Professional Documents
Culture Documents
L’entrepreneuriat
social :
vers un management
alternatif ?
Laëtitia Lamarcq
Tutrice de mémoire :
Madame Annabel Salerno – Maître de Conférence,
Marketing et Analyse de données, IAE de Lille
Maître de stage :
Madame Sophie Hautcoeur – Chargée de communication de
la Chambre Régionale de l’Economie Sociale du Nord Pas-
de-Calais
Responsable :
Madame Christel Beaucourt – Responsable du Master 1
Sciences de Gestion, parcours Management et Sciences
Sociales de l’IAE de Lille
SOMMAIRE
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
PARTIE 1.
Les entrepreneurs sociaux en filiation avec l’Economie Sociale et Solidaire
1. Le contexte en France
1.1 L’identification des deux concepts : économie sociale – économie
solidaire ......................................................................................................................... - 10 -
1.2 La nomenclature du secteur : les quatre grandes familles ........................ - 13 -
1.3 Economie sociale, économie solidaire : quelques divergences ................ - 19 -
1.4 La recherche d’une synthèse : fondamentaux communs ........................... - 20 -
1.5 Périodes clés de l’émergence ................................................................................. - 21 -
1.6 Les raisons du développement ............................................................................. - 22 -
1.7 Les secteurs d’activités ............................................................................................ - 23 -
PARTIE 2.
Un entrepreneuriat spécifique : une volonté d’agir autrement
PARTIE 3.
Des pratiques managériales évolutives pour un changement en profondeur
-1-
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Remerciements
Je souhaite adresser mes plus vifs remerciements à toutes les personnes qui m’ont apporté
leur aide et qui ont contribué à l’élaboration de ce mémoire.
Tout d’abord, Madame Annabel Salerno, tutrice de mon mémoire, pour les aides et les
orientations qu’elle a bien voulu me donner et le temps qu’elle m’a consacré. Sa disponibilité
et ses encouragements m’ont permis de réaliser ce travail dans les meilleures conditions.
-1-
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Je remercie également Lucien Petit, entrepreneur de Cliss XXI et Loïc Cheuva, entrepreneur
d’Habitat Actif, pour leurs témoignages très instructifs.
Je suis, à tous, très reconnaissante, et tiens à remercier vivement toutes les personnes qui de
près ou de loin, m’ont encouragée au quotidien.
-2-
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Introduction
Depuis les années 1980, on assiste à une remise en cause des grands systèmes théoriques qui
dominaient jusqu’alors. On voit se développer de nouvelles recherches et de nouveaux
chantiers théoriques, dans de multiples champs disciplinaires comme les sciences humaines
et sociales, les sciences de gestion etc.
Aujourd’hui, nombreux sont les travaux qui énoncent des paradigmes novateurs ou font des
liens inédits entre les disciplines, dans le but de faire émerger de grands débats.
L’économie sociale et solidaire, la notion d’entrepreneuriat social et le management
« alternatif » font partis de ces grands chantiers.
Avant de poser notre problématique, examinons de plus près les trois concepts nécessaires à
notre réflexion.
L’économie sociale et solidaire recouvre des paysages variés, des familles typées ou des
finalités précises, et repose sur des principes constitutifs. Ce pan de l’économie française
appelé tiers-secteur se porte plutôt bien et se veut au service de l’homme, en défendant la
démocratie, l’équité et la solidarité. Créateur d’emplois, il occupe deux millions de
personnes, représente 11% du PIB et s’impose dans quelques domaines significatifs tels que la
commercialisation agricole, la santé ou l’assurance et, dans une moindre mesure, le bâtiment
ou le commerce de détail. Il a vocation à progresser beaucoup plus. Pour preuve, très peu de
personnes connaissent aujourd’hui l’économie sociale et solidaire, d’autres encore y évoluent
sans même connaître cette appartenance. Au regard de son poids économique, cela nous
amène à de réelles interrogations …
-3-
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Mais pourquoi n’entendons-nous pas parler des entrepreneurs sociaux ? Ils créent pourtant
des structures, des entreprises sociales, qui contribuent efficacement à créer des emplois,
offrir de nouveaux services aux individus et à la collectivité, à lutter contre l’exclusion, à
renforcer la cohésion sociale ou plus globalement à soutenir le dynamisme socio-économique
des territoires…
Ils ont la volonté d’entreprendre en mettant des ressources en commun pour le service de
chacun. Leur but n’est pas de faire fructifier un capital mais de répondre à des besoins
sociaux. Comme l’explique Jacques Landriot, PDG du Groupe Chèque Déjeuner, il s’agit « de
réussir économiquement et d’entreprendre autrement ».
Ainsi, nous nous demanderons qui sont ces entrepreneurs sociaux qui adhérent aux valeurs
de l’économie sociale et solidaire en amenant un projet économique au service d’une finalité
sociale. Ces innovateurs prennent des risques et cherchent à donner des réponses nouvelles
afin de changer la donne sociale.
Pour rendre leurs ambitions concrètes, on se pose une question pragmatique : comment
faire ? Ces entrepreneurs, par leurs valeurs et leurs principes, n’obéissent pas aux règles du
capitalisme et refusent le statu quo afin d’exploiter de nouvelles opportunités. Quelles
solutions s’offrent alors à eux afin d’encourager ce développement ?
Il faut alors analyser les stratégies, les spécificités organisationnelles et les qualités
individuelles pour comprendre comment parvenir à faire changer les choses.
-4-
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Passer d’une idée à la pérennisation d’un projet d’utilité sociale implique t-il de passer par un
réseau spécialisé, de repenser également les outils de gestion et les pratiques managériales
« classiques » ?
Une notion récente se développe, celle d’un management alternatif, qui repenserait
l’entrepreneuriat, l’innovation et le management, afin de s’adapter à ces initiatives
réformatrices. Pour autant, les entrepreneurs sociaux peuvent-ils s’appuyer sur ce type
particulier de management, encore en phase expérimentale ? Les outils de gestion importés
du secteur privé ne peuvent-ils pas s’imposer ? Les réformes de l’entreprise engendrent t-elle
une réforme du système économique et du système managérial ? Y a-t-il besoin d’une refonte
totale de la gestion à la cause de l’entrepreneuriat social ?
Pour faire face à toutes ces interrogations et trouver des pistes de réflexions et de réponses,
une problématique me semble pertinente :
Pour saisir cette activité professionnelle à part entière et cet objet d’étude spécifique, il
s’imposera dans un premier temps, de cerner l’économie sociale et solidaire, unité
économique à laquelle est affiliée l’entrepreneuriat social.
Dans une seconde partie, nous ferons une analyse de l’entrepreneuriat social, notion qui
recouvre des réalités nombreuses dont nous tenterons de dresser les contours, tant sur sa
théorisation que sur ses pratiques.
Enfin, nous questionnerons les pratiques managériales et gestionnaires de ces entrepreneurs.
Sont-elles spécifiques et relèvent-elles d’un management alternatif, ou reposent-elles sur les
outils « classiques » des entrepreneurs de l’économie capitaliste privée ?
Notre analyse reposera sur des racines historiques, des définitions, des principes constitutifs.
Nous délimiterons les contours de cette volonté de penser autrement l’économie, par ses
acteurs, ses valeurs et croyances, ses forces, ses fragilités et ses interrogations.
En raison de l’extrême diversité des éléments étudiés et de la problématique nouvelle que
nous soulevons, il s’avère nécessaire d’enrichir nos lectures par des exemples concrets et des
observations issues du terrain, notamment par l’apport de témoignages d’entrepreneurs
sociaux.
-5-
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
PREAMBULE
La problématique issue d’un contexte : Mon terrain de stage
Nous venons de poser le cadre de notre étude en faisant un aperçu du contexte actuel et en
définissant les concepts au cœur de notre problématique.
Avant d’analyser de plus près l’économie sociale et solidaire, l’entrepreneuriat social et le
management alternatif, je souhaitais en guise de préambule, expliquer la naissance de cette
idée et de ce mémoire.
Dans le cadre du Master 1 Management et Sciences Sociales, je réalise mon stage du 14 mai
au 31 août 2007 au sein de la Chambre Régionale de l’Economie Sociale du Nord Pas-de-
Calais. Sans cette mission au service des entrepreneurs sociaux, je n’aurais pu réaliser ce
mémoire. Voici donc un aperçu de mon terrain et de ma mission de stage.
Coordonnées
Missions
La Chambre Régionale de l’Economie Sociale Nord Pas-de-Calais (CRES) est une association
qui a été fondée le 31 mai 1988 et portait à l’origine le nom de GRCMA (Groupement
Régional des Coopératives, Mutuelles et Association). Lors de l’Assemblée Générale
extraordinaire du 6 novembre 2002, l’ancien GRCMA modifie ses statuts et prend le nom de
CRES en intégrant une nouvelle famille : les fondations.
-6-
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Programmes d’activités
Les adhérents
Les Associations
ACADE/MNCP ; AROFESEP ; CHANTIER ECOLE ; COORACE ; CRAJEP ; CROS ; LÉO
LAGRANGE ; URLIG ; URIAE ; URIOPSS ; ESPACE ; URACEN ; UNAT
Les Coopératives
Caisse d’Epargne de Flandre ; Caisse d’Epargne du Pas de Calais ; Caisse d’Epargne des
Pays du Hainaut ; Crédit Coopératif ; Crédit Mutuel Nord Europe ; Banque Populaire du
Nord ; FNCC ; OCCE 62 ; OCCE 59 ; CCOMCEN ; URSCOP
Les Mutuelles
MACIF ; MAIF ; MATMUT ; Mutualité française Pas de Calais ; Mutualité française du
Nord
Les Employeurs de l’Economie Sociale
USGERES ; UNIFED
-7-
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Organigramme
Dominique CREPEL
Président
Jean QUÉMÉRÉ
Délégué général
Annick BRY
Déléguée générale
adjointe
Ambitions :
- Créer un outil à destination des acteurs de l’économie sociale en vue de pérenniser les
emplois et professionnaliser le secteur.
- Dans un premier temps, l’outil s’adresse aux associations. Par la suite, il pourra
s’élargir aux coopératives.
- L’outil prendra la forme d’une base de données consultable en ligne, avec possibilités
de faire des recherches par critères.
-8-
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Objectifs :
Elaborer un site Internet qui sera un point d’information interactif pour les dirigeants
associatifs du NPdC afin de faciliter leur développement. Cet outil en ligne répondra alors
aux 3 besoins précités.
Qualités requises :
- Connaissance ou sensibilité à l’économie sociale et solidaire
- Méthodologie pour organiser et structurer l’information
- Autonomie pour gérer le projet dans sa globalité
- Les connaissances informatiques seraient un plus pour assurer le suivi auprès de
l’agence web
Résultats souhaités :
- Accès clair et rapide aux informations d’accompagnement, formation, financement ;
aux acteurs et contacts ;
- image dynamique et citoyenne de l’économie sociale ;
- encouragement de l’entrepreneuriat social dans la région ;
- repère unique pour les associations ;
- mise en réseau des acteurs ;
- partage de témoignages.
-9-
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
PARTIE 1.
Les entrepreneurs sociaux en filiation
avec l’Economie Sociale et Solidaire
1. Le contexte en France
L’économie Sociale
On regroupe sous ce terme tout un pan de l’activité économique qui n’est ni une entreprise
capitaliste, ni une entreprise publique. En effet, les entreprises de l’économie sociale n’ont
pas les mêmes buts et mêmes règles internes que les entreprises privées (pas d’objectif de
recherche de profit). Elles ne sont pas non plus des entreprises publiques car elles dépendent
du secteur privé.
On parle alors de troisième voie ou tiers secteur : le premier secteur étant le secteur
capitaliste (rentabilisation des investissements par la recherche de profit), et le deuxième
secteur, le secteur public (afin de satisfaire l’intérêt général).
Le tiers secteur considère alors l’économie sociale comme une forme pour « entreprendre
autrement ».
L’économie sociale est entrée en tant que telle dans le droit français en 1981, lorsque Michel
Rocard reconnaît officiellement et institutionnalise le concept en créant, dans le cadre de ses
fonctions de ministre du Plan et de l’Aménagement du territoire, la délégation
interministérielle à l’économie sociale (DIES).
- 10 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
L’économie sociale est alors définit comme l’ensemble « des coopératives, mutuelles et
associations dont les activités de production les assimilent à ces organismes ».1
Depuis ce texte et par extension, l’économie sociale est souvent définie par référence à des
statuts : la coopérative, la mutuelle, l’association et la fondation.
La moitié de la population est concernée par ses 4 familles. Disposant de leurs propres
statuts, présentes dans la plupart des secteurs d’activité économique, sociale, culturelle,
sportif etc., elles entretiennent des relations partenariales multiples. Cette économie sociale
se veut démocratique, équitable et solidaire, et tente de répondre, en Europe et dans le
monde, aux besoins des consommateurs, des salariés et des citoyens.
En France, la délégation interministérielle à l’innovation, à l’expérimentation sociale et à
l’économie sociale (DIIESES) succède à la DIES et représente le secteur au niveau étatique.
Au niveau institutionnel, l’économie sociale s’est structurée au niveau national sous la forme
d’un Conseil des Entreprises et Groupements de l’Economie Sociale (CEGES), qui regroupe
les différents secteurs de l’économie sociale.
Pour définir l’économie sociale en dehors de ses statuts, nous pouvons dire que c’est un
groupement de personnes jouant un rôle économique qui partagent des caractéristiques qui
les distingue des sociétés de capitaux. En effet, des principes propres guident les
associations, mutuelles, coopératives et fondations :
- Un statut privé,
- Un ancrage territorial ou sectoriel,
- La liberté d’adhésion,
- La non-lucrativité individuelle (excédents non redistribués par rémunération du
capital apporté). La primauté de l’Homme sur le capital est la principale différence
avec les sociétés de capitaux car il n’y a pas de distribution des dividendes aux
actionnaires, mais un réinvestissement du profit pour servir l’objet social. Cette non-
lucrativité ne veut pas dire qu’il est impossible de faire du profit, mais qu’il est obligé
par contre de le réinvestir dans l’objet social de l’entreprise,
- L’indivisibilité des réserves : patrimoine collectif et impartageable,
- L’indépendance à l’égard des pouvoirs publics (une autonomie de gestion),
- La gestion démocratique selon le principe : « une personne, une voix » (et non
« une action, une voix » comme dans le capitalisme).
L’économie sociale est donc une partie de l’économie qui fournit des biens et des services
vendus sur le marché ou tarifés à l’acte, sans chercher l’enrichissement individuel.
- 11 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
L’économie solidaire
Le concept d’économie solidaire a pris son envol dans les années 1970-80, dans un contexte
marqué par la crise économique et le chômage.
Le capitalisme ne parvenait plus à assurer le plein-emploi. On a alors vu se développer des
alternatives pour pallier les problèmes d’intégration sociale : par exemple l’insertion par
l’activité économique, l’épargne solidaire ou le commerce équitable. Des structures se
mettent à œuvrer en faveur d’un développement durable par des pratiques qui ont « pour but
de renforcer le lien social et d’établir une plus grande équité entre les participants à
l’échange »1 (par exemple, les énergies renouvelables, la production et la commercialisation
de produits biologiques).
L’économie solidaire s’institutionnalise en France avec la création, en avril 2000, d’un
secrétariat d’Etat à l’Economie Solidaire (sous le gouvernement de Lionel Jospin). Mais celui-
ci disparaît au bout de 2 ans et le secteur se retrouve désormais peu représenté. La région
Nord – Pas-de-Calais crée tout de même l’Assemblée permanente de l’Economie Solidaire
(APES) en septembre 2000, regroupant un réseau de 150 acteurs illustrant la diversité de
l’économie solidaire.
Le problème soulevé est qu’il n’existe pas, à l’heure actuelle, de définition qui fasse
l’unanimité des chercheurs, même si certaines caractéristiques sont régulièrement mises en
avant.
Cette notion a tout de même trouvé une conceptualisation par les travaux pionniers des
sociologues Jean-Louis Laville et Bernard Eme2. Selon eux, l’économie solidaire repose sur
une combinaison de trois économies (marchande, non marchande, non monétaire), à partir
de dynamiques de projet articulant réciprocité, justice et égalité (d’où un rapprochement avec
l’économie sociale).
Mais l’économie solidaire se définit surtout par ses finalités (insertion, lien social,
produire autrement) que par ses statuts. C’est ce qu’indique Alain Lipietz dans sa définition
de l’économie solidaire : c’est « au nom de quoi on le fait : le sens prêté à l’activité
économique, sa logique, le système de valeurs de ses acteurs ».3
En résumé, ce mouvement prend en compte des besoins non satisfaits par le marché, invente
de nouveaux modes de production et développe des innovations et des nouvelles activités :
1Source : Alternatives Economiques, « L’économie sociale de A à Z », hors-série pratique n°22, janvier 2006
2 Source : Alternatives Economiques, « L’économie sociale de A à Z », hors-série pratique n°22, janvier 2006
3 Source : Alain Lipietz, « Pour le tiers secteur », la Documentation française, Paris, 2001
- 12 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
L’économie solidaire est donc autonome et trouve, au même titre que l’économie sociale, son
fondement historique dans le mouvement associationniste français (sous la double influence
de Mai 1968 et de la crise économique des années 70).
Cette notion est surtout devenue un label servant à qualifier des pratiques
extraordinairement différentes. Les structures qui développent ces pratiques ont souvent,
mais pas exclusivement, une forme juridique relevant de l’économie sociale, c’est pour cela
qu’il y a une tendance (nous verrons par la suite si elle s’avère utile ou risquée) à réunir et
confondre les deux ensembles dans un et même tout : l’économie sociale et solidaire.
Les associations
L’article 1er de la loi du 1er juillet 1901 définit l’association comme « la convention par
laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, de façon permanente, leurs
connaissances ou leurs activités, dans un but autre que de partager des bénéfices ».
Ainsi, une association est un regroupement volontaire, et idéalement affinitaire, de personnes
se proposant de poursuivre, pendant un temps déterminé ou indéterminé, un but commun,
par des procédés dont elles délibéreront ensemble, en mobilisant des ressources propres et
en faisant appel, le cas échéant, à des concours extérieurs.
On dénombre aujourd’hui :
Plus d’un million d’associations actives en France1
10 à 12 millions de bénévoles2
- 13 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Les modèles économiques des associations prennent forme autour de quatre types de
ressources1 : le financement public, le financement privé, les recettes d’activités et le
bénévolat. Plusieurs études rapportent la répartition des financements publics, privés et
recettes d’activités des associations, mais les ressources bénévoles sont rarement prises en
compte, restent sous-estimées et non inclues dans les bilans.
Enfin, différentes associations sont prévues par la loi de 1901 : les associations non déclarées
(sans formalité et licite) ; les associations déclarées (personnalité juridique et dépôt des
statuts) ; les associations reconnues d’utilité publique (au nombre de 2000, elles bénéficient
d’une capacité juridique plus étendue, avec un contrôle de l’Etat. Elles peuvent recevoir sous
conditions des dons et des legs).
Les mutuelles
L’ordonnance du 19 avril 2001 relative au Code la mutualité applique des règles générales à
toutes les mutualités. Les mutuelles sont « des personnes morales de droit privé à but non
lucratif. Elles acquièrent la qualité de mutuelles à dater de leur immatriculation au registre
national des mutuelles dont la tenue est assurée par le secrétariat général du Conseil
supérieur de la mutualité (article L : 411-1 du Code). Elles mènent, notamment au moyen des
cotisations versées par leurs membres, et dans l’intérêt de ces derniers et de leurs ayant
droit, une action de prévoyance, de solidarité, d’entraide, dans les conditions prévues par
leurs statuts, afin de contribuer au développement culturel, moral, intellectuel et physique
de leurs membres et à l’amélioration de leurs conditions de vie. Ces statuts définissent leur
objet social, leur champ d’activité et leurs modalités de fonctionnement. »
- 14 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
On remarque donc qu’il existe des mutuelles d’assurance et des mutuelles de santé.
Les mutuelles d’assurance de biens relève du code des assurances. Les mutuelles sans
intermédiaires sont fédérées par le Groupement des entreprises mutuelles d’assurance
(GEMA) et ne rémunèrent ni agents d’assurances ni courtiers. Elles comptent2 :
- 35 sociétés d’assurances françaises, 25 000 salariés dans 4425 points d’accueil
- 16,5 millions de sociétaires
- 11,2 milliards d’euros de cotisations et 43,4 milliards d’euros en cours de placement
- 1 véhicule et 1 habitation sur 2 assurés et 2,6 millions de personnes en assurance-vie
Les plus anciennes mutuelles d’assurances sans intermédiaires sont apparues dans les années
30, telles la MAIF. Plus récemment, la MACIF ou la mutuelle des motards ont également
rencontré le succès. Elles se sont constituées à l’initiative de groupes socioprofessionnels
souhaitant garantir les risques de leurs sociétaires. Il sont donc à la fois assureurs et assurés.
Elles respectent les principes de l’économie sociale et solidaire. Les excédents sont donc mis
en réserve et redistribués aux sociétaires par le biais du mécanisme de la ristourne
mutualiste. Ces mutuelles sont donc souvent à cotisations variables (sauf pour les sociétés
d’assurances mutuelles d’assurance-vie, qui sont en cotisations fixe de par la réglementation).
Leur activité concerne les risques des particuliers, des associations et des professionnels.
Trois évolutions majeures touche ces mutuelles depuis une vingtaine d’années3 :
1 Source : Patrick Loquet, L’économie sociale et solidaire au service d’un projet de territoire, dossier d’experts – la
lettre du cadre territorial, janvier 2004.
2 Source : www.gema.fr
3 Source : Alternatives Economiques, L’économie sociale de A à Z, hors-série pratique n°22, janvier 2006
- 15 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
- La création par les mutuelles de filiales pour gérer ces nouveaux produits ou pour
permettre à des personnes qui ne sont pas membres du groupe socioprofessionnel
fondateur de souscrire des contrats d’assurance
- Le rapprochement avec des banques de l’économie sociale pour diffuser les produits
d’assurance dans les réseaux bancaires, à l’image de l’accord de partenariat conclu
entre MAAF-NMA et les Banques populaires en 2003 ou de celui signé entre la Caisse
d’épargne, la MACIF et la Maif en 2004.
Les mutuelles de santé sont apparues au XIXe siècle avec les sociétés de secours mutuel.
Elles ont pour objet de couvrir les personnes en cas de maladie ou d’accident, en prenant en
charge le ticket modérateur, c'est-à-dire la partie des dépenses de soins non remboursée par
l’assurance maladie de base. Des services d’épargne et de complémentaire retraite sont
proposées. Elles développent également des actions de prévention et sont donc des acteurs
majeurs des politiques de santé publique. Elles contribuent notamment aux débats sur
l’évolution du système de soins et d’assurance malaide.
Elles ont un public ciblé : les fonctionnaires, les personnes handicapées et leur famille, les
étudiants, sportifs, travailleurs indépendants etc. Elles proposent également leurs services
sur une base territoriale. Par contre, à l’inverse des assureurs commerciaux, les mutuelles de
santé ne sélectionnent pas leurs adhérents en fonction de leur état de santé, et préfèrent
pratiquer des cotisations distributrices (proportionnelles au revenu).
Elles se réunissent au sein de la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF), qui
en rassemble plus de 2000, protégeant 38 millions de personnes. La plus importante est la
Mutuelle Générale de l’Education Nationale (MGEN).
Aujourd’hui, on constate qu’elles subissent des mouvements de concentration (elles sont
passées de 6000 à 2000) du fait notamment des plus grandes exigences de solvabilité
prévues au niveau européen.
Ainsi, on constate qu’aujourd’hui, un français sur deux est adhérent à une mutuelle
(d’assurances ou de santé), mais dans le contexte de la grave crise vécue par la Sécurité
sociale, la mutualité est confrontée à de nouvelles problématiques comme la question de faire
face aux compagnies d’assurances, dans le cadre d’une Europe largement libérale, tout en
maintenant une vie démocratique dans ses groupements, de moins en moins nombreux et
toujours plus vastes.
Les coopératives
En 2000, on dénombrait 19 897 coopératives. Les premières coopératives sont nées dès le
- 16 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
milieu du XIIIe siècle dans le Jura, avec les « fruitières », qui transformaient en fromage de
comté le lait livré par leurs adhérents.
En 1884, 40 ouvriers, dont 28 tisserands, fondèrent, dans une bourgade située aux portes de
Manchester, la Société des équitables pionniers de Rochdale, et formulèrent les principes
dont, aujourd’hui encore, tous les coopérateurs s’inspirent. Il s’agissait, afin de mettre fin aux
prix usuraires pratiqués par les commerçants de Rochdale, d’établir :
- une règle d’égalité (une personne, une voix)
- une règle de liberté (chacun peut adhérer ou s’en aller)
- une règle de justice (la répartition des bénéfices se fait au prorata des activités de
chaque membre)
- une règle d’équité (la rémunération des apports en argent est limitée)
Le 10 septembre 1947, la loi portant sur les statuts de la coopération rassembla dans un texte
unique l’ensemble des règles communes aux différentes institutions coopératives. Les
principes sont, pour résumer, d’associer des personnes volontaires sur une base égalitaire en
vue d’effectuer une activité de nature économique au plus juste prix. Il y a alors une
limitation de la rémunération du capital, les résultats éventuels étant partagés en fonction de
l’activité que chacun de ses membres a eu avec la coopérative au cours de l’exercice, et donc
sa contribution à la réalisation du résultat. Chaque associé devient coopérateur en étant
admis comme associé et en acquérant des parts sociales, dont le montant est fixé
suffisamment bas pour ne pas être un obstacle à l’adhésion. Quand le coopérateur se retire,
sa mise de fonds lui est remboursée à sa valeur d’origine. Ce n’est pas le capital qui est
rémunéré, mais l’activité de chacun des membres. La solidarité n’est pas seulement
horizontale (entre coopérateurs), mais aussi verticale (entre générations de coopérateurs). Ce
sont donc des entreprises plus respectueuses des personnes, moins soucieuses du profit que
de leur usage. De ce fait, elles ne constituent pas forcément une économie alternative à
l’économie de marché, mais elles concourent à rendre cette dernière moins inégalitaire et
plus solidaire.
- 17 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Les établissements de crédit collectent environ 60% des dépôts en France et regroupent :
- Les banques populaires
- Le groupe Crédit agricole
- Le réseau Crédit coopératif
- Le Crédit mutuel
- Le groupe Caisse d’épargne
Les fondations
La loi du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat définit la fondation comme « l’acte
par lequel une ou plusieurs personnes physiques ou morales décident l’affectation
irrévocable de biens, droits ou ressources à la réalisation d’une œuvre d’intérêt général et à
but non lucratif ».
Contrairement aux 3 autres structures de l’économie sociale, leurs conseils d’administration
restreints ne sont pas forcément représentatifs de l’ensemble de leurs membres et
contributeurs, mais obéissent à d’autres règles de fonctionnement. Le contrôle par
l’administration (opposé au régime simplement déclaratif appliqué aux associations)
explique en partie le fait que l’on dénombre seulement près de 2000 fondations.
- 18 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
La majorité des fondations est placée sous l’égide de l’Institut de France ou de la Fondation
de France. Ces deux institutions s’occupent de leur gestion en contrepartie du versement de
10% des dotations. En 2004, d’après la Fondation de France, il y a eu 1,9 milliards d’euros de
dons à destination des fondations.
Grâce à leur patrimoine, des fondations comme l’Institut Pasteur, la fondation Cartier ou la
fondation Agir pour l’emploi, peuvent organiser des services d’utilité sociale dans divers
domaines : santé, culture, action sociale etc.
Les acteurs de l’économie sociale et ceux de l’économie solidaire ne s’entendent pas toujours
sur une unification et sur le terme généraliste « économie sociale et solidaire ».
Comme nous l’avons vu, l’économie solidaire se définit par ses finalités, et non par ses
statuts. Elle s’inscrit souvent dans le champ des quatre grandes familles de l’économie
sociale, mais peut développer des activités en tant qu’entreprise d’insertion ou de société de
capital-risque solidaire par exemple. De ce fait, certains, comme Robert Crémieux, pensent
que la définition de l’économie sociale par les statuts est obsolète et que l’économie sociale et
solidaire est un « concept de supermarché » ou une « chimère administrative »1. De plus, le
secteur multiforme de l’économie solidaire implique davantage d’engagement de la part du
consommateur ou du client car c’est en partie une forme de protestation face aux dérives du
marché et à l’incapacité des pouvoirs publics de trouver des réponses à l’exclusion.
On pourrait alors assimiler l’économie solidaire à une démarche de réparation, alors que
l’économie sociale s’inscrirait davantage dans un projet politique, dans le cadre de l’économie
marchande. Cependant, les acteurs de l’économie solidaire ne veulent pas être assimilés
uniquement à une « économie réparatrice » mais à des porteurs de projets économiques
1Robert Crémieux, membre du MNCP, article « Economie solidaire : il est urgent d’en débattre vraiment ! »,
CERISES, octobre 2006
- 19 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
citoyens. Où se place alors la réelle différence entre les deux termes ? Le flou existant dans les
définitions, les contours, la représentativité et les champs d’actions crée des tensions dans le
secteur, et je pense que cela est néfaste à leur développement en tant qu’entité unique.
Le point de tension principal semble être aujourd’hui la question du projet de société, des
visions plurielles et des alliances. L’économie sociale cherche à résister à la marchandisation
de la société, mais on peut parfois douter d’un authentique et collectif projet de société
radicalement différent du libéralisme économique. Pour preuve, la polémique autour de
l’entrée en bourse du Crédit agricole ou des difficultés sur la situation actuelle des mutuelles
qui doivent nuancer le principe de solidarité (nous remarquerons que confronter les valeurs à
la réalité du marché n’est pas toujours facile à surmonter pour l’économie sociale).
D’ailleurs, en 2002, le Medef a attaqué vigoureusement l’économie sociale :
« Le principe d’unicité du marché dans lequel interviennent des acteurs multiples, principe
fondamental des pays développés et la définition de l’entreprise en droit communautaire,
plaident pour la suppression de la distinction entre une économie marchande et une
économie dite « sociale » dont les comportements se sont fortement éloignés des principes
fondateurs pour intégrer ceux de l’économie concurrentielle. Les rapprochements récents et
ceux en cours entre des acteurs majeurs de l’industrie coopérative ou de la mutualité avec
des acteurs majeurs du secteur concurrentiel montrent bien que les limites du système sont
atteintes ».1
La Fédération nationale de la mutualité française (FNMF) a riposté à cette attaque, et les
tensions restent toujours présentes.
L’économie solidaire, quant à elle, a un projet plus défini car elle cherche un réel renouveau
de l’économie dans ses rapports avec le social et le sociétal, un renouveau de la démocratie et
de la vie politique, un renouveau du syndicalisme et de la citoyenneté (autour du slogan :
« un autre monde est possible »).
En effet, parler d’économie sociale et solidaire permet tout de même de relativiser cette
opposition de concepts français qui n’ont qu’un faible retentissement à l’échelle européenne
ou mondiale. Car ce concept d’ESS est propre à la France, il faut préciser qu’ailleurs, on parle
1 Source : « Marché unique, acteurs pluriels : pour de nouvelles règles du jeu », Medef, juillet 2002
- 20 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Il semble alors pertinent de regrouper ces notions autour d’une définition de l’ESS proclamée
lors de la 2ème Rencontre internationale sur la globalisation de la solidarité (Québec, octobre
2001) :
1 Source : Patrick Loquet, L’économie sociale et solidaire au service d’un projet de territoire, dossier d’experts – la
lettre du cadre territorial, janvier 2004.
- 21 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Comme nous avons pu le pressentir dans cet historique, le regroupement est né autour d’un
projet politique commun formulé dès le XIXe siècle pour répondre aux conséquences
néfastes du capitalisme industriel. Dès l’émergence, le projet était de placer l’homme au
cœur de l’économie et non à son service. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les pionniers
cherchaient à promouvoir une conception économique intégrant les dimensions volontaires,
collectives et solidaires de l’activité économique.
En 1900, Charles Gide définissait alors l’économie sociale comme « une organisation efficace
et collective, utile au bonheur des hommes ».1
Le développement du secteur s’est accentué à la fin du XXe siècle, afin de répondre à
plusieurs objectifs, centrés autour des notions de modernité, d’innovation et de
développement durable.
Mais posons-nous une question simple : pourquoi encourager le développement des
entreprises de l’ESS ? Est-ce indispensable ?
1 Source : Virginie Seghers – Sylvain Allemand, L’audace des entrepreneurs sociaux, Editions Autrement, 2007
- 22 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
On remarque dans ces pistes de réponse que la volonté principale reste de trouver une
alternative qui puisse concilier efficacité économique et utilité sociale, tout en
étant rentable.
- 23 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
On peut également analyser les champs d’activités de l’ESS par une approche sectorielle sous
forme de tableau1 :
L’économie sociale et solidaire est donc investie dans la quasi-totalité des champs d’activité
et ses incidences dans le paysage économique et social français sont loin d’être négligeables.
Son poids, bien qu’il soit inégalement réparti selon les secteurs, fait d’elle un acteur
durablement implanté dans l’espace socio-économique.
2.1.1 En Europe
1 Source : Thierry Jeantet, Economie sociale, la solidarité au défi de l’efficacité, la documentation française,
janvier 2006
- 24 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
structures de l’Économie Sociale ont un rôle très important dans la vie économique et sociale
en Europe.1
C’est donc une instance de concertation, de propositions et de représentation des différents
groupements européens des familles de l’Economie Sociale.
Elle regroupe notamment les organisations suivantes : l’Association des coopératives et
mutuelles d’assurance européennes (ACME) ; l’Association internationale de la mutualité
(AMI) ; le Comité de coordination des associations coopératives européennes (CCAE) ; le
Comité européen des associations d’intérêt général (CEDAG) ; le Centre européen des
fondations (EFC) ; l’Alliance coopérative internationale (ACI) / Plate-forme européenne ; la
Confédération européenne des coopératives de production et de travail associé, des
coopératives sociales et des entreprises participatives (CECOP) ; l’Euro Coop (Communauté
européenne des coopératives de consommateurs) ; le Groupement européen des banques
coopératives (GEBC) ; le pôle européen des fondations d’économie sociale ; le Comité
européen de coordination de l’habitat social (CECODHAS) ; le Comité général de la
coopération agricole de l’Union européenne (COGECA).
2.1.2 En France
La représentation nationale :
1 Source : www.cepcmaf.org
2 Source : www.cncres.org
- 25 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
La représentation syndicale :
L’Union des Fédérations et syndicats nationaux d’employeurs sans but lucratif du secteur
sanitaire, médico-social et social (UNIFED)
Elle été créée en 1993 pour regrouper la FEHAP, la FNCLCC, la SNAPEI, le SNASEA et le
SOP, c'est-à-dire des organisations d’employeurs du secteur sanitaire, médico-social et social
privé à but non lucratif.
- 26 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
1 L’annexe 1 du livre de Thierry Jeantet, Economie sociale, la solidarité au défi de l’efficacité, la Documentation
française, janvier 2006, nous donne une aide sur ce panorama grâce à un guide des fédérations et instances de
représentation françaises.
2 Pour plus d’informations : cf préambule.
3 www.entreprises.coop
- 27 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Pour y voir un peu plus clair, il est intéressant de visualiser par un schéma la représentation
de l’économie sociale française1 :
1 Source : Thierry Jeantet, Economie sociale, la solidarité au défi de l’efficacité, la Documentation française,
janvier 2006
- 28 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
locale de l’épargne solidaire (Cigales), le Comité national de liaison des régies de quartiers,
Artisans du monde … 1
La DIIEES et la CEGES observent que presque tous les foyers sont en contact avec l’économie
sociale et solidaire. Ce secteur est en pleine expansion et représente en France4 :
11 % du PIB.
12 % de l’emploi avec près de 2 millions de salariés et environ 1
million équivalent temps plein au titre du bénévolat et du volontariat.
- 29 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Les entreprises de l’ESS sont identifiables notamment par leurs statuts, mais leur
mouvement économique et social unifié est encore peu visible aujourd’hui. Il
faudrait accentuer le rapprochement entre les différentes familles du secteur pour que
prenne place un meilleur dialogue avec les autres acteurs économiques.
Ce manque d’unification semble accentué par le manque de conscience d’appartenance
au secteur3. C’est le cas de beaucoup d’associations qui oeuvrent en économie sociale et
solidaire sans même le savoir.
De plus, les statuts de l’économie sociale sont parfois « encombrants »4.
En effet, ils permettent d’affirmer des valeurs, mais ils peuvent aussi freiner son
développement. La plupart des associations voit leur enveloppe publique financière
diminuer, et doit face à de multiples évolutions financières. Les sociétés coopératives sont
elles aussi freinées dans leurs ambitions par la structure du capital. Beaucoup d’entreprises
doivent limiter leur taille. Il est impossible d’acquérir par échanges d’actions ou de
concevoir une fusion, puisque la société n’est en théorie pas cessible. En général, une
entreprise doit compter sur ses fonds propres pour se développer. Or, ils sont souvent limités
au départ, lors de l’apport des sociétaires, ce qui rend les investissements difficiles. On
ne peut critiquer l’attachement des entreprises de l’économie sociale à leurs statuts, mais il
faut avouer qu’ils ont du mal à s’adapter à un marché en mouvement. La création de la
Société Coopérative d’Intérêt Collective (SCIC) fait figure d’exception. De plus, et nous le
verrons dans les parties suivantes, l’entrepreneuriat social s’inscrit en quasi-totalité dans
la sphère de l’ESS, mais certains puristes en économie sociale, très attachée à leurs statuts
1 Enquête nationale auprès des fondations, observatoire de la Fondation de France, mars 2006
2 Selon le Ministère du Travail, fin 2003
3 D’après Virginie Mangeot, chargée de mission à la CRES Nord – Pas-de-Calais
4 Source : Virginie Robert, L’irrésistible montée de l’économie sociale – un projet, une culture, des valeurs,
- 30 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
(contrairement à l’économie solidaire), ont du mal à accepter ces entrepreneurs sociaux qui
ne choisissent pas toujours de se développer sous un de leurs quatre statuts. Cela démontre
une difficulté à évoluer en dépit de l’évolution de la société.
Malgré son poids économique essentiel, l’ESS traverse une crise identitaire, car elle est
écartelée « entre valeurs et logique de marché »1. Elle doit affronter la concurrence et
répondre à des appels d’offres tout en souffrant d’un manque de reconnaissance.
Le secteur souffre aussi d’une faible notoriété. Peu connue, l’ESS est alors peu enseignée,
même dans les grandes écoles (HEC et ESSEC l’enseignent depuis peu). Ce déficit de
notoriété a pour conséquence un affaiblissement de ses contours. On peut espérer
que, par exemple, la notion d’entrepreneuriat social contribuera à son renouvellement. De
plus, la qualité des cadres peut être inégale, notamment à cause de salaires plus faibles que
dans le secteur capitaliste. Il faut espérer que la nouvelle génération entraînera, par l’arrivée
de cadres plus jeunes, moins « de réflexes de caste » (beaucoup de chapelles protègent leurs
positions et intérêts stratégiques)2. Pour attirer de nouvelles personnalités, notons
l’originalité du « prix de l’étudiant entrepreneur de l’économie sociale » qui a été créé par la
Mutuelle des étudiants, l’Unef et l’Asfondes.
Aujourd’hui, plus qu’hier, les entreprises de l’ESS sont amenées à défendre ensemble les
principes communs qui les fondent. En effet, on observe un déferlement de l’ultralibéralisme,
une banalisation et une uniformisation dans un contexte de mondialisation accrue, qui
entraîne une négligence et une indifférence sur les différentes formes d’entreprendre. Le
secteur est donc menacé dans son existence même, et doit affronter également des
problèmes de possibilité de regroupement, de financement et de fiscalité.
De plus, le secteur de l’ESS est rattaché à 3 ministères différents. Cela n’est pas
encourageant car on peut craindre un état d’inertie, de lenteur des décisions, de
1Source : « L’économie sociale, entre valeurs et logique de marché », titre d’un article du Monde, 3 octobre 2006
2D’après Virginie Robert, L’irrésistible montée de l’économie sociale – un projet, une culture, des valeurs,
Editions Autrement, 2007
- 31 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
faible cohérence ou pire encore de marginalisation de l’ESS. Le risque est aussi que
l’ESS ne trouve pas clairement sa place, alors que c’est une économie forte de 2 millions de
salariés.
Enfin, la représentativité syndicale du secteur est en progression et des efforts sont faits
pour que les employeurs de l’ESS puissent être représentés. L’USGERES agit pour cette
reconnaissance d’un mouvement d’employeurs propre à l’économie sociale, mais il faut
encore du travail pour qu’elle soit reconnue comme un partenaire social à part entière.
Il faudrait donc structurer rapidement le paysage du secteur et reconnaître la représentativité
des syndicats afin que ceux-ci puissent accéder à la table des négociations nationales
interprofessionnelles.
1 Source : Virginie Robert, L’irrésistible montée de l’économie sociale – un projet, une culture, des valeurs,
Editions Autrement, 2007
2 Selon le rapport du conseil supérieur de la coopération, Le mouvement coopératif en France et dans l’Union
- 32 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
après la chute du mur de Berlin est à l’origine de cette situation. De plus, le manque de
capitaux disponibles au cours de la période de transition et l’absence, dans plusieurs pays, de
cadre législatif et fiscal adapté constitue un caractère aggravant.
- 33 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
De plus, pour favoriser le développement de l’ESS dans les pays de l’est, l’accent est mis sur
les opportunités offertes par l’élargissement de l’Union européenne et notamment sur la
coopération entre l’ESS de l’Ouest et celle de l’Est. Par exemple, après Prague en 2002, c’est à
Cracovie que s’est tenue la Conférence européenne de l’économie sociale en 2004. Parmi les
résolutions votées à cette occasion, un fonds de développement de l’économie sociale (Coop
Est) a été créé.1
Enfin, plusieurs initiatives ont déjà été développées avec des entreprises d’économie sociale
françaises dans ces pays : les initiatives du groupe Chèque-Déjeuner, des coopératives
agricoles, des banques coopératives, d’EURESA et des travaux de l’Institut de coopération
sociale internationale.
1 Source : Thierry Jeantet, Economie sociale, la solidarité au défi de l’efficacité, la Documentation française,
janvier 2006
2 Cf Annexe : MCC en Espagne
- 34 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Depuis 1991, l’Italie développe les coopératives sociales qui bénéficient d’avantages fiscaux
permanents si elles embauchent des personnes défavorisées (les handicapées, les
toxicomanes, les alcooliques, les personnes en traitement psychiatrique, les mineurs en âge
de travailler et venant de situations familiales difficiles, les condamnés ayant accès aux
mesures alternatives à la détention).
Ces coopératives ont droit à des exonérations de charges fiscales et peuvent associer au
pouvoir de décision les bénévoles, les salariés et les usagers. Une convention collective signée
par les grandes autorités syndicales italiennes règlemente le statut des travailleurs.
Elles sont souvent de petite taille et s’organisent en consortium pour garantir leur pérennité
et leur développement.
1. Contexte régional2
Terre fortement marquée par son passé industriel, empreinte de culture ouvrière et
syndicale, la région Nord – Pas-de-Calais a toujours été le vivier de nombreuses initiatives
militantes, en réponse aux besoins sociaux, aux urgences sociales qui se sont exprimées au
cours de son développement et de ses mutations successives.
Des coopératives du début du XXe siècle au développement de l’éducation populaire, de la
mutualité puis du secteur de l’insertion par l’activité économique à partir des années 1980, le
secteur de ce qui sera regroupé sous le terme générique d’économie sociale et solidaire, s’est
constamment mobilisé de manière innovante et solidaire au nom de l’utilité sociale.
Forte de cet héritage, l’ESS en Nord – Pas-de-Calais est encore aujourd’hui une composante
majeure du paysage économique et social à la pointe de l’innovation dans les domaines tels
que les services aux personnes, le sport, les outils de financement solidaire et région
privilégiée d’expérimentation de dispositifs à vocation nationale.
1 Source : Borzaga Carlo, Revue des études coopératives mutualistes et associatives, n°258, 1995
2 Source : INSEE, dossier Profil n° 177
- 35 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
L’histoire récente de l’économie sociale et solidaire en Nord – Pas-de-Calais s’est écrite dans
la continuité de cette tradition d’innovation et de cette volonté d’apporter des réponses
nouvelles aux problèmes sociaux auxquels était confronté notre région.
Nombre d’entre elles après avoir pris naissance sur notre territoire, se sont généralisé sur
l’ensemble du territoire national, voire au-delà.
Nous citerons à titre d’exemple sur les 30 dernières années :
La création du concept de « Boutique de Gestion » à la gin des années 1970, concept qui
parti de Lille, se développera bientôt sur l’ensemble du territoire et donnera dès 1981
naissance au réseau des boutiques de gestion, un réseau fort aujourd’hui de plus de 400
implantations locales qui sont à l’origine de la création de près de 120 000 entreprises et de
plus de 160 000 emplois.
En 1990, la ville de Lille élabore le premier Plan Local pour l’Insertion et l’Emploi qui
s’adresse aux lillois en difficulté d’accès au marché du travail, à qualification élevée ou
inadaptée et qui manifestent une volonté et / ou une capacité à s’engager dans un parcours
d’insertion professionnelle durable. Le PLIE de Dunkerque le suivra rapidement, puis cette
initiative se multipliera sur tout le territoire national.
1Source : Gérard Delfosse, L’économie sociale en Nord Pas-de-Calais – Diagnostic et perspectives, document
CRES, juin 2007
- 36 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Citons encore les premières « Couveuses d’entreprise à l’essai », l’accord conclu entre la
MACIF, l’URSCOP et les entreprises d’insertion sur les marchés de prestations mutuelles, et
tout dernièrement la création d’ALTERNA, coopérative d’activité et d’emploi spécialisée
dans les activités de services à la personne.
- 37 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Décomposition régionale1 :
1
Source : INSEE, dossier Profil n° 177
2 Cf Annexe : Cartographie en France
- 38 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
La densité de structures relevant de l’économie sociale et solidaire est plus élevée dans le Pas-
de-Calais. Même si deux tiers des établissements de la région sont implantés dans le
département du Nord, lorsque le nombre d’organismes est rapporté à la population, les zones
rurales, majoritaires dans le Pas-de-Calais, se distinguent.
Dans le département du Nord, la communauté urbaine de la métropole lilloise se démarque
des autres agglomérations : elle affiche en effet, une densité relativement importante
d’établissements par habitants.
En revanche, les établissements de l’économie sociale et solidaire sont moins présents dans le
bassin minier. La prise en compte dans le passé des besoins des mineurs et de l’organisation
de la vie sociale par la collectivité et les houillères pourrait être une raison de cette moindre
implantation de l’ESS (on retrouve le même constat pour les secteurs de l’artisanat et des
PME).
Les communautés de communes de la région de Maubeuge ou de Dunkerque sont également
moins bien pourvues en structures d’économie sociale. Ce constat est cependant à relativiser
dans la mesure où il ne tient pas compte du nombre d’adhérents ou de sociétaires. En milieu
urbain, moins de structures peut malgré tout concerner un plus grand nombre de personnes.
1
Ces données sont extraites du répertoire SIRENE et doivent être regardées avec des réserves. En effet,
l’inscription au répertoire SIRENE n’est pas obligatoire pour les associations. Seules les associations ayant des
salariés ou soumises à des obligations fiscales, réglementaires ou déclaratives y sont tenues. De plus, depuis la
circulaire du 24/12/2002, cette inscription est devenue obligatoire pour toute association sollicitant des
subventions publiques. Pour ces raisons, les nouvelles inscriptions ne correspondent donc pas toujours à la
création de nouvelles structures.
- 39 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
L’analyse de l’INSEE précise que sur l’ensemble des établissements, 6 sur 10 n’emploie aucun
salarié. Mais c’est tout de même un secteur non négligeable de l’activité régionale car on
comptabilise 8% de l’ensemble des salariés de la région en ESS. Sur les 9 400 établissements
employeurs (souvent de petites tailles), un tiers déclare plus de 5 salariés. Notons que 83%
des mutuelles emploient des salariés, à l’inverse des associations qui affichent une part
modeste de 40% d’établissements employeurs. Le temps partiel est plus répandu, et la
proportion des femmes et des seniors dans l’ESS sont plus élevés que dans le reste de
l’économie (56% de femmes contre 39%, 26% de seniors contre 23% dans le reste de
l’économie). Par contre la faiblesse ressort dans les emplois jeunes : 10% ont moins de 25ans
en ESS contre 15% dans l’ensemble. Enfin, les salaires sont très dispersés mais souvent plus
modestes : 38% des salariés de l’ESS gagnent moins de 11 100 euros alors que dans
l’ensemble de l’économie, cela ne concerne qu’un quart des salariés.
Comme nous l’avons vu avec l’étude menée par l’INSEE en 2004 en Nord – Pas-de-Calais, de
nombreux établissements entrent dans le champ de l’ESS. Certains acteurs représentent le
secteur au niveau régional, telles la CRES (économie sociale), l’APES (économie solidaire) ou
encore la CPCA (pour les associations). Un réseau dense s’implique pour représenter,
défendre, promouvoir, développer l’ESS en région, notamment en aidant les porteurs de
projets (entrepreneurs sociaux) ou les structures désireuses de se développer dans le secteur.
Afin de ne pas être trop descriptif, et par souci pratique, je joins à ce mémoire un répertoire
des principaux réseaux de l’ESS en Nord – Pas-de-Calais. J’ai choisi de sélectionner 75
structures « phares » qui oeuvrent pour ce développement, et qui sont présentent pour
guider au mieux les entrepreneurs sociaux de la région. Une fiche recto-verso décrit chaque
structure dans sa globalité (qui est-elle ? que défend-elle ? que fait-elle ? quels services et
formations propose t-elle ? qui soutient-elle ? par quels moyens ? etc, …), ce qui permet
d’avoir un panorama général de ce qui se réalise concrètement au sein de notre région
dynamique.
1 Cf document de travail annexe au mémoire : Laëtitia Lamarcq, Répertoire des réseaux de l’économie sociale et
- 40 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
C’est parce que l’économie sociale et solidaire représente un poids significatif dans
l’économie régionale et qu’elle revendique une reconnaissance à la hauteur de l’importance
des enjeux qu’elle porte, que le Conseil régional Nord Pas-de-Calais a pris l’initiative
d’organiser une démarche pour mettre en place un plan régional de développement de
l’économie sociale et solidaire (PRDESS).
Le PRDESS a été élaboré grâce à la collaboration établie entre les partenaires suivants : la
Région Nord Pas-de-Calais, le Département du Pas-de-Calais, le Département du Nord, la
Caisse des dépôts et consignations, l’Etat, la Chambre régionale de l’économie sociale et
l’Assemblée permanente de l’économie solidaire.
1 Source : Convention cadre du PRDESS, 22 décembre 2003, par la DAE du Conseil régional NPdC
- 41 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Forces Faiblesses
- Poids significatif de l’ESS en région, supérieur à - C’est davantage un programme qu’un plan. Pas
la moyenne nationale, avec un tissu associatif d’état des lieux précis, juste une volonté des
dense, une politique emploi jeune dynamique partenaires.
- Volonté forte : objectifs communs et une envie - Les moyens financiers (diminution car
de nombreux partenaires d’œuvrer dans le même désengagement de l’Etat) et humains (un seul
sens. Les principes qui sont formulés sont poste en charge à la région au lieu de 4 prévus)
souvent unanimes sont insuffisants
- Imprégnation des valeurs de l’ESS, un secteur - Les difficultés et la longueur de mise en œuvre
en croissance et qui peut compter sur des élus entraînent un mauvais fonctionnement, et une
cherchant à développer le dynamisme local ESS faible mobilisation des ressources dans la durée
- Contexte politique favorable lors l’élaboration - On notera beaucoup d’effets d’annonce par
du PRDESS (accords avec les verts etc.) rapport aux résultats escomptés
- Résultats : le PRDESS a fait émerger quelques - Déficit d’ingénierie dans les territoires. Il n’y a
plans locaux qui sont entrés ou s’apprêtent à pas assez de personnes compétentes pour mettre
entrer en phase opérationnelle : Ville de Lille, en œuvre le PRDESS.
Ville de Villeneuve d’Ascq, Lille Métropole - Problème d’animation, peu de pilotes, beaucoup
Communauté urbaine, Communauté de de rotations chez les chargés de missions qui
communes « Cœur d’Ostrevent », Pays « Cœur de créent un manque d’unicité de cohérence dans la
Flandre » … d’autres sont encore en phase de mise en œuvre
construction.
Opportunités Menaces
- 42 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Nous l’aurons compris, l’économie sociale et solidaire, présente depuis plus d’un siècle dans
le paysage économique français, et ancrée de manière significative dans la région, est un
vivier très actif où de nouvelles structures naissent régulièrement. Des hommes et des
femmes s’emploient chaque jour à entreprendre autrement. Par delà leurs particularités, ce
sont tous, à leur façon, des entrepreneurs sociaux, même si certains ignorent cette
appellation (nous détaillerons ce concept en partie II).
Nous sommes amenés à nous poser cette question :
Qu’existe-t-il en terme de programmes ou d’outils pour favoriser l’ESS et son « entreprendre
autrement » dans la région Nord – Pas-de-Calais ?
Nous l’avons vu précédemment, l’outil principal en région est le PRDESS. Nous avons
exposés ses apports et ses limites.
Au niveau local, le plus grand succès est le PLDESS lillois, plus connu sous le nom de
LeaLille. Le 25 juin 2007, le conseil municipal a d’ailleurs voté le deuxième plan lillois de
l’économie sociale et solidaire : LeaLille 2.1
Adopté en 2002, le premier plan visait à financer des entrepreneurs engagés dans une autre
forme de production et de commerce favorable au plus grand nombre et incluant le principe
du développement durable. Ce fut une réussite. Lille Plus avance que « selon une étude, il
aurait permis le développement de l’emploi à hauteur de 33% dans les structures lilloises qui
ont été sondées ». Christiane Bouchart, adjointe au maire de Lille et déléguée à l’économie
solidaire, annonce que « le premier plan a été une phase de formation, le second sera une
phase d’éclosion […] On a réussi à être considéré comme une économie à part entière et non
plus comme mouvance militante ».
Ce deuxième plan adopté jusqu’en 2010, s’est vu alloué un budget d’un million deux cent
mille euros, notamment pour soutenir les projets émergents et devrait permettre de
développer l’ancrage de l’économie solidaire dans les quartiers et mieux former la population.
De plus, il vise à accroître et améliorer l’offre dans la métropole. Pierre de Saintignon,
premier adjoint au maire de Lille, revendique que « les entreprises issues de l’économie
solidaire sont fortement génératrices d’emplois et plus solides, car l’accompagnement est la
règle dans ce secteur ».
Sous la forme d’une plate-forme d’informations en ligne, le site de Liberté d’Entreprendre
Autrement2 soutient les appels à projets, informe sur le plan et les sites ressources, présente
1 Cf Annexe : revue de presse - Métro : « l’économie solidaire s’implante en ville », mardi 26 juin 2007
2 www.lealille.org
- 43 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
les actions innovantes, les rencontres et donne un aiguillage aux entrepreneurs sociaux de la
région. Il présente notamment un réseau solidaire de l’accompagnement de projet, mais qui
n’est pas exhaustif et qui n’informe pas suffisamment le porteur de projet. LeaLille est
surtout une vitrine de présentation des acteurs régionaux, acteurs du PLDESS.
Cet exercice n’est pas évident. Nous l’avons vu précédemment, peu d’outils régionaux existent
pour guider les entrepreneurs sociaux dans leurs démarches. Pourtant, tous ces acteurs
agissent localement, et bâtissent pour commencer, une petite structure, le plus souvent une
association. En plus du site Internet de LeaLille et du site Jecrée très généraliste, de
nombreuses structures d’accueil existent, mais sont-elles connues ? Les entrepreneurs
sociaux peuvent se sentir perdus sur la démarche à suivre de l’émergence de leur projet à sa
pérennisation. Ils ont besoins de conseils, d’orientations, d’accompagnement, de formations,
de financements spécifiques pour concrétiser leur projet, leur association ou toute autre
structure.
Au niveau national, des guides existent, publiés par l’AVISE et qui répondent aux besoins
ciblés de ces entrepreneurs (nous détaillerons son contenu et ses apports en partie III). Mais
au niveau régional, rien n’est encore développé.
1 www.jecree.fr
- 44 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Pour clôturer cette première partie, nous pouvons rappeler que l’économie sociale et solidaire
est un secteur riche de milliers d’organisations sur le terrain, qui apportent, non seulement
un lien avec les plus démunis, mais également une force de proposition et d’innovation. Leur
pratique du terrain et leur goût de l’expérimentation en font des partenaires majeurs de la
lutte contre le chômage, la précarité, la pauvreté, la solidarité internationale. Ancré dans
l’économie de marché, ce modèle est original et revendique le droit à la pluralité dans une
économie mondialisée.
Mais l’ESS doit résoudre de nombreuses problématiques afin de renverser ses limites en
enjeux. Il faut qu’elle apprenne à utiliser ses forces. Nous l’avons vu, une entreprise peut
développer une activité économique sans avoir pour seul objectif le profit. Cela ne relève plus
du domaine de l’utopie. Entreprendre autrement est un message à faire connaître, car il
concerne d’hors et déjà de nombreux entrepreneurs sociaux qui mettent leur volonté
d’innover au service de besoins sociaux que le marché et l’Etat ne savent ni couvrir ni parfois
même anticiper.
Après avoir exposé l’Economie sociale et solidaire, champ d’intervention des entrepreneurs
sociaux, je vais m’attacher, dans une seconde partie, à expliquer ce qui ne manque pas de
surprendre et d’intriguer : cette réelle volonté d’agir autrement.
- 45 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
PARTIE 2.
Un entrepreneuriat spécifique :
Une volonté d’agir autrement
En guise de première approche, je souhaitais reprendre une anecdote d’Henry Dougier. C’est
une histoire qui, malgré sa modestie, me semble représentative d’une démarche à la fois
entrepreneuriale et sociale.
« Octobre 1979. Lille. Quatrième réunion annuelle des Ateliers d’octobre, organisés chaque
année dans une ville d’accueil (après Chambéry, Carcassonne, La Rochelle…) par la revue
Autrement, elle-même créée début 1975. Cent à cent-cinquante porteurs de projets sociaux et
culturels, venus de toute la France, se rencontrent et se confrontent durant deux jours au sein
d’une douzaine d’ateliers thématiques centrés sur des questions chaudes – délinquance,
handicap, école, santé, urbanisme, prison, hôpital … - et sur la façon novatrice de les aborder
par le biais de projets expérimentaux, indépendants et obligatoirement marginaux.
Travailleurs sociaux en majorité, ces entrepreneurs potentiels, « alternatifs », récusent l’Etat
providence dont ils dépendent, sa lourdeur administrative et son centralisme, et rêvent
1 Anecdote reprise de l’avant-propos du livre de Virginie Seghers et Sylvain Allemand, L’audace des entrepreneurs
- 46 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
d’autonomie. Mais comment faire ? Le modèle capitaliste leur fait horreur, l’entreprise
traditionnelle leur paraît un antimodèle. Restent peut-être la formule associative et les
formes juridiques coopératives de l’économie sociale … On parle alors du « tiers-secteur »
cher à Michel Rocard et à Jacques Delors.
Ce qui me frappe dans leurs discours, c’est leur totale méconnaissance de l’entreprise, de son
fonctionnement, de ses outils, de sa culture ; des relations à établir avec les banques, avec le
marché. Créer une école parallèle, un système d’aide à domicile pour les vieux, un réseau de
covoiturage, des outils d’enseignement pour les détenus, des animations pour les enfants
hospitalisés, des modes de transport non polluants, des équipements scolaires, une
agriculture biologique, etc., tout cela exige autre chose que de l’énergie et de la
bonne volonté : de réelles connaissances managériales.
D’où l’idée qui me vient spontanément ce jour-là, à Lille, inspirée par mes souvenirs
d’étudiant à l’Essec et à l’Insead :pourquoi ne pas créer pour eux des lieux de consultation
gratuits en matière de gestion et de management, animés par un salarié et par un réseau
d’experts bénévoles. Apprendre à lire un bilan, à faire un compte d’exploitation prévisionnel,
un plan marketing, acquérir quelques outils de base pour dialoguer avec les interlocuteurs
habituels, c’est un minimum pour réduire le nombre de tentatives avortées, les échecs au
démarrage qui provoquent frustration, colère et découragement. Mettre l’économie et ses
méthodes au service du social.
Sur le modèle des Boutiques de science, Boutiques de santé, et Boutiques de droit
(d’inspiration californienne), qui ont essaimé en France après 1968 pour développer une
vraie démocratie participative (déjà) et mieux armer les citoyens à confronter experts et
décideurs, je propose la création de Boutiques de gestion, sous forme associative, ouvertes à
tout porteur de projet. L’Express du 14 décembre 1979 titrera : « L’initiative de la revue
Autrement : aider les patrons marginaux négligés par les circuits
traditionnels ! »
L’idée sera très rapidement soutenue par la délégation à l’Emploi (Alain de Romefort), et
surtout par le Fonds social européen. Ouvriront dans la foulée la Boutique de gestion de Lille
(Henri Le Marois), puis celle de Paris, dans les locaux d’Autrement (Danielle Desguées est
recrutée en 1980 comme animatrice), avant beaucoup d’autres qui se regrouperont au sein
d’un réseau. Plusieurs dizaines de « boutiques » seront ainsi créées entre 1980 et 1990 avec le
soutient de l’Etat.
Ces structures se sont fortement développées depuis cette date et occupent une place visible
dans les dispositifs actuels d’aide à l’emploi et à la création d’entreprises. On parle
aujourd’hui de véritables « pépinières », de « couveuses ». Preuve que le concept d’origine
était porteur et durable. »
- 47 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Tous ceux qui s’emploient à entreprendre autrement, en conciliant leur activité économique
avec une finalité sociale, des préoccupations éthiques, ou en impliquant leurs salariés à la
prise de décision sont tous à leur façon des entrepreneurs sociaux, sans même le savoir.
Certains s’inscrivent dans le champ de l’économie sociale et solidaire, d’autres encore ont une
approche purement commerciale au travers de sociétés de capitaux, mais avec une
motivation sociale au cœur de leur projet. Si elle renvoie à des réalités anciennes, l’expression
d’entrepreneur social n’en est pas moins récente. Il est vrai que Jean-Baptiste Say ou Joseph
Schumpeter ont souligné à leur époque le rôle de l’entrepreneur et de l’innovation dans la
dynamique du capitalisme. Mais aucun n’a évoqué l’innovation à caractère social ni
l’existence d’entrepreneurs sociaux. D’ailleurs, cette notion n’est toujours pas théorisée.
Il faut avouer que la vision de l’entrepreneur social est souvent celle d’un héros capable de
changements sociaux à grande échelle. C’est pour cela qu’Ashoka met la barre très haut
quand elle cite parmi ses exemples historiques4 :
Vinoba Bhave : fondateur du Land Gift Movement, en Inde, qui permit une
vaste redistribution de terres aux intouchables et aux démunis ;
- 48 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
L’entrepreneuriat social fait son apparition et une percée en Europe au début des années
1990 au cœur même de l’économie sociale, sous une impulsion d’abord italienne. La tradition
et la reconnaissance d’une économie sociale puis d’une économie solidaire, l’intérêt pour
toutes les formes d’entreprises sortant des schémas classiques pour relever les défis
contemporains ne pouvaient que favoriser l’adoption progressive de la notion
d’entrepreneuriat social. Ainsi, en 1991, l’Italie crée un statut spécifique de
« coopératives sociales » qui se développent alors fortement, notamment pour répondre à
des besoins non ou mal satisfaits par les services publics. En 1995, la Belgique crée la
« société à finalité sociale » (SFS) ; en 1999, le Portugal se dote d’un statut de « coopérative
sociale à responsabilité limitée ».
L’essor des entreprises sociales est tel, dans un foisonnement de statuts divers, qu’un
réseau européen de chercheurs se constitue en 1996 : l’Emes (Emergence des
entreprises sociales en Europe). Il rassemble aujourd’hui neuf centres de recherche et
élabore, dans l’UE, une approche commune de l’entreprise sociale. Mais c’est au début des
années 2000 que la notion prend vraiment son envol, notamment en Grande Bretagne et en
France. En 2002, le gouvernement de Tony Blair lance une Social Enterprise
Coalition (SEC) afin de promouvoir ce type d’entreprises dans tout le pays. Et c’est le
secrétaire d’Etat au Commerce et à l’Industrie, et non telle administration sociale, qui en a la
charge, ce qui est suffisamment rare pour être souligné.2
En France, c’est en 2002 l’ESSEC qui marque la différence en lançant la première chaire
« entrepreneuriat social », immédiatement soutenue par la Caisse des dépôts, la Macif et
1
Source : Interdependance, n°58 « l’entrepreneuriat social, un concept original » (article de presse disponible en
annexe)
2
Source : Virgine Seghers et Sylvain Allemand, L’audace des entrepreneurs sociaux, Editions Autrement, 2007
- 49 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
la Fondation de France, trois acteurs qui contribuent à structurer la notion. Hugues Sibille,
alors à la Caisse des dépôts, crée un « pôle entrepreneurs sociaux » et contribue
étroitement à la naissance d’Avise (Agence de valorisation des initiatives socio-
économiques), qui réunit de nombreux acteurs1 et lance en 2006 une étude nationale sur
l’entrepreneuriat social2, alors que la fondation Macif s’intéresse de près à toutes les
initiatives qui promeuvent l’économie sociale. Quant à la Fondation de France, elle
soutient depuis longtemps des porteurs de projet qui lient étroitement les dimensions
économique et sociale. Elle les qualifie désormais d’entrepreneurs sociaux. Le concept est
ainsi lancé et en 2004, le réseau Entreprendre, qui réunit plus de 2 500 chefs
d’entreprise, lance un pôle « Entreprendre autrement » destiné à accompagner des
entrepreneurs sociaux. Puis en 2005, le Salon des entrepreneurs, au Palais des congrès à
Paris, se lance dans un débat sur les entrepreneurs sociaux.3 HEC lance quant à elle, en
2006, une majeure nommée « Management alter » (plus de détails en partie III)
Ces nouvelles dynamiques entrepreneuriales à finalité sociale ont donc émergé dans de
nombreux pays européens. D’une intensité variable et de natures différentes, elles partage
néanmoins certains traits4 : création de nouveaux statuts (Italie, Belgique, Finlande,
France…), mobilisation des pouvoirs publics (gouvernement au Royaume-Uni, région
Andalouse en Espagne…), apparition de nouveaux dispositifs (incubateurs, financements,
accompagnement par Ashoka …) et de nouveaux acteurs (comme la « Social Enterprise
Coalition » ou l’Avise en France, expliqués ci-dessus), développement de secteurs
dynamiques (environnement, insertion, services de proximité, commerce équitable…), intérêt
pour le sujet du système éducatif, des médias et d’institutions internationales comme
l’OCDE.
Ce concept n’est donc pas une énième « exception française » née dans la tête de quelques
militants sociaux, d’opposants à l’économie capitaliste ou de marxistes nostalgiques, mais
bien le fruit d’une réflexion de nombreux acteurs.
- 50 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
3. Florilège de définitions
Comme nous l’avons vu précédemment, la notion d’entrepreneur social n’est pas encore
théorisée. Ce qui fait qu’elle recouvre des réalités nombreuses et questionne autant le
capitalisme que l’économie sociale pour, peut être, contribuer à leur renouvellement.
Ce terme en construction est donc utilisé par différents acteurs, avec des significations
différentes.
« Les entrepreneurs sociaux sont des individus qui proposent des solutions
innovantes aux problèmes sociaux les plus cruciaux de notre société. Ils sont
ambitieux, persévérants, s’attaquent à des questions sociales majeures et
proposent des idées neuves capables de provoquer des changements à grande
échelle. »
(Ashoka)
- 51 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Au regard des définitions citées, j’ai essayé de synthétiser la notion sous des principes
communs qui puissent guider l’ensemble des entrepreneurs sociaux :
Mais je ne suis pas la seule à vouloir clarifier le flou existant derrière cette notion. Pour
preuves, des écoles, chercheurs, ouvrages spécialisés commencent à s’intéresser de près au
sujet. En complément, et souhaitant une démarche de réflexion, de propositions et
d’impulsion pour l’entrepreneuriat social, un regroupement d’une vingtaine d’acteurs est né
en France en 2006 sous un Collectif pour le Développement de l’Entrepreneuriat
Social (CODES). Présidé par Hugues Sibille, président CNIAE et président d’honneur
France Active, les membres du CODES sont des acteurs reconnus du développement de
l’entrepreneuriat social (entrepreneurs sociaux, accompagnateurs, institutionnels, financeurs
…). Ils sont convaincus du rôle essentiel des entrepreneurs sociaux et souhaitent éclairer le
débat en agissant ensemble afin de développer une approche partagée, donner des repères,
nourrir une dynamique collective, ouverte et offensive de cet entreprendre autrement.
1Source : La note du CODES, Pour une approche partagée de l’entrepreneuriat social et de son développement,
n°1 – janvier 2007
- 52 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Le CODES nous montre ensuite dans sa première note, qu’un projet entrepreneurial
déboucherait sur la création d’une entreprise sociale (et/ou solidaire) et
partagerait ces fondamentaux :
Selon leur champ d’activité, leur statut, leur histoire, leur sensibilité, leur localisation
géographique, les entrepreneurs sociaux se rassemblent en unions, réseaux, fédérations ou
groupements.
On peut retrouver des entrepreneurs qui luttent contre l’exclusion, des entrepreneurs
coopératifs, des entrepreneurs du commerce équitable etc.
Les entrepreneurs sociaux ont donc des parcours et profils très variés : cadres
d’entreprises privées, jeunes diplômés, militants syndicaux, anciens travailleurs sociaux,
demandeurs d’emplois, pré-retraités...
- 53 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Pour conclure, il n’existe pas une meilleure définition et il ne serait peut-être pas si
intéressant de figer cette notion d’entrepreneuriat social car cela l’empêcherait d’émerger
dans sa diversité.
S’il faut retenir un trait principal, ce serait : entreprendre autrement en apportant une
réponse innovante à un problème social majeur.
Le CODES a pris une bonne initiative en consacrant une partie de sa note à la clarification
entre d’une part le secteur de l’économie sociale et solidaire, et d’autre part, le mouvement
montant de l’entrepreneuriat social.
Le collectif est alors clair sur ce point : « la notion d’entrepreneuriat social ne vient
pas remplacer, concurrencer ou menacer celle de l’économie sociale ou
solidaire. Elle est au contraire une opportunité de développement pour le
secteur. »
- 54 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
De plus, l’entrepreneuriat social pourrait améliorer le dialogue avec les acteurs de l’économie
« classique » qui sont plus sensibles à l’imaginaire de l’entreprise et de l’entrepreneur.
Beaucoup s’interrogent par exemple sur l’efficacité sociale et écologique du « tout-
économique » ou du « tout-productiviste », et cela pourrait renforcer le débat.
C’est donc une porte qui s’ouvre sur l’enrichissement de la réflexion autour du tiers-secteur
en globalité : les sources de tension, les valeurs, statuts et pratiques ; la confrontation au
niveau international ; le renouveau du secteur associatif dans son rapport au marchand et à
l’utilité sociale …
On constate donc que l’enjeu et le débat aujourd’hui ne porte pas sur la question de choisir
un camp (économie sociale, économie solidaire, entrepreneuriat social …) et de le défendre
coûte que coûte contre « les autres », mais d’arriver à répondre aux besoins et aux attentes
d’un nombre croissant de citoyens à la recherche de sens et de pratiques alternatives, plus
humanistes. Et c’est en ça que le CODES travaille : rendre les alternatives plus visibles, plus
nombreuses et plus fortes.
- 55 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Depuis quelques années, cet entreprendre autrement suscite un regain d’intérêt tant pour les
créateurs d’entreprises potentiels que pour tous les autres acteurs économiques, publics,
médiatiques ou éducatifs. Cela est du en partie au fait qu’il contribue à créer des emplois, à
renforcer la cohésion sociale, à préserver l’environnement et plus globalement, à soutenir le
développement local.
L’Avise révèle notamment que, dans le cadre de son étude1, parmi les 134 répondants au
niveau national, la moitié affirme que l’entrepreneuriat social est une tendance lourde et en
essor et 2 répondants sur 3 pensent que l’entrepreneuriat social est de plus en plus reconnu
et qu’il dispose d’un bon potentiel de développement.
Comme nous le démontrons depuis le début de ce mémoire, l’ESS n’est pas un effet de mode
mais un mouvement de fond, « au carrefour des tendances durables » (au sens du CODES).
Le contexte économique et social rend, plus que jamais, d’actualité la question de
l’entrepreneuriat social. Son champ de développement n’a jamais été aussi important. Sur le
plan économique, le rythme de création d’entreprises s’accélère en France avec plus de
200 000 nouvelles entreprises par an. Les petites entreprises trouvent leur place : rappelons
que 93% des entreprises françaises ont moins de 10 salariés. De plus, la loi pour l’initiative
économique de 2003 a favorisé la création d’entreprises en simplifiant les démarches
administratives et en facilitant l’accès au financement.2
Sur le plan social, l’urgence est grande, surtout au niveau mondial. David Bornstein nous
explique en partie les raisons de la mobilisation d’entrepreneurs sociaux3. « Depuis
cinquante ans, la Terre a perdu un quart de ses sols et une tiers de sa couverture forestière.
Au rythme actuel de destruction, nous verrons disparaître de notre vivant 70% des récifs
coralliens, qui abritent 25% de la faune marine. Au cours des trente dernières années, un
tiers des ressources de la planète ont été épuisées. Un rapport du Conseil de renseignement
américain prévoit que sur les douze années à venir nous assisterons à une forte dégradation
des terres arables, à une augmentation de gaz à effet de serre […] Plus de trois milliards
d’être humains vivront dans des pays privées de ressources en eau. Parallèlement d’ici à
2010, cinq pays compteront à eux seuls 50 à 75 millions de porteurs du VIH. »
1
Voir analyse complète en Annexe : Avise, Etude sur l’entrepreneuriat social – perception, potentiel, conditions
de son développement, actions à mener, octobre 2006
2
Source : Virginie Seghers et Sylvain Allemand, L’audace des entrepreneurs sociaux, Editions Autrement, 2007
3
Source : David Bornstein, Comment changer le monde – les entrepreneurs sociaux et le pouvoir des idées
nouvelles, Editions la Découverte, Paris, 2005
- 56 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Quand on sait aussi que la moitié la plus pauvre de la population mondiale ne touche que 5%
de l’ensemble des richesses produites, cela donne à réfléchir et à penser lorsque jour après
jour, on regarde à la télévision les grands gagnants de l’économie …
Des entrepreneurs sociaux ont alors décidé de ne pas attendre passivement que les Etats
résolvent les problèmes. Avec un esprit créatif, ils ont tourné le dos aux schémas établis, et
ont décidé d’inventer de nouvelles formes d’organisation afin de se mobiliser pour trouver
des solutions aux grands problèmes sociaux.
En France, on constate le même élan. Pays développé, on constatera que l’état des lieux n’est
pas plus glorieux. On compte 2,45 millions de chômeurs, 1,4 millions de RMIstes, près de
90 000 personnes sans domicile fixe1 et 7,4% demandeurs d’emploi handicapés.2 Preuve que
la production de richesses ne suffit pas. Le modèle social français est en crise, et sans
développer ce point (qui nécessiterait la rédaction d’un mémoire à lui seul), on compte certes
sur l’Etat pour redresser la situation, mais également sur des entrepreneurs sociaux qui ont
ici un rôle décisif à jouer, non seulement pour réparer les méfaits de la croissance, sans pour
autant y renoncer, mais surtout pour proposer une alternative constructive.
Nous le montrerons un peu plus tard par des exemples et témoignages concrets, les
entrepreneurs oeuvrant en ESS peuvent transformer des systèmes de protection sociale et
des formes de solidarité, peuvent répondre à des problèmes sociaux et écologiques
persistants voire aggravés, peuvent répondre à de nouvelles attentes de consommateurs
(éthique, écologie, solidarité, transparence …), peuvent donner du sens au travail chez les
jeunes diplômés comme chez les cadres expérimentés ou encore favoriser l’essor de l’envie
d’entreprendre.
7.2 Les entrepreneurs sociaux : une force de changement
à souligner
L’entrepreneur social contribue au changement car il crée une rupture en apportant des
solutions inédites. S’attaquant souvent plus aux causes qu’aux symptômes, il donne une
réponse originale, reproductible et durable à des problèmes de société, capable d’influer sur
les politiques publiques. Trois exemples emblématiques3 : le microcrédit, le commerce
équitable, le service volontaire civil. Ces trois inventions ont été portées par des
entrepreneurs sociaux et se sont progressivement imposées comme des innovations sociales
majeures. Ce ne sont pas des vedettes, mais des gens de terrain. Même Muhammed Yunus,
promoteur du microcrédit au Bangladesh, a œuvré plus de trente ans, à l’échelle locale, pour
1
Source : INSEE, octobre 2006
2
Source : ANPE
3
Source : Virginie Seghers et Sylvain Allemand, L’audace des entrepreneurs sociaux, Editions Autrement, 2007
- 57 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
aider les plus déshérités à obtenir des prêts afin de créer leur activité économique, avant
d’avoir cette reconnaissance avec le prix Nobel de la paix. Son modèle qui, contre toute
attente, s’est avéré rentable a essaimé aujourd’hui dans de nombre pays.1
J’ai souhaité illustrer par des deux cas concrets plus modestes, ou d’apparence moins
« exceptionnels » en quoi les entrepreneurs sociaux peuvent être acteurs et forces de
changement, même à leur niveau.
Beaucoup d’entrepreneurs cherchent aujourd’hui à surfer sur la « vague verte » qui déferle
sur la consommation et les modes de vie. Leurs activités continuent sur le même style de vie
actuel mais « en consommant moins de ressources, en produisant moins de déchets, ou au
moins en faisant semblant de faire cela ». Une des grandes différences avec l’entrepreneur
social est qu’il se concentre sur le changement de modes de vie avec de petits moyens mais de
grandes ambitions.
L’exemple que je vais prendre pour illustrer cette réalité est celui d’un américain, Mat
Degraaf, désormais directeur de Door-to-Door Organics aux Etats-Unis (l’équivalent des
CSAs, ou d’une association pour le maintien de l’agriculture paysanne en France).
Cet entrepreneur a monté une entreprise avec l’ambition de distribuer des produits locaux
biologiques. Il a souhaité travaillé avec une grande variété d’agriculteurs spécialisés dans
l’agriculture biologique, et cherche à équilibrer l’offre en fonction de la saison et de ce que
veulent les clients.
Son idée est de permettre aux clients qui souhaitent acheter localement des produits
biologiques de :
- ne pas avoir d’engagement à long terme ;
- avoir le choix d’un panier de produits, avec différentes tailles, une possibilité de
substitution suivant leurs préférences ;
- pouvoir annuler librement leur panier à tout moment ;
- voir le panier livré à domicile. L’entreprise ne souhaite pas avoir de magasins et
dispose d’un nombre limité de véhicules par souci écologique (moins de
consommation de pétrole) ;
- bénéficier aussi de produits d’exploitation en situation de transition (indiqué sur le
produit), et ce dans le but d’assurer une disponibilité accrue des produits biologiques
1
En France avec l’Adie (Association pour le droit à l’initiative économique), fondée et présidée par Maria Nowak
2
Article complet en annexe : Kurt Cobb, « La convergence des esprits : lorsque l’entrepreneur social rencontre
l’homme d’affaires », 25 avril 2007
- 58 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
et d’aider les exploitants qui subissent des coûts supplémentaires associés aux
méthodes biologiques. Hors saison les grossistes locaux assurant
l’approvisionnement.
Cet entrepreneur a souhaité développer cette production et cette distribution alternative afin
de répondre à un besoin de nombreuses personnes cherchant à se procurer localement leur
nourriture. Sa méthode permet également de réduire l’intensité énergétique. Profitable et
adaptable, cette approche commerciale de la viabilité durable n’est pas parfaite mais c’est un
succès qui confirme l’arrivée d’un « point de basculement ».
A Cappella a été lancé en 2001 à Amiens par quatre personnes convaincues de l’ESS dont Eric
Le Divenah, désormais directeur.
L’originalité de cet entrepreneuriat social réside dans le fait qu’il a permis la création du
premier centre d’appels français sous statut Scop.
1
Article complet en annexe : Interdépendances, « A Cappella, centre de relations clients où il fait bon
d’appeler », Dossier n°63 « Une nouvelle idée de l’emploi »
- 59 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Au fond, le CODES nous dit que le message de l’entrepreneuriat social est simple :
« l’économique ne doit pas être l’exploitation, l’inégalité ou l’égoïsme, mais un moyen
efficace et puissant à mettre au service de l’homme et de son épanouissement. De même, le
social ne pas être le ghetto, le misérabilisme ou les bonnes œuvres, mais ce qui crée du lien,
de la solidarité et du collectif ».
Désormais les enjeux de l’entrepreneuriat social sont nombreux. Le potentiel de
développement est important mais il reste beaucoup à faire pour le concrétiser : mieux
informer, mieux former, mieux accompagner (d’où la nécessité de créer des outils comme le
guide de l’entrepreneur social !). Cela permettra au tiers-secteur d’être reconnu comme il le
mérite, au regard de son rôle dans la société.
Nous venons de cerner le concept de l’entrepreneuriat social, nous nous demandions si cela
relevait davantage d’une utopie ou d’une réalité ?
Je dirais, après analyse, que cela relève d’une utopie concrète et d’une réalité tangible.
Mais cela resterait bien abstrait sans une approche des pratiques sur le terrain. Examinons
donc maintenant des témoignages d’entrepreneurs …
- 60 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
En voici un premier :
« Pourquoi une entreprise sociale n’irait-elle pas vers les secteurs high-tech ? Face à
des problèmes d’intérêt général, comme la crise de l’énergie et le réchauffement
climatique, les réponses citoyennes peuvent être aussi pertinentes. Dans ces
domaines complexes et innovants, on se heurte à des poids lourds industriels. Mais
quand on a la volonté de bien s’informer sur le sujet, de rester en veille face à des
paramètres qui bougent très vite et de construire son projet collectivement,
l’entreprise sociale a toute sa place.
En anticipant l’ouverture complète du marché de l’électricité pour les particuliers en
2007, la société Enercoop se positionne sur le marché des énergies renouvelables. A
l’origine ingénieur dans l’industrie des transports, j’ai pensé qu’il était possible
d’innover dans le secteur de l’énergie. Enercoop est un projet collectif nourri au
contact de militants associatifs et environnementaux. Le statut Scic a été choisi car
nous ne sommes pas naïfs : nous ne voulons pas qu’un investisseur extérieur puisse
prendre le contrôle de l’entreprise ; dans une coopérative, c’est une personne, une
voix. Le secteur est très porteur. Nous assurons la médiation entre les producteurs
d’énergies renouvelables et les consommateurs. Aujourd’hui, tout le monde
reconnaît note sérieux à donner une réponse pragmatique à la crise de l’énergie ».
Patrick Behm, gérant de la Scic Enercoop à Paris
Bill Drayton, fondateur d’Ashoka, avance que « les entrepreneurs sociaux ne débarquent
généralement pas en se présentant comme tels. Ils n’exposent pas non plus spontanément
leur projet. Dans certaines cultures, il est même tout à fait inacceptable pour eux de parler à
la première personne. »
Et Joanna Davidson, qui a travaillé pour Ashoka, précise qu’ « eux-mêmes n’ont souvent pas
conscience des grandes lignes de force qui ont marqué leur trajectoire. Les gens ne se
- 61 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
perçoivent pas comme des entrepreneurs sociaux. Ils ne pensent pas en termes de stratégies
de diffusion, par exemple. Ils font simplement les choses, naturellement. »1
Notre tâche est donc désormais de puiser dans cette mine d’or …
Pour ce faire, j’ai choisi quatre témoignages d’entrepreneurs, deux premiers tirés de
« l’audace des entrepreneurs sociaux » ; deux autres que j’ai réalisé dans notre région sous
forme d’entretiens semi-directifs.
« Avec le recul, j’ai l’impression que, avec mes collègues, nous étions plutôt
des bricoleurs inconscients, mus simplement par une passion (l’éducation
sociale) et une foi (changer le monde) »
Jean-Guy Henckel
En 1991, Jean-Guy Henckel, alors travailleur social, créait le premier Jardin de Cocagne, un
jardin biologique exploité par des personnes en difficulté, dans une logique de réinsertion.
Aujourd’hui on en compte plus de 85 à travers la France. Ce succès a transformé
progressivement Jean-Guy Henckel en « ingénieur social » puis en « entrepreneur social ».
La création du premier Jardin de Cocagne s’est fait en Franche-Comté, une terre qui n’est pas
anodine dans l’histoire de l’entrepreneuriat social, avec le développement des coopératives
laitières. Jean-Guy Henckel débute comme éducateur spécialisé et constate que la situation
se détériore et qu’il y a de plus en plus de victimes des causes sociales (dès 1974). Travaillant
dans les centres d’hébergement il se rend compte que les hommes tournent en rond, il veut
alors développer des alternatives. Il s’oriente vers une alternative, une solution à l’origine de
ce qui allait être connu sous le nom d’ « insertion par l’économique » : « Tous les centres
opéraient dans des lieux où le chômage sévissait fortement et où par conséquent il était
devenu difficile de faire du travail social classique. Tous en étaient venus naturellement à
cette conclusion : puisque les gens n’arrivent plus à trouver du boulot, on créera des
activités pour eux ».
Il crée alors un atelier de menuiserie, puis un centre de formation, une auto-école sociale et
enfin le premier Jardin de Cocagne, pour associer dispositif d’insertion et agriculture.
Confrontée à l’exercice de la gestion des différentes entités, l’équipe de J6G Henckel prend
conscience d’une autre nécessité : apprendre à manager. « Les techniques manquaient
cruellement au travailleur social pour gérer efficacement une entreprise d’insertion ». Il se
forme à l’école supérieure d’ingénieur social à Nancy et se familiarise avec les outils de
gestion, de communication, du marketing etc.
1
Source : David Bornstein, Comment changer le monde – les entrepreneurs sociaux et le pouvoir des idées
nouvelles, Editions la Découverte, Paris, 2005
- 62 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Cependant passer de l’idée d’associer agriculture – insertion à un dispositif concret n’a pas
été facile car « le secteur agricole était alors en pleine crise », et il n’y connaissait pas grand-
chose en agriculture. Le hasard lui fit rencontre un ingénieur agronome, un « fou furieux
génial » : François Plassard. Ce dernier le met sur la piste des circuits courts de l’agriculture
consistant à mettre directement le producteur en lien avec ses consommateurs.
Il obtient un financement pour son premier jardin d’insertion au conseil général et à la
préfecture : « je me souviens des yeux effarés de mes interlocuteurs à qui j’expliquais que je
souhaitais prendre des gens dont personne ne voulait en les occupant à cultiver des légumes
bios et à constituer des paniers hebdomadaires … » Il déclare aujourd’hui en souriant :
« L’entrepreneur social, c’est aussi cela : il a beau avoir une idée géniale, il est condamné
un temps au moins à une certaine solitude ».
Il récupère 150 000 francs à l’époque et embauche une jeune femme encadrante, fille
d’agriculteurs bios. Le matériel, il l’obtient grâce à « un copain » qui déposait son bilan et qui
lui céda son matériel. Enfin, il n’oublie pas un mobil-home qui servira … de bureau !
Mais des problèmes arrivent rapidement avec le terrain négocié : « alors que nous nous
apprêtions à tout installer, volte-face du maire qui, sous la pression des habitants, refusait
de voir s’installer une entreprise d’insertion sur son village … Nous étions à la veille de Noël
1991 […] Tout le monde veut bien soutenir la lutte contre l’exclusion, mais pas dans son
quartier ! » Par chance, le maire de la commune voisine lui trouve un bout de terrain. Le
développement commence alors et ne s’arrêtera pas. Les journalistes locaux préviennent les
médias qui guettaient des initiatives en réponse aux problèmes des banlieues au début des
années 1990. Dépêche de l’APF : « Initiative intéressante à Besançon, des exclus cultivent
des légumes qu’ils redistribuent à des adhérents ».
Tous les jardins sont des associations loi 1901. Leur succès « devaient aussi au fait qu’ils
accueillaient des personnes désocialisées, ce qu’une entreprise, même une coopérative, ne
peut faire à moins de renoncer à toute performance ». Au total, 3000 personnes en
- 63 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
insertion, dont d’anciens SDF, travaillent comme jardinier. Ils ne retrouvent pas forcément
toujours un travail après mais connaissent tout de même une forme d’insertion. Les jardins
interviennent aussi sur le plan de la santé, du logement ou encore du surendettement. Un
effort d’accompagnement qui demande beaucoup de travail. « Créer un Jardin de Cocagne
reste une entreprise difficile » notamment à cause de l’éparpillement des sources de
financement induit par la décentralisation : « Autrefois nous avions affaire à un
interlocuteur principal, le préfet. Aujourd’hui, il nous faut convaincre plusieurs partenaires
qui ont leur propre logique de financement […] Plus aucun acteur n’a de vision globale d’un
territoire ».
Aujourd’hui, le réseau compte 450 permanents et 13 000 familles adhérentes en France. J-G
Henckel ne compte pas s’arrêter là et cherche à créer Fleurs de Cocagne sur le même
principe.
Il ne refuse pas l’appellation d’entrepreneur social car « elle offre l’avantage de parler à mes
interlocuteurs chefs d’entreprise en me plaçant sur un pied d’égalité. Reste seulement à ne
pas perdre de vue la finalité sociale de mon entreprise ».
Créée en 1975, Bretagne Ateliers (BA) est une « entreprise adaptée » : elle aide des personnes
handicapées à se réinsérer professionnellement. Avec ses 710 salariés, dont 500 handicapés,
elle s’est spécialisée dans le montage et l’assemblage industriel. Jean-Michel Quéguiner, qui a
présidé à sa destinée durant près de trois décennies, revient sur les caractéristiques du
management social qu’il a mis en place avec les salariés. Fondé sur un système de valeurs
partagées, il a valu à Bretagne Ateliers d’être lauréat en 2005, du prix spécial des « trophées
management » organisé par les Enjeux – Les Echos et Cegos, puis, en septembre 2006, du
prix national de « l’engagement sociétal »décerné par le magazine L’Entreprise et Ernst &
Young. Trente ans plus tôt, peu pariaient pourtant sur les chances de survie de cette
entreprise.
Depuis plus de trente ans, cette entreprise prépare à l’insertion socioprofessionnelle toute
personne qui, en raison de sa fragilité sociale ou de son handicap physique ou mental, ne
peut être occupée régulièrement dans les conditions normales de travail. Actuellement 80%
du chiffre d’affaires du groupe est réalisé avec des activités de montage et d’assemblage pour
l’automobile.
- 64 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Bretagne Ateliers est composé sur un management social original fondé sur une pyramide
inversée, qui met l’opérateur au centre des préoccupations de l’organisation, et sur un modèle
de fonctionnement nommé Crital, destiné à assurer l’implication des salariés. Cristal, un nom
censé rappeler la fragilité de l’organisation en même temps que la transparence de la gestion,
mais qui cache aussi pour acronyme : C pour « convivialité » ; R comme « rigueur » ; I
comme « implication » ; S comme « simplification » ; T comme « tous ensemble » ; A comme
« améliorer » ; enfin L comme « longévité ».
Concrètement, chaque site de production est organisé en territoires et en groupes de
personnes appelés « villages ». Unité de base, chaque village doit rendre vivantes les valeurs
de la charte dont l’entreprise s’est dotée et œuvrer pour atteindre les objectifs. Il dispose d’un
territoire avec sa table de réunion, son tableau d’affichage où sont consignées les valeurs
partagées par les salariés, leurs objectifs et leurs suggestions. Un fonctionnement destiné à
favoriser des habitudes de communication entre les personnes au-delà des rapports
hiérarchiques. Sur le plan du statut, BA a opté pour l’ « atelier protégé », appelé désormais
« entreprise adaptées ».
J-M Quéguiner a une approche bien spécifique de l’handicapé qui est pour lui « quelqu’un qui
souffre d’une difficulté à intégrer la société, qui pâtit d’un manque de lien social ». Une
approche du handicap qui ne correspond pas aux critères érigés par l’administration. « Que
voulez-vous, l’administration aime classer. On fait avec. »
BA n’hésite pas à se fixer des « cibles », des objectifs à dix ans renouvelés chaque année en
assemblée générale. Les trois premiers sont restés à l’ordre du jour : une bonne santé
financière, un bon climat social, enfin une bonne image externe. Pas question donc de
licencier même si la situation est parfois difficile, et les syndicats l’ont accepté.
Bretagne Ateliers n’est pas épargné par la concurrence et doit faire évoluer ses métiers, d’où
un important effort consenti en matière de formation : près de 3% de la masse salariale. Ce
management social est avantagé par le statut associatif mais notre entrepreneur précise
qu’ « un patron à la tête d’une entreprise privée, peut être animé de valeurs proches des
nôtres. »
De nombreux partenariats assurent son succès notamment avec PSA Peugeot Citroën. Preuve
qu’entreprise sociale et multinationale peuvent faire bon ménage …
Pour convaincre les entreprises de travailler avec elle, BA met en avant sa capacité à soigner
« la souffrance » des autres. En l’occurrence, selon J-M Quéguiner, « la souffrance pour un
constructeur automobile, c’est de devoir arrêter la chaîne de production parce qu’une pièce
manque ! Pour ne plus souffrir, le client est prêt à tout ! C’est la souffrance qui fait le prix ! »
BA répond donc en réagissant aussi vite que possible, à des tarifs élevés. Cela est rendu
possible car la richesse des personnes handicapées recèle à leur besoin fondamental de
- 65 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
rendre service aux autres. Un souci humaniste qui a aussi sa rationalité économique : la
réactivité de BA (stratégie du juste-à-temps) lui confère un avantage compétitif qu’elle peut
monnayer cher. Enfin, BA est désormais certifiée norme Iso 9001 (norme certifiant une
bonne gestion des ressources humaines).
Au-delà des témoignages que je pouvais lire, j’ai souhaité rencontrer des entrepreneurs
sociaux de la région pour me faire ma propre idée de cet entrepreneuriat spécifique, dans le
cadre de ce mémoire et dans celui de la conception du guide de l’entrepreneur social. Car on
ne peut parler et analyser un entrepreneuriat qu’on ne constate pas soi-même sur le terrain.
Cela n’a pas forcément été évident, car nous l’avons dit, ces personnes ne se considèrent pas
comme des « entrepreneurs sociaux », ils ne connaissent pas cette notion et ont « la tête dans
le guidon ». Ils ont très peu de temps à consacrer pour expliquer leurs démarches et se
dévoiler aux étudiants. J’ai donc choisi de les contacter par rapport au guide de
l’entrepreneur social, en avançant le fait que leur témoignage apparaîtrait sur le futur site
Internet dans la rubrique « Témoignages ».
Je vais donc vous présenter les deux entrepreneurs que j’ai déjà rencontrés, sachant qu’il y
en aura d’autres comme Olivier Desurmont, entrepreneur social ayant créé en 2004 à Lille
l’entreprise SINEO, avec pour mot d’ordre le lavage écolo.
En effet, cette entreprise offre des prestations générales de nettoyage de véhicules sans eau et
à la main (SINE = sans ; O = eau), avec des produits non toxiques pour l’environnement,
100% biodégradables. Cette action globale de gestion responsable repose sur le respect de
l’environnement mais également sur l’insertion, car l’entreprise emploie 37 personnes dont
32 anciens Rmistes. Ce projet a été récompensé aux Trophées de la Performance
environnementale et au concours 2007 Développement durable de la Fondation Macif. Cette
rencontre devrait donc m’apporter de nouveaux éléments de réponses.
En attendant, voici un aperçu de ce que j’ai pu découvrir…
Concernant cette première approche sur le terrain, j’ai décidé de choisir un entrepreneur
social du fichier Micro-Projet Associatif que j’avais à ma disposition à la CRES. J’ai été
sensible au projet de Lucien Petit car je le trouvais innovant, axé sur un secteur d’activité
particulier en économie sociale et solidaire : l’informatique, et plus particulièrement les
1
Cf Annexe : retranscription intégrale de l’entretien.
- 66 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
logiciels libres. De plus, c’était la première structure du Nord Pas-de-Calais a avoir choisi le
statut SCIC. Je décide donc de le contacter afin de le rencontrer. Celui-ci acceptera
immédiatement ma demande.
Je décide ensuite d’orienter cette rencontre sous forme d’un entretien semi-directif,
accompagné d’un dictaphone. Je construit une grille à suivre, mais cherche à rester ouverte
et réactive à son témoignage.
04 juillet, 10h.
Je suis à Liévin, près de l’usine Renault, dans le local de CLISS XXI. Des articles de presse
ornent les murs, accompagnés qu’un descriptif de l’économie sociale et solidaire. Cet
entrepreneur me parait bien connaître son terrain …
Cette heure d’entretien me permettra de cerner un peu mieux le personnage, ses valeurs, ses
activités et ses ambitions.
Commençons à cerner l’entreprise :
CLISS XXI met au service des PME-PMI, des collectivités territoriales, des associations, une
compétence de haut niveau dans son domaine technologique : les systèmes informatiques
basés sur les logiciels libres. CLISS XXI est une SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif).
Son objectif d’utilité sociale consiste à accompagner le développement technologique des
PME-PMI, des collectivités territoriales et des associations de la région, en aidant leurs
personnels (utilisateurs et informaticiens) à comprendre quels usages ils peuvent faire des
logiciels libres, et à développer avec eux des solutions concrètes.
En donnant aux PME-PMI, aux collectivités territoriales et aux associations les moyens
technologiques de mettre en oeuvre une informatique de meilleure qualité, moins chère,
- 67 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
CLISS XXI contribue à dynamiser le tissu d’activité régional et à soutenir l’emploi. Ainsi la
coopérative offre à ses usagers (PME-PMI, collectivités territoriales et associations) les
ressources informatiques qu’elles ne seraient pas à même de mobiliser sur la seule base de
leurs compétences internes.1
Avant de monter sa Scic, Lucien Petit était ingénieur informatique pour les grands groupes.
Mais cela ne le satisfaisait pas : « Avec trois autres personnes […] on a voulu aller au bout
d’une autre démarche, qui consistait à se tourner vers les autres. On voulait trouver du sens
à notre activité et donc donner du sens, agir collectivement. On a choisi de créer une Scic
pour se tourner vers les gens et non vers la finance et les actionnaires. Ca permettait à tous
d’être à égalité, car dans une Scic une personne = une voix. »
Il m’explique ensuite son métier, « le logiciel libre basé sur le principe que les informaticiens
partagent le savoir. » Pour lui, cela se concrétise par : « Je sais, j’ai une expertise en
informatique, je partage l’information, je ne la garde pas pour moi. »
Mettre son expertise au service de toutes les forces vives d’un territoire, voila son créneau. Le
statut Scic lui permet le multisociétariat, « tourné sur un ensemble de composantes - des
usagers, des bénévoles, des collectivités territoriales, des financeurs solidaires – ce qui crée
pour nous une richesse extrêmement importante. »
Les décisions n’appartiennent donc pas uniquement aux salariés mais à un ensemble
d’acteurs qui participent à la vie de la Scic : « Quand on est une Scic, on met en avant ce
qu’on appelle l’utilité sociale […] Il y a ce qu’orientent les salariés, c’est important, mais ça
sera d’autant plus important si c’est partagé par des municipalités ou des usagers etc. Pour
cette promotion de l’utilité sociale, toutes ces structures là importent. »
CLISS XXI fait du service aux entreprises et adapte les logiciels libres aux demandes des
clients (pour la quasi-totalité, des appels entrants, Lucien Petit ne faisant pas de
prospection).
Mais en dehors de cette activité commerciale, CLISS XXI développe des actions
d’éducation populaire. Tout d’abord, avec la mise en place d’ateliers
informatiques : « Dans ces ateliers informatiques, on s’adapte vraiment aux besoins des
gens[...] On a désormais une équipe qui est régulière sur ces ateliers. J’en parle beaucoup,
c’est encore petit en fait, mais pour nous c’est très important, parce que ça veut dire que
notre expertise du logiciel libre on l’amène vraiment au service de personnes sur un
territoire, qui sont même souvent exclus, avec donc ces idées qui sont les nôtres de partage
du savoir, de mutualisation de l’information. »
1
www.cliss21.com
- 68 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Ensuite, tous les premiers samedi du mois, avec un débat (le matin) et la foire
aux installs (l’après-midi) : « c’est très convivial parce que il y a vraiment des
installations, on apprend à faire de l’informatique ensemble. Pour nous le but c’est de
montrer que Linux par exemple, c’est aussi facile, qu’on peut faire autant voire plus de
choses que sur Windows. Il y a toute une démarche d’apprentissage collectif. »
Lucien Petit n’a pas rencontré de difficultés particulières dans le montage de la Scic ou lors
du développement de CLISS XXI. Il n’est parti de rien avec trois autres personnes, juste des
fonds propres : « On a fait sans financement, juste avec l’argent qu’on mis les fondateurs à
l’époque. Le capital de départ de l’entreprise c’était 3 800 €, quasiment rien quoi, ce que les
3 personnes ont mis ! Puis après, il a fallu qu’on cherche nos clients etc. » Il a ensuite
contacté l’ensemble du réseau de l’ESS et a suscité des financements, notamment une
subvention FSE (d’où le MPA) et un financement de la fondation MACIF.
Il n’a pas eu besoin d’un accompagnement particulier, ce qui est assez surprenant. « On s’est
développé tout seul […] on a bien réfléchi ce qu’on voulait, on s’est posé plein de questions et
on a créé ».
Sa raison était d’aller au bout de ce qu’il avait « dans les tripes », il est resté prudent et a
évolué comme prévu. Il cherche maintenant à stabiliser son activité et a de nouveaux
projets : « On a quelques idées, on va peut être, il faut qu’on en discute, mettre en place une
structure d’aide à domicile dans le domaine de l’informatique libre. »
Cette Scic apparaît être un succès, tant sur la naissance de l’idée et de ses valeurs que sur la
vie de l’entreprise et son développement. Preuve vivante d’efficacité économique et d’utilité
sociale, la gestion quotidienne se déroule bien et notre entrepreneur n’éprouve aucune
difficulté particulière. Il pense à l’avenir, notamment en exposant CLISS XXI à la braderie de
Lille au café citoyen pour la « défense des droits numériques, de l’art libre, de l’informatique
libre ». A l’heure où le piratage et les licences cadenassent l’informatique, cette entreprise
développe des particularités de services et d’éducation populaire qui me paraissaient
nécessaires de souligner.
- 69 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Loïc Cheuva, jeune entrepreneur ambitieux et très objectif sur sa situation économique,
« culturellement, j’étais très orienté économie sociale et solidaire », a effectué un Master 2
Développement Local et Economie Solidaire à Valenciennes. Avant de créer Habitat Actif, il a
travaillé pendant cinq ans à CAP EMPOI dans le logement social et l’insertion professionnelle
des travailleurs handicapés. Déjà engagé dans un programme relevant du cadre européen
(avec le FSE) il s’intéressait à la problématique de « comment travailler avec les entreprises
pour mieux insérer les travailleurs handicapés ?». Il réfléchi alors à « construire une
entreprise relevant de l’IAE qui à l’époque devait être prioritaire ». Il s’oriente vite sur un
projet professionnel d’insertion des personnes handicapées dans les métiers du bâtiment
« mais ce n’était pas si simple que ça, il fallait les orienter sur le second œuvre ou les
finitions » et aussi sur un centre de rééducation professionnelle à Berck (dispensant une
formation de 15 mois dans les métiers du second œuvre du bâtiment pour les personnes
ayant la reconnaissance COTOREP). Il pense alors avoir « pas mal de billes pour faire une
entreprise d’insertion dans le bâtiment ». Le besoin suit car beaucoup de ces personnes sont
demandeurs d’emplois.
Pour franchir le pas, il a réfléchi au niveau local et s’est mis en partenariat avec le CAL-PACT,
l’APF (qui gère Cap Emploi) afin de construire sur des bases solides Habitat Actif : « On s’est
retrouvé autour d’une table avec le PLIE de Boulogne aussi, on avait tous la volonté de créer
une nouvelle structure d’insertion par l’activité économique. Puis il a fallu trouver un
porteur, moi ça me bottait, j’ai pris un congé sabbatique de 11 mois et j’ai travaillé au CAL
PACT, à mi-temps pour monter Habitat Actif et à mi-temps pour travailler sur l’adaptation
du logement universel».
Le financement de départ était de 15 000 € (7500€ du Fond Départemental pour l’Insertion
et 7500€ via le FSE). Il n’y a pas eu de difficultés majeures à la création en novembre 2003 :
« on avait bien penser notre truc » explique Loïc Cheuva.
Le projet politique était « des travailleurs handicapés, qui travaillent dans le second œuvre
du bâtiment, pour adapter des logements pour les personnes handicapées ou des personnes
âgées. Aujourd’hui, c’est pas la majorité de l’activité, c’est 10% à peine … »
S’appuyant sur de nombreux partenaires, le CAL PACT, la FSE mais aussi les bailleurs HLM,
Habitat Actif a pris son envol avec 4 personnes (dont 3 permanents). L’entreprise est
également agréée Macif et Maif.
En parallèle, une association a été créée en 2005 grâce au Micro-Projet Associatif (MPA)
pour développer un secteur mixte ACI – EI. C’est la naissance de l’association atelier Créactif,
1
En raison d’un problème technique, l’intégralité de l’entretien ne peut être retranscrit
- 70 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
désormais en ACI (Atelier Chantier d’insertion) financé par l’Etat, le Conseil Général et la
communauté d’agglomération du Boulonnais. La base est de créer une ressourcerie,
(décoration intérieure, meuble) « afin d’ouvrir les portes au quotidien à un public féminin
habitant le quartier (nous sommes en zone urbaine sensible, dans ce qu’on appelle les bas
d’immeubles HLM) et ainsi leur permettre de venir pratiquer une activité autour de la
décoration intérieure dans nos locaux. »
Le financement permit aussi « d’amortir l’arrivée d’un nouveau directeur à cheval sur les
deux structures ». Aujourd’hui les deux structures représentent 30 emplois (5 permanents et
des emplois CDDI – 24 mois maximum). Leur projet est désormais de déménager dans un
bas d’immeuble réhabilité « avec une ouverture complète sur un quartier et ses habitants ».
Les difficultés sont assez nombreuses, et relèvent de la gestion des structures car « les
programmes européens sont contraignants, notamment sur les bilans ». Loïc Cheuva ne
cache pas qu’il est « dans l’économique à mort ». Il est notamment fiscalisé et se place dans
un système économique important. L’aide qu’il perçoit n’est pas suffisante à « compenser le
manque de productivité ». Il passe donc un cap après trois ans d’activité : « on a vachement
fait confiance aux hommes, on a été très humaniste dans notre approche, mais seulement ça
fonctionne pas […] On va devoir réduire notre offre d’insertion pour passer avec plus de
permanents, pour qu’il y ait plus de contrôle sur les ouvriers. On veut jongler avec notre
pérennité et avec les gens qu’on a en fasse de nous … c’est loin d’être évident ».
L’aide attribuée par l’Etat n’est pas suffisante et n’évolue pas. Le schéma qu’il souhaite est
donc d’arriver à un permanent pour 3 CDDI au lieu de 3 pour 13 en ce moment. Il a donc
besoin de chefs d’équipe. La réalité économique rattrape donc les valeurs défendues et crée
des impératifs difficiles à gérer au quotidien ; Loïc Cheuva explique que « ce n’est rien d’autre
que des problématiques d’entreprises classiques : il faut respecter les délais, la qualité et la
rentabilité d’un chantier malgré le fait qu’on intègre des personnes qui sont refoulées de
partout et qui ne sont pas embauchées par les entreprises classiques».
Malgré tout il reste accroché à ses principes et explique que l’équipe se doit d’être attentif à
leurs parcours, à leurs problèmes et qu’ « au premier dérapage on ne les vire pas ; mais on
durcit notre gestion des ressources humaines ; il m’a fallut 3 ans pour la durcir, et ce n’est
pas à cause de moi mais à cause des chiffres, et on est en plein dedans. On modifie
complètement la structure, l’organigramme, car on nous fait confiance, on n’a pas droit à
l’erreur.»
La réalité n’est donc pas toujours facile et on se rend compte par ce témoignage qu’un
entrepreneur social doit se remettre en cause et faire face à des contraintes économiques et
organisationnelles. Ce n’est pas évident car l’enjeu est important et la pression est forte. Sur
qui s’appuyer et comment changer ? Un cap difficile à passer pour assurer la pérennité …
- 71 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
PARTIE 3.
Des pratiques managériales évolutives …
Pour un changement en profondeur ?
De nombreuses personnes souhaitent s’engager dans l’entrepreneuriat social. Ils ont une
idée, un projet, une association, et souhaitent développer des activités de lien social, ou du
moins, des activités porteuses de sens et d’utilité sociale.
Mais un problème se pose aujourd’hui à tous ces appelés : le passage à l’acte.
En effet, à partir d’une motivation ou d’une première idée, comment arrive t-on à la
concrétisation et à la pérennisation d’un projet ? Les interrogations se situent soit en amont
de la création d’entreprise (orientation, formation initiale, etc.) soit en aval
(accompagnement pendant les premières années de création).
Ainsi, où l’entrepreneur peut-il trouver des ressources : information, formation, conseil ou
encore financement ?
Voici un florilège de questions qu’un entrepreneur social peut se poser …
- 72 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Afin de devenir un bon manager, un entrepreneur social se pose des questions sur les
formations qui peuvent l’aider dans sa gestion quotidienne.
Sa question principale est donc : où acquérir des compétences spécifiques ? Que cela
m’apportera t-il ?
- 73 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Car en effet, un entrepreneur social a tout intérêt à avoir les compétences nombreuses d’un
entrepreneur classique et les aptitudes spécifiques au champ social. Il cumule beaucoup de
défis, et doit entraîner toute son équipe de bénévoles et salariés dans son projet.
Que ce soit en formation initiale, formation continue ou sous la forme de programmes de
formations / formations-actions organisés par des réseaux spécialisés, voici quelques
formations qui peuvent l’interpeller :
La gestion des ressources humaines,
La comptabilité / finance,
La communication / marketing,
La gestion de projet,
Le droit …
C’est sûrement la question la plus délicate à aborder pour un entrepreneur social et celle qui
constituera sa réussite et sa pérennité. Car sans financement, pas de développement.
Le porteur de projet se pose alors cette question : de quelles aides financières puis-je
bénéficier ?
Il s’agit donc de s’intéresser au financement des entrepreneurs sociaux :
Quels dispositifs publics existent ?
Quelles aides privées ?
Comment bénéficier d’un parrainage et comment susciter le mécénat ?
Quels sont les organismes de financement de l’économie sociale ?
Quelles sont les banques de l’économie sociale ?
« Les entrepreneurs sociaux d’hier et d’aujourd’hui cherchent à donner du sens à leur engagement
dans une dynamique collective. Ils savent aussi qu’il faut de l’efficacité économique pour qu’il y ait
des plus-values sociales. Aujourd’hui, cet entrepreneur n’est pas un porteur de projet isolé. Il peut
s’appuyer sur des acteurs importants ancrés dans l’économie sociale, que ce soit pour ses
financements, pour son accompagnement ou pour ses marchés.
Les entrepreneurs sociaux se sont toujours positionnés comme des innovateurs, en explorant des
formes d’entreprendre originales ou en trouvant des nouveaux secteurs d’utilité collective à
défricher. Les entreprises sociales ont prouvé leurs capacités d’invention, en étant largement
copiées et suivies par les entreprises du marché. C’est normal, il faut que les bonnes idées se
diffusent ! »
Marie Hélène Gillig, déléguée générale du Ceges
- 74 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Il n’existe aujourd’hui aucun lieu de référence pour les entrepreneurs sociaux et aucun
dispositif d’aides personnelles qui leur soit spécifique. Mais, comme le dit Marie-Hélène
Gillig, multiples sont les acteurs, structures et dispositifs qui peuvent toucher, de près ou de
loin, à l’entrepreneur social afin de l’aider en tant que porteur de projet.
Voici un aperçu national et régional de réponses que nous pouvons apporter aux
questionnements évoqués ci-dessus.
Pour information, le listing des acteurs nationaux a été publié par l’AVISE en 2003 dans « le
guide de l’entrepreneur social ».
Le listing régional est tiré de mon travail relatif à ma mission : « le guide de l’entrepreneur
social en Nord Pas-de-Calais ».
Pour connaître davantage les structures du Nord Pas-de-Calais avec les missions de chacune,
les accompagnements etc., je vous renvoie aux fiches descriptives du document annexe au
mémoire : « Document de travail – Répertoire des réseaux de l’Economie Sociale et
Solidaire en Nord Pas-de-Calais »)
Voici un repérage des principaux interlocuteurs pertinents pour les entrepreneurs sociaux :
- 75 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Ces interlocuteurs s’occupent d’orienter au mieux les entrepreneurs sociaux suivant leurs
demandes. Ils peuvent également annoncer des principes clés pour bien démarrer.
- 76 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
« Dans la création des entreprises sociales, on accompagne des hommes et des femmes,
avant d’accompagner un projet. Le créateur d’entreprise ne doit pas rester seul. Il faut
d’abord vérifier sa motivation avant de s’interroger sur le statut ou le financement. Cela
se mesure au cours de réunions collectives et d’entretiens personnels. Mais, on ne se
substitue pas au créateur, le projet leur appartient ! »
Dans le réseau des Boutiques de gestion, nous accueillons de plus en plus de projets à
dimension sociale (services à la personne, commerce équitable, développement durable).
Nous mettons en place des outils pour favoriser leur éclosion. Nous vérifions avec eux
qu’ils inscrivent leur projet dans la durée ».
Fatiha Ben Naceur, directrice de la Boutique de gestion Vaucluse.
Vous l’aurez remarqué par ces deux témoignages, des réseaux d’aide à la création
d’entreprise, des réseaux spécialisés de l’économie sociale et solidaire et certaines entreprises
dans le cadre du mécénat, proposent un accompagnement individuel, souvent appelé
parrainage, à des porteurs de projet. Mais tous n’offrent pas les trois étapes
d’accompagnement et celui-ci se révèle souvent parcellaire.
National :
les réseaux : ANVAR ; Les Boutiques de Gestion ; CNEI/UREI ; Les
coopératives d’activité ; Entreprendre en France (CCI) ; France Initiative
Réseau ; Réseau Entreprendre
dans le cadre du mécénat d’entreprise : Fondation Auchan ; Fondation
Aventis ; Fondation des Brasseries Kronenbourg ; Fondation Caisses
d’Epargne pour la solidarité ; Fondation MACIF ; Fondation Schneider
Electric ; Fondation Agir Contre l’Exclusion (FACE) ; Fondation Agir Pour
l’Emploi (FAPE)
autres formes d’accompagnement : Le Transfert de Savoir Faire (TSF)
de l’AVISE ; Le mécénat de compétence (encouragé par l’Admical)
En Nord Pas-de-Calais :
organismes régionaux d’accompagnement : Cap humanitaire ; CD2E ;
Domaine musiques ; Lianes coopération ; URIOPSS ; BGE ; Extramuros ;
Initiatives plurielles ; la Malterie ; RIF ; Maillage ; Missions locales ;
PROFILS ; Réseau de recycleries et ressourceries ; CROS ; UNAT ; Gabnor ;
- 77 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Un entrepreneur social a besoin d’une solide formation économique car il s’agit, avant tout,
de gérer une entreprise, sur le marché concurrentiel. Selon le parcours de l’entrepreneur et
ses compétences, une formation continue peut se révéler particulièrement utile pour lui
permettre de se perfectionner dans les champs qu’il connaît moins.
Outre les formations initiales nombreuses, en économie et gestion d’entreprise, il existe
quelques formations spécifiques à l’économie sociale et solidaire. Certains programmes de
formation continue ont également vu le jour, à l’initiative de réseaux spécialisés.
En annexe, vous trouverez un tableau récapitulatif tiré du guide publié par l’AVISE (2003),
présentant la liste des principales formations initiales spécialisées en ESS. Les formations
initiales les plus connues sont la majeure « management alter » d’HEC, la chaire
« entrepreneuriat social » de l’ESSEC et le master Développement local et économie solidaire
de Valenciennes.
Le Centre des Jeunes Dirigeants et des Acteurs de l’Economie Sociale (CJDES) présente des
formations continues à tous les cadres, élus, salariés, nouveaux entrants au sein de
l’économie sociale et solidaire.
1
cf Annexe : dispositif DLA
- 78 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Dans la région, de nombreux programmes de formations sont proposés par des réseaux
ou structures spécialisées.
Voici quelques réseaux proposant des formations : COORACE ; Leo Lagrange ; URIOPSS ;
Flasen ; CROS ; CBE ; CEMEA ; Colline ; TEE ; la PAVA ; BGE ; Graines d’affaires …
« Nous avons besoin de stimuler la création d’entreprises sociales. Il y a aujourd’hui toute une
gamme d’outils financiers solidaires qui se font fort d’accompagner et de consolider ce type de
projets. Un bon accompagnement financier est déterminant pour démarrer dans les meilleures
conditions, mais ce qui est également très important, c’est l’accompagnement personnel de
l’entrepreneur social : l’aider à clarifier son projet et lui faire connaître les réseaux associatifs,
territoriaux et militants dont il a besoin.
Au sein de l’association France Active (garanties, investissements en fonds propres, contrats
d’apports associatifs), nous connaissons bien le modèle économique des entreprises sociales et les
financements auxquels elles peuvent avoir accès. Nous cherchons l’outil le plus adapté au démarrage
ou au développement de l’entreprise. Nous les incitons aussi à monter des tours de table, incluant les
outils financiers de France Active, les banques et les aides des collectivités locales. Notre intervention
n’a pas un objectif de plus-values financières, mais bien de plus-values sociales ».
Jean-Michel Lécuyer, responsable du financement des entreprises solidaires, France Active, Paris.
- 79 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
National :
les aides financières publiques : l’AGEFIPH ; l’ANVAR ; le Chéquier
conseil ; le prix DEFI Jeunes ; EDEN ; Sous-mesure 10b du FSE : dispositif
d’appui aux micro-projets associatifs ; le CIVIS …
les aides financières privées : le prêt de l’ADIE ; les fonds territoriaux de
France Active ; le prêt d’honneur FIR ; le prêt d’honneur Réseau
Entreprendre ; les PELS des Caisses d’épargne ; l’association Jacques Douce ;
Ashoka ; le concours « Bourses déclics jeunes » de la Fondation de France ; les
subventions et dons au titre du mécénat ; les fondations : Auchan / Aventis /
Caisses d’épargne pour la solidarité / la Deuxième Chance / Hachette / MACIF
/ RATP pour la citoyenneté / Schneider Electric …
les aides sociales : Cumul des revenus sociaux et création d’entreprise ;
maintien des indemnités de chômage ; le congé pour créer une entreprise ; le
temps partiel pour la création d’entreprise …
En Nord Pas-de-Calais1:
les organismes de financement de l’ESS : Nord Actif et Inseraction 62 ;
la Caisse solidaire ; les Cigales ; Autonomie et Solidarité ; Initiative clé ; la
NEF
les banques de l’économie sociale : Banque Populaire ; Caisse
d’épargne ; Crédit coopératif ; Crédit Mutuel.
Nous venons de voir les questions particulières que peuvent se poser les entrepreneurs
sociaux - tant sur l’orientation, l’accompagnement, la formation, le financement – afin de
concrétiser et pérenniser leurs projets.
Face à ces interrogations, nous avons listé des réponses spécifiques qui leurs sont apportées
par une multitude d’acteurs, réseaux nationaux ou régionaux. Ces interlocuteurs, dans leur
diversité, tentent d’aider ces porteurs de projets de la façon la plus adaptée possible, en
prenant en compte leurs caractéristiques, leurs besoins, leurs projets spécifiques en ESS etc.
1
Concernant les aides publiques et privées, il suffit de regarder le listing national, puis de trouver le contact
régional. Concernant les offres des organismes de financement de l’ESS et des banques de l’ESS, se référer au
document de travail annexe au mémoire : Répertoire des structures de l’ESS en Nord Pas-de-Calais.
- 80 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Pour créer et gérer une organisation à finalité sociale, nous venons de constater que
l’entrepreneur doit passer par un réseau généraliste mais aussi spécialisé de l’ESS. Mais, au
fond, qu’est-ce qui justifie cette démarche ? Cet entrepreneuriat est-il si spécifique au point
de ne pas s’adapter aux techniques managériales « classiques », aux outils de gestion
traditionnels ? Les entrepreneurs sociaux annoncent leur volonté d’entreprendre
« autrement », cela signifie t-il qu’avec les entreprises du tiers-secteur, ils souhaitent ou ont
besoin d’un management dit « alternatif » ?
Dans l’audace des entrepreneurs sociaux, Virginie Seghers et Sylvain Allemand dressent des
portraits d’entrepreneurs sociaux, de promoteurs de l’entrepreneuriat social mais également
d’observateurs de la vie sociale et économique. Je me suis arrêtée sur le témoignage d’une
observatrice : Eve Chiapello, professeur de management et auteur avec Luc Boltanski du
Nouvel esprit du capitalisme, créatrice avec un collègue d’un nouvel enseignement à
HEC : une majeure « management alter ».
Son objectif n’est pas de former des altermondialistes, mais de permettre à de futurs cadres
dirigeants de percevoir sous un angle différent la grande entreprise, les PME, ONG ou
l’entrepreneuriat social ; dans le but de développer une capacité de réflexion et d’innovation.
Voici quelques passages du récit et du témoignage de l’enseignante HEC et de son « rapport
particulier aux études de management ». 1
En 2004, Karim Medjad propose à Eve Chiapello de monter une majeure à HEC (c'est-à-dire
une spécialisation de troisième année) sur le thème du développement durable. La vague
verte est en vogue, et l’enseignante se demande si ce n’est pas juste un nouvel horizon pour
des jeunes en mal d’engagement, comme l’avait été 20 ans auparavant le secteur culturel
(afin de devenir enseignante HEC, elle a réalisé une thèse en 1994 sur la gestion dans le
monde culturel, qui lui inspirera un livre en 1998 : « Artistes versus management. Le
management culturel face à la critique artiste »).
1
D’après le témoignage publié par Virginie Seghers et Sylvain Allemand, dans « l’audace des entrepreneurs
sociaux », Editions Autrement, 2007
- 81 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Ainsi, elle accepte de créer cette majeure mais sous un autre nom : « La réforme de
l’entreprise ». Elle avance sa motivation : « il me semblait important qu’une école comme
HEC ait une réflexion sur ce thème [ …] Outre le développement durable, les entreprises
manifestaient un intérêt croissant pour les thèmes de la responsabilité sociale ou de
l’entrepreneuriat social. La réforme était déjà en marche».
La réflexion ne gagnait pas que les entreprises, les étudiants aussi. Une carrière dans une
entreprise ou ailleurs pouvait être vue autrement. L’engagement associatif se développa au
sein d’HEC, notamment dans le domaine humanitaire. « Tout cela me faisait dire qu’on était
à la veille d’une transformation du management qui viendrait de cette jeunesse ; et de ces
entreprises soucieuses de leur impact social et environnemental. Il importait de participer à
ces évolutions », avance Eve Chiapello.
Le capitalisme est en crise et traverse une période de transformation de l’extérieur et de
l’intérieur, à l’image par exemple, de cercles patronaux soucieux de concilier profit et
responsabilité. Des mouvements sociaux portent des nouvelles valeurs et principes
s’articulant autour du mouvement écologiste, du féminisme, de l’économie sociale et
solidaire, afin de proposer des alternatives au capitalisme industriel. De nouvelles pratiques
émergent : l’IAE, le commerce équitable, le tourisme solidaire…
Face à ce constat, Eve Chiapello décide que la majeure s’appellera « management alter »,
avec en guise de sous-titre : « entreprendre, innover, manager autrement ».
Engagée, elle précise que « si un autre monde est possible, un autre management
l’est aussi ». Mais l’enseignement ne va pas non plus s’inscrire dans le mouvement
altermondialiste : « Le management alter n’est pas un tout autre management,
mais un management qui découle notamment de l’incorporation d’initiatives
réformatrices dont certaines sont nées loin de la grande entreprise privée ».
Ce n’est donc pas un management fondamentalement nouveau. « L’histoire du management
est celle d’une succession de managements alter », précise t-elle.
L’enseignement se développe autour de trois axes, ce qui nous permet de comprendre ce que
l’enseignante entend par « alter » :
L’acquisition de compétences génériques (capacité réflexive, de
prospective, d’analyse comparée) à travers des cours sur
l’entrepreneuriat, d’histoire de la critique de l’entreprise, de droit
comparé …
L’actualité du management alter en matière de gouvernance et de
pouvoir dans l’entreprise : les relations avec chacune des parties
prenantes (investisseurs, salariés, clients, fournisseurs,
- 82 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Au-delà des cours théoriques, la particularité est d’envoyer les étudiants sur le terrain « pour
examiner de près des manifestations de management alter comme des pratiques innovantes
en matière de lutte contre les discriminations, le fonctionnement d’entreprises d’insertion ou
des initiatives en matière de réduction de l’empreinte écologique de grandes entreprises ».
L’enjeu pour ce « management alter » est de se consolider et de se théoriser davantage. C’est
donc un effort de recherche, une « aventure intellectuelle avec d’autres chercheurs pour
fabriquer de nouveaux concepts à même de rendre compte des dynamiques du capitalisme
contemporain ». La spécialisation incite à l’esprit critique des référentiels et à ne « pas
prendre les nouvelles pratiques pour argent comptant ». Ce n’est donc pas un listing mais
une analyse des dynamiques de changement que les outils alternatifs enclenchent.
Eve Chiapello conclue la présentation de sa formation en indiquant que « le management
alter s’attache à mettre au jour les initiatives qui peuvent faire évoluer notre
système économique vers une meilleure prise en compte des aspects sociaux,
éthiques et environnementaux. Ma conviction est que les entreprises seront de toute
façon obligées d’en passer par là. »
- 83 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Nous avons pu constater que le travail d’Ashoka était de soutenir financièrement les
entrepreneurs sociaux les plus innovants à l’échelle mondiale. Mais comment reconnaît-on
un entrepreneur social ? Quel est son profil, quelles sont ses facettes managériales ?
Bill Drayton, fondateur d’Ashoka, parcours de nombreux pays et réalise avec ses
représentants nationaux d’innombrables entretiens qui l’ont amené à repérer les qualités
intangibles de l’entrepreneur social : passion, détermination, sens éthique ; en soit, un profil
bien particulier pour un entrepreneur.
Bill Drayton a donc mis en place un système pour le jury afin de mesurer les qualités de
l’entrepreneur et prendre des décisions rationnelles, systématiques et rigoureuses.
- La créativité
L’entrepreneur a-t-il une idée vraiment nouvelle, susceptible de devenir la norme dans son
domaine ?
Il faut à l’entrepreneur social de la créativité pour fixer des objectifs, c'est-à-dire la capacité
du visionnaire à imaginer à terme un mode de fonctionnement différent pour son domaine
d’intervention ; et de la créativité pour résoudre des problèmes, pour s’imposer sur un
nouveau terrain, il y a des obstacles à franchir, des ajustements à réaliser qui exigent
énormément d’imagination. Les entrepreneurs sont constamment appelés à trouver des
moyens originaux pour contourner les problèmes.
1
Source : Virginie Seghers et Sylvain Allemand, L’audace des entrepreneurs sociaux, Editions Autrement, 2007
2
Source : David Bornstein, Comment changer le monde – les entrepreneurs sociaux et le pouvoir des idées
nouvelles, Editions la Découverte, Paris, 2005
- 84 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Dans son livre Comment changer le monde, David Bornstein résume ainsi les six qualités
d’un entrepreneur social :
Etre prêt à corriger ses erreurs
Etre prêt à partager les lauriers
Savoir s’affranchir des structures en place
Privilégier l’interdisciplinarité
Accepter de travailler dans l’ombre
Avoir une force de motivation éthique
1
Source : David Bornstein, Comment changer le monde – les entrepreneurs sociaux et le pouvoir des idées
nouvelles, Editions la Découverte, Paris, 2005
- 85 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
pour l’entrepreneur social de réfléchir à la valeur intrinsèque de son idée. Son idée doit être
faisable et assez bonne en soi pour être diffusée et reprise une fois qu’elle a fait ses preuves.
Enfin, l’entrepreneur doit penser au nombre de personnes qui seront touchées et quel sera
l’impact du projet sur elles.
Au sens de Bill Drayton, « un entrepreneur prépare le terrain et fait mentir l’idée qui veut
qu’aucun changement n’est possible. Il sème son grain avec une idée très pratique en tête.
Puis un autre entrepreneur arrive et continue à labourer, à semer. Bientôt, ils sont des
centaines. A l’heure où la planète est un village communicant, les idées circulent entre le
Bangladesh, les Etats-Unis et le Brésil. Et ça fait boule de neige. Le réseau devient un circuit
de diffusion ».1
- La fibre éthique
Ce critère est entièrement subjectif. Pour résumer, un bon entrepreneur social doit inspirer
confiance. Il doit être prêt à partager l’information, être irréprochable. C’est important car la
particularité relève du fait qu’il doit réussir à bouleverser un domaine social particulier, il va
donc devoir demander aux acteurs traditionnels de modifier leurs habitudes de travail et de
revoir complètement leurs rapports avec les autres. C’est quand même énorme, donc si
l’entrepreneur n’inspire pas confiance, un tel effort a peu de chances de réussir. Comme le
précise Bill Drayton : « l’intégrité, le fait d’inspirer confiance, voilà un atout majeur ; et c’est
quelque chose que les gens ressentent instinctivement ».
Rappelons tout de même que ce profil type sert de grille de lecture et de sélection pour le
personnel et les sélectionneurs d’Ashoka. Ce ne sont en rien des critères qui seraient une
norme, un profil type universel, ce sont uniquement des pistes d’éclairage.
Le changement social est long, l’entrepreneur social va devoir passer par de nombreuses
étapes et obstacles pour imposer son idée. Bill Drayton, pour y voir plus clair, a décomposé
un cycle de vie en quatre étapes :
1
Voir Annexe : article de presse Interdépendances, « Bill Drayton – simplement changer la face du monde »,
n°58
- 86 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
1Théorie de Henry Dougier, exposé dans le livre de Virginie Seghers et Sylvain Allemand, L’audace des
entrepreneurs sociaux, Editions Autrement, 2007
- 87 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Dans l’audace des entrepreneurs sociaux, Virginie Seghers et Sylvain Allemand s’intéressent
à la chaire « entrepreneuriat social » de l’ESSEC. Pour cela, ils décident d’interviewer Thierry
Sibieude, responsable de cette chaire afin de comprendre les motifs, les objectifs et ici, ce qui
nous intéresse, les passerelles entre les différentes approches de cet entrepreneuriat.
J’ai choisi de sélectionner quatre passages du témoignage de Thierry Sibieude qui me
semblent pertinents pour répondre à notre questionnement.
1
Selon Thierry Sibieude, responsable de la chaire « entrepreneuriat social » de l’ESSEC.
- 88 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
allers et retours entre ces deux sphères au cours de notre carrière professionnelle, sans que
cela soit perçu comme incongru. Si la formule de la chaire s’est d’emblée imposée à nous,
c’est qu’elle est précisément un creuset idéal pour différentes conceptions de
l’entrepreneuriat social. Une chaire a naturellement pour vocation de s’intéresser à la
réflexion conceptuelle, mais aussi de faire évoluer les pratiques, en se gardant de jeter aux
orties ce qui a été jusqu’ici, sous prétexte que ce serait ancien, et de magnifier les conceptions
les plus récentes, en l’occurrence anglo-saxonnes. Si elles sont plus dynamiques, celles-ci ne
sont pas pour autant toujours adaptées au contexte hexagonal.
Par ailleurs, une chaire permet d’associer des acteurs de différentes sphères, comme c’est le
cas avec la Macif et le groupe Caisses d’Epargne, pour ce qui est de l’économie sociale,
Redcats (la filiale de vente à distance du groupe Pinault-Printemps-Redoute, PPR) et SFR,
pour ce qui est du secteur à but lucratif, Eco-Emballage, pour le secteur mixte, sans oublier la
Caisse des dépôts, très engagée à nos cotés ».
- 89 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
d’un projet, son évaluation, la gestion des bénévoles, les outils marketing et commerciaux,
etc., le tout à partir d’étude de cas […] L’enseignement comporte un séminaire d’application
qui traite d’une grande question qui se pose à nos partenaires. L’an passé, en 2005-2006,
nous avons travaillé sur le thème RSE et grands acteurs de l’économie sociale. »
1
Source : Virginie Seghers et Sylvain Allemand, L’audace des entrepreneurs sociaux, Editions Autrement, 2007
- 90 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Certaines entreprises de l’économie sociale et solidaire ont, quant à elles, atteint une taille qui
les apparente à de vraies puissances financières, avec des modèles qui participent pleinement
à la compétition économique (exemple de quelques coopératives à succès : le Crédit agricole,
Groupama ou Leclerc). « Avec 1000 milliards de dollars de chiffre d’affaires à travers le
monde pour les seules coopératives, l’économie sociale n’a-t-elle pas une longueur d’avance
sur le thème porteur de la générosité alors que les sociétés capitalistes cotées en Bourse
veulent se donner l’image d’entreprises citoyennes ? »1
D’où notre interrogation sur la place de l’entrepreneur social. Où se situe t-il entre les
entreprises capitalistes de plus en plus responsables et les entreprises de l’économie sociale
et solidaire de plus en plus compétitives ?
Car d’une part il n’est pas motivé par le profit, mais il l’utilise pour créer de la valeur sociale.
D’autre part, il se préoccupe de ses stakeholders et de sa gouvernance, mais le sens des
responsabilités ne suffit pas à le définir.
La singularité d’un entrepreneur social ne se trouverait-il pas dans une tension entre les deux
modèles économiques, tension qu’il assume et dépasse ? Car nous l’avons vu dans la
définition qu’en donne l’ESSEC, en conciliant initiative privée avec « une finalité sociale
supérieur ou égale à la finalité économique », l’entrepreneur jette des passerelles entre ces
deux pôles et aiguillonne l’un et l’autre pour peut être contribuer à leur renouvellement.
Car comme le dit Bill Drayton : « le fossé entre le secteur marchand et le secteur citoyen est
un accident historique absurde ». 2
Nous venons de voir que des passerelles existaient entre secteur privé et tiers-secteur, et
qu’après tout, cela n’était pas plus mal et encourageait le renouveau. On le remarque
concrètement avec l’arrivée des entreprises privées dans le secteur des services aux
personnes.3
En effet, la loi Borloo et l’instauration du chèque emploi service universel (CESU) pour
favoriser le développement des services aux personnes prévoit de belles incitations fiscales
sur un marché en pleine expansion. C’est donc l’arrivée d’une nouvelle concurrence pour les
entreprises de l’ESS. Et les entreprises privées ont une force de frappe évidente surtout que
les associations ont notamment une faiblesse : il leur est interdit de faire de la publicité.
Mais Pascal Dorival, directeur général de Chèque Domicile, pense que l’économie sociale a de
quoi résiter et que l’arrivée des entreprises à capitaux dans le secteur constitue même « un
défi positif : voila l’occasion pour l’économie sociale de se moderniser, de s’adapter, de viser
1
Sources : Article du Figaro Economie : « Coopératives : enquête sur la face cachée du capitalisme », 26 octobre
2006 / Virginie Seghers et Sylvain Allemand, L’audace des entrepreneurs sociaux, Editions Autrement, 2007
2
Voir Annexe : article de presse Interdépendances, « Bill Drayton – simplement changer la face du monde »,
n°58
3
Voir Annexe : Interdépendances, « L’économie sociale peut-elle garder l’avantage ? », n°61
- 91 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
1
François Rousseau est Docteur en sciences de gestion de l’Ecole polytechnique et chercheur associé au Centre de
Recherche en Gestion, PRES, UMR 7176 du CNRS
- 92 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Rappelons que l’entrepreneur social, dans sa construction d’une organisation sociale et/ou
solidaire, vise à développer une organisation militante avec pour motivation d’impliquer
divers acteurs à son projet.
En matière de management, l’entrepreneur social et la dimension collective dans laquelle il
inscrit sa fonction, entre en tension permanente dans la combinaison de recherche de
performance économique et performance sociale. Ceci pour inventer des marges de liberté
nouvelles dans le but de réaffirmer le projet social qu’il porte. Et cet entrepreneur a besoin de
bénéficier d’enseignements probablement spécifiques.
Pour survivre ou se développer, une entreprise du tiers secteur doit modifier son mode
d’organisation car, selon François Rousseau, elle est sous contrainte de « règles de gestion
exogènes qui s’imposent et conduisent fréquemment à un alignement du système de gestion
et de production des actions sur les modalités de l’entreprise marchande1 ou publique2
suivant les domaines d’activités qui lui sont investis ».
Il va sans dire que cette nécessite de transformation provoque une véritable crise de sens,
notamment pour les associations, par le renversement du projet initial qui donnait la
primauté du lien social sur l’activité économique. Mais je suis convaincue comme François
Rousseau, que l’intégration de règles de gestion permet de créer de nouvelles marges de
liberté et que l’apprentissage qui en résulte peut entraîner de nouvelles combinaisons
productives, une réinvention ou du moins une modernisation des projets, le plus souvent
associatifs. Enfin, cette transformation ne peut se concrétiser que par l’existence d’un
nouveau type de dirigeant visionnaire, l’entrepreneur social.
1
Par exemple, le cas du tourisme social des années 60 et 70 construit sur un mode militant du droit aux vacances
pour les classes populaires et qui est aujourd’hui construit sur le modèle marchand des villages de vacances du
type du Club Méditerranée.
2
Par exemple, le cas des modes de garde des enfants en bas âge : les initiatives des parents qui ont créé les crèches
parentales à la fin des années 60 sont aujourd’hui structurées sur le nouveau modèle des crèches publiques
- 93 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
de leur fiabilité qu’en ont les gestionnaires dote ces outils d’une puissance merveilleuse : ils
vivent leur propre vie et deviennent des machines de gestion (au sens de Jacques Girin1) qui
imposent aux dirigeants leurs principales décisions, ce qui conduit parfois tout le monde
dans le mur avec une obstination peu croyable ».
Cette affirmation remet donc en cause les fondamentaux mêmes des outils de gestion
développés. Sont-ils fiables et surtout universels, applicables dans chaque situation ? N’y a-t-
il pas d’autres alternatives et nuances ?
Je pense que les managers doivent adapter leurs outils de gestion à la situation et au
secteur, et qu’il en est de même pour les entrepreneurs sociaux. Dans la situation spécifique
du tiers-secteur, le dirigeant se doit d’utiliser des outils de gestion dans le dispositif de
décision ; mais ils doivent être instrumentalisés au sens propre et mis au service de la finalité
poursuivie, quitte à « tordre » l’outil en conscience, notamment en situation de crise.
Au sens de J. Rousseau, « ce n’est pas le souhait délibéré du militant gestionnaire de se
rebeller contre l’inflation froide de la gestion mais par nature. »
Ainsi, nous pouvons avancer que les outils de gestion importés du secteur privé ou
publique ne véhiculent pas les finalités d’une organisation du tiers-secteur mais
ils s’imposent tout de même.
Etre un entrepreneur social et agir en tant que militant-gestionnaire dans la poursuite de son
objectif bouscule forcément les méthodes managériales « classiques ». Il doit en effet
apprendre à les maîtriser, percevoir leur force de légitimation et presser leur pouvoir
normatif. Le management et la gestion peuvent donc avoir un rôle primordial à jouer s’ils
sont mis au service de l’intention poursuivie.
1
Directeur de recherche au CNRS, ancien directeur du Centre de Recherche en Gestion de l’Ecole polytechnique
- 94 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
L’entrepreneur social en tant que dirigeant, s’est donné une exigence de résultats et de
moyens spécifiquement dédiés à l’établissement d’une dynamique collective. L’ensemble de
la démarche est centré sur le projet, ses valeurs, ce qui renvoie donc au militantisme, mais
également sur la mise au jour de ses savoir-faire, de ses domaines d’activité et de son métier
qui sont plutôt de l’ordre de la gestion entrepreneuriale.
Nous sommes amenés à nous poser la question suivante : des outils de gestion du sens
peuvent-ils alors être utilisés dans le but de rechercher la bonne combinaison
entre performance sociale et économique ?
- 95 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Concrètement, cela peut apparaître sous forme de récits de projet par exemple. C’est ce
qu’explique Thierry Boudès1, expliquant une forme originale de management de projets :
« Les réseaux de relations issus des projets sont liés au sentiment d’avoir participé à une
histoire forte […]. L’une des grandes fonction des récits est d’attribuer du sens à
l’expérience, grâce à la chronologie des expériences et à leur configuration, c'est-à-dire à
l’organisation des évènements au-delà de la chronologie ».
Par exemple, dans le cas étudié par J. Rousseau (une association à finalité éducative), ce n’est
pas l’activité produite qui donne du sens mais son enchâssement dans d’autres activités
éducatives mises au service d’un idéal commun.
En résumé, la gestion de toutes ces activités est organisée sous la forme de gestion de
projets : avec des objectifs, un état des lieux, des moyens, une perspective de
transformation de la situation existante, une progression et donc des
apprentissages qui vont forcément se heurter à des obstacles à contourner et à la fin,
l’espoir d’un résultat. Précisons qu’avant d’être des projets, ce sont des histoires fortes qui
suscitent implication et engagement des participants. Cette aventure collective et mise au
service d’un but commun, nous l’avons déjà dit, mais elle permet également à chacun de
construire un morceau de sa propre vie. Cela est rendu possible par un processus construit et
guidé par l’entrepreneur autour du projet. Cette démarche consciente devient alors un
savoir-faire spécifique.
L’entrepreneur social porte à la base une bonne histoire, un bon projet, mais cela doit reposer
sur des étapes précises qui s’enchaînent les unes aux autres de façon cohérente en vue d’un
dénouement espéré. Dans toutes les méthodologies de projet, les apprentissages constatés
servent de point d’appui au lancement des projets suivants.
Ainsi, la formalisation des outils de gestion du sens rend « nécessaire d’installer
un continuum entre les événements collectifs pour allier la quête du sens et la
recherche d’efficacité ».
D’autre part, une autre rupture qu’observe J. Rousseau dans le mode de production des
actions, c’est le renforcement de la tradition orale par le passage à l’écrit. Les entrepreneurs
sociaux, les militants, les bénévoles ou salariés ont ce besoin de s’exprimer, d’être écouté,
d’échanger. Mais l’oral trouve des limites si elle n’est pas entretenue avec la rigueur
nécessaire. Elle peut trouver dans sa mise en écrit une forme de recueil et d’amplification
pour transporter et faire connaître les ambitions du projet.
Cette mise en écrit provoque souvent une transformation de la communication interne et
externe de l’organisation. Car au-delà de faire connaître et partager les bonnes pratiques dans
un souci de mutualisation ou de promotion, il s’agit ici pour l’entrepreneur dirigeant de
1
Thierry Boudès est docteur en sciences de gestion de l’Ecole polytechnique. Ses recherches portent sur les
théories du récit dans le management et l’apprentissage organisationnel, il est professeur à l’ESCP-EAP en
stratégie, management et conduite de projet.
- 96 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
En nous appuyant sur l’analyse de J. Rousseau, nous avons compris qu’un entrepreneur
militant a tout intérêt à développer son profil de manager, notamment par la gestion de
projets, la gestion du sens, le management participatif, la communication et la mobilisation
des acteurs.
En terme d’outils pratiques, l’ESSEC a pris une initiative très intéressante qui mérite d’être
soulignée. Thierry Sibieude, responsable de la chaire « entrepreneuriat social » (nous avons
pu lire une partie de son témoignage), conçoit depuis 2005 un « guide méthodologique du
business plan social » actualisé chaque année.
Il ne me semble pas intéressant de paraphraser ou reprendre en intégralité les étapes d’un
business plan social, je préfère insérer en annexe l’intégralité du guide qui me parait clair,
concis et pratique1. Je donnerais donc un éclairage rapide sur ce concept.
Le Business plan social (BPS) a pour but d’offrir un cadre d’analyse afin que les décisions
prises dans différents domaines soient cohérentes avec la mission et les principes de
l’organisation. Il permet de définir la stratégie et les moyens à mettre en œuvre pour passer
d’une idée à la réalisation d’un projet. C’est donc un outil pratique, concret et surtout
nécessaire pour un entrepreneur social.
Il lui permet d’analyser et structurer son projet avec précision, d’identifier toutes les
alternatives, d’anticiper les obstacles et de trouver les moyens pour les surmonter.
La qualité d’un BPS assure la crédibilité du projet d’utilité sociale. Par son professionnalisme,
ce document permet de convaincre des partenaires potentiels. Il faut absolument pour
l’entrepreneur social, afin de réussir son BPS, être objectif, clair, précis, uniforme et
professionnel. Ce sont les facteurs clés de succès.
Le BPS diffère du business plan classique car il répond aux spécificités d’un projet
d’entreprise sociale.
1
Voir Annexe : Thierry Sibieude, ESSEC « business plan social - guide méthodologique 2007 ». Pour information,
le guide comprend une quinzaine de pages, j’ai pris le soin de retirer la première partie qui présentait le module
aux étudiants de l’ESSEC, cela ne me paraissait pas utile dans notre contexte.
- 97 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Ce BPS proposé par l’ESSEC permet donc à tous les entrepreneurs sociaux de bénéficier d’un
outil de formalisation et de gestion de projet, adapté à leurs spécificités, afin d’être pertinents
et professionnels dans leurs démarches.
- 98 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Il peut donc exister une autre forme productive qui recherche la mise en cohérence entre le
projet et l’organisation afin d’optimiser son développement tout en respectant les finalités et
valeurs. Les dirigeants d’entreprises du tiers secteur, dans un apprentissage gestionnaire,
peuvent comprendre le rôle puissant des outils et leur capacité normalisatrice.
La réflexion sur leur propre organisation peuvent les conduire à identifier des supports à la
fabrication d’outils de gestion, afin d’optimiser leur activité à la base d’une production de
richesses sociales. Si on systématise leur utilisation, cela créera des rythmes, suscitera des
méthodes, mobilisera des moyens spécifiques et orientera la recherche de résultats afin de
transformer une situation initiale.
J. Rousseau pointe tout de même les défaillances éducatives. Pour lui, l’entrepreneur social
peut être défini comme « un dirigeant qui a les habilités nécessaires à la promotion et au
développement d’un mode de production de biens ou services à valeurs ajoutées sociales,
économiquement viables et conformes aux valeurs du projet de l’organisation. Cet
entrepreneur social devrait trouver dans son cursus de formation en plus des matières
traditionnelles de l’enseignement en gestion celles qui restent largement à inventer et qui
concernent la production de sens, la coopération, la valeur ajoutée sociale par exemples. »
- 99 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Conclusion
A travers le monde, ils avancent des alternatives et reconsidèrent la notion même de richesse.
Ils repensent le management et les outils de gestion, questionnent le capitalisme et
l’économie sociale et solidaire, pour encourager leur renouvellement.
La capacité à provoquer le changement se développe chez un individu avec le temps, des
modestes initiatives en entraînant peu à peu de plus ambitieuses.
Pour réussir à résoudre des problèmes et avancer de nouvelles solutions, nous avons
remarqué que ces entrepreneurs sociaux cherchaient à appliquer les pratiques des
entreprises privées et du management à des objectifs sociaux. Les outils issus du secteur
privé s’imposent à eux pour pérenniser leur projet. Ils ont besoin d’un solide bagage de
gestionnaire pour développer leurs idées.
Cependant, nous avons expliqué que l’avènement d’un type de management particulier, le
management alternatif, pourrait renouveler les outils et pratiques « classiques » à leurs
spécificités. Les entrepreneurs sociaux ne peuvent s’appuyer uniquement sur les pratiques
des entreprises capitalistes, ils ont besoin d’un aiguillage ciblé, d’un accompagnement
particulier, de formations spécifiques et de financements multiples.
Dans leur gestion quotidienne, il est nécessaire pour eux de développer leur profil de
manager militant, avec des particularités que sont la gestion de projets d’utilité sociale, la
gestion du sens, le management participatif, la communication et la mobilisation des acteurs.
1
D’après David Bornstein, constat qu’il a fait durant ces études de journalisme. Source : « Comment changer le
monde, les entrepreneurs sociaux et le pouvoir des idées nouvelles », Editions La Découverte, 2005
- 100 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Ils peuvent s’appuyer sur des outils concrets comme le Business plan social (BPS) qui a pour
but d’offrir un cadre d’analyse afin que les décisions prises soient cohérentes avec la mission
et les principes de l’organisation. Ce BPS est pour le moment un des seuls outils pratiques,
concret et surtout nécessaire pour l’entrepreneur social.
Leur volonté est de trouver un encadrement dans la définition de leur stratégie et dans les
moyens à mettre en œuvre pour passer d’une idée à la réalisation d’un projet d’utilité sociale.
Cet aiguillage existe, mais il me semble encore méconnu et incomplet.
Il est évident que ce travail de recherche ne peut être exhaustif et appelle des compléments.
Des domaines m’apparaissent nécessaires d’approfondir. D’une part l’analyse des résultats de
l’économie sociale, notamment la mesure de la performance et le concept d’utilité sociale.
D’autre part les entrepreneurs et leurs aptitudes et leurs capacités à créer des innovations
sociales. Enfin, une recherche plus approfondie sur les outils spécifiques au management
alternatif et sur les possibilités de développement de ce management encore expérimental.
Concernant ce qui a été avancé dans ce mémoire, il ne s’agissait pas de faire l’apologie d’une
poignée d’hommes et de femmes remarquables avançant un concept « révolutionnaire »,
mais d’attirer l’attention sur un type particulier d’acteur qui joue un rôle catalyseur dans le
changement social. Les entrepreneurs sociaux exercent une profonde influence sur la société,
mais leur fonction réformatrice demeure très mal comprise et largement sous-estimée, et on
peut faire le même constat pour l’économie sociale et solidaire.
Les acteurs de l’économie sociale et solidaire, encore marginalisés, ont un poids important
dans l’économie et ont un rôle de cohésion sociale. Mais ils doivent trouver leur place et
s’imposer dans le dialogue social, car une économie moderne, même mondialisée, a tout
intérêt à se vivre plurielle. Ne pas avoir le profit comme seul objectif fait de leur modèle un
concept original, ils doivent désormais utiliser leurs forces en soulevant leurs freins.
Car de nombreuses problématiques émergent autour de leur reconnaissance et du bien fondé
de leurs particularités.
L’entrepreneuriat social fait aussi face à de nouveaux enjeux. L’étude de l’AVISE nous montre
notamment que les actions les plus utiles à mettre en œuvre seraient un plan global et
cohérent de développement, un service de renseignement téléphonique dédié, un site
Internet dédié (d’où ma mission), ainsi qu’une sensibilisation / formation des professionnels
de la création d’entreprise à l’accompagnement spécifique de ces entrepreneurs.
Finalement, ma volonté était d’apporter des pistes de réflexion qui enrichirait la recherche et
encouragerait le développement de cette problématique qui a besoin de ressources et
d’approfondissements. Car nous l’avons constaté, le développement local peut être
- 101 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Je pense que leurs pratiques méritent d’être soutenues, car sans échange et sans coopération,
il n’y aura pas de développement et leurs ambitions resteront isolées.
Le plus vaste chantier qui s’ouvre désormais est donc le développement économique, social,
culturel et politique de l’entrepreneuriat social.
Au sein du tiers secteur dont nous avons rappelé tout au long de ce mémoire l’importance et
les enjeux, on peut enfin se demander si rompre l’opposition entre d’un côté les gestionnaires
et de l’autre les militants afin de montrer de nouvelles voies pour entreprendre autrement ne
serait pas une belle façon de continuer à raconter sérieusement des histoires utiles à la
cohésion sociale.
- 102 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Glossaire
- 103 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
- 104 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Bibliographie
Ouvrages
Articles de Presse
- 105 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Etudes
Guides
- 106 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
Webographie
Divers
- 107 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
- 108 -
L’entrepreneuriat social : vers un management alternatif ?
- 109 -