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La question portant sur autrui est une question dont les
développements décisifs sont apparus assez tardivement dans l ‘histoire
de la philosophie. On le constatera en lisant le cours qui va suivre : notre
parcours débutera avec Descartes et mis à part ce dernier et Hegel, il
s’attachera à des auteurs et courants du 20ème siècle. Est-ce à dire alors
que les anciens, les Grecs en particulier, ignoraient l’altérité ?
Certainement pas dans la mesure où ils ont thématisé (voir notamment
Platon, Le sophiste) les différences du même et de
l’autre, thématisation qui est devenue et est toujours essentielle en
philosophie. Le même et l’autre appartenaient, pour Aristote, à la
« table des contraires » à partir de laquelle était mise en œuvre la
dialectique (c’est-à-dire pour Aristote, l’étude des raisonnements
« probables »). Cependant, il est nécessaire d’établir une distinction
entre autre et autrui. Disons simplement que si tout autrui est un autre,
l’inverse n’est pas vrai. L’autre, ce peut être un autre homme mais ce
peut-être aussi Dieu, un animal, voire un objet matériel tandis qu’autrui
est toujours un individu humain. Plus encore, c’est cet individu humain
envisagé comme alter ego. La question fondamentale qui est à la source
de la problématisation d’autrui est la suivante : Comment se peut-il
qu’existe un autre que moi que je découvre parmi les choses et qui
pourtant, comme moi, est un ego (un sujet) ? Comment peut-il y avoir un
ego qui ne soit pas mon ego. On ne doit pas se masquer les fondements
d’une telle formulation de la question car celle-ci ne peut être posée
ainsi que dans la mesure où le sujet est pensé comme point de départ
absolu de la pensée philosophique. C’est parce qu’est mise en doute
l’existence des choses qui me sont extérieures et que « je » suis la seule
chose certaine qu’autrui devient un problème et ce d’autant plus que lui
aussi doit être une chose pensante. C’est donc tout simplement parce
qu’ils n’avaient pas pensé le sujet comme les classiques et les modernes,
que les Grecs (et les médiévaux) ne pouvaient thématiser autrui. Mais ce
n’est pas dire qu’ils concevaient uniquement l’autre comme une
catégorie de la pensée ou une catégorie logique. Lorsque Platon se
demande « Comment si le tout existe, chaque chose peut exister
séparément ? », lorsque donc il pose la question de l’identité et de la
différence, celle-ci a aussi immédiatement une portée morale et
politique. Il en va de même pour Aristote lorsqu’il se demande si le
rapport à autrui appartient à l’essence de l’homme ? La question de
l’altérité entre les hommes se posait avant tout pour les Grecs dans les
termes de la vie sociale et politique (cf. l’exemple classique de
l’étranger, du non-Grec considéré comme « barbare »). L’autre avait
bien une dimension « humaine » bien qu’elle ne soit jamais celle de
l’individu isolé. Nous reviendrons sur les enjeux de la pensée politique de
l’autre à la fin de ce cours.
Le solipsisme et sa critique
Le sujet et autrui
Malgré tous les efforts de Husserl pour penser la spécificité
d’autrui, ses conceptions ont été critiquées en tant qu’elles ne
donneraient jamais accès à la spécificité de l’existence d’autrui mais
uniquement à mon expérience d’autrui car c’est moi-même en tant que
subjectivité transcendantale qui constitue le sens de ce qu’est autrui.
Les thèses de Heidegger sont en ce sens tout à fait éclairantes en ce
qu’il s’oppose à la thèse selon laquelle il serait possible de penser, dans
un premier temps, le sujet sans aucune relation à autrui, puis dans un
deuxième temps, ces relations elles-mêmes comme si elles étaient
venues se greffer sur le sujet. L’être-avec est au contraire une dimension
constitutive de l’existence humaine (ce que Heidegger appelle le
Dasein). Je suis toujours déjà en relation avec les autres. Le solipsisme
et la solitude, le premier d’un point de vue théorique, le second d’un
point de vue pratique (ou existentiel), sont ce que Heidegger appelle des
modes déficients de l’être-avec. En réalité, je ne peux être seul qu’au
sens où autrui manque, c’est-à-dire que la présence d’autrui précède
toute solitude. Cette idée est fondée sur la conception heideggérienne
de l’essence de l’homme comme existant, qu’il interprète de manière
littérale comme « être au-dehors ». L’homme est toujours hors de soi ;
c’est pourquoi il co-existe nécessairement avec d’autres hommes.
Heidegger souligne également que l’être-avec se manifeste en premier
lieu dans l’écouter, dans le fait d’entendre la « voix de l’ami » que
chaque homme porte en lui. Il développera cette pensée en accordant de
plus en plus d’importance à la parole comme ouverture à l’autre. La
pensée de Heidegger a suscité un vif intérêt car elle offrait une nouvelle
conception de ce qu’est une communauté. Cependant, Heidegger a
profondément été contesté en tant qu’il a presque immédiatement
refermé les nouvelles possibilités qu’offrait sa pensée en thématisant la
spécificité et le « destin » du Dasein allemand, à l’exclusion et contre les
autres peuples, et en rejoignant même le régime nazi.
- La sympathie : La sympathie (ex : la pitié) est un sentiment
moral (inné) qui nous lie aux autres hommes et nous pousse à
« entrer » dans leur sentiments, à les comprendre sans pour
autant les ressentir à un même degré. La sympathie ne s’exerce
pas à l’égard de tous les vivants mais seulement à l’égard des
autres hommes en leur dignité et qualité humaine.