surtout, tenter de rassurer ces familles angois-
en juin, il y avait eu l’évacuation de sées. Certains de nos collègues
Brazzaville : 6 500 personnes de 54 natio- craquent parfois. D’autres retiennent
nalités différentes dont 1 500 Français leurs sanglots. Face à l’insulte ou aux
évacués grâce à l’action de l’armée fran- menaces, d’autres se sentent blessés.
çaise qui y perdit plusieurs hommes, sans A chaque fois qu’il est nécessaire,
oublier les blessés. les responsables interviennent pour
discuter et dialoguer avec les
Suite à cette crise, les matériels de com- collègues et les aider à évacuer leur
ECPAD

munication du consulat général de France trop plein d’émotions.

JUIN 2009 7 DOCTRINE N° 16


Plusieurs personnes nous informent que A trois heures du matin, le directeur de cabi- La dimension européenne est de plus en
certaines familles ont été chassées de chez net du Ministre nous convoque en salle de plus importante. Lors de la récente crise
elles. Le cas d’un nourrisson et de sa mère crise. Les conseillers du Président de la au Tchad, plus de 1 500 personnes de
est signalé. On prend les noms, les pré- République, du Premier ministre, des 78 nationalités différentes ont été évacuées
noms et les adresses, celles de leurs Ministres de la Défense et des Affaires parmi lesquelles plus de 350 Européens.
employeurs, amis ou de leur famille sur étrangères sont là, de même que le chef Depuis plusieurs années, nous élaborons
place, on note les numéros de portables. d’état-major des armées. On dresse un avec nos partenaires le concept d’Etat Pilote
Un télégramme immédiat est envoyé point de situation. Une décision doit être pour lequel nous avons organisé deux exer-
au consul général pour l’en informer. Le prise. Le plan militaire est déjà élaboré. Il cices en 2007 au Caire et 2008 à Paris et à
calme semble s’installer progressivement. est présenté. Après quelques aménage- Mexico, Xibalda 2008, mettant en scène
ments, il est accepté. Nom de code de l’opé- une intervention consulaire coordonnée à
Il est 01h45. Le téléphone du poste de com- ration : Antilope. 27 pour porter secours à des ressortissants
mandement de la cellule de crise sonne. européens pris en otage dans le cadre d’un
Le standardiste précise qu’il s’agit d’un Les risques sont énormes mais c’est la seu- acte de piraterie maritime. Durant la pré-
appel provenant d’une valise satellite et le solution. Le plus grand secret est deman- sidence française, nous souhaitons pour-
que la communication est très mauvaise. dé et aucune communication ne doit être suivre nos travaux de façon à améliorer la
Le correspondant nous informe qu’il est faite tant que l’opération de sauvetage n’a coopération consulaire dans ce domaine
avec un groupe d’une soixantaine de per- pas eu lieu. Les quelques heures qui nous sensible.
sonnes, des hommes, des femmes et des restent sont interminables. Impossible
enfants. Ils travaillaient pour une société de dormir et pourtant la journée qui s’an-
à N’kayi quand des rebelles les ont atta- nonce sera encore longue et peut-être dif- La création du “centre de crise”
qués. Ils ont juste eu le temps de s’enfuir ficile. Il est 6 heures du matin. Trois hélico-
dans les champs de canne à sucre. Ils ptères décollent. L’opération a commencé. du MAEE favorisera encore cette
se sont réfugiés dans une clairière. Ils se coopération renforcée
cachent depuis trente-six heures, sans nour- Finalement, elle se conclura par un succès
riture et sans eau. et toutes les personnes pourront être Dès son arrivée, en juin 2007, Bernard
extraites de cette clairière en un temps KOUCHNER, Ministre des Affaires étran-
record. Aucune victime n’est à déplorer. gères et européennes, a souhaité que son
Puis, soudain, le ton de notre interlocuteur ministère se dote d’un outil moderne
change. On le sent nerveux, effrayé. On de gestion de crises. C’est ainsi qu’ont
entend des murmures, des cris, une agi- Vers une coopération renforcée dans été réunies deux entités administratives
tation, des mouvements de panique. en une ; la délégation à l’action humani-
La respiration de notre interlocuteur s’ac- la gestion des crises concernant des taire et la sous-direction de la sécurité des
célère. Puis, c’est le silence, long et angois- ressortissants français à l’étranger Français à l’étranger. Ces deux services trai-
sant. On ne raccroche pas. On se regarde. taient des crises, avaient leurs propres
On attend et on écoute. Rien. Soudain, C’est à partir de ce moment-là que le minis- connexions avec le ministère de la Défense
il nous lance : “Au secours ! Venez nous tère des Affaires étrangères et européennes et notamment l’état-major des armées, et
chercher... Vite”. Et là, on entend une et le ministère de la Défense vont coopé- avaient élaboré leurs propres procédures
rafale d’arme automatique, des cris rer de plus en plus pour échanger des infor- d’interventions.
étouffés, des appels au secours et la mations, les plans de sécurité, des exer-
communication est coupée. cices en commun et progressivement Aujourd’hui, le centre de crise réunit ces
mettre en commun les expériences et les équipes et élabore des procédures com-
projets. Le ministère des Affaires étran- munes, une organisation qui permettra de
Très vite, les choses s’organisent. La gères n’a eu de cesse ces dernières années gérer des crises de différentes natures et
société est connue, nous avons les coor- de s’adapter pour mener à bien une moder- de façon globale. Pour tout cela, la coopé-
données de ses dirigeants. Il faut une nisation et adapter l’ensemble de ses dis- ration avec le ministère de la Défense doit
carte pour localiser l’endroit. Déjà, un rédac- positifs de gestion des crises pour tenir encore se renforcer, non pas au moment
teur prépare un télégramme. Le cabinet du compte des prérogatives de terrain et de la gestion des crises mais dans toutes
Ministre est immédiatement informé. On notamment de la dimension militaire des les phases qui la précèdent : veille, antici-
appelle l’état-major des armées sur le télé- interventions. Ainsi par exemple, ce sont pation, planification, alerte mais aussi dans
phone sécurisé. Pendant ce temps, le stan- plus de 8 millions d’euros qui ont été inves- le cadre de sessions de formation ou d’exer-
dard arrive à joindre le président de l’entre- tis en 6 ans pour moderniser les moyens cices organisés par les forces armées ou
prise à Paris. On lui explique la situation et de communication offrant ainsi une large par le centre de crise.
lui demande de nous fournir le maximum palette de dispositifs radio, satellites, HF,
d’informations pour localiser avec préci- téléphoniques... A chaque crise, des Nous travaillons déjà ensemble au
sion la clairière dans laquelle se sont équipes formées, équipées et profes- rapprochement des procédures de façon
réfugiés les employés. Il nous en fournira sionnelles sont envoyées sur le terrain pour à mieux intégrer dans nos planifications
les coordonnées géographiques un quart assurer un appui aux ambassades et assu- opérationnelles les contraintes que les
d’heure plus tard. Cette information est rer l’interface entre les ressortissants fran- forces armées peuvent connaître dans
immédiatement communiquée à l’état- çais, l’ambassade et les forces militaires le cadre des opérations extérieures et
major des armées. en présence. notamment dans le domaine des RESEVAC.

DOCTRINE N° 16 8 JUIN 2009


Dans ce domaine en particulier, nous
Doctrine
travaillons notamment à améliorer le expérience a montré depuis de nombreuses années l’importance des
partage des informations, ajuster nos
dispositifs d’échanges de données,
assurer la circulation rapide des infor-
L’ échanges d’informations dans toutes les phases allant de la simple
veille à l’engagement de forces civiles et militaires dans la gestion
d’une crise nécessitant des secours à des ressortissants français et d’autres
mations entre le terrain et les cellules nationalités. De Kinshasa en 1991 à N’Djamena en 2008, en passant par le
des crises des ambassades ou du Quai Liban, la Côte d’Ivoire, le Congo-Brazzaville ou la République centrafricaine,
d’Orsay. Dès lors qu’une crise se l’armée française a montré toute son efficacité dans des situations très
déclenchera, nos équipes travailleront difficiles et sur ces terrains, de nombreux hommes ont été blessés ou tués
ensemble sur le terrain et à la cellule dans des opérations d’évacuation ou de sécurisation de zones de conflits.
de crise réunie au ministère des Combien de ressortissants ont-ils pu être évacués depuis toutes ces années
Affaires étrangères et européennes, grâce au courage des hommes et des femmes qui, sur le terrain, ont pris des
nous travaillerons également en par- risques pour les sortir de l’enfer ?
faite collaboration entre les cellules
de crises au CPCO et au ministère. Ceci doit naturellement nous pousser à travailler toujours plus ensemble et
C’est l’ensemble de cette chaîne de toujours mieux. J’ai coutume de dire à nos compatriotes dans des pays
procédures que nous devons sans ces- sensibles, à nos ambassadeurs et collègues, qu’en cas de crise, on risque de
se améliorer pour assurer la fluidité tous finir dans le même Transall. Alors travaillons à toujours plus de
des échanges d’informations, antici- coopération et de coordination de nos moyens d’action, notre efficacité n’en
per et accélérer la réponse aux crises, sera que renforcée.
coordonner notre action pour accom-
plir les missions qui nous sont
confiées.
ECPAD

JUIN 2009 9 DOCTRINE N° 16


RESEVAC
Quelles évolutions doctrinales ?
PAR LE COLONEL JEAN-PHILIPPE BERNARD, SOUS-DIRECTEUR CONCEPTS ET DOCTRINE (CICDE)

es dernières opérations d’évacuation de ressortissants menées par les forces françaises ont mis
L en œuvre une doctrine interarmées (PIA 03.351) rédigée en 2004. Globalement, ce document a
répondu aux attentes et a permis d’intégrer les nouvelles exigences de ce type d’actions.
Néanmoins quelques évolutions méritent d’être prises en compte et intégrées dans la conception
et la conduite des RESEVAC. La nouvelle version, en cours d’approbation, s’appuyant sur les idées-
forces introduites dans la version de 2004, a mis en exergue la coordination interministérielle, la
coopération multinationale et la communication opérationnelle à tous les niveaux.

a présence de citoyens français à l’ex- si les engagements récents ont confirmé La pertinence de la doctrine relative aux

L térieur du territoire national implique


pour l’Etat l’obligation de tout mettre
en œuvre, de l’action diplomatique à l’ac-
le bien-fondé de la prise en compte dans
le document officiel de 2004 du problème
majeur d’une évacuation de grande
opérations d’évacuation de ressortissants
et en particulier le bien-fondé des ZTP ou
zones temporaires de protection ont été
tion coercitive, pour assurer leur protec- ampleur, il convient d’apporter quelques démontrés à l’occasion des crises récentes.
tion en cas de nécessité. Ainsi, dans le aménagements aux modalités de mise en Le concept même de ZTP est imposé par le
cadre de leurs missions permanentes, les œuvre de la coordination interministériel- nombre important de ressortissants pré-
armées françaises peuvent être conduites, le et de la communication opérationnelle. sents sur le théâtre. En effet, en quelques
sur très court préavis, à évacuer par années, le nombre de bénéficiaires ou
moyens militaires des ressortissants ayants droit a littéralement explosé, en rai-
menacés dans un pays étranger en crise. Les nouveautés déjà introduites son de l’élargissement de l’Europe et des
Le caractère interministériel de plus en plus traités1 récemment mis en œuvre qui ont
prégnant, la dimension multinationale par la doctrine de 2004 mécaniquement augmenté ce nombre. A
désormais permanente ainsi que le cadre contrario, les possibilités d’évacuer ce flux
juridique spécifique et contraignant de ce La France, forte de son expérience dans ce n’ont pas évolué. En effet, les structures
type d’action, conjugués à l’accroissement type d’engagement, a développé une (portuaires, aéroportuaires) et les vecteurs
du nombre d’expatriés, en font des opé- conception originale de la conduite des stratégiques sont restés peu ou prou les
rations de plus en plus complexes à opérations de RESEVAC. Cette particulari- mêmes. D’éventuelle, la mise en place de
forte teneur politico-diplomatique mais té repose essentiellement sur la complé- ZTP est donc désormais devenue une
aussi médiatique en raison de la charge mentarité des rôles dévolus au ministère nécessité opérative et tactique : il s’agit
émotionnelle liée au déroulement même des Affaires étrangères et européennes et d’assurer sur place la protection tempo-
de ces missions dans un contexte souvent à celui de la Défense. En effet, en raison de raire des ressortissants dans une zone sûre
dramatique. l’instabilité chronique de nombreuses avant de procéder à leur évacuation.
régions du monde où la présence françai-
Les retours d’expérience récents (Côte se est réelle, les armées françaises se doi- En plus du volume, il faut également tenir
d’Ivoire - 2004, Liban - 2006, Tchad - 2006 vent d’être prêtes à appuyer et soutenir compte du fait que bon nombre de ces res-
et 2008) ont mis en évidence certaines dif- sans délais l’action consulaire, que la situa- sortissants sont installés dans des régions
ficultés lors de la mise en œuvre de cette tion locale nécessite ou pas la mise en très sensibles, dans lesquelles la situation
doctrine interarmées. C’est pourquoi, même œuvre de moyens militaires. sécuritaire est susceptible d’évoluer très

DOCTRINE N° 16 10 JUIN 2009


rapidement, voire sans aucun signe avant- plémentaires. Que peut-on faire pour amé-
Doctrine
de l’action des Etats membres sur le ter-
coureur. Cet état de fait doit conduire à liorer encore cette coordination et mieux rain. Ceci ne fait qu’officialiser ce qui se
envisager le déploiement de moyens blin- prendre en compte le fait multinational ? pratiquait déjà par accord tacite ou for-
dés nécessaires à la protection des res- mel entre Etats concernés. La France a
sortissants au cours des différentes phases Dans les prochaines années, il ne sera pas d’ailleurs proposé à ses partenaires euro-
de l’évacuation en situation incertaine ou forcément plus facile que maintenant de péens, le 1er février dernier, de jouer ce
hostile. détecter les prémices de déclenchement rôle au Tchad. Ainsi, en raison du nombre
de la mise en danger de ressortissants, sans équivalent de postes diplomatiques
Autre structure dont la pertinence a été mais la rapidité de réaction demeurera un qu’arme notre pays en Afrique, il faut s’at-
mise en évidence, le centre de regroupe- impératif. Aussi, s’agit-il, dès le régime de tendre à ce que ce rôle lui revienne sur ce
ment et d’évacuation des ressortissants veille stratégique, de mettre en place les continent dans la plupart des cas. Il est
(CRER) répond aux attentes du MINAE et structures et les procédures adéquates, évident que cette notion d’Etat pilote
des forces armées à la condition que son d’échanger les planifications d’anticipa- génère un besoin accru en coordination
déploiement soit coordonné avec le déclen- tion et les plans de sécurité, ainsi que d’éta- au niveau diplomatique mais également
chement des mesures décidées aussi bien blir les contacts indispensables entre cel- entre les états-majors des forces armées
par l’état-major des armées que par le lules chargées de la prise de décision et de impliquées. En raison de l’urgence qui
MINAE. la mise en œuvre des mesures. prévaut toujours dans ce type de crises,
cette coordination doit être développée
par anticipation, le plus en amont pos-
En matière de coordination, les relations sible, et l’action diplomatique doit être
MINAE-MINDEF doivent tenir compte d’un accompagnée par une concertation mili-
contexte évolutif : taire entre les différentes armées concer-
- D’une part, le ministère des Affaires étran- nées, en fonction des théâtres potentiels.
gères et européennes doit se doter d’une
capacité de gestion des crises lui per-
mettant de remplir pleinement son rôle Les opérations d’information et
de coordination de l’action extérieure.
Ceci devrait modifier la physionomie de la communication
ses rapports avec les armées. Cette coor-
dination est déjà instaurée au niveau cen- Il n’y a pas d’opérations conduites par les
tral entre le MINAE et le MINDEF, préci- forces armées qui ne comportent désor-
fournie par l’auteur

sément entre les cellules chargées de mais un volet relatif aux opérations d’in-
mettre en œuvre les mesures décidées formation. Corollaire d’une coordination
dans un cadre toujours interministériel, interministérielle accrue et d’une gestion
ainsi qu’au niveau local entre l’ambassa- centralisée de la crise au niveau gouver-
de, les services consulaires et les forces nemental, la communication doit prendre
projetées ; concrètement, une gestion en considération quelques développements
conjointe de l’évacuation par les orga- complémentaires : communiquer vers qui
Enfin, les propositions qui visent soit à nismes des deux ministères est recher- et pour exprimer quoi ?
déployer un PC de terrain pour cette struc- chée et l’adoption de mesures de pré-
ture modulaire dans le but de faciliter la caution se traduit par la recherche de Tout d’abord, une opération d’évacuation
coordination entre les différentes cellules l’envoi simultané du module EVAC INFO de ressortissants est un signal politique
impliquées dans le processus d’évacua- du centre de regroupement et d’évacua- fort qui peut affecter l’équilibre précaire
tion, soit à clarifier l’organisation du com- tion des ressortissants, sorte de harpon de l’Etat hôte. Son déclenchement va direc-
mandement sur le théâtre permettant une organisationnel et logistique, et des élé- tement interpeller les autorités locales bien
répartition des responsabilités simple et ments d’appui à la gestion de la crise sûr, mais aussi les éventuels entrepreneurs
lisible entre l’attaché de défense et le com- dépêchés par le MINAE en renfort de l’am- de violence potentiellement responsables
mandant de la force projetée et ses adjoints, bassade. Il s’agit bien de faciliter la de la dégradation de la situation sécuri-
s’agissant du CRER, doivent être validées. conduite de l’opération sur le terrain en taire, les populations autochtones, les res-
déchargeant le plus tôt possible soit l’am- sortissants installés dans le pays et les
bassade des modalités organisationnelles, medias locaux ou internationaux présents
La coordination interministérielle soit la force militaire de la gestion “tech- sur place.
nique” des ressortissants.
et la coopération multinationale En second lieu, pour les ressortissants,
- D’autre part, la décision du conseil l’annonce et la présentation de l’opé-
Dans le cas des RESEVAC, ces deux des affaires générales de l’Union euro- ration peuvent être lourdes de consé-
domaines de la coordination et de la coopé- péenne 2 de mettre en œuvre le concept quences : entre une évacuation à la
ration, étaient déjà au cœur des préoccu- “d’Etat pilote” en matière consulaire en charge de l’Etat et une “incitation au départ
pations doctrinales puisque ce type d’opé- cas de crise confère à un Etat désigné volontaire” à la charge des intéressés, les
rations associe, par nature, au moins deux comme pilote le rôle de protection des modalités de mise en œuvre auront forcé-
ministères agissant dans des sphères com- ressortissants de l’UE et de coordination ment une influence sur leur décision. En

JUIN 2009 11 DOCTRINE N° 16


outre, il conviendra de formuler des recom- Enfin, troisième sphère intéressée par la
1 Cf. article 20 du traité instituant la Communauté
mandations de façon à convaincre même gestion de l’opération d’évacuation : la européenne; article 46 de la Charte des droits
les plus réticents au départ tout en évitant communauté internationale autour de fondamentaux de l’Union européenne: “tout citoyen
de l’Union bénéficie sur le territoire d’un pays tiers
un effet de panique. La conception de l’opé- l’ONU et des organisations internationales, où l’Etat-membre dont il est ressortissant n’est pas
ration militaire associée sera bien évi- l’Union européenne et les pays des res- représenté, de la protection des autorités
diplomatiques et consulaires de tout Etat-membre,
demment par nature différente dans les sortissants à évacuer ainsi que leurs relais, dans les même conditions que les nationaux de cet
deux cas. les médias internationaux. Il est clair qu’en Etat”.
2 2808e session du Conseil AFFAIRES GENERALES,
raison de la charge émotionnelle créée par Luxembourg, les 17 et 18 juin 2007.
Il s’agit donc de trouver un juste équilibre un départ précipité et par les images de 3 Voir à cet égard le rôle attribué à l’OTAN; Cf. AJP-
3.4.2 § 0005: “les missions diplomatiques sont
entre d’une part la nécessaire transparen- violence ou de détresse qui pourraient responsables de la sécurité des ressortissants et de
ce, destinée à rassurer toutes les popula- déferler sur tous les écrans du monde, ces la préparation des plans d’évacuation. Les structures
de commandements de l’OTAN peuvent conseiller
tions concernées, et d’autre part la dis- aspects de la communication opération- et assister les missions diplomatiques dans la
crétion indispensable à la liberté de nelle doivent être pris en compte aux dif- préparation et la mise en œuvre des plans
d’évacuation, mais elles ne sont responsables que
manœuvre du chef ainsi qu’à la sécurité férents niveaux depuis le politique jusqu’au du soutien militaire de l’évacuation dans le cadre
des troupes engagées et des ressortissants. tactique. En conséquence, même si le MAEE d’une mission sous commandement OTAN”.
Néanmoins, il s’agira aussi de délivrer loca- est ministère menant dans le domaine de
lement un message clair expliquant les buts la communication pour les RESEVAC, les
limités de l’opération de RESEVAC mais forces armées ne peuvent faire l’économie
suffisamment fort pour dissuader les éven- d’une prise en compte au plus tôt de la
tuels entrepreneurs de violence de s’op- communication opérationnelle.
poser à cette évacuation.

A ces publics doivent être ajoutés les


familles des ressortissants vivant en métro-
pole, l’opinion publique nationale et les
médias nationaux qui ont besoin d’une
information ciblée et différenciée. Il s’agit
ainsi de préparer au mieux l’arrivée et l’ac-
cueil des ressortissants évacués. De la qua-
lité de leur prise en charge dépendra aus-
si en partie la résolution de la crise.

E
n France les rôles dévolus aux différents ministères réservent une place particulière aux forces armées 3 dans la
mesure où les théâtres qui pourraient nécessiter le déclenchement d’opérations d’évacuation de ressortissants,
en raison des risques d’une montée brusque et imprévisible aux extrêmes, exigent une très grande réactivité.
Cette réactivité, caractéristique de l’intervention militaire, bénéficie d’un prépositionnement judicieux, qu’il soit
permanent ou circonstanciel, d’une planification d’anticipation très complète et d’un régime d’alerte des différentes
composantes modulé et bien maîtrisé.

Ainsi, les évolutions doctrinales envisagées ne relèvent que de l’adaptation d’idées fortes déjà éprouvées. En effet,
le caractère soudain de ces opérations allié à l’ampleur des RESEVAC actuelles tout autant que leur caractère
multinational impose une coordination de plus en plus étroite avec le MAEE, un effort préalable de préparation de
cette mission (planification prédécisionnelle et opérationnelle pour les militaires et préparation des plans de défense
par les consulats) et une prise en compte plus globale de la dimension communication.

Il restera à diffuser et bien faire connaître cette nouvelle publication interarmées au sein des armées et des
organismes concernés. Ceci a déjà été commencé au ministère des Affaires étrangères et européennes qui demande à
l’EMA de venir lui exposer cette conception des RESEVAC au cours du stage des agents consulaires et au ministère de
la Défense qui sensibilise les futurs attachés de défense durant leur stage de préparation.

DOCTRINE N° 16 12 JUIN 2009


Doctrine
La planification
des opérations d’évacuation
de ressortissants
PAR LE COLONEL GUILLAUME DE MARISY (CPCO)

u 2 au 7 février 2008, les forces françaises ont permis, dans une ambiance très tendue, parfois “sous le
D feu”, l’évacuation de quelque 1 700 ressortissants de plus de 70 nationalités, dont la vie se trouvait
menacée par les âpres combats se déroulant dans la capitale tchadienne.

Cette réussite repose sur un certain nombre de facteurs pouvant être rassemblés comme suit : des forces
militaires entrainées, présentes sur le théâtre des opérations au moment du déclenchement des troubles,
bénéficiant de l’appui et du soutien immédiat des forces pré-positionnées (les forces françaises au Gabon)
et d’un renforcement rapide venant de métropole, appliquant des plans à jour, bâtis avec une coordination
toujours plus étroite entre le MINAE et le ministère de la Défense. Sans vouloir atténuer le mérite des
différents acteurs qui ont tous fait un travail formidable, nous pouvons donc remarquer que les conditions
de cette RESEVAC étaient particulièrement favorables.

Peu de pays sont aujourd’hui capables de mener de telles opérations, notamment sur le continent africain.
Certes, nos forces prépositionnées sont un élément déterminant dans cette capacité, mais la réussite de
telles opérations dépend aussi de leur prise en compte au niveau interministériel et de leur degré de
préparation.

Aujourd’hui, au CPCO comme au ministère des Affaires étrangères et européennes, la planification de ce


genre d’opérations est une des priorités. En outre, le degré poussé de préparation en facilite la conduite,
tous les acteurs ayant pris part à la planification.

La sécurité des ressortissants résidant à l’étranger, une priorité sans cesse réaffirmée

ans nos sociétés modernes, la sécurité des ressortissants résidant à l’étranger est une priorité sans cesse réaffirmée.
D Aussi, le Livre blanc 2008 ne peut-il faire l’économie de la prise en compte d’un scénario de type déstabilisation limitée
d’un pays, nécessitant l’engagement de l’Etat pour évacuer la communauté de ses ressortissants, par des moyens civils, cas
le plus favorable, mais aussi parfois sous la protection de ses forces armées comme il l’a fait de nombreuses fois au cours
de ces vingt dernières années.

JUIN 2009 13 DOCTRINE N° 16


Une coordination approfondie entre dès le frémissement de la crise. Une fois Quelques initiatives existent au niveau poli-
validés, ces plans sont envoyés aux états- tique mais pour l’instant sans la moindre
les deux ministères majors interarmées outre-mer qui les décli- avancée.
nent en plans opératifs, ceux-ci étant par-
Cette priorité est prise en compte par le fois déclinés jusqu’au niveau tactique, Du côté militaire, la démarche se veut plus
CPCO comme par la direction des Français quand la France dispose de forces militaires pragmatique et tournée vers l’efficacité.
à l’étranger/sous-direction de la sécurité engagées sur le théâtre (RCA, Tchad...). Ainsi, un forum informel, appelé
des personnes. “NEO Coordination Group 3” permet des
Chaque année, s’appuyant sur les travaux Tous ces plans doivent être mis à jour échanges d’idées et d’expérience. Onze
du GAS1, le CPCO retient les théâtres sus- régulièrement. Au CPCO, les délais sont pays4 en font partie et à l’initiative de la
ceptibles d’être secoués par des troubles volontairement courts, particulièrement France, l’EUMS5 y est maintenant repré-
tels que l’Etat hôte ne puisse plus assurer pour le continent africain soumis réguliè- senté. Il se réunit tous les 6 mois. Les objec-
la sécurité des ressortissants français. Le rement à des déstabilisations. Un toilet- tifs sont de faire le point sur des pays pré-
plan de charge est établi et s’enclenche tage est prévu tous les 3 ans et une mise occupants, de partager les enseignements
alors un processus de planification. à jour tous les 5 ans. Cette démarche est sur les récentes évacuations et d’échan-
partagée au niveau des AE, les plans de ger sur les planifications en cours. Cette
Le premier travail consiste à mettre en cohé- sécurité étant régulièrement remis à jour initiative a été à l’origine de planifications
rence le plan de sécurité de l’ambassade par les ambassades. Ces échéances sont conjointes, franco-belge sur la RDC et le
et les exigences opérationnelles (choix et autant de moments privilégiés pour une Burundi, franco-espagnole sur la Guinée
sécurisation des points de regroupement, coordination approfondie entre les deux Equatoriale et d’échanges avec les
îlotage...). Ce rôle est généralement confié ministères. Britanniques sur le Kenya ou avec les
à l’attaché de Défense. Aujourd’hui, pour Portugais sur la Guinée-Bissau. La coopé-
faciliter ce lien, des missions conjointes2 ration militaire dans le domaine de l’éva-
sont organisées sous la direction du minis- Une dimension multinationale qui cuation des ressortissants est donc en
tère des Affaires étrangères et euro- marche.
péennes. Le personnel de la Défense y a du mal à émerger
apporte son expertise militaire. Toute inter-
vention militaire, qui se ferait sans s’ap- Si l’approche interministérielle est bien
puyer sur un plan de sécurité solide et à ancrée dans les esprits, la dimension mul-
jour, ferait peser sur les ressortissants et tinationale et notamment européenne a
les forces engagées des risques accrus. du mal à émerger. Certes, la réalité montre
qu’il n’existe pas de RESEVAC purement
Le second temps de la planification revient nationale. En planification, au niveau fran-
au seul CPCO aidé par les experts de la çais, les ressortissants de tous les pays 1 Groupe d’anticipation stratégique.
2 MIECS : Mission interministérielle d’évaluation et
DRM et du commandement des forces spé- européens et de certains de nos alliés tra- de conseil sur la sécurité de la communauté
ciales. Il s’agit d’établir un plan RESEVAC. ditionnels (USA, Canada, Liban...) sont pris française.
Celui-ci fixe les scénarios de dégradation, en compte systématiquement. Mais com- 3 NEO/CG : Non-combattant Evacuation
Operation/Coordination Group.
n’excluant aucun domaine (risque sismique, ment aller au-delà ? Les réticences sont 4 France, Allemagne, Autriche, Belgique, Canada,
sanitaire...), les modes d’actions suscep- fortes. Aucun Etat ne veut, par principe, Espagne, Etats-Unis, Italie, Pays-Bas, Portugal et
tibles d’être employés et les mesures de déléguer à un autre la décision d’évacua- du Royaume-Uni.
5 EUMS: European Union Military Staff.
précaution adéquates à mettre en œuvre tion de ses propres ressortissants.

n Afrique, la présence de nos forces

E prépositionnées, si elle confère une capacité


de réaction inégalée, est aussi une exigence
forte. Elle incite la plupart des pays européens à
compter, sans le dire, sur l’intervention des forces
françaises au profit de leurs ressortissants. Les
réorganisations à venir pourraient faire bouger les
équilibres actuels et inciter la France à pousser
photo fournie par l’auteur

une approche multinationale de la sécurité des


ressortissants européens. Mais, cette dernière se
heurtera vite au besoin de l’Etat de préserver sa
liberté d’action que seule une décision nationale
peut lui garantir.

DOCTRINE N° 16 14 JUIN 2009


Doctrine
La conduite
des opérations d’évacuation
de ressortissants
PAR LE CAPITAINE DE VAISSEAU XAVIER GERARD (CPCO)

D
u 2 au 7 février 2008, en étroite
collaboration avec le ministère des
Affaires étrangères et européennes,
les armées françaises ont permis à
1 753 ressortissants dont un tiers de Français
de quitter le territoire tchadien. De fait, il s’agis-
sait d’un “classique” sur le théâtre africain.
photo fournie pa l’auteur

En effet, depuis 2002, les forces françaises


ont participé à pas moins de six opérations1
d’aide au retour des ressortissants dont cinq
en Afrique. Mais de quoi s’agit-il ?

Une responsabilité de l’Etat... Assumée le plus souvent dans semble des ressortissants européens en
temps de crise (information, regroupement,
un cadre européen... évacuation le cas échéant). Actuellement,

C
omme le rappelle la décision du les Etats membres expérimentent ce
conseil de l’Union européenne du L’évacuation est bien de la responsabilité concept dans des pays où ne sont pré-
17 juin 2007 : “C’est en premier lieu nationale, toutefois, l’opération menée au sentes au maximum que deux représen-
aux États membres qu’il incombe d’assu- Tchad a permis une application du concept tations diplomatiques de l’UE. C’était le cas
rer la protection de leurs ressortissants”. européen d’Etat pilote. au Tchad où seules la France et l’Allemagne
Conformément à ce principe du droit inter- Ce dernier a, en effet, été adopté par sont représentées.
national, la sécurité des ressortissants à le Conseil de l’Union le 18 juin 2007. Il offi-
l’étranger est d’abord de la responsabilité cialise le principe de solidarité des Etats
de l’Etat et incombe en France au minis- membres et l’extension de la notion de Conduite en interministériel...
tère des Affaires étrangères et euro- bénéficiaires de plein droit à l’ensemble
péennes. En effet, le caractère multinatio- des ressortissants de l’UE. Il vise ainsi à
nal d’une opération ne dédouane pas l’Etat améliorer la protection des ressortissants Ces opérations sont donc anticipées et pla-
de ses responsabilités. des Etats membres de l’Union européen- nifiées, mais aussi conduites en intermi-
ne en temps de crise dans les pays tiers, nistériel. Outre sur le théâtre proprement
Ainsi, “l’évacuation des ressortissants” est notamment lorsque certains Etats membres dit2, la coopération des deux ministères
et restera toujours une décision politique n’ont pas de représentation dans le pays se concrétise au niveau stratégique par
prise au plus haut niveau, impliquant, dans concerné. des réunions de crises des responsables
sa mise en œuvre, l’utilisation des moyens La mission de l’Etat pilote consiste à coor- (niveau S/C opérations de l’EMA - direc-
civils ou militaires. donner les mesures de protection de l’en- teurs du ministère des Affaires étrangères)

JUIN 2009 15 DOCTRINE N° 16


et une collaboration très étroite entre les option. L’évacuation proprement dite peut pour l’opération “Providence”6, où le
cellules de crises3. Le ministère de l’Intérieur entraîner des conséquences lourdes sur nombre de bénéficiaires est passé de
est également impliqué que ce soit pour le plan politique, diplomatique mais quelques dizaines de personnes à plusieurs
l’accueil des ressortissants lors de leur retour aussi pour les intéressés. En effet, pour centaines.
sur le territoire national ou pour la partici- la plupart des ressortissants installés à
pation éventuelle de la sécurité civile. l’étranger depuis plusieurs années, être Par ailleurs, “l’assistance au retour
évacué revient à tout abandonner. volontaire” qui laisse une certaine
marge de liberté aux ressortissants
Avec des moyens militaires au introduit également un paramètre à
cours d’opérations interarmées... Pour des bénéficiaires de plus en prendre en compte dans la conduite de
l’opération.
Lorsque le climat d’insécurité locale ne plus multinationaux
permet plus d’envisager une évacuation par
des moyens civils, l’autorité politique peut Si les ressortissants de l’Union euro-
requérir l’emploi des armées pour en péenne sont systématiquement pris en
1 2002- RCI, 2003 - MONROVIA, 2004 - ABIDJAN, 2006 -
assurer l’exécution. Les opérations d’éva- charge, ceux de pays non européens ou LIBAN, 2008 NDJAMENA.
cuation appartiennent donc au domaine des membres d’organisations internatio- 2 Collaboration entre la chaîne consulaire désignant les
des opérations de sécurité dont la défini- nales peuvent également être pris en comp- bénéficiaires et responsable du regroupement des ressor-
tissants et la chaîne militaire prenant en charge les ressor-
tion est codifiée par l’IM 1000. Celle-ci te5, ce qui entraîne un accroissement tissants aux points de regroupement.
précise : “Opération de sécurité ayant pour important du nombre de bénéficiaires 3 Le ministère des affaires étrangères vient de se doter du
objectif de protéger des ressortissants potentiels. Cette extension du périmètre COVAC (centre opérationnel de veille et d’appui à la gestion
des crises)
résidant à l’étranger en les évacuant d’une de l’opération met en exergue la problé- 4 Pages 200, 212, 213 225 227 capacités Terre, Air, Mer et
zone présentant une menace imminente et matique des binationaux européens dont forces spéciales.
sérieuse risquant d’affecter leur sécurité, l’estimation en amont par les autorités 5 La désignation des bénéficiaires de l’opération n’est pas de
la responsabilité du ministère de la Défense.
lorsque l’Etat dans lequel ils sont locali- consulaires reste difficile. Ainsi, le nombre 6 Monrovia 2003.
sés, n’est plus en mesure de la garantir”. de personnes évacuées est souvent mul- 7 Bouké- Korhogo et Ferkessedougou.
A ce sujet, le Livre blanc précise que les capa- tiplié par deux ou trois, voire plus, comme 8 Page 156 - la reconfiguration des moyens prépositionnés.

cités d’intervention des forces armées fran-


çaises4 devront leur permettre de conduire
ces opérations en autonome, y compris Nb Dont Nb de
dans un environnement hostile. Pays et année d’évacués Français nationalités Remarques

RCI 7 2002 2295 484 20


Dès lors que des moyens militaires
français sont engagés, il s’agit alors d’une BANGUI - 2003 609 280 43
opération interarmées sous le comman-
dement opérationnel du chef d’état-major 45 rotations de
535 18
MONROVIA -2003 37 Cougar depuis le TCD
des armées. Orage.
5916 Français
Dans les faits, on dénomme couramment
RCI 2004 Plus de 10 000 accueillis
ces opérations “évacuations de ressortis- 8 000
au 43e BIMa
sants” ou “RESEVAC”. Cette appellation 1 500 extractions
couvre en fait un panel d’opérations allant
de “l’évacuation ordonnée”, à “l’incitation LIBAN 2006
14 009 10 806
70 Dont plus de 2 000
au retour” et à “l’aide au retour volon- par le TCD Siroco.
taire”. Toutes les opérations menées par
les armées, ces dernières années, ont été 1753 577 79 19 rotations d’ATT
TCHAD 2008
conduites dans le cadre de cette dernière

G
râce au dispositif des forces prépositionnées, les opérations d’évacuation de demain se dérouleront dans des
contextes différents et la dimension interministérielle sera vraisemblablement encore plus prégnante, sachons donc
nous y préparer. Toutefois, comme par le passé, nous aurons à les conduire sous de fortes contraintes, dans l’urgence
et avec les seuls moyens immédiatement disponibles. Dans ce cadre, le dispositif des forces prépositionnées confère une
extrême réactivité qui, dans la majeure partie des cas, a fourni les forces projetées dans les premières 24 heures. Comme
le rappelle le Livre blanc8 : “les dispositifs prépositionnés confèrent des avantages opérationnels qui dépassent le seul
champ de la fonction de prévention. Ils contribuent au soutien et à l’aide logistique des interventions et aux actions de
protection et d’évacuation de ressortissants”.

DOCTRINE N° 16 16 JUIN 2009


Doctrine
RESEVAC
La vision de la marine nationale
PAR LE CAPITAINE DE VAISSEAU BERTRAND MOPIN DE L’EMM1

ans un monde d’Etats souverains très différents au plan des ressources et du

D développement économique, les conflits et les tensions semblent s’installer de façon


durable. Les facteurs déclenchants des crises se multiplient du fait d’une combinaison de
paramètres aussi divers que les changements climatiques, l’apparition de nouvelles idéologies,
les animosités ethniques, les convoitises diverses, les revendications territoriales non résolues,
le fanatisme religieux et la compétition pour les ressources. Le flot croissant de réfugiés et de
personnes déplacées, provoquera des réponses des Etats se caractérisant par des scénarios
centrés sur les populations et leurs problèmes.

Quatre-vingt pour cent des populations des grandes agglomérations, des centres commerciaux
et stratégiques de première grandeur sont déjà concentrés dans la frange littorale, près des
ports en particulier. En 2030, soixante-cinq pour cent de la population mondiale vivra en zone
urbaine susceptible d’être atteinte par la mer. Dans ce contexte, les opérations d’évacuation de
ressortissants réalisables depuis la mer se multiplieront.

Quels sont les apports particuliers


d’une opération RESEVAC conduite
par voie maritime ?
Les opérations RESEVAC conduites par la
marine sont en général de deux types :

• les opérations d’opportunité, souvent de


faible ampleur et qui peuvent être
conduites par n’importe quel bâtiment
présent dans la zone de crise ;

• les opérations de plus grande ampleur


SIRPA Marine

qui nécessitent des capacités supérieures,


interarmées et qui sont parfois complé-
tées de navires civils.

JUIN 2009 17 DOCTRINE N° 16


Les spécificités de l’action Les opérations d’évacuation de ressortis- au contraire de cibler ces déploiements sur
sants peuvent s’inscrire dans un cadre per- les zones et les créneaux de temps pou-
maritime dans les évacuations missif ou dans un cadre non permissif allant vant voir le développement d’une crise
de ressortissants2 des opérations de haute intensité aux opé- menaçant nos ressortissants.
rations spéciales, à l’assistance humani-
taire, aux opérations de reconstruction et Déployés au large d’une côte donnée de

D
ans la conception d’une évacuation de soutien des ONG. façon ostensible, les bâtiments sont en
de ressortissants, l’action mariti- effet un vecteur essentiel de la diploma-
me est très souvent complémen- Avec les BPC3, la France dispose d’un outil tie navale dite coercitive. Ils adressent un
taire des autres modes d’action, en parti- réactif, polyvalent et modulable permet- signal fort vers les zones de crise et influent
culier compte tenu des spécificités tant au décideur de gérer l’incertitude qui sur le développement de situations pou-
suivantes : prévaut dans ces crises. A la fois capacité vant conduire à une opération d’évacua-
de commandement, d’emport de matériel tion de ressortissants. Cela a été en parti-
Liberté d’action humanitaire et d’embarquement de res- culier le cas par exemple en février 2007
sortissants ; il permet aussi de disposer avec le déploiement du Siroco qui a désa-
Le déploiement de troupes ou d’aéronefs d’une capacité de raid héliporté particu- morcé la crise guinéenne.
sur le théâtre d’une zone de crise, avec des lièrement adaptée pour certaines opéra-
effectifs réduits la plupart du temps, s’ap- tions RESEVAC et enfin, c’est une plate- Le positionnement de bâtiments au large,
parente bien souvent à un pari osé, avec forme hospitalière incomparable. en appui de la politique gouverne-
des risques importants : le parachutage du mentale, est facilement exploitable au
2e REP sur Kolwezi, opération parfaitement La polyvalence des bâtiments à vocation niveau stratégique ; il rassure les popula-
réussie par ailleurs, en est un exemple. amphibie contribue de façon efficace au tions locales, permet de développer des
Une opération par voie maritime, lorsqu’elle maintien d’un dispositif interarmées de contacts locaux avec les autorités diplo-
est possible, reste une opération à risques, vigilance et d’appréciation de situation matiques, politiques et militaires locales
mais permet de les minimiser en adaptant autonome au plus près des zones de crises. et contribue au retardement des échéances
l’empreinte à terre aux conditions rencon- ultimes.
trées, par nature évolutives. Elle permet Il est probable que ces atouts conduiront
de compléter efficacement une évacuation à un investissement plus important de la Un bâtiment de la marine est aussi une
par voie aérienne et de desserrer ainsi la composante amphibie dans des tâches parcelle du territoire français, avec un sta-
pression sur ce mode d’évacuation. non strictement militaires exigeant une tut particulier. Son poids politique est bien
meilleure connaissance des zones sen- perçu par les pays en crise. Un déploie-
Cette action maritime présente l’avantage sibles et toujours davantage de réactivité, ment préventif permettra toujours d’en-
certain de libérer le décideur de contraintes de souplesse d’emploi et de polyvalence. tretenir sans contraintes diplomatiques
multiples : la force navale jouit d’une d’un Etat d’accueil, un dispositif crédible
grande autonomie ; elle ne dépend pas de Diplomatie coercitive de prévention, capable de mener des
la terre et peut attendre au large selon la actions immédiates, tant dans le domaine
posture la plus à même de permettre au Le prépositionnement de moyens militaires de la défense, que celui de la diplomatie.
politique de négocier la crise ; elle lui per- outre-mer, dans les DOM-COM comme dans
met aussi de basculer sans renfort lourd les points d’appui représente une garan-
vers des opérations de sortie de crise avec tie de sécurité certaine pour les ressortis-
soutien humanitaire et déploiement d’ONG. sants français à l’étranger. Les BATRAL Deux domaines essentiels dans les
constituent ainsi un moyen important pour
Cette liberté d’action découle directement des opérations de moindre ampleur com- opérations de RESEVAC maritimes
de la capacité de “sea basing” des bâti- me ils l’ont démontré pour l’évacuation des
ments : soutenir depuis la mer des opéra- ressortissants d’Haïti. Les bâtiments Enfin, les opérations de RESEVAC
tions à terre, tant sur le plan tactique que déployés dans une zone maritime sont tous maritimes nécessitent de considérer deux
dans le domaine du commandement, entraînés à ce type d’opérations de domaines essentiels.
du renseignement, de la logistique en circonstances comme l’a démontré l’éva-
déployant un volume de force strictement cuation de 700 personnes conduite par un Sortie de crise
adapté au besoin pour préserver la réver- aviso en Sierra Leone ou par la frégate Jean et niveau de commandement
sibilité souvent fondamentale dans ces de Vienne au Liban. La polyvalence des uni-
opérations. tés et des équipages permet sans diffi- Bien que ces considérations soient en
culté la bascule d’une mission à une autre. marge des opérations RESEVAC propre-
Capacité à durer et polyvalence ment dites, la gestion post-crise doit être
Demain, la réduction probable du format des anticipée lors de la conception d’une tel-
Les forces navales nécessitent davantage forces permanentes prépositionnées outre- le opération. Or, les opérations RESEVAC
d’anticipation que d’autres composantes mer viendra sans doute renforcer le besoin d’une certaine ampleur sont souvent sui-
pour être déployées à temps dans ce type de prépositionnements d’anticipation occa- vies d’opérations de sortie de crise. Faisant
de crise mais sont davantage aptes à durer sionnels de forces navales. Il ne s’agit pas appel à des composantes des trois armées,
sur zone pour les raisons évoquées dans bien sûr de déployer a priori et en perma- le choix du niveau de commandement
le paragraphe précédant. nence des capacités d’intervention ; il s’agit n’est pas anodin.

DOCTRINE N° 16 18 JUIN 2009


La sensibilité diplomatique des opérations En première approche, une opération RESE-
Doctrine
Dans bien des cas, les opérations
d’évacuation de ressortissants avec une VAC par voie maritime permet de disposer d’évacuations de ressortissants telles
forte implication interministérielle et la pré- d’une capacité d’emport théorique sans qu’elles sont programmées demandent
sence de très nombreux acteurs peut impo- aucune mesure avec les autres modes à être complétées par des opérations
ser un fort niveau de coopération qui d’opération. Cependant, cela demande à d’évacuations de circonstance de per-
dépasse le strict niveau tactique. être relativisé. L’expérience montre qu’il est sonnes en situation d’urgence. Une capa-
difficile de s’engager sur un quota fixe de cité héliportée, mise en œuvre depuis
Un commandement de niveau opératif personnes évacuées tant les données qui la mer, est alors nécessaire.
(COMANFOR) apparaît comme le mieux pla- modifient la capacité d’emport d’un bâti-
cé pour assurer cette coordination. Cela ne ment ou d’un navire sont nombreuses :
signifie pas pour autant qu’il faille déployer • la situation d’urgence tout d’abord - un
un état-major surdimensionné - la phase dépassement des quotas théoriques se
RESEVAC de Baliste par exemple était justifie si la vie des ressortissants est en 1 Etat-major de la marine.
2 Les titres intermédiaires ont été rajoutés par la
conduite par un état-major opératif de danger à terre ; rédaction.
65 personnes, réduit à 40 en phase de 3 Bâtiment de Protection et de Commandement.
sortie de crise- il convient surtout de réflé- • la météorologie et la durée des transits
chir à un renforcement des liens de cet état- maritimes qui conditionnent le confort
major avec les représentants des minis- minimal admissible ;
tères et des ONG impliqués dans l’action.
• la capacité du pays de départ à générer es opérations RESEVAC doivent
Les BPC, plates-formes de commandement,
sont à cet égard des outils particulièrement
adaptés au contrôle opérationnel de ces
le flux de ressortissants ;

• la capacité du pays de dépose à géné-


L être envisagées en exploitant
les complémentarités des
différentes composantes. Le mode
opérations. rer un flux de départ par voie aérienne d’action par voie maritime, présente
et sa capacité d’hébergement des res- des particularités originales. Une
sortissants placés en attente. bonne anticipation permettra de
Capacité d’emport et cycle d’évacuation répondre sans délai et dans de
Enfin, il conviendra de raisonner en flux bonnes conditions aux éventuelles
L’affichage de la capacité d’emport est global, c’est-à-dire de tenir compte de la évacuations de ressortissants par la
déterminant et engage les autorités mili- durée d’un aller-retour entre le port d’éva- mer.
taires envers les autorités politiques. cuation et le port de dépose.
SIRPA Marine

JUIN 2009 19 DOCTRINE N° 16


Le centre de regroupement
et d’évacuation
des ressortissants
PAR LE COLONEL PIERRE-YVES SANTENARD, CHEF DE LA DEP DES ELT1

orsque le pouvoir politique décide d’évacuer d’une région en crise les ressortissants, nationaux ou de
L pays alliés, les forces armées peuvent être requises pour en conduire l’exécution. Il leur incombe de les
regrouper dans une zone sécurisée et d’initier leur évacuation secondaire. Le centre de regroupement et
d’évacuation des ressortissants, ou CRER, est la structure interarmées qui est déployée pour conduire cette
phase de l’opération.

évacuation de ressortissants Cette structure est le CRER, armé équipé sit placée sous la responsabilité des forces

L’ (RESEVAC), nationaux ou de pays


alliés, est une opération qui, par le
volume de personnes qu’il s’agit d’évacuer,
et mis en œuvre par une brigade logis-
tique, qui sera renforcée en fonction du
type de déploiement requis. Elle a été mise
armées avant le transfert de responsabili-
té au MAEE.

les distances sur lesquelles il faut les trans- en œuvre à plusieurs reprises au cours des
porter et le climat d’insécurité dans lequel dernières années, en Côte d’Ivoire en 2004, La structure de commandement
elle se déroule généralement, nécessite une au Liban et au Tchad en 2006 ou au Gabon
planification rigoureuse et une coordination et à nouveau au Tchad en 2008. Dans une opération RESEVAC, la respon-
interministérielle méticuleuse. sabilité des forces armées s’étend de la
En complément de la PIA 03.351, l’armée sortie des points de regroupement à la
Elle est régie, en termes de doctrine, par de terre a développé le “manuel de mise sortie du CRER. Dès le transfert de l’auto-
la publication interarmées (PIA) 03.351, en œuvre du CRER”. Ce document de doc- rité du CEMA au commandant de la force
intitulée “directive traitant des opérations trine précise la place et le rôle du centre (COMANFOR), le centre est placé sous le
d’évacuation de ressortissants”, approu- au sein de l’opération, ses missions, son contrôle opérationnel de ce dernier, qui
vée par le CEMA en 2004. Publiée dans la fonctionnement et sa composition. peut, en déléguer le contrôle tactique à son
bibliothèque électronique de l’armée de adjoint soutien interarmées (ASIA). Le chef
terre (BEAT), cette directive est en cours du CRER, officier supérieur généralement
d’actualisation par le centre interarmées Le rôle et la place du CRER d’un état-major de brigade logistique, est
de coordination de la doctrine et des études le conseiller du COMANFOR pour le
(CICDE). dans le système RESEVAC déploiement et la mise en œuvre du centre.
Il dispose de deux adjoints, un pour le site
L’opération requiert, pour être conduite, Le CRER, point-clé d’une RESEVAC consti- et un pour les opérations de synthèse infor-
une structure projetable, si possible sur tue à la fois la dernière étape de l’éva- matique.
court préavis, et adaptable à toutes les cuation primaire et le point d’initiation de
situations, qu’il s’agisse de la zone dans l’évacuation secondaire, avant le rapa-
laquelle elle sera déployée, du volume de triement des ressortissants, phase finale Les missions du CRER
ressortissants qu’elle aura à traiter ou de l’opération conduite par le ministère
du niveau de menace auquel elle sera des Affaires étrangères et européennes Les missions du CRER couvrent quatre
confrontée. (MAEE). Il constitue l’ultime zone de tran- grands domaines.

DOCTRINE N° 16 20 JUIN 2009


Le centre constitue tout d’abord une zone Les caractéristiques de mise
Doctrine
profit des ressortissants, d’une part, et la
d’accueil. Il permet d’accueillir les réfugiés capacité des forces déployées ou préposi-
dans une zone sécurisée, de les informer en œuvre tionnées à soutenir le CRER, d’autre part.
sur la situation locale et régionale, sur les Il est déployé, chaque fois que possible,
évènements en cours et à venir et sur les Le CRER est une structure modulaire sur ou à proximité de la plate-forme d’éva-
conditions de leur transfert. Il permet enfin qui permet au commandement de cuation secondaire et dispose d’une auto-
de les enregistrer. répondre de façon appropriée à toutes les nomie alimentaire de 10 jours pour son per-
Il est ensuite une zone de préparation pour situations : les différents types de CRER sonnel.
l’évacuation secondaire. Il constitue les léger seront privilégiés pour faire face à
groupes de personnes à évacuer et coor- l’urgence et le CRER lourd permettra, quant Tous les types de CRER intègrent une
donne les opérations d’embarquement en à lui, de faire face aux afflux massifs de cellule recueil de l’information, directe-
assurant, le cas échéant, le transport jus- réfugiés ou à la pénurie de moyens de sou- ment subordonnée au poste de comman-
qu’au point d’embarquement. tien dans la zone d’évacuation. dement interarmées (PCIAT), dont le rôle
Il est également une zone de soutien, à la est de recueillir auprès des ressortissants
fois physique et psychologique. Les res- Le CRER est une structure modulaire, afin des renseignements d’intérêt militaire sus-
sortissants peuvent y être nourris, héber- de répondre au mieux aux besoins qui sont ceptibles d’intéresser le commandant de
gés, soignés et conseillés, dans des condi- spécifiques à chaque opération. Il est arti- l’opération.
tions de confort qui varient bien culé autour d’un noyau dur, le module EVAC
évidemment en fonction du type de CRER INFO, cellule élémentaire de mise en œuvre A partir du type ALPHA, ils intègrent éga-
déployé. permettant d’enregistrer 500 ressortis- lement des gendarmes, officiers de police
Il est, enfin, une zone de collecte d’infor- sants par jour. En fonction des conditions judicaire. Leur présence est indispensable
mation. Outre le compte-rendu en temps dans lesquelles se déroule l’opération tant pour enregistrer les plaintes des res-
réel du déroulement de l’évacuation, le d’évacuation, la structure peut gagner en sortissants que pour initier toute procé-
CRER peut renseigner le commandement puissance et en capacités par agrégation dure judiciaire au profit ou à l’encontre des-
sur la situation dans les zones évacuées successive de modules supplémentaires, dits ressortissants. Ils sont, de plus, seuls
grâce aux informations recueillies auprès le module EVAC INFO constituant dans tous légalement habilités à fouiller les personnes
des ressortissants. Il constitue également les cas l’élément harpon. Les deux critères qui se présentent à l’entrée du CRER.
une zone de liaison interministérielle entre permettant de déterminer la structure à
les autorités civiles et militaires. déployer sont les prestations requises au

Schéma des 4 modules

JUIN 2009 21 DOCTRINE N° 16


Le module EVAC INFO Le CRER BRAVO Sa projection est d’une nature fondamen-
talement différente de celles des modules
Le module EVAC INFO est par conception une Un second renforcement capacitaire trans- précédents. Son poids logistique global
structure légère dont la projection ne néces- forme le CRER de type ALPHA en type BRA- est de 163 tonnes et le fret est conteneu-
site qu’un seul avion de transport tactique VO. Son effectif est porté à 85 personnes risé. S’il doit emporter des modules 150, il
(ATT). Son effectif se limite à 21 personnes, avec, en particulier, la création de 2 nou- requiert 23 conteneurs de 20 pieds. Il est,
incluant une cellule IMMARSAT et une veaux secteurs : les zones “arrivée” et “vie- de plus, équipé de plusieurs véhicules
cellule recueil de l’information, subordon- soutien”. Son poids logistique avoisine les lourds et légers, ainsi que de groupes élec-
née au J2 du PCIAT. Son poids logistique total 32 tonnes et le fret reste conditionné en trogènes et, en cas de besoin, d’une cen-
est inférieur à 5 tonnes et le fret est condi- palettes. Sa projection par voie aérienne trale électrique. Il peut, enfin, être renfor-
tionné en palettes afin de limiter les requiert 2 ATT et il peut également embar- cé par une antenne chirurgicale. Son
contraintes d’emport et de manutention quer à bord d’un bâtiment de la marine déploiement ne peut être assuré que par
induites par l’emploi de conteneurs. nationale. Cette structure reste donc pro- navire porte-conteneur ou de type RORO2
Il est chargé d’initialiser puis de conduire les jetable sur court préavis et adaptée aux ce qui accroit évidemment les délais de
opérations d’enregistrement, avec le systè- situations d’urgence. projection. De plus, si le CRER n’est pas
me informatique de gestion (SIG), à partir Il doit, lui aussi, être installé en infrastruc- déployé sur le port de débarquement, il
des listes consulaires, puis la mise à bord du ture et bénéficier des mêmes conditions doit disposer de camions porte-conteneurs
moyen d’évacuation, permettant ainsi à de soutien et de sécurité que le CRER et de chariots élévateurs lourds.
l’équipe du MAEE déployée simultanément ALPHA.
et par le même vecteur, de procéder à l’éva- Sa capacité d’enregistrement est à nou- L’effectif total est de 200 personnes car
cuation secondaire. veau doublée. De plus, les cellules arrivée, la fonction soutien de la vie courante, au
Il lui revient de préparer, le cas échéant, le enregistrement et départ sont, pour partie, profit des ressortissants et du personnel
déploiement des modules complémentaires renforcées par du personnel féminin, plus du centre, augmente considérablement.
qui viendront le renforcer. spécifiquement dédié au traitement et à
Ce CRER n’a aucune capacité organique de l’écoute des ressortissantes. Cette mixité Outre l’alimentation déjà assurée par le
soutien. Il dépend donc des forces locales représente un caractère obligatoire pour CRER BRAVO, il est en mesure d’héberger
pour tous ses besoins de vie courante, rassurer femmes et enfants et pour favori- 500 ressortissants par jour dans des condi-
ainsi que pour subvenir aux besoins des ser l’enregistrement d’exactions subies. tions raisonnables d’hygiène et de leur
ressortissants enregistrés et en attente apporter un soutien santé relativement
d’évacuation. Ce CRER est, théoriquement, en mesure conséquent.
d’enregistrer jusqu’à 2 000 personnes par
tranche de 24 heures. En réalité, le ryth-
Le CRER ALPHA me d’enregistrement est directement lié L’organisation d’un CRER
aux capacités d’accueil du centre et au ryth-
Un renforcement capacitaire complète le me donné à l’évacuation secondaire. Celle- Selon le module déployé, le CRER
module EVAC INFO pour constituer un CRER ci est, quant à elle, tributaire du choix de comprendra jusqu’à 5 secteurs distincts,
ALPHA qui représente le 2e niveau de pro- la voie d’évacuation retenue, du nombre chacun d’entre eux ayant en charge une
jection. Son effectif passe à 44 personnes, et du type de vecteurs affectés à cette opé- des grandes missions qui incombent au
avec l’apparition de nouvelles cellules dont ration, des capacités de la plate-forme centre. La circulation des ressortissants
une équipe prévôtale et une équipe médi- d’évacuation et de la durée des rotations entre ces différents secteurs est bien
cale. Son poids logistique total reste infé- entre celle-ci et le lieu de destination fina- évidemment réglementée, matérialisée et
rieur à 9 tonnes, le fret étant, comme pour le. Si l’opération est conduite par voie canalisée. Chaque fois que cela est néces-
le module EVAC INFO, palettisé. Il est donc aérienne, une moyenne de 500 personnes saire, des zones d’attente sont aménagées
projetable à l’aide d’un seul ATT ou à bord par jour peut raisonnablement être main- entre ces secteurs afin de placer les res-
d’un bâtiment de la marine nationale. tenue. sortissants dans les meilleures conditions
Il s’agit, là encore, d’une structure légère En mesure de nourrir 500 ressortissants possibles.
qui doit, dans la mesure du possible, être pendant 7 jours, il assure un soutien san-
installée en infrastructure et dont le sou- té léger permanent. Le secteur “commandement” conduit l’en-
tien et la sécurité doivent être assurés par semble des opérations et renseigne le
une unité locale. COMANFOR.
Le doublement de sa capacité d’enregis- Le CRER lourd
trement lui permet, si besoin est, de tra- Le secteur “arrivée” accueille, rassure et
vailler jour et nuit. Il est également en mesu- Il représente le niveau de déploiement le sécurise les ressortissants. Le secteur
re d’enregistrer les déclarations des plus élevé, soit parce que l’afflux de res- “enregistrement” identifie et enregistre
ressortissants (contentieux, exactions sortissants est massif, soit parce que le les personnes en transit. Le secteur “atten-
subies, plaintes...). Il peut, enfin, assurer site retenu n’offre aucune capacité d’ac- te-départ” régule et conduit les mouve-
à ceux-ci un soutien médical et psycholo- cueil. Il est alors déployé avec des maté- ments vers le lieu d’évacuation secondai-
gique léger. riels de campement et, dans ce cas, son re. Les ressortissants y sont nourris et
Deux CRER ALPHA sont systématiquement installation nécessite un délai de 48 heures hébergés lorsque cela est nécessaire. Le
en alerte GUEPARD au sein d’une brigade et requiert une zone stabilisée voire asphal- secteur “vie-soutien” nourrit et héberge
logistique, l’un à 72 heures et l’autre à 9 jours. tée d’au moins 4 hectares. le personnel du CRER.

DOCTRINE N° 16 22 JUIN 2009


Doctrine
Les moyens de soutien santé sont répartis
en divers points du CRER afin d’optimiser
leur action.

Le CRER devra, en outre, disposer à sa péri-


phérie d’une aire de poser pour hélico-
ptères et de zones de stationnement dif-
férenciées pour véhicules militaires et civils.

1 Direction des études et de la prospective des écoles du


train et de la logistique.
2 RORO: roll on roll off. Navire permettant aux véhicules
d’embarquer et de débarquer en roulant.
121è RT

G
arant de la capacité du pays à évacuer ses ressortissants si la situation l’exige, le CRER est un remarquable outil
militaire et humanitaire. Mais il est également un vecteur de communication et de politique étrangère. Il permet,
enfin, aux forces armées de montrer concrètement leur capacité à assurer la sécurité des citoyens expatriés, où
qu’ils puissent se trouver.

Le CRER peut et doit être considéré comme une démonstration manifeste de la capacité des forces armées à porter
assistance aux citoyens français voire à les secourir partout dans le monde dès que la situation l’exige. Mais il est
également un extraordinaire outil politique, sur le plan national et international pour les forces armées comme pour
le gouvernement.

Il permet aux premières d’être l’interlocuteur privilégié du gouvernement, même si la responsabilité globale d’une
RESEVAC incombe au MAEE. Il leur confère aussi, dans le cas d’une opération multinationale, la capacité indiscutable
d’en revendiquer et d’en assurer la conduite.
Il offre au second une double possibilité, vis-à-vis des expatriés et vis-à-vis de pays alliés.

Parce qu’il peut leur garantir qu’ils seront évacués rapidement et sur court préavis en cas de besoin, le gouvernement
peut encourager ses concitoyens à s’expatrier, participant ainsi à développer la présence de la France dans le monde.
Il peut aussi, pour la même raison, ne pas précipiter leur évacuation et attendre d’être certain que celle-ci est
indispensable pour la déclencher. Ce point participe de la préservation des intérêts nationaux dans la région
concernée.

Il lui offre, de surcroît, la possibilité d’aider des pays alliés qui n’auraient pas la capacité d’évacuer ses propres
ressortissants, confortant la dimension internationale de la France.

JUIN 2009 23 DOCTRINE N° 16


Protection et évacuation
des ressortissants
Quel cadre juridique ?
PAR LE LIEUTENANT-COLONEL JÉRÔME CARIO, CHEF DU BUREAU RECHERCHE ET CONSEILLER JURIDIQUE CDEF

evant la déliquescence d’un certain nombre d’Etats, incapables d’assurer sur leur territoire
D leurs fonctions régaliennes, nous assistons à un “renouveau” des interventions armées au
profit des ressortissants.

De nombreux Etats occidentaux ont employé la force pour protéger leurs ressortissants sur un
territoire étranger : intervention armée de la Belgique au Congo en 1960, des Etats-Unis en
République dominicaine en 1965 et au Liban en 1976, d’Israël à Entebbe en 1976 et de la France
au Zaïre en 1978. Plus récemment, le 22 septembre 2002, un communiqué de presse du
ministère de la Défense français indiquait que “dans le cadre des mesures de précaution
décidées par les autorités françaises pour assurer la sécurité des ressortissants français en Côte
d’Ivoire, l’état-major des armées a renforcé le dispositif militaire stationné à Abidjan”1.

Les bases juridiques2 de ce type d’intervention ne sont pas définies aussi clairement que le
recours à la force. Pourtant toutes les forces armées des Etats européens se préparent à ce type
d’action, considérant ces opérations de leur propre responsabilité. De plus, que ce soit dans un
cadre national ou multinational, les différentes opérations d’évacuation menées ces dernières
années ont même élargi la notion de ressortissants.

Les bases juridiques dique d’intervention au profit des


ressortissants.
Cette doctrine repose sur deux principes :
Si les justifications juridiques avancées - pour l’Etat d’accueil, la responsabilité à
par un certain nombre d’Etats se basent l’égard des étrangers ;
sur une interprétation extensive de l’ar- - pour l’Etat intervenant, la compétence
ticle 513 de la Charte des Nations unies, régalienne et personnelle.
elles ne font pas l’unanimité au sein de la
communauté internationale4. Cependant, Le premier principe oblige l’Etat d’accueil
de ces oppositions et débats, il semble à mettre en oeuvre tous les moyens néces-
que l’on puisse élaborer une doctrine juri- saires pour la protection des étrangers.

DOCTRINE N° 16 24 JUIN 2009


Ces derniers doivent disposer d’un stan- rares. Le plus souvent cependant, c’est
Doctrine
dard minimum de garantie, destiné à pro- parce qu’il laisse se commettre des faits Cependant, la compétence d’un Etat
téger l’étranger de l’arbitraire de l’Etat portant atteinte aux droits des étrangers s’arrête6 en principe là où commence la
d’accueil, en lui assurant la sécurité sur que l’intervention se verra légale et compétence territoriale de l’Etat d’accueil,
son sol. Ce principe de valeur coutumière légitime. Il existe à cet égard toute une c’est-à-dire sa souveraineté. Lorsque ce
peut être confirmé et précisé par des gamme de situations traduisant des com- dernier manque à son obligation de sécu-
accords bilatéraux traitant des droits et portements très différents de la part de rité au profit des étrangers, l’Etat natio-
obligations de catégories particulières l’Etat d’accueil : il peut être confronté à nal est susceptible de l’assurer au titre de
d’étrangers. des actes qu’il est incapable de maîtriser, sa compétence régalienne et personnelle.
à des actes qu’il ne veut pas maîtriser ou Cette compétence fonde juridiquement
L’obligation juridique qui pèse sur l’Etat à des actes qu’il suscite et soutient5. l’intervention au profit des ressortissants.
d’accueil n’est pas respectée s’il se livre Une telle intervention qui constitue au
lui-même par l’intermédiaire de ses agents Le second principe est celui de la compé- regard de la Charte des Nations unies une
à des agissements qui portent atteinte aux tence régalienne et personnelle de l’Etat. atteinte à la souveraineté d’un Etat est
droits des étrangers ou s’il laisse s’ac- Un Etat va exercer un certain nombre de cependant soumise à un certain nombre
complir de tels agissements. Sa respon- compétences à l’égard d’individus ratta- de conditions strictes.
sabilité peut donc être engagée par action chés à lui par un lien juridique particulier,
ou par inaction. la nationalité, que ces personnes se trou-
vent ou non sur son territoire. Ce lien auto-
Les hypothèses dans lesquelles un Etat va rise le cas échéant la protection diploma- Des obligations de mise en œuvre
délibérément s’en prendre aux étrangers tique dans le cas où un ressortissant
au risque de déclencher une riposte armée national subit un dommage sur le terri- La doctrine et la pratique s’accordent pour
dans le cadre de la légitime défense sont toire d’un Etats tiers. considérer que l’intervention au profit
des ressortissants est légitime si elle
respecte trois conditions :
- une menace imminente pour la sécurité
des nationaux ;
- une carence des autorités locales ;
- la limitation de l’intervention à son objet.

Les menaces pesant sur les français en


Côte d’Ivoire étaient doubles7. Elles résul-
taient du conflit ayant éclaté le 19 sep-
tembre 2002, lorsque des éléments armés
ont mené simultanément des attaques à
Abidjan, Bouaké... et qu’un certain nombre
de personnalités furent tuées dans la capi-
tale. A cela s’ajoutent en janvier 2003,
à Abidjan, des violences antifrançaises
accompagnées de pillages dans un
contexte particulièrement menaçant
pour la communauté française, forte de
15 000 personnes environ.

Un mois après le déclenchement des


hostilités le pays est coupé en deux :
l’administration ivoirienne n’est pas en
mesure de maintenir l’Etat de droit dans
le nord et la région ouest, particulièrement
dangereuse.

De plus, dans la zone contrôlée par les


forces gouvernementales, l’Etat fait face
à des exactions qu’il tolère ou qu’il susci-
te. L’Etat ivoirien n’est plus en mesure d’y
assurer l’ensemble de ses prérogatives,
notamment la sécurité des ressortissants
français.

Aussi, l’action pour la protection et l’éva-


121è RT

cuation des ressortissants a été conduite

JUIN 2009 25 DOCTRINE N° 16


par les forces présentes en Côte d’Ivoire 1 www.defense.gouv.fr/ema.
et par des unités venant d’autres pays afri- 2 Bien que l’on retrouve une première justification de ces
interventions dans l’arrêt rendu dans les Affaires des
cains. Les évacuations terminées, les
biens britanniques au Maroc espagnol (Maroc contre
forces françaises se sont retirées et Espagne), SA du 1er mai 1925 : «... Il est incontestable
regroupées sur Yamoussoukro. Les opé- qu’à un certain point l’intérêt d’un État de pouvoir
protéger ses ressortissants et leurs biens, doit primer
rations se sont donc déroulées avec des
le respect de la souveraineté territoriale, et cela même
moyens militaires dissuasifs et après noti- en l’absence d’obligations conventionnelles. Ce droit
fication de chacune des opérations au gou- d’intervention a été revendiqué par tous les États : ses
limites seules peuvent être discutées. En le niant,
vernement ivoirien ainsi qu’aux rebelles.
on arriverait à des conséquences inadmissibles : on
désarmerait le droit international vis-à-vis d’injustices
Les forces françaises sont donc inter- équivalant à la négation de la personnalité humaine ;
car c’est à cela que revient tout déni de justice.»
venues pour garantir la sécurité des
RSA vol. II, p.641.
ressortissants, devant la carence l’Etat
ivoirien et en limitant leur intervention à 3 Charte ONU. Article 51 : «Aucune disposition de la
charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime
l’évacuation.
défense ...»
4 J.P. COT et A. PELLET. La Charte des Nations unies.
Commentaire article par article. La légitime défense
et protection des ressortissants à l’étranger.
Economica 199.1 pp. 785-786.
Un élargissement de la notion de 5 Les «forces patriotiques» en Côte d’Ivoire, ont été à
l’origine de nombreuses actions conduites contre les
ressortissants ressortissants français.
6 La Charte des Nations unies est fondée sur la souverai-
neté des Etats et impose aux Etats de régler leurs
Aujourd’hui, un citoyen d’un Etat membre différends de façon pacifique. Art.2 §3.
7 Sur quelques enseignements de l’ «Opération Licorne»
de l’Union européenne peut bénéficier de
Louis Balmond. Are`s N° 53 • Volume XXI - Fascicule 1.
la protection d’un autre Etat membre au Juillet 2004.
cas où son Etat n’est pas représenté dans 8 Article 20. Traité instituant la communauté européenne.
2004. «Tout citoyen de l’Union bénéficie, sur le territoire
l’Etat d’accueil 8. Il est donc possible
d’un pays tiers où l’État membre dont il est ressor-
d’affirmer que l’intervention au profit des tissant n’est pas représenté, de la protection de la part
ressortissants est ouverte aux nationaux des autorités diplomatiques et consulaires de tout État
membre, dans les mêmes conditions que les nationaux
des autres Etats membres de l’Union euro-
de cet État. Les États membres établissent entre eux
péenne. les règles nécessaires et engagent les négociations
La pratique, comme le montre l’exemple internationales requises en vue d’assurer cette
protection.»
de l’action conduite en Côte d’Ivoire va
9 Ce fut le cas pour l’évacuation de Korhogo et de
d’ailleurs dans ce sens. D’emblée, le Ferkessédougou menée sous commandement français
communiqué de presse du 22 septembre avec une participation américaine, les unités améri-
caines relevant ensuite les forces françaises dans la
évoque, à côté des Français, les «ressor-
sécurisation de l’aéroport.
tissants de la communauté internationale». www.defense.gouv.fr/ema/forces/operations/afrique/
L’évacuation concerne donc au-delà des cote/ivoire/301102.htm.
10 La cour internationale de justice dans l’arrêt du
Français, des ressortissants des Etats
26 juin 1986 déclarait dans l’affaire des activités
membres de l’Union européenne, des militaires et paramilitaires au Nicaragua : «Si les USA
ressortissants des Etats-Unis, d’un certain peuvent certes porter leur appréciation sur la situation
des droits de l’homme au Nicaragua, l’emploi de la
nombre de pays arabes et africains 9.
force ne saurait être la méthode appropriée pour
Le lien de nationalité s’estompe donc vérifier et assurer le respect de ces droits.» (§268).
jusqu’à disparaître comme justification
de l’intervention.

L’ intervention armée pour la protection et l’évacuation des ressortissants ne connaît pour limites de sa présence
sur un territoire étranger que le libre choix des personnes à vouloir être évacuées et la capacité des forces à
assurer l’évacuation. Cependant il serait très facile de sortir de la légalité invoquée pour la protection et
l’évacuation des ressortissants et violer les règles du droit international.

En effet, un Etat qui interviesndrait avec ses forces armées sur le territoire d’un autre Etat pour soustraire à un conflit des
personnes civiles ressortissantes de l’Etat en guerre aussi bien que ses ressortissants dont les droits fondamentaux
seraient violés, violerait à son tour les règles du droit international10.

Une telle justification est avancée aujourd’hui par les promoteurs du «droit d’ingérence».

DOCTRINE N° 16 26 JUIN 2009


Principaux sigles et acronymes
Abreviations
Main Acronyms
concernant les opérations about
d’évacuation de ressortissants Non-Combattant Evacuation Operation

Elément Combat Aérien ACE Air Combat Element

ALAT Aviation légère de l’armée de terre AA Army Aviation

ANT Armée nationale du Tchad Chad National Armed Forces

Officier Air AO Air Officer

ASIA Adjoint soutien interarmées Deputy for Joint Logistics

ATT Avion de transport tactique Utility Transport Tactical Aircraft

BEA Bibliothèque électronique de l’armée de terre Army E-Library

BIMa Bataillon d’infanterie de marine Marine Infantry Battalion

Groupe de débarquement du bataillon BLT Battalion Landing Team

BOA Base opérationnelle avancée FOB Forward Operational Base

BPC Bâtiment de projection et commandement Command Assault Ship

BSVIA Base de soutien à vocation interarmées Joint Support Base

CDC Centre de crise Crisis Management Center

Commandant du groupe de destroyers CDS Commander Destroyer Squadron

Elément de commandement CE Command Element

CEMA Chef d’état-major des armées Armed Forces Chief of Staff

CENTREVAC Centre d’évacuation Evacuation Center

Commandement Centre américain CENTCOM Central Command

CFLT Commandement de la force logistique terrestre Land Logistics Force Command

CICDE Centre interarmées de concepts, Joint Center for Concepts,


de doctrines et d’expérimentations doctrines and experimentations

CID Collège interarmées de défense Joint Defense College

COGIC Centre opérationnel de gestion Interagency operational center


interministérielle des crises for crisis management

JUIN 2009 27 DOCTRINE N° 16


COMANFOR Commandant de la force FC Force Commander

CPCO Centre de planification et de conduite Joint Operations Planning and Command and
des opérations Control Center

CRER Centre de regroupement et d’évacuation des


ressortissants

Elément de soutien CSSE Combat Service Support Element

Groupement interallié 59 CFT 59 Combined Task Force 59

DL Détachement de liaison Liaison Element

DOM-COM Département d’outre-mer French Overseas territorial


- Collectivité d’outre-mer communities

DRM Direction du renseignement militaire MIA Military Intelligence Agency

EFT Eléments français au Tchad French Forces in Chad

ELC 500 Eléments lourd de cuisson Main Field Cooking Module


pour cinq cents personnes

EMA Etat-major des armées Armed Forces Joint Staff

EMO-T Etat-major opérationnel terre Land Force Operational HQ

Force expéditionnaire ESG Expeditionary Strike Group

ESSC Equipe de soutien en situation de crise Crisis Support Unit

EMUE Etat-major de l’Union européenne EUMS European Union Military Staff

EVACINFO Système informatique d’enregistrement Digitized system for NEO registering


des ressortissants operation

FANCI Forces armées nationales de Côte d’ivoire Ivory Coast Armed forces

Elément avancé de commandement FCE Forward Command Element

FINUL Force intérimaire des Nations unies UNIFIL United Nations Interim Force in Lebanon
au Liban

FUC Front uni pour le changement United Front for Change

GAS Groupe d’anticipation stratégique Strategic Anticipation Working Group

DOCTRINE N° 16 28 JUIN 2009


Abreviations
GRI Groupement de recueil de l’information Information Collection Group

GTAM Groupement terre aéromobile Airmobile Battle Group

GTIA Groupement tactique interarmes Combined Arms Battalion Task Force

HM Hélicoptères de manœuvre Utility Helicopters (Medium)

Navire à grande vitesse HSV High Speed Vessel

Equipe de réaction aux incidents IST Incident Support Team

LURD Libériens unis pour la réconciliation LURD Liberian United for Reconciliation and
et la démocratie Democracy

MAEE Ministère des Affaires étrangères Ministry of Foreign and European Affairs
et européennes

Centre de RETEX des Marines américains MCCLL Marine Corps Center for Lessons Learned

MCP Mise en condition avant projection Pre-Deployment Training and Preparation

MINDEF Ministère de la Défense MOD Ministry of Defense

Unité expéditionnaire amphibie MEU Marine expeditionary unit

Unité de soutien des Marines 24 MSSG 24 Marine service support group 24

Hélicoptère de transport moyen MTH Medium transport helicopter

Groupe de coordination RESEVAC NEO/CG Non-combattant evacuation


operation/coordination group

Réseau Internet non protégé NIPRNET Non secret internet protocol router network

ONG Organisation non gouvernementale NGO Non-Governmental Organization

ONUCI Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire UNOCI United Nations Operation in Côte d’Ivoire

ONU Organisation des Nations unies UNO United Nations Organization

OPEX Opération extérieure Overseas operations

OTAN Organisation du traité de l’Atlantique Nord NATO North Atlantic Treaty Organization

PCIAT Poste de commandement interarmées Theater Joint HQ


de théâtre

PE Point d’évacuation Evacuation Point

JUIN 2009 29 DOCTRINE N° 16


PIA Publication interarmées JP Joint Publication

Bureau Information PIO Public Information Office

Equipage (en particulier sur des


équipements offshore) POB Personnel on Board

PR Point de regroupement CP Collection Point

RCA République centrafricaine CAR Central African Republic

RDC République démocratique du Congo DRC Democratic Republic of the Congo

RESEVAC Evacuation de ressortissants NEO Non-Combatant Evacuation Operation

Navire roulier RORO Roll on-Roll off

SAMU Service d’aide médical d’urgence Emergency Medic Unit

SIG Système informatique de gestion Computerized management system

Réseau Internet protégé SIPRNET Secret internet protocol router network

TCD Transport de chalands de débarquement LSD Landing Ship Dock

UE Union européenne EU European Union

UL Unité logistique Logistical Unit

ZDC Zone de confiance Confidence Area

ZTP Zone temporaire de protection Temporary Protection Zone

DOCTRINE N° 16 30 JUIN 2009


Bibliographie

Documents de référence concernant les opérations d’évacuation de ressortissants

Instruction 6 000 - Evacuation des ressortissants français à l’étranger approuvé en 2000 sous le n° 632/DEF/EMA/EMP.3/NP
et sous le n°00118/DEF/EMA/EMP.3/NP du 29/06/2000.

Directive interarmées sur la prévention des crises et la diplomatie de défense (INS 11 00) approuvée sous les références
n°001100/DEF/EMA/EMP.1/NP du 03 juillet 2002 (PIA 00 204).

PIA 03.351 - Directive traitant des opérations d’évacuation de ressortissants sous le n° 975/DEF/EMA/EMP1./DR
du 21 septembre 2008.

Rapport de mission BALISTE «1» (16 juillet-09 octobre 2006) :


- Référence sous du PIA 07-202 N°055/DEF/EMA/EMP.3/NP du 14/01/2005.
- Instruction DISAC D030 (C).

Manuel de mise en œuvre du centre de regroupement et d’évacuation des ressortissants approuvé le 03 juillet 2007 sous
le n°277/ELT/DEP/DOC/MVT-RAV.

Publications ou articles traitant des opérations d’évacuation de ressortissants


français ou étrangers

L’évacuation des ressortissants – Tribune du CID N°14 du CES Hubert GOUPIL.

LIBERIA : Les soldats français évacuent les étrangers de Monrovia enseignements tirés du Figaro du 11/06/03.

TCHAD : les ressortissants français évacués sont soulagés. Sources : La Tribune du 03/02/08.

RCI : Licorne 1er RIMa. Sources : Extrait Action terrestre, ADC Chesneau, Sirpa Terre.

Opération RESEVAC en RCI 2004. Source doctrine N°08 mars 2006, par le CNE Vincent FABRE du CDEF/DREX/B.ENS.

Iris CHANG, Le viol de Mankin.1937. Un des plus grands massacres du XXe siècle. Paris, Payot 2007.

Pierre SERGENT, La légion saute sur Kolwezi. Paris Presses de la Cité, 1978.

Ronald COLE, Operation Urgent Fury-Grenada, Washington DC Joint History office JCS, 1997.

Collectif, War in peace. An analysis of warfare from 1945 to the present day, Washington DC Orbis, 1985.

JUIN 2009 31 DOCTRINE N° 16


La guerre
au 21e siècle
Entretien avec le général (2S) Philippe Voute,
traducteur de l’ouvrage de Colin S. Gray, Another Bloody Century
paru aux éditions Economica sous le titre : La guerre au 21e siècle

Mon général, pourquoi vous être ne et américaine ainsi que sa grande expé- Pouvez-vous nous donner un
rience professionnelle, dans les instances
intéressé à cet ouvrage ? stratégiques décisionnelles comme dans
exemple de ces constantes ?
les centres universitaires de recherche, me
Lors de mon séjour aux Etats-Unis à la fin semblaient constituer des atouts certains Oui, c’est le fait que la guerre constitue
des années 1990, j’ai participé à des sémi- pour que ce sujet prospectif soit traité avec une donnée permanente de la condition
naires cherchant à établir les menaces aux- compétence et sérieux. C’est ce que l’au- humaine ; ainsi les raisons de faire la
quelles l’armée de terre américaine pour- teur a fait ... et de main de maître. guerre se réduisent-elles toujours à la tria-
rait être confrontée à l’horizon 2025-2030, de de Thucydide : «l’honneur, la peur et
et donc à définir des organisations, des l’intérêt». Permettez-moi aussi d’insister
missions et des doctrines possibles (c’était Mais, on ne peut pas prédire sur l’approche tout à fait clausewitzienne
le programme Army After Next). Mon pas- de l’auteur qui fait la différence entre la
sage en deuxième section des officiers l’avenir stratégique avec certitude ! nature immuable de la guerre - un acte de
généraux n’a pas subitement effacé mon violence organisé à des fins politiques - et
intérêt pour la guerre dans le futur ou le Non, d’ailleurs Colin S. Gray met en garde son caractère variable en fonction du
futur de la guerre. En outre, ma passion contre le manque d’humilité de certains et contexte géographique, culturel, social ou
pour la culture historique - sur laquelle nos contre les prophéties à la mode. Il cite ain- technique du moment.
armées semblent faire l’impasse depuis si une série de prévisions passées qui
presque deux décennies - ne pouvait que constituent autant de morceaux d’humour
me rendre sympathique un auteur qui esti- involontaire. Mais, ce qu’il affirme c’est que A ce propos, n’est-ce pas le déve-
me que l’Histoire est notre meilleur guide l’Histoire nous fournit des constantes, des
vers le futur, voire même le seul. tendances dans l’évolution des domaines loppement technique qui consti-
qui nous intéressent, ainsi que des tuera le facteur essentiel et trans-
exemples de rupture ; que vous nommiez formera le futur de la guerre ?
Peut-être, connaissiez-vous déjà le ces ruptures «révolutions dans les affaires
militaires, ou les affaires stratégiques,
professeur Colin S. Gray ? ou les affaires de sécurité, etc.» ! A nous Vous me rappelez une excellente bande
d’envisager et de rechercher ce qui demeu- dessinée des années 1970 sur le dévelop-
Non, en dépit de ses liens avec le Strategic rera constant, ce qui évoluera, enfin ce qui pement de l’armement, depuis la massue
Studies Institute de Carlisle (Pennsylvanie) se situera en rupture totale avec le passé jusqu’aux armes nucléaires, dont toutes
auquel il continue à collaborer, je ne me ... sans oublier que la surprise et l’impré- les pages se terminaient immuablement
souviens pas de l’avoir jamais rencontré. visible ne sont pas seulement probables par la formule «avec une arme pareille, la
En tout cas, sa double culture européen- mais inévitables. guerre devient impossible» ! Plus sérieu-

DOCTRINE N° 16 32 JUIN 2009


Les officiers publient
sement, Colin S. Gray prend en compte les Traitant de la guerre, l’auteur a-t-il
évolutions techniques, mais il prévient
qu’elles ne sauraient avoir plus d’impor-
une opinion sur la paix ?
tance que des facteurs permanents com-
me le danger, le hasard, la friction, la fatigue, Bien sûr, et c’est même le thème de la der-
la peur ou l’incertitude. Ce qui est plus nière partie de l’ouvrage intitulée «Dompter
sérieux, c’est qu’il voit l’élargissement iné- la bête». On ne fait pas la guerre pour la
luctable de la guerre aux nouvelles dimen- guerre, mais en vue d’obtenir une paix jus-
sions géographiques que sont l’espace et te ... ou avantageuse qui, elle-même, risque
le cyberespace ... et qu’il n’oublie pas de d’être le point de départ d’un futur conflit.
traiter longuement des armes de destruc- Sans se bercer d’illusions et en faisant preu-
tion massive qui sont à la disposition des ve d’un solide réalisme, Colin S. Gray
belligérants et ont fait leurs preuves ! démontre que la guerre possède certaines
limites naturelles ... mais estime que, com-
me l’affirme Platon : «Seuls les morts ont
Et le terrorisme dans tout cela ? vu la fin de la guerre» !

Certes, Colin S. Gray est un des rares


auteurs à envisager la résurgence de la Vous semblez très enthousiasmé par
grande guerre régulière inter-étatique. Mais,
rassurez-vous, le terrorisme est traité dans le contenu de ce livre ! Partagez-
le cadre de la guerre irrégulière dont il ne vous toutes les vues de l’auteur ?
constitue, rappelons-le, qu’un mode d’ac-
tion. Les Etats-Unis sont lancés dans la Bien sûr que non ! Ce livre n’est pas la «Bible
guerre mondiale contre le terrorisme - la et les Prophètes» ! D’ailleurs, par endroits,
GWOT (Global War On Terrorism) comme il pourra faire grincer les dents à nos com-
elle est appelée ; mais, ce phénomène - patriotes qui risquent d’y trouver la vision
auquel est lié l’expansion des missions des des néo-conservateurs américains très cri-
forces spéciales - va-t-il constituer la marque tiques vis-à-vis de l’attitude française face
du XXIe siècle ? L’auteur en doute. à la guerre en Irak. Mais, au-delà de ces
détails - qui nous permettent de nous
remettre en cause et de constater que cha-
Votre focalisation, et celle de cun dans ce monde ne partage pas notre
vision «gauloise» - il faut reconnaître que
l’auteur, sur les Etats-Unis ne cet ouvrage fera date pour tous les pas-
risque-t-elle pas de passer sous sionnés des questions de défense.
silence des évolutions ou des
révolutions dans d’autres parties du
Merci, mon général, pour votre
monde ?
patience. Peut-être un dernier
Certes, je ne connais ni le russe ni le chi- commentaire ?
nois et ce livre est très centré sur l’Amérique
du Nord. Mais, l’auteur s’en explique : les En fait, j’ai à formuler un regret et un espoir.
Etats-Unis sont encore (pour combien de Le regret, c’est de ne pas avoir «foncé» dès
temps ?) l’hyper-puissance qui possède la la parution de ce livre au Royaume-Uni en
volonté, les idées et les moyens d’agir stra- 2005 afin de faire connaître la richesse de
tégiquement sur l’ensemble du globe. Leurs son contenu et permettre à l’ensemble de
réalisations et leurs visions méritent qu’on la communauté de la défense française
s’y intéresse ; ce n’est pourtant pas oublier d’intégrer ces données avant de se lancer
les idées chinoises et russes (ou françaises) dans le Livre blanc. Mon espoir, c’est qu’au
et l’auteur ne s’en prive pas, comme la travers de cette traduction - et en dépit de
bibliographie et les citations de l’ouvrage ses faiblesses - mes jeunes camarades offi-
le prouvent. En contrepartie, Colin S. Gray ciers prennent conscience des risques et
met en garde contre la capacité américai- enjeux auxquels ils risquent fort d’être
ne à créer des concepts - «la guerre de qua- confrontés dans les années à venir, qu’ils
trième génération», les «opérations fon- se servent de ce livre comme d’une
dées sur les effets», etc. - et des acronymes source féconde de réflexions et qu’ils
qui ne font que camoufler des idées puissent, le moment venu, y trouver des
anciennes et troubler la vision du phéno- éléments de solution à leurs problèmes.
mène guerrier.

JUIN 2009 33 DOCTRINE N° 16


Les opérations d’évacuation
de ressortissants du Liban par la 24th MEU
(du 15 juillet au 20 août 2006)

PAR LE COLONEL PHILIPPE SUSNJARA* (CID)

e 12 juillet 2006 marque, avec l’attaque du Hezbollah contre un poste frontière israélien et la riposte
L israélienne contre le Liban, le début de la guerre israélo-Hezbollah.

Face à la montée de la menace et faisant suite à la demande du Department of State du 14 juillet 2006,
CENTCOM (Central Command), le grand commandement régional américain responsable de la zone, a
déclenché une opération d’évacuation des ressortissants (Non-combattant Evacuation Operation ou
NEO) présents au Liban. Pour cette mission, CENTCOM a désigné logiquement la 24th MEU (Marine
Expeditionary Unit)1 qui constituait à ce moment son élément de réaction rapide.
Participant à l’exercice Infinite Moonlight en Jordanie, la 24th MEU a mis en place dès le 15 juillet, un
élément précurseur d’une centaine d’hommes sur l’île de Chypre2. Le dimanche 16 juillet 2006, trois
hélicoptères CH-53 du Marine Corps ont évacué 25 ressortissants américains de Beyrouth vers Chypre
après avoir mis en place un détachement de 80 hommes pour renforcer la sécurité de l’ambassade.
Le 20 juillet, les premiers bâtiments américains ont débuté les évacuations depuis les côtes du Liban
et le 21 juillet, l’ensemble des moyens de l’ESG Iwo Jima était arrivé dans la zone d’opération.
Au bilan en 33 jours d’opération, la Combined Task Force 59 (CTF 59), mise en place par les forces
américaines, a conduit avec succès l’évacuation de 14 776 citoyens américains et 499 ressortissants
de pays tiers entre le 15 juillet et le 20 août 2006.

* Le colonel SUSNJARA était Officier de liaison auprès du corps des Marines américains de 2005 à 2008.

RESEVAC : un rappel succinct Dans ce cadre, les MEU (Marine La MEU est organisée classiquement en
sur le concept américain Expeditionary Unit) sont une pièce quatre éléments ; un élément de com-
maîtresse dans le dispositif militaire mandement (Command Element ou CE), un
américain. En effet, force aéroterrestre élément de combat terrestre (Ground
En cas de crise, les opérations d’évacua- embarquée, la MEU constitue une force Combat Element ou GCE), un élément
tion de ressortissants ou Non Combattant de réaction rapide capable de remplir un de combat aérien (Air Combat Element ou
Evacuation Operation (NEO) sont confiées grand éventail de missions, dont l’une ACE) et enfin un élément de soutien logis-
au grand commandement interarmées des principales est l’évacuation de ressor- tique (Combat Service Support Element
régional responsable de la zone consi dérée. tissants3. ou CSSE4).

DOCTRINE N°16 34 JUIN 2009


Étranger
Structure d’une Marine Expeditionary Unit ou MEU

Elément de commandement
Command Element

Elément de combat terrestre Elément de combat aérien Elément de soutien logistique


Ground Combat Element Aviation Combat Element Combat Service Support Element

Lors des opérations d’évacuation de ressor- d’action de la force par rapport à la zone mandement unique. Cette décision a
tissants, le CSSE est responsable de l’or- d’action traditionnelle de la 6e flotte améri- permis à l’Air Officer (AO) de la MEU
ganisation et de la mise sur pied de caine en Méditerranée. d’élaborer des plans d’emploi des moyens
l’Evacuation Control Center (ECC)5. Dans son aériens cohérents et surtout d’éviter des
organisation, le commandant du MSSG ou La CTF 59 a été constituée autour du pertes de temps inutiles.
CSSE dispose de deux équipes pouvant noyau dur composé de l’ESG Iwo Jima. Enfin un détachement de soutien psy-
armer chacune un ECC de 36 personnes6. Elle disposait du commandement opéra- chologique (Incident Support Team ou IST),
tionnel (OPCON) sur la 24th MEU ainsi que formé à partir d’une unité PSYOPS de l’Army,
sur les navires amphibies de l’ESG a été placé sous OPCON de la force.
La Combined Task Force 59 ou Amphibious Squadron 4 (PHIBRON-4).
Dans ce cadre, NAVCENT a établi une
relation supported/supporting ou La majeure partie des opérations a été
Conformément à la doctrine des forces «menant/concourant» entre la 24th MEU et planifiée et conduite par la MEU après
armées des Etats-Unis, l’évacuation des le PHIBRON-4. Afin de remplir au mieux sa validation finale de CENTCOM. Dans ce
ressortissants américains du Liban a été con- mission d’évacuation et de transport, contexte, la présence de deux échelons
fiée à CENTCOM (Central Command). Pour la CTF 59 a été renforcée par un bâtiment intermédiaires (CTF 59 et NAVCENT) a pu
cette mission, CENTCOM a désigné logique- de transport de chalands de la 6e Flotte, apparaître comme générateur de friction.
ment la 24th MEU (Marine Expeditionary Unit) l’USS Trenton (LPD14), par le navire à grande Pourtant, le rôle de la Task Force s’est avéré
qui constituait à ce moment son élément de vitesse ou High Speed Vessel (HSV) Swift essentiel pour la MEU. L’état-major d’une
réaction rapide. ainsi que par des navires civils affrétés. Ces telle Task Force, particulièrement réduit
navires ont été mis sous commandement (environ 20 personnes), ne dispose pas des
CENTCOM a désigné le commandant de la tactique du PHIBRON-4. moyens pour planifier et conduire des
composante navale (NAVCENT) comme Le commandant de la CTF 59 disposait opérations. En revanche, il agit comme un
responsable des opérations. Celui-ci a également du commandement tactique filtre protecteur pour la MEU contre les
ensuite désigné le commandant de (TACOM) sur les bâtiments de combat de demandes et interventions diverses des
l’Expeditionary Strike Group (ESG) présent l’ESG. Ces bâtiments ont été regroupés sous échelons supérieurs ou des autres
dans la zone comme commandant de le commandement du CDS 60 (Commander ministères.
l’opération d’évacuation de ressortissants. Destroyer Squadron) auxquels ont été
Selon la terminologie propre à l’US Navy, adjoints l’USS Barry (DDG 52) de la 6e Flotte.
cet ESG, sous les ordres du général de Un autre bâtiment de la 6e Flotte, l’USS Déroulement et organisation
brigade du Marine Corps Carl Jensen, était Gonzalez (DDG 66) est resté sous TACON
connu sous le nom de Combined Task Force de la CTF 59. des opérations
59 ou CTF 59.
L’état-major de la 24th MEU en exercice en
Bien que la CTF 59 n’ait pas eu le statut de La force a également reçu le renfort d’un Jordanie a commencé à planifier une opéra-
force opérationnelle interarmées (Joint Task détachement du 352e groupe des opéra- tion d’évacuation de ressortissants du Liban
Force), une zone d’opérations interarmées tions spéciales de l’US Air Force (352 SOG). avant même d’en recevoir l’ordre de
ou Joint Operating Area (JOA) a été définie Ce détachement a été placé sous TACOM CENTCOM (Executive Order en date du
incluant Chypre, le Liban et la zone mari- de la 24th MEU par le commandant de la 15 juillet). Cette planification a permis à la
time comprise entre les deux pays. Ce force afin de disposer de l’ensemble des MEU d’anticiper et de réagir dans des
découpage a permis de délimiter la zone moyens aériens disponibles sous un com- délais particulièrement courts. Ainsi dès le

JUIN 2009 35 DOCTRINE N° 16


13 juillet, l’USS Nashville avec à son bord Le rôle du PC TAC a été essentiel pour ordres de priorité au sein des différentes
l’état-major du groupement de soutien obtenir la participation des forces armées catégories de personnel à évacuer.
(MSSG 24), responsable en cas d’évacua- et des forces de police libanaises. Ainsi tout En temps normal, le centre peut absorber
tion, partait pour rejoindre la Méditerranée au long des opérations d’évacuation, l’ar- 100 personnes par heure. Lors des opéra-
orientale. Dans le même temps était mée libanaise a sécurisé avec une com- tions de l’été 2006, entre 150 et 250 per-
planifié le plan de réembarquement puis pagnie mécanisée la zone d’embarquement sonnes par heure ont pu être traitées au
de transfert de la MEU dans la même zone. des ressortissants. Grâce à cette action, moment des pics d’affluence.
la CTF59 a pu limiter au minimum le
Le commandant de la CTF 59 a articulé la déploiement de troupes effectif sur le
force en 3 échelons : territoire libanais permettant de répondre L’élément appui/soutien en mer
• un élément avancé au Liban composé d’un aux exigences politiques (minimum foot-
état-major tactique (type Harpon), print) et tactique (maintien d’une forte Bien que cet élément ait compris la
de l’Evacuation Control Center ainsi que capacité de réaction si besoin, notamment 24th MEU embarquée à bord des bâtiments
d’un détachement de protection ; au Sud Liban). du PHIBRON-4 ainsi que les bâtiments de
• un élément d’appui/soutien en mer com- combat essentiellement regroupés au sein
posé essentiellement de la 24th MEU du CDS 60, le MSSG 24 en a constitué le
embarquée à bord des bâtiments amphi- Le détachement de protection ou Security cœur.
bies du PHIBRON-4 ; Force Detachment Embarqué à bord de l’USS Nashville,
• un élément arrière stationné à Chypre l’état-major du MSSG 24 a planifié et con-
et comprenant le PC de la force ainsi que Ce détachement composé d’une section duit la majeure partie des opérations
des moyens de soutien. d’infanterie du 1/8 a rempli deux missions d’évacuation des ressortissants soit à terre
principales : via l’ECC soit à bord des bâtiments lors des
- sécuriser l’ambassade en menant des phases de transit entre la côte libanaise et
L’élément avancé patrouilles dans et autour de l’enceinte ; Chypre.
- participer à la mise en place d’une zone
Comme nous l’avons vu, cet élément a été de poser HM8. Pour ce faire, les deux ECC du groupement
mis en place par voie aérienne dès le ont été à tour de rôle déployés au Liban.
16 juillet. Il était composé d’un état-major Les missions de sécurité ont été faites en S’agissant de l’accueil des ressortissants
tactique à 9 personnes, d’une section de étroite collaboration avec les équipes de à bord des bâtiments, l’ensemble des per-
protection à 40 et d’un centre de regroupe- surveillance employées par l’ambassade sonnels de la MEU et des équipages a été
ment et d’évacuation à 36. Ce détachement et, pour la sécurité extérieure, avec les mis à contribution.
a été mis en place à l’ambassade des Etats- forces armées libanaises.
Unis à Beyrouth. Ses deux missions étaient Le détachement a participé également à la Les Marines ont utilisé pour l’évacuation
principalement : sécurité, au regroupement, au triage et à des ressortissants des chalands de débar-
l’embarquement des ressortissants en quement (LCU), des engins sur coussin d’air
- renforcer la sécurité de la représentation aidant le personnel de l’ECC. (LCAC) ainsi que des hélicoptères moyens
diplomatique américaine à Beyrouth ; (CH-46) et lourds (CH-53).
Malgré la vitesse très supérieure du LCAC,
- assurer l’évacuation des ressortissants L’Evacuation Control Center (ECC) les Marines ont préféré, de loin, utiliser les
américains et des citoyens des pays tiers classiques LCU. Leur chargement étant plus
vers Chypre. L’ECC est en charge de l’organisation et de simple et beaucoup plus rapide, les LCU
la préparation des opérations d’évacuation ont pu transporter, dans le même temps,
mais est également en charge de la sécu- le double de passagers. De plus, leur grande
L’état-major tactique ou Forward rité et du soutien logistique des ressortis- capacité a eu un effet psychologique posi-
Command Element (FCE) sants. Dans le contexte semi-permissif de tif sur les ressortissants qui voient la file
l’opération menée au Liban et avec le sou- d’attente se vider d’un seul coup lors des
La mission principale de ce PC TAC était de tien des forces armées libanaises, l’effec- phases d’embarquement.
coordonner l’ensemble des opérations avec tif de 36 personnels a été jugé suffisant.
l’ambassade américaine et de maintenir La mission première de l’ECC était de veiller
les liaisons avec les autres éléments de la au bon fonctionnement du centre de Les éléments stationnés à Chypre
force. Commandé par l’Executive Officer regroupement en coordonnant l’action de
de la MEU7, il comprenait une équipe trans- l’ensemble des acteurs présents (ECC, FCE, La base de souveraineté britannique
missions de 3 personnes (2 opérateurs ambassade, forces libanaises...). Ce d’Akrotiri a été utilisée comme base arrière
radio et 1 spécialiste des transmissions centre était situé dans un commissariat de de la CTF 59. Les éléments américains
de données), un officier communication, police libanais à environ 4 kilomètres de déployés sur cette base étaient :
une équipe d’exploitation HUMINT et un l’ambassade. Son fonctionnement est très - Quelques éléments en charge du soutien
auxiliaire sanitaire. La présence d’un proche de celui du centre de regroupement logistique. Dans ce cadre, les appareils
médecin n’avait pas été jugée nécessaire, d’évacuation des ressortissants (CRER) des KC130J ont joué un rôle majeur dans le
l’ambassade disposant d’un praticien. armées françaises. Il établit notamment les soutien des éléments basés au Liban.

DOCTRINE N°16 36 JUIN 2009


Étranger
- L’état-major de la force. La position de acteurs civils et militaires, et principale- La nation hôte
l’état-major, à terre, sur l’île de Chypre a ment entre les équipes du Department of
été jugée beaucoup plus pratique car elle State (DoS) et les éléments du Department Les relations avec la nation hôte sont
a permis de surveiller directement les of Defense (DoD). Les critiques dans ce apparues comme essentielles afin de
opérations d’évacuation ainsi que les domaine rejoignent le plus souvent celles mener à bien les opérations. Le canal diplo-
opérations logistiques tout en facilitant faites dans les mêmes circonstances par matique via l’ambassadeur a été privilégié.
la coordination POL-MIL via l’ambassade les autres armées, et notamment les armées Les informations et les moyens fournis par
des Etats-Unis à Nicosie. françaises : les forces armées libanaises ont permis de
limiter le volume de forces déployées et de
- manque de coordination préalable lors de conserver une capacité de réaction dans le
Les points clés la phase de planification ; Sud Liban importante.

- méconnaissance des procédures et capa-


Cette opération a montré une nouvelle fois cités des MEU par le personnel de l’am- Les officiers de liaison
l’importance de la coordination entre les bassade, entraînant retards et incom-
différents intervenants tant civils que mili- préhensions au début des opérations ; Les forces armées américaines ont eu
taires ainsi que le rôle primordial des en charge en plus des citoyens américains
liaisons. - intervention directe du DoS lors des opéra- l’évacuation des ressortissants cana-
tions se résumant essentiellement en diens, australiens, hollandais et grecs. La
demandes de mise à disposition de présence d’officiers de liaison auprès
Coordination moyens militaires et non en effets à de l’état-major de la MEU a été parti-
obtenir ; culièrement appréciée et s’avère néces-
Les relations «interagences» saire. Le Marine Corps a déploré l’absence
- difficile coordination interministérielle au de structure de coordination entre les
Le caractère particulier des opérations d’é- niveau central à Washington malgré la différents pays et organisations impliqués
vacuation de ressortissants demande une mise en place d’une cellule spéciale au dans cette «opération multinationale
étroite collaboration entre les différents sein du DoS9. à commandement national». Dans ce cadre,

JUIN 2009 37 DOCTRINE N° 16


la cellule spécifique d’EUCOM (Coalition Au travers des réseaux NIPRNET (Non-secret 1 La 24th MEU SOC était composée du Battalion
Coordination Cell) aurait été très utile. Internet Protocol Router Network) mais Landing Team 1/8 (BLT1/8) dont le noyau était
surtout SIPRNET (Secret Internet Protocol le 1er bataillon du 8e Marines, de l’escadron mixte
HMM 365 ainsi que du groupement de soutien 24
Malgré de nombreuses tentatives, la MEU Router Network), les différents éléments ou Marine Service Support Group 24 (MSSG 24).
n’a pas réussi à mettre en place un offi- de la force ont pu établir des vidéocon- Elle était déployée au sein de l’Expeditionary
cier de liaison auprès de la FINUL 10. A férences quotidiennes, créer des espaces Strike Group (ESG) Iwo Jima composé pour la
partie amphibie du PHIBRON-4, soit l’USS Iwo
l’avenir, il semble probable que les Etats- de discussions sécurisés ou échanger des Jima (LHD 7), de l’USS Nashville (LPD 13) et de
Unis essayeront, via leur mission à l’ONU, données volumineuses, en particulier dans l’USS Whidbey Island (LSD 41). Les bâtiments
d’obtenir la mise en place d’officiers de liai- le domaine logistique. Confirmant la ten- de combat de l’ESG étaient l’USS Cole (DDG 67),
l’USS Philippine Sea (CG 58), l’USS Bulkeley
son auprès des états-majors des forces de dance de ces dernières années, cette opéra- (DDG 84) et l’USS Albuquerque (SSN 706).
l’ONU. tion a vu également une utilisation inten- 2 La mise en place des éléments précurseurs
sive et systématique des téléphones à Chypre s’est faite à l’aide de 3 hélicoptères
lourds CH-53 et de 2 appareils HERCULES KC-
satellitaires de type INMARSAT équipés 130J appartenant à l’élément de combat aérien
Liaisons d’une interface de type SIPRNET, permet- de la MEU.
tant ainsi de communiquer directement 3 La MEU s’entraîne systématiquement à ce type
d’opérations lors de sa phase de montée en
En raison du dispositif même, les liaisons sans perte de temps et sans risque de perte puissance (Pre-Deployment Training).
ont été, comme toujours, essentielles au de données. 4 Depuis cette opération, l’élément logistique a
bon déroulement des opérations. Elles ont changé d’appellation pour devenir le Logistics
Combat Element ou LCE.
reposé sur les réseaux classiques VHF/UHF Un réseau DSN (Defense Switched Network), 5 L’ECC effectue les missions dévolues au centre
et HF mais également sur une utilisation équivalent du réseau RITTER, a été mis en de regroupement et d’évacuation des
de plus en plus importante des réseaux place utilisant des moyens civils. Ce réseau, ressortissants (CRER) dans les armées
françaises.
informatiques non sécurisés (NIPRNET), n’étant pas sécurisé, n’a pas pu être pleine- 6 La MEU étant embarquée à bord de trois
sécurisés (SIPRNET) et des communica- ment rentable. bâtiments, le commandant du MSSG a dû veiller
tions satellitaires. à ne pas dissocier les ECC entre plusieurs
bâtiments afin d’éviter des opérations de
transbordement de personnel consommateur
de temps et d’énergie.
7 Bien qu’il n’existe pas d’équivalence exacte en
raison notamment de la taille et de la
composition de la MEU, on peut considérer que
l’Executive Officer (XO) tient le rôle du chef
opérations au sein d’une brigade interarmes.
8 Bien que située en pleine agglomération,
l’ambassade des Etats-Unis à Beyrouth permet
le poser d’un CH-53 ou de 2 CH-46.
9 Cette relative inefficacité est toutefois à
relativiser en raison de la parfaite entente sur
le terrain entre l’ambassadeur, le chef de
mission adjoint (Deputy Chief of Mission) et le
chef de l’état-major tactique.
10 Il semble que ce refus ait été motivé par la
volonté de ne pas mélanger les genres.

Le succès de l’opération d’évacuation de ressortissants du Liban par les forces


armées américaines à l’été 2006 permet de tirer deux enseignements majeurs.
Tout d’abord, d’un point de vue technique, les opérations d’évacuation de
ressortissants par les forces américaines sont très comparables à celles menées par
les forces armées françaises et reposent essentiellement sur l’Evacuation
Coordination Center (ECC), centre de regroupement et d’évacuation des
ressortissants. Les problématiques et les solutions apportées sont très comparables.

Ensuite, d’un point de vue général, la réussite de l’opération d’évacuation de


ressortissants du Liban a montré la pertinence du concept de MEU dans la posture
permanente de sécurité des forces américaines. En l’absence de bases permanentes
à l’étranger à l’image des forces françaises en Afrique, le prépositionnement à la mer
permet de disposer d’une capacité de réaction rapide en tout point du globe.

DOCTRINE N°16 38 JUIN 2009


Étranger
Les opérations d’évacuation
de ressortissants
Le point de vue britannique
PAR LE LIEUTENANT-COLONEL JW RUTTER, OFFICIER DE LIAISON BRITANNIQUE AUPRÈS DU CDEF

La doctrine et les opérations d’évacuation de ressortissants

Au cours des 3 années qui ont suivi la création du CPCO britannique (PJHQ) le 1er avril 1996, celui-ci
a planifié et projeté des unités lors de 25 opérations menées dans 14 pays et réparties sur
3 continents. Sur ces 25 opérations, 11 ont été des opérations d’évacuation de ressortissants. Étant
donné la fréquence relativement grande de ces opérations, le PJHQ a élaboré la Directive de
planification interarmées 1 (JPG1) pour la planification et l’exécution de telles opérations. Toutefois,
c’est l’expérience de l’évacuation réussie en Sierra-Leone - en tant qu’élément de l’opération
PALLISER - au début de l’année 2000 et son RETEX (Retour d’expérience), qui ont mis en évidence
le besoin de réviser la doctrine provisoire. Cela s’est traduit par la publication du Mémento
britannique sur les opérations interarmées 3-51 - Les opérations d’évacuation de ressortissants. Il
s’agit d’un projet mené en collaboration entre le FCO (bureau des Affaires étrangères et du
Commonwealth) et le ministère de la Défense britannique. Remplaçant le JPG1, il en a élargi le
spectre mettant en avant la primauté du bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth pour
de telles opérations et incluant les procédures, les techniques et la tactique interarmées intervenant
dans la planification et l’exécution d’une opération d’évacuation de ressortissants.

Cet article repose sur la doctrine britannique actuelle relative aux opérations d’évacuation de
ressortissants. Il a pour objectif de fournir une vue d’ensemble de ces opérations et de mettre ce
concept en relief du point de vue britannique, en l’illustrant d’un bref cas concret d’évacuation
réussie, intervenant au début de l’opération PALLISER au Sierra-Leone en mai 2000, et dont découle
le dernier document.

Le contexte et le lieu sûr peut se trouver dans le pays opération d’intervention limitée (LIO). Ces
même. Les personnes évacuées sont le plus actions d’urgence complexes se produisent
souvent des Britanniques et d’autres généralement dans des pays instables et
ne opération d’évacuation de res- ressortissants dont le gouvernement bri- peuvent être menées dans le cadre d’opé-

U sortissants vise à transférer en un


lieu sûr des ressortissants identifiés
se trouvant sous menace dans un pays
tannique et ses représentants dans le pays
ont accepté la responsabilité. Le FCO est
responsable de la protection des citoyens
rations de soutien de la paix de plus
grande ampleur. Toute opération d’éva-
cuation ou de relogement de réfugiés, qui
étranger. La menace peut provenir d’une britanniques outre-mer. A cet égard, il est doit normalement être menée sous les aus-
catastrophe naturelle, d’un conflit, ou d’une aidé par le ministère de la Défense. La doc- pices de l’ONU, n’est pas considérée
combinaison complexe des deux. Le relo- trine britannique considère toute opération comme opération d’évacuation de ressor-
gement peut être temporaire ou permanent d’évacuation de ressortissants comme une tissants.

JUIN 2009 39 DOCTRINE N° 16


L’environnement

Les opérations d’évacuation de ressortis-


sants se déroulent dans des environ-
nements imprévisibles et particuliers, fré-
quemment dans des conditions qui se
détériorent rapidement, et dans une atmo-
sphère d’incertitude et de tension. Elles
peuvent se produire dans des circonstances
où le gouvernement ou les autres autori-
tés du pays, submergés par la catastrophe

WWW.Defenceimages.mod.uk
ou la défaite, ont de fait cessé de
fonctionner ou bien ont été renversés sans
avoir été remplacés. Dans un tel conflit, le
niveau d’intensité varie et les différentes
factions, aux motivations et aux pro-
grammes en opposition les uns avec les
autres, peuvent être parties prenantes de
la violence. Dès lors qu’une opération d’éva-
cuation de ressortissants est lancée, le peuvent tenter de faire obstruction à l’éva- exigences diplomatiques. Les liaisons, aux
théâtre peut connaître dans certains cuation. Par conséquent, dans des envi- différents échelons du commandement,
endroits des périodes imprévisibles et spo- ronnements incertains ou hostiles, le grou- doivent assurer une interface civilo-mili-
radiques de haut niveau d’intensité, ou voir pement de forces interarmées doit être en taire efficace et surmonter les malenten-
les conditions se détériorer rapidement et mesure de parer à toute éventualité. dus éventuels liés aux besoins exprimés,
basculer définitivement dans un conflit de aux capacités et à la chronologie.
haute intensité. Toutefois, tout plan doit
être souple et pouvoir s’adapter facilement Les caractéristiques
à une situation changeante et complexe. La multinationalité
Le niveau de la menace ou de l’opposition
à l’opération détermine la nature de celle- La culture et les valeurs Par définition, les opérations d’évacuation
ci et l’environnement dans lequel elle est de ressortissants sont multinationales.
menée. On peut difficilement s’opposer à Il est nécessaire que les agences civiles et D’autres pays sont immanquablement
une opération d’évacuation de ressortis- les militaires impliqués dans une opéra- impliqués à divers degrés, outre celui qui
sants menée à la suite d’une catastrophe tion d’évacuation de ressortissants tra- fait l’objet de l’évacuation. Les pays voisins
naturelle ou de troubles. Dans de telles cir- vaillent en équipe, pour que la conduite de doivent être consultés sur un grand nombre
constances, on dispose de l’accord d’une celle-ci soit réussie. Au Royaume-Uni, cela de questions, telles que les autorisations
nation-hôte et très vraisemblablement d’un signifie que le ministère de la Défense et de survol ou le lieu de montée en puissance
soutien pour l’évacuation de ceux qui sou- le FCO travaillent ensemble. Il est néces- de la force. D’autres pays peuvent envisa-
haitent partir. Des avions et des navires saire que chacun reconnaisse la culture et ger de projeter une force pour évacuer leurs
civils réguliers ou affrétés sont utilisés si les valeurs de l’autre partie et s’en accom- propres ressortissants, ou encore peuvent
possible. Bien que l’on soit peu suscep- mode. Le FCO, dont la finalité est de pro- demander à d’autres pays de le faire à leur
tible de requérir des moyens militaires pour mouvoir les intérêts britanniques, souhai- place. Le moment où d’autres pays ont l’in-
assurer la sécurité, on peut en avoir besoin tera rester engagé diplomatiquement le tention de mettre en œuvre leurs plans
à des fins logistiques, telles que les soins plus longtemps possible et cherchera à d’évacuation peut avoir une influence sur
et les transports médicaux d’urgence. éviter les signaux politiques accidentels et le calendrier précis de toute décision d’éva-
Malheureusement, toutes les opérations les engagements non nécessaires. Le minis- cuation. Toutes les opérations d’évacua-
de ce type ne sont pas susceptibles d’être tère de la Défense, dont la finalité est de tion britanniques récentes ont dû faire l’ob-
aussi simples et la planification des grou- défendre les intérêts britanniques, favori- jet d’un compromis ou d’une coordination
pements de forces interarmées doit tou- sera une planification militaire en temps à plus ou moins grande échelle avec les
jours prendre en compte des situations où opportun, une projection précoce, en par- opérations menées par les autres pays.
l’on ne peut disposer du soutien d’une ticulier d’unités de liaison et de recon-
nation-hôte et où les autorités civiles et naissance, et des actions préventives. Toute
militaires locales ont perdu le contrôle, ou demande diplomatique de déploiement Les contraintes
ont entièrement cessé de fonctionner et où d’un groupement de forces interarmées,
la loi n’est plus appliquée. Les personnes presque toujours considérée comme inter- De telles opérations sont toujours sujettes
évacuées peuvent devenir immédiatement venant en dernier ressort, peut ne pas se à un certain nombre de contraintes poli-
des cibles et leurs vies se trouver mena- présenter au meilleur moment du point de tiques, juridiques et pratiques. L’importance
cées. Dans certains cas, des factions armées vue militaire. Cela peut provoquer une ten- des forces engagées et les contraintes impo-
ou même des forces de protection locales sion forte entre les besoins militaires et les sées sont décidées à la lumière des recom-

DOCTRINE N°16 40 JUIN 2009


Étranger
mandations politiques. D ’autres contraintes Les média ment depuis le PC du groupement déployé
juridiques et politiques façonnent les règles dans la zone d’opérations interarmées.
d’engagement (ROE) et peuvent limiter la Les média ont la capacité de produire des C’est là que la planification et la conduite
capacité du groupement de forces interar- émissions sur le vif non censurées et de l’opération se déroulent. Dans la zone
mées à mener toute forme d’opération mili- d’émettre des communiqués immédiats d’opérations interarmées le commandant
taire préventive. Dans des circonstances depuis la zone d’opérations interarmées. du groupement de forces est subordonné
normales, la souveraineté, les lois et les L’accès à l’Internet permet à quiconque de au représentant du gouvernement britan-
coutumes du pays où a lieu l’évacuation faire ses commentaires sur la situation de nique, lequel, en tant que haut fonction-
doivent être respectées et le niveau de la manière à l’exploiter à ses propres fins. Un naire britannique sur le théâtre, est res-
force requis pour surmonter toute opposi- plan de communication opérationnel ponsable des ordres d’exécution de
tion locale peut être si important qu’il s’avè- exhaustif, dynamique et à jour constitue l’évacuation. Une fois cet ordre donné, le
re politiquement inacceptable, rendant ain- la manière la plus efficace d’influencer favo- commandant du groupement assume la
si l’opération d’évacuation de ressortissants rablement les perceptions. Il est néces- responsabilité de l’exécution.
impossible. Finalement, des considérations saire de disposer d’une organisation de
financières sont susceptibles de restreindre gestion de crise solide et efficace, qui dif-
le volume, la méthode employée et la durée fuse des «éléments de langage» clairs, non Le commandement tactique
de l’engagement du groupement de forces équivoques et en temps opportun, ainsi
interarmées. que des personnels sur le terrain ayant Au niveau tactique, les commandants de
l’expérience des opérations médiatiques. composante sont étroitement impliqués
Des «porte-parole» bien informés et expé- dans la mise en œuvre du plan de cam-
La perception et la coopération rimentés (des personnels formés dans le pagne. Le commandant de composante
des personnes évacuées domaine des techniques médiatiques) sont chargé de l’évacuation en sécurité des res-
nécessaires sur le théâtre, si jamais l’opé- sortissants devient le commandant de l’opé-
Les évacués potentiels se composent sou- ration se déroule sur un certain laps de ration d’évacuation et reçoit le soutien des
vent d’un ensemble disparate d’individus temps. autres commandants de composante. Il
et de groupes qui ont peu de choses en utilise sa propre structure organique de
commun, à l’exception de leur nationalité commandement et de conduite, adaptée à
et du fait qu’ils sont pris dans la même la situation, afin de fournir les capacités de
crise. Leur volonté ou leur réticence à par- L’exercice commandement et de conduite nécessaires
tir dépend souvent de perceptions ou de
circonstances individuelles. On peut
du commandement au processus d’évacuation. Dans le cas
d’opérations d’évacuation de ressortissants
s’attendre à ce que les non-résidents, tels de faible envergure, le commandant du
les touristes et les personnes en déplace- Une coordination et une coopération groupement de forces interarmées peut
ment professionnel, souhaitent être rapa- de niveau élevé décider d’exercer directement le comman-
triés et partir rapidement. Les expatriés dement et d’agir en tant que commandant
peuvent s’avérer être beaucoup plus réti- La sensibilité politique d’une opération de l’opération d’évacuation en utilisant son
cents à abandonner leur maison et leurs d’évacuation de ressortissants impose état-major au sein d’un PC de groupement
moyens d’existence. Ils ne veulent pas être qu’elle soit coordonnée au plus haut niveau. configuré en conséquence.
évacués au-delà de ce qui est nécessaire, Distinctes, les chaînes de commandement
voire pas du tout, et ils veulent revenir militaire et civile sont centralisées au niveau
aussi rapidement que possible. Il est pos- ministériel, sous pilotage du FCO. La coor- Le concept général
sible que des membres d’organisations dination est complexe, impliquant fré-
humanitaires et des missionnaires, ins- quemment un certain nombre d’autres
pirés par des idéaux religieux et moraux, agences et d’ONG (organisations non gou- Concept et mise en œuvre
puissent préférer le martyre à l’abandon vernementales), ce qui nécessite une
de leur cause. Paradoxalement, la projec- coopération mutuelle et une définition clai- Il s’agit d’accueillir les personnes à
tion d’un groupement de forces dans un re des objectifs communs. évacuer, d’en assurer le traitement admi-
environnement incertain est susceptible nistratif et le filtrage dès que possible, puis
de créer un faux sentiment de sécurité chez de les transférer vers un lieu sûr, éven-
certaines personnes évacuées. Elles peu- Le commandement opérationnel tuellement en passant par des lieux
vent comprendre soit que le groupement successifs. Comme mentionné plus haut,
de forces interarmées va diminuer la mena- Le commandement opérationnel (OPCOM) la responsabilité de lancement d’une opé-
ce, rendant leur départ inutile, soit qu’il est exercé par le commandant interarmées, ration d’évacuation de ressortissants relève
peut venir à leur aide si jamais la situation à partir du PJHQ. Il est responsable de la du représentant de la Reine et repose sur
se détériore, leur permettant ainsi de retar- direction, de la projection, du soutien et de une coordination étroite entre le ministère
der leur départ de manière déraisonnable. la récupération du groupement de forces. des Affaires étrangères britannique, le com-
Une telle situation augmente la difficulté de A son niveau, le commandant du grou- mandant du groupement interarmées
mener une évacuation efficace et en temps pement de forces interarmées exerce le et lui, afin de s’assurer que la demande
voulu. contrôle opérationnel (OPCON), générale- d’une telle opération est appropriée. La

JUIN 2009 41 DOCTRINE N° 16


ayant établi leur droit à évacuation, il faci-
fourniture d’information en temps oppor- L’évacuation lite leur rapatriement ou tout autre trans-
tun en vue de cette décision est fonda- port vers un lieu sûr, selon le cas. A l’exa-
mentale et des informations anticipées et men de ce processus, il est important de
Le groupement de forces interarmées est constater que les personnes à évacuer puis-
précises ont une valeur inestimable.
déployé pour assurer la protection de sites sent entrer dans la chaîne d’évacuation et
d’évacuation planifiés à l’avance, où les en sortir en tout point et que les sites d’ac-
personnes sont rassemblées en vue de leur cueil et d’évacuation, le centre de traite-
La projection et l’entrée sur le théâtre évacuation. Selon les plans élaborés par ment des évacuations et les lieux sûrs soient
l’ambassade britannique ou par le Haut pris en compte selon leur fonction et non
L’opération d’évacuation de ressortissants commissariat, les personnes à évacuer sont pas en tant que lieux géographiques dis-
dépend de l’environnement et peut néces- informées du lancement de l’évacuation et tincts et qu’ils puissent être situés au même
siter une approche amphibie, aéroportée se dirigent vers des sites désignés à l’avan- endroit lorsque cela est opportun.
ou aéroterrestre. Le groupement de forces ce, dénommés centres d’accueil, où ils sont
peut être directement projeté par voie accueillis par un réseau de volontaires,
aérienne vers le pays où l’évacuation doit généralement sélectionnés parmi des
avoir lieu, ou peut profiter d’une base inter- membres de confiance de la communauté Étude de cas :
britannique, appelés îlotiers et s’insèrent
médiaire. Si l’on dispose de suffisamment
dans la chaîne d’évacuation. Avec si néces-
la Sierra Leone
de temps, le groupement peut être proje-
té par voie maritime. Un groupement saire, l’aide du groupement, le chef d’îlot Opération PALLISER
embarqué peut être prêt avant l’enga- rassemble les personnes à évacuer au Mai 2000
gement et fournir à la fois une base mari- centre d’accueil et les transporte vers un
time et un lieu sûr, et de ce fait réduire son site d’évacuation. A ce point, le groupement
prend en charge les personnes à évacuer,
La situation de la Sierra Leone
temps de présence dans le pays ainsi que
son volume et minimiser les besoins en les protège et les transporte vers le centre
soutien. Quelle que soit la méthode de pro- de traitement des évacuations. L’objectif En janvier 1999, la paix fragile qui régnait
jection utilisée, une base avancée de prédé- premier du centre de traitement des éva- dans l’ancienne colonie britannique a été
ploiement est mise sur pied à l’endroit d’où cuations consiste à organiser le transport
rompue et le pays a sombré dans une guer-
l’opération est lancée. Cette base sécuri- des personnes à évacuer vers un lieu sûr.
re civile, conduisant à la mise en place d’une
sée, port ou aérodrome, est normalement, Il fournit également un dispositif de filtra-
mission des Nations unies en Sierra Leone
mais pas forcément, hors du théâtre d’opé- ge pour s’assurer que seules les personnes
(MINUSIL), agissant dans le cadre de la
ration. Elle est susceptible de constituer prévues seront transportées. Il peut four-
nir un soutien médical et logistique, si résolution 1289 du Conseil de sécurité des
un tremplin essentiel pour entrer dans le Nations unies et du chapitre VII de la Charte
théâtre. Il faut qu’elle permette à une force nécessaire. Le filtrage doit être placé autant
en amont que possible dans la chaîne d’éva- des Nations unies. Cependant, à la fin avril,
d’intervention de monter en puissance et le début du processus de désarmement,
démobilisation et réintégration (DDR) s’est
traduit par une reprise de l’offensive par le
Front uni révolutionnaire (FUR) rebelle,
conduisant à des pertes humaines, ainsi
qu’à des prises d’otages parmi les per-
sonnels de la MINUSIL et à une situation
dans laquelle Freetown, la capitale, a été
une fois de plus menacée par le FUR.
WWW.Defenceimages.mod.uk

La réaction britannique
Le gouvernement britannique s’est initia-
lement tourné vers les Nations unies pour
coordonner l’opération internationale.
Toutefois, le Conseil de sécurité des Nations
unies a exprimé le 4 mai dans une réunion
d’urgence qu’il envisageait que le Royaume-
par la suite de s’occuper des personnes cuation. Toutefois, il ne doit pas retarder le
Uni résolve la crise. Cela s’est traduit par
évacuées, tout en accueillant les renforts processus d’évacuation ou mettre inutile-
ment en danger les personnes à évacuer, le plus grand déploiement unilatéral de
ou les réserves. Une BSA (base de soutien forces britanniques à l’étranger depuis la
avancée) est mise en place dans la zone le personnel diplomatique ou les person-
nels militaires. Au centre de traitement des guerre des Malouines en 1982. L’opération
d’opération, afin d’assurer le soutien des a impliqué la projection d’une force d’env-
opérations tactiques. évacuations, le FCO reprend la responsa-
bilité des personnes à évacuer, aidé par le iron 4 500 hommes, comprenant un porte-
groupement de forces si nécessaire. Puis, avions, un groupe amphibie organisé autour

DOCTRINE N°16 42 JUIN 2009


Étranger
d’un commando de Royal Marines, un régi- sance britannique atterrissait sur l’aéro- a demandé au commandant militaire bri-
ment parachutiste, un détachement de l’ar- port le matin du 6 mai 2000, la situation tannique en Sierra Leone de commencer
mée de l’air de quatre hélicoptères Chinook, empirait effectivement, la MINUSIL se trou- l’évacuation de toutes les ayants droit.
un groupement de forces spéciales assez vait en grande difficulté et les Nations unies L’aéroport de Lungi étant protégé par une
important et les moyens de commande- avaient déjà commencé à évacuer leur com- compagnie du 1er régiment parachutiste,
ment et de conduite nécessaires. posante civile. un autre régiment s’est rendu par avion à
Freetown, afin de sécuriser le site de
rassemblement des personnes à évacuer.
La projection Début de l’opération et évacuation Celles-ci ont été évacuées vers Lungi par
les hélicoptères de soutien Chinook, et
La situation s’est détériorée rapidement et Deux jours plus tard, une violente mani- de là, évacuées par avion de transport
le PJHQ a envoyé une équipe opérationnelle festation s’est produite, lorsqu’une foule Hercules vers Dakar. Au cours des 48 heures
de liaison et de reconnaissance en Sierra d’environ 10 000 personnes a marché en qui ont suivi le lancement de l’opération le
Leone. Sa mission a consisté à réaliser direction de la maison du chef du FUR. 8 mai 2000, environ 500 Britanniques et
rapidement une évaluation de la situation Comme la tension augmentait, plusieurs autres ayants droit sur les 1 000 estimés
en liaison avec le Haut commissaire bri- de ses gardes du corps ont ouvert le feu, ont été évacués vers le Sénégal. Ceux qui
tannique qui venait juste d’arriver. Dans les et au cours de l’échauffourée qui a suivi, sont restés ont choisi de le faire en raison
heures qui suivirent leur arrivée, les unités 21 personnes ont été tuées. Il devenait clair de la présence des troupes britanniques
britanniques ont commencé à faire mou- que la Sierra Leone se trouvait quasiment ou parce qu’ils se trouvaient dans d’autres
vement vers une base avancée de prédé- dans un état d’effondrement, et cet après- endroits dans le pays et qu’il n’était pas
ploiement à Dakar, au Sénégal, afin d’être midi là, le Haut commissaire britannique possible de les évacuer.
en mesure de réagir en cas de détério-
ration de la situation. L’aéroport inter-
national de Lungi, seul aéroport opéra-
tionnel capable de recevoir rapidement
les avions de transport nécessaires à
toute intervention extérieure, s’est avé-
ré indispensable. En conséquence, la
permission a été obtenue du gouverne-
ment de la Sierra Leone pour que
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l’aéroport soit contrôlé par les forces


britanniques dès leur arrivée à Dakar.
Cela a offert un point d’entrée aux forces
britanniques et aux forces des Nations
unies, ainsi qu’un itinéraire de sortie
potentiel pour les ressortissants étran-
gers. Alors que l’équipe de reconnais-

Le RETEX

L’opération d’évacuation de ressortissants en Sierra Leone s’est soldée sans équivoque par un succès. Mais il a
fallu pour cela de la chance, de l’initiative, de la confiance dans l’intuition des militaires, et accepter une certaine
dose de risque. D’autres paramètres ont contribué à rendre l’évacuation rapide et relativement facile et en faire une
réussite. Les installations à Dakar et la disponibilité du Haut commissaire britannique se sont avérées très
précieuses dans le sens où le temps normalement nécessaire pour mener l’opération a été réduit. Une solide
coordination, mettant en œuvre plusieurs services gouvernementaux à différents niveaux et dans divers domaines,
a permis l’obtention d’une réaction rapide pour déclencher l’opération. Tout a bien fonctionné mais des points faibles
ont été identifiés que les services ministériels et les militaires ont dû prendre en compte. La conséquence de cette
évaluation honnête a été le projet commun FCO/Ministère de la Défense consistant en la publication d’une nouvelle
doctrine britannique interarmées sur les opérations d’évacuation de ressortissants quelque 3 mois plus tard.

JUIN 2009 43 DOCTRINE N° 16


Un vol vers l’inconnu
L’opération LIBELLULE
PAR LE GÉNÉRAL DE BRIGADE HENNIG GLAWATZ, COMMANDANT ADJOINT DE LA DIVISION DES OPÉRATIONS SPÉCIALES DE L’ARMÉE DE TERRE ALLEMANDE

n mars 1997, la situation chaotique en Albanie nécessita l’évacuation dans l’urgence


E d’environ 100 ressortissants allemands et étrangers désireux de quitter la capitale Tirana. Le
13 mars 1997, le Chancelier fédéral donna à la Bundeswehr l’ordre de procéder à l’évacuation.
L’opération d’évacuation LIBELLULE requérant six hélicoptères CH-53 débuta le matin du 14 mars
1997 et put être conclue au soir de la même journée par un succès et sans avoir aucune perte à
déplorer.

Une crise soudaine le 13 mars à la Bundeswehr de procéder certes les événements dans l’Albanie en
à l’évacuation sous commandement natio- crise, mais personne ne semblait considé-
nal. Suite à cela, le soir du 13 mars, le Centre rer un engagement dans ce secteur com-

E
n mars 1997, la situation politique d’opérations de la Bundeswehr (FüZBw) me une option réaliste. Les soldats du pre-
intérieure en Albanie, engendrée par donna l’ordre au commandant national sur mier contingent GECONSFOR (L) étaient à
des opérations financières fraudu- le théâtre de Bosnie et Herzégovine (NatBef cette date affectés depuis six à dix semaines
leuses, dans lesquelles étaient également i.E.)de procéder à l’évacuation hors de Tirana sur le secteur. Ils avaient été soigneuse-
impliqués des éléments du gouvernement, le 14 mars. Dans la nuit du 13 au 14 mars, ment sélectionnés et avaient bénéficié en
était devenue incontrôlable. Les forces le groupement tactique fut alors constitué Allemagne d’une formation préliminaire
armées étaient en pleine déliquescence, à partir des éléments du contingent alle- complète. Pour une partie des soldats, il
les stocks d’armes avaient été pillés, la paix mand de la SFOR stationnés sur le camp s’agissait de leur deuxième, pour certains
civile et l’ordre n’étaient pratiquement plus de Rajlovac et l’opération préparée. Le matin même de leur troisième affectation.
assurés, des fusillades éclataient dans les du 14 mars, le groupement tactique fit mou-
rues. Personne ne se risquait à faire de pro- vement vers Dubrovnik. Le même jour Les acteurs principaux au sein de l’état-
nostic sur l’évolution de la situation dans à 19h30, après le retour du dernier héli- major du commandant national de théâtre
les jours qui allaient suivre. coptère à Dubrovnik, l’action pouvait être à Rajlovac, à Bonn au centre d’opérations
considérée comme terminée, 20 heures de la Bundeswehr (FüZBw) et à Coblence
Le ministère fédéral des Affaires étrangères après la réception de l’ordre écrit. La au commandement des forces terrestres
donna des instructions à l’ambassade phase d’évacuation réalisée à Tirana même, (HFüKdo) se connaissaient déjà en partie
d’Allemagne à Tirana, pour que celle-ci pro- particulièrement critique, exigea moins pour avoir accompli des missions com-
cède immédiatement aux préparatifs d’éva- d’une demi-heure. munes auparavant, coopéraient étroite-
cuation des ressortissants allemands et ment, et il régnait une grande confiance
d’autres nations qui désiraient quitter le L’opération se déroula avec succès, toutes mutuelle. Cet élément devait s’avérer ulté-
pays. Par la suite, plus de 100 ressortis- les personnes à évacuer le furent par la voie rieurement être un facteur décisif pour le
sants allemands et étrangers désireux de des airs. Un hélicoptère fut endommagé par succès de l’opération.
quitter le pays se rassemblèrent à Tirana. un tir de fusil. Il n’y eut pas de pertes ni de
Le 12 mars, l’ambassade informa le minis- blessés à déplorer dans les rangs amis. Lors du briefing de la soirée à l’état-major
tère fédéral des Affaires étrangères qu’une du commandant national de théâtre arriva
évacuation par voie terrestre, maritime ou à 18h15 une communication téléphonique
recourant au transport aérien civil ne lui Camp de Rajlovac, 13-14 mars 1997 urgente du chef du G3 HFüKdo à l’atten-
paraissait plus envisageable en termes de tion du chef d’état-major. Il informait que
garantie de sécurité, ajoutant que la situa- Pour le contingent allemand de la SFOR sur le ministère de la Défense envisageait de
tion devenait menaçante pour l’intégrité le camp de Rajlovac, au nord-ouest réaliser ou tout au moins de soutenir dans
physique des personnes. de Sarajevo, le 13 mars 1997 s’annonçait les prochains jours une opération d’évac-
Au terme d’un processus décisionnel à comme un jour ordinaire. L’état-major du uation hors de Tirana en recourant aux
Bonn, le Chancelier fédéral ordonna commandant national de théâtre suivait forces du contingent allemand de la SFOR.

DOCTRINE N°16 44 JUIN 2009


Étranger
Toutefois, rien ne permettait de dire à cette également relai radio et chargée de la sur- J’ai pu ensuite observer le même phéno-
heure si cette opération dont les détails et le veillance de l’espace aérien. Sur cette base mène à Dubrovnik, lorsque je procédai à la
cadre étaient encore incertains, serait effec- et sous le nom de code LIBELLULE com- structuration du groupement tactique en
tivement réalisée. mença vers minuit la planification détail- trois éléments ; nombreux étaient ceux qui
Sur la base de cette information, l’état- lée de l’opération pour l’intervention. Le voulaient à tout prix être affectés au grou-
major du commandant national de théâtre, personnel chargé de la préparation de la pe Tirana.
avec la participation de l’escadrille de trans- mission fut astreint au secret. L’opération
port de l’ALAT (HFlgTrpStff) et de l’hôpital put être gardée secrète jusqu’à son terme. En termes de conduite des hommes, aucun
de campagne (Flaz), lança dans un cadre problème spécifique ne fut à signaler dans
confidentiel les premières réflexions et éta- Le groupement tactique opérationnel fut cette phase. La priorité fut, lors d’une inin-
blit une première ébauche de conception constitué de la manière suivante : terrompue course contre la montre, de
en termes de dimensionnement du dispo- résoudre une grande quantité de problèmes
sitif de forces. Quelques heures plus tard, - à partir de l’état-major du commandant tactiques, organisationnels et techniques.
nous devions déjà être en mesure de mobi- national de théâtre fut constitué le groupe L’emport en armement et en munitions
liser ces moyens, ce qui, compte tenu de de commandement sur la base d’un consistait en G3, fusils automatiques, armes
la faible ressource temps, nous conféra un effectif 8/5/1/14, antichars portables, pistolets lance-gre-
avantage important, peut-être même déci- - l’escadrille de transport de l’ALAT a four- nades et grenades à main. Des rations de
sif, lors de la préparation. ni six CH-53 avec leur équipage et le per- survie et de l’eau se trouvaient également
Je me rendis personnellement dans la sonnel de soutien technique/géophysique à bord des appareils. De l’argent liquide
soirée au groupement tactique blindé où, (17/17/3/37), déboursé par le guichet de Rajlovac à hau-
vers 21h45, un message d’alerte émanant - l’hôpital de campagne et l’antenne sani- teur de 100 000 DM et 15 000 dollars fut
de mon état-major et intitulé «Tirana» me taire de la garnison (StOSanZentrum) ont réparti sur les appareils 1 à 6.
fut communiqué. Le HFüKdo avait informé constitué la composante sanitaire
à 21h35 qu’à partir du 14 mars à l’aube une (9/4/0/13) et Le 14 mars à 07h00, je présentai le grou-
opération d’évacuation serait à effectuer. - à partir d’éléments d’une compagnie du pement tactique sur le plot de Rajlovac
Un ordre émanant du FüZBw fut annoncé groupement tactique blindé, une section au commandant national de théâtre, le
comme imminent. de protection sur la base d’un effectif de général de division Klaus Frühhaber. Il
3/10/12/25 a été activée. rappela à nouveau les soldats à leur mis-
L’ordre écrit du FüZBw arriva à 21h35 à sion, sans cacher que celle-ci était assor-
Rajlovac. Le message disait : «Evacuez les L’effectif global du groupement tactique tie d’un risque. Ensuite, le groupement tac-
ressortissants allemands et d’autres nations s’élevait ainsi à 37/36/16/89. En regard de tique prit place dans les appareils et se
de la zone Grand Tirana». Un ordre com- leur formation, de leur motivation, de leur prépara à faire mouvement. Ainsi, entre
plémentaire du HFüKdo arriva peu après. équipement et de leur disponibilité, les élé- l’instant de la première information faisant
Le commandement pour la préparation de ments stationnés sur le camp de Rajlovac état de l’éventualité d’une telle mission,
l’opération continua dans un premier temps avaient la qualification pour effectuer cet- et celui de la disposition à décoller, tout
de relever du HFüKdo. Simultanément, je te mission imprévue. Une partie des com- juste 14 heures s’étaient écoulées ; et seu-
fus nommé commandant du groupement mandants était déjà habituée aux fonda- lement neuf bonnes heures depuis la
tactique et relevé de ma mission de chef mentaux d’une telle opération. La troupe communication de l’ordre de mission pro-
de l’état-major du commandant national travailla d’arrache-pied toute la nuit sans prement dit.
de théâtre. Cette dernière fonction fut interruption. Personne ne chercha à se Aussi, les préparatifs de l’opération durent-
confiée à mon adjoint, qui coordonna au défiler. Il a même fallu décliner l’offre de ils se faire dans la plus grande urgence. La
cours de la nuit avec beaucoup de cir- service spontanée de certains éléments. rigueur à observer lors de la préparation
conspection le travail de soutien de l’état-
major.
Le décollage de Rajlovac avec comme pre-
mière destination Dubrovnik en Croatie était
prévu pour le lendemain à 07h30. Avant
cela, il fallait procéder à une évaluation de
la situation, constituer un groupement tac-
tique, l’équiper et le préparer à décoller
pour la mission. La rédaction et diffusion
des ordres devaient être lancées immé-
diatement. Outre le groupement tactique,
qui fut constitué à partir d’éléments de
l’armée de terre stationnés sur le camp de
Rajlovac, le FüZBw fournit deux avions
Transall pour le transport des personnes à
évacuer et un Transall faisant office de relai
radio, ainsi que la frégate Niedersachsen,

JUIN 2009 45 DOCTRINE N° 16


de cette opération devait être conciliée avec sur place les préparatifs nécessaires. Ceci fut - sécuriser immédiatement l’environnement
la situation à Tirana imposant la nécessité coordonné entre le ministère fédéral de la de proximité du plot,
d’agir rapidement. Dans ces conditions, il Défense et celui des Affaires étrangères. - installer un PC mobile,
n’était plus possible d’envisager des modes - assurer la prise en charge et l’évacuation
d’action alternatifs. On ne disposait prati- Je donnai à 09h50, au PC de Dubrovnik, l’ordre par voie aérienne des personnes concer-
quement pas de réserves. En cas de fric- N° 1 pour l’engagement que j’avais élaboré nées en sécurisant,
tions, il eût été nécessaire d’improviser. pendant le vol ralliant Rajlovac à Dubrovnik. - acheminer immédiatement les personnes à
D’autre part, la rareté des informations de A 10h50, l’attaché militaire à Zagreb le lieu- évacuer vers Podgorica par voie aérienne,
situation disponibles nous contraignait en tenant-colonel Peer Schwan, qui avait été - replier le PC mobile et le dispositif de sécu-
grande partie à une planification vers l’in- dépêché à Dubrovnik par le ministère fédé- risation après le décollage des dernières
connu. Ainsi, à l’instant du décollage de ral des Affaires étrangères, se signala, et prit personnes à évacuer et
Rajlocvac, on ne savait pas à quel(s) immédiatement à sa charge le maintien des - retour vers Podgorica.
endroit(s) de Tirana les personnes à éva- communications et les consultations ulté- - Axe d’effort principal : embarquement
cuer se trouvaient, ni où il faudrait les ame- rieures avec les autorités croates. rapide des personnes à évacuer et durée
ner, indépendamment du fait que nous ne de séjour très bref, en n’ayant jamais plus
disposions ni d’un plan de la ville, ni de Vers 11h30 l’ordre de mission suivant fut d’un hélicoptère au sol à la fois.
cartes suffisantes. communiqué par le FüZBw :

Le groupement tactique LIBELLULE avait GECONSFOR (L) procède à l’évacuation en A cet instant, l’embarquement des personnes
entre-temps fait officiellement l’objet auprès utilisant Podgorica entre 141500A-mar-97- à évacuer était encore censé être effectué
du SHAPE d’un retrait du contingent SFOR, 141699A-mar-97 hors de Tirana, dans le but avec l’appui des Américains à proximité de
et avait été placé sous commandement de faire quitter le pays à des ressortissants l’ambassade. Lors de l’affectation des héli-
national. Peu après 07h30, l’hélicoptère allemands et étrangers. Attendre l’ordre coptères, il était important de débarquer avec
leader s’éleva dans le ciel gris du mois de pour le rassemblement. l’atterrissage de la première machine le gros
mars et prit le cap vers Dubrovnik, laissant Vers 12h00, un colonel arriva de Bonn, qui, de la section de commandement et une gran-
Sarajevo de côté. La première phase de quelques jours auparavant, était encore de partie de la section de protection, afin de
l’opération LIBELLULE avait commencé. conseiller militaire du gouvernement alba- pouvoir garantir immédiatement à partir du
nais. Il avait avec lui des cartes dont nous sol la conduite et la sécurisation de l’opéra-
avions un urgent besoin et devait, en regard tion d’évacuation.
Escale à Dubrovnik et Podgorica de ses remarquables connaissances du
théâtre, s’avérer être d’une grande utilité lors D’autres éléments de sécurisation suivi-
A 09h20, le dernier des appareils atterris- de la planification et ultérieurement égale- rent dans les hélicoptères 2 à 5, afin que
sait à Dubrovnik. La frégate Niedersachsen ment lors de l’exécution de l’opération. Pour l’on puisse également disposer d’éléments
avait établi le contact pendant la nuit et celle-ci, les unités furent subdivisées en trois de sécurisation débarqués lors d’éventuels
entrait dans les eaux proches de la côte groupes : Dubrovnik, Podgorica et Tirana. atterrissages. Tous les éléments de sécu-
albanaise. L’aéroport de Dubrovnik s’avéra risation, à l’exception des deux mitrailleurs
être pour nous tout à fait adéquat, car : Des informations de situation concernant de bord que compte chaque hélicoptère,
la ville de Tirana étaient disponibles grâce étaient débarqués pendant la durée de
- on pouvait y établir immédiatement des à la connaissance de l’endroit dont disposait l’opération.
liaisons par télécommunication, l’ancien conseiller militaire. Ainsi, l’itinéraire
- les unités étaient totalement protégées d’approche précédemment défini fut-il modi- D’autre part, il y avait au minimum un
dans une zone annexe de l’aéroport, rapi- fié juste avant le départ grâce à ses infor- médecin dans chaque appareil. Dans
dement réquisitionnée, mations. Sans cela, la trajectoire de vol eût l’hélicoptère d’évacuation de grande capa-
- l’hébergement et le soutien étaient directement survolé des positions antiaé- cité, dont l’atterrissage n’était prévu qu’en
parfaitement assurés, riennes albanaises permanentes. cas de détresse et sur mon ordre, se trou-
- un soutien généreux et efficace fut accor- vaient quatre médecins. Il y avait deux
dé par un petit détachement français Les règles d’engagement définitives n’ar- médecins dans l’hélicoptère de comman-
et le personnel croate de l’aéroport, rivèrent que quelques minutes avant le dement. Pendant toute la durée de l’opé-
- l’approvisionnement en carburants et décollage, juste à temps pour être com- ration, un médecin était présent à mes côtés
ingrédients était garanti. muniquées aux commandants. à terre, également en qualité de conseiller
pour les cas d’urgence. Il y avait également
Personne ne nous posa de questions. Nous A 11h30, je donnai l’ordre N° 2 pour la mis- des moyens de transmission dans chaque
n’y aurions de toute façon pas répondu. A sion. Le sous-alinéa 3a stipulait : hélicoptère.
09h20, la décision me fut communiquée - rallier par mouvement aérien et avec six
d’effectuer, conformément à ma proposi- CH-53 en trois vagues la zone au-dessus Le gros de la section de commandement et
tion, le vol aller et retour vers Tirana via de FORWARD OPERATIONG BASE de la section de sécurisation devait ensui-
Podgorica/Montenegro pour le ravitaille- PODGORICA, te redécoller avec le dernier hélicoptère,
ment en carburant, et qu’un détachement - atterrir à proximité de l’ambassade des après que les appareils 1 à 4 aient embar-
de l’ambassade d’Allemagne à Belgrade ferait Etats-Unis, qué jusqu’à 30 civils.

DOCTRINE N°16 46 JUIN 2009


Étranger
L’espacement des appareils qui avait été
ordonné pour l’approche prévoyait le vol
de trois patrouilles de deux MTH (Medium
Transport Helicopter), l’intervalle chrono-
logique entre deux patrouilles était res-
pectivement de dix minutes. L’hélicoptère
de grande capacité évoluait au sein de la
patrouille du milieu. Il était piloté par le
commandant d’escadrille de l’escadrille de
transport de l’ALAT. Le commandant d’es-
cadrille avait pour mission de prendre la
direction de l’opération pour le cas où l’en-
semble de la section de commandement à
terre ne serait plus en mesure d’opérer. A
13h00, le FüZBw prit le commandement.
Pendant ce temps, on mettait la dernière
main aux préparatifs précédant le décolla-
ge de Dubrovnik, les appareils étaient
armés, les hommes connaissaient leur mis-
sion et avaient déjà embarqué.

A 13h35 arriva l’ordre de mission. La situa-


tion à Tirana restait confuse. La dernière
instruction radiotéléphonique que j’avais 30 minutes en raison du manque de pré- US avaient essuyé un feu antiaérien et un
reçue juste avant le décollage disait en sub- paration et de la vétusté des camions tir de roquette au-dessus de Tirana et
stance : citernes. Les Serbes refusèrent d’accepter avaient ensuite définitivement interrompu
«La situation sur place est totalement chao- les cartes de crédit. Il s’avérait très utile leur opération. Le pilote se retourna et me
tique, il y a des fusillades partout, person- d’avoir emporté de l’argent liquide. regarda droit dans les yeux. Sans qu’une
ne ne sait exactement ce qui se passe. parole ait été prononcée, la question était
Ralliez l’endroit et faites en sorte de pou- A Podgorica, nous parvint un message claire : on continue ou on décroche ?
voir évacuer les personnes. Si la situation disant que le plot d’atterrissage à proxi- Il fallait maintenant prendre rapidement
devient dangereuse, décrochez». mité de l’ambassade des Etats-Unis n’était une décision de commandement. Un court
plus accessible pour des raisons de sécu- instant, j’envisageai de modifier l’altitude
A 13h50, l’hélicoptère de commandement rité et qu’il n’y aurait plus de soutien de la d’approche, afin de rallier le site à basse
décolla en direction de Podgorica, les cinq part des Américains. Nous étions désor- altitude, ainsi que de garder encore plus
autres hélicoptères suivirent peu après. Les mais entièrement livrés à nous-mêmes. loin en retrait l’hélicoptère grande capaci-
visages des hommes étaient tendus, mais Dans l’urgence, nous recherchâmes sur le té. La réponse à nos questions, retransmi-
résolus. Les pilotes et personnels de l’ALAT, plan de la ville une solution de rechange. se par le relais, fut que notre nouvelle zone
habitués aux missions, et sans rien concé- Sur proposition du conseiller militaire, le d’atterrissage n’avait pas été concernée
der du sérieux imposé par la situation, y choix fut fait de rallier l’aérodrome militai- par ces feux de barrage. Aussi, fut-il déci-
voyaient volontiers un défi sportif et rayon- re de Labrak. La situation globale restait dé de maintenir le cap et l’altitude jusqu’à
naient la confiance. Chacun des hommes confuse. Personne n’était en mesure de l’objectif. A 15h39, le pilote bascula le
du groupement tactique était tout à fait dire s’il y avait encore des militaires sur cet manche vers l’avant, au-dessus de Labrak,
conscient du fait qu’à partir de cet instant aérodrome. Le groupe Podgorica resta en l’hélicoptère de commandement passa en
nous volions vers une zone où le risque arrière, prit contact avec les services serbes vol de descente rapide. Peu avant l’atter-
n’était plus calculable avec certitude. Mais et prépara notre retour. Son action devait rissage, l’appareil fut touché une fois. Le
l’ambiance générale était de se dire : on va s’avérer efficace. choc fut nettement audible.
le faire.
29 minutes à Tirana A la réception du message faisant état de
L’approche vers Podgorica dura environ 26 l’interruption de l’opération des Américains,
minutes. Gardant une formation rappro- se posa évidemment la question de la pour-
chée, six hélicoptères se posèrent sur une A 15h02 décolla la première patrouille, suite de l’entreprise. Toutefois et en pre-
prairie entre la piste et le taxiway. Il s’avé- l’hélicoptère de commandement et l’ap- mier lieu, les tirs avaient été essuyés dans
ra alors que le personnel de l’ambassade pareil N°2, mettant le cap au sud vers Tirana. un endroit éloigné de celui prévu pour notre
de Belgrade n’était pas sur place et qu’à L’opération LIBELLULE entrait dans sa phase atterrissage et, d’autre part, je considérai
Podgorica on n’était que vaguement infor- décisive. L’approche vers Tirana se fit à une le risque lié à des roquettes antiaériennes
mé de notre venue. La communication avec altitude de vol supérieure à 3 000 pieds. A comme réduit. Même si des roquettes
le FüZBw put être établie immédiatement. 15h21 nous parvint via le relais radio C-160 étaient tombées aux mains des émeutiers,
Le ravitaillement en carburant dura plus de un message disant que des hélicoptères il était peu probable que ceux-ci sachent s’en

JUIN 2009 47 DOCTRINE N° 16


servir. Aussi avais-je de sérieux doutes quant blirait des listes d’affectation des personnes des blessés dans les rangs de l’agresseur
à la véracité de ce message. Ultérieurement, à évacuer en quatre groupes de 30 per- ou d’autres. Il s’agissait probablement d’un
il s’avéra effectivement qu’un hélicoptère sonnes, et avait tout organisé de manière commando de la police secrète albanaise,
avait essuyé un tir de roquette anti-char. Le telle que je n’aurais plus qu’à donner l’ordre qui devait disperser la foule. Mais nous
plus grand danger venait pour moi toujours chronologique d’embarquer dans les héli- n’en fûmes informés que plus tard.
des nombreux et incontrôlables tirs d’armes coptères. Là aussi, il convenait de décider
individuelles. Mais nous n’étions pas en train sans tarder : vérification minutieuse et L’action menée à terre à Tirana dura
d’effectuer un vol touristique et étions pré- affectation par nos soins des personnes à 29 minutes, de l’atterrissage du premier
parés à faire usage de nos armes si on nous évacuer ? Ceci aurait eu pour conséquen- appareil jusqu’au redécollage du dernier.
y forçait. ce un séjour prolongé au sol, ou alors j’au- Le vol retour vers Podgorica se déroula sans
Lorsque l’hélicoptère de commandement rais dû, pour des raisons de sécurité, faire rien à signaler. J’ordonnai le rassemblement
fut touché au moment de l’atterrissage, je redécoller le premier appareil en raison du de l’unité et procédai à l’appel, avant de
ne considérai pas cet incident comme étant risque, déroger au plan ordonné et deman- rendre compte au FüZBw. Le groupe
l’expression d’une résistance organisée et der au fur et à mesure par radio l’atterris- tactique était devant moi au complet, la
évaluai notre situation comme étant sage des différents appareils. Nous n’avions phase la plus difficile était derrière nous.
maîtrisable dès lors que nous aurions pas de temps pour de longues concerta- Les autorités de la République fédérale de
débarqué. Nous étions tous conscients de tions avec l’ambassadeur. Je pris la déci- Yougoslavie procédèrent dans les règles
progresser désormais dans une zone de sion dans une ambiance de feu incessant au contrôle de la nationalité des évacués.
risque aggravé, et acceptions cet état de autour de nous. Même au risque d’évacuer Les Albanais qui avaient emprunté le vol
fait. Nous étions à un point auquel celui également quelques personnes non auto- furent identifiés et reconduits à la frontiè-
qui a choisi notre métier peut se trouver un risées, je donnai la priorité à la rapidité. En re. Il n’y eut pas de résistance. Après l’ar-
jour. La première impression forte après outre, mon analyse était que des Albanais rivée des deux C-160 à 17h20, les personnes
avoir débarqué par la rampe arrière fut les qui parviendraient à prendre place dans évacuées furent remises à l’armée de l’air,
tirs incessants autour de nous et venant de les appareils ne représenteraient pas de chargée de les acheminer vers l’Allemagne.
toutes les directions. risque pour nous. Aussi, quelques Albanais On pouvait lire un profond soulagement
ont-ils pu prendre place dans les deux pre- mais aussi de l’épuisement sur les visages
Ceci renforça ma détermination à effectuer miers appareils. Ensuite, je fis réaffecter des femmes et hommes évacués.
l’embarquement le plus rapidement pos- des éléments de la section de sécurisation,
sible. Les éléments de sécurisation mirent qui furent chargé d’identifier et de repous- Le réapprovisionnement en carburant se
immédiatement en place le dispositif adé- ser les non-ayants droit. A partir du troi- fit sans problèmes. Dans l’ensemble, tant
quat sur le site. L’aérodrome proprement sième hélicoptère, il redevint possible de les autorités que les militaires serbes à
dit avait été abandonné par les militaires procéder à la vérification des personnes, Podgorica se montrèrent extrêmement
albanais. Des avions en piètre état étaient car en raison de l’espacement des appa- coopératifs. Le commandant de l’aéroport
sans surveillance dans les hangars. La sec- reils, nous disposions d’environ dix minutes. se tint toujours près de moi après mon arri-
tion de commandement établit immédia- Vers 15h54, il y eut un bref mais vif échan- vée et mit d’autre part un véhicule à ma
tement la communication avec le FüZBw. ge de coups de feux. Considérant la direc- disposition. Avant le décollage, j’eus un
Il s’agissait maintenant d’embarquer tion de progression et le comportement long entretien avec lui et le remerciai de
rapidement les personnes à évacuer et des deux véhicules blindés légers à roues son soutien lors de cette action humani-
de quitter l’endroit. Un problème inatten- qui s’approchaient de notre ligne de sécu- taire. Ce fut presque une conversation ami-
du et majeur se posa toutefois à nous. risation en faisant feu, j’en déduisis que le cale entre deux soldats au bord de la pis-
L’embarquement dans des conditions nomi- feu nourri d’armes individuelles émanant te. Dans le crépuscule naissant, les deux
nales fut notablement compliqué par le fait des véhicules était destiné à l’opération C-160 décollèrent à côté de nous, ramenant
qu’en raison du soudain changement du lieu d’évacuation. Dans une telle situation, et à leur bord les évacués vers l’Allemagne.
d’atterrissage, l’ambassade avait égaré les ayant la responsabilité de l’intégrité phy-
listes d’affectation des hélicoptères que sique des soldats et des personnes à En tout, 99 ressortissants de 23 nations
j’avais communiquées via le FüZBw. Les per- évacuer, le seuil d’hésitation en termes furent évacués par l’armée de l’air et
sonnes à évacuer étaient rassemblées en d’usage de la force des armes se trouve ramenés en Allemagne. Dix personnes pour-
une foule anarchique, à laquelle s’étaient étonnement vite révisé à la baisse. L’action suivirent le voyage de manière autonome
mêlés 300 à 400 Albanais. La confusion était des feux fut engagée. 188 coups furent tirés, à partir de Podgorica. Je décollai de
grande. Une partie des personnes à évacuer le tir était bien groupé et les véhicules firent Podgorica à 19h30 avec le dernier appareil.
était dans un état psychologique préoc- immédiatement demi-tour.
cupant et avait besoin d’une prise en char- A Dubrovnik, on procéda immédiatement
ge. Il s’avérait très judicieux de disposer d’un Ultérieurement, nous eûmes la possibilité au ravitaillement et au rétablissement de
médecin par hélicoptère. d’examiner brièvement un de ces véhicules. la capacité opérationnelle intégrale dans
Nous avons estimé 50 à 100 impacts, dont l’éventualité d’une nouvelle mission vers
A nouveau, je me trouvais brutalement environ la moitié avait percé le blindage. Tirana le 15 mars, qui avait été ordonnée
confronté à une situation imposant une Nos soldats et les personnes à évacuer ne par le FüZBw lors du retour à Podgorica.
décision. J’étais parti du principe que confor- furent pas blessés lors de l’engagement Toutefois, dans la matinée du 15 mars, le
mément à ma demande l’ambassade éta- des feux ; nous ne savons pas s’il y a eu FüZBw informa qu’il n’y aurait pas d’autre

DOCTRINE N°16 48 JUIN 2009


Étranger
mission, et ordonna de repasser sous le qui étions encore sous l’impression de l’évé- LULE de retour au complet à Rajlovac :
commandement du commandant national nement vécu. «Rajlovac, Tirana - we always «Mission accomplie, pas de pertes».
de théâtre et de procéder au retour immé- come back», avaient-ils inscrit en grandes Outre le véritable professionnalisme, dont
diat vers Rajlovac. lettres sur la porte du hangar. Avec le compte les états-majors et les unités avaient remar-
rendu de la mission au général de division quablement fait preuve lors de cette entre-
Lors de l’atterrissage à Rajlovac, les cama- Frühhaber s’était achevée l’opération. Le prise, la chance avait également été de notre
rades du camp nous réservèrent un accueil commandant national de théâtre ne fit pas côté pendant toutes les phases et au bon
mémorable qui nous toucha beaucoup, nous mystère de son soulagement de voir LIBEL- moment.

E
n 1993, il y avait eu un dur débat de politique intérieure quant à la question de savoir s’il était légitime d’engager
des forces allemandes avec une mission militaire hors du cadre du territoire de l’Alliance atlantique. A peine
quatre années plus tard, le Chancelier fédéral décida, dans une situation de crise, et soumis à une forte
pression dictée par l’urgence, de prélever des éléments allemands du contingent SFOR en ex-Yougoslavie et de les
engager dans une opération nationale d’assistance à des ressortissants, afin de les évacuer d’une Albanie secouée
par des troubles proches d’une guerre civile. D’autre part, la direction politique décida de garder cette opération
secrète jusqu’à son terme.

L’objectif de l’évacuation était en l’occurrence non seulement de porter assistance à des citoyens allemands, mais
aussi d’évacuer des ressortissants de différentes autres nations. Cette opération fut menée sur fond d’une situation
non entièrement clarifiée et était en partie incertaine. Cette opération fut menée à un moment ou d’autres nations
interrompaient leurs propres opérations d’évacuation, car le risque potentiel leur paraissait trop élevé. L’opération
LIBELLULE ne fut pas interrompue, car côté allemand, le risque restait encore considéré comme admissible. Un
éventuel engagement armé avait été intégré dans les réflexions et préparé par les militaires avec maîtrise et
circonspection. Le groupe tactique sut accomplir ses tâches avec professionnalisme et une grande maîtrise. Les
défis de cette opération - manque de sommeil, pression de l’urgence, incertitude par rapport à la situation, situation
chaotique sur le point d’embarquement, engagement du feu et risque personnel - les soldats ont su maîtriser tous
ces paramètres et montrèrent une grande solidité. En terme de qualité, ils n’avaient rien à envier à nos alliés qui sont
depuis longtemps rompus à de telles missions.

Le HFüKdo et le FüZBw ont assumé la conduite de manière souveraine, en l’occurrence fourni les moyens nécessaires
et défini le cadre, tout en accordant une grande marge de manœuvre au commandant de l’opération. Les analyses
effectuées sur le théâtre et les décisions prises ont immédiatement été acceptées, en particulier lors des moments
critiques. Personne n’a cédé à la tentation d’abuser des moyens de télécommunications pour imposer une décision,
ni d’établir des diagnostics à distance concernant l’estimation de la situation faite par les unités sur le théâtre. La
confiance établie entre les officiers responsables au HFüKdo et au FüZBw et les commandants sur le théâtre fut selon
moi un facteur décisif. Les alliés ont par la suite souvent fait part de leur étonnement concernant la dose selon eux
très élevée de liberté d’action accordée au commandant du théâtre dans une telle opération. On avait en l’occurrence
affaire à un commandement par objectif de première qualité.

L’opération généra de nombreux enseignements et expériences en termes de planification et d’exécution


d’opérations d’évacuation. Le maillon faible majeur s’était avéré être le fait que l’ambassade à Tirana n’était pas
préparée à une évacuation et fut totalement dépassée par les événements. La réalisation d’opérations d’évacuation a
entre-temps été confiée à la division des opérations spéciales au sein de l’armée de terre allemande, celle-ci
maintient en permanence en disponibilité un groupe d’intervention pour les opérations d’évacuation dans le cadre
de la prévention du risque à l’échelon national. Dans les ambassades de certains pays, des opérations d’évacuation de
ressortissants on fait l’objet d’une préparation et d’une projection calendaire avec le soutien des forces armées.

Cette opération avait certes été harmonisée avec d’autres Etats, mais elle fut conduite dans un cadre purement
national. La responsabilité du succès ou de l’échec incombait entièrement aux Allemands. Ce faisant, on avait
accepté, avec toutes les conséquences, d’assumer la responsabilité de l’intégrité physique de ressortissants d’autres
pays. Le consentement du Bundestag ne put être recueilli qu’après la conclusion heureuse de l’opération, en raison
de l’urgence et de la nécessité de préservation du secret. Seuls les présidents des groupes parlementaires des partis
représentés au Bundestag avaient été informés avant l’opération.

Le vol de LIBELLULE vers Tirana éclaire d’un nouveau jour l’évolution du rôle dévolu à la République fédérale
d’Allemagne dans le concert de la politique internationale.

JUIN 2009 49 DOCTRINE N° 16


Perspective historique
de l’évacuation de ressortissants

PAR LE PROFESSEUR GUILLAUME LASCONJARIAS, CHERCHEUR AU CDEF/DREX1

D
ans l’histoire des grands pays occidentaux, la notion d’évacuation de ressortissants semble
une idée neuve et une préoccupation récente. Pourtant, quoi de plus naturel et de plus
essentiel que l’obligation d’un État de protéger et secourir ses ressortissants ? Retour sur
les évolutions d’une pratique dont l’esprit a connu de profonds bouleversements.

LA PROTECTION DES «NATIONAUX», membre». Or, bien souvent, la mission


UNE NOTION ANCIENNE2 sacrée cache d’autres raisons bien moins
avouables. Derrière la protection des siens

S
ous l’Antiquité grecque et romaine se dissimulent des volontés impérialistes.
ou dans l’Europe médiévale, à une
époque où la notion d’État se déve- Nul étonnement à ce que le devoir de
loppe, la tâche du souverain ou du sei- protection ne tienne pas ou peu compte
gneur tient dans la nécessaire protection des possibilités d’évacuation. Il est
donnée aux citoyens ou aux sujets. Déjà, d’ailleurs rare ou exceptionnel que les
pendant la Guerre du Péloponnèse (431- colons demandent à être évacués. Au
404 avant notre ère), les agriculteurs de contraire, ils exigent de pouvoir rester et
l’Attique sont protégés par la cavalerie vivre en toute sécurité. Les interventions
athénienne qui les conduit à l’intérieur des militaires visent d’autres buts que le sau-
photo fournie par l’auteur

murailles de la ville lorsque les armées vetage des ressortissants et se transfor-


spartiates franchissent les limites de la ment souvent en la présence permanen-
polis3. Aux temps des grandes invasions, te de contingents. La révolte des Boxers,
aux IXe et Xe siècles, les villes européennes de 1899 à 19014, connue par le siège
dressent des murailles pour offrir aux des légations européennes, illustre cet
ruraux un abri et un secours. argument.

Une lente transformation s’opère dès AVEC LA COLONISATION, En juin 1900, le mouvement des Boxers,
UNE NOUVELLE CONCEPTION
le XVIe siècle, à l’heure où se constituent antieuropéen et soutenu par l’impéra-
de grands empires coloniaux. Les nations trice Cixi, atteint Pékin où la population
européennes fondent des comptoirs en La conception même de l’État moderne, se soulève. Les prêtres étrangers sont mas-
Afrique, aux Amériques et en Asie, y fondée sur les théories de Hobbes sacrés, le chancelier japonais Sugiyama
installent leurs colons et bientôt, déve- (Léviathan, chapitre XVII) et reprise par est assassiné le 6 juin, suivi du baron alle-
loppent une véritable administration Adam Smith dans les Recherches sur la mand von Ketteler le 20. Le quartier des
calquée sur les modèles métropolitains. nature et les causes de la richesse des légations se trouve assiégé par des mil-
Dans cet esprit qui se nourrit de la lente nations (1776), exige du souverain qu’il liers de Boxers où se retranchent les
imprégnation d’idées politiques et philo- défende «la société de tout acte de vio- Occidentaux. Pour leur porter secours,
sophiques sur les devoirs des souverains lence et d’invasion de la part des autres 20 000 soldats - principalement britan-
et des États envers leurs sujets, l’armée sociétés indépendantes» et protège niques mais aussi allemands, italiens, fran-
joue un rôle essentiel dans la protection «chaque membre de la société contre çais, japonais, américains ou russes -
des «nationaux» par rapport aux indigènes. l’injustice ou l’oppression de tout autre débarquent dans le port de Tianjin le

DOCTRINE N° 16 50 JUIN 2009


14 juillet 1900 et marchent sur Pékin. Après
Retour d’expérience
canonnière dépêchée pour la circonstan- d’une falsification historique ; les réfugiés
55 jours de siège, les légations sont sau- ce. Le 9 décembre, dans le chaos des com- n’embarquent sur les navires que s’il res-
vées et les troupes alliées mènent une bats, une centaine de diplomates, de jour- te de la place. Il faut attendre le 6 mai 1945,
répression féroce aboutissant à la signa- nalistes, d’hommes d’affaires et de deux jours avant la capitulation du régi-
ture d’un traité de paix inique en sep- réfugiés, prennent le large. Mais cette me nazi, pour que l’amirauté déclare le
tembre 1901. L’intervention est motivée opération connaît une fin tragique ; le sauvetage des populations prioritaire9 !
par la volonté de sauver les Européens et 12 décembre dans l’après-midi, l’aviation
un modèle de civilisation : «La révolte des nippone ouvre le feu sans sommation et
Boxers est impie, puisqu’elle va contre le coule le navire, tuant deux membres LE TOURNANT DES ANNÉES 1960
progrès, contre les idées modernes (...). d’équipage et faisant de nombreux
Devant les menaces de ces barbares, la blessés8. Finalement, il faut attendre les années
civilisation ne doit pas reculer5.» 1960 et les grands épisodes consécutifs
Pour autant, ces opérations ne retiennent à la décolonisation et aux grands boule-
D’une façon plus cynique, les ressortis- guère l’attention des états-majors qui versements politiques pour que la notion
sants servent parfois de prétexte à voient surtout dans les réfugiés à évacuer d’évacuation de ressortissants entre dans
un débarquement de vive force et à une des zones de combat la possibilité de le cadre des opérations confiées aux forces
annexion coloniale. Ainsi, en septembre conserver leur liberté d’action. Pendant armées. En avril 1965, au moment où la
1911, l’Italie déclare la guerre à l’Empire le deuxième conflit mondial, priorité est guerre civile éclate en République domi-
ottoman. Le casus belli tient aux condi- donnée à l’évacuation des combattants. nicaine, les États-Unis mettent en place
tions de vie et de travail des ressortissants Ainsi en est-il de l’opération Hannibal, fin une Task Force de 1 500 Marines au large
italiens en Cyrénaïque et en Tripolitaine6 ; janvier 1945 ; la Wehrmacht aurait donné de l’île. Ce n’est que le 29 avril, au moment
après un ultimatum que les autorités de l’ordre d’évacuer la Prusse Orientale face où le gouvernement dominicain juge
la Sublime Porte rejettent, les troupes à l’avancée inéluctable des troupes sovié- impossible de protéger les ressortissants
italiennes débarquent en Lybie et occu- tiques. La Kriegsmarine de l’amiral Dönitz étrangers, que les soldats américains atter-
pent le pays7. aurait pris les dispositions nécessaires rissent à Saint-Domingue, établissent une
pour évacuer les réfugiés via la mer zone de sécurité entre l’ambassade amé-
Baltique. Or, il s’agit là manifestement ricaine et l’Hôtel Embajador où les réfu-
VERS UNE LENTE
APPROCHE HUMANITAIRE

Il faut semble-t-il attendre


les périodes de décoloni-
sation pour que l’évacua-
tion de ressortissants
confiée à des autorités
militaires apparaisse.
L’intervention est désor-
mais dictée par des con-
sidérations d’un autre
genre, souvent humani-
taires, et les aspects
médiatiques prennent un
tour essentiel. Désormais,
il s’agit pour un État de
pouvoir intervenir dans un
pays souverain ou dans un
conflit où il occupe une
position plus ou moins
neutre. Un des premiers
exemples susceptibles
d’éclairer ces nouvelles
missions date du conflit
sino-japonais. Au début du
mois de décembre 1937,
Nankin est menacée par les
troupes nippones.
L’ambassade américaine
insiste pour que les der-
niers Occidentaux présents
dans la ville embarquent
ECPAD

sur le USS Panay, une

JANVIER 2009 51 DOCTRINE N° 16


giés sont rassemblés, avant qu’ils ne soient volent entre Saigon et les navires de la 6 Ces deux régions formeront la future Lybie.
héliportés sur les navires croisant au 7e flotte US au mouillage dans la baie. Les 7 Tripoli est rapidement occupé mais il faut
large. L’opération Powerpack prend pertes au cours de l’opération sont rela- encore neuf mois de guerre pour réduire
de l’ampleur les jours suivants ; du 29 avril tivement faibles ; deux gardes de l’am- les résistances turques et indigènes.
au 4 mai, 10 000 soldats supplémentaires bassade sont tués dans des combats au Par le traité de Lausanne, la Sublime Porte
débarquent, sécurisant l’aéroport puis sol et deux membres d’équipage sont por- reconnaît la souveraineté italienne
les terminaux maritimes, offrant ainsi la tés disparus après le crash de leur héli- (15 octobre 1912).
possibilité d’embarquer directement les coptère. Plus de 7 000 citoyens américains 8 Sur cet épisode peu connu, nous renvoyons
ressortissants à quai. En tout, près de et de nombreux Vietnamiens sont sauvés, à Iris CHANG, Le Viol de Nankin. 1937 : un
8 000 réfugiés de 30 nationalités diffé- après 194 sorties sur les différents sites. des plus grands massacres du XXe siècle,
rentes furent évacués en un peu plus Paris, Payot, 2007, p.167-175.
d’une semaine10. 9 Sur le mythe de l’évacuation des Allemands
1 Egalement lieutenant de réserve. de Prusse-Orientale, voir l’interview
Autre exemple connu, lui aussi américain, 2 Les titres intermédiaires ont été rajoutés de l’historien allemand Heinrich
l’opération Frequent Wind, lancée devant par la rédaction. Schwendemann, diffusée sur Arte,
l’imminence de la chute de Saigon. La 3 Sur la Guerre du Péloponnèse et les leçons avril 2005.
principale difficulté tient à l’urgence dans d’actualité que l’on peut en tirer, Victor Davis 10 Sur Powerpack, il est possible de
laquelle il convient de prendre une HANSON, La Guerre du Péloponnèse, Paris, consulter le site
décision ; le Pentagone souhaite une éva- Flammarion, 2008, chapitre 1. www.globalsecurity.org/military/
cuation rapide et massive quand le 4 À l’origine, les membres d’une société ops/powerpack.htm.
Département d’État, craignant un mouve- secrète (la «Milice de la Justice et de la
ment de panique, espère une évacuation Concorde») qui pratiquent un art martial
progressive. Gérald Ford choisit le com- proche de la boxe anglaise, dénoncent
promis ; une évacuation progressive jus- l’impuissance et la corruption du pouvoir
qu’au maintien de 1 100 hommes qu’il impérial face aux Occidentaux. Le
serait possible d’évacuer en une fois au mouvement prend de l’ampleur au cours
cas où la situation le nécessiterait. Le de l’année 1900 et s’attaque aux signes
29 mai 1975 l’aéroport de Saigon est de la présence étrangère, du chemin de fer
directement sous le feu vietcong. aux missions catholiques.
L’ambassadeur met alors en place deux 5 Lucien Victor MEUNIER, «Europe contre
points d’évacuation ; les civils apprennent Chine», Le Rappel, 5 juillet 1900 cité par
le début de l’opération par une chanson Christine CORNIOT, «La guerre des Boxeurs
diffusée sur les ondes. Protégés par des d’après la presse française», Études
détachements de Marines, les hélicoptères chinoises, vol. VI, n°2, 1987, p. 73-99.

C
es deux exemples, tous deux américains, mettent en lumière les principes d’une évacuation de
ressortissants. D’abord, une volonté politique forte, soutenue par une pression médiatique
importante qui conditionne la mise en œuvre rapide d’une telle opération. Ensuite, une gestion
interministérielle souple et réactive, où les
diplomates et les militaires travaillent en parfaite
collaboration. Enfin, des moyens adéquats pour
assurer le succès de l’opération : un nombre
important de soldats déployés, une panoplie de
matériels (navires d’accueil, hélicoptères, véhicules
de ramassage...).

Un an plus tard, à Entebbe (3 juillet 1976), le raid


des parachutistes israéliens démontre que, pour
protéger et évacuer des ressortissants, un État doit
US Navy

aussi être prêt à mettre en jeu une somme de


risques élevés.

DOCTRINE N° 16 52 JUIN 2009


Retour d’expérience
Abidjan, novembre 2004
Une évacuation difficile, mais un succès indéniable

PAR LE COLONEL LUC DU PERRON DE REVEL, ATTACHÉ DE DÉFENSE EN ETHIOPIE1

n octobre 2004, la crise ivoirienne dure depuis deux ans et le pays est coupé en deux par la «zone

E de confiance» (ZDC) sur laquelle veillent les forces de l’ONUCI2 appuyées par les forces françaises.
Le blocage politique conduit le camp présidentiel à tenter de reprendre l’avantage au moyen d’une
offensive : l’opération Dignité, à laquelle les «forces impartiales» (françaises et de l’ONU) ne peuvent, ou
ne savent, s’opposer.

L’opération débute le 4 novembre dans la matinée par des raids aériens sur le Nord à partir de
Yamoussoukro, d’où les FANCI3 opèrent avec deux avions de combat Sukhoï 25. Le 5 novembre,
parallèlement aux raids aériens, les FANCI pénètrent dans la ZDC en direction de Bouaké dont elles
atteignent les faubourgs le 6 dans la matinée. A 13 h 30, sans que rien n’ait pu le laisser prévoir, un SU 25
tire un panier de roquettes sur le camp français installé dans le lycée Descartes d’où on retire dix tués
(neuf soldats français et un civil américain) et trente-trois blessés. A 14 h 00, après s’être posés sur
l’aéroport de Yamoussoukro sans, apparemment, s’inquiéter de la présence d’une unité française qui y
stationne, les deux SU 25 sont détruits par celle-ci.

A Abidjan, dès que la nouvelle est connue, des bandes de pillards s’en prennent à tout ce qui représente
la France et envahissent les quartiers à forte concentration d’expatriés. Les établissements scolaires
français sont saccagés et en partie détruits. Les entreprises et les domiciles sont pillés.

UN IMPÉRATIF : LE CONTRÔLE DE L’AÉROPORT ET LA DÉFENSE DU CAMP DE PORT BOUËT4 ...

e 43e BIMa5 déclenche le plan Citadelle de défense du camp de Port Bouët. A 16 h 00, une de ses sections est attaquée sur

L l’aéroport par des militaires ivoiriens. Le combat tourne à l’avantage des Français qui déplorent deux blessés légers et un
Transall gravement endommagé par un tir de roquettes. Le 43 reçoit, alors, l’ordre de s’engager à l’extérieur du camp et
de prendre le contrôle de l’aéroport afin de préserver la capacité à accueillir des renforts et à évacuer les ressortissants.

Articulé en sous-groupements interarmes, le bataillon se déploie avec un PC principal sur le camp et un PC tactique sur
l’aéroport confié au chef opérations. En dépit de la faiblesse des moyens, il faut réaliser deux missions impératives : contrôler
l’aéroport pour le lendemain à l’aube et défendre le camp de Port Bouët.

JUIN 2009 53 DOCTRINE N° 16


ARTICULATION DU 43 BIMA LE 6 NOVEMBRE 2004

Après un bref engagement, la neutralisa-


tion de la base aérienne est obtenue par
la négociation, cependant que partout Extrait du rapport du chef de corps sur les actions de feux en zone 4
surgissent des manifestants. En ville, atti-
sée par le passage en boucle de mes-
sages appelant à lutter contre les (...) A partir du 7 novembre à onze heures, la progression vers les
Français, la mobilisation se renforce et ponts et la reconnaissance des axes sur la presque île de Koumassi
des dizaines de milliers de personnes se s’est heurtée à de nombreux barrages disposés sur le boulevard
dirigent vers la zone des combats. En
Valéry Giscard d’Estaing (VGE). Ralenti dans sa mission, le
début de soirée, le niveau de violence est
exceptionnellement élevé. La consomma- commandant du sous-groupement Rouge a fait appliquer quelques
tion de grenades lacrymogènes est en feux précis pour intimider les émeutiers et les maintenir à distance
limite de rupture et les armes de guerre pendant le dégagement des barricades. De même, des tirs ont
doivent être utilisées face à des attaques parfois été nécessaires pour extraire des familles menacées par des
délibérées ou en intimidation. Jusqu’à
pillards, éloigner ceux-ci ou répondre à des tirs visant directement
deux heures du matin, la situation est
critique et le résultat de la confrontation les soldats français. Après s’être installés sur les ponts Houphouët-
demeure incertain. Sur l’aéroport, les Boigny et De Gaulle sans difficulté particulière, les sous-
sous-groupements sont plus ou moins groupements Vert et Jaune ont, à différentes reprises, employé des
morcelés, l’aérogare et le tarmac sont, grenades offensives pour tenir les manifestants à distance et éviter
en partie, envahis alors que sur le verrou
l’imbrication dans leur dispositif. Sur Houphouët-Boigny, Vert a dû
d’Akwaba, le sous-groupement a été
contraint de se replier le long de l’axe et riposter face à des tirs effectués à partir d’une embarcation sur
de s’installer sur la dernière ligne d’arrêt la lagune.
possible aménagée avec des containers.
La nécessité de contrôler les ponts au plus vite et de protéger
Cependant, en dépit de tentatives de
les populations confrontées à près de vingt-quatre heures de pillage
plus en plus hardies, la défense du
camp n’est pas entamée. Afin de couper et en butte à de nouvelles exactions a justifié un emploi du feu
le flux des émeutiers le plus en amont maîtrisé dans cette phase de la mission. Celui-ci a permis d’imposer
possible, le commandant de la force notre volonté et de ramener le calme rapidement dans la zone sud
Licorne engage avec succès des hélico- de la ville.
ptères afin d’interdire le franchissement
du pont De Gaulle sur la lagune. Dans le

DOCTRINE N° 16 54 JUIN 2009


même temps, sans interruption aucune,
Retour d’expérience
sur un mode dramatique. Le 9, il quitte mandement du bataillon, ni celui de la
les forces spéciales extraient nos une position intenable et se replie au Golf force Licorne ne purent prendre le
ressortissants partout où elles le peu- Hôtel où il recueille des centaines de risque de dévier d’une ligne de condui-
vent et les ramènent sur le camp où le personnes dont le 43e BIMa assure l’éva- te impérative : contrôler, coûte que
bataillon les accueille tout en se prépa- cuation par la lagune. Le même jour, le coûte, l’aéroport.
rant à équiper les renforts attendus. groupement Guépard relève dans
Koumassi les unités de ce bataillon qui En se posant le 7 novembre à l’aube sur la
Petit à petit, les unités repoussent les rentrent au camp après trois jours d’en- piste avec les premiers renforts en prove-
émeutiers sur l’aéroport et reprennent gagement ininterrompu. nance de Libreville, les Transalls concréti-
l’ascendant pendant que le sous-grou- saient le succès de la première manche.
pement blindé tient sa position. Dans Abidjan, le dispositif français a L’arrivée de deux compagnies puis, dans
Interdits de passer sur le pont, les mani- alors son aspect final. Initialement la soirée, du Guépard permettait, enfin,
festants refluent. En milieu de nuit, la répartie sur tout le pays la force Licorne, aux unités du bataillon de s’engager sans
victoire se dessine. Confronté dès le s’est, presque complètement, redé- délai au secours des ressortissants et
début de soirée à un ordre de destruc- ployée vers Abidjan tout en accueillant d’étendre la zone de protection jusqu’aux
tion plusieurs fois éludé des aéronefs un millier d’hommes en renforts et en ponts sur la lagune.
ivoiriens immobilisés sur la base, le débutant l’évacuation de près de cinq
chef de corps les fait, alors, neutraliser mille personnes qui s’achèvera le
en douceur. A l’aube, le carrefour 14 novembre. L’accueil et l’évacuation
Akwaba est repris par une contre- des ressortissants
attaque. A 06 h 25, les avions se posent ;
les renforts arrivent. La première partie A Port Bouët, les ressortissants de
de la mission est un succès. Il faut main- ... EN VUE DE L’ÉVACUATION toutes nationalités sont arrivés sur le
tenant dégager le maximum de forces DIFFICILE DE PRÈS DE camp dès les premières heures. Monté
pour aller secourir nos ressortissants 5 000 RESSORTISSANTS dans l’urgence, un centre d’évacuation
dont l’immense majorité avait dû être fut armé et confié au commissaire du
laissée à son sort afin de parer au plus La recherche du contrôle d’un accès bataillon, jeune capitaine plongé dans
urgent : la défense du camp et le con- sa première expérience opérationnelle.
trôle de l’aéroport. Dans une ville immense de plusieurs S’appuyant sur un ordinaire récemment
millions d’habitants installée en bordure construit autour d’un ELC 5007 et sur
A dix heures, relevées sur l’aéroport par de l’océan Atlantique et cloisonnée par deux bivouacs aménagés pour les
le groupement de Libreville, les unités une lagune aux bras multiples, la libre troupes de relève, le chef du centre et ses
rentrent au camp et se réapprovision- disposition d’une porte d’entrée et de équipes ont pu accueillir, enregistrer,
nent. Elles sont immédiatement réenga- sortie était essentielle. Elle devait alimenter et héberger un flux ininter-
gées sans qu’elles ne puissent s’accor- permettre d’acheminer des renforts, rompu de personnes avant qu’elles ne
der un instant de repos. Leur mission d’autant plus indispensables que les soient évacuées. Face à l’ampleur des
est de s’emparer des ponts et de con- troupes sur place étaient particulière- besoins, les familles du personnel
trôler la zone de Koumassi afin de ment réduites face à l’ampleur de la permanent furent un «complément opé-
protéger et d’évacuer les expatriés. A tâche, et d’évacuer par la suite les rationnel» précieux en s’engageant
midi, les ponts sont tenus et la ville est milliers de ressortissants. Ce fut donc sans réserve au sein des équipes du
coupée en deux. Il est possible d’impo- l’objectif premier du commandement, CENTREVAC8 et en ouvrant largement
ser le calme et la sécurité dans la partie celui qui déciderait du succès ou de leurs domiciles à nos compatriotes,
sud et d’y recueillir des compatriotes l’échec. avant d’être évacuées, pour celles qui le
qui arrivent en nombre sur le camp. désiraient (moins d’un quart d’entre
Aussi, pour les Français comme pour les elles), dans le dernier avion affrété.
Dans le même temps, et à marche for- Ivoiriens, le contrôle de l’aéroport
cée, des groupements blindés issus des devint immédiatement le centre de Arrivé tardivement - le 11 novembre - le
trois GTIA6 descendent de province pour gravité de l’action. Le camp qui s’en CRER9 a pu s’insérer dans le dispositif
renforcer le dispositif, mais seul le pre- emparait gagnait la partie. Toutes les en place et assurer une gestion du flux
mier sera finalement engagé. Le GTIA 1 énergies, tous les efforts, se sont des ressortissants quittant le territoire
pénètre dans Abidjan en début de soi- concentrés dessus. Pour les forces fran- en liaison étroite et constante avec des
rée, bouscule barricades et opposants çaises, ceci ne pouvait se faire sans services consulaires renforcés dont une
et aboutit, par mégarde, devant la rési- maintenir le lien qui unissait l’aéroport antenne était déployée sur le camp.
dence présidentielle avant de rejoindre au camp de Port Bouët distant de moins
le camp. Cette erreur de trajectoire de deux kilomètres. C’est pourquoi,
marque le début de la deuxième phase hormis les forces spéciales, aucune Leur regroupement
de la bataille d’Abidjan. unité n’a pu être distraite de cette mis- dans des conditions difficiles
sion prioritaire et secourir les ressortis-
Le lendemain, recevant l’ordre de se sants. Objets d’appels téléphoniques A jour et connu des Français, le plan de
déployer à l’Hôtel Ivoire, ce groupement angoissés et conscients de la situation sécurité ne s’est pas déroulé comme
tactique relance, bien malgré lui, la crise terrible de certaines familles, ni le com- prévu compte tenu de l’ampleur et de la

JUIN 2009 55 DOCTRINE N° 16


Photo 43 BIMa
e

simultanéité des pillages. Victimes des dont les caractéristiques techniques Une approche militaire
exactions, de nombreux chefs d’îlot ne peuvent être les seuls critères. des évènements
n’ont pu tenir leur rôle et coordonner les Satisfaisant à bien des égards (capacité
regroupements. En partie livrés à eux- d’accueil, proximité de la lagune, aires Dans la plupart des évacuations de
mêmes ou se rassemblant comme ils le de poser), le choix de cet établissement ressortissants, les armées interviennent
pouvaient, les ressortissants ont été présentait, cependant, des risques qui en coordination avec les autorités diplo-
victimes d’un brigandage généralisé auraient dû conduire le commandement matiques dans une crise dont elles ne
qui, bien que parfois très violent, n’a à ne pas le retenir comme pivot de sa sont pas partie prenante mais un acteur
pas dégénéré en meurtres. Les points manœuvre au nord des ponts. Emblème extérieur et temporaire. Le 6 novembre
de regroupements retenus ont rarement d’un âge d’or et d’une richesse révolus, 2004 fut, d’abord, une attaque des
pu être activés car les familles n’avaient situé dans un cul-de-sac à moins de forces ivoiriennes contre la force
plus la capacité de s’y rendre ou parce cinq cents mètres de la résidence prési- Licorne suivie d’une confrontation
qu’ils étaient, eux-mêmes, neutralisés dentielle, siège de services d’écoute armée généralisée impliquant une part
par la présence des émeutiers. D’autres aux ordres d’un pouvoir qui logeait là de la population ivoirienne en parallèle
points se sont spontanément créés ses caciques, l’Hôtel Ivoire est devenu à des agressions de grande ampleur
comme à l’hôtel de La Pergola sur le en quelques heures le symbole absolu contre la population expatriée. Les
boulevard de Marseille où des cen- d’une Côte d’Ivoire - et de son président caractéristiques essentielles de l’éva-
taines de personnes ont trouvé refuge - debout face à «l’agression» française. cuation d’Abidjan furent, ainsi, l’impli-
sous la protection de l’ONUCI dont Tout entier mobilisé sur les aspects cation de la force Licorne comme
c’était le PC. Cependant, même par- militaires de la protection des ressortis- acteur principal et l’instantanéité de la
tiellement mis en œuvre, le plan de sants et n’ayant qu’une connaissance confrontation. Elles ont entraîné une
sécurité a joué un rôle important car il a «power-point» du terrain, le comman- priorité donnée à la dimension militaire
servi de cadre de référence à beaucoup dement de l’opération a enfermé le de l’action et à la réaction de très court
et généré des reflexes salvateurs dans GTIA 1 dans un piège et, involontaire- terme au détriment, non seulement de
le chaos du moment. ment, permis au pouvoir ivoirien de la protection initiale des ressortissants,
L’épisode dramatique de l’Hôtel Ivoire reconquérir une légitimité médiatique mais aussi d’une réflexion tactique plus
a mis en évidence la nécessité d’une et une victoire politique que la tournure vaste et de l’implication des acteurs
connaissance de l’environnement dans des évènements avait, d’abord, mis au civils français ou de l’ONU. Dès la pre-
le choix de points de regroupement crédit des forces françaises. mière minute, et de manière délibérée, le

DOCTRINE N° 16 56 JUIN 2009


commandant de la force a tenu à l’écart
Retour d’expérience
La réponse à une attaque, la destruction
des autorités diplomatiques assistant du ou la neutralisation de la menace et des 1 Ancien chef de la DREX du CDEF. A l'époque des
faits, chef de corps du 43e BIMa.
toit de l’ambassade à l’orage qui se impératifs tactiques évidents furent, 2 ONUCI : opérations des nations unies en Côte
déchaînait sur la ville. La destruction naturellement, des causes légitimes de d'Ivoire.
immédiate des SU 25 responsables de cette réaction avant tout militaire. 3 Les FANCI (forces armées nationales de Côte
d'Ivoire) sont, à une immense majorité, restées
l’attaque sur Bouaké et, dans la soirée, fidèles au gouvernement ivoirien et s'opposent
celle des hélicoptères stationnés dans Cependant l’impact psychologique de aux FAFN (forces armées des forces nouvelles)
l’enceinte du palais présidentiel à l’attaque de Bouaké - brutalité de qui sont les forces «militaires» de la rébellion.
4 Les grands titres intermédiaires ont été rajoutés
Yamoussoukro, l’ordre de détruire la l’agression, sentiment de trahison, ven- ou modifiés par la rédaction.
flotte aérienne à Abidjan puis le geance - la méconnaissance relative 5 43e BIMa : 43e bataillon d'infanterie de marine.
déploiement d’un groupement blindé à d’un environnement complexe de la 6 GTIA : groupement tactique interarmes.
7 ELC 500 : élément lourd de cuisson pour cinq
l’Hôtel Ivoire furent des décisions part d’un PC vivant en vase clos et le
cents personnes.
strictement militaires, prises sans con- déclenchement de pillages manifeste- 8 CENTREVAC : centre d'évacuation
certation aucune avec l’ambassade qui ment planifiés et coordonnés à un 9 CRER : centre de regroupement et d'évacuation
coordonnait, jusqu’à ce jour, les actions niveau élevé du pouvoir ivoirien accen- des ressortissants.

de la France dans le pays. Toutes eurent tuèrent l’option militaire de la réponse.


un impact direct sur le cours des évène- Ceci renforça une analyse manichéenne
ments dans le sens d’une aggravation de de la situation qui ne permit sans doute
la crise. A cet égard, le fait que l’ambas- pas la recherche de solutions alterna-
sadeur de France apprenne dans le tives à une escalade militaire brutale
bureau et de la bouche du Président tandis que la destruction des SU 25 à
Gbagbo que les forces françaises pre- Yamoussoukro déclenchait un incendie
naient le contrôle de l’aéroport inter- généralisé sans que la moindre mesure
national sans pouvoir donner le moindre d’anticipation ne soit prise par les
complément d’information sur la situa- forces françaises sur Abidjan ou n’alerte
tion à son interlocuteur devait le mettre nos ressortissants et les autorités
hors jeu pour les jours suivants et le mar- consulaires.
ginaliser pour de longs mois.

Estimée fortement improbable


par l’ampleur qu’on lui prêtait,
l’évacuation des ressortissants
français à Abidjan s’est
brutalement imposée à tous.
Difficilement reproductible
ailleurs, elle s’est déroulée dans
un climat de violence que
personne n’envisageait
réellement et a montré
l’extraordinaire engagement de
toutes les composantes
militaires et civiles françaises
déployées sur place ou
acheminées dans l’urgence.
Si l’appréciation stratégique de
l’action reste à porter, elle fut un
succès technique indéniable.

JUIN 2009 57 DOCTRINE N° 16


Les enseignements tirés du déploiement
du CRER au Tchad en avril 2006
PAR LE CHEF DE BATAILLON TANGUY EON-DUVAL DU CDEF/DREX

n avril 2006, le front uni pour le changement (FUC), poussé par le gouvernement de Khartoum, tente de

E renverser le président Deby ce qui provoque la rupture des relations diplomatiques tchado-soudanaises.
De violents affrontements opposent alors les partisans du président Déby et les rebelles, provoquant des
centaines de morts. Dans ce cadre, la France prépare une opération d’évacuation de ses ressortissants qui
finalement n’aura pas lieu, le pouvoir politique décidant de ne pas évacuer.
Ces événements ont permis de rappeler quelques vérités qui, sans être nouvelles, méritent d’être évoquées
pour nourrir une réflexion plus poussée sur le concept et la pratique des RESEVAC. La pertinence du
prépositionnement des forces françaises et l’appropriation de l’esprit de la mission par les EFT1 apparaissent
comme les facteurs principaux qui auraient conduit à la réussite de l’évacuation si celle-ci avait été conduite.
A l’épreuve des faits qui ont secoué le Tchad en avril 2006, provoquant le montage d’un CRER A par l’armée
française, des enseignements ont été tirés. Ils ont permis de conduire rapidement et avec efficacité l’évacuation
de ressortissants au Tchad en février 2008.

DÉROULEMENT DES FAITS (CPCO) donne l’ordre d’engager le CRER sées et une diminution des moyens
Alpha au Tchad. Simultanément, des déta- humains nécessaires au fonctionnement
Le 11 avril 2006 vers 13 heures, une colonne chements de liaison (DL) du groupement de l’ensemble. Son plan est accepté.
d’une centaine de pick-up rebelles prove- terre sont envoyés sur les points sensibles
nant du Darfour attaque la ville de Mongo répertoriés dans le plan d’évacuation bapti- Le dimanche 16 avril matin, la chaîne
située à 350 Km à l’est de N’Djamena. sé «Chari Baguirmi». Le jeudi 13 avril est mar- consulaire et le CRER A sont installés. En
L’armée nationale tchadienne (ANT) déploie qué par de violents affrontements dans la début d’après-midi, le système informa-
alors préventivement ses blindés dans la capitale ; à 18 heures, le CPCO ordonne la tique EVAC INFO3 permettant l’enregistre-
banlieue sud-est de la capitale. Les éléments projection du CRER. Le samedi 15 avril à 16 ment des ressortissants est déployé.
français au Tchad (EFT) sont mis en alerte. heures, l’avion le transportant atterrit sur Compte tenu du retour à la normale dans
Les unités en tournée de province (TP) sont la base militaire de N’Djamena. N’Djaména, l’ambassadeur de France au
recomplétées en munitions par HM2. Le Tchad décide de ne pas procéder à l’éva-
même jour à 22 h 30, deux C130 déposent à Une reconnaissance est conduite sans délai cuation des ressortissants.
N’Djamena la 4e compagnie du 8e RPIMa, sur la zone prévisionnelle d’implantation
prépositionnée en mission de courte durée du CRER. La solution qui avait été préco-
à Libreville. Les rebelles continuent leur nisée par des reconnaissances antérieures ENSEIGNEMENTS PRINCIPAUX
progression dans la nuit du mardi 11 au n’est pas retenue pour des raisons essen-
mercredi 12 avril. À 10 h 30, le lycée fran- tiellement pratiques. Une réunion de crise Une parfaite maîtrise
çais de N’Djamena (Montaigne) ferme ses se tient alors entre le consul, le chef du du plan Chari Baguirmi
portes. À 11 h 20, sur ordre de l’état-major centre d’évacuation (CENTREVAC) et le chef
opérationnel terre (EMO-T), le comman- du CRER. S’appuyant sur son expérience Tout d’abord, chaque contingent arrivant
dement de la force logistique terrestre personnelle acquise lors du montage du sur le théâtre effectue la reconnaissance
(CFLT) fait passer le centre de regroupe- CRER à Abidjan en novembre 2004, le chef des points de regroupement ainsi que des
ment et d’évacuation des ressortissants du CRER propose de mettre au point un itinéraires permettant de rallier le camp
(CRER) en alerte à 24 heures au lieu de nouveau dispositif intégrant un resserre- Kosseï. A l’issue, un exercice est mené
48 heures. À 17 heures 47, le centre de pla- ment des modules prévus, une disponibi- au profit des unités, permettant l’appro-
nification et de conduite des opérations lité instantanée des infrastructures utili- priation de la mission d’évacuation.

DOCTRINE N° 16 58 JUIN 2009


Baptisé «Chari-Baguirmi»,
Retour d’expérience
cet exercice de synthèse
est contrôlé par l’état-major
interarmées (EMIA) qui
valide les savoir-faire des
unités présentes. L’instruc-
tion sur la mise en œuvre
d’une évacuation de res-
sortissants lors de la mise
en condition avant projec-
tion (MCP) et l’entraîne-
ment sur le théâtre confè-
rent aux EFT à la fois la
légitimité et les capacités
de conduire une RESEVAC
avec efficacité et sans
pertes.
ADJ DRAHI/SIRPA Terre

La prise en compte
des enseignements de
novembre 2004 en RCI

Ensuite, le chef du CRER


projeté à N’Djamena en
avril 2006 était le même que celui qui avait du ministère de la Défense ainsi que ceux et leurs compétences au service de la cel-
commandé le CRER lors des évènements du ministère des Affaires étrangères (MAE) lule informatique des EFT. Enfin, le poste
de novembre 2004 en Côte d’Ivoire. Il avait ont conservé un contact permanent du lan- de secours aurait travaillé en parfaite syner-
tiré à l’époque des enseignements précis cement de l’alerte jusqu’au retour à la nor- gie avec l’infirmerie de la BSVIA pour l’ai-
à la fois sur les modalités de montage du male. Le consul, le chef du CENTREVAC et der dans le traitement des ressortissants.
CRER et sur la gestion des personnes à le chef du CRER ont ainsi pu mettre en Le CRER A n’est donc pas une structure qui
accueillir. Ainsi aurait-il pu gérer l’afflux de œuvre leur structure conformément aux agit de façon autonome. Son efficacité est
ressortissants et de réfugiés, appréhen- plans dûment établis. Colocalisées, due principalement à sa capacité à s’adap-
dant en particulier leur aspect psycholo- les équipes consulaire et militaire auraient ter au nouvel environnement qu’il trouve
gique. Le processus RETEX consistant à la ainsi pu prendre en compte successive- sur le théâtre.
prise en compte des évènements passés ment les personnes évacuées, chaque
permet donc un gain de temps précieux et cellule ayant une mission propre.
est, rappelons-le une nouvelle fois, gage
d’efficacité.
La souplesse d’emploi du personnel du
CRER A dans son nouvel environnement
Une bonne coordination
entre les différents services Les prévôts du CRER A devaient rejoindre 1 Éléments français au Tchad.
2 Hélicoptères de manœuvre.
l’antenne prévôtale de N’Djaména pour
3 Le module EVAC INFO est le module de base
Le succès de la montée en puissance de ce participer aux fouilles des ressortissants minimum pour réaliser les opérations
CRER repose également sur une bonne et de leurs bagages ainsi qu’au service du d’enregistrement de 500 ressortissants par
synergie des services concernés par une contentieux. De même, les deux informa- 24h00. Il constitue le cœur du module harpon
telle opération. Les représentants locaux ticiens étaient prêts à mettre leurs moyens du CRER A.

Ainsi, la structure projetée en avril 2006 au Tchad a permis de valider le principe même du déploiement d’un
CRER A. Les autorités politiques françaises ayant décidé de ne pas évacuer les ressortissants, le CRER A a été
démonté et le personnel est rentré en France. Le prépositionnement des troupes et françaises au Tchad et la
bonne connaissance du milieu ont permis l’accueil et le déploiement rapide du CRER A.
L’expérience acquise avec la projection et l’installation du CRER a permis de conduire dans d’excellentes
conditions l’évacuation des 1 384 ressortissants du 1er au 8 février 2008.

JUIN 2009 59 DOCTRINE N° 16


Opération CHARI BAGUIRMI
L’évacuation de 1 750 ressortissants
au Tchad en 2008

PAR LE COLONEL XAVIER COLLIGNON*

lors que de violents combats opposent la rébellion tchadienne à l’armée nationale tchadienne et que

A l’opération EUFOR Tchad RCA monte en puissance, le groupement terre 21e RIMa participe à l’évacuation
de 1 750 ressortissants, dont le tiers de Français, de Ndjamena du 1er au 8 février 2008. Dans ce cadre,
l’action du 21e RIMa est évidemment déterminante mais elle n’est pas exclusive. En effet, elle s’inscrit dans un
cadre global interarmes, interarmées et international très favorable qui lui a fourni les moyens logistiques, et
humains indispensables à la réussite de l’opération.
Fondamentalement, l’expérience vécue par le groupement terre n’est pas exceptionnelle, l’armée de terre
possède de multiples exemples similaires dans son passé récent ; elle remet simplement en lumière quelques
vérités : la nécessité de l’entraînement, la liberté d’action et l’indispensable fluidité de l’information sont trois
points toujours essentiels.

* Chef de corps du 21è RIMa de 2006 à 2008.

UN ENTRAÎNEMENT CAPITAL reconnaissances réalisées un mois ci ne s’arrête d’ailleurs pas seulement à


avant le départ. l’environnement géographique. Il convient
Le GTIA 21 est à la base très hétérogène. Le GTIA 21 connaît parfaitement son d’y ajouter la connaissance du matériel
Certes l’ossature du GTIA est constituée environnement. Après quatre mois mis à disposition, la connaissance des
par le 21e RIMa. Mais pendant 4 mois d’entrainement intensif de missions de plans, des moyens complémentaires et
il faut optimiser les savoir-faire des présence et de reconnaissances, il est des chefs.
cavaliers légionnaires et des Bigors en mesure d’accueillir les renforts de Si nous n’y prenons pas garde, la liberté
pour obtenir un GTIA efficace et Libreville. Ces derniers connaissent le d’action du GTIA peut être limitée par
homogène. Un entraînement intensif milieu africain, ils sont déjà acclimatés. «l’externalisation». En effet, la réalisa-
interarmes et interarmées facilite En outre, les commandos de l’air et le tion de tâches multiples par du person-
grandement cette fusion. Par la suite génie de l’air fournissent des renforts nel non militaire (casernement, soutien
le renforcement des unités TAP se fait de dernière minute. Les sapeurs auront de l’homme) en temps de paix permet
assez naturellement. Leur arrivée en à travailler jour et nuit pour embosser indéniablement de conserver du per-
24 heures, la tension qui monte les engins et protéger la troupe. sonnel pour l’entraînement. Cependant
rapidement et les retrouvailles des dès que la crise surgit, ce personnel ne
commandants d’unité, chefs de section Ainsi le GTIA 21 bien aguerri par quatre pouvant (ou ne voulant) venir travailler,
ou de groupe qui se sont connus au mois de mission, bénéficiant d’un son absence impose de nouvelles con-
cours de différents séjours, accélèrent renfort entraîné et expérimenté, voit-il traintes à la force qui a justement
une intégration qui s’avère être une se déclencher les événements avec une besoin à ce moment de tout son per-
nécessité opérationnelle. certaine sérénité. sonnel... Pour faire face à cette situa-
Le GTIA 21 est donc entraîné et aguerri. tion, il est indispensable que les unités
Le travail réalisé à Fréjus lors de la conservent une capacité de rusticité et
mise en condition pour la projection, LA LIBERTÉ D’ACTION DU GTIA d’autonomie afin de maintenir leur dis-
l’exercice conduit au début du mois de ponibilité opérationnelle.
septembre sur l’ancienne base aéro- Cette liberté d’action repose sur sa
navale a permis aux différentes unités connaissance de son environnement et La connaissance des matériels permet
du GTIA 21 de se préparer avec sur la qualité de sa réserve tactique. de s’adapter au matériel en service. En
réalisme, appliquant à l’occasion le Il faut encore et toujours insister sur la l’occurrence, le parc automobile en
plan CHARI BAGUIRMI fourni lors des connaissance de l’environnement. Celle- service aux EFT est insuffisant en terme

DOCTRINE N° 16 60 JUIN 2009


Retour d’expérience ressortissants évacués s’avère primor-
diale pour le suivi et la poursuite des
opérations. Enfin, il apparaît indis-
pensable de déterminer des points de
regroupement de ressortissants proches
du CENTREVAC qui, en début de crise,
peuvent être rejoints au plus vite afin de
diminuer le nombre et la vulnérabilité des
convois d’évacuation sous blindage.
Cette fluidité de l’information permet
également au chef de détachement de se
ADJ DRAHI/SIRPA Terre

situer en permanence dans l’action


principale, il s’agit bien d’accroître
l’intelligence de situation. Ainsi informé
en direct des intentions des chefs des
échelons supérieurs ou des subor-
donnés, il peut décider en intégrant les
de blindage pour la troupe ou pour le opérations ont été ralenties mais cette éléments d’ambiance et adapter ses
commandement. Par ailleurs, toutes décision nous a permis de disposer d’une actions ou réactions. C’est en suivant le
les sections ne peuvent disposer de capacité d’extraction protégée et d’une réseau radio de l’échelon subordonné
VAB 12.7. Ainsi, ayant pris l’habitude de capacité de réaction (d’escorte) sous que nous pouvons faire replier des
manœuvrer en tenant compte de ces blindage. Cette option plus lente mais éléments qui sont pris à partie par
lacunes, la répartition des moyens a-t- plus sûre a été validée par les faits. Aucun méprise par des éléments de l’armée
elle été adoptée d’emblée pour faire ressortissant n’a été blessé. La faiblesse nationale tchadienne, évitant ainsi le
face à ces difficultés déjà connues. de nos moyens était compensée par les pire.
De même le plan RESEVAC dominé dans appuis disponibles, la SAM était prête à
l’esprit comme dans la lettre a pu être tirer et les hélicoptères appuyaient les Cette fluidité de l’information est
utilement actualisé pour le faire coller convois. capitale également au niveau «hori-
à la réalité du moment. Notons qu’il zontal» ou en interarmées. En effet, la
s’est révélé particulièrement utile car défense de la piste et son emploi
la connaissance des plans, des amis ou FLUIDITÉ DE L’INFORMATION simultané par les avions de transports
alliés et des chefs facilite la compré- tactiques imposent une coordination très
hension et la coordination. La fluidité de l’information est également fine avec l’armée de l’air, afin de pouvoir
Enfin le GTIA 21 connaissait ses chefs déterminante, elle conditionne, la com- appuyer les décollages et atterrissages
directs et savait ce qu’il pouvait attendre préhension de la mission à tous les des aéronefs. La colocalisation du J3
des amis ou alliés (moyens interarmées, échelons et la réactivité des éléments avec la cellule de commandement du
ambassade, armée nationale tcha- engagés. GTIA permet ainsi une information
dienne). C’est pourquoi au fur et à La circulation de l’information est instantanément exacte et une réaction
mesure des événements l’aide de primordiale. L’évacuation au milieu des immédiate.
l’ambassade pour déterminer les sites combats dans une zone peu étendue Les limites de cette fluidité de
d’extraction des ressortissants isolés ou mais urbaine avec des belligérants très l’information résident dans la maîtrise et
pour coordonner l’action de nos troupes mobiles impose un effort de rensei- le volume des informations traitées. Les
s’est révélée déterminante. gnement de contact pour choisir les messages opérationnels, les photos et
itinéraires d’évacuation les moins autres films sont de nature certes à
La qualité de la réserve tactique est exposés et une sélection pertinente des expliquer et témoigner de l’action en
comme toujours prépondérante. Il s’agit points de regroupement de ressor- cours mais la multiplicité des sources
bien sûr de sa nature qui doit coller à la tissants. Du fait de la quasi-absence doit induire une attention soutenue de
réalité du combat. Lorsqu’il est apparu de capteurs spécialisés (faute de l’encadrement. En effet, le nombre
clairement que les rebelles ne faisaient blindage), le renseignement au contact conséquent de films et de photos prises
pas grand cas de la vie des ressortissants peut être directement exploité grâce à pendant l’opération par les soldats eux-
en n’hésitant pas à prendre à partie nos l’emploi d’un réseau radio unique per- mêmes ou les ressortissants (voir les
convois, nous avons immédiatement mettant de coordonner en boucle courte sites Internet spécialisés) doit nous
décidé d’évacuer sous blindage. Certes, l’action des unités. De même, l’exploi- inciter à la vigilance.
compte tenu du nombre de VAB, les tation des informations détenues par les

En conclusion, cette RESEVAC a été à l’image de toutes celles que l’armée de terre a eu à conduire dans le passé ;
soudaine et violente elle a nécessité savoir-faire et réactivité. Entraînement, liberté d’action et fluidité de
l’information sont évidemment indispensables. Faut-il souligner qu’ils ne seraient rien s’ils n’étaient réalisés par des
hommes motivés et bien encadrés, dans une organisation aux qualités avérées et dans un environnement maîtrisé ?

JUIN 2009 61 DOCTRINE N° 16


Une opération d’assistance et d’évacuation au Liban
L’opération «Baliste» (juillet-août 2006)

PAR LE CONTRE-AMIRAL XAVIER MAGNE DE L’EMM*

e 12 juillet 2006, après une incursion en territoire israélien ayant conduit à la capture de deux

L Israéliens par des combattants du Hezbollah et provoqué la mort de huit autres soldats, les hostilités
éclatent, très violentes, entre Israël et le Hezbollah dans le sud du Liban. L’aviation israélienne attaque
méthodiquement les positions du Hezbollah - en particulier le quartier chiite de Beyrouth et le village de Bent
J’Bail au sud du Litani. Elle fragilise ou détruit plus d’une centaine de ponts routiers dans tout le Liban,
bombarde une usine dans la plaine de la Bekaa. Elle frappe également la centrale électrique de Jiyé, située
en bord de mer, provoquant ainsi une marée noire qui souille la côte vers le nord jusqu’à Tripoli. Le Hezbollah
réplique par des tirs de roquettes qui atteignent le territoire israélien de façon aveugle. Ces actions
provoquent, d’une part, un exode important de la population libanaise du sud du Litani vers Beyrouth et
le nord du Liban et, d’autre part, un déplacement limité de réfugiés israéliens vers le sud d’Israël.

L’opération Baliste, décidée par le gouvernement français dès le 14 juillet, a pour objectif initial de porter
assistance à nos ressortissants qui fuient les bombardements au sud du Liban, d’acheminer du fret
humanitaire vers les zones les plus touchées par les combats et d’apporter un soutien à la force intérimaire
des Nations Unies au Liban (FINUL). Cette dernière est dans une situation précaire et particulièrement
inconfortable du fait de son positionnement géographique, exactement entre les deux protagonistes, au cœur
de la zone des combats.

Deux C-160 Transall et trois EC-725 Caracal sont projetés immédiatement sur la base britannique d’Akrotiri
à Chypre et le Jean de Vienne reçoit l’ordre d’appareiller dans l’heure. Une compagnie du 7e bataillon de
chasseurs alpins et une compagnie du 2e régiment d’infanterie de marine, chacun avec ses éléments de
soutien, reçoivent l’ordre de rejoindre le Siroco et le Mistral à Toulon. Le Siroco appareille dès le 16 juillet,
le Mistral et le Jean Bart appareillent le 19, sitôt leur chargement effectué.
Dès que l’ensemble du dispositif militaire est en place, les opérations d’évacuation prennent une dimension
beaucoup plus professionnelle grâce à la présence et au travail précis et méthodique des centres de
regroupement et d’évacuation des ressortissants (CRER). L’organisation est cohérente et répond de façon
efficace à la situation d’urgence - les ressortissants sont immédiatement rassurés par le calme des soldats,
l’impression qu’ils maîtrisent la situation, la puissance et le sentiment de sécurité qui se dégagent du
dispositif. C’est le fruit de l’expérience acquise par l’armée de terre lors des diverses opérations d’évacuation
de ressortissants auxquelles elle a participé au cours des dernières années, en particulier en Afrique.
Au bilan, ce sont plus de huit mille ressortissants de soixante et une nationalités différentes qui sont
évacués par les moyens militaires, mille quatre cents tonnes de fret humanitaires qui sont acheminées vers
les ports de Beyrouth, Tyr, Saïda et Naqourah, le tout dans un contexte très tendu.
Comme dans toute opération réelle, les choses ne se sont pas passées exactement comme elles avaient été
planifiées et les surprises se produisaient comme toujours à l’endroit où on ne les attendait pas.

DOCTRINE N° 16 62 JUIN 2009


L’UNICITÉ DU COMMANDEMENT :
Retour d’expérience
attire inéluctablement le monde politique Ici aussi il me semble qu’il faut s’abstenir
UN PRINCIPE IMMUABLE ? qui y voit, à juste titre, une excellente oppor- de faire un procès d’intention aux journal-
tunité d’œuvrer pour le bien commun. istes - sans pour autant être naïfs. Ils ne
Dès que nous adoptons le métier des Chacun se dépense sans compter, oubliant font, en effet, que leur métier. Bien sûr,
armes, nous apprenons à nous organiser juste parfois qu’il n’est pas seul à se sou- nous tentons de nous justifier en remar-
pour mener des opérations et gérer des cier du bien commun. C’est la raison pour quant que certains d’entre eux souffrent
crises en nous appuyant sur le principe de laquelle il y a parfois un manque de coor- d’un manque d’éducation chronique. Cela
l’unicité du commandement. Ce principe dination qui pose problème à l’échelon ne change rien au fait qu’ils sont chargés
n’est jamais remis en cause parce que cha- d’exécution. d’informer nos concitoyens. Mieux vaut
cun peut ou a pu vérifier par lui-même que prendre son mal en patience et faire
le fait d’avoir plusieurs chefs est presque Que peut-on faire ? On peut s’en remettre preuve de pédagogie pour que l’informa-
toujours gage de désordre et d’ineffica- à son chef direct pour tenter de supprimer tion soit présentée de la façon la plus objec-
cité. Tout le monde s’accorde sur ce prin- les interférences. On risque surtout de se tive possible.
cipe essentiel et, pourtant, ce n’est pas tou- voir reprocher le fait d’avoir introduit des Nous avons eu à gérer l’impatience et
jours ce qui se passe dans la réalité. C’est délais supplémentaires dans des proces- l’agressivité des médias présents à
ainsi que pendant les premières semaines sus issus de sollicitations qui sont en réa- Naqourah les 19 et 25 août 2006 au
de l’opération Baliste, j’ai pu identifier lité parfaitement légitimes. Il ne reste alors moment du débarquement des premiers
jusqu’à six donneurs d’ordre différents au plus qu’une option, faire au mieux en renforts de la FINUL. Nous avions mis à ter-
premier rang desquels il y avait, bien évi- essayant de rester fidèle à l’esprit de la re une section de génie avec son matériel
demment, le centre de planification et de mission et, patiemment, expliquer le bien- le 19 et nous débarquions, le 25, le restant
conduite des opérations (CPCO), ce qui est fondé de ses choix, donner une indication de la compagnie. Les journalistes ne com-
tout à fait normal puisqu’il est dans son sur les délais de réalisation pour bien prenaient pas que les quinze mille hommes
rôle de courroie de transmission des ordres montrer qu’on ne laisse rien tomber. de renfort, annoncés avec de grands effets
donnés par le chef d’état-major des armées de manches par le monde politique, ne
(CEMA). En revanche, certaines «incita- débarquent pas tous ensemble. Il m’a fal-
tions», pour ne pas dire injonctions, LA COMMUNICATION : lu leur expliquer que, compte tenu du
venaient d’autres correspondants et ces UNE ÉCOLE DU CALME nombre d’engins explosifs disséminés dans
interventions n’étaient manifestement pas ET DE LA PATIENCE la zone - et qui provoquaient chaque jour
toutes coordonnées. des accidents au sein de la population - il
Les journalistes sont des gens pressés, il était essentiel de préparer le terrain pour
Il est toujours un peu déroutant pour un suffit de les côtoyer pour s’en convaincre. éviter d’avoir à gérer un problème encore
chef de se voir solliciter de cette manière, Parce qu’ils suivent les développements plus grand. C’est pour cette raison que nous
surtout au moment où les événements de l’actualité, ils cherchent en permanen- mettions à terre deux cents spécialistes
requièrent concentration et précision. Nous ce à l’anticiper pour mieux la couvrir et avec mille huit cents tonnes de matériel,
n’avons pas, loin s’en faut, le don d’ubi- décrocher le «scoop» mythique lorsque capables de dépolluer le terrain et de
quité et il n’est généralement pas possible c’est possible. Cette impatience, aggravée construire les infrastructures d’accueil. Le
de répondre à toutes les demandes dans par la dure compétition qui existe entre reste suivrait en son temps. Curieusement,
les temps impartis. Sous la pression des eux, devient parfois agressivité pure, ceci a mis fin à toute cette agressivité.
événements, l’envie d’un chef trop sollici- ce qui nous place, par contrecoup, en pos-
té est alors d’éconduire poliment chacun ture défensive. Cette attitude, que nous
de ces interlocuteurs supplémentaires mais sommes trop souvent tentés d’adopter, est LA SÉCURITÉ : UNE QUESTION
il faut résister à la tentation de leur faire ressentie elle aussi comme très agressive DIFFICILE DANS CE CONTEXTE
un procès d’intention. En effet, dès lors par les journalistes. C’est comme un jeu de
qu’une opération comporte une forte miroirs qui se renvoient la même image et La phase d’évacuation des ressortissants
dimension émotionnelle, elle fascine et qui fait monter la tension. a été une opération délicate qui nécessi-
tait méthode, organisation et rigueur. Elle
demandait surtout une synergie entre les
différents acteurs présents sur le terrain,
en particulier ceux des affaires étrangères,
afin d’optimiser le travail d’identification
des personnes évacuées, le transit des
ressortissants vers les bâtiments de la ma-
rine nationale et l’accueil à bord de nos
unités. Malgré l’affolement, les pleurs,
la lassitude, l’impatience des familles sou-
vent composées de jeunes enfants, il nous
fallait garder le contrôle de la situation et
éviter l’apitoiement face à ce drame
SIRPA Marine

humain que tous, militaires comme civils,


vivaient en direct et souvent pour la pre-
mière fois.

JUIN 2009 63 DOCTRINE N° 16


Le contexte était à l’urgence et le risque des trois. J’ai demandé à organiser les vols prendre le risque de voir l’incendie se
d’une action contre nos bâtiments ne devait de façon à permettre l’échelonnage de ces rallumer et de ne plus avoir les forces indis-
pas être négligé. La question sécuritaire visites dans le temps pour éviter une rup- pensables pour conduire la mission. Ma
était donc primordiale. Pourtant, face à la ture capacitaire. Cela m’a amené, par conviction profonde était que, si je ne
détresse des personnes évacuées, il parais- exemple, à refuser le transfert d’une équi- faisais pas cet effort, nos forces resteraient
sait particulièrement indélicat de se lancer pe de relève du groupement d’intervention inoccupées trop longtemps et, se sentant
dans une inspection détaillée de leurs de la police nationale (GIPN) par voie aérien- inutiles, se démotiveraient. Par ailleurs,
bagages. Alors, une fois les personnes ne sur le trajet Chypre - Beyrouth. L’attaché nous sentions localement à quel point il
accueillies à bord de nos unités et les de défense est intervenu pour tenter de était important d’investir sur l’armée
bagages regroupés dans un même lieu, forcer la décision. Puis comme je mainte- libanaise. Ceci m’a conduit à développer
une équipe cynophile, spécialisée dans la nais le refus, c’est l’ambassadeur en per- une coopération bilatérale.
recherche d’explosifs, venait méthodique- sonne qui est intervenu. Ceci m’a permis
ment flairer les paquetages embarqués. d’expliquer, aussi délicatement que pos-
sible, les raisons qui motivaient mon choix LE DÉTACHEMENT «BAILEY» :
La question délicate de la sécurité s’est et de rappeler que ce choix relevait de ma UN SOUTIEN À PARTIR DE LA MER
également posée lors de la prise en char- responsabilité. Devant, en particulier, main-
ge et l’acheminement de fret humanitaire tenir une capacité d’exfiltration au profit Dès la fin des hostilités, l’action de notre
en direction du Liban. Le contrôle des de l’ambassade, je ne pouvais, sans faillir force s’est orientée vers une phase de sou-
matières transportées, regroupées et empi- à ma mission, laisser les hélicoptères arri- tien et de reconstruction au profit du Liban.
lées sur des palettes, était difficile à réali- ver à échéance de potentiel au risque d’en C’est ainsi qu’une compagnie de légion-
ser en raison de la quantité et du volume avoir deux - voire trois - indisponibles simul- naires du 2e régiment étranger de génie a
que cela représentait. Les aspects juri- tanément. Il me fallait donc gérer rigou- rallié le territoire libanais afin de participer
diques étaient complexes et conduisaient, reusement leur potentiel. Dans le cas pré- à la restauration des axes routiers
dans la plupart des cas, à l’interdiction du cité, la meilleure réponse n’était pas stratégiques avec la construction de ponts
contrôle des marchandises acheminées. nécessairement un transfert par voie aérien- provisoires Bailey. Cette équipe de
Ainsi, pour éviter la fouille directe du fret ne et nous avons assuré la relève dans 200 hommes, renforcée par des militaires
qui risquait de nous faire sortir du cadre les meilleures conditions en retardant d’une du 121e régiment du train, a rejoint direc-
légal, l’emploi de l’équipe cynophile s’est journée le retour en métropole de tement le Liban sans qu’un point de situa-
avéré être le moyen optimal pour répondre l’équipe relevée. tion ait pu leur être fait, au sein de la
au volet sécuritaire de cette opération même force Baliste, avant leur déploiement sur
s’il ne garantissait en aucune façon l’étan- le terrain. Puisqu’ils étaient sous ma
chéité du dispositif. Un effort reste à faire- LA «RÉDUCTION DE LA TOILE» : responsabilité, j’ai souhaité leur rendre
dans ce domaine pour trouver un cadre UNE DÉCISION DIFFICILE visite le plus tôt possible. Ils m’ont dit
juridique satisfaisant. toute leur appréhension d’être exposés
Sitôt la phase «urgence» achevée, nous dans une zone qu’ils pensaient être
sommes passés à la phase «recons- toujours au cœur des combats, sans avoir
LA GESTION DU POTENTIEL : truction». La hache de guerre était une quelconque connaissance des acteurs
UNE RESPONSABILITÉ QUI officiellement enterrée entre les protago- et des enjeux. Après leur avoir présenté
N’EST PAS PARTAGÉE nistes et les hostilités avaient cessé. La le dispositif de la force Baliste et le soutien
situation n’en était pas moins explosive et dont ils allaient bénéficier, les avoir con-
Lors de la phase dite «urgence»1, au cours chacun sentait que les combats pouvaient vaincus de l’utilité de leur action, leurs
de laquelle les évacuations avaient lieu, reprendre à tout instant. Et pourtant, craintes ont diminué. Elles ont complète-
les hélicoptères EC-725 Caracal de l’armée l’armée libanaise prenait la décision de se ment disparu lorsqu’ils ont pu vérifier
de l’air servaient, plus particulièrement, à déployer dans le sud Liban, faisant tomber qu’une unité était toujours à proximité,
exfiltrer des personnalités menacées ou un tabou. veillant fidèlement sur eux et que chaque
des ressortissants blessés, à mobilité rédui- fois qu’ils exprimaient un besoin, il était
te. Le fait de disposer d’un outil de cette En plus de trente années de carrière, satisfait dans la mesure de nos moyens.
qualité et de cette facilité d’utilisation n’a, j’ai pu constater que la règle habituelle à
bien sûr, pas échappé aux services de l’am- l’ONU, lorsqu’une opération se déclenche, Lors de ma première visite, le chef de déta-
bassade de France à Beyrouth. Et, tout natu- consiste à mettre en place des troupes, chement m’a fait part de sa préoccupation
rellement, ils se sont servis de ces machines la plupart du temps en mission d’interpo- de ne disposer que de rations de combat.
de guerre un peu comme s’il s’agissait d’un sition, puis à les «oublier». Les opérations Elles semblaient dérisoires compte tenu
service de taxi aérien. Il n’y avait pas de de maintien des Nations unies ne se des efforts physiques à fournir - nos légion-
raison objective de le leur reprocher dans terminent jamais. C’est ainsi qu’il y a tou- naires manipulaient des pièces de métal
la mesure où aucune règle du jeu ne leur jours, à ma connaissance, des casques de deux cents kilos sous un soleil de plomb,
avait été fixée et que seule l’urgence pré- bleus à Chypre. C’est ainsi que la FINUL avec des températures autour de quaran-
valait. était en place depuis 1978. Il m’a semblé te degrés. Le soutien à partir de la mer a
En revanche, dès mon arrivée sur zone, important, par principe, d’initier la décrue alors pris une forme très concrète avec la
m’étant posé la question de la gestion du et de remettre à disposition de l’employeur fourniture de deux unités logistiques2 qui
potentiel de ces appareils, il a fallu prévoir une partie des forces allouées à l’opéra- ont sans doute été un facteur essentiel du
assez rapidement une visite sur chacun tion Baliste. Bien évidemment, c’était moral.

DOCTRINE N° 16 64 JUIN 2009


SIRPA Marine
Retour d’expérience

* Etat-major de la marine. Le CA Magne était 2 Une «unité logistique» (UL) représente de quoi commis aux vivres et des cuisiniers. On y trouve
COMANFOR de l’Opération BALISTE. nourrir 300 personnes pendant 10 jours. vivres frais, congelés et quelques conserves.
La variété des aliments qui sont proposés dans La première UL a été acceptée sans trop de
1 La phase «urgence» a duré du 14 juillet une «UL» résulte d’études rigoureuses faites conviction, la seconde a été commandée avec
au 14 août 2006. conjointement par des nutritionnistes, des enthousiasme !

LA COOPÉRATION BILATÉRALE AVEC LE LIBAN

Au-delà de la construction des ponts Bailey, l’action de notre force s’est également orientée vers une
coopération bilatérale avec l’armée libanaise. Il était important de les intégrer dans cette phase de
l’opération car l’armée libanaise avait besoin d’une légitimité forte vis-à-vis de sa population. Elle avait
aussi besoin de prendre confiance en ses capacités d’action et d’intervention sur son territoire et ses
approches maritimes. La coopération bilatérale a été initiée, de part et d’autre, dans un esprit de solidarité,
de respect de l’autre et de partage du savoir-faire. Cette coopération, qui s’est appuyée sur des liens créés
il y a plus de trente ans entre de jeunes aspirants français et libanais à l’Ecole navale de Lanvéoc-Poulmic,
était empreinte d’une confiance mutuelle qui permettait un dialogue optimal entre les deux marines. En
prenant une part active aux opérations de reconnaissance de plages le long de leur littoral, les marins
libanais obtenaient estime et reconnaissance de leur savoir-faire par une marine amie qui compte pour eux.
Cette coopération nous a ainsi permis d’apporter soutien à la motivation des marins libanais, de les aider
à retrouver la fierté légitime d’œuvrer à la sécurisation de leur espace maritime et de leur garantir notre
estime pour leur professionnalisme malgré leurs contraintes matérielles.

JUIN 2009 65 DOCTRINE N° 16


Opération BALISTE
Une complémentarité interarmées indispensable

PAR LE COLONEL LAUNOIS*

Opération interarmées depuis la mer, l’opération BALISTE a vu les trois armées œuvrer sans préavis à partir
des bâtiments déployées au large du Liban durant plus de huit semaines sur le théâtre Est-Méditerranée
dans un cadre initialement non permissif évoluant favorablement avec pour résultat l’aide au départ du Liban
dans de bonnes conditions de plus de huit mille ressortissants français ou étrangers.

* Chef de corps du 2è RIMa de 2006 à 2008.

D
éployée sur deux bâtiments d’exercices et d’instruction (qualifi- - opérations de soutien au transport et
amphibies, le BPC1 Mistral et le cation du personnel navigant, prépa- débarquement de fret humanitaire de
TCD2 SIROCCO après un déclen- ration d’une opération amphibie sur la la fondation «Raffik HARIRI».
chement de l’opération en urgence hors côte du Liban et exercice sur carte
programmation le 17 juillet 2006, la pour l’état-major tactique, service des Au bilan, si l’ensemble de la force
participation de la composante terre armes et soins au combat pour la terrestre était en mesure de conduire à
centrée sur le 2e RIMa3 stationné au troupe, maintenance des matériels à terre une évacuation de ressortissants
Mans s’élevait à près de 600 personnes. Le la mer) ; depuis la mer, l’opération peut être
GTE4 «Richelieu» était articulé de manière considérée comme une aide au départ et
équivalente à un groupe amphibie de - appui aux opérations de rapatriement on peut en retirer les enseignements
niveau 2. Il était en conséquence en des ressortissants dans les fonctions suivants.
mesure de fournir tout l’éventail de de protection, d’accueil, de filtrage, de
capacités opérationnelles allant de la guidage, depuis Beyrouth au lycée
conception et la conduite d’opérations français et sur le port, à la jetée de
amphibies de niveau CATG-CLG5 jusqu’à Naqourah, lors de l’embarquement et ENSEIGNEMENTS TERRE
la mise sur pied d’un centre d’évacuation du débarquement à Mersin en Turquie
autonome ou de cellules de rapatriement et à Chypre, en liaison avec le Les principaux enseignements ont été
en soutien du MINAE, en passant par le personnel du ministère des Affaires les suivants :
raid blindé et héliporté de niveau GTE étrangères en ambassade ; - réactivité indispensable des troupes
dans une ambiance non permissive. pour servir hors programmation ;
- protection rapprochée des bâtiments
Si la directive BALISTE ouvrait toutes les lors des mises à quai de ceux-ci ; - expérience impérative du cadre de vie
possibilités d’action avec une dominante et d’emploi des autres armées pour le
d’action amphibie, pour le 2e RIMa, avec - évacuation sanitaire héliportée de succès initial et dans la durée de la
son chef de corps commandant de la personnel à terre au Liban de jour mission en raison de la promiscuité et
force terrestre embarquée, les opéra- comme de nuit vers les bâtiments ; de la charge de travail à bord. Les
tions durant les 45 jours de mission dont caractéristiques d’ouverture d’esprit
37 en zone d’opération ont été succes- - transport par hélicoptère tactique et de disponibilité méritent d’être
sivement centrées autour des activités d’autorités civiles ou de personnel soulignées et sont indispensables
suivantes : militaire spécialisé ; pour ce type de mission interarmées ;
- intégration opérationnelle, technique
et humaine des différentes compo- - opérations amphibies de mise à terre - compétences de fond à acquérir et
santes du groupement terrestre en de personnel et de moyens n’appar- entretenir au préalable dans la durée,
vue d’opérations amphibies dans un tenant pas à des formations spécia- sous réserve de prise de risques forts
cadre de haute intensité au moyen lisées ; par improvisation (compétences am-

DOCTRINE N° 16 66 JUIN 209


phibies d’état-major et de troupe,
Retour d’expérience
- utilité d’un conseiller d’environne- reuse de toute autre mission, en
maintenance à la mer, concept et mise ment franco-libanais au profit du particulier s’agissant de la mise à terre
en œuvre d’une évacuation de ressor- commandement, officier de marine de d’une force de combat.
tissants) ; la réserve citoyenne ; En outre, les opérations amphibies
menées ont finalement été du niveau 1.
- réalisation d’une cartographie numé- - insuffisance, voire absence des Elles ont cependant permis à chaque
rique des zones d’opérations. Dans ce dotations en maintenance, munitions fois de mettre en œuvre les savoir-faire
domaine, il est à noter que l’utilisation et piles embarquées pour des opéra- techniques requis, que ce soit dans la
d’atlas commerciaux tels que Google tions de haute intensité à terre ; rédaction des ordres ou dans la mise en
Earth a permis de mener un utile œuvre de la batellerie (opérations de
travail de préparation de mission, - importance de la désignation d’un porte à porte et mise à terre, effectuées
allant jusqu’à la présélection des élément de maintenance conséquent exclusivement par du personnel qualifié
zones à coup sûr impropres au quantitativement et qualitativement TECHPHIB8).
plageage ; pour mener l’ensemble des matériels
et donc des personnels à destination. Enfin, l’environnement était à chaque
- maintien régulier de la capacité Au regard des délais contraints6 pour fois permissif bien que toujours risqué
opérationnelle de la force terrestre rejoindre l’arsenal de Toulon, il était avec la présence des forces armées
embarquée tant du point de vue des impératif de disposer de compétences locales comme de miliciens.
qualifications des troupes de mêlée variées, susceptibles de procéder aux S’il avait fallu mener une opération de
(manœuvres, tirs, aguerrissement, réparations sans délais, sur terre mais vive force, une planification rigoureuse
appontage jour/nuit) que du moral en aussi à bord. dont la force avait les moyens et surtout
cas d’embarquement d’une durée une répétition eussent cependant été
dépassant le mois. Le GTE a donc pris S’agissant du commandement interne des facteurs critiques de succès.
contact avec les autorités militaires du GTE, la répartition sur deux bâti-
chypriotes en vue de disposer de ments n’a pas posé de problème parti-
facilités d’exercices techniques soit culier en raison des facilités multiples En ce qui concerne les hélicoptères du
nationaux, soit conjoints. Or, la force se de liaison entre bâtiments, mais surtout GTAM9 embarqué, la nécessaire cohé-
trouvait dans un contexte particulier par de la simplicité des missions finalement rence à réaliser entre les missions
rapport aux dispositions réglementaires dévolues aux éléments terrestres données par le J3 AIR du COMANFOR10
des opérations amphibies (Instruction embarqués. et les contraintes inhérentes aux
3500 titre 3- GA1), en ce sens qu’elle Ainsi, en accord avec le chef du GTE, les bâtiments ou aux zones de poser
participait à une opération, et non à ordres de détails pour la protection terrestres a parfois conduit à une
un prépositionnement. De ce fait, la rapprochée du bord ou de la batellerie limitation relative de la souplesse
mise à terre du GTE pour des phases ou pour l’appui aux opérations de d’emploi de ces aéronefs. Leur emploi
d’entraînement ne pouvait-elle se faire rapatriement, de ravitaillement et de depuis la mer aura été directement
qu’avec précaution, compte tenu de la renforcement de la FINUL7, pouvaient réalisé par le J3 AIR. Le mixage entre
proximité du théâtre et de la nature du être donnés en permanence par le moyens embarqués et aéronefs de
signal envoyé vers les acteurs régio- commandant de chaque bâtiment à sa l’armée de l’air gardés sur Chypre aura
naux par ce type d’entraînement ; troupe embarquée, à l’exclusion rigou- alors permis de répondre avec la
meilleure réactivité possible aux besoins,
y compris lors d’une évacuation sanitaire
à proximité de tirs d’artillerie hostiles au
profit de la FINUL.

ENSEIGNEMENTS INTERARMÉES

Compte tenu des effectifs très impor-


tant de ressortissants à évacuer, la
présence d’une force terrestre est
apparue indispensable à la réalisation
dans des conditions strictement satis-
faisantes des missions de la force
BALISTE. La quasi-totalité des effectifs
terre a été requise, tant à terre pour
accueillir depuis l’ambassade les
ressortissants, les mettre en condition
SIRPA Marine

administrative et les guider, participer à


la protection rapprochée des bâtiments,
qu’à bord pour encadrer et soutenir sur

JUIN 209 67 DOCTRINE N° 16


les plans sécurité, moral, alimentation OPEX et a permis de répondre avec
et santé un effectif à chaque fois de célérité aux besoins individuels et
l’ordre de 2 000 ressortissants. En effet, collectifs (alimentation, santé) de la
les équipages à l’effectif limité des force comme de la FINUL isolée.
bâtiments avaient à assurer en priorité
leur fonction à bord. Quant à la communication, il est
impératif de l’intégrer d’emblée comme
S’agissant de la structure de comman- une condition du succès d’une opé-
dement interarmées de l’opération, ration. La présence de l’officier
inspirée par la structure générique CATF communication du 2e RIMa, travaillant
élaborée dans la perspective de l’exercice en liaison avec la cellule correspon-
amphibie multinational Brilliant Midas dante du BPC Mistral, est apparue
2006, elle a manifesté sa validité en indispensable pour contribuer à gérer
raison du niveau des forces étrangères les nombreuses présences médiatiques
sur zone, de son efficacité par sa et commencer à élaborer des éléments
permanence tant dans la conception que de langage adaptés à la mission initiale.
dans la conduite et enfin par la réactivité Ultérieurement, ces deux cellules se
apportée par la colocalisation des PC de sont naturellement intégrées dans le
niveau opératif et tactique, aspect PIO interarmées.
typique de ce genre d’opération à
vocation amphibie.
En dernier lieu, il est à noter l’utilité de
Dans le domaine du soutien, il est à la formation apportée par le CID avec
noter le caractère parfaitement fondé du la présence de nombreux officiers
système des dépenses à bon compte qui étrangers. En effet, en raison des
permet de faire face instantanément relations personnelles nouées tant entre
aux besoins opérationnels ou logis- officiers des armées qu’avec les
tiques urgents qui ne peuvent être étrangers et du référentiel acquis lors de
satisfaits qu’à partir des ressources cette scolarité commune, les contacts ont
locales du théâtre et de liquidités été d’emblée aisés tant au sein de la force
fiduciaires. Ainsi, l’avance de 100 000 €, française qu’à Chypre ou au Liban avec
emportée sur la trésorerie du 2e RIMa a les états-majors locaux, par exemple lors
été répartie au profit de l’ensemble de la du montage d’activité d’entraînement.
force interarmées comme trésorerie

Il est une nouvelle fois évident qu’une opération interarmées ne


s’improvise pas tant au niveau des états-majors que des troupes ou
équipages.
Pour la partie terre, conditions du succès initial, la formation
interarmées, l’expérience des opérations amphibies et du milieu,
l’entretien de la capacité de maintien en condition opérationnelle et
technique de la troupe embarquée, apparaissent définitivement
comme incontournables.

Hormis les extractions en haute intensité qui n’ont finalement pas eu


lieu d’être, le schéma d’organisation interarmées d’une opération
d’évacuation de ressortissants a été mis en place sur l’ensemble de la
région entre le Liban, Chypre et la Turquie. Sans doute rendu plus
complexe dans sa mise en œuvre par les élongations et les différents 1 Bâtiment de projection et de commandement.
milieux d’opérations, il a une nouvelle fois fait la preuve de sa validité 2 Transport de chalands de débarquement.
dans un contexte à dominante navale. 3 2e RIMa, 7e BCA,1er RS,1er REG, 6e RG, 3e RHC,
121e RT, GRI, 132e BCAT, Prévôté.
4 Groupe tactique embarqué.
Cela étant, si une opération à portée réduite en effectifs et en temps peut 5 Commander of amphibious task force -
certainement être conduite par une seule armée individuellement, en commander of landing force.
6 24 heures.
cas d’opération de masse et dans la durée, les différentes armées sont 7 Force intérimaire des Nations unies au Liban.
indissolublement complémentaires même s’il reste indispensable de 8 Niveau de technique amphibie (1/2/3).
9 Groupement terre aéromobile.
confier le leadership à l’une d’entre elles.
10 Commandant de la force.

DOCTRINE N° 16 68 JUIN 209


Retour d’expérience
Les enseignements tirés du dernier déploiement
d’un CRER (Gabon février 2008)

PAR LE LIEUTENANT-COLONEL THIERRY BOSSET, CHEF DE CORPS DU CEDIMAT

Une opération d’évacuation de ressortissants se définit comme une opération de sécurité ayant pour objectif
de protéger des ressortissants résidant à l’étranger en les évacuant d’une zone présentant une menace
imminente et sérieuse risquant d’affecter leur sécurité.
Lorsque dans un Etat en crise, cette sécurité est gravement exposée, l’autorité politique française peut décider
d’en évacuer la communauté de ressortissants. Si le climat d’insécurité locale ne permet pas d’envisager une
évacuation par des moyens civils, l’autorité politique peut requérir l’emploi des forces armées pour en assurer
l’exécution.

CADRE GÉNÉRAL
Or, l’instabilité politique de nombreux pays, conjuguée à

A
ussi, dans le cadre de leurs missions générales, les l’augmentation constante du nombre de ressortissants
armées doivent être en mesure de participer, sur déci- nationaux, notamment ceux résidant de façon ponctuelle
sion politique, en tout temps et tous lieux à la sécurité des hors des frontières, rend cette mission sans cesse plus
ressortissants français à l’étranger. Le cas échéant, l’action complexe.
des forces armées
consiste à planifier et
conduire une opéra-
tion visant à évacuer
les ressortissants,
depuis chez eux ou à
partir de points de
regroupement, par des
moyens militaires vers
une zone sécurisée où
se déploie générale-
ment le centre de re-
groupement et d’éva-
cuation de ressortis-
sants (CRER) ; cette
phase est baptisée
extraction ou évacua-
tion primaire.

Les autorités consu-


laires se chargent
ensuite, à partir du
CR E R, d’organiser
leur rapatriement, en
principe vers le pays
d’origine, cette phase
constitue l’évacua-
tion secondaire.

Système d’évacuation des ressortissants

JUIN 2009 69 DOCTRINE N° 16


Cela signifie que les unités de la force aéronefs et /ou les navires nécessaires d’enregistrement initiés par les forces
logistique terrestre, en charge de cette à la poursuite de l’évacuation vers la prépositionnées (de souveraineté
mission, se préparent à cette mission métropole. Il peut être confondu avec ce ou de présence) ou les autorités
en développant des savoir-faire spéci- point d’évacuation si la menace est consulaires4,
fiques. En outre, les évolutions tant faible. Toutefois, il sera différencié en - déployer en quelques heures un
politiques que militaires conduisent à cas d’opération importante ou de dispositif complet d’enregistrement
envisager désormais ce type d’opération menace sur le point d’évacuation. Il des ressortissants,
dans un cadre résolument multinational peut être déployé dans une emprise du - renseigner le commandement sur la
impliquant une coopération inter- dispositif prépositionné et située à nature et le volume des ressortissants
ministérielle indispensable à la réussite proximité du théâtre. Pour les opérations enregistrés et évacués.
de la mission. d’évacuation de forte communauté de
ressortissants, il peut être nécessaire de En outre, il constitue une structure
Enfin, le succès de ces opérations est déployer plusieurs CRER en un ou deux indispensable de coordination entre la
conditionné par une capacité de réaction sites différents (cas de Baliste 2006). force et le ministère des Affaires
immédiate illustrée par l’état-major de la Une opération d’évacuation de ressor- étrangères et européennes. Il repré-
1re brigade logistique lors du déploiement tissants peut durer de une à plusieurs sente l’ultime étape de l’évacuation
du CRER à Libreville en 2008 pour semaines. primaire et permet par son action le
assurer l’évacuation des ressortissants transfert de responsabilité entre les deux
français et européens expatriés au ministères.
Tchad. Ses missions consistent à :
- Accueillir : Le CRER est modulaire, il s’articule
 accueillir les ressortissants et les autour d’un système d’enregistrement
LE CRER : informer de la situation générale, des ressortissants (système EVACINFO)
UN SAVOIR-FAIRE SPÉCIFIQUE pouvant être projeté seul avec une
 effectuer des mesures de sécurité2, autonomie de deux à trois jours.
Maillon du système global d’évacuation
de ressortissants mis en place par  procéder à l’enregistrement de ren- Les modules complémentaires (CRER
l’EMA, la mission de mise en œuvre seignements d’identité, Alpha, Bravo et CRER lourd) ne consti-
d’un CRER est spécifiquement attribuée tuent qu’un renforcement capacitaire
à la force logistique terrestre. Un centre  rassembler et préparer l’évacuation déployé en fonction de la durée de la
est commandé par l’un des deux états- et le transport des ressortissants, mission et du nombre de ressortissants
majors de brigade logistique et armé à évacuer.
par l’un des quatre régiments du train -  coordonner les opérations d’embar-
régiments de soutien1. quement, Deux CRER A sont en permanence en
alerte l’un à 72 heures, l’autre à 9 jours.
Conduisant une mission de soutien qui  assurer, si besoin est, le transport Les opérations récentes entre 2002 et
permet aux forces prépositionnées de jusqu’au point d’embarquement, 2006 font apparaître que le CRER A est
sauvegarder leur cœur de métier, le sous responsabilité du ministère des le module le plus fréquemment projeté
CRER est un lieu où les ressortissants Affaires étrangères et européennes car son poids logistique est compatible
sont protégés et pris en compte par les (MINAE). avec les capacités de transport straté-
forces armées en vue de leur évacuation gique actuelles des armées. Deux CRER
vers la métropole. C’est la dernière zone ALPHA peuvent être projetés successi-
de transit placée sous la responsabilité - Soutenir : vement dans le cas d’une opération
des forces armées, on y effectue  assurer un soutien santé3 (médical délicate qui nécessite une évacuation
l’ensemble des opérations d’accueil, et psychologique) des ressor- des ressortissants à partir de deux
d’administration, de soutien, préalables tissants, zones distinctes.
à l’évacuation secondaire.
 être en mesure de les héberger et de Le CRER A est sécable en deux sous-
C’est aussi le lieu privilégié pour les les nourrir. ensembles : un module harpon EVACINFO
forces armées de collecter tous les et un module complémentaire. Aux
témoignages pouvant faciliter les prémices d’une crise, il convient de
évacuations et permettre une meilleure - Rendre compte : projeter le module EVACINFO simul-
compréhension de la situation politico-  renseigner le commandement de tanément avec l’équipe du ministère des
militaire au profit des forces engagées l’opération sur le nombre et l’identité Affaires étrangères.
ou susceptibles de l’être. des ressortissants,
Ainsi, le chef du CRER, arrivant en
Le CRER est, si possible, déployé dans  maintenir les liaisons avec les précurseur, peut effectuer une recon-
une zone parfaitement sécurisée de autorités civiles et militaires. naissance des lieux, préparer la mise en
l’État hôte ou éventuellement dans un œuvre du CRER, prendre contact avec le
pays tiers. Il se situe prioritairement Le CRER se distingue par sa capacité à : COMANFOR, les autorités locales et les
dans une zone pouvant accueillir les - reprendre à son compte les travaux autorités diplomatiques, commencer le

DOCTRINE N° 16 70 JUIN 2009


Retour d’expérience De façon à entretenir et améliorer la
coopération entre les deux ministères,
les exercices menés par les états-
majors de brigade logistique per-
mettent la participation d’agents
consulaires du MAEE soit à titre de
formation initiale soit à titre d’amé-
lioration des procédures et des
échanges entre les deux partenaires.
Ces améliorations ont permis au chef
militaire du CRER, au Liban en 2006
puis au Gabon en 2008, de transmettre
depuis le théâtre des fichiers de
données immédiatement exploitables
par la cellule de crise du quai d’Orsay.

Enfin, il n’est pas rare de retrouver, en


121è RT

cas d’engagement réel, des agents


consulaires et des militaires qui se
connaissent car ayant participé soit à un
exercice commun quelques semaines
déploiement et l’initialisation du logiciel Dans la plupart des cas, une évacuation auparavant soit à une précédente
d’enregistrement des ressortissants. de ressortissants dépasse le cadre évacuation.
Pour mener à bien cette mission délicate, strictement national. En effet, en vertu
les états-majors de brigade logistique d’accords diplomatiques ou de liens
conduisent très régulièrement avec historiques importants, la France assure
leurs régiments des exercices d’éva- l’évacuation des ressortissants d’autres UNE CAPACITÉ DE RÉACTION
cuation. Systématiquement ces auto- nationalités, en leur accordant la qualité PARTICULIÈREMENT ÉLEVÉE :
entraînements font l’objet d’une analyse de bénéficiaires, au même titre que les TCHAD 2008
qui permet d’affiner les procédures et ressortissants français. Dans ce cas, une
d’orienter les décisions du comman- étroite coordination doit être assurée Au cours de la semaine précédent le
dement en cas d’engagement réel. Ils avec les services diplomatiques des vendredi 1er février 2008 des colonnes
renforcent également les brigades inter- pays concernés. de rebelles opposées à Idriss Deby font
armes lors d’exercices programmés (ex : mouvement vers le TCHAD. Dès le
CRER à Fréjus avec le 21e RIMa lors de Lors de l’évacuation du Tchad en février vendredi des affrontements ont lieu
l’exercice ANVIL 2008.) 2008, 79 nationalités ont été recensées dans la capitale Ndjamena.
parmi les évacués. Ce même jour en soirée, le CPCO décide
Par ailleurs, une évacuation de de placer le CRER GUEPARD à 24H.
ressortissants induit des transferts de Tout le personnel d’alerte rejoint alors
LA COOPÉRATION INTERMINIS- populations qui doivent être soumis à la base de Montlhéry, le dernier
TÉRIELLE : UN PARTENARIAT l’assentiment des Etats concernés (y détachement arrivera le samedi 2 en
PERMANENT compris ceux dont le territoire est matinée.
utilisé pour le transit). Mal contrôlés, Le CRER A qui sera déployé est com-
Décidée au plus haut niveau politique ces transferts peuvent faciliter des mandé par l’état-major de la 1re brigade
sur recommandation de l’ambassadeur, tentatives isolées d’immigration illégale. logistique qui fournira également le
l’évacuation de ressortissants est Cet aspect renforce l’importance des système d’enregistrement (EVACINFO), il
déclenchée et supervisée par le mesures de coordination à mettre en est composé d’un groupe «soutien» et
ministère des Affaires étrangères et place sur le terrain entre le commandant «santé» du 121e RT, d’une équipe à
européennes (MAEE), responsable de la de la force, la représentation consulaire 2 prévôts, d’une équipe «INMARSAT»
sécurité des Français à l’étranger. française, l’équipe du MAEE projetée, le du 48e RT et d’un groupe de recueil de
Lorsqu’une opération militaire est dé- CRER et les instances diplomatiques l’information du GRI de Metz.
cidée, celle-ci est planifiée et conduite des différents pays concernés (notam- Le détachement une fois constitué rejoint
sous l’autorité du chef d’état-major des ment pour le contrôle et le tri des la base aérienne de Villacoublay à 14H00
armées (CEMA). Le CEMA détient alors le bénéficiaires). et décolle en direction d’Istres à 17h00
commandant opérationnel de la force pour percevoir un lot pédiatrique.
engagée. Compte tenu du caractère Seront évacués sur désignation des Une fois à Istres le détachement
interministériel très prononcé de ce genre services consulaires : les ressortissants apprend que le CRER ne sera pas
d’opération, une étroite coordination doit français, les doubles nationaux, les déployé à N’Djamena mais à Libreville
avoir lieu entre les armées et les services ressortissants européens et d’une autre en raison de la situation sécuritaire très
du MAEE dans les phases d’anticipation, nationalité dans le cadre d’accords dégradée sur l’aéroport de la capitale
de préparation et de conduite de l’action. diplomatiques définis. tchadienne.

JUIN 2009 71 DOCTRINE N° 16


Le dimanche 3 février 2008 à 05h00 Une évacuation secondaire à partir de 1 121e RT/RS (Montlhéry), 503e RT/RS (Souge),
le CRER atterrit au Gabon et se déploie Libreville principalement vers Paris, 511e RT/RS (Auxonne) et 515e RT/RS
(La Braconne).
au sein du 6e BIMa qui dès lors peut mais aussi vers d’autres destinations en
2 Le tri des bénéficiaires est effectué par le
reprendre ses activités normales. fonction des demandes émises par les ministère des Affaires étrangères et
Deux heures après s’être posé, le CRER ressortissants et les moyens offerts par européennes. Il n’incombe pas aux forces
armées.
est opérationnel, il «traite» et enregistre les diverses ambassades et organi-
3 Dans certains cas le soutien santé de niveau 2
son premier avion de ressortissants et sation internationales. est effectué à partir d’un bâtiment de la marine
fournit les comptes rendus demandés nationale (TCD ou BPC).
4 Ce qui permet alors aux forces armées de se
par le commandant de la force et la 4 vols ont été affrétés en direction
concentrer sur la sécurisation et au MINAE
cellule de crise du MAEE. de Paris par le MAEE entre le 3 et le sur l’évacuation secondaire.
L’évacuation des ressortissants du 6 février. A partir du 7, des places ont
Tchad est organisée en deux temps : une été réservées par le MAEE sur la ligne
évacuation primaire du Tchad vers le régulière Libreville-Paris.
Gabon par avions tactiques (C130 et
C160) ; 19 rotations ont eu lieu entre Certains ressortissants ont préféré se
N’Djamena et Libreville évacuant quel- rendre dans des pays limitrophes de la
que 1 384 personnes. région (Sénégal, Cameroun...).

Les opérations d’évacuations à travers le monde

Au final, ce sont 1 384 personnes qui ont été extraites de N’Djamena représentant 79 nationalités différentes.
Tous les éléments, position géographique du CRER, collaboration étroite avec le MAEE, l’ambassadeur et le
consul de France, les autorités gabonaises, étaient réunis pour faire de ce déploiement une réussite largement
soulignée par les ressortissants eux-mêmes, mais aussi par l’ensemble des ambassadeurs ou autorités
consulaires d’autres nations présentes à Libreville et qui ont pu assister et accompagner leurs propres
compatriotes dans ces moments difficiles.

DOCTRINE N° 16 72 JUIN 2009


Libres réflexions
La recherche opérationnelle
au service de l’évacuation de ressortissants

PAR LE LIEUTENANT-COLONEL PHILIPPE BOUGERET* EMAT

omposante de l’aide à la décision, la recherche opérationnelle est la discipline des méthodes scientifiques
C utilisables pour élaborer de meilleures décisions grâce à l’étude, la compréhension et la résolution de
problèmes complexes. L’armée de terre fait régulièrement appel à des chercheurs opérationnels pour trouver
des solutions optimisées principalement dans le domaine organique. Cependant, le domaine opérationnel est
un champ d’application potentiel de ces techniques, notamment pendant les phases de stabilisation qui
s’inscrivent dans la durée.

est pourquoi, au cours de son plan de charge annuel, la division simulation et recherche opérationnelle
C’ (DSRO) a engagé une réflexion de fond sur l’emploi des techniques de recherche opérationnelle au
profit de l’engagement des forces dans le cadre de la planification opérationnelle et de la conduite des
opérations. L’instabilité politique de nombreux pays et le nombre croissant de Français expatriés ont
augmenté la probabilité d’opérations d’évacuation de nos ressortissants. On peut estimer que quinze
opérations de ce type pourraient avoir lieu dans les vingt prochaines années !

est donc tout naturellement qu’une étude concernant l’évacuation des ressortissants a été initiée en
C’ liaison avec le commandement de la force logistique terrestre (CFLT1), en charge de la mise sur pied de
quatre centres de regroupement et d’évacuation des ressortissants (CRER). Le premier volet de cette étude
consiste à développer un démonstrateur permettant d’optimiser le déploiement et le fonctionnement du
CRER.

* anciennement au CDEF/DSRO

La problématique générale d’une RESEVAC les modalités de l’opération d’évacuation suivant


trois phases : le regroupement, l’évacuation
orsqu’un Etat n’est plus en mesure de primaire et l’évacuation secondaire.

L garantir l’ordre public sur son territoire, une


opération d’évacuation des ressortissants est
alors initiée à la demande de l’ambassadeur de
 L’organisation du regroupement des ressor-
tissants vers les points de regroupement
France et conduite soit par le ministère des affaires (PR) revient aux services diplomatiques.
étrangères soit sous l’autorité du chef d’état-major L’intervention des forces armées commence
des armées (CEMA), s’il y a engagement de forces lors de la protection des PR puis du transport
militaires. vers un point d’évacuation central (PE). Si les
conditions du pays et la conjoncture font que
La conception des plans de sécurité repose sur le convoi est arrêté, les forces peuvent
une étroite collaboration entre les services mettre en place une zone temporaire de
consulaires et l’attaché de défense, conseiller protection (ZTP) pour garantir la sécurité des
militaire de l’ambassadeur. Chaque plan définit ressortissants.

1 Le CFLT sera dissous à l’été 2009.

JUIN 2009 73 DOCTRINE N° 16


Avis complémentaires sur les opérations d’évacuation de ressortissants

 Placée sous la responsabilité des armées, d’évacuation des ressortissants. L’objectif est de
l’évacuation primaire est mise en œuvre entre créer un logiciel d’aide à l’organisation, à la
le PE et un CRER implanté à proximité planification et la conduite du CRER.
immédiate d’infrastructures aéroportuaires
ou maritimes. Jouant un rôle central dans la Le CRER est situé en zone sécurisée. Il s’agit à la
procédure RESEVAC, le CRER est le point à fois d’un refuge et d’une chaîne de traitement
partir duquel les ressortissants quittent le ayant un but bien précis : celui de faire évacuer
territoire après y avoir rempli des formalités les personnes recevant l’autorisation de retourner
administratives simples et effectué un en France par les moyens mis en place par l’Etat.
contrôle sanitaire. Lorsque les conditions de Certains réfugiés peuvent y rester plusieurs jours
sécurité le permettent, le CRER peut être quand d’autres y séjournent seulement quelques
colocalisé avec un PE. heures, et ce, pour des raisons de priorité et
d’accord politique entre nations. Pour le
 Enfin, le ministère des affaires étrangères commandant de ce centre, l’organisation est un
organise l’évacuation secondaire entre le véritable casse-tête.
CRER et la métropole.
En effet, les ressortissants doivent être fouillés
avant d’entrer dans le centre pour endiguer toute
Par leur nature et la multiplicité des acteurs, les menace d’attentat. Ils doivent recevoir
opérations d’évacuation de ressortissants sont l’autorisation du consulat ainsi que le niveau de
complexes et conduites dans un environnement priorité lié à leur statut. Ils sont ensuite recensés,
interarmées, interministériel voire multinational. et une liste de passagers embarquant sur le
L’opération Baliste menée au large du Liban en vecteur d’évacuation (avion, bateau...) doit être
2006 a en effet mis en relief la dimension éditée afin de tenir informées les autorités et les
interarmées de l’évacuation de ressortissants. Il familles. Les blessés doivent être soignés, et enfin
peut être utile d’élaborer un outil d’aide à la les détenteurs d’informations relatives à la crise
planification et à l’organisation de l’évacuation sont interrogés par le groupement de recueil de
de ressortissants à destination de l’attaché de l’information (GRI). Le GRI pourra alors suivre
défense. l’évolution de la menace et prendre en compte les
familles encore isolées dans le pays.
Destiné à agir dans l’urgence et dans des Une fois toutes ces tâches effectuées, les
conditions de déploiement difficiles, le CRER ressortissants figurant sur la liste de passagers
apporte un précieux concours pour assurer la sont appelés puis transportés vers le site
sécurité des personnes et leur évacuation. La d’embarquement (aéroport, port...).
projection d’un CRER d’urgence composé de Cette situation d’urgence doit être planifiée et
trente militaires en novembre 2004 en Côte maîtrisée afin d’être conduite dans les
d’Ivoire a montré la pertinence d’une telle meilleures conditions.
structure, avec plus de 4 800 ressortissants
évacués en 10 jours. La DSRO va donc mettre au point un
démonstrateur qui permettra à son utilisateur,
L’expérience montre que les délais induits par la de créer un CRER virtuel, dans lequel il pourra
prise de décision de RESEVAC et la projection du indiquer pour chaque tâche les caractéristiques
CRER limitent ce dernier à n’être opérationnel nécessaires à la simulation (nombre de postes,
qu’après les premières rotations d’évacuation. Or durée de la tâche, capacité de traitement...).
le CRER doit être opérationnel immédiatement
après son déploiement et la mise à disposition Ce CRER sera modélisé par un organigramme où
d’outils simples pourrait permettre d’emblée chaque tâche sera représentée par un bloc et où
d’optimiser l’emploi de ses ressources et son chaque lien entre deux blocs représentera le flux
organisation. de ressortissants allant d’une tâche à l’autre (voir
schéma ci-contre). Cette modélisation permettra
de déterminer la répartition des ressortissants
dans le CRER à un instant donné. Par expérience,
La démarche adoptée par la DSRO le chef du CRER est en permanence en train de
calculer ces flux à la main. La visualisation des
étapes et des flux sera une aide précieuse pour
S’appuyant sur le retour d’expérience d’officiers prévoir et anticiper l’hébergement, l’alimen-
ayant eu des responsabilités en Côte d’Ivoire et tation, les moyens de transport ainsi que les
au Liban, la première étude de la DSRO consiste effectifs à consacrer à chaque tâche, optimisant
à modéliser le centre de regroupement et ainsi l’utilisation des ressources.

DOCTRINE N° 16 74 JUIN 2009


Libres réflexions

Une fois les informations saisies, l’utilisateur aura chaîne de traitement, afin que les passagers
accès à un panel de fonctionnalités. Grâce à elles, appelés soient tous sur le site d’évacuation au
on pourra notamment déterminer les ressources moment où le vecteur est prêt à partir. Cela aura
nécessaires au bon fonctionnement du CRER comme conséquence de minimiser le temps de
(nombre de véhicules, nombre de repas à stationnement des vecteurs d’évacuation et donc
produire, assignation des postes...). On pourra de réduire leur vulnérabilité tout en diminuant
également déterminer l’heure à laquelle lancer la les coûts engendrés.

Comme nous l’avons vu, ceci est une première approche. Il est également possible d’étudier chaque point clef de
l’évacuation : du théâtre à l’arrivée en France (ou toute autre destination qui permet de sécuriser les familles). Ces études
successives permettront d’améliorer sensiblement l’évacuation, et ainsi de rapatrier plus rapidement les ressortissants
tout en réduisant les dépenses liées à une telle opération.
Plus généralement, la phase décisive de stabilisation s’inscrit résolument dans la durée afin de recréer les conditions
nécessaires et suffisantes à un retour à la normale. Elle se caractérise aussi par une plus grande stabilité permettant ainsi
aux chercheurs opérationnels d’étudier tous les types de problèmes génériques. La recherche opérationnelle peut trouver
dans les opérations actuelles un vaste champ d’application en s’inscrivant toujours dans une logique d’aide à la décision
préservant toujours in fine la capacité de prise de décision.

JUIN 2009 75 DOCTRINE N° 16


Avis complémentaires sur les opérations d’évacuation de ressortissants

L’attaché de défense, médiateur opérationnel

PAR LE GÉNÉRAL (2S) JACQUES DESCAMPS1

Question : quels sont les 2 pays du monde dont les capitales sont géographiquement les plus proches ?
Ceux qui ont un peu bourlingué en Afrique savent qu’il s’agit de la République du Congo et de la République
démocratique du Congo dont les capitales Brazzaville et Kinshasa séparées par le fleuve Congo sont
éloignées de 4 kilomètres seulement.
Ces deux villes comptent chacune plusieurs millions d’habitants et sont depuis 40 ans le théâtre régulier
d’affrontements ethniques et de lutte pour le pouvoir qui plongent à chaque fois la population, déjà très
pauvre, dans une insécurité insoutenable.
La présence d’une communauté occidentale et en particulier française importante a amené la France,
durant ces périodes de troubles, à réaliser des opérations militaires pour permettre l’évacuation de ses
ressortissants, chacune des capitales servant, alternativement et suivant le cas, de base de départ et de
base de transit pour les opérations d’extraction.

Ce fut le cas en fin d’année 1998 où Brazzaville a permis l’évacuation des ressortissants français de
Kinshasa alors que les opposants armés à Laurent Désiré Kabila étaient annoncés aux portes de cette
capitale.
Cette opération fut particulière par son opportunité et les circonstances qui nous ont demandé d’agir à
front renversé.

1 En poste à Brazzaville
de 1998 à 2001.

Une opération militaire à double effet Le Président de la RDC, Laurent Désiré Kabila,
soutenu à l’époque par le Rwanda, avait pris le
pouvoir également par la force quelques années
a situation politique de la zone était à cette auparavant mais subissait aujourd’hui la pression

L époque (elle l’est encore) très explosive. Les


gouvernements des deux pays étant chacun
en lutte armée avec une opposition très active.
d’une force armée d’opposition qui contrôlait la
majorité du pays et qui, appuyée par ses alliers
d’hier, était en marche vers Kinshasa.

Denis Sassou N’Guesso, le Président du Congo Brazzaville sortait d’une guerre civile très grave.
Brazzaville, venait de reprendre par la force le La ville entièrement pillée et dévastée par ses
pouvoir à Pascal Lissouba et devait à ce moment là habitants eux-mêmes, tentait de renaître de ses
faire face à une opposition venant du sud du pays cendres. La population, à peine revenue des
et menée par un certain Pasteur N’Toumi qui, avec campagnes où elle s’était réfugiée, vivait dans une
des groupes armés très mal équipés mais très grande précarité et s’apprêtait à subir un nouvel
motivés, menaçait la capitale après avoir fait subir épisode de guerre du pouvoir. La ville était
aux forces du Président en place quelques revers intensément contrôlée et cloisonnée par des
importants. barrages filtrants tenus par des hommes armés

DOCTRINE N° 16 76 JUIN 2009


Libres réflexions
Le déroulement
de l’action :
le non prévisible
et l’adaptation
Très tôt sur les lieux, la force
française eut le temps
d’échafauder le plus de
scénarii possibles et de s’y
préparer. Reconnaissances,
entraînements spécifiques,
prise en compte du contexte
politique, géographique et
climatique donnèrent aux
soldats une confiance suffi-
sante pour affronter des
missions qui se présentaient
comme difficiles.
Mais ce qui est bon au plan
opérationnel ne l’est pas
ECPAD

forcément au plan de l’inté-


gration.

La présence des troupes


vaguement militarisés dont l’incompétence n’avait françaises à Brazzaville, bien acceptée au début,
d’égal que leur nervosité, ce qui les rendaient est devenue rapidement lourde à supporter :
extrêmement dangereux et capables de toutes les d’une part pour les politiques et les chefs
vilénies. militaires locaux qui y ont vu très vite une
ingérence insupportable et d’autre part pour la
Les ressortissants étrangers étaient très peu population déçue de notre neutralité devant les
nombreux à Brazzaville et se limitaient quasiment exactions des bandes armées à la solde du pouvoir
aux seuls membres des ambassades qui rouvraient en place qui contrôlaient la ville.
les chancelleries avec beaucoup de prudence, la
France n’ayant, il faut le noter, jamais fermé la Mais c’est comme souvent à une situation non
sienne même durant les événements. prévue à laquelle il a fallu faire face.
Alors que contre toute attente un accord semblait
Kinshasa comptait en revanche dans sa naître à Kinshasa entre les rebelles et le
population plusieurs milliers d’occidentaux et gouvernement, les ressortissants étrangers
l’arrivée probable et rapide des forces armées réclamaient leur évacuation de manière de plus en
d’opposition inquiétait. plus pressante, tandis qu’à Brazzaville l’oppo-
sition aux troupes françaises était de plus en plus
Une opération militaire fut décidée. Avec l’accord évidente.
des autorités locales, un groupement de force fut Lorsque la décision fut prise, la situation était pour
projeté et installé à Brazzaville avec pour mission le moins paradoxale : il s’agissait en effet
l’évacuation des ressortissants français et d’évacuer des ressortissants français d’une ville
occidentaux de Kinshasa en cas de besoin. plutôt calme et sous contrôle et de les amener
dans une autre ville où leur présence n’était pas
Cette mise en place eut un double effet : celui de forcément désirée. D’où cette sensation de
cristalliser les fronts à Brazzaville et de permettre travailler à front renversé.
à Sassou N’Guesso de respirer tout en rendant les
tensions internes plus vives à Kinshasa. La Avec l’assentiment et la presque facilitation des
présence française de l’autre côté du fleuve était autorités de Kinshasa, le transfert des ressor-
lue en effet par les deux partis opposés de la RDC tissants français fut réalisé avec les bateaux qui
comme un soutien à l’autre bord, tandis que les habituellement assuraient les liaisons entre les
ressortissants étrangers, notamment les bina- deux capitales. Cela fut fait sans aucune
tionaux français, face à une agressivité montante intervention des troupes françaises et sous le
de la population à leur égard, se sentaient de plus contrôle des consulats des deux rives, ce qui fut,
en plus en insécurité. on s’en doute, l’occasion de sarcasmes de la part

JUIN 2009 77 DOCTRINE N° 16


Avis complémentaires sur les opérations d’évacuation de ressortissants

de nos amis du ministère des Affaires étrangères Ce rôle est à mon sens totalement incompatible
prompts à mettre en évidence la supériorité de avec les fonctions de contrôleur opérationnel
l’esprit de négociation qui les anime. qu’on pourrait parfois vouloir lui faire tenir et qui
On comprit assez vite la raison de la facilitation lui fait prendre trop visiblement parti. Même si,
des uns et de l’opposition des autres. Les pour l’intéressé, cela peut être justement
ressortissants évacués étaient pour la presque considéré comme éminemment valorisant et s’il
totalité des binationaux congolais dotés pour la est sans doute nécessaire de tenir cette place en
plupart de passeports relativement neufs dont tout début de mise en place de la force, il doit
l’authentification posa nombre de problèmes à pouvoir très vite la transmettre.
l’adjoint de l’ambassade chargé de cette délicate
mission.
Dans un contexte comme celui-là, l’ambassadeur
En quelques jours, près de 2 000 personnes de France aura toujours tendance à retarder
furent acheminées, posant le problème de leur l’arrivée des forces alors que les militaires
sécurité, de leur alimentation et de leur sortie de voudront avoir un temps d’avance le plus
ce pays d’accueil exsangue qui ne pouvait important possible. Expliquer à l’un que l’arrivée
supporter leur installation durable. La France ne des troupes laissera encore de la place à la
pouvant quant à elle pas non plus accueillir la négociation et à l’autre que la mise en place
majorité d’entre eux, faute d’une nationalité discrète ne l’empêchera pas de prendre en main
totalement prouvée et faute de moyens de son terrain n’est pas chose facile. L’attaché de
subsistance avérés dans notre pays, une solution défense est bien la seule personne capable de
de transit par le Gabon fut alors trouvée. pratiquer cet exercice de funambule car en pleine
connaissance des intérêts de l’un et de l’autre.
La mission des soldats français se limita alors Cela n’est possible cependant que s’il a réussi à
à la sécurisation et au transport de ces instaurer une relation de confiance avec son
ressortissants entre le port, lieu d’arrivée, le ambassadeur, son seul supérieur, et si sa
centre culturel français, base de transit, et compétence opérationnelle est reconnue par
l’aéroport pour l’acheminement vers le Gabon au l’EMA.
sein d’une ville où l’insécurité régnait et avec une
posture non agressive pour ne pas déclencher
d’accrochage avec les bandes armées locales ce
qui eût été catastrophique.

La coopération entre les militaires et les


membres de l’ambassade fut alors très grande et
l’on vit l’ambassadeur de France, drapeau français
au vent, franchir en tête des convois les différents
barrages hostiles sous l’escorte discrète des
soldats du 3e RPIMA, un vrai bonheur.

Il s’agira donc pour cet attaché de défense


de ménager l’Ego des uns et des autres et
L’attaché de défense dans son rôle souvent de faire fi du sien car il recevra des
de médiateur coups des deux bords, ce à quoi il n’est pas
forcément préparé.
Expliquer pour assurer les liaisons et les liens
entre les acteurs et ainsi rassurer chacun, donner
les éléments du contexte relationnel du pays et C’est l’expérience majeure que l’on peut
surtout ménager «l’Ego» des chefs politiques tirer de ce poste dans ce cadre opérationnel
et militaires présents sur le terrain sont les tâches
majeures de l’attaché de défense lors du spécifique, apprendre à faire preuve de
déroulement d’une opération de ce type. modestie et se mettre totalement au
service de l’action, en sachant que l’on sera
Celui-ci doit ainsi se placer dans un rôle de
toujours considéré comme un fusible
médiateur opérationnel qui lui prend toute son
énergie en lui faisant manger de nombreuses salvateur en cas d’échec.
couleuvres, mais qui est essentiel pour la réussite
de l’action.

DOCTRINE N° 16 78 JUIN 2009


Libres réflexions
Diplomatie et armée
Un partenariat unique et indispensable
en cas d’évacuation de ressortissants

PAR MONSIEUR MATTHIEU GRESSIER DU CENTRE DE CRISE DU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET EUROPÉENNES

ans un environnement sécuritaire fortement dégradé, où menaces terroristes, tensions politiques, alertes
D sanitaires et catastrophes naturelles se sont multipliées au cours des dernières années, la sécurité des
ressortissants français à l’étranger, qui compte parmi les plus hautes priorités de l’action gouvernementale,
est un défi permanent pour le ministère des Affaires étrangères et européennes.

elever ce défi exige des réformes pour être à l’avenir plus efficace face aux crises de très grande ampleur
R et surtout lors des opérations d’évacuation de ressortissants. Ces réformes sont déjà engagées à travers
la mise en place du nouveau centre de crise (CDC).

Rôles et responsabilités leur sécurité, lorsque l’Etat dans lequel ils sont
localisés, n’est plus en mesure de la garantir.
Les opérations d’évacuation de ressortissants
peuvent se définir comme une action de mise en Au niveau politique, ces opérations d’évacuation
sécurité des ressortissants résidant à l’étranger sont décidées à la demande de l’ambassadeur et
en les soustrayant d’une zone présentant une conduites par le ministère des Affaires étrangères
menace imminente et sérieuse risquant d’affecter ou, s’il y a engagement de forces militaires, sous
l’autorité du chef d’état-major des armées
(CEMA).

En l’absence de toute norme conventionnelle


en la matière, l’évacuation des ressortissants
s’inscrit dans un cadre coutumier et relève de
l’obligation qu’a tout Etat de porter secours à ses
ressortissants, même lorsque ceux-ci se trouvent
à l’étranger.

Néanmoins, en matière de droit international, ce


type d’opération constitue une entorse au
Photo fournie par l’auteur

principe de souveraineté des Etats. A ce titre, il


doit être considéré comme une exception à la
règle de non-recours à la force armée (article 2
de la charte des Nations unies), justifiée par le fait
que l’Etat hôte n’est plus en mesure de garantir
l’ordre public sur son territoire.

JUIN 2009 79 DOCTRINE N° 16


Avis complémentaires sur les opérations d’évacuation de ressortissants

Au cours des dernières années, nombreux ont été décidé de l’envoi immédiat d’une équipe de
les Français impliqués dans des situations de crise soutien en situation de crise (E.S.S.C). Tel a
à l’étranger : touristes, expatriés, volontaires notamment été le cas au Tchad et au Gabon en
d’organisations non gouvernementales, au Liban, février 2008. Cette équipe doit être capable de
en Haïti ou encore en Afrique, en Asie ou en renforcer l’ambassade, de constituer une antenne
Amérique latine. Ces situations de crise exigent sur place, voire un poste consulaire autonome,
une capacité permanente d’intervention. dans un environnement dégradé. Elle est
principalement amenée à gérer les points de
Lorsque dans un Etat en crise, la sécurité de ses regroupement, diffuser des consignes de sécurité
ressortissants est gravement exposée, l’autorité à la communauté française, assurer un accueil
politique française peut décider d’en évacuer la logistique (coordination des équipes médicales),
communauté de ressortissants. Si le climat déterminer, si nécessaire, les bénéficiaires
d’insécurité locale ne permet pas d’envisager une d’une évacuation, apporter une assistance aux
évacuation par des moyens civils, l’autorité ressortissants sinistrés (relogement, eau,
politique peut requérir l’emploi des forces nourriture, renouvellement de documents
armées pour en assurer l’exécution en lien avec d’identité), et participer à la recherche des
les autorités diplomatiques. Le cas échéant, victimes ou encore rassurer nos compatriotes et
l’action des forces armées consiste à planifier et soutenir les familles des victimes.
conduire une opération visant à évacuer les
ressortissants par des moyens militaires vers une
zone sécurisée.
Retour d’expérience sur la crise politique
Par la suite, les autorités consulaires sont en
charge d’organiser leur rapatriement, en principe au Tchad : aide aux départs des ressortis-
vers leur pays d’origine. Or l’instabilité politique de sants français et étrangers
nombreux pays, conjuguée à l’augmentation
constante du nombre de ressortissants nationaux, Les événements de février 2008 au Tchad ont
notamment ceux résidant de façon ponctuelle confirmé l’importance de maintenir un dispositif
hors des frontières, rend cette mission toujours efficace pour assurer la sécurité de nos
plus complexe. En outre, les évolutions tant ressortissants à l’étranger, priorité absolue du
politiques que militaires conduisent à envisager ministère des Affaires étrangères et européennes.
désormais ce type d’opération dans un cadre Cette crise politique constitue un exemple-type
résolument multinational. d’évacuation.

Dés le début de cette crise, le ministère des


Anticipation et transparence Affaires étrangères et européennes a mis en place
un numéro vert à l’attention des personnes qui
La gestion des risques doit reposer aujourd’hui souhaitaient avoir des informations sur la
sur ces deux principes. situation de leurs proches se trouvant au Tchad.

Ne pas vivre dans la peur des crises, c’est avant Pilotée par la cellule de crise du quai d’Orsay,
tout intégrer la notion de risque, et apprendre à le l’opération de rapatriement des ressortissants
mesurer et à l’anticiper. étrangers a été coordonnée sur place par les
armées françaises en lien avec les autorités
Pour être efficace, l’anticipation doit s’accompagner diplomatiques et consulaires. Comme toujours, 1 Le plan de sécurité,
outil indispensable
d’une nécessaire transparence vis-à-vis de nos la procédure s’est déroulée en trois phases, selon dans les opérations
concitoyens, en vue de les sensibiliser aux risques des plans prédéfinis à l’avance. d’évacuation, vise
et de les informer sur les dispositifs de protection à faire en sorte
que la mission
mis en place. Cette transparence vaut, bien sûr, Dans un premier temps, le ministère des Affaires diplomatique soit
pour les quelque deux millions de Français étrangères et européennes a demandé aux en mesure de
expatriés mais également pour les vingt millions ressortissants français, via l’ambassade, de fonctionner dans
un contexte de crise
de touristes français qui sillonnent le monde rejoindre les points de regroupements (PR) découlant de
chaque année et qui peuvent être confrontés à préalablement définis dans les plans de sécurité1 désordres civils ou
des situations de crise dans les pays où ils au sein desquels l’armée française a pris position d’une catastrophe
naturelle qui
séjournent. pour sécuriser les ressortissants au fur et à mesure menaceraient la
de leur arrivée. Ces points de regroupement sécurité de nos
Selon la gravité de la situation, et bien avant que peuvent être par exemple des hôtels, des écoles, compatriotes et
de surmonter les
la décision d’engager une opération d’évacuation des centres culturels, etc. difficultés
de la communauté française soit prise, il peut être La deuxième étape a consisté à transférer les inhérentes.

DOCTRINE N° 16 80 JUIN 2009


Libres réflexions
civils vers une zone hors de toute menace. A
N’Djamena, il s’agissait de la base militaire française
de Kosseï, à proximité de la capitale tchadienne. Le
transfert des points de regroupement vers le camp
s’est effectué en véhicules blindés. Le départ pour
Libreville s’est fait grâce aux 6 avions Transall C160
et Hercule C130 présents dans la zone.

Photo fournie par l’auteur


Enfin, troisième et dernière étape, la prise en
charge des civils évacués par le centre de
regroupement et d’évacuation de ressortissants
(CRER), installé à Libreville.

Depuis plusieurs années, les armées et le MAEE


ont mis en place un circuit particulièrement Des troubles comme l’angoisse de perte et
efficace pour gérer les ressortissants. A leur d’abandon ont été diagnostiqués chez un certain
arrivée, ces derniers ont été informés sur la suite nombre de ressortissants, obligés de quitter leur
des opérations, puis ils ont fait l’objet d’une série résidence de façon précipitée et craignant les
de contacts visant à préparer leur évacuation : pillages. Angoisse par rapport à des parents dont
ils étaient sans nouvelle, au Tchad, ou même en
1) avec la police de l’air et des frontières du pays France comme cette femme qui craignait une
concerné, si elle est présente, qui s’est assurée aggravation cardiaque chez son père gravement
de leur statut de ressortissant (délivrance malade. Par ailleurs, les équipes soignantes ont
d’une autorisation d’entrée sur le territoire, dû prendre en charge l’inquiétude d’un grand
passeport...) ; nombre de familles sur l’avenir, l’incertitude, la
nécessité de trouver une solution temporaire ou
2) avec la gendarmerie française, pour enregistrer plus prolongée voire définitive.
d’éventuelles déclarations de perte ou plaintes
par rapport à de mauvais traitements subis... ;
A l’approche du départ, les ressortissants ont été
3) avec l’un des militaires du CRER, en lien avec informés et rassemblés pour être conduits à
les services consulaires, afin de leur délivrer la l’aéroport. Toutes les personnes passées par le
carte d’embarquement pour le vol de retour ; centre de regroupement ont fait part de leur
satisfaction quant au dispositif mis en place et
4) avec un médecin (médecins des SAMU, de la notamment à l’égard des soldats français qui les
sécurité civile et/ou du CRER) ; ont protégées tout au long de leur évacuation.

5) avec un membre de l’équipe d’aide médico-


psychologique, en cas de besoin. Le retour de nos compatriotes a pu être réalisé
dans les meilleures conditions possibles grâce à
la coordination assurée par la cellule de crise du
Comme cela se fait habituellement, une équipe ministère des Affaires étrangères et européennes
d’aide médico-psychologique a accompagné ce avec les intervenants extérieurs : ministère de la
dispositif et a été surtout présente au centre de Défense/Etat-major des armées ; ministère de
regroupement et dans les avions de retour l’Intérieur : (Centre opérationnel de gestion
permettant ainsi de prendre en charge très interministérielle des crises (C.O.G.I.C.) et
rapidement les troubles post-traumatiques. Préfecture de Seine-Saint-Denis pour l’accueil à
Roissy) ; ministère de la Santé, SAMU et Croix-
Rouge française ; et le ministère des Transports,
Les psychiatres ont constaté qu’une personne sur sans oublier une coopération particulièrement
trois éprouvait une réelle souffrance par rapport efficace avec Air France et nos partenaires
au vécu des dernières heures pendant lesquelles européens. La crise tchadienne a également
elle avait été confinée dans un espace réduit et suscité une mobilisation exceptionnelle des
contrainte de rester de longues heures sans ambassades et des consulats de France de la
bouger pour se protéger des impacts de balles. Des région pour l’accueil des personnes ayant quitté
symptômes de stress dépassé ont été observés : le Tchad par d’autres moyens que les vols affrétés
enfants présentant un stress traumatique avec par le ministère des Affaires étrangères et
syndrome de répétition, manifestations d’anxiété... européennes, en particulier au Cameroun.

JUIN 2009 81 DOCTRINE N° 16


Avis complémentaires sur les opérations d’évacuation de ressortissants

A l’ère de la construction européenne, il devient Dans cette perspective, il était donc prévu qu’un
de moins en moins envisageable d’évacuer nos dispositif conciliant les exigences d’une veille
seuls ressortissants. A l’avenir, une coopération permanente et les nécessités d’une réaction
et une étroite coordination seront nécessaires à immédiate en cas de crise soit mise en place.
toute action d’évacuation commune décidée par
les autorités politiques. Anticipant cette demande, l’arrêté du 11 juillet 2007 a
créé un centre opérationnel de veille et d’appui à la
gestion des crises, le centre de crise (CDC). Le centre
Le concept d’Etat pilote de crise est conçu comme le point d’entrée privilégié
au ministère pour les postes diplomatiques et
consulaires, les autres administrations et les
Lors de la crise politique au Tchad en février partenaires extérieurs intervenant en situation de
2008, la France a proposé le vendredi 1er février crise à l’étranger.
2008, à Bruxelles, à ses partenaires européens,
d’assurer le rôle d’Etat-pilote en matière de Depuis le 1er juillet 2008, le centre de Crise est
protection consulaire. doté d’une cinquantaine d’agents, résultant
d’une fusion entre la sous-direction de la sécurité
Le concept d’Etat-pilote a été adopté par le des personnes de la direction des Français à
Conseil de l’Union européenne le 18 juin 2007. Il l’étranger et des étrangers en France d’une part et
vise à améliorer la protection des ressortissants de la délégation à l’action humanitaire d’autre
des Etats membres de l’Union européenne en part.
temps de crise dans les pays tiers, notamment
quand certains Etats membres n’ont pas de En effet, le CDC n’a pas seulement vocation à traiter
représentation dans le pays concerné. La mission les crises touchant les ressortissants français à
d’Etat-pilote consiste à coordonner les mesures l’étranger, mais aussi les crises humanitaires ou la
de protection de l’ensemble des ressortissants partie humanitaire d’une crise (ex : catastrophe
européens en temps de crise (information, naturelle impliquant des ressortissants français et
regroupement, évacuation le cas échéant). A ce nécessitant également d’apporter une aide à un
stade, les Etats membres expérimentent ce pays démuni).
concept dans des pays tiers où deux membres, au
plus, de l’Union européenne sont présents. C’est
le cas au Tchad où seules la France et l’Allemagne
sont représentées.

Dans le cadre de la situation que nous avons


connue au Tchad, la France a ainsi organisé
le regroupement et l’évacuation de près de
300 ressortissants de plus de 10 Etats membres
de l’Union européenne. Au total, ce sont les
ressortissants de plus de 50 pays différents que la
France a aidé à quitter le Tchad, ce qui représente
près de la moitié du total des personnes secourues
par l’armée française.
Les opérations d’évacuation s’inscrivent dans des contextes de
crises lointaines et d’hostilités incertaines qui les rendent
complexes à mener. L’évacuation de près de 15 000 personnes du
Nécessaire adaptation de notre dispositif Liban pendant l’été 2006 a été, de loin, la plus importante
aux enjeux de demain opération de ce genre jamais réalisée par la France.

Dans sa lettre de mission adressée au ministre des A l’avenir, pour mettre en place ce type d’opération et rapatrier
Affaires étrangères et européennes le 27 août 2007, ainsi des milliers de Français et d’Européens à des milliers de
le Président de la République a souhaité que «le kilomètres, il est indispensable qu’un travail d’équipe tel que
ministère des Affaires étrangères et européennes
celui évoqué plus haut puisse se déployer, sur des bases
se dote d’une capacité de gestion des crises lui
pérennes, en associant différents ministères et notamment celui
permettant de remplir pleinement son rôle de
coordination de l’action extérieure», afin de de la Défense.
répondre efficacement aux crises de toute nature.

DOCTRINE N° 16 82 JUIN 2009


Libres réflexions
Entretien
AVEC M. PHILIPPE GELINET, DE LA DIRECTION DE LA SÉCURITÉ GÉNÉRALE
ET AVEC M. ROBERT GABERT, RESPONSABLE DE LA GESTION DE CRISE DU GROUPE TOTAL1

1 Ancien officier de Marine, M. GELINET est à la fois chargé du secteur Afrique et expert sur les questions de sécurité maritime au sein de la direction de
la sûreté générale.
Spécialiste des opérations pétrolières, M. GABERT est un opérationnel du groupe Total qui, dans une première partie de carrière, a passé 25 ans dans
les différentes filiales du Groupe à l’étranger. Cette expérience acquise, il est devenu le responsable de la coordination et de la gestion de crise pour
l’ensemble du groupe.
À ce titre, ils ont accordé à la revue Doctrine cet entretien. Ils y évoquent notamment comment les collaborateurs d’un des premiers groupes français
dans le monde sont préparés à faire face à l’éventualité d’une évacuation du territoire où ils sont déployés, comment ils font face à ces situations
de crise et quels sont les principaux enseignements qui ont été tirés des dernières opérations vécues.

JUIN 2009 83 DOCTRINE N° 16


Avis complémentaires sur les opérations d’évacuation de ressortissants

Quel est le cadre général de votre action ? ils sont complétés par des exercices : à titre
d’exemple en 2007, 50 exercices d’alerte et de
Le groupe Total est aujourd’hui une entreprise gestion de crises ont été conduits au niveau des
comprenant 110 000 collaborateurs, présents branches du groupe ; au niveau de la direction de la
souvent en famille sur l’ensemble des continents sécurité générale, nous avons régulièrement
dans 130 pays, répartis sur 1 200 sites, l’occasion de participer à des exercices organisés
222 terminaux et 23 000 Km de pipelines. par les armées et qui comportent systématiquement
un volet évacuation de ressortissants. Cette
collaboration nous permet de tester en grandeur
Quelle est la nature des crises auxquelles nature la complémentarité de nos plans avec ceux
des autorités diplomatiques et consulaires. En
vous devez être prêts à faire face ? effet, des plans de management des crises sont en
place dans chaque filiale avec des dossiers
Compte tenu de la diversité de ses activités qui complets comportant la désignation du personnel
vont de l’exploration à la distribution en passant qualifié, la définition des missions, des outils
par la production, la transformation et le disponibles dans les différentes salles de crise et
transport de produits souvent dangereux, le des fiches de méthodologie pour faire face au
groupe Total peut être confronté à des risques de plus large panel d’incidents possibles. Ces plans
toute forme et de toute nature, qui peuvent répondent bien à la nécessité d’entretenir un
concerner tant la sécurité (industrielle par système permanent d’alerte.
exemple) que la sûreté de ses collaborateurs et
de leurs familles dans un pays étranger. Il est clair
également que notre groupe travaille dans un Pourriez-vous nous décrire
environnement sécuritaire contraint dans plus
d’une centaine de pays, sans toujours pouvoir le processus de gestion de crise
bénéficier de la présence éminemment rassurante dont vous êtes le coordinateur ?
de troupes françaises prépositionnées. Or, le
groupe Total doit en permanence pouvoir garantir La multiplicité des crises possibles nous conduit à
sa capacité à déployer des compétences à développer en permanence une prise en compte
l’étranger dans des conditions souvent du risque sécuritaire de chacun des pays où le
exigeantes. C’est la raison pour laquelle le groupe Total est présent. Pour cela, nous avons
groupe dispose de ses propres capacités à faire mis en place un dispositif fondé d’abord sur la
face à un large éventail de crises, cette capacité veille et l’analyse, ensuite sur la planification
étant le gage de la sérénité de leurs familles, des mesures à prendre et enfin sur des outils de
corollaire de l’adhésion de nos collaborateurs gestion de crises.
expatriés. Ceux-ci sont très attachés aux capacités
dont dispose le groupe pour pouvoir non seulement
assurer l’analyse de l’évolution des pays dans Quelles sont les capacités de veille
lesquels il évolue, mais également la sécurisation
des familles, voire leur rapatriement. et d’analyse dont vous disposez ?
Les capacités de veille et d’analyse sont assurées
Comment vous préparez-vous à faire face grâces à une parfaite synergie entre le siège du
groupe, les filiales qui sont sur le terrain et les
à une situation qui se dégrade ? organismes extérieurs comme le ministère des
Affaires étrangères et celui de la Défense.
Dans notre groupe, la gestion de crise est une S’agissant tout d’abord du groupe, nous
activité que nous avons totalement démystifiée : disposons au sein de la direction de la sécurité
c’est en effet l’affaire de tous. Depuis le drame qui générale d’une capacité d’expertise permettant
a touché en 2002 à Karachi le personnel expatrié l’analyse et la compréhension des crises possibles
d’un chantier naval, chacune et chacun d’entre dans les domaines politiques, institutionnels,
nous se considère plus encore comme un acteur économiques et sociaux. Les informations dont
potentiel d’une crise et s’attache à acquérir avec disposent les filiales permettent ensuite de valider
professionnalisme la culture de la précaution et ces analyses en liaison avec les partenaires
de la prévention avec rigueur, réactivité et souci extérieurs (consultants, ministères concernés...).
du travail en équipe. Ceci se concrétise d’abord Ce travail débouche ainsi sur un dossier par pays
par un effort de formation à la gestion et à la permettant de dresser la liste des risques dont
communication de crise. Des stages réguliers celui-ci fait ou pourrait faire l’objet. Cette capacité
d’une semaine sont organisés au sein du groupe ; à entretenir une veille stratégique et à disposer

DOCTRINE N° 16 84 JUIN 2009


Libres réflexions
d’outils d’analyse croisée avec nos principaux permettent de définir des niveaux d’alerte qui
partenaires institutionnels débouche ensuite sur sont ensuite déclinés par des types de mesures à
un travail de planification. appliquer sur le terrain. La possibilité de
regrouper le personnel dans un hôtel ou de
rapatrier les familles constitue un exemple des
En quoi consiste ce travail de planification ? mesures qui peuvent être prises pour faire face à
une crise. Ces plans de sûreté comportent
Notre travail de planification est de deux natures. également des plans d’évacuation. Ceux-ci sont
Grâce au travail de veille et d’analyse, nous réalisés en liaison très étroite avec l’ambassade
disposons en effet d’une planification à froid ou le consulat qui tient à jour les plans d’îlotage
pour chacune de nos filiales. L’objectif est encore dans lesquels ils s’intègrent.
une fois de se préparer à toute éventualité y
compris dans des régions où le risque ne fait pas
partie des préoccupations quotidiennes. Dans quelles circonstances êtes-vous
En cas de crise, la subsidiarité s’impose et c’est amenés à participer à une opération
la filiale qui conduit localement les opérations d’évacuation de ressortissants ?
avec le concours de notre cellule de crise installée
à Paris. Celle-ci lui apporte en effet plutôt son Compte tenu de son implantation dans le monde
assistance pour la phase aiguë de la crise dans entier, le groupe a souvent été confronté à la
des domaines où la filiale ne dispose pas des problématique du rapatriement ou de l’évacuation
expertises ou si la collaboration avec des de ses collaborateurs. Pour chaque site et dans
partenaires comme les Affaires étrangères ou la chaque pays, les plans d’évacuation existent et
Défense s’avère nécessaire. permettent de réagir de manière appropriée. Le
problème est bien sûr abordé de manière différente
selon que les opérations sont conduites par les
Sur quoi débouchent ces différents forces armées françaises ou non. Dans le premier
cas, l’évacuation est une opération militaire telle
travaux de planification ? que décrite dans les articles de cette revue. Mais le
cas est assez fréquent où, en l’absence de forces
Le travail de planification qui est conduit, tant au prépositionnées ou d’évacuation décidée par le
sein de la filiale qu’à partir du siège, permet gouvernement, le rapatriement des familles de nos
d’élaborer des plans de sûreté, à partir d’une collaborateurs voire de ceux-ci est organisé
approche matricielle. En effet, ces plans directement par le groupe.
Photo fournie par les auteurs

JUIN 2009 85 DOCTRINE N° 16


Avis complémentaires sur les opérations d’évacuation de ressortissants

Ainsi, à titre de prévention, on peut décider un généralement imprévisible dans son déroulement
rapatriement limité aux familles et aux particulier, seule une bonne connaissance des
collaborateurs essentiellement impliqués dans le procédures à appliquer permet d’éviter de céder à
back office. Ceci permettra la poursuite de la la panique. Cela peut tenir à des choses simples
production et la mise en sécurité des comme par exemple de disposer en temps réel
installations. d’une parfaite connaissance des collaborateurs
présents sur le site ainsi que de leur famille. C’est
Lorsqu’il estime en effet que la sécurité de ces ce que nous appelons le personnel on board
derniers est en question, comme ce fut le cas en (POB). Quelle que soit la précision des plans
République de Côte d’Ivoire en 2004 ou au Tchad d’évacuation réalisée, il est toujours délicat de
en 2008, l’évacuation est alors décidée, connaître, à l’instant où se déclenchent les
généralement par les autorités diplomatiques en opérations, les effectifs présents effectivement.
liaison avec les forces militaires chargées
d’assurer la sûreté des points de regroupement.
Il convient aussi de souligner l’importance des
moyens de communication. Il est en effet
Quels sont les principaux enseignements indispensable dès le début de la crise d’avoir la
liaison avec l’ensemble de nos collaborateurs
que vous avez pu retirer de ces opérations? d’une part et avec les autres parties prenantes
(ambassades ou consulats, forces militaires pré-
Le premier enseignement tiré des rapatriements positionnées et le cas échéant, forces militaires
ou des opérations d’évacuation vécus par le ou de police locale). Disposer de ces liaisons
groupe Total est la nécessité de disposer d’un résout une bonne partie des problèmes, permet
système d’alerte permanent et d’un réseau local de donner des consignes et de rassurer.
permettant d’anticiper toute dégradation de la
situation. Nos responsables de filiales portent D’une manière générale, nous sommes bien sûr
ainsi un intérêt tout particulier à la prise en particulièrement attentifs à l’exploitation des
compte par chacun de nos collaborateurs des enseignements tirés des différentes opérations
mesures à adopter en cas d’urgence, qu’il auxquelles nous avons été confrontés. Le retour
s’agisse des points de regroupement à connaître d’expérience montre ainsi toute l’importance à
et de l’intégration dans l’îlotage organisé par accorder à la rigueur dans l’organisation, la
l’ambassade ou le consulat. solidarité dans le travail d’équipe, la réactivité à
cultiver, les réseaux à entretenir pour être
Le second enseignement tient à l’indispensable efficace, l’importance d’une communication
capacité à conduire au niveau local et dans externe et interne parfaitement maîtrisée et
l’urgence la gestion d’une crise. Celle-ci étant transparente.

Enfin, en conclusion, je voudrais souligner l’excellente coopération entre le groupe Total et ses

correspondants naturels que constituent à Paris la direction des Français à l’étranger du

ministère des Affaires étrangères ainsi que l’état-major des armées.

DOCTRINE N° 16 86 JUIN 2009


Libres réflexions
Kolwezi,
ou la première évacuation de ressortissants
PAR LE GÉNÉRAL DE CORPS D’ARMÉE BRUNO DARY1

Le jour du 30e anniversaire de l’opération aéroportée sur Kolwezi et à la demande du Figaro, j’avais écrit un article,
pour expliquer le triple pari que constituait à l’époque cette opération. Sans en reprendre in extenso les termes et
notamment sa conclusion, je me permets de revenir sur ce sujet, non pas pour raconter une fois encore mes
campagnes, mais plutôt pour évoquer cet événement à travers la ‘‘grille de lecture’’ des évacuations de
ressortissants, car tel était bien le premier but de cette opération, le saut en parachute ne devant pas occulter sa
finalité.
Bonite, en effet, fut la première ‘‘RESEVAC’’, qui, malheureusement fut suivie par de nombreuses autres. J’emploie
volontairement le terme de ‘‘malheureusement’’, car toute opération d’évacuation, aussi brillante soit-elle sur le
plan tactique, reste cependant un échec politique et humanitaire, et même plus que cela, elle est en effet parfois,
notamment pour le pays qui a été le théâtre de l’évacuation, un ‘‘accélérateur de crise’’, puisque le départ des
ressortissants, européens pour la plupart, entraîne des pillages supplémentaires et l’arrêt de nombreuses petites
entreprises.
Pour en revenir à Kolwezi, il ne faut pas oublier le triple pari que constitua à l’époque cette opération et qui explique
sans doute son retentissement international, car le succès n’était pas garanti d’avance.

Le pari politique… audacieuse, courte, intense et bien ciblée, qui


permettra d’abord le sauvetage de plusieurs
milliers de vies humaines et qui suscitera, en
Kolwezi fut d’abord un fabuleux pari politique. Il outre, la pleine adhésion de la communauté
faut se rappeler le contexte de 1978, celui de la internationale.
Guerre froide, où les Etats-Unis, sous la
présidence de Jimmy Carter, sont en phase de
repli sur eux ; cette situation laisse le champ libre Le pari stratégique…
aux Soviétiques, qui, par puissance interposée,
en l’occurrence Cuba, déstabilisent l’Afrique par
une stratégique indirecte. Ainsi, l’Angola sert-il de Le saut sur Kolwezi a été et restera également un
base de départ pour l’invasion du Shaba en 1978 ; pari stratégique majeur. L’histoire des opérations
le mois de mai se situe juste à la fin de la saison aéroportées nous révèle que si elles ont
des pluies, ce qui rend les pistes carrossables et enregistré des succès éclatants, elles ont été
permet une attaque surprise de la ville. La France aussi le tombeau de beaucoup de parachutistes.
est donc seule sur l’échiquier mondial et africain. Pour Kolwezi, les délais sont très contraints, car
De surcroît, le Zaïre est un pays immense, qui les interceptions radios font état de pillages
représente plus de cinq fois la France  ; aussi, et d’exécutions sommaires d’Européens et
mettre un pied dans la province du Shaba revient d’autochtones, ce qui impose une intervention,
1 Le GCA Dary,
gouverneur militaire à mettre un pied dans un pays gigantesque, ce conduite dans l’urgence, sans planification et
de Paris et qui, même en cas de succès initial, risque avec un largage au plus près de l’objectif. En
commandant de la d’enliser notre pays pour de longues années, outre, les moyens français sont limités  : la
RT Ile-de-France,
était lieutenant chef comme l’est l’ONU aujourd’hui. Or la France va projection depuis la France est assurée par des
de section à Kolwezi. gagner ce premier pari, par une opération avions civils réquisitionnés et parmi les 6 avions

JUIN 2009 87 DOCTRINE N° 16


ECPAD
Avis complémentaires sur les opérations d’évacuation de ressortissants

tactiques du largage, deux seulement sont cette opération, le pari tactique. A cette époque,
français. Si les moyens aériens sont précaires, les en effet, ceux qui ont connu le feu, dans les rangs
autres le sont tout autant, puisque une fois au sol de l’armée française et même au 2e REP, que ce
les légionnaires ne peuvent compter que sur eux- soit en Algérie ou au Tchad, sont une poignée ; à
mêmes et leur sens de la débrouillardise. En fait, titre d’exemple, au sein de la 4e compagnie à
il s’agit d’un vol sans retour possible ; une fois le laquelle j’appartenais, seul l’adjudant d’unité
largage décidé et effectué, les légionnaires ne avait une expérience opérationnelle.
peuvent espérer ni soutien, ni appui feu, ni renfort
à moins de deux ou trois jours. Ce pari tactique a été gagné, car le REP palliait
cette absence d’expérience opérationnelle
Or le 2e REP va gagner ce pari stratégique par concrète par plusieurs facteurs qui furent
une opération militaire exemplaire, alliée à une prépondérants : un entraînement continuel, dans
mission humanitaire remarquable  ; en effet, en toutes les circonstances, par tous temps et dans
moins de 24 heures, les unités vont s’emparer tous les domaines ; le régiment, sans prétendre
rapidement de quelques points majeurs de la ville, en avoir le monopole, était ‘‘surentraîné’’. Il avait
qui seront autant de ‘‘points de regroupement’’, et aussi une excellente forme physique, ce qui a
qui, en déstabilisant l’adversaire, visent à lui faire permis d’encaisser sans difficulté l’accumulation
arrêter les massacres. Dans les jours suivants, une de fatigue liée à la projection, aux nuits courtes,
fois la majorité des civils mis à l’abri ou évacués, le au stress du saut dans l’inconnu, au poids des
régiment devra sécuriser les faubourgs et les munitions à transporter, et aux déplacements à
villages environnants, pour repousser l’ennemi pied. Enfin, troisième facteur essentiel, le moral
sur ses bases de repli en Angola. du régiment, car si nous n’avions que peu de
renseignements sur l’adversaire, nos forces
morales, renforcées par la justesse de notre
Le pari tactique… cause, nous conféraient une ardeur, et même plus
que cela une force d’âme, qui était palpable
simplement dans le regard des légionnaires,
Les décisions politiques les plus pertinentes et les embarqués dans le bruit assourdissant des
manœuvres les mieux conçues ne peuvent réussir moteurs, équipés pour le saut, chargés comme
que si elles se concrétisent par une exécution des mulets, et volant vers une destination connue
rigoureuse, et c’est bien ce qui va se passer mais incertaine.
durant l’engagement ; c’est le troisième pari de

DOCTRINE N° 16 88 JUIN 2009


Libres réflexions
Et une leçon pour les générations à venir confiance à ses supérieurs, mais que chacune
d’elles exige un investissement complet de
Je me permettrais de tirer quelques leçons à tous ;
travers ma propre expérience et notamment mes
premiers pas dans cette ville. - on peut noter que le raisonnement d’un chef de
section n’est pas celui de son chef de corps,
Chef de la 2e section, j’appartenais à la voire du chef de l’Etat ! Mais tous les deux sont
4e compagnie, commandée par le capitaine Grail, respectables, même si celui du chef reste
qui 20 ans plus tard deviendra le général incontestablement prioritaire : celui-ci, en effet,
commandant la Légion étrangère  ; nous fûmes une fois les premiers succès confirmés, cherche
désignés pour faire partie de la 2e vague d’assaut, alors des indices incontestables pour justifier
qui survola Kolwezi le 19 à la tombée du jour, mais cette intervention à l’égard de la communauté
sur ordre du colonel Erulin et par précaution, ne fut internationale ; il s’agit d’un paramètre-clef des
larguée que le lendemain à l’aube, non loin de la opérations modernes, la légitimité. En revanche,
ville européenne. La première mission donnée à la celui-là a hâte d’en découdre, ce qui est logique
section fut de rechercher une ‘‘maison de ce dans le contexte d’une telle opération ; n’ayons
quartier, où se trouverait un charnier’’… Quelle pas peur de dire que c’est une richesse pour
déception pour moi et la section qui espérions bien l’armée française de disposer ainsi d’unités
‘‘rattraper le retard’’ sur nos camarades parachutés ardentes pour partir en opérations ;
depuis la veille. Remplissant la mission plus dans sa
forme que dans son esprit, je rendis compte peu de - enfin, je crois qu’il est toujours souhaitable, et
temps après que rien n’avait été trouvé, mais qu’en souvent possible, dès qu’on le peut, d’éviter le
revanche nous étions prêts à reprendre la mission “choc des logiques’’ ; en effet, lorsque les délais
avec la compagnie  ; la réponse ne se fit pas le permettent, ce qui n’était peut-être pas le cas
longtemps attendre : ‘‘Gris 22 ! Vous reprendrez la à Kolwezi, on a tout à gagner, ne serait-ce que par
mission avec la compagnie, une fois que vous aurez simple efficacité, à replacer toute action dans son
découvert ce charnier…’’. Peu de temps après, peut- contexte, pour en expliquer la finalité, la place
être une heure, après avoir recoupé différentes et l’importance dans le contexte plus général du
informations auprès de la population encore cachée but poursuivi. Il s’agit simplement de donner un
chez elle et quelques autochtones, je découvris sens à son action.
avec horreur le charnier, où une trentaine
d’Européens avaient été regroupés, avant d’être Le deuxième exemple que je voudrais évoquer
abattus  ; j’accueillais et guidais ensuite les concerne la pénurie des moyens à cette époque-là ;
journalistes vers la maison où avait eu lieu le le régiment ne disposait pour son entraînement et
massacre. Une semaine plus tard, une photo de ce ses déplacements que de GMC, qui consommaient
charnier faisait la première de couverture de Paris- en moyenne quelque 50 à 60 litres/100km, soit un
Match… Cette action et surtout sa médiatisation litre par minute sur les pistes africaines. Près d’une
permettaient à la fois de légitimer l’opération de cinquantaine d’entre eux furent aérotransportés par
la France et de décrédibiliser notre adversaire des Galaxy américains, deux ou trois jours après le
aux yeux de l’opinion publique. saut, ce qui nous redonna notre mobilité tactique et
opérative. Avant notre retour en France, il nous avait
été demandé de les laisser gracieusement aux
Cet incident appelle trois remarques de ma part : Marocains, qui venaient nous relever, mais qui
- d’abord, la discipline fait encore la force commencèrent d’abord par les refuser, les trouvant
principale des armées et comme le rappelle trop vieux, mais finirent par accepter ! Quant à nous,
le code d’honneur du légionnaire ‘‘la mission c’était le retour en Corse, où quelques jours plus
est sacrée’’  ; je rajouterai pour les jeunes tard, nous perçûmes 60… GMC qui venaient d’être
générations qu’il n’y a pas de ‘‘petite mission’’, déstockés de leur position de ‘‘mobilisation’’ et avec
et que chacun n’a pas à juger de la mission lesquels nous reprîmes notre entraînement…
reçue, surtout en opérations, qu’il doit faire

2 Chaque compagnie
avait une couleur, en Alors ceux qui se plaignent aujourd’hui de ne pas disposer de toute la panoplie requise pour
l’occurrence Gris pour
la 4e compagnie, et conduire une instruction de qualité, qu’ils se consolent et qu’ils se disent que les GMC de leurs
comme je commandais
la 2e section, mon anciens ne les ont pas empêché de s’entraîner et de sauter à Kolwezi !
indicatif à la radio était
Gris 2.
‘‘Il nous manquera toujours un sou pour faire cent sous !’’

JUIN 2009 89 DOCTRINE N° 16


Autres contributions à la réflexion doctrinale

La complémentarité
des feux vue par les Anglais
PAR LE LIEUTENANT-COLONEL OLIVIER FORT, OFFICIER DE LIAISON À LARKHILL (ROYAUME-UNI)

A
l’heure où la France se prépare à des décisions majeures concernant les capacités de ses forces armées,
décisions qui lui imposeront d’optimiser ce qu’elle conserve, il est primordial de recueillir l’expérience de nos
plus proches alliés.

Depuis la bataille de Castillon en 1453, il n’y a pas de victoire sans la maîtrise des feux.
Ceux-ci revêtent des formes variées, artillerie classique, aviation légère (hélicoptères armés), avions, missiles,
roquettes et demain drones armés. Cette variété est une source de complexité. Si cette dernière est bien assumée,
elle garantit le juste effet au bon moment et devient l’outil décisif, a contrario elle peut être contreproductive,
générant indécisions, dommages collatéraux ou tirs fratricides.

C’est la problématique à laquelle ont été confrontés les Américains en Irak et les Anglais en Afghanistan. C’est
cette dernière expérience que vont développer les lignes qui suivent.
En juin 2007, les Britanniques déployaient leur nouveau système d’artillerie, tirant des roquettes à 70 km, avec une
précision inférieure à cinq mètres. Cela a véritablement révolutionné les appuis, rappelant qu’en tactique, si les
principes demeurent, les modalités d’exécution dépendent des capacités mises en œuvre.

Atouts tactiques fondamentaux Désormais, la roquette unitaire (RU) fait entrer


de la roquette unitaire l’artillerie dans une ère nouvelle, elle est un
moyen d’appui très sollicité. La portée de 70 km,
franchie en 150 secondes dépasse de très loin les
Rôle défensif : l’artillerie sauve des vies capacités de réactivité des autres appuis (30 mn
en moyenne pour un aéronef en alerte).
Bien que le résultat ne soit pas chiffrable,
l’artillerie sauve de nombreuses vies au sein des La roquette unitaire réduit les dommages
forces occidentales, un rapport de la Chambre collatéraux
des Communes en fait même état1. Cela est
essentiel dans ce type de conflit et explique La précision et la charge militaire de la RU
pourquoi il y a des pièces d’artillerie ou de mortiers inférieure à celle des munitions aériennes
lourds sur la quasi-totalité des bases, y compris réduisent le risque de dommages collatéraux. Elle
celles des forces spéciales. Cela explique est devenue pour les forces américaines et
également pourquoi l’artillerie britannique n’a britanniques l’arme d’appui privilégiée pour les
cessé de se renforcer depuis 2006 en Afghanistan. combats en milieu habité. Depuis juillet 2007, ces
derniers ont multiplié les missions feux des RU et un
Rôle offensif : rapport du comité de défense de la Chambre des
la roquette unitaire = portée et rapidité Communes du 3 juillet 2007 établit clairement que
le déploiement récent de la RU va améliorer la
Avant l’arrivée en Afghanistan de la roquette en précision et réduire les risques de victimes au sein
juin 2007, les Britanniques sollicitaient l’appui des populations.
des canons de 155 mm canadiens pour les Les tout premiers tirs opérationnels de la RU 1 13th report Defence
Committee session
missions offensives, car le calibre de 105 mm était ayant eu lieu en septembre 2005, les leçons 2006-2007 du 3 juillet
parfois insuffisant. d’opérations précédentes relatives aux moyens 2007, p 45.

DOCTRINE N° 16 90 JUIN 2009


Libres réflexions
d’appui indirect sont partiellement obsolètes La roquette unitaire est l’arme de la sécurité
pour les armées équipées de cette nouvelle des troupes amies
munition.
Sa présence peut diminuer le risque pour les
équipages d’hélicoptères armés ou d’avions
Pertinence contemporaine d’attaque au sol, en fonction de la menace sol-air.
de cette munition De plus, elle n’est pas guidée laser et n’a pas
besoin d’une équipe qui illumine l’objectif. Enfin
en 2003 des bombes guidées laser sont tombées
La roquette unitaire est la munition la mieux trop court, car le rayon a été arrêté par des
adaptée aux tactiques asymétriques nuages de poussière2.

L’artillerie est l’arme de la surprise. L’expérience L’artillerie offre une meilleure garantie
2 Les armes guidées de nombreux micro-engagements montre que d’autonomie dans le domaine des appuis
par GPS sont pendant le survol des zones de combat, les
complémentaires
des armes guidées Taliban se protègent et se dissimulent ; en La présence d’artillerie permet au chef de la force
par laser, il ne s’agit revanche, ils sont totalement surpris par l’arrivée terrestre de disposer d’une autonomie et donc
pas de les opposer. d’obus ou de roquettes. d’une capacité de réaction instantanée, capacité
3 L’usure pour qui n’est pas garantie dans un contexte
le pilote est La précision de la roquette et sa moindre létalité multinational (les moyens CAS d’une autre nation
également morale ; par rapport aux munitions aériennes sont auront tendance à être redirigés en cours de
il est arrivé que des
pilotes dussent parfaitement adaptées au tir au voisinage des mission pour appuyer les unités du même
abandonner des troupes amies, cela permet de contrarier la contingent prises à partie).
alliés avant de leur tactique des Taliban, qui vise à s’approcher au
fournir l’appui
indispensable parce maximum de la cible, afin de réduire le L’artillerie est un type d’appui économique
qu’ils étaient déséquilibre en moyens d’appui.
déroutés pour une Elle vient en complémentarité des aéronefs.
priorité nationale.
L’artillerie (canon et roquettes) permet de Lorsque ces derniers sont les seuls appuis
graduer la réponse à une attaque disponibles, ils sont soumis à une très forte
pression qui use physiquement l’engin et son
La présence de l’artillerie permet de graduer la pilote3. L’engagement de l’artillerie permet aux
riposte face à une attaque ennemie et d’employer appuis aériens de se concentrer sur leurs
des moyens efficaces, sans recourir d’emblée à missions spécifiques. Cela réduit de façon
l’usage de munitions à très haut pouvoir de significative les coûts des opérations, tout en
destruction. augmentant de manière sensible la capacité
opérationnelle. Evitant ou limitant au juste
niveau, la présence d’aéronefs
en alerte dans le ciel,
l’artillerie redonne une grande
liberté d’action au chef
interarmes, qui peut de
nouveau disposer de moyens
pour sa manœuvre.

L’artillerie est un moyen


d’appui adapté aux phases
de reconstruction d’un conflit

L’artillerie est un moyen discret


capable de remplir des missions
sans quitter sa base, alors
que le survol d’aéronefs peut
contribuer à renforcer l’impres-
sion de guerre auprès des
populations (leur rôle dissuasif
ne s’applique -éventuellement-
qu’à l’ennemi). En Afghanistan
SIRPA Terre

le survol constant des avions -


sans mentionner les dom-

JANVIER 2009 91 DOCTRINE N° 16


Autres contributions à la réflexion doctrinale

mages collatéraux réguliers- est un reproche fait à Bien sûr la comparaison avec l’artillerie française 4 L’intervention type est
la coalition par le président Karzaï. L’artillerie est n’est pas valide tant que nous ne disposons pas de l’unité standard qui
permet un effet
adaptée à toutes les phases d’un conflit tant que la roquette unitaire. Il faut néanmoins souligner que tactique. La différence
subsiste une menace, même résiduelle. depuis 2005, les Américains ont en moyenne tiré d’appréciation entre
8 roquettes unitaires par mois -l’intervention les Américains et les
Britanniques est à la
type4 étant égale à trois- tandis que depuis le fois culturelle et
Complémentarité des feux tirés du ciel 12 juillet 2007 les Britanniques ont tiré 48 financière. L’approche

et du sol roquettes5 unitaires, soit 16 par mois -alors française va dans le


sens des Britanniques.
qu’une intervention type britannique est
Les expériences tirées de l’emploi de l’US Air seulement d’une roquette. Bien qu’elle doive 5 Bilan début octobre.
Force ne sont pas transposables à l’armée de ultérieurement être validée par une étude
6 L’approche économique
l’air approfondie, cette comparaison tend à montrer est de plus en plus
que pour les Britanniques, qui disposent de mise en avant chez les
Les forces armées doivent aussi se préparer à forces aériennes comparables aux nôtres, britanniques, elle
devrait trouver des
d’autres conflits que l’Afghanistan, et il convient l’emploi de roquettes unitaires revêt une échos en France où
de souligner que la plupart des leçons tirées de importance plus grande que pour les Américains, les moyens sont
ce conflit s’appuient sur les capacités des qui disposent d’une gamme de vecteurs d’appui encore plus comptés.
vecteurs aériens américains, comme le A-10 ou air-sol bien plus sophistiqués6.
l’AC-130 Gunship. Dans le cadre d’une action
autonome de la France, nous ne serions pas en
mesure de disposer des mêmes vecteurs, et la
disparité en matière de munitions est du même
ordre. Cette donnée relativise considérablement
l’importance de l’arme aérienne par rapport à
l’artillerie.

L’expérience britannique ne minimise pas le rôle des forces aériennes, qui est essentiel, mais montre
l’intérêt de la complémentarité de l’artillerie et de l’appui air-sol dans toutes leurs composantes. Cette
complémentarité pourrait même se traduire par la mise sur pied de petites équipes interarmées de
«contrôle des feux» s’appuyant sur la structure des équipes d’observation d’artillerie, destinées à
mettre en place l’ensemble des feux d’appuis qui peuvent être coordonnés sur un théâtre. Cette
intégration interarmées, idéale à long terme, demande une longue acculturation du personnel de l’armée
de l’air aux procédés tactiques de l’armée de terre, il est en revanche très rassurant pour le pilote de
savoir que l’équipe qui le guide connaît bien ses modes d’action.
Sous la pression des engagements, les Américains, Canadiens, Allemands et Britanniques ont déjà
confié à l’artillerie cette responsabilité interarmées, créant de facto un standard OTAN. C’était le thème
principal du dernier symposium international d’artillerie à Fredericton au Canada. Les autres armées
occidentales, dont la France, mènent également des réflexions qui vont dans le même sens.

En Grande-Bretagne 14 contrôleurs aériens se trouvent dans les unités d’artillerie, en 2008 les droits 7 Une traduction littérale
ouverts augmentent de 25, et augmenteront encore par la suite pour arriver au total de 56. Les par équipe d’appui feu
ne convient pas à la
contrôleurs aériens britanniques sont des artilleurs, la plupart du temps sous-officiers et sont intégrés réalité française
(il pourrait y avoir une
aux nouvelles Fire Support Teams7, qui comprennent également des observateurs d’artillerie, de confusion avec des
mortiers et d’appui hélicoptère d’attaque. Ces équipes remplacent les équipes d’observation équipes d’infanterie)
il est préférable
traditionnelles. Leur efficacité repose sur leurs multiples compétences techniques, mais surtout sur leur d’utiliser une
formulation : équipe
connaissance des troupes appuyées et du milieu humain dans lequel elles évoluent. Sans fermer la porte de coordination et de
à la participation de spécialistes issus de l’armée de l’air, elles sont donc, par nature, des forces contrôle des appuis
feux rapprochés.
terrestres.

DOCTRINE N° 16 92 JUIN 2009


Libres réflexions
Pour une arme du renseignement
PAR LE COLONEL BREJOT*, OFFICIER LIAISON À FORT LEAVENWORTH (USA)

L e XXIe siècle est né à Berlin en 1989 car, alors que certains se ruaient bien imprudemment sur la récolte
de dividendes de la paix imaginairement réalisés, la guerre faisait son retour. On la crut morte pendant
45 ans, éliminée par l’effet démultiplicateur de puissance de la bombe atomique. Les «petites guerres» qui
ont jalonné l’après-second conflit mondial étaient confinées à des espaces où l’Alliance atlantique et le
Pacte de Varsovie choisissaient de s’interdire la montée aux extrêmes. Mais la bipolarité menaçante et
stabilisatrice a laissé place au désordre (qui n’a pas été imaginé durable) avec la disparition de l’empire
soviétique. L’éclatement de l’ex-Yougoslavie dès 1991 est la première expression du retour de la guerre. Le
monde ne s’en est pas vraiment rendu compte. Ce n’est pas la guerre clausewitzienne, qui est de retour.
C’est la guerre ancienne, antique, primitive, mâtinée de terrorisme mondialisé qui réapparaît.
«L’incertitude marque notre époque», écrivait le général De Gaulle en 1932, dans le Fil de l’Épée. Le
désordre international est tel aujourd’hui que l’hyper-incertitude marque le début du siècle nouveau,
pourrait-on dire.

* Anciennement au CDEF/DDo

a guerre ne s’exprime plus sur le champ de La réponse est indiscutablement et globalement

L bataille où le tacticien cherchait encore hier


à obtenir une supériorité décisive. Elle se
déroule le plus souvent au sein des populations
négative. La création d’une arme du rensei-
gnement grâce au recrutement, et donc à la
gestion de sa ressource humaine propre, en
et dans les villes, là où la supériorité particulier ses officiers, semble être une
technologique occidentale est amoindrie, là où réponse possible et durable à l’effort de
elle peut être gauche et brutale et donc parfois connaissance et d’anticipation que les crises
injuste. L’environnement au sein duquel actuelles et à venir imposent. A tout le moins, le
l’adversaire irrégulier provoque le soldat commandant de la fonction renseignement doit
occidental est complexe, multiple, mouvant et avoir un rang suffisamment élevé pour peser sur
incertain. Pour agir efficacement sans se sa gestion.
discréditer durablement, il importe aujourd’hui
de comprendre cet environnement et, par là Comprendre l’adversaire, comprendre les ressorts
1 C’est d’ailleurs aussi
même, l’adversaire. C’est tout l’enjeu majeur d’une situation politique, économique, religieuse
un enjeu pour les que le renseignement doit aujourd’hui relever où il se fond, requiert des experts toujours plus
conseillers politiques, pour répondre aux besoins exprimés1. performants. Or, la fonction renseignement de
les actions civilo-
militaires et les
l’armée de terre est aujourd’hui bâtie sur une
opérations d’influence. Or, le renseignement de l’armée de terre est-il structure profondément inadaptée2. Accepter
2 C’est un réservoir aujourd’hui structuré pour répondre à l’attente aujourd’hui de fédérer les acteurs spécialisés de
comprenant des
personnels d’armes
légitime et parfois exacerbée du chef en la recherche et de l’exploitation du rensei-
diverses qui alternent opérations ? Est-il capable de prononcer cet effort gnement dans une arme est une réponse
postes renseignement de compréhension qui passe inévitablement par possible à l’expression du besoin formulé par
et retour dans l’arme
d’origine.
une analyse qualitative toujours plus élaborée ? le chef au combat.

JUIN 2009 93 DOCTRINE N° 16


Autres contributions à la réflexion doctrinale
SIRPA Terre

tout juste formulé. Les engagements ont lieu le


Une adversité toujours plus complexe plus souvent au sein des populations5 et donc
dans des milieux urbains où se heurtent de
Depuis la première guerre du Golfe et l’opération nombreux intérêts divergents. Ce faisant, 3 La guerre probable,
général Vincent
Daguet en 1991, les armées françaises se sont l’analyste du renseignement doit, sous peine Desportes, Economica,
engagées en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo, en d’incompréhension profonde, investir dans une Paris 2007.
4 FT-01, Gagner la
Croatie, en Albanie, en Macédoine, en analyse systémique6 qui requiert intelligence, bataille, Conduire à
Afghanistan, au Tchad, en Côte d’Ivoire, au expérience et maturité, toutes qualités qui la paix, CDEF, Paris,
janvier 2007.
Rwanda, au Congo, en Somalie, en Haïti, en devraient être une forme d’aboutissement d’une 5 L’utilité de la force,
Indonésie, etc. Cette liste incomplète de crises, carrière consacrée au renseignement. général Rupert Smith,
Economica, 2007.
d’intensité, de nature et de durée diverses, n’a 6 RENS 100, tome 2,
d’autre but que de rappeler l’extraordinaire Dans cet environnement complexe évolue un Doctrine du
renseignement de
difficulté d’acquérir aujourd’hui la culture locale, adversaire irrégulier car, face à la supériorité l’armée de Terre,
au sens où l’officier des affaires indigènes ou le écrasante de la technologie occidentale, il 2008 : l’analyse
systémique a pour but
chef d’une section administrative spécialisée choisit l’évitement, le contournement. Souvent de déterminer les
(SAS) en Algérie pouvaient l’entendre au siècle au fait des capacités des armées occidentales, éléments d’un
système quelconque
passé, dès lors que les crises éclatent - décrites à l’envi dans nombre de magazines et (politique, militaire,
géographiquement dans des espaces aussi variés. journaux, il adapte intelligemment ses équi- économique, social,
etc.) puis d’analyser
Or, la compréhension de l’environnement dans pements, ses modes opératoires et les met en son fonctionnement et
lequel les crises actuelles et à venir à court et œuvre là où la technologie peine à s’exprimer. La les relations existant
au sein du système.
moyen terme éclatent, aussi difficile soit-elle, est complexité s’exprime aussi par le choc culturel De cette analyse, on
fondamentale, non seulement et classiquement d’agissements terroristes qui font considérer peut déduire sur
quelles parties du
pour les experts du niveau stratégique, mais aussi l’adversaire comme un barbare7. La subjectivité système agir pour
et surtout pour ceux qui recherchent et analysent qui en naît trouble nécessairement l’analyse froide produire des effets
particuliers qui
le renseignement tactique. des faits que le renseignement tactique doit concourent à la
mener. Elle conduit même au risque majeur qui réalisation de la
mission.
Il est d’autant plus crucial aujourd’hui de consiste à considérer l’adversaire irrégulier, 7 Généalogie des
comprendre l’environnement dans lequel la agissant dans l’asymétrie8, comme un «va-nu- barbares, Roger-Pol
Droit, Odile Jacob,
force agit, que la «guerre probable»3 s’inscrit pieds» du Tiers-Monde, profondément barbare et 2007.
dans la durée avec une phase de stabilisation4 donc méprisable. Or, cet adversaire est intelligent. 8 Les guerres
asymétriques,
qui mobilise toutes les énergies militaires, Il adapte ses équipements opérationnels bien plus Barthélémy
politiques, économiques, diplomatiques, etc. vite que l’acteur étatique empêtré dans des Courmont, Darko
Ribnikar, IRIS, PUF,
pour atteindre un effet final recherché parfois programmes industriels interminables. Il sait 2002.

DOCTRINE N° 16 94 JUIN 2009


Libres réflexions
manier l’information, en fait une arme pour aujourd’hui ne fait que s’accroître. Il est
affaiblir des volontés nationales peu mobilisées d’ailleurs décrit dans la doctrine du
(en particulier en Europe) pour la défense d’un renseignement d’origine humaine de l’armée de
«avant lointain» si peu menaçant pour le pouvoir terre10 qui impose même au soldat non
d’achat. Il a par ailleurs le temps pour lui lorsque spécialisé des formations élémentaires pour la
les démocraties sont sous la pression de cycles recherche d’informations.
électoraux si répétitifs.
L’armée de terre prononce aussi un effort notable
L’analyse de la manœuvre possible de la division par la création dès 2008 des unités de
mécanisée soviétique engagée en Allemagne de renseignement de brigade qui comptent en leur
l’ouest face aux forces de l’OTAN nécessitait une sein une section de recherche humaine. Ces unités
parfaite connaissance de la doctrine soviétique multicapteurs (section de recherche humaine,
pour identifier son mode d’action potentiel. Que section radar, section drone et groupe de guerre
ces combats se déroulassent en Pologne, en RFA électronique) au niveau de la brigade interarmes
ou aux Pays-Bas, peu importait l’environnement témoignent de la prise en compte officielle du
car les populations se réfugiaient en dehors des besoin accru d’acquisition de renseignement sur
zones de combat, comme en 1914 et 1940. On les théâtres d’opérations.
imaginait un affrontement certes sur de larges
fronts mais en somme sur le champ de bataille Mais ce flux d’information n’a d’intérêt que grâce
clausewitzien. à l’analyse qui en est faite pour la transformer en
renseignement. Or la complexité des
Le renseignement tactique est devenu extraor- engagements rend cette analyse très difficile et
dinairement plus complexe par l’amplitude de requiert des experts rompus au métier,
ce qu’il convient de rechercher, par la nature expérimentés, formés et équipés. L’effort est
même de l’information à recueillir. Il n’y a plus évidemment aujourd’hui à prononcer sur ces
une doctrine adverse, soigneusement mise à jour capacités d’analyse, au niveau tactique pour le
annuellement, mais une multitude de références sujet ici abordé.
culturelles, religieuses, éthiques, de buts
nationalistes, mafieux, etc., qui mobilisent les Or, le renseignement de l’armée de terre est
énergies de combattants étatiques ou non. Là où aujourd’hui organiquement inadapté !
il fallait, avant, savoir la doctrine adverse pour Il est certes une fonction opérationnelle,
comprendre ses intentions, il faut dorénavant organisée en chantier et gérée par un pilote de
comprendre qui est l’adversaire (et son envi- domaine mais il comprend cinq sous-domaines
ronnement) pour savoir où et comment pour le moins hétérogènes. Ainsi le sous-
s’engager avec pertinence. domaine «relations internationales» n’a que peu
à voir avec la fonction renseignement.

Or, l’organisation du renseignement Par ailleurs, le renseignement, malgré son


appellation opérationnelle très claire, est un
tactique est par nature inefficace regroupement de compétences en provenance
d’autres fonctions que tout un chacun appelle
L’évolution de la nature des combats actuels et armes  : artillerie, arme blindée cavalerie,
probables redonne à l’homme une place infanterie, transmissions, etc. Il est ainsi très
cruciale. L’historien Martin Van Creveld le difficile de gérer des compétences dans la durée
décrivit d’ailleurs très bien en 1991 dans La dès lors que les armes d’origine interfèrent,
transformation de la guerre9. légitimement, dans les cursus de carrière. Les
Américains, Canadiens, et Britanniques par
Il est évident que la recherche du exemple, ont fait le choix inverse, celui d’une
renseignement s’inscrit naturellement dans arme du renseignement (l’armée allemande a
cette logique. Le rôle que l’homme y joue aussi engagé ce processus).

9 «Les conflits seront menés par des terriens et non par des robots dans l’espace. Ils seront plus proches des affrontements qui survenaient dans les tribus
primitives que des guerres conventionnelles… dans la mesure où l’adversaire et les populations civiles s’interpénètreront, la stratégie clausewitzienne
restera sans objet. La simplification des armes, et non le contraire, ira croissant. La guerre ne sera pas menée par des hommes aux uniformes impeccables,
assis derrière des écrans, dans des salles climatisées et occupés à manipuler des symboles sur des claviers d’ordinateurs ; au contraire, les «troupes»
ressembleront davantage à des policiers (ou à des pirates) qu’à des spécialistes. La guerre ne se déroulera pas sur un champ de bataille, ce type d’espace
n’existe plus de par le monde, mais au sein d’environnements complexes, naturels ou artificiellement créés. Ce sera une guerre d’écoutes, de voitures
piégées, de tueries au corps à corps, dans laquelle les femmes transporteront des explosifs dans leur sac, ainsi que la drogue pour les payer. Elle sera sans
fin, sanglante et atroce».
10 RENS 210, doctrine du renseignement d’origine humaine, avril 2007.

JUIN 2009 95 DOCTRINE N° 16


Autres contributions à la réflexion doctrinale

Le constat objectif pourrait aujourd’hui se traduire moins erratique, cette organisation technique
ainsi : à un environnement opérationnel toujours interdit au renseignement tactique de
plus complexe, une organisation fonctionnelle progresser. La capitalisation des formations
aussi complexe ! On répond à la complexité par la (pourtant toujours plus longues et coûteuses
complexité. par nature) et des expériences ne se faisant
qu’au gré des circonstances et des aléas plus ou
En effet, dès lors que chacune des armes moins heureux liés aux besoins des armes, sans
d’origine continue à gérer le déroulement de continuité dans l’enrichissement professionnel et
carrière de ses ressortissants, le renseignement la réflexion, il devient extrêmement complexe
n’a d’autre alternative que de combler les vides d’identifier les besoins de progrès ou d’adaptation
structurels. Il est ainsi profondément choquant liés à la nature des combats. Par ailleurs, l’arrivée
qu’un officier supérieur, après sept ans au sein des unités multicapteurs impose également une
d’un régiment de renseignement d’origine polyvalence des hommes pour le commandement
électromagnétique de la brigade de de capteurs très divers et pour la capacité de
renseignement, puis trois ans à participer à la l’analyse dont on a déjà dit toute l’exigence. Il est
rédaction de la doctrine du renseignement, au aussi possible d’évoquer les capacités
moment où il rejoint le collège interarmées de linguistiques des acteurs du renseignement dont
défense, soit «récupéré» par son arme pour on pourrait attendre, sous réserve de cette
suivre une formation technique tout à fait autre. cohérence d’arme, qu’ils développent telle ou telle
Il est tout aussi choquant que, pour tenter de expertise à l’heure où il n’y a jamais assez
répondre à ces mouvements illogiques de d’interprètes (à l’exemple du corps des Marines
personnels, il faille affecter à des postes de américain qui fait dispenser des rudiments
renseignement opérationnel des spécialistes linguistiques à ses soldats). Enfin, une arme se
des relations internationales, considérant que caractérise par la conservation des traditions, la
«c’est à peu près la même chose». Les exemples mise en avant d’une culture et par conséquent,
semblables sont malheureusement nombreux. Il une vision d’avenir, une anticipation et donc des
ne s’agit évidemment pas de mettre en cause la objectifs de progrès partagés.
direction de l’armée de terre qui fait son travail
consciencieusement mais bien de relever les
conséquences immédiates et logiques de Il y a ainsi urgence à répondre organiquement
l’organisation actuelle. Il y a structurellement aux défis opérationnels que les guerres actuelles
une impossibilité à construire une carrière et futures posent en acceptant l’idée de la
cohérente et longue dans le renseignement. création d’une arme du renseignement.

Il y a par ailleurs, dans cette organisation, une


incitation à «la fuite des cerveaux». Sans cursus
de carrière, il est impossible d’offrir des
perspectives de postes à
haute responsabilité
à des officiers qui par
conséquent fuient la
fonction renseignement.

Enfin, cette gestion par


arme d’origine, en
hachant le parcours
professionnel, interdit la
construction patiente,
progressive et longue de
ces analystes du rensei-
gnement dont la force a
un impérieux besoin
pour comprendre l’envi-
ronnement et l’adver-
saire.

Bien plus encore


SIRPA Terre

qu’une gestion de la
ressource pour le

DOCTRINE N° 16 96 JUIN 2009


Libres réflexions

la complexité des crises dans laquelle la France s’engage, il est fondamental

A de pouvoir apporter un peu de clarté, d’essayer d’atténuer le «brouillard» de


la guerre afin de proposer au chef les choix opérationnels les plus justes.
Charles De Gaulle écrivit dans Le Fil de l’Epée : «L’ennemi est contingent, variable ;
aucune étude, aucun raisonnement ne peuvent révéler avec certitude ce qu’il est, ce
qu’il sera, ce qu’il fait et ce qu’il va faire». S’il est admis que l’incertitude est la
marque principale du combat, les réponses simples seront à privilégier.

Il y a donc urgence à simplifier l’organisation du renseignement en en faisant une


arme, ou au minimum à renforcer le «poids» du commandant de la fonction, qui
permettra sans conteste d’optimiser l’emploi d’une ressource humaine dont la
qualité de la formation et du recrutement est un réel enjeu. Pérennité d’une carrière
pour comprendre l’environnement opérationnel des crises et s’y adapter mieux !

Mais au-delà même de l’arme du renseignement, il y a cette réflexion indiscutable


qu’il importe de mener sur la notion de finalité d’une force armée. Une simple
approche capacitaire condamne les ambitions pourtant légitimes d’adaptabilité, de
pertinence et donc d’efficacité opérationnelle pour des raisons souvent
corporatistes. A l’opposé, si la question fondamentale du «pour quoi faire ?» est
acceptée, il y a progrès dans la recherche des solutions, y compris celles que le
conformisme rejetterait au nom de la défense de capacités parfois inadaptées ou
trop coûteuses par leur nombre. Et dans ce contexte, il est réellement nécessaire de
revenir aux notions simples, claires et évocatrices des armes. Si le renseignement
cache derrière un nom limpide une organisation archaïque, les fonctions
opérationnelles «combat débarqué» ou «embarqué», «appui à l’engagement»,
«agression» et autre vocabulaire technique dissimulent des finalités opérationnelles
dans lesquelles on se perd. Parlons de l’infanterie déployée au sein des populations,
appuyée par des canons d’artillerie et éclairée par l’arme du renseignement.
Laissons à la gestion du personnel ses appellations spécifiques et revenons à
l’explicite pour éclairer la réflexion sur les finalités opérationnelles.

JUIN 2009 97 DOCTRINE N° 16


Autres contributions à la réflexion doctrinale

Capacités duales
et forces africaines de développement
PAR LE COLONEL HUGHES DE BAZOUGES1, ADJOINT AU DIRECTEUR EN CHARGE DES AFFAIRES INTERNATIONALES AUX ÉCOLES DE SAINT-CYR COËTQUIDAN

«Dans la vie, voyez-vous, il n’y a pas de solutions.


Il n’y a que des forces en marche ;
il faut les créer d’abord, les solutions suivent ensuite».

Saint-Exupéry (Vol de nuit)

M
algré le développement économique et premières (pétrole2 – l’Afrique recèlerait 15% des
social de deux pôles diamétralement réserves mondiales –, minéraux rares, bois, etc.)
opposés, sur les rives de la Méditerranée et qu’il n’est guère utilisé pour tenter de résoudre
et à l’extrémité australe du continent, l’Afrique les maux fondamentaux dont souffre l’Afrique
subsaharienne (dans laquelle nous incluons la noire : le manque d’infrastructures, de moyens de
Corne de l’Afrique) demeure aujourd’hui la zone production et surtout de transformation, les
la plus meurtrie du globe, au regard du nombre de conséquences de la mutation des sociétés, de
1 Attaché de défense au
conflits, de personnes déplacées ou réfugiées, ou plus en plus jeunes et de moins en moins rurales Zimbabwe, en Zambie
encore des populations paupérisées souffrant de la (d’ici 2015, plus de 51 ou 52% de la population et au Malawi de 2003 à
2006. Auteur de
faim et nécessitant une aide alimentaire extérieure, d’Afrique subsaharienne sera urbaine ou péri- Madagascar, l’île de
sans compter celles n’ayant pas accès à l’eau urbaine), la dépendance alimentaire, conséquence Nulle-Part ailleurs,
Editions L’Harmattan,
potable, à l’éducation et celles exposées aux de l’inadaptation des politiques économiques par 1999.
pandémies. Bien sûr, des îlots de développement rapport à l’accroissement démographique incon- 2 Grâce au programme
américain Agoa (African
existent et l’Afrique subsaharienne enregistre trôlé (la population du Kenya étant passée de Growth Opportunity Act),
quelques remarquables success stories. Ainsi, la 8,5 millions en 1960 à 35 aujourd’hui…), la surex- les exportations
africaines vers
part du continent dans les échanges mondiaux ploitation des ressources naturelles, entraînant les Etats-Unis ont
progresse lentement (3% en 2007), comme son l’accélération de la déforestation ou l’épuisement progressé de 33 % en
2006. Mais la part des
taux de croissance économique supérieur ces des sols avec in fine des conséquences globales produits agricoles (+
dernières années à 5%. Cependant chacun sait portant sur le réchauffement de la planète, la 17 %) ne représentait
que 1 % des échanges
que ce progrès est fragile, voire factice (cf. le destruction irréversible de la faune et de la flore alors que les expor-
dernier rapport 2007-2008 du PNUD), car surtout ou encore les migrations de populations pouvant tations de gaz et de
pétrole comptaient
dépendant des exportations des matières se muer en formes d’invasion pacifique. pour plus de 80 % !

DOCTRINE N° 16 98 JUIN 2009


SIRPA Terre/ADC CHESNEAU
Libres réflexions

Car l’Afrique, malgré tous ces maux, déborde cours d’une conférence internationale biannuelle,
d’une étonnante vitalité : si 60% de sa population l’ensemble des programmes civiques de jeunes
a moins de 30 ans, c’est aussi la part la plus volontaires – 48 dont 15 pour l’Afrique – dont elle
touchée par les conflits (enfants-soldats, viols, cherche à faciliter et même à stimuler les
esclaves sexuels, etc.), le SIDA, l’analphabétisme, échanges. La 8e conférence de IANYS s’est tenue
l’extrême pauvreté ou encore le chômage. Dans un du 19 au 22 novembre 2008 à Paris, à la fondation
tel contexte, comment prétendre que cette même des Etats-Unis. Malheureusement, cette
jeunesse, organisée en «forces africaines de association exclusivement anglophone semble
développement», pourrait demain constituer un aussi ignorée des institutions françaises
espoir pour le continent et plus particulièrement qu’africaines qui viennent pourtant de se déclarer
un instrument de paix et un vecteur de dévelop- ouvertement en faveur de tels programmes
pement  ? Les Africains seraient-ils capables de comme en témoigne la récente charte de la
mettre sur pied de telles formations  ? La jeunesse africaine (African Youth Charter),
communauté internationale et en particulier l’Union adoptée en novembre 2006 par l’Union africaine.
africaine y verraient-elles un quelconque intérêt ? Celle-ci souligne en effet le soutien que les
Et existe-t-il des moyens financiers à y consacrer, Africains eux-mêmes doivent apporter à de tels
notamment au niveau de l’aide internationale ? programmes – dont l’encadrement peut être
composé de militaires et qui sont placés sous la
tutelle d’un ministère autre que celui de la
Les mouvements de jeunesse Défense – et les missions qui pourraient leur
être confiées :
pour les actions de développement3
En premier lieu, il existe à travers le monde un Article 15, alinéa h : Sustainable Livehoods and
certain nombre de mouvements de la jeunesse Youth Employment: «institute national youth
impliqués dans des actions de développement service programmes to engender community
et réunis au sein de l’International Association participation and skills development to entry
for National Youth Service (IANYS). Fondée à into the labour market»,
3 Les titres intermé- partir d’une initiative américaine lancée en 1992,
diaires ont été rajoutés
par la rédaction. cette institution regroupe de façon virtuelle
autour d’un site dédié, et plus concrètement au et

JUIN 2009 99 DOCTRINE N° 16


Autres contributions à la réflexion doctrinale

Article 18, alinéa f : Peace and Security: «mobilise La consolidation des forces africaines
youth for the reconstruction of areas devastated
by war, bringing help to refugees and war victims
déjà existantes
and promoting peace, reconciliation and
rehabilitation activities». Contrairement à une idée reçue, il s’agirait moins
de créer a nihilo que de consolider de telles
forces déjà existantes, bénéficiant parfois d’une
Ces services civiques ou forces africaines de solide expérience, aussi ancienne que celle de
développement auraient donc une capacité notre propre service militaire adapté (SMA) mis
duale, à la fois dans le cadre national de la en œuvre dans nos départements et territoires
bataille du développement et, au niveau régional d’outre-mer. Tel est le cas du Zambia National
ou continental, en soutien des forces de maintien service (ZNS), sans doute moins connu que les
de la paix, dans le cadre multinational d’une modèles francophones que sont le service civique
action humanitaire ou de la reconstruction d’un béninois, le service malgache d’aide au
état. développement (SMAD) ou encore le service
national adapté djiboutien, tous inspirés du SMA.
Créé en 1963 et donc aussi ancien que celui-ci, le
Organisées autour d’écoles des métiers du ZNS a surtout profité de la stabilité politique de la
développement durable, et encadrées par des Zambie qui a su en faire un modèle original
personnels militaires, ces unités auraient tout exempt de tout reproche ou de toute suspicion
d’abord la charge d’instruire les jeunes de manipulation politique ou de violence,
volontaires dans les domaines prioritaires en destinant cette institution de jeunes volontaires
Afrique subsaharienne : encadrés par des militaires au service de la
population, et souvent dans les zones reculées
- agriculture4 (soutien aux populations – dans d’un pays plus vaste que la France. Ainsi, placé
des zones où la force de travail a parfois sous la tutelle du ministère de la jeunesse et des
disparu du fait du SIDA, du paludisme ou de la sports, et bénéficiant du soutien direct du
sous-nutrition – pour les récoltes, Président de la République, dans le strict respect
l’aménagement de digues et canaux, la lutte de la loi, cette institution remplit toutes les
anti-acridienne, etc.) ; missions traditionnelles d’un service civique et a
même conduit récemment une expérience
- action sanitaire et médicale (infirmiers/-ères, remarquée au profit de la re-socialisation des
sages-femmes, assistants de vétérinaires, enfants des rues ou street kids.
ambulanciers, etc.) conduisant une action
ciblée en faveur du contrôle des naissances, de Le ZNS, déjà membre de IANYS, pourrait donc dès
la lutte contre le SIDA ou encore contre les à présent servir de modèle pour faire de la
maladies africaines endémiques ; jeunesse africaine l’acteur de son propre
développement en mettant ses capacités, son 4 «En cinq ans, les
- construction (dispensaires, écoles, marchés dynamisme et son enthousiasme au service des importations
couverts, étals, etc. utilisant des matériaux et organisations ou des agences internationales céréalières des pays
africains ont triplé…
des savoir-faire locaux) ; engagées dans la poursuite des objectifs du Cette dégradation
millénaire du développement, dont on sait […] touche 48 pays
- aménagement de pistes, de routes et qu’aucun ne sera atteint en 2015, date butoir. africains sur 53…» -
Salée, la facture
d’ouvrages d’art dans les zones reculées ou A la condition de l’aider à se hisser au rang de alimentaire ! in Jeune
désertées (perte d’une partie des récoltes du modèle continental en levant les obstacles qui Afrique n° 2488 du
fait de l’enclavement de certaines zones) ; entravent son développement… 14 au 20 septembre
2008.
5 Dont l’action
- gestion de l’eau (formation de plombiers, s’articule autour de
forage de puits, installation de pompes, trois pôles
d’excellence :
adduction et récupération d’eau, etc.) ; Les entraves à la création de telles éthique et
déontologie, sécurité
- aménagements électriques (installation de forces africaines de développement et Union
européenne, action
groupes électrogènes, de panneaux solaires, globale et forces
de réseaux de distributions dans des camps de Grâce à des études conduites récemment en terrestres.
réfugiés, équipement de bâtiments, halles, liaison avec le centre de recherche des écoles de 6 «Un Caracal testé en
bombardier d’eau»,
etc.) ; Saint-Cyr Coëtquidan5 et soutenues par le général in Armées
CoFAT et la fondation Saint-Cyr, on peut désormais d’aujourd’hui n° 325,
- alphabétisation, re-socialisation des orphelins identifier les entraves à la création de telles novembre 2007,
p 54.
du SIDA, des déplacés et autres réfugiés, etc. forces africaines de développement :

DOCTRINE N° 16 100JUIN 2009


Libres réflexions

SIRPA Terre/CCH FEFF

1) celles-ci souffrent en premier lieu d’un déficit trinement idéologique, mais, de plus, seules
d’image, souvent caricaturées à mi-chemin de telles forces sont susceptibles d’accueillir
entre les troupes de boy-scouts et les milices une part conséquente de jeunes femmes alors
d’enfants-soldats, quand elles ne sont pas que la population féminine représente
simplement ignorées des medias comme des désormais plus de 50% de la population de
institutions traitant de sécurité ; ce manque n’importe quel pays d’Afrique subsaharienne.
d’intérêt est d’autant moins compréhensible Celles-là mêmes qui doivent jouer un rôle
que notre pays a longtemps été pionnier dans essentiel dans le contrôle de la natalité, la
l’implication des militaires dans les actions prévention du sida ou l’assistance aux orphelins
de formation (enfants de troupe, chantiers du SIDA et autres enfants abandonnés,
de la jeunesse, service militaire adapté,
lycées militaires, défense deuxième chance…),
4) enfin, les détracteurs de ce projet prétendent
toujours qu’aucun fond ne saurait être utilisé
2) une aversion intellectuelle stigmatise le pour soutenir des forces africaines, fussent-
principe même de capacité duale alors que elles de développement. Or lors du séminaire
nos propres forces armées ont développé international organisé en novembre 2006 par
depuis près de trente ans une solide culture l’ambassade de France à Lusaka (Zambie), et
d’aide humanitaire et de sauvegarde des présidé par Monsieur Wiltzer, alors Haut
populations, créant même des unités de représentant pour la paix et la prévention des
sécurité civile dédiées ou expérimentant ce conflits, deux organisations africaines ont
principe sur de nouveaux équipements6, financé plus du tiers de cette manifestation. En
effet, l’ACBF (African Capacity Building
Foundation) et le COMESA (marché commun
3) mépriser la bataille du développement au regroupant une vingtaine de pays d’Afrique
profit des seules opérations du maintien de la australe et orientale), ont montré un intérêt
7 Démobilisation, paix ou de la réforme de systèmes de sécurité marqué, la première dans le cadre de son
désarmement,
rapatriement,
est une erreur d’appréciation du théâtre action en faveur du 2D3R7 et l’autre pour
réinstallation, africain et de ses spécificités : non seulement soutenir un projet intéressant l’égalité des
réinsertion cette jeunesse constitue les gros bataillons des chances entre hommes et femmes (gender
(DDRRR ou 2D3R).
futures vagues d’immigration ou d’endoc- equity). En d’autres termes, ces institutions

JUIN 2009 101 DOCTRINE N° 16


Autres contributions à la réflexion doctrinale

ont avant tout considéré les missions qui l’Union africaine, afin que, reconnues d’utilité
pourraient être confiées à ces forces, plus que publique et comme vecteur de stabilité, elles
les seules structures dont on prétend puissent être ensuite éligibles à deux types de
abusivement qu’elles ne peuvent être que financement :
militaires afin de justifier une fin de non-
recevoir systématique. • en faveur de l’action d’aide au développement
conduite sur le territoire national en privilégiant
l’éducation et la formation professionnelle de la
Il apparaît donc que l’effet majeur à rechercher jeunesse,
consiste à faire reconnaître une place légitime à
de telles forces africaines de développement • mais aussi au profit des opérations de maintien
dans le cadre de la réflexion sur la réforme des de la paix ou de la reconstruction d’un pays
systèmes de sécurité (RSS), et plus précisément sortant de crise.
au cœur de l’architecture de paix et de sécurité de

8 Cf. «Reconstruire

D
evons-nous, parce que nos moyens d’action sont limités, nous interdire
ensemble», in
d’investir ce «champ de l’ingénierie politico-institutionnelle»8 alors Doctrine n° spécial
2008/1.
que de toutes les nations occidentales la France est la seule à
posséder un laboratoire aussi précieux que le SMA ? Elle est surtout la plus
9 Nommant en août
impliquée dans la prévention et la résolution des conflits en Afrique9, non 2007 un «Haut
pas seulement du seul fait de sa présence militaire (forces prépositionnées, représentant pour
la prévention des
réseau d’attachés militaires, actions de coopération militaire, etc.) mais aussi conflits en
en raison des initiatives qu’elle multiplie en faveur du maintien de la paix et Afrique».

du développement, comme elle vient de le démontrer récemment à


Madagascar10 ? Devons-nous au contraire, nous y plonger avec autant de 10 «L’armée malgache
au service du
résolution que d’audace intellectuelle, pour proposer à l’Union européenne développement
rural», in Armées
une réflexion novatrice visant à faire de RECAMP non plus le seul programme d’aujourd’hui n° 327,
de renforcement des capacités africaines de maintien de la paix, mais bien le février 2008.
cadre élargi du renforcement des capacités de l’Afrique à maintenir la paix ?
11 Cf. les Actes du
colloque organisé
Riche de son expertise militaire du théâtre africain et de cette longue les 27 et 28
tradition de bâtisseur d’espoir au sein des populations africaines11, l’armée novembre 2003 à
Fréjus sur ce
de terre se ferait ainsi l’écho de la vocation hier humaniste et aujourd’hui thème, Editions
humanitaire de la France que le général De Gaulle avait résumée par ces Lavauzelle,
Panazol, 2006.
quelques mots :

Une seule cause : celle de l’homme ;


Une seule nécessité, celle du progrès mondial ;
Un seul devoir : celui de la paix.

DOCTRINE N° 16 102JUIN 2009


)
Les opérations d’évacuation de ressortissants «en images»
Gestion des crises
Une histoire de coopération entre
les ministères de la défense et
des Affaires étrangères et européennes

p. 7 - ECPAD

Le centre de regroupement et
d’évacuation des ressortissants

p. 23 - 121è RT

Abidjan, novembre 2004


Une évacuation difficile,
mais un succès indéniable

p. 56 - 43e BIMa

Une opération d’assistance


et d’évacuation au Liban.
L’opération «Baliste» (juillet-août 2006)

p. 65 - SIRPA Marine

Kolwezi, ou la première évacuation


de ressortissants

p. 101 - SIRPA Terre


(
DOCTRINE

C.D.E.F
Centre de Doctrine
d’Emploi des Forces

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